Upload
others
View
4
Download
0
Embed Size (px)
Citation preview
Les jeunes enfants, les livres
d’images et les animations vidéo
Arlette Streri, Professeur Émérite
Université Paris Descartes - CNRS
Montbrison – 18 novembre 2014
Plan de l’exposé
• Les débuts des perceptions du nourrisson:
percevoir les formes, les sons, les couleurs….
• Les débuts de la cognition: comprendre les lois
physiques, morales et le monde multimodal
• L’accès aux symboles (langage/image):
– la formation symbolique:le langage, les jeux et les
animations vidéo
– comprendre les relations images/référents
Conclusions
Quelques généralités concernant le développement
de l’enfant dans les premières années
- Distinction perception/cognition est un peu artificielle
- Le développement est un processus continu même si
on observe des étapes marquantes (surtout sur le plan
moteur)
- Beaucoup de comportements et savoirs des enfants
prennent naissance dans la petite enfance (rien ne
survient abruptement)
- La vitesse de développement des nourrissons est
très rapide surtout lorsque l’on est proche de la
naissance, notamment concernant la perception.
- Il existe une norme mais aussi des différences
individuelles importantes: tous ne progressent pas en
même temps et les sensibilités des enfants vont se
différencier en fonction de leur personnalité.
Les capacités perceptives fœtales
Dès le stade fœtal, le fœtus a des perceptions ou
sensations…
1. Tactiles (le premier sens à fonctionner)
2. Gustatives et olfactives
3. le fœtus a des perceptions auditives (3e trimestre
de la grossesse et pas avant !)
4. Pas de perceptions visuelles
hétérochronie dans le développement des sens…
mais à la naissance, il voit !!
1.Il préfère les objets en mouvement que stationnaires
2.Il voit les couleurs (excepté le bleu) mais surtout il aime
les forts contrastes, c.a.d. il différencie toutes les couleurs
du blanc mais pas les couleurs entre elles.
3.Il est attiré vers les visages dès les premières minutes de
vie. (biais visuel)
4.Il préfère la voix de sa mère à une autre voix féminine
(biais auditif)
6. Il fait la différence entre un objet et sa photographie (il
préfère regarder l’objet) (Slater, 1984)
7. Il préfère les cibles hétérogènes que homogènes (Fantz,
1963),
Comment le sait-on?
Quelques méthodes…
Que voit-il?
Fantz et la technique de choix préférentiel (Science, 1963)
aaaabbbbcdefg
hijklmnopqrstuu
vwxyzabcdefghij
klmnopqrstuvwx
yzabcdefghijklm
nopqrstuvwxyz
Nouveau-nés de moins de 5 jours
Visage>papier journal>cibles colorées (temps
de fixation en secondes)
Méthode:
technique de choix préférentiel
Il existe un biais visuel, c’est-à-dire une
orientation naturelle vers le visage humain, même s’il
s’agit d’un schéma de visage
Dès 9 min. après la naissance, les nouveau-nés suivent plus longtemps le dessin
d’un visage schématique normal (Goren, Sarty, & Wu, 1975)
Méthode: le comportement de poursuite
visuelle du nouveau-né
• Ils sont capables d’imiter certains mouvements faciaux (Meltzoff & Moore, 1977).
Grand imitateur d’émotions
fortes (T. Field, 1970)
Nouveau-né de 36 h !
La méthode la plus utilisée: l’habituation et la
réaction à la nouveauté
• On présente plusieurs fois de suite une cible (quelle que
soit la modalité sensorielle): les temps « d’attention »
diminuent.
• Puis, on présente une nouvelle cible (test). Si on observe
un regain d’attention (un temps plus long) on en déduit
que l’enfant a détecté un changement donc qu’il
discrimine les deux cibles.
• L’habituation est présente dès la naissance voire in utero
• Elle révèle la mémoire du système sensoriel
• Beaucoup d’indices susceptibles d’habituation (rythme
cardiaque, respiratoire, de succion, etc.)
