Upload
others
View
3
Download
0
Embed Size (px)
Citation preview
HAL Id tel-00682764httpstelarchives-ouvertesfrtel-00682764
Submitted on 26 Mar 2012
HAL is a multi-disciplinary open accessarchive for the deposit and dissemination of sci-entific research documents whether they are pub-lished or not The documents may come fromteaching and research institutions in France orabroad or from public or private research centers
Lrsquoarchive ouverte pluridisciplinaire HAL estdestineacutee au deacutepocirct et agrave la diffusion de documentsscientifiques de niveau recherche publieacutes ou noneacutemanant des eacutetablissements drsquoenseignement et derecherche franccedilais ou eacutetrangers des laboratoirespublics ou priveacutes
Les systegravemes agroalimentaires localiseacutes face agrave lrsquoinseacutecuriteacutealimentaire le cas du systegraveme oleacuteicole dans lrsquoespace de
Saiumls-Meknegraves au MarocAbdelmajid Saidi
To cite this versionAbdelmajid Saidi Les systegravemes agroalimentaires localiseacutes face agrave lrsquoinseacutecuriteacute alimentaire le cas du sys-tegraveme oleacuteicole dans lrsquoespace de Saiumls-Meknegraves au Maroc Economies et finances Universiteacute de Grenoble2011 Franccedilais NNT 2011GRENE005 tel-00682764
THEgraveSE Pour obtenir le grade de
DOCTEUR DE LrsquoUNIVERSITEacute DE GRENOBLE Speacutecialiteacute Sciences eacuteconomiques Arrecircteacute ministeacuteriel 7 aoucirct 2006
Preacutesenteacutee par
Abdelmajid SAIDI Thegravese dirigeacutee par Ivan SAMSON Preacutepareacutee au sein du Laboratoire Centre de Recherche Economiques sur les Politiques Publiques dans une Economie de Marcheacute dans lEacutecole Doctorale Sciences eacuteconomiques Les Systegravemes Agroalimentaires Localiseacutes face agrave lrsquoinseacutecuriteacute alimentaire le cas du Systegraveme Oleacuteicole dans lrsquoEspace de Saiumls-Meknegraves au Maroc Thegravese soutenue publiquement le 21 deacutecembre 2011 devant le jury composeacute de Monsieur Denis REQUIER-DESJARDINS Professeur Institut drsquoEacutetudes Politiques de Toulouse rocircle (Rapporteur) Monsieur Mauro SPOTORNO Professeur Universiteacute de Gecircnes Italie rocircle (Rapporteur) Monsieur Ivan SAMSON Maicirctre de confeacuterences HDR Universiteacute Pierre Mendegraves-France de Grenoble rocircle (Directeur de thegravese) Monsieur Claude COURLET Professeur Universiteacute Pierre Mendegraves-France de Grenoble rocircle (Preacutesident) Monsieur Bernard PECQUEUR Professeur Universiteacute Joseph Fourier de Grenoble rocircle (Membre) Monsieur Jean-Marc TOUZARD Directeur de recherche HDR Institut national de la recherche
agronomique de Montpellier rocircle (Membre)
LES SYSTEgraveMES AGROALIMENTAIRES LOCALISEacuteS
FACE Agrave LrsquoINSEacuteCURITEacute ALIMENTAIRE
Le cas du Systegraveme Oleacuteicole dans lrsquoEspace Saiumls-Meknegraves au Maroc
Remerciements
Je tiens tout drsquoabord agrave adresser mes plus vifs remerciements agrave mon directeur de thegravese Ivan
SAMSON qui a su avec rigueur et amitieacute diriger et orienter cette recherche Ses contributions
scientifiques et sa qualiteacute humaine ont eacuteteacute deacuteterminantes pour sa reacuteussite
Agrave Gabriel COLLETIS pour mrsquoavoir ouvert la porte du Master Economie Appliqueacutee
Entreprises compeacutetences et territoires qui a eacuteteacute agrave la base de cette thegravese
Agrave Bernard PECQUEUR et Claude COURLET pour les discussions tregraves fructueuses pour
lrsquoavancement de la thegravese
Aux agents de la Direction Provinciale de lrsquoAgriculture et aux chercheurs de lrsquoINRA de
Meknegraves au Maroc qui mrsquoont toujours bien accueilli et aideacute agrave Meknegraves
Agrave mes parents agrave lrsquoensemble des membres de ma famille ainsi qursquoagrave mes amis les plus proches
sans lrsquoaide et le soutien desquels je nrsquoaurais jamais pu venir agrave bout de ce peacuteriple semeacute
drsquoembucircches Agrave toutes et tous je tiens agrave leur faire part de ma gratitude pour leur gentillesse et
leur compreacutehension
Merci enfin agrave toutes les personnes dont le soutien lors des derniers mois de reacutedaction a permis
que ce travail voie le jour
Agrave toutes celles et tous ceux qui mrsquoont toujours aideacute et soutenu mais dont jrsquoaurais oublieacute de
citer le nom ici qursquoils ne mrsquoen tiennent pas rigueur et qursquoils me prient de les excuser
sincegraverement Mille mercis agrave vous tous
Bien eacutevidemment je reste le seul responsable de toutes les erreurs que comporterait ce
document
Agrave mes parents
SOMMAIRE
INTRODUCTION GENERALE
LA CRISE ALIMENTAIRE LA CRISE ECONOMIQUE DEFIS MAJEURS DU XXIe
SIECLE
PREMIERE PARTIE
LA SECURITE ALIMENTAIRE ET LrsquoEVOLUTION DU SECTEUR
AGRICOLE ET AGROALIMENTAIRE
CHAPITRE 1
LrsquoAGRICULTURE FAMILIALE COMME VECTEUR PRINCIPAL DE LA SECURITE
ALIMENTAIRE
CHAPITRE 2
LrsquoEVOLUTION DE LrsquoENRACINEMENT TERRITORIAL DE LrsquoECONOMIE AGRICOLE
ET AGROALIMENTAIRE
DEUXIEME PARTIE
LES SYAL FACE A LrsquoINSECURITE ALIMENTAIRE LE CAS DU
SYSTEME OLEICOLE DANS LrsquoESPACE SAIumlS-MEKNES AU MAROC
CHAPITRE 3
LES CONTRAINTES DE LA SECURITE ALIMENTAIRE ET LA DYNAMIQUE DES
SYAL
CHAPITRE 4
LrsquoINDUSTRIALISATION DU SOM ET LA QUALITE DE LrsquoHUILE DrsquoOLIVE
CONCLUSION GENERALE
LISTE DES SIGLES ACRONYMES ET ABREVIATIONS
ADMPC Analyse des Dangers Maicirctrise des Points Critiques
ADPIC Accord sur les aspects des droits de proprieacuteteacute intellectuelle qui touchent au commerce
AMAP Association pour le Maintien drsquoune Agriculture Paysanne
AMPOC Association Marocaine de Protection et drsquoOrientation du Consommateur
AF Agriculture Familiale
AOC Appellation drsquoOrigine Controcircleacutee
AOP Appellation drsquoOrigine Proteacutegeacutee
BM Banque Mondiale
CAPM Centre Anti-Poisons du Maroc
CCP Certificat de conformiteacute du produit
CES Conseil Economique et Social (FRA)
CE Commission Europeacuteenne
CRISES Centre de recherche sur les innovations sociales
CIHEAM Centre International de Hautes Etudes Agronomiques Meacutediterraneacuteennes
CIRAD Centre de coopeacuteration Internationale en Recherche Agronomique pour le Deacuteveloppement
CNSDOQ Commission Nationale des Signes Distinctifs drsquoOrigines et de Qualiteacute
CNUCED Confeacuterence des Nations unies sur le commerce et le deacuteveloppement
COI Conseil Oleacuteicole International
OMPIC Office Marocain de la Protection Intellectuelle et Commerciale
EU Etats-Unis
FAO Organisation des Nations unies pour lrsquoalimentation et lrsquoagriculture
FDA Food and Drug Administration
FEAGA Fonds europeacuteen agricole de garantie
FEADER Fonds europeacuteen agricole pour le deacuteveloppement rural
FIPA Feacutedeacuteration Internationale des Producteurs Agricoles
FMI Fonds Moneacutetaire International
FRA France
GATT Accord geacuteneacuteral sur les tarifs douaniers et le commerce
GSA Grande Surface Alimentaire
HACCP Hazard Analysis Critical Control Point
IAA Industries agroalimentaires
INRA Institut national de la recherche agronomique (France)
INRAM Institut national de la recherche agronomique au Maroc
ENA Eacutecole nationale drsquoagriculture de Meknegraves au Maroc
INSEE Institut National de la Statistique et des Eacutetudes Eacuteconomiques
ISO International Organization for Standardization
IG Indication Geacuteographique
IGP Indication Geacuteographique Proteacutegeacutee
MAR Maroc
MCA Modegravele de Consommation Alimentaire
MAPM Ministegravere de lrsquoAgriculture et de la Pecircche Maritime au Maroc
MOA Maladies drsquoOrigine Alimentaire
NM Norme Marocaine
NPI Nouveaux Pays Industrialiseacutes
NU Nations-Unies
OCDE Organisation de coopeacuteration et de deacuteveloppement eacuteconomiques
OGM Organismes Geacuteneacutetiquement Modifieacutes
OIE Organisation mondiale de la santeacute animale
OMC Organisation Mondiale du Commerce
OMS Organisation Mondiale de la Santeacute
OMPI Organisation Mondiale de la Proprieacuteteacute Intellectuelle
ONU Organisation des Nations Unies
ONUDI Organisation des Nations Unies pour le deacuteveloppement industrie
PAC Politiques Agricole Commune
PD Pays Deacuteveloppeacutes
PDRN Plan de Deacuteveloppement Rural National Franccedilais
PED Pays En Deacuteveloppement
PMA Pays les Moins Avanceacutes
PME Petites et Moyennes Entreprises
PNNS Programme national de nutrition et santeacute du gouvernement franccedilais
PNAN Programme tunisien drsquoalimentation et de nutrition
PPLPI Pro-poor Livestock Policy Initiative
PSEM Pays du Sud et de lrsquoEst meacutediterraneacuteen
SFER Socieacuteteacute Franccedilaise drsquoEconomie Rurale
SPL Systegraveme Productif Localiseacute
SYAL Systegraveme Agroalimentaire Localiseacute
SYALA Systegraveme Agroalimentaire Localiseacute Agricole
SYALI Systegraveme Agroalimentaire Localiseacute Industriel
SOM Systegraveme Oleacuteicole dans lrsquoEspace de Saiumls- Meknegraves
ESM Espace de Saiumls- Meknegraves
TIAC Toxi-infections alimentaires collectives
UE Union europeacuteenne
SDOQ Signe Distinctif drsquoOrigine et de Qualiteacute
UDOM Union pour le Deacuteveloppement de lrsquoOlivier de Meknegraves
USA United States of America
USAID Agence ameacutericaine pour le deacuteveloppement international
USDA United States Department of Agriculture
INTRODUCTION GENERALE
LA CRISE ALIMENTAIRE LA CRISE EacuteCONOMIQUE
DEacuteFIS MAJEURS DU XXIe SIEgraveCLE
8
1 CADRAGE HISTORIQUE ET CONTEXTUEL
Apregraves la peacuteriode de stabiliteacute et de croissance qursquoa connu le monde degraves la fin de la deuxiegraveme
Guerre Mondiale jusqursquoagrave la fin des anneacutees 1960 a succeacutedeacute une peacuteriode drsquoincertitude et de
perturbation notamment dans les pays avanceacutes (Boyer 1986) Celle-ci se caracteacuterise par une
faible croissance eacuteconomique un chocircmage de masse une forte inflation une domination de la
sphegravere financiegravere ainsi qursquoune deacutependance accrue des eacuteconomies agrave lrsquoexportation et une
concurrence de plus en plus intense avec lrsquoarriveacutee des Nouveaux Pays Industrialiseacutes (NPI)
Pour expliquer cette situation plusieurs facteurs ont eacuteteacute avanceacutes la hausse du prix des
matiegraveres premiegraveres notamment le peacutetrole les gains de productiviteacute occasionnant une
substitution du capital au travail la saturation des marcheacutes la speacuteculation et les bulles
financiegraveres Cependant depuis 2007 le capitalisme financier est entreacute dans une crise
profonde Cette crise agrave la base bancaire et neacutee sur le marcheacute du creacutedit immobilier ameacutericain1
est rapidement devenue financiegravere et eacuteconomique au niveau mondial Fin 2008 les eacuteconomies
deacuteveloppeacutees eacutetaient en reacutecession et celles des pays eacutemergents ralentissaient fortement (FMI
2010)
En 2009 la situation srsquoest aggraveacutee les eacuteconomies avanceacutees ont traverseacute la plus forte
reacutecession depuis lrsquoapregraves-guerre2 Pour redresser cette situation les Eacutetats des pays avanceacutes ont
augmenteacute leurs deacutepenses budgeacutetaires pour relancer lrsquoeacuteconomie et sauver les banques en
difficulteacute3 Or ces deacutepenses excessives conjugueacutees agrave la chute des impocircts ont fait exploser les
deacuteficits budgeacutetaires au point de menacer certains Eacutetats de deacutefauts de paiements On cite en
particulier lrsquoIslande lrsquoIrlande le Portugal et la Gregravece qui a neacutecessiteacute agrave elle seule la
mobilisation drsquoun precirct de 158 milliards drsquoeuros pour lutter contre la crise de sa dette4 En
1 Il srsquoagit drsquoune hausse des impayeacutes au titre de creacutedits hypotheacutecaires agrave risque (subprimes) au deacutebut de lrsquoeacuteteacute 2007
Ce krach srsquoest transformeacute en veacuteritable crise financiegravere mondiale agrave la mi-septembre 2008 et srsquoest traduit par une
perte de confiance dans le systegraveme financier Cette situation a entraicircneacute un manque de liquiditeacutes sur le marcheacute
interbancaire Les banques sont devenues extrecircmement reacuteticentes agrave se precircter de lrsquoargent et les liquiditeacutes se sont
taries rapidement faisant grimper agrave des niveaux sans preacuteceacutedents les eacutecarts entre les taux drsquointeacuterecirct que les
banques se versent entre elles et ce qursquoelles srsquoattendent agrave payer aux banques centrales (Source Banque
mondiale 2009
httpwebworldbankorgWBSITEEXTERNALACCUEILEXTNEXTDECPGFREEXTPROSCPECTFREE
XTGBLPROSPECTAPRILFRE0contentMDK22207750~menuPK6195147~pagePK64647140~piPK64647
812~theSitePK65919000html page consulteacutee le 26092010) 2 Source httpwwwinseefrfrthemesdocumentaspreg_id=0ampref_id=ecofra10b (page consulteacutee le
19072011) 3 Selon lrsquoAgence feacutedeacuterale ameacutericaine de garantie des deacutepocircts bancaires (FDIC) depuis janvier 2008 408 banques
ameacutericaines ont fermeacute (Source httpwwwfdicgovbankindividualfailedbanklisthtml page consulteacutee le
06092011) 4 Source httpeuropaeunewseconomy20100520100430b_frhtm (page consulteacutee le 02092011)
9
geacuteneacuteral dans les pays avanceacutes ndash notamment ceux qui ont eacuteteacute le plus durement toucheacutes par la
crise ndash lrsquoEacutetat et les meacutenages restent lourdement endetteacutes agrave des degreacutes divers et la santeacute des
institutions financiegraveres ne srsquoest pas totalement reacutetablie Lrsquoincertitude grandissante lieacutee agrave la
crise a ainsi entraicircneacute une diminution des embauches Le nombre de chocircmeurs estimeacute au
niveau mondial en 2010 a eacuteteacute de lrsquoordre de 205 millions contre 1846 millions en 2006 (OIT
2011) Dans les eacuteconomies deacuteveloppeacutees et lrsquoUnion europeacuteenne le taux de chocircmage est passeacute
de 63 en 2006 agrave 91 en 2010 Selon lrsquoOrganisation Internationale du Travail (OIT)
(2011) lrsquoespoir de voir ce taux revenir dans un avenir proche aux niveaux drsquoavant la crise est
tregraves faible
Quant aux pays en deacuteveloppement (PED) lrsquoimpact de la crise financiegravere et eacuteconomique
diffegravere selon le degreacute de deacuteveloppement de chacun de ces pays de sa richesse en matiegraveres
premiegraveres et de son insertion dans lrsquoeacuteconomie mondiale5 Drsquoune maniegravere geacuteneacuterale tous ces
pays devraient ecirctre toucheacutes par la chute plus ou moins prononceacutee des investissements directs
eacutetrangers (IDE) et par la baisse de leur exportation de biens et de services6 Selon le Fond
Moneacutetaire International (FMI 2011) lrsquoabsence de plans speacutecifiques agrave moyen terme dans
plusieurs pays suscite des craintes de plus en plus seacuterieuses en particulier pour les Etats-Unis
(EU) et par conseacutequent aboutit agrave un ralentissement de la croissance potentielle dans les pays
avanceacutes Une telle perspective dans les pays eacutemergents et en deacuteveloppement nrsquoest pas non
plus totalement eacutecarteacutee
La crise des subprimes a eacuteteacute tenue indirectement pour responsable de la crise alimentaire de
2007-2008 la plus importante depuis 1974 En effet les marcheacutes de matiegraveres premiegraveres en
plein boom ont eacuteteacute consideacutereacutes comme des valeurs refuges pour les speacuteculateurs et une
opportuniteacute drsquoeffacer une partie de leurs dettes et de leurs creacuteances douteuses (Berthelot
2008 Voituriez 2009) La speacuteculation avec des denreacutees alimentaires de base (ceacutereacuteales
oleacuteagineux produits laitiers viande et sucre) a entraicircneacute une flambeacute de leurs cours
5 Source httpwwwoecdorgdocument2603746fr_2649_33731_41826458_1_1_1_100html
(page consulteacutee le 02082010) 6 Les 49 pays en deacuteveloppement les plus pauvres (majoritairement en Afrique) ont ainsi vu leurs recettes
drsquoexportation diminuer lors du premier semestre 2009 de 438 par rapport agrave la peacuteriode eacutequivalente de lrsquoanneacutee
preacuteceacutedente (Source httppoldevrevuesorg131ftn10 page consulteacutee le 05082011) Par conseacutequent les
conditions de vie de leur population se sont deacutegradeacutees Selon lrsquoOrganisation des Nations unies pour lrsquoeacuteducation
la science et la culture (UNESCO) la crise a fait subir en 2009 aux 390 millions de personnes les plus pauvres
en Afrique un manque agrave gagner totalisant 18 milliards de dollars US soit 46 dollars US par personne Cela
eacutequivaut agrave une diminution drsquoun cinquiegraveme du revenu moyen par habitant chiffre qui deacutepasse de tregraves loin les
pertes subies dans le monde deacuteveloppeacute selon lrsquoOrganisation (Source httpwwwunescoorgnewfrmedia-
servicessingle-viewnewsglobal_crisis_hits_most_vulnerablebrowse5back18276 page consulteacutee le
12052011)
10
(graphique 1) Cette peacuteriode a de plus coiumlncideacute avec des faibles niveaux de stocks ceacutereacutealiers7
(graphique 2)
Graphique 1 Eacutevolution de lrsquoindice des prix FAO des produits alimentaires
2000-2010
0
50
100
150
200
250
2000 2001 2002 2003 2004 2005 2006 2007 2008 2009 2010
Ind
ice
des
pri
x
Source Fait agrave partir des donneacutees de la FAO
Graphique 2 Production utilisation et stocks de bleacute
Source FAO 2008e
En juin 2008 lrsquoindice des prix a atteint 214 points 139 au-dessus de la moyenne de lrsquoanneacutee
2000 Apregraves une leacutegegravere baisse des prix dans la premiegravere moitieacute de 2009 les prix sont repartis
agrave lrsquohausse pour enregistrer un nouveau record 238 points en feacutevrier 2011 Cette tendance agrave la
7 94 de la baisse des stocks ceacutereacutealiers notamment lieacutee agrave lrsquoessor des agrocarburants sont imputables en 2006 et
2007 aux Etats-Unis et agrave lrsquoUnion Europeacuteenne (Berthelot 2008)
11
hausse des prix qui semble srsquoinstaller dans la dureacutee srsquoexplique eacutegalement par des reacutecoltes en
baisse dans les principaux pays exportateurs une demande en augmentation rapide sur les
produits utiliseacutes pour les agrocarburants et une hausse des prix du peacutetrole (FAO 2008d)
Drsquoune maniegravere globale selon Voituriez (2009) une seacuterie de dix causes hypotheacutetiques plus ou
moins controverseacutees peut ecirctre avanceacutee hausse des coucircts de production agricole en raison de
la hausse du prix de lrsquoeacutenergie hausse de lrsquooffre de biocarburants croissance de la demande
des pays eacutemergents speacuteculation aleacuteas climatiques restructuration des marcheacutes (baisse des
stocks) sous-investissement dans le secteur agricole baisse du dollar enfin politiques de
restriction aux exportations
La hausse du prix des denreacutees alimentaires sur le marcheacute international en particulier du bleacute
du riz du soja et du maiumls a entraicircneacute une augmentation sans preacuteceacutedent du nombre de
personnes sous-alimenteacutees (Golay 2010) et lrsquoaugmentation des eacutemeutes urbaines dans une
quarantaine de PED notamment en Afrique (Galtier 2009) Selon la Confeacuterence des Nations-
Unies sur le Commerce et le Deacuteveloppement (CNUCED) (2009) sur 36 pays qui ont subi une
crise alimentaire en 2009 21 sont africains soit pregraves de 300 millions de personnes (le tiers de
la population du continent) Ces populations sont tregraves affecteacutees par la hausse des prix des
denreacutees de base et ce en raison de la part importante (plus de 50 ) de ces derniegraveres dans leur
budget Cette crise alimentaire a remis la lutte contre la faim au cœur des preacuteoccupations
mondiales Par ailleurs le premier Objectif du Milleacutenaire pour le deacuteveloppement qui vise agrave
reacuteduire de moitieacute drsquoici agrave 2015 la proportion des personnes qui souffrent de la faim et de la
malnutrition est devenu clairement irreacutealisable8 Dix ans apregraves la deacuteclaration du Milleacutenaire le
nombre de personnes souffrant de la faim et de la malnutrition a augmenteacute de 133 millions
ce chiffre est en effet passeacute de 792 millions en 2000 agrave 925 millions en 2010 Selon le Fond
des Nations-Unies pour lrsquoEnfance (UNICEF) sur les 195 millions drsquoenfants de moins de cinq
ans souffrent drsquoun retard de croissance dans le monde 90 drsquoentre eux vivent en Afrique
subsaharienne et en Asie parallegravelement pregraves de la moitieacute des deacutecegraves drsquoenfants de moins de
cinq ans est due agrave la malnutrition associeacutee aux maladies infectieuses (rougeole diarrheacutee
paludisme pneumonie)9
En 2011 la situation mondiale de la seacutecuriteacute alimentaire ne devrait pas srsquoameacuteliorer en raison
des famines qui frappent actuellement toute la Corne de lrsquoAfrique y compris le nord du
8 Source httpwwwunorgfrenchmillenaireares552fhtm (page consulteacutee le 29042007)
9 Source UNICEF httpwwwuniceffrcontenuactualite-humanitaire-unicefla-malnutrition-dans-le-monde-
les-plus-vulnerables-dans-le-viseur-2011-08-18 (page consulteacutee le 07092010)
12
Kenya et les reacutegions meacuteridionales de lrsquoEthiopie et de Djibouti ougrave de vastes zones sont
classeacutees en eacutetat drsquourgence humanitaire10 En Somalie pays le plus toucheacute la famine srsquoeacutetale
pratiquement sur tout le territoire y compris la reacutegion de Bay qui produit plus de 80 du
sorgho du pays Selon la FAO des niveaux record de malnutrition aigueuml ont eacuteteacute enregistreacute
dans cette reacutegion avec 58 des enfants de moins de cinq ans en eacutetat de grave deacutenutrition et
un bilan de plus de deux morts par jour pour 10 000 habitants11
Au delagrave de la flambeacutee des
prix mondiaux des produits alimentaires cette reacutegion subit la pire seacutecheresse depuis 60 ans et
enregistre son plus bas niveau de reacutecolte ceacutereacutealiegravere depuis 17 ans Srsquoajoutent agrave cela les conflits
et les deacuteplacements de population qui touchent une partie de ces pays notamment la Somalie
A ce niveau il faut noter eacutegalement la baisse en termes absolus de lrsquoAide Publique au
Deacuteveloppement (APD) des pays de lrsquoOrganisation de Coopeacuteration et de Deacuteveloppement
Economiques (OCDE)12
et celle des transferts de revenus des travailleurs eacutemigreacutes vers leur
pays drsquoorigine de lrsquoordre de 6 en 2006 selon lrsquoObservatoire des politiques eacuteconomiques en
Europe (Mainguy 2010)
Pareillement la crise eacuteconomique a contraint la Commission Europeacuteenne (CE) agrave reacuteduire de
500 millions agrave 113 millions drsquoeuros le montant des fonds alloueacutes dans le cadre du programme
2012 de distribution de denreacutees alimentaires aux personnes les plus deacutemunies dans lrsquoUE13
laquo Selon les statistiques de lrsquoUE 43 millions de personnes risquent de manquer de nourriture
ce qui signifie qursquoelles ne peuvent pas srsquooffrir un vrai repas un jour sur deux raquo deacuteclare la
Feacutedeacuteration Europeacuteenne des Banques Alimentaires (FEBA)14
Celle-ci affirme que 79 millions
de personnes vivent en dessous du seuil de pauvreteacute et 30 millions souffrent de malnutrition
en Europe15
En France selon le reacuteseau des Banques Alimentaires (2011) 3 millions de
10
Pregraves de 12 millions de personnes sont menaceacutees par la famine dans cette reacutegion Par ailleurs la crise aurait
provoqueacute la mort de 29 000 enfants de moins de cinq ans en Somalie et plongeacute dans une situation preacutecaire
600 000 enfants dans la reacutegion (Sources httpwwwfaoorgnewsstoryfritem89223icode
httpwebworldbankorgWBSITEEXTERNALACCUEILEXTNNEWSFRENCH0contentMDK22982460
~pagePK64257043~piPK437376~theSitePK107493100html pages consulteacutees le 06092011) 11
Source FAO httpwwwfaoorgnewsstoryfritem89223icode (page consulteacutee le 06092011) 12
En raison de difficulteacutes budgeacutetaires certains pays ont revu leurs promesses agrave la baisse ou repousseacute les
eacutecheacuteances En 2009 lrsquoAPD a baisseacute de maniegravere significative pour les pays suivants la Gregravece (-12 ) lrsquoIrlande
(-189 ) et lrsquoItalie (-311 ) ainsi que lrsquoAllemagne (-120 ) lrsquoAutriche (-312 ) et le Portugal (-157 )
(Source OCDE httpwwwoecdorgdocument1103343fr_2649_34447_44995507_1_1_1_100html
page consulteacutee le 06052011) 13
Source Commission Europeacuteenne
httpeuropaeurapidpressReleasesActiondoreference=IP11756ampformat=HTMLampaged=0amplanguage=FRampg
uiLanguage=en (page consulteacutee le 1092011) 14
Source FEBA
httpwwweurofoodbankeuportailindexphpoption=com_contentampview=categoryamplayout=blogampid=2ampItemi
d=27amplang=fr (page consulteacutee le 1092011) 15
Source httpwwweurofoodbankorg (page consulteacutee le 01092011)
13
personnes ont eu recours agrave lrsquoaide alimentaire en 2010 (contre 28 millions en 2008) et
8 millions vivent actuellement sous le seuil de pauvreteacute soit 13 de sa population16
La population europeacuteenne souffre eacutegalement de la suralimentation qui entraicircne toute une
gamme de maladies chroniques non infectieuses (non transmissibles) telles que lrsquoobeacutesiteacute le
diabegravete les maladies cardiovasculaires le cancer etc Selon lrsquoOrganisation Mondiale de la
Santeacute (OMS)Europe ces maladies lieacutees au reacutegime alimentaire ndash occasionnant des maladies
respiratoires chroniques et des troubles mentaux ndash sont responsables de 86 des deacutecegraves en
Europe17 Au niveau mondial lrsquoobeacutesiteacute et le diabegravete ont atteint les proportions drsquoune eacutepideacutemie
mondiale selon lrsquoOMS18
En 2008 le surpoids concernait 15 milliards de personnes de
20 ans et au moins 26 millions de personnes deacutecegravedent chaque anneacutee du fait de leur surpoids
ou de leur obeacutesiteacute Lrsquoobeacutesiteacute est la maladie nutritionnelle sur laquelle lrsquoattention porteacutee est la
plus forte (carte 1) il srsquoagit de lrsquoeacutepideacutemie de surpoids (IMC19
compris entre 25 kgmsup2 et 30
kgmsup2) et de lrsquoobeacutesiteacute (IMC supeacuterieur agrave 30 kgmsup2) La progression de cette pandeacutemie
(eacutepideacutemie agrave lrsquoeacutechelle mondiale) est exponentielle crsquoest-agrave-dire que chaque anneacutee le
pourcentage de personnes passant en situation de surpoids et drsquoobeacutesiteacute est plus important que
celui de lrsquoanneacutee preacuteceacutedente20
16
Source Institut national de la statistique et des eacutetudes eacuteconomiques (INSEE)
httpwwwinseefrfrthemestableauaspreg_id=0ampref_id=NATSOS04402 (page consulteacutee le 06092011) 17
Source OMSEurope httpwwweurowhointfrwhat-we-dohealth-topicsnoncommunicable-diseases (page
consulteacutee le 19052011) 18
Les chiffres eacutevoqueacutes ici et concernant les maladies non transmissibles sont fournis par lrsquoOMS (Source
httpwwwwhointtopicschronic_diseasesfr page consulteacutee le 01092011) 19
IMC Indice de Masse Corporelle httpwwwdoctissimofraspquizzvisu_form_bmiasp 20
Source wwwinvssantefr (page consulteacutee le 19052011)
14
Carte 1 Le pourcentage drsquoobegraveses dans le monde
Source Creapharma (2010)21
En 2010 le monde comptait plus de 42 millions drsquoenfants en surpoids dont 35 millions
vivent dans des pays en deacuteveloppement Quant au diabegravete 220 millions de personnes dans le
monde sont atteintes par cette maladie qui a tueacute environ 34 millions de personnes en 2004
Plus de 80 des deacutecegraves par le diabegravete se produisent dans des pays agrave revenu faible ou
intermeacutediaire laquo Pregraves de 30 des personnes qui meurent de maladies non transmissibles
dans les pays agrave revenu faible ou moyen sont acircgeacutees de moins de 60 ans et sont dans leurs
anneacutees les plus productives Ces deacutecegraves preacutematureacutes sont drsquoautant plus tragiques qursquoils sont en
grande partie eacutevitables raquo a deacuteclareacute Mr Ala Alwan Sous-Directeur geacuteneacuteral de lrsquoOMS chargeacute
des maladies non transmissibles et de la santeacute mentale22 Cette situation srsquoexplique entre
autres par les conseacutequences de lrsquoimportation du reacutegime alimentaire occidental inapproprieacute au
style de vie des pays concerneacutes et le faible accegraves aux soins adeacutequats dans ces pays (OMS
2003)
Il faut aussi noter que malgreacute les progregraves scientifiques et industriels certaines pathologies
transmissibles lieacutees agrave lrsquoalimentation perdurent telles que les affections diarrheacuteiques
(Kindhauser 2003 OMS 2010) Ces derniegraveres ont causeacute rien que pour la seule anneacutee 2005
la mort de 18 millions de personnes dans le monde une grande proportion de ces deacutecegraves
21
Source httpwwwcreapharmafrN1419statistiques-surpoidshtml (page consulteacutee le 09062011) 22
Cette deacuteclaration a eacuteteacute preacutesenteacutee lors Forum mondial de lrsquoOMS le 27 avril 2011 sur les maladies non
transmissibles qui se tient aujourdrsquohui agrave Moscou en Feacutedeacuteration de Russie (Source
wwwwhointmediacentrenewsreleases2011ncds_20110427frindexhtml page consulteacutee le 01092011)
15
provenant de la consommation drsquoeau ou drsquoaliments contamineacutes La diarrheacutee est en outre une
cause importante de malnutrition chez le nourrisson et le jeune enfant et elle tue 15 millions
drsquoenfants chaque anneacutee23
Selon le service de la qualiteacute des aliments et des normes
alimentaires de la FAO (AGNS) environ 3 millions de personnes meurent chaque anneacutee agrave
cause des toxi-infections drsquoorigine alimentaire et des millions drsquoautres souffrent de ces
maladies24
Parmi ces toxines qui ont marqueacute les derniegraveres deacutecennies on trouve
lrsquoenceacutephalopathie spongiforme bovine (ESB ou laquo maladie de la vache folle raquo) maladie lieacutee agrave
la preacutesence de proteacuteines animales provenant des aliments pour animaux laquelle a eacuteteacute
diagnostiqueacutee pour la premiegravere fois au Royaume-Uni en 1986 a poseacute drsquoabord un problegraveme agrave
lrsquoeacutechelle europeacuteenne puis au niveau mondial (Joly 2003)
On constate eacutegalement la reacuteapparition ces derniegraveres anneacutees des virus grippaux de type H1N1
(drsquoorigine porcine) et de type H5N1 (aviaire) A propos de ce dernier la FAO met en garde
contre sa reacutesurgence au moment ougrave une souche mutante de ce virus mortel se propage en
Asie et au-delagrave avec des risques impreacutevisibles pour la santeacute humaine25
Depuis 2003 le virus
H5N1 a tueacute 331 personnes et a conduit agrave lrsquoabattage de plus de 400 millions de volailles Pregraves
de 20 milliards de dollars de dommages eacuteconomiques dans le monde lui eacutetaient imputables
avant qursquoil ne soit eacutelimineacute dans la plupart des 63 pays infecteacutes lors de son pic en 2006 Cela a
entraicircneacute une baisse des moyens de subsistance des populations pauvres de ces pays du fait de
la diminution du volume des denreacutees alimentaires disponibles pour la consommation
inteacuterieure et de la fermeture des marcheacutes drsquoexportation
Drsquoapregraves lrsquoEFSA et la FAO de nombreux travaux scientifiques affirment que des volailles
eacuteleveacutees de maniegravere extensive (les volailles domestiques) offrent un terrain favorable agrave la
peacuteneacutetration agrave la propagation et agrave la mutation des virus de la grippe26 Il srsquoagit de 200 millions
de petits aviculteurs chacun disposant de 5 agrave 15 volatiles (canards poulets oies dindes et
cailles principalement) Ils sont accuseacutes de laisser leur volaille se deacuteplacer librement pour
rechercher leur nourriture et de les enclore en plein air ce qui les expose aux virus veacutehiculeacutes
par les oiseaux sauvages Ce constat et les conclusions de lrsquoEFSA concernant la derniegravere
23
Source UNICEF httpwwwuniceffrcontenuactualite-humanitaire-unicefla-diarrhee-tue-encore-2009-10-
14 (page consulteacutee le 01092011) 24
Les toxi-infections alimentaires sont dues agrave des microorganismes tels que les bacteacuteries les virus et les
parasites ou bien aux toxines qursquoils seacutecregravetent preacutesentes dans des denreacutees alimentaires contamineacutees (Source
Autoriteacute europeacuteenne de seacutecuriteacute des aliments (EFSA)
httpwwwefsaeuropaeufrtopicstopicfoodbornediseaseshtm page consulteacutee le 14082011) 25
Source FAO httpwwwfaoorgnewsstoryfritem87249icode (page consulteacutee le 07092011) 26
Sources EFSA httpwwwefsaeuropaeufrefsajournalpub357htm et FAO
httpwwwfaoorgavianflufrqanda_frhtml5 (pages consulteacutees le 07092011)
16
eacutepideacutemie lieacutee agrave la bacteacuterie Escherichia coli en Europe27
et qui imputent le deacuteveloppement de
cette bacteacuterie agrave des graines germeacutees laquo bio raquo remettent en cause la logique de production du
modegravele agricole dit alternatif (agriculture de terroir agriculture biologique agriculture
paysannehellip)
Il srsquoagit drsquoun modegravele qui vise agrave ameacuteliorer directement les revenus des agriculteurs en se
basant sur le deacuteveloppement des cultures locales non productivistes et agrave fournir aux
consommateurs des aliments sains luttant contre lrsquoobeacutesiteacute et les effets neacutefastes de lrsquoagriculture
industrielle sur la santeacute publique Ce mouvement est neacute agrave la fin des anneacutees 1980 pour faire
face agrave la crise multidimensionnelle du modegravele agricole productiviste la surproduction la
meacutevente des produits agricoles lrsquoabaissement du niveau de vie des agriculteurs provoquant
des exodes ruraux la deacutegradation de lrsquoenvironnement les crises sanitaires renforccedilant la
meacutefiance des consommateurs ainsi que la deacuteterritorialisation de lrsquoagriculture (Dedeire 1997)
Dans cette perspective on a assisteacute au deacuteveloppement de pratiques culturales respectueuses de
lrsquoenvironnement (conduite extensive exclusion de lrsquousage drsquoorganismes geacuteneacutetiquement
modifieacutes et de produits de synthegravese pesticides engraishellip) la revalorisation de lrsquoagriculture
familiale et la promotion des produits sains etou lieacutes agrave leur origine territoriale Avant
drsquoeacutevoquer toutes les questions que suscite cette relation entre les exigences actuelles en
matiegravere de seacutecuriteacute alimentaire et le modegravele agricole alternatif nous allons preacutesenter
briegravevement les grands traits de lrsquoeacutevolution de la filiegravere agricole et agroalimentaire
2 CRISE ET MUTATION DES SYSTEMES DE PRODUCTION
AGRICOLE ET AGROALIMENTAIRE
Lrsquoagriculture et les industries agroalimentaires nrsquoeacutechappent pas non plus au mouvement qui a
marqueacute la fin des anneacutees 1960 (eacutevoqueacute plus haut) Rappelons que la structure du secteur
agroalimentaire eacutetait agrave cette eacutepoque marqueacutee par le deacuteclin de la part de lrsquoagriculture au profit
de lrsquoindustrie et des services Cela signifie selon Malassis (1973) que laquo les meacutethodes de
production et drsquoorganisation formeacutees dans les secteurs avanceacutees de lrsquoeacuteconomie occidentale
se reacutepandent dans toute la chaicircne agro-alimentaire y compris lrsquoagriculture Distribution et
production de masse sous-entend la consommation de masse raquo (p 371) Cette industrialisation
de lrsquoeacuteconomie agroalimentaire srsquoest eacutegalement accompagneacutee drsquoun mouvement de
27
La bacteacuterie Escherichia coli a fait plus de 40 deacutecegraves et 4 000 hospitalisations en Europe depuis son
deacuteclenchement en Allemagne fin avril 2011 Dans un premier temps les experts allemands ont imputeacute agrave tort
cette eacutepideacutemie agrave des concombres espagnols
(Sources httpwwwefsaeuropaeufrtopicstopicecolioutbreak2011htm
httpwwwagriculture-environnementfrspipphparticle753 pages consulteacutees le 07092011)
17
concentration puisque 50 de la production agro-industrielle mondiale a eacuteteacute produite par les
100 premiegraveres firmes majoritairement des multinationales (Malassis 1977) La majoriteacute des
agriculteurs ont ainsi cesseacute leurs activiteacutes de transformation agrave la ferme et de
commercialisation directe et sont devenus des simples fournisseurslivreurs de matiegraveres
premiegraveres Par ailleurs ils ont eacuteteacute contraints drsquoaccroicirctre leurs volumes de production en
agrandissant leurs exploitations et en employant des techniques productivistes (conduite
intensive recours agrave la meacutecanisation et aux produits chimiques) pour compenser la baisse des
prix de leurs matiegraveres premiegraveres imposeacutee par lrsquoaval de la filiegravere (IAA et grande distribution)
(Bonny 2005)
Cependant agrave partir de la crise du fordisme des anneacutees 1970 ce scheacutema a eacuteteacute fortement remis
en cause En effet diverses critiques notamment en Europe sont adresseacutees agrave lrsquoencontre de ce
systegraveme de production agricole et agroalimentaire critiques qui stigmatisent
laquo lrsquouniformisation geacuteneacutetique des races et varieacuteteacutes lrsquoagrandissement des ateliers animaux
avec une forte concentration du beacutetail ou de la volaille les pollutions une deacuteteacuterioration de la
qualiteacute de lrsquoalimentation un appauvrissement des paysages raquo (Bonny 2005 p 91) Pour faire
face agrave ces difficulteacutes le secteur agricole et agroalimentaire a eacuteteacute obligeacute de revoir son systegraveme
de production ses problegravemes drsquoinformation et de qualiteacute ainsi que les formes drsquoorganisation
interne et les relations externes des entreprises du secteur Par conseacutequent drsquoautres formes et
dispositifs de coordination ont eacuteteacute deacuteveloppeacutes en deacutefinissant des regravegles drsquoaccegraves au marcheacute au
creacutedit agrave la profession ou encore en fixant des normes de qualiteacute (Allaire et Boyer 1995)
Le cœur de cette dynamique a eacuteteacute constitueacute autour des nouvelles attentes de la socieacuteteacute des
consommateurs et des citoyens agrave savoir la production de denreacutees alimentaires saines et de
qualiteacute la preacuteservation de lrsquoenvironnement lrsquoentretien des espaces etc Cela implique une
reconsideacuteration de la position de lrsquoagriculture dans la chaicircne agroalimentaire en particulier et
de sa fonction dans la socieacuteteacute en geacuteneacuteral En effet depuis la fin des anneacutees 1980 un nouveau
concept a eacuteteacute deacuteveloppeacute pour reacutepondre agrave cette probleacutematique celui de multifonctionnaliteacute
(Mollard 2003) Ce dernier signifie lrsquoassociation de lrsquoactiviteacute agricole agrave des objectifs
multiples qui concernent non seulement ses fonctions de production alimentaire mais
eacutegalement ses fonctions environnementales (entretien des paysages preacuteservation de la
biodiversiteacute etc) et sociales (contribution positive agrave la coheacutesion eacuteconomique et sociale au
travers notamment du maintien drsquoemplois ruraux) (Aumand et al 2001 Maxime et al
18
2003) Pour faire sens ces diffeacuterentes fonctions doivent impeacuterativement ecirctre appreacutehendeacutees
globalement (Hervieu 2002)
En drsquoautres termes en produisant des denreacutees alimentaires les agriculteurs sont censeacutes
respecter la nature sol ressource en eau biodiversiteacute espace rural et atmosphegravere Par
ailleurs ils doivent prendre en consideacuteration les inquieacutetudes et les souhaits des
consommateurs en matiegravere de qualification des produits alimentaires Ces contraintes se sont
traduites par des pratiques culturales moins intensives et un eacutelargissement de la notion de
qualiteacute pour qursquoelle integravegre au-delagrave des eacuteleacutements intrinsegraveques au produit de nouveaux
critegraveres notamment les meacutethodes culturales et drsquoeacutelevage lrsquohistoire la culture lrsquoimage et le
paysage du lieu de production Autrement dit la diffeacuterenciation des produits se reacutealise par la
mobilisation de composantes du territoire de diverses natures (Lacroix et al 1998) En
somme lrsquoeacutevolution du monde agricole et agroalimentaire peut se traduire par le passage drsquoune
logique productiviste piloteacutee uniquement par des reacutefeacuterences quantitatives agrave une autre logique
fondeacutee sur le principe du laquo produire peu et mieux raquo
Les acteurs (agriculteurs instances publiques) qui se sont reacutefeacutereacutes agrave cette nouvelle logique
ont eacuteteacute ameneacutes agrave deacutevelopper des signes particuliers pour se diffeacuterencier de lrsquoagriculture
conventionnelle aux yeux des consommateurs Parmi ces signes on trouve le modegravele
drsquoindication geacuteographique (IG) neacute en Europe et de plus en plus reacutepandu au niveau mondial
(Allaire 2009 Beacuterard et Marchenay 2006) Concregravetement il srsquoagit de diffeacuterencier lrsquooffre en
donnant de la valeur agrave un signe distinctif garanti de maniegravere creacutedible par des institutions
locales et globales reconnues (Label Appellation drsquoOrigine Controcircleacuteehellip) ou par des
conventions fondeacutees sur la confiance entre les consommateurs et les agriculteurs comme en
teacutemoigne le cas des produits fermiers La qualiteacute du produit est deacutetermineacutee de plus en plus
par le lien que le client peut eacutetablir entre les caracteacuteristiques du produit et son origine Elle est
lieacutee ici laquo agrave rareteacute et agrave particulariteacute agrave petite seacuterie et agrave creacuteneau commercial agrave rente de marcheacute
et agrave prix eacuteleveacute raquo (Nicolas et Valceschini 1995 p 15) Dans ce cadre la qualiteacute drsquoun produit
est le reacutesultat drsquoun processus social (Sylvander 1995 Valceschini 1993) et territorial qui
neacutecessite un minimum de proximiteacute organisationnelle (similitude et coopeacuteration) et
institutionnelle (valeurs et normes communes) entre les acteurs concerneacutes par ce produit
(Delfosse et Letablier 1995)
Cette eacutevolution de la filiegravere agricole et agroalimentaire a donc eacuteteacute faite avec et gracircce agrave
lrsquoapparition du territoire en tant qursquoorganisation productive reacutesultat de jeux drsquoacteurs Le
19
territoire nrsquoest plus seulement conccedilu comme un reacuteservoir (ineacutegalement doteacute) de ressources
geacuteneacuteriques appropriables sur un marcheacute ouvert imitables et transfeacuterables (Colletis et
Pecqueur 1993) mais il est doreacutenavant consideacutereacute comme un lieu actif ougrave des acteurs proches
srsquoappuyant sur une forte volonteacute de valoriser en commun les ressources locales sont capables
drsquoeacutelaborer des projets de faccedilon agrave assurer un deacuteveloppement solide et durable (Gumuchian et
Pecqueur 2007) Lrsquoideacutee centrale est que la force du territoire provient principalement de sa
capaciteacute agrave reacutepondre aux besoins du systegraveme productif par une action collective et organiseacutee
par la mise en place de partenariats et de modes de coopeacuteration de toutes sortes (Courlet
2008)
Le rapprochement entre les deux eacutevolutions ndash celle de lrsquoactiviteacute agricole et agroalimentaire
drsquoun cocircteacute et celle du territoire de lrsquoautre ndash a eacuteteacute particuliegraverement incarneacute par une organisation
productive territoriale le systegraveme agroalimentaire localiseacute (Syal) lequel integravegre davantage de
dimensions drsquoordre eacuteconomique social technique et naturel (peacutedoclimatique) que drsquoautres
concepts (par exemple le bassin de production) Il permet notamment de remettre en eacutevidence
le maillon central les agriculteurs dans la chaicircne de valeur drsquoun produit alimentaire Il
regroupe les agriculteurs les industriels et les consommateurs ainsi que les acteurs publics
Les Syal expriment lrsquoinscription spatiale de la filiegravere agroalimentaire et ils sont deacutefinis
comme laquo des organisations de production et de service (uniteacutes de production agricole
entreprises agroalimentaires commerciales de services restauration) associeacutees de par leurs
caracteacuteristiques et leur fonctionnement agrave un territoire speacutecifique Le milieu les produits les
hommes leurs institutions leurs savoir-faire leurs comportements alimentaires leurs
reacuteseaux de relations se combinent dans un territoire pour produire une forme drsquoorganisation
agroalimentaire agrave une eacutechelle spatiale donneacutee raquo (CIRAD-sar 1996 p 5)
Il faut mentionner que cette notion a eacuteteacute eacutelaboreacutee agrave partir des travaux meneacutes par le Centre de
coopeacuteration internationale en recherche agronomique pour le deacuteveloppement (CIRAD) dans
les pays du Sud en Ameacuterique latine et en Afrique subsaharienne (Lopez et Muchnik 1997
Boucher 1989) Ces travaux ont mis en eacutevidence le rocircle important de lrsquoartisanat alimentaire
dans certaines villes africaines et celui de lrsquoagro-industrie rurale en Ameacuterique latine dans
lrsquoalimentation de leurs populations et la lutte contre la pauvreteacute (Requier-Desjardins 1989
2010a) Il srsquoagit de reacuteseaux localiseacutes de petites uniteacutes familiales souvent speacutecialiseacutees dans la
production drsquoun produit agroalimentaire (par exemple le cas du manioc au Cameron ou celui
de lrsquoattieacutekeacute au Beacutenin) Cette deacutemarche a permis drsquoadopter une vision inteacutegreacutee et systeacutemique
20
du fait alimentaire car elle ne seacutepare pas dans son analyse la consommation des activiteacutes de
production agricole et agroalimentaire ou le rural de lrsquourbain (Devautour et al 1998) En
geacuteneacuteral les Syal associent eacutetroitement produits techniques styles alimentaires territoires et
organisation des uniteacutes de production (CIRAD-sar 1996) Sur cette base conceptuelle
plusieurs eacutetudes de recherche ont eacuteteacute deacuteveloppeacutees notamment en Europe en Ameacuterique latine
et plus reacutecemment aux Etats-Unis28
Cependant ces eacutetudes sont marqueacutees par trois
principaux courants scientifiques Le premier concerne les systegravemes productifs localiseacutes
(SPL) crsquoest-agrave-dire des reacuteseaux localiseacutes de petites entreprises (Fourcade 2006a Requier-
Desjardins et al 2003) Le deuxiegraveme renvoie agrave la qualification territoriale des produits
alimentaires (Allaire et Sylvander 1997 Nicolas et Valceschini 1995 Hirczak et al 2004
Lacroix et al 2000) Le troisiegraveme est attacheacute agrave la question du deacuteveloppement durable (Audiot
et al 2008 Requier-Desjardins 2010b)
Pour valoriser leurs produits les Syal se reacutefegraverent drsquoune part au paysage agrave lrsquoidentiteacute agrave
lrsquohistoire et aux pratiques alimentaires drsquoun territoire bien deacutelimiteacute geacuteographiquement et
drsquoautre part agrave la capaciteacute de certains paysans et producteurs agroalimentaires artisanaux agrave
deacutevelopper des savoir-faire locaux speacutecifiques Lrsquoensemble doit ecirctre effectueacute dans une vision
durable du deacuteveloppement eacutetroitement lieacutee agrave la multifonctionnaliteacute de lrsquoagriculture
3 LA PROBLEacuteMATIQUE
31 Les problegravemes souleveacutes
Il semble que les Syal contribuent agrave la lutte contre la malnutrition reacutesultant aussi bien de la
sous-alimentation que de la suralimentation gracircce agrave la deacutemarche de qualification des produits
qursquoils mettent en œuvre (preacutesenteacutee ci-dessus) Par ailleurs cette deacutemarche permet de reacuteduire
le risque de toxi-infection en raison de la faible preacutesence de produits chimiques dans son
processus de production et de ses modes extensifs de deacuteveloppement Neacuteanmoins le deacutebat
contrasteacute autour des causes de la grippe aviaire (les pratiques domestiques des aviculteurs) et
lrsquoeacutepideacutemie lieacutee agrave la bacteacuterie Escherichia coli (les graines germeacutees laquo bio raquo) ont mis en doute
ou tout du moins relativiseacute les vertus du systegraveme de production extensif et laquo bio raquo en matiegravere
de qualification des produits alimentaires
28
La majoriteacute de ces travaux ont eacuteteacute preacutesenteacutes dans le cadre du colloque international de Gis-Syal organiseacute tous
les deux ans (httpwwwgis-Syalagropolisfr) ou dans des numeacuteros speacuteciaux de revues scientifiques (comme
par exemple Cahiers Agricultures Vol 17 Ndeg 6 2006)
21
La logique non productiviste de ce systegraveme va eacutegalement agrave lrsquoencontre des recommandations
des organismes internationaux (FAO Banque mondiale hellip) qui insistent sur lrsquoameacutelioration
de la productiviteacute du secteur agricole pour lutter contre la faim et satisfaire les besoins
alimentaires drsquoune population mondiale en croissance Pour nourrir les 9 milliards de
personnes drsquoici 2050 il faudra augmenter la production agricole mondiale de lrsquoordre de 70 agrave
100 (Burney et al 2010 ONU 2010) La question qui srsquoimpose degraves lors est de savoir si le
modegravele du deacuteveloppement laquo Syal raquo est soutenable agrave long terme
Nous nous interrogeons donc sur la capaciteacute des Syal ndash fondeacutes rappelons-le sur une logique
laquo produire peu et mieux raquo ndash agrave reacutepondre aux exigences de la seacutecuriteacute alimentaire notamment
dans sa dimension quantitative Les Syal sont-ils en mesure de relever les deacutefis imposeacutes par
ces changements Ceci nous renvoie agrave la question de la dynamique historique et des
trajectoires drsquoeacutevolution des systegravemes locaux Ces derniers doivent en effet constamment
deacutemontrer leur capaciteacute agrave rebondir en fonction des contraintes inteacuterieures et exteacuterieures
(Courlet et Dimou 1995 Garofoli 1992) Toutefois nous nous demandons comment ces
systegravemes peuvent eacutevoluer tout en conservant leur identiteacute Quelles sont dans ce cas les voies
que pourraient emprunter les Syal
Cette question de lrsquoeacutevolution des Syal a eacuteteacute traiteacutee plus particuliegraverement au sein drsquoun ouvrage
collectif intituleacute Coopeacuteration territoires et entreprises agroalimentaires (Fourcade et al
2010) dans lequel lrsquoideacutee eacutetait de savoir quelles sont les nouvelles formes de coopeacuteration qui
peuvent aider les entreprises des filiegraveres de production agrave srsquoadapter agrave un environnement en
mutation et en quoi le territoire peut intervenir comme variable significative dans ce
processus Le cadre environnemental eacutevoqueacute renvoie aux exigences relevant du
deacuteveloppement durable agrave lrsquoeacutevolution des socieacuteteacutes rurales et aux interactions entre le monde
industriel et le monde rural aux attentes des consommateurs en matiegravere de qualiteacute sanitaire
des produits et des cultures alimentaires ainsi qursquoaux rocircles que peuvent jouer les Syal dans
les dynamiques territoriales La question des exigences quantitatives de la seacutecuriteacute alimentaire
ne faisait donc pas partie de ce cadre environnemental et ce parce que les eacutetudes de cas
autour des Syal preacutesenteacutes dans cet ouvrage se sont deacuterouleacutees en France
Notre principale interrogation porte alors sur la capaciteacute des Syal agrave satisfaire des besoins
alimentaires accrus compte tenu de conditions naturelles de moins en moins favorables agrave la
production agricole de la croissance deacutemographique et de lrsquoeacutevolution des niveaux de
22
consommation associeacutee agrave lrsquoaccroissement de lrsquourbanisation et agrave lrsquoeacuteleacutevation des revenus des
meacutenages Est-il en effet possible de substituer la logique du laquo produire assez et mieux raquo agrave
celle du laquo produire peu et mieux raquo sans reproduire le modegravele agricole productiviste
32 La thegravese
Pour appreacutehender cette probleacutematique nous avons observeacute le Systegraveme Oleacuteicole dans lrsquoEspace
de Saiumls-Meknegraves (SOM) au Maroc Ce dernier a pour particulariteacute drsquoecirctre en train de se
transformer en mettant lrsquoaccent sur lrsquoindustrialisation de sa phase de transformation avec deux
objectifs principaux 1) augmenter sa production 2) rendre son huile drsquoolive exportable en
respectant les normes internationales de qualiteacute Cette eacutetude preacutesente un grand inteacuterecirct tant sur
le plan theacuteorique que meacutethodologique En effet elle nous permet de suivre de pregraves lrsquoeacutevolution
drsquoun Syal soumis agrave des contraintes internes et externes et drsquoobserver les changements tant
structurels que fonctionnels qui peuvent se reacuteveacuteler au cours de ce processus La question qui
srsquoimpose est de savoir srsquoil nrsquoy a pas un risque de deacuteterritorialisation des ressources ndash
attacheacutees en grande partie au monde rural et aux modes artisanaux de transformation ndash et
donc le risque de perdre le caractegravere local de ses produits pourtant piegravece maicirctresse des Syal
Nous pouvons eacutegalement nous demander si ce dernier est au contraire capable de requalifier
etou de deacutevelopper de nouvelles ressources territoriales qui garantissent cependant toujours
une couleur locale agrave ses produits Le cas du SOM peut nous aider agrave eacutevaluer lrsquoimpact de
lrsquoindustrialisation de la transformation drsquohuile drsquoolive sur son processus de qualification
territoriale Lrsquoobservation du SOM a eacuteteacute reacutealiseacutee agrave partir drsquoune enquecircte de terrain et
drsquoentretiens avec les acteurs principaux du SOM Nous verrons alors dans quelle mesure
lrsquoindustrialisation voulue par la filiegravere oleacuteicole locale modifie le processus de valorisation des
ressources territoriales et par conseacutequent celui de la requalification de son produit principal
en lrsquooccurrence lrsquohuile drsquoolive En drsquoautres termes toute industrialisation des Syal visant
lrsquoaugmentation de leur productiviteacute conduit-elle agrave faire perdre la qualiteacute territoriale de
leurs produits alimentaires Plus simplement est-il envisageable et possible de produire
plus et mieux
Nous pensons que ce processus sera modifieacute par lrsquoadaptation de ses ressources aux mutations
de son environnement et surtout de la territorialisation des nouveaux intrants Ceci nous
permet alors de voir si le deacuteveloppement drsquoun Syal ne tient qursquoagrave lrsquoexistence des ressources
territoriales lieacutees agrave la rentre rurale et aux techniques artisanales ou si agrave lrsquoinverse un Syal est
capable de deacutevelopper des ressources territoriales en termes de compeacutetences et drsquoorganisation
23
technique et sociale davantage lieacutees agrave une eacuteconomie de production Peut-on donc avancer
lrsquohypothegravese de lrsquoexistence deux grandes familles de Syal Drsquoun cocircteacute les Syal que nous
qualifions drsquoagricoles ougrave srsquoarticulent deux lectures celle de lrsquoeacuteconomie rurale et celle de
lrsquoeacuteconomie spatiale De lrsquoautre les Syal dits industriels agrave partir desquels est entreprise une
reacuteflexion relative aux relations entre dynamique agro-industrielle et dynamique spatiale
Lrsquoobjectif est drsquoune part de parvenir agrave une lecture articuleacutee des dynamiques agricoles et
agro-industrielles et des dynamiques territoriales Il srsquoagit drsquoautre part de saisir agrave partir
de lrsquoeacutetude des Syal la nature des relations drsquointerdeacutependances qui se nouent entre la
seacutecuriteacute alimentaire (avec ses dimensions quantitatives et qualitatives) et leur dynamique
eacutevolutive Pour mettre en eacutevidence cette relation il est neacutecessaire drsquoeacutevoquer lrsquoeacutetat actuel de la
seacutecuriteacute alimentaire avant de traiter les fondements conceptuels et theacuteoriques du Syal Ces
deux premiers temps de la reacuteflexion constituent un preacutealable agrave lrsquoeacutetude du SOM lequel permet
de montrer comment le Syal fait face agrave la nouvelle exigence du laquo Produire plus mais mieux raquo
Le premier chapitre est consacreacute agrave la seacutecuriteacute alimentaire au niveau mondial et plus
preacuteciseacutement agrave la particulariteacute des crises alimentaires qui ont marqueacute le deacutebut du XXIegraveme
siegravecle Nous verrons que parmi les causes principales de ces crises nous trouvons les
deacuteseacutequilibres au niveau du commerce international agricole et la marginalisation des
agricultures familiales (la majoriteacute des pauvres souffrant de la faim sont des paysans
familiaux) Nous indiquerons que lrsquoissue de la crise alimentaire passe neacutecessairement par la
revalorisation de ces agricultures et ce en raison des rocircles eacuteminemment sociaux et
eacuteconomiques qursquoelles jouent Les agriculteurs familiaux sont en effet aussi les garants de
lrsquoauthenticiteacute et de lrsquoancrage local des pratiques agricoles et des transformations
alimentaires cette garantie eacutetant consideacutereacutee en geacuteneacuteral comme un eacuteleacutement de base de
lrsquoenracinement territorial de la filiegravere agricole et agroalimentaire Cette dimension est
lrsquoobjet du deuxiegraveme chapitre Dans le troisiegraveme chapitre nous abordons lrsquohypothegravese de
plusieurs processus de qualification et de speacutecification des produits alimentaires dans le cadre
du Syal Par conseacutequent nous essayerons de preacutesenter une nouvelle typologie des Syal qui
constituera dans le quatriegraveme chapitre la base de notre grille de lecture du Systegraveme Oleacuteicole
dans lrsquoEspace de Saiumls-Meknegraves (SOM) notamment son processus de production et de
qualification de lrsquohuile drsquoolive
24
PREMIERE PARTIE
LA SECURITE ALIMENTAIRE ET LrsquoEVOLUTION
DU SECTEUR AGRICOLE ET AGROALIMENTAIRE
25
Bien que la crise alimentaire de 2008 nrsquoait pas eu cette fois-ci la rupture de stock comme
eacuteleacutement deacuteclencheur elle a reacuteveacuteleacute la fragiliteacute du secteur agricole qui subit une crise profonde
et rencontre de seacuterieux problegravemes de deacuteveloppement un peu partout dans le monde Jusqursquoagrave
reacutecemment le modegravele de fonctionnement agricole baseacute sur des structures de productions
industrielles et individuelles srsquoest imposeacute comme seul modegravele de reacutefeacuterence pour transformer
lrsquoagriculture et permettre son eacutepanouissement agrave la fois eacuteconomique et social Autrement dit le
plus souvent la modernisation agricole est reacuteduite agrave ses dimensions techniques et se confond
avec lrsquoadoption drsquoun modegravele productiviste tregraves lieacute au deacuteveloppement du capitalisme
neacutecessitant des financements importants et permettant une production de masse agrave des coucircts
peu eacuteleveacutes
On constate que le trait marquant de cette eacutevolution reacuteside dans lrsquoeacutemergence drsquoune geacuteographie
agricole fortement tourneacutee vers la dimension eacuteconomique Il en reacutesulte que tous les pays du
Nord ont vu se substituer agrave la culture paysanne un systegraveme plus complexe ougrave une agriculture
moderniseacutee et bien inseacutereacutee dans le complexe agro-industriel se taille une place croissante
Quant aux pays du Sud on assiste au deacuteveloppement des entreprises agricoles exportatrices
au deacutetriment de lrsquoagriculture vivriegravere Ce modegravele drsquoentreprise agricole doit en permanence
faire face agrave lrsquoincertitude et agrave lrsquoinstabiliteacute des marcheacutes dans la mesure ougrave il se caracteacuterise par
une situation de forte deacutependance des pays importateurs et des speacuteculateurs Deacutependance au
niveau de la production car ces agriculteurs produisent essentiellement pour le marcheacute de
masse et investissent constamment quand crsquoest possible pour ameacuteliorer leurs moyens de
production jusqursquoagrave se mettre en situation financiegravere difficile Deacutependance aussi pour
satisfaire leur niveau de consommation et en particulier les besoins alimentaires de la
famille (Lamarche 1992)
Lrsquoobjectif nrsquoest donc plus drsquoassurer la seacutecuriteacute alimentaire des pays mais drsquoameacuteliorer les
reacutesultats financiers de lrsquoentreprise agricole dans le secteur agricole et agroalimentaire dont la
particulariteacute repose sur la complexiteacute de ses rocircles eacuteconomiques et sociaux Cette strateacutegie nrsquoa
pas seulement contribueacute agrave la deacutegradation environnementale de notre planegravete mais aussi agrave
lrsquoaccroissement de la volatiliteacute des cours alimentaires soit agrave la baisse en provoquant des
exodes ruraux massifs soit agrave la hausse en entraicircnant des eacutemeutes de la faim Ce mode de
reacutegulation srsquoest aveacutereacute inefficace et inadeacutequat face aux nouvelles logiques de changements Il
est incapable de maintenir les distorsions et les deacuteseacutequilibres qui naissent en permanence du
systegraveme lui-mecircme Autrement dit ses meacutecanismes et ses institutions qui ont permis le
26
fonctionnement du systegraveme dans des peacuteriodes plus moins stables sont incapables de reacutesorber
ou au moins drsquoeacutetaler dans le temps les distorsions produites par lrsquoaccumulation au sein du
systegraveme capitaliste agricole (Allaire et Boyer 1995)
Ces diffeacuterents eacuteleacutements ont pousseacute agrave lrsquoeacutemergence drsquoun nouveau mode de pratiques agricoles
dont la formation des traits et des regravegles nrsquoest pas encore totalement acheveacutee mais on peut
deacutejagrave constater un mouvement de retrait de la part de certains agriculteurs dans les pays
deacuteveloppeacutes avec le retour des pratiques agricoles anciennes comme lrsquoagriculture biologique
ou la vente de proximiteacute Lrsquoobjectif est de consommer des produits alimentaires de qualiteacute et
en mecircme temps de reacuteduire les effets neacutefastes de la malnutrition On peut eacutegalement remarquer
de plus en plus un engouement pour promouvoir lrsquoagriculture familiale afin de reacuteduire
lrsquoinseacutecuriteacute alimentaire notamment dans les pays du Sud crsquoest une tendance orienteacutee vers
des pratiques agricoles baseacutees sur deux principes Le premier est celui de produire peu avec
une grande qualiteacute Quant au deuxiegraveme il srsquoappuie sur des transactions commerciales
eacutequitables Degraves lors comment la promotion de lrsquoagriculture familiale pourrait-elle ecirctre un
vecteur de la seacutecuriteacute alimentaire (chapitre 1) Plus preacuteciseacutement comment les agricultures et
les productions agroalimentaires baseacutees notamment sur la qualification territoriale des
produits peuvent-elles affecter la seacutecuriteacute alimentaire (chapitre 2)
27
CHAPITRE 1
LrsquoAGRICULTURE FAMILIALE COMME
VECTEUR PRINCIPAL DE LA SECURITE
ALIMENTAIRE
28
Lrsquoobjet du preacutesent chapitre sera focaliseacute dans un premier temps sur lrsquoanalyse de la
particulariteacute des crises alimentaires causes et solutions Nous tenterons drsquoexposer les
principaux facteurs structurels et conjoncturels de lrsquoinseacutecuriteacute alimentaire notamment ceux
qui concernent le choc alimentaire de 2008 Il sera aussi question de traiter lrsquoimpact des
diffeacuterentes strateacutegies de commerce agricole international dans un contexte de
deacutereacuteglementation des eacutechanges agricoles (section 1) Dans un deuxiegraveme temps nous mettrons
en eacutevidence le rocircle important que pourrait jouer lrsquoagriculture familiale dans lrsquoameacutelioration de
la seacutecuriteacute alimentaire (section 2)
SECTION 1 LA SEacuteCURITEacute ALIMENTAIRE ENTRE DISPONIBILITEacute
ET LIBRE EacuteCHANGE
Dans cette section nous allons dans un premier temps preacutesenter et discuter les principales
analyses qui ont traiteacute la question de lrsquoinseacutecuriteacute alimentaire et qui nous servirons par la suite
agrave cerner la derniegravere crise alimentaire de 2008 dans laquelle la question de la speacuteculation a joueacute
un rocircle crucial Nous deacutevelopperons alors dans la deuxiegraveme partie de cette section la
question de la speacuteculation qui ne cesse de se deacutevelopper du fait de la nature et de lrsquoeacutevolution
du commerce international des produits alimentaires
11 Les crises alimentaires du XXIegraveme siegravecle rupture ou continuiteacute
Il nous semble qursquoun deacutetour sur la notion de la seacutecuriteacute alimentaire est neacutecessaire pour
comprendre dans un deuxiegraveme temps la nature et les caracteacuteristiques des crises alimentaires
qui frappent deacutejagrave le deacutebut du XXIegraveme
siegravecle
111 La seacutecuriteacute alimentaire concept et eacutevolution
La notion de seacutecuriteacute alimentaire est apparue lors de la Confeacuterence alimentaire mondiale agrave
Rome en 1975 en reacuteponse au nombre de plus en plus important de personnes affecteacutees par la
faim au deacutebut des anneacutees 1970 Au deacutebut la notion a eacuteteacute limiteacutee aux disponibiliteacutes
alimentaires et il a fallu attendre la Confeacuterence internationale FAOOMS sur la nutrition
(FAO-OMS 1992) pour eacutelargir le champ theacuteorique du concept de la seacutecuriteacute alimentaire en le
deacutefinissant comme laquo lrsquoaccegraves de tous agrave tout moment agrave une alimentation suffisante pour mener
29
une vie saine et active29
raquo En plus de lrsquoaccegraves aux denreacutees cette deacutefinition a ajouteacute une autre
dimension celle de droit humain agrave une alimentation adeacutequate30
En 1996 le Sommet mondial
de lrsquoalimentation a paracheveacute la deacutefinition preacuteceacutedente en inteacutegrant drsquoautres critegraveres de nature
socio-eacuteconomique qui affirment le caractegravere multidimensionnel de la seacutecuriteacute alimentaire
Pour les 181 pays signataires de la deacuteclaration du Sommet la laquo seacutecuriteacute alimentaire est
assureacutee quand toutes les personnes en tout temps ont eacuteconomiquement socialement et
physiquement accegraves agrave une alimentation suffisante sucircre et nutritive qui satisfait leurs besoins
nutritionnels et leurs preacutefeacuterences alimentaires pour leur permettre de mener une vie active et
saine31
raquo
Cette deacutefinition a eacuteteacute le reacutesultat des diffeacuterents travaux theacuteoriques et empiriques agrave savoir les
diffeacuterents rapports des organismes internationaux notamment ceux de lrsquoOrganisation des
Nations-Unies pour lrsquoAlimentation et de lrsquoAgriculture (FAO) de lrsquoOrganisation Mondiale de
la Santeacute (OMS) ou de la Banque Mondiale (BM) ainsi que les diffeacuterents apports conceptuels
et theacuteoriques deacuteveloppeacutes principalement par Amartya Sen(1981) avec sa theacuteorie de la famine
ou Chambers et Conway (1992) avec le concept de laquo Sustainable Livelihoods raquo En
conseacutequence aujourdrsquohui la notion de la seacutecuriteacute alimentaire implique lrsquoentreacutee drsquoune varieacuteteacute
de disciplines comprenant lrsquoeacuteconomie agricole lrsquoeacuteconomie industrielle la science politique
lrsquoagronomie la botanique la nutrition la santeacute la sylviculture la geacuteographie et
lrsquoanthropologie entre autres
Nous ne retournons pas sur les diffeacuterentes meacuteriteacutes de ce reacutesultat de travail eacutepisteacutemologique
mais au moins une meacuteriteacute vaut drsquoecirctre distingueacutee agrave savoir lrsquointeacutegration de la malnutrition dans
lrsquoinseacutecuriteacute alimentaire Si la famine entraicircne souvent la mort de milliers de personnes la
malnutrition a eacutegalement drsquoautres conseacutequences neacutefastes La malnutrition32
(la faim
insoupccedilonneacutee) peut causer la maladie la ceacuteciteacute et la mort preacutematureacutee ou alteacuterer le
deacuteveloppement cognitif des survivants Il en reacutesulte que la nourriture ne doit pas seulement
ecirctre disponible et accessible mais doit aussi preacutesenter une qualiteacute et une diversiteacute adeacutequates en
en termes de densiteacute eacutenergeacutetique
29
Source httpwwwfaoorgdocrep003w3613fw3613f00HTM (page consulteacutee le 240708) 30
Une alimentation adeacutequate est une alimentation qui preacutesente une qualiteacute et une diversiteacute adeacutequates en termes
de densiteacute eacutenergeacutetique 31
Source httpwwwfaoorgdocrep003w3613fw3613f00HTM (page consulteacutee le 240708) 32
Ce concept renvoie souvent au bilan nutritionnel qui est eacutetabli sur la base du bilan alimentaire (lrsquoensemble des
produits utiliseacutes pour la consommation humaine dans un pays donneacute) en transformant les quantiteacutes physiques de
produits en calories et en nutriments agrave lrsquoaide des tables de composition des aliments (Malassis 1973)
30
Depuis la prise de conscience de lrsquoimportance de la seacutecuriteacute alimentaire il y a presque
quarante ans le monde a multiplieacute la production alimentaire et compte assez de nourriture
pour nourrir lrsquointeacutegraliteacute de la population mondiale Entre 1961 et 2005 la production
agricole a pratiquement tripleacute en termes reacuteels avec une hausse moyenne de 23 par an soit un
rythme tregraves supeacuterieur agrave celui de la croissance deacutemographique mondiale (Carfantan 2009) En
deacutepit de ces bons reacutesultats le monde compte 925 millions de personnes souffrant de la faim
malnutries en 2010 (graphique 3)
Graphique 3 Le nombre de personnes (en millions) souffrant de la faim par reacutegion en 2010
Source FAO (2010a)
Ces chiffres illustrent bien la difficulteacute de tenir lrsquoengagement pris par la communauteacute
internationale lors de lrsquoAssembleacutee geacuteneacuterale des Nations-Unies en 2001 agrave savoir reacuteduire de
moitieacute lrsquoincidence de la faim agrave lrsquohorizon 2015 En effet apregraves une tendance agrave la baisse de la
proportion de personnes sous- alimenteacutees dans les pays en deacuteveloppement on remarque de
plus en plus de personnes qui souffrent drsquoune inseacutecuriteacute alimentaire transitoire causeacutee par des
chocs eacuteconomiques ou naturels et qui rejoignent celles qui tombent sous les niveaux de
consommation adeacutequats durant la basse saison voire celles qui ne reccediloivent jamais agrave manger
en suffisance (graphique 4)
31
Graphique 4 Nombre de personnes sous-alimenteacutees dans le monde entre 1969-1971 et 2010
Source FAO (2010a)
Il en reacutesulte que la question de lrsquoinseacutecuriteacute alimentaire nrsquoest pas encore reacutegleacutee et que la
question de lrsquoalimentaire reste donc un enjeu majeur culturel sanitaire politique
eacuteconomique et agronomique Plusieurs facteurs ont eacuteteacute avanceacutes pour expliquer cette situation
contradictoire entre les gens qui souffrent du manque de nourriture et lrsquoabondance de la
production alimentaire Des facteurs qursquoon peut classer selon leur endogeacuteneacuteiteacute ou leur
exogeacuteneacuteiteacute par rapport au systegraveme alimentaire Les premiers facteurs concernent tous les
eacuteleacutements internes au systegraveme alimentaire on trouve en premier lieu la production agricole agrave
savoir la capaciteacute du secteur agricole agrave fournir suffisamment de denreacutees alimentaires en
correacutelation avec cet important facteur on trouve les conditions climatiques qui ne cessent de
se deacutegrader en raison du deacuteregraveglement climatique Quant aux facteurs dits exogegravenes ils
concernent les autres dimensions de lrsquoinseacutecuriteacute alimentaire en particulier les dimensions
sociales (deacutemographie comportement des consommateurs urbanisme) et les dimensions
eacuteconomiques (accessibiliteacute agrave la nourriture revenuhellip)
A) Production alimentaire et seacutecuriteacute alimentaire
Mecircme si la planegravete produit assez de nourriture pour satisfaire les besoins alimentaires de sa
population totale actuelle et si elle pratique dans certaines reacutegions des politiques visant agrave
reacuteduire la production (quotas jachegravere pour limiter les exceacutedentshellip) la seacutecuriteacute alimentaire de
certaines populations et des futures geacuteneacuterations ne doit pas ecirctre consideacutereacutee comme acquise du
32
fait notamment du manque de moyens financiers ou techniques (infrastructure) et
drsquoincertitudes lieacutees aux peacutenuries croissantes en ressources naturelles La production inteacuterieure
par habitant de denreacutees alimentaires de base est en deacuteclin Selon le rapport de la Banque
Mondiale de 2008 sur lrsquoinseacutecuriteacute alimentaire certains pays33
ont tous afficheacute entre 1995 et
2004 des taux de croissance annuels par habitant neacutegatifs pour les denreacutees alimentaires de
consommation courante Sans aucun doute la baisse ou dans le meilleur des cas la stagnation
de la production inteacuterieure pose un problegraveme reacuteel de disponibiliteacute alimentaire au niveau
national
Pour faire face agrave lrsquoinseacutecuriteacute et agrave lrsquoindeacutependance alimentaire les populations de ces pays
devront augmenter leurs productions alimentaires Pour y arriver il faut absolument associer
drsquoune faccedilon harmonieuse les facteurs la terre lrsquoeau et les ressources geacuteneacutetiques animales et
veacutegeacutetales avec des technologies approprieacutees des capitaux de la main drsquoœuvre des
infrastructures et des institutions En effet cette association a permis agrave beaucoup de pays de
multiplier leur production alimentaire en deacutepit de la baisse des disponibiliteacutes en ressources
naturelles drsquoun cocircteacute et drsquoameacuteliorer les conditions de vie de leurs paysans et pecirccheurs de
lrsquoautre Malheureusement les paysans et les pecirccheurs sont geacuteneacuteralement les premiegraveres
victimes en cas drsquoinseacutecuriteacute alimentaire les trois-quarts des personnes qui souffrent de la
faim sont en effet des paysans ou drsquoanciens paysans condamneacutes auparavant par la pauvreteacute agrave
eacutemigrer vers les bidonvilles des agglomeacuterations urbaines ou parfois dans des camps de
reacutefugieacutes (Conseil Economique et Social 2008) Au Maroc par exemple 15 de population
rurale est pauvre contre seulement 5 dans le milieu urbain Mais crsquoest le Soudan qui
illustre bien cette situation contradictoire 85 de sa population rural est pauvre alors qursquoil
dispose de 84 millions drsquohectares de terres cultivables et 80 millions drsquohectares de
pacircturages34
soit 30 des terres arables des pays arabes (Banque Mondiale 2009)
Il ne suffit pas donc de disposer des grands potentiels agricoles et drsquoecirctre producteurs de
denreacutees alimentaires pour ne pas souffrir de la faim Les petits producteurs pauvres
majoritairement des paysans nrsquoont pas les moyens drsquoinvestir en mateacuteriel technique en
matiegraveres premiegraveres en logistique Crsquoest la raison pour laquelle ils ne disposent que drsquooutils agrave
main (des machettes des becircches et des faucilles) pour travailler et par conseacutequent ils ne
33
Parmi ces pays on trouve principalement le Burundi lrsquoEthiopie le Kenya Madagascar le Nigeacuteria le Soudan
la Tanzanie et la Zambie le Niger le Malawi le Rwanda le Burkina Faso le Tchad le Kenya lrsquoOuganda et le
Yeacutemen 34
Source httpwwwfaoorgagAGPAGPCdocCounproffrenchtradsudan_frSudan_frhtm (page consulteacutee
le 2022010)
33
cultivent que des petites surfaces (moins de 1 ha) souvent sans engrais semences
seacutelectionneacutees ou produits phytosanitaires pour lutter contre les ravageurs de leurs reacutecoltes 32
pays (tableau 1) dont la majoriteacute souffre de la malnutrition emploient entre 0 et 1 tracteur par
hectare Dans le monde drsquoaujourdrsquohui lrsquoeacutecart de productiviteacute entre la culture manuelle la
moins performante et la culture meacutecaniseacutee la plus performante est de lrsquoordre de 1 agrave 1 000 et
mecircme plus (Conseil Economique et Social 2008)
Tableau 1 Nombre de tracteurs par 1000 ha en 2006
Pays Nombre de tracteurs par 1000ha
Niger 00 Gambia 03
Central African Republic 00 Bangladesh 04
Togo 00 Burkina Faso 04
Chad 00 Malawi 05
Rwanda 00 Timor-Leste 05
Guinea-Bissau 01 Mali 06
Comoros 01 Solomon Islands 06
Afghanistan 01 Eritrea 07
Cameroon 01 Bhutan 08
Sierra Leone 01 Mauritania 08
Haiti 02 Nigeria 08
Burundi 02 Liberia 08
Madagascar 02 Uganda 09
Ethiopia 02 Ghana 09
Indonesia 02 Lao Peoplersquos Democratic Republic 09
Senegal 02 Sudan 10
Source Banque Mondiale (2008)
Il existe un clivage important entre une culture moderne connecteacutee aux marcheacutes globaux
largement soutenue financiegraverement par les pouvoirs publics et recourant agrave des techniques tregraves
intensives en capital mais employant tregraves peu de main-drsquoœuvre et une agriculture paysanne
traditionnelle agrave base de petites exploitations subsistant difficilement et ne parvenant agrave se
brancher ni sur les marcheacutes urbains nationaux ni agrave vendre agrave lrsquointernational La culture
motoriseacutee beacuteneacuteficie eacutegalement des investissements massifs en recherche et deacuteveloppement
(RampD) agricole Les pays en deacuteveloppement investissent neuf fois moins que les pays
34
industrialiseacutes en RampD agricole (Banque Mondiale 2008) Les petits agriculteurs pauvres
produisent ainsi peu ce qui ne correspond pas agrave la demande croissante locale (reacutegionale ou
nationale) voire agrave leurs propres besoins
De toute eacutevidence lrsquoinvestissement en RampD et lrsquoemploi des techniques modernes sont une
neacutecessiteacute pour augmenter la productiviteacute des petites exploitations agricoles et par conseacutequent
reacutecompenser les pertes de production des terres (souvent les plus fertiles) victimes des
pratiques intensives de lrsquourbanisation accrue du deacuteveloppement des infrastructures du
deacutetournement croissant des ressources en eau vers lrsquoindustrie et particuliegraverement de la
seacutecheresse ainsi que lrsquoavancement des biocarburants Et laquo cette tendance semble irreacutemeacutediable
avec la baisse des innovations technologiques et de la productiviteacute lrsquoaugmentation des
contraintes physiques par lrsquoeacuterosion des sols la pollution lrsquoeacutepuisement des nappes la
disparition des matiegraveres organiques et lrsquoaugmentation des saliniteacutes des terres irrigueacutees raquo
(Azoulay 1998 p26)
