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Les crises politiques au Burundi et au Rwanda (1993-1994) Université des Sciences et Technologies de Lille

Les crises politiques au Burundi et au Rwanda...transition» en avril 1992. La convergence du conflit armé et des profondes mutations politiques plon-gea le peuple rwandais dans la

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Les crises politiquesau Burundi

et au Rwanda(1993-1994)

Université des Sciences et Technologies de Lille

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LA GUERRE, LA PAIX ET LA DÉMOCRATIEAU RWANDA

par ,lames K. Gasana

Introduction

Dans un monde qui est en train de frz-,_-2-.-r !e àxe siècle, les signes les plusmarquants de la présence du R:~anda sent cié-.~ ...... : les conflits ethnopolitiquessanglants et l’angoisse profonde ,Se sa :,ee.u]ati,_-a Ce-e si.’.uation cc.nr_raste avec lese_~poirs qu avaien- susc---.~s :_-es ie:_--=:_~ : _= -.~_ :=--:-z:::=e à i.î f:n des années80. En cette pé_’nc~’e-!L ie_s :::--~::: ï-: e---: _- -- _ - - :_-’_’:.:,~r.a-re et la sociétécivile avaient dramatisé la misère d ~.~ re’~r:_’: ::~çZ_--e -.’..zi~habète et accablé demaladies, la corraption peli’iq_e e- <,,_:_--: _~:-_~ :: : :-:ce _’,,_-.)itique dirigeante et lafaillite du système politique en place. Le maia;se r,ss~.~:a.~~ de la prise de consciencede cette situation devait générer des pressions qui ont mené à la rupture avec lemonopartisme.

Cependant, peu avant le mûrissement de cette prise de conscience, la scènepolitique fut bouleversée par réclatement, en octobre 1990, d’une guerre que leFront patriotique rwandais (FPR) déclara contre le pouvoir de Kigali. Ce conflit quidure encore, malgré la signature de l’accord de paix à Arusha (Tanzanie), le 4 août1993, accéléra les événements sur la scène politique intérieure en accentuant lespressions pour les changements politiques qui débouchèrent sur la légalisation dumultipartisme en juin 1991. Il y eut ensuite la mise en place du «gouvernement detransition» en avril 1992.

La convergence du conflit armé et des profondes mutations politiques plon-gea le peuple rwandais dans la situation la plus angoissante de son histoire. Enmême temps, un des effets majeurs de la guerre fut de mettre à nu les maux pro-fonds dont souffre le Rwanda et en particulier d’aiguiser les contradictions eth-niques et régionales. Mais elle a aussi montré l’existence d’un énorme potentield’unité nationale, les Rwandais de tous les groupes socio-politico-ethniques n’ayantjamais tenté de mettre en cause leur commune appartenance à une même entiténationale.

Cependant, la recherche de solutions à ces contradictions ne répond pasencore aux attentes du peuple rwandais. En effet, il y a une grande diversité degroupes politicomilitaires aux objectifs politiques variés et parfois opposés, bienque l’on puisse distinguer entre ces groupes des convergences en matière de straté-gies de lutte pour le pouvoir.

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La guerre d’octobre 1990 elle-même est d’une grande complexité. Elle pré-sente des facettes d’une agression externe entreprise par le couple FPR/NRAI,d’une contre-révolution des exilés rwandais, et d’une insurrection, qui ont convergêdans une seule crise. Une analyse de toutes ces facettes, ainsi que celle du cadre etdes enjeux de la lutte pour le pouvoir, est donc nécessaire pour dégager les condi-tions de la démocratisation de la vie politique du Rwanda, préalable pour une paixdurable basée sur la cohérence sociale et politique, objet principal de la Révolutionsociale de 1959. Nous décrirons ainsi le contexte politique d’avant la guerre et pré-senterons les différents acteurs politiques et leurs stratégies, afin de pouvoir déga-ger les recommandations pour une paix durable.

Le contexte sociopolitique d’avant octobre 1990

La R&«.,’,,:io:î so«i,a!e de 1959 :q:a:ie

p~n..4.an: ~~,,~.~ .... ~. ~.,~.-"-~~ ;,,~.~,,’- ~: ~~’-«.;«.,c, allemande, une grande par-.;.~ .4~~"tic du R. ,~,,~,~- ê:~" z::_zee :-- _: 7eç:-e -e-._~¢-monarchique de rethnie tutsi

constituant i" ~-~ de iz " " - " égalité:-:7~.-:._-= -ï::.:r:_-e _e réz~me était bâti sur des in ssociales írizées en défa’, e:~- ~.e= e:k-ïe- - - :- 4, et twa (1%), et reflétées dansles fonctions soE:c-écon.:,,.ï’ac=:- _ ::_-. 7_:-= :-_Z:-:n~ pasteurs et dirigeants, les Hutuétaient agriculteurs, le~_ Tv, a étaient pou,.,s~,’, et chasseurs. La dialectique de cesinégalités sociales, qui fut à la base du «Manifeste des Bahutu» en 1957, mena à laRévolution sociale de 1959-1961. La mise en place définitive des institutionsrévolutionnaires eut lieu le l erjuillet 1962, date de l’indépendance nationale duRwanda.

La Révolution sociale de 1959 fut un mouvement rural puissant dontl’objectif politique était de mettre fin au système de castes qui accordait le mono-pole du pouvoir à une ethnie minoritaire, et de remplacer la monarchie féodale parune république démocratique. Les révolutionnaires rêvaient ainsi d’une sociétédémocratique reposant sur un consensus de toutes les forces sociales et politiquesdu pays, et débarrassée de toute hégémonie de groupe. Cet idéal devait être trahipar les régimes qui se sont succédé, à tel point que le projet révolutionnaire a ~téprogressivement mis en veilleuse. Depuis la moitié des années 60, sous la premièreRépublique, on commença à constater une nette volonté d’étouffement de la démo-cratie. Se voyant menacé par des tentatives répétées de renversement par unecontre-révolution meurtrière organisée par les réfugiés, le nouveau régime se ren-força en établissant l’hégémonie de l’ethnie hutu à travers le parti MDR-P.ARME-HUTU3, et en neutralisant tous les autres partis politiques. Vers 1966, le paysconnaissait déjà un monopartisme de fait. S’appuyant sur le parti, le régime déployatoutes les énergies dans l’anticipation de la dissension, ce qui le mit en contradic:tion avec la société civile qui ne pouvait pas s’épanouir, et avec l’ethnie tutsi et lesréfugiés qui ne purent pas retourner dans leur pays.

!~.Armée ougandaise.2. Nous disons une partie du Rwanda car, dans le nord, l’implantation du régime féodo-monarchique n’était pas

encore réalisée à l’a veille de la colonisation allemande.3. Mouvement démocratique républicain - Parti de l’émancipation hutu.

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GUERRE, PAIX ET DÉMOCRATIE AU RWANDA213

L’autoritarisme de la jeune république créa des conditions dans lesquelles legouvernement n’était responsable qu’envers lui-même. Les pressions de parlemen-taires, qui voulaient maintenir un contrôle des représentants du peuple, se soldèrentpar un échec en 1968, suivi d’une purge de politiciens accusés d’avoir dévié de laligne du parti. Parmi eux figuraient des personnalités du nord, ce qui généra lafrustration de l’élite de cette région et la polarisation de la classe politique sur levecteur régional nord/sud. Face à l’accroissement des dissensions, le régime réagiten accentuant la primauté du parti MDR-PARMEHUTU sur les institutionsrépublicaines, en renforçant l’autorité du président Grégoire Kayibanda etl’influence de son entourage issu du même terroir que lui. Le divorce avec le projetrévolutionnaire était ainsi accompli, car le pouvoir devenait ethnique et régional, etl’opposition n’était pas tolérée même au sein du parti unique.

Le renforcement du pouvoir du président Kayibanda atteignit son sommet enmai 1973 lors d’un amendement constitutionnel introduit pour lui permettre de semaintenir au pouvoir. Cette manoeuvre réussit grâce à la forte asymétrie régionaledu pouvoir. Mais la consolidation d’un régime autoritaire de l’élite hutu du centre etdu sud se heurta au manque d’instruments robustes pour y parvenir. En dehors del’appareil du parti, le président Kayibanda ne put exercer le contrôle nécessaire surles moyens de violence pour se maintenir au pouvoir. C’est ainsi qu’entre novembre1972 et juillet 1973. il ne parvint p~ à mater les tensions ethniques et régionalesfomentes par let_ Ci~si.~e=:~_ ~-"- ............ ......- --~" "~~-- con,.radictions du rézime. Le pourris-

sement,.,.,., ,de. la situation ~3!tti~ue c,,ï,~,,~~. .car .le coup d’État .m..ilStaire du 5 juillet1.-,. _- er. ~_- .-,a!~_s~-.:.e !e le zu _-’7 z._-7e’- : ~~,,-.,~-,~ Républ~que.-~~~è5 Se_’: ï’T_~,r’7.:~7_- --~..... e --_ :-_ ee .... e bi::.’, sen eeuvoir sur les per-

sonnes de ~outes ;es reg _--s e: e--, : --_:’-ce- :af !e régime précédent. A défautd’un proiet de _~cc-ê-é __e--._ "~_ " -:e’----:: "_’~ action comme une «révolutionmorale», démarcne :c- _-._- r:. z:nc-:--~- :- -e~a:ns ne percevaient pas de ruptureidéologique nette avec te rézime précédent et ne croyaient pas que des change-ments révolutionnaires peuvênt être l’affaire d’une .... : .pmgnee d officmrs I! s’agissaitdès lors d’un changement dans la continuité.

Pendant les deux premières années, les nouvelles autorités, profitant de lapénurie idéologique héritée du régime précédent, effectuêrent un repli tactique,bannissant les activités politiques, en vue de faciliter l’imposition de la paix et del’unit~ nationale. En réalité, il lui fallait du temps pour préparer rinstitutionnalisa-tion d’un outil efficace pour l’établissement d’une nouvelle hégémonie. Il s’agissaitd’adapter l’ancien parti unique à la nouvelle situation en changeant son nom et en ledotant de moyens et de structures plus totalitaires. C’est ainsi qu’en 1975, un parti-État, le MRND, fut mis en place. Il était entiè�ement inclusif car tout Rwandais enétait obligatoirement membre. Les concepteurs de ce système ont profité de laconnaissance des faiblesses du parti MDR-PARMEHUTU pour bâtir un parti puis-sant, disposant de tous les moyens de répression de la dissension.

Un des atouts du parti-’État était son efficacité dans rembrigadement de lapopulation, ce qui apermis au nouveau régime d’instaurer un pouvoir hypercentra-lisé. Paradoxalement, comme les structures du parti étaient les mêmes que celles del’administration, la proximité physique de l’autorité auprès du peuple a plutôt servià amplifier la distance entre lui et le pouvoir. Ceci fut même consacré dans le lan-gage politico-administratif, où on faisait une nette distinction entre les «dirigeants»et les «dirigés». Ne pouvant plus influencer le pouvoir, la population étaitcontrainte à la soumission devant 151 personnes qui constituaient le relais du pou-voir et dont aucune n’était élue - 141 bourgmestres et 10 préfets de préfectures.

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Ce système de parti-État neutralisa toute possibilité d’organisation autonomede la société civile, introduisant ainsi une contradiction structurelle entre eux. C’estelle qui, avec la rigidité inhérente au système, devait constituer le substrat pour ledéveloppement d’autres contradictions notoires, notamment entre les ethnies et lesrégions. L’étouffement de tous les espaces d’expression politique libre marqua larupture totale avec l’idéal de démocratie véhiculé par la Révolution sociale de1959. Après le référendum sur la Constitution de 1978 institutionnalisant le parti-État, la pesanteur de l’étatisation excessive rendue possible par un encadrement.politique excessif et omniprésent, devint une réalité douloureuse pour la sociétécivile. Pour la justifier le parti-État s’appuyait sur des références simples et «sai-nes» " paix, unité et développement, qui étaient à la portée de la compréhension dupeuple et de la communauté internationale Ces principes étaient axés sur la«démocratie responsable» qui, dans le cadre du parti-État, était le pouvoir de l’Élitepar l’Élite et pour l’Elite.

