1
1S8 Rev Neurol (Paris) 2005 ; 161 : 1, 1S8 Conférence Les bases neuronales des troubles psychiques Y. Agid Fédération de Neurologie, Institut Fédératif des Neurosciences (IFR 70), INSERM U 289, Centre d’Investigation Clinique – CHU Pitié-Salpêtrière, Paris. Pour le neurologue, c’est une évidence, mais ce l’est peut être moins pour d’autres, le cerveau joue un rôle clé dans la genèse des comportements. Il n’y a pas de discussion pour la motricité, issue obli- gatoire de tous les comportements. La contribution du système nerveux dans les grandes fonctions intellectuelles, depuis la mémoire jusqu’à la conscience, en passant par le langage n’est maintenant plus guère discutée. Quant à la relation entre le cerveau et les émotions, elle revient à la mode. Émo- tion, affect, sentiment, psyché, peu importe le nom…, la question est celle des bases cellulaires du fonctionnement cérébral dans le contrôle des “émotions” au sens large. Des arguments cliniques, le plus souvent anecdotiques, et la description anatomique des structures limbiques qui sous-tendent la physiologie des émotions, confirment le rôle de tels systèmes anatomo-physiologiques dans le contrôle du comportement psychique. Ces avancées scientifiques sont de deux ordres : celles qui ont permis d’identifier les structures cérébrales activées chez des sujets exposés à divers contextes émo- tionnels grâce à la neuro-imagerie, en particulier l’IRM fonctionnelle ; celles qui montrent, chez des patients avec troubles psychiques ou chez l’animal d’expérience, la corrélation entre les anomalies comportementales observées et le siège des lésions cérébrales. Ainsi ont été identifiés avec précision les circuits de neurones limbiques impliqués dans l’apparition de troubles émotionnels les plus divers (état dépressif ou état maniaque, agressivité ou apathie, comportement stéréotypé ou persé- vératif, etc) impliquant aussi bien les régions corticales que les structures profondes du cerveau, dont les noyaux gris de la base et le tronc cérébral. Dans cet exposé, nous décrirons les divers troubles du comportement provoqués par des lésions échelonnées le long des circuits limbiques cortico-sous- cortico-corticaux, et les modifications métaboliques provoquées dans ces mêmes structures par la perception d’émotions fortes ou subtiles. Ces modifications émotionnelles, cliniques et expérimen- tales, seront confrontées aux données anatomo-physiologiques les plus récentes dans une perspective thérapeutique.

Les bases neuronales des troubles psychiques

  • Upload
    y

  • View
    216

  • Download
    2

Embed Size (px)

Citation preview

Page 1: Les bases neuronales des troubles psychiques

1S8 Rev Neurol (Paris) 2005 ; 161 : 1, 1S8

ConférenceLes bases neuronales des troubles psychiquesY. Agid

Fédération de Neurologie, Institut Fédératif des Neurosciences (IFR 70), INSERM U 289, Centre d’Investigation Clinique – CHU Pitié-Salpêtrière, Paris.

Pour le neurologue, c’est une évidence, mais ce l’est peut être moins pour d’autres, le cerveau joueun rôle clé dans la genèse des comportements. Il n’y a pas de discussion pour la motricité, issue obli-gatoire de tous les comportements. La contribution du système nerveux dans les grandes fonctionsintellectuelles, depuis la mémoire jusqu’à la conscience, en passant par le langage n’est maintenantplus guère discutée. Quant à la relation entre le cerveau et les émotions, elle revient à la mode. Émo-tion, affect, sentiment, psyché, peu importe le nom…, la question est celle des bases cellulaires dufonctionnement cérébral dans le contrôle des “émotions” au sens large. Des arguments cliniques, leplus souvent anecdotiques, et la description anatomique des structures limbiques qui sous-tendent laphysiologie des émotions, confirment le rôle de tels systèmes anatomo-physiologiques dans lecontrôle du comportement psychique. Ces avancées scientifiques sont de deux ordres : celles qui ontpermis d’identifier les structures cérébrales activées chez des sujets exposés à divers contextes émo-tionnels grâce à la neuro-imagerie, en particulier l’IRM fonctionnelle ; celles qui montrent, chez despatients avec troubles psychiques ou chez l’animal d’expérience, la corrélation entre les anomaliescomportementales observées et le siège des lésions cérébrales. Ainsi ont été identifiés avec précisionles circuits de neurones limbiques impliqués dans l’apparition de troubles émotionnels les plusdivers (état dépressif ou état maniaque, agressivité ou apathie, comportement stéréotypé ou persé-vératif, etc) impliquant aussi bien les régions corticales que les structures profondes du cerveau, dontles noyaux gris de la base et le tronc cérébral. Dans cet exposé, nous décrirons les divers troubles ducomportement provoqués par des lésions échelonnées le long des circuits limbiques cortico-sous-cortico-corticaux, et les modifications métaboliques provoquées dans ces mêmes structures par laperception d’émotions fortes ou subtiles. Ces modifications émotionnelles, cliniques et expérimen-tales, seront confrontées aux données anatomo-physiologiques les plus récentes dans une perspectivethérapeutique.