Effectivement on constate un recul des terres cultiveacutees notamment celles destineacutees agrave
produire des aliments consommeacutes localement et deacutetenues majoritairement par les petits
proprieacutetaires LrsquoInde deuxiegraveme pays apregraves les Etats-Unis en termes de surfaces cultiveacutees a vu
ses surfaces moyennes par exploitation diminuer de 40 depuis 1970-71 pour atteindre 14
hectare en 1995-96 (Pontvianne 2007) Sa production de ceacutereacuteales nrsquoa progresseacute que de 46
depuis le milieu des anneacutees quatre-vingt au lieu de 88 vingt-cinq ans avant La Chine voit
eacutegalement un recul important de ses terres exploitables du fait du deacuteveloppement
drsquoinfrastructures et de lrsquoexplosion deacutemographique Ainsi laquo depuis 1979 la Chine perd en
moyenne 500 000 hectares de terres agricoles par an Les seules surfaces rizicoles perdues
repreacutesentent en moyenne 100 000 hectares soit lrsquoeacutequivalent drsquoune production susceptible de
satisfaire les besoins de la moitieacute de lrsquoaccroissement de la population chaque anneacutee raquo
(Carfantan 2008 p37)
Le mecircme constat peut ecirctre fait au Maghreb et dans une grande partie de lrsquoAfrique ougrave
lrsquoagriculture contribue encore pour beaucoup aux variations du PIB en raison notamment de
la seacutecheresse (FAO 2010b) Quant aux pays drsquoAmeacuterique latine il est vrai qursquoils disposent
encore de grandes terres arables mais elles sont soit malheureusement sous exploiteacutees agrave
cause du systegraveme agraire soit destineacutees de plus en plus aux agrocarburants agrave la place des
cultures vivriegraveres Cette tendance agrave la baisse des terres arables devrait continuer Dans le
monde arabe par exemple on estime que la superficie de terre arable par habitant devrait ecirctre de
35
012 hectares en 2050 en chute de 63 par rapport agrave son niveau des anneacutees 1990 (Banque
Mondiale 2009)
Un constat similaire vaut pour les pays occidentaux et ceux de lrsquoex-URSS Pour les premiers
les emblavements35
sont plus instables aux Eacutetats-Unis (60 au lieu de 65 millions drsquohectares
enregistreacutees au deacutebut des anneacutees quatre-vingt-dix) ou volontairement reacuteduits en raison de la
politique de jachegravere pratiqueacutee par lrsquoUE (la superficie des terres arables a diminueacute en Europe
de 09 par an entre 1961-1963 et 2006-07) (Carfantan 2008) Pour les pays de lrsquoex-URSS
la production a connu une chute due notamment au passage agrave lrsquoeacuteconomie de marcheacute et aux
soutiens massifs agrave leurs agriculteurs Au cours des vingt derniegraveres anneacutees une tendance
inverse a eacuteteacute observeacutee dans nombre drsquoEacutetats nouvellement indeacutependants la transformation
eacuteconomique ayant entraicircneacute une diminution significative de la superficie utiliseacutee pour la
production agricole Ainsi entre 1990 et 2007 la superficie totale ensemenceacutee en cultures a
diminueacute de 1177 millions agrave 764 millions drsquohectares en Russie et de 324 millions agrave 261
millions drsquohectares en Ukraine (OCDE 2009a)
La progression de la production alimentaire (mentionneacutee au-dessus) nrsquoest pas donc due agrave une
extension sensible des terres cultiveacutees mais plutocirct au systegraveme des reacutecoltes multiples
(intensification des cultures) et au deacuteveloppement de lrsquoagrochimie Le taux drsquointensification a
connu une croissance reacuteguliegravere entre les anneacutees 1961-1963 et 2006-2007 plus de 25 pour
lrsquoAfrique et plus de 16 pour lrsquoOceacuteanie (FAO-OCDE 2009) La production mondiale de
ceacutereacuteales par exemple a connu une hausse de plus de 19 entre 1994-1996 et 2007 avec
pratiquement la mecircme superficie (tableau 2)
Tableau 2 Superficie reacutecolteacutee et production de ceacutereacuteales Superficies cultiveacutees
(1000ha)
Production
(1000 tonnes)
1994-1996 1999-2001 2005 2006 2007 1994-1996 1999-2001 2005 2006 2007
695 251 672 078 690 589 684 551 695 599 1 975 419 2 084 410 2 267 177 2 239 236 2 351 396
Source FAO (2009a)
Le peu drsquoextension des terres cultiveacutees reacutealiseacute entre 1961 et 2005 environ 13
drsquoaugmentation est ducirc principalement agrave la deacuteforestation 13 millions drsquohectares deacuteboiseacutees
chaque anneacutee agrave lrsquoeacutechelle mondiale selon la Banque Mondiale (2008) Lrsquoextension des terres
35
Crsquoest-agrave-dire terre ougrave du bleacute (ou autre graine) a eacuteteacute nouvellement semeacute (le petit Larousse 2006)
36
cultiveacutees est plutocirct le fait de pays qui confronteacutes agrave des besoins croissants en denreacutees
alimentaires et en emplois ne disposent que drsquoun accegraves limiteacute aux technologies susceptibles
de faciliter les cultures intensives Au niveau mondial on constate une reacuteduction drastique de
la superficie des terres cultivables par tecircte (figure 1)
Figure 1 La reacuteduction drastique des surfaces agricoles par tecircte
Source FAO (2008a)
En 2006-2007 la superficie des terres cultivables eacutetait estimeacutee agrave 142 milliards drsquohectares
soit 1356 millions drsquohectares de plus qursquoen 1961-63 (+ 105 ) ce qui repreacutesente une
augmentation annuelle moyenne de 02 seulement Les experts de la FAO tablent tout de
mecircme sur la poursuite de la progression alimentaire avec un rythme de croissance toutefois
de moins en moins soutenu notamment dans les pays deacuteveloppeacutes Effectivement diverses
eacutetudes indiquent que les rendements nrsquoaugmentent plus aussi vite drsquoougrave lrsquoimpression geacuteneacuterale
que la mise au point de nouvelles technologies ne se fait plus au mecircme rythme qursquoautrefois
(FAO-OCDE 2009) Un ralentissement de la croissance des rendements ducirc en partie agrave une
moindre efficaciteacute des apports drsquoengrais La deacutegradation de lrsquoenvironnement (eacuterosion et
salinisation des sols pollution de lrsquoatmosphegravere) et lrsquoeacutepuisement des ressources en eau ainsi
37
que le reacutechauffement du climat vont peser des menaces seacuterieuses dans certaines reacutegions
Quant aux biotechnologiques malgreacute des applications prometteuse dans certains domaines
(maiumls en particulier) elles ne devraient pas permettre un saut spectaculaire de la productiviteacute
agricoles dans les prochaines deacutecennies (Beauval et Dufumie 2006) Ce sont ces constats qui
ont ameneacute Brown et Kane (1995) du Worldwatch Institute de conclure que le temps des
exceacutedents est reacutevolu Le monde srsquoachemine vers des graves crises alimentaires reacutesultant
notamment de lrsquoincapaciteacute des pays exportateurs agrave reacutepondre agrave lrsquoexplosion de la demande de
la Chine Il faut donc srsquoattendre agrave une envoleacutee des prix agricoles dans les premiegraveres deacutecennies
du XXIegraveme
siegravecle
B) Changement climatique et seacutecuriteacute alimentaire
En plus de lrsquourbanisation de lrsquoemploi des meacutethodes archaiumlques certaines reacutegions (Afrique de
lrsquoEst et Maghreb notamment) souffrent eacutegalement du manque des ressources hydriques Ce
pheacutenomegravene trouve principalement ses raisons dans la seacutecheresse que connaissent certains
pays depuis le deacutebut des anneacutees 1970 La seacutecheresse deacutefinie comme une anomalie climatique
caracteacuteriseacutee par le manque ou lrsquoabsence totale de preacutecipitations deacutebouche sur une baisse des
ressources hydriques des riviegraveres des fleuves des lacs des puits et des cours drsquoeau voire des
nappes phreacuteatiques (Balaghi et Jlibene 2009) Lrsquoinsuffisance de lrsquoeau peut amener surtout
dans les zones semi-arides agrave une baisse de la production agricole ainsi que de la superficie
des pacirctures neacutecessaires pour les animaux La seacutecheresse ou de la peacutenurie de lrsquoeau fait partie
drsquoune seacuterie infinie des conseacutequences du deacuteregraveglement climatique ou du reacutechauffement de la
planegravete causeacute par la croissance incontrocircleacutee des eacutemissions de gaz agrave effet de serre Le
reacutechauffement climatique est tenu selon IFPRI (2009) comme principal responsable des
changements actuels
Retrait des glaciers entraicircnant une eacuteleacutevation du niveau moyen des
oceacuteans qui aurait des reacutepercussions sur les disponibiliteacutes en eau douce
dans de nombreux pays drsquoAmeacuterique Latine drsquoAsie de lrsquoEst et du Sud
Deacutereacuteglementation des reacutegimes de preacutecipitations entraicircnant inondations et
seacutecheresses
Multiplication de pheacutenomegravenes meacuteteacuteorologiques extrecircmes comme les
ouragans ou les cyclones
38
Modification de la circulation de courants marins comme le Gulf Stream
et la deacuterive Nord-Atlantique qui pourrait conduire au refroidissement de
certaines reacutegions (Ouest de lrsquoEuropehellip)
Concregravetement on perd chaque anneacutee jusqursquoagrave 10 millions drsquohectares de surfaces cultiveacutees agrave
cause de la deacutegradation de lrsquoenvironnement (ONU36
2010) Par ailleurs le secteur agricole
est extrecircmement sensible aux changements climatiques Des tempeacuteratures plus eacuteleveacutees (ou
plus basses) hors saisons diminuent les rendements des cultures utiles tout en provoquant une
perturbation des reacutecoltes et une prolifeacuteration des mauvaises herbes et des parasites (pex37
la
date de vendange agrave Chacircteauneuf-du-pape a eacuteteacute avanceacutee drsquoun mois entre1945 agrave 2003 comme
le montre (graphique 5)
Graphique 5 Eacutevolution de la date de vendange agrave Chacircteauneuf-du-pape de 1945 agrave 2003
Source Ganichot (2002)
Une baisse de la pluviomeacutetrie entraicircnant une reacuteduction des disponibiliteacutes en eau de centaines
de reacutegions (principalement en Afrique et en Asie) rend la production agricole de plus en plus
aleacuteatoire et augmente la probabiliteacute de mauvaises reacutecoltes agrave court terme et une baisse de la
production agrave long terme (IFPRI 2009) Les rendements de lrsquoagriculture pluviale pourraient
chuter jusqursquoagrave 50 dans certains pays drsquoici agrave 2020 (Conseil Economique et Social 2008)
Selon le 4egraveme
rapport du Groupe international sur lrsquoeacutetude du climat (GIEC 2007) agrave ces
modifications des reacutegimes de preacutecipitations devraient srsquoajouter de plus forts eacutecarts saisonniers
et extrecircmes dans certains pays avec des saisons segraveches plus longues des seacutecheresses plus
fortes davantage drsquoeacutevegravenements pluvieux extrecircmes Autre effet indirect lorsque des pluies
violentes tombent sur un sol totalement desseacutecheacute incapable drsquoabsorber lrsquoeau lrsquoeau ruisselle
36
ONU Organisation des Nations Unies 37
pex par exemple
39
srsquoen va grossir les riviegraveres et les fleuves Ceux-ci sous cet afflux brutal drsquoeau deacutebordent de
leur lit et inondent les reacutegions agricoles avoisinantes engendrant une autre catastrophe
Lrsquoagriculture pratiqueacutee dans les pays deacuteveloppeacutes et dans certains pays en deacuteveloppement
(Chine Inde Breacutesil notamment) est responsable en partie de la deacutegradation de notre planegravete
du fait son aspect intensif et productif Effectivement lrsquoagriculture dite productiviste est
souvent responsable de la deacutegradation de lrsquoenvironnement agrave travers la pollution des eaux
souterraines provenant principalement des engrais et pesticides ainsi que du taux de saliniteacute
et lorsque les eacutecosystegravemes sont excessivement exploiteacutes ou encore du fait de lrsquoeacutepuisement des
ressources naturelles Il srsquoagit lagrave drsquoun aspect preacuteoccupant en particulier dans les zones ougrave ces
nappes fournissent lrsquoessentiel de lrsquoeau potable neacutecessaire agrave la consommation humaine et aux
activiteacutes agricoles Dans les pays en deacuteveloppement et les pays les moins avanceacutes (PMA)
crsquoest plutocirct le gaspillage consideacuterable de lrsquoeau qui marque leur systegraveme agricole agrave cause des
meacutethodes archaiumlques drsquoirrigation utiliseacutees Lrsquoirrigation vient en compleacutement aux
preacutecipitations Selon le rapport mondial de lrsquoUNESCO (2003) sur la mise en valeur des
ressources en eau lrsquoirrigation joue un rocircle deacuteterminant pour lrsquoagriculture et donc pour la
seacutecuriteacute de lrsquoalimentation Il est important de rappeler que selon le Rapport de la Banque
mondiale (2008) sur le deacuteveloppement le taux de pauvreteacute est de 20 agrave 40 moins eacuteleveacute agrave
lrsquointeacuterieur des reacuteseaux drsquoirrigation qursquoagrave lrsquoexteacuterieur
Pour que les zones irrigueacutees puissent srsquoeacutetendre agrave lrsquoavenir et par conseacutequent les volumes de
production agricole srsquoaccroissent il faut une utilisation rationnelle et productive des
ressources hydriques dans le domaine agricole Cela neacutecessite lrsquoemploi des technologies plus
efficaces (comme lrsquoirrigation au goutte-agrave-goutte et la planification de lrsquoirrigation en fonction
des besoins des plantes) des reacutegimes drsquoeacutecoulement plus rapide des reacuteseaux de canaux en
beacutetonneacutes drsquoirrigation et lrsquoadoption de pratiques agricoles moins gourmandes en eau (OCDE
2009c OCDE 2008a) Face agrave ces impeacuteratifs il faut investir pour geacuterer la base de ressources
ameacuteliorer lrsquoefficaciteacute technique de la production (rendement) et concevoir des pratiques qui
favorisent la durabiliteacute et lrsquoaccroissement de produits agricoles de base de maniegravere agrave faire face
agrave lrsquoinseacutecuriteacute alimentaire et agrave lrsquoaugmentation de la demande preacutevue agrave lrsquoeacutechelle mondiale Pour
y arriver les participants au Forum Terra Preta38
ont plaideacute en faveur de la promotion des
38
Forum Terra Preta sur la Crise Alimentaire le Changement Climatique les Agrocarburants et la
Souveraineteacute Alimentaire tenu par le Comiteacute International de Planification des ONGOSC pour la Souveraineteacute
Alimentaire (CIP) agrave Rome en juin 2008 (Source
httpwwwfoodsovereigntyorgPortals3documenti20sitoRessourcesArchivesForum2008-fr-
final20declaration20Forum20Terra20Pretapdf (page consulteacutee le 22112010)
40
pratiques existantesindigegravenes comme partie inteacutegrante de la strateacutegie drsquoadoucissement du
changement climatique La vaste promotion qursquoils font de lrsquoexploitation familiale comme
moteur de lrsquoagriculture de lrsquoavenir pourrait fournir une alternative viable aux deacutebats actuels
sur la mitigation du changement climatique deacutebats qui se concentrent geacuteneacuteralement sur le
niveau macro-eacuteconomique Ceci est conditionneacute agrave la capaciteacute notamment financiegravere des
agriculteurs agrave investir dans les nouvelles techniques et des consommateurs (y compris les
agriculteurs) agrave acheter les denreacutees alimentaires
C) Revenu et seacutecuriteacute alimentaire
Malgreacute le fait que la seacutecuriteacute alimentaire des personnes soit soumise agrave la production et au
changement climatique elle reste extrecircmement lieacutee agrave leur pouvoir drsquoachat Tous les reacutecents
rapports des organisations internationales (FAO Banque Mondiale ONG) sont unanimement
drsquoaccord pour consideacuterer la pauvreteacute comme principale cause de lrsquoinseacutecuriteacute alimentaire
Cette approche de la seacutecuriteacute alimentaire vient compleacuteter celle baseacutee sur la disponibiliteacute
alimentaire La baisse de celle-ci et lrsquoaugmentation de la population ont eacuteteacute auparavant et
pendant longtemps les seules raisons expliquant une inseacutecuriteacute alimentaire Ceci a eacuteteacute battu
par des analyses approfondies meneacutees par Sen (1981a 1977 1997hellip) et par bien drsquoautres
(Boulanger et al 2004 Christophe et al 1985 Devereux 1993 2001hellip) de diffeacuterentes
famines qui se sont produites en Afrique en Asie ou en Europe et qui ont deacutemontreacute que
celles-ci pouvaient survenir mecircme en cas drsquoaccroissement de lrsquooffre de denreacutees alimentaires
Les famines ont longtemps eacuteteacute expliqueacutees en effet par des raisons lieacutees uniquement
aux laquo problegravemes de la production des biens alimentaires Toute augmentation de la
production devrait conduire agrave une reacuteduction des carences alimentaires et nutritionnelles
Selon Malthus lrsquoorigine de la premiegravere theacuteorie des famines en 1678 la croissance
arithmeacutetique de lrsquooffre ne pourrait agrave terme permettre la satisfaction des besoins drsquoune
population en croissance geacuteomeacutetrique Les faits ont deacutementi cette theacuteorie raquo (Azoulay 1998
p 25) Effectivement le grand deacuteveloppement de la production des biens alimentaires qursquoa
connu le monde dans les derniegraveres deacutecennies nrsquoa pourtant pas mis fin au problegraveme de la faim
Selon la FAO 925 millions de personnes situeacutees essentiellement en Afrique et Asie souffrent
de sous- alimentation (FAO 2010a)
Cette nouvelle theacuteorie relativement reacutecente a eacuteteacute initieacutee par Sen au milieu des anneacutees 1970 et
finaliseacutee dans son ouvrage Poverty and Famines An Essay on Entitlement and Deprivation
paru en 1981 et elle a eacuteteacute reprise et approfondie par drsquoautres comme Devreux (1993) Cette
41
theacuteorie a le meacuterite de refonder lrsquoanalyse de la famine en particulier et de lrsquoinseacutecuriteacute
alimentaire en geacuteneacuteral sur des bases socio-eacuteconomiques La famine (et la malnutrition) a eacuteteacute
et pour longtemps hors du champ drsquoanalyse eacuteconomique du fait de son caractegravere agro-
climatique et de sa nature pathologique (carences maladies eacutepideacutemies deacutecegraves) Selon Sen laquo la
vraie question nrsquoest pas la disponibiliteacute totale de la nourriture mais son accegraves par les
individus et les familles Si une personne manque des moyens pour acqueacuterir la nourriture la
preacutesence de la nourriture sur le marche nrsquoest pas drsquoune grande consolation raquo (Sen 1990 citeacute
par Azoulay 1998 p26) La preacutesence de denreacutees sur les marcheacutes lrsquoexistence de
disponibiliteacutes (quelle que soit leur origine domestique ou importeacutee) nrsquoest plus dans cette
conception lrsquoeacuteleacutement deacuteterminant du problegraveme
Avec Sen le centre drsquoanalyse de lrsquoinseacutecuriteacute alimentaire a eacuteteacute deacuteplaceacute de lrsquooffre des denreacutees
alimentaires agrave la demande ou plutocirct aux conditions socioeacuteconomiques des demandeurs Il
srsquoagit drsquoune analyse microeacuteconomique et socio-historique baseacutee laquo sur la dotation initiale en
droits des individus et sur leur capaciteacute agrave les eacutechanger ces deux variables deacuteterminant la
capaciteacute de demande en biens alimentaires variable fondamentale de lrsquoanalyse Dans ce
cadre la faim ne se deacutefinit pas par le manque geacuteneacuteral de nourriture mais par le fait que
certaines personnes nrsquoont pas assez agrave manger le contexte socio-historique (classes monde
de production etc) deacutetermine lrsquoindividu et son comportement micro-eacuteconomique et est
responsable en derniegravere analyse de sa situation alimentaire raquo (Christophe et al 1985 page
932-933) Sen deacuteveloppe ainsi son approche de laquo capabiliteacute raquo qui renvoie agrave la capaciteacute des
personnes acquise en matiegravere de santeacute drsquoeacuteducation et de revenus moneacutetaires pour reacutealiser
personnellement et librement des projets qui leur permettent drsquoameacuteliorer leurs conditions
drsquoaccegraves agrave la nourriture (Sen 1997 2000) La laquo capabiliteacute raquo deacutesigne lrsquolaquo ensemble de vecteurs
de fonctionnements conditions drsquoexistence ou drsquoaction qui reflegravetent la liberteacute drsquoune personne
de se reacutealiser agrave travers le mode de vie qursquoelle a choisit raquo (Sen 1992 citeacute par Boucher et al
2003a p3)
Lrsquoapproche de laquo capabiliteacute raquo a eacuteteacute le reacutesultat de lrsquoanalyse par Sen (1981a 1981b) des quatre
famines celle du Bengale en 1943 celle du Bangladesh en 1974 celle de lrsquoEthiopie et celle
du Sahel en 1973 En clair cette analyse a montreacute qursquoune peacutenurie pouvait ecirctre causeacutee par un
accroissement de la demande drsquoune appartenance agrave un groupe social drsquoune hausse des prix
des produits alimentaires ou drsquoune baisse du revenu des meacutenages susceptible de se reproduire
mecircme en cas de croissance de la production agricole On peut assister agrave des baisses
42
consideacuterables de la production agricole sans pour autant qursquoune famine ne se deacuteclare Pour
Sen la plupart des malnutris et des famines sont une conseacutequence du manque drsquoaccegraves agrave la
nourriture et non agrave un problegraveme de disponibiliteacute suffisante de nourriture Ce manque drsquoaccegraves
est le reacutesultat de plusieurs facteurs laquo des facteurs personnels de conversion (par exemple le
meacutetabolisme la condition physique le sexe lrsquoaptitude intellectuelle etc) des facteurs
sociaux de conversion (par exemple les politiques publiques les normes sociales ou
religieuses les pratiques discriminatoires lrsquoexistence de rocircles sexueacutes les hieacuterarchies
socieacutetales les relations de pouvoir etc) et des facteurs environnementaux de conversion
(par exemple lrsquoinfluence du climat ou de la geacuteographie) raquo (Farvaque 2005 p28) En
drsquoautres termes il est la conseacutequence des structures de contraintes les conventions en
vigueur les normes sociales les ideacuteologies dominantes pouvant toutes reacutetreacutecir lrsquoespace des
possibles (les capabiliteacutes) des personnes Les inseacutecuriteacutes alimentaires sont donc des processus
complexes ancreacutes dans lrsquohistoire faisant intervenir des rapports de force entre groupes
sociaux et des pratiques socioculturelles speacutecifiques (Cleacutement 2009)
Il est clair qursquoon ne peut pas exclure le deacuteclin des disponibiliteacutes alimentaires comme cause
partielle pour tous les cas de lrsquoinseacutecuriteacute alimentaire mecircme ceux qui ont eacuteteacute eacutetudieacutes par Sen
(notamment les deux cas de lrsquoAfrique) Neacuteanmoins la theacuteorie geacuteneacuterale des causes de la
famine de Sen a permis aux instances (nationales ou internationales) luttant contre la faim et
la malnutrition drsquoeacutelaborer des politiques visant agrave ameacuteliorer les droits drsquoaccegraves aux biens
alimentaires de base Le pouvoir drsquoacceacuteder aux denreacutees alimentaires devient plus importants
dans les socieacuteteacutes traditionnelles ( et ex-socialistes) ougrave lrsquoeacutechange marchant est inexistant ou
marginal et ougrave la place au sein de la communauteacute joue un rocircle essentiel dans la deacutefinition de
ces droits drsquoaccegraves que dans les socieacuteteacutes de marcheacute deacuteveloppeacutees dans lesquelles ces droits
drsquoaccegraves sont garantis par lrsquoeacutechange marchand et par des systegravemes de Seacutecuriteacute Sociale qui
assurent aux individus un minimum de revenu (Christophe et al 1985)
Dans ce cadre un Programme speacutecial pour la seacutecuriteacute alimentaire (PSSA) dans les pays agrave
faible revenu et agrave deacuteficit vivrier a eacuteteacute mis en place par le FAO en juin 1994 pour assister les
gouvernements agrave reproduire agrave lrsquoeacutechelon national les pratiques favorisant lrsquoameacutelioration de la
seacutecuriteacute alimentaire Le PSSA les aide agrave investir dans les infrastructures rurales agrave creacuteer des
emplois et des revenus dans lrsquoagriculture et dans drsquoautres secteurs et agrave mettre en place des
meacutecanismes de protection sociale afin de stopper la courbe croissante de lrsquoinseacutecuriteacute
alimentaire Il faut rappeler que celle-ci touche paradoxalement plus des paysans et des zones
43
rurales ougrave la nourriture est produite 70 de ceux qui souffrent de la faim et de la misegravere sont
des paysans trois quarts des populations pauvres des pays en deacuteveloppement vivent en zone
rurale En geacuteneacuteral pregraves de la moitieacute des personnes souffrant de la faim sont des petits
paysans un cinquiegraveme sont sans terre et un dixiegraveme sont des agropastoralistes des pecirccheurs
et des utilisateurs de la forecirct le cinquiegraveme restant vivant dans les zones urbaines (FAO 2002
ONU 2005 2010)
Il en reacutesulte qursquoun accroissement des investissements en agriculture permettrait une
augmentation du revenu des pauvres qui est autant important pour la seacutecuriteacute alimentaire que
pour leur capaciteacute agrave augmenter les disponibiliteacutes alimentaires locales En effet lrsquoaugmentation
de la productiviteacute agricole ameacuteliore lrsquooffre alimentaire mais surtout les revenus agricoles Il
faut noter ici que lorsque la croissance agricole profite aux petits exploitants et aux
travailleurs ruraux le revenu additionnel est en grande partie deacutepenseacute pour des denreacutees et des
produits non agricoles de base et pour des services ruraux (effet drsquoEngel) qui sont
geacuteneacuteralement produits et fournis au niveau local Cela permet le deacuteveloppement des
entreprises non agricoles offrant ainsi aux pauvres agrave leur tour une eacutechappatoire agrave la misegravere
par leur creacuteation des emplois suppleacutementaires et donc des revenus additionnels laquo Le surcroicirct
de revenu deacuteriveacute de la croissance agricole peut creacuteer une demande pour ces biens et services
qui donnera naissance agrave un cycle positif avec croissance des revenus de lrsquoagriculture et des
activiteacutes rurales non agricoles chacune de ces activiteacutes soutenant la croissance de lrsquoautre et
souvent celle de lrsquoensemble de lrsquoeacuteconomie Un deacuteveloppement de cette ampleur ouvre de
nouvelles possibiliteacutes dans la lutte contre la pauvreteacute et la faim raquo (FAO 2002 p9)
Malgreacute une implication variable des diffeacuterents facteurs retenons que le remegravede agrave lrsquoinseacutecuriteacute
alimentaire devrait allier agrave la fois augmentation de lrsquoinvestissement dans lrsquoagriculture et
reacuteduction de la pauvreteacute Pour faire face agrave ces exigences une politique publique au niveau
national doit ecirctre soigneusement eacutelaboreacutee Dans ce cadre il est tregraves important de rappeler que
juste apregraves le maintien de paix tous les gouvernements doivent srsquoassurer de lrsquoaccessibiliteacute de
leurs citoyens aux denreacutees alimentaires de base
D) Inseacutecuriteacute alimentaire et politiques gouvernementales
Pour beaucoup de travaux (notamment ceux de Dregraveze) srsquoinscrivant dans le courant de Sen les
politiques gouvernementales sont tenues directement responsables de des deux des trois
principales causes des famines qui se sont produites au cours de la seconde moitieacute du
vingtiegraveme siegravecle les guerres et une politique macro-eacuteconomique deacutesastreuse (la troisiegraveme
44
cause concerne une situation climatique absolument exceptionnelle) (Boulanger et al 2004
Gilbert1991) Il nrsquoest pas tregraves difficile de remarquer que le conflit armeacute est de loin la
premiegravere cause de toutes les famines qui ont frappeacute lrsquoAfrique et lrsquoinseacutecuriteacute alimentaire qui
regravegne toujours dans sa reacutegion subsaharienne (la Somalie lrsquoEacutethiopie la Sierra-Leacuteone
lrsquoAngola le Libeacuteria le Soudan et drsquoautres)
Les guerres affectent lrsquoinseacutecuriteacute alimentaire sur deux points Le premier concerne la
neacutecessiteacute drsquoavoir la paix pour investir soit dans lrsquoagriculture pour assurer lrsquoautosuffisance
alimentaire soit dans drsquoautres secteurs pour geacuteneacuterer des revenus suffisants Quant au
deuxiegraveme point il srsquoagit de laquo la militarisation de lrsquoeacuteconomie qui conduit agrave deacutetourner une part
consideacuterable des ressources eacuteconomiques et de forces de travail du secteur de la production
civile vers le secteur militairehellipPar ailleurs lrsquoachat drsquoarmes agrave lrsquoeacutetranger mobilise la majeure
partie des reacuteserves en devises de la nation et conduit souvent agrave un endettement exteacuterieur qui
limite fortement les possibiliteacutes drsquoimportation de produits alimentaire raquo (Boulanger et al
2004 p57)
La stabiliteacute politique dans les pays souffrant de lrsquoinseacutecuriteacute alimentaire est ainsi neacutecessaire
pour concevoir une politique publique efficace pour lutter contre le manque partiel ou total de
nourriture Les politiques gouvernementales ont souvent contribueacute dans ces pays malgreacute la
preacutesence drsquoune stabiliteacute agrave lrsquoinseacutecuriteacute alimentaire de leurs populations au lieu de la reacuteduire
Effectivement plusieurs famines ont eacuteteacute causeacutees ou aggraveacutees par des mauvaises politiques
alimentaires (Dregraveze et Sen 1991) Incontestablement la lutte contre lrsquoinseacutecuriteacute alimentaire
ne pourra pas ecirctre efficace que si elle est accompagneacutee par des politiques approprieacutees Ces
derniegraveres assurent une meilleure gestion des ressources publiques mobiliseacutees pour lutter
contre la faim et la pauvreteacute ainsi que lrsquoutilisation durable de la base de ressources
Ainsi laquo un environnement politique favorable est une condition essentielle pour le succegraves du
Programme de lutte contre la faim car il est indispensable pour attirer les flux
drsquoinvestissements priveacutes neacutecessaires pour compleacuteter lrsquoinvestissement public et permet aux
populations souffrant de la faim et de la pauvreteacute de reacutealiser pleinement leur potentiel de
deacuteveloppement raquo (FAO 2002 p22) Lrsquoinseacutecuriteacute alimentaire reacutesultant de politiques
gouvernementales inadeacutequates pourrait donc ecirctre drsquoune ampleur consideacuterable
Sur ce point les politiques alimentaires de la majoriteacute des pays en deacuteveloppement (et les
moins avanceacutes) nrsquoont reacuteussi depuis leur indeacutependance ni agrave assurer lrsquoindeacutependance
alimentaire ni agrave offrir suffisamment de nourriture eacutequilibreacutee agrave leur population Cet eacutechec
45
trouve ses raisons en partie soit dans lrsquoexcegraves de lrsquointervention publique dans le secteur
agricole soit au contraire dans sa libeacuteration totale ou tout simplement dans lrsquoabsence drsquoune
politique de la production alimentaire dans les choix eacuteconomiques Trois cateacutegories des pays
peuvent ecirctre distingueacutees 1) ceux qui ont opteacute pour une reacuteglementation totale du secteur
agricole 2) ceux dont ce secteur est plus ou moins deacutereacuteglementeacute 3) ceux qui ont choisi de
miser sur drsquoautres secteurs que celui de lrsquoagriculture
I Les politiques publiques interventionnistes
Pour assurer un meilleur accegraves agrave lrsquoalimentation de leur population certains pays en
deacuteveloppement ont deacutecideacute de controcircler la production les prix ainsi que le commerce des
produits alimentaires Cette politique nrsquoa pas donneacute les reacutesultats escompteacutes en matiegravere de
seacutecuriteacute alimentaire Au contraire elle a souvent produit des effets neacutefastes sur le plan
alimentaire dans la mesure ougrave la mise en place de monopoles publics en termes de
commercialisation des ceacutereacuteales agrave titre drsquoexemple pour garantir les approvisionnements en
luttant contre la speacuteculation a eu dans bien des cas pour seul effet de deacutetruire les circuits
commerciaux indispensables agrave lrsquoaccegraves des consommateurs aux denreacutees alimentaires et agrave
lrsquoeacutecoulement des surplus agricoles (Vaughan 1987)
La famine de Malawi en 1949 est un exemple parfait qui montre les deacuterives drsquoune
intervention excessive en matiegravere alimentaire Effectivement la mise en place drsquoun Office
National du Maiumls pour controcircler la production et la vente du maiumls a eu pour reacutesultat
immeacutediat drsquoinciter les producteurs agrave diminuer les surfaces cultiveacutees ce qui laissa le pays sans
reacuteserves suffisantes face agrave la segravecheresse de 1949 (Boulanger et al 2004) Certaines analyses
remettent en cause carreacutement les motivations de la creacuteation de ce genre drsquoinstitution
notamment celles de Vaughan (1987) qui affirme que ce genre drsquoOffice nrsquoavait drsquoautre
motivation que lrsquohostiliteacute agrave lrsquoeacutegard des commerccedilants africains traditionnels Pareillement
dans les pays agrave planification centraliseacutee (URSS et pays drsquoEurope de lrsquoEst) la reacuteglementation
des prix eacutetait systeacutematique Au deacutebut de leur industrialisation les prix de produits agricoles
ont eacuteteacute fixeacutes agrave un niveau faible le preacutelegravevement opeacutereacute sur le secteur agricole devait faciliter le
deacuteveloppement du secteur industriel prioritaire et lrsquoinsuffisante reacutemuneacuteration du travail qui
deacutecoule de deux secteurs (agricole et industriel) est sans doute largement responsables de la
crise endeacutemique des approvisionnements qui y seacutevit (Abraham-Frois 2001)
Ces cas ne sont que des exemples parmi drsquoautres qui illustrent les conseacutequences drsquoune
politique visant agrave proteacuteger le pouvoir drsquoachat des demandeurs en fixant un prix maximum aux
46
produits alimentaires sans se soucier des producteurs Effectivement la fixation des prix finit
souvent par deacutecourager les agriculteurs agrave produire des surplus ce qui provoque une rareteacute
artificielle qui se traduit par un deacuteficit drsquoapprovisionnement des marcheacutes officiels (au prix
maximum imposeacute) eacuteventuellement contourneacute par un marcheacute noir ougrave les prix rendent les biens
alimentaires inaccessibles aux plus pauvres
II Lrsquoindustrialisation au deacutetriment de lrsquoagriculture
Apregraves leur indeacutependance beaucoup de pays ont cru (en voyant les eacuteconomies deacuteveloppeacutees
avec leurs niveaux eacuteleveacutes de production et de consommation de masse) que lrsquoindustrialisation
eacutetait la seule cleacute du deacuteveloppement et qursquoelle entraicircnerait les autres secteurs notamment celui
de lrsquoagriculture (Alpine et Picket 1993) Degraves lors ils ont mis en place des plans mettant
lrsquoaccent sur le secteur industriel Ces plans se sont aveacutereacutes par la suite un eacutechec pour une
simple raison ces pays ne disposaient pas des capitaux (humains financiers et physiques)
neacutecessaires pour atteindre leurs objectifs tregraves ambitieux en la matiegravere De nombreux nouveaux
PED ont ducirc ainsi se replier sur le secteur agricole pour leur survie eacuteconomique (Farvaque
2005)
III Lrsquoagriculture et la politique fiscale
Degraves leur indeacutependance pour certains pays et apregraves lrsquoeacutechec de la politique drsquoindustrialisation
pour drsquoautres le rocircle joueacute par le secteur agricole eacutetait devenu tregraves important en matiegravere
fiscale Tous les pays en deacuteveloppement qui ont des potentiels naturels ont pris des
initiatives pour augmenter la production des cultures drsquoexportation au deacutetriment des cultures
vivriegraveres afin de remplir les caisses vides de lrsquoEacutetat Cette politique a eacuteteacute acceacuteleacutereacutee dans ces
pays au deacutebut des anneacutees 1980 en raison du Programme drsquoAjustement Structurel (PAS)
imposeacute par le FMI pour qursquoils puissent rembourser leurs dettes Ce programme a contraint les
pays en deacuteveloppement agrave abandonner tout soutien agrave leur agriculture vivriegravere de taxer les
denreacutees alimentaires de base au lieu de les soutenir drsquoouvrir leur marcheacute aux importations
notamment agricoles (Firdawcy 1993 Stiglitz 2002) Il srsquoagit drsquoune politique qui allait tout
simplement agrave lrsquoencontre de la seacutecuriteacute alimentaire de ces pays Avec le PAS on a un pays qui
pratique une culture de rente destineacutee entiegraverement agrave lrsquoexportation et qui importe en mecircme
temps ses produits de consommation de base mettant ainsi en grande difficulteacute les cultures
vivriegraveres Finalement on se retrouve avec des pays tregraves deacutependants de lrsquoimportation voire de
lrsquoaide alimentaire et avec davantage de pauvres majoritairement des paysans ou des ruraux
47
Contrairement aux politiques agricoles pratiqueacutees dans les pays occidentaux visant agrave assurer
leur seacutecuriteacute alimentaire par le soutien et la protection du secteur agricole le FMI via son
PAS a voulu contraindre les pays endetteacutes agrave importer leurs denreacutees alimentaires de base
massivement des pays du Nord soucieux drsquoeacutecouler leurs exceacutedents en les bradant Le reacutesultat
est que les prix mondiaux des produits de base (le bleacute le maiumls le riz) se sont eacutetablis
artificiellement au niveau du producteur le plus compeacutetitif mecircme pas le prix naturellement
faible des grands pays agricoles neufs disposant de vastes terres cultivables (Australie
Argentine Breacutesil Canada hellip) mais celui de vieilles nations (Carfantan 2009)
Certes ces derniegraveres sont moins bien doteacutees en avantages physiques mais soucieuses pour
des raisons autant sociales (preacuteserver leurs agriculteurs) que de souveraineteacute alimentaire (ne
pas deacutependre de lrsquoexteacuterieur) de maintenir un secteur agricole dynamique gracircce agrave tout un
arsenal de protections et de subventions agrave lrsquoexportation (Lemaicirctre 2009) Mecircme lorsque
lrsquoOrganisation mondiale du commerce (OMC) les a jugeacutes illeacutegaux ces soutiens agrave la
production se sont poursuivis sous forme drsquoaides directes au revenu agricole (pex le
principe de deacutecouplage pratiqueacute par la Politique Agricole Commune (PAC) tirant les prix agrave la
baisse sans relation aucune avec les coucircts de production reacuteels (Agrosynergie 2010 OCDE
2001b) Il en ressort que lrsquoincapaciteacute des gouvernements du Sud agrave participer agrave la formulation
des prix (achat ou vente) pourrait mettre en peacuteril tous ces programmes contre la faim et la
malnutrition
Ce constat met en eacutevidence une autre dimension de la question alimentaire en lrsquooccurrence la
fixation des prix Crsquoest une question tregraves importante dans la mesure ougrave la volatiliteacute des prix
constitue historiquement et principalement lrsquoeacuteleacutement deacuteclencheur et reacuteveacutelateur de toutes les
crises alimentaires Cela est ducirc agrave lrsquoextrecircme sensibiliteacute du secteur alimentaire du fait qursquoil
srsquoagit de la survie de lrsquoHomme et de sa santeacute Geacuteneacuteralement la hausse des prix reacutesulte drsquoune
diminution des stocks alimentaires due agrave une mauvaise reacutecolte Or la baisse signifie une
abondance des denreacutees alimentaires et met ainsi souvent en danger les petits agriculteurs
Cependant la crise alimentaire de 2008 nrsquoeacutetait la conseacutequence ni drsquoune baisse des
disponibiliteacutes alimentaires ni drsquoune accessibiliteacute plus difficile que les anneacutees anteacuterieures agrave la
nourriture mais plutocirct celle agrave de raisons externes au systegraveme alimentaire
112 La crise alimentaire de 2008 et la volatiliteacute croissante des prix
Le monde a toujours connu des chocs alimentaires Toutefois la crise qui srsquoest manifesteacutee au
deacutebut du XXIegraveme
siegravecle a preacutesenteacute une particulariteacute notable qui la distingue agrave nos yeux de
48
celles qui lrsquoont preacuteceacutedeacutee dans lrsquohistoire celle de ne pas avoir comme deacuteclencheur principal
une rupture de stock mais une explosion des prix due agrave une speacuteculation accrue sur les matiegraveres
premiegraveres Mais de maniegravere geacuteneacuterale la volatiliteacute des prix est un aspect eacutetroitement lieacute au
marcheacute des matiegraveres premiegraveres notamment les produits alimentaires
A) Le marche agricole et la speacuteculation financiegravere
Il faut savoir que 88 des contrats reacutealiseacutes agrave la bourse alimentaire de Chicago sont purement
speacuteculatifs et que lrsquoagriculture fait partie deacutesormais des activiteacutes prioritaires des Fonds
drsquoInvestissement Internationaux Ces derniers en effet nrsquoheacutesitent pas agrave acqueacuterir des millions
drsquohectares dans les pays pauvres et agrave pratiquer une agriculture super-intensive sans aucun
respect de la reacuteglementation sociale ou environnementale (Grain 2010) Par ailleurs les
causes traditionnelles qui sont aussi agrave lrsquoorigine des pressions agrave lrsquohausse des prix ne sont pas
volatiliseacutees En fait on retrouve drsquoabord lrsquoexplosion deacutemographique dans les pays du Sud
notamment dans les nouveaux pays industrialiseacutes (NPI) qui se traduit par une augmentation
de la demande en proteacuteines animales entraicircnant une progression pheacutenomeacutenale des besoins
alimentaires mondiaux enfin la baisse de la production agricole en raison du manque de
terres cultivables victimes de la progression de lrsquourbanisation dans les peacuteripheacuteries du
reacutechauffement climatique ou encore de la hausse des surfaces destineacutees aux biocarburants
5 agrave 10 millions drsquohectares de terres agricoles sont perdus chaque anneacutee du fait drsquoune
deacutegradation seacutevegravere de lrsquoenvironnement et 195 millions de plus sont perdus du fait de
lrsquoindustrialisation et de lrsquourbanisation soit au total lrsquoeacutequivalent de la superficie de lrsquoItalie
Drsquoautant plus la concurrence entre les diffeacuterentes utilisations des terres agricoles a eacuteteacute
aggraveacutee reacutecemment par des politiques favorisant le passage aux biocarburants dans les
transports (ONU 2010) La figure ci-dessous repreacutesente les grandes lignes de cette crise
alimentaire
49
Figure 2 Les facteurs structurels et conjoncturels de la crise alimentaire de 2008
La crise des laquo Subprimes raquo a eacuteteacute deacuteclencheacutee en 2006 par un krach des precircts hypotheacutecaires agrave risque aux EU
Source Saidi (2008)
Facteurs structurels
Socio- Economiques et naturels
Speacuteculation
sur
les matiegraveres
premiegraveres
Reacutechauffement
climatique
Augmentation
de
la seacutecheresse
- Industrie
fordiste
-Commerce
international
Agriculture
intensive
Augmentation
de
la population
Facteurs conjoncturels
Stocks de
denreacutees
alimentaires
Stocks de
peacutetrole
Augmentation des cours
du peacutetrole
Hausse des
coucircts de la
production
alimentaire
Hausse des
surfaces
destineacutees aux
biocarburants
Diminution des terres
cultivables
Baisse des
cultures vivriegraveres
Flambeacutee des prix Crise alimentaire
Baisse de la production agricole Augmentation de la demande
Urbanisation
accrue
Crise des
subprimes
Catastrophes
naturelles
50
Il en a reacutesulteacute donc une augmentation des prix qui a eacuteteacute tenue comme principale responsable
des eacutemeutes de la faim qui se sont reacutepandues comme une traicircneacutee de poudre dans les pays
pauvres et importateurs nets de produits agricoles en 2007 (tableau 3) Comme le montre la
figure ci-dessus un nouvel eacuteleacutement srsquoest ajouteacute aux diffeacuterents facteurs de la crise alimentaire
il srsquoagit de deacuteveloppement drsquoune planegravete financiegravere non reacuteguleacutee qui est sans doute
responsable eacutegalement de la crise eacuteconomique En effet lrsquoeacutetincelle de la crise financiegravere
provient du segment agrave risque eacuteleveacute (subprime) des precircts hypotheacutecaires aux meacutenages
ameacutericains dont les deacutefauts ont fortement augmenteacute en 2006 Ceci a pousseacute les deacutetenteurs de
hedge funds (fonds speacuteculatifs) agrave jeter leur deacutevolu sur drsquoautres valeurs refuges les matiegraveres
premiegraveres ou les stocks drsquoaliments provoquant par la suite une flambeacutee des prix des denreacutees
alimentaires (en un an les cours des ceacutereacuteales ont augmenteacute de 131 ) et une hausse du prix
du baril qui faisait grimper agrave son tour les coucircts de la production alimentaire (FAO 2008e)
Tableau 3 Pays pour lesquels la hausse des prix alimentaires de 2007 a aggraveacute leur
inseacutecuriteacute alimentaire
En crise alimentaire
Agrave risque eacuteleveacute
Reacutepublique centrafricaine Cameroun
Reacutepublique deacutemocratique du Congo Comores
Cocircte drsquoIvoire Gambie
Eacuterythreacutee Madagascar
Eacutethiopie Mongolie
Guineacutee Mozambique
Guineacutee-Bissau Nicaragua
Haiumlti Niger
Kenya Territoire palestinien occupeacute
Lesotho Rwanda
Libeacuteria Seacuteneacutegal
Sierra Leone Icircles Salomon
Somalie Togo
Swaziland Reacutepublique Unie de Tanzanie
Tadjikistan Yeacutemen
Timor- Leste Zambie
Zimbabwe Djibouti
Source FAO (2008d)
La crise alimentaire deacuteclencheacutee par une explosion des prix a eacuteteacute tregraves rapidement suivie par la
crise financiegravere et eacuteconomique la plus grave qui ne se soit jamais produite dans le monde
depuis soixante-dix ans crises qui ont profondeacutement affecteacute lrsquoeacutequilibre eacuteconomique et
financier de plusieurs pays Un net ralentissement a ainsi eacuteteacute enregistreacute quasiment dans la
51
majoriteacute des eacuteconomies des pays du Nord et agrave un moindre degreacute dans les pays du Sud (selon
la Banque Mondiale la croissance mondiale de 2009 a ralenti de 22) induisant un
affaiblissement de la demande des consommateurs Cela entraicircnerait une chute des prix qui
deacutecouragerait les agriculteurs agrave produire davantage Une telle situation pouvait agrave son tour
nous ramener ulteacuterieurement agrave une insuffisance de lrsquooffre et donc agrave une flambeacutee des prix La
crise pourrait eacutegalement produire les mecircmes effets que celle de 1929 sur les marcheacutes de
produits de bases Ceux-ci ont eacuteteacute fortement perturbeacutes par la cession de la demande parce que
les entreprises avaient deacutecideacute de reacuteduire leurs stocks agrave un minimum absolu laquo les firmes ne
voulaient deacutetenir des stocks agrave aucun prix et elles nrsquoavaient pas non plus les liquiditeacutes pour
financer de tels stocks raquo (Rowe 1965 p 85 citeacute par Labys et al 1995 p 43)
Tous ces eacuteleacutements viennent amplifier la volatiliteacute des prix qui caracteacuterise le secteur agricole
en raison du caractegravere irreacuteversible de sa production et du manque de visibiliteacute sur la quantiteacute
et la qualiteacute des produits alimentaires Il faut savoir que les agriculteurs ne peuvent pas jouer
sur lrsquooffre puisqursquoil faut attendre en moyenne un an pour reacutecolter autrement dit il n y a pas
un ajustement agrave terme entre lrsquooffre et la demande
B) La volatiliteacute des prix et le secteur agricole
La question de la volatiliteacute des prix ne date pas drsquoaujourdrsquohui Plusieurs eacuteconomistes
(Abraham-Frois King) ainsi que des rapports notamment ceux de la Socieacuteteacute des Nations-
Unies ont essayeacute drsquoappreacutehender ce pheacutenomegravene Selon une eacutetude du Comiteacute de la Socieacuteteacute des
Nations laquo en agriculture les cycles de bonnes et de mauvaises reacutecoltes ou les caprices du
temps occasionnent souvent de fortes fluctuations de lrsquooffre En raison de la non-sensibiliteacute de
la demande pour de nombreuses matiegraveres premiegraveres ces circonstances malheureuses
conduisent agrave des changements abrupts des prix raquo (League of Nations 1946 p81 citeacute par
Labys et al 1995 p43) Cette situation a eacuteteacute mise en eacutevidence degraves le XVIIegraveme
siegravecle par la
laquo loi de King raquo ou laquo effet King raquo (Gregory King 1648-1712) en expliquant qursquoun deacuteficit
dans la reacutecolte de bleacute fait monter le prix de celui-ci dans une proportion telle que la valeur de
la reacutecolte srsquoaccroicirct En sens inverse une bonne reacutecolte peut entraicircner une perte de recettes et
de revenus pour lrsquoagriculteur Crsquoest que si la demande est tregraves peu eacutelastique par rapport au
prix (ce qui est souvent le cas pour les produits agricoles de base tels le bleacute) on comprend
qursquoun fort accroissement impreacutevu de la production ne pourra pas ecirctre absorbeacute par les
consommateurs et qursquoil srsquoensuivra donc une forte baisse du prix (Abraham-Frois 2001) La
52
valeur de la reacutecolte varie en sens inverse de la quantiteacute reacutecolteacutee sur des marcheacutes rigides
connus pour sa demande ineacutelastique (Milhau 1960)
Si lrsquoon se reacutefegravere agrave lrsquoindice FAO des prix des produits alimentaires lors des vingt derniegraveres
anneacutees (graphique 6) il apparaicirct clairement que lrsquoanalyse de King est toujours valable pour
expliquer leur eacutevolution Drsquoabord lrsquoindice des prix est plus ou moins stable entre 1990 et
1993 puis il part agrave la hausse pour atteindre un sommet en 1996 (lrsquoindice est passeacute de pregraves de
105 points en 1993 agrave plus de 124 pts39
en 1996) lrsquoanneacutee agrave partir de laquelle lrsquoindice des prix a
chuteacute de 26 pour atteindre 91 pts en 1999 Une autre fois la stabiliteacute est retrouveacutee mais pas
pour longtemps puisque agrave partir de 2003 la tendance haussiegravere a repris relativement pour une
longue peacuteriode et srsquoest dirigeacutee agrave son plus haut niveau depuis 30 ans Lrsquoindice a atteint en juin
2008 214 pts (191 pts pour toute lrsquoanneacutee) soit un indice deux fois supeacuterieur au niveau de la
peacuteriode de base et 139 au-dessus de la moyenne de lrsquoanneacutee 2000 De juin 2008 agrave la fin du
premier trimestre 2009 lrsquoindice a reculeacute de 35 pour retrouver son niveau du premier
trimestre 2007 En mai 2009 apregraves une nouvelle flambeacutee des prix internationaux de plusieurs
produits alimentaires de base (agrave lrsquoexclusion du riz et de la viande) lrsquoindice eacutetabli agrave 157 pts
eacutetait encore infeacuterieur de pregraves de 30 au pic de juin 2008 mais supeacuterieur de 52 agrave la valeur
de base (2002-04) et de pregraves de 70 agrave celui de 2000
Graphique 6 Indice FAO des prix alimentaires (1990-2010)
50
70
90
110
130
150
170
190
210
2000 2001 2002 2003 2004 2005 2006 2007 2008 2009 2010
Indice des prix
Source auteur agrave partir des donneacutees fournies par la FAO
Par ailleurs les phases ougrave la production et la consommation srsquoeacutequilibrent compte tenu des
stocks disponibles ne sont geacuteneacuteralement que de points de passage transitoires dans un
39
pts points
53
enchaicircnement de phases alterneacutees de surproduction et de peacutenurie La reacutegulation ici est plutocirct
une histoire de deacuteseacutequilibres et de pheacutenomegravenes de surreacuteactions qursquoun processus systeacutematique
ou reacutegulier de retour agrave un eacutequilibre accidentellement rompu (Calabre 1995) En drsquoautres
termes le marcheacute agricole nrsquoest pas auto-eacutequilibreacute et le jeu normal de lrsquooffre et de la demande
ne peut entraicircner que des fluctuations consideacuterables des prix Crsquoest la raison pour laquelle les
gouvernements sont contraints de mettre en place des systegravemes de stabilisation et dans
certains cas de soutien des prix et drsquoorganisation des marcheacutes agricoles De ce fait les prix
agricoles sont tregraves largement des prix drsquointervention En Union Europeacuteenne (UE) par
exemple lrsquoorganisation des marcheacutes agricoles remonte au traiteacute de Rome (1957) lrsquoanneacutee ougrave
la Politique Agricole Commune (PAC) a eacuteteacute eacutetablie Il srsquoagit de lrsquoune de ses principales
politiques communes et jusqursquoagrave peu la plus importante des politiques communes de lrsquoUE
environ 40 du budget europeacuteen En plus drsquoaccroicirctre la productiviteacute de lrsquoagriculture et de
garantir la seacutecuriteacute des approvisionnements la PAC doit veiller agrave la stabilisation des
marcheacutes et assurer des prix raisonnables aux consommateurs40
Des politiques semblables ont
eacuteteacute mises en place dans la plupart des pays deacuteveloppeacutes
Il srsquoest aveacutereacute par la suite que ces politiques ont accentueacute le laquo deacutesordre raquo des marcheacutes agricoles
mondiaux selon Johnson (1973 citeacute par Ulrich 1985) Ces distorsions deacuteriveraient
principalement de la possibiliteacute de limiter les eacutechanges et drsquooffrir aux producteurs des
subventions qui geacutenegraverent drsquoeacutenormes exceacutedents qui doivent ensuite ecirctre eacutecouleacutes sur le marcheacute
mondial agrave lrsquoaide des subventions agrave lrsquoexportation Pour des raisons eacutevidentes ces distorsions
eacutetaient drsquoautant plus manifestes dans le cas des aliments typiques des zones tempeacutereacutees qui
sont produits et exporteacutes par les pays les plus riches Les pays en deacuteveloppement nrsquoavaient en
revanche en majoriteacute guegravere de moyens drsquoaccorder ces subventions (Laroche-Dupraz et al
2000 Hermelin et al 2002)
Cependant les volatiliteacutes des anneacutees qui ont preacuteceacutedeacute 2008 a eacuteteacute plus au moins preacutevisible et a
pratiquement respecteacutee la loi de King une bonne reacutecolte suivie par une mauvaise (graphique
4) En revanche la hausse des prix de 2008 nrsquoa pas reacutesulteacute drsquoune rupture des stocks puisque
selon les estimations fondeacutees sur les chiffres de lrsquoindice FAO de la production la production
agricole mondiale a augmenteacute de 38 en 2008 par rapport agrave 2007 car un certain nombre de
pays ont augmenteacute leur production pour reacuteagir aux prix plus eacuteleveacutes (FAO 2009a 2010b)
40
Source httpeceuropaeuagricultureindex_frhtm (page consulteacutee le 20072010)
54
Cette crise nrsquoest pas due non plus agrave une accessibiliteacute plus difficile agrave la nourriture
qursquoauparavant mais plutocirct agrave une speacuteculation purement financiegravere sur les matiegraveres premiegraveres
comme on a mentionneacute au dessus
Par ailleurs et apregraves la deacutegringolade de 2008 les cours des matiegraveres premiegraveres ont rebondi
degraves le deuxiegraveme trimestre de 2009 Un rebond qui marque le retour agrave un long cycle haussier
selon le Fonds moneacutetaire international (FMI) Pourtant la reacutecession mondiale avait
lourdement peseacute sur la demande en 2008 (et au deacutebut de 2009) et les stocks ceacutereacutealiers sont agrave
des niveaux plus rassurants et les approvisionnements du marcheacute par les exportateurs sont
plus aptes qursquoils ne lrsquoeacutetaient lors de la flambeacutee des prix agrave reacutepondre agrave la demande croissante
selon la FAO (2009a) A titre drsquoexemple le ratio stocks de bleacute contre utilisation est passeacute de
12 agrave 20 dans la plupart des pays exportateurs Lrsquoarriveacutee sur le marcheacute des quantiteacutes
importantes du riz nrsquoa pas empecirccheacute les cours mondiaux drsquoaugmenter au cours du dernier
trimestre de 2009 inversant une tendance agrave la baisse qui avait eacuteteacute soutenue depuis le mois de
mai Effectivement depuis ce moi lrsquoindice des prix alimentaires nrsquoa pas cesseacute de grimper en
2010 pour atteindre 205 pts en octobre deacutepassant ainsi les niveaux 2007-2008 lors des pics de
prix
Les analyses du FMI ou de la FAO laissent entendre que la reacute-acceacuteleacuteration agrave la hausse des
prix pourrait trouver ses origines dans les restrictions gouvernementales sur les exportations
dans la faiblesse accrue du dollar dans la hausse du prix du peacutetrole et donc dans la demande
de biocarburants ainsi que dans lrsquoappeacutetit croissant des fonds speacuteculatifs sur les matiegraveres
premiegraveres Tous ces facteurs reacuteunis qui ont concouru agrave lrsquoexplosion sans preacuteceacutedent des prix en
2007-2008 continuent en substance Ce qui a conduit certains analystes agrave se demander si de
nouveaux liens entre lrsquoalimentation et les marcheacutes de lrsquoeacutenergie nrsquoavaient pas inverseacute la
tendance historique agrave la baisse des prix en termes reacuteels des produits agricoles
Face agrave ces nouveaux eacuteleacutements certains pays majoritairement en deacuteveloppement et certaines
ONG preacuteconisent la deacutelimitation du marcheacute des contrats agrave terme aux professionnels du
secteur afin de mettre fin aux interventions de purs speacuteculateurs les banquiers notamment
Quant aux pays industrialiseacutes ils ont opteacute pour lrsquoajustement de lrsquooffre aux besoins de leurs
marcheacutes agrave travers lrsquoinstauration des variations planifieacutees du taux de production et
drsquoimportation Il en ressort que lrsquoaggravation reacutecente de lrsquoinseacutecuriteacute alimentaire nrsquoest pas due
agrave de mauvaises reacutecoltes mais agrave la flambeacutee des prix alimentaires agrave la baisse des revenus et agrave
une augmentation du chocircmage qui ont reacuteduit lrsquoaccegraves des pauvres agrave la nourriture Peut-on
55
remeacutedier agrave ce problegraveme par les importations Ceci nous amegravene agrave la question des eacutechanges
internationaux et agrave leurs rocircles dans la stabilisation ou le deacuteseacutequilibre des marcheacutes de produits
de base
12 Les eacutechanges internationaux une neacutecessiteacute pour qui
Dans ce paragraphe nous aborderons les principaux eacuteleacutements qui deacuteterminent les
positionnements des pays au niveau du commerce agricole Ceci nous permettra de voir plus
clairement la relation dialectique entre le commerce international et la seacutecuriteacute alimentaire
121Les deacuteterminants du positionnement commercial agricole des pays
Le processus de libeacuteralisation de lrsquoagriculture a eacuteteacute et reste un secteur soumis agrave des
reacutegulations politiques plus ou moins fortes En effet depuis le XIXegraveme
siegravecle il nrsquoy a ni
tendance agrave la libeacuteralisation des politiques ni croissance tendancielle des eacutechanges (Hermelin
et al 2002) Ceci ne veut pas dire lrsquoinexistence des eacutechanges mais plutocirct un changement de
positions des pays en fonction de lrsquoeacutevolution de leurs capaciteacutes de production et agrave subvenir agrave
leurs besoins alimentaires de la place de lrsquoagriculture dans la croissance et du degreacute de
deacuteveloppement industriel ainsi que du rocircle que pourraient jouer les exportations dans le
deacuteveloppement eacuteconomique pour certains et dans le remboursement de la dette exteacuterieure
pour drsquoautres
La tregraves grande diversiteacute et lrsquoeacutevolution des situations dans lesquelles se trouvent les pays nous
obligent agrave faire un effort particulier sur le plan meacutethodologique Cet effort a consisteacute drsquoabord
agrave concevoir une deacutemarche meacutethodologique qui nous permet par la suite drsquoexpliquer les
positions commerciales de chacun et donc drsquoanalyser dans la mesure possible cette relation
dialectique entre les eacutechanges internationaux et la seacutecuriteacute alimentaire Nous pensons que les
orientations de la politique agricole et commerciale ainsi que les potentiels agricoles de
chaque pays sont les deacuteterminants principaux de sa position commerciale au niveau mondial
Degraves le jour ougrave le commerce international est devenu possible entre les continents via le
transport maritime les politiques agricoles et commerciales nrsquoont cesseacute drsquoeacutevoluer entre deux
logiques agrave savoir la production et lrsquoexportation
Lrsquoagriculture qui se pratiquait au deacutebut eacutetait une culture vivriegravere les reacutecoltes obtenues eacutetant
juste suffisantes pour la population Au fur et agrave mesure que les deacuteveloppements
technologiques (la force animale les engrais) furent appliqueacutes par les agriculteurs la
production agricole augmentait Cette augmentation a alors permis pour certains pays de
56
deacutepasser le seuil de subsistance et de reacutealiser des surplus au niveau de certains produits
agricoles Les surplus ont eacuteteacute eacutechangeacutes contre des produits dont ces pays ont besoin Petit agrave
petit les populations ont commenceacute de se speacutecialiser dans des activiteacutes pour lesquelles elles
disposent des avantages comparatifs Ceux-ci ont eacuteteacute deacuteveloppeacutes par la theacuteorie ricardienne
pour mettre en eacutevidence les meacuterites de politiques de speacutecialisation baseacutee sur le commerce
international (loi des avantages comparatifs) (Ricardo 1821) Selon cette theacuteorie chaque pays
doit se speacutecialiser dans les activiteacutes pour lesquelles il est comparativement le mieux placeacute en
terme de coucircts de production si bien que mecircme le pays le moins bien placeacute dispose de
domaines drsquoactiviteacute possibles qui sont ceux dans lesquels les autres pays sont
relativement moins performants Par exemple si un pays est plus efficace agrave la fois dans la
production de bleacute et dans celle de drap il nrsquoa pas inteacuterecirct agrave produire les deux articles agrave la fois
mais agrave concentrer ses efforts sur la production ougrave sa supeacuterioriteacute est la plus forte laissant au
concurrent moins performant le soin de se speacutecialiser dans lrsquoautre Ainsi deux logiques qui
faccedilonnent les politiques alimentaires des pays en reacutesultent soit la production pour assurer
lrsquoautosuffisance soit la speacutecialisation dans des cultures voueacutees agrave lrsquoexportation Cela ne veut
pas dire lrsquoabsence totale de lrsquoune ou de lrsquoautre mais plutocirct que lrsquoune prime dans lrsquoeacutelaboration
de ces politiques La figure ci-dessous essaie de scheacutematiser les diffeacuterents cas ougrave pourraient se
trouver les pays selon cette double logique
57
Figure 3 Positionnement des pays selon leur logique de production et drsquoexportation
Source auteur
Comme le nous constatons sur la figure ci-dessus il paraicirct clairement que lrsquointeacutegration plus
ou moins forte des pays dans une logique de production ou drsquoexportation voire les deux
deacutetermine son positionnement sur le marcheacute mondial et donc sa politique alimentaire Quatre
groupes de pays se deacutegagent Le premier adhegravere parfaitement agrave la double logique de
production et drsquoexportation Il contient majoritairement des pays du Nord (Eacutetats-Unis des
pays de lrsquoUnion Europeacuteenne Australie) et quelques grands pays du Sud comme le Breacutesil ou
lrsquoArgentine Le partage des mecircmes logiques ne signifie pas la convergence des politiques
agricoles et donc une position commune dans les neacutegociations commerciale au sein de lrsquoOMC
(Alpha et al 2006) LrsquoUE et les Etats-Unis imposent des tarifs quasi prohibitifs sur leurs
importations et subventionnent leur production agricole et leurs exportations Or les gros
Logique drsquoexportation
Forte
II- Des Pays Subsahariens et certains
pays de lrsquoAsie du Sud et des PVD
Cocircte drsquoIvoire Maroc Egypte Ukraine Mexique hellip
I- Les grands pays agrave vocation
agricole Etats-Unis Union
Europeacuteenne Breacutesil
Argentine Australie
Thaiumllande Russie Ukraine
Nouvelle-Zeacutelande hellip
Logique de production Logique de production
Faible Forte
IV- Le reste des pays Syrie Chinehellip
II- Importateurs nets Nigeria Jamaiumlque Peacuterou Iran
Algeacuterie Coreacutee du Nord et la plupart des pays pauvres
Afghanistan Djibouti Somalie hellip
Logique drsquoexportation
Faible
NB Ces positions ont eacuteteacute deacuteduites agrave partir des statistiques officielles de la FAO concernant la
production les exportations et les importations des pays lors des vingt derniegraveres anneacutees
58
pays agriculteurs en deacuteveloppement et certains pays deacuteveloppeacutes exportateurs41
demandent une
libeacuteralisation accrue du commerce des produits agricoles Ils sont nettement favorables agrave une
reacuteduction du protectionnisme et des mesures de soutien dans les pays deacuteveloppeacutes Pour ces
pays agricoles agrave vocation exportatrice lrsquoenjeu le plus important drsquoune libeacuteralisation des
eacutechanges agricoles est la croissance de leur secteur agricole et lrsquoeacutequilibre de leur balance des
paiements En effet ces pays considegraverent leur agriculture comme un secteur-clef qui
permettant de poursuivre leur objectif macro-eacuteconomique speacutecifique de croissance (Henry de
Frahan 1993)
Le deuxiegraveme groupe est constitueacute principalement des pays en deacuteveloppement voire des pays
les moins avanceacutes (PMA) Dans ce groupe on constate une inscription forte dans une logique
drsquoexportation face agrave une faible logique de production Ceci srsquoexplique par la politique de
speacutecialisation pratiqueacutee par ces pays les agrumes pour le Maroc ou le theacute pour le Kenya par
exemple Une politique agricole voueacutee presque exclusivement agrave lrsquoexportation au deacutetriment de
la culture vivriegravere trouve ainsi ses raisons ainsi dans les contraintes soit naturelles soit
institutionnelles (Jeffries 1984 Chaleacuteard 2003) Au Maroc comme dans beaucoup drsquoautres
PED les anneacutees 1990 ont vu srsquoaffirmer les tendances des politiques de speacutecialisation dans les
produits drsquoexportation et le deacutemantegravelement des offices de commercialisation et la plupart des
instruments de politiques agricoles (Achoum et al 1992 Firdawcy 1993)
Le troisiegraveme et le quatriegraveme groupe se caracteacuterisent par une faible inteacutegration de la logique
drsquoexportation due soit agrave une absence presque totale de la production agricole (comme crsquoest le
cas de la majoriteacute des pays tregraves pauvres comme lrsquoAfghanistan) soit tout simplement au fait
que la production correspond plus ou moins aux besoins alimentaires de leur population Les
importateurs nets comme le Japon et la Reacutepublique de Coreacutee se caracteacuterisent par une
agriculture extrecircmement proteacutegeacutee en particulier sur le commerce du riz et une forte
opposition inteacuterieure agrave toute reacuteforme du secteur Ils souhaitent donc vivement proteacuteger leurs
agriculteurs de la concurrence internationale en particulier dans le secteur rizicole pour
lequel ils sollicitent et beacuteneacuteficient drsquoun traitement speacutecial42
Quant aux autres pays en
deacuteveloppement importateurs nets ils ont eacutegalement drsquoimportants inteacuterecircts en jeu mecircme srsquoils
41
La majoriteacute de ces pays sont regroupeacutes dans le groupe de Cairns qui comprennent 14 pays deacuteveloppeacutes et en
deacuteveloppement agrave savoir lrsquoArgentine lrsquoAustralie le Breacutesil le Canada le Chili la Colombie les Iles Fidji la
Hongrie lrsquoIndoneacutesie la Malaisie la Nouvelle Zeacutelande les Philippines la Thaiumllande et lrsquoUruguay (Source
httpwwwwtoorgindexfrhtm page consulteacutee le 12072010) 42
Source httpwwwfaoorgdocrep003X7352Fx7352f04htmb6-
4420Le20amp171deacutesordreamp18720des20marcheacutes20agricoles20mondiaux (page consulteacutee le
21072010)
59
ont eu moins drsquoinfluence sur les discussions Globalement le groupe de pays en
deacuteveloppement importateurs nets de produits alimentaires se preacuteoccupe des effets neacutegatifs
possibles du processus de reacuteforme sur les factures drsquoimportations alimentaires Gracircce agrave leurs
efforts le Cycle drsquoUruguay a inclus une deacutecision ministeacuterielle en leur faveur (et en faveur des
pays les moins avanceacutes) qui preacutevoit quelques ameacutenagements pour corriger les effets neacutegatifs
possibles (Hermelin et al 2002)
Bien sucircr le positionnement de ces pays change en fonction de lrsquoeacutevolution de leur structure de
production agricole ou industrielle de leur population et notamment de leurs strateacutegies de
neacutegociation au sein de lrsquoOMC Diffeacuterents critegraveres des strateacutegies du commerce agricole
international peuvent ecirctre deacutefinis agrave partir de ces logiques (production exportation) Trois
grands deacuteterminants de la strateacutegie se distinguent le premier est celui du couple
productionconsommation alimentaire le deuxiegraveme concerne la part de la production agricole
dans le PIB le dernier est le niveau de stock de devises tireacute des exportations pour rembourser
la dette exteacuterieure
A) Le couple productionconsommation une production essentiellement
autoconsommeacutee
Le niveau de production agricole et sa capaciteacute agrave subvenir aux besoins neacutecessaires drsquoun pays
deacuteterminent largement son degreacute drsquoeacutechanges internationaux des produits alimentaires Les
pays qui font partie de cette cateacutegorie eacutelaborent ainsi deux types de politique alimentaire soit
une politique concentreacutee sur les importations des produits de base en raison de lrsquoinsuffisance
totale de la production agricole soit une politique de production agricole axeacutee sur
lrsquoautosuffisance alimentaire en donnant la prioriteacute au marcheacute interne Ce deacuteterminant du
couple ProductionConsommation conduit largement la politique commerciale des pays et
deacutetermine donc le degreacute drsquoouverture des marcheacutes agricoles Ce cadre a eacuteteacute pendant
longtemps la base de la plupart des politiques alimentaires Il faut rappeler que lrsquoobjectif des
pays deacuteveloppeacutes comme ceux de lrsquoEurope Occidentale (la France le Pays-Bashellip) ou le
Japon juste apregraves la deuxiegraveme guerre mondiale a eacuteteacute de reacuteduire ou drsquoeacuteliminer lrsquoinseacutecuriteacute
alimentaire Pour atteindre cet objectif la Communauteacute Europeacuteenne par exemple a mis en
60
place une politique communautaire baseacutee sur lrsquoameacutelioration de la production agricole en
deacuteveloppant en amont toute une activiteacute chimio-agricole (semences) ou drsquoeacutequipement agricole
moderne (Le Roy 1994) Cette politique a eacuteteacute accompagneacutee par une autre baseacutee sur la
protection des marcheacutes internes et les subventions aux agriculteurs afin de reacuteduire au
maximum les effets neacutegatifs des eacutechanges internationaux et la volatiliteacute des prix Le reacutesultat
en a eacuteteacute une augmentation importante de la production qui deacutepasse largement les besoins
alimentaires de lrsquoUE43
En deacutepit de ce meilleur reacutesultat lrsquoUE continue cependant la mecircme politique en lrsquoemployant
comme une arme commerciale dans les eacutechanges internationaux En effet comme lrsquoaffirme le
dernier rapport de la Banque Mondiale (2008) sur le deacuteveloppement dans le monde la
politique agricole de lrsquoUE et celle de la majoriteacute des pays deacuteveloppeacutes a stimuleacute
effectivement la production mais a aussi deacuteprimeacute les cours mondiaux Lrsquoaccegraves agrave leur marcheacute
est souvent limiteacute par le soutien direct aux agriculteurs ainsi que les tarifs et les quotas
drsquoimportation qui protegravegent les producteurs locaux des importations concurrentes Le
protectionnisme ainsi que les aides aux agriculteurs induisent une production locale
supeacuterieure agrave ce qursquoelle serait aux prix du marcheacute au deacutetriment des producteurs et exportateurs
internationaux (Alpha et al 2006)
Des efforts internationaux sont engageacutes pour reacuteduire ainsi la distorsion des prix sur les
marcheacutes mondiaux Dans ce cadre srsquoinscrivent timidement les reacuteformes de la politique
agricole des pays deacuteveloppeacutes Les reacuteformes preacutevoient notamment des aides laquo deacutecoupleacutees raquo de
la formation des prix de production en redonnant davantage lrsquoimportance agrave lrsquoeacuteconomie de
marcheacute Dans cette vision les aides seront conditionneacutees au respect des diverses
reacuteglementations en particulier environnementales Cette politique reacuteformiste suscite de
nombreux deacutebats Certains observateurs voient dans le deacutecouplage un outil neutre pour
assurer la continuiteacute et la reacutemuneacuteration de la multifonctionnaliteacute de lrsquoagriculture sans avoir
des effets de distorsions dans la formation des cours agricoles (OCDE 2001a Agrosynergie
2010)
Pour drsquoautres le deacutecouplage des soutiens pourrait rendre les prix des produits agricoles
volatils et donc susceptibles drsquoentraicircner une reacuteduction de la production de certains produits
alimentaires laquo Ces derniegraveres contraintes tiennent agrave la conjonction des fortes pressions
43
Source httpwwwtraitederomefrfrhistoire-du-traite-de-romel-heritage-du-traite-de-romela-politique-
agricole-communehtml (page consulteacutee le 19042010)
61
exerceacutees par les lobbies nationaux et dans le cas des Eacutetats-Unis les restrictions imposeacutees
par la leacutegislation et dans le cas de l Union europeacuteenne la complexiteacute des meacutecanismes de
gouvernance et des proceacutedures de deacutecision Crsquoest pour de telles raisons que les pays
deacuteveloppeacutes ont par exemple du mal agrave consentir agrave faire un sujet de neacutegociation de la reacuteduction
ou de lrsquoeacutelimination des subventions agricoles raquo (CNUCED 2007 p14) Ceci explique en
partie la progression lente de ces reacuteformes Le soutien moyen aux producteurs agricoles de
lrsquoUE est tombeacute agrave peine agrave 30 en 2003-2005 au lieu de 37 de la valeur brute des recettes
agricoles en 1986-1988 le deacutebut du cycle drsquoUruguay (Banque Mondiale 2008) Le couple
ProductionConsommation qui fait la base de la politique du commerce agricole international
des pays deacuteveloppeacutes est devenu aussi le deacuteterminant de celle de plusieurs pays en
deacuteveloppement En effet lors de la crise de 2008 laquo De nombreux PED ont introduit des taxes
agrave lrsquoexportation des restrictions quantitatives ou des embargos agrave lrsquoexportation des produits
alimentaires de base quand leurs prix ont flambeacute Le Vietnam lrsquoInde lrsquoEgypte la Chine le
Cambodge lrsquoIndoneacutesie et lrsquoOuzbekistan lrsquoont fait pour le riz (hellip) LrsquoArgentine lrsquoUkraine la
Russie le Kazakhstan le Pakistan la Chine et lrsquoInde ont restreint les exportations de bleacute raquo
(Berthelot 2008 p354)
B) Le couple agriculture PIB le rocircle de lrsquoagriculture dans le deacuteveloppement
Lrsquoagriculture est drsquoune importance cruciale en ce qui concerne la croissance globale dans les
pays agrave dominante agricole (Bairoch 1972) Par laquo pays agrave dominante agricole raquo on deacutesigne les
pays dans lesquels une large part de la croissance globale provient de lrsquoagriculture Certains
pays non inclus dans cette cateacutegorie ont sur le territoire national des reacutegions qui peuvent ecirctre
elles aussi deacutecrites comme eacutetant agrave dominante agricole (Banque Mondiale 2008) Dans cette
cateacutegorie on trouve une majoriteacute des pays en deacuteveloppement dont lrsquoagriculture constitue une
source principale de croissance de leurs eacuteconomies ainsi qursquoun facteur drsquoopportuniteacutes
drsquoinvestissement pour le secteur priveacute et un moteur de premier ordre pour lrsquoindustrie
apparenteacutee et le secteur rural non agricole Les deux-tiers de la valeur ajouteacutee agricole dans le
monde sont creacuteeacutes dans les pays en deacuteveloppement Dans les pays agrave vocation agricole elle
geacutenegravere en moyenne 29 du PIB et emploie 65 de la population active (presque 13
milliards de personnes dans le monde dont 97 dans les pays en deacuteveloppement) en
distribuant de 60 agrave 99 de revenus aux meacutenages ruraux Les industries et services associeacutes agrave
lrsquoagriculture dans les chaicircnes de valeur contribuent souvent pour plus de 30 du PIB dans les
pays en mutation et urbaniseacutes (Banque Mondiale 2008)
62
C) Le couple agriculturedette exteacuterieure un nouveau rocircle pour lrsquoagriculture le
remboursement de la dette exteacuterieure
Le dernier eacuteleacutement qui deacutetermine la politique commerciale des produits agricoles reacuteside dans
les retombeacutes de devises pour rembourser la dette exteacuterieure Cette situation concerne
notamment les pays les moins avanceacutes dont les liens entre les revenus tireacutes de lrsquoexportation de
produits agricoles et le paiement de la dette exteacuterieure ne cessent de se renforcer et drsquoeacutebranler
le rocircle traditionnel des exportations en tant que moteur de croissance (Berr 2003) La mise en
œuvre de cette politique par lrsquoapplication des PAS imposeacutes par le FMI a induit une strateacutegie
favorable agrave une agriculture drsquoexportation au deacutetriment des cultures vivriegraveres (Stiglitz 2002)
Afin de se procurer les devises neacutecessaires au remboursement de leur dette ces pays se
speacutecialisent dans les quelques produits pour lesquels ils ont des avantages comparatifs
(produits agricoles comme le coton le cafeacute le cacao etc) (Millet et Toussaint 2002)
Cette politique est tenue pour principale responsable de la situation eacuteconomique
catastrophique de ces pays surtout africains une agriculture lieacutee agrave la rente agricole qui a
limiteacute son expansion et sa modernisation et des comptes financiers dans le rouge puisque les
retombeacutes commerciales attendues sont minimes du fait des barriegraveres douaniegraveres et des
politiques de subvention mises en place par les pays riches laquo Comme les pays du Tiers
Monde (PTM) en gros ne sont pas tregraves industrialiseacutes ils sont obligeacutes de deacutevelopper
lrsquoagriculture drsquoexportation (cafeacute banane cacao coton bois) en dehors des minerais et du
peacutetrole Etant nombreux agrave eacutevoluer dans les mecircmes creacuteneaux de production il en reacutesultera
fatalement une impitoyable concurrence entre eux Et du fait drsquoune forte rigiditeacute des marcheacutes
occidentaux les PTM ne peuvent gagner chacun assez drsquoargent pour rembourser la dette