Nous constatons ainsi à cette étape que le changement de régime effectué en!973 prolonge ia veie de ~a .’.r~-ison de la Révolution sociale de 1959. D’où la dif,écu/t~ de justifier lappeiia:icr, cie deuxième République adoptée par le nouveaurégime. Pour no,_’.- .:i ~ ~--;~: .5.’:ze seule première République dont les maux se sonta~,~~,-,~ ¯ ..4 .................... ~e-~ .... -" -~,- ..... -----=:-= ...... _--~-.:-r-~t qu~ s’est seulement dot~ d’outils plus per-rc.r-.z-’_, erg.. 7---___~-~-. -e : .... _= dissension. En effet, on retrouve les mêmescarences ~oe,_~~,»-~z..:,es ,z.~~.s le 7ï_-z--tat MRND que dans le MDR-PARMEHUTU,la mê..,~~ ~-~-~-- ...... :e e~-~:-=:- -~’3n’-,étrie régionale du pouvoir dans le sensinverse. Alors que les autorités de la première République étaient hantées par lareprise du pouvoir par la contre-révolution féodo-monarchiste, celles de la deu-xième République étaient marquées en outre par la hantise de la revanche des dissi-dents fidèles à l’ancien régime. C’est la prise de conscience de cette réalité par lesélites frustrées qui est à la base du réveil démocratique de la fin de la décennie 80.

Plus de 30 ans après la Révolution sociale de 1959-1961, le bilan des deuxrépubliques déçoit profondément non seulement les attentes des paysans qui Ironteffectuée, mais aussi celles de la population en général frustrée par le déficit démo-cratique devenu structurel, ainsi que par les faibles performances en matière dedéveloppement socio-économique du pays. Au niveau du paysan moyen, les pro-grès réalisés n’ont pas pu dépasser significativement les tout premiers acquis de laRépublique. En 1994, la population vivant en dessous du seuil de pauvreté, sousl’ombre d’une misère qui ne lui permet guère d’entrevoir une issue avant sonanéantissement par la faim et les maladies, est déjà plus nombreuse que toute lapopulation rwandaise de 1962. La moitié de cette population est incapable de lire etd’écrire. Aucune dynamique durable conduisant aux progrès de la productivité n’apu être enclenchée. L’Etat est devenu l’agent quasi exclusif du développement.L’emploi de travail qualifié reste très faible. L’agriculture consomme beaucoupd’espace et peu d’intrants et de technologies modernes, raison pour laquelle les ren-dements se sont détériorés.

En même temps, les inégalités sociales se sont accentuées. La corruptionfinancière privilégiant les puissants a mené à une accumulation inéquitablenotamment dans les domaines de l’immobilier et du foncier. En matière foncière,par exemple, on estime que 43 % des ménages les plus pauvres n’occupent que15% des terres cultivées, avec des superficies variant de moins de 0,25 hectare h0,75 hectarë par ménage alors qu’~ l’autre extrême, I6 %dës ménages les plus

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nantis occupent 43 % des terres arables4, En raison de cette situation, au cours de ladécennie 90, plus de la moitié de la population rwandaise évaluée à plus de8millions d’habitants souffre de la famine structurelle, des maladies, deranalphabétisme et se trouve exclue de toute participation politique, car sa seulepréoccupation est la survie élémentaire. Son ennemi immédiat est l’angoisse et ladésolation. Elle est ainsi condamnée à la dépossession et à un quasi-retour ausystème féodal. Classé 149e pays selon l’indice de développement humain (IDH),le Rwanda fait partie des pays que, par pudeur, on appelle «moins avancés», ceuxdont le développement humain est presque nul5, pour ne pas parler de «cinquièmemonde». Il a vécu jusqu’à sa crise actuelle principalement des rentes agricoles,minières et des aides extérieures.

Actuellement, il est impossible de penser que la dégradation globale desconditions de vie n’est pas enracinée dans la mauvaise gestion politique du pays parles deux républiques successives. Elles ont été incapables de libérer les énergies dela société civile, et en particulier des victimes de la pauvreté, ce qui a occasionnéun énorme retard national quant à la réalisation des changements nécessaires à ladiffusion des facteurs du progrès socioéconomique. La pauvreté s’est accentuée dufait des structures sociopolitiques mises en place, empêchant les couches démuniesde la population d’accéder aux moyens de contr61e du pouvoir, tel que le choix deleurs représentants authentiques dans les institutions du pouvoir, revendicationmaje:,re des ré’.c,~_:::-7-:’.es de t959.

7,-~:5 :.:-_-z..-c:. - _:. ---::..:::,’.s rep’ar-:.:caines et modernisation des traditions~c,&:ç-: :

Comme nC=S a" :’--~.~ "-U. la Révolution sociale de 1959-1961 visait à rem-placer la monarchie féodale par les institutions républicaines. Cependant, malgré lachute de la monarchie, les pratiques féodales se réintroduisirent petit à petit dansles différentes fonctions du pouvoir. Celui-ci était un mélange de moderne et detraditionnel, dans lequel on retrouve des éléments hérités de la monarchie tutsi, destraditions des royaumes autochtones hutu du nord, et du modèle nord-cor~enauquel la deuxième République a emprunté certaines méthodes de contrôle de lapopulation. De la monarchie féodale tutsi, les deux Républiques ont essentielle-ment emprunté les méthodes de distribution des fonctions administratives et poli-tiques. F. Nahimana nous décrit comment cette distribution se faisait à l’époqueféodo-monarchique : «(...) rUmwami prenait ses collaborateurs parmi ses prochesparents, ses amis ou parmi d’autres alliés fidèles»6. Dans cette citation, on peutremplacer Umwami, roi tutsi, par «président» des temps actuëls sans risqued’erreur, surtout pour la deuxième République. Le placement des autorités territo-riales (préfets, sous-préfets, bourgmestres), des fonctionnaires, des cadres mili-taires, des diplomates, des cadres des entreprises parastatales et mixtes, se faisaitdans le strict respect des traditions féodomonarchiques. Les personnes ainsi dési-gnées devenaient, et c’était l’objectif, des représentants du régime. C’est à traverselles que s’effectuait le contrôle de la population, des adminîstrations publiques, etde la vie socio-économique et politique du pays. Ainsi le système transmettait plus

4. J.K. Gasana, Les productions agricoles du Rwanda, Commission nationale d’agriculture, République rwandaise,1991.

5. Selon le rapport 1993 du PNUD, rlDH pour le Rwanda était de 0,186.6. F. Nahimana, Le Rwanda. Émergence d’un État, Paris, L’Harmattan, 1993.

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d’ordres en bas, et de renseignements en haut sur les sources potentielles de dis-sension, que de réelles aspirations du peuple,

Ce mode de désignation des clients des régimes successifs à différents postesne put réaliser l!intégration des différentes contradictions existantes dans le pays,notamment entre ethnies et régions. Il mena à la marginalisation de ceux qui étaientconsidêrés comme des dissidents pour ne pas vouloir s’intégrer dans ce système. Enmatière d’administration territoriale, certaines régions curent le sentiment d’être deszones politiquement «occupées» du fait des rapports entretenus avec les autoritéscentrales. La distribution des postes de l’administration en fonction des relationsavec les tenants du pouvoir ou de leurs attentes a mené à la réémergence des pra-tiques féodales dans la vie nationale. Le clientélisme s’érigea en un véritable besoinsocial, car le mérite comptait de moins en moins par rapport à l’ancrage aux filièresde bonnes relations. Ce système de gestion des relations entre les agents des admi-nistrations publiques et le pouvoir facilita l’instauration d’un centralisme excessif,é~alement d’inspiration féodo-monarchique.

Des :--~-’-:’:-,--’-s des royaumes autochtones hutu du nord, la deuxième Répu-~i~que a~-’~~r~’.--:-+,«.~_. ~.~... ie,. moyens de susciter l’adhésion des clients du pouvoir au sys,"è..--e oui i~- --;:~.--e. Là où les systèmes traditionnels utilisaient l’accès au foncier_--- ~- _~ 2__-~- -e- -;-: --~--:z~~.~, le pouvoir nouveau utilisa les rentes juteuses procu--_~e~ _-:_: -:- _- -- _ biiiers et par la position dans l’administration.

Ces .:~. _--~ :-_--,nts aux modes traditionnels d’exercice du pouvoir effectuész~- _-- -_~.;« -_--_-..._~~e». constituent probablement le facteur le plus important deF<,iarïsat~c,r.. --~" ...... !a soEiété rwandaise. Ce sont eux qui ont mené au dévelop-pement de ta~rr,~étrie régionale et ethnique d’un pouvoir dont le marché sous ladeuxième République est devenu très étroit pour les élites du centre et du sud, etcelles de l’ethnie tutsi. Un autre facteur de polarisation de la population, lié à lamodemisation des pratiques féodales et aggravé par l’asymétrie du pouvoir, est ledéveloppement de la corruption politique et financière sous la deuxiême Répu-blique. Alors que, sous la première République, la cohésion nord/sud était obtenuegrâce à la crainte partagée des attaques de la contre-révolution fêodo-monarchique,sous la deuxième République, la cohésion nord/nord d’abord et nord/sud ensuitereposait sur la gestion de l’accès aux avantages politiques et matériels.

On assista ainsi à l’émergence des «riches» qui le devenaient par cooptation.La météorisation rapide des avoirs des uns par des moyens pour le moins douteuxcréa des mécontentements chez ceux qui n’y étaient pas éligibles. Comme l’élitecommerciale tutsi parvint à jongler dans ce système en s’emboîtant dans la classepolitico-militaire hutu au pouvoir, les frustrations furent davantage un problèmeentre régions. Ainsi, sur le plan politique, sous la deuxième République, la contra-diction régionale fut plus puissante que la contradiction ethnique, même si laguerre d’octobre 1990 a pu faire croire le contraire.

L’exploitation des emprunts de pratiques féodo-monarchiques par les deuxrépubliques pour construire leur pouvoir s’appuya habilement sur l’appareil de partiumque et sur les moyens de contrôle offerts par une administration fortement cen-tralisée. Le système créa petit à petit les facteurs de sa destruction, dont la mar-ginalisation de ceux qui ne pouvaient pas en bénéficier et l’écrasement d’une pay-sannerie sans véritables représentants au pouvoir.

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GUERRE, PAIX ET DÉMOCRATIE AU RWANDA

La confiscation de la république sous les deux républiques

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La conséquence de la trahison de la Révolution sociale de 1959-1961, de latraditionnalisation des institutions républicaines, et de la modernisation des tradi-tions féodales fut la confiscation de la république sous les régimes qui se sont suc-cédé après la déchéance de la monarchie féodale tutsi. Les nouveaux dirigeantssuprêmes ont progressivement structuré ce que R. Lemarchand7 a bien décrit parles termes Presidential Mwamiship, c’est-à-dire une présidence monarchique, ayanttendance à personnaliser le pouvoir. Sur ce point, la première République a connuune évolution contradictoire. La défense des institutions républicaines et le jacobi-nisme du début des années 60 ont progressivement cédé à la construction d’uneprésidence monarchique. Ce processus a consisté en un renforcement des pouvoirsdu président dont la parole devenait souveraine et en une sacralisation de la fonc-tion. Cette oeuvre, poursuivie et achevée sous la deuxième République, est l’un dessignes de la continuité de la dérive de la Révolution. Plus la fonction se sacralisait,plus l’occupant était tenté de s’y éterniser. Ainsi, comme nous l’avons vu précé-demment, le président Kayibanda introduisit un amendement constitutionnel pourpouvoir exercer un mandat supplémentaire que la constitution ne lui autorisait pas.

La pérennité au poste de président de la République s’est appuyée sur lanetien de ,-P~_re de la Nation», qui était incompatible avec celle d’un nombre limité5.e ~_--_:- -~: r--eupte. Sous les deux régimes successifs, le langage politique et lesmédi2s s,ire--,’, e,:ploiter cette fonction superlative de Père de la Nation pour générer~~_:.~ =__ z-_--_ _-e affection pour lui. Ceci con.:nbua à parer à la mise en cause

or_-. e,:_e _ _-_ _ zerenn~té au poste de pre_ldent., à établir une démarcation entre,.: m_-.-.--_-.: :_:-. e: ia présidence monarchique hum. C’est par le mythe attaché à-: ~ --:._: __- --_--.,-,:a.~e que se réalisa définitivement la confiscation de la répu--..~q~e _.:r- :es elecnons présidentielles, il ne se concevait pas qu’une autre per-sonne ose eppeser sa candidature à celle du «Père de la Nation». Il s’agissait ainsid’un exercice formel qui servait, au plus, à rappeler au peuple la pêrennité du can-didat unique à son poste, et aux contre-révolutionnaires que les masses populairesrestaient toujours attachées à l’homme supposé incarner les idéaux de la Révolutionsociale de 1959.