• Tous les sens sont susceptibles d’habituation dès la
naissance
Donc, Le nourrisson voit dès sa naissance, mais
A 6 mois, il a les mêmes compétences visuelles
que les adultes, excepté:
- Leur acuité (discriminer les fins détails) qui atteindra
son maximum à 4 ans
- Leur champ visuel qui s’élargira au fur et à mesure
que l’enfant grandit…
Du point de vue auditif,
- le nouveau-né réagit à un son (hochet, voix) en
orientant sa tête vers la source sonore
- Il a une mémoire auditive excellente, 24 h après avoir
entendu une syllabe répétée pendant une heure, il la
reconnaît
- Il préfère entendre la voix de sa mère qu’une autre voix
et préfère sa langue maternelle à tout autre langue.
(reconnaissance des sons entendus pendant la période
fœtale).
- Il différencie certaines langues entre elles et différencie
des syllabes entre elles
Comment le sait-on?
Méthode: Succion non nutritive (0 – 2 mois)
Tétine connectée à un capteur de pression
Plus le stimulus est intéressant, plus le bébé tète
Utilisation de cet indice pour détecter un regain
d’intérêt. Eimas et al. (1971)
Il peut aussi raccourcir les pauses
La succion non nutritive pour l’audition
Enregistrements graphiques de
Différents types de succion
Comment tester les bébés plus âgés?
14
Conditionnement de l’orientation de la tête : L’enfant regarde droit devant une image ou lumière
On apprend à l’enfant à tourner la tête vers les haut-parleurs s’il y a un changement
Chaque bonne réponse est renforcée par stimulation visuelle
On utilise le temps de regard
Permettent de mesurer la discrimination entre 2 stimuli , ou la préférence
H.P.P. = Headturn Preference Procedure
LA COGNITION
1. Compléter les informations sensorielles
manquantes
2. Comprendre certaines lois physiques
3. Comprendre le monde multimodal
4. Comprendre les lois sociales ou morales
Compléter les informations manquantes:
Les objets ont une unité, même s’ils sont partiellement cachés à la condition
qu’ils bougent derrière le cache (Kellman & Spelke, 1983). Présent dès
la naissance mais avec un autre type de mouvement, le mouvement
Stroboscopique d’où aux contraintes visuelles du nouveau-né.
Comprendre les lois physiques : Principe de continuité
Le déplacement des objets est continu dès 2m ½ (Spelke et col. 1992)
Méthode: des situations impossibles ou détection des incongruités
La permanence de l’objet repose sur l’idée qu’un objet existe
même si on ne le voit plus. Ce concept cher à Piaget a été mis en évidence dès
2 mois ½ chez le nourrisson (Baillargeon (2003).
Si un objet A se cache derrière un écran mais n’apparaît pas, le nourrisson est
surpris; sauf si la durée d’occultation est trop longue car sa mémoire est faible.
Par contre, le bébé n’est pas surpris si c’est un objet B qui réapparaît. Il ne tient
pas compte des propriétés des objets. Capacité attentionnelle faible: il ne peut
tenir compte à la fois du déplacement de l’objet et de ses propriétés
L’objet a en plus une consistance
1. Le nouveau-né est préparé pour vivre dans un monde
multimodal, fait de sons, d’images, de textures, de saveurs
présents simultanément….
2. Il donne du sens à ce qu’il voit.
3. Il aime les événements cohérents et évite les conflits
perceptifs.(vision-audition)
4. Il réagit à la redondance des informations en regardant ce
qui est nouveau (toucher-vision ou proprioception-vision)
5. Il vit dans l’abstraction et néglige beaucoup de détails.
comprendre le monde multimodal….
2. Objets Visuels : les mêmes objets 3D mais 10 fois plus gros
Sujets: 24 nouveau-nés, âge moy. : 62 hours; (16 to 110 h)
Objets:
1. Objets 3D tactiles: un cylindre 10 mm diamètre
un prisme 10 mm triangle base
Transfert de la formeToucher-vision (Streri & Gentaz, 2003)
Un exemple: Thomas (42 hours)
habituation Haptique avec le
Nombre d’essais: 4 essais Essai 1 : 60 sec Essai 2 : 30 sec Essai 3 : 10.95 sec Essai 4 : 5.21 sec Temps total de tenue : 106,16 sec
Test visuel: Les deux objets sont présentés côte à côte Pendant 60 sec. - droite : - gauche:
Durée du regard: 2 sec 21 sec
Nbre de regards: 2 6
Comprendre les lois morales : Le
nourrisson distingue-t-il ce qui est bien
de ce qui est mal? • Comprendre une scène: Est-ce que les
nourrissons peuvent comprendre si les
individus sont gentils, méchants,
maladroits, etc…
• Le nourrisson a-t-il un sens social du bien
ou du mal?