Dans le mecircme temps la prioriteacute absolue donneacutee agrave lrsquoagriculture drsquoexportation a ruineacute les
paysans qui se trouvent ainsi plongeacutes dans une misegravere encore plus grande pour la grande
cause du remboursement drsquoune dette qursquoils nrsquoont pas vue Le meacutecanisme est drsquoune logique
implacable raquo (Moukoko 2002)
Dans ce contexte les neacutegociations tregraves difficiles au sein du Cycle de Doha continuent pour
plus de deacutereacutegulation du commerce mondial qui vise drsquoapregraves ses deacutefenseurs agrave ameacuteliorer
lrsquoaccegraves au marcheacute pour les pays les moins deacuteveloppeacutes (Panitchpakdi 2005) Nous pensons
que ces trois deacuteterminants faccedilonnent et expliquent les positions de chacun dans ses
neacutegociations les pays riches avec leurs reacuteticences agrave reacuteduire leurs subventions et agrave ouvrir leurs
marcheacutes comme le demandent les pays en deacuteveloppement afin qursquoils puissent augmenter
63
leurs exportations Certes ces derniegraveres ont un rocircle tregraves important dans le deacuteveloppement et
lrsquoameacutelioration du niveau de vie de ces pays mais une libeacuteralisation accrue des eacutechanges
agricoles dans ces conditions pourrait contribuer agrave lrsquoinseacutecuriteacute alimentaire de ces pays
notamment africains dans la mesure ougrave les agriculteurs vont srsquoorienter vers les cultures qui
rapportent plus en abandonnant toute culture vivriegravere
122 Le commerce international et la seacutecuriteacute alimentaire
La tendance agrave la libeacuteration du commerce agricole conduirait comme dans les autres secteurs
agrave une division internationale du travail agricole dans laquelle un petit nombre de pays grands
producteurs satisfait les besoins alimentaires drsquoun nombre eacuteleveacute de pays deacuteficitaires Or il
srsquoagit drsquoun secteur strateacutegique qui pose agrave tous les pays le problegraveme politique social et
eacuteconomique de la seacutecuriteacute de leurs approvisionnements du maintien drsquoun mode de vie drsquoune
structure sociale et drsquoune culture La relation entre la seacutecuriteacute alimentaire et le commerce
international est un sujet brucirclant qui suscite drsquoimportantes controverses theacuteoriques entre ceux
qui voient dans la libeacuteralisation totale du commerce alimentaire un remegravede aux problegravemes de
la famine et de lrsquoinsuffisance alimentaire et ceux qui la voient au contraire comme une
menace agrave la culture vivriegravere et donc une cause de plus agrave lrsquoinaccessibiliteacute aux disponibiliteacutes
alimentaires Trois niveaux de la seacutecuriteacute alimentaire pourraient ainsi ecirctre affecteacutes par la
libeacuteralisation du commerce alimentaire (LCA) la disponibiliteacute des denreacutees alimentaires la
volatiliteacute des prix et lrsquoaccegraves des populations aux denreacutees alimentaires
A) Les promoteurs du libre-eacutechange agricole
Pour les libeacuteraux Smith Ricardo Friedman ou Krugman la libeacuteralisation est beacuteneacutefique pour
tous les pays qui y participent Elle permet drsquoapregraves eux une meilleure division internationale
du travail en speacutecialisant chaque pays dans les activiteacutes pour lesquelles il possegravede une
meilleure productiviteacute Les gains drsquoeacutechange restent la perception la plus importante de toute
lrsquoeacuteconomie internationale crsquoest-agrave-dire que lorsque des pays eacutechangent des biens et des
services crsquoest presque toujours pour leur beacuteneacutefice mutuel (Krugman 1981 Krugman et
Obstfeld 2006) Le commerce international est profitable mecircme en cas de grandes dispariteacutes
entre les pays eacutechangistes car il permet aux pays drsquoimporter les biens dont la production fait
un usage relativement intensif de facteurs qui sont localement rares et drsquoexporter les biens
dont la production fait un usage relativement intensif des facteurs qui sont localement
abondants Bien sucircr cette eacutequation commerciale est conditionneacutee par un eacutechange
complegravetement libre entre les pays autrement dit il faut supprimer toutes les barriegraveres agrave
64
lrsquoentreacutee ou agrave la sortie des biens afin que le marcheacute puisse fonctionner normalement les prix
peuvent ainsi baisser
La theacuteorie du commerce international vise agrave montrer que la libeacuteralisation des eacutechanges a une
influence positive sur la croissance agrave long terme de lrsquoeacuteconomie de diverses maniegraveres Elle
permet de reacuteduire le prix des intrants importeacutes et de lever les obstacles agrave lrsquoexportation
favorisant ainsi la speacutecialisation synonyme drsquoune augmentation de la productiviteacute totale des
facteurs dans lrsquoeacuteconomie gracircce aux eacuteconomies drsquoeacutechelle (Smith 1776) Ensuite lrsquoeacutechange
commercial est consideacutereacute comme un facteur drsquoattractiviteacute notamment des capitaux eacutetrangers
Crsquoest le cas de plusieurs pays asiatiques et certains pays de lrsquoAmeacuterique latine exportateurs la
Chine notamment qui ont vu leurs parts drsquoeacutechanges et les mouvements des capitaux
internationaux augmenter (Lemoine 1996) Enfin les eacutechanges sont un moyen de transfert de
technologie permettant une ameacutelioration des techniques employeacutees et donc de la productiviteacute
totale des facteurs
Ces arguments sont avanceacutes par les deacutefenseurs de la libeacuteralisation du commerce alimentaire
dans la mesure ougrave une application de ce principe pourrait ameacuteliorer les exportations de
certaines cultures du Sud et donc les revenus des agriculteurs qui peuvent servir agrave lrsquoachat
drsquoautres aliments importeacutes du Sud comme du Nord Effectivement laquo libeacuteraliser le commerce
des matiegraveres premiegraveres agricoles et faire geacuterer la production par le marcheacute comme toute
autre activiteacute eacuteconomique est le remegravede le plus couramment preacuteconiseacute agrave lrsquoheure actuelle raquo
(Boussard el al 2005 p8) En se reacutefeacuterant agrave cette thegravese le consommateur est sucircr de payer le
juste prix et tout gaspillage tant dans la production que dans la consommation est
pratiquement eacutelimineacute Dans cette optique une libeacuteralisation totale du commerce international
agricole permettrait une reacutegulation presque automatique de lrsquooffre et de la demande globales
Elle permettrait de deacutepasser les aleacuteas climatiques auxquels lrsquoagriculture est extrecircmement
sensible et de faire face ainsi agrave son caractegravere saisonnier Il srsquoagit du principe de la
compensation geacuteographique des reacutecoltes laquo les bonnes reacutecoltes ici peuvent compenser les
mauvaises lagrave raquo (Milhau 1960) Ce principe permettrait drsquoatteacutenuer eacutegalement les effets
deacutestabilisants de la reacuteduction des coucircts des intrants de production drsquoune part et de faire en
sorte que les marcheacutes demeurent ouverts pendant des peacuteriodes critiques de lrsquoautre
Pour certains promoteurs du libre-eacutechange agricole (Beacutenard Johnson) beaucoup de crises
alimentaires ne sont pas neacutees drsquoune catastrophe naturelle mais plutocirct des deacutecisions politiques
de certains pays et parce que les marcheacutes agricoles mondiaux sont moins soumis aux lois du
65
marcheacute que les marcheacutes mondiaux de produits industriels La libeacuteralisation du commerce
agricole est ainsi presque la seule solution agrave lrsquoinseacutecuriteacute alimentaire et lrsquoautosuffisance est une
pure fumisterie laquo Le Ghana importe les trois quarts du riz qursquoil consomme et pour cause
son territoire nrsquoest pas tregraves propice agrave lrsquoimplantation de riziegraveres Faudrait-il qursquoil devienne
autosuffisant demain Ou faut-il qursquoil soit capable drsquoexporter ce qui lui permettra drsquoimporter
le riz dont les ghaneacuteens ont besoin raquo eacutecrit-il Beacutenard (2008) sur le site de lrsquoinstitut Hayek 44
Il srsquoagit lagrave du principal argument des libeacuteraux contre toute politique publique interventionniste
pour assurer lrsquoautosuffisance Si des pays comme la Malaisie Taiumlwan ou la Coreacutee du Sud
aussi pauvres autrefois que lrsquoEgypte ou le Mozambique ont subi la crise alimentaire de 2008
de maniegravere moindre que drsquoautres pays crsquoest parce qursquoils se sont speacutecialiseacutes dans des activiteacutes
pour lesquelles ils sont les meilleurs Certes ces pays sont loin de lrsquoautosuffisance
alimentaire neacuteanmoins ils ont la capaciteacute drsquoacheter ce qursquoils ne produisent pas agrave ceux qui
savent le faire gracircce agrave leur insertion dans le commerce mondial Pour eux la hausse des prix
alimentaires si dramatique dans les autres pays pauvres nrsquoest qursquoune difficulteacute mineure
Dans ce contexte on peut comprendre la position des libeacuteraux vis-agrave-vis des subventions au
secteur agricole et des politiques protectionnistes Ils trouvent absurde les subventions verseacutees
par lrsquoEurope occidentale et les Eacutetats-Unis agrave leurs agriculteurs ainsi que les barriegraveres
douaniegraveres agrave lrsquoentreacutee de leurs marcheacutes domestiques imposeacutees par ces deux geacuteants politiques
Conjugueacutee agrave des progregraves techniques importants la PAC a stimuleacute la production agricole qui
progressivement deacutepassa les besoins communautaires Les exceacutedents agricoles
communautaires furent mis sur le marcheacute mondial agrave lrsquoaide de subventions agrave lrsquoexportation
suralimentant ce marcheacute et deacuteprimant les cours mondiaux (Henry de Frahan 1993)45 Crsquoest la
raison pour laquelle les adversaires de la PAC souhaitent que lrsquoagriculture devienne enfin un
secteur comme les autres soumis agrave la loi de lrsquooffre et de la demande deacutebarrasseacute des
meacutecanismes de protection et de soutien Aux experts libeacuteraux srsquoajoutent les experts
budgeacutetaires qui estiment la deacutepense agricole injustifieacutee aussi bien en taux de soutien qursquoen
proportion du budget communautaire (encore 32 en 2013) (Drevet 2008)
Alors que les pays du Sud ont commenceacute agrave supprimer depuis les anneacutees 1980 suite aux
prescriptions de la Banque Mondiale et du FMI leurs subventions au secteur agricole et
ouvrent leurs marcheacutes aux importations alimentaires les pays du Nord qui forment la
44
Source httpwwwfahayekorgindexphpoption=com_contentamptask=viewampid=1748ampItemid=53 (page
consulteacutee le 12092010) 45
Henry de Frahan 1993 p316
66
majoriteacute de lrsquoOCDE ont augmenteacute sur la mecircme peacuteriode pratiquement leurs productions et
leurs parts de marcheacute gracircce agrave leurs politiques de soutien au secteur agricole Les laquo Equivalents
Subvention agrave la Production raquo (ESP) sont passeacutes entre 1980 et 1990 de 99 agrave 176 milliards US
$ pour les pays de lrsquoOCDE soit une croissance de 75 en moyenne annuelle (OCDE 1991)
Cela correspond agrave une aide par exportant de 15 000 $ et une aide agrave lrsquohectare cultiveacute de 171 $
Par ailleurs 38 des importations agricoles de ces pays sont soumises agrave des mesures non
tarifaires (Azoulay 1998)
Par ailleurs les pays du Nord ont mis en place des meacutecanismes qui protegravegent autant les
producteurs que les consommateurs en cas de volatiliteacute extrecircme des prix Sous la pression des
pays eacutemergents ces meacutecanismes internes devraient disparaicirctre progressivement depuis le
deacuteclenchement du Cycle de lrsquoUruguay Cependant ce processus srsquoest ralenti lors du Cycle de
Doha notamment par les positions de lrsquoUE les Etats-Unis et lrsquoensemble des pays de lrsquoOCDE
Ces derniers refusent toujours drsquoabolir totalement leurs subventions agrave leurs agriculteurs qui
se sont eacuteleveacutees agrave 253 milliards USD (ou 182 milliards EUR) en 2009 Cela repreacutesente 22
de lrsquoensemble des recettes agricoles brutes (ESP en ) soit une leacutegegravere hausse par rapport au
pourcentage de 21 enregistreacute en 2008 (OCDE 2010) Pour ces pays une suppression de
leurs politiques agricoles protectionnistes provoquerait une chute des revenus de leurs
agriculteurs et ne profiterait qursquoaux grands pays agricoles eacutemergents (Breacutesil Argentine
Indehellip) et ne pas aux pays pauvres
Pour les libeacuteraux ces craintes vis-agrave-vis des effets drsquoune libeacuteralisation des eacutechanges agricoles
sont geacuteneacuteralement exageacutereacutees Les eacutetudes montrent geacuteneacuteralement depuis le deacuteclenchement du
Cycle de lrsquoUruguay que les conseacutequences de la libeacuteralisation des politiques et des eacutechanges
agricoles sont en effet moins dramatiques que lrsquoestiment les agriculteurs et les deacutecideurs
politiques Les deacutecideurs politiques ont tendance agrave surestimer lrsquoampleur de la chute des prix
nationaux qursquoentraicircnerait la libeacuteralisation des eacutechanges parce qursquoils neacutegligent lrsquoeffet deacutepressif
de leur propre politique protectionniste sur les cours mondiaux (Koester et Tangermann
1990 p108-109 citeacute par Henry de Frahan 1993 p 315) Ils ont pareillement tendance agrave
surestimer lrsquoeffet drsquoune reacuteduction du prix des produits agricoles sur le revenu agricole Parce
que de nombreux produites agricoles sont des produits incorporeacutes dans la production drsquoautres
produits agricoles (par exemple les ceacutereacuteales pour lrsquoalimentation animale) une reacuteduction
simultaneacutee pour lrsquoensemble des produits agricoles a un effet moins prononceacute
67
sur les revenus que la diminution des prix de produits finaux uniquement (par exemple les
produits de lrsquoeacutelevage)
Par ailleurs les agriculteurs de ces pays devraient beacuteneacuteficier de charges fonciegraveres moins
lourdes gracircce agrave une deacuteflation attendue des prix des terres agrave des progregraves techniques susciteacutes
par une plus grande concurrence internationale et agrave des eacuteconomies drsquoeacutechelle Les
consommateurs et les contribuables des pays du Nord devraient eacutegalement en beacuteneacuteficier gracircce
agrave la baisse des prix et aux eacuteconomies budgeacutetaires (Blandford 1990 p 429 citeacute par Henry de
Frahan 1993 p 315) Il ne faut pas craindre que ces pays agrave vocation exportatrice puissent se
substituer aux producteurs nationaux des grandes entiteacutes comme la Communauteacute europeacuteenne
ou les Eacutetats-Unis Les productions agricoles de la Nouvelle-Zeacutelande et de lrsquoAustralie sont
marginales par rapport agrave la production et agrave la consommation du reste du monde et elles le
resteront avec une libeacuteralisation des eacutechanges agricoles (Henry de Frahan 1993)
Quant aux pays eacutemergents ces mesures ont lourdement alteacutereacute la capaciteacute de leurs agricultures
agrave srsquoadapter car leurs cultures doivent faire face agrave la concurrence de produits subventionneacutes
donc vendus en dessous de leur prix de revient normal (Hermelin et al 2002 Alpha et al
2006) Certains de ces pays sont eacutegalement victimes du protectionnisme alimentaire qui se
traduit par une hausse des prix inteacuterieurs laquelle nuit surtout aux consommateurs pauvres
pour lesquels les deacutepenses alimentaires sont hors de proportion46
Le protectionnisme ne
beacuteneacuteficie pas dans une mesure eacutegale aux pauvres des zones rurales dont deux groupes sont
laisseacutes pour compte ceux qui ne possegravedent pas de terres cultivables mais doivent payer un
prix plus eacuteleveacute en tant que consommateurs ceux qui possegravedent des terres mais ne produisent
pas agrave des fins commerciales Mecircme les producteurs commerciaux qui peuvent voir leur
revenu augmenter agrave court terme nrsquoen tireront pas drsquoavantages agrave long terme par exemple sous
forme drsquoune reacuteduction sensible de lrsquoeacutecart entre leur revenu et celui du secteur non agricole
Cette reacuteduction ne pourra provenir que de mesures propres agrave accroicirctre la productiviteacute agricole
et agrave faciliter le deacuteplacement de la main-drsquoœuvre etc
Par ailleurs le protectionnisme encourage indirectement les agriculteurs agrave poursuivre la
production de cultures vivriegraveres de faible valeur au lieu de srsquoorienter vers des cultures
drsquoexportation non traditionnelles de haut rapport moyen plus efficace pour accroicirctre leur
46
Source httpwwwfahayekorgindexphpoption=com_contentamptask=viewampid=1748ampItemid=53 (page
consulteacutee le 12092010)
68
revenu et eacutechapper agrave la pauvreteacute Lrsquoabsence de production pour lrsquoexportation reacuteduit agrave son tour
la faculteacute du pays drsquoacqueacuterir des devises et compromet sa capaciteacute structurelle drsquoimporter des
denreacutees alimentaires et autres produits De plus lorsqursquoun grand nombre de pays en
deacuteveloppement protegravegent leur production vivriegravere en preacutelevant des droits agrave lrsquoimportation ils
dressent en fait des obstacles importants aux eacutechanges SudndashSud (Mitchell et Nash 2005)
Il en ressort qursquoune limitation des politiques de soutien et de protection pratiqueacutees par tous les
pays agrave leurs agriculteurs et une libeacuteralisation totale des marcheacutes ne pourraient qursquoecirctre
beacuteneacutefiques pour les pays agrave bas et moyens revenus Ceux-ci pourraient avoir accegraves librement
avec un coucirct raisonnables aux intrants (les carburants les engrais les machines le capitalhellip)
neacutecessaires pour ameacuteliorer leur production agricole nationale etou compleacuteter leurs stocks de
produits alimentaires Par ailleurs agrave part les quelques grands pays importateurs nets de
produits agricoles la libeacuteralisation des eacutechanges stimule la croissance eacuteconomique des pays agrave
bas et moyens revenus aidant ainsi des millions de personnes agrave sortir de la pauvreteacute (Mitchell
et Nash 2005) Pour ces pays il est cependant neacutecessaire que soient mises en place des
politiques compleacutementaires pour que lrsquoaugmentation des cours mondiaux atteigne
effectivement les producteurs Il est eacutegalement neacutecessaire que ces producteurs aient accegraves aux
instruments de deacuteveloppement notamment la technologie le creacutedit et les infrastructures Par
contre les pays importateurs nets de produits souffriront drsquoune augmentation des cours
mondiaux (Goldin et Van der Mensbruggh 1992) Pendant la phase transitoire ces pays
devraient pouvoir beacuteneacuteficier de mesures de compensation (Henry de Frahan 1993)
Ce raisonnement qui constitue la ligne directrice de lrsquoOMC affirme que la seacutecuriteacute
alimentaire nrsquoest pas synonyme de lrsquoautonomie sur le plan alimentaire Une telle autonomie
nrsquoest qursquoun objectif illusoire dans le monde contemporain du fait qursquoune tregraves large gamme
drsquointrants intervient dans lrsquoensemble du cycle de production et aucun pays nrsquoest pas agrave lrsquoabri
drsquoeffets climatiques soudains (qui peuvent annihiler toute la production agricole nationale)
selon Panitchpakdi (2005) directeur de lrsquoOMC Pour les experts de lrsquoOMC le meilleur
moyen de garantir la seacutecuriteacute alimentaire est un monde eacuteconomiquement inteacutegreacute et
politiquement interdeacutependant Leur argument est baseacute sur le principe de la compensation
geacuteographique Crsquoest dans cette vision que srsquoinscrit eacutegalement la position de la FAO en
consideacuterant que laquo le commerce agricole et la libeacuteralisation des eacutechanges peuvent deacutebloquer
le potentiel du secteur agricole stimuler la croissance eacuteconomique et promouvoir la seacutecuriteacute
alimentaire (hellip) dans les pays pauvres Selon la FAO des eacutechanges agricoles plus libres
69
deacutegageront des gains mondiaux et contribueront agrave reacuteduire la faim et la pauvreteacute raquo (FAO
2005c p 1) La FAO voit dans la prise des mesures compatibles avec les regravegles de lrsquoOMC un
moyen pour mettre en place des incitations permettant aux petits exploitants des pays en
deacuteveloppement drsquoaccroicirctre leur productiviteacute et drsquoaffronter plus eacutequitablement la concurrence
sur les marcheacutes mondiaux (FAO 2005a)
Au total lrsquoinsertion dans le commerce international permet aux pays drsquoacceacuteder agrave des marcheacutes
plus importants pour leurs produits En effet ces pays en profitent pour acceacuteder en outre agrave
des disponibiliteacutes alimentaires plus importantes et agrave des meilleurs marcheacutes que srsquoils devaient
compter sur leur seule production domestique drsquoune part et pour acqueacuterir des technologies
neacutecessaires agrave lrsquoaugmentation de la productiviteacute de lrsquoautre Crsquoest dans cette conception que la
FAO voit dans le commerce international comme un eacuteleacutement fondamental drsquoun ensemble de
politiques qui reacuteduisent les ineacutegaliteacutes et accroicirctre la seacutecuriteacute alimentaire (FAO
2005a) Autrement dit la FAO voit dans la libeacuteralisation du commerce des produits agricoles
lrsquooccasion de baisser les niveaux de sous-alimentation et drsquoameacuteliorer les revenus des
agriculteurs des pays agrave faible revenu en empecircchant les programmes nationaux des pays
deacuteveloppeacutes drsquoappui agrave lrsquoagriculture de placer des produits de base subventionneacutes sur les
marcheacutes mondiaux au deacutetriment des producteurs des pays en deacuteveloppement Par ailleurs les
pays en deacuteveloppement peuvent veiller agrave ce que leurs propres systegravemes commerciaux
permettent de stimuler autant que possible la croissance du secteur agricole
B) Les limites du libre-eacutechange agricole
Lrsquoagriculture par sa multifonctionnaliteacute47 nrsquoest pas un secteur comme les autres et donc ne
peut pas ecirctre soumise au jeu du marcheacute laquo Par la mecircme elle creacutee des sous-produits obtenus
sans reacutefeacuterence aux marcheacutes des ameacuteniteacutes et des nuisances qui de toute eacutevidence affectent le
bien ecirctre geacuteneacuteral raquo (Boussard et al 2005 p11) Crsquoest lagrave lrsquoun des principaux arguments
avanceacutes pour contrecarrer la thegravese des libeacuteraux Par ailleurs les prix des matiegraveres premiegraveres
agricoles sont instables pour les raisons qursquoon a deacuteveloppeacutees preacuteceacutedemment Si on constate
dans plusieurs pays notamment en Europe une sorte de stabiliteacute agrave ce niveau crsquoest gracircce agrave
47
Le terme de multifonctionnaliteacute a eacuteteacute geacuteneacuteralement interpreacuteteacute au plan de lrsquoanalyse eacuteconomique comme
deacutesignant lrsquoeacutelaboration drsquoune pluraliteacute de produits au sein drsquoun mecircme processus de production (Bartheacutelemy et
Nieddu 2002)
70
lrsquointervention eacutetatique de sorte que ni le consommateur ni les agriculteurs ne subissent les
diffeacuterentes fluctuations qui caracteacuterisent le marcheacute agricole
Le marcheacute agricole est un marcheacute particulier par la nature impreacutevisible et saisonniegravere de la
production agricole Effectivement les conditions climatiques et pheacutenomegravenes
biologiques (eacutepizooties maladies cryptogamique etc) changent drsquoune anneacutee agrave lrsquoautre et par
conseacutequent les rendements peuvent varier (dans les deux sens) du simple au double Il faut
rappeler dans le monde industriel aucun entrepreneur nrsquooserait mettre en train sa production
srsquoil avait dans son calcul autant drsquoeacuteleacutements aleacuteatoires agrave la diffeacuterence industrielle la
production agricole nrsquoest ni exactement preacutevisible ni totalement maicirctrisable (Milhau 1960)
Mecircme si la production est bonne et en croissance les agriculteurs nrsquoen profitent pas en raison
drsquoun cocircteacute de la part importante des intermeacutediaires et de lrsquoautre de la faible eacutelasticiteacute de la
demande des biens alimentaires par rapport au revenu de lrsquoautre cocircteacute (Badouin 1985)
Ce raisonnement constitue la base pour lutter contre le processus de libeacuteralisation totale du
commerce agricole dans lequel les consommateurs et les agriculteurs du Sud comme du Nord
seront des perdants Pour eux si les pays industrialiseacutes ouvrent totalement ses marcheacutes et
suppriment toute aide ou tout soutien agrave leurs agriculteurs cela conduirait naturellement agrave la
disparition de leurs cultures et donc agrave de graves problegravemes sociaux eacuteconomiques et
politiques Il en reacutesulte ainsi laquo une baisse des exceacutedents et des stocks publics et une hausse
des cours mondiaux Lrsquoimpact sur la situation des pays deacuteficitaires est neacutegatif par la
reacuteduction des disponibiliteacutes le rencheacuterissement des coucircts en devises des importations et la
reacuteduction de lrsquoaide alimentaire Dans ce contexte les pays agrave faible revenu et agrave deacuteficit vivrier
peuvent difficilement ecirctre inciteacutes par les PAS agrave recourir aux importations pour assurer leur
seacutecuriteacute alimentaire agrave limiter leurs stocks agrave reacuteduire les soutiens internes aux productions
vivriegraveres ou agrave la fourniture drsquointrants raquo (Azoulay 1998 p31)
Il faut rappeler que lrsquoobjectif initiale des PAS imposeacutes par le FMI et la BM au deacutebut des
anneacutees 1980 eacutetait drsquoameacuteliorer la balance commerciale afin drsquoatteindre des taux de croissance
eacuteconomique plus eacuteleveacutes gracircce agrave une allocation plus efficace des ressources en particulier en
rapprochant les prix inteacuterieurs des prix internationaux (Nouha 1992) Pour y arriver ils ont
supprimeacute toute barriegravere douaniegravere aux importations agricoles et supprimeacute toute subvention agrave
leur agriculture ou reacuteglementation des prix locaux afin de les aligner sur les produits
mondiaux Par ailleurs pour encourager leurs exportations ils ont mis en place des politiques
macroeacuteconomiques telles que la reacuteduction de taux de change sureacutevalueacutes et mise en place des
71
conditions macroeacuteconomiques plus stables permettant aux exportateurs drsquoaccroicirctre leur part
du marcheacute mondial (Hugon 1991) Les reacutesultats escompteacutes de ces reacuteformes sont diffeacuterents
drsquoune reacutegion agrave une autre
Prenons lrsquoexemple de lrsquoAfrique ougrave 60 environ des pays ont appliqueacute ces reacuteformes et ougrave 30
pays drsquoAfrique subsaharienne souffrent de sous-alimentation On trouve que laquo la balance
commerciale srsquoest leacutegegraverement deacuteteacuterioreacutee apregraves la libeacuteralisation du commerce Dans les pays
africains cette balance srsquoeacutetablissait agrave 77 du PIB apregraves la libeacuteralisation contre 66
avant la libeacuteralisation raquo (CNUCED 2008 p15) Concernant la situation alimentaire de ces
pays elle nrsquoa pas connu une ameacutelioration significative Suite aux prescriptions de la BM et du
FMI la production agricole de la majoriteacute des pays du Sud srsquoest tourneacutee vers lrsquoexportation et
les aliments destineacutes au beacutetail au grand beacuteneacutefice de lrsquoindustrie agro-alimentaire tandis que la
malnutrition devenait un redoutable problegraveme de santeacute que les emplois agricoles diminuaient
et que ces pays se mettaient agrave importer massivement de quoi se nourrir (Hibou 1991)
Cela accroicirct la deacutependance vis-agrave-vis des marcheacutes mondiaux et diminue lrsquoinvestissement dans
la production des cultures vivriegraveres locales En effet durant les derniegraveres deacutecennies les
accords commerciaux multilateacuteraux bilateacuteraux et reacutegionaux ont deacutegradeacute la capaciteacute des pays
en deacuteveloppement agrave subvenir agrave leurs besoins alimentaires comme par exemple le Mali le
Bangladesh lrsquoIndoneacutesie ou le Mexique Par suite de la suppression progressive des barriegraveres
douaniegraveres des pays en deacuteveloppement tels que les Philippines le Kenya le Ghana ou la
Jamaiumlque ont subi le dumping de produits fortement subventionneacutes qui ont porteacute atteinte agrave la
production alimentaire locale Les pays en deacuteveloppement sont ainsi passeacutes du statut
drsquoexportateurs nets de produits alimentaires au statut drsquoimportateurs nets Leur balance
exceacutedentaire de 19 milliards de dollars dans les anneacutees 1970 est devenue deacuteficitaire de plus
que 9 milliards de dollars en 2004 Les importations de ceacutereacuteales des pays agrave faible revenu ont
atteint 38 milliards de dollars en 2007 Les projections de la FAO montrent que le deacuteficit
commercial de produits alimentaires des pays en deacuteveloppement pourrait grimper agrave plus de 50
milliards de dollars drsquoici 2030 (FAO 2009a)
Une telle situation trouve sa raison dans lrsquoignorance totale des politiques de libeacuteralisation et -
de nombreuses deacutefaillances de marcheacutes qui caracteacuterisent les pays drsquoAfrique et du Sud en
geacuteneacuteral Des deacutefaillances qui sont globalement le reacutesultat de lrsquoimperfection de lrsquoinformation et
lrsquoexistence de coucircts de transaction ainsi que la mauvaise deacutefinition des droits de proprieacuteteacute qui
sont agrave lrsquoorigine de pheacutenomegravenes de hasard moral et de seacutelection adverse sur les marcheacutes de
72
lrsquoassurance du creacutedit et des intrants (Williamson 1993) Mais il y a pire encore ce sont les
seacuteries chaotiques Celles-lagrave ne doivent rien au hasard (elles sont laquo deacuteterministes raquo)
Cependant elles sont extrecircmement sensibles aux conditions initiales et ainsi totalement
impreacutevisibles mecircme lorsque le modegravele de formation des prix est parfaitement connu
Day (1994 citeacute par Boussard et al 2003 p117) et Boussard (1994) par exemple eacutetablissent
les conditions drsquoeacutemergence drsquoune dynamique chaotique dans les modegraveles eacuteconomiques Elles
reposent sur une deacutefaillance de marcheacute fondamentale qui est lrsquoimperfection de lrsquoinformation
Les agents incapables drsquoanticiper le prix drsquoeacutequilibre se trompent dans leurs anticipations
leurs erreurs affectent les volumes drsquoeacutequilibre donc le prix dont le mouvement contribue agrave
perpeacutetuer les erreurs drsquoanticipation etc Le prix ne tend alors plus vers un eacutequilibre stable de
long terme perturbeacute par les seuls chocs exogegravenes il eacutevolue selon une dynamique chaotique
se traduisant par des fluctuations endogegravenes contre lesquelles un eacutelargissement du marcheacute
sera sans effet Dans ces modegraveles ce sont les comportements eacuteconomiques en preacutesence de
deacutefaillances de marcheacute et non les politiques protectionnistes qui sont responsables de
lrsquoinstabiliteacute (Boussard et al 2003)
Dans ce contexte lrsquoeacutequilibre de marcheacute est inefficace et la perte de bien-ecirctre qui en deacutecoule
est plus importante pour les agents pauvres Ainsi les paysans qui nrsquoont pas accegraves (ou un
accegraves difficile) aux meacutecanismes drsquoassurance au creacutedit et ne disposent pas des intrants de
qualiteacute ne sont en mesure ni de reacutepondre aux nouvelles incitations lorsque la libeacuteralisation
engendre des hausses de prix agrave la production ni de se proteacuteger contre une instabiliteacute accrue de
leurs revenus Les premiers affecteacutes sont les paysans pauvres pour qui le risque est plus
coucircteux et qui nrsquoont pas de garantie agrave offrir agrave un organisme de creacutedit (Araujo-Bonjean 2002)
En plus de lrsquoabsence de ces meacutecanismes drsquoassurance et les coucircts tregraves eacuteleveacutes des transactions
il ne faut pas neacutegliger eacutegalement la deacutefaillance de presque toutes les institutions (eacutetatiques)
des pays du Sud (Dijkema et al 2008)
La libeacuteralisation des eacutechanges que ce soit dans le domaine agricole ou ailleurs aurait des
conseacutequences tout agrave fait preacutejudiciables sur lrsquoaccegraves des populations aux denreacutees alimentaires
dans les pays qui ne participent pas agrave la course agrave la compeacutetitiviteacute et qui souffrent de la faim et
de la malnutrition Dans ces pays la demande et lrsquooffre de produits alimentaires ne sont pas
totalement seacutepareacutees puisque la quasi-totaliteacute des revenus de leurs populations sont tireacutes de
lrsquoagriculture (Banque Mondiale 2008 FAO 2006c) Ceci nous renvoie agrave la question des
ineacutegaliteacutes de reacutepartition du revenu mondial entre pays et entre grandes reacutegions du monde
73
ainsi que dans chaque pays Les ineacutegaliteacutes de reacutepartition du revenu national sont au cœur de la
seacutecuriteacute alimentaire et par lagrave de la question de la pauvreteacute des nations et pauvreteacute des
individus
Quant aux pays susceptibles de profiter drsquoune ouverture totale des marcheacutes agricoles il nrsquoest
pas certain que tous puissent le faire agrave long terme puisqursquoil faut que les avantages comparatifs
soient favorables agrave leurs agriculteurs laquo Eacutetant donneacutee la diffeacuterence dans les techniques et dans
les conditions de production on peut craindre que nombre drsquoagricultures des pays du Sud ne
soient pas compeacutetitives avec celles de reacutegions des pays deacuteveloppeacutes Pourtant lrsquoimportance
drsquoun secteur agricole dynamique dans le deacuteveloppement est largement reconnue Elle est lieacutee
aux effets drsquoentraicircnement associeacutes agrave la croissance de ce secteur agrave la mise en place des
infrastructures neacutecessaires agrave son deacuteveloppement et aux effets multiplicateurs associeacutes agrave la
croissance drsquoune demande solvable raquo (Boussard et al 2003 p115)
Cette analyse anti-libeacuteralisation du commerce agricole est consolideacutee par une autre qui voit
dans le processus du cycle de Doha un risque de creacuteer une pression sur les prix par la
croissance de la demande et par les chocs exteacuterieurs au systegraveme (pex la speacuteculation) Les
pays producteurs sortant indemnes de ce processus orientent leurs politiques drsquoexportation
vers les marcheacutes porteurs en geacuterant lrsquoinstabiliteacute constante La demande non solvable relegraveve
alors de lrsquoaide alimentaire dont les pays producteurs assurent la livraison en tentant de se
constituer des zones drsquoinfluence (Azoulay 1998) Ces pays producteurs ne sont pas eacutegalement
agrave lrsquoabri des effets deacutestabilisateurs du librendasheacutechange qui concernent autant les marchandises
que les capitaux Les fonds drsquoinvestissement priveacutes ont commenceacute agrave acheter de grandes
quantiteacutes de terres dans les pays du Sud (Breacutesil Eacutethiopie) et agrave les utiliser non pas pour
nourrir les pauvres mais pour faire des profits ce que signifie qursquoen cas de chocs financier
ces pays se retrouveraient en pleine crise et la seacutecuriteacute alimentaire mondiale serait alors
menaceacutee (Grain 2010)
Lrsquoagriculture selon les anti-libeacuteraux nrsquoest pas en mesure drsquoadheacuterer agrave la logique du marcheacute du
fait de son incapaciteacute agrave parvenir agrave assurer convenablement la distribution des produits
agricoles et agrave geacuterer convenablement les forces productives Lrsquoaccumulation des exceacutedents
invendables dans certains pays au moment ougrave les hommes meurent de faim ailleurs montre
bien lrsquoimpuissance des meacutecanismes spontaneacutes de correction et drsquoorientation de lrsquoeacuteconomie
Autrement dit les automatismes du marcheacute ne sont pas en mesure par le libre
74
fonctionnement de garantir lrsquoeacutequilibre de lrsquooffre et de la demande dans la peacuteriode courte et
lrsquoeacutequilibre de la production et des besoins dans la peacuteriode longue (Milhau 1960)
Cette remise en cause de la theacuteorie libeacuterale du commerce agricole est eacutegalement lrsquoœuvre
drsquoune partie des eacuteconomistes (Goldin et Van der Mensbrugghe 1992) dits libeacuteraux ainsi que
des rapports des grandes institutions internationales (Banque Mondiale OCDE) laquo En effet
lorsque des eacuteconomistes au creacutedit acadeacutemique irreacuteprochable comme Dani Rodrik ont mis en
eacutevidence des effets indeacutesirables de la globalisation (tout en soulignant leur attachement aux
principes drsquoun commerce plus libre) il est devenu plus difficile de balayer les critiques Les
comparaisons internationales fines sur la croissance montrent en effet que lrsquoouverture
commerciale nrsquoest pas la panaceacutee en matiegravere de deacuteveloppement mecircme si elle y contribue raquo
(Baldwin 2004 citeacute par Bureau et al 2004 p2)
Si les politiques des pays du Nord sont trop coucircteuses et sources de gaspillages et si la
libeacuteralisation preacutesente beaucoup drsquoinconveacutenients et tregraves peu drsquoavantages nrsquoy a-t-il pas
drsquoautres issues Deux facteurs principaux sont avanceacutes pour mettre en eacutevidence ce dilemme
entre les gains escompteacutes ou les pertes reacutesultant eacuteventuellement drsquoune libeacuteralisation totale du
commerce des matiegraveres premiegraveres alimentaires Le premier renvoie agrave lrsquoinertie du facteur
naturel sur lequel lrsquohomme nrsquoa que peu de prise la production Effectivement comme on a
signaleacute au paravent laquo Le comportement de lrsquoagriculture nrsquoest pas un comportement
drsquoindustriel celui-ci fait un calcul drsquoentrepreneur capitaliste celui-lagrave raisonne comme un
consommateur dont les deacutecisions sont commandeacutees avant tout par les recettes reacutealiseacutees et non
pas les reacutesultats escompteacutes Toutes les analyses eacuteconomiques concordantes pour montrer que
les achats drsquoengrais ou le deacuteveloppement des surfaces cultiveacutees sont en correacutelation
significative avec le produit brut des reacutecoltes passeacutees beaucoup plus qursquoavec tout autre
eacuteleacutement eacuteconomique raquo (Milhau 1960 p552)
Le deuxiegraveme facteur est lieacute plutocirct agrave lrsquoinertie sociologique du milieu dans la mesure ougrave les
structures mentales reacutesistent au changement comme la forme des champs comme le systegraveme
de culture Par ailleurs Il est lieacute agrave sont tour agrave deux hypothegraveses Lrsquoagriculteur et le
consommateur disposent entiegraverement de toutes les informations neacutecessaires agrave leurs
transactions et dans un cas pareil toute politique agricole interventionniste va apparaicirctre
comme des contraintes qui reacuteduisent lrsquoefficaciteacute des comportements de ces agents
eacuteconomiques elles aboutissent ainsi forceacutement agrave des pertes globales (Boussard et al 2003)
En revanche lrsquoautre hypothegravese postulant la version avec imperfection de lrsquoinformation
75
souligne lrsquointeacuterecirct des politiques agricoles laquo En reacuteduisant les incertitudes auxquelles les
agriculteurs sont soumis les politiques publiques encouragent lrsquoinvestissement le
deacuteveloppement de la production et minimisent les inefficiences lieacutees aux erreurs de
preacutevisions Si le jeu des avantages comparatifs est susceptible de permettre des gains
drsquoefficaciteacute ceux-ci ne deacutepassent pas quelques pourcents des revenus distribueacutes Autrement
dit il ne faut donc pas attendre un bouleversement majeur de la laquo donne raquo mondiale en faveur
des pays les plus pauvres suite au retrait des politiques agricoles raquo (Boussard et al 2003
p131-132)
Il apparaicirct clairement que les deux courants se rejoignent globalement sur deux points au
moins il faut augmenter la production agricole il faut ameacuteliorer les revenus des populations
pauvres afin de lutter contre lrsquoinseacutecuriteacute alimentaire Ces thegravemes qui ont fait lrsquoobjet de
plusieurs thegraveses et de nombreuses publications sont interdeacutependants et compleacutementaires
Mais ils se convergent plus ou moins sur lrsquoimportance de la production agricole vivriegravere
lrsquoœuvre des agriculteurs familiaux dans la lutte contre lrsquoinseacutecuriteacute alimentaire Drsquoabord elle
permet drsquoassurer un minimum de revenu et des besoins alimentaires de ces agriculteurs qui
constituent la majoriteacute des populations pauvres Ensuite elle offre des aliments sains et de
qualiteacute en raison de leur faible utilisation des produits chimiques Enfin les pratiques
culturales extensives de lrsquoagriculture familiale permettent de conserver les ressources
naturelles neacutecessaires pour assurer la seacutecuriteacute alimentaire des populations futures En
revanche elle devrait eacuteviter les pratiques culturales industrielles dont les effets sur
lrsquoenvironnement sur la qualiteacute des produits sur lrsquoemploi sont tregraves controverseacutes voire dans la
plupart des cas neacutegatifs On verra dans la prochaine section comment lrsquoagriculture familiale
pourrait-elle reacuteussir agrave se deacutevelopper sans le recoures agrave des meacutethodes exclusivement
productivistes
SECTION 2 LrsquoAGRICULTURE FAMILIALE COMME VECTEUR DE
STABILITEacute ALIMENTAIRE
Produire plus et mieux tel est le but des diffeacuterents acteurs (Banque Mondiale FAO Etats hellip)
de la politique alimentaire pour mettre fin agrave lrsquoinseacutecuriteacute alimentaire la faim et la sous-
alimentation chronique Il est tregraves difficile en effet drsquoignorer les efforts et les politiques meneacutes
par les organisations internationales et les gouvernements pour lutter contre la faim et pour
76
reacuteinvestir dans lrsquoagriculture48
Dans ce contexte deux principes sont pris en compte dans
lrsquoeacutelaboration de ces politiques laquo le premier appelant agrave un changement de paradigme baseacute sur
le droit agrave lrsquoalimentation le second mettant en avant lrsquoaugmentation de lrsquoappui agrave lrsquoagriculture
de proximiteacute raquo (Golay 2010 p14) La revalorisation de celle-ci est avant tout baseacutee sur
lrsquoagriculture familiale qui semble ecirctre un outil extrecircmement inteacuteressant comme le signalent
beaucoup drsquoexperts (Banque Mondiale 2008 FAO 2009a) pour atteindre ces diffeacuterents
objectifs Effectivement lrsquoagriculture familiale est au centre des solutions agrave apporter agrave
lrsquoinseacutecuriteacute alimentaire et a prouveacute qursquoelle disposait drsquoune grande capaciteacute drsquoadaptation pour
surmonter les crises49
Lrsquoagriculture familiale - une exploitation souvent de petite eacutechelle exploiteacutee par une famille
aideacutee parfois par une main drsquoœuvre salarieacutee limiteacutee - reste la forme la plus reacutepandue
drsquoorganisation agricole et ce mecircme dans les pays industrialiseacutes En effet le modegravele agricole
industriel ne srsquoest pas reacutepandu agrave la suite de la premiegravere reacutevolution agricole au point drsquoecirctre
preacutedominant et crsquoest toujours lrsquoagriculture familiale qui domine tregraves largement le paysage
agricole mondial (Coordination SUD 2007) Selon le rapport de la Banque Mondiale (2008)
cette domination srsquoexplique essentiellement par sa forme drsquoorganisation baseacutee sur la petite
exploitation agricole50 Quant au pays en deacuteveloppement et aux pays pauvres lrsquoagriculture
familiale continue agrave assurer des revenus agrave leurs populations majoritairement rurales ainsi
qursquoune bonne partie de la production alimentaire au lieu de compter exclusivement sur les
importations et les aides alimentaires ou sur la production des grandes exploitations deacutedieacutee
presque entiegraverement agrave lrsquoexportation Neacuteanmoins cette forme drsquoagriculture rencontre de plus
en plus de problegravemes et subit des contraintes (naturelles techniques et financiegraveres) reacutesultant
de la libeacuteralisation du marcheacute et du deacutesengagement de lrsquoEacutetat ainsi que des changements
climatiques Dans ce contexte il nous semble que sa revalorisation passe par sa
modernisation laquelle est baseacutee en outre sur lrsquoactivation et lrsquoexploitation des ressources de
son territoire51
Celui-ci agrave travers son reacuteseau aide le secteur agricole agrave renouer le contact avec
48
Le terme agriculture est employeacute dans une deacutefinition large qui recouvre les activiteacutes agricoles le maraicircchage
lrsquoarboriculture les activiteacutes drsquoeacutelevage et drsquoembouche 49
Source httpwwwoxfamsolbefrAgriculture-familiale-et-securitehtml (page consulteacutee le 02112009) 50
Cette institution et celle de la FAO (et drsquoautres auteurs auxquels nous faisons reacutefeacuterence dans cette sous-
section) nrsquoemploient que peu le terme laquo agriculture familiale raquo contrairement agrave celui de laquo petits exploitants raquo
concept qui srsquoen rapproche bien qursquoil soit plus limitant car il nrsquoinclut que les exploitations de 2 hectares ou
moins Les diffeacuterences de laquo peacuterimegravetre raquo portant sur lrsquoinclusion ou non de lrsquoagriculture familiale hautement
meacutecaniseacutee de type europeacuteen ne changent donc pratiquement rien agrave ce fait numeacuteriquement les agricultures
familiales restent tregraves majoritaires 51
La notion de territoire ainsi que les concepts (pex ressources) qui y attacheacutes seront deacuteveloppeacutes dans la
section 2 du chapitre 2 de cette partie
77
son environnement proche pour qursquoil soit sa ressource essentielle en matiegravere drsquoactifs de base
(capital terre) et le principal deacuteboucheacute de ses produits Cela sera lrsquoobjet de la deuxiegraveme sous-
section tandis que la premiegravere preacutesentera les grands traits ainsi que la situation actuelle des
agriculteurs familiaux
21 Lrsquoagriculture familiale un concept en eacutevolution
Lrsquoenseignement principal que lrsquoon peut tirer de la section preacuteceacutedente crsquoest qursquoune autre
vision de la politique de la seacutecuriteacute alimentaire au niveau mondial doit ecirctre engageacutee Il srsquoest
aveacutereacute que des politiques agricoles accentueacutees soit sur lrsquointeacutegration au marcheacute mondial (pour
les pays en deacuteveloppement et les moins avanceacutes) soit sur lrsquoindustrialisation de lrsquoagriculture
(pour les pays deacuteveloppeacutes) sont inefficaces agrave long terme voire dangereuses du fait de leurs
impacts neacutegatifs sur lrsquoenvironnement et sur la seacutecuriteacute alimentaire pour une partie des PED et
des PMA En effet ces pays ont marginaliseacute (voire parfois deacutetruit) leurs agricultures vivriegraveres
et familiales consideacutereacutees comme arrieacutereacutees et reacutefractaires au changement puis ils ont proceacutedeacute
agrave lrsquoinstallation drsquoune eacutelite de producteurs sur de grandes exploitations totalement deacutependants
des prix du marcheacute dont un bon nombre est actuellement en difficulteacutes (Banque Mondiale
2008)
Il srsquoagit des grandes exploitations baseacutees sur le modegravele productiviste europeacuteen dont la
durabiliteacute de la compeacutetitiviteacute ne sera plus assureacutee parce que sans des subventions agrave lrsquoexport et
avec moins de protections agrave lrsquoimportation les filiegraveres europeacuteennes agricoles et agro-
industrielles sont condamneacutees agrave reacuteviser leurs strateacutegies pour maintenir leurs parts de marcheacute
(Alpha et al 2006) Il ne faudrait surtout pas reproduire les erreurs qui ont conduit agrave la
surproduction agrave lrsquoeacutelimination des petites fermes et agrave la deacutegradation des ressources naturelles
au motif qursquoon accegravederait agrave la moderniteacute en copiant un modegravele agricole condamneacute sur la scegravene
internationale et critiqueacute sur la plan inteacuterieur Il ne faut pas eacutegalement oublier que le projet
modernisateur de lrsquoEurope agricole des anneacutees 1960 srsquoest appuyeacute sur la ferme familiale Cette
derniegravere demeure encore au XXIegraveme
siegravecle une reacutealiteacute en Europe occidentale et aux Eacutetats-Unis
(ougrave 98 des exploitations sont familiales) et surtout dans le secteur de lrsquoeacutelevage quoi qursquoen
pensent les libeacuteraux et les administrations (Morineau 2006 Benoit-Cattin 2007 Berriet-
Solliec et al 2007)
En termes drsquoemploi agricole en Europe il faut noter que plus 90 des besoins de travail
reacutegulier des exploitations europeacuteennes sont assureacutes par le chef drsquoexploitation et les membres
de sa famille (graphique 7) Plus particuliegraverement en France on compte 852 000 actifs
78
familiaux (chef drsquoexploitation conjoint autre actif) soit plus de 71 de la population active
agricole52
Graphique 7 Part de la main drsquoœuvre familiale en 2005 en dans 15 pays de lrsquoUE
0
10
20
30
40
50
60
70
80
90
100
Part de la main doeuvre familiale en 2005 en Belgique
Danemark
Allemagne
Irlande
Gregravece
Espagne
France
Italie
Luxembourg
Pays-Bas
Autriche
Portugal
Finlande
Suegravede
Royaume-Uni
Source Calculs et graphiques eacutetablis agrave partir des donneacutees drsquoeurostat (drsquoapregraves Berriet-Solliec et al 2007)
Globalement les exploitations familiales repreacutesentent la majoriteacute de la population agricole et
rurale au Nord comme au Sud Elles fournissent lrsquoessentiel de la production agricole
occupent une place deacuteterminante dans lrsquoapprovisionnement des marcheacutes inteacuterieurs et
exteacuterieurs Elles participent agrave la gestion de lrsquoespace et sont au coeur de la relation entre
hommes produits et territoires (Lapenu et Wampfler 2002) Il en reacutesulte que la deacutefense des
agricultures familiales srsquoentend bien comme la deacutefense drsquoun mode familial drsquoagriculture pour
lrsquoensemble de la socieacuteteacute et non comme la deacutefense drsquointeacuterecircts communautaires Sans en neacutegliger
les contraintes et en preacutesentant un tableau le plus objectif - et donc nuanceacute - possible les deux
points suivants tentent drsquoexpliquer pourquoi lrsquoinvestissement dans les agricultures familiales
et le renforcement de son ancrage territorial nous semble ecirctre la voie neacutecessaire pour atteindre
des objectifs en termes de seacutecuriteacute alimentaire et de deacuteveloppement durable
211 Deacutefinition et principales caracteacuteristiques de lrsquoagriculture familiale
Lrsquoagriculture familiale se deacutefinit par une relation particuliegravere entre lrsquoactiviteacute eacuteconomique la
structure familiale et les conditions locales Cette relation influence la prise de deacutecision en
matiegravere de choix des activiteacutes drsquoorganisation du travail et de gestion du patrimoine (Losch
1998) Autrement dit dans le processus de prise de deacutecision les objectifs geacuteneacuteraux et les
52
Selon les statistiques sur les exploitations professionnelles agricoles en France de lrsquoInsee de 2007 (Source
httpwwwinseefrfrthemesdocumentaspref_id=T10F172 page consulteacutee le 13052010)
79
choix strateacutegiques des agriculteurs familiaux srsquoeacutetendent sur le projet de la famille Ainsi
lrsquoagriculture familiale est preacutesenteacutee comme laquo une uniteacute de production agricole ougrave proprieacuteteacute et
travail sont intimement lieacutes agrave la famille raquo (Lamarche 1992 p81) et cette conception a eacuteteacute
reprise et deacuteveloppeacutee plus tard par Lipton (2005)
Produit de lrsquohistoire de la paysannerie lrsquoagriculture familiale est un groupe de travail dont les
membres sont unis par des relations sociales de parenteacute transmissibles de geacuteneacuteration en
geacuteneacuteration par reacutefeacuterence au processus historique drsquoaccegraves au droit de cultiver Elle est marqueacutee
aussi par un lien eacutetroit entre un terroir des groupes sociaux enracineacutes dans ce terroir une
culture et des regravegles drsquousage propres (Lamarche 1992) Cadre de lrsquoactiviteacute familiale
lrsquoexploitation fournit un revenu permettant drsquoassurer la subsistance du groupe et repreacutesente un
patrimoine dont la transmission apparaicirct un objectif essentiel des strateacutegies de reproduction du
groupe familial (Benoit-Cattin 2007) Cependant il faut se rendre suffisamment compte du
fait que les dimensions drsquoune telle exploitation ne cessent de varier historiquement en
fonction de la densiteacute de la population agricole active des modifications de la technique des
changements du systegraveme de culture et du degreacute de commercialisation de lrsquoagriculture
(Courtin 1946)
Effectivement la forme de lrsquoagriculture familiale nrsquoest pas monolithique des diffeacuterenciations
srsquoopegraverent aujourdrsquohui en son sein avec lrsquoeacutemergence de diffeacuterentes cateacutegories drsquoentreprises
agricoles qui peuvent conserver des dimensions familiales mais peuvent aussi eacutevoluer
rapidement vers drsquoautres logiques Geacuteneacuteralement la forme de lrsquoagriculture familiale reacutevegravele les
strateacutegies adopteacutees et la dynamique drsquoune communauteacute particuliegravere face agrave son milieu mais
aussi agrave un certain nombre de facteurs exteacuterieurs En drsquoautres termes les distinctions qui
peuvent exister entre les diverses agricultures familiales ne sont que le reflet des diverses
conditions naturelles politiques et eacuteconomiques dans lesquelles ces agricultures sont
exerceacutees Elles sont les reacutesultantes de facteurs exogegravenes et endogegravenes confondus
Certes la mobilisation du travail domestique y est centrale et les meacutecanismes drsquoentraide
propres aux socieacuteteacutes communautaires y sont importants mecircme srsquoils se restreignent Mais des
cultures speacutecialiseacutees (le coton le riz ou le cacao) appelant des ouvriers saisonniers peuvent
apporter des revenus consideacuterables suppleacutementaires La diversification des sources de revenu
provenant drsquoautres cultures de lrsquoeacutelevage du commerce de lrsquoartisanat du travail salarieacute
srsquoavegravere eacutegalement souvent tout aussi primordiale Pareillement il faut noter qursquoil y a souvent
compleacutementariteacute dans lrsquoeacuteconomie familiale entre les activiteacutes agricoles et drsquoautres activiteacutes
80
plus ou moins saisonniegraveres conduites en migration par certains membres Migrations
temporaires ou permanentes appartiennent en effet agrave la gamme des ressources possibles des
familles paysannes notamment dans de nombreuses situations au Sud (Courade et Devegraveze
2006 Chaulet 1997)
Il apparaicirct que contrairement aux preacutejugeacutes les agricultures familiales ont fait preuve de leur
dynamisme de leur flexibiliteacute de leur capaciteacute agrave innover et agrave inteacutegrer des innovations de leur
aptitude agrave fournir de meilleures reacuteponses aux signaux des marcheacutes et agrave srsquoadapter aux
changements rapides du contexte eacuteconomique et institutionnel Cette reacutealiteacute est illustreacutee
clairement par plusieurs eacutetudes53 La zone de lrsquoOffice du Niger au Mali est sans doute le
meilleur exemple qui montre clairement cette dynamique Elle a manifesteacute une capaciteacute agrave
produire des surplus de riz et de produits maraicircchers agrave organiser ses exploitants et agrave structurer
ses filiegraveres en amont et en aval Ineacutevitablement cette reacuteussite est le reacutesultat de nombreux
facteurs la reacutehabilitation des ameacutenagements de nouvelles techniques culturales des varieacuteteacutes
plus adapteacutees etc Mais elle est surtout agrave porter au creacutedit des agriculteurs familiaux qui ont
laquo su reacutepondre efficacement aux ameacuteliorations de lrsquoenvironnement institutionnel et
eacuteconomique en adoptant des modes de mise en valeur du domaine ameacutenageacute intensifs et
compeacutetitifs et en deacuteveloppant des systegravemes de production performants baseacutes sur une
riziculture intensive en travail avec un recours important agrave la traction animale raquo (Beacuteliegraveres et
al 2002 p18)
Par ailleurs dans de nombreux pays drsquoAsie certaines exploitations familiales peuvent
recourir ponctuellement agrave une main drsquoœuvre exteacuterieure nombreuse et peuvent ecirctre peu
diversifieacutees (Coordination Sud 2007) Ce succegraves reflegravete reacuteellement un changement de
strateacutegie drsquoune part importante des exploitants de strateacutegies deacutefensives tourneacutees vers la
seacutecurisation de lrsquoalimentation familiale et le renforcement de la coheacutesion sociale interne bon
nombre de producteurs sont passeacutes agrave des strateacutegies plus offensives avec prise de risque
caracteacuteriseacutees par lrsquoengagement de deacutepenses drsquoaccumulation productive (Sourisseau 2002 citeacute
par Beacuteliegraveres et al 2002 p18)
Ces diffeacuterentes strateacutegies illustrent bien que les frontiegraveres entre les diffeacuterents types
drsquoagriculture sont ainsi souvent difficiles agrave deacuteterminer Le critegravere de la taille nrsquoest pas aussi
deacuteterminant dans la limitation de la deacutefinition de lrsquoagriculture familiale Effectivement la
53
Voir par exemple Beacuteliegraveres et al 2002 Peterson et al 1997 Barros et Fragata 1997
81
petite taille nrsquoest pas lrsquoapogeacutee agrave lrsquoagriculture familiale mais cette derniegravere srsquoadapte aux
conditions naturelles historiques et institutionnelles de chaque pays Dans les pays comme le
Breacutesil lrsquoArgentine ou le Chili qui disposent des grandes terres cultivables les familles
agricoles se sont des grands producteurs et deacutetiennent des grandes exploitations laquo La taille va
de la grande exploitation drsquoune centaine drsquohectares dans les pays occidentaux agrave la petite
agriculture de subsistance asiatique ou africaine de moins de deux hectares voire au paysan
sans terre La taille des exploitations peut donc ecirctre tregraves variable raquo (Coordination Sud 2007
p15)
Les systegravemes culturels familiaux peuvent ainsi ecirctre tregraves diffeacuterents ils peuvent aller des
pratiques manuelles extensives passant par la moto-meacutecanisation ou le semi-intensif jusqursquoagrave
des systegravemes intensifs Aussi pouvons-nous distinguer diffeacuterents types drsquoagriculture familiale
sur la base de leur inteacutegration au marcheacute On trouve des exploitations baseacutees sur les cultures
vivriegraveres dont une partie est reacuteserveacutee pour couvrir les besoins domestiques tandis que lrsquoautre
est destineacutee agrave la vente essentiellement sur les marcheacutes locaux des productions speacutecialiseacutees
(coton cafeacute fruits leacutegumes) voueacutees presque entiegraverement aux exportations et des agricultures
de subsistance (Kesteloot et al 2005) Le poids de lrsquoagriculture familiale est eacutegalement
diffeacuterent drsquoun pays agrave un autre drsquoun continent agrave un autre Si on constate une place encore tregraves
importante de ce type drsquoagriculture dans en Asie comme en Afrique son rocircle en Ameacuterique
latine commence agrave reculer face agrave lrsquoaccroissement sensible de lrsquourbanisation En Ameacuterique
latine agrave la diffeacuterence des autres reacutegions en deacuteveloppement le secteur agricole ne repreacutesente
que 28 de la population active en moyenne (contre 46 au niveau mondial 30 agrave 35
drsquoagriculteurs dans le monde arabo-musulman 70 agrave 80 en Afrique de lrsquoOuest) (Merlet et
Jamart 2007)
Par ailleurs la classification des agriculteurs faite par lrsquoInstitut de Recherches et
drsquoApplications des Meacutethodes de deacuteveloppement (IRAM) (Coordination SUD 2007) permet
de distinguer clairement les agriculteurs familiaux par rapport agrave des agriculteurs patronaux ou
capitalistes Il srsquoagit des paysans qui gegraverent eux-mecircmes leurs exploitations et y travaillent agrave
des niveaux variables Or les agriculteurs patronaux ressemblent plutocirct agrave des managers ils
gegraverent leurs productions sans participer aux travaux agricoles avec lrsquoobjectif principal de
maximiser leur revenu et non pas le taux de profit Lrsquoaugmentation de ce dernier est plutocirct
lrsquoobjectif des producteurs capitalistes qui investissent dans le domaine agricole agrave travers des
82
managers ou des socieacuteteacutes speacutecialiseacutees dans le domaine Le fonctionnement de lrsquoagriculture
capitaliste et patronale repose essentiellement sur lrsquoapport de capitaux (machines mateacuteriels
capital moneacutetaire etc) plutocirct que de travail
Un autre critegravere qui diffeacuterencie lrsquoagriculture familiale des autres types est celui de son aspect
transgeacuteneacuterationel de la transmission et donc son indeacutependance dans la prise de deacutecisions Cet
aspect a eacuteteacute notamment mis en avant par les travaux reacutecemment de Merlet et Jamart (2007)
sur le devenir des agricultures familiales en Ameacuterique latine Il fait partie du capital culturel et
institutionnel ancreacute dans un territoire et qui caracteacuterise au-delagrave des dimensions techniques
lrsquoagriculture familiale En Afrique de lrsquoOuest le ROPPA (Reacuteseau des Organisations
Paysannes et de Producteurs de lrsquoAfrique de lrsquoOuest) souligne que lrsquoagriculture familiale nrsquoest
pas une entreprise comme une autre elle est une entreprise agrave la fois eacuteconomique sociale et
culturelle Crsquoest dans lrsquoexploitation familiale que se construit lrsquoessentiel de lrsquoeacuteconomie de la
socieacuteteacute et de lrsquoenvironnement dans cette reacutegion Crsquoest en son sein que se tissent des liens de
solidariteacute qui constituent leur systegraveme le plus solide de laquo seacutecuriteacute ou drsquoassurance sociale raquo
Crsquoest elle qui assure la seacutecuriteacute alimentaire des pays de lrsquoAfrique de lrsquoOuest mais aussi
lrsquoessentiel de lrsquoemploi des devises de lrsquoeacutepargne et de lrsquoinvestissement et une bonne gestion
des ressources naturelles (ROPPA 2003)
Apregraves ce deacutetour conceptuel essentiel sur lrsquoagriculture familiale nous en venons dans le
paragraphe suivant agrave notre question de base quels rocircles lrsquoagriculture de type familial
pourrait-elle jouer dans lrsquoameacutelioration de la seacutecuriteacute alimentaire
212 Lrsquoagriculture familiale un enjeu en termes de lutte contre lrsquoinseacutecuriteacute
alimentaire
Les derniers rapports de la FAO (2009 2010) et celui de la Banque Mondiale (2008)
soutiennent sans ambiguiumlteacute que lrsquoameacutelioration de la productiviteacute des petits agriculteurs
(majoritairement des familiaux) est le remegravede principal agrave lrsquoinseacutecuriteacute alimentaire (faim
malnutrition) puisque ce type drsquoagriculture concerne la moitieacute de la population mondiale et la
plus grande partie des populations pauvres Drsquoapregraves le Rapport sur le deacuteveloppement dans le
monde de 2008 de la Banque Mondiale deacutedieacute agrave lrsquoagriculture 85 des agriculteurs dans les
pays en deacuteveloppement sont des petits producteurs Selon le rapport agrave lrsquoeacutechelle mondiale il y
a 800 millions drsquoactifs petits exploitants et 13 milliards si on inclut les paysans sans terre De
plus trois quarts des pauvres dans les pays en deacuteveloppement vivent en zone rurale crsquoest-agrave-
dire 900 millions de personnes En Ameacuterique latine le ministegravere de lrsquoAgriculture breacutesilien a
83
recenseacute plus de 45 millions drsquoexploitations agricoles breacutesiliennes dont 41 millions sont des
exploitations familiales (Ministegravere de lrsquoAgriculture du Breacutesil 2004) En Afrique les
exploitations familiales repreacutesentent pregraves de 80 de toutes les exploitations soit 33 millions
de petits paysans (Nagayets 2005) Par ailleurs ces agriculteurs nrsquoutilisent majoritairement
que des outillages manuels selon Mazoyer (2001) Pour ce dernier un tiers des agriculteurs
du monde est resteacute en dehors de la reacutevolution verte et seulement 2 des actifs agricoles ont
beacuteneacuteficieacute de la reacutevolution agricole contemporaine au deacutebut du XXIegraveme
siegravecle
Par ailleurs cette forme drsquoorganisation a eacuteteacute un facteur principal dans la reacuteussite de
lrsquoagriculture des pays deacuteveloppeacutes et de beaucoup de pays en deacuteveloppement notamment les
pays asiatiques qui ont deacutecideacute de promouvoir les petites exploitations familiales et qui ont
finalement pu lancer la reacutevolution verte Leur soutien agrave cette forme drsquoagriculture est ducirc agrave
lrsquoincapaciteacute des fermes agrave grande eacutechelle agrave deacutelivrer des incitations adeacutequates agrave la production ou
agrave lrsquoimminence drsquoune crise alimentaire Gracircce agrave la promotion de ces petites exploitations
agricoles et aux eacutepargnes des agricoles lrsquoagriculture est devenue lrsquoun des facteurs principaux
de la croissance relativement reacutecente dans plusieurs pays eacutemergents comme lrsquoInde
lrsquoIndoneacutesie ou encore la Chine
Concernant la relation entre la seacutecuriteacute alimentaire et lrsquoagriculture familiale les diffeacuterents
textes historiques et theacuteoriques ainsi que les rapports des divers organismes actifs dans ce
domaine confirment que pendant longtemps lrsquoagriculture familiale (traditionnelle) a assureacute la
nourriture de toutes les populations sur notre planegravete Drsquoabord tous les membres de la famille
peuvent garantir une grande partie de leur besoin alimentaire gracircce agrave leur culture le reste se
procure gracircce agrave la vente de leur exceacutedent agricole Ensuite lrsquoagriculture familiale creacutee de
lrsquoemploi direct et indirect garantissant donc un minimum de revenu Enfin elle permet de
preacuteserver lrsquoenvironnement et de dynamiser son milieu
A) Lrsquoagriculture familiale et la disponibiliteacute alimentaire
La production familiale reste de loin la source principale pour subvenir non seulement aux
besoins des agriculteurs eux-mecircmes mais aussi agrave ceux des populations En Afrique de lrsquoOuest
notamment les progregraves reacutealiseacutes au niveau de la production agricole baseacutee principalement sur
les productions familiales ont pu suivre lrsquoexplosion deacutemographique Lrsquoinseacutecuriteacute alimentaire
qui persiste est plutocirct lieacutee agrave des problegravemes de revenus et drsquoaccegraves agrave lrsquoalimentation qursquoagrave
lrsquoinsuffisance de la production Le mecircme problegraveme est constateacute en Inde ougrave plus de 200
millions de personnes souffrent de sous-alimentation alors que les stocks de ceacutereacuteales
84
atteignent plusieurs dizaines de millions de tonnes (Sharma 2005 citeacute par coordination Sud
2007 p57)
Les agricultures familiales ont pu augmenter la production agricole et alimentaire et reacutepondre
ainsi aux besoins des populations parce qursquoelles ont eacuteteacute en mesure de fournir une productiviteacute
par hectare eacuteleveacutee (contrairement agrave la productiviteacute par uniteacute de travail) Effectivement les
agricultures familiales ont eacuteteacute en capaciteacute drsquoaugmenter la productiviteacute agrave lrsquohectare de faccedilon
consideacuterable pour reacutepondre aux besoins drsquoune population en forte croissance contrairement agrave
une ideacutee souvent reacutepandue selon laquelle les producteurs familiaux renvoient agrave des structures
et agrave des pratiques peu (voire non) productives (Lipton 2005) Lrsquoagriculture capitaliste est
communeacutement preacutesenteacutee comme la forme agricole la plus productive Or la reacutealiteacute est que la
productiviteacute des exploitations familiales agrave lrsquohectare est geacuteneacuteralement plus eacuteleveacutee que celle des
exploitations de type capitaliste comme le montre le recensement agricole au Eacutetats-Unis de
1992 (tableau 4)
Tableau 4 Taille des exploitations agricoles produit brut et produit net par acre54
aux Eacutetats-Unis 1992
Cateacutegorie drsquoexploitation
Surface meacutediane en acres
Produit brut moyen
en US$ par acre
Produit net moyen
en US$ par acre
4 7427 1400
27 1050 139
58 552 82
82 396 60
116 322 53
158 299 55
198 269 53
238 274 56
359 270 54
694 249 51
1364 191 39
6709 63 12
Source Recensement agricole des Eacutetats-Unis 1992 (drsquoapregraves Rosset 1999)
Comme le montre clairement le tableau ci-dessous la productiviteacute des exploitations dont la
superficie est infeacuterieure ou eacutegale agrave 4 acres est 100 fois supeacuterieure agrave celles de grande taille
Dans cette perspective Binswanger et al (1993) affirment que la petite uniteacute de production
preacutesente une productiviteacute supeacuterieure agrave celle des grandes uniteacutes de production mecircme dans des
reacutegions relativement meacutecaniseacutees et deacuteveloppeacutees des pays en deacuteveloppement Cette supeacuterioriteacute
de la petite uniteacute (familiale) est expliqueacutee par son emploi intensif de la main-drsquoœuvre par les
savoir-faire et connaissances en matiegravere de techniques de conservation des sols et
54
1 acre 04047 hectare
85
drsquoameacutelioration de la fertiliteacute de la terre (Mazoyer 2001 Courade et Devegraveze 2006)
Pareillement Tomich et al (1993 citeacute par Rosset 1999 p9) en travaillant sur la peacuteriode des
anneacutees 1960- 1980 a montreacute que les petites exploitations ont une plus grande productiviteacute
totale que les grandes fermes en Afrique sub-saharienne lrsquoAsie le Mexique et la Colombie
Lrsquoeacutetude du cas du delta du fleuve Seacuteneacutegal illustre eacutegalement la capaciteacute des exploitations
familiales de taille plus petite drsquoaugmenter la valeur ajouteacutee de la production par une
ameacutelioration de la productiviteacute des facteurs Ce constat confirme ainsi que la productiviteacute de
lrsquoagriculture deacutepend faiblement des structures drsquoexploitation car il est laquo vraisemblable que
les eacuteconomies drsquoeacutechelle jouent un rocircle neacutegligeable en agriculture raquo (Boussard 1987 p104)
et beaucoup plus de lrsquoenvironnement eacuteconomique et institutionnel (Beacuteliegraveres et al 2002)
Crsquoest dans cette vision ougrave srsquoinscrivent les appels de la FAO au soutien agrave lrsquoagriculture
familiale de plusieurs organismes notamment laquo Ameacuteliorer le travail des petites exploitations
agricoles dans les communauteacutes rurales et peacuteriurbaines pauvres est lrsquoun des moyens les plus
efficaces et les plus durables pour faire reculer la faim en augmentant la quantiteacute et en
ameacuteliorant la qualiteacute des produits alimentaires disponibles au niveau local raquo (FAO 2002
p9) Les agricultures familiales contribuent et pourraient contribuer davantage si elles eacutetaient
soutenues agrave ameacuteliorer le degreacute drsquoautosuffisance et ainsi agrave reacuteduire la deacutependance et la facture
alimentaire en particulier pour les urbains pauvres dans un contexte marqueacute par la hausse
soutenue des prix des produits importeacutes
Les producteurs les plus productifs pourraient ecirctre en capaciteacute drsquooffrir une alimentation
accessible eacuteconomiquement et en adeacutequation avec les habitudes alimentaires locales Cela
renvoie agrave la compeacutetitiviteacute-prix et hors prix des agriculteurs familiaux En Guineacutee par
exemple 80 des consommateurs interrogeacutes expriment une preacutefeacuterence pour le riz local
produit par des agriculteurs familiaux jugeacute plus goucircteux et plus digeste que le riz importeacute
drsquoAsie du Sud-Est Le riz local mecircme srsquoil est parfois plus cher que les brisures importeacutees
peut rivaliser avec les importations et contribuer agrave la seacutecuriteacute alimentaire des populations
(Chaleacuteard 2003 Coordination Sud 2007) Pour certains cas les exploitations familiales
peuvent mecircme envisager lrsquoexportation de leurs produits locaux dans conditions plus
favorables agrave leur deacuteveloppement et agrave la preacuteservation de leur territoire Geacuteneacuteralement les
produits des agricultures manuelles et peu transformeacutes sont vendus sur les marcheacutes
internationaux agrave travers des circuits commerciaux eacutequitables (le marcheacute du commerce
eacutequitable le marcheacute biologique) Or certaines cultures familiales bien organiseacutees dans des
86
coopeacuteratives et soutenues par les pouvoirs publics sont en mesure de deacutetenir des parts de
marcheacute importantes comme crsquoest le cas des cotonculteurs drsquoAfrique de lrsquoOuest
Les deacutefenseurs de lrsquolaquo agriculture familiale raquo mentionnent un autre eacuteleacutement en sa faveur celui
de sa capaciteacute agrave fournir des aliments sains et drsquoune bonne qualiteacute dans la majoriteacute des cas de
ses productions Les produits respectueux de lrsquoenvironnement dans les pays en
deacuteveloppement les produits dits du terroir ou ayant un signe drsquoorigine (AOC label rougehellip)
provenant des produits riches sont en grande partie le fruit des exploitations familiales Ceci
srsquoexplique par le mode fonctionnel de ses productions qui offre la possibiliteacute drsquoaller
davantage vers des systegravemes de production diversifieacutes qui laquo permettent drsquoentretenir des
varieacuteteacutes locales diverses de valoriser la dimension culturelle de lrsquoalimentation la typiciteacute des
produits et de proposer une alimentation diversifieacutee raquo (Coordination Sud 2007 p59) En
somme une strateacutegie de deacuteveloppement agricole fondeacutee sur lrsquoameacutelioration de la productiviteacute
de lrsquoagriculture familiale permettrait de jeter les bases drsquoune croissance eacuteconomique eacutequitable
(FAO 2002)
B) Lrsquoagriculture familiale et le droit drsquoaccegraves agrave la nourriture
Le deuxiegraveme axe sur lequel lrsquoagriculture familiale pourrait jouer pour reacuteduire lrsquoinseacutecuriteacute
alimentaire est celui de lrsquoameacutelioration des conditions drsquoaccegraves agrave la nourriture En effet
lrsquoagriculture familiale est le premier employeur au niveau mondial avec 148 milliards drsquoactifs
agricoles dont 96 dans les pays du Sud Dans ces derniers elle assure eacutegalement le
maintien drsquoemplois en milieu rural et permet lrsquoobtention drsquoun revenu deacutecent agrave presque 28
milliards de personnes soit 45 de la population mondiale (CIRAD 2005 citeacute par AVSF
2010 p3) du fait que la mise en valeur de lrsquoexploitation familiale est assureacutee principalement
par lrsquoemploi massif de la main-drsquooeuvre notamment familiale (Nagayets 2005) Le
deacuteveloppement de lrsquoagriculture familiale pourrait donc creacuteer de lrsquoemploi mecircme en cas de
crise dans un contexte ougrave lrsquoeacuteconomie mondiale se base sur les services et de moins en moins
sur la grande industrie dans les pays industrialiseacutes (Coordination Sud 2007)
Quant aux pays en deacuteveloppement notamment en Afrique lrsquoAmeacuterique Latine et quelques
pays de lrsquoAsie il paraicirct que leurs politiques drsquoindustrialisation ont eacutechoueacute et qursquoils ont opteacute
par la suite pour lrsquoagriculture comme moteur de leur croissance eacuteconomique Cela srsquoexplique
drsquoune part par le coucirct drsquoappariement faible du travail et de lrsquoautre par lrsquoemploi massif de la
main drsquoœuvre qui remplace les machines capables agrave elle seules de travailler plusieurs hectares
dans la mecircme journeacutee (Lipton 2005) Au Nicaragua agrave titre drsquoexemple lrsquoagriculture familiale
87
creacutee plus de vingt fois plus drsquoemplois que lrsquoeacutelevage capitaliste plus intensif dans la commune
de Quialli ougrave un agriculteur familial peut obtenir un revenu eacutequivalent agrave celui drsquoun salarieacute
avec moins de 15 ha en pratiquant des cultures vivriegraveres (Bainville et al 2005) Le mecircme
constat a eacuteteacute fait au Breacutesil en moyenne lrsquoagriculture familiale creacutee un emploi pour 8 ha
utiliseacutees tandis que lrsquoagriculture patronale geacutenegravere eacutegalement un emploi mais pour 67 ha
utiliseacutees (Ministegravere de lrsquoAgriculture du Breacutesil 2004)
On ne va pas revenir sur lrsquoimportance de la question de droit drsquoaccegraves aux disponibiliteacutes
alimentaires et sa relation eacutetroite avec les moyens financiers dont disposent les meacutenages55
mais juste pour montrer que lrsquoagriculture familiale dans son eacutetat actuel fournit des emplois et
des revenus agrave des millions de personnes Il faut noter eacutegalement que face agrave la croissance
deacutemographique les agricultures familiales sont les seules en capaciteacute drsquoabsorber des flux
massifs de population de maniegravere durable dans le temps car les exploitations familiales se
distinguent principalement par lrsquoemploi de la main-drsquoœuvre Lrsquoagriculture est le seul secteur
eacuteconomique capable aujourdrsquohui de fournir des activiteacutes agrave des millions de personnes dans les
pays en deacuteveloppement (Bainville et al 2005 BM 2008 Coordination SUD 2007)
Pareillement plusieurs travaux (Lamarche1992 1994 Mazoyer et Roudart 1997) ont
souligneacute le rocircle social de lrsquoagriculture familiale en tant que rempart contre lrsquoexclusion
lrsquoaccroissement de la pauvreteacute et les ineacutegaliteacutes notamment lorsque les opportuniteacutes drsquoemploi
dans les secteurs non agricoles sont faibles en particulier pour une main-drsquooeuvre peu
qualifieacutee Mazoyer et Roudart (1997) ont montreacute que lrsquoexode rural massif dans les anneacutees
1970 dans les pays industrialiseacutes eacutetait principalement le reacutesultat de la disparition des petites
exploitations familiales Une telle disparition a rendu la preacuteservation des zones rurales tregraves
deacutelicate en raison du rocircle joueacute par ce type drsquoexploitation dans lrsquoameacutenagement des territoires
C) Lrsquoagriculture familiale le compromis entre le deacuteveloppement local et la