Une autre application très habile de la sacralisation de la présidence, et qui amarqué les deux régimes, est la distanciation de l’autorité suprême des erreurscommmes par le gouvernement et l’administration en général : elles étaient toujoursimputables aux autres. Cette distanciation relevait de la logique du statut de Père dela Nation et d’arbitre suprême. Ainsi, progressivement, malgré la séparation destrois pouvoirs et le discours sur I État de drmt, le Père de la Nation est parvenu aréaliser un drainage des pouvoirs législatif et judiciaire en sus de la concentrationdu pouvoir exécutif. Il s’est créé ainsi une pénurie de pouvoir aux échelons subal-ternes de l’exécutif et à tous les échelons du législatif et du judiciaire d’où naîtrontles frustrations à la base des revendications de l’opposition politique intérieure.

7. R. Lemarehand, Rwanda and Burundi, Londres, Pall Mail Library of Afriean Affairs, 1970.

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L’asymdtrie du pouvoir sous la deuxième République compromet l’unité nationale

Nous avons vu plus haut qu’au cours des deux régimes républicains, la viepolitique rwandaise s’est caractérisée par les contradictions ethniques et régionales.Sous la deuxième République, elÎes prirent une tournure particulière avecl’officialisation de la politique d’équilibre ethnique et régional devenue la marquedéposée du parti-l~tatl Avec cette politique, préconisée comme modèle de rétablis-sement de l’unit~ nationale, la deuxième République a plutôt aggravé les contradic-tions déjà analysées. En effet, même si les problèmes de déséquilibre étaient uneréalité, la solution proposée violait les droits de l’homme, notamment en matièred’accès à l’éducation et à l’emploi. Les critiques soulignaient qu’il fallait plutôts’atteler à équilibrer les chances pour l’accès aux facteurs de progrès etd’épanouissement social.

Dans la pratique, si le régime avait réellement appliqué un tel modèle, ilaurait risqué de casser la branche sur laquelle il était assis, en tant qu’émanation.~ une ethnie (hutu) et d’une région (nord). Il avait ainsi besoin, pour imposer ".:_~:cr, dunité nationale par l’équilibre ethnique et régional, d’une force qu’il tirait--é-~~é~ent de l’asymétrie ethnique et régionale du pouvoir. La polarisation eth---___~ _~- .-_g:cnale actuelle, aggravée par la guerre d’octobre 1990, est donc structu--- _ _- e~.,-acinée dans la contradiction entre la politique d’équilibre et les---e-~ r.ezémoniques de son exécution. Le plus grand facteur de faillite de la-_~_---,--’--e P.~publique fut ainsi d’avoir accentuê la double asymétrie du pouvoir, etcom?remxs par là l’unité nationale qu’elle prétendait imposer.

L’asvmétrie ethnique et régionale du pouvoir constituait donc routil depérennisation de la deuxième République, étant donné que les modèles derecherche d’équité n’étaient pas fiables. Ici surgit dès lors le.,. problème de la contra-diction entre les idéaux de non-discrimination du parti-Etat, notamment sur baseethnique et régionale, et l’exercice hégémonique du pouvoir dans la réalité. Cettecontradiction s’explique par le fait que le vérïtable cerveau du oouvoir n’était nasun quelconque organe du parti-l~tat, mais que celui-ci était lut’ôt son outil Pourp .désigner ce centre du pouvoir, l’opposition politique interne a introduit le termeakazu ou pouvoir familial, qui nous paraît être une réduction de la réalité. En effet,l’inventaire des membres des corps constitués ne montrait pas de présence exces-sive des personnes de la parenté du président. Ce qui est vrai, c’est que le noyau dupouvoir de la deuxième République comprenait surtout, mais sans s’y limiter, lesoriginaires du même terroir que le président» (OTP), civils et militaires. Il s’estélargi à d’autres membres de la même région et des régions voisines regroupéessous le nord géographique, ainsi que ceux des autres régions, toutes ethniesconfondues. Ce système se servit du parti-État comme outil de création des res-sources politiques, et comme bunker pour la protection des intérêts de sesmembres.

d «Etat-rhlzome» utilisée par J.-F. Bayart8 pourPour le. ecnre, la metaphore ’ " "dp ¯ p

caractériser l’Etat postcolonial en Afrique subsaharienne, est probablement plusadéquate que le terme akazu. En effet, le noyau central du pouvoir constitué ~ar lesOT15 s est renforcé par le dêveloppement dês réseaux rhizomatiques dans dautresrégions et dans toutes les ethnies du p a)fs, à travers les relations personnelles et l’esstructures du partl-Etat. C est ams~ qu d a pu exercer une mftuence pressante surla

8. J.-F. Bayart, L’État en Afrique. La politique du ventre, Paris, Fayard, 1989..

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gestion de la vie nationale. Cette configuration n’a cependant pas empêchél’asymétrie régionale et ethnique du flux des avantages politiques et matériels liés àl’appartenance au système. Par exemple, en ce qui concerne l’accès aux forcesarmées, les Tutsi étaient exclus. De même, les Hutu de certaines régions, y inclusceux des sous-régions du nord, étaient exclus de certains hauts postes de grandeinfluence politique ou économique. L’art des OTP consistait donc ?a définir lesdomaines d’exclusion des autres groupes et à fournir des compensations dans lesdomaines d’inclusion. C’est ce jeu d’exclusion et d’inclusion différenciées qui adonné lieu à la rupture avec l’élite tutsi qui, malgré l’emboîtement de sa fractioncommerciale avec les OTP, avait besoin d’un pouvoir politique commensurableavec son.pouvoir économique.

L’Etat rhizome a donc constitué un appareil d’accès sélectif au pouvoir et auxrichesses, par la privatisation collégiale de l’administration publique. Cette pri-vatisation concernait également les moyens de répression, tels que les forcesarmées, le service de renseignement et lesparquets. C’est ainsi que se réduit le sensde l’intérêt collectif et de la justice, car lorsque l’intérêt privê des OTP se voyaitbloqué par la loi, celle-ci devenait illégale. On assista donc, non à une libéralisationde la corruption, mais à une corruption asymétrique administrée. Ce système menaà la marginalisation des cadres et des hommes politiques honnêtes, devenus sus-~ects devant la rapacité des OTP. Comme cette marginalisation affecta d’avantageê?:-e dautres régiens que le Nord. elle constitua un des facteurs de polarisation~ei,tioue du pays.

.... ~.--_:.: ç’ocrobre 1990 n est ni ta ca,~se r,: le point de départ de la crise de la-_ _ .. ; -e Rép,~blique

La corruption politique et financière asymétrique administrée par l’État rhi-zome. tel que nous venons de le décrire, a progressivement donné lieu aux condi-tions d’injustice, de violence et de désespoir, hostiles à répanouissement de lasociété civile : un parti-État intolérant, une économie à deux vitesses, une adminis-tration publique privatisée, un système judiciaire dual, des services de sécuritéviolents. Ces conditions étaient maintenues grâce à l’imposition, tel que nousl’avons montré, des autorités territoriales non élues par le peuple.

Le discours officiel du parti-État et des hauts responsables du pays s’efforçaitde masquer la réalité quotidienne vécue par le peuple. Pendant qu’on parlait del’État de droit et de la démocratie responsable, la population voyait le mensonge, leclientélisme, la violation des droits de l’homme, la multiplication d’actes paracrimi-nels contre les opposants, les rivaux et la presse, la corruption érigée en droit pourles uns. Les inégalités sociales étaient criantes. Les nouveaux riches étaient d’unerapacité et d’une arrogance étouffantes. L’iniquité dans l’admission des élèves dansl’enseignement secondaire et supérieur avait semé un énorme désespoir chez lesparents et la jeunesse pauvres, sans bonnes relations. Alors que certains se van-taient d’avoir fêté le milliardième franc de leurs avoirs météorisés dans des délaisrecords, les trois quarts de la population nationale s’enlisaient dans lëconomie desurvie et se voyaient condamnés à la misère à vie. La faim et les maladies deve-naient les seuls articles équitablement répartis entre régions et ethnies. Angoissé, lepeuple se désespérait en raison du manque de représentants capables d’exposer sesproblèmes aux tenants du pouvoir. Même les élections de députés au sein du parti-Etat étaient une farce. Les candidats étaient cooptés, et les autorités territoriales

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étaient instruites quant aux résultats â présenter. Les excès étaient tels que, dansplusieurs préfectures, les dernières élections de députés créèrent des tensions mani-festes entre l’administration territoriale et les électeurs,à cause des tricheries insti-tutionnelles.

La fin des années 80 :fut donc marquée par l’exacerbation de la contradictionentre l’État et la société civile, ou pour utiliser le langage du régime, entre les diri-geants et les dirigés. Il y eut une énorme pression d’un mouvement de réveil démo-cratique qui culmina par la publication du «manifeste de 33 intellectuels» quiréclamait la fin du monopartisme. Les opposants et la presse commencèrent àmettre publiquement en question la pertinence des objectifs et des ac«uis du oarti-État, ainsi que ses méthodes d’exercice du pouvoir. Le noyau du pouvoir, sûrtoutles OTP, commença à apparaltre comme un «tigre de papier»9. Le régime ne réa-iisa pas d’autocritique â temps. A force de ne vivre qu’entre eux, les hauts respon-sables politiques avaient développé une consanguinité d’idées et une illusion de lapuissance de leur hégémonie, ce qui les rendit insensibles au potentiel des forces dela dissension,

La guerre d’octobre 1990 éclata donc sur un fond de profonde crise socio-é:enomique et politique produite par la faillite du parti-Êtat. Elle n’est ni la cause=: le point de départ de cette crise, mais une initiative opportuniste du FPR qui,convaincu que l’occasion de chute du régime était venue, voulait éviter que d’

autresgroupes n’accèdent au pouvoir par les voies démocratiques, en dehors de sa tutelle,.~ilitaire, En effet, les cadres du Front pensaient qu’un changement démocratiquedu pouvoir issu de la dynamique intemè ne justifierait plus un,coup de force deshommes armés en exil qui not~n’issaient une ambition ardente d invéstir le pouvoirà Kigali, afin de changer le cours de l’histoire de la période postrévolutionnaire.

A ce sujet, Gérard Prunier note également qu’«une éventuelle évolutiondémocratique du régime de Kigali risquait de leur retirer un bon argument de com-bat, celui de l’opposition â une dictature monolithique»10. Ainsi, un des éléments dela stratégie du Front fut de s’empresser de rencontrer l’opposition politique inté-rieure en train de se construire une base politique dans le pays. Ceci ne rempêchapas de considérer cette opposition comme un concurrent de taille au niveau idéolo-gique. Ceci est particulièrement le cas pour le MDR dont il redoutait un éventuelretour au militantisme ethniste du MDR-PARMEHUTU.

La guerre d’octobre 1990

Une guerre aux facettes multiples

La guerre d’octobre 1990 ne peut pas être réduite à un problème d’exilés quivoulaient que leur droit lêgitime de retour dans leur patrie soit reconnu par le gou-vernement rwandais. En effet, comme le montre Uwizeyimanal !, en juillet 1990 leRwanda avait dêjà accepté d’assumer ses responsabilités envers les réfugiés, et ce,dans les conditions acceptables.

9~ Les êvênementS drav.:ril; [99zt nïOïattëront.: qUe:cette: êvahïaïiv~ êtïét faus~së .........10.G. Prunier, «~idments pour une histoire du Front patriotique rwandais», Politique q[~icaine, Paris, Karthala,

n" 51, 1993, p. 130. .....i 1. L. Uwizeyimana, Octobre et Novembre 1990-. Le Front p~atriotique rwandais à I~a,v,vaut du Mutara. Essai

d’analyse d’une géopolitique régionale en crise, Ruhengeri, Ëditions universitaires du l~wanda, 1992.