Expérience de K. Hamlin, K. Wynn et P.
Bloom, Nature (2003)
K. Wynn & P. Bloom (Nature, 2007)
« the helperer » - l’aideur ou le gentil »
« the hinderer ou L’empêcheur » - le méchant
Choix des bébés de 6 mois
L’enfant de 2 à 4 ans:
le développement de la fonction
symbolique
• Fonction symbolique: se représenter le réel à partir
de symboles: le langage, les jeux, les images
1. Développement de la perception du langage et
explosion de sa production vers 2 ans
2. A partir de 4/5 ans la théorie de l’esprit:
comprendre le mental de l’autre et le dissocier de
son mental ou de sa perception
3. L’enfant devant les animations vidéo
4. L’enfant et les livres d’images
Le langage (aspects développementaux)
• Le langage a une importance considérable pour l’enfant, dès la naissance, car
imprégné dès in utero par les flux de parole parvenant de sa mère et de
l’environnement.
• L’apprentissage du langage n’est pas seulement auditif il est également visuo-
moteur: les nourrissons regardent beaucoup les mouvements de bouche de celui ou
celle qui parle. Il met en correspondance les sons et les mouvements de la parole
• Vers 4 mois, il « répond » à son prénom en tournant la tête vers la personne qui
l’appelle (éviter de l’appeler « bébé »)
• Vers 6 mois, il associe le mot (signe arbitraire) des objets familiers et de son corps au
référent exact. « Pomme vers l’objet pomme » ou main « vers l’image d’une main »,
etc… d’où les livres qu’on peut donner à cet âge.
• La production de son langage est relativement faible car il doit « découper » les mots
du flux de parole qu’il entend et exécuter le pattern moteur qui correspond aux sons
exacts.
• Mais vers deux ans, on assiste à une véritable explosion de la production langagière
de l’enfant. C’est la capacité fondamentale de l’enfant à se représenter le réel
sous forme symbolique
L’accès aux symboles: La participation de l’enfant devant une
animation se modifie avec l’âge
• L’imitation néonatale et le langage
Le modèle prononce les voyelles
« a » et « i ».
Le nouveau-né ne peut produire ces
voyelles. En revanche, il imite plus
rapidement ce type de modèle qu’un
modèle sans sons (Coulon, Hemimou, & Streri,
2012, Infancy). En cas de conflit, il n’imite
pas.
• A 3 mois, le bébé regarde la vidéo
mais n’imite pas le son alors qu’il sait
prononcer le « a »; le son « i » sera
prononcé plus tard.
Kuhl, Tsao & Liu, 2003, PNAS
A 12 mois, le bébé n’apprend rien avec la vidéo, il lui faut
un partenaire « réel »: les interactions sociales sont
importantes
Une observation de terrain avec les films vidéo dans
une crèche parisienne.
1. Enfants de 3 mois à 1 an : aucun intérêt pour
l’animation; l’action sur l’objet prédomine
2. Enfants de 1 à 2 ans et + : grande différence individuelle;
3. Enfants de 3 ans et +: beaucoup d’attrait pour l’animation mais relativement peu de compréhension lors des réponses aux questions, excepté si on focalise leur attention par des questions préalables.
Répétitions du film semblent importantes pour eux.
Les jeux symboliques et l’imitation
différée • Les jeux de « faire semblant »
• Les jeux de « faire comme si »
• L’imitation « différée » c.a.d. en l’absence du
réel. Représentation mentale des événements
Le but : s’approprier par tous les moyens le
réel auquel il n’a pas accès, le maîtriser.
L’enfant fait la différence entre la réalité
et la fiction. Il est capable de se situer aux
deux niveaux. C’est aussi l’émergence de la théorie de l’esprit
3. Théorie de l’esprit: Comprendre le mental de l’autre;
le test de Sally et Anne: réussi vers
4 ans mais non avant
Il faut une grande mobilité d’esprit
Quel que soit l’âge de l’enfant, il
faut aussi tenir compte de sa
capacité attentionnelle, c’est-à-dire
qu’il doit avoir saisi toutes les étapes
de l’événement et enfin dissocier son
mental de celui de l’autre
Autre exemple: la boîte de smarties
et les crayons.