preacuteservation de lrsquoenvironnement
Au-delagrave de ses fonctions eacuteconomiques et sociales lrsquoagriculture est eacutegalement connue
historiquement pour son rocircle dans lrsquoameacutenagement du territoire Elle geacutenegravere geacuteneacuteralement un
dynamisme sur les territoires ruraux permettant ainsi agrave leur population de srsquoy inteacutegrer
Lrsquoancrage des agriculteurs familiaux sur le territoire permet de deacutevelopper des activiteacutes
eacuteconomiques qui ont des retombeacutees positives au-delagrave des seuls agriculteurs Crsquoest bien une
55
Voir la premiegravere section du chapitre 1
88
eacuteconomie villageoise qui existe dans certains contextes en particulier dans les pays en
deacuteveloppement Il est eacutevident que sans le deacuteveloppement de lrsquoagriculture familiale la fixation
des populations rurales serait extrecircmement difficile Cette preacutesence a souvent permis le
deacuteveloppement de villes secondaires assurant un meilleur eacutequilibre spatial que le
deacuteveloppement de meacutegalopoles (Coordination Sud 2007) Cette question de la reacutepartition des
populations sur le territoire se pose dans les pays en deacuteveloppement mais aussi dans les pays
riches ougrave lrsquoon veut renverser la tendance agrave la deacuteprise agricole En France on remarque que
les campagnes se repeuplent agrave nouveau par des ouvriers et des cadres (Grall 1994)
Effectivement la tendance geacuteneacuterale des structures deacutemographiques est agrave la croissance urbaine
et donc agrave une baisse relative des populations rurales et notamment agricoles Neacuteanmoins laquo il
importe de regarder de plus pregraves cette baisse de la population rurale et agricole dans la
mesure ougrave elle peut ecirctre accompagneacutee drsquoune augmentation de ses effectifs il peut y avoir
exode rural et exode agricole agrave populations rurale et agricole croissantes raquo (Benoit-Cattin
2007 p122) Cela srsquoexplique par la vive dynamique eacuteconomique creacuteeacutee par lrsquoagriculture
familiale dans son milieu Parallegravelement lrsquoagriculture familiale sur le territoire permet sans
doute plus que tout autre chose de tisser de nombreux liens entre les acteurs agriculteurs et
commerccedilants de proximiteacute consommateurs etc (Rosset 1999) Ce qui permet de conserver
lrsquoidentiteacute de communauteacute locale et drsquoassurer une durabiliteacute de la production agricole
Autrement dit le dynamisme socio-eacuteconomique associeacute agrave ce mode drsquoagriculture est agrave
lrsquoeacutevidence plus fort que dans les situations de grandes exploitations industrielles comme le
montre le cas APROMALI une organisation de petits producteurs de mangues sur lrsquooasis de
Chulucanas (Nord Peacuterou)56
Il en reacutesulte que les agricultures familiales sont drsquoune certaine maniegravere force de proposition
pour des initiatives de deacuteveloppement local Cela srsquoexplique comme lrsquoillustre eacutegalement une
eacutetude reacutealiseacutee par Ongwen et Wright (2007 citeacute par Coordination Sud 2007 p66) dans le
56
Lrsquoorganisation de petits producteurs APROMALPI constitue une initiative prometteuse de structuration de la
filiegravere par une organisation paysanne qui deacutemontre la grande capaciteacute drsquoadaptation et de reacutesistance de
lrsquoagriculture familiale aux nouvelles conditions de lrsquoenvironnement eacuteconomique De 12 producteurs initialement
lrsquoorganisation en compte aujourdrsquohui 120 et est encore certainement appeleacutee agrave croicirctre Concregravetement en 2006
cette eacutevolution a repreacutesenteacute une ameacutelioration de 50 des revenus des familles gracircce agrave lrsquoexportation directe de
27 containers de mangues et par la vente de pulpe de mangue locale Crsquoest en se basant sur la diversification et
lrsquoaugmentation de sa production (mangue mais eacutegalement citron noix de coco haricot maiumls papaye banane
etc) que les familles appartenant agrave cette association ont pu mieux reacutesister agrave la crise que connaissent de maniegravere
geacuteneacuterale les agricultures paysannes de la cocircte peacuteruvienne en concurrence directe avec des entreprises agro-
industrielles qui rachegravetent aujourdrsquohui les terres paysannes pour la production de fruits et leacutegumes destineacutes agrave
lrsquoexportation (sources Coordination Sud 2007 httpwwwavsforgfrarticlephprub_id=ampart_id=317 page
consulteacutee le 20102008 httpapromalpiorgpe page consulteacutee le 20102008)
89
cadre du projet Ecofair Trade par la capaciteacute des exploitations familiales agrave stimuler et
alimenter la demande effective en direction des produits locaux et sa contribution agrave la
croissance eacuteconomique En effet maintenir le paysan dans son pays crsquoest maintenir trois
autres emplois car ce sont les commerces lrsquoeacutecole et les services qui y reacutepondent En ce sens
lrsquoagriculture familiale ne relegraveve pas seulement le deacutefi de lrsquoemploi mais eacutegalement celui de
maintenir en milieu rural des populations entiegraveres (Coordination Sud 2007)
Un autre avantage de lrsquoagriculture familiale reacuteside dans sa capaciteacute agrave exploiter drsquoune maniegravere
rationnelle ses ressources (Netting 1993 citeacute par Rosset 1999 p4) Cela est ducirc agrave la nature
des laquo modes de vie laquo paysans raquo qui visent agrave instaurer un rapport particulier avec le milieu
une proximiteacute avec la nature ou certaines pratiques villageoises de gestion des ressources
sont davantage le fait des agricultures familiales que des agricultures capitalistes Dans ces
cas-lagrave les agricultures familiales peuvent se traduire par des systegravemes de production
favorables agrave la preacuteservation des ressources agrave la biodiversiteacute agrave la lutte contre le changement
climatique etcraquo (Coordination Sud 2007 p61) Il srsquoagit drsquoune agriculture agrave faible niveau
drsquointrants ou laquo low external input sustainable agriculture raquo (LEISA)57
une agriculture qui est
durable et recourt pour ce faire agrave un minimum drsquointerventions exteacuterieures (engrais
chimiques pesticides location de machines ) On parle donc drsquoune agriculture durable qui
correspond agrave la deacutefinition de deacuteveloppement durable eacutelaboreacutee par le Club de Rome et qui
satisfait ainsi aux besoins des geacuteneacuterations actuelles et futures en matiegravere de nourriture de
matiegraveres premiegraveres de base et drsquoenvironnement drsquoune maniegravere eacuteconomiquement viable
socialement eacutequitable eacutecologiquement fondeacute et culturellement acceptable
Cependant lrsquoagriculture familiale nrsquoest plus la seule activiteacute eacuteconomique motrice et agrave lrsquoabri
des pressions du marcheacute qui lrsquoobligent dans plusieurs endroits du monde agrave employer des
pratiques ayant des impacts neacutegatifs sur lrsquoenvironnement Drsquoune autre maniegravere le rapport des
agriculteurs familiaux agrave la nature et agrave leur milieu est eacutetroit et respectueux si leurs pratiques
correspondent agrave un mode de vie paysan ou bien lorsqursquoelles srsquoinscrivent dans le cadre de
regravegles communautaires de gestion des ressources et des espaces qui apparaissent favorables agrave
la preacuteservation des ressources et de lrsquoenvironnement (Courade et Devegraveze 2006) Par
conseacutequent lrsquoagriculture durable peut ecirctre consideacutereacutee comme un pheacutenomegravene social qui diffegravere
drsquoun endroit agrave lrsquoautre suivant des facteurs tels que la situation socio-eacuteconomique des
individus leurs valeurs leur culture le climat lrsquoaccegraves aux moyens de production et aux
57
Source httpwwwputtingfarmersfirstcaleisa (page consulteacutee le 25102008)
90
marcheacutes Il en reacutesulte que lrsquoagriculture durable nrsquoest pas une reacutealiteacute statique mais plutocirct un
processus dynamique qui eacutevolue parallegravelement au contexte local (Kesteloot et al 2005)
Figure 4 Les trois dimensions de la multifonctionnaliteacute de lrsquoagriculture familiale
Source auteur
Lrsquoensemble de tous les eacuteleacutements reacutesumeacutes dans la figure ci-dessus montre que les agricultures
familiales peuvent contribuer consideacuterablement agrave assurer la seacutecuriteacute alimentaire des
populations Ces agricultures ont le potentiel pour produire assez et drsquoune bonne qualiteacute
reacuteduire la pauvreteacute geacuterer au mieux lrsquoexode rural et ainsi accompagner lrsquoeacutevolution
deacutemographique et eacuteconomique Elles doivent pour cela ecirctre soutenues et les contraintes
auxquelles elles sont actuellement confronteacutees devraient pouvoir ecirctre leveacutees pour leur
permettre de reacutepondre agrave ces diffeacuterents deacutefis Effectivement les agriculteurs familiaux
rencontrent de nombreuses difficulteacutes agrave ne pas eacuteclipser mais au contraire agrave mettre en
eacutevidence La prise en consideacuteration et lrsquoanalyse de ces contraintes permettront dans un
second temps de voir comment y faire face dans la perspective de promotion des agricultures
familiales
Agriculture
Familiale
Produire suffisamment pour assurer
la souveraineteacute locale
Approvisionner les marcheacutes locaux
Produire des aliments sains
Creacuteer des emplois et maintenir
des populations rurales sur leur
territoire
Lutter contre la pauvreteacute et les
ineacutegaliteacutes
Preacuteserver les ressources naturelles
et la biodiversiteacute
Maintenir les speacutecificiteacutes culturelles
locales
Contribuer agrave des processus de
deacuteveloppement local
91
213 Lrsquoagriculture familiale situation actuelle contraintes et deacutefis
Notre objectif dans ce paragraphe est drsquoexposer les principales contraintes qui pegravesent
actuellement sur lrsquoagriculture familiale des contraintes et des limites qui affectent son
processus de production dans sa totaliteacute En dehors des contraintes naturelles (la seacutecheresse la
terre) lrsquoagriculture familiale souffre drsquoabord des ideacutees veacutehiculeacutees selon lesquelles les
agricultures familiales renvoient agrave des structures archaiumlques non modernes improductives
deacutepasseacutees incapables drsquoinnover et de srsquoadapter aux changements anti-eacuteconomiques non
compeacutetitives inadapteacutee au marcheacute pauvres etc (Kesteloot et al 2005)
Une telle image neacutegative a fait que la majoriteacute des deacutecideurs publics ont abandonneacute toute
politique en faveur des agricultures familiales notamment les tregraves petites au profit des
grandes exploitations agricoles doteacutees de moyens de production agrave fort contenu en capital
Selon ces deacutecideurs lrsquoagriculture productiviste est un modegravele plutocirct moderne dynamique
entreprenant inteacutegreacute aux marcheacutes performant et rentable (Bosc et Losch 2002) alors que
plusieurs travaux (Benoit-Cattin 2007 Halamska 1993) font le constat drsquoeacutechec eacuteconomique
de ce modegravele du fait de son incapaciteacute de se maintenir sans des subventions Drsquoailleurs ce
modegravele preacutesente eacutegalement des effets neacutegatifs en matiegravere sociale (exclusions asservissement
etc) environnementale (eacutepuisement etou pollution des nappes et des sols etc) et sanitaire
(la grippe porcine la vache folle etc) (Bosc et Losch 2002)
Nous pensons que lrsquoagriculture familiale a subi et continue de subir des preacutejudices en termes
drsquoaides financiegraveres de soutien technique et drsquoeacutegaliteacute agrave lrsquoaccegraves au marcheacute agrave cause des
politiques de promotion de ce modegravele dans la plupart des pays Le reacutesultat est que les
agriculteurs familiaux se sont retrouveacutes seuls face aux progregraves techniques aux eacutevolutions
socio-eacuteconomiques et surtout aux changements climatiques
A) Les agricultures familiales et les politiques agricoles
La deacutestabilisation des systegravemes de culture familiale a eacuteteacute le reacutesultat de lrsquointroduction des
cultures intensives et drsquoexportation de la faiblesse des deacuteboucheacutes pour certains produits de la
demande internationale de certaines produits (coton sucrehellip) de lrsquoeacutevolution sociale des
agriculteurs et des conditions de travail ainsi que les changements climatiques rendant la
culture de certains produits presque impossible (Badouin 1985) Au fur et agrave mesure que la
grande exploitation prend de la place dans les systegravemes des cultures lrsquoagriculture familiale
srsquoest marginaliseacutee par les politiques publiques notamment dans les pays en deacuteveloppement et
les moins avanceacutes Ces derniers apregraves leur indeacutependance eacutetaient contraints de garantir les
92
approvisionnements accrus des populations urbaines et donc drsquoaugmenter la production
agricoles en encourageant les cultures intensives de matiegraveres premiegraveres agricole (sucre coton
cacaohellip) Cette politique a eacuteteacute soutenue plus tard par les institutions internationales (FMI
BM) en particulier dans les pays en deacuteveloppement surendetteacutes dans les anneacutees 1980 voyant
dans le secteur agricole un moyen drsquoaugmenter leurs recettes et de reacuteduire leurs deacutepenses
publiques
Reacuteellement il srsquoagit de la fin des politiques volontaristes de lrsquoEacutetat (soutien financier
protection douaniegravere etc) et de lrsquoappui financier de projets internationaux ceacutedant la place agrave
une autre politique plutocirct favorable agrave la libeacuteralisation des eacutechanges changeant ainsi
profondeacutement les conditions de la production agricole Cette nouvelle politique agricole qui
promouvait la libeacuteralisation des marcheacutes et la privatisation srsquoest traduite par de nombreuses
difficulteacutes principalement pour les exploitations familiales marginalisation des petits
paysans paupeacuterisation des zones rurales feacuteminisation de lrsquoagriculture prix bas accegraves
incertain aux moyens de production et surexploitation des ressources naturelles drsquoun cocircteacute
Elle est aussi marqueacutee par lrsquoeacutemergence de macro-acteurs priveacutes dans les filiegraveres agricoles
reacutesultant en partie du mouvement international de fusions-acquisitions parmi les firmes de
lrsquoindustrie dans un contexte eacuteconomique et de neacutegociation plutocirct deacutefavorable aux opeacuterateurs
locaux de lrsquoautre (Bosc et Losch 2002 Beacuteliegraveres et al 2002) En fait agrave partir de cette
eacutepoque la participation des petits et moyens producteurs agrave la production agricole commence agrave
diminuer en deacutepit des efforts deacuteployeacutes par les exploitations pour se preacutemunir des risques ou
pour profiter de nouvelles opportuniteacutes (Faure et Samper 2005 Kesteloot et al 2005)
En Afrique tropicale par exemple ougrave le systegraveme des cultures familiales est dominant laquo les
systegravemes de culture sont profondeacutement transformeacutes par lrsquointeacuterecirct porteacute aux cultures de rapport
destineacutees agrave lrsquoexportation Certaines drsquoentre elles eacutetaient tout agrave fait ineacutedites drsquoautres
nrsquoappartenaient qursquoagrave la cateacutegorie des cultures de case (arachide) ou relevaient de lrsquoeacuteconomie
de cueillette (coton) raquo (Badouin 1985 p 104) Au Kenya dans la province occidentale de la
valleacutee de la Nzoia les cultivateurs reacuteservent plus drsquoun hectare de leur exploitation agrave la culture
de la canne agrave sucre qui se juxtapose aux cultures vivriegraveres (Allen 1983 citeacute par Badouin
1985 p105) Crsquoest eacutegalement le cas des producteurs de grains de base au nord du Costa Rica
qui ont continueacute dans lrsquoactiviteacute notamment quand ils avaient deacutejagrave amorti leur mateacuteriel agrave cocircteacute
de leur activiteacute drsquoeacutelevage afin qursquoils assurent une stabiliteacute eacuteconomique de leur exploitation
Certains se sont tourneacutes vers des systegravemes speacutecialiseacutes et intensifs centreacutes sur des productions
93
drsquoexportation Drsquoautres ont introduit de nouvelles cultures lieacutees aux entreprises agro-
industrielles exportatrices (Faure et Samper 2005)
La mecircme observation a eacuteteacute constateacutee en Pologne tout juste trois ans apregraves lrsquointroduction de
lrsquoeacuteconomie de marcheacute Halamska a fait savoir que cette introduction laquo sans aucune politique
agricole drsquoaccompagnement efficace a apporteacute aux exploitations agricoles des difficulteacutes
inconnues jusqursquoalors et inattendues lieacutees agrave lrsquoeacutecoulement de leur endettement agrave la reacuteduction
du niveau de production et agrave lrsquoeffondrement de leur rentabiliteacute raquo (1993 p2) Dernier exemple
concerne le Portugal ougrave lrsquoagriculture familiale a eu une grande importance eacuteconomique en
termes de couverture du commerce exteacuterieur alimentaire du pays avant son adheacutesion agrave
lrsquoUnion europeacuteenne (UE) en 1985 nrsquoa pas connu les reacutesultats escompteacutes apregraves cette adheacutesion
du point de vue agricole malgreacute les grandes injections de moyens financiers (Barros et
Fragata 1997)
Dans ce contexte il est important de souligner que le deacuteveloppement agricole dans la plupart
des pays riches dans les anneacutees 1960 a eacuteteacute baseacute sur lrsquoagriculture familiale et que les
transformations qursquoa connue cette derniegravere laquo se sont faite dans un contexte global de
croissance eacuteconomique et de relative stabiliteacute deacutemographique la reacutegulation du devenir des
exclus et le renforcement des maintenus raquo (Chaulet 1997 p168) Pour les pays deacutependants
et plus speacutecialement ceux du Sud crsquoest plutocirct le contraire qui srsquoest produit Lrsquoinstallation des
agricultures de type capitaliste a eacuteteacute faite au deacutetriment des agricultures familiales alors que
ces derniegraveres sont davantage pourvoyeuses drsquoemplois En effet les agricultures productivistes
nrsquoont concerneacute que les grandes exploitations et ont beacuteneacuteficieacute drsquoun soutien structurel par les
pouvoirs publics (recherche infrastructure information) des subventions agrave la production et
au commerce et des faciliteacutes en matiegravere drsquoaccegraves au creacutedit ou au foncier ce qui a influenceacute
fatalement la compeacutetitiviteacute entre pays comme au sein des pays Incontestablement la
participation des petits producteurs familiaux aux marcheacutes locaux et internationaux reste
cependant conditionneacutee drsquoune part agrave leur capaciteacute drsquoinvestissement agrave lrsquoaccegraves agrave lrsquoinformation
et agrave lrsquoorganisation de la commercialisation (Faure et Samper 2005 Kesteloot et al 2005) et
drsquoautre part agrave leur capaciteacute agrave acceacuteder aux diffeacuterentes ressources naturelles techniques et
financiegraveres dont ils ont besoin pour le fonctionnement de leurs exploitations aux mecircmes
niveaux que les grands agriculteurs capitalistes
94
B) Ineacutegaliteacutes et contraintes des producteurs agricoles familiaux
Il y aurait donc une grande fracture entre ces deux modegraveles agricoles Drsquoune part il existe une
agriculture capitaliste dont les impacts sociaux et environnementaux neacutefastes sont largement
connus et nombreux Il est eacutegalement permis de srsquointerroger sur ses performances
eacuteconomiques comme le fait souligner Benoicirct-Cattin (2007) eacutetant donneacute lrsquoarsenal des
incitations lieacutees agrave sa promotion et les niveaux de soutien qursquoelle peut reacuteclamer pour se
maintenir Drsquoautre part il y a une agriculture familiale dont lrsquoaccegraves aux ressources publiques
comme aux ressources productives (terre eau financements technologies) a eacuteteacute
consideacuterablement restreint Par conseacutequent les ineacutegaliteacutes entre agriculteurs familiaux et les
autres types drsquoagriculteurs sont croissantes voire criantes surtout dans les pays en
deacuteveloppement
Selon le rapport de la Banque Mondiale (2008) les pays africains par exemple nrsquoaffectent en
moyenne que 4 de leurs budgets nationaux au soutien de lrsquoagriculture crsquoest-agrave-dire moins
de 10 fixeacute par le Nouveau Partenariat Pour le Deacuteveloppement en Afrique (NEPAD) De
plus ce petit budget nrsquoest pas destineacute en prioriteacute agrave lrsquoagriculture familiale il srsquoadresse
essentiellement agrave une agriculture de type commercial et donc plutocirct aux grandes exploitations
Pour que les agriculteurs familiaux beacuteneacuteficient du soutien public il faut qursquoils srsquoinscrivent
dans le cadre de filiegraveres drsquoexportation (Coordination Sud 2005) Il nous paraicirct que ces
ineacutegaliteacutes de reconnaissance et de traitement dans les politiques publiques est drsquoautant plus
inacceptable qursquoelle est en totale inadeacutequation avec lrsquoimportance sociale et eacuteconomique des
agricultures familiales dans la plupart des pays du monde Ces ineacutegaliteacutes ont conduit agrave
lrsquoeacutemergence drsquoune minoriteacute drsquoexploitations chez certaines eacutelites africaines traduisant le fait
que la vision de lrsquoagriculture promue est celle drsquoune agriculture fortement doteacutee en facteurs de
production et en capital social eacutevoluant vers une logique drsquoentreprise et de production de
biens agricoles exclusivement destineacutes au marcheacute Celle-ci srsquooppose agrave une agriculture plus
laquo traditionnelle raquo agrave cheval entre logiques drsquoautoconsommation et de marcheacute avec des
dotations en facteurs plus ineacutegales et plus fragiles Il srsquoagit drsquoune dualisation possible de
lrsquoagriculture africaine agrave lrsquoinstar de lrsquoeacutevolution latino-ameacutericaine entre un petit secteur
compeacutetitif laquo moderne et inseacutereacute dans les marcheacutes raquo et une grande masse de ruraux
marginaliseacutes et pousseacutes vers le secteur social (Beacuteliegraveres et al 2002)
Geacuteneacuteralement lrsquoagriculture familiale subi trois formes drsquoineacutegaliteacutes lrsquoaccegraves aux ressources
naturelles (terre eau) lrsquoaccegraves au financement et lrsquoaccegraves agrave lrsquoassistance technique Ces
95
ineacutegaliteacutes se sont aggraveacutees par drsquoautres facteurs agrave savoir le changement climatique et les
meacutecanismes internes de fonctionnement de lrsquoexploitation
I Les ineacutegaliteacutes et les contraintes en termes drsquoaccegraves aux ressources naturelles
En tant qursquoatout majeur pour la production les terres et ressources naturelles repreacutesentent un
filet de seacutecuriteacute essentiel contre lrsquoinseacutecuriteacute alimentaire pour les populations les plus pauvres
Elles sont aussi agrave la base des relations sociales et donc un facteur important dans la preacutevention
de lrsquoexclusion sociale et par conseacutequent de lrsquoexclusion eacuteconomique (Ochieng-Odhiambo
2011) Or par rapport aux autres types drsquoagriculteurs les agriculteurs familiaux (largement
nombreux) se partagent des ressources naturelles en quantiteacute et en qualiteacute bien moindres que
les autres types drsquoagriculteurs58 La peacuterenniteacute de la reacuteussite des exploitations de lrsquoOffice du
Niger mentionneacutees ci-dessus est lieacutee agrave leurs capaciteacutes agrave eacutetendre leurs superficies en riziegraveres59
Cependant en raison drsquoune relative stagnation du domaine ameacutenageacute de la forte croissance
deacutemographique et de la segmentation des familles les surfaces rizicultiveacutees par exploitation
agricole familiale ont fortement diminueacute Sur la peacuteriode 1978-2002 le nombre des familles
attributaires est passeacute de pregraves de 5 000 agrave 23 400 crsquoest-agrave-dire pregraves de cinq fois plus alors que
les surfaces cultiveacutees en riz en hivernage sur casiers ont eacuteteacute multiplieacutees par 15 seulement
passant de 36 500 ha agrave environ 58 300 ha La surface moyenne en riz drsquohivernage sur casier
par famille attributaire a tregraves fortement diminueacute passant de 75 agrave 25 ha (Belieres et
Coulibaly 2004)
Pour atteacutenuer ces ineacutegaliteacutes dans la distribution des terres plusieurs pays ont effectueacute des
reacuteformes agraires afin de promouvoir lrsquoentreacutee des petits paysans sur le marcheacute Selon le
rapport de la Banque Mondiale (2008) la redistribution de grands terrains sous-exploiteacutes pour
permettre agrave des petits paysans de srsquoinstaller peut fonctionner si elle srsquoaccompagne de reacuteformes
visant agrave favoriser la compeacutetitiviteacute des beacuteneacuteficiaires ndash un objectif qui srsquoest aveacutereacute difficile agrave
atteindre Effectivement les reacuteformes agraires nrsquoont eacuteteacute tregraves souvent qursquoincomplegravetes et lrsquoaccegraves
agrave la terre implique des luttes et des conflits souvent violents agrave lrsquoimage ce qursquoil se passe au
Zimbabwe ou au Breacutesil Pire les terres redistribueacutees pourraient ecirctre prises comme moyens de
survie (sous-location vente drsquoeacuteleacutements de lrsquoexploitation etc) ou faire lrsquoobjet drsquoune
58
Dans les quinze pays qui composent lrsquoAmeacuterique latine par exemple 15 millions drsquouniteacutes familiales (soit 88
du total des exploitations) se reacutepartissent seulement 12 des terres 11 millions des exploitations latino-
ameacutericaines nrsquoont pas un accegraves suffisant aux ressources (terre et eau) qui leur permettraient de vivre deacutecemment
de lrsquoagriculture (Coordination SUD 2005) 59
En effet les rendements rizicoles ont eacuteteacute multiplieacutes par 25 en 15 ans alors que les exploitants nrsquoavaient qursquoune
garantie fonciegravere limiteacutee dans la mesure ougrave la gestion des terres est assureacutee par un organisme public (lrsquoOffice)
dont les pouvoirs drsquoexpulsion eacutetaient (et restent toujours) tregraves importants (Faure et Samper 2005 p19)
96
speacuteculation fonciegravere (transformation de la terre en terrain agrave bacirctir) permettant dans certains
cas la constitution des grandes exploitations Crsquoest le cas par exemple de lrsquoAlgeacuterie ougrave laquo la
restitution des terres nationaliseacutees lors de la Reacutevolution Agraire et lrsquoouverture drsquoun marcheacute
foncier (vente de parcelles pour la construction location et sous-location sous diverses
formes) souvent informel permettent la reconstitution ou la creacuteation de grandes
exploitations raquo (Chaulet 1997 p173)
Ce problegraveme drsquoaccegraves agrave la terre pour les agriculteurs familiaux est aggraveacute par la concurrence
directe des gros investisseurs notamment eacutetrangers60 drsquoun cocircteacute et par le morcellement des
exploitations en cas de reacutepartition eacutegalitaire du patrimoine foncier drsquoune geacuteneacuteration agrave une
autre (Beacuteliegraveres et al 2002 Coordination Sud 2007) induisant forcement la reacuteduction des
exploitations de lrsquoautre (graphique 8)
Graphique 8 Tendance de lrsquoeacutevolution des tailles des petites exploitations dans certains PED
Source FAO 20012004 (drsquoapregraves Coordination Sud 2007 p53)
60
Il srsquoagit de lrsquoacquisition (location concession voire achat) par des multinationales (pex Daewoo) ou des
Eacutetats (du Golfe Coreacutee Chine Japon et Libyehellip) de vastes zones cultivables (gt10 000 ha) agrave lrsquoeacutetranger (pays
souvent qui souffrent de lrsquoinseacutecuriteacute alimentaire Eacutethiopie Soudan Mali Mozambique Philippines Pakistan
Thaiumllande Cambodge Madagascar Tanzanie Ukraine etc) et agrave long terme (souvent 30-99 ans) pour produire
des denreacutees de base destineacutees agrave lrsquoexportation (Grain 2009) Chaque anneacutee des investisseurs expriment leur
inteacuterecirct dans lrsquoacquisition de plus de 40 millions drsquohectares de terres arables (ONU 2010) Selon la Banque
mondiale (2010) depuis 2006 50 millions has ndash soit presque la moitieacute des terres cultivables de la Chine - ont eacuteteacute
ceacutedeacutes ou font lrsquoobjet de neacutegociations en Afrique Asie Ameacuterique latine Pour la FAO (2010a) 20 millions ha
rien qursquoen Afrique
97
En Chine par exemple les paysans avaient en moyenne une superficie de 056 hectares
cultiveacutes dans les anneacutees 1980 mais cette superficie est passeacutee agrave 04 hectares agrave la fin des
anneacutees 1990 Idem en Cordillegravere de Cochabamba en Bolivie dont les effets de la reacuteduction des
parcours commencent agrave se faire sentir et les limites de la culture de la pomme de terre
(notamment en altitude) seront bientocirct atteintes La croissance deacutemographique de la
Cordillegravere conduira donc agrave une reacuteduction progressive des surfaces cultiveacutees par famille
(Jobbeacute-Duval 2007 citeacute par Coordination Sud 2007 p54) Cette diminution de la taille des
exploitations entraicircne souvent ainsi des modes de gestion individuels notamment de la part
des deacutependants (fermiers et meacutetayers) qui se sentent leacuteseacutes (Beacuteliegraveres et al 2002)
Toutefois dans plusieurs pays un nombre important drsquoutilisateurs ne possegravede pas de titres
fonciers de leurs terres et ont donc plus de chances drsquoecirctre deacuteposseacutedeacutes de celles-ci61
Le
caractegravere flou des droits de proprieacuteteacute62
le manque de respect des contrats et des restrictions
juridiques reacuteduisent souvent la marge de manœuvre des agriculteurs notamment en termes
drsquoinvestissement Au lieu de traiter ce problegraveme la majoriteacute des Eacutetats croient dans les
promesses de lrsquoinnovation technologique comme la solution ideacuteale pour assurer la seacutecuriteacute
alimentaire pour tous comme en teacutemoigne le Plan Maroc Vert (PMV)63
Pour lrsquoancien
preacutesident breacutesilien Lula da Silva il srsquoagit drsquoune laquo reacutevolution doreacutee raquo 64
associant les trois
ingreacutedients que sont la terre le soleil et lrsquoinnovation qui renvoie plus agrave la recherche
scientifique pour augmenter la productiviteacute qursquoagrave la possibiliteacute drsquoune ameacutelioration des savoir et
des savoir-faire en srsquoappuyant sur les connaissances traditionnelles et locales pour la
production agrave petite eacutechelle
Les ineacutegaliteacutes entre les agriculteurs familiaux et les autres types drsquoagriculteurs sont eacutegalement
importantes dans lrsquoaccegraves agrave lrsquoeau irrigation pour les entreprises agricoles capitalistes
appropriation de puits paiements de droits etc Or lrsquoeau est une ressource aujourdrsquohui
61
Comme lrsquoindique le rapport publieacute par la FAO et lrsquoIIED (Institut International pour lrsquoEnvironnement et le
Deacuteveloppement) le pheacutenomegravene de deacutepossession des terres est deacutejagrave visible (Fuelling exclusion The biofuels
boom and poor peoplersquos access to land) (Source International Land Coalition wwwlandcoalitionorg consulteacutee
le 10022010) 62
En effet dans de nombreux pays de vastes eacutetendues de terres sous jouissance coutumiegravere ne jouissent
drsquoaucune protection leacutegale souvent agrave cause de leacutegislations datant de lrsquoeacutepoque coloniale Par exemple dans
plusieurs pays africains les pouvoirs publics consideacuteraient la majeure partie des terres comme eacutetant des laquo terres
drsquoEacutetat raquo des terres collectives selon le rapport de la Banque Mondiale (2008) 63
PMV une strateacutegie nationale ayant comme objectif lrsquoameacutelioration de la productiviteacute de lrsquoagriculture
marocaine sur la base des technologies modernes (MAPM 2008) 64
Il srsquoagit drsquoune intervention lors la Confeacuterence de Haut Niveau sur la Seacutecuriteacute Alimentaire Mondiale agrave Rome en
2008 (Source International Land Coalition
(httpwwwlandcoalitionorgpdf08_06_reflexionsILCsurFAO_CHNpdf page consulteacutee le 10022010)
98
strateacutegique pour la production drsquoautant plus convoiteacutee qursquoelle devient une ressource rare avec
des besoins parallegravelement plus importants et une concurrence accrue sur la ressource pour
lrsquoalimentation des villes en pleine expansion les activiteacutes miniegraveres et industrielles
(Coordination Sud 2007)65
En sus les agriculteurs notamment les plus pauvres sont plus
vulneacuterables que les autres aux effets neacutefastes du reacutechauffement climatique du fait que ils ne
disposent pas de systegravemes de seacutecuriteacute sociale et ou drsquoassurance
Les reacutecoltes deacuteficitaires et pertes de beacutetail croissantes qui imposent deacutejagrave de lourdes pertes
eacuteconomiques et compromettent la seacutecuriteacute alimentaire dans certaines reacutegions drsquoAfrique
subsaharienne vont encore srsquoaggraver au fur et agrave mesure que le reacutechauffement de la planegravete
progresse Des seacutecheresses et des peacutenuries en eau de plus en plus freacutequentes pourraient
deacutevaster une grande partie des tropiques et menacer lrsquoapprovisionnement en eau drsquoirrigation
et de boisson des communauteacutes entiegraveres deacutejagrave pauvres et vulneacuterables66 De plus lrsquoexploitation
excessive des ressources hydrique notamment les nappes souterraines peut entraicircner agrave terme
leur eacutepuisement lorsque le renouvellement des reacuteserves drsquoeau est insuffisant comme crsquoest le
cas de plusieurs pays comme la Tunisie lrsquoArabie Saoudite lrsquoIran la Chine ou lrsquoInde
(Carfantan 2009)
Lrsquoaccegraves agrave lrsquoeau et notamment agrave lrsquoirrigation est eacutegalement un eacuteleacutement deacuteterminant pour la
productiviteacute de la terre et la stabiliteacute des rendements Il importe de savoir que la productiviteacute
des terres irrigueacutees est pregraves de trois fois supeacuterieures agrave celle des terres pluviales En effet les
deux cinquiegravemes de la totaliteacute de la production veacutegeacutetale et pregraves des trois cinquiegravemes de la
production ceacutereacutealiegravere dans les pays en deacuteveloppement sont fournies par les peacuterimegravetres
irrigueacutes qui nrsquoen occupent que 20 de lrsquoensemble des terres arables (Banque Mondiale
2008 Carfantan 2009) Crsquoest la raison pour laquelle plusieurs rapports de la FAO et le
rapport de la Banque Mondiale (2008) ont recommandeacute vivement la geacuteneacuteralisation des
65
La concurrence entre les diffeacuterentes utilisations des terres agricoles a eacuteteacute aggraveacutee reacutecemment par des
politiques qui favorisent le passage aux biocarburants dans les transports ce qui conduit agrave mettre en concurrence
les utilisateurs locaux des ressources les Eacutetats et les producteurs drsquoagrocarburants creacuteant ainsi le risque de
priver les groupes deacutefavoriseacutes de lrsquoaccegraves agrave la terre dont ils deacutependent Un inventaire reacutecent reacutealiseacute par la Banque
mondiale reacutepertoriant 389 acquisitions agrave grande envergure et locations de terres agrave long terme dans 80 pays
montre que si 37 des soi-disant projets drsquoinvestissement sont destineacutes agrave la production de denreacutees alimentaires
(cultures et eacutelevage) les agrocarburants repreacutesentent 35 de ces projets (ONU 2010 p6-7) 66
La crise en Afrique de lrsquoEst a cruellement mis en lumiegravere la vulneacuterabiliteacute des systegravemes de production
alimentaire tributaires des pluies et celle des populations qui en deacutependent Selon la FAO 29 000 enfants sont
morts en 3 mois en Somalie et 12 millions de personnes ont besoin drsquoune aide humanitaire drsquourgence dans
lrsquoensemble de la Corne drsquoAfrique Dans cette reacutegion seacutevit la pire seacutecheresse depuis 60 ans selon laquo Action contre
la faim raquo (ACF) Cette grave seacutecheresse a entraicircneacute des pertes en beacutetail de mauvaises reacutecoltes et donc une
flambeacutee des prix alimentaires (Sources httpwwwactioncontrelafaimorgurgence-Corne-De-l-Afrique et
httpwwwfaoorgindex_enhtm pages consulteacutees le 310811)
99
systegravemes drsquoirrigation notamment dans les pays en Afrique subsaharienne ougrave seulement 4
de la superficie en production sont sous irrigation contre 39 en Asie du Sud et 29 en
Asie de lrsquoEst Or les projets drsquoirrigation sont tregraves coucircteux et demandent des moyens
techniques et financiers consideacuterables dont les agriculteurs familiaux disposent rarement du
fait du deacutepeacuterissement des politiques publiques en matiegravere de financement des projets et des
difficulteacutes drsquoaccegraves au creacutedit qursquoils rencontrent Cela nous amegravene au point suivant celui des
ineacutegaliteacutes en termes de financement de projets des agriculteurs familiaux
II Les ineacutegaliteacutes et les contraintes en termes drsquoaccegraves aux services financiers et de
reacuteduction du degreacute drsquoexposition aux risques non assureacutes
Les contraintes financiegraveres sont freacutequentes dans lrsquoagriculture Elles sont coucircteuses et
distribueacutees de faccedilon ineacutequitable limitant seacuterieusement la capaciteacute des agriculteurs
notamment les familiaux agrave soutenir la concurrence tandis que les grandes exploitations
familiales disposent drsquoune capaciteacute plus importante agrave mobiliser des financements publics et
ou priveacutes (Banque Mondiale 2008) Dans de nombreux pays du Sud une large part du
financement de lrsquoagriculture eacutetait jusqursquoagrave preacutesent publique sous diffeacuterentes formes lignes de
creacutedit et fonds de garantie geacutereacutes par lrsquoadministration banque publiques (agricoles ou de
deacuteveloppement) socieacuteteacutes de deacuteveloppement projets de deacuteveloppement Mais avec la
libeacuteralisation eacuteconomique on a assisteacute agrave un deacutemantegravelement progressif de cette offre publique
de financement en supprimant des taux bonifieacutes pour lrsquoagriculture et une geacuteneacuteralisation du
systegraveme bancaire commercial qui concentre son offre de financement sur quelques secteurs
seacutecuriseacutes (cultures drsquoexportations productions irrigueacuteeshellip) et ne srsquoaventure qursquoavec
beaucoup de preacutecaution dans les autres secteurs (Achoum et al 1992 Elloumi 2006
Lapenu et Wampfler 2002)
Le coucirct des contraintes financiegraveres pour les petits exploitants est eacutenorme en termes de perte
drsquoopportuniteacutes et drsquoexposition au risque En Inde par exemple une enquecircte portant sur 6 000
meacutenages dans deux Eacutetats a deacutevoileacute que 87 des exploitants agricoles marginaux interrogeacutes
nrsquoont pas accegraves au creacutedit institutionnaliseacute et que 71 drsquoentre eux nrsquoont pas accegraves agrave un compte
drsquoeacutepargne dans une institution financiegravere reacuteguliegravere (Lantican et al 2003 citeacute par Banque
Mondiale 2008 p171) De mecircme les quelques creacutedits accordeacutes au secteur agricole au Peacuterou
sont principalement utiliseacutes par 2000 entreprises agro-industrielles exportatrices de la cocircte
peacuteruvienne Agrave noter qursquoen 1980 il y avait 250 000 agriculteurs clients du BAP (Banco
Agrario del Peru) les clients agriculteurs potentiels sont estimeacutes actuellement agrave 500 000 La
100
gestion du creacutedit est aujourdrsquohui concentreacutee par les banques commerciales 885 de la
gestion des 436 millions de US$ les caisses rurales en gegraverent 75 et les caisses municipales
4 (AVSF 2007 citeacute par Coordination Sud 2007 p30) Dans cinq pays du Centre et de
lrsquoEst de lrsquoEurope presque 50 des petits exploitants font eacutetat de contraintes financiegraveres
comme eacutetant la principale barriegravere agrave la croissance et au deacuteveloppement de leurs entreprises
(Narrod et al 2001 citeacute par Banque Mondiale 2008 p171)
Lrsquoaccegraves au creacutedit par le systegraveme bancaire traditionnel reste effectivement tregraves difficile pour les
petits producteurs familiaux Cette difficulteacute est due drsquoune part agrave lrsquoinsuffisance des garanties
(faiblesse des terres immatriculeacutees divers statuts juridiques caduques etc) et agrave la reacuteticence agrave
risquer les actifs en les donnant en garantie lorsqursquoils sont vitaux pour la subsistance
(Morvant-Roux 2007) Elle est lieacutee drsquoautre part drsquoune maniegravere plus geacuteneacuterale agrave des risques
covariants qui peuvent toucher lrsquoensemble des emprunteurs drsquoune zone donneacutee au mecircme
moment et se traduire ainsi par des impayeacutes geacuteneacuteraliseacutes Ces risques peuvent ecirctre de nature
climatique (seacutecheresse inondations) eacutepideacutemique (eacutepizooties) ou eacuteconomique (variation de
prix difficulteacutes drsquoapprovisionnement en intrants ou drsquoeacutecoulement des produits concurrence
avec les produits drsquoimportation retards sur les paiements) (Lapenu et Wampfler 2002) Il faut
rappeler ici que les agriculteurs familiaux dans les pays en deacuteveloppement ne disposent pas
pratiquement drsquoune aucune assurance efficace contre ces risques contrairement aux grands
exploitants agricoles capitalistes Dans ces conditions il nrsquoy a que ces derniers qui peuvent
obtenir des precircts plus importants et agrave des coucircts plus bas de precircteurs institutionnels parce qursquoils
peuvent engager de maniegravere plus creacutedible leurs actifs et leurs futures rentreacutees drsquoargent Les
agriculteurs agrave faibles dotations drsquoactifs sont quant agrave eux donc limiteacutes agrave des precircts
consideacuterablement moins importants et agrave des taux plus eacuteleveacutes car ils doivent se tourner vers
des precircteurs qui substituent une surveillance continue et coucircteuse aux biens donneacutes en
garantie (Banque Mondiale 2008)
Contrairement aux pays du Nord la reacuteduction voire la suppression des lignes de creacutedit
particuliegraveres dessineacutees au financement des activiteacutes agricoles dans le cadre de programmes
publics ou par des banques drsquoEacutetat dans les pays en deacuteveloppement ont engendreacute de graves
carences au niveau des services financiers qui nrsquoont toujours pas eacuteteacute combleacutees et malgreacute de
nombreuses innovations institutionnelles Parmi ces derniegraveres on peut citer la reacutevolution de la
microfinance qui a permis agrave des millions de pauvres particuliegraverement aux femmes drsquoacceacuteder
agrave des precircts sans garantie formelle La plupart des activiteacutes agricoles nrsquoont toujours pas eacuteteacute
101
concerneacutees sauf pour les activiteacutes agrave roulement eacuteleveacute telles que les petits eacutelevages et
lrsquohorticulture En fait la microfinance et les services financiers en geacuteneacuteral preacutefegraverent souvent
reacutepondre aux besoins drsquoactiviteacutes rurales telles que le commerce la transformation agro-
alimentaire voire lrsquoartisanat et ne srsquoavancent qursquoavec prudence dans le financement de
lrsquoagriculture en raison de ses caracteacuteristiques et ses contraintes speacutecifiques (Lapenu et
Wampfler 2002 Banque Mondiale 2008) Cette difficulteacute agrave acceacuteder aux capitaux et la
reacuteduction du soutien financier public pour les agriculteurs familiaux affectent sans doute leur
capaciteacute drsquoaccegraves agrave la technologie et agrave lrsquoassistance technique neacutecessaire agrave lrsquoameacutelioration de leur
productiviteacute et donc agrave leur compeacutetitiviteacute
III Les ineacutegaliteacutes et les contraintes en termes drsquoaccegraves aux services techniques et
technologiques
Personne ne conteste lrsquoenjeu essentiel de lrsquoaccegraves des agriculteurs agrave la technologie et
lrsquoassistance agrave travers la formation et surtout lrsquoeacuteducation Il est eacutevident que lrsquoeacuteducation est un
eacuteleacutement preacutecieux pour permettre aux populations rurales de saisir des opportuniteacutes dans la
nouvelle agriculture (lrsquoaccegraves agrave des emplois qualifieacutes la gestion moderne des exploitations)
Neacuteanmoins les niveaux drsquoeacuteducation sont geacuteneacuteralement faibles dans les zones rurales du
monde entier67
contrairement aux zones urbaniseacutees Cette situation peut srsquoexpliquer dans
certains cas par la nature de lrsquoeacuteducation rurale qui de plus en plus exige lrsquoameacutelioration la
plus substantielle au moyen drsquoun enseignement essentiellement conccedilu pour inclure une
formation professionnelle agrave mecircme de procurer les compeacutetences techniques et commerciales
requises dans la nouvelle agriculture et lrsquoeacuteconomie rurale non agricole (Banque Mondiale
2008)
Dans les autres cas crsquoest plutocirct lrsquoabsence de service public de lrsquoeacuteduction notamment dans les
pays en deacuteveloppement en raison des restrictions budgeacutetaires imposeacutees par les institutions
internationales (FMI BM) qui explique ce pheacutenomegravene (Radi 1993) Ces pays ont eacuteteacute
contraints degraves les anneacutees 1980 drsquoabandonner leur fonction drsquoappui agrave lrsquoagriculture (recherche
vulgarisation agricole etc) Agrave titre drsquoexemple les anneacutees 1990 en Ameacuterique laquo ont vu
srsquoaffirmer les tendances de privatisation des services de recherche agronomique et
drsquoassistance technique publique raquo (Coordination Sud 2007 p30) Effectivement les
ministegraveres de lrsquoAgriculture ont vu leur personnel et leurs moyens logistiques diminuer
67
Une moyenne de quatre anneacutees de scolariteacute pour les hommes adultes et moins de trois anneacutees pour les femmes
adultes en Afrique subsaharienne en Asie du Sud ainsi qursquoau Moyen-Orient et en Afrique du Nord selon la
Banque Mondiale (2008)
102
drastiquement Tandis que les ventes de service drsquoassistance technique priveacutee se sont
multiplieacutees pour les associations syndicales de grands producteurs
Au final lrsquoaffaiblissement du rocircle public dans ce domaine srsquoest traduit par la marginalisation
de la plupart des agriculteurs des processus drsquoinnovation et de modernisation mettant en peacuteril
leur avenir En Afrique subsaharienne par exemple lrsquoinsuffisance des investissements publics
(et priveacutes) en recherche et deacuteveloppement celle des transferts internationaux de technologies
et celle de lrsquoutilisation de semences et drsquoengrais (en raison de la deacutefaillance du marcheacute) se
sont combineacutees avec drsquoautres eacuteleacutements agrave la stagnation de leurs rendements ceacutereacutealiers et donc
agrave leurs revenus (Banque Mondiale 2008) Cet effet avec drsquoautres fera lrsquoobjet du dernier
point de cette sous-section
IV Les ineacutegaliteacutes en termes drsquoaccegraves aux ressources publiques et les contraintes de la
libeacuteralisation des marcheacutes quelles conseacutequences pour lrsquoagriculture familiale
Les ineacutegaliteacutes et lrsquoenvironnement plus concurrentiel pour lrsquoaccegraves aux facteurs de production
(capital et terres) la fin des laquo encadrements raquo de la production la preacutesence plus affirmeacutee des
firmes agricoles et agro-industrielles internationales a rendu les marges de manœuvre
extrecircmement eacutetroites pour les agriculteurs familiaux et a fait ainsi peser un risque majeur sur
leur devenir Forceacutement lrsquoausteacuteriteacute budgeacutetaire de lrsquoajustement et lrsquoimpeacuteratif de privatisation
ont reacuteduit voire supprimeacute les diffeacuterentes structures drsquoappui technique et financier conduisant
agrave un accroissement des eacutecarts de productiviteacute entre les deux grands modegraveles tendanciels Drsquoun
cocircteacute il existe une agriculture productive baseacutee sur une minoriteacute drsquoopeacuterateurs agricoles ou
agroalimentaires priveacutes nationaux Ces opeacuterateurs speacutecialiseacutes souvent dans des segments
drsquoexportation ou dans des filiegraveres lieacutees agrave lrsquoapprovisionnement urbain beacuteneacuteficient de
conditions privileacutegieacutees lrsquoappartenance agrave des reacuteseaux eacuteconomiques et politiques lrsquoaccegraves
privileacutegieacute agrave lrsquoinformation strateacutegique (subventions publiques interface freacutequente avec les
entreprises bailleurs de fondshellip) et lrsquoaccumulation dans le secteur extra-agricole et le
reacuteinvestissement dans lrsquoagriculture (Beacuteliegraveres et al 2002) Et de lrsquoautre cocircteacute il a y une frange
croissante drsquoexploitations marginaliseacutees qui nrsquoont plus les moyens drsquoassurer leur reproduction
et en voie de paupeacuterisation acceacuteleacutereacutee (Bosc et Losch 2002)
Cette eacutevolution deacutejagrave preacutesente en Ameacuterique latine et qui eacutemerge aussi en Afrique depuis les
anneacutees 1990 a deacutejagrave montreacute ses limites en matiegravere drsquoameacutelioration des conditions de production
agricole et des revenus Le rapport de la Banque Mondiale deacutedieacute agrave lrsquoagriculture (2008) a
reconnu que les deacutefaillances des marcheacutes financiers et drsquoassurance combineacutees aux coucircts de
103
transaction peuvent empecirccher les marcheacutes de la vente et de la location de terres drsquoattribuer
les terres aux utilisateurs les plus efficaces De plus une concurrence imparfaite sur ces
marcheacutes peut favoriser la concentration des terres dans les grosses exploitations (Banque
Mondiale 2008) Dans cette optique le rapport a attireacute lrsquoattention sur lrsquoimportance de lrsquoaccegraves
au creacutedit pour tous les agriculteurs et son impact sur leur productiviteacute et leur revenu comme
le montre lrsquoexemple des meacutenages ruraux ayant un faible accegraves au creacutedit des zones rurales du
Honduras du Nicaragua et du Peacuterou (graphique 9)
Graphique 9 Rapport des meacutenages contraints aux non contraints (en)
Nicaragua Peacuterou Honduras
Intrants par hectares
Revenu net par hectare
Richesse productive totale
Source Boucher et al 2006 (drsquoapregraves Banque Mondiale 2008 p 170)
Cette situation illustre drsquoune maniegravere eacutevidente que les ineacutegaliteacutes drsquoaccegraves au creacutedit peuvent
avoir des reacutepercussions neacutefastes sur la productiviteacute et contribuer agrave deacuteteacuteriorer la distribution
La population des zones rurales du Honduras du Nicaragua et du Peacuterou faisant lrsquoobjet de
contraintes de creacutedit constitue quelques 40 du total des producteurs agricoles Les
producteurs manquant de creacutedits utilisent en moyennes lrsquoeacutequivalent de 50 agrave 75 des
intrants acheteacutes par les producteurs non sujets agrave contraintes et perccediloivent des revenus nets
(rendements de la terre et de la main-drsquooeuvre familiale) eacutequivalant agrave 60 jusqursquoagrave 90 de
ceux des producteurs non sujets agrave des contraintes de creacutedit (Banque Mondiale 2008)
Neacuteanmoins ces facteurs internes de diffeacuterenciation sont aussi accentueacutes par les conseacutequences
de la libeacuteralisation du marcheacute et des conditions de neacutegociations commerciales souvent
deacutefavorables aux opeacuterateurs locaux (Bosc et Losch 2002)
104
Un autre cas est celui des producteurs familiaux de manioc au Breacutesil qui rencontre des
problegravemes en raison de la baisse des prix de la farine de manioc et de leurs difficulteacutes agrave
acceacuteder aux programmes officiels de commercialisation Ainsi les agriculteurs sont en train
de limiter la surface destineacutee au manioc pour lrsquoautoconsommation en amplifiant en mecircme
temps la production de canne agrave sucre pour la commercialisation sur la base de contrats avec
les usines de transformation ou en louant les terres agrave drsquoautres familles La transformation des
produits dans les assentamentos est minime par manque de technologie adapteacutee et capaciteacute
drsquoinvestissement limitant ainsi la possibiliteacute drsquoajouter de la valeur aux produits (AACC et
AVSF 2007 citeacute par Coordination SUD 2007 p51) Cela induit une meacutevente de ces
produits deacutejagrave victimes de la concurrence accrue des produits importeacutes Crsquoest le cas des
produits des agriculteurs portugais (majoritairement familiaux) qui se trouvaient en
compeacutetition avec leurs partenaires communautaires au deacutemarrage de la deuxiegraveme eacutetape de
lrsquoadheacutesion du Portugal agrave la Communauteacute europeacuteenne Les prix de leurs produits sont de plus
en plus ajusteacutes agrave ceux de la Communauteacute alors que les coucircts de production sont plus eacuteleveacutes
dans la mesure ougrave lrsquoensemble des facteurs de production est plus cher au Portugal (Halamska
1993) Par conseacutequent les revenus des agriculteurs familiaux ont fortement baisseacutes par tout
dans le monde et notamment dans les pays en deacuteveloppement
Ces exemples et drsquoautres deacutemontrent drsquoun cocircteacute que lrsquoaccegraves ineacutegal aux ressources publiques
pour les agriculteurs familiaux et les difficulteacutes drsquoeacutecoulement de leurs produits agrave cause de la
libeacuteralisation croissante des importations peuvent avoir des reacutepercussions neacutefastes sur la
production agricole et ainsi contribuer agrave deacuteteacuteriorer la distribution des revenus Il indique de
lrsquoautre la difficulteacute agrave comparer les performances et les capaciteacutes des agricultures familiales
avec celles des agricultures industrielles Plus fondamentalement de nombreux agriculteurs
familiaux font valoir que lrsquoagriculture familiale est agrave consideacuterer dans sa globaliteacute comme un
pocircle de vie dont il est difficile de segmenter les dimensions notamment eacuteconomiques pour
les comparer avec lrsquoagriculture de type industriel (Coordination Sud 2007)
En deacutepit de ces contraintes qui pegravesent sur lrsquoagriculture familiale beaucoup drsquoanalyses
optimistes voient dans le contexte actuel un nouveau deacutepart pour lrsquoagriculture pas forcement
familial au sens strict du terme On parle du retour de la question agricole notamment du rocircle
de la petite exploitation consacreacute agrave lrsquoagriculture dans la lutte contre lrsquoinseacutecuriteacute alimentaire
comme en teacutemoigne la reacuteunion des ministres de lrsquoagriculture des pays du G20 en France dans
laquelle il eacutetait question de la neacutecessiteacute de lutter contre la volatiliteacute des prix agricoles sur les
105
marcheacutes mondiaux la relance des financements de lrsquoagriculture et de la redeacutefinition des
nouvelles politiques agricoles68 Crsquoest une excellente initiative parce qursquoelle inscrit ou
reacuteinscrit lrsquoagriculture au premier rang des enjeux internationaux selon la FARM (Fondation
pour lrsquoAgriculture et la Ruraliteacute dans le Monde)69
Dans ce contexte la prioriteacute de soutien agrave
lrsquoagriculture familiale faite par les organisations de la socieacuteteacute civile internationale permettrait
de deacutevelopper un modegravele agricole performant pour lrsquoapport drsquoalimentation au niveau local en
adeacutequation avec le territoire Afin drsquoassurer la souveraineteacute alimentaire il est deacuteterminant de
soutenir une petite agriculture en lien avec son territoire70
Ce dernier est consideacutereacute comme
lrsquoultime refuge agrave lrsquoagriculture familiale pour deacutepasser ces contraintes et relever le deacutefi de la
modernisation de ses meacutethodes de travail afin qursquoelle puisse continuer agrave jouer efficacement sa
multifonctionnaliteacute notamment en termes de disponibiliteacute alimentaire et de creacuteation
drsquoemplois dans un contexte de mondialisation et de retrait de lrsquoEacutetat
22 Une agriculture lieacutee agrave son milieu une solution pour lrsquoavenir de
lrsquoagriculture familiale
Les contraintes pesant sur lrsquoagriculture familiale mentionneacutees plus haut sont lieacutees agrave une
eacutevolution agrave la prioriteacute donneacutee agrave lrsquoagriculture capitaliste Ce type drsquoagriculture posseacutederait une
capaciteacute de reacutesistance voire une capaciteacute drsquoagressiviteacute sur les marcheacutes exteacuterieurs et inteacuterieurs
et pourrait donc ecirctre beacuteneacuteficiaire drsquoune ouverture des marcheacutes et surtout drsquoune libeacuteralisation
reacuteciproque Il a une capaciteacute plus forte drsquoadopter des techniques capitalistiques plus
productives ou des produits agrave plus forte valeur ajouteacutee Cette capaciteacute nrsquoest accessible pour les
petits agriculteurs au vu des deacutefaillances des marcheacutes du creacutedit et de lrsquoassurance que par la
mobilisation des institutions repreacutesentatives de lrsquoaction collective (Banque Mondiale 2008)
Ces institutions synonymes de coopeacuteration pourraient en effet reacutealiser des eacuteconomies
drsquoeacutechelle souvent consideacutereacutees comme la cleacute pour acceacuteder aux facteurs de production agrave la
technologie et agrave lrsquoinformation et pour arriver agrave placer les produits sur le marcheacute
Le deacuteveloppement et la mise en valeur des formes de solidariteacutes et de coopeacuterations entre les
petites agricultures sont sans doute des moyens efficaces de modernisation de lrsquoagriculture
paysanne et donc de lrsquoameacutelioration du niveau de vie des petits exploitants qui repreacutesentent
90 des ruraux pauvres Ceci ne signifie pas une industrialisation ou une forte speacutecialisation
68
Source httpwwwgouvernementfrgouvernementles-pays-du-g20-se-mobilisent-pour-soutenir-l-
agriculture-mondiale (page consulteacutee le 17062011) 69
Source httpwwwfondation-farmorgspipphparticle770 (page consulteacutee le 15072011) 70
Source httpccfd-terresolidaireorgewb_pagesiinfo_2604php (page consulteacutee le 15072011)
106
voueacutee agrave lrsquoexportation de lrsquoagriculture mais une forme drsquoagriculture familiale (au sens large
du terme) moderne susceptible de reacuteagir aux nouvelles opportuniteacutes qursquooffrent les marcheacutes
Cette forme organisationnelle moderne se caracteacuterise toujours par (Lamarche 1994)
Lrsquoaspect familial de sa main drsquoœuvre employeacutee en faisant appel aux travailleurs
exteacuterieurs temporairement et ponctuellement pour certains travaux bien deacutefinis
(reacutecoltes et ensilage vidage chargement des produitshellip)
Ses pratiques agricoles semi-extensives profitables autant pour lrsquoenvironnement que
pour les agriculteurs eux-mecircmes
Sa fonction drsquoautoconsommation les exploitations familiales font souvent leur pain
(ou le riz cela deacutepend de la reacutegion) et fabriquent leur beurre (ou leur huile) Les
produits du potager couvrent la quasi-totaliteacute des besoins de la famille et la viande le
lait les œufs les confitures les conserves et la volaille proviennent souvent de
lrsquoexploitation
Le passage agrave cette forme moderne de lrsquoagriculture est neacutecessaire agrave nous yeux pour la plupart
des exploitations familiales notamment en Afrique ougrave vivent plus que la moitie des personnes
en sous-alimentation Drsquoune maniegravere geacuteneacuterale le modegravele laquo Exploitation familiale moderne raquo
deacuteveloppeacute par Lamarche (1994) se diffeacuterencie des autres modegraveles par une tregraves nette tendance
agrave lrsquoemploi des moyens et techniques modernes Toutefois il faut preacuteciser que sa position reste
toujours intermeacutediaire du point de vue des logiques de deacutependance financiegravere technologique
ou encore au marcheacute Ce positionnement intermeacutediaire procure agrave ces exploitations une
certaine stabiliteacute dans la mesure ougrave elles ne sont pas totalement lieacutees aux logiques familiales
et deacutependantes des contraintes externes diverses qui en reacutesultent tout en conservant les
avantages qursquoune famille encore preacutesente peut procurer Cette quasi-indeacutependance de ces
exploitations nrsquoest permise que par la projection spatiale de leurs relations Effectivement
leurs rapports agrave la socieacuteteacute locale en portent la trace en tant que producteurs la plupart de
leurs relations sont verticales et les mettent en contact directement avec lrsquoexteacuterieur de leurs
exploitations (leurs syndicats les acheteurs de leurs produits les fournisseurs drsquointrants) Ceci
contribue agrave une ouverture de leur identiteacute sociale vers les autres acteurs du territoire support
Lrsquoimportance de lrsquoappartenance territoriale ne fait cependant aucun doute vendre pour
prendre une exploitation ailleurs quelle qursquoen soit la motivation ne seacuteduit pas la majoriteacute des
exploitants familiaux (Lamarche 1994)
107
En effet face agrave lrsquoincertitude inheacuterente au processus de production agricole les agriculteurs
nrsquoont que lrsquointeraction avec les autres comportements individuels visant ensemble la
production drsquoune atmosphegravere de confiance neacutecessaire agrave la circulation des informations sur les
marcheacutes agrave la diffusion informationnelle des savoir faire et au deacuteveloppement des formes de
solidariteacute plus forte ou encore des ententes locales pour beacuteneacuteficier de services communs Le
territoire par les diffeacuterentes proximiteacutes qursquoil offre pourrait ecirctre ainsi le cadre favorable agrave
lrsquoeacutemergence de cette atmosphegravere71
Il offre agrave travers ses reacuteseaux de production une
dynamique collective agrave ses acteurs capables de combiner des ressources et de participer agrave un
mecircme processus technico- productif
Lrsquoancrage territorial de lrsquoagriculture familiale ne date pas drsquoaujourdrsquohui mais il est presque
lieacute agrave sa naissance et est consideacutereacute comme la base qui a fait sa supeacuterioriteacute en tant que forme
drsquoorganisation (AVSF 2004 citeacute par Coordination Sud 2007 p19) En effet lrsquoagriculture
familiale est toujours le siegravege de la diversiteacute et lrsquoart de la localiteacute Sa production de ce fait ne
reacutesultera pas de la simple exeacutecution drsquoactes techniques mais elle est conditionneacutee par
lrsquoobservation de normes sociales locales La logique eacuteconomique srsquoexprime dans les moyens
et meacutethodes utiliseacutes pour lrsquoobtenir (Badouin 1985) Cependant il faut rappeler qursquoil nrsquoy a pas
si longtemps lrsquoagriculture a faccedilonneacute encore lrsquoidentiteacute du milieu rural drsquoune maniegravere quasi
exclusive Or aujourdrsquohui tel nrsquoest plus le cas en raison de lrsquoamorcement au milieu XXegraveme
siegravecle du deacuteveloppement agricole productiviste qui a conduit de lrsquoagriculture agrave se couper de
son milieu Mais une analyse plus profonde montre que lrsquoagriculture notamment de type
familial nrsquoeacutechappe pas agrave lrsquoeacutevolution socio-eacuteconomique contemporaine marqueacutee par plusieurs
mutations dont fait partie paradoxalement le pheacutenomegravene du retour agrave la question de territoire
(Jean 1993)
Effectivement dans le contexte de forte remise en cause du modegravele agricole productiviste la
(re)territorialisation de lrsquoagriculture est apparue aujourdrsquohui a priori comme une des
solutions contre les effets neacutefastes des politiques agricoles du Sud (les PAS) comme du Nord
(la PAC) que ce soit dans la litteacuterature ou dans les discours politiques Cette dimension
territoriale est preacutesente en particulier dans les travaux meneacutes par des centre de recherche
(INRA CIRADhellip) et reacutecement par des institutions internationales (la Banque Mondiale ou la
FAO) dans les objectifs accompagnant les politiques reacutecentes europeacuteennes visant agrave reacuteformer
la PAC et dans la plupart des programmes de lutte contre lrsquoinseacutecuriteacute alimentaire et les effets
71
Nous rappelons que pour des raisons meacutethodologiques les fondements conceptuels et lrsquoeacutevolution theacuteorique de
la notion de territoire seront lrsquoobjet de la derniegravere section de cette partie
108
neacutefastes des PAS dans les pays en deacuteveloppement (Berriet-Solliec et al 2007 Elloumi
2006)
Cette tendance srsquoinscrit drsquoune part dans un mouvement drsquoeacutevolution geacuteneacuterale des modaliteacutes
de lrsquointervention publique qui participe agrave une nouvelle prise en compte de la dimension
territoriale Et de lrsquoautre part elle srsquoinsegravere dans la reacuteeacutemergence de lrsquointeacuterecirct accordeacute agrave cette
derniegravere dans plusieurs travaux theacuteoriques et empiriques (Becattini Garofoli Ralle Torre
Courlet Veltz Pecqueur Samson Krugman Porter) qui ont montreacute que dans ce contexte
drsquoinstabiliteacute et de mondialisation lrsquoattachement au territoire prend toute sa valeur Comme
lrsquoeacutecrit Dommergue laquo dans un univers deacuteboussoleacute lrsquoeacuteconomie-territoire apparaicirct comme une
alternative de deacuteveloppement plus controcirclable que lrsquoeacuteconomie-monde Crsquoest sur le terrain
local que les mutations sont les moins difficiles agrave maicirctriser et les partenariats les plus faciles
agrave susciter raquo (Dommergue 1988 p23 citeacute par Leacutevesque 2000 p10-11) Le territoire
pourrait de ce fait reacuteduire lrsquoincertitude et les coucircts de transaction en facilitant la circulation
de lrsquoinformation de ses acteurs et devenir un outil de compeacutetitiviteacute pour les entreprises via la
mobilisation collective des ressources locales Il est devenu un facteur variable incontournable
pour lrsquoeacutelaboration des politiques agricoles reacutegionales et des strateacutegies de deacuteveloppement des
agriculteurs Le territoire agrave travers la proximiteacute geacuteographique organisationnelle et
institutionnelle72qursquoil offre pourrait apporter des solutions aux diffeacuterents deacutefis et contraintes
des agriculteurs familiaux en particulier et agrave lrsquoavenir du deacuteveloppement agricole en geacuteneacuteral
221 Quelles relations lrsquoagriculture familiale pourrait-elle avoir avec son milieu socio-
eacuteconomique
Pour comprendre cette relation nous allons faire reacutefeacuterence agrave une eacutetude 73
meneacutee dans cinq
pays (la France le Breacutesil la Pologne la Tunisie et le Canada) sur 634 exploitations familiales
dans la mesure ougrave elle a mis en eacutevidence la question du deacutesir agrave la terre de lrsquoattachement au
territoire des agriculteurs familiaux Ces derniers devraient reacutepondre la question suivante si
on vous proposait une exploitation plus importante et dans de meilleures conditions dans une
autre reacutegion la prendriez-vous Agrave la surprise geacuteneacuterale la majoriteacute des agriculteurs familiaux
ne souhaitaient pas quitter leur terre pour prendre une autre plus grande ailleurs et meilleurs
dans une autre reacutegion En moyenne plus de 77 des agriculteurs familiaux interrogeacutes ont
reacutepondu neacutegativement agrave cette question Il en reacutesulte que agrave cocircteacute de lrsquoattachement agrave la terre les
72
Nous reviendrons plus loin avec plus de deacutetail sur la question de la proximiteacute 73
II srsquoagit drsquoun projet de recherche intituleacute laquoAnalyse comparative internationale des exploitations agricoles
familialesraquo Lamarche (1992) Lrsquoagriculture familiale Une reacutealiteacute polymorphe tome 1 Paris LrsquoHarmattan
109
agriculteurs familiaux expriment clairement leur attachement agrave lrsquoentourage sur ces terres
(Jean 1993) Ce reacutesultat important rejoint les conclusions de plusieurs travaux74
dans drsquoautres
activiteacutes eacuteconomiques affirmant que crsquoest drsquoabord lrsquoattachement agrave une communauteacute humaine
localiseacutee qui fait la substance de la territorialiteacute et non lrsquoattachement agrave un territoire conccedilu
comme reacuteservoir (ineacutegalement doteacute) de ressources geacuteneacuteriques appropriables sur un marcheacute
ouvert imitables et transfeacuterables (Veltz 2000) Autrement dit il ne srsquoagit pas drsquoun spectacle
neutre des strateacutegies des acteurs priveacutes et publics mais le territoire peut jouer un rocircle actif et
exercer une dynamique propre gracircce agrave sa capaciteacute de produire des ressources speacutecifiques dont
lrsquoaccegraves exige une contribution agrave leur production (Dupuy et Gilly 1995)
Le territoire propose agrave cocircteacute de la compeacutetition neacutecessaire agrave la survie de lrsquoactiviteacute eacuteconomique
la coopeacuteration comme remegravede aux deacutefaillances du marcheacute et au retrait de lrsquoEacutetat De plus il
permet drsquoamortir les risques et de reacuteduire lrsquoincertitude gracircce agrave la confiance geacuteneacutereacutee par les
valeurs qursquoil porte Par ailleurs les agriculteurs familiaux ainsi que la main drsquoœuvre agricole
pourraient ameacuteliorer leurs techniques et leurs compeacutetences dans le domaine en beacuteneacuteficiant de
lrsquoapprentissage mutuel et du processus drsquoinnovation locale
Enfin le territoire pourrait ecirctre source de diffeacuterenciation commerciale permettant agrave ses
produits de se distinguer et donc drsquoameacuteliorer lrsquoaccegraves au marcheacute Mais avant de deacutevelopper ces
divers points nous revenons rapidement sur la relation entre lrsquoagriculture familiale et son
territoire pour montrer que cette relation deacutepasse largement son aspect naturel dans la mesure
ougrave lrsquoactiviteacute agricole est lieacutee avant tout agrave la terre Certes lrsquoagriculture srsquoappuie sur un support
physique (la terre) mais sur lequel srsquoest construit un ensemble de relations sociales et
drsquoinstitutions Celles-ci srsquoinscrivent neacutecessairement dans un contexte localiseacute (Gilly et Lung
2004)
Il faut srsquoen remettre donc agrave lrsquoeffet de la territorialiteacute dans les pratiques les comportements et
les repreacutesentations des agriculteurs familiaux (Jean 1993) Crsquoest drsquoabord le niveau local celui
de la collectiviteacute locale et de pays qui prime chez cette cateacutegorie sociale dans leurs strateacutegies
Selon lrsquoeacutetude mentionneacutee auparavant plusieurs indices laissent agrave penser que ce niveau local
garde une profonde signification dans la construction de lrsquoimage de soi des agriculteurs allant
jusqursquoagrave lier la consolidation de la propre viabiliteacute de leur exploitation agrave la neacutecessiteacute de la
74
Les travaux pionniers de Becattini (1987 1992) Bagnasco et Trigilia (1988) Brusco (1982) ou Garofoli
(1992) concernant la reacuteussite eacuteconomique et la capaciteacute de reacutesistance agrave la crise de certaines reacutegions drsquoItalie ceux
de courant Milieux Innovateurs fondeacute par Aydalot ceux de groupe franccedilais dirigeacutes par Courlet et Pecqueur ceux
de proximiteacute fondeacutes par Gilly et Torre ou ceux de Scott et Storper
110
vitaliteacute de leur communauteacute (Jean 1993) Alors laquo par lrsquoappartenance et lrsquoidentification agrave un
territoire de mecircme que par son ameacutenagement et sa disposition en fonction des objectifs de la
communauteacute qui lrsquohabite il se creacutee des liens sociaux entre les hommes et en plus le
territoire les structure pour organiser la socieacuteteacute raquo (CRISES 2004 p151) Dans cette vision
laquo les agriculteurs enquecircteacutes deacuteclarent aussi qursquoils peuvent compter sur lrsquoaide des voisins en
cas de difficulteacutes qursquoil est facile de srsquoorganiser pour reacutealiser ensemble des projets et qursquoun
bon niveau de toleacuterance existe dans leur communauteacute locale raquo (Jean 1993 p305) Cela ne
peut se reacutealiser que par la confiance qui regravegne dans le milieu
222 Lrsquoagriculture familiale et le processus drsquoapprentissage et drsquoinnovation des
techniques
Les meacutetiers de lrsquoagriculture preacutesentent une heacuteritabiliteacute professionnelle eacuteleveacutee et nettement
supeacuterieure agrave celle que lrsquoon observe dans les autres secteurs drsquoactiviteacute eacuteconomique alors que
le niveau de formation scolaire des chefs drsquoexploitation et des ouvriers agricoles reste
particuliegraverement bas La formation professionnelle des agriculteurs eacutetant encore assureacute pour
lrsquoessentiel par la famille (au sens large du terme ou par la communauteacute) Dans ces conditions
on peut se demander comment une agriculture resteacutee apparemment aussi traditionnelle a pu
obtenir cependant des gains de productiviteacute (par hectare) particuliegraverement importants En
drsquoautres termes lrsquoart de geacuterer une exploitation nrsquoest jamais reacuteductible agrave une pure compeacutetence
technique pouvant srsquoacqueacuterir rapidement (Reboul 1981)
Lrsquoaspect familial de lrsquoapprentissage selon Reboul (1981) est une des caracteacuteristiques
importantes de lrsquoagriculture familiale dans la mesure ougrave la transmission heacutereacuteditaire des
exploitations se manifeste dans la mise agrave disposition pour lrsquoheacuteritier des moyens de
production (terre et moyen de travail) mais aussi de leur mode drsquoemploi Lrsquoheacuteritier ancien
aide familial beacuteneacuteficie pour une part qui varie selon les situations familiales du savoir
professionnel de son pegravere et en mecircme temps du savoir professionnel des autres aides
familiaux et des travailleurs salarieacutes Cette forme drsquoapprentissage est le lot commun des
professions heacutereacuteditaires de type artisanal Cela est vrai pour les chefs drsquoexploitation et les
aides familiaux sur les exploitations familiales comme sur les exploitations agrave salarieacutes Il srsquoagit
drsquoun systegraveme de culture (au sens agronomique) qui laquo est en quelque sorte une manifestation
drsquoun systegraveme de culture (au sens culturel) Sa maicirctrise ne reacuteclame pas seulement des
connaissances agronomiques mais aussi des dispositions eacutethiques particuliegraveres telles que la
111
patience la vigilance la prudence que lrsquoeacutecole trop enclin agrave former les citadins laisse
preacuteciseacutement agrave la famille le soin drsquoenseigner raquo (Reboul 1981 p7)
Il nrsquoen reacutesulte pas que lrsquoeacutecole ne joue aucun rocircle dans la formation des meacutetiers des
agriculteurs Au contraire sa contribution est primordiale dans la mise agrave niveau de
lrsquoagriculture familiale Cependant les taux de retour de lrsquoeacuteducation sont geacuteneacuteralement plus
eacuteleveacutes dans les milieux dynamiques ougrave lrsquoeacutevolution technologique et une complexiteacute accrue
de lrsquoenvironnement requiegraverent des deacutecisions plus difficiles En Inde durant la reacutevolution
verte lrsquoeacuteducation a obtenu des rendements plus eacuteleveacutes dans les reacutegions preacutesentant un taux
plus important drsquoadoption des nouvelles semences (Schultz 1975 citeacute par la Banque
Mondiale 2008 p280) Agrave Taiwan (Chine) lrsquoeacuteducation srsquoest aveacutereacutee plus utile agrave la production
dans les zones sujettes agrave une grande instabiliteacute meacuteteacuteorologique De mecircme le rendement de
lrsquoeacuteducation est significatif dans les eacuteconomies en croissance rapide Pour les adultes
drsquoIndoneacutesie le rendement drsquoune anneacutee suppleacutementaire drsquoeacuteducation est estimeacute agrave 13 une
valeur proche drsquoautres estimations internationales (Banque Mondiale 2008)
Par ailleurs lrsquoefficaciteacute des programmes scolaires est souvent une question drsquoadaptation de
son contenu (incluant une formation professionnelle techniques et commerciales) agrave son
milieu et de leur degreacute de seacuteduction Sans des programmes qui sont proches de la culture
locale des petits enfants des agriculteurs familiaux et qui prennent en compte les contraintes
horaires des campagnards toute lrsquoopeacuteration eacuteducative serait voueacutee agrave lrsquoeacutechec laquo Lrsquoagriculture
pratique ne peut ecirctre le reacutesultat drsquoune longue eacuteducation scientifique mais bien plutocirct drsquoune
pratique eacuteclaireacutee par les principes de la science sans doute mais ougrave les reacutesultats prennent la
forme drsquoaxiomes admis par la confiance de lrsquoeacutelegraveve et aussi par son adheacutesion intuitive raquo
(Gasparin 1848 citeacute par Reboul p9) Dans cette vision on peut citer lrsquoexemple du
programme colombien Escuela Nueva visant agrave reacuteformer les programmes scolaires agrave ameacuteliorer
la formation des enseignants et lrsquoadministration le tout moyennant la participation de la
collectiviteacute Ses horaires sont flexibles de faccedilon agrave srsquoaccommoder aux activiteacutes rurales et la
formation des enseignants reacutepond aux besoins de chaque communauteacute Une plus grande
attention agrave la qualiteacute de lrsquoenseignement pourrait augmenter significativement le rendement de
lrsquoeacuteducation
Pour reacutepondre agrave cette question drsquoadaptation des programmes agrave leur milieu les pays
industrialiseacutes et certains pays en deacuteveloppement ont mis en place des formations
professionnelles (en alternance etou continue) ougrave la part des contacts avec le milieu
112
professionnel agricole est tregraves importante Certes il est agrave preacutevoir que lrsquoeacutecole soit ameneacutee agrave
relayer de plus en plus fortement la famille dans sa fonction de formation professionnelle
Neacuteanmoins si la transmission du savoir agronomique des agriculteurs et plus geacuteneacuteralement
de leur culture technique peut cesser drsquoecirctre heacutereacuteditaire elle ne srsquoaffranchira pas pour autant
de contraintes eacutecologiques Les meacutetiers de lrsquoagriculture garderont par leur deacutependance au sol
et au climat un caractegravere local drsquoautant plus marqueacute que les systegravemes de cultures pratiqueacutes
seront plus intensifs (Reboul 1981) Sur le plan de la recherche et du deacuteveloppement la
proximiteacute geacuteographique et organisationnelle des agriculteurs familiaux neacutecessaire pour
promouvoir des apprentissages mutuels indispensables aux activiteacutes de recherche et