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Le conflit armé prenait plutôt ses racines dans la contradiction de longuedate entre les exiles tutsi et la classe politique hutu élevée au pouvoir par la Révo-lution de 1959-1961. C’est pour ceci que les tenants du pouvoir et la populationrwandaise en général craignaient qu’en cas de victoire du FPR, les acquis de laRévolution seraient anéantis à cause de l inversion de l’hégémonie ethnique. Dèslors, cette guerre doit être analysée dans le cadre des multiples tentatives de recon-quête du pouvoir par les exilés, qui ,avaient connu une longue pause depuis la findes années 60. Elle doit également s analyser dans le cadre de lït crise politique dela deuxième République, dont le FPR a voulu profiter pour se hisser à un pouvoirnon partagé. D’autres forces politiques intérieures ayant aligne leurs stratégies delutte sur celles du FPR, afin de ne pas devoir initier leurs propres actions armées, leRwanda a été au bord d’une insurrection intérieure dirigée contre le régime enplace. D’autre part, rOuganda a fait partie du conflit comme belligérant de pleintitre, en raison de l’appui intêgré, militaire et diplomatique, qu’il a apporté au FPR.La crise rwandaise présente donc les aspects d’une agression externe du coupleFPR/NRA, d’une contre-révolution des exilés tutsi et d’une insurrection intérieurelimitée. C’est cette convergence qui a fait que la guerre a trop duré et que la solu-tion définitive du conflit n’est pas encore en vue. Nous décrirons ci-après ces diffé-rentes facettes de la guerre, car nous croyons que le cheminement de la résolutionde la crise doit en tenir compte.

(_’t:e zuerre d’agression e.t:,rv.e

Depuis octobre 1990. l’Ouganda ,mène une guerre non déclarée contre leR,«anda, même si la plupart des combattants restent les exilés tutsi. La nature desliens entre ceux-ci et la NRA est bien décrite dans les articles de G. Prunier12 etl’implication ougandaise par Human Rights Watch13. Le rapport de cette organisa-tion révèle que la source principale des armes utilisées par le FPR contre leRwanda est rOuganda et la NRA. Celle-ci a équipé les combattants qui n’étaientautres que ses propres soldats et officiers avec les armes individuelles~ les uni-formes êt munitions. Elle a également mis à leur disposition des pièces d artillerie,des mines, des véhicules, des vivres et du carburant. Ce rapport souligne aussi quel’Ouganda n’a pas limité sa participation à la première invasion ~ui échoua enoctobre 1990, le flux de l’aide s’est poursuivi et intensifié depuis lors

Les preuves apportées par Human Rights Watch sur l’existence d’une fortecomplicité institutionnelle entre le FPR et la NRA viennent appuyer ce que n’avaitcessé de dénoncer le gouvernement rwandais, à savoir rhybridation totale du FPRet de la NRA, et de leurs logistiques.

Par cette hybridation, l’Ouganda a servi de sanctuaire aux combattants duFPR et à sa logistique, et a offert des sites d’entraînement et de déportation demilitaires des FAR capturés et des paysans enlevés des zones de combat. Il a éga-

12. cf. G. Prunier; «ÆL’Ouganda et le Front patriotique rwandais», in A. Guichaoua (éd.), Enjeux nationaux etdynamiques régionales dans l’Afrique des Grands Lacs, Lille, URA CNRS Tiers-Mondes/Afrique, 1992,157 p. et «Eléments pour une histoire du Front patriotique rwandais», op. cit., p. 121-138.

13.Human Rights Wateh, Thé arms trade and human rights abuses in the Rwandan war, New York, Jan. 1994,Vol. 6, Issue I, 1994.

14.Par exemple à la page 21, on lit ceci : «A senior NRA operations «~icer told the Arms Project that Uganda hassupporter the RISF throughout the conflict. The officer said that after the failure of the RFP’s october 1990in~,itçion, the NRA providëd even heavier weaponry including artïllery. T[le «~icer said that throughout théconflict, the NRA provided a steady stream of arnmunition, food and lo~,istïcal supplies and that the t~,o armiesshared intelligence information».

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lement facilité le transit des recrues en provenance du Burundi et du Zaïre, et aimposé un blocus économique contre le Rwanda. Dè plus, les grandes attaquesétaient souvent réalisées conjointement par le FPR et la NRA, comme ce fut le caslors des combats en préfecture de Ruhengefi en février 1993.

En fournissant un appui militaire illimité aux rebelles dont la grande majoritéétaient d’ethnie tutsi apparentée à l’ethnie ougandaise hima dont est issu le prési-dent ougandais Yoweri Museveni, la NRA a fourni la base aux suspicions surl’existence d’un projet d’hégémonie ethnique hamite dans la région des GrandsLacs, ce qui a contribué au renforcement des solidarités ethniques transfrontalièreset donné à la crise rwandaise une dimension régionale. C’est notamment en raisonde ces solidarités ethniques transfrontalières que le Burundi, de même configura-tion ethnique que le Rwanda, appuyait discrètement mais fermement le FPR danssa lutte.

Plusieurs hypothèses ont été avancées pour expliquer l’implication del’Ouganda dans le conflit rwandais. L’on a parlé de l’acquittement de la dette duepar Museveni aux exilés tutsi qui avaient combattu avec lui contre son prédéces-seur. Dans le cadre de la solidarité ethnique, l’on a également parlé de l’appui auxexilés rwandais à la création d’un «Tutsi Homeland» qui serait une nation satellitede i’Ouganda. Quelle que soit l’explication avancée, ce qui nous paraît évident es:que l’installation d’un régime «made in Ouganda» serait une menace pour la stabi-lité politique dans la région des Grands Lacs.

77

Une tentative d’inversion de l’hégémonie ethnique

Les combattants du FPR sont essentiellement des exilés tutsi recrutés dansles pays voisins du Rwanda. Cette composition quasi mono-ethnique a nourri lescraintes d’une contre-révolution vis-à-vis des changements révolutionnaires de] ¯ ¯ o , ° . .959. Contre-revolutlon, car d s agit de la rupture entre une partm de la populationcomprenant les réfugiés et les Tutsi de l’intérieur, ba..~ssin de recrutement dt~ FPR etbase de son action politique, et une partie du resie dêqa p-0pulation attaclïéê ,~ ladéfense des acquis de la Révolution. La dissension de M. Barahinyura, membre duComité exécutif et président de la Commission d’information et de la recherche duFPR jusqu’en mai 1991, apporta un appui à cette crainte. Dans son ,témoignage,M. Barahinyura décrit le FPR comme une organisation tutsi ayant l ambition deprendre le pouvoir à Kigali. D’après lui, les Hutu, dont lui-même, qui l’ont rejoint,servent de boucliers contre les accusations éventuelles d’ethnisme. Il accusanotamment le Front de vouloir ramener le Rwanda à un régime mono-ethnique, etde vouloir «y imposer un régime jumeau du Burundi».

Outre le bassin quasi mono-ethnique de recrutement du FPR, sa façon demener la guerre a également contribué aux suspicions de lutte contre-révolution-naire. Il a mené une guérilla agressive et impitoyable envers les populations nonbelligérantes, laissant parfois déceler un caractère revanchard. L’horreur des mas-sacres des paysans des préfectures Ruhengeri et Byumba, en février 1993, dépassacelle des massacres effectués par les inkemba, une milice royale, dans la mêmerêgion en 1912-1913!5. Le déplacement d’un million d’habitants de cette régionfuyant l’avancée des rebelles confirma dêfinitivement que l’on avait affaire non àune arméede :libd~ratiOni, mais« ~ï un Fronï ~ ï’objëet!if i/~âv0u~ de Conquête du pou-

15. Voir F. Nahimana, op. cit., pour le récit de ces massacres de 1912-1913._.

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voir. Le sort malheureux qu’ont connu les populations innocentes fut le fondementde l’échec social du FPR.

L’hypothèse d’une inversion de l’hégémonie ethnique en cas de prise du pou-voir par le FPR découle ,aussi de l’interrogation sur les moyens dont il disposeraitpour mettre en place un Etat de droit. Disposant d’une base politique très fragile, ilne pourrait que recourir à la force armée pour effectuer et pouvoir gérer les chan-gements. On aurait ainsi un État de droit imposé, comme on avait une paix et uneunité nationale imposées sous la deuxième République. Cette hypothèse s’estconsolidée après les événements d’octobre 1993 au Burundi avec la crainte d’unepossibilité de mise en place à Kigali d’un régime semblable à celui de Bujumburaoh la démocratie est séquestrée par l’armée d’une ethnie minoritaire et un gouver-nement placé sous sa tutelle.

,~, Une insurrection avortée

L’aspect insurrectionnel du conflit rwandais apparut pour la première fois enjanvier 1992, avec la contestation du gouvernement de M. Sylvestre Nsanzimana.Le mouvement insurrectionnel se généralisa après la mise en place du gouverne-ment de transition d’avril 1992. L’opposition intérieure pensait que le moment de lachute du régime était venu et que le processus pouvait ~tre accéléré par un soulève-ment populaire m~_~if. Etle .,-r:e.~z .~msi une conscientisation populaire intense dansl’objectif d’opposer la popul~.~:c,r~ aux institutions et de forcer ainsi le NOEN’Dlâcher le pouvoir Ce~ eff¢,rt ,-r, er~a à ta paralysie de l’administration territoriale et dusystème judiciaire, surtout dans le »ud et le centre du pays. Des autorités territoria-les furent destituées ou rendues inopérantes par des groupes de militants des partis

tid’opposition. Il se créa un climat d’une grande intolérance politique dans le pays,Ifacteur qui, plus que la guerre, aiguisa la polarisation politique de Ïa population.

Le mouvement insurrectionnel dégénéra par manque de perspective politiqueclaire et du fait du recours aux méthodes violentes qui répugnaient â la population.

rNe pouvant pas galvaniser les masses, il resta oeuvre de quelques groupes del’opposition à la solde des hommes politiques. Il s’éteignit de lui-même lorsque leMRND se montra capable non seulement de résister, mais aussi de mener sa propreoffensive.

Les fers de lance des poussées insurrectionnelles et contre-insurrectionnellesétaient principalement les jeunesses des partis politiques. Avec elles, les partis etles hommes politiques se sont efforcés de se créer des espaces politiques et deslégitimités fondées sur l’attestation publique de leur capacité à faire du mal auxadversaires, de paralyser une administration territoriale, une ville, de boucher uneartère importante pour l’approvisionnement du pays ou d’une région ou de fairedéménager les adversaires dans un quartier de Kigali. La violence n’était plus ainsile monopole d’un parti particulier, mais une stratégie adoptée par tous les grandspartis.

La situation quasi insurrectionnelle qu’a vécue le Rwanda a profondément: " "P "~ °p s o . .. mqmete,. , les OTP,et leurs., allles. Ils conslderalent. _que le ,.ootentlel insurrectlonnel

etalt l oeuvre de 1 o osntlon et du FPR ul voulaient faPP q " ~ lsifier l interprétation de lanature de la guerre pour atteindre leurs objectifs politiques. Ils croyaient ainsi quecette guerre ne serait jamais gagnée par les FAR si l’opposition n’était pas réduiteau silence, si ses porte-parole n’acceptaient pas de se rallier derrière un langagecommun â tenir devant la population et si n’était pas adopté un comportement

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C ’ "ommun face au FPR. C est en grande partie là que réside les origines de la vio-lence institutionnelle sans précédent dans le pays et dans la région des GrandsLacs, déchaînée systémati uement contre 1’o osition e .... ’ " ’. ,; ..... q .... . Pp . thnopohtlque. Il s agissaitde la suppression «enmuve au potentiel msurrectlonnel latent et d’une Oppositionjugée comme son terreau nourricier avant que les cartes ne soient brouillées par lesnouveaux acteurs politiques dans le cadre du Gouvernement de transition à baseélargie (GTBE).

Les stratégies des différents acteurs politico-militaires

Le classement des acteurs politico-militaires selon les grands ensembles desensibilités politiques permet de comprendre la dynamique des alliances quis’établissent entre diverses tendances. Dans cet exercice, il faut distinguer lesobjectifs de long terme qui constituent les différences fondamentales entre diversesmouvances, des objectifs de court terme qui déterminent les stratégies de lutte etqui régissent les changements fréquents dans les alliances.