L’enfant et le livre: comprendre la relation
référent/représentation
Les enfants, dès l’âge d’un an voire moins, apprennent beaucoup de choses
à partir des images… grâce aux interactions avec l’adulte qui nomme
les objets qui sont sur ces images et qui leur raconte des histoires.
Question: quand l’enfant comprend-il la nature de ces images?
Recherches relativement récentes (équipe de Judith Deloach, à partir des
années 2000).
A 9 mois: les enfants tentent d’agripper les images comme si c’était des
objets réels a la condition que l’image soit « réaliste »,
Il ne le fait pas pour un dessin aux traits
De 9 à 18 mois: les enfants sont dans l’action devant un livre moins dans la
contemplation (cf. les vidéos). Il tourne les pages où tape dessus…
De 19 à 24 mois: ils commencent à avoir une connaissance embryonnaire
de la fonction représentative des images: on assiste à l’émergence d’une
capacité symbolique de type iconique, celle sur le langage étant plus
précoce.
Méthode: on lui apprend un nouveau mot « stick » à partir d’une image,
puis on lui montre différents objets, et l’enfant doit désigner celui qui est un
« stick »
(généralisation du mot de l’image au référent identique). MAIS…..
Cet acte de référenciation est fragile: il est affecté
• Par le degré d’iconicité: le degré de ressemblance entre l’image
et l’objet; + l’image ressemble au référent, mieux l’enfant réussit.
il vaut mieux compléter l’image par un symbole langagier, oral ou écrit.
• Par « la confusion des propriétés » de l’objet et de l’image.
Ex: bouger une photo où sont empilés des blocs risque de les faire tomber
une photo de cornet de glace est forcément froide
un objet sur une photo sera altérée si le référent est altéré et
inversement, etc…
A 3 ans, la distinction image/référent est bien meilleure
• Supériorité du 2D sur la 3D: on cache un objet soit « sur une photo »,
soit sur une maquette 3D puis l’enfant doit rechercher l’objet dans une
pièce où meubles et objets sont identiques à l’image et à la maquette.
L’enfant retrouve la cache de l’objet à partir de l’image dès 2ans 8 mois
mais non à partir de la maquette (réussite à partir de 3 ans ½ ).
Que regardent les jeunes enfants sur une
image?
Les enfants de 4 ans mémorisent mieux les histoires lorsqu’il y a des images que sans
Images, mais que regardent-ils vraiment sur une image? L’utilisation de l’eye-tracker
Nous permet de savoir sur quelle partie de l’image des enfants de 2 à 10 ans focalisent
Leur regard (A. Helo et col. 2014)
Les fixations son plus longues et l’amplitude des saccades plus courtes chez les 2 ans
(cf. fig. gauche). Ces comportements oculaires diminuent avec l’âge (cf fig. droite).
Conclusions
• Devant tout événement, ce sont les capacités attentionnelles et non perceptives qu’il est difficile de capter chez l’enfant.
- L’attention augmente en fonction de l’âge:Adapter les livres ou les
animations à l’âge de l’enfant: difficile.. car progression rapide
- Entre 6 mois et 2 ans: les enfants se différencient dans la manière de s’investir dans le réel! Certains sont dans l’action, d’autres dans la contemplation ou la perception, d’autres dans le langage, etc…. A chaque enfant, sa personnalité. Mais ils parviennent tous à maîtriser
le réel. C’est ce qui est remarquable !!
• Entre 2 et 5 ans:
- jouent à la fois sur l’imaginaire et le réel.
- veulent maîtriser les événements qu’ils voient et qu’on lui raconte
• La demande de répétition de l’histoire animée ou non animée peut avoir trois
fonctions:
- sur le plan cognitif: s’approprier l’histoire et la comprendre
- Côté empathique: retrouver son héros, son ami(e)…
- Côté affectif: lire une histoire à son enfant, « c’est un geste d’amour pour
lui »
• Le plus important pour l’enfant est l’interaction qu’il peut avoir avec l’adulte
(son père, sa mère ou sa nourrice). Cela fait la différence entre mettre un
enfant seul devant un système numérique (télévision ou autre) et lui raconter
une histoire à partir d’un livre d’images.
Conclusions (suite)
MERCI POUR VOTRE
ATTENTION !!!