drsquoinnovation semble acquise En effet ces activiteacutes sont intensives en connaissances tacites
Or la transmission de ce type de connaissances impose aux partenaires de partager une mecircme
expeacuterience de travail Par ailleurs les connaissances ne peuvent ecirctre deacutetacheacutees de leur
deacutetenteur et faire lrsquoobjet drsquoune circulation sur des supports mateacuteriels indeacutependants des
personnes (Lundvall 1992 citeacutes par Morgan 1996)
Il se peut que les ingeacutenieurs dans leur laboratoire aient conccedilu des meilleurs RampD adapteacutes aux
problegravemes des agriculteurs mais la nature globale des approches laquo gestionnelle raquo et agro-
eacutecologique affecte eacutegalement la maniegravere dont la RampD est exeacutecuteacutee En raison du caractegravere
strictement localiseacute de ces technologies la participation de lrsquoagriculteur et de la collectiviteacute
aux activiteacutes de RampD est indispensable pour obtenir de reacuteels succegraves Les technologies de
gestion et des systegravemes peuvent solliciter un appui institutionnel pour ecirctre adopteacutees de
maniegravere geacuteneacuteraliseacutee Nombre drsquoentre elles impliquent une interaction entre plusieurs acteurs ndash
telle qursquoune action collective entre exploitants agricoles voisins ndash ainsi que de lrsquoassistance
technique de la formation et un partage de connaissances (Banque Mondiale 2008)
Dans cette perspective srsquoinscrivent certaines initiatives comme celle ayant eacuteteacute meneacutee au
Philippines (un agriculteur principal et des pocircles de petits producteurs) Le principe est
simple un agriculteur principal coordonne les processus de production drsquoun groupe de
fermiers (dix petits agriculteurs) et est responsable de leur formation de sorte agrave veiller agrave la
qualiteacute speacutecifieacutee par le marcheacute (Zuhui Qiao et Yu 2006 citeacute par Banque Mondiale 2008
p151) Certains supermarcheacutes et entreprises de transformation fournissent des aides aux
agriculteurs afin qursquoils puissent surmonter les contraintes lieacutees agrave leurs actifs et ameacuteliorer leur
image commerciale en leur procurant de lrsquoassistance parfois en partenariat avec le secteur
public laquo Parmi les exemples figurent des efforts conjoints de vulgarisation par du personnel
113
des chaicircnes de supermarcheacute sur le terrain et les vulgarisateurs agricoles du gouvernement de
lrsquoassistance technique pour lrsquoacquisition drsquointrants et lrsquoobtention drsquohomologations et de
formation pour ameacuteliorer la qualiteacute des produits et la salubriteacute alimentaire raquo75
(Banque
Mondiale 2008 p153) Cela montre clairement la capaciteacute du territoire agrave mettre tous les
acteurs (parfois des concurrents) agrave travailler ensemble pour reacutealiser des projets communs
Nous constatons donc que lrsquoameacutelioration des compeacutetences des agriculteurs pourrait reacutesulter
de lrsquoapprentissage mutuel (entre exploitants ouvriers agricoles commerciaux services
publics) du fait de leur proximiteacute organisationnelle Celle-ci renvoie aux liaisons des acteurs
deacutetenteurs de ressources compleacutementaires dans la perspective drsquoune activiteacute finaliseacutee
(reacutesolution drsquoun problegraveme productif ou projet collectif) Le partage des mecircmes meacutetiers dans
certains milieux permet une circulation informationnelle des savoir-faire des formes de
solidariteacute plus forte des ententes locales pour beacuteneacuteficier de services communs ou encore
lrsquoorganisation de formations concerteacutees Les agents doivent ecirctre ainsi agrave proximiteacute les uns des
autres pour ecirctre en mesure drsquoeacutechanger ces connaissances adheacuterer agrave un systegraveme de valeurs de
normes communes et srsquoinscrire dans des relations durables (Lung 1995)
Par ailleurs lrsquoapprentissage pourrait ecirctre acquis agrave travers les tacirctonnements quotidiens des
agriculteurs pour srsquoadapter aux variations des conditions agronomiques drsquoune campagne
(meacuteteacuteorologie parasitisme etc) et simultaneacutement agrave lrsquoeacutevolution des techniques qui remet
sans cesse en cause lrsquoexpeacuterience acquise lors des campagnes agronomiques preacuteceacutedentes
comme agrave celle des marcheacutes de la leacutegislation etc Cependant la complexiteacute et la diversiteacute des
facteurs qui interviennent rendraient pratiquement le problegraveme de la gestion drsquoune
exploitation insoluble si sa reacutesolution ne srsquoappuyait pas drsquoabord sur le capital de connaissance
agronomique accumuleacute localement (Riboul 1981) Il semble que le monde interpersonnel de
coordination formelle et informelle constitue le contexte favorable pour acqueacuterir les
connaissances neacutecessaires pour lrsquoinnovation dans un monde de concurrence baseacute sur une
strateacutegie de diffeacuterenciation (Storper 2000)
223 Le secteur agricole un terreau culturel favorable au deacuteveloppement des
coordinations coopeacuteratives
Les coordinations entre les acteurs se traduisent souvent par des coopeacuterations informelles et
formelles qui plus qursquoautre chose donne geacuteneacuteralement agrave ces milieux locaux constitueacutes la
75
Crsquoest le cas de lrsquoeacutetude du terrain que nous preacutesenterons plus loin
114
possibiliteacute de beacuteneacuteficier simultaneacutement drsquoeacuteconomies drsquoeacutechelle et drsquoenvergure de diffeacuterencier
collectivement leurs produits des autres Crsquoest dans cette perspective qursquoon appreacutehende le
soutien des Etats des organismes internationaux76
ONG aux mouvements coopeacuteratifs Ce
soutien se fonde sur la conviction que les coopeacuteratives produisent invariablement des effets
positifs agrave tous les niveaux (aux niveaux local intermeacutediaire et globale) Il est geacuteneacuteralement
consideacutereacute comme un fait acquis que les coopeacuteratives contribuent agrave lrsquoameacutelioration des
conditions de vie des coopeacuterateurs (niveau local) geacutenegraverent des changement eacuteconomiques et
sociaux positifs dans lrsquoenvironnement immeacutediat des coopeacuteratives (le village la reacutegion crsquoest-
agrave-dire le niveau intermeacutediaire) et peuvent jouer un rocircle essentiel dans le deacuteveloppement
national et mecircme international (niveau global) Comme lrsquoa confirmeacute Duumllfer dans sa grande
eacutetude sur lrsquoefficaciteacute opeacuterationnelle des coopeacuteratives agricoles en eacutecrivant que laquo il est
certain qursquoil nrsquoexiste pas sans doute pas de meilleur moyen organisationnel que la
coopeacuterative pour atteindre lrsquoeffet double de changement dans le deacuteveloppement social et
eacuteconomique raquo (Duumllfer 1974 p189 citeacute par Develtere 1998 p18) Cette conception positive
des coopeacuteratives en tant que lieacutees au deacuteveloppement a rarement eacuteteacute remise en question
(Develtere 1998)
Les coopeacuteratives agricoles sont effectivement lrsquoillustration parfaite pour mettre en eacutevidence
les aspects du mouvement coopeacuteratif Cela srsquoexplique par le fait que le domaine agricole a eacuteteacute
le premier secteur ougrave lrsquoeacutemergence des coopeacuteratives a eacuteteacute constateacutee77
Ces coopeacuteratives
agricoles ont pour comme objectif principal lrsquoentraide entre les agriculteurs pour reacutesoudre
les difficulteacutes reacutesultant de leurs conditions de vie souvent difficiles et pour faire face aux
contraintes eacuteconomiques et sociales qursquoils subissent (Mauget 2008) La coopeacuterative est en
soi un meacutecanisme de mutualisation des risques et de protection des agriculteurs contre des
coucircts de transaction eacuteleveacutes et des risques non assureacutes (le reacutesultat drsquoune catastrophe naturelle
les chocs sanitaires les changements deacutemographiques la volatiliteacute des prix et les
changements de politiques) provoquant souvent des coucircts eacuteleveacutes pour les meacutenages ruraux en
termes drsquoefficaciteacute et de bien-ecirctre (CRISES 2003)
76
Il est agrave noter que par exemple que lrsquoanneacutee 2012 a eacuteteacute proclameacutee laquo Anneacutee internationale des coopeacuteratives raquo par
les Nations Unies (ONU 2009) 77
Ceci srsquoexplique en partie aussi par la similitude de parcours professionnels et par lrsquoadheacutesion heacutereacuteditaire des
coopeacuterateurs (Cariou 2003)
115
Par ailleurs les organisations de producteurs agriculteurs se sont consideacuterablement
deacuteveloppeacutees en nombre et en adheacutesions78
en raison du vide laisseacute par le retrait de lrsquoEacutetat des
activiteacutes de commercialisation de fourniture de facteurs de production de lrsquoeacutepargne et de
creacutedit et pour profiter des ouvertures deacutemocratiques permettant agrave la socieacuteteacute civile de prendre
part plus largement agrave la gouvernance (Beacuteliegraveres et al 2002) Cette situation srsquoexplique
eacutegalement par la faiblesse et lrsquoincapaciteacute du secteur priveacute dans certaines reacutegions agrave reacutepondre
aux besoins drsquointrants ou de creacutedit des exploitants agricoles (Koulytchizky et Mauget 2003)
On estime que 50 de la production agricole mondiale est commercialiseacutee par
lrsquointermeacutediaire des coopeacuteratives et qursquoenviron un tiers de tous les produits alimentaires et de
toutes les boissons sont transformeacutes par des entreprises coopeacuteratives (Banque Mondiale
2008 ONU 2009) En Inde on compte environ 150 000 coopeacuteratives agricoles et de creacutedit
primaires qui desservent plus de 157 millions de producteurs agricoles et ruraux En
Reacutepublique de Coreacutee les coopeacuteratives agricoles comptent plus de deux millions drsquoexploitants
agricoles repreacutesentant 90 de lrsquoensemble des agriculteurs Au Japon 90 des agriculteurs
sont membres de coopeacuteratives agricoles En France elles interviennent agrave hauteur de 60
dans les achats drsquointrants agricoles et contribuent agrave raison de 57 agrave la production agricole et
de 35 au traitement des produits agricoles Entre 1982 et 2002 le taux de villages
posseacutedant des organisations de producteurs est passeacute de 8 agrave 65 au Seacuteneacutegal et de 21 agrave 91
au Burkina Faso Au Breacutesil les coopeacuteratives contribuent agrave hauteur de 40 au PNB agricole
et de 6 aux exportations agricoles
Par conseacutequent les coopeacuteratives au Nord comme au Sud dans les domaines de lrsquoagriculture
contribuent fortement agrave la seacutecuriteacute alimentaire mondiale Elles sont en effet des acteurs
essentiels dans un grand nombre de marcheacutes vivriers Gracircce aux eacuteconomies drsquoeacutechelle reacutealiseacutees
dans lrsquoacquisition de moyens de formation et de creacutedits79
pour lrsquoachat drsquointrants et dans la
mise en place de services drsquoirrigation les coopeacuteratives permettent agrave ces exploitants
drsquoameacuteliorer leur productiviteacute et drsquoaccroicirctre la production Crsquoest le cas par exemple de la
coopeacuterative agricole COPAG au Maroc qui regroupe 39 agriculteurs de la reacutegion de
78
Elles sont estimeacutees agrave environ 569 000 coopeacuteratives agricoles dans le monde selon la Feacutedeacuteration internationale
des producteurs agricoles (FIPA) (ONU 2009) 79
Lrsquoun des problegravemes majeurs auxquels se heurte la production agricole a trait agrave lrsquoaccegraves au creacutedit
laquo Traditionnellement le financement de lrsquoagriculture a eacuteteacute assureacute par des banques coopeacuteratives plutocirct que par
des coopeacuteratives agricoles Mais plus reacutecemment ces derniegraveres sont devenues plus actives dans le financement
du secteur agricole directement ou indirectement Dans des pays comme le Ghana lrsquoEacutegypte et le Kenya les
coopeacuteratives agricoles diversifient leurs activiteacutes dans lrsquoeacutepargne et la fourniture de creacutedit Dans drsquoautres pays
les coopeacuteratives agricoles concluent des arrangements en matiegravere de creacutedit avec des banques coopeacuteratives Au
Mozambique par exemple la coopeacuterative des producteurs de sucre de canne de Maraga a un arrangement de ce
type avec Rabobank banque coopeacuterative agricole la plus importante au monde raquo (ONU 2009 p10)
116
Taroudant qui a su augmenter sa production laitiegravere en 12 ans (de 1994 agrave 2006) de plus de
1416 (El-Oultiti 2006) Globalement le secteur coopeacuteratif agricole au Maroc a permis
depuis lrsquoindeacutependance (1956) la reacutealisation du plan laitier de 1975 pour lrsquoautosuffisance
lrsquoameacutelioration des conditions de vie des agriculteurs et la limitation de lrsquoexode rural la
garantie de stocks de seacutecuriteacute en produits ceacutereacutealiers ainsi que la protection de lrsquoagriculteur
face aux usuriers et lrsquoameacutelioration de ses conditions de travail et de production (FIPA 2008a)
Dans le domaine commercial les coopeacuteratives contribuent agrave lrsquoameacutelioration des conditions de
vente Elles offrent des incitations aux petits exploitants agricoles et aux cultivateurs
pratiquant lrsquoagriculture de subsistance et qui ne peuvent pas obtenir individuellement de
meilleurs prix sur le marcheacute (Reigert 2010) Elles les rendent aussi solides face agrave la
domination des grands groupes priveacutes dans un marcheacute plus concurrentiel en renforccedilant le
pouvoir de neacutegociation des agriculteurs qui souhaitent commercialiser leurs produits (Filippi
1999 Mauget 2005) De la sorte les coopeacuteratives agricoles permettent aux exploitants
drsquoameacuteliorer leurs capaciteacutes de gain et de production (Filippi et al 2006a) Par ailleurs les
coopeacuteratives agricoles par la nature de leurs finaliteacutes sont porteuses de deacuteveloppement
durable De plus lrsquoattitude vis-agrave-vis de lrsquoenvironnement durable devrait ecirctre plus respectueuse
que celle drsquoune entreprise qui se deacutelocalise en fonction des opportuniteacutes de profit (Mauget
2008)
Il apparaicirct clairement que le modegravele coopeacuteratif semble ecirctre un modegravele de deacuteveloppement
eacuteconomique approprieacute pour fournir des services essentiels aux des agriculteurs familiaux Le
modegravele coopeacuteratif fait en sorte que le deacuteveloppement eacuteconomique soit geacutereacute par les acteurs
locaux et non pas pris en charge de lrsquoexteacuterieur Toutefois le secteur coopeacuteratif agricole (et les
agriculteurs en geacuteneacuteral) doit en permanence srsquoadapter aux changements socieacutetaux Les
coopeacuteratives devront analyser en particulier les tendances en matiegravere de consommation et
faire face agrave lrsquohyper-concentration de la distribution et lrsquointernationalisation pour adapter leurs
strateacutegies et leur marketing produit aussi bien pour le marcheacute inteacuterieur que pour
lrsquoexportation Dans cette perspective nous rappelons que lrsquoune des forces principales du
mouvement reacuteside dans son ancrage territorial Cet ancrage historique est preacutecieux puisque il
donne un avantage aux agriculteurs coopeacuteratifs qui savent lrsquoutiliser Ceci nous amegravene au rocircle
du territoire qui a marqueacute en geacuteneacuteral lrsquoeacutevolution de lrsquoeacuteconomie agricole et agro-alimentaire
117
CONCLUSION DU CHAPITRE 1
La hausse brutale des prix agricoles en 2008 a montreacute clairement la vulneacuterabiliteacute du systegraveme
alimentaire mondial Elle eacutetait la conseacutequence drsquoune speacuteculation accrue sur les matiegraveres
premiegraveres alimentaires et non la cause drsquoune mauvaise reacutecolte ou drsquoune guerre Cette situation
rend de plus en plus complexe la question de lrsquoinseacutecuriteacute alimentaire En effet plusieurs
facteurs sont avanceacutes pour expliquer les crises alimentaires reacutecurrentes La seacutecheresse et les
guerres restent en tecircte de la liste des causes de lrsquoinseacutecuriteacute alimentaire suivies par une baisse
tendancielle de la productiviteacute par habitant du secteur agricole du fait du recul des terres
cultivables victimes de la concurrence accrue des autres utilisations (urbanisation activiteacute
industrielle biocarburanthellip) Srsquoajoutent agrave cela les eacutechecs des politiques publiques en matiegravere
de souveraineteacute alimentaire dans la majoriteacute des PED Ces pays nrsquoont reacuteussi agrave deacutevelopper ni
un secteur agricole capable de satisfaire les besoins nationaux ni drsquoautres secteurs geacuteneacuterateurs
de revenus neacutecessaires pour ameacuteliorer les conditions drsquoaccegraves agrave leur population Au contraire
la plupart de ces politiques ont eu des reacutepercussions deacutevastatrices sur les agricultures
familiales Pourtant ces derniegraveres ont prouveacute qursquoelles pourraient reacutesister aux crises
alimentaires bien qursquoelle ne disposent des moyens techniques financiers et physiques
suffisants neacutecessaires au bon fonctionnement des exploitations agricoles
Neacuteanmoins ce modegravele preacutesente une limite de taille dans son analyse lrsquoabsence de certains
partenaires et acteurs principaux du monde alimentaire comme les agriculteurs dits
conventionnels ou les agro-industriels Ces acteurs sont ceux qui dominent en reacutealiteacute la filiegravere
agricole et agroalimentaire Cependant ils eacutetaient ameneacutes agrave renforcer leur systegraveme de seacutecuriteacute
sanitaire et de qualiteacute des aliments pour faire face aux multiples crises sanitaires (la vache
folle la grippe aviairehellip) et aux maladies chroniques (lrsquoobeacutesiteacute le diabegravetehellip) Cette question
est devenue lrsquoobjet drsquoune attention accrue de la part des consommateurs et des pouvoirs
publics notamment dans les pays industrialiseacutes Pour reacutetablir la confiance des consommateurs
en matiegravere alimentaire les acteurs de la filiegravere agricole et agroalimentaire ont deacuteveloppeacute des
signaux de qualiteacute bien deacutefinis et controcircleacutes par les instances nationales et internationales tels
que ISO-9001 ou encore Agriconfiance Parallegravelement certains drsquoentre eux ont mis en place
des signes de qualiteacute lieacutes explicitement agrave lrsquooriginaliteacute des produits (IG Label rouge) Ces
diffeacuterentes deacutemarches marquent le passage dans le secteur agricole et agroalimentaire drsquoune
logique productiviste agrave une logique de qualiteacute attacheacutee de plus en plus au territoire
118
CHAPITRE 2
LrsquoEacuteVOLUTION DE LrsquoENRACINEMENT
TERRITORIAL DE LrsquoEacuteCONOMIE AGRICOLE
ET AGRO-ALIMENTAIRE
119
Lrsquoobjectif de ce chapitre est drsquoexposer lrsquoeacutevolution des logiques de la production agricole et
agroalimentaire Celles-ci peuvent se deacutefinir de faccedilons tregraves diverses selon les critegraveres choisis
et toute approche disciplinaire qursquoelle soit eacuteconomique sociologique eacutetablit des critegraveres
qui orientent neacutecessairement la deacutemarche donnant une image plus ou moins partiale de la
reacutealiteacute Notre ambition nrsquoest pas drsquoeffectuer une analyse exhaustive de la filiegravere agricole et
agroalimentaire Il est simplement question de preacutesenter un aperccedilu geacuteneacuteral de lrsquoeacutevolution de la
filiegravere en se servant des outils drsquoanalyse de lrsquoeacutecole de la reacutegulation Ces derniers nous
semblent en effet les plus adapteacutes agrave cerner cet objet complexe qursquoest le fonctionnement de la
production agricole et agroalimentaire
La theacuteorie de la reacutegulation est une theacuteorie qui a pour point de deacutepart lrsquoanalyse des divers
reacutegimes drsquoaccumulation au sein du mode de production capitaliste Le reacutegime drsquoaccumulation
se deacutefinit comme laquo lrsquoensemble des reacutegulariteacutes qui assurent une progression geacuteneacuterale et
relativement coheacuterente de lrsquoaccumulation du capital crsquoest-agrave-dire permettant de reacutesorber ou
drsquoeacutetaler dans le temps les distorsions et deacuteseacutequilibres qui naissent en permanence du
processus lui-mecircme raquo (Boyer 1986 p46) Son fonctionnement se fait dans le cadre de formes
institutionnelles entendues au sens de toute codification drsquoun ou plusieurs rapports sociaux
fondamentaux Historiquement le passage drsquoun reacutegime drsquoaccumulation agrave un autre ou bien
drsquoun mode de reacutegulation agrave un autre constitue une crise au sens ougrave il y a rupture Si aucun
changement institutionnel ou de politique eacuteconomique nrsquoest neacutecessaire pour deacuteclencher le
retournement ou la reprise on parle de laquo petite crise raquo Lrsquoabsence de reprise spontaneacutee
signifie que le mode de reacutegulation et le reacutegime drsquoaccumulation ont eacuteteacute affecteacutes et qursquoon se
heurte agrave une laquo grande crise raquo (Boyer et Saillard 1995)
Un nombre significatif de travaux (Allaire Boyer Mollard) inspireacutes par la theacuteorie de la
reacutegulation ont chercheacute agrave analyser lrsquoeacutevolution du laquo modegravele agricole fordiste raquo et les causes de
sa crise Ils ont eacutegalement mis lrsquoaccent sur les reacutegimes de croissance eacutemergeant susceptibles
de succeacuteder agrave ce modegravele qui avait marqueacute la croissance rapide et reacuteguliegravere des Trente
Glorieuses Nous inspirant de ces travaux nous allons analyser dans une premiegravere section
lrsquoeacutevolution de lrsquoagriculture ses traits et sa transformation notamment son (r)attachement au
territoire Vu son importance dans cette eacutevolution les fondements theacuteoriques de ce dernier
sont lrsquoobjet de la deuxiegraveme section
120
SECTION 1 LE SECTEUR AGRICOLE ET AGROALIMENTAIRE
DrsquoUNE LOGIQUE PRODUCTIVISTE A UNE LOGIQUE DE QUALITEacute
ATTACHEacuteE AU TERRITOIRE
Il srsquoagit de preacutesenter les caracteacuteristiques de lrsquoeacutevolution dynamique de lrsquoagriculture Depuis la
seconde Guerre Mondiale le secteur agricole a mis en œuvre une deacutemarche laquo productiviste raquo
neacutecessitant une intensification et une utilisation massive de moyens meacutecaniques et chimiques
Cette deacutemarche puise ses raisons dans une politique agricole fortement piloteacutee par lrsquoindustrie
etou lrsquoexportation Cependant dans la peacuteriode de crise eacuteconomique des anneacutees 1980 ce
modegravele a eacuteteacute fortement critiqueacute en raison de ses deacuterives eacutecologiques par un bon nombre
drsquoacteurs tels que les consommateurs et certains agriculteurs soucieux de la qualiteacute de vie et
du deacuteveloppement durable Aujourdrsquohui lrsquoagriculture semble moins centreacutee sur ses seules
finaliteacutes alimentaires et eacuteconomiques En fait outre la production de denreacutees alimentaires et le
deacuteveloppement rural lrsquoagriculture est contrainte drsquoassurer des nouvelles fonctions
notamment la protection de lrsquoenvironnement ainsi que la production des aliments sains avec
une logique moins intensive Depuis les anneacutees 1980 on constate un laquo passage progressif de
lrsquoagriculture de la peacuteriode industrielle aux formes plurielles drsquoune agriculture
multifonctionnelle mise en place pour fournir des reacuteponses approprieacutees aux aspirations de la
socieacuteteacute raquo (Delfosse et Vaudois 2000 p189) La notion de la multifonctionnaliteacute est une
traduction conceptuelle de lrsquoideacutee selon laquelle lrsquoagriculture est une activiteacute aux multiples
facettes que le seul marcheacute ne peut geacuterer en totaliteacute (Hervieu 2002) Cela ne signifie pas que
lrsquoagriculture ne doit plus assurer pleinement ses fonctions premiegraveres la production et la
contribution au deacuteveloppement rural Au contraire elle doit continuer agrave les remplir tout en
inteacutegrant de nouvelles exigences Ces exigences sont drsquoordre environnemental eacuteconomique
culturel et social ainsi que lrsquoindique la figure ci-dessous qui deacutecortique cette
multifonctionnaliteacute en la symbolisant par une eacutetoile dont chaque branche repreacutesente chacune
des fonctions remplie par lrsquoagriculture (Parent 2001)
121
Figure 5 La multifonctionnaliteacute de lrsquoagriculture
Source Lang 2001 (drsquoapregraves Parent 2001 p 3)
Avant de deacutevelopper ces tendances relativement reacutecentes de lrsquoeacuteconomie agricole notamment
en matiegravere de qualification des produits agricoles nous preacutesenterons un aperccedilu des principaux
aspects de lrsquoagriculture dite productiviste
11 Drsquoune eacuteconomie agricole productivistehellip
Theacuteoriquement et pour simplifier lrsquoagriculture productiviste (ou conventionnelle) selon
(Douguet et Feacuteret 2001) est une agriculture qui se caracteacuterise par
La taille importante des exploitations
Des investissements financiers importants
Lrsquohaute productiviteacute (de travail)
La monoculture et la speacutecialisation des productions
Le recours massif aux intrants
Les deacutependances vis-agrave-vis des industries drsquoaval
La concentration des productions (surtout en eacutelevage)
La diffusion rapide des technologies
Crsquoest eacutegalement une agriculture qui se base sur les principes suivants
Le progregraves srsquoacquiert par lrsquoeacutevolution de la taille de lrsquoexploitation
Le progregraves se mesure par lrsquoaugmentation des consommations mateacuterielles
Lrsquoefficaciteacute se mesure par rapport aux performances des concurrents
La nature est le support de la compeacutetition entre agriculteurs
122
Gracircce au modegravele agricole productiviste les Etats-Unis et UE laquo ont vu lrsquoindustrialisation de
leur agriculture acceacuteleacutereacutee au cours du XXegraveme
siegravecle bouleversant progressivement les
territoires et les marcheacutes reacutegions apregraves reacutegions produits apregraves produits raquo (Allaire 2002
p159) Par ailleurs le deacuteveloppement de ce modegravele a beacuteneacuteficie du cercle vertueux des Trente
Glorieuses conjugueacute agrave lrsquourbanisation et agrave la salarisation Ces anneacutees ont eacuteteacute marqueacutees par des
gains techniques de productiviteacute tregraves eacuteleveacutes lrsquoinflation et les politiques sectorielles de
controcircle des marcheacutes eacutetablies dans le cadre des politiques agricoles (Allaire 1988) Ces
politiques ont eu comme objectif une croissance soutenue de la production afin de stabiliser
les prix alimentaires En plus des coucircts publics tregraves eacuteleveacutes de ces politiques80
les
gouvernements se sont retrouveacutes devant un dilemme insoluble lrsquooffre augmente alors que la
demande reste stable ce qui implique des stocks croissants A ces coucircts de stockage il faut
ajouter le coucirct des subventions agrave lrsquoexportation pour eacutecouler les exceacutedents (Blanchet et al
1996) Il srsquoagit drsquoun modegravele de deacuteveloppement agricole des anneacutees drsquoapregraves guerre qui
constitue plus ou moins un reacutegime coheacuterent en terme de transformation des modes de vie de
reacuteorganisation de la division sociale du travail et de renforcement au niveau national du
deacuteveloppement fordiste Ce modegravele peut-ecirctre deacutesigneacute comme lrsquoagriculture du fordisme
(Allaire 1995a)
La forme productiviste (ou fordiste) de lrsquoagriculture au delagrave de la peacuteriode des Trente
Glorieuses a continueacute de dominer le secteur agricole dans sa forme extrecircme jusqursquoau milieu
des anneacutees 1990 dans les pays riches et qui continue de le faire dans certaines reacutegions au
monde notamment dans certains pays en deacuteveloppement (Breacutesil Inde Chinehellip) Parmi la
multitude des productions le bleacute tendre et le lait sont des symboles qui reacutesument agrave eux seuls
lrsquoeacutevolution des productions veacutegeacutetales et animales dans un modegravele fordiste En France81
par
exemple les livraisons annuelles de lait aux usines de transformation sont passeacutees de 18 agrave 25
millions de litres entre 1970 et 1983 qui correspond agrave la derniegravere anneacutee avant la mise en place
de la politique des quotas laitiers pour cause de surproduction (Grall 1994) Une politique qui
nrsquoa pas affecteacute reacuteellement le modegravele productiviste laitier puisque les livraisons en la matiegravere
ont atteint 22 millions de litres en 1993 avec un troupeau de vaches reacuteduit de 36 entre 1974
et 1992 et des eacuteleveurs en baisse de 77 entre 1970 et 1992 trois eacuteleveurs sur quatre ont
80
Notamment dans un contexte de crise comme celui des anneacutees 1980 ougrave les deacuteficits budgeacutetaires ont battu des
records Crsquoest dans ce cadre ougrave srsquoinscrivait le maintien permanent du Royaume-Uni de la pression sur le budget
de lrsquoagriculture de lrsquoUE et son systegraveme de soutien des prix qui a fini par son obtention en 1984 drsquoun statut
deacuterogatoire reacuteduisant sa contribution (Laroche-Dupraz et Maheacute 2000) 81
Le premier pays agricole en Europe et le deuxiegraveme exportateur des produits agroalimentaire apregraves lrsquoUSA
(source httpwwwambafrance-ruorgspipphparticle6185 page consulteacutee le 2211 10)
123
cesseacute de produire du lait Quant au bleacute tendre sa production a eacuteteacute augmenteacutee entre 1980
et1993 de 24 alors que les superficies consacreacutees au bleacute tendre ont diminueacute de 4 en
raison de la baisse des prix garantis voulue par la reacuteforme de la politique agricole commune
Entre 1950 et 1993 les rendements de bleacute tendre sont passeacute de 18 quintaux agrave 66 quintaux par
hectare en 1993 en France soit plus drsquoun quintal gagneacute par hectare et par an
La production et les exportations agricoles franccedilaises nrsquoont cesseacute de srsquoaccroicirctre depuis la fin
de la Seconde Guerre Mondiale (Bourgeois et Demotes-Mainard 2000) Entre 1960 et 2000
la production a plus que doubleacute avec un nombre drsquoagriculteurs reacuteduit (le nombre des actifs
agricoles a eacuteteacute diviseacute par cinq dans la mecircme peacuteriode) Quant aux eacutechanges agricoles la France
importait en 1960 deux fois plus qursquoelle nrsquoexportait Aujourdrsquohui les exportations deacutepassent
de 40 ses importations En geacuteneacuteral les agriculteurs franccedilais en termes drsquoefficaciteacute laquo sont
deacutesormais dans leur majoriteacute parmi les plus productifs Avec 200 ha de ceacutereacuteales pour un actif
et 80 quintaux agrave lrsquohectare cela repreacutesente 1 600 tonnes produites par personne Sachant
qursquoil faut 250 kilos pour nourrir un homme pendant une anneacutee on peut en deacuteduire qursquoun
agriculteur franccedilais peut produire chaque anneacutee de quoi fournir la ration de base neacutecessaire
agrave 6500 personnes raquo (Bourgeois et Demotes-Mainard 2000 p14) On a lagrave en raccourci la
deacutemonstration de la productiviteacute de lrsquoagriculture franccedilaise en particulier et de tous les pays
qui ont adopteacute le mecircme modegravele agricole en geacuteneacuteral (Grall 1994)
Globalement lrsquoagriculture est devenue un secteur dynamique durant cette peacuteriode drsquoabord
dans les pays deacuteveloppeacutes agrave eacuteconomie de marcheacute puis de plus en plus dans les pays en
deacuteveloppement ougrave son deacutecollage remonte aux anneacutees 1960 avec lrsquoadoption des techniques
biochimiques Selon Alexandratos (1989) les rendements sont augmenteacute de 41 dans PED
entre 1969 1971 et 19831985 pour le riz et de 77 pour le bleacute Dans ces pays la
productiviteacute du travail a augmenteacute de moitie La croissance de la production a eacuteteacute en moyenne
de 3 par an environ durant la peacuteriode 1961-1985 dans tous les PED sauf en Afrique
subsaharienne Par ailleurs la croissance agricole a eacuteteacute tireacutee par le recours accru aux
importations alimentaires En 19831985 les eacutechanges agricoles repreacutesentaient 12 de la
production contre 8 en 1961-1963 Cette augmentation est due agrave la fois aux pays
deacuteveloppeacutes et aux pays en deacuteveloppement notamment les pays agrave revenu moyen Par habitant
les importations de ces derniers ont pratiquement doubleacute dans les anneacutees 197082
Cette
82
Source httpwwwfaoorgdocrep003X7352Fx7352f01htmb4-
1220Les20tendances20reacutecentes20du20commerce20des20produits20agricoles (page consulteacutee
le 29072010)
124
croissance agricole de lrsquoapregraves-guerre peut srsquoexpliquer par le contexte de lrsquoeacutepoque caracteacuteriseacute
par un reacutegime drsquoaccumulation intensive centreacute sur la consommation de masse Le compromis
entre capital et travail entretient une demande speacutecifique agrave la peacuteriode de biens standardiseacutes et
peu diffeacuterencieacutes (Boyer 1986) En drsquoautres termes la croissance de la production agricole a
eacuteteacute tireacutee par lrsquoaccroissement de la demande inteacuterieure et a eacuteteacute permise ainsi par une hausse et
une transformation des consommations productives de lrsquoagriculture (Allaire 1995a)
Pour atteindre ces reacutesultats spectaculaires les agriculteurs ont ducirc souvent augmenter leur
investissement en matiegravere drsquoeacutequipements productifs (bacirctiments machines notamment les
tracteurs) et en produits destineacutes aux consommations intermeacutediaires (semences engrais
aliments des animaux produits peacutetroliers entretien des bacirctiments et du mateacuteriel deacutepenses
veacuteteacuterinaireshellip) (Alexandratos 1991) Ces eacutequipements productifs ont permis de travailler
plus vite avec moins de main drsquoœuvre Quant aux consommations intermeacutediaires leur usage
srsquoest deacuteveloppeacute en mecircme temps que les cultures intensives entraicircnant des effets positifs sur
les autres branches de lrsquoeacuteconomie notamment celles de la chimie et des industries agro-
alimentaires En France la progression des consommations intermeacutediaires entre 1950 et 1970
a eacuteteacute plus rapide que la production En valeur la consommation intermeacutediaire de lrsquoagriculture
est passeacutee de 19 6 agrave 1292 milliards de Francs (F)83
Par conseacutequent les agriculteurs ont eacuteteacute
contraints de recourir aux banques afin de financer ces opeacuterations lourdes en termes de coucirct
De 1950 agrave 1974 les precircts agrave court terme ont eacuteteacute multiplieacutes par 25 ceux agrave moyen terme par 200
et ceux agrave long terme par 80 Le Creacutedit Agricole Mutuel qui avait le quasi monopole du
financement de lrsquoagriculture a favoriseacute cette explosion qui a aussi fait sa fortune Entre 1970
et 1989 lrsquoencours moyen (le montant total des emprunts) a doubleacute passant de 118 000 F agrave
220 000F (Grall 1994)
Cela montre bien que lrsquoagriculture srsquoest de plus en plus inteacutegreacutee dans lrsquoensemble de
lrsquoeacuteconomie Une part croissante de la production est commercialiseacutee Les agriculteurs
achegravetent de plus en plus drsquointrants et recourent de plus en plus au creacutedit institutionnel La
pluri-activiteacute est pour eux une source croissante de ressources Cette inteacutegration de
lrsquoagriculture dans lrsquoeacuteconomie moneacutetaire et lrsquoaugmentation de la part de la production qui est
eacutecouleacutee sur le marcheacute mondial font que lrsquoagriculture est de plus en plus ouverte aux
influences eacuteconomiques exteacuterieures Les conseacutequences de cette interdeacutependance nrsquoont pas
toujours eacuteteacute appreacutecieacutees comme il le fallait (Alexandratos 1989) En conseacutequence la
83
Le Franc est remplaceacute le 1er
janvier 1999 par lrsquoeuro (le 1er janvier 2002 pour les piegraveces et billets) au taux de
conversion de 655957 FRF pour 1 Euro
125
conjoncture eacuteconomique internationale a eu de plus en plus drsquoinfluence sur lrsquoagriculture
Effectivement apregraves une peacuteriode de la stabiliteacute et de croissance qursquoa connu le monde degraves la
fin de la deuxiegraveme guerre mondiale jusqursquoau milieu des anneacutees 1970 une autre peacuteriode
drsquoincertitude et de perturbation a succeacutedeacute Les apparences de cette peacuteriode se sont manifesteacutees
par la grande saturation des marcheacutes lrsquoexplosion des dettes la reacutecession la monteacutee du
chocircmage les chocs peacutetroliers lrsquoeffondrement du systegraveme moneacutetaire international la
concurrence de plus en plus acharneacutee et la crise au niveau de rapport salarial (Boyer 1986)
Une peacuteriode qui a eacutegalement connu lrsquoeacutemergence de deacuteseacutequilibres de marcheacute et de rapides
progregraves vers lrsquoautosuffisance dans beaucoup pays deacuteveloppeacutes en ceacutereacuteales (Alexandratos
1991) Dans les pays communautaires europeacuteens le deacuteficit en maiumls a eacuteteacute quasiment combleacute
degraves 1971-1972 par les exceacutedents substantiels drsquoorge et de bleacute Ces exceacutedents viennent
srsquoajouter agrave ceux en sucre (19 de la consommation) et en produits laitiers (16 pour le
beurre) (Laroche-Dupraz et Maheacute 2000) Srsquoajoute agrave cela la rupture des eacutequilibres dans les
filiegraveres agricoles et agro-alimentaires qui face agrave une concentration de plus en plus importante
de la demande au niveau de la distribution conduit agrave un transfert des plus-values vers lrsquoaval et
agrave un affaiblissement des capaciteacutes de neacutegociation du secteur de la production voire de la
transformation (Hervieu 1996)
Il en a reacutesulteacute une chute brutale de la croissance de la demande malgreacute que les prix soient
tombeacutes agrave des niveaux de plus en plus bas drsquoougrave stagnation des eacutechanges agricoles mondiaux
La chute des prix inteacuterieurs srsquoeacutetait aggraveacutee dans les pays notamment les riches du fait des
soutiens des prix (OCDE 1993) En France grand pays beacuteneacuteficiaire de la Politique agricole
commune (PAC) les prix du marcheacute inteacuterieur ont eacuteteacute de plus en plus deacuteconnecteacutes des prix
mondiaux et la chute des prix reacuteels agricoles des anneacutees 1950 a eacuteteacute enrayeacutee jusqursquoen 1974
Mais agrave partir de cette date le deacuteveloppement des exceacutedents de production a peseacute sur le coucirct
budgeacutetaire de la PAC et les prix reacuteels agricoles se sont agrave nouveau orienteacutes agrave la baisse
(Bourgeois et Demotes-Mainard 2000)
Ainsi les pays lourdement endetteacutes et tregraves tributaires de leurs exportations agricoles ont eacuteteacute
les plus toucheacutes La situation financiegravere exteacuterieure srsquoest brutalement deacutegradeacutee agrave partir de
1982 ce qui a modifieacute la situation macro-eacuteconomique des PED emprunteurs (Mathieu et
Sterdyniak 2009 Oualalou 1993) Le taux de croissance est tombeacute de 56 en 1968-1977 agrave
45 en 1978-1980 et agrave seulement 08 en 1981-1985 (Alexandratos 1989) La croissance
de la demande inteacuterieure de produits agricoles dans ces pays a eacuteteacute par conseacutequent freineacutee par
126
la diminution du PIB par habitant et par une aggravation du chocircmage dans certains de ces
pays
La ration alimentaire84
a leacutegegraverement diminueacute dans ces pays apregraves avoir augmenteacute de pregraves de
1 par an durant la deuxiegraveme moitieacute des anneacutees 70 Lrsquoausteacuteriteacute budgeacutetaire a obligeacute une
reacuteduction des subventions alimentaires (Baudin 1993) La situation des marcheacutes
internationaux a par ailleurs empireacute dans les anneacutees 1980 pour les pays en deacuteveloppement
exportateurs nets notamment agrave cause de la deacuteteacuterioration des termes de lrsquoeacutechange et agrave la
diminution de la part des produits agricoles dans les eacutechanges mondiaux dont lrsquoune des
raisons eacutetait que les pays de lrsquoOCDE soutenaient de plus en plus leurs exportations de
produits agricoles (OCDE 1993) Cette situation a eu des conseacutequences neacutegatives sur les PAS
dans les pays en deacuteveloppement qui peuvent exporter des produits agricoles85
Quant aux producteurs notamment dans les pays deacuteveloppeacutes la majoriteacute de leur exploitation
se sont retrouveacutees dans des graves difficulteacutes financiegraveres (Neveu 2007) Il faut noter que la
difficulteacute agrave rembourser une dette est le premier indice de la deacutegradation eacuteconomique drsquoune
entreprise A ce niveau des estimations faites en 1988 ont montreacute que 82 000
laquo professionnels raquo franccedilais se retrouvaient en situation difficile soit pregraves de 15 parmi
lesquels 28 000 eacutetaient consideacutereacutes en situation tregraves preacutecaire et ont probablement ducirc depuis
cesser leur activiteacute (Grall 1994) Ce pheacutenomegravene de deacutegradation de la situation eacuteconomique
des exploitations a pratiquement toucheacute tous les grands pays riches
En effet laquo au deacutebut des anneacutees 80 le quart des exploitations danoises est menaceacute de faillite
le tiers des exploitations ameacutericaines est en crise et Washington est contraint de venir au
secours du systegraveme coopeacuteratif de creacutedit au Canada le nombre des faillites quadruple entre
1979 et 1984 en France enfin lrsquoEtat est contraint drsquoaccorder des aides exceptionnelles en
1982 agrave 16 000 agriculteurs agrave temps complet et lrsquoon estime alors entre 8 et 14 le nombre
des exploitations agrave risqueraquo (Grall 1994 p128) Ce ne sont pas obligatoirement les moins
performants qui sont toucheacutes et les difficulteacutes se rencontrent dans presque tous les systegravemes
drsquoexploitation Par conseacutequent le rythme de lrsquoexode agricole srsquoest accentueacute dans la majoriteacute
de ces pays Selon le Commissariat geacuteneacuteral du Plan (1993) des reacutegions entiegraveres franccedilaises
auraient pu abandonner la production agricole drsquoun point de vue strictement eacuteconomique
84
La ration alimentaire est la quantiteacute et la nature drsquoaliments qursquoune personne doit consommer en un jour afin de
subvenir aux besoins de son corps 85
Source httpwwwfaoorgDOCREP003X7353Fx7353f08htm (page consulteacutee le 29072010)
127
Il fallait donc remodeler les politiques ameacutericaines comme celles de la communauteacute
europeacuteenne afin de reacutesorber les eacutenormes exceacutedents que lrsquoextraordinaire croissance de la
productiviteacute agricole depuis la guerre avait accumuleacutes Les premiegraveres mesures afin drsquoeacuteviter le
glissement ducirc agrave des rendements croissants avaient eacuteteacute drsquoutiliser le systegraveme de limitation de la
production lieacute agrave un prix de soutien eacuteleveacute en contrepartie de lrsquoattribution de quotas individuels
de surface aux agriculteurs Dans cette ligneacutee la reacuteforme de la PAC mise en place agrave partir de
1992 a eu comme objectif la reacuteduction des terres destineacutees aux grandes cultures (les
ceacutereacutealeshellip) et aux bovins en contrepartie du versement drsquoaides directes (Bourgeois et
Demotes-Mainard 2000) Chaque hectare retireacute reccediloit une compensation eacutegale agrave lrsquoaide pour
ces cultures Pour le lait et produits laitiers une reacuteduction du niveau global des quotas de
production du prix indicatif du lait et drsquointervention du beurre a eacuteteacute deacutecideacutee Enfin pour la
viande bovine la reacuteforme a viseacute la baisse de 15 du prix drsquointervention avec un
plafonnement des volumes livrables agrave lrsquointervention en reacuteduction progressive de 750 000
tonnes en 1993 agrave 350 000 en 1997 (OCDE 1993)
Les deuxiegravemes mesures avaient eacuteteacute preacutevues que la quantiteacute eacutecouleacutee sur le marcheacute mondial
beacuteneacuteficie drsquoune subvention agrave lrsquoexportation et lrsquoapplication de la laquo restitution raquo compensant la
diffeacuterence entre le prix de soutien et le prix mondial Les neacutegociateurs ameacutericains ont alors
adopteacute depuis 1974 le principe de la libeacuteralisation des eacutechanges dans tous les deacutebats internes
ou internationaux en affirmant qursquoune plus grande stabiliteacute dans les eacutechanges est rechercheacutee agrave
condition que la reacutegulation se fasse par les quantiteacutes plutocirct que par les prix (Blanchet et al
1996) En revanche ils ont releveacute drsquoun milliard de dollars les programmes drsquoencouragement
des exportations durant les exercices budgeacutetaires 1994-1995 en vertu de la clause de
deacuteclenchement du GATT (OCDE 1993)
Ces politiques sont tenues responsables de lrsquoimpasse dans laquelle se trouvent les
neacutegociations au sein de lrsquoOMC sur la libeacuteralisation des eacutechanges agricoles les aides directes
et indirectes agricoles faussent complegravetement la concurrence dans la mesure ougrave les prix payeacutes
aux producteurs sont infeacuterieurs aux coucircts de production et par conseacutequent les exportations se
font agrave des prix de dumping qui ont pour premier effet de deacuteprimer les cours mondiaux (Le
Roy 1994) Crsquoest la raison pour laquelle ces politiques agricoles publiques ne cessent de se
reacuteformer sous la pression de la mondialisation et dans le respect des engagements pris dans le
cadre des neacutegociations au sein de lrsquoOMC et ce dans une perspective drsquoeacuteliminer toutes formes
de subventions Geacuteneacuteralement ces reacuteformes notamment celle de la PAC (et de la plupart des
128
pays de lrsquoOCDE) preacutevoient des aides laquo deacutecoupleacutees86
raquo de la formation des prix de production
en redonnant davantage lrsquoimportance agrave lrsquoeacuteconomie de marcheacute Dans cette vision les aides
seront conditionneacutees au respect des diverses reacuteglementations en particulier
environnementales
Cette derniegravere politique reacuteformiste de la PAC suscite ainsi de nombreux deacutebats certains
observateurs voient dans le deacutecouplage un outil neutre pour assurer la continuiteacute et la
reacutemuneacuteration de la multifonctionnaliteacute de lrsquoagriculture sans avoir des effets de distorsions
dans la formation des cours agricoles Pour drsquoautres le deacutecouplage des soutiens pourrait
rendre les prix de produits agricoles volatils et donc susceptible drsquoentraicircner une reacuteduction de
la production de certains produits alimentaires Ceux-ci pourraient par conseacutequent mettre en
cause le caractegravere lui mecircme multifonctionnel de lrsquoagriculture (la seacutecuriteacute alimentaire
lrsquoemploi lrsquoentretien et la preacuteservation du capital naturel et patrimonial des territoireshellip)
(OCDE 2001a)
Afin de trouver une issue agrave cette impasse certains ont proposeacute une sorte de conciliation entre
ces deux extrecircmes en laquo additionnant les preacuteoccupations dominantes au sein du deacutebat
europeacuteen que sont drsquoun cocircteacute la libeacuteralisation des marcheacutes et de lrsquoautre la preacuteservation de la
santeacute et de lrsquoenvironnement raquo (Chapuy 2006 p13) Autrement dit lrsquoouverture des portes des
pays riches agrave la concurrence internationale par la suppression agrave terme des barriegraveres agrave lrsquoentreacutee
et des subventions aux exports permet de satisfaire les deacutefenseurs du marcheacute libeacuteral ainsi que
pour faire avancer les neacutegociations au sein de lrsquoOMC En raison des preacuteoccupations de la
socieacuteteacute europeacuteenne en matiegraveres de la seacutecuriteacute sanitaire des aliments et de la preacuteservation de
lrsquoenvironnement tout soutien direct aux agriculteurs doit en revanche exiger en contrepartie le
respect strictement controcircleacute des directives communautaires dans ces domaines la seacutecuriteacute la
santeacute lrsquoenvironnement le bien-ecirctre animal etc
86
En geacuteneacuteral une mesure gouvernementale est consideacutereacutee comme deacutecoupleacutee si le niveau drsquoeacutequilibre de la
production (ou des eacutechanges) devrait ecirctre le mecircme qursquoen lrsquoabsence de mesure mais lrsquoajustement du volume agrave
tout choc externe ne devrait pas non plus ecirctre modifieacute Selon les deacutefinitions utiliseacutees lors des neacutegociations
internationales sur les eacutechanges de produits agricoles laquo Boicircte orange raquo aides coupleacutees agrave la production et aux
prix de marcheacutes (garanties de prixhellip) qui seront progressivement supprimeacutees laquo Boicircte verte raquo Aides
budgeacutetaires nrsquoayant qursquoun effet laquo nul ou au plus minime raquo sur la production et les eacutechanges (environnement
preacuteretraites soutien du revenu deacutecoupleacutehellip) qui demeurent autoriseacutees laquo Boicircte bleue raquo aides lieacutees agrave un
programme de limitation de la production et semi-deacutecoupleacutees (verseacutees sur une superficie ou un rendement
fixeshellip) (Chapuy 2006 p10)
129
Dans cette perspective des nouvelles strateacutegies des agriculteurs productivistes ainsi que des
institutions qui les deacutefendent ont eacuteteacute deacuteveloppeacutees pour sauver leur modegravele Nous citons en
particulier celle baseacutee sur une agriculture dite raisonneacutee qui peut ainsi se reacutesumer comme une
voie permettant de limiter les impacts de lrsquoagriculture intensive productiviste agrave travers le
respect de lrsquoeacutequilibre de la fertilisation des cultures la maicirctrise des intrants agricoles et des
deacutechets produits par lrsquoexploitation la preacuteservation des sols la contribution agrave la protection des
paysages et de la biodiversiteacute ou encore une gestion eacuteconome de lrsquoeau Toutefois
lrsquoagriculture laquo raisonneacutee raquo ne remet en cause ni la maniegravere de cultiver si ce nrsquoest par une
optimisation des pratiques actuelles87
ni la supreacutematie du rendement eacuteconomique au niveau
de lrsquoexploitation En fait lrsquoagriculture dite raisonneacutee maintient le modegravele socio-eacuteconomique
dominant en raisonnant tout simplement le productivisme par une inteacutegration minima
drsquoexigence environnementales et en excluant toute consideacuteration drsquoordre social ou eacutethique
(Douguet et Feacuteret 2001)
Cela nous permet de comprendre pourquoi les Organisme Geacuteneacutetiquement Modifieacutes (OGM) ne
sont pas exclus de ses pratiques malgreacute leurs menaces qui se sont mis en eacutevidence en termes
de biodiversiteacute ou sur la santeacute publique Le modegravele transgeacutenique est consideacutereacute comme le
dernier maillon du modegravele de production intensif En drsquoautres termes la logique
drsquointensification-productiviste nrsquoest donc nullement remise en cause On reste dans le cadre
drsquoune agriculture inteacutegreacutee dans un complexe agro-industriel crsquoest-agrave-dire qursquoil subsiste une
forte deacutependance vis-agrave-vis des industries agroalimentaires des coopeacuteratives et des neacutegoces
pour lrsquoachat des produits intermeacutediaires
Une troisiegraveme voie a eacuteteacute exploreacutee afin de trouver des issues agrave cette crise du modegravele agricole
laquo fordiste raquo Il srsquoagit de reconsideacuterer des pratiques agricoles plus ou moins extensives baseacutees
sur une meilleure valeur ajouteacutee obtenue par la recherche de produits de qualiteacute et parmi
elles celle issue de lrsquoagriculture de terroir ou de lrsquoagriculture biologique88 crsquoest-agrave-dire
87
Environ 350 produits chimiques diffeacuterents (herbicide insecticide fongicide neacutematicidehellip) sont encore utiliseacutes
dans la Communauteacute Europeacuteenne selon le rapport lrsquoeacutetude De Caevel et Ooms (2005) qui affirme que ces
pesticides sont mal utiliseacutes en terme de quantiteacute et que en raison de leur faible pouvoir de deacutegradation ils
peuvent srsquoaccumuler dans la chaicircne alimentaire etou contaminer les milieux naturels crsquoest la bio-accumulation 88
Lrsquoagriculture biologique est une meacutethode de production agricole qui offre au consommateur une nourriture
savoureuse et authentique tout en respectant les cycles naturels des plantes et des animaux Elle constitue avec
lrsquoagriculture raisonneacutee ce que certains experts (Brodagh Douguet Feacuteret Griot hellip) appellent lrsquoagriculture
durable Pour eux cette derniegravere englobe mieux toutes les dimensions drsquoune agriculture multifonctionnelle La
plupart des approches actuelles de lrsquoagriculture visent agrave deacutesigner par le terme drsquoagriculture durable des modes de
production controcirclant intrants et extrants limiteacutes aux flux physiques que ce controcircle soit strict comme avec
lrsquoagriculture biologique ou tregraves faible comme avec lrsquoagriculture raisonneacutee Cette derniegravere pourrait faire lrsquoobjet
de proceacutedures type ISO 14001 crsquoest-agrave-dire fondeacutees sur des modes de management engagement de moyens et
130
nrsquoutilisant pas de produits chimiques de synthegravese (Bastien 2003) Dans cette vision plusieurs
signes distinctifs officiels se sont deacuteveloppeacutes par certains agriculteurs pour assurer le
consommateur de la qualiteacute qursquoil recherche pour contribuer agrave la preacuteservation de son
environnement du fait que leurs meacutethodes doivent respecter des normes environnementales
ainsi que pour acqueacuterir et renforcer lrsquoimage commerciale distinctive de leurs produits baseacutee
principalement sur le processus de qualification
Nous pouvons citer dans ce cadre lrsquoAppellation drsquoorigine controcircleacute (AOC) elle lie les
caractegraveres drsquoun produit au terroir dont il est originaire les Labels reacutegionaux qui font aussi
reacutefeacuterence agrave une contreacutee drsquoorigine Cependant les controcircles sont moins stricts le Label national
ou label rouge indiquant que le produit est de laquo qualiteacute supeacuterieur raquo Surtout connu pour les
volailles il est applicable agrave lrsquoensemble des produits agricoles Ces mentions srsquoappliquent aux
produits issus de cultures ou drsquoeacutelevages qui rejettent systeacutematiquement lrsquousage de tout produit
chimique de synthegravese comme fertilisant substance phytosanitaire ou meacutedicament Par
ailleurs ce mode de culture cumule bien des avantages des volumes de productions moins
eacuteleveacutes des coucircts de production qui font plus appel au travail qursquoau capital des prix de vente
reacutemuneacuterateurs (Grall 1994)
Ces pratiques biologiques ne sont pas entiegraverement nouvelles Elles sont les reacutesultats drsquoune
agriculture savante mariant les connaissances les plus reacutecentes de la recherche agronomique
avec notamment le savoir-faire des anciens Ce dernier contrairement agrave ce que lrsquoon peut
imaginer a pu reacutesister face agrave lrsquoheacutegeacutemonie de lrsquoagriculture productiviste Cela montre bien que
lrsquoextension branche apregraves branche de ce scheacutema productif nrsquoest pas complegravete et surtout elle
passe par des configurations sociales diverses voire drsquoeacutevolution de certaines sous-branches de
lrsquoagriculture ne correspondant pas agrave un reacutegime intensif Le triomphe du marcheacute sur les
territoires nrsquoest pas complet et les formes drsquointensification reacutealisent des compromis offrant
une certaine varieacuteteacute (Allaire 1995b)
12 agrave une eacuteconomie agricole de qualiteacute
Dans une premiegravere vue la deacutesinteacutegration des reacuteseaux domestiques et marchands locaux
conseacutequences du modegravele fordiste conduisent logiquement agrave une deacuteterritorialisation des
non obligation de reacutesultats (Brodagh 2000 p191) Pour Boudier laquo il srsquoagit drsquoune agriculture qui rentable et
permet la transmission de lrsquoexploitation gracircce agrave une moindre accumulation des capitaux des systegravemes plus
eacuteconomes et autonomes une meilleures qualiteacute de vie et de travail une prise en compte des eacutequilibres naturels
dans les pratiques agricoles un respect des ressources naturelles et une meilleurs occupation de lrsquoespace raquo
(Boudier 1996 p16 citeacute par Douguet et Feacuteret 2001)
131
systegravemes de production agricole et agrave une organisation sectorielle qui assure la normalisation
de la production (industrialisation) et la centralisation de la coordination par un systegraveme de
marcheacutes institutionnaliseacutes Ainsi lrsquoancienne diversiteacute reacutegionale des systegravemes de production se
trouve reacuteduite Cependant en regardant de pregraves la diversiteacute reste la regravegle et la speacutecialisation
et la standardisation ne peuvent ecirctre consideacutereacutees comme un programme technico-eacuteconomique
drsquointeacutegration de lrsquoagriculture conccedilu par une instance centralisatrice et hieacuterarchique (Allaire
1995a) Cela srsquoexplique par une persistance de particulariteacutes locales dans plusieurs reacutegions
agricoles ainsi que par les bases de la dynamique agricole reacutegionale qui renvoient souvent agrave
des caractegraveres historiques sociaux et naturels du milieu reacutegional (Perrier-Cornet 1986)
Par ailleurs les crises de modernisation qui eacutetendent le modegravele fordiste de deacuteveloppement
des anneacutees 60 trouvent des issues sectorielles et reacutegionales relativement speacutecifiques (Allaire
1995b Mollard 1995 Pecqueur 1989) A travers ces crises locales il srsquoopegravere effectivement
une seacutelection de structures productives et de normes reacutegulateurs Neacuteanmoins ces derniegraveres
ont toutes un deacutenominateur commun une qualification industrielle des produits et une
qualification technique et professionnelle du travail (Allaire 1995a)
On se propose drsquoexaminer quelques-unes de ces seacutelections structurelles et plus
particuliegraverement celles porteuses drsquoenjeux territoriaux Elles concernent diffeacuterents aspects de
lrsquoactiviteacute agricole et consistent particuliegraverement agrave agir sur la valorisation des produits en
cherchant agrave deacutevelopper des strateacutegies de qualiteacute Celles-ci sont souvent preacutesenteacutees comme des
alternatives agrave la croissance quantitative de la production en modifiant les combinaisons
productives en fonction de lrsquoeacutevolution des rapports de prix (des produits et des facteurs) et des
incitations publiques Les arguments en faveur de lrsquoextensif srsquoinscrivent dans lrsquoobjectif
geacuteneacuteral drsquoune agriculture moins consommatrice drsquointrants eacuteventuellement plus adapteacutee agrave la
prise en compte par les agriculteurs de preacuteoccupations environnementales (Capt et Perrier-
Cornet 1995)
En correacutelation ces choix strateacutegiques sont fortement marqueacutes par lrsquoeacutevolution et les
changements des habitudes drsquoachat et de consommation au cours des derniegraveres deacutecennies Les
diffeacuterente crises sanitaires (la vache folle la grippe aviaire la grippe porcinehellip) ont
fortement entameacute la sucircreteacute alimentaire et la confiance des consommateurs agrave leurs eacutegards
Cependant apregraves avoir rechercheacute une reacuteassurance sanitaire sur le produit le consommateur
est aujourdrsquohui davantage demandeur drsquoinformations sur lrsquoorigine geacuteographique associeacute agrave une
image sur les pratiques culturales et les proceacutedures de transformation des produits
132
alimentaires de lrsquoautre part (Bastien 2003) Cette question des changements et drsquoeacutevolution de
la demande seront le deuxiegraveme point abordeacute par la suite Nous deacutevelopperons tout drsquoabord le
processus de qualification des produits
121 De la qualiteacute geacuteneacuterique agrave la qualiteacute speacutecifique
Plusieurs travaux (Allaire Boyer Filippi Mollard Muchnik Pecqueur Torre Requier-
Desjardins)89
ont montreacute lrsquoeacutemergence drsquoun nouveau paradigme du deacuteveloppement agricole
liant qualiteacute au local au cocircteacute de lrsquoancien reacutegime Effectivement on constate deux types
drsquoagriculture un renvoie au modegravele baseacute sur la production et la distribution de masse lrsquoautre
est lieacute plutocirct agrave des pratiques extensives agrave des produits speacutecifiques par leur origine
geacuteographique et aux marcheacutes de niches (Barham 2003) On peut ainsi parler drsquoune eacuteconomie
agricole et agroalimentaire de qualiteacute qui identifie les facteurs deacuteterminants du deacuteclenchement
de cette dynamique de la qualiteacute dans le secteur agroalimentaire Les recherches conccedilues dans
cette eacuteconomie et dans tous les domaines devront permettre de mieux comprendre les
facteurs induisant des modegraveles de production de la qualiteacute diffeacuterents selon les contextes et ce
afin de leacutegitimer lrsquointeacuterecirct du maintien de certaines speacutecificiteacutes et de deacutevelopper des modegraveles agrave
porteacutee universelle Les auteurs montrent que lrsquoeacuteconomie de qualiteacute agricole a permis de mieux
cerner et expliquer les processus de qualification des produits les dispositifs drsquoinformation et
de segmentation des consommateurs les formes de coordination dans les filiegraveres ainsi que les
modes drsquointervention de lrsquoEacutetat (Lagrange et Valceschini 2007)
Dans ce courant de lrsquoeacuteconomie de qualiteacute il faut distinguer deux principales tendances
- Celle correspondant agrave la qualiteacute produit (qualiteacute geacuteneacuterique) mais eacutegalement la
qualiteacute entreprise connue geacuteneacuteralement par les normes ISO (pex norme
ISO9000 relative au management de la qualiteacute norme ISO14000 relative au
management environnemental) (Lagrange et Valceschini 2007)
- Celle concernant les produits alimentaires de qualiteacute speacutecifique au sens de Colletis
et Pecqueur (1993) Elle est le reacutesultat drsquoune association entre la qualiteacute
intrinsegraveque et lrsquooriginaliteacute geacuteographique de produit (Hervieu 2007)
89
Voir le numeacutero 255-256 2000 de la revue de lrsquoEconomie rurale
133
A) La qualiteacute comme ressource geacuteneacuterique
Pour les gestionnaires la base instinctive et intuitive de la qualiteacute reacuteside dans le sens
notamment lrsquoodeur et le goucirct dont certains stimuli laquo Il nrsquoest donc eacutetonnant que les premiegraveres
approches de la qualiteacute aient concerneacute la seacutelection le traitement la conservation des
aliments et les fraudes associeacutees Les plus reacutepandues eacutetaient le moulage du lait
lrsquoadjonction de poudre mineacuterale dans la farine le remplacement de lrsquoalcool de bouche par du
meacutethanol rendant aveugle le meacutelange drsquohuile mineacuterale dans des huiles drsquoorigine
veacutegeacutetale raquo (Jaccard 2010 p38) La qualiteacute des aliments est ainsi consideacutereacutee comme un
enjeu majeur pour tous les acteurs eacuteconomiques Il srsquoagit drsquoun concept vaste lieacutee aux besoins
ou attentes des consommateurs elle peut preacutesenter diffeacuterents types au caractegravere aussi bien
objectif que subjectif la seacutecuriteacute sanitaire ou la qualiteacute nutritionnelle90
par exemple On parle
de la qualiteacute geacuteneacuterique qui laquo correspond agrave la qualiteacute minimum standard qursquoun produit doit
preacutesenter pour ecirctre mis sur le marcheacute Elle a donc un caractegravere normatif les gouvernements
devant assurer la seacutecuriteacute la santeacute et lrsquoinformation des consommateurs dans leur mission de
protection de lrsquointeacuterecirct geacuteneacuteral91
raquo
La recherche de la garantie de la qualiteacute geacuteneacuterique a constitueacute le fondement et la justification
du droit de lrsquoalimentation ainsi que de ses deacuteveloppements reacutecents92
On peut citer dans ce
cadre les reacuteglementations concernant la seacutecuriteacute sanitaire des aliments et la lutte contre les
fraudes et les tromperies des consommateurs en srsquointeacuteressant aux caracteacuteristiques des denreacutees
agrave leurs regravegles de fabrication de composition et de proprieacuteteacutes sensorielles Par la suite les
garanties lieacutees agrave la qualiteacute geacuteneacuterique ont connu un eacutelargissement aux garanties attacheacutees au
bon fonctionnement des filiegraveres et des marcheacutes Globalement les moyens classiques de la
qualiteacute geacuteneacuterique sont la normalisation et lrsquoassurance de la qualiteacute Ils comprennent eacutegalement
la certification drsquoentreprise (du type ISO 9000) qui permet drsquoencadrer une deacutemarche
volontaire visant au progregraves continu dans la conduite de lrsquoeacutelaboration des produits aussi bien
que dans les rapports clients-fournisseurs sur les marcheacutes intermeacutediaires (FAO 2004)
90
Cette multiple facette de la qualiteacute peut ecirctre deacutesigneacutee eacutegalement par laquo qualiteacute technologique raquo laquo qualiteacute de
service raquo laquo cercles de qualiteacute raquo laquo qualiteacute totale raquo etc 91
wwwfoodquality-origineorgresourcehtml (page consulteacutee le 25072007) 92
Dans la derniegravere deacutecennie la qualiteacute nutritionnelle des denreacutees offertes sur le marcheacute de masse fait lrsquoobjet drsquoun
inteacuterecirct croissant aussi bien de la part des opeacuterateurs que drsquoune partie des consommateurs pour qui elle devient
une motivation importante de lrsquoacte drsquoachat Les moyens drsquoatteindre lrsquoeacutequilibre nutritionnel et ainsi de preacutevenir
en particulier les maladies cardio-vasculaires sont de mieux en mieux connus faire des repas reacuteguliers
diversifier ses aliments privileacutegier les fruits et les leacutegumes user sans abuser des graisses si lrsquoon consomme des
boissons alcooliseacutees le faire avec modeacuteration bouger ecirctre actif se peser tous les mois De telles
recommandations ne concernent pas seulement les aliments mais leur combinaison par les consommateurs dans
leur alimentation par la preacuteparation des repas (FAO 2000)
134
Crsquoest dans ce registre que se situe la deacutefinition de qualiteacute donneacutee par la Norme
ISO90002000 un ensemble des proprieacuteteacutes et caracteacuteristiques drsquoun produit drsquoun processus
ou drsquoun service qui lui confegraverent son aptitude agrave satisfaire des besoins implicites ou
explicites93
raquo Autrement dit il srsquoagit de la satisfaction acquise par le consommateur agrave travers
le produit (ou le service) acheteacute quelque soit la forme qui mateacuterialise cette satisfaction (faim
soif goucirct prestige preacutesentation etc) Lrsquoadjonction de la notion drsquo laquo aptitude raquo agrave lrsquooccasion
de la publication de la version 2000 des normes met en eacutevidence la preacutedominance de la
dynamique relationnelle qursquoelles proposent la qualiteacute nrsquoest pas dans les caracteacuteristiques en
tant que telles mais dans lrsquoaptitude des caracteacuteristiques La reacutefeacuterence aux autres parties
inteacuteresseacutees implique que la qualiteacute ne srsquoentende pas seulement de la satisfaction des exigences
du consommateur (externe ou interne) mais eacutegalement agrave celles de lrsquoenvironnement du
personnel des associeacutes etc (Stora et Montaigne 1986 Weil 2001)
Les moyens preacuteconiseacutes agrave ces fins par les prescripteurs des normes consistent agrave consigner par
eacutecrit les proceacutedures de base et modes opeacuteratoires qui concourent agrave laquo reacuteussir raquo une production
donneacutee94 Lrsquoobjectif est de les comparer avec des normes de qualiteacute preacuteeacutetablies et agir en cas
de deacuteviations Cela concerne lrsquoensemble des normes et des mesures preacuteeacutetablies et
systeacutematiques neacutecessaires pour donner la confiance en ce qursquoun produit proceacutedeacute ou service
satisfera aux exigences de qualiteacute donneacutees Il srsquoagit donc des activiteacutes drsquoeacutevaluation du
systegraveme de controcircle qualiteacute veacuterifiant lrsquoefficaciteacute de celui-ci A cette occasion lrsquoensemble des
acteurs directement concerneacutes est inviteacute soit agrave rendre explicites et de lrsquoordre du laquobien
communraquo des pratiques deacutejagrave entreacutees dans les routines implicites soit agrave produire de lrsquoaccord et
de la stabiliteacute au sujet des opeacuterations suscitant des flottements ou des incoheacuterences
Lrsquoefficaciteacute du systegraveme controcircle qualiteacute est veacuterifieacutee par des audits reacuteguliers Ces derniers sont
deacutefinis par des normes preacuteeacutetablies comme un examen meacutethodique et indeacutependant en vue de
deacuteterminer si les activiteacutes et les reacutesultats relatifs agrave la qualiteacute satisfont aux dispositions
preacuteeacutetablies si ces dispositions sont mises en oeuvre de faccedilon efficace et si celles-ci sont aptes
agrave atteindre les objectifs poursuivis Aujourdrsquohui ces dispositions ou ces techniques de
93
Source httpwwwqualiteonlinecomglossaire-Q-202-defhtml (page consulteacutee le 25072007) 94
La meacutethodologie de la laquoreacutedaction des proceacuteduresraquo laquo constitue le coeur drsquoun systegraveme de documentation agrave
plusieurs eacutetages dont le premier niveau est dans le cas geacuteneacuteral constitueacute par des laquodocuments drsquoexeacutecutionraquo et
dont le sommet est mateacuterialiseacute par le laquomanuel qualiteacuteraquo supposeacute fournir lrsquoarchitecture drsquoensemble du dispositif
Autour de celui-ci gravite une multitude drsquooutils toujours orienteacutes vers le souci drsquoinformer les pratiques de
maicirctriser les performances et drsquoassurer au mieux les interfaces entre fonctions raquo (Segrestin 1996 p293-294)
135
laquogestion et drsquoassurance de la qualiteacuteraquo se pratiquent selon les reacutefeacuterentiels de type ISO95
(ISO ndash
9001 9002 14000-HACCP) Ces derniegraveres combinent ainsi plusieurs dimensions croiseacutees
depuis la mise en place de dispositions internes aux entreprises pour mettre en eacutevidence la
fiabiliteacute du processus jusqursquoagrave la codification des rapports entre les donneurs drsquoordre et les
sous-traitants en passant par le souci de satisfaire aux exigences de laquolrsquoeacutepreuve de
certificationraquo (Segrestin 1996)
Lrsquoeacutemergence de cette tendance agrave la normalisation de la qualiteacute est le reacutesultat des mutations
eacuteconomiques et sociales qursquoa connu le monde dans les anneacutees 1980 Parmi ces mutations
nous retrouvons le succegraves foudroyant des exportations japonaises baseacutees essentiellement sur
la recherche de la qualiteacute (laquo zeacutero deacutefaut raquo) et qui est devenue agrave la fois un moyen pour
conqueacuterir des marcheacutes et un argument pour baisser les rebuts et les opeacuterations de correction
des deacutefauts agrave tous les niveaux reacuteduisant ainsi les coucircts de production (Ishikawa 1990
Gervaise 1994) Cette situation a conduit tant les entreprises europeacuteennes et ameacutericaines que
les pouvoirs publics agrave se remettre en question en matiegravere de compeacutetitiviteacute et de srsquointerroger
sur les ressorts de lrsquoavantage concurrentiel japonais96
Par ailleurs la question de la qualiteacute
semble eacutetroitement lieacutee agrave celles de la planification strateacutegique et du management
organisationnel de lrsquoentreprise (Gervais 1995 Marchesnay 1993)
Crsquoest ce management doreacutenavant dresseacute en modegravele (Lamotte 1987 Montaigne et Stora
1986) qui est consideacutereacute comme le fondement de lrsquoavantage concurrentiel des firmes
japonaises avant mecircme la technologique ou la puissance financiegravere Degraves lors les principes de
gestion de la qualiteacute dans lrsquoentreprise et entre elles sont transformeacutes de maniegravere radicale
(Nicolas et Valceschini 1993) Nous notons essentiellement dans ce registre que la notion de
controcircle substitue celle de maicirctrise continue et globale et par conseacutequent la preacuteoccupation de
preacutevention lrsquoemporte sur celle de correction La notion de qualiteacute nrsquoest plus centreacutee sur le
95
LrsquoISO International Organization for Standardization (Organisation internationale de normalisation) est le
plus grand producteur et eacutediteur mondial de Normes internationales LrsquoISO est un reacuteseau drsquoinstituts nationaux de
normalisation de 163 pays selon le principe drsquoun membre par pays dont le Secreacutetariat central situeacute agrave Genegraveve
Suisse assure la coordination drsquoensemble LrsquoISO est une organisation non gouvernementale qui jette un pont
entre le secteur public et le secteur priveacute Bon nombre de ses instituts membres font en effet partie de la structure
gouvernementale de leur pays ou sont mandateacutes par leur gouvernement et drsquoautres organismes membres sont
issus exclusivement du secteur priveacute et ont eacuteteacute eacutetablis par des partenariats drsquoassociations industrielles au niveau
national LrsquoISO permet ainsi drsquoeacutetablir un consensus sur des solutions reacutepondant aux exigences du monde
eacuteconomique et aux besoins plus geacuteneacuteraux de la socieacuteteacute (Source httpwwwisoorgisofrabouthtm page
consulteacutee le 14082007) 96
A titre drsquoexemple aux Etats-Unis en 1986 une commission formeacutee par le Massachussets Institute of
Technology (MIT) est chargeacutee drsquoeacutevaluer lrsquoampleur et drsquoanalyser les causes de la perte de compeacutetitiviteacute de
lrsquoindustrie ameacutericaine Elle a prouveacute que la compeacutetitiviteacute-prix doit ecirctre accompagneacutee par une compeacutetitiviteacute-
qualiteacute pour reconqueacuterir les marcheacutes (Dertouzos et al 1990)
136
produit mais sur les meacutethodes et les proceacutedeacutes utiliseacutes pour le concevoir le fabriquer le livrer
etc ainsi que sur les compeacutetences techniques et les capaciteacutes organisationnelles du
producteur
Tous les secteurs industriels (chimie automobile) et ce pratiquement dans tous les pays
sont aujourdrsquohui concerneacutes par ce processus de qualiteacute Le but laquo est la maicirctrise de la qualiteacute
totale97
dans lrsquoentreprise ouet dans la laquo supplychain raquo Lrsquoenjeu est drsquoaccroicirctre la
performance du modegravele de production industriel (reacuteduction des coucircts etc) plus que la
diffeacuterenciation de lrsquoentreprise et des produits Les outils utiliseacutes sont les mecircmes dans tous les
pays reconnus au niveau international et compatibles avec les regravegles du commerce
international raquo (Lagrange et Valceschini 2007 p96) Les entreprises ne se base plus
seulement sur la compeacutetitiviteacute-coucirct ou prix (fabriquer des produits agrave moindre coucirct) ni mecircme
agrave se conformer agrave des normes ou agrave des comportements sociaux mais elle se base de plus en
plus sur leur capaciteacute agrave eacutelaborer des reacutefeacuterences agrave les proposer et agrave les faire accepter La
compeacutetition srsquoeacutetend donc du champ des produits agrave celui des reacutefeacuterences (Valceschini 1993)
Dans ces conditions qursquoil srsquoagisse des produits ou des proceacutedeacutes la capaciteacute drsquoinnovation
devient deacutecisive Elle devient mecircme strateacutegique et impeacuteratif pour le travail de normalisation et
de certification (Reacutealiteacutes Industrielles 1990 citeacute par Nicolas et Valceschini 1993 p7)
Au total les exigences en matiegravere de qualiteacute se sont regroupeacutees en laquo quatre S raquo de Mainguy
(1989) satisfaction service santeacute et seacutecuriteacute Le secteur agroalimentaire nrsquoeacutechappe pas agrave ce
mouvement Il faut dire qursquoil eacutetait le premier champ drsquoapplication qui recouvre entiegraverement
ces quatre dimensions de la qualiteacute qui preacutesentent une grande variabiliteacute dans le temps et
dans lrsquoespace Les preacuteoccupations lieacutees agrave la qualiteacute des produits agricoles et alimentaires ne
sont effectivement pas nouvelles laquo Depuis lrsquoapparition de lrsquoagriculture les produits
agricoles sont destineacutes essentiellement agrave lrsquoalimentation Ils sont donc soumis impeacuterativement
agrave la contrainte de nourrir correctement les hommes (qualiteacute nutritionnelle) sans attenter agrave
leur santeacute (qualiteacute hygieacutenique) Si possible ils doivent eacutegalement satisfaire aux goucircts des
individus (qualiteacute organoleptique) tout en srsquoinseacuterant dans le systegraveme de va leurs sociales
(qualiteacute symbolique) raquo (Nicolas et Valceschini 1993 p 6) Cette situation contraignante
trouve en partie ses raisons dans les risques que preacutesente ce secteur en matiegravere de santeacute
publique et dans lrsquoindustrialisation massive de la chaicircne agro-alimentaire accompagneacutee par
97
La qualiteacute totale est deacutefinie comme un ensemble de meacutethodes et de principes organiseacutes en strateacutegie globale
visant agrave mobiliser toute lrsquoentreprise dans le but de satisfaire le client (Source
httpwwwqualiteonlinecomglossaire-Q-389-defhtml page consulteacutee le 12092009))
137
lrsquoexplosion de la consommation de masse (Gervaise 1994) Dans ce secteur le besoin
drsquoidentification des produits et la garantie que le produit fourni est conforme agrave celui annonceacute
sont devenus en effet des attentes socieacutetales (Fischler 1993 OCDE 1990)
En mettant de cocircteacute le fait que lrsquoagriculture fasse appel aux intrants drsquoorigine industrielle (les
engrais lrsquoalimentation du beacutetailhellip) sensibles agrave la sucircreteacute des produits alimentaires ces
derniers avant drsquoecirctre consommeacutes subissent souvent plusieurs transformations ou
conditionnements dans des lieux de production diffeacuterents Ce pheacutenomegravene est parfaitement mit
en eacutevidence par laquo le cas de la chaicircne du froid agrave tous les stades du cheminement du produit
sa qualiteacute est soumise au risque drsquoincompeacutetence drsquoerreur de neacutegligence voire de
malveillance raquo (Nicolas et Valceschini 1993 p8) Dans cette vision de nombreux pays ont