Pour le long terme, deux projets semblent structurer la lutte politico-militaire. Ils opposent ceux qui défendent les acquis de la Révolutic, n sc, zia!e de1959-1961 à ceux qui veulent instaurer la démocratie sous tutelle d’une minontéethnique armée. Pour le court terme, les différentes forces politiques et militairesadoptent des stratégies de lutte pour accroître leurs espaces politiques. On peutdistinguer trois types de stratégie. Le premier vise à assurer la protection du régimeen place, mais en l’adaptant â la situation nouvelle définie par la constitution de1991. Cette protection doit être garantie par un parti fort, le MRND, disoosant del’appui des pàrtis que l’opposition considère comrîae ses enfants légitimes tels que laCË)i~, et pàr les I~AR obéissant au parti MRND et au président Î-Iabyarimana. Ledeuxième consiste en un renversement du régime par la force armée pour établir unordre nouveau. Dans ce processus, l’~tape intermédiaire est l’anéantissement desFAR, la neutralisation du MRND et la déchéance du président Habyarimana. Lesaccords de paix ne constitueraient qu’une étape de lutte, car ils ouvrent lapossibilité de paralyser l’organisation de la défense du pays et de mener la lutte surl’ensemble de celui-ci et non seulement au nord. Le troisiême vise à effectuer leschangements profonds par la réforme ou la paralysie des outils du pouvoir de ladeuxième. République,. à savoir les FAR et l’administration, mais sans recours auxarmes sinon par la combinaison des actions politiques, la désobéissance civile,l’agitation de la population et le partage négocié du pouvoir.

Sur la base des projets politiques, avoués ou non, et des stratégies de lutteadoptées, on peut distinguer trois grandes mouvances. La~ mouvance présidentielle(MP) est identifiée parle premier type de stratégie. Conservatrice, elle a tendance défendre la pérennité de l’hégémonie hutu. La mouvance pro-FPR (MF) est identi-fiée fiar le deuxième type de stratégie. Sa base ethnique, aussi bien pour la luttearmee que pour la lutte politique, donne lieu aux fortes suspicions de l’objectifd’une inversion hégémonique en faveur de i’ethnie minoritaire tutsi. Enfin, la mou-vance modérêe (MM) est identifiée par le troisième type de stratégie, qui lutte pour! ,e ~. D . ¯e demantelement des :hëgêmonles ethniques et régionales.

Pour la MP, la gùerre d’octobre ]990 6talt dirigée contre la Révolution de1959: 196t incamêe paf le MRND Elle doit donc être a née râ "ï-,.~,.-_.~’...i ; ....... ...........~. ..,.~~ ~..~ ........~.~~.~.~-.;-~.., ; .......... ........" ............’ ......:_.., . ~~g g .-,~ .~g. ~~ a, un; effo~nationa) de rêsistance. Elle se plaignait que seule le MRND êt ses amis soutenaientl’effort des. FAR dans la défense du pays. Elle considérait tous les autres comme

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étant alignés au FPR contre les intérêts nationaux. Pour la MF, la guerre n’allait passe terminer aussi longtemps que le général Habyarimana, supposé incarnerl’hégémonie hutu, tenait le pouvoir. Sa déchéance signifiait la désintégration desFAR, la neutralisation du MRND et le retournement du peuple en faveur d’unenouvelle hégémonie pilotée par le FPR.

Pour la MM, il faut établir un État démocratique o .....n’aura pas de place, car .....1 asymetne régionale et ethnique duU I hegémOmepouvoir a étédelagr°Upecauseprincipale de la guerre. La MM sentait cependant que la démocratisation n’était pasviable avant le démantèlement du MRND et la déchéance du président Habyari-mana. Ces deux conditions pouvaient être satisfaites par le double effet de l’actionarmée du FPR et par un soul.èvement de la population. La voie des élections n’étaitpas considérée comme une alternative, car le MRND était susceptible de lesgagner. De là s’est établi le fondement de alhance objective avec la MF qui dis-l , ¯

pose des moyens armés d’affaiblir le régime en place. Cependant, la MM pensaitque le FPR ne pourrait pas survivre à sa victoire militaire, l’étroitesse de sa positionpolitique dans le pays l’empêchant de mobiliser le peuple à sa cause. Ci-après, nousapprofondirons les différences stratégiques importantes entre les trois mouvancesface à la guerre et à la crise politique en général.

Les s;ratggies du FPR

Les stratéeies du FPR ont beaucoup évolué depuis octobre - 990, " r ...." ’ Lo_ ~ de .~c.npremier assaut au Mutara. ~~ était sùr de démolir les FAR et d’investir le pouvoir à

Kigali après une semaine de combats. Il devait constater alors que la capacité dedéfense du pays était sous-estimée. Il avait également cru que la population lâche-rait le régime dont la description des maux avait dépassé les frontières du Rwanda.Au contraire, la population croyait que la proclamation du FPR d’instaurer ladémocratie masquaii plutôt un programme inavoué de renversement des institu-tions républicaines. C’est ainsi que le soulèvement de bienvenue que les combat-tants avaient escompté fut plut6t un soulèvement massif et dans tout le pays contrele FPR.

Après l’échec de cette première campagne du Mutara, le FPR opta pour uneguerre de plus basse intensité, mais entrecoupée d’~pis,des de rudes combats, cequi lui a permis, avec le temps, de bâtir une force aguerrie, pouvant, avec l’appui dela NRA, montrer parfois des tendances à la supériorité tactique.

Ne parvenant pas à rallier la population à sa cause, le FPR utilisa l’approcheclassique de la guérilla, à savoir celle du bâton et de la carotte~ Il infligea des trai-tements parfois atroces à ceux qui ne voulaient pas le suivre, de façon qu’àl’approche de ses combattants, les paysans se réfugiaient dans les camps de dépla-cés. Le regorgement de ces camps de populations hutu dans leur quasi-totalité,fuyant les combattants en grande majorité tutsi, exacerba le caractère ethniqueattribué à cette guerre. Cette contradiction ethnique fut un handicap strat6giquepour le FPR et le principal facteur de son échec social auprès de la population.

Cette stratégie de répression de la population contrariait donc la prétentiondu FPR au statut de mouvement de libération, car les zones qui tombaient sous soncontrôle se vidaient de la quasi-totalité de leurs populations. Même le travailintense de mobilisation politique qu’il a effectué auprès des populations résiduellesdans de telles zones ne connut aucun succès au vu des résultats des 61ections

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locales organisées à la mi-1993 au cours desquelles le MRND se démarqua desautres formations, le FPR inclus.

Par contre, d’autres stratégies donnèrent de meilleurs résultats au FPR. Onpeut signaler, par exemple; l’exploitation de la presse nationale, la constitution d’unfront politique avec l’opposition intérieure, l’utilisation de la guerre pour affaiblir lerégime etl’alternance des combats et des négociations de paix.

Avec la presse nationale, le FPR s’est efforcé de mettre la lumière sur lesgrandes contradictions du régime, notamment en matière de relations ethniques etrégionales, de violation des droits de l’homme et de mauvaise gestion de la chosepublique. Dans tous ces domaines, il se faisait largement l’écho du langage del’opposition politique intérieure qui lui mettait les données et les analyses à dispo-sition. Le résultat a été non seulement le renforcement de l’opposition politico-militaire, mais aussi la démobilisation d’une partie de la population et des FAR vis-à-vis de la guerre.

En constituant un front politique avec les partis d’opposition contre la MP. leFPR a enregistré des gains diplomatiques considérables, car il a montré que sacause avait beaucoup d’adhérents à l’intérieur du pays. Sur la scène intérieure.l’opposition interne lui assurait une présence politique en échange de son actiond’affaiblissement du régime.

C’est avec la lutte armée que le FPR a maximisé sesg,,,ns.~; Elle était ~,.2r I,,,,_un outil important d’affaiblissement politique du régime, de négociation et unepreuve de sa capacité de violence comme voie d’accès au pouvoir. Avec la luttearmée, le FPR a tendu un piêge au régime en l’enfonçant dans des contradictionspolitiques aigues. Certaines attaques en préfecture de Ruhengeri ont été menéespour attiser les tensions ethniques. Celles-ci ont parfois dégénéré en massacres desminorités ethniques en préfectures de Gisenyi et de Ruhengeri, mettant en cause laresponsabilité de l’administration et provoquant la condamnation de la communautéinternationale. Cependant, l’attaque meurtrière de février 1993, effectuée en viola-tion de l’accord de cessez-le-feu, convainquit une partie de l’opposition que le FPRnourrissait une forte ambition d’un pouvoir non partagé. Cette prise de consciencemarqua le début de l’affaiblissement de l’opposition politique intérieure, car depuislors, le renforcement de la MP par une partie de la MM n’a fait que croître. Ceciconstitue le principal revers de la stratégie de lutte armée intransigeante du FPR.

La participation du FPR aux négociations de paix prolongeait la stratégie delutte armée, tout comme celle-ci appuyait la stratégie de négociation. Les temps decessez-le-feu servaient à la réorganisation, au réapprovisionnement et au recrute-ment de nouveaux effectifs. La violation du cessez-le-feu par de nouvelles hostili-tés se faisait pour renforcer sa position dans les négociations, par l’extension de lazone contrôlée et le déplacement de nouvelles populations, deux problèmes quiaccablaie~’ïle gouvernement rwandais. Comme nous y avons déjà fait allusion,l’accord de paix devait marquer une nouvelle étape de lutte armée, avecl’élargissement du front militaire à l’intérieur du pays. Sa mise en vigueur devaitrendre le gouvernement incapable d’ignorer la présence du FPR pour toute prise dedécision en matière de sécurité et de défense. Cette présence dans toutes les insti-tutions, y inclus les forces armées, êtait envisagée comme un moyen efficace dedésorganisation. ~ , politique et~ militaire du pays, lui permettant .......d~intensifier la subver-sion de ! intérieur avec les êlêments infiltrés et de l’extérieur avec les éléments rési-¯ d~:uers~-~:~ ~:gard~s2 ~~ï: en:::::"ï~::~Ouganda etau: ~:~~ ::~-: :«ï ......Burund~.~: ~’: .......Comme~~: :~ :nous: ......lavons’: ? : vu: .....pour le potentïer’d’insu~eetion, la Mï~ redoutait fortement le potentiel de subversion intêrieure par leFPR. Elle redoutait particdièrement la convergence de lqnsurrection d’une partie

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de la population et la subversion du FPR. Là réside probablement le fondement desdifficultés connues par la mise en application de l’accord de paix.

Les stratégies du MRND

Lors de l’assaut du Mutara par le FPR en octobre 1990, le MRND, encoreparti-État, enregistra un énorme succès avec la mobilisation de la population pourla défense du pays et l’appui à l’effort de guerre. En peu de temps, il mit en actionses structures de base pour bloquer la poussée des rebelles vers Kigali. La cohésionnationale manifestée dans cette circonstance fut un encouragement aux FAR quis’efforcèrent de ne pas la décevoir. Cependant, l’exploitation de la victoired’octobre 1990 et la démonstration de la puissance des structures du MRNDdevaient constituer par la suite un handicap pour le parti-État et pour la cause dupays dans cette guerre. En effet, la victoire fit peser chez l’opposition le spectre dela permanence du général Habyarimana au pouvoir, le renforcement de son parti etla répression plus énergique de la dissension. Cette victoire du président de laRépublique et du parti-état suscitait un attachement accru du peuple, en en faisantun héros national. Devenant l’incarnation de la solidarité hutu restaurée, son rôlenouveau n’était pas rassurant pour une opposition politique naissante.

Certaines stra,:égies malheureuses adoptées par le pouvoir renforcèrent cettecrainte de lopposmon. Les arrestations arbitraires massives de milliers de per-sonne» accusées de .:omplicité avec le FPR en date du a et 5 octobre !~ .o90 ~nt ~ecas le r!us connu. EIies donnèrent à l’opposition la force qu’elle n’aurait pas euedans le~ mêmes délals. A leur libération, les détenus étaient encore plus déterminésqu’avant à lutter pour le renversement du régime.

Dès la fin 1990, l’opposition armée au régime et au MRND se renforça doncpar une alliance de plus en plus ouverte avec ropposition politique intérieure. Danssa volonté d’y faire face, le MRND ne se préoccupa pas d’éviter de donner à sesdeux adversaires les occasions de s’unir contre lui. Il les considéra définitivementcomme un seul et même ennemi, d’où sa phobie de dialogue dialectique avecl’opposition intérieure. Il s’agissait d’une attitude contradictoire, car en demandantque la guerre soit menée par un effort national, il aurait dû s’ouvrir aux autres sen-sibilités politiques sur des questions de haut intérêt national. Il devait leur assurerque l’éventuelle victoire militaire ne serait pas enregistrée à son seul crédit, ni neconduirait au renforcement du régime contesté. Le rejet par le MRND del’opposition politique intérieure dans le même camp que le FPR apporta un soutienà la thèse d’une guerre civile, masquant par là son caractère d’agression externe.C’est ainsi que, pour l’extérieur, le gouvernement rwandais fut progressivementidentifié à une faction dont les FAR constituaient la branche a " ’rince. C est doncparadoxalement le MRND qui a fourni l’occasion d’un renforcement politique etdiplomatique au FPR en lui donnant un allié politique fort, à savoir l’oppositionpolitique intérieure.

La conséquence de l’aversion manifestée par le régime et le MRND enversl’opposition fut l’affaiblissement de la solidarité nationale vis-à-vis de l’effort deguerre requis. L’appui de la population à cet effort n’était plus total : il restait loca-lisé surtout dans le nord, fief du MRND, et se présentait en mosal"que dans lesautres préfectures.

dist Une autre erreur stratégique importante du MRND fut de ne pas,se tenir àance oes groupes et partis ethno-intégristes et régionalistes dont l activisme

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anti-tutsi et anti-sud le mettait en contradiction avec ses idéaux d’unité nationale.C’est ainsi que les massacres paracriminels contre les Bagogwe en 1993 lui étaientimputés alors qu’ils étaient l’oeuvre des groupes ethno-intégristes qui pensaient quede tels actes pouvaient réduire l’agressivité des combattants du FPR. Le fait que leMRND n’a pas évité de servir de bunker politique à ces personnes en condamnantleurs actes a occasionné la saignée de ses membres tutsi et l’a transformé en partimono-ethnique.

Toutes ces erreurs stratégiques attribuées au MRND ne doivent pas laissercroire qu’il n’a rien opposé comme stratégie politique au riche arsenal stratégiquedu FPR et de l’opposition intérieure. Jouissant d’un capital de départ pour avoirencadré la défense du pays dans les moments difficiles d’octobre 1990 et pour avoirmanifesté son souci du sort des déplacés de guerre plongés par le FPR dans uneangoisse et une désolation sans précédent dans l’histoire du pays, il peut prétendre.plus que n’importe quelle autre formation politique, avoir protégé les acquis de 1_-.Révolution. Même s’il n’a pas pu anticiper les résultats d’une stratégie cohérente. -~a été présent au niveau tactique sur la scène politique, surtout pour neutraJ:~er :poussée insurrectionnelle fomentée par le FPR et l’opposition intérieure !~ _notamment exploité à son avantage certaines initiatives de l’opposition..."=-l’organisation de la jeunesse du parti et la vl, olen¢e polïnque m-b,_ai~e. -~ _--5- :--_devenu, par son organisation et sa discipline interne, le parti }e plus fo~ e’. !e -présent sur l’ensemble du pays. En s’exprimant en faveur de la tenue des éie,z:{..-n_-comme meilleure voie pour résoudre les problèmes liés à la ,:nse politique. -~ .~ ------.-seulement montré l’étendue de sa force politique, mais aussi sa disposition aaccepter les changements démocratiques.

Cette analyse n’est cependant valable que jusqu’au 6 avril 1994, date de1’assassinat ignoble du président Habyarimana. L’on connaît la suite quant aux mas-sacres ethnopolitiques dépassant l’entendement, qui ont ciblé l’opposition politiqueen général et l’ethnie tutsi en particulier. Cette catastrophe humaine constitue éga-lement un désastre stratégique pour le MRND qui, plus qu’avant, s’est mis à latraîne des extrémistes ethno-intégristes du fait des accusations portêes contre sajeunesse milicienne. A l’heure actuelle, alors que les Rwandais commencent àredouter le futur, il n’est pas encore possible de percevoir pour ce parti une pers-pective politique claire.

Les stratégies de l’opposition politique

La ténacité de l’opposition politique intérieure et sa détermination à accéderrapidement au pouvoir ont permis de constituer une force incontournable pour lerégime constesté. Par les manifestations et émeutes de janvier 1992 dirigées contrele gouvernement de M. Sylvestre Nsanzimana, elle parvint à faire admettre le prin-cipe de l’élargissement du gouvernement aux autres partis. Cette participation futeffective dès le 16 avril 1992.

Comme stratégie pour accéder à une position d’où elle pouvait mieux tra-vailler au renversement du rêgime, la participation de l’opposition à un gouverne-ment dont elle dirigeait l’action, sans disposer de tous les moyens d’exécuter sonro ramme, araît au’ourd’hui comme un iè e u’etle s’e t .P_g, ......... .......P ..................~. ................................................p g q .s~ tendu. En effet, !e

peupre n’ï~ pasmrdd~pereevo~r ce gouveï-,ëmeïiïërmmë u, club de haUts respon-~sables et chefs de part{s politiques, autoprocÏamês selon: lui, m~me si leur désigna-tion avait été nêgociêe au sein d’es groupes composant la haute classe politique du

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pays. L’opposition a eu tort de ne pas tenir compte de cette perception populairepour s’empresser de faire inscrire dans les priorités du gouvernement et dans lespourparlers de paix â Arusha le rétablissement du peuple dans son droit fonda-mental de choix souverain de ses représentants au pouvoir. Cette défaillance a faitplaner le doute sur sa détermination â oeuvrer pour la restauration de la démocratieet la défense de la République. Ne tirant pas sa force d’un appui populaire connu,elle a fragilisé sa position en surestimant ses moyens d’action pour le changement.Elle s’est ainsi exposée aux aléas dus aux changements conjoncturels dans la cor-rélation des forces au sein des groupes de l’élite politique en compétition aiguëpour le pouvoir. Comme responsable de l’action gouvernementale, elle s’est placéedans une situation où elle était jugée pour les résultats et non pour les moyens à sadisposition, même par le MRND, son partenaire puissant dans cette action. C’estainsi qu’on lui imputa de nombreux problèmes auxquels le gouvernement n’a paspu trouver de solutions adéquates, même pour ceux dont elle n’était pas le seulacteur, tels que la misère des déplacés de guerre, l’insécurité dans le pays, la para-lysie du système judiciaire et de l’administration publique, le marasmë politique engénéral.

Du fait de cette participation au gouvernement et du contexte de guerre,l’opposition joua un rôle que d’aucuns ont jugé ambigu, inspiré avant tout par lacrainte d’un renforcement du MRND, du regain de popularité du président Habva-6mana et du retour de la répression des opposants au cas où le FPR perdrai( la~zuerre. C ,. ?e .r.. ,.: ~n ,.. tout en craignant la victoire des FAR, elle redoutait autant celledu FPR Elle sembta donc pencher et azir c, our un rrmtzh r~u! en~ !e_~ -~~.~~ ~_-~_-_-=e_5~!]izér-antes. -~ ,~u elle considérait comme’condition de sa ’,ictoire ~ii:ique .z_-:w_~la .kfP. Ceci explique les enjeux des négociations de paix à Arusl~a, ca",...»~,._.--.,»-«’--- --devaient servir de tremplin pour arriver à cette victoire, en ~, évincant ’,~,.~ r’-,--«la MP. " ....

Cette ambigui’té dans la position de l’opposition par rapport à la guerre et à lacrise politique en général influença ses choix stratégiques. Dans sa lutte, elleexploita pleinement les espaces politiques que sa participation au gouvernement etla maîtrise de son action venaient de lui ouvrir. Mais elle n’abandonna pas sa lignede déstabilisation du même pouvoir dont elle était devenue partenaire. Dans sonaction, de masse, par exemple, la logique des manifestations et des meetings poli-tiques, ainsi que celle des émeutes, étaient inséparables. En ce qui concerne laguerre, elle s’ouvrit progressivement au FPR jusqu’au point où les deux forcesconstituèrent plus que des alliés objectifs. Ils donnêrent à la MP l’impression d’unerépartition des tâches en matière de renversement du régime, l’opposition politiquese chargeant de l’action au sein de la population et le FPR s’occupant de la luttearmée. C’est cette ambiguïté dans les positions de l’opposition et les suspicionsentretenues contre elle par la MP qui sont à la base de la polarisation politico-eth-nique aiguë de la population rwandaise depuis 1992.

On peut donc conclure ce sous-chapitre en soulignant que l’opposition poli-tique intérieure a, dans ses choix stratégiques, surestimé la portée de son succèspolitique de début 1992. Sa présence dans le gouvernement, plus que la restaura-tion de la souveraineté du peuple, est apparue comme le point d’arrivée de sa lutte.Elle tomba ainsi dans la même situation que celle dont le régime du arti-État étaitaccusé, à savoir la prédominance des in tél’ëts de l’élite au pouvoir. Ne mesurant pasl’~tendue de ses moyens en tant que partenaire et responsable de l’action gouver-nementale, elle commettait l’erreur stratégique d’opter pour des voies parfois non

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démocratiques et non légales, même s’il s’agissait de renverser ceux qu’elle consi-dérait comme des ennemis de la démocratie.

Conclusion

De l’analyse du comportement politique et des actions des divers acteurspolitico-militaires dans la crise rwandaise, on peut tirer comme conclusion princi-pale que l’itinéraire suivi par chacun est entaché de graves errements à l’encontredu peuple rwandais qui a vécu et qui vit encore des souffrances non méritées. Lesobjectifs et les stratégies de leurs luttes ont structuré une haine meurtrière entregroupes politiques et ethniques, dont le résultat tragique a été la décapitation desinstitutions républicaines par l’assassinat traître et aveugle du président Habvari-mana et la folie sanguinaire qui, après cet assassinat, a mis le pays _~ur I:~ " desrégions d’horreur du globe à cause de massacres ethnopolitiques inot~ï_~

En lançant la guerre contre le Rwanda en octobre 1990. le FPR -_»::.--:~_:- -.--action par l’instauration de la démocratie et l’État de droit à la plat.~-« _- -.~~-.edictatorial. Cependant, son choix de lutte armée ne peut plus ju_,~:~.,«:-~-~- !~~ ~_-<-~humains exorbitants encourus par ur.,e ~.~_,pu,,,u~,, ,~ui n ~ ne~ ~ ~ : :- z _~: :: m._<~ --place de la dictature mise en cause. Comrr~ les ~,.~ e," .... ~_~_.u..oE,~.,__ e7 ~i =é»: ~ ..... __tables à l’action directe du FPR touchent ainsi exclusivement la frac~_»-,~ -~-=-~-:c~.ehutu, et comme l’intensité de son combat et le niveau de »o~ ~~.~~_---- ,:-_~ ~---incommensurables avec son objectif avoué, il a été suspecté de nourT~,r un objec;;frevanchard caché et de vouloir institutionnaliser une contre-révolution. En voulantse tailler un territoire débarrassé de paysans, il ne pouvait plus prétendre au statutde mouvement de libération, ayant confondu libération et conquête.

Quant à son objectif d’instauration d’un régime démocratique et d’un État dedroit, une évaluation de plus de trois années de guerre meurtrière montre que leRwanda n’a jamais été aussi éloigné de la démocratie et du règne de justice qu’il nel’est en 1994. Le FPR aura donc beaucoup de peine à prouver au peuple rwandaisqu’il n’a pas rêvé et ne rêve pas de l’établissement d’une nouvelle dictatureethnique, car il ne pourra pas démontrer en quoi cette guerre était l’unique moyend’arriver à la démocratisation du pays. Étant donné sa base politique fragile, ilapparaît qu’il ne pourra pas institutionnaliser une contre-révolution sans créer sonpropre système hégémonique et~répressif en remplacement de celui que les deuxpremières républiques avaient mis en place. L’éventualité de sa victoire conduiraitdonc très probablement au maintien de la contradiction verticale entre l’État et lasociété civile.