mis en place des reacuteglementations sanitaires baseacutees sur le principe de responsabilisation des
industriels agro-alimentaires censeacutes deacutesormais exeacutecuter un programme drsquoauto-controcircle baseacute
sur la meacutethode laquo Hazard Analysis Critical Control Point (HACCP)98
raquo Crsquoest-agrave-dire lrsquoanalyse
des risques et des points critiques pour leur maicirctrise laquo Il srsquoagit de rassurer le consommateur
mecircme si ce noble dessein nrsquoest pas deacutenueacute drsquoarriegraveres penseacutees commerciaux Et pour bien
deacutemontrer que les choses sont faites dans les regravegles rien ne vaut une certification en bonne
et due forme faite par un organisme indeacutependant raquo (Tendance 2002 p39)
Le systegraveme HACCP a eacuteteacute recommandeacute par lrsquoOMS et le Codex Alimentarius99
comme le
meilleur moyen pour garantir la seacutecuriteacute des produits alimentaires Les pays de lrsquoUnion
Europeacuteenne ont introduit lrsquoutilisation du systegraveme HACCP dans la Directive Hygiegravene des
denreacutees alimentaires (9343) de juin 1993 entrant en application au 1er
janvier 1996 Aux
Etats-Unis la Food and Drug Administration (FDA) et lrsquoUnited States Department of
Agriculture (USDA) utilisent le systegraveme HACCP comme base pour leurs interventions de
controcircle public et ce en accord avec les professionnels Dans de nombreux autres pays100
98
HACCP ou Analyse des Dangers Maicirctrise des Points Critiques (ADMPC) un systegraveme qui identifie eacutevalue et
maicirctrise les dangers significatifs au regard de la seacutecuriteacute des aliments (Source httpwwwhaccp-guidefr page
consulteacutee le 19092007) 99
Codex Alimentarius est un ensemble des normes alimentaires des lignes directrices et drsquoautres textes tels que
des Codes drsquousages Il a eacuteteacute creacuteeacute en 1963 par la FAO et lrsquoOMS afin drsquoeacutelaborer dans le cadre du Programme
mixte FAOOMS sur les normes alimentaires Les buts principaux de ce programme sont la protection de la
santeacute des consommateurs la promotion de pratiques loyales dans le commerce des aliments et la coordination de
tous les travaux de normalisation ayant trait aux aliments entrepris par des organisations aussi bien
gouvernementales que non gouvernementales (Source httpwwwcodexalimentariusnetwebindex_frjsp
page consulteacutee le 19092007) 100
Quant au Maroc il a publieacute en 1997 la norme nationale NM080002 fixant les lignes directrices pour
lrsquoapplication du systegraveme HACCP Cette norme a eacuteteacute preacuteceacutedeacutee par drsquoautres normes concernant les regravegles
drsquohygiegravene notamment la norme NM080000 relative aux principes geacuteneacuteraux drsquohygiegravene alimentaire et de
salubriteacute et la norme NM080001 relative au code drsquousages recommandeacute en matiegravere drsquohygiegravene pour les
138
lrsquoutilisation du systegraveme HACCP est encourageacutee par les autoriteacutes responsables de la salubriteacute
des aliments La meacutethode HACCP repose sur les sept principes suivants101
Principe 1 Analyse des dangers
Principe 2 Deacutetermination des points critiques (CCP Critical Control Point)
Principe 3 Fixation des limites critiques
Principe 4 Mise en place drsquoun systegraveme de surveillance des CCP
Principe 5 Deacutetermination des mesures correctives
Principe 6 Mise en place des proceacutedures de veacuterification du systegraveme HACCP
Principe 7 Mise en place drsquoun systegraveme de documents et enregistrements
Un systegraveme HACCP nrsquoest efficace et pertinent que si sa mise en application intervient apregraves
la satisfaction aux exigences relatives aux programmes preacutealables Ces derniers sont garants
des conditions environnementales propices agrave la production drsquoaliments salubres Drsquoune
maniegravere geacuteneacuterale les exigences des programmes preacutealables sont relatives aux conditions de
travail du personnel de transport et de stockage de traitement de lrsquoeau ainsi qursquoaux modaliteacutes
de nettoyage de deacutesinfection de lutte contre les ravageurs (vermines) et de traitement des
deacutechets solides et liquides Si de tels programmes preacutealables ne sont pas mis en place avant la
mise en application du systegraveme HACCP ce dernier srsquoaveacuterera inefficace ou inutilement
encombrant (Ministegravere de la Santeacute 2002)
Le concept HACCP fait parti du programme Safety Quality Food (SQF) (seacutecuriteacute alimentaire
et qualiteacute produit) qui vise agrave apporter une reacuteponse globale Le programme (SQF) a drsquoabord eacuteteacute
mis au point par le Ministegravere de lrsquoAgriculture drsquoAustralie occidentale Puis il srsquoest transformeacute
en un programme international geacutereacute en Suisse agrave Lausanne en raison du succegraves de la deacutemarche
en Australie (3000 fournisseurs de lrsquoagroalimentaire sont certifieacutes dans le pays) (Tendance
2002) Le SQF integravegre en plus la dimension qualiteacute la meacutethode HACCP selon le ldquoCodex
alimentariusrdquo et lrsquoISO9000 Il est plus orienteacute vers les exigences du marcheacute puisqursquoil ajoute le
risque laquo qualiteacute raquo aux enjeux de la seacutecuriteacute alimentaire laquo Lrsquoapproche qui integravegre
lrsquoenvironnement agrave cette deacutemarche progresse laquo La triple certification ldquoqualiteacute seacutecuriteacute
environnementrdquo (QSE) gagne en effet du terrain Et les reacutesultats sont lagrave coucirct de traitement
des deacutechets diviseacute par 25 reacuteduction de pregraves de 60 des deacutefauts constateacutes sur les produits en
conserves non acidifieacutees ou acidifieacutees de produits alimentaires peu acides Dans le cas des produits laitiers
lrsquoapplication de la HACCP est rendue obligatoire (Ministegravere de la Santeacute 2002) 101
Source httpwwwhaccp-guidefr (page consulteacutee le 19092007)
139
moins de cinq ans baisse de 30 du nombre des soins infirmiers prodigueacutes en deux ans sur
le site raquo (Tendance 2002 p39)
La qualiteacute des produits alimentaires nrsquoest pas seulement une question sanitaire elle est
eacutegalement strateacutegique (Marchesnay 1993) En fait sous la pression de la saturation des
marcheacutes et lrsquoaccroissement de la concurrence drsquoun cocircteacute ainsi que de la constitution du marcheacute
unique europeacuteen de lrsquoautre la politique de la qualiteacute est progressivement reacutenoveacutee Elle est
passeacutee drsquoune politique deacutefensive (meacutenageant des creacuteneaux) agrave une politique plus offensive de
fragmentation des marcheacutes (Torre et Valceschini 2002) Les grands pays agricoles
notamment les pays de lrsquoUE et lrsquoEU ainsi que les acteurs eacuteconomiques de la filiegravere agricole
et agroalimentaire ont eacuteteacute en reacutealiteacute contraints de deacutevelopper drsquoautres strateacutegies pour
reacutepondre agrave la baisse de leur revenu produire moins mais avec une meilleure qualiteacute (Allaire
1995b) Les professionnels agricoles affirment que la qualiteacute redevient un enjeu et une
aventure apregraves des deacutecennies de productivisme ayant abouti agrave la situation des marcheacutes des
anneacutees 1980 et 1990 Selon eux la qualiteacute peut contribuer agrave la solution du problegraveme des
exceacutedents de production (Agriculture et Coopeacuteration 1987 citeacute par Nicolas et Valceschini
1993)
Afin de reacutecompenser financiegraverement la baisse des ventes il fallait augmenter les prix En
contrepartie les clients ont eu le droit drsquoavoir des produits de qualiteacute Cette orientation oblige
agrave reconsideacuterer les relations entre les acteurs eacuteconomiques au sein des filiegraveres agroalimentaires
Au niveau des marcheacutes le facteur qualiteacute est peu agrave peu reacuteintroduit comme une veacuteritable
variable drsquoajustement structurel entre lrsquooffre et la demande de produits agricoles (Heinz
1994) La viniculture correspond agrave un tel cas de figure En effet la distinction des produits sur
la base du marquage de la speacutecificiteacute a permis une substitution relative des vins drsquoappellation
aux vins de table (Torre et Valceschini 2002) Au niveau des entreprises ou des filiegraveres la
qualiteacute se propage comme un principe de management crsquoest-agrave-dire qursquoelle nrsquoest plus le
reacutesultat plus ou moins satisfaisant de la gestion de la production mais une variable de
deacutecision strateacutegique et une meacutethode drsquoorganisation La qualiteacute est doreacutenavant consideacutereacutee
comme un instrument de conquecircte de marcheacutes exteacuterieurs et de lutte contre la concurrence des
produits importeacutes elle se preacutesente donc comme une politique agro-alimentaire (Nicolas et
Valceschini 1993)
Crsquoest dans ce cadre lagrave que la promotion des produits dits laquo de qualiteacute supeacuterieure raquo ou
laquo speacutecifique raquo lieacutee agrave son origine geacuteographique a eacuteteacute conccedilue comme une politique commerciale
140
et de compensation des deacutesavantages eacuteconomiques de certaines reacutegions agricoles en crises La
protection reacuteglementaire et la valorisation commerciale des produits de laquo qualiteacute speacutecifique raquo
sont alors consideacutereacutees comme des outils de deacuteveloppement agricole et de deacutefense des revenus
de certaines cateacutegories drsquoagriculteurs (Blanchemanche et Valceschini 2005)
B) La qualiteacute comme ressource speacutecifique
Par rapport agrave la qualiteacute geacuteneacuterique la qualiteacute dite speacutecifique se diffeacuterencie par un niveau
suppleacutementaire de qualiteacute et par son caractegravere volontaire Un produit de qualiteacute speacutecifique
possegravede des caracteacuteristiques pouvant ecirctre lieacutees agrave sa composition agrave ses meacutethodes de production
ou de transformation ou sa commercialisation agrave la preacuteservation de lrsquoenvironnement agrave
lrsquoorigine et aux traditions au bien-ecirctre animalhellip permettant ainsi de diffeacuterencier le produit
Ces diffeacuterents traits reacutepondent souvent agrave des attentes sociales croissantes la preacuteservation de
lrsquoenvironnement des eacutechanges plus justes la valorisation drsquoun patrimoine etc mais peuvent
correspondre pareillement agrave un certain attachement agrave des pratiques traditionnelles ou agrave un
territoire de production posseacutedant des ressources particuliegraveres (Nicolas et Valceschini 1993)
En effet apregraves avoir acquises la qualiteacute geacuteneacuterique agrave ses produits les filiegraveres agricoles et
agroalimentaires ont su eacutetendre et eacutelargir le champ de la qualiteacute pour inteacutegrer des aspects
relevant de lrsquoimmateacuteriel (histoire paysage soleilhellip) Lrsquoobjectif est de lier la qualiteacute des
produits agrave un ensemble des eacuteleacutements mateacuteriels et immateacuteriels dont la plupart des
caracteacuteristiques sont attacheacutees un territoire (FAO 2008b) On parle des laquo deacutenominations
(principalement geacuteographiques) associeacutees agrave des laquo produits drsquoorigine raquo dont la speacutecificiteacute est
lieacutee au milieu naturel (geacuteologie climat) et agrave un savoir-faire traditionnel (systegraveme de
production ouet de transformation)hellip Cette probleacutematique de la qualiteacute laquo speacutecifique raquo nrsquoest
pas universellement partageacutee mais srsquoest largement internationaliseacutee au deacutebut du XXIe
siegravecle raquo (Lagrange et Valceschini 2007 p 95)
En termes de coucirct et de qualiteacute technique et intrinsegraveque au produit lui-mecircme les strateacutegies
traditionnelles ont montreacute leurs limites de compeacutetitiviteacute (Allaire 1995b) Il a fallu deacutevelopper
une autre deacutemarche dite de qualiteacute externe qui se caracteacuterisait par rapport agrave celle de la qualiteacute
intrinsegraveque au produit par la prise en consideacuteration de nouveaux critegraveres agrave savoir notamment
les critegraveres sociaux (les droits salariaux) environnementaux ou patrimoniaux (histoire
culture image paysagehellip) Pour certaines activiteacutes on peut mecircme prendre la race des
animaux ou les meacutethodes drsquoeacutelevage Lrsquoassociation des deux qualiteacutes intrinsegraveques et externes
pourrait former ce que Lacroix et al (2000) appelle une rente dite de laquo qualiteacute territoriale raquo
141
Celle-ci combinent la qualiteacute intrinsegraveque du produit et son ancrage en un lieu speacutecifique avec
son histoire et ses savoir-faire (Lacroix et al 1998) Ces eacuteleacutements laquo sont susceptibles de
geacuteneacuterer une forme particuliegravere de rente qui valorise de maniegravere compleacutementaire les
caracteacuteristiques intrinsegraveques drsquoun territoire et la qualiteacute des produits et services qui y sont
attacheacutes Une fois les facteurs de production reacutemuneacutereacutes (salaires profits) il peut rester un
surplus qui provient de lrsquointernalisation drsquoeffets externes geacuteneacutereacutes par des ressources
nouvelles (histoire savoir-faire paysagehellip) et qui reacutemunegravere un concours agrave la production qui
nrsquoest pas spontaneacutement imputable agrave un acteur ou agrave un facteur preacutecis raquo (Mollard 2001 p20)
Ces restructurations par la base crsquoest-agrave-dire qui adaptent les actions locales aux
transformations qui se produisent dans leur espace de marcheacute remettent en question la forme
de compromis marchandindustriel du reacutegime drsquoaccumulation (Allaire 1995a) Concregravetement
il srsquoagit de diffeacuterencier lrsquooffre en donnant de la valeur agrave un signe de qualiteacute distinctif102
signaleacute et garanti de maniegravere creacutedible par des institutions locales et globales reconnues (Label
AOC etc)
Deux objectifs principaux viseacutes par cette strateacutegie Le premier consiste agrave renforcer la
confiance des consommateurs (surtout apregraves les crises alimentaires grippe porcine grippe
aviaire la vache folle etc) et agrave reacuteduire les effets drsquoasymeacutetrie drsquoinformations et de deacutefaillances
de marcheacute puisque le prix ne repreacutesente pas la totaliteacute de lrsquoinformation comme ils srsquoavancent
les neacuteo classique (Razanakoto 2003) Quant au deuxiegraveme objectif celui-ci preacutevoit la
promotion des produits locaux et la preacuteservation de la reacutegion des eacuteventuelles deacutelocalisations
Crsquoest dans ce cadre qursquoon perccediloit le deacuteveloppement des modegraveles de laquo signaux drsquoorigine raquo
(dits aussi de qualiteacute speacutecifique) pouvant ecirctre bien deacutefinis et controcircleacutes par les instances
nationales et internationales Ils relegravevent drsquoune proceacutedure de certification et de la mise en
place de signes de qualiteacute (AOC IGP Label rouge etc) De tels modegraveles permettent
drsquoacqueacuterir une certaine proprieacuteteacute intellectuelle sur le droit de preacuteserver le produit et les
proceacutedures de production contre toutes imitations (Roncin et Scheffer 2000)
102
Un signe de qualiteacute est un signe drsquoidentification et de reconnaissance rapide un message envoyeacute au
consommateur (drsquoougrave lrsquoimportance du logo ) de speacutecificiteacute indiquant une diffeacuterence ou une distinction par
rapport aux produits laquostandardsraquo de mecircme type (importance du choix drsquoune speacutecificiteacute qui soit laquocompreacutehensible
et laquosouhaitableraquo pour les consommateurs) de conformiteacute agrave des reacutefeacuterentiels la speacutecificiteacute doit ecirctre mesurable
veacuterifiable et controcirclable (pouvoir le garder sous controcircle au cours du process) de reacuteassurance et de garantie pour
le consommateur et il doit en conseacutequence garantir la speacutecificiteacute promise (rocircle de la certification par une tierce
partie) (Gaeta et Peri 2000 p43)
142
Ces diffeacuterents modegraveles ont pour caracteacuteristique de relier la speacutecification de lrsquoorigine agrave un
niveau de qualiteacute (Filippi et Triboulet 2006) On parle de lrsquoIndication Geacuteographique (IG) des
produits comme un eacuteleacutement de base de la qualiteacute drsquoun produit et son image Pour mettre en
eacutevidence lrsquoimportance de ces indications geacuteographiques il suffit de regarder les noms utiliseacutes
pour identifier les produits agricoles comme le theacute (Darjeeling) le cacao (Chuao) et des vins
(Bordeaux Chianti) ainsi que drsquoautres produits tels que les tapis (Bakhara Cachemire)
montres (Suisse) et de la porcelaine (laquo eacutemaux de Limoges raquo) (Grazioli 2002)103
Il faut
cependant faire attention agrave la relation avec un espace naturel qui ne peut pas agrave lui seul
construire la speacutecification drsquoun produit Pour donner un sens agrave leur relation avec le lieu il faut
prendre en consideacuteration le rocircle des ecirctres humains qui srsquoexpriment agrave travers des compeacutetences
particuliegraveres des structures sociales (Beacuterard et Marchenay 2008a)
Il srsquoagit donc drsquoune universalisation et drsquoune certaine modeacutelisation du modegravele laquo produit du
terroir raquo puisque les valeurs patrimoniales de terroir sont le reacutesultat laquo drsquoune relation complexe
et de longue dureacutee entre les caracteacuteristique culturelles eacuteconomiques et sociales eacutecologiques
agrave lrsquoopposeacute des espaces naturels humaine les terroirs deacutependent drsquoune relation particuliegravere
entre les socieacuteteacutes humaines et leur habitat naturel qui a faccedilonneacute le paysage Consideacutereacutes de
vue mondial ils preacuteservent la biodiversiteacute les diversiteacutes sociales et culturelles en conformiteacute
avec les objectifs de deacuteveloppement durable raquo (Commission franccedilaise du deacuteveloppement
durable citeacute par Brodagh 2000 p199) Effectivement le terroir est deacutesormais le pilier de la
qualiteacute Pour Brunet (1995) il nrsquoest plus possible de parler qualiteacute sans terroir tout comme on
associait environnement agrave paysage Crsquoest la raison pour laquelle en matiegravere drsquoappellation
drsquoorigine proteacutegeacutee (AOP) le regraveglement europeacuteen exige un lien avec un milieu geacuteographique
bien deacutelimiteacute Par ailleurs laquo ce regraveglement ne se limite pas agrave exiger que soient apporteacutees les
preuves attestant lrsquoorigine drsquoun produit Il impose aussi que soit deacutemontreacute que crsquoest
preacuteciseacutement cette origine qui confegravere au produit une qualiteacute distinctive supeacuterieure ou
speacutecifique raquo (Gaeta et Peri 2000 p45) Il faut donc chercher une uniteacute du terroir dont
lrsquoinfluence sur le produit serait incontestable Pour certains produits et comme crsquoest le cas des
appellations de montagne concernant des produits laitiers en plus de la deacutelimitation
103
Ce peut ecirctre eacutegalement des fruits et leacutegumes frais (par exemple le limoacuten de Pica dans lrsquooasis au Nord du
Chili le Pois de Tetovo dans la reacutegion de la Maceacutedoine le Mais Blanc Geacuteant de Cusco dans la Valleacutee sacreacutee du
Peacuterou) des veacutegeacutetaux peu transformeacutes (par exemple le safran du Maroc le cafeacute de Colombie le Cacao Chuao
au Veacuteneacutezuela ou le Cacao Arriba en Equateur) des produits animaux transformeacutes (en particulier les fromages
tels que le Fromage de Cotija au Mexique le fromage Turrialba au Costa Rica ou le fromage de Livno en Bosnie
Herzegovine et des viandes et charcuterie par exemple le jambon drsquoUzice ou de Parme ) (Pour plus des
cas voir wwwfoodquality-origineorgresourcehtml)
143
geacuteographique il faut rajouter au cahier des charges deacutejagrave extrecircmement strict les conditions de
production du lait la speacutecification drsquoune race laitiegravere lrsquointerdiction de lrsquoensilage la
limitation de la production des vaches laitiegraveres etc (Delfosse 2006)
Il est eacutevident que ces nouvelles activiteacutes vont exiger moins de capital pour creacuteer un emploi
que les modegraveles intensifs et donc plus de coordination Crsquoest la raison pour laquelle Pecqueur
(2001) qualifie cette laquo rente de qualiteacute territoriale raquo drsquoorganisationnelle dans la mesure ougrave elle
repreacutesente la capaciteacute des acteurs agrave creacuteer des processus institutionnels susceptibles de capter le
consentement agrave payer des consommateurs associeacute agrave lrsquoenvironnement du produit Cette
orientation suppose geacuteneacuteralement des innovations drsquoorganisation Elle peut neacutecessiter un
relegravevement partiel drsquoun savoir-faire deacutejagrave distribueacute dans le collectif de travail mais elles
renvoient en geacuteneacuteral plutocirct agrave des capaciteacutes nouvelles (utilisation de appareillages qualiteacute du
produit deacutemarche commerciale)
Quand la production nrsquoest complegravetement innovante pour lrsquoexploitant la distinction se fait sur
la base de la transformation du produit pour en transformer les qualiteacutes marchandes Par
ailleurs laquo Cette activiteacute rapproche lrsquoexploitant du marcheacute de consommation et instaure une
nouvelle perception de la qualiteacute de sa production Elle lrsquoamegravene agrave consideacuterer son produit
avec une nouvelle expeacuterience Ces apprentissages qui sont certes des apprentissages
individuels ne sont pas de simples recherches individuelles ils neacutecessitent en geacuteneacuteral des
collaborations de compeacutetences et interviennent dans la transformation drsquoun milieu raquo (Allaire
1995a p373) Son deacuteveloppement est le reacutesultat drsquoune strateacutegie territoriale de long terme
impliquant tant les producteurs les transformateurs et coopeacuteratives que les institutions de
coordination du deacuteveloppement local (syndicats drsquoameacutenagement collectiviteacutes locales
etc hellip) Une telle rente illustre la capaciteacute de systegravemes productifs plus ou moins eacutelaboreacutes au
sein de territoires agrave deacutegager une offre construite de biens ou services speacutecifiques Cette
situation ne constitue pas le cas geacuteneacuteral mais reacutevegravele un potentiel de mutation de la production
qui meacuterite attention (Allaire 2002 Filippi 1999)
Sur le plan politique les ameacutericains comme les europeacuteennes ont entameacute des changements
allant plus vers une politique agricole visant agrave concilier agriculture et espeacuterances des citoyens
Le laquo nouveau modegravele agricole europeacuteen raquo selon les propositions de la Commission
Europeacuteenne qui ont inspireacute les Accords de Berlin de 1999 sur la reacuteforme de la PAC
laquo reconnaicirct que lrsquoagriculture doit jouer un rocircle central dans la preacuteservation du paysage et
des espaces naturels et apporter une contribution essentielle agrave la vitaliteacute du monde rural Elle
144
vise eacutegalement agrave reacutepondre aux preacuteoccupations des consommateurs en ce qui concerne la
seacutecuriteacute et la qualiteacute des produits alimentaires ainsi que le bien-ecirctre des animaux Enfin la
reacuteforme de la PAC a pour objectif de veiller agrave la protection et agrave lrsquoameacutelioration de
lrsquoenvironnement rural pour les geacuteneacuterations futures raquo (Commission Europeacuteenne 1999)104
Dans cette vision toute une seacuterie drsquoenjeux devrait ecirctre prise en consideacuteration agrave savoir la
seacutecuriteacute alimentaire lrsquoenvironnement et la biodiversiteacute la qualiteacute sanitaire la diversiteacute
culturelle etc
Cette tendance confirme lrsquoaspect multifonctionnel de lrsquoagriculture eacutevoqueacute ci-dessus Quant
aux Etats-Unis Elles ont drsquoune part eacutegalement adopteacute en 2000 apregraves un long deacutebat un
standard national laquo bio raquo qui exclut les cultures OGM et drsquoautre part pratiquent agrave sa maniegravere
depuis longtemps la conditionnaliteacute des aides aux agriculteurs lieacute agrave la preacuteservation de
lrsquoenvironnement Les questions de qualiteacute au sens large sont alors au cœur des enjeux
politiques et strateacutegiques (Allaire 2002) Les initiatives publiques en faveur des indications
geacuteographiques sont actuellement eacutelaboreacutees globalement selon les accords ADPIC105
Il faut
preacuteciser que ces derniers laissent une grande marge de liberteacute aux autoriteacutes compeacutetentes au
niveau national en fonction de critegraveres qui leur sont propres et particuliers afin de deacuteterminer
les traits attribuant agrave un produit la qualiteacute speacutecifique lieacutee agrave son origine
A la diffeacuterence de la qualiteacute geacuteneacuterique la normalisation est tregraves difficile agrave mettre en place
pour la qualiteacute speacutecifique puisque mise agrave part le goucirct lui-mecircme ce critegravere de qualiteacute veacutehicule
une dimension eacuteminemment subjective laisseacutee agrave lrsquoappreacuteciation de chacun De fait la
deacutetermination de la qualiteacute drsquoun produit speacutecifique ne peut ecirctre appreacutehendeacutee globalement au
niveau mondial selon des critegraveres harmoniseacutes et exhaustifs qui ne tiendrait aucunement
compte de la diversiteacute culturelle de la communauteacute internationale Une eacutetude meneacutee par
104
Source httpeuropaeulegislation_summariesenlargement2004_and_2007_enlargementl60001_frhtm
(page consulteacutee le 12072008) 105
ADPIC Accord sur les aspects des droits de proprieacuteteacute intellectuelle qui touchent au commerce (ADPIC en
anglais Agreement on Trade-Related Aspects of Intellectual Property Rights TRIPS) est un texte annexeacute agrave
lrsquoAccord instituant la OMC Il a pour but drsquointeacutegrer les droits de proprieacuteteacute intellectuelle (droits drsquoauteur marques
de fabrique ou de commerce brevets etc) dans le systegraveme OMC Pour les produits dont la qualiteacute la reacuteputation
ou drsquoautres caracteacuteristiques peuvent ecirctre deacutetermineacutees par son origine ils sont proteacutegeacutes au mecircme titre que les
autres formes de laquodroits de proprieacuteteacute intellectuelleraquo par Lrsquoarticle 22 qui deacutefinit un niveau standard de protection
srsquoapplique agrave tous les produits Il impose lrsquoobligation de proteacuteger les indications geacuteographiques afin de ne pas
induire le public en erreur et drsquoempecirccher la concurrence deacuteloyale Lrsquoarticle 23 preacutevoit un niveau de protection
plus eacuteleveacute ou renforceacute pour les indications geacuteographiques concernant les vins et les spiritueux Aux termes de
ces articles les IG sont proteacutegeacutees contre les pratiques deacuteloyales par exemple lorsqursquoun produit est fabriqueacute dans
une reacutegion autre que le lieu drsquoorigine deacutesigneacute ou lorsqursquoil ne preacutesente pas les mecircmes caracteacuteristiques et induit
par conseacutequent le consommateur en erreur (Source httpwwwwtoorgfrenchdocs_flegal_f27-
trips_01_fhtm page consulteacutee le 09122009)
145
lrsquoOMC montre agrave cet eacutegard que laquo la mention de la ldquoqualiteacuterdquo est formuleacutee de faccedilon diffeacuterente
et parfois plurielle dans les diverses deacutefinitions figurant dans les leacutegislations nationales On
trouve par exemple ldquoqualiteacute deacutetermineacuteerdquo ldquoqualiteacutes particuliegraveresrdquo ldquoqualiteacutesrdquo ldquoqualiteacute
speacutecifiquerdquo ldquocaracteacuteristiques speacuteciales en matiegravere de qualiteacuterdquo ldquoqualiteacute speacuteciale
exceptionnelle qui distingue le produit des produits geacuteneacuteriquesrdquo ldquoqualiteacute supeacuterieurerdquo et ldquode
premiegravere qualiteacuterdquo selon les normes speacutecifieacutees dans la loi pour le produit en question ou selon
les normes courantes dans le secteur drsquoactiviteacute en question raquo (OMC 2001 citeacute par OMPI
2003 p4)
Ces politiques sont par ailleurs soutenues par lrsquoOrganisation Mondiale de la Proprieacuteteacute
Intellectuelle (OMPI) ainsi que par la FAO et les accords de coopeacuteration europeacuteens (France
Italie Espagne plus particuliegraverement) visant lrsquointeacutegration de cet outil dans des strateacutegies
nationales de deacuteveloppement106
Dans cette perspective le Plan de Deacuteveloppement Rural
National Franccedilais (PDRN) a eacuteteacute eacutelaboreacute Le PDRN vise le deacuteveloppement des produits sous
les signes de la qualiteacute de la diversification de la vente et de la transformation agrave la ferme
Tous ceci dans le triple objectif drsquoaccroicirctre la valeur ajouteacutee des producteurs de reacutepondre agrave la
demande des consommateurs en matiegravere de qualiteacute et agrave certains eacutegards de seacutecuriteacute
alimentaire et drsquoameacuteliorer lrsquoenvironnement De plus une meilleure seacutecuriteacute passe par la mise
aux normes des installations et la mise en oeuvre de la traccedilabiliteacute dans les filiegraveres
(Tchekemian 2004)
Selon Tchekemian (2004) les deacutemarches de qualiteacute geacuteneacutereacutees ou aideacutees par ce programme ont
contribueacute agrave lrsquoameacutelioration de la valeur ajouteacutee au producteur surtout lorsqursquoelles sont
conduites dans un cadre collectif de production sous signe de qualiteacute Comme indiqueacute au
deacutebut de cette section la multifonctionnaliteacute agricole va de paire avec des politiques en
rupture avec celles des marcheacutes agricoles classiques appeleacutees agrave se restreindre pour aller vers
lrsquoincitation agrave des transformations qualitatives (Allaire Dupeuble 2002 citeacute par Allaire 2002
p161) Dans cette optique la neacutecessiteacute de mieux deacutefinir des eacuteleacutements de laquo qualiteacute
speacutecifique raquo pour que les commissions de controcircle de la qualiteacute fonctionnent est apparue Il a
106
La FAO a lanceacute en 2007 un programme sur la qualiteacute speacutecifique afin drsquoappuyer le deacuteveloppement de
deacutemarches de reconnaissance et de valorisation de la qualiteacute speacutecifique lieacutee agrave lrsquoorigine tant au niveau
institutionnel qursquoau niveau des producteurs adapteacutees au contexte eacuteconomique social et culturel speacutecifique
(Source wwwfoodquality-originorg) Au niveau national laquo ces strateacutegies sont diffeacuterentes selon les pays et
cela notamment en fonction des institutions engageacutees dans la mise en oeuvre de cet outil et dans un
apprentissage institutionnel Offices de la proprieacuteteacute intellectuelle Ministegraveres de lrsquoagriculture ou du
deacuteveloppement rural et les agences de recherche et drsquoappui au deacuteveloppement universiteacute (projets de recherche
et de deacuteveloppement) organisations entrepreneuriales et professionnelles syndicats et associations
paysanneshellip raquo (Allaire 2009 p54)
146
donc fallu eacutetablir plus preacuteciseacutement les paramegravetres de qualiteacute du produit comme le goucirct et la
texture ainsi qursquoecirctre plus preacutecis sur les conditions de production en preacutecisant par exemple les
aliments autoriseacutes ou interdits pour lrsquoalimentation des animaux
Apregraves une reconnaissance mutuelle des dispositifs nationaux de qualiteacute avec la creacuteation du
Marcheacute Unique en 1985 lrsquoEurope occidentale a mis en place dans les anneacutees 1990 plusieurs
reacuteglementations communautaires des signes de qualiteacute alimentaire (standards laquo bio raquo
deacutenominations utilisant lrsquoorigine geacuteographiquehellip) (Allaire 2002 Bastien 2003)
Concregravetement le droit europeacuteen deacutesigne deux principaux signes se reacutefeacuterant agrave lrsquoorigine
lrsquoAppellation drsquoOrigine Proteacutegeacutee (AOP) et lrsquoIndication Geacuteographique Proteacutegeacutee (IGP)
(encadreacute 1) Il faut noter que cette reacuteglementation europeacuteenne de la qualiteacute et de lrsquoorigine
srsquoinspire fortement du modegravele franccedilais drsquoAppellation drsquoOrigine Controcircleacutee (AOC)
Encadreacute 1 La reacuteglementation europeacuteenne de la qualiteacute et de lrsquoorigine
LrsquoAppellation drsquoOrigine Proteacutegeacutee est le nom drsquoune reacutegion drsquoun lieu deacutetermineacute qui sert agrave
deacutesigner un produit agricole ou une denreacutee alimentaire originaire de cette reacutegion de ce lieu
geacuteographique deacutetermineacute et dont la qualiteacute ou les caractegraveres particuliers sont dus
essentiellement ou exclusivement au milieu geacuteographique comprenant les facteurs naturels
et humains et dont la production la transformation et lrsquoeacutelaboration ont lieu dans lrsquoaire
geacuteographique deacutelimiteacutee ( lrsquoArrangement de Lisbonne)
LrsquoIndication Geacuteographique Proteacutegeacutee est le nom drsquoune reacutegion drsquoun lieu deacutetermineacute qui sert
agrave deacutesigner un produit agricole ou une denreacutee alimentaire originaire de cette reacutegion de ce
lieu geacuteographique deacutetermineacute et dont une qualiteacute deacutetermineacutee une reacuteputation ou une autre
caracteacuteristique peut ecirctre attribueacutee agrave cette origine geacuteographique et dont la production ou la
transformation ou lrsquoeacutelaboration ont lieu dans lrsquoaire geacuteographique deacutelimiteacutee Tel que deacutefini
par les aspects des droits de proprieacuteteacute intellectuelle qui touchent au commerce (ADPIC)
(article 221) de lrsquoOrganisation Mondiale du Commerce (OMC)
LrsquoAttestation de speacutecificiteacute constitue la reconnaissance par enregistrement drsquoun produit
ou drsquoune denreacutee alimentaire obtenu agrave partir de matiegraveres premiegraveres traditionnelles preacutesentant
une composition traditionnelle et correspondant agrave un mode de production ou de
transformation de type traditionnel
Source Extrait de Directives europeacuteennes Regraveglements 208192 et 208292107
C) Le modegravele drsquoAppellation drsquoOrigine Controcircleacutee (AOC)
LrsquoAppellation drsquoOrigine Controcircleacutee (AOC) est le modegravele le plus connu de la famille de
signaux drsquoorigine et preacutesente un grand inteacuterecirct theacuteorique et empirique En effet laquo The AOC is
particularly interesting to consider as a GI because it influenced the development of the
European Union Protected Designations of Origin (PDO) to the point that once an AOC is
awarded in France there is very little questioning of its legitimacy at the level of the EU Its
influence is also being extended to other parts of the world as countries increasingly request
107
Source httpeur-
lexeuropaeusmartapicgisga_docsmartapicelexdocprodCELEXnumdocampnumdoc=31992R2081ampmodel=le
xamplg=fr (page consulteacutee le 12092007)
147
assistance from the French government in adapting the system to their particular situationraquo
(Barham 2003 p131) LrsquoAOC exprime agrave la fois un produit une filiegravere et une deacutenomination
renvoyant agrave un espace geacuteographique bien limiteacutee Il fait appel agrave des ressources immateacuterielles
(savoir faire et confiance) et mateacuterielles ancreacutees dans le support geacuteographique terroir
paysage etc (Beacuterard et Marchenay 2008a)
Historiquement le concept drsquoAOC est neacute en France drsquoune volonteacute de proteacuteger les produits
deacutesigneacutes du nom de leur terroir pour eacuteviter les impostures se servant de la renommeacutee de ces
appellations (Torre et Valceschini 2002) Les vins108
et les fromages ont en effet depuis
longtemps porteacute le nom geacuteographique de la reacutegion dont ils provenaient Cette deacutenomination
veacuteritable authentification drsquoorigine allait faire le succegraves de ces produits et inciter agrave la
contrefaccedilon Afin de les proteacuteger une premiegravere loi (loi du 1081905) allait jeter les premiegraveres
bases du respect de lrsquoorigine vu qursquoelle preacutevoit de punir laquo quiconque aura trompeacute ou tenteacute
de tromper le contractant (hellip) sur lrsquoespegravece ou lrsquoorigine lorsque la deacutesignation de lrsquoespegravece ou
de lrsquoorigine faussement attribueacutee aux marchandises devra ecirctre consideacutereacutee comme la cause
principale de la vente raquo (Bastien 2003 p11) Lrsquoappellation drsquoorigine renvoie en geacuteneacuteral agrave la
laquo deacutenomination geacuteographique drsquoun pays drsquoune reacutegion ou drsquoune localiteacute servant agrave deacutesigner un
produit qui en est originaire et dont la qualiteacute ou les caractegraveres sont dus exclusivement ou
essentiellement au milieu geacuteographique comprenant les facteurs naturels et humains raquo
(OMPI 2003)
Le concept drsquoAOC srsquoest entendu deacutebut des anneacutees 1990 agrave lrsquoensemble des produits agricoles
ou alimentaires bruts ou transformeacutes reacutepondant strictement aux dispositions susviseacutees Ces
produits ne peuvent adopter le signe drsquoune AOC que srsquoils laquo possegravedent une notorieacuteteacute ducircment
eacutetablie et font lrsquoobjet drsquoune proceacutedure drsquoagreacutement raquo (Article L641-2 du Code Rural)
Chaque AOC est deacutefinie par deacutecret sur proposition de lrsquo lrsquoInstitut National des Appellations
drsquoOrigine (INAO) Le deacutecret deacutelimite lrsquoaire de production deacutetermine les conditions de
production et drsquoagreacutement du produit (Article L641-3 du Code Rural)109
Par ces diffeacuterents
Articles la volonteacute drsquoancrage drsquoun produit agrave un terroir passe par la deacutefinition drsquoune aire
geacuteographique bien deacutelimiteacutee ainsi que par la deacutemonstration de la laquo typiciteacute raquo de la
production Le produit deacutenommeacute doit ecirctre laquo unique (singulier et original) dans sa conception
108
Le dispositif des AOC est fortement marqueacute par les speacutecificiteacutes des produits agricoles qui ont servi agrave
lrsquoeacutelaboration de cette doctrine en premier lieu le vin Lrsquoexemple le plus ancien et probablement le plus connu est
celui des vins de Champagne (Barregravere 2000) 109
Source httpwwwagriculteursdefrancecomfrLexiqueaspThemePage=2ampRubrique=3ampidx=aampdef=6
(page consulteacutee le 12102009)
148
ainsi que le fruit de lrsquoexpeacuterience ancestrale et drsquoinvestissements intergeacuteneacuterationnels
(pratiques anciennes et ininterrompues) dont lrsquoeacutelaboration est fondeacutee sur des savoir-faire
professionnels et des usages locaux (pratique agrave laquelle se conforme une collectiviteacute) raquo (Torre
et Valceschini 2002 p5)
Il en reacutesulte que la philosophie du modegravele laquo AOC raquo est baseacutee sur la revalorisation de la
laquo tradition raquo et son atmosphegravere productive Le savoir speacutecifique des producteurs qui a pu ecirctre
recueilli laquo a eacuteteacute reacuteinterpreacuteteacute et les meacutethodes de production qui souvent restent laquo artisanales raquo
en reacutefeacuterence aux quantiteacutes traiteacutees ont eacuteteacute rationaliseacutees dans un processus continu
drsquoexpeacuterimentation et drsquoeacutevaluation des facteurs producteurs des qualiteacutes speacutecifiques raquo
(Allaire 1995b p 394) Cela sous-entend lrsquoimpossibiliteacute drsquoune reproduction agrave lrsquoidentique
ailleurs Sur le plan de la formation et la genegravese drsquoune AOC Delfosse et Letablier (1995)
mettent en eacutevidence des deux seacutequences suivantes la deacutefinition drsquoune action commune par
des acteurs localiseacutes et engageacutes dans une structure de coopeacuteration et en mecircme temps la
confrontation de lrsquoaccord local (lrsquoaction commune) avec des exigences plus geacuteneacuterales
(reacuteglementaires) en vue drsquoune reconnaissance qui vise agrave eacutetaler la porteacutee de lrsquoaccord La
qualification repose sur la reconnaissance de la notorieacuteteacute drsquoun couple produit-terroir qui selon
la loi implique lrsquoidentification drsquoun certain nombre de points-cleacutes caracteacuteristiques de leurs
liens associant des facteurs naturels et humains
Sur le plan eacutecologique il faut noter que la deacutelimitation geacuteographique des AOC est associeacutee agrave
la qualiteacute eacutecologique des agrosystegravemes puisque les pratiques qui deacutefinissent lrsquoappellation font
implicitement reacutefeacuterence agrave la production de biodiversiteacute (Beacuterard et al 2005) LrsquoINAO va plus
loin dans cette deacutemarche de preacuteservation de la biodiversiteacute dans le cadre de
lrsquoaccompagnement quotidien des appellations Parmi les eacuteleacutements controcircleacutes on trouve les
eacutevolutions dans les modes de conduites Ces derniers risquent en effet drsquoecirctre changeacutes en cas
du succegraves eacuteconomique du produit A ce titre lrsquoINAO souligne agrave propos de lrsquoAOC huile et
olives des Baux de Provence laquo Il y a eu des replantations et on peut srsquointerroger sur les
aides qui ont eacuteteacute apporteacutees et qui ont deacuteveloppeacute de nouveaux styles de plantation mais 90
du verger notamment dans la valleacutee des Baux est un verger ancien raquo (Roncin et Scheffer
2000 p65) La figure ci-dessous reacutesume le processus de qualification des produits
alimentaires selon le modegravele drsquoAOC Certes ce dernier est loin drsquoecirctre le modegravele agricole
dominant Neacuteanmoins il nous donne une ideacutee sur les dimensions immateacuterielles qui peuvent
contribuer agrave la deacutefinition de la qualiteacute drsquoun produit
149
Figure 6 Logique de qualification des appellations drsquoorigine controcircleacutee
Source Roncin et Scheffer (2000)
Comme le montre bien la figure 2 la reacutefeacuterence agrave des signes de qualiteacute la recherche de biens agrave
lrsquoorigine clairement identifieacutes lrsquoassociation entre un produit et un terroir ou mecircme lrsquoexigence
de garanties de traccedilabiliteacute autant de facteurs qui teacutemoignent drsquoune prise en compte accrue de
la variable spatiale dans les preacutefeacuterences des agents eacuteconomiques (Torre 2000b) La
deacutelimitation spatiale preacutecise drsquoun espace geacuteographique qui discrimine les beacuteneacuteficiaires du
signe drsquoorigine et les autres (Pecqueur 2001)
Cependant le modegravele drsquoAOC preacutesente le risque drsquoune standardisation des savoirs et des
meacutethodes de production Le domaine drsquoapplication du concept drsquoorigine au sens de lrsquoAOC est
ainsi restreint (Delfosse 2006 Torre 2002 Torre et Valceschini 2002) Crsquoest peut ecirctre lrsquoune
des raisons qui expliquent la diversification des caracteacuteristiques drsquoorigine par la leacutegislation
franccedilaise et europeacuteenne (Agriculture Biologique AOP Certification de conformiteacute IGA
Label etc) Une diversification qui permet le deacuteveloppement de ces diffeacuterentes
deacutenominations notamment dans la partie Nord de la Meacutediterraneacutee
150
D) Le deacuteveloppement des Indications geacuteographiques dans le monde
Le deacuteveloppement des produits deacutenommeacutes est tregraves variable dans le temps et dans lrsquoespace Ce
sont cependant geacuteneacuteralement les produits des pays meacutediterraneacutes qui font le plus lrsquoobjet drsquoune
indication drsquoorigine Crsquoest le cas de figure des pays du Sud de lrsquoEurope sont particuliegraverement
concerneacutes par les enjeux que repreacutesentent les produits alimentaires de qualiteacute speacutecifiques
(AOP IGP) Le graphique ci-apregraves nous montre cet aspect
Graphique 10 Nombre des AOP et IGP enregistreacutes en Europe (Octobre 2007)
Source FAO (2008b)
Plus reacutecemment sur 1007 produits enregistreacutes en AOP IGP et STG110
en deacutecembre 2010 dans
lrsquoUnion Europeacuteenne (UE) 79 proviennent des pays meacutediterraneacuteens avec une large majoriteacute
en provenance de la France et de lrsquoItalie Pour lrsquoUE agrave 25 le marcheacute total des produits agrave IG
(AOP IGP) repreacutesentait en 2007 plus de 14 milliards drsquoeuros Ce marcheacute est tregraves concentreacute sur
les 5 pays meacutediterraneacuteens de lrsquoUE Son taux de croissance est eacuteleveacute plus de 5 par an sur la
peacuteriode 2000-2004 alors que les deacutepenses alimentaires sont en moyenne agrave 1 Les indications
geacuteographiques faisaient vivre 138 000 exploitants agricoles en France et 300 000 personnes en
110
STG (Speacutecialiteacute Traditionnelle Garantie) met en valeur la composition traditionnelle drsquoun produit ou son
mode de production traditionnel
(Source httpeuropaeulegislation_summariesagriculturefoodl66043_frhtm page consulteacutee le 09072001)
151
Italie en 2004111
Le tableau suivant dresse un reacutecapitulatif sur les diffeacuterents secteurs de
production concerneacutes par les AOP-IGP enregistreacutees
Tableau 5 Reacutecapitulations des AOP-IGP enregistreacutees par secteurs de production en deacutecembre 2009
Etats Viandes
Volailles
Fromages Fruits et
Leacutegumes
Produits de
la mer
Huiles et
MG
Charcuteries et
Salaisons
Allemagne 3 4 7 3 1 8
Espagne 14 23 35 3 22 10
France 53 45 33 3 9 4
Gregravece 0 20 33 1 16 0
Italie 4 35 60 3 38 30
Portugal 27 11 24 0 7 36
Royaume-Uni 8 12 1 3 0 1
Total des 7
Etats membres
109 150 193 16 93 89
Total tous
Etats membres
132 171 206 19 107 96
Source SOCOPAG (2009)112
Il en reacutesulte que le premier secteur tous Etats membres de lrsquoUE confondus est celui des fruits et
leacutegumes avec 206 AOP-IGP enregistreacutees en raison de la volonteacute de ses acteurs agrave mettre en avant
la traccedilabiliteacute le mode de production ou encore la maturiteacute optimale des produits dans ce secteur
ougrave lrsquooffre est traditionnellement peu diffeacuterencieacutee (Blanchemanche et Valceschini 2005)
LrsquoItalie y fait figure de champion avec 60 produits Les fromages arrivent deuxiegraveme avec un
total de 171 produits Lrsquoancienneteacute le lien au terroir la renommeacutee le savoir-faire comptent et
repreacutesentent les critegraveres fondamentaux de lrsquoAOP La France est en tecircte de la liste avec 45
produits La troisiegraveme place revient aux viandes et volailles avec 132 produits enregistreacutes Les 7
premiers pays producteurs en comptent 109 La France deacutetient agrave elle seule 53 IG enregistreacutees
dont 33 pour le secteur de la volaille Le secteur des huiles et matiegraveres grasses (MG) recouvre
principalement les huiles drsquoolives et le beurre Avec le fromage ce secteur rassemble le plus
drsquoAOP LrsquoItalie arrive en premiegravere place uniquement en huiles drsquoolive avec 37 AOP et 1 IGP
LrsquoEspagne premier producteur drsquohuile drsquoolive arrive en seconde position avec 20 produits
huiles drsquoolive et 2 beurres tous enregistreacutes en AOP La Gregravece avec ses 11 IGP et 9 AOP huiles
drsquoolive inverse la tendance et reste le seul pays agrave deacutetenir autant drsquoIGP dans ce secteur
111
Tous ces chiffres sont tireacutes de la Base de Donneacutees DOOR httpeceuropaeu (page consulteacutee le
09072001) 112
Source httpwwwsocopagfrindexphpoption=com_contentampview=articleampid=369aop-igp-enregistrees-
par-secteursampcatid=25produitsampItemid=95 (page consulteacutee le 12072011)
152
Concernant les pays du Sud de la meacutediterraneacutee ils sont nettement en retrait Ces pays par
manque de dispositifs institutionnels leur permettant drsquoasseoir le statut de leurs biens font appel
aux experts de lrsquoUnion Europeacuteenne afin de mettre en place un systegraveme de protection Le Maroc
par exemple mecircme srsquoil a mis en place un dispositif inteacuterieur pour proteacuteger les produits reacuteputeacutes
comme lrsquoArgan nrsquoa pas fait de deacutemarche drsquoinscription des produits sur le registre de lrsquoUnion
Europeacuteenne113
(Ilbert et Rastoin 2010) Le Maroc nrsquoa toutefois pas meacutenageacute ses efforts pour
adapter sa leacutegislation en matiegravere de proprieacuteteacute intellectuelle avec les prescriptions de lrsquoAccord
sur les ADPIC et pour srsquoacquitter de ses obligations dans ce domaine Eu eacutegard agrave lrsquoarsenal
juridique en vigueur au niveau national et qui vient drsquoecirctre amendeacute en 2006 dans le domaine de
la proprieacuteteacute industrielle et enrichi en 2008 par une loi sur les signes distinctifs drsquoorigine et de
qualiteacute Le Maroc est favorable agrave ce que les neacutegociations du Cycle de Doha aboutissent agrave
(OMC 2009)
Lrsquoextension de la protection additionnelle des Indications geacuteographiques (IG) agrave des
produits autres que les vins et spiritueux
Lrsquoeacutetablissement drsquoun registre multilateacuteral de protection des IG dont les effets
juridiques seraient contraignants pour tous les Membres de lrsquoOMC
Le renforcement de la relation entre lrsquoAccord sur les ADPIC et la Convention sur la
diversiteacute biologique sachant que le Maroc est le deuxiegraveme pays le plus riche en
termes de biodiversiteacute dans le pourtour meacutediterraneacuteen
De mecircme la Tunisie lrsquoEgypte et lrsquoAlgeacuterie ont des dispositifs nationaux Cependant les
deacutemarches de valorisation par les indications geacuteographiques ne se mettent en place que depuis
deux ou trois ans Les autres pays notamment les moins avanceacutes sont nettement en retrait et
ne peuvent pas offrir de protection efficace par les indications geacuteographiques sur leurs
territoires (Ilbert et Rastoin 2010) Cependant les PMA peuvent beacuteneacuteficient drsquoaide technique
pour mettre en place un systegraveme de protection du fait que lrsquoextension de la protection de
lrsquoindication geacuteographique drsquoorigine aux membres de lrsquoOMC a eacuteteacute incluse dans la deacuteclaration
de la Confeacuterence de Doha114
Cela permettra de garantir le maintien de la qualiteacute des denreacutees
113
Parmi les dossiers des pays tiers qui ont fait lrsquoobjet de lrsquoenregistrement le cafeacute de Colombie en IGP 3 sont
en publications pour opposition le riz thaiuml 29062010 (IGP) les pacirctes alimentaires chinoises 20022010 (IGP)
le theacute Darjeeling indien 141009 (IGP) 13 sont en examen 2 dossiers thaiumllandais en IGP (cafeacutes) 1 vietnamien
en AOP (poissons mollusques) 1 indien en IGP (theacute) 9 chinois (7 en AOP et 2 en IGP) A noter que parmi les
dossiers des pays tiers le Gruyegravere suisse est en examen depuis le 16072007 Crsquoest le seul produit suisse agrave ecirctre
passeacute par cette voie (Source Base de Donneacutees DOOR httpeceuropaeu (page consulteacutee le 09072001) 114
LrsquoAccord ne preacutevoit que le transfert de technologie vers les PMA en matiegravere en ce qui concerne la mise en
œuvre des lois et reacuteglementations au plan inteacuterieur avec un maximum de flexibiliteacute En outre lrsquoAccord accordait
153
traditionnelles dans ces pays En parallegravele cela permettrait de deacutecourager la fraude tout en
renforcer la valeur de prestige dont le manque est une des raisons pour lesquelles les
populations indigegravenes les deacutelaissent pour se tourner vers des produits alimentaires de style
occidental plus attrayants
Les dispositions publiques leacutegales ne sont geacuteneacuteralement pas toujours reacuteellement en usage Il
existe une preacuteoccupation et une implication croissante des politiques publiques dans le but de
proteacuteger de reacuteglementer de renforcer les initiatives locales autour de la reconnaissance de
produits en rapport avec une origine et de favoriser lrsquoancrage territorial de la production Il
apparaicirct clairement qursquoun ensemble diversifieacute drsquoinstruments de politique publique est utiliseacute agrave
cette fin par les gouvernements et les acteurs professionnels et ce agrave diffeacuterents niveaux
(mondial reacutegional national et local)115
Ce genre de politique selon le Siner-gi116
ne cesse de
croicirctre et de nombreux processus de deacutefinition et de mise en place des IG sont actuellement en
cours en Asie en Ameacuterique du Nord et du Sud et dans une moindre mesure en Afrique
Globalement les difficulteacutes rencontreacutees dans la mise en place des IG sont drsquoabord drsquoordre
institutionnelle lrsquoabsence drsquoorganisme de certification national ou le manque dans la mise en
oeuvre des proceacutedures la faiblesse de coordination entre office de la proprieacuteteacute intellectuelle
et Ministegravere de agriculture Elles sont eacutegalement drsquoordre technique lrsquoheacuteteacuterogeacuteneacuteiteacute des
attributs de qualiteacute speacutecifique les difficulteacutes drsquoappropriation du concept IG Par ailleurs la
deacutemarche de la mise en place des IG neacutecessite une implication collective de plusieurs acteurs
ce qui nrsquoest pas toujours facile agrave reacutealiser en raison de la divergence de leur inteacuterecirct Enfin la
difficulteacute peut venir du manque drsquointeacuterecirct des consommateurs pour les produits laquo terroir raquo
agrave ces pays un deacutelai de dix ans agrave partir de 1995 pour appliquer lrsquoensemble des obligations en deacutecoulant La
peacuteriode de transition pouvait ecirctre prorogeacutee en reacuteponse agrave une demande speacutecifique et en 2005 le Conseil des
ADPIC a deacutecideacute de la proroger jusqursquoen 2013 Lorsqursquoil a approuveacute la prorogation le Conseil des ADPIC a
aussi eacutetabli un processus visant agrave renforcer les aides techniques aux pays les moins avanceacutes agrave mettre en œuvre
lrsquoAccord sur les ADPIC dans le cadre de leur reacutegime national de proprieacuteteacute intellectuelle Il faut noter dans ce
cadre le rocircle deacutecisif pendant la neacutegociation du Protocole portant amendement de lrsquoAccord sur les ADPIC de
lrsquoInde pour aboutir agrave un accord final LrsquoInde est le chef de file drsquoun groupe de pays en deacuteveloppement qui visent
une meilleure relation entre lrsquoAccord de lrsquoOMC sur les droits de proprieacuteteacute intellectuelle (Accord sur les ADPIC)
et la Convention sur la biodiversiteacute Elle promeut aussi activement lrsquoextension de la protection des indications
geacuteographiques (IG) agrave bon nombre de produits cultiveacutes en Inde comme le theacute de Darjeeling le riz basmati ou les
mangues Alfonso (Source httpwwwwtoorgfrenchtratop_ftrips_fldc_fhtm page consulteacutee le 19102010) 115
Il nrsquoest donc plus possible de dire que la question des IG est un sujet europeacuteo-centreacute ou une reacutealiteacute limiteacutee agrave
lrsquoEurope et qursquoelle concerne en premier lieu un vieux diffeacuterend doctrinaire entre les Eacutetats-unis et Europe sur la
proprieacuteteacute intellectuelle (Allaire 2009) 116
Strengthening International Research on Geographical Indications (SINER-GI) est un projet de recherche et
un reacuteseau financeacute par lrsquoUnion europeacuteenne Lrsquoobjectif du projet SINER-GI est de construire et partager une base
mondiale et scientifique de connaissances coheacuterentes sur les conditions eacuteconomiques juridiques
institutionnelles et socioculturelles de reacuteussite des indications geacuteographiques SINER-GI se base sur un reacuteseau
mondial de contributions de la part de nombreux chercheurs chercheurs associeacutes et eacutetudes de cas (Allaire 2009)
154
etou de la domination des marques commerciales faisant allusion agrave lrsquoorigine geacuteographique
Ce dernier point est drsquoune grande importance puisque sans une demande effective la
durabiliteacute du processus de qualification des produits alimentaires lieacutee au territoire est
forcement remise en question
122 La relation entre la demande alimentaire et la filiegravere agricole et agroalimentaire
quelle eacutevolution
Apregraves cet exposeacute sur les diffeacuterentes transformations que connaicirct lrsquooffre alimentaire il est
temps de srsquointerroger sur le rocircle qursquoa joueacute lrsquoeacutevolution de la demande alimentaire117
Notre
objectif nrsquoest cependant pas drsquoembrasser lrsquohistoire complegravete du fait alimentaire Il srsquoagit drsquoen
eacutetudier le deacuteveloppement sous lrsquoangle de ses rapports avec la dynamique de la filiegravere agricole
et agroalimentaire en cherchant agrave comprendre comment dans leur configuration successive la
demande alimentaire est le reacutesultat drsquoun processus eacuteconomique et social complexe qui entre
contraintes et opportuniteacutes srsquoefforce drsquoapporter une reacuteponse adapteacutee et coheacuterente aux
transformations de lrsquooffre alimentaire (figure 7) Nous allons aborder essentiellement deux
point le premier concerne le passage de la consommation de neacutecessiteacutee agrave une consommation
de masse Tandis que le deuxiegraveme eacutevoquera un autre passage de la demande de la sucircreteacute
alimentaire agrave la demande de la qualiteacute speacutecifique
Figure 7 La relation reacuteciproque entre lrsquooffre et la demande alimentaires
Source auteur
117
En geacuteneacuteral la demande eacutetait prise en consideacuteration de faccedilon insuffisante dans les analyses qursquoelle eacutetait le laquo
parent pauvre raquo de lrsquoeacuteconomie (Requier-Dejardins 1989) qursquoelle eacutetait laquo neacutegligeacutee raquo Quelques-uns avaient
pourtant introduit la demande dans leur analyse (Timmer et al 1983 citeacute par Richard 1992 p795) Pour autant
le rocircle de la demande dans la dynamique eacuteconomique est tregraves important En France la consommation des
meacutenages repreacutesente deux tiers du PIB et particuliegraverement en peacuteriode de crise des investissements elle constitue
le moteur essentiel de la croissance (INSEE 2009)
Offre alimentaire
- Agricole
- Agroalimentaire
Demande alimentaire
- Comportement des
consommateurs
- Distribution
Causaliteacute
circulaire
155
A) De la consommation-neacutecessiteacute agrave la consommation de masse
Un modegravele de consommation alimentaire (MCA) est laquo caracteacuteriseacute le plus souvent par un
aliment laquo central raquo autour duquel srsquoordonne le repas lrsquoimportance relative des diffeacuterentes
cateacutegories drsquoaliments et leur degreacute drsquoeacutelaboration (produits agricoles ou agro-industriels)
deacutefinissent le reacutegime alimentaire raquo (Malassis 1979 p19) Le reacutegime alimentaire eacutetait baseacute
dans lrsquoacircge Preacute-Agricole sur la cueillette la chasse et la pecircche Les hommes preacutelevaient ses
aliments dans son environnement veacutegeacutetal et animal crsquoest-agrave-dire sur les eacutecosystegravemes naturels
Ce nrsquoest qursquoau cours de la peacuteriode neacuteolithique (9000-7000 av J-C) qursquoils se transformaient
en fermiers Selon Malassis (1996) cette peacuteriode agricole eacutetait caracteacuteriseacutee par trois traits
fondamentaux En premier lieu le passage de lrsquohomme du stade de preacutedateur agrave celui de
producteur Celui-ci a substitueacute aux eacutecosystegravemes naturels des agro-systegravemes et a artificialiseacute
les milieux et les produits En deuxiegraveme lieu lrsquoorganisation de la consommation au sein
drsquouniteacutes domestiques qui sont le plus souvent agrave la fois des uniteacutes de production et de
consommation Crsquoest la peacuteriode de lrsquoaliment agricole En troisiegraveme et dernier lieu lrsquoauto-
consommation est fortement preacutedominante 70 agrave 80 de la population est agricole et
lrsquoagriculture est la source principale de la richesse des royaumes
Ces traits ont eacuteteacute bouleverseacutes par lrsquoarriveacutee de la reacutevolution industrielle du XVIIIe siegravecle (lrsquoacircge
Agro-industriel) Cette derniegravere substitua le modegravele de consommation alimentaire de la
peacuteriode agricole agrave un autre deacutenommeacute la consommation de masse Le deacuteveloppement
industriel eut en effet des conseacutequences majeures sur lrsquoagriculture et lrsquoalimentation Il entraicircna
des complexes urbano-industriels le deacuteveloppement de lrsquoeacuteconomie alimentaire marchande la
commercialisation de lrsquoagriculture et par conseacutequent lrsquoeffondrement de lrsquoautoconsommation
(Gervaise 1994 Malassis 1996) La reacutevolution industrielle a ainsi permis
Le deacuteveloppement des transports terrestres et maritimes qui avec lrsquousage du froid
(transports frigorifiques) rendit possible le transport agrave grande distance de produits
pondeacutereux et peacuterissables ainsi que la creacuteation de grands marcheacutes nationaux puis
internationaux Il en reacutesulta la speacutecialisation reacutegionale de lrsquoagriculture et la division
internationale du travail agricole
La distribution de lrsquoessentiel des gains de productiviteacute aux salarieacutes entraicircnant une
croissance remarquable des revenus et donc une augmentation sensible de la part de
lrsquoalimentation (en termes de valeur absolue) Srsquoil srsquoavegravere vrai que selon la loi
156
drsquoEngel118
la part cette derniegravere baisse dans les budgets des meacutenages il nrsquoen reste
que lrsquoalimentation srsquoameacuteliore les reacutegimes alimentaires eacutevoluent
Plus directement lrsquoindustrie participa de plus en plus agrave la production des denreacutees
alimentaires Lrsquoindustrie se substitua drsquoabord agrave lrsquoagriculture pour la transformation
des produits agricoles (par exemple le beurre dit industriel se substitua au beurre
fermier) puis aux activiteacutes domestiques par la production drsquoaliments services
(aliment precirct agrave cuire preacute-cuit cuisineacute) et servis (deacuteveloppement de la restauration)
Lrsquoobjectif est de fournir des produits bon marcheacute et nutritionnellement adapteacutes aux
besoins de la socieacuteteacute (Malassis 1979)
La participation de lrsquoindustrie se manifeste encore par les productions de bien
drsquoeacutequipement et intermeacutediaires pour toute la chaicircne drsquoactiviteacutes alimentaires y
compris pour les meacutenages (congeacutelateur micro-onde hellip)
La consommation de masse est consideacutereacutee comme lrsquoeacutetape finale de la croissance
occidentale119
(Rostow 1997) A ce stade la quasi-totaliteacute de la population peut acceacuteder
simultaneacutement aux nouveaux produits Cette situation ne signifie toutefois pas une
consommation eacutegalitaire pour toutes les couches de la socieacuteteacute et donc une eacutelimination totale
de la pauvreteacute ainsi que de la sous consommation Par ailleurs les transformations des
conditions sociales des plusieurs cateacutegories de la population ont contribueacute agrave la geacuteneacuteralisation
de ce modegravele de consommation voire son uniformatisation Dans ce contexte nous pouvons
citer en particulier les rocircles joueacutes par la croissance de lrsquourbanisation la salarisation
croissante lrsquoeacuteleacutevation du revenu national reacuteel moyen par tecircte la modification des conditions
de travail et de loisirs (le travail des femmes le droit des vacanceshellip) changement de mode
de vie (restauration hors domicilehellip) ainsi que le deacuteveloppement des medias et du marketing
(journaux gratuit radio teacuteleacutevision Internethellip) Ce dernier point se deacuteroule avec lrsquoeacutemergence
drsquoune norme de consommation favorable au deacuteveloppement de la consommation de masse
dont teacutemoigne agrave titre drsquoexemple lrsquoeacutevolution de lrsquoindice des prix franccedilais qui passe de 34
articles en 1946 agrave 295 en 1970 (Nicolas et Valceschini 1993 Daumas 2006)
118
La loi drsquoEngel signifie que plus le revenu srsquoaccroicirct moins la part consacreacutee aux besoins primaires est
importante contrairement agrave la part consacreacutee aux besoins sociaux et secondaires 119
Crsquoest la raison pour laquelle notre analyse ici se limite aux pays occidentaux dans la mesure ougrave les autres
pays (PMA PD ex-socialiste) nrsquoont pas connu ce pheacutenomegravene (la consommation de masse) qursquoagrave partir des
anneacutees 1990 (agrave lrsquoexception des pays de Golf) En plus lrsquoanalyse ce pheacutenomegravene dans ces pays est tregraves complexe
en raison de la cohabitation de plusieurs reacutegimes alimentaires rattacheacutes aux divers peacuteriodes historiques de
consommation (la cueillette lrsquoagriculture de subsistance la production ou lrsquoimportation de produits agro-
industriels) Cette situation trouve ses raisons dans la colonisation et lrsquoimportation des modegraveles de
consommation occidentales (FAO 2007)
157
Par ailleurs la reacutevolution industrielle nrsquoa pas seulement entraicircneacute la croissance de ce modegravele
Elle lrsquoa eacutegalement eacutetendu au secteur tertiaire120
Effectivement laquo lrsquoeacutecoulement des produits
dans le cadre drsquoune eacuteconomie fordienne fondeacutee sur lrsquoarticulation de la production de masse
et de la consommation de masse raquo (Moati 2001 p12) appelle une reacutevolution commerciale
qui a pour objectif de vendre en masse en eacuteconomisant les frais de commercialisation Le
deacuteveloppement de la grande surface alimentaire (GSA) en est le reflet parfait Au moment ougrave
la consommation de masse prend son essor on voit se cristalliser le modegravele de lrsquohypermarcheacute
comme lrsquoaboutissement de la reacutevolution commerciale des Trente Glorieuses (Daumas 200)
Ces grandes distributions sont consideacutereacutees comme laquo la vitrine permanente et la laquo tentation
organiseacutee raquo de la consommation situeacute le plus souvent dans la peacuteripheacuterie urbaine facile
drsquoaccegraves disposant drsquoun parc important de stationnement il est accessible aux urbains et
ruraux motoriseacutes (hellip) Les ldquohypermarcheacutesrdquo sont les catheacutedrales de la socieacuteteacute de
consommation de masse raquo (Malassis 1979 p102)
Toutefois la croissance du modegravele de consommation de masse des aliments srsquoest ralentie la
fin des anneacutees 1970 et plus particuliegraverement dans la peacuteriode des anneacutees 1980 Cela est le
reacutesultat drsquoau moins trois facteurs
Le premier facteur concerne lrsquoeacutepuisement du modegravele fordisme qui se traduisait par le
chocircmage de masse et donc par une baisse sensible des revenus Les couches les plus modestes
ont par conseacutequent perdu leur pouvoir drsquoachat et ont de plus en plus recouru agrave lrsquoachat des
biens alimentaires (trop gras etou trop sucreacute) de bas prix ainsi qursquoagrave des structures de
solidariteacute (restaurant de cœur la Banque alimentairehellip) Crsquoest le cas de figure de la France
dont la progression du rythme de croissance de la consommation srsquoest vue ralentie (43 en
1963-1973 34 en 1973-1979 14 en 1979-1985) Cette tendance srsquoaccompagne drsquoune
ample modification de la structure de la consommation des meacutenages qui voit reacutegresser
sensiblement la part de lrsquoalimentation (de 18 en 1970 agrave 131 en 1990) et de lrsquohabillement
(de 81 agrave 54 ) mais aussi des biens drsquoeacutequipement du foyer (de 73 agrave 56 ) Au contraire la
part de la santeacute de la culture et des loisirs progresse (de 89 agrave 97) tout comme celle des
communications (de 06 agrave 15) et des transports (de 104 agrave 126 ) (Daumas 2006)
120
Le secteur tertiaire repreacutesente deacutejagrave plus de 50 des actifs aux EU au deacutebut des anneacutees cinquante il atteindra
ce chiffre dans la majoriteacute des pays europeacuteens au deacutebut des anneacutees 1970 (Gervaise 1994)
158
Le deuxiegraveme facteur est lieacute agrave la remise en question de la socieacuteteacute de consommation Nous
pouvons citer les mouvements de la fin des anneacutees 1970 qui contestent la domination de la
moderniteacute (exp laquo hippies raquo avec la volonteacute de retour agrave des modes de vie sans techniciteacutehellip)
Le troisiegraveme facteur est le plus important dans la mesure ougrave il eacutevoque lrsquoeacutemergence du
consumeacuterisme121
en matiegravere drsquoalimentation et dont le but a eacuteteacute la lutte contre la baisse de
niveau calorique conseilleacute (2900 calories) ainsi que les excegraves de nourriture notamment de
graisse et de sucre Le sous-directeur geacuteneacuteral de la FAO a deacuteclareacute le 151010 dans une
interview sur Euronews122
que 16 de la population mondiale est mal-nourrie Il srsquoagit de
maladies drsquoorigine alimentaire qursquoont eacutevoqueacute plus haut conseacutequence drsquoune contamination
(microbiologique virale chimique physique) ou drsquoune composition (excegraves ou carence drsquoun
eacuteleacutement nutritif) Srsquoajoute agrave cela le risque drsquoune eacutepideacutemie causeacutee directement ou
indirectement par les anomalies de la production agricole Comme il a eacuteteacute susmentionneacute le
monde alimentaire est souvent secoueacute par des crises sanitaires lieacutees aux aliments (pex Huile
de colza contamineacute agrave lrsquoaniline 1 000 morts Espagne Listeria dans la charcuterie 63 morts
France la vache folle les grippeshellip)123
Ces diffeacuterentes crises sont globalement le reacutesultat drsquoune industrialisation massive de
lrsquoagriculture Crsquoest le cas par exemple de la souche mortelle H5N1 de la grippe aviaire (63
pays ou territoires ont eacuteteacute notifieacute des infections chez des oiseaux sauvages ou drsquoeacutelevage) qui
eacutetait essentiellement un problegraveme de pratiques drsquoeacutelevage de volaille industrielles selon Grain
121
Mouvement socieacutetal eacutemergeacute au milieu des anneacutees 1970 avec un objectif collectif lutter contre les abus de la
socieacuteteacute de consommation Concernant les produits agricoles ce mouvement vise que ces produits devraient
porter les informations approprieacutees pour garantir que les renseignements exacts et accessibles sont donneacutes agrave
lrsquoopeacuterateur tout au long de la chaicircne pour lui permettre de preacutesenter et stocker le produit en toute seacutecuriteacute et que
le lot peut ecirctre facilement identifieacute et renvoyeacute agrave lrsquousine au besoin Par ailleurs le consommateur devrait ecirctre
suffisamment informeacute en matiegravere drsquohygiegravene alimentaire et de seacutecuriteacute du produit pour ecirctre en mesure de
comprendre lrsquoimportance des renseignements figurant sur les produits faire le choix judicieux et adapteacute agrave leur
situation individuelle empecirccher la contamination et la prolifeacuteration ou survie de pathogegravenes drsquoorigine
alimentaire ou autres en assurant de bonnes conditions drsquoentreposage de preacuteparation et drsquoutilisation (la charte de
lrsquoAssociation Marocaine de Protection et drsquoOrientation du Consommateur wwwampocma page consulteacutee le
27022010) 122
Source httpfreuronewsnet2010101516-pourcent-de-la-population-mondiale-souffre-de-malnutrition
(page consulteacutee le 11062011) 123
Crsquoest agrave partir des ce type de crises alimentaires notamment celle de la vache folle (1996) que la notion de
seacutecuriteacute alimentaire laquoquantitative raquo qui a marqueacute pendant des deacutecennies les travaux et les deacutebats au sein de la
FAO et inspireacute certaines politiques agricole srsquoeacutelargie pour inteacutegrer une dimension qualitative Certains (Rastion
2008) preacutefegravere parler de la laquo sucircreteacute alimentaire raquo avec la deacutefinition suivante eacutetat caracteacuterisant un pays capable
drsquoassurer une alimentation saine (non inductrice de pathologies) agrave sa population Cette approche laquopostmoderne raquo
est plus large que celle qui preacutevalait agrave la suite des accidents alimentaires des anneacutees 1990 Elle integravegre en effet
outre la sous-alimentation et les diverses contaminations drsquoorigine microbiologique chimique ou physique les
risques lieacutes aux produits anormalement chargeacutes en sucre sel ou lipides et agrave une alimentation deacuteseacutequilibreacutee
(quantitativement et qualitativement) et renvoie donc MCA
159
(2006) Son eacutepicentre se trouvait dans les fermes industrielles notamment de Chine et drsquoAsie
du sud-est124 Il srsquoagit des multinationales drsquoeacutelevage avicoles extrecircmement automatiseacutees qui
envoient ses produits et ses deacutechets issus de ses eacutelevages autour du monde par une multitude
de canaux (pex les oiseaux sauvages qui peuvent transporter la maladie au moins sur de
courtes distances)
Alors que le monde alimentaire srsquoattendait agrave des mesures contraignantes vis-agrave-vis de ces
pratiques industrielles crsquoest le contraire qui se produisait Pour les Etats et les organismes
internationaux (OMS FAO) et en se basant sur des hypothegraveses erroneacutees sur la maniegravere dont
ce virus se reacutepand et srsquoamplifie ce sont les petits eacuteleveurs de volaille qui ont eacuteteacute deacutesigneacutes
responsables de cette situation125
Ceux-ci les ont obligeacutes agrave confiner leur eacutelevage autrement dit
agrave une plus grande industrialisation du secteur Dans la pratique ce sont ces petits eacuteleveurs de
volaille la diversiteacute biologique ainsi que la seacutecuriteacute alimentaire locale qui se seraient
menaceacutes La fin de lrsquoaviculture agrave petite eacutechelle signifiait tout simplement la fin drsquoune
activiteacute qui fournit la nourriture et les moyens drsquoexistence agrave des centaines de millions de
familles agrave travers le monde (FAO 2008a)
Apregraves cinq ans drsquoapplication drsquoune strateacutegie internationale active contre les pandeacutemies de
grippe piloteacutee par lrsquoOMC et lrsquoOrganisation mondiale de la santeacute animale (OIE) le monde est
sous les coups drsquoun nouveau deacutesastre la grippe porcine (H1H1) La mecircme situation qursquoavec
la grippe aviaire se produit lrsquoespace surpeupleacute et les conditions insalubres qui regravegnent dans
les eacutelevages permettent au virus de se recombiner et de prendre de nouvelles formes tregraves
aiseacutement (PPLPI 2007) 126
En ce sens plusieurs experts (Mary et al 2006127
Wuethrich
124
La transformation de la production de volaille en Asie ces derniegraveres deacutecennies est stupeacutefiante Dans les pays
drsquoAsie du sud-est ougrave la plupart des cas de grippe aviaire sont concentreacutes (la Thaiumllande lrsquoIndoneacutesie et le
VietNam) la production a eacuteteacute multiplieacutee par 8 en seulement 30 ans passant drsquoenviron 300 000 tonnes de viande
de poulet en 1971 agrave 2 440 000 tonnes en 2001 La production de poulet de la Chine a tripleacute pendant les anneacutees 90
pour passer agrave plus de 9 millions de tonnes par an Pratiquement toute cette nouvelle production de volaille a eacuteteacute
produite dans des fermes industrielles concentreacutees agrave lrsquoexteacuterieur des villes principales et inteacutegreacutees dans les
systegravemes de production transnationaux Crsquoest lrsquoendroit de reproduction ideacuteal pour les souches hautement
pathogegravenes de la grippe aviaire (comme la souche H5N1 menaccedilant drsquoeacuteclater en pandeacutemie de grippe humaine)
(Grain 2006) 125
Ce sont ce type de deacutecisions qui renforce la meacutefiance des consommateurs agrave lrsquoeacutegard de tout discours eacutemanant
des institutions Cette attitude srsquoinscrit dans le cadre traditionnel de deacutefiance envers les professionnels mais elle
ajoute agrave cette dimension une perte eacutevidente de creacutedibiliteacute des instances nationales et internationales lieacutee plus
speacutecialement aux diverses crises sanitaires qui ont largement entameacute la creacutedibiliteacute des discours institutionnels
depuis 1986 (Chatel 2003) 126
PPLPI Pro-poor Livestock Policy Initiative ldquoIndustrial Livestock Production and Global Health Risksrdquo
FAO 2007 httpwwwfaoorgagagainfoprogrammesenpplpidocarcpb_hpaiindustrialriskshtml (page
consulteacutee le 15062011)
160
2003) ont mis en garde les autoriteacutes publiques contre le risque du deacuteveloppement des grandes
uniteacutes industrielles drsquoeacutelevage Car les eacutelevages fortement concentreacutes ont tendance agrave
rassembler drsquoimportants groupes drsquoanimaux sur une surface reacuteduite ils facilitent la
transmission et le meacutelange des virus expliquaient des scientifiques de lrsquoagence nationale des
instituts de santeacute publique ameacutericaine (NIH)
Il semble que crsquoest lrsquoindustrialisation de lrsquoalimentation qui est venue bouleverser des repegraveres
seacuteculaires (avec de nouveaux produits de nouveaux modes de restauration) et en parallegravele
augmenter lrsquoangoisse du mangeur Cette eacutevolution a preacutepareacute un terrain propice pour des crises
drsquoune grande ampleur (Rastoin 2008) Fischler (2001) reacutesume bien cette situation pour lui
laquo lrsquoacte alimentaire le choix des aliments ont toujours eacuteteacute marqueacutes par lrsquoincertitude
lrsquoanxieacuteteacute la peur sous deux formes celle du poison et celle de la peacutenurie Dans nos socieacuteteacutes
la peacutenurie est presque oublieacutee ce qui fait peur aujourdrsquohui ce sont les poisons raquo Fisler
(1998) estime eacutegalement que la peur est deacutesormais lrsquoune des principales forces modelant le
comportement du consommateur Il rejoint en cela lrsquoideacutee selon laquelle notre socieacuteteacute est une
laquo socieacuteteacute du risque raquo (Beck 2008) caracteacuteriseacutee par une laquo culture du risque raquo (Giddens 1994)
Cette angoisse de consommation trouve ses raisons dans le nombre croissant de victimes des
MOA128
malgreacute le laquo niveau de civilisation raquo atteint de notre socieacuteteacute
Une eacutetude de lrsquoinstitut de veille sanitaire (InVS) eacutetablit agrave plus de 200 000 le nombre annuel
moyen de personnes atteintes de maladies drsquoorigine alimentaire en France au cours des anneacutees
1990 ayant entraicircneacute environ14 000 hospitalisations et 460 deacutecegraves par an Au total 8 530 foyers
franccedilais de toxi-infection alimentaire collective ont eacuteteacute deacuteclareacutes entre 1996- 2008 (Bulletin de
veille sanitaire 2010) Aux Eacutetats-Unis drsquoAmeacuterique par exemple lrsquoOMS (2000) estime que 76
millions de cas surviennent chaque anneacutee entraicircnant 325 000 hospitalisations et 5 000 deacutecegraves