En ce qui concerne le MRND, parti-État qui a trahi la Révolution sociale de1959-1961, la guerre I’a contraint à remobiliser le peuple derrière le projetrévolutionnaire d’instauration d’une société démocratique, en l’incitant à accélérerla suppression des barrières aux activités politiques plurielles. Le MRND rénovédémarra donc avec la force de ce rattrapage. L’appui politique qu’il a apporté auxFAR l’inscrira dans rhistoire comme défenseur de la souveraineté nationale etcomme principale force de cohésion nationale et de stabilité des institutions pen-dant la guerre. Le MRND rênovê cumule cependant des faiblesses graves héritêesdu parti-~tat. N ayant pas pu anticiper I aggravation de la crise politiCo-militaire du~s p0tï;r~ am0rë~r~undia~~gïïë 0uve~ avec ~’~oppoSiti0n poiiitïque intérieure en Vuedêlaborer ensemble des. strategms pour un medleur dénouement de cette crise, il aengagé sa responsabilité, avec celie de ses adversaires:, dans la misêre que vit le

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peuple rwandais. Il n’a pas réussi à dépasser les tendances ethnisantes incohérentesmalgré ses principes de paix et d’unité nationale et s’est ainsi laissé entraîner dansune profonde contradiction en servant de bunker aux groupes ethno-intégristes quise sont rendus coupables des massacres odieux de Tutsi et des orgies de tueriesethnopolitiques qui ont ensanglanté le Rwanda en avril et mai 1994. Même si ceparti garde une force politique indéniable et accrue par les ravages infligés dansl’élite de l’opposition, il a épuisé les dernières réserves de sa force morale et il nepourra donc plus prétendre au statut de rassembleur des Rwandais de toutes lesrégions, ethnies et couches sociales.

Quant â l’opposition politique intérieure, elle n’est pas parvenue à apparaîtrecomme une alternative pour la gestion du pays malgré les occasions qu’elle a euesdepuis le 16 avril 1992. En particulier, elle n’a pas laissé entrevoir ce qu’elle feraitdu pouvoir, si. elle devait y jouer un plus grand rôle. Elle n’a pas su non plus aiderle pays à réslster à la polarisation ethnique et régionale à laquelle les partis poli-tiques qui la composent ont contribué. Son travail en faveur de la démocratisationdu pays a été contradictoire - en se mettant à l’avant-garde de la défense d’un par-tage du pouvoir ne tenant pas compte de la représentativité des forces politiques encompétition, elle a fragilisé ses acquis, du début del’annee" 1992 ainsi que sa posi-uon vis-à-vis du peuple et de son adversaire politique, ’le MRND. Son alliance sanslimite claire avec le FPR a enfin alimenté le doute sur sa volonté de défen~ desacquis de la Révolution sociale de 1959-1961. Cependant, par sa lutte tenace ,:K,_~zrlouve=ure du pays au multipartisme, elle a contribué à sensibiliser la populationsur ie; ï.--._n«er~ de la s questratmn de 1Etat par des groupes et des in,-~ividus

La démocratisation et la démilitarisation de la vie politique sc, nt .... " "rtr6 LO DCtlUg.~tlSd’une paix durable

Un mauvais départ pour le processus de démocratisation

La démocratie basée sur le multipartisme a été restaurée au moment où leRwanda vivait une profonde crise sociopolitique qui a eu pour conséquence lapolarisation de la population selon les vecteurs ethnique et régional. Il, es partispolitiques sont devenus des rassemblements des «originaires» ou alors des per-sonnes d’une même ethnie. Cette polarisation s’est accentuée après la signature del’accord de paix en août 1993 et a atteint sa plus hautè expression après le coupd’~.tat avorté au Burundi en octobre 1993.

Le cloisonnement politique résultant de cettesituation a donné lieu aux ten-sions, tantôt ethniques, tantôt régionales, ou les deux à la fois selon les périodes etles lieux. La radicalisation qui produisit et accompagna ces tensions assura la pro-motion des extrémistes dans chaque parti. C’est ainsi que, face à ceux qui ne vou-laient céder aucune parcelle du pouvoir qu’ils détenaient, d’autres voulaient toutchanger. Ceci devait mener à la situation insurrectionnelle de 1992 que nous avonsdécrite, exacerbant l’intolérance d’opinion et les luttes à base régionale ou ethnique.

Comme presque chaque Rwandais se range derriêre un parti selon qu’ilmilite pour ou contre une hégémonie ethnique ou régionale donnée, on est revenudans la logique du monopartisme aussi bien en ce qui concerne la distribution hié-rarchique du pouvoir que la domination des adhérënts de base issus d’une localité

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ou d’une région donnée. Les départements ministériels et les administrations res-pectives ont été transformés en fiefs des partis qui en étaient titulaires selon leschéma de parcellisation du pouvoir négociê entre les chefs de ces mêmes partis.Avec cette parcellisation, les fonctionnaires qui n’étaient pas membres du parti deleur ministre ou qui résistaient aux pressions se voyaient exclus des postes de res-ponsabilités.

La violence politique n’a donc pas épargné l’administration publique. Lesélites des partis ont profité de l’affaiblissement du gouvemement pour accroîtreleurs espaces politiquês en utilisant les moyens de l’État. Par des jeux d’alliances etla possibilité de négocier le partage du pouvoir entre eux, les chefs de partis asso-ciés au gouvernement ont confisqué le pouvoir qu’ils exercent en dehors d’uneconsultation populaire. On assiste ainsi à une redistribution du pouvoir au seind’une même élitç plutôt qu’à une véritable démocratisation qui aurait redistribué lepouvoir entre I Etat et le peuple. L ancienne contradiction entre le ~~~i-É:at et tasociété civile réapparaît alors, il ne s’agit plus cependant d un »eu! -~--.__, "’.,que..,,,mais de plusieurs partis uniques juxtaposés.

Le multipartisme a donc déclenché une dynamique ~dances sectaires aggravant les contradictions entre les diçers 5-::----e-~ .::-:.e~ll-tiques. Au lieu de .... ~ ,,n~ ;-~,-;,~M~ ~,-,.----: ....... - - -- ...... - ............qui rendait le monopartisme antidémoEratlaue. à _,a’. ï .... ----~--- .... :’-v:rd’une petite élite, l’accaparement de l’État, là non-pan;,::?z:»:_~, 7:7 .... -- _ -e-za-bilisation des adversaires politiques et la division de 2z s:-:._-:_~

Comme sous le régime de la «démocratie ~,- ~ --’ --r,.~-l~n~,:u,~-. ,~e J 27,,:1e7. r~’z:-Etat,le risque de marginalisation de la population demeure. Sous la deuxième Répu-blique, les «dirigés» avaient failli accepter la fatalité d’un mode d’exercice autori-taire du pouvoir. Le multipartisme semble sëtre bâti sur cette marginalisation etcette fatalité en introduisant une démocratie métropolitaine par laquelle les élites deKigali, autopropulsées aux sommets des partis, veulent exercer le pouvoir sansconsulter le peuple. Cette démocratie duale, qui exclut plus de 90 % de la popula-tion empêchée de choisir souverainement ses représentants, s’oppose au retour de lapmx, car elle est le fondement même des maux de la société rwandaise. Les défail-lances du parti-État ont montré que sans un véritable épanouissement sociopoli-tique du peuple, il ne peut y avoir ni paix ni unité nationale. La démocratie duale nepermettra donc pas de réaliser les assemblages des forces politiques capables demieux représenter et synthétiser toutes les contradictions caractérisant la sociétérwandaise. Pour nous, une telle démocratie est aussi violente que la crise sociopo-litique dont elle est issue, car elle maintient un système qui garantit au peuple lamisère, la famine, les maladies et l’analphabétisme et qui ne le rétablit pas dans sondroit de faire entendre sa voix par les représentants de son choix.

L’accord de paix d’Arusha est insuffisant pour garantir une stabilité politiquedurable

Tout au long de sa nêgociation, l’accord de paix paraissait à la MP commeune conspiration entre l’opposition intérieure et le FPR pour écarter le prêsidentHabyarimana du pouvoir, neutraliser le MRND et dêsintégrer les FAR, afin deeon:st:~;ïre une nouvet[ëh~g~mïsnië axCe sur:te ~R. Même avant la signature de: accord de paix, la MP parlmt de la préparation d un coup d état mavoue a Arusha,argumentant qu’il s’agissait de négocïations entre l’oppos~iion politique intérieure et

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l’opposition armée, puisque le chef de la délégation gouvernementale était und , ¯ ,

ministre e lopposmon.De juin 1993 à la signature de l’accord de paix, la position de la MP se ren-

força par les débuts de discorde au sein du parti MDR sur le nom du candidat auposte de premier ministre qu’il fallait mentionner dans le texte de l’accord. La MPdevait être complice d’une faction du MDR créée pour évincer la candidature deM. Dismas Nsengiyaremye, Premier ministre d’alors. Le succès de cette complicité,appuyée par ailleurs par le FPR, déclencha le processus de restructuration desalliances politiques qui aboutit au renforcement de la MP par les puissantes fac-tions anti-FPR des partis MDR et PL. La solidarité au sein de la MP renforcée seconsolida après le putsch raté à Bujumbura en octobre 1993. En effet, comme si onavait ouvert un rideau sur l’accord de paix, la MM se rendit compte qu’il était!néquitable et favorisait trop le FPR dans les institutions de transition et dansl armée nationale. Il se développa une crainte de la reproduction de la situationburundaise au Rwanda,celle d’une democratJe" " que le putsch raté avait remise soustutelle d’une armée ethnique.

Vers la fin 1993, on passa nettement de trois mouvances à deux, à savoir laMP et la MF, la MM étant éclatée entre les deux. Depuis lors, la MP intensifia unecampagne visant à montrer que le FPR avait bénéficié de trop d’espace politique etmilitaire dans les institutions de transition et qu’il risquait d’investir définitivemente" seul le pouvoir pour atteindre son objectif. Elle fut é~alement ~zusée par la MF2 ér.re responsable des manoeuvres visant à retarder là mise en olace du GTBE.":-’~, ! accord oui devait mettre fin à la cri~e -’-- " " -~ " ’ -........ .._ p,3].~,..,~,_,-~,_,.!t~_.~z,._.,-e -eï.:~î :- tçndementi:. ~,.eç r.ens~c, ns qui ont mené à ;a ~,,,-4<~ .«- - r.,. .... ,_s ::.,-=.._-ï:- a...-re_~-::-- --,r ZU pré--~dent Habvarimana le 6 avril 1 "~9-,.’.«

En analysant cette situation, l’on ne devrait 7::" -e ’!-:-:er zc-: .~;--e:-- ."«_,-melsou aux responsabilités sur les man�uvres visan: " r:--’ï=r " :-:...-~. .:e~,iicationde l’accord. L’on devrait également voir si celui-ci n a pas donné prise auxdifficul-tés qui ont surgi après sa signature. Pour nous, cet accord souffre de trois handicaps

ajeurs. Premmrement, d n’est pas bâti sur une approche de réconciliation natio-nalé : les partis en conflit ont plutôt fait un effort dans le sens inverse. Les négo-ciations ont parfois été ponctuées d’actes de manifestation et d’aggravation de lacontradiction qui les oppose. Par exemple, l’attitude du gouvernement face auxviolations graves des droits de l’homme en préfecture de Gisenyi en janvier 1993ne pouvait rassurer le FPR et les exilés qui attendaient la signature de l’accord pourregagner leur pays. De la même façon, les violences meurtrières commises contreles populations paysannes par le FPR en préfectures de Ruhengeri et de Byumba enfévrier 1993, au moment même où les deux parties étaient en pourparlers à Arusha,ne pouvaient que justifier les suspicions sur un programme inavoué.

C’est le manque de volonté de réconciliation dans les négociations qui a faitque les uns ont eu l’impression d’être perdants et les autres celle d’avoir gagné.C’est ainsi que les problèmes de conception du futur du pays par les partis poli-tiques ont souvent moins d’importance que les projets de oevanche entre ennemisd’hier. L’esprit de revanche a pris trop d’ampleur avec la dislocation du tissu socialcausée par la guerre. Dans ce contexte, on est en droit de s’interroger sur la chancequ’aura D’accord d’être non un instrument pour une pause dans le conflit armé, maisla base d’une paix durable, sans intégrer un axe supplémentaire sur une véritableréconciliation nationale.

Deuxièmement, l’accord de paix ne s’est pas suffisamment préoccupé durespect du principe de la souveraineté du peuple dans le choix deses representants"

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au pouvoir. Le problème de la contradiction structurelle entre les élites en compé-tition pour le pouvoir et le peuple privé de ses droits civiques doit s’aggraver sousla transition. Il est prévu ̄ u’q au cours de celle-ci, seules les factions politiques sontreprésentées au gouvernement et à l’Assemblée nationale de transition. Plus graveencore, rien n’est prévu dans le cas d’un vide institutionnel comme celui qu’à créél’assassinat du président Habyarimana, ou dans celui de la restructuration fonda-mentale des forces politiques comme celui qu’à crée l’assassinat systématique deshommes modérés de divers partis politiques. Il s’agit précisément des cas où laconsultation du peuple constituerait une solution plus équitable.