Pour lrsquoanneacutee 2000 un recensement portant sur 5 agents pathogegravenes conclut agrave 34 millions de
cas 31 200 hospitalisations et un coucirct total de 69 milliards de dollars (deacutepenses meacutedicales
compensation des journeacutees de travail perdues des accidents et des morts preacutematureacutees)
(Rastoin 2008)
127
Mary J Gilchrist Christina Greko David B Wallinga George W Beran David G Riley and Peter S
Thorne ldquoThe Potential Role of CAFOs in Infectious Disease Epidemics and Antibiotic Resistancerdquo Journal of
Environmental Health Perspectives 14 November 2006 (citeacutes par Grain 2009) 128
LrsquoOMS (2000) a notifieacute en une seule anneacutee 2005 le deacutecegraves de 18 millions de personnes agrave cause drsquoaffections
diarrheacuteiques une grande proportion de ces cas provenant de la consommation drsquoeau ou drsquoaliments contamineacutes A
noter eacutegalement lrsquoaspect meurtrier des ces maladies dans en Serbie-Monteacuteneacutegro et en Croatie (plus de 65 du
nombre total de deacutecegraves en 2002) et moins preacutesentes en Sloveacutenie (57 ) et en Albanie (59 ) Dans les Pays du
Sud et de lrsquoEst meacutediterraneacuteen (PSEM) la Turquie est fortement toucheacutee (62) ainsi que la Tunisie (57)
tandis que lrsquoAlgeacuterie est relativement eacutepargneacutee (39 ) et la Syrie en position intermeacutediaire 47) (Rastoin 2008)
161
Pour le cas du Maroc selon le Centre Anti-Poisons du Maroc (CAPM) le nombre de cas
hospitaliseacutes victimes des intoxications dans les hocircpitaux publics deacuteclareacutes au CAPM est de
4500 cas par an Ce chiffre peut ecirctre estimeacute facilement agrave 10 000 cas annuels si lrsquoon tient
compte de ceux ne parvenant pas neacutecessairement aux hocircpitaux publics et ceux qui ne sont pas
deacuteclareacutes au CAPM129
Pour ceux concernant en particulier le nombre de cas et des eacutepisodes de
toxi-infections alimentaires collectives (TIAC) il faut noter son augmentation progressive au
cours des dix derniegraveres anneacutees Il a pratiquement doubleacute entre 1996 agrave 2001 Les TIAC au
Maroc laquo repreacutesentent11 des intoxications Plus de 90 des TIAC sont drsquoorigine
bacteacuterienne confirmeacutee ou probable Environ 7 des cas sont drsquoorigine chimique
Contamination des aliments par des pesticides surtout Preacutes de 1 des cas TIAC drsquoorigine
veacutegeacutetale (Addad) Le reste eacutetant drsquoorigine indeacutetermineacutee (15) raquo (Benkaddour 2002 citeacute par
Belomaria 2007 p85)
Ces types de crises touchant le secteur agroalimentaire depuis quelques anneacutees sont
preacutesenteacutees laquo comme les signes des temps contemporains de lrsquoinquieacutetude en vers la qualiteacute
sanitaire des aliments agrave la remise en cause du productivisme agricole raquo (Leusie et Sylvander
2001 p45) Le reacutesultat est que les consommateurs se montrent de plus en plus sensibles agrave
tout ce qui touche les rapports entre la santeacute et la nutrition ou entre la forme et le reacutegime
alimentaire (Nicolas et Valceschini 1993)
Cette contestation porte globalement sur toute la chaicircne agroalimentaire deacutenonccedilant les
dangers des excegraves drsquoengrais des pesticides des antibiotiques et des hormones des techniques
de production et de transformation de masse des adjonctions drsquoadditifs (les conservateurs les
ameacuteliorateurs du goucirct et de la valeur les modificateurs de lrsquoaspect colorants geacutelifiants
eacutepaississants liants gonflants eacutemulsifiants) et drsquoingreacutedients divers (farines sauces
eacutedulcorants analogues) etc La preacuteparation des aliments assureacutee auparavant dans la sphegravere
domestique a donc eacuteteacute transfeacutereacutee vers les secteurs des industries agroalimentaires (IAA) et de
la restauration des fonctions De ce fait les consommateurs perdent en connaissances sur les
aliments ainsi qursquoen compeacutetence sur lrsquoalimentation Dans cette nouvelle phase de
deacuteveloppement du systegraveme alimentaire lrsquoenjeu majeur devient la lutte contre lrsquoinseacutecuriteacute
alimentaire dans sa dimension nutritionnelle (Lagrange et Valceschini 2007)
129
Source httpwwwsantegovmaHebergementscapmPresentationhtml (page consulteacutee le 17072011)
162
Alors face agrave cette complexiteacute croissante du risque alimentaire il eacutetait impeacuteratif de rassurer les
consommateurs et de leur redonner confiance par des mesures approprieacutees reacutepondant agrave la fois
agrave leur souci de seacutecuriteacute et aux impeacuteratifs de production et de commercialisation des
entreprises130
La restauration de la confiance des consommateurs devient une urgence sociale
et commerciale de la socieacuteteacute moderne131
Les diffeacuterents acteurs cherchent agrave rassurer les
consommateurs en srsquoappuyant sur une nouvelle creacutedibiliteacute Les autoriteacutes publiques et les
acteurs de la filiegravere alimentaire ont par conseacutequent renforceacute leur controcircle en deacuteveloppement
drsquoautres outils visant agrave ameacuteliorer la traccedilabiliteacute Crsquoest par exemple dans cette perspective que le
Certificat conforme de production (CCP) 132
a eacuteteacute conccedilu en France
Lrsquoobjectif de celui-ci est drsquoobtenir drsquoune laquo garantie officielle raquo baseacutee sur une sorte de laquo geo-
traceability raquo (Salvioni 2007) et dont il est possible de faire eacutetat sur le produit notamment
dans le secteur de la viande et ses deacuterives (viande bovine viande porcine et volailles) Il
convient drsquoailleurs de preacuteciser que les distributeurs (GSA) en France laquo se retrouvent
principalement dans cette strateacutegie 84 des produits commercialiseacutes sous CCP portent une
marque commerciale (23 une marque de distributeur) Rappelons ici que la CCP peut ecirctre
demandeacutee par un opeacuterateur individuel agrave la diffeacuterence des autres signes requeacuterant un
groupement collectif raquo (Blanchemanche et Valceschini 2005 p28)
Pour que le modegravele de consommation de masse puisse continuer son expansion il frauderait
drsquoun cocircteacute rassurer en permanence les consommateurs sur la qualiteacute-sucircreteacute du produit crsquoest-agrave-
dire que ce dernier ne preacutesente aucun risque nutritionnel Et drsquoun autre cocircteacute il faudrait que les
acteurs eacuteconomiques de la filiegravere alimentaires notamment les distributeurs puissent offrir des
produits divers correspondant agrave la saturation des marcheacutes par des produits standards ainsi
qursquoagrave une diversiteacute accrue des preacutefeacuterences des consommateurs et aux ineacutegaliteacutes de pouvoir
drsquoachat Cela signifierait un accroissement en matiegravere des exigences de faciliteacute drsquoemploi de
disponibiliteacute de commoditeacute drsquoaccegraves de diversiteacute des produits preacutesenteacutes autrement dit drsquoun
accroissement important de la laquo qualiteacute de service raquo (Nicolas et Valceschini 1993)
130
Source Rapport laquo De la Conso meacutefiance agrave la Conso confiance raquo (Chatel L 2003) disponible sur
httplesrapportsladocumentationfrancaisefrBRP0340004790000pdf page consulteacutee le 20072008) 131
En France par exemple au moment de la crise de la vache folle (1996) la consommation de viande bovine a
brutalement chuteacute de 35 la grippe aviaire (2006) a provoqueacute une baisse de 30 de la demande de volailles
(Rastion 2007) 132
Le CCP a eacuteteacute utiliseacutee comme un moyen de redonner confiance au consommateur par la mise en avant de
caracteacuteristiques communicantes relatives agrave la traccedilabiliteacute et en assurant que les animaux nrsquoont pas consommeacute de
farines animales gracircce notamment agrave la caracteacuteristique laquo alimentation 100 veacutegeacutetale raquo Le deacuteveloppement de la
CCP a pour objectif drsquoatteindre un nouveau segment de marcheacute intermeacutediaire entre le produit courant et le
produit haut de gamme (du type label) (Blanchemanche etValceschini 2005)
163
B) De la demande de la qualiteacute-sucircreteacute agrave la demande de la qualiteacute territoriale
La sucircreteacute alimentaire en termes de qualiteacute des aliments srsquoaffirme comme une demande des
consommateurs traduite comme un droit que le milieu agricole les gouvernements et les
organismes internationaux doivent garantir Dans ce cadre on eacutevoque quelques programmes
la strateacutegie mondiale de lrsquoOMS133
pour la salubriteacute des aliments le programme national de
nutrition et santeacute du gouvernement franccedilais (PNNS) le programme tunisien drsquoalimentation et
de nutrition (PNAN) ou bien encore la mise en place et le deacuteveloppement du systegraveme de
reconnaissance des signes distinctifs drsquoorigine et de qualiteacute (SDOQ) des denreacutees alimentaires
et des produits agricoles et halieutiques au Maroc Ces diffeacuterents programmes visent agrave
reacutepondre aux attentes des consommateurs en termes drsquoameacutelioration de la garantie de qualiteacute
gustative et sanitaire et de seacutecuriteacute alimentaire notamment gracircce agrave des meacutecanismes
drsquoidentification (eacutetiquetage) et de traccedilabiliteacute (Brodagh 2000) La traccedilabiliteacute est un proceacutedeacute
visant agrave retrouver lrsquohistorique ou lrsquoemplacement drsquoun produit (ou drsquoun animal) au moyen de
renseignements enregistreacutes agrave son sujet Elle permet agrave ce titre de localiser lrsquoorigine de la
deacutefaillance de qualiteacute en cas drsquoincident et donc drsquointervenir efficacement (Rastoin 2008)
Drsquoune faccedilon geacuteneacuterale la plupart des pays notamment deacuteveloppeacutes exigent que les produits
alimentaires soient doteacutes drsquoune qualiteacute traduisant notamment le respect des normes et des
reacuteglementations eacutetablies sur des bases scientifiques134
Ces diffeacuterentes actions renvoient eacutegalement agrave une eacutevolution de comportement des
consommateurs Il convient de rappeler agrave ce niveau que lrsquoeacutevolution des conduites et des
attitudes des individus et des groupes est eacutetroitement lieacutee au changement de leur contexte
socio-eacuteconomique et culturel (Weber 1964 Bourdieu 1976 Bourdieu et Passeron 1979
Grignon et Grignon 1980 Abdmouleh 2010) En effet lrsquoexpeacuterience culturelle diffeacuterencieacutee
qui syntheacutetise tous les processus drsquoapprentissage drsquohabituation familiale et sociale agrave
lrsquointeacuterieur drsquoune communauteacute touche drsquoune maniegravere assez eacutevidente les pratiques et les
133
LrsquoOMS a deacutecideacute lors de sa 53egraveme
assembleacutee mondiale en 2000 de mettre en place une laquostrateacutegie mondiale de
surveillance des maladies drsquoorigine alimentaire et de salubriteacute des aliments raquo au motif que la sucircreteacute des aliments
est une prioriteacute de santeacute publique (source httpwwwwhointmediacentrefactsheetsfs237frindexhtml page
consulteacutee le 29072011) 134
Parfois mecircme sur la base de recommandations claires provenant de la communauteacute scientifique les
consommateurs restent meacutefiants comme crsquoest le cas des OGM autoriseacutes agrave la vente et deacuteclareacutes sans danger pour le
consommateur et pour lrsquoenvironnement par les agences de reacutegulation aux Etats-Unis et en Europe Mais les
eacutetudes montrent depuis plusieurs anneacutees une inquieacutetude de lrsquoopinion sur cette question une reacuteaction de rejet
envers une manipulation de lrsquoopinion publique et une crise de confiance vis-agrave-vis de la science de la part des
consommateurs (Noussair et al 2001 De Cheveigneacute 1998 1999 2000 citeacute par Leusie et Sylvander 2001
p45)
164
preacutefeacuterences alimentaires135 En drsquoautres termes lrsquoimage du produit alimentaire et de sa
notorieacuteteacute srsquoappuient sur des repreacutesentations symboliques tregraves lieacutees agrave des pratiques culturales
(Brodagh 2000)
Crsquoest dans ce contexte que la tendance des comportements des consommateurs notamment
dans les pays deacuteveloppeacutes peut ecirctre identifieacutee comme allant vers plus drsquoindividualisme et de
diffeacuterenciation En effet le modegravele de la consommation de masse baseacute sur un seul produit est
essouffleacute Par ailleurs les deacutegacircts de ce modegravele sur lrsquoenvironnement (et donc la santeacute public) et
les conditions sociales de la production (travail des enfants les conditions drsquoeacutelevage des
animauxhellip) sont de plus en plus prises dans lrsquoacte drsquoachat (Chapuy 2006) Ce dernier est
davantage consideacutereacute comme une sorte drsquoappropriation qui interpregravete des laquo comportements et
des actions qui expriment des formes concregravetes drsquoagir de sentir et qui permettent une emprise
sur les lieux et sur la production de signes culturels raquo (Fischer 1981 p84) Cette question
culturelle du fait alimentaire nous renvoie agrave la speacutecificiteacute de la consommation alimentaire
Manger est un acte identitaire fort (laquo je suis ce que je mange raquo) (Katz et Suremain 2008)
Un rapport dirigeacute par Chatel (2003) pour le parlement franccedilais a mis en eacutevidence cette
transformation du MCA en mentionnant notamment les exigences croissantes eacutemanant de
groupes speacutecifiques136 Il srsquoagit drsquoattentes lieacutees agrave des questions de santeacute Crsquoest par exemple le
cas des associations rassemblant des personnes souffrant drsquoallergies alimentaires et qui
formulent des exigences particuliegraveres en matiegravere drsquoeacutetiquetage alimentaire Par ailleurs on
constate la monteacutee des groupes de consommateurs qui renvoient notamment agrave des pratiques
alimentaires dicteacutees par des consideacuterations politico-eacutethiques137
(les veacutegeacutetaliens les
veacutegeacutetariens les deacutefenseurs du commerce eacutequitablehellip) ou religieuses (les musulmans en
Europehellip) Les professionnels prennent de plus en plus en consideacuteration ces eacutevolutions
compte tenu du poids qursquoelles exercent sur les consommateurs et pour la concurrence entre
eux 138
135
DrsquoHauteville 2001 p35 136
Source httpwwwassemblee-nationalefr12rapportsr1271asp (page consulteacutee le 22062010) 137
laquo 38 des consommateurs deacuteclarent tenir compte des engagements de citoyenneteacute des entreprises lorsqursquoils
achegravetent un produit industriel le travail des enfants constitue la premiegravere cause mobilisatrice des
consommateurs De mecircme 52 des franccedilais se disent precircts agrave payer un produit 5 plus cher pour obtenir des
engagements de citoyenneteacute de la part des entreprises raquo (Chatel 2003 p16) 138
Le marcheacute du halal reacutealiserait environ un chiffre drsquoaffaires de 55 milliards drsquoeuros en 2010 45 milliards
seront deacutepenseacutes par les meacutenages pour leurs achats de produits alimentaires halal et 1 milliard drsquoeuros seront
deacutepenseacutes dans le circuit de la restauration hors domicile (SOLIS laquo 2011 une anneacutee de consolidation et de
maturation pour le marche du halal raquo Communiqueacute de presse du 21 janvier 2010 httpwwwsolisfrancecom
page consulteacutee le 12082011)
165
Crsquoest le cas de figure de la consommation de produits biologiques et eacutequitables Celle-ci est
consideacutereacutee par de nombreux chercheurs comme eacutetant une forme nouvelle de consumeacuterisme
politique et inseacutereacutee dans un ensemble plus large qualifieacute de nouveaux mouvements sociaux
(Carimentrand 2006) La consommation de produits biologiques et eacutequitables reflegravete en effet
souvent une volonteacute drsquoengagement du consommateur par rapport agrave des questions drsquoordre
socio-politique (Barham 2003 Roos et al 2007 Sylvander 1997) En ce sens la
consommation de ce genre de produits peut ecirctre vu comme le signe drsquoun engagement contre
un modegravele de plus en plus globaliseacute et pour un respect de modes de production et de
consommation traditionnels plus laquo durables raquo sur les plans eacuteconomique social et
environnemental (Amblard et al 2008) Drsquoune faccedilon geacuteneacuterale la deacutecision de consommation
peut ecirctre guideacutee par la recherche de la valeur sociale et environnementale des produits (Van
Ittersum 2002) Un autre changement meacuteritant drsquoecirctre eacutegalement signaleacute est celui du
changement deacutemographique Agrave titre drsquoexemple lrsquoaccroissement des personnes acircgeacutees
population faisant de plus en plus attention agrave leur reacutegime drsquoalimentation exigent des
eacutetiquetages reacutedigeacutes avec des caractegraveres de grande taille en raison de troubles de la vision plus
importants Bien que dans un mecircme temps les entreprises encouragent cette eacutevolution afin de
deacutevelopper leurs ventes et gagner des parts de marcheacute par la diffeacuterenciation cette mutation
impose agrave celles-ci des efforts permanents afin de permettre agrave chacun de teacutemoigner de sa
personnaliteacute agrave travers ses actes drsquoachats (Chatel 2003)139
Ces diverses eacutevolutions de comportement des consommateurs remettent en cause la theacuteorie
eacuteconomique traditionnelle de ceux-ci lrsquoobjet ultime sur lequel portent les preacutefeacuterences des
consommateurs laquo rationnels raquo est lrsquoachat de biens de consommation disponibles sur le
marcheacute Pour Sen laquo une personne ainsi deacutecrite peut ecirctre laquo rationnelle raquo au sens limiteacute ougrave elle
ne fait preuve drsquoaucune incoheacuterence dans son comportement de choix [hellip] La theacuteorie
eacuteconomique srsquoest beaucoup occupeacutee de cet idiot rationnel drapeacute dans la gloire de son
classement de preacutefeacuterences unique et multifonctionnel raquo (Sen 1993 p106-107) Pour lui il
faut donc concevoir une pluraliteacute de motivations chacune ordonnant les actions reacutealisables
dans un ensemble de preacutefeacuterences speacutecifiques Il srsquoagit de la laquo technique du meacuteta-classement raquo
qui permet de deacutefinir un nouvel ensemble de preacutefeacuterences et qui introduit un classement sur les
preacutefeacuterences traditionnelles (Sen 1993) Les choix alimentaires individuels peuvent ecirctre
reacutesumeacute en trois types de facteurs les facteurs individuels (psychologiques et socio-
deacutemographiques) les facteurs drsquoenvironnement (culturels eacuteconomiques et de marketing) et
139
Source httpwwwassemblee-nationalefr12rapportsr1271asp (page consulteacutee le 22062010)
166
les facteurs lieacutes aux proprieacuteteacutes de lrsquoaliment (effets physiologiques et perceptions sensorielles)
(Steenkamp 1996 citeacute par DrsquoHauteville et al 2001 p36) Ces derniers sont de plus en plus
revecirctis drsquoune grande importance en raison de la saturation relative des marcheacutes et de la
volonteacute des firmes agroalimentaires agrave faire du plaisir un argument de vente et de reacute-achat
(Arrault et al 1998 Teil 1995)
Dans cette vision il convient de preacuteciser que les distributeurs notamment les grands surfaces
alimentaires (GSA) qui assurent la grande partie de la commercialisation des produits
agricoles et agroalimentaires occupent laquo une position cleacute pour imposer ses conditions aux
producteurs en relayant les souhaits des consommateurs pour des produits qui font sens pour
eux raquo (Filippi et Triboulet 2006 p112) De plus ils sont contraints de srsquoadapter agrave ces attentes
et preacutefeacuterences de la clientegravele en combinant (diversement) laquo lutte contre la vie chegravere raquo et
laquo diffeacuterenciation qualitative raquo (Daumas 2006) Effectivement sans renoncer pour autant au
discount les GSA franccedilais ont degraves la fin des anneacutees 1990 commenceacute agrave adopter une strateacutegie
de diffeacuterenciation plus qualitative dont lrsquoobjectif est de fideacuteliser la clientegravele140
La politique de la qualiteacute change alors de statut (Torre et Valceschini 2002) de politique
annexe baseacutee exclusivement sur la sucircreteacute des aliments renvoyant au domaine de
lrsquoinformation des consommateurs en eacutelaborant les signes et les garanties qui permettant de la
reconnaicirctre celle-ci devient un outil de promotion drsquoune eacuteconomie de varieacuteteacute141
En revanche
laquo la multiplication de signes via les eacutetiquettes tend agrave diluer lrsquoinformation et entraicircne un effet
inverse drsquoopaciteacute sur les caracteacuteristiques du produit Dans ce cas la recherche drsquoun message
simple peut se traduire par le choix du signe le plus creacutedible pour le consommateur raquo (Filippi
140
Dans cette ligneacutee les marques de distributeurs (MDD) adoptent une logique de labellisation qui est pousseacutee agrave
son terme quand le distributeur met sur le marcheacute des articles conccedilus conjointement avec les producteurs selon
un cahier des charges bien deacutetailleacute Carrefour est le premier agrave avoir chercheacute agrave laquo sortir de la compeacutetition prix raquo
pour redeacutefinir les produits agrave partir de caracteacuteristiques qualitatives jusque lagrave peu exploiteacutees Pour la viande crsquoest
degraves la crise de la vache folle que Carrefour a eacutelaboreacute sa laquo filiegravere qualiteacute raquo en eacutelargissant les critegraveres de
qualification (race origine conditions drsquoeacutelevage regravegles de maturation couleurhellip) afin de deacutefinir les quatre races
de bovins vendues dans ses magasins En rassurant le consommateur sur la qualiteacute de la viande bovine
estampilleacutee laquo filiegravere qualiteacute raquo le groupe a prouveacute sa capaciteacute agrave apporter une reacuteponse pertinente aux attentes du
consommateur et a obligeacute ses principaux concurrents agrave le suivre sur le terrain de la diffeacuterenciation qualitative
avant drsquoeacutetendre lui-mecircme cette approche agrave la plupart des produits frais (Bourdieu 2003 citeacute par Dauams p68)
Carrefour a deacuteveloppeacute eacutegalement la marque laquo Carrefour Agir raquo qui se deacuteploie sur une ligne de produits engageacutes
autour des valeurs du deacuteveloppement durable laquo Bio raquo Nutrition et Solidaire Pareillement la gamme de
marques de Casino comporte deacutesormais Gamme laquo Bio raquo Terre et Saveur (produits frais) (Mazars et al 2007)
Dans cette perspective Intermarcheacute a annonceacute lors des ateliers du vin organiseacutes par Rayon Boissons le jeudi 4
feacutevrier 2010 la mise en place pour lrsquoensemble de ses magasins drsquoun lineacuteaire commun aux AOP-IGP (Source
httpwwwlanguedoc-newscomindexphparchivesfevrier_2010l_actu_des_aoceconomie_et_marches (page
consulteacutee le 14082010) 141
LrsquoEacuteconomie industrielle a depuis longtemps deacutejagrave attribueacute un rocircle important au pheacutenomegravene de la
diffeacuterenciation de produits en tant que facteur de compeacutetitiviteacute des firmes la diversiteacute des biens constituant une
reacuteponse agrave la diversiteacute de la demande des consommateurs (R Arena 1988 citeacute par Sylvander 1997 p48)
167
et Triboulet 2006 p111) Cette creacutedibiliteacute du fait de lrsquoimportance des attributs de croyance
dans le domaine des produits agroalimentaires srsquoappuie sur la confiance envers le signe On
perccediloit alors les signes drsquoindication geacuteographique (IG) comme des points de focalisation des
strateacutegies des diffeacuterentes parties prenantes entre les attentes des consommateurs en termes de
prix et de qualiteacute et le reste du collectif drsquoacteurs Agrave la diffeacuterence des MMD qui ont un
caractegravere priveacute les IG ne peuvent ecirctre vendues ou transfeacutereacutees et sont accessibles agrave tous les
producteurs drsquoune reacutegion deacutetermineacutee Ces facteurs contribuent de maniegravere deacutecisive agrave assurer
que les avantages eacuteconomiques confeacutereacutes par la protection des IG retombent sur toute la chaicircne
drsquoapprovisionnement y compris sur les producteurs qui fournissent les matiegraveres premiegraveres
(Babcock et Clemens 2004) Pour ces raisons les GSA deacuteveloppent des coopeacuterations locales
avec des producteurs qui adhegraverent agrave la logique des IG Le tableau ci-apregraves preacutesente quelques
exemples dans la matiegravere
Tableau 6 Les coopeacuterations entre les magasins et les producteurs locaux
REGION Nom du magasin Produit producteur
Alsace-Lorraine Carrefour Epinal ndash Jeuxey Mont drsquoOr AOP Fromagerie
Ermitage
Aquitaine (prix national) Carrefour Anglet Ossau-Iraty AOP Fromagerie
Agour
Auvergne Geacuteant Casino Aurillac Cantal AOP Caves fromagegraveres
des Hauts Terroirs
Bourgogne Carrefour Market Colbert Crottin de Chavignol AOP
Chegravevrerie de la Tour
Bretagne et Pays de la Loire Hypermarcheacute Casino Landivisiau Oignon de Roscoff AOP Prince
de Bretagne
Centre (prix speacutecial) Carrefour Chacircteauroux Lentilles vertes Label Rouge
Cibegravele Champagne - Ardennes Carrefour Tinqueux Agneau Label Rouge ACLR Languedoc-Roussillon Auchan Beacutezier Oeufs bio-Label Rouge Cocorette
Midi-Pyreacuteneacutees (prix speacutecial) Casino Beaumont de Lomagne Ail blanc de Lomagne IGP Les
Jardins du Midi
Rhocircne-Alpes Carrefour Salaise sur Sanne Rigotte de Condrieu AOC
Fromagerie du Pilat Source SOCOPAG (2010)
142
Les signes ne reflegravetent pas seulement des critegraveres techniques mais ils interrogent eacutegalement
les processus drsquointeractions entre producteurs et consommateurs qui sont sous-jacents aux
deacutemarches de certification des produits lieacutes agrave lrsquoorigine Drsquoune faccedilon geacuteneacuterale laquo pour un
consommateur freacutequemment deacuteracineacute et stresseacute par un environnement urbain la teneur
eacutemotionnelle du lieu drsquoeacutelaboration drsquoun produit de sa reacutegion drsquoorigine est tregraves importante
Ainsi les labels drsquoorigines et les labels biologiques permettent au consommateur de retrouver
142
Source Chaillouet (2009)
httpwwwsocopagfrindexphpoption=com_contentampview=articleampid=826mois-de-lorigine-et-de-la-qualite-
les-gagnantsampcatid=17origines-et-qualitesampItemid=38 (page consulteacutee le 12072011)
168
ses racines ou le souvenir des vacances heureuses agrave la campagne raquo (Giraud et Amblard
2003 p9) Drsquoune faccedilon geacuteneacuterale le fait alimentaire est agrave la fois une source de nutriments de
vecteurs pouvant causer des contaminants geacuteneacutereacutes par des micro-organismes dangereux
drsquoune grande source de plaisirs et de satisfaction ainsi qursquoun moyen drsquoexpression de valeurs
de cultures de relations sociales Alors il est entiegraverement logique que laquo les humains
deacutepensent beaucoup de temps agrave travailler pour obtenir ces aliments agrave les seacutelectionner agrave les
preacuteparer et agrave les manger raquo (Rozin 1984 p166) En revanche selon Allaire (2009) ces
efforts peuvent ecirctre source de stimulation agrave lrsquoadoption drsquooutils de gestion collective agrave
lrsquoeacutelaboration des strateacutegies communes au sein de la filiegravere et agrave lrsquoidentification des actifs
locaux (pex les savoir-faire des producteurs et des transformateurs etc)
Avant de conclure cette section une remarque srsquoimpose concernant la difficulteacute de distinguer
la qualiteacute des produits agricoles et la qualiteacute alimentaire Cette difficulteacute trouve ses origines
dans deux raisons principales la premiegravere est drsquoordre juridique la deuxiegraveme est drsquoordre
technique Sur le plan juridique les divers textes reacuteglementaires concernant les signes de
reconnaissance des produits englobent souvent aussi bien les denreacutees alimentaires que les
produits agricoles non alimentaires et non transformeacutes (Simon G 1983 Nicolas et
Valceschini 1993) Sur le plan technique laquo cette distinction serait drsquoautant plus artificielle
que pour de nombreux produits la composition de la matiegravere premiegravere agricole ou les
techniques de culture ont des conseacutequences importantes sur la qualiteacute du produit final raquo
(Nicolas et Valceschini 1993 p9) Par ailleurs la deacutemarche qualiteacute nrsquoa pas cesseacute drsquoeacutevoluer
en imposant chaque fois lrsquointeacutegration drsquoune eacutetape de production dans son processus En effet
les meacutethodes drsquo laquo assurance-qualiteacute raquo ou de laquo maicirctrise de la qualiteacute totale raquo en particulier
exigent de prendre en consideacuteration toute la chaicircne du produit depuis les fournisseurs
jusqursquoaux clients
Lrsquoeacutevolution de la question de la qualiteacute des aliments peut ecirctre reacutesumeacutee en trois points
essentiels En premier lieu la qualiteacute renvoie tout drsquoabord agrave lrsquoabsence de deacutefauts de fraudes
et de falsification Les interventions des pouvoirs publiques se sont manifesteacutees tregraves tocirct sur
ces aspects agrave travers la mise en place drsquoune reacuteglementation speacutecifique pour preacuteserver la santeacute
publique En deuxiegraveme lieu la qualiteacute srsquoeacutetend aux proprieacuteteacutes attendues telles que des
caracteacuteristiques organoleptiques nutritionnelles et valeur drsquousage Il en est ainsi des
reacuteglementations concernant la seacutecuriteacute sanitaire des aliments et drsquoautres caracteacuteristiques
normatives contribuant en particulier agrave lrsquoeacutequilibre nutritionnel ou aux services Enfin la
169
qualiteacute srsquoeacutelargie aux signes distinctifs rechercheacutes lieacutes agrave lrsquoorigine et susceptibles de donner
droit agrave une plus-value (une rente) Cette qualification preacutesente plusieurs avantages qui
peuvent ecirctre reacutesumeacutes comme suit
Elle permet aux producteurs drsquoobtenir un meilleur prix pour leurs produits et donc
drsquoaugmenter leur revenu
Elle offre des garanties et de la seacutecuriteacute aux consommateurs concernant la qualiteacute du
produit
Elle contribue agrave la preacuteservation de lrsquoenvironnement et agrave la stimulation de lrsquoeacuteconomie
rurale
Elle participe agrave la patrimonialisation du savoir-faire local et des traditions locales
Cette deacutemarche de qualiteacute stipule neacutecessairement lrsquoimplication territoriale des diffeacuterents
acteurs au sein de la zone de production (agriculteurs transformateurs consommateurs
locaux instances publiques organisations non gouvernementales etc) et leur interaction avec
drsquoautres acteurs exteacuterieurs au territoire construisant ainsi collectivement au fil du temps
lrsquoidentiteacute du produit et de son systegraveme de production Ce processus implique une meilleure
coordination et harmonisation des actions de ces diffeacuterents acteurs qui devraient partager un
minimum de valeurs et de normes qui faciliteraient leur coordination et reacutegiraient leurs
relations Cela impose une proximiteacute geacuteographique et donc une autre vision de lrsquoespace dans
la mesure ougrave ce dernier nrsquoest pas un reacuteservoir des ressources laquo precircte agrave porter raquo comme le
preacutesente la theacuteorie standard mais un reacutesultat drsquoun processus historique et interactionnel des
acteurs En correacutelation avec la dynamique du secteur agricole et agroalimentaire preacutesenteacutee ci-
dessus nous allons donc aborder lrsquoeacutevolution conceptuelle de la notion de territoire dans la
prochaine section
SECTION 2 LES FONDEMENTS THEORIQUES DE LrsquoANCRAGE
TERRITORIAL DE LrsquoECONOMIE AGRICOLE ET
AGROALIMENTAIRE
La reacutefeacuterence au concept de territoire (agriculture territoriale terroir indication
geacuteographiquehellip) a pris une importance grandissante depuis le deacutebut de cette thegravese Nous
pensons qursquoil est temps agrave preacutesent de le deacutefinir preacuteciseacutement et de chercher dans quelle mesure
170
son histoire et son articulation avec les autres probleacutematiques actuelles de la science
eacuteconomique affectent les deacutecisions des agents eacuteconomiques Notre intention nrsquoest pas de faire
un reacutecit des diffeacuterents apports theacuteoriques et des travaux de recherche sur cette question mais
drsquoen faire une lecture critique Cependant une preacutesentation des fondements spatiaux de
lrsquoagriculture (et de lrsquoeacuteconomie industrielle) dans lrsquoeacuteconomie standard nous semble neacutecessaire
pour saisir lrsquoimportance et la diffeacuterence de la logique alternative de lrsquo laquo eacuteconomie raquo
territoriale
21 Les fondements spatiaux de lrsquoagriculture dans lrsquoeacuteconomie standard
Lrsquoeacuteconomie classique appreacutehendait drsquoun cocircteacute lrsquoagriculture comme ressource (facteur de la
fonction de production) precircte agrave ecirctre exploiteacutee et comme ressort des choix de speacutecialisation
fondeacutes sur les avantages comparatifs des nations (Ricardo 1817) et drsquoun autre cocircteacute lrsquoespace
dans sa relation avec lrsquoagriculture comme distance et donc comme obstacle au transport
notamment des produits peacuterissables (Von Thuumlnen 1826) Pour la theacuteorie classique
notamment les travaux de Ricardo lrsquoagriculture eacutetait plus ou moins repreacutesenteacutee par le facteur
terre dans la fonction de production (capital travail terre) Selon cette theacuteorie les rentes qui
reviennent agrave ceux la deacutetenant compriment les profits des entrepreneurs et diminuent le salaire
des travailleurs au niveau minimum de lrsquoautosubsistance Les perspectives sont pessimistes
dans une socieacuteteacute ougrave la pression deacutemographique croicirct la terre devient de plus en plus rare et les
avantages de la speacutecialisation du travail sont de plus en plus limiteacutes par lrsquoeacutetendue du marcheacute
Il fallait attendre la theacuteorie du commerce international baseacutee sur les avantages comparatifs
pour mettre en eacutevidence la possibiliteacute drsquoeacutelargir lrsquoeacutetendue du marcheacute drsquoimportation et
drsquoexportation et donc de deacutepasser ces limites Selon cette theacuteorie seuls les pays qui
deacutetiennent des terres fertiles en abondance peuvent se speacutecialiser dans les cultures laquo Vendre
du vin revient pour le Portugal agrave exporter une partie du facteur terre qursquoil possegravede en
surabondance contre du facteur travail qui lui manque Agrave lrsquoinverse la Grande-Bretagne
vend le travail dont elle regorge contre les produits de la terre dont elle est deacutepourvue raquo
(Claval 2008 p5-6) En faisant abstraction de la dimension culturelle et historique lieacutee agrave un
espace agricole seuls les coucircts de production baseacutes sur la fertiliteacute et sur lrsquoabondance des
terres comptent dans cette consideacuteration de lrsquoagriculture (et de lrsquoeacuteconomie en geacuteneacuteral) de
sorte que le rocircle des coucircts de transports comme facteur de diversiteacute spatiale disparaissait
totalement (Ponsard 1958 Aydalot 1985 Courlet 2001a)
171
A la diffeacuterence de Ricardo ce sont ces coucircts de transports qui deacuteterminent la relation entre
lrsquoespace et lrsquoagriculture selon le modegravele de Von Thuumlnen (1826) Celui-ci deacutemontre comment
laquo les liens entre rente fonciegravere coucircts de transport et prix agricoles tendent agrave former des
cercles concentriques drsquousages diffeacuterencieacutes des sols autour des centres de peuplement
majeurs raquo (Benko 2008 p26) Pour Von Thuumlnen lrsquoagriculture aura tendance agrave se speacutecialiser
dans des activiteacutes reacutemuneacuteratrices engendrant des coucircts de transport relativement eacuteleveacutes tandis
que les territoires agricoles plus eacuteloigneacutes se speacutecialiseront dans des productions peu rentables
donnant lieu agrave de faibles coucircts de transport unitaire En drsquoautres termes lorsque le milieu
geacuteographique est uniforme et que la circulation se fait eacutegalement bien dans toutes les
directions les cultures forment un systegraveme de couronnes ou de cercles concentriques
emboicircteacutees autour du marcheacute ougrave elles sont vendues (figure 8) laquo la production de produits
peacuterissables ou agrave forte valeur se situant agrave proximiteacute de ce marcheacute Aujourdrsquohui cependant les
activiteacutes agricoles sont conduites dans un monde plus complexe Les diffeacuterences les plus
eacutevidentes par rapport agrave ce modegravele sont drsquoune part qursquoil nrsquoexiste pas de pocircle de demande
unique et drsquoautre part que lrsquoagriculture nrsquoest pas pratiqueacutee dans une plaine homogegravene
plateraquo (OCDE 2009d p17)
Figure 8 Le modegravele agricole de Von Thuumlnen
Source modegravele de Von Thuumlnen (1826) (drsquoapregraves OCDE 2009d)
Cette conception classique se distingue leacutegegraverement de lrsquoanalyse standard de lrsquoagriculture et de
lrsquoeacuteconomie en geacuteneacuteral qui laquo nrsquoattache guegravere de prix aux questions geacuteographiques Ce qui
compte pour elle crsquoest lrsquoaptitude des deacutecideurs agrave effectuer un classement rationnel de leurs
preacutefeacuterences Le problegraveme se situe dans la tecircte des acteurs ils se montrent capables de faire
des choix coheacuterents ou nrsquoy parviennent pashellip Crsquoest la perfection des meacutecanismes de marcheacute
conseacutequence elle-mecircme de lrsquoaccegraves gratuit aux nouvelles dont les deacutecideurs ont besoin au
moment de leurs choix raquo (Claval 2008 p5) Cette lecture classique suppose donc que le
172
marcheacute est ponctuel qursquooffreur et demandeur sont situeacutes sur un mecircme lieu et ne se deacuteplacent
pas et que les firmes ont toutes les possibiliteacutes drsquoaccegraves aux ressources et aux meacutethodes de
production
Avec Christaller et Loumlsch une eacutetape a eacuteteacute franchie dans lrsquoexplication de la concentration et
notamment dans la prise en compte de la demande agrave la diffeacuterence du modegravele de Von Thuumlnen
ou celui drsquoWeber En effet les travaux de Christaller (1933) et Loumlsch (1938 1940) sur les
services en matiegravere des deacuteplacements des clients et du transport des marchandises ont abouti
sur la neacutecessiteacute du regroupement des partenaires qursquoils impliquent en un mecircme point Pour
ces auteurs lrsquoespace eacuteconomique se structure autour de certains points (Claval 2008) Dans
cette perspective Hotelling (1929) deacutemontrait que la concentration laquo nrsquoest pas
neacutecessairement un fait pervers dans un monde ougrave les vendeurs drsquoun bien homogegravene sont en
concurrence directe les uns avec les autres il a montreacute qursquoau contraire deux vendeurs
parfaitement mobiles dans un espace geacuteographique donneacute tendraient agrave terme agrave se situer cocircte
agrave cocircte au centre de lrsquoespace reacutesultante de leurs efforts pour maximiser la taille de leurs
marcheacutes respectifs raquo (Benko 2008 p29-30)
La conception neacuteo-classique issue des travaux pionniers de Weber (1909) ou de Von Thucircnen
(1926) reste pour la plupart fondeacutee sur lrsquohypothegravese de rendements drsquoeacutechelle afin de
deacuteterminer lrsquoexistence drsquoun eacutequilibre en srsquoattachant agrave expliquer les modaliteacutes drsquoimplantation
des entreprises en un mecircme lieu agrave partir drsquoune reacutepartition initialement donneacutee des ressources
et en appliquant un calcul dont les variables sont la distance la demande ou les coucircts de
transport (Ragni 1995) Geacuteneacuteralement la theacuteorie traditionnelle de la localisation est baseacutee sur
lrsquoanalyse des facteurs individuels explicatifs que constitue
La disponibiliteacute-coucirct relatif des matiegraveres premiegraveres (Ricardo)
La disponibiliteacute du travail
Lrsquoaccegraves au marcheacute (loumlsh)
Lrsquoexistence drsquoagglomeacuteration (Von Thuier)
Lrsquoapproche standard webrienne connaicirct deux ordres de limites qui tiennent drsquoune part au
caractegravere individualiseacute des facteurs explicatifs pris en compte et drsquoautre part agrave la nature
exogegravene de lrsquoespace (Zimmermann 1995) Ce type de modegravele a bien repreacutesenteacute les processus
majeurs de la spatialisation de la production de masse en reacutegime de compeacutetition par les coucircts
en particulier les mouvements de deacutelocalisation vers les peacuteripheacuteries agrave faible coucirct de travail
173
que ce soit agrave lrsquoeacutechelle internationales ou intra-nationale (Courlet 2001a) Une telle logique
directement guideacutee par les coucircts en particulier du travail est persistante toujours dans
certains secteurs et certains pays (Portugal Irlande Espagne la Chine) Les configurations
territoriales observables ne peuvent srsquoexpliquer que par le seul signe du jeu drsquoun meacutecanisme
de prix rendant profitable les localisations proches les unes des autres Les coucircts de
concentration geacuteographique des activiteacutes ne sont plus conccedilus comme la reacutesultante drsquoun calcul
des agents reacuteagissant aux signaux de prix mais comme lrsquoexpression drsquoune forme organiseacutee de
leurs coordination crsquoest-agrave-dire des relations partiellement soustraites aux prix de marcheacute
(Rallet et Torre 1995)143
Avant de traiter cette importante question de la coordination entre
les agents nous allons compleacuteter lrsquoanalyse spatiale de la theacuteorie standard par un petit rappel
sur son reflet productif en lrsquooccurrence le fordisme
22 Les transformations dans lrsquoorganisation de la production le modegravele fordiste ses
traits et ses limites
Le fordisme en tant que modegravele drsquoindustrialisation a rencontreacute un tel succegraves qursquoil aura
engendreacute des gains de productiviteacute apparente sans preacuteceacutedent dans lrsquohistoire mondiale Il srsquoagit
drsquoun systegraveme drsquoassemblage agrave grande eacutechelle appuyeacute sur les eacuteconomies internes ou
lrsquointeacutegration verticale sur une organisation technique de travail marqueacutee par une
meacutecanisation pousseacutee sur les chaicircnes drsquoassemblage et caracteacuteriseacute par une structure industrielle
fortement oligopolistique et une reacutegulation sociale relativement efficace Il srsquoagit aussi drsquoun
reacutegime drsquoaccumulation caracteacuteriseacute par une croissance rapide de lrsquoinvestissement par tecircte mais
eacutegalement par une croissance de la consommation par tecircte (Boyer 1992) Crsquoest une
configuration de lrsquoindustrialisation ougrave les marcheacutes stables les reacuteductions du coucirct des facteurs
et les eacuteconomies drsquoeacutechelle sont des variables cleacutes qui srsquoest installeacutee dans les pays deacuteveloppeacutes
apregraves la deuxiegraveme guerre mondiale jusqursquoau milieu des anneacutees 1970 (Leborgne et Lipietz
2002)
221 Les principales caracteacuteristiques du modegravele fordiste
Notre objectif ici nrsquoest pas drsquoaborder les principaux traits qui qualifient le reacutegime fordiste
drsquoune maniegravere exhaustive et complegravete mais juste les eacuteleacutements qui nous semblent en relation
avec la question de la coordination
143
Nous revenons un peu loin sur les nouvelles tendances de la localisation des activiteacutes agricoles et
agroalimentaires
174
A) Lrsquointeacutegration verticale
La logique drsquointeacutegration verticale est consideacutereacutee comme le trait incontournable du fordisme
Elle correspond agrave deux grandes cateacutegories drsquoenjeux (Veltz 1993) La recherche drsquoeacuteconomies
drsquoeacutechelle et de reacuteduction des coucircts Un tel objectif peut ecirctre le reacutesultat des potentialiteacutes de
standardisation et de lrsquoutilisation des technologies agrave haute eacutechelle de production Les
eacuteconomies drsquoeacutechelle sont associeacutees drsquoune part agrave de longues seacuteries de produits dans la
perspective de reacuteduire les coucircts de revient des produits standardiseacutes et soumis agrave concurrence
en premier lieu Et drsquoautre part la recherche drsquoeacuteconomies dans la gestion reacutealisable gracircce agrave un
niveau plus eacuteleveacute drsquointeraction et de reacutetroaction reacuteciproque entre les diverses fonctions et les
diverses eacutetapes de plusieurs processus productifs
B) La division technique du travail
Le principe directeur bien connu du systegraveme taylorien de la division du travail reacuteside dans ces
eacuteconomies drsquoeacutechelle mentionneacutees au point preacuteceacutedent Ces derniegraveres eacutetaient assureacutees par la
preacutesence drsquoun surintendant posseacutedant une connaissance eacutetendue des possibiliteacutes de marcheacute et
des techniques de production Celui-ci concevait le produit et subdivisait sa production en
tacircches hautement speacutecialiseacutees donc hautement productives dont beaucoup pouvaient en fin
de compte ecirctre suffisamment simplifieacutees pour ecirctre complegravetement automatiseacutees (Sabel 1996)
Ce modegravele aboutit agrave un transfert de la qualification vers le bureau drsquoeacutetudes conduisant agrave
consideacuterer le travail drsquoexeacutecution comme un facteur geacuteneacuterique Scheacutematiquement cette
rationalisation agrave travers cette seacuteparation a deux objectifs principaux Le premier est de
geacuteneacuteraliser aussi rapidement que possible la meacutethode apparemment la plus efficace laquo the one
best way raquo drsquoeacuteliminer les tacirctonnements sur les postes de travail ainsi que les
dysfonctionnements contre ces postes impliquant une standardisation rigoureuse des gestes
opeacuteratoires Quant au deuxiegraveme objectif il consiste agrave obtenir agrave travers la connaissance
preacutecise du temps requis pour mener agrave bien chaque opeacuteration un controcircle rigoureux sur
lrsquointensiteacute du travail des opeacuterateurs de faccedilon agrave limiter laquo lrsquooisiveteacute raquo des travailleurs Ce
controcircle srsquoeffectue gracircce agrave des proceacutedures standardiseacutees communiqueacutees aux exeacutecuteurs pas le
bureau des meacutethodes
Dans cette perspective le travail nrsquoexige plus drsquoapprentissage et peut-ecirctre laisseacute agrave une
manoeuvre meacutecanique il peut ecirctre mieux mesureacute et chronomeacutetreacute Lrsquoouvrier nrsquoest plus un
agent creacuteateur mais devient un instinct opeacuterateur de machine Taylor lui-mecircme a appreacutecieacute
cette transformation Nrsquoa-t-il pas prescrit laquo il (hellip) srsquoagit de releacuteguer tout travail intellectuel
175
et drsquoeacutecriture dans le bureau de preacuteparation de travail lrsquoouvrier nrsquoa pas le temps de penser
au montage lieacute agrave lrsquoentretien de sa machine au fonctionnement de ces organes moteurs de ses
engrenages etc Il doit se borner agrave la mettre constamment en marche raquo (Bourquin 1966
p24)
Mais en reacutealiteacute crsquoest Ford qui a eu le meacuterite de conduire cette eacutevolution jusqursquoagrave cette
derniegravere limite drsquoen tirer les derniegraveres conseacutequences grasses agrave la simplification apporteacutee par
le travail en grande seacuterie Ford employait 95 des ouvriers non qualifieacutes 43 de travaux
ne demandant pas plus drsquoun jour drsquoapprentissage Il a preacuteciseacute lui-mecircme laquo chaque ouvrier
srsquoacquitte drsquoune manipulation qursquoil reacutepegravete indeacutefiniment Quelques-unes de nos manipulations
sont drsquoune monotonie telle qursquoil parait impossible qursquoun ouvrier puisse srsquoen acquitter agrave la
longue raquo (idem p24) En effet lrsquoouvrier a eacuteteacute placeacute dans des conditions de travail fixeacutees avec
rigueur telle et tellement irreacutesistible qursquoil doit qursquoil le veuille ou non travailler
rationnellement sans avoir besoin pour cela drsquoun scheacutema drsquoun regraveglement drsquoune instruction
Les connaissances qui ne se sont jamais manifesteacutees et qui nrsquoont jamais eacuteteacute noteacutees les
aptitudes qui restent enfouies dans le cerveau drsquoun individus isoleacutes lrsquohabiliteacute les proceacutedeacutes et
le savoir-faire dont certains ouvriers sont fiers et qursquoils considegraverent comme leur proprieacuteteacute
personnelle tout cela doit ecirctre ruineacute classeacute exprimeacute en tableaux en lois On en tirera pour
lrsquousage pratique des formules matheacutematiques dont lrsquoapplication donnera des reacutesultats
merveilleux Tout doit ecirctre fixeacute par des fonctionnaires speacuteciaux et consigneacute par eacutecrit Lorsque
lrsquoouvrier srsquoeacutecarte de ces instructions il le fait au risque de perdre sa bonification pour sa
prime
C) Les relations de subordination et de coordination
Il est tout agrave fait logique que crsquoest la liaison verticale qui aurait ducirc ecirctre seule admise dans ces
conditions car crsquoest elle qui suit la filiegravere hieacuterarchique qui respecte les compeacutetences de
chaque eacutechelon et en maintenant une ferme limiteacutee de commandement eacutevite tout
chevauchement et tout malentendu
D) Le fordisme et le principe de reacutemuneacuteration
Le mode de reacutegulation fordisme exige des formes stables du rapport salarial (Leborgne et
Lipietz 1992) Concregravetement une hausse geacuteneacuterale de la productiviteacute doit se refleacuteter
effectivement dans une hausse geacuteneacuterale du pouvoir drsquoachat anticipeacutee par tous les
entrepreneurs On parle de principe de double indexation Cette hausse geacuteneacuterale est alors agrave la
fois un encouragement agrave lrsquoexpansion des investissements de capaciteacute pour les entreprises les
176
plus productives et une contrainte obligeant agrave des investissements de productiviteacute pour les
autres Lrsquoapplication de ce principe eacutetait assureacutee par plusieurs institutions formelles et
informelles il srsquoagit notamment des conventions collectives lrsquoeacutetat providence la leacutegislation
sociale
E) La grande entreprise comme base du modegravele fordiste
La situation type qui semble srsquoimposer pendant la peacuteriode de croissance laquo les trente anneacutees
glorieuses raquo montrait que la grande entreprise aurait eacuteteacute le plus convenable agrave cette situation
Elle creacuteait des emplois diffusait une activiteacute eacuteconomique mais elle eacutetait engageacutee dans un
processus drsquoaccroissement de travail pour obtenir des eacuteconomies drsquoeacutechelle le veacuteritable
emblegraveme de lrsquoexpansion la concentration industrielle se vivait comme un impeacuteratif puisque
il fallait obtenir une taille critique pour faire le poids face agrave la concurrence (Gilly et Torre
1999)
F) Le fordisme et la localisation
Il srsquoagit drsquoun reacutegime drsquooffre ougrave lrsquoentreprise preacutesente un produit identique dans les diffeacuterentes
espaces avec une quasi-certitude drsquoeacutecouler sa production La disjonction des opeacuterations de
production du modegravele Fordiste conduit agrave un eacuteclatement spatial de production vers des lieux
ougrave la main-drsquooeuvre est techniquement adapteacutee Un tel reacutesultat a eacuteteacute accentueacute en France par la
politique de deacutecentralisation industrielle soutenue par lrsquoEtat vers la peacuteripheacuterie parisienne et agrave
lrsquoouest du territoire De mecircme le mouvement des concentrations des activiteacutes en amont de la
recherche et deacuteveloppement srsquoest poursuivi dans lrsquoagglomeacuteration parisienne (Dupuy et Gilly
1995) Les coucircts de la conception et de sa transposition dans des tacircches preacutecises par des
machines speacutecialiseacutees ont pu ecirctre amortis tant que la fabrication se faisait en grande seacuterie
Mais lorsque les marcheacutes sont devenus plus turbulents et que les fluctuations au niveau de la
demande combineacutees aux changements technologiques ont raccourci le cycle de vie des
produits ces coucircts sont devenus excessivement lourds Ceux-ci avec drsquoautres raisons qui
seront preacutesenteacutees dans le prochain point ont mise les meacutecanismes de reacuteussite du fordisme en
grande difficulteacute
222 La crise structurelle du modegravele fordiste
Beaucoup drsquoarticles et de travaux dont une grande partie srsquoinspirant de la theacuteorie de la
reacutegulation ont avanceacute des interpreacutetations de la crise structurelle du fordisme Deux facteurs
nous semblent importants dans lrsquoexplication de causes de cette crise Le premier concerne les
177
grands changements qursquoont connus lrsquounivers eacuteconomique en geacuteneacuteral le second la fin des
reacutegulariteacutes globales encadrant le rapport salarial
A) Les nouveaux eacuteleacutements de lrsquoenvironnement eacuteconomique
Le nouvel univers eacuteconomique organisationnel apparaicirct plus fluide plus instable puisqursquoil est
sous lrsquoeffet drsquoautres logiques notamment sous celui du pouvoir croissant de la sphegravere
financiegravere et de la domination des creacuteanciers qui agrave lrsquoeacutechelle mondiale tire vers le haut les taux
drsquointeacuterecirct et raccourcit les horizons Une telle situation aurait eacuteteacute aggraveacutee par lrsquoabsence drsquoun
systegraveme moneacutetaire international mis en place depuis 1971 et les chocs peacutetroliers ainsi que par
les changements rapides et parfois surprenants de lrsquoorientation des politiques eacuteconomiques
La mondialisation acceacutelegravere ainsi les rythmes impose une eacuteconomie de vitesse ce qui rend de
plus en plus la vie des entreprises deacutevoreacutee par le court terme Scheacutematiquement les raisons
drsquoune telle situation pourraient provenir de deux facteurs principaux
- Drsquoune part par lrsquoincertitude qui a marqueacute les anneacutees 70 Cette incertitude a toucheacute et
touche encore le processus technique et technologique les formes de consensus social
praticable aujourdrsquohui et eacutegalement les rapports de force changeants entre les nations
Lrsquointernationalisation des eacutechanges rend chaque acteur plus deacutependant de deacutecision
qursquoil ne controcircle pas et qui sont prises parfois agrave des milliers de kilomegravetres de son
univers drsquoaction quotidienne (Pecqueur 1989)
- Drsquoautre part le durcissement de la concurrence mondialiseacute reacutesulte de la stagnation
des marcheacutes de la volatiliteacute croissante de la composition et le volume de la demande
Le marcheacute reacuteclame une grande varieacuteteacute drsquoarticles avec un court cycle de vie et une
meilleure qualiteacute et par conseacutequent une eacutevolution rapide des meacutethodes de travail ainsi
que les eacutequipements employeacutes Ceci barre toute preacutevision et par conseacutequent laquo les
marcheacutes ne peuvent plus ecirctre effectivement geacutereacutes et controcircleacutes raquo (Piore et Sabel 1989
p35) Ceci implique que les uniteacutes de production traditionnelles verticalement
inteacutegreacutees dont le succegraves deacutepend du morcellement des tacircches de la speacutecialisation des
compeacutetences de la production en grande seacuterie et des eacuteconomies drsquoeacutechelle ne savent
plus exactement que produire ni comment le produire
B) Eclatement du reacutegime de rapport salarial fordiste
Les grandes entreprises subissent une crise de dimension degraves la fin des anneacutees 60 La crise se
deacuteveloppe agrave la suite de premier choc peacutetrolier dans les branches qui avaient joueacute leur rocircle
178
moins tordre pendant la peacuteriode de croissance (biens de consommation durable agrave destination
des meacutenages) Concregravetement la crise a provoqueacute des reacuteductions massives drsquoemplois des
abandons de sites industriels des disparitions ou une seacutelection de nombreux sous-traitants
Dans ce contexte le fondement du rapport salarial fordiste commenccedila agrave srsquoeacuteroder une telle
situation pourrait srsquoexpliquer par plusieurs facteurs La productiviteacute commenccedila agrave ralentir et le
capital fixe par tecircte agrave croicirctre Cela impliqua une chute de la profitabiliteacute drsquoougrave une chute du
taux drsquoaccumulation La majoriteacute du collectif de travail se retrouva en effet exclus par
principe agrave la guerre pour la productiviteacute et pour la qualiteacute Par ailleurs crsquoest par lrsquoeffet de ces
mecircmes principes tayloriennes que la recherche et le deacuteveloppement apparaissent comme une
pratique purement speacutecialiseacutee et que sa mise en oeuvre dans lrsquoindustrie ne peut ecirctre introduite
que par le haut
En fait lrsquoopeacuterateur le plus tayloriseacute ne se contente pas drsquoobeacuteir aux ordres du bureau des
meacutethodes ou de suivre le mouvement de sa machine Il est toujours en opposition secregravete
voire inconsciente vis-agrave-vis du mode formel drsquoopeacuteration tel qursquoil est ordonneacute par le bureau de
meacutethodes (Leborgne et Lipietz 2002) De plus lrsquoaugmentation de niveau de formation de la
population active gracircce au progregraves reacutealiseacute au niveau de systegraveme eacuteducatif va aussi contribuer
pour sa part agrave amorcer le deacutepassement du modegravele Fordiste Correacutelativement avec ces facteurs
le compromis laquo augmentation de pouvoir drsquoachat contre abandon de toute liberteacute
drsquoorganisation de travail raquo est remis donc en cause Ce qui mena agrave une crise de lrsquoemploi et
par lagrave clairement agrave une crise de lrsquoEtat providence Crsquoest la fin de lrsquoindexation des salaires et
de lrsquoinstallation drsquoune politique drsquoausteacuteriteacute (Leborgne et Lipietz 2002) Au total la crise du
modegravele Fordiste est lieacutee globalement agrave la fois agrave un eacutepuisement des gains de productiviteacute agrave la
division de travail et plus largement agrave des valeurs drsquoautoriteacutes et de hieacuterarchie (Dupuy et al
2001) Une telle crise profonde va pousser le systegraveme productif agrave se reacuteorganiser de nouveau
Une reacuteorganisation dont lrsquoobjectif est de deacutepasser les contraintes classiques tels que
lrsquoabaissement des coucircts de production de la recherche des gains de productiviteacute ainsi que de
briser les rigiditeacutes bureaucratiques en retrouvant une capaciteacute de reacuteaction et de souplesse vis-
agrave-vis les contraintes externe Crsquoest alors que les nouvelles formes drsquoorganisation eacuteconomiques
ont trouveacute leur justification
223 De lrsquoorganisation rigide (fordisme) agrave la speacutecialisation flexible
Contrairement au modegravele Fordiste drsquoorganisation de la production centreacutee sur une inteacutegration
verticale une nouvelle strateacutegie productive assise sur la flexibiliteacute technique et
179
organisationnelle avec un processus accru de la speacutecialisation semble prendre le relais de
mode fordiste Cette nouvelle strateacutegie est connue dans la litteacuterature eacuteconomique sous le
concept de la speacutecialisation flexible (ou souple) Quels sont alors les fondements theacuteoriques et
conceptuels de cette nouvelle organisation Quels sont leurs traits et leurs limites
Le terme de laquo speacutecialisation soupleraquo est apparu pour la premiegravere fois en 1984 avec la
publication originale de livre les chemins de la prospeacuteriteacute de Piore et Sable Pour ces
derniers la speacutecialisation souple est une alternative au modegravele fordiste Il srsquoagit drsquoun
deacuteplacement du systegraveme dominant de la production de masse vers des processus de
production dans lesquels la flexibiliteacute et lrsquoinnovation permanente jouent le rocircle central Les
entreprises sont gracircce agrave ce systegraveme capables de faire face rapidement et de maniegravere flexible
aux changements croissants des conditions du marcheacute Elles ont une capaciteacute qui se traduit
par la fabrication drsquoarticles assez fortement diffeacuterencieacutes destineacutes agrave des marcheacutes changeants
par des travailleurs qualifieacutes srsquoadaptant facilement et utilisant des eacutequipements agrave usage
geacuteneacuteral Ce mouvement a eacuteteacute accompagneacute par une reacuteorganisation profonde des entreprises
avec une tendance vers une laquo deacuteverticalisation raquo et une deacutecentralisation des uniteacutes
opeacuterationnelles et par conseacutequent une atteacutenuation des hieacuterarchies et un accroissement des
relations externes (sous-traitance partenariat) Ceci nous renvoie agrave lrsquoimportance des reacuteseaux
industriels et sociaux de tels reacuteseaux affirme Piore et Sable (1989) sont deacutecisifs non
seulement pour les petites entreprises mais pour un grand nombre de grandes firmes (Hasaiumlni
1996)
Lrsquohypothegravese de la speacutecialisation souple a tout drsquoabord eacuteteacute associeacutee agrave un systegraveme productif
constitueacute de petites entreprises hautement speacutecialiseacutes et verticalement deacutesinteacutegrer lieacutee au sein
drsquoun dense reacuteseau de relations marchandes et non marchandes Ce reacuteseau speacutecialiseacute de petites
entreprises inteacutegreacutees est intrinsegravequement plus flexible que la grande entreprise verticalement
inteacutegreacutee gracircce agrave une organisation plus souple qui permet agrave tout moment aux diffeacuterents
membres indeacutependants du systegraveme productif de se recombiner temporairement en fonction
des circonstances
Effectivement les petites et moyennes entreprises (PME) sembleraient agrave priori les mieux
armeacutees pour srsquoadapter agrave lrsquoeacutevolution quantitative et qualitative de la demande mondiale En
plus de lrsquoapparition de nouveaux outils technologiques cette eacutevolution a permis aux PME les
plus performantes de contourner lrsquoobstacle de la concentration des uniteacutes de production et de
trouver un marcheacute en expansion adapteacute aux caracteacuteristiques de leur taille De ce fait on a
180
assisteacute depuis les anneacutees 1980 agrave un deacuteveloppement sans preacuteceacutedent de ce type drsquoentreprises qui
se sont multiplieacutees et ont creacuteeacute de nombreux emplois au Nord comme au Sud (Pecqueur
1989 Ferguegravene 1996 Nadvi et Schmitz 1996) Parmi les PME ayant particuliegraverement bien
reacuteussies on relegraveve des socieacuteteacutes naissantes financeacutees au moyen de capital-risque et appartenant
au secteur de lrsquoinformatique des teacuteleacutecommunications des logiciels et de la biotechnologie
On les retrouve eacutegalement dans les secteurs laquo traditionnels raquo comme lrsquohabillement le textile
la chaussure les machines-outils ou la ceacuteramique sous forme de groupements (reacuteseau ou
district) de producteurs Chacun drsquoentre eux sont alors speacutecialiseacutes dans un aspect particulier
de la conception ou de la fabrication en coopeacuterant selon diverses formules agrave la production de
biens de qualiteacute supeacuterieure (Sabel 1996)
A) Les atouts et les facteurs de reacuteussite de la speacutecialisation flexible
La production en grande seacuterie ne serait plus agrave lrsquoordre du jour car la demande est irreacuteguliegravere et
tregraves diffeacuterencieacutee Dans ces conditions les avantages drsquoun glissement presque instantaneacute drsquoun
produit vers un autre sont supeacuterieurs aux avantages tireacutes des eacuteconomies drsquoeacutechelle dans la
mesure ougrave ils autorisent notamment lrsquoappropriation de rente de monopole Ceci avec la chute
rapide du coucirct de lrsquoacquisition et le traitement de lrsquoinformation ainsi que lrsquoameacutelioration
continue de la formation des travailleurs vont ecirctre les principaux facteurs de la supeacuterioriteacute et
de lrsquoefficaciteacute de la speacutecialisation souple Un tel reacutesultat est fondeacute sur un certain nombre
drsquoeacuteleacutements en particulier le progregraves technique et lrsquoeacuteconomie de temps ainsi que la division
cognitive du travail
I Le progregraves technique et lrsquoeacuteconomie de temps
La speacutecialisation flexible est synonyme drsquoutilisation drsquoune technologie flexible et eacutevolutive
crsquoest-agrave-dire agrave usage multiple Elle beacuteneacuteficie notamment de la nouvelle technologie drsquoune
reacuteduction des coucircts de revient et par conseacutequent drsquoune meilleure position sur un marcheacute
mondial plus concurrenceacute En effet les nouvelles technologies offrent de nouvelles
possibiliteacutes drsquoorganisation industrielle principalement gracircce agrave la gestion des flux
drsquoinformations et de produits assisteacutes par ordinateur agrave la flexibiliteacute des biens drsquoeacutequipement agrave
la conception modulaire des produits et au montage automatiseacute par sous-ensembles Le
paradigme industriel lui-mecircme eacutetait remis en cause et de nouvelles voies eacutetaient exploreacutees
Celles-ci se caracteacuterisent principalement par lrsquoinvasion des micros processus et des interfaces
eacutelectroniques non seulement dans de nouveaux produits mais eacutegalement dans le processus de
travail lui-mecircme Lrsquoeacutelectronique offre sur chaque poste de travail plus de flexibiliteacute aux
181
eacutequipements crsquoest-agrave-dire qursquoelle ouvre la possibiliteacute de changer le mode opeacuteratoire de
machines standardiseacutees mecircme automatiquement agrave travers une reprogrammation supposeacutee
rapide et agrave bas coucirct (Leborgne et Lipietz 2002)
La production assisteacutee par ordinateur eacutelargit consideacuterablement les possibiliteacutes de geacuterer en
temps reacuteel les stocks en cours requis par chaque opeacuteration suivant les besoins de la production
de lrsquoatelier laquelle peut ecirctre optimiseacutee selon lrsquointensiteacute de la demande intermeacutediaire et finale
Parallegravelement elle permet drsquoharmoniser le processus entre les postes de travail seacutepareacutes et par
conseacutequent la planification sur chacun de ces postes Ceci nous renvoie au principe de la
gestion agrave flux tendu (Just in Time) qui prend le pas sur le principe de la reacutegulation par stock
Ce principe de laquo Just in Time raquo peut ecirctre appliqueacute aux relations entre les ateliers dans
lrsquoeacutetablissement entre les eacutetablissements des mecircmes firmes ainsi qursquoentre les firmes et les
sous-traitants Lrsquooisiveteacute des eacutequipements est donc devenue strictement limiteacutee ce qui permet
des eacuteconomies importantes tant au niveau du capital fixe que du capital circulant
Concregravetement cette nouvelle gestion laquo juste agrave temps raquo consiste agrave raccourcir de maniegravere
significative les deacutelais de livraison des produits finis et les deacutelais drsquoapprovisionnement en
matiegraveres premiegraveres ce qui permet agrave lrsquoentreprise drsquoavoir des bonnes relations autant avec ses
clients qursquoavec ses fournisseurs Une telle nouvelle strateacutegie eacutegalement accompagneacutee de la
speacutecialisation et de la production drsquoune gamme restreinte de biens diffeacuterencieacutes pourrait faire
beacuteneacuteficier lrsquoentreprise drsquoune gestion optimale de la qualiteacute de lrsquoinnovation et de lrsquoeacuteconomie
du temps impliquant ainsi une reacuteduction significative du coucirct de revient et par conseacutequent
une meilleur position face agrave ses concurrents (Leborgne et Lipietz 1992) Il en reacutesulte que
lrsquointroduction de cette reacutevolution technologique a reacuteduit indirectement la distance existante
entre les branches traditionnelles et les branches modernes et a apporteacute une marge de
manoeuvre importante aux entreprises de petites et moyennes dimensions
II La division cognitive du travail
Les nouvelles technologies drsquoinformation et de communication vont en effet remettre en
cause la division taylorienne entre travail manuel et travail intellectuel En effet la peacuteriode
post-fordiste se caracteacuterise par de nouvelles organisations des tacircches ougrave le travail qualifieacute et
machines paraissent plus compleacutementaires Concregravetement on passe drsquoune division technique
de travail agrave une division plutocirct cognitive de travail au sens de terme de Maoti et Mouhoud
(1994) Ceci consiste agrave deacutecomposer les processus de production en fonction de la nature des
savoirs neacutecessaires agrave la reacutealisation des diffeacuterentes activiteacutes Ce principe repose sur une logique
182
drsquoefficience dynamique drsquoapprentissage et de creacuteation de ressources Il ne srsquoagit plus
drsquoaccomplir avec la productiviteacute maximale des tacircches eacuteleacutementaires soigneusement deacutefinies
mais de prendre sa place dans un processus de production agrave la configuration eacutevolutive
Autrement dit lrsquoefficaciteacute organisationnelle prend le pas sur lrsquooptimisation des postes
individuels (Dupuy et al 2001) Dans cette perspective le principe de la seacuteparation
fondamentale entre les tacircches manuelles et les tacircches intellectuelles qui eacutetait un des
fondements de la production de masse nrsquoa plus lieu drsquoecirctre dans la nouvelle organisation De
ce fait la conception et la fabrication peuvent ecirctre plus strictement lieacutees Lrsquoenjeu est
doreacutenavant de reacuteconcilier ce que le taylorisme avait seacutepareacute drsquoun cocircteacute les tacircches de conception
et de lrsquoautre cocircteacute les tacircches drsquoexeacutecution dans des uniteacutes de petite taille afin de faire jouer de
rapports de coopeacuteration et au sein mecircme de grandes entreprises
Ces nouvelles formes de coordination du travail encouragent une division reacutefleacutechie et
expeacuterimentale de la deacutefinition et de la distribution des tacircches Lrsquouniteacute de reacutefeacuterence ici nrsquoest
plus lrsquoindividu mais le groupe de travail Le groupe deacutefinit la division de travail pour lui-
mecircme et en veacuterifie lrsquoutiliteacute par la pratique Elles impliquent les travailleurs non seulement
dans lrsquoajustement permanent et dans la maintenance des eacutequipements mais aussi dans les
ameacuteliorations de tout le systegraveme de production gracircce un savoir faire reacutesultant de
lrsquoapprentissage sur le tas lors de lrsquoentretien journalier du processus productif par le personnel
de bureaux des meacutethodes et les exeacutecuteurs Le collectif de travailleurs reccediloit en contrepartie
de cette implication des bonus des avantages de carriegravere un emploi agrave vie une participation
au capital de lrsquoentreprise Un nouveau mode de rapport salarial est apparu il srsquoagit drsquoun
compromis individuel (Exemple lrsquoacceptation des salarieacutes du groupe allemand Bosch de
passer de 35 heures agrave 36 heures en modifiant un compromis collectif 35 heures) plutocirct que
celui de la convention collective marqueacutee le modegravele fordiste Dans le cas eacutecheacuteant la
neacutegociation collective pourrait porter globalement sur lrsquoimplication de ses membres dans la
lutte pour une productiviteacute plus forte et pour une meilleure qualiteacute En contrepartie le
syndicat acquis les droits de controcircle sur les conditions de travail les licenciements et le
partage des gains de productiviteacute comme crsquoest le cas notamment de Japon ou Allemagne
Les modes de coordination qui encouragent une reacutevision deacutelibeacutereacutee et expeacuterimentale de la
deacutefinition des tacircches et de leur reacutepartition entre les institutions eacuteconomiques et au sein de ces
derniegraveres sont plus performants que ce ceux qui reposent sur la division technique de travail
Sabel (1996) a qualifieacute ce systegraveme de modes de coordination de systegraveme drsquoapprentissage par
183
le suivi144 en raison de la maniegravere dont il lie lrsquoeacutevaluation des performances au reacuteexamen des
objectifs Le succegraves ce systegraveme est parvenu agrave lrsquointeacutegration de la conception et agrave lrsquoexeacutecution de
la production ougrave la deacuteleacutegation drsquoune partie des pouvoirs au niveau de la conception et de la
production des biens et services de chaque activiteacute est conduite dans uniteacute (semi-)autonome
Ceci permet agrave chaque uniteacute de reacuteduire les coucircts drsquoougrave la solution des problegravemes souleveacutes dans
son domaine de speacutecialisation pour un client quelconque sur la base drsquoexpeacuterience dans la
solution de problegravemes analogues Des eacuteconomies drsquoenvergure sont ainsi reacutealiseacutees Cette
logique de lrsquoorganisation deacutecrite ci-dessus a eacuteteacute en grande partie agrave lrsquoorigine de la reacuteussite de
lrsquoexpeacuterience japonaise Cela ne signifie cependant pas que ce type de coordination est limiteacute agrave
la culture japonaise Il srsquoest propageacute essentiellement gracircce aux entreprises multinationales
aux Eacutetats-Unis agrave Union Europeacuteen et drsquoautre (Sable 1996)
Au total dans une egravere drsquoincertitude ougrave les marcheacutes sont concurrentiels et ougrave les produits sont
soumis agrave une diffeacuterenciation incessante et agrave des conditions eacuteconomiques hautement
impreacutevisibles la fragmentation semble ecirctre la meilleure strateacutegie afin drsquoeacuteviter la mauvaise
allocation du capital et du travail dans des uniteacutes de production inteacutegreacutee Scheacutematiquement il
srsquoagit drsquoun passage du modegravele de production de masse dans lequel selon le mot ceacutelegravebre de
Ford laquo le client a le choix de la couleur de la voiture agrave condition qursquoil soit noir raquo agrave un modegravele
de speacutecialisations flexibles Gracircce agrave ce dernier les producteurs peuvent se former et se
reformer avec une relative faciliteacutee en fonction des changements du marcheacute
B) Les limites theacuteoriques et pratiques de la speacutecialisation flexible
La transformation structurelle sur laquelle repose lrsquoensemble de la theacuteorie de la speacutecialisation
flexible agrave savoir la dislocation des marcheacutes de masse et la division cognitive du travail reste
douteuse drsquoapregraves plusieurs chercheurs145
Ces derniers font appel agrave un certain nombre de
points qui montrent en effet les limites de cette nouvelle tendance theacuteorique
la sous-estimation de lrsquoeacutetendue et de la production en petite seacuterie artisanale
pendant le fordisme lui-mecircme
Le nombre croissant des opeacuterations drsquoacquisition et de fusion marquant ces
derniegraveres anneacutees reste sans preacuteceacutedent dans tous les secteurs Un tel mouvement
144
Sable (1996) laisse entendre par apprentissage par le suivi une coordination qui fixe de maniegravere stricte des
objectifs agrave atteindre et qui associe les discussions sur lrsquoexamen des performances obtenues par les diffeacuterents
partenaires (le suivi) ou discussions sur la faccedilon drsquoameacuteliorer lrsquoexploitation compte tenu de ces pheacutenomegravenes
(apprentissage) 145
Voir par exemple les travaux drsquoAsh et Kenin (1992)
184
srsquoest inscrit dans une nouvelle acceacuteleacuteration des opeacuterations de croissance externe
dans de nouvelles formes de coopeacuteration et drsquoalliance entre groupes industriels
Lrsquoimportance persistante agrave lrsquoheure actuelle des eacuteconomies drsquoeacutechelle des
investissements de capaciteacute pour reacutepondre rapidement aux commandes de
grande quantiteacute en raison de la monteacutee continue des coucircts fixes notamment
ceux neacutecessaires pour peacuteneacutetrer dans la plupart des secteurs Ce qui implique
que
Lrsquoabsorption des parts de marcheacute est effectueacutee de plus en plus par des
principaux concurrents profitant de leur taille critique importante
Lrsquoaptitude des leaders du marcheacute agrave reacutepondre agrave une demande
diffeacuterencieacutee par des biens fabriqueacutes agrave partir de tregraves nombreux
composants standardiseacutes et produits en grande seacuterie (pex Toyota)
Ce qui signifie que la grande entreprise verticalement inteacutegreacutee nrsquoest pas voueacutee agrave disparaicirctre
et que les oligopoles et les tregraves grosses firmes ne sont tout agrave fait compatibles avec un
accroissement de la flexibiliteacute Par conseacutequent ce concept nrsquoest pas lrsquoapanage des petits
systegravemes productifs inteacutegreacutes et non hieacuterarchiseacutes La grande entreprise subite certes des
pressions de plus en plus importantes de la concurrence acharneacutee auxquelles elle ne peut pas
verticalement faire face en raison de sa taille de son systegraveme drsquoorganisation Par contre elle
peut tregraves bien parvenir agrave cette flexibiliteacute gracircce agrave la nouvelle technologie ou agrave lrsquoexternalisation
de certains fonctions sans abandonner pour autant la plupart des atouts qui lrsquoont
traditionnellement distingueacutes de la petite entreprise agrave savoir ses ressources financiegraveres
eacutelargies son poids sur le marcheacute sa capaciteacute drsquoinnovation et une mobiliteacute geacuteographique
relativement aiseacutee (Flavia et Erica 1992)
Il convient de ne pas opposer production de masse et production flexible la premiegravere ayant
encore de beaux jours devant elle En effet la flexibiliteacute lieacutee au processus productif ne se
reacuteduit pas agrave une tendance vers des processus de production agrave petite eacutechelle comme on le
suggegravere parfois mais laquo correspond agrave une reacuteorganisation de la conception des produits et des
eacutetapes de la production pour concilier lrsquoobtention drsquoeacuteconomies drsquoeacutechelle toujours
substantielles et une diffeacuterenciation plus pousseacutee du produit final pour satisfaire et stabiliser
une demande de plus en plus complexe raquo (Razanakoto 2003 p7) Par ailleurs il ne faut pas
oublier qursquoune partie des PME travaillent directement ou indirectement pour les grands
groupes et qursquoelles font lrsquoobjet de rachat massif par des groupes nationaux ou internationaux
185
depuis le milieu des anneacutees 80 (Colletis et Pecqueur 1993) En effet plusieurs systegravemes baseacutes