Troisièmement, l’accord de paix consacre la militarisation de la vie politiquedu pays en proclamant la confiance des deux parties en conflit dans leurs forcesarmées respectives. La parcellisation minutieuse de l’armée nationale projetée neconstitue qu’un traitement du mal par le facteur qui l’a entretenu. En effet, depuisles indépendances du Rwanda et du Burundi. la plupart des r’:.~a:.sacres de la mino-rité ethnique du premier et de la majorité du deuxième ont e:e ef’.-ecrués ,vu zsszstés

" ..4~,~! ..... e _e ..........par les armées. Ceci s’explique par le deç,.,~~,ti~,- .4 - ....... : ¯ a touteurs eudans les deux pays entre les armées et les sociézés ci’..le; ç= _: ."~ ]’.: . ~~

En plus de la place que l’accord de paix ~c-.----’.-~ a f .... natlonNe, i sepo_c~ un pr,~hlè_m_e a~. r.~-,.--"~~.,-,:=-:-:---" ~~- -" .... .~- -’-- : ........... ~ -C«L:,-:,~-~~-f5 -~-- ....... =_- ...... -: z_: :.~ :onst~tueront.Le démantèlement cles t’AN te1 qu~.~ est -r--._ ._. ~._~-_-= _ _- _- ç.~-~a«e raisonnableavec le FPR, que l’armée soit le centre du~-:_ :.: :~ -:r..-- _ ç:~cle retenue de60 % pour les FAR et ~o ’- pou,- le ,~~ -.... -c ........ .--’: .----- «--~:é aux postes decommandement, constitue une ~n’.ers~on e ae : .-eZe.=--2n~e ethnique. Enmême temps, ce partage ne va pas assez loin pour constituer une armée faisant lasynthèse des contradictions majeures connues dans le pays, car entre les deuxextrémismes qui se sont battus, il existe d’autres tendances plus constructives, dontla prise en compte permettrait d’éviter les risques que présente une armée bipolari-sec. Or, contrairement aux institutions de transition pour lesquelles la normalisa-tion de la représentativité du peuple est prévue, la parcellisation bipolaire del’armée restera structurelle pendant une longue durée. D’où le danger de faire del’armee la pierre angulaire du pouvoir. On réalise donc que, dans l’accord d’Arusha,le potentiel de pacification coexiste avec celui de la déstabilisation.

Le problème des démocraties ethniques au Rwanda et au Burundi est insépa-rable de celui des armées. Dans le passé, celles-ci ont servi les régimes et les per-sonnalités suprêmes contre les dissensions supposées être d’origine ethnique pou-

11¯ ,.,vant menacer hegemome ethnique ou même régionale en place. A présent, unenouvelle tendance est en train de se dessiner dans les deux pays en matière de ges-tion de la sécurité. Les armées changent de rôle: plutôt que la protection desrégimes, elles privilégient la protection des groupes ethniques dont elles sontissues. L’accord de paix d’Arusha a respecté cette tendance et est allé encore plusloin en adoptant une formule qui équivaut à doter chaque groupe ethnique de sapropre force au sein de l’armée nationale. Or, dans une démocratie, on devrait visera assurer la sécurité de chaque citoyen plutôt que la protection des régimes, desdirigeants ou des groupes ethniques. Comme la source structurelle de menace à lasécuritê des groupes rwandais opposés au pouvoir en place a toujours été institu-tionnelle, les négociateurs de pa!x auraient dû poser la question de la justificationdu maintien de larmée. Ne pas lavoir posée rend les deux parties suspectes quantaux ~ttenl!es dans leurs forces: respeeïives au sein de t’armêe nationale. Il appara~l~donc que la recherche d’une paix durable doit passer par la démilitarisation totale et,detïnitive du pays, pour donner une chance à la démocratie non ethnique et non

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régionaliste, favoriser l’intégration nationale, ne plus financer la destruction dupays par des guerres d’origine interne et pour orienter les énergies des jeunessesarmées dans les actions de développement national.

Le contexte régional

Les problèmes politiques découlant de la contradiction ethnique Hutu/Tutsi,tout en marquant plus particulièrement le Rwanda et le Burundi, concernent éga-lement le Zaïre, l’Ouganda et la Tanzanie, qui comptent des groupes hutu et tutsiparmi leurs populations ou comme exilés. En cas de crises politico-ethniques auRwanda ou au Burundi, ces pays se comportent comme des vases communiquants.De telles crises resserrent les liens de solidarité ethniques transfrontalières etréveillent l’instinct de survie d’un groupe ethnique dans les pays voisins, comme ona pu le constater avec le putsch militaire tutsi d’octobre 1993 au Burundi et lesmassacres qui l’ont suivi.

Dans ce contexte, le risque de consolidation des alliances transfrontalières ausein d’un groupe ethnique contre un autre est un facteur à ne pas perdre de vue dansla recherche d’une paix durable au Rwanda. Un cas concret est la crainte qu’on litau Rwanda et au Burundi sur un éventuel établis_ement~ d’alhances" hégémonistesentre armées ethniques, telles que les FAR et ,~. r-:dIPEHUTU ou les forcesarvnées burundaises et le FPR. Une telle crainte est incompatible avec la construc-";en d’une démocratie non ethnique.

En rna,:i~re àinsaîurat~c.n ci :ane -e--_z~~e ~e~~:.:w~== "-~ «-~~i principe de «unne, mme. une voix~, ne su,’T,~ 2~ a,-ra_-~--e=: -~ e :: e :.--~:=,.es. De ce point devue. le cas du Burundi. où une de.m.,_ _- .... ---,:- ~-~- :-~ _-’.~z,.pe est mise soustutelle des putschistes d’oEto~re ~3 r: " :e=ains se demandentsi le FPR troquerait la lutte armée pour le pouvoir négé,,-nomque, au cas où il luiarriverait de perdre les élections.

Les solutions définitives pour une détente politico-ethnique au Rwanda et auBurundi doivent être trouvées dans un contexte régional. Ceci se justifie davantagepour le cas où l’option de démilitarisation, qui associe inévitablement le Burundiêtle Rwanda (et les pays voisins invités à la respecter), serait envisagée. Une telledémilitarisation permettrait aux deux pays de réorienter les énergies dans les pro-grammes de développement économique de leurs peuples respectifs, base d’unevéritable réconciliation et intégration nationale. Les deux pays pourraient s’inspirerdu modèle du Costa Rica qui, n’ayant pas d’armée à entretenir, a pu réaliser desprogrès socio-économiques énormes et instaurer une démocratie stable.

Conclusion générale

Dans notre analyse, nous avons montré que la crise rwandaise a son fonde-ment dans le déficit démocratique qui a caractérisé l’ère républicaine depuis les an-nées 60 et dans la restauration des pratiques féodo-monarchiques dans la gestion dupouvoir. Ces deux problèmes qui découlent de la dérive du projet de la Révolutionsociale de 1959-1961 sont ~ la base des tensions internes et externes qui ont mené àla guerre meurtrière d’octobre 1990 et aux changements du paysagë politique du

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pays. Nous avons montré que les forces politiques majeures qui ont modelé cenouveau paysage politique n’ont pas proposé de solutions pouvant permettred’instaurer une vraie démocratie. Les solutions avancées jusqu’à présent, notam-ment dans l’accord de paix d’Arusha, visaient à mettre fin à la guerre, sans garantirla fin du conflit qui en est la cause. Il nous semble donc justifié de proposer que denouvelles réflexions et de nouveaux débats soient menés sur le mal fondamental dela société rwandaise afin de dégager des axes de solutions dont les effets ne soientpas seulement conjoncturels.

C’est ainsi que nous avons identifié trois axes de réflexions pour une pacifi-cation définitive du pays: la démilitarisation, la démocratie, la réconciliationnationale.

La démilitarisation

Une démilitarisation institutionnalisée._,-"’-. R’., and-. :-._..-~.:e.arait de neutraliserla menace structurelle que la force an,.ée _ ::_ :_’.- ::.-.s:::.:ee La "..ieience institu-tionnelle n’a cessé de servir d’outil au D«u-ci, e..e~::ce -,:,v.,tre les groupes natio-n.~,:,, -..",n <; -~-~-’-»~. CC-~.’-:e -_--urze -~ ë!sse.-.--- -" ........ 4;, é-,_alement de réta-blir la sou-eraineté du ~u=ie e7 ~.ïue-- -e _-- -e .mode de _ouvernement dupays et de gouvernants. En ef:-e:. :, :-__r-..~:-ï - _ - -.-7..::: i :,,~z sont dues non seu-.lement à une tension ’,i’~e e7-_.-_~ :- ~-----Z= --:_-÷---’e’- ma~s aussi à l’incapacitédu peuple et des insutuuons ae imre -~,:e z..:e- -_:ces _-urarmées.

Par ailleurs, l’expérience vécue dans la ré~ion des Grands Lacs a montré que,face aux forces armées, ni le multipartisme, ni les élections justes, ni l’opinioninternationale ne suffiront pour empêcher la séquestration du peuple et de la démo-cratie. La démilitarisation pouvait donc ouvrir de nouvelles perspectives pour unepaix durable non imposée et non entretenue par la force. Elle permettrait auRwanda de redevenir hospitalier à tous les Rwandais qui n’auraient plus à vivresous la peur du spectre des massacres collectifs à l’encontre de tel ou tel groupe,majoritaire ou minoritaire.

La démilitarisation pourra également faciliter le désarmement des diversesmilices. Ces deux opérations peuvent être placées sous le contrôle d’une forceinternationale qui pourrait rester au pays jusqu’à la démilitarisation effective desesprits. En plus du financement de cette force, la communauté internationale pour-rait assister dans les programmes de réintégration des combattants, de formationd’une gendarmerie nationale pour des tâches de police et de réflexion régionale surles dispositifs de défense et de sécurité.

La démocratie

La démocratie constitue certainement la solution définitive à la crise rwan-daise. Elle est non seulement la finalité mais aussi le moyen, à la fois immédiat et àlong terme, d’assurer l’existence sociale, économique, politique et culturelle de tousles groupes sociopolitiques du pays. Il ne s’agit donc pas d’une dêmocratie dualeréservêe à la classe minuscule des élites du pouvoir, ni d"une démocratie soustïïte|lë des: forces arm~es, ni d’une démocratie ethnique. Pour attendre: une te|le~:dêmoeratie, des mêcanismes nouveaux de contrôle du pouvoir par le peupledevront être instaurés afin d’êviter la rechute dans l’autoritarisme. Un de ces m.~ca-

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nismes pourrait être la réforme des institutions pour répartir le pouvoir entre l’Étatet les entités régionales, et l’amélioration de la représentativité des groupes socio-ethniques aux différents échelons du pouvoir.

La réconciliation nationale

La réconciliation nationale constitue un instrument incontournable pourmettre fin à la crise et pour instaurer une vraie démocratie. Elle doit inspirer tousles efforts de reconstruction sociale, économique et politique du pays et garantir lapérennité de la paix. Elle doit permettre de dépasser la fatalité des relations eth-niques et régionales tendues en se substituant à la vision répressive, voire guerrière,comme cadre de construction de la sécurité des groupes socio-ethniques.

La réconciliation peut se traduire en action par des projets de développementintégrateurs et participatifs visant tous les groupes socio-ethniques et touchant unebase élargie plutôt que des élites du pouvoir et de l’administration. Ce développe-ment doit se concevoir dans un cadre programmatique global pour permettred’apporter des solutions aux problèmes sociaux immédiats d’une population affec-tée par !a guerre et les massacres ainsi qu aux problèmes de développement socio-econom~que de moyen et long termes. Il doit être exécuté à travers des structuresdécentralisées de réconciliation pe~eF~-n~ une gestion participative des pro-grammes par les groupes-cibles concernes.

Cette recherche de so!ution_~ à i~ ._~»e ne devrait pas être réduite aux seuls~~.:: ,,~- .:,,:~,~=~--. ,,-» ....- ..... ~.- .__-__: --»e a ézé également alimentée par la

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La réconciliation entre groupes sociopolitiques de Rwandais en conflit don-nera au pays la force requise pour effectuer des changements durables dans lesrelations tendues. L’aide au développement devrait être axée sur les programmes deréconciliation nationale, pour créer, avec la démilitarisation du pays, un cadre nou-veau dans lequel le risque de destruction du progrès socioéconomique par de nou-veaux conflits sociopolitiques serait fortement atténué.

Lausanne, juin 1994