sur un regroupement des PME en Italie ont par exemple laquo eacuteprouveacute des difficulteacutes agrave reacutepondre
de maniegravere efficace agrave lrsquoimpeacuteratif drsquointernationalisation qui srsquoest imposeacute agrave elles dans le
courant des anneacutees 90 On a pu consideacuterer alors que lrsquoapparition le deacuteveloppement ou le
redeacuteploiement de grandes entreprises drsquoentreprises pilotes ou drsquoentreprises leaders pouvait
constituer un gage de lrsquoadaptation neacutecessaire de ces districts aux changements (Carbonara
2002 Tomaacutes Carpi et 1999 a Whitford 2001) raquo (Gallego-Bono 2007 p2) En reacutealiteacute ce
nrsquoest pas la supreacutematie de la taille petite ou grande qui conditionne le degreacute de la flexibiliteacute du
processus productif mais plutocirct les interactions entre groupes et PME ainsi qursquoagrave lrsquointeacuterieur
mecircme de groupes (entre ses eacutetablissements) Pour ces raisons Boyer et Coriat (1987)
appreacutehendent cette restructuration des processus productifs comme une flexibilisation de la
production de masse et non comme lrsquoabandon de cette derniegravere
Cette flexibilisation reacutesultante des demandes changeantes diversifieacutees voire incertaines
comme nous lrsquoavons souligneacute a progressivement remis en cause lrsquointeacuterecirct de grands
producteurs de biens standardiseacutes fortement inteacutegreacutes et rigides En effet lrsquointensification de la
concurrence par la qualiteacute la diffeacuterenciation croissante des demandes ainsi que la neacutecessiteacute
drsquoadapter en permanence les productions agrave des besoins sans cesse eacutevolutifs ont pousseacute vers
une plus grande flexibiliteacute de lrsquoappareil productif Ils ont stimuleacute lrsquoadoption drsquoune
organisation plus souple utilisant des eacutequipements eacutevolutifs et agrave usage multiples privileacutegiant
lrsquoinnovation et recourant agrave des services speacutecialiseacutes de plus en plus nombreux Le reacutesultat
crsquoest qursquoune bonne partie des entreprises ont modifieacute leurs organisations internes
abandonnant les grandes structures pyramidales hieacuterarchiseacutees et srsquoeacuteclatant souvent en une
seacuterie drsquouniteacutes de moindre importance relieacutees entre elles par toutes sortes drsquoaccords et de
contrats au sein de reacuteseaux organiseacutes
Ceci nous ramegravene agrave une importante question celle de coordination entres les uniteacutes de
production entre celles-ci et les autres agents eacuteconomiques En fait la deacutesinteacutegration verticale
va certainement srsquoaccompagner avec plus de coordinations On se demande alors si ces
coordinations font-elles toujours une reacutefeacuterence absolue au marcheacute Quels changements
empiriques et theacuteoriques sont impliqueacutes par le nouveau mode de production en particulier et
par lrsquounivers eacuteconomique mondial en geacuteneacuteral sur la nature des formes de la coordination
186
23 Coordination des agents entre la rationaliteacute parfaite et la rationaliteacute limiteacutee
Un des enseignements majeurs que nous pouvons tirer de la section preacuteceacutedente concerne la
pluraliteacute des acteurs eacuteconomiques et sociaux qui devraient intervenir pour la conception et la
production de produits alimentaires de qualiteacute notamment ceux lieacutes agrave lrsquoorigine de ceux-ci En
effet ces derniers posent de seacuterieuses questions par rapport aux processus de coordination
entre les producteurs pour choisir par exemple le signal adapteacute agrave leur production et agrave leur
leacutegitimiteacute en tant que tel En drsquoautres termes laquo speacutecifier le lien agrave lrsquoorigine neacutecessite de
caracteacuteriser un produit selon le lieu geacuteographique mais aussi agrave partir de la deacutemarche
collective (ie au sein du ldquodispositif organisationnelrdquo) raquo (Filippi et Triboulet 2006 p122)
Cette deacutemarche nrsquoest pas toujours facile agrave reacutealiser en raison de la tendance accrue de la
deacutesinteacutegration verticale Cela implique des interactions que les producteurs devraient avoir
afin drsquoassurer un bon deacuteroulement de son processus de production ceci nous renvoie au
problegraveme majeur de la coordination entre agents Ces vingt derniegraveres anneacutees de nombreux
travaux de recherche ont effectivement traiteacute cette question fondamentale dans lrsquoanalyse
eacuteconomique tout en essayant de deacutevelopper des approches alternatives agrave lrsquoapproche dite
standard
Lrsquohypothegravese de base de lrsquoapproche standard consiste agrave consideacuterer lrsquoacteur eacuteconomique
(notamment lrsquoentrepreneur) en tant qursquoecirctre eacutegoiumlste autonome jouissant drsquoune rationaliteacute
illimiteacutee et guideacute par la seule recherche de son inteacuterecirct personnel Cet inteacuterecirct individuel sous-
entend la recherche de la profitabiliteacute associeacutee agrave la reacutealisation de la fonction eacuteconomique de
son entreprise crsquoest-agrave-dire agrave la disponibiliteacute des ressources et agrave lrsquoaccessibiliteacute au marcheacute En
effet lrsquoapproche standard suppose laquo lrsquoaccessibiliteacute des facteurs agrave moindre coucirct sans que ne
soient eacuteclaircies les modaliteacutes drsquoaccegraves agrave ces facteurs ni la durabiliteacute de lrsquoavantage
concurrentiel ainsi construit Il fonde la pertinence strateacutegique du comportement de la firme
volatile dont les choix se veulent reacuteversibles du fait de la fonction de la localisation
reacuteducteur de coucircts (coucircts de transport et drsquoaccegraves aux marcheacutes coucircts main drsquooeuvre coucircts des
matiegraveres premiegravereshellip) raquo (Lambert 1999 p2) Elle suppose eacutegalement et toujours de la
compeacutetition entre les entrepreneurs et donc un lieu ougrave se joue cette concurrence Ce lieu
consideacutereacute comme ideacuteal nrsquoest autre que le marcheacute au sein duquel le prix contient toute
lrsquoinformation neacutecessaire pour prendre des deacutecisions efficientes Une concurrence pure et
parfaite est alors possible gracircce agrave la laquo loi de lrsquoindiffeacuterence raquo de Jevons lrsquoimpersonnalisation
de lrsquoeacutechange Les entrepreneurs ne sont donc que des preneurs de prix dans des mondes
interchangeables autrement dit il nrsquoy a aucune neacutegociation ou marchandage
187
Les eacutecarts par rapport agrave ces hypothegraveses sont consideacutereacutees comme des imperfections (ou des
deacutefaillances) de marcheacute Pour la theacuteorie heacuteteacuterodoxe ces eacutecarts correspondent preacuteciseacutement aux
relations sociales entre les intervenants sur le marcheacute Il est eacutevident que lrsquoacteur eacuteconomique
tient compte de relations sociales dans ses deacutecisions Crsquoest-agrave-dire que laquo ses croyances et ses
preacutefeacuterences peuvent ecirctre elle mecircme le produit drsquointeractions sociales non meacutediatiseacutees par les
prix et le marcheacute raquo (Arrow 1998) Dans cette perspective les individus sont conceptualiseacutes
comme des agents dont les deacutecisions deacutependent directement drsquoautres acteurs Le monde
agroalimentaire met ainsi en eacutevidence cette dimension non marchande des relations
Effectivement la nature du produit agricole de base (peacuterissable ou non peacuterissable) le mode de
transformation (simple conditionnement ou surgeacutelation) et le type des processus biophysiques
(maturation lente ou cycle court) faccedilonnent plus ou moins fortement les meacutecanismes
drsquoeacutechange dans les filiegraveres et notamment les meacutethodes de gestion de la qualiteacute La relation
entre le produit et le processus de transformation drsquoune part et de lrsquoautre la forme prise par
les eacutechanges entre fournisseurs agricoles et transformateurs entre fabricants et distributeurs et
entre commerccedilants et consommateurs ont une dimension technique eacuteconomique sociale et
juridique (Delfosse et Letablier 1995 Nicolas et Valceschini 1993)
Sur ces hypothegraveses un ensemble drsquoapproches nouvelles srsquoest deacuteveloppeacute depuis les anneacutees
1970 telles que la theacuteorie de lrsquoagence la theacuteorie des coucircts de transaction la theacuteorie des
compeacutetences la theacuteorie eacutevolutionniste la theacuteorie de convention ou bien encore la theacuteorie de la
reacutegulation Elles apportent des eacuteclairages utiles sur les modes drsquoorganisation des entreprises
sur la gestion des rapports entre elles et sur les liens entre efficaciteacute eacuteconomique et mode
coordination entre les firmes Traiter convenablement ce problegraveme de coordination suppose
de relativiser la rationaliteacute dont ces theacuteories dites alternatives attribuent geacuteneacuteralement aux
individus Les chercheurs en se basant principalement sur les travaux Simon HA (1981
1989) parlent de la rationaliteacute limiteacutee plutocirct que substantive les agents nrsquoont pas la capaciteacute
totale de traitement des informations (de compreacutehension et de preacutevision des reacuteactions des
employeacutes des fournisseurs des clients et des concurrents) que leurs precircte la theacuteorie
neacuteoclassique (Ghertman 2006) La rationaliteacute limiteacutee va alors devenir un preacutealable et un point
commun pour tous les travaux qui eacutetudient la question de la coordination eacuteconomique en
particulier la theacuteorie des transactions lrsquoeacuteconomie de convention et la theacuteorie eacuteconomique de
lrsquoeacutevolution
188
231 De la theacuteorie des coucircts de transaction agrave lrsquoorganisation reacutesiliaire
La survenance des crises eacuteconomiques et des bouleversements introduits dans les conditions
de la concurrence internationale de plus en plus vives et dans les technologies conduisant agrave de
nouveaux produits et de nouveaux processus de production ont fait de la capaciteacute drsquoadoption
rapide aux changements une des conditions essentielle agrave la survie des entreprises Pour reacuteussir
ce deacutefi une nouvelle forme drsquoorganisation industrielle srsquoaveacuterait neacutecessaire (Veltz 1993
Veltz et Zarifian 1993) Elle allait se situer entre les deux formes pures que sont le marcheacute et
la hieacuterarchie Son niveau intermeacutediaire a fait place agrave un certain nombre de relations non-
marchandes du type coopeacuteration de partenariat Ces derniegraveres vont au-delagrave de la relation de
marcheacute sans impliquer pour autant une inteacutegration totale ou une perte de souveraineteacute pour
les partenaires subordonneacutes Cette question importante de la subdivision faite entre marcheacute ou
hieacuterarchie a eacuteteacute abordeacutee initialement par lrsquoeacuteconomie transactionnelle Crsquoest notamment
Williamson (1975) qui reprenant certains travaux preacutecurseurs de Coase146 va ouvrir lrsquoanalyse
agrave drsquoautres modes de coordination eacuteconomique que le marcheacute En effet en introduisant un
autre type de coucircts ceux de transaction il devient possible drsquoeacutetendre la rationaliteacute
eacuteconomique agrave un choix entre recours au marcheacute (relations externes agrave la firme) et recours agrave la
hieacuterarchie (relations internes agrave la firme) La prise en consideacuteration de coucirct de transactions147
va impliquer une modification de la vision de lrsquoinformation qui devient asymeacutetrique de la
rationaliteacute qui devient limiteacutee et du comportement qui peut ecirctre opportuniste (Didry et
Vincensini 2010)
Ce sont ces diffeacuterents arguments qui ont pousseacute Williamson (1975) agrave la reconnaissance de
lrsquoexistence de relations intermeacutediaires ou hybrides recouvrant notamment les relations de
firme agrave firme et qui ne relegravevent pourtant pas du marcheacute (Baudry 1999) On peut affirmer que
les eacuteconomies des coucircts de transactions sont les principaux facteurs responsables des
deacutecisions drsquointeacutegration sans exclure la preacutesence drsquoautres facteurs qui agissent parfois
simultaneacutement pour certains Williamson (1975) avance un autre concept celui de lrsquoactif
speacutecifique148
en relation avec les coucircts de transactions et par conseacutequent avec le choix de la
146
laquo Il existe un coucirct agrave lrsquoutilisation du meacutecanisme des prix Le coucirct le plus eacutevident de lrsquolaquo organisation raquo de la
production agrave travers le systegraveme des prix ressortit agrave la deacutecouverte des prix adeacutequats [hellip] Les coucircts de
neacutegociation et de conclusion de contrats seacutepareacutes pour chaque transaction drsquoeacutechange prenant place sur le
marcheacute doivent eacutegalement ecirctre pris en compteraquo (Coase (1937) citeacute par Didry et Vincensini 2010 p 210) 147
Eacutetant donneacute les actions qui doivent ecirctre effectueacutees pour atteindre un objectif fixeacute une transaction est un
ensemble des opeacuterations neacutecessaires pour deacuteterminer motiver et coordonner les individus qui doivent reacutealiser
ces actions Le terme de coucircts de transactions deacutesigne le coucirct de cet ensemble drsquoopeacuterations (Williamson 1975) 148
Un actif est qualifieacute de speacutecifique lorsqursquoil ne peut pas ecirctre deacuteployeacute vers des usages alternatifs sans prendre
de sa valeur productive Williamson (1975) laisse entendre de cette notion lrsquoensemble des caracteacuteristiques
189
forme drsquoorganisation Il affirme que lorsque la transaction porte sur des actifs speacutecifiques la
personne deacutetenant ces actifs doit ecirctre garantie de pouvoir les exploiter eacutetant donneacute son
caractegravere de quasi-rente constituant un avantage concurrentiel mais aussi de la preacutesence de
coucircts de sortie eacuteleveacutes Celle-ci nous renvoie agrave la notion de non-deacutependance envers une partie
exteacuterieure ce qui peut srsquoexpliquer par la non-transfeacuterabiliteacute faisant des actifs et par le risque
drsquoecirctre pris dans une situation drsquootage laquo hold-up raquo
Autrement dit on est devant un dilemme marcheacute-hieacuterarchie flexibiliteacute-irreversibiliteacute
rationaliteacute limiteacutee-opportunisme Pour Williamson (1975) la reacutesolution de ce dilemme est
fonction du degreacute drsquoactifs speacutecifiques plus la speacutecificiteacute drsquoactifs est grande plus le coucirct de
transaction est lui-mecircme important du fait drsquoune contractualisation complexe et coucircteuse
entre les parties Le recours au marcheacute se reacutevegravele alors plus efficace dans la mesure ougrave
lrsquoexternalisation de la transaction permet de reacuteduire son coucirct Dans le cas contraire
lrsquoentreprise devra supporter des coucircts bureaucratiques drsquoorganisation interne puisque les
coucircts de production sur le marcheacute seront moins eacuteleveacutes que dans lrsquoentreprise Ce choix pour le
marcheacute permet de reacuteduire le coucirct de sortie en cas de reacuteorientation des activiteacutes mais il se
traduit parallegravelement par une situation drsquootage envers la partie externe qui controcircle lrsquoactif
(Boissin 1999) Pour eacutechapper agrave cette situation (ou lorsque la speacutecificiteacute drsquoactif est plus
grande il est possible que lrsquoentreprise srsquoappuie sur des structures hieacuterarchiques afin drsquoassurer
la coopeacuteration des acteurs Lrsquoentreprise dans ce cas risque de se heurter au hasard moral agrave la
seacutelection de diverses et agrave la mauvaise volonteacute des salarieacutes Les firmes coordonnent donc leurs
activiteacutes en srsquoappuyant principalement sur des hieacuterarchies et sur des dispositifs concurrentiels
dans le cadre de marcheacute les relations de ce cadre eacutetant marqueacutees par la forte preacutesence
drsquoeacutechanges contractuels de produits ou de services dans un contexte concurrentiel et de
contrats formels Dans cette perspective le prix est pris en prioriteacute dans les consideacuterations
par les contractants
Pour sortir de ce dilemme lrsquoentreprise peut envisager une strateacutegie qui nrsquoest plus celle du
marcheacute ou de la hieacuterarchie mais celle de lrsquoeacuteconomie de marcheacute coordonneacutee Dans une plus
grande mesure lrsquoentreprise peut compter sur des relations non marchandes pour coordonner
ses efforts avec drsquoautres acteurs et pour construire leurs compeacutetences principales Ce type de
coordination exige souvent un appel plus large agrave la reacuteputation et agrave la contractualisation
partielle ainsi qursquoagrave une attention plus particuliegravere au reacuteseau Un reacuteseau qui sera deacutesigneacute
techniques immateacuterielles locales et humaines qui confegravere agrave lrsquoactif une plus grande efficience productive
lorsque celui-ci est inteacutegreacute au sein drsquoun processus productif donneacute
190
comme eacutetant un eacutetat des relations inter-entreprises et qui ne relegraveve ni du marcheacute ni de la
hieacuterarchie Il srsquoagit drsquoun ensemble de formes intermeacutediaires qui combinent simultaneacutement et agrave
des degreacutes diffeacuterents des meacutecanismes drsquoallocations des ressources qui appartiennent au
marcheacute pur et agrave la hieacuterarchie pure (Hall et Soskice 2002) Ces formes intermeacutediaires ont eacuteteacute
deacuteveloppeacutees sous deux cateacutegories drsquoorganisation Une concerne lrsquoorganisation dite reacutesiliaire
ou reacuteseau (quasi- deacutesinteacutegration ou quasi-hieacuterarchique) et lrsquoautre concerne le reacuteseau firme ou
le systegraveme productif localiseacute (qui sera deacuteveloppeacute un peu plus loin) (Colletis et Pecqueur
1993)
Les grands traits de la premiegravere cateacutegorie ont bien eacuteteacute deacuteveloppeacutes principalement dans les
travaux drsquoAoki (1990) et de Leborgne et Lipietz (19911992) Ceux-ci affirment que quelque
soit le modegravele de deacuteveloppement eacutemergeant lrsquoinstabiliteacute croissante de la conjoncture et la
tendance agrave une faible dureacutee des produits renforcent lrsquoimportance de la mutualisation des
risques sur la recherche et le deacuteveloppement sur les immobilisations en haute technologie et
plus geacuteneacuteralement sur les immobilisations en capital fixe contre plusieurs proprieacutetaires de
capital (Leborgne Lipietz 1991) Aoki (1990) a montreacute que le modegravele de lrsquoorganisation
pyramidale fortement hieacuterarchiseacute est adapteacute aussi bien agrave un environnement stable
qursquoextrecircmement variable et incertain Entre ces deux extrecircmes lorsque lrsquoenvironnement
change constamment comme crsquoest le cas actuel le modegravele fondeacute sur une coordination
horizontale semble le mieux adapteacutee (Leborgne et Lipietz 1992) Un tel nouveau scheacutema
organisationnel se repose principalement sur une deacutecentralisation de lrsquoactiviteacute opeacuterationnelle
conjugueacutee agrave une centralisation accrue de pouvoir central qui deacutefinit la strateacutegie globale du
groupe Il se caracteacuterise entre autres par
Des relations stables entre fournisseurs et clients
Une part importante du client dans le chiffre drsquoaffaires du fournisseur
Un champ de sous-traitance eacutetendue de la conception agrave la commercialisation
Des formes non marchandes de relations inter-firmes allant de la subordination au
partenariat
Le recentrage sur les meacutetiers
La quasi inteacutegration verticale recouvre toujours certaines formes classiques fordiennes de
sous-traitance mais la grande diffeacuterence par rapport agrave ces formes est lrsquoexistence de la petite ou
moyenne entreprise speacutecialiseacutee et doteacutee drsquoune capaciteacute de conception et drsquoinnovation Il ne
srsquoagit plus de la sous-traitance mais de la co-traitance Cette tendance agrave lrsquoeacuteclatement srsquoest
191
opeacutereacutee de faccedilon plus ou moins puissante selon le type de lrsquoactiviteacute Elle est eacutegalement en
fonction des rapports entre lrsquoimportance des eacuteconomies internes drsquoeacutechelle (qui poussent au
maintien de la coheacuterence de lrsquoensemble) et agrave lrsquoimportance des eacuteconomies drsquoeacutechelle externes
(qui poussent les entreprises agrave se deacutesinteacutegrer pour tirer profit des atouts de la souplesse et des
opportuniteacutes offrant par les divers lieux de localisation) (Leborgne et Lipietz 1992) En effet
les accords interentreprises agrave partir du milieu des anneacutees 80 ont eu pour effet drsquointroduire
des relations ne relevant geacuteneacuteralement ni du droit de proprieacuteteacute ni de la concentration
financiegravere mais de la recherche de compleacutementariteacute technico-industrielle entre des partenaires
qui restent juridiquement indeacutependants et qui peuvent mecircme poursuivre des objectifs
productifs communs (Dupuy et Gilly 1995)
232 La theacuteorie eacutevolutionniste le rocircle de lrsquoapprentissage historique et de la
coordination des agents dans les deacutecisions des agents eacuteconomiques
Certes la theacuteorie des coucircts de transaction et dans un moins degreacute lrsquoapproche reacutesiliaire nous ont
permis de jeter la lumiegravere sur les formes hieacuterarchiques ou quasi-hieacuterarchiques de la
gouvernance comme mode de coordination reacutepondant aux deacutefaillances du marcheacute Mais leurs
explications restent limiteacutees agrave un arbitrage (presque statique et quantitatif) entre faire et faire
faire sans rentrer dans la boite noire de chacun de ces deux choix Lrsquoapproche eacutevolutionniste
(Dosi et Winter 2003) de la dynamique eacuteconomique a tenteacute de deacutepasser cette vision en
mettant en eacutevidence les meacutecanismes drsquoapprentissage et de coordination des agents ainsi que
leur rocircle dans les deacutecisions des agents eacuteconomiques Selon elle ces meacutecanismes ne peuvent
plus laquo les eacutecarter en analysant exclusivement les eacutetats drsquoeacutequilibre du systegraveme ni en comptant
sur les anticipations rationnelles des agents (que lrsquoeacutequilibre pourrait permettre) pour
reacutesoudre ces problegravemes de coordination raquo (Yildizoglu 2009 p5)
Il srsquoagit drsquoun mouvement drsquoadaptation continue ougrave les comportements les croyances et les
strateacutegies des agents eacutevoluent continucircment en fonction de leur expeacuterience avec les autres
agents et du systegraveme eacuteconomique qursquoils constituent (Dosi 1988) Ce cadre place lrsquohistoire et
lrsquoeacutevolution dans une perspective eacutevolutionniste crsquoest-agrave-dire la prise en consideacuteration de
lrsquoimportance de lrsquohistoire afin drsquoanalyser et de comprendre les pheacutenomegravenes eacuteconomiques et
par conseacutequent des meacutecanismes drsquoeacutevolution rendant intelligibles les trajectoires
technologiques organisationnelles et institutionnelles des eacuteconomies (Lazaric 2010) Nelson
et Winter (1982) parlent mecircme de pheacutenomegravenes drsquoirreacuteversibiliteacute et de poids du passeacute avec ses
effets deacutecisifs sur les deacutecisions microeacuteconomiques Cette approche fournit des arguments non
192
neacutegligeables pour comprendre la dynamique des trajectoires technologiques selon Dosi (1982
1988) ainsi que des meacutecanismes drsquoirreacuteversibiliteacute qui lui sont relieacutes agrave travers les processus
cumulatifs drsquoeacuteconomie drsquoeacutechelle drsquoexternaliteacute de reacuteseau et drsquoapprentissage par lrsquousage
(Arena et Lazaric 2003)
Cette lecture eacutevolutionniste de la dynamique a permis de deacutepasser lrsquoapproche standard de la
technologie ougrave lrsquoaspect production et creacuteation de connaissance est neacutegligeacute ou tout agrave fait
secondaire La grille de lecture transactionnelle paraicirct de ce fait eacutegalement insuffisante
notamment dans une nouvelle eacuteconomie baseacutee davantage sur la connaissance Celle-ci est un
bien diffeacuterent des autres marchandises tangibles et soulegraveve des questions beaucoup plus
complexes que ne peut reacutesorber le seul meacutecanisme de prix (Foray 2009) Les recherches
eacutevolutionnistes (Nelson et Winter 1982) ont reacuteveacuteleacute qursquoil existe plusieurs types de
connaissances au sein de la firme qursquoelles soient individuelles collectives ou distribueacutees Ces
connaissances sont situeacutees dans les meacutemoires individuelles dans des ouvrages des
documents des ordinateurs des rapports drsquoactiviteacutes et sont incorporeacutes en partie dans certains
eacutequipements productifs laquo Contrairement au postulat usuel selon lequel toute connaissance
srsquoancre physiquement dans le capital productif et se manifeste au sein de ce dernier
lrsquohypothegravese retenue ici est celle de reacutepertoires dont les pourtours sont latents et dont
lrsquoactivation nrsquoest pas meacutethodique Autrement dit la firme dispose drsquoune multitude drsquooptions
pour reacutealiser les combinaisons productives neacutecessaires et crsquoest la maniegravere dont elle mettra en
oeuvre ces derniegraveres qui creacutee un processus productif viable dans un environnement donneacute raquo
(Arena et Lazaric 2003 p349)
Pour les eacutevolutionnistes (Nelson et Winter 1982 Dosi 1988) les hypothegraveses fondamentales
sur lesquelles repose la theacuteorie neacuteoclassique sont non seulement inutiles mais carreacutement
dangereuses si lrsquoon srsquoen inspire pour deacutefinir le comportement des acteurs dans le monde reacuteel
Prendre comme postulat que les agents ont une information (quasiment) parfaite est
objectivement rationnel tout comme le fait qursquoils optimisent leur reacutesultat suppose que la
theacuteorie standard les creacutedite drsquoune capaciteacute drsquoaction qui est aussi stupeacutefiante qursquoirreacutealiste
Comment les individus (notamment les entreprises) parviennent agrave savoir ce qursquoils savent et
drsquoune maniegravere claire comment apprennent-ils Il vaut mieux pour les eacutevolutionnistes avoir
recours agrave la notion de la rationaliteacute limiteacutee plutocirct qursquoagrave cette rationaliteacute parfaite de
neacuteoclassique Drsquoapregraves eux la rationaliteacute limiteacutee consiste agrave reconnaicirctre que le monde de
lrsquoeacuteconomie est bien trop complexe pour qursquoune entreprise puisse lrsquoappreacutehender parfaitement
193
Cette vision place la rationaliteacute dans la construction par les agents de solutions agrave des
problegravemes (la rationaliteacute proceacutedurale) plutocirct que dans la reacutesolution directe de ces problegravemes
(la rationaliteacute substantive) Une des manifestations possibles de la rationaliteacute proceacutedurale est
lrsquoutilisation des regravegles de deacutecisions simples (les routines chez Nelson et Winter (1982) par les
agents) Lrsquoapprentissage correspond alors agrave la recherche de nouvelles regravegles puisque celles
dont dispose lrsquoagent ne le satisfont plus (Yildizoglu 2009) La theacuteorie eacutevolutionniste a mis
lrsquoaccent sur lrsquoapprentissage comme un moyen de parvenir agrave rationaliser les comportements
eacuteconomiques et par conseacutequence nous sommes loin du postulat neacuteoclassique ougrave les prix (et
les marcheacutes) sont les seuls reacutegulateurs sociaux qui transmettent lrsquoinformation de faccedilon active
Lrsquoapproche eacutevolutionniste de la dynamique eacuteconomique reste cependant davantage une
theacuteorie microeacuteconomique eacutetudiant principalement la firme et leur processus technologique
interne Celle-ci met agrave la marge leurs relations avec les autres acteurs eacuteconomiques deacutependant
de multiples facteurs eacuteconomiques et non eacuteconomiques et notamment les regravegles qui reacutegissent
ces relations Dans cette perspective la theacuteorie des conventions a tenteacute de saisir la
signification eacuteconomique de facteurs intangibles tels que le capital social les normes les
usages et conventions qui reacutegissent les relations entre les entreprises et les rapports qursquoelles
entretiennent avec les institutions au milieu desquelles elles eacutevoluent
233 De lrsquoeacuteconomie des conventions vers une nouvelle sociologie eacuteconomique lieacutee
davantage au milieu local
Contrairement agrave lrsquoindividualisme meacutethodologique de la theacuteorie eacuteconomique standard qui
preacutesente lrsquoaction eacuteconomique comme un fait a-social a-historique et atomiseacute lrsquoeacuteconomie de
convention (Revue Economique 1989) essaye drsquoexpliquer les faits eacuteconomiques agrave partir
drsquoeacuteleacutements sociologiques Lrsquohypothegravese de base deacutefendue par lrsquoeacuteconomie de convention reacuteside
dans le fait que lrsquoaction eacuteconomique est une forme de lrsquoaction sociale et par conseacutequent les
institutions eacuteconomiques sont socialement construites (Reynaud 2001) Ce principe implique
lrsquoencastrement de lrsquoindividu par exemple lrsquoentreprise dans un groupe social contenant agrave cocircteacute
des relations marchandes des relations non concurrentes dont la qualiteacute est drsquoimportance
capitale que ce soient dans les relations au niveau interne avec ses propres salarieacutes ou
externe avec drsquoautres acteurs incluant fournisseurs clients collaborateurs actionnaires
syndicats organisations patronales et gouvernementales (Laville 2004) En effet la qualiteacute
ainsi que la densiteacute de ces relations deacuteterminent tant la capaciteacute des entreprises agrave rester
compeacutetitive que le progregraves technologique dans lrsquoensemble de lrsquoeacuteconomie
194
Les conventions sont des solutions agrave des problegravemes de coordination interindividuelle De
grandes deacutecisions eacuteconomiques peuvent donc eacutegalement ecirctre eacuteclaireacutees en srsquoappuyant sur la
notion de convention Dans la reacutealiteacute il existe en eacuteconomie plusieurs theacuteories des
conventions On trouve parmi elles la theacuteorie des jeux qui considegravere la convention comme
eacutetant un moyen de coordination arbitraire neacutecessaire agrave des individus rationnels ayant des
inteacuterecircts communs Mecircme si lrsquoarbitraire de la convention peut conduire agrave un eacutetat sous optimal
il reste rationnel de suivre celle-ci si les individus ont une preacutefeacuterence pour la conformiteacute La
convention se deacutefinit alors comme un conformisme rationnel (Demuijnck 1999 Lewis
2002) Traditionnellement on distingue la convention comme regravegle de coordination des
comportements de la convention et comme modegravele drsquoeacutevaluation coordonnant les
repreacutesentations sur les comportements (Orleacutean 1994 Salais et Storper 1993 Salais 1998)
Une convention laquo peut prendre la forme drsquoune reacutegulariteacute drsquoun accord collectif tacite ou
explicite drsquoune regravegle de comportementhellipqui permet aux agents de coopeacuterer elle apparaicirct
comme le cadre constitutif de la coopeacuteration et comme le reacutesultat de cette coopeacuterationhellip raquo
(Beacutejean 1999 citeacute par Domin 2003 p734) La convention se distingue toutefois de la regravegle
pour son degreacute drsquointentionnaliteacute pour sa dimension collective et par le processus
drsquoapprentissage qursquoelle suppose
Pour srsquoadapter agrave un monde intrinsegraveque incertain les acteurs vont srsquoappuyer sur des regravegles
conventionnelles permettant de catalyser les accords individuels et de guider leurs
comportements Dans cette perspective nous allons preacutesenter les axes majeurs drsquoune
des contributions la plus marquante agrave lrsquoeacuteconomie de convention celle de mondes de
production deacuteveloppeacutee par Salais et Storper (1993) Ces derniers deacutefinissent la convention
laquo comme un systegraveme drsquoattentes reacuteciproques concernant les compeacutetences et comportant monde
des autres Lrsquoun et lrsquoautre repose sur des conventions partageacutees par les personnes drsquoun mecircme
monde raquo (Salais et Storper 1993 p34) Chaque ensemble de conventions deacutecrit un cadre (un
contexte) drsquoaction diffeacuterent pour chaque sorte de produit que Salais et Storper appellent un
laquo monde raquo de production La notion theacuteorique drsquoun monde est censeacutee permettre de
comprendre les relations entre les personnes les organisations les objets et les ideacutees avec
une certaine indivisibiliteacute et exhaustiviteacute
Le contenu analytique central de cette notion est lrsquointerdeacutependance des actions de nombreux
participants au projet productif et ainsi le besoin de coordination si la production doit aboutir
agrave des outputs utiles et eacuteconomiquement viables Une production est efficiente quand les
195
incertitudes sont surmonteacutees gracircce agrave des conventions eacuteconomiquement coheacuterentes selon le
type de produit Certains de ses conventions sont approprieacutes et drsquoautres non (Salais et Storper
1993 p19) Autrement dit lrsquoarchitecture de la demande associeacutee agrave chaque type de produit
particulier des systegravemes drsquoinnovation constitue un problegraveme drsquoaction collective pour les
innovateurs Salais et Storper laissent entendre par un problegraveme drsquoaction collective que les
regravegles et conventions qui coordonnent les acteurs leur fournissent un contexte drsquoaction
coheacuterent et commun afin qursquoils soient en mesure drsquoinnover dans une certaine zone de
production de lrsquoeacuteconomie Il existe plusieurs mondes possibles de production Chacun eacutetant
centreacute sur un eacutetat de produit un changement de produit implique par conseacutequent un
deacuteplacement vers un autre monde possible de production Chaque monde apparaicirct comme un
scheacutema de coordination entre les personnes mobiliseacutees autour drsquoun produit il srsquoagit en effet
drsquoun monde conventionnel pour la coordination des actions individuelles qui peuvent ecirctre
efficaces et inseacuteparables drsquoune coordination entre les anticipations Salais et Storper
preacutesentent quatre mondes de production possible en fonction de choix de type de produit
dont les principales caracteacuteristiques sont les suivantes
Un produit standardiseacute correspond agrave des produits fabriqueacutes gracircce agrave une technologie
productive connue et largement diffuseacutee dont la qualiteacute est tellement accessible que la
concurrence ne joue ineacutevitablement que sur les prix
Un produit speacutecialiseacute est le reacutesultat drsquoune technologie et drsquoun savoir-faire Dans ce cas
la strateacutegie de la concurrence se base en prioriteacute sur la capaciteacute drsquoinnover rapidement
et avec une meilleure qualiteacute le prix est devenu ici un eacuteleacutement de concurrence
secondaire Ce type de produit correspond agrave une demande particuliegravere ses
caracteacuteristiques sont deacutefinies par les besoins drsquoun client particulier ou drsquoun type de
clientegravele Dans ce monde les problegravemes issus de lrsquoincertitude sont essentiellement
reacutesolus quand les acteurs geacutenegraverent des conventions ou des meacutethodes empiriques qui
coordonnent leurs activiteacutes en tant que producteurs ou consommateurs
Standardiseacute ou speacutecialiseacute la reacutefeacuterence est effectueacutee soit par les ressources en inputs critiques
pour le producteur (la technologie lrsquoinformation et les compeacutetences neacutecessaires agrave la
production proviennent drsquoune communauteacute de speacutecialistes auquel cas de tels inputs sont
rares coucircteux et longs agrave reproduire) soit leur acquisition est aiseacutee et relativement peu
coucircteuse agrave deacutevelopper
196
Les produits geacuteneacuteriques ils correspondent agrave un marcheacute de produits non diffeacuterencieacutes
Ils se vendent directement sur le marcheacute geacuteneacuteralement sans aucune transformation Ils
se redeacuteploient facilement
Les produits deacutedieacutes ils correspondent agrave des clients qui eacutemettent des demandes
preacutecises et deacutedieacutees Le producteur dans ce cas est orienteacute vers une demande
particuliegravere dont ses speacutecialisations ou ses quantiteacutes sont deacutefinies par les besoins
drsquoune clientegravele particuliegravere
Des incertitudes historiques non triviales sont reacutesolues en construisant le marcheacute par
seacutelection drsquoun produit geacuteneacuterique ou deacutedieacute ainsi qursquoen employant ensuite soit une strateacutegie de
regroupement-standardisation soit une strateacutegie baseacutee sur la speacutecialisation Le problegraveme est
de reacutesoudre ces questions drsquoincertitude de faccedilon coheacuterente eacutetant donneacute que plusieurs drsquoentre
elles apparaissent simultaneacutement Elles sont essentiellement reacutesolues quand les acteurs
geacutenegraverent des conventions ou des meacutethodes empiriques qui coordonnent leurs activiteacutes en tant
que producteurs ou consommateurs Les conventions en tant que meacutethodes empiriques
constituent de veacuteritables guides du laquo comment faire raquo et qui diffegraverent drsquoun produit de base agrave
un autre Ce sont des mondes cognitifs dans lesquels existent les acteurs Ces cadres drsquoaction
sont de nature collective puisque les deacutecisions industrielles peuvent seulement produire leurs
effets deacutesireacutes que si elles sont eacutetroitement lieacutees agrave la possibiliteacute de coordonner les objectifs et
de mobiliser des ressources interdeacutependantes avec drsquoautres acteurs (Storper 2000)
Revenons au monde de la speacutecialisation Dans ce monde ce qui est fondamental crsquoest
lrsquoexistence drsquoune communauteacute de speacutecialistes que redeacutefinissent le produit agrave des horizons tregraves
courts et en utilisant leurs connaissances tacites et coutumiegraveres des qualiteacutes du produit et de
dimension possible Crsquoest une communauteacute tregraves interpersonnelle de deacuteveloppeurs de
connaissance baseacutee sur les compeacutetences traditionnelles et au sein de laquelle une
communication constante est neacutecessaire afin drsquoacqueacuterir ce type de deacuteveloppement
technologique (Storper 2000) Cette sphegravere drsquoaction eacuteconomique fondeacutee sur des
communauteacutes de producteurs et drsquoacheteurs correspond au monde interpersonnel de
coordination eacuteconomique
Ce monde srsquoapplique non seulement au cas tregraves connus de certains districts industriels
europeacuteens mais aussi aux secteurs les plus speacutecialiseacutes des industries de haute technologie
telle que la production de semi-conducteurs de la Silicon Valley (Scott 1988) Les acteurs
essentiels agrave lrsquoinnovation dans un monde de production doivent avoir des objectifs communs
197
qui coordonnent leurs actions dans les contextes drsquoincertitudes propres agrave ce monde Dans le
monde interpersonnel les acteurs doivent avoir des capaciteacutes drsquoaugmenter les qualiteacutes deacutedieacutees
du produit en approfondissant lrsquoapplication de leur savoir speacutecialiseacute Ceci se reacutealise en
deacuteveloppant des communauteacutes de personnes au sein desquelles de telles connaissances sont
crieacutees affineacutees et transfeacutereacutees (Storper 2000)
Il en reacutesulte que pour reacutesoudre le problegraveme de coordination eacuteconomique notamment dans
lrsquounivers de lrsquoincertitude et de tendance accrue agrave la deacutesinteacutegration et de la speacutecialisation (donc
plus de coordination) chaque acteur doit adheacuterer aux conventions et rejoindre les
anticipations des autres acteurs Il semble que le monde interpersonnel de coordination
eacuteconomique constitue le contexte favorable pour la production de ces conventions en raison
de la densiteacute de ces relations (notamment les informelles) qui aident en outre agrave acqueacuterir les
connaissances neacutecessaires pour lrsquoinnovation dans un monde de concurrence baseacute de plus en
plus sur une strateacutegie de diffeacuterenciation et de qualiteacute
En somme les interactions lieacutees au capital social et culturel commun du milieu preacutedominent
sur les coordinations marchandes Elles sont le support de la transmission de lrsquoinformation au
sein de ce groupe social Il srsquoagit drsquoun groupe deacutefini par Marshall comme un ensemble
drsquoindividus avec des inteacuterecircts convergents aux frontiegraveres geacuteographiques sociales
eacuteconomiques et historiquement constitueacutees Autrement dit il est le produit drsquoune eacutevolution
sociale dans le temps avec un patrimoine heacutereacuteditaire et une expeacuterience accumuleacutee agrave travers
lrsquoapparition de dynamique drsquoapprentissage Dans cette perspective la coordination des
diffeacuterentes phases de production est obeacuteissante agrave la fois au jeu de la concurrence ainsi qursquoaux
conventions et aux sanctions sociales dicteacutees par la communauteacute de groupe (Becattini 1992)
Lrsquouniteacute drsquoeacutetudes de la sociologie eacuteconomique ne sera donc plus lrsquoindividu isoleacute de son milieu
mais le couple laquo groupe interactif drsquoindividus raquo et lrsquoendroit sur lequel vit ce groupe (Becattini
et Rullani 1995) Cette nouvelle uniteacute deacutesigne la relation reacuteciproque entre les agents
individuels situeacutes dans certains lieux et le systegraveme de valeurs de connaissances et
drsquoinstitutions preacutevalant dans ces mecircmes lieux En fait crsquoest le milieu local point drsquoarriveacutee
drsquoune histoire naturelle et humaine qui procure agrave lrsquoorganisation productive quelques intrants
essentiels comme le travail lrsquoentreprenariat les infrastructures mateacuterielles et immateacuterielles la
culture sociale et lrsquoorganisation institutionnelle La clef de cette lecture rend de cette faccedilon
visible la nature circulaire du processus de production produire ne signifie pas seulement
transformer un ensemble drsquoinputs (donneacutes) en un output (produit fini) selon des proceacutedeacutes
198
techniques donneacutes en un intervalle de temps donneacutes Il signifie eacutegalement reproduire les
conditions mateacuterielles et humaines agrave partir de quelles deacutemarre le processus de production lui ndash
mecircme (Becattini et Rullani 1995)
La production de marchandises inclut la reproduction sociale de lrsquoorganisation productive un
processus productif vraiment laquo complet raquo devrait co-produire en mecircme temps que les
marchandises les valeurs les connaissances les institutions et le milieu naturel qui servent agrave
le perpeacutetuer De nombreux contextes locaux - ceux de nature systeacutemique- ne sont pas de fait
de purs reacuteceptacles des varieacuteteacutes historiques Ils constituent en soi de veacuteritables laboratoires
cognitifs au sein desquels de nouvelles varieacuteteacutes sont continuellement expeacuterimenteacutees
seacutelectionneacutees conserveacutees En somme le systegraveme local est en mecircme temps et conjointement
un lieu drsquoaccumulation drsquoexpeacuteriences productives et de vie ainsi qursquoun lieu de production
drsquoune nouvelle connaissance tout ce qui fonde exactement les ressources critiques du
deacuteveloppement du capitalisme industriel actuel (Becattini et Rullani 1995)
Les approches institutionnalistes (Storper 1995) et conventionnalistes (Kirat 1993)
deacuteveloppent plus radicalement encore lrsquohypothegravese de comportements prescrits par
lrsquoappartenance agrave un territoire Le territoire est conccedilu ici comme un ensemble de regravegles plus
ou moins institutionnaliseacutees plus ou moins codifieacutees fondeacutees sur des repreacutesentations
collectives et qui inscrivent les individus et les organisations dans un cadre drsquoaction commun
Le deacuteveloppement de formes institutionnelles est ainsi la condition de lrsquoexistence et du
renforcement drsquoun tissu eacuteconomique local Les institutions ou les conventions locales
constituent en particulier le cadre favorable au deacuteveloppement du processus cognitifs entre les
agents Il favorise lrsquoapprentissage organisationnel qui implique les divers types drsquointeractions
sur lesquelles reposent les processus drsquoinnovation (Kirat et Lung 1995)
Storper (1995) soutient que lrsquoincertitude et la proximiteacute dans la transaction et la formation
des conventions ont tendance agrave aller de pair Lrsquoagglomeacuteration facilite freacutequemment (mecircme si
ce nrsquoest pas automatique) la construction sociale drsquoactifs politico-culturels propres au lieu
comme la confiance mutuelle la compreacutehension implicite les effets drsquoapprentissage et les
langages speacutecialiseacutes autrement dits les conventions (Scott 1999) Tout comme la proximiteacute
affecte la formation des conventions les conventions faccedilonnent ce qui se deacuteroule dans ces
contextes de proximiteacute territoriale La plupart des actions transactionnelles ne sont pas
uniquement guideacutees par des conventions informelles bien sucircr Elles impliquent eacutegalement des
regravegles formelles ou des institutions telles que les proceacutedures administratives les contrats ou
199
les lois (Storper 1995) Il faut noter que la construction du capital social et culturel qui
conditionne largement lrsquoeacutetablissement des conventions entre les acteurs se base en grande
partie sur la confiance
La confiance est assimileacutee agrave une denreacutee permettant de mettre en place et de maintenir un
processus de solidarisation des acteurs processus qui srsquoapparente davantage agrave lrsquoapparition
drsquoun comportement collectif qursquoagrave une relation de nature explicitement coopeacuterative Il srsquoagit
drsquoune confiance interpersonnelle qui srsquoappuie sur un apprentissage fait drsquoengagements
mutuels de signes que lrsquoon donne agrave lrsquoautre pour justifier sa confiance Il srsquoagit drsquoune grandeur
attacheacutee agrave la personne De ce fait la confiance interpersonnelle nrsquoest ni une donneacutee qui
preacuteexiste agrave la relation sociale une information stockeacutee ni une ressource dans laquelle les
acteurs peuvent puiser Cette confiance qui peut posseacuteder une dimension spatiale quand elle
est saisie dans les aspects tacites ou informels de la relation de face agrave face (comme crsquoest le cas
du milieu drsquoagriculteurs familiaux) entretient une relation dialectique avec la proximiteacute
(geacuteographique) et la reacuteciprociteacute (confiance mutuelle) (Dupuy et Torre 2004)
En drsquoautres termes lrsquoexistence de la confiance est neacutecessaire agrave la convergence dans le temps
des anticipations des agents Srsquoil nrsquoy a pas de confiance les agents ne seront pas en mesure de
srsquoagglomeacuterer dans le futur voire mecircme de se proteacuteger ensemble au sein drsquoun mecircme systegraveme
local (Dupuy et Torre 2000) Concregravetement il srsquoagit drsquoun outil qui permet une diminution du
coucirct de controcircle (de transactions) La confiance est un jeu continuel dans lequel il nrsquoy a pas de
perdants La confiance naicirctrait de racines culturelles communes et de partage de lrsquoexpeacuterience
contractuelle La confiance serait un produit de lrsquoenracinement des relations eacuteconomiques
quotidiennes dans le champ plus large des institutions sociales et politiques de normes et des
regravegles tacites dont deacutepend la reproduction de la collectiviteacute La confiance tient au respect des
contrats au bon deacuteroulement des transactions refleacutetant ainsi les relations de partenariat la
loyauteacute et la confiance mutuelle La confiance se nourrit de contacts interpersonnels reacutepeacuteteacutes et
reacuteguliers entre fournisseurs et clients drsquoune mecircme localiteacute (Benko et al 1996)
Le capital social et culturel se construit alors agrave partir de reacuteseaux amicaux (Club festivalhellip)
Ces reacuteseaux informels nrsquoont pas drsquoobjectifs deacuteclareacutes de reacutegulation des relations entre les
acteurs Ils permettent une socialisation de lrsquoaction de production et sont lrsquoexpression drsquoune
capaciteacute locale drsquoorganisation lorsque chaque acteur a conscience drsquoecirctre partenaire drsquoune
mecircme communauteacute culturelle et lorsque la densiteacute de relations tisseacutees au niveau de reacuteseau est
tregraves eacuteleveacutee Ceci motive les agents de creacuteer leur entreprise propre tout en sachant qursquoils
200
pourraient compter sur un reacuteseau familial ou professionnel qui lui permettrait de se procurer
des capitaux neacutecessaires (Pecqueur 1989) Dans cette ligneacutee lrsquohomogeacuteneacuteiteacute culturelle
produite par un systegraveme drsquoinformation efficace constitue un garant de suivi de relations de
confiance marqueacutees par le sentiment drsquoidentiteacute collective commune Un tel sentiment ne
repreacutesente pas une contrainte au contraire Elle constitue la base des connaissances sur
laquelle a eacuteteacute bacircti un modegravele eacuteconomique stable et coheacuterent avec lrsquoeacutevolution de lrsquoeacuteconomie
internationale (Bagnasco et Trigilia 1993) Il est important de souligner que la reacutefeacuterence agrave la
culture locale ne se limite pas agrave indiquer lrsquoimportance de la diffusion drsquoun certain nombre
drsquoinformations eacuteconomiques (les technologies les plus performantes les marcheacutes porteurs)
mais surtout la diffusion de certains savoir tacites veacutehiculeacutes par des formes drsquoapprentissage
traditionnelles et une tension productive agrave la construction et la diffusion des savoirs tacites qui
constituent un point de force pour le territoire sur le plan eacuteconomique
Les trois deacuteveloppements theacuteoriques qursquoon vient de preacutesenter affirment que la modernisation
eacuteconomique des entreprises passe par les reacuteseaux de solidariteacute qui en rampant avec
lrsquoisolement des entreprises favorisent la circulation et la diffusion de lrsquoinformation
consolident les structures financiegraveres partagent les coucircts et les risques de la recherche
confrontent les modes drsquoorganisation du travail et la gestion des rapports sociaux Des reacuteseaux
de solidariteacute synonyme de coopeacuterations technologiques composent un dispositif collectif
intentionnel de coordination et de deacuteveloppement drsquoactiviteacutes productives
drsquoapprovisionnements et de RampD mis en place et piloteacute par plusieurs organisations
indeacutependantes dont la finaliteacute est le transfert drsquoactifs et de compeacutetences et la creacuteation de
valeur ajouteacutee (Bellon et al 2001) La coopeacuteration et donc la coordination entre les
entreprises peut donc srsquoanalyser comme un mode relationnel hybride ni de type hieacuterarchique
ni de nature marchande Il faut signaler que cette approche a eacuteteacute remise en eacutevidence gracircce aux
recherches sur les districts industriels et les systegravemes productifs localiseacutes (Becattini Courlet)
meneacutees dans les anneacutees 1980 et 1990 et deacutemontrant le rocircle du territoire dans le
deacuteveloppement de la coopeacuteration en reacuteseau gracircce au jeu combineacute du marcheacute et de proximiteacute
(Courlet 2008)
Dans un rapport de coopeacuteration en reacuteseau chaque partenaire doit garantir un niveau eacuteleveacute
drsquoefficaciteacute Une efficaciteacute drsquoapregraves Roberto Camagni (1995) est toujours lieacutee agrave des eacuteleacutements
de type territorial et systeacutemique des externaliteacutes dues agrave la preacutesence de biens publics et de
services priveacutes agrave lrsquoexistence des compeacutetences diffuseacutees En effet les milieux locaux
201
pourraient garantir lrsquoefficaciteacute dynamique du systegraveme des entreprises par la reacuteduction de
lrsquoincertitude dans les processus drsquoinnovation et par la constitution drsquoune base relationnelle
pour les processus drsquoapprentissage collectif (Maillat 1996) Il paraicirct que crsquoest la capaciteacute de
former des reacuteseaux informels et formels qui plus qursquoautre chose donne geacuteneacuteralement agrave ces
milieux locaux constitueacutes la possibiliteacute de beacuteneacuteficier simultaneacutement drsquoeacuteconomies drsquoeacutechelle et
drsquoenvergure (notamment sous formes des externaliteacutes technologiques) ceci au niveau du
territoire plutocirct qursquoau sein de chacune de ces entreprises En effet ces derniegraveres sont de ce fait
en interaction croissante avec le milieu socioculturel et institutionnel dans lequel elles
exercent leurs activiteacutes Les petites comme les grandes entreprises doivent pouvoir eacutevaluer
dans quelle mesure leurs techniques et leurs eacutethiques se conforment aux valeurs agrave la culture
et aux attentes speacutecifiques de la population locale (Courlet 2008)
24 Les externaliteacutes positives comme base de la nouvelle eacuteconomie geacuteographique
Lrsquoeacuteconomie geacuteographique repreacutesente un ensemble de travaux dont lrsquoobjet est drsquoexpliquer
pourquoi certaines activiteacutes eacuteconomiques optent de se localiser dans des endroits particuliers
ainsi que lrsquoimpact de ces choix sur lrsquoorganisation territoriale de lrsquoeacuteconomie Il srsquoagit
drsquoidentifier les facteurs et les raisons qui expliquent lrsquoapparition des processus de
concentration et de speacutecialisation au sein drsquoun espace plutocirct qursquoun autre et de comprendre les
meacutecanismes qui favorisent ou deacutefavorisent le renforcement de ces processus (Fujita et Thisse
1997) Dans cette ligneacutee plusieurs travaux (Fujita et Thisse 1997 Krugman 1991 1981
1997 Arthur 1990) ont eacuteteacute engageacutes pour analyser ces pheacutenomegravene drsquoagglomeacuteration et de
speacutecialisation en se basant dans sa majoriteacute sur les oeuvres preacutecurseurs sur le concept des
eacuteconomies externes par Alfred Marshall celui-ci a permis drsquoidentifier trois causes principales
de localisation eacuteconomique (Marshall 1919)
1 La concentration de plusieurs firmes sur un lieu unique offre un marcheacute commun pour
les travailleurs posteacutes dans des savoir-faire speacutecifiques agrave lrsquoindustrie assurant ainsi agrave la
fois des problegravemes beaucoup plus importants de chocircmage et de peacutenurie drsquoemplois
disponibles
2 Les industries localiseacutees peuvent encourager la production drsquoinputs speacutecialiseacutes non
eacutechangeables sous forme des biens non marchands notamment en matiegravere de laquo secrets
technologiques raquo de production et drsquoapprentissage socialement et automatiquement
diffuseacute par le milieu ambiant
202
3 Les effets de report de lrsquoinformation peuvent donner aux firmes qui fonctionnent en
groupe une fonction de production plus efficace que dans le cas de firmes isoleacutees
Ces explications autour des causes de la localisation des activiteacutes eacuteconomiques possegravedent un
domaine de validiteacute importante pour la question qui se pose sur les raisons pour lesquelles les
activiteacutes eacuteconomiques finissent par se concentrer dans une ou quelques reacutegions ou pays Dans
cette perspective le modegravele de B Arthur ou P Krugman engage lrsquoanalyse de systegraveme local de
production dans une voie diffeacuterente et souvent opposeacutee agrave celle suivie par la theacuteorie orthodoxe
notamment en matiegravere de prise en compte des rendements croissants ou des externaliteacutes
lorsqursquoil srsquoagit drsquoexpliquer les deacuteterminants de la croissance des territoires ou lrsquoeacutevolution des
technologies La deacutemarche srsquoattache agrave expliquer quels sont les meacutecanismes industriels qui
contribuent agrave la mise en œuvre des rendements drsquoeacutechelle croissant et agrave lrsquoeacutevolution des
systegravemes locaux de production (Ragni 1995) Pour Arthur (1990) la reacutefeacuterence agrave Marshall
permet drsquointroduire la notion de rendements croissants et de feed-back positifs
(autoreacutegulation) entre laquo adopteurs raquo drsquoun mecircme site drsquoimplantation amplifiant de petites
impulsions initiales
Le concept de rendements croissants externes aux entreprises mais internes agrave la branche au
systegraveme local de production trouve une application eacutevidente dans lrsquoexplication de
lrsquoorganisation des industries et de la croissance des districts industriels ou des villes
manufacturiegraveres dont A Marshall (1919) propose une eacutetude Les facteurs qui deacuteterminent le
choix drsquoimplantation des entreprises relegravevent moins de la reacutepartition davantage eacuteconomique
donneacute que des effets drsquoagglomeacuteration la production de masse et la disponibiliteacute drsquoinputs les
eacuteconomies des coucircts de transactions des progregraves dans la qualification de la main-drsquoœuvre
provenant de lrsquoaccumulation du capital humain et de la communication directe (Fujita et
Thisse 1997) Ces avantages ont les trouve bien deacutecrits par Marshall laquo On sait appreacutecier le
travail bien fait on discute aussitocirct les meacuterites des inventions et des ameacuteliorations qui sont
apporteacutees aux machines aux proceacutedeacutes et agrave lrsquoorganisation geacuteneacuterale de lrsquoindustrie Si
quelqursquoun trouve une ideacutee nouvelle elle est aussitocirct reprise par drsquoautres et combineacutee avec
des ideacutees nouvelles Bientocirct des industries subsidiaires naissent dans le voisinage fournissant
agrave lrsquoindustrie principale les instruments et les matiegraveres premiegraveres organisant son trafic et lui
permettant de faire bien des eacuteconomies diverses raquo (Livre IV Ch X 1870 p119)
Lrsquoanalyse des travaux de Marshall montre lrsquoimportance des effets de renforcement entre
lrsquoaugmentation de la demande et lrsquoimplantation de nombre important de firmes dans une
203
reacutegion deacutelimiteacutee Ces effets drsquoagglomeacuteration sont lrsquoorigine pour Krugman (1991 1995)
drsquoexternaliteacutes peacutecuniaires qui peuvent srsquoaveacuterer sous certaines conditions deacuteterminantes dans
le deacuteveloppement drsquoune reacutegion Les activiteacutes eacuteconomiques auront en effet tendance agrave se
concentrer aux endroits ougrave existent des marcheacutes de taille importante Le marcheacute sera en
revanche de taille importante aux endroits ougrave la production est concentreacutee Il est souhaitable
de vivre et de produire agrave proximiteacute drsquoune concentration de production industrielle en raison de
plus faible prix des biens produits par cette place centrale (Krugman 1995)
On est dans une logique des effets drsquoentraicircnement ou de feed-back positifs (encadreacute 2) de
sorte que plus la concentration des firmes srsquointensifie plus la taille du marcheacute sera
importante plus celle-ci augmentera et plus elle permettra drsquoinduire des effets drsquoentraicircnement
en amant et en aval (Krugman 1991) Ceci explique bien la tendance agrave la divergence entre les
reacutegions dans la mesure ougrave une reacutegion dynamique qui a une demande plus importante incite
les producteurs de bien de consommation agrave srsquoy implanter La croissance appelle la croissance
lrsquointroduction drsquoune causaliteacute circulaire entre croissance et concentration renforce les
meacutecanismes de polarisation de lrsquoespace eacuteconomique (Boiscuvier 2000) En drsquoautres termes
la concentration geacuteographique des activiteacutes eacuteconomiques dans un lieu donnerait naissance agrave
un effet de boule de neige (Lecoq 1995)
Encadreacute 2 Effet drsquoentraicircnement
Lrsquohypothegravese de base des effets drsquoentraicircnement est celle drsquoune concurrence imparfaite ougrave la deacutependance entre
lrsquooffre et la demande (indeacutependantes dans la concurrence parfaite) produit des externaliteacutes peacutecuniaires Dans ce
modegravele agrave causaliteacute circulaire preacutesenteacute par Krugman (1991) quand une nouvelle entreprise srsquoagglomegravere aux
preacuteceacutedentes la baisse des coucircts des entreprises (externaliteacutes de reacuteseau) et lrsquoaugmentation de la varieacuteteacute offerte
(avec le coucirct du transport payeacute par les acheteurs) conduit agrave des prix plus bas qui augmentent le revenu reacuteel des
travailleurs relativement agrave une autre reacutegion (effet aval) de nouveaux consommateurs migrent donc augmentant
la demande qui attire de nouveaux producteurs (effet amont)
Source Samson (2004)
Les deacuteclencheurs de processus de concentration eacutetaient traiteacutes eacutegalement par Arthur (1989)
sous une conception originale du temps historique qui peut intervenir de maniegravere deacuteterministe
ou aleacuteatoire et qui repose sur le concept accidents historique crsquoest-agrave-dire un choc aleacuteatoire
exteacuterieur agrave toute logique eacuteconomique (Boiscuvier 2000) Il en reacutesulte parfois de la
localisation drsquoune grande firme ou drsquoune universiteacute voire lrsquoinstallation drsquoune infrastructure
Ceci pourrait exercer sur drsquoautres uniteacutes avec lesquelles elles sont en relation des effets
drsquoentraicircnement au sens de Perroux ougrave celles-ci augmentent les flux drsquoachats de produits
intermeacutediaires et de travail autour drsquoelles Elles entraicircnent ainsi des effets drsquoagglomeacuteration en
suscitant la creacuteation drsquoautres activiteacutes Degraves que ce processus est deacuteclencheacute la concentration
204
sur un territoire se constitue par une seacuterie drsquoeacuteveacutenements au cours de laquelle le territoire se
configure sous une forme plus ou moins acheveacutee
Il paraicirct que la plupart de ces courants ont pris en compte les externaliteacutes pour fonder leurs
arguments explicatifs des forces poussant agrave lrsquoagglomeacuteration ou agrave la dispersion des activiteacutes
eacuteconomiques et notamment les rendements drsquoeacutechelle non deacutecroissant149
Effectivement laquo de
lrsquoavis de nombreux drsquoauteurs une force centripegravete majeurs reacuteside dans les externaliteacutes qui
apparaissent dans le systegraveme productif raquo (Fujita et Thisse 1997 p42) Ces externaliteacutes se
retrouvent reacuteguliegraverement associeacutees au coeur de tous les travaux qui considegraverent le territoire
(ou lrsquoespace) comme un variable endogegravene dans ses analyses Il est donc important de
preacuteciser briegravevement le contenu et les traits de ce concept
241 La reacutesurgence des externaliteacutes
Lrsquoorigine principale de ce qursquoon appelle aujourdrsquohui les externaliteacutes est agrave rechercher dans les
travaux de Marshall (1870) en personne sur la notion drsquoexternaliteacute ses origines et ses
deacuteveloppements dans le domaine de lrsquoeacuteconomie spatiale Lrsquoideacutee drsquoatmosphegravere industrielle au
sein de district ou encore laquo les secrets de lrsquoindustrie sont dans lrsquoair raquo constituent autant
drsquoillustration de la thegravese marshallienne selon laquelle des interactions multiples entre les
acteurs locaux conduisent agrave une ameacutelioration sensible des performances des systegravemes
industriels Les eacuteconomies drsquoeacutechelle se trouvent ici permises par la manifestation
drsquoeacuteconomies externes geacuteneacutereacutees par le milieu eacuteconomique dans lequel opegraverent les firmes
(Samson 2004) Il srsquoagit des eacuteconomies externes aux firmes qui ont eacuteteacute diffeacuterencieacutees en deux
cateacutegories principales (Scitovski 1954 citeacute Perrat 2005)
Les eacuteconomies peacutecuniaires elles circulent par lrsquointermeacutediaire de relations
marchandes qursquoil srsquoagisse de prix ou de quantiteacute Elles sont connues aussi sous
le terme drsquoeacuteconomies drsquourbanisation qui sont conccedilues comme externes agrave la
firme et externes agrave lrsquoindustrie agrave laquelle appartient la firme Lrsquoimportance et les
effets de ces eacuteconomies sont lieacutes de la taille de lrsquoagglomeacuteration et de la
preacutesence drsquoinfrastructures (Courlet et Dimou 1995)
149
On dit qursquoune fonction de production est agrave rendements croissants quand lrsquoaugmentation de la production est
toujours plus que proportionnelle agrave celle des facteurs engageacutes Cela est possible en geacuteneacuteral gracircce aux effets
drsquoapprentissage du capital humain aux externaliteacutes lieacutees au partage drsquoinfrastructures et agrave la diversification de la
production Le principe geacuteneacuteral de ces modegraveles est que la diffeacuterenciation des produits ou des facteurs de
production est un facteur drsquoagglomeacuteration et qursquoune baisse des coucircts de transport produit une agglomeacuteration
cumulative (Samson 2004)
205
Les eacuteconomies technologiques elles font reacutefeacuterence de maniegravere explicite agrave des
interdeacutependances hors marche qui affectent la forme des fonctions de
production des firmes sans pouvoir ecirctre correctement pris en compte en raison
de la difficulteacute agrave deacutefinir des droits de proprieacuteteacute (une deacutefaillance du marcheacute) Au
contraire de la premiegravere cateacutegorie les eacuteconomies technologiques sont externes
agrave la firme mais internes agrave lrsquoindustrie localiseacutee dans une agglomeacuteration
Concregravetement elles ont des effets externes technologiques directs sur les
capaciteacutes technologiques de chaque firme
Ces effets sont produits par la speacutecialisation intra-industrielle par la coopeacuteration entre
entreprises de la mecircme branche par lrsquoexistence drsquoune main drsquooeuvre locale speacutecialiseacutee et
principalement par lrsquoapprentissage mutuel technologique des autres firmes Ceci nous renvoie
agrave la conception de lrsquoapprentissage que lrsquoon peut deacutefinir comme un processus drsquoaccumulation
de meacutemorisation dont on a analyseacute de longue date la cristallisation dans les individus et dans
les organisations crsquoest-agrave-dire dans les formes institutionnelles que prennent des rapports
eacuteconomiques et sociaux des agents (Antonelli 1995) Ce processus drsquoapprentissage est un
processus essentiel interactif est donc un processus enracineacute dans la socieacuteteacute que lrsquoon ne peut
comprendre sans tenir compte de son contexte institutionnel et culturel (Morgan 1996)
Les externaliteacutes technologiques prennent selon Fujita et Thisse (1997) deux formes
principales les externaliteacutes de communication et les externaliteacutes spatiales Les premiegraveres
deacutecrivent explicitement les relations de communication entre agents alors que les secondes
utilisent le concept drsquoaccessibiliteacute pour appreacutehender de maniegravere indirecte les geacuteneacutereacutes par la
distance et qui ne sont pas capteacutes par les prix
242 La connaissance et les externaliteacutes spatiales
La theacuteorie eacuteconomique drsquoagglomeacuteration distingue classiquement parmi les forces en jeu celles
relevant des meacutecanismes de marcheacute et celles qui restent hors marcheacute Ces derniegraveres sont
engendreacutees par des externaliteacutes spatiales qui prennent essentiellement la forme drsquoeacutechanges de
connaissances (Perrat 1997) Ceux-ci sont donc geacuteneacuterateurs drsquoexternaliteacutes spatiales crsquoest-agrave-
dire des externaliteacutes agrave porteacutee limiteacutee dans lrsquoespace et qui sont des facteurs drsquoagglomeacuteration
Effectivement laquo beaucoup drsquoexternaliteacutes deviennent spatiales du fait que lrsquoespace
eacuteconomique est un lieu drsquoeacutechange et drsquointeraction Ce nrsquoest pas un simple lieu drsquoachats-
ventes entre producteurs mais aussi un reacuteseau drsquoeacutechanges de discussions de neacutegociations
de compreacutehensions et drsquoapprentissages interpersonnels sans fin Crsquoest la nature
206
transactionnelle de lrsquoespace eacuteconomique qui le rend porteur drsquoexternaliteacutes raquo (Samson 2004
p4)
La force drsquoagglomeacuteration reacuteside alors dans lrsquoexistence de communication entre entreprises
permettant lrsquoeacutechange drsquoinformation Il faut noter qursquoelle se dote drsquoun aspect important celui
drsquoun bien public En drsquoautres termes lrsquoexploitation laquo drsquoune partie de lrsquoinformation par une
autre entreprise ne reacuteduit pas le contenu de cette information pour les autres Degraves lors
lrsquoeacutechange drsquoinformations agrave travers un processus de communication entre producteurs geacutenegravere
des externaliteacutes positives pour chacun drsquoentre elles raquo (Fujita et Thisse 1997 p47)
Ces eacutechanges drsquoinformation circulent mieux dans la proximiteacute puisque la distance est
toujours un obstacle agrave leur diffusion dans la mesure ougrave leur transfert pourrait engendrer des
coucircts suppleacutementaires etou une deacutegradation de leur contenu (Suire et Vicente 2008)
Cependant certains pourraient dire qursquoavec la grande reacutevolution dans les technologies
drsquoinformations et de communication une codification et des transmissions de tregraves grande
quantiteacute drsquoinformations est possible alors qursquoelles eacutetaient jusque lagrave consideacutereacutees comme
tacites agrave nrsquoimporte quelle distance agrave tout moment et agrave un coucirct neacutegligeable Si ce mouvement
arrivait agrave son terme nous devrions insister sur une disparition progressive du besoin de
contacts face-agrave-face et agrave terme un deacuteclin de la concentration dans les villes des activiteacutes
utilisatrices de connaissance Apparemment crsquoest le contraire qui se produit cette substitution
du codeacutee au tacite est limiteacutee puisque les interactions directes ne pourront jamais ecirctre
entiegraverement remplaceacutees par des interactions eacutelectroniques (Massard et Torre 2004) La nature
fortement personnaliseacutee et contextuelle des connaissances tacites sera toujours un obstacle agrave
la codification de certains types drsquoinformations (Boschma 2005)
Cette question est illustreacutee par une ceacutelegravebre phrase de Polanyi laquo nous en savons plus que ce
que nous pouvons dire raquo (Polanyi 1967 p 4)150 Lrsquoaspect tacite de certaines techniques de
certains gestes est souvent reacuteveacuteleacute par le fait qursquoils ne peuvent ecirctre exprimeacutes sans perte agrave
travers un autre support qursquoeux-mecircmes La connaissance tacite est pour ainsi dire laquo entre les
mains de celui qui la possegravede de sa transmission et sa valorisation deacutependent du bon vouloir
de ce celui-ci raquo (Foray 2009 p53) Le transfert de la connaissance tacite neacutecessite donc des
face-agrave-face entre les acteurs drsquoougrave la dimension borneacutee geacuteographiquement de leur diffusion au
travers drsquoexternaliteacute Celle-ci reacutesulte de trois principaux canaux la mobiliteacute de la main
150
ldquoWe can know more than we can tellrdquo
207
drsquoœuvre les coopeacuterations informelles et lrsquoeffet cafeacuteteacuteria (Lallement et al 2007)151
En
revanche les connaissances codifieacutees pourraient faire lrsquoobjet de transfert agrave condition que le
reacutecepteur ait les compeacutetences pour les appreacutehender Il faut preacuteciser que la creacuteation et la
circulation de la connaissance dans une organisation se fondent sur la maicirctrise de lrsquointeraction
dynamique entre connaissance tacite et connaissance codifieacutee et plus particuliegraverement sur la
maicirctrise des quatre modes eacuteleacutementaires de conversion (Nonaka et Takeuchi 1997)
lrsquoexternalisation (transformation de la connaissance tacite en connaissance codifieacutee) la
combinaison (codifieacutee vers codifieacutee) lrsquointernalisation (codifieacutee en tacite) la socialisation
(tacite en tacite)
Il faut reconnaicirctre qursquoil existe toujours un besoin de proximiteacute entre les activiteacutes utilisatrices
drsquoinformations Drsquoailleurs ces derniegraveres restent les plus concentreacutees par rapport aux autres
activiteacutes et forment geacuteneacuteralement le coeur des grandes meacutetropoles Dans cette ligneacutee on
perccediloit les connaissances tacites comme eacutetant un avantage concurrentiel speacutecifique Au
contraire de la connaissance codeacutee il faut se localiser et srsquoancrer lagrave ougrave elles sont produites
afin drsquoacceacuteder agrave la source car elles sont par nature localiseacutees Les informations tacites sont
donc essentiellement disponibles lagrave ougrave sont deacutejagrave concentreacutees de nombreuses activiteacutes
eacuteconomiques (reacutefeacuterence agrave la causaliteacute circulaire) (Guillain et Huriot 2000) La localisation
des activiteacutes ne serait pas indeacutependante des conditions spatiales drsquoeacutechange des informations
et elle pourrait encore avoir besoin de srsquoagglomeacuterer Les avantages de lrsquoinformation tacite
peuvent ecirctre contrarieacutes par le fait que lrsquoentreacutee dans un reacuteseau de communication suppose en
outre la reacutealisation drsquoinvestissements importants en infrastructures physiques et immobiliegraveres
et en innovation en termes de mateacuteriel ce qui rend le coucirct de sortie tregraves eacuteleveacute (Suire et
Vicente 2007)
Ce qursquoon vient de dire sur la neacutecessiteacute drsquoecirctre proche pour lrsquoobtenir de ces informations tacites
ne sous-estime pas le rocircle et lrsquoimportance de la nouvelle technologie de communication et
drsquoinformation Ces technologies permettent lrsquoorganisation de contacts face-agrave-face et
maintiennent la liaison avec le domicile ou le bureau lors de deacuteplacement professionnel dans
un but de contacts directs Lrsquoutilisation de moyens de communication plus efficace nrsquoa pas
reacuteduit le besoin drsquointeraction directe elle lrsquoa au contraire stimuleacute Les discussions face-agrave-face
151
Il faut preacuteciser que la proximiteacute geacuteographique ne permet pas agrave elle seule le transfert de la connaissance mais
elle a besoin drsquoecirctre compleacuteter par une autre la proximiteacute organisationnelle En revanche cette derniegravere pourrait
suffire pour un transfert des connaissances codifieacutees gracircce aux technologies de lrsquoinformation et de la
communication (Rallet et Torre 2007)
208
sont une source importante drsquoeacutechanges inattendus drsquoinformations aussi bien codeacutees que
tacites et donc des externaliteacutes positives croissantes pour les activiteacutes agglomeacutereacutees sur un
territoire (Colletis et Pecqueur 1993) Il nrsquoest degraves lors pas surprenant de constater que les
externaliteacutes spatiales se retrouvent comme moteur du deacuteveloppement eacuteconomique dans les
nouvelles approches de croissance dans le point suivant
25 La lecture territoriale de la dynamique eacuteconomique
En eacuteconomie la penseacutee en croissance eacuteconomique a eacuteteacute renouveleacutee en promouvant le
deacuteveloppement des theacuteories de la croissance fondeacutees sur le deacuteveloppement endogegravene (theacuteorie
du deacuteveloppement endogegravene theacuteorie de polarisation theacuteorie de proximiteacutehellip) Ce deacutebat
essentiellement empirique cherche agrave aller au-delagrave de la theacuteorie neacuteoclassique conventionnelle
traitant comme endogegravenes les facteurs - particuliegraverement le changement technologique et le
capital humain - releacutegueacutes comme exogegravenes par les modegraveles neacuteoclassiques (Martin et Sunley
2005) Dans ce cadre la conception de lrsquoeacuteconomie spatiale capitaliste srsquoinscrit en avanccedilant
que en lrsquoabsence de barriegraveres au deacuteveloppement des forces du marcheacute les dispariteacutes
entraicircneraient un nivellement des prix des salaires du capital et du travail concurrent ainsi de
faccedilon significative la convergence reacutegionale agrave lrsquointeacuterieur drsquoune eacuteconomie nationale inteacutegreacutee
En drsquoautres termes cette maniegravere de penseacutee suppose que les particulariteacutes locales sont
totalement absentes que le travail et le capital sont homogegravenes et que la mobiliteacute eacuteconomique
est parfaite et sans coucirct pour rendre au moins sur un plan theacuteorique possible un processus de
convergence reacutegionale (Chevassus-Lozza et Galliano 2001 Fujita et Thisse 1997)
Un tel raisonnement a eacuteteacute remis en cause par les modegraveles de croissance reacutegionale proposeacutes
par Perroux (1955) Myrdal (1959) et Kaldor (1970 1981) qui ne voient plus de raisons pour
que lrsquoon assiste agrave la convergence reacutegionale et des revenus mecircme agrave long terme Pour ces
modegraveles les forces du marcheacute entraicircnant un deacuteseacutequilibre spatial ainsi que les effets conjoints
des eacuteconomies drsquoeacutechelle et drsquoagglomeacuteration conduisent agrave laquo un processus cumulatif de
concentration du capital du travail et de la production dans certaines reacutegions au deacutetriment
drsquoautres lrsquoineacutegal deacuteveloppement reacutegional srsquoauto-entretient plutocirct qursquoil ne srsquoautocorrige raquo
(Martin et Sunley 2005 p130)
Par la suite drsquoautres travaux qui ont eacuteteacute preacutesenteacutes affirment la dimension de lrsquoendogeacuteneacuteisation
de la croissance Les nouvelles theacuteories du deacuteveloppement dites theacuteories de la croissance
endogegravene insistent en effet depuis Romer (1986) sur le rocircle des innovations et de la
division du travail des externaliteacutes positives puis avec Lucas (1988) sur lrsquoimportance du
209
capital humain ou avec Barro (1990) sur celle des infrastructures Ces theacuteories se distinguent
de celle de deacuteveloppement endogegravene (ou deacuteveloppement laquo par en bas raquo) qui srsquoinspirent
davantage des auteurs tels que Weaver (1978) Friedmann et Weaver (1979) Stoumlhr et Taylor
(1981)152 Les processus qursquoelle deacutesigne ne peuvent ecirctre confondus avec lrsquoobjet des theacuteories
de nouvelles theacuteories de la croissance (Romer 1986 Aghion et Howitt 2000) mecircme srsquoil est
possible de proceacuteder agrave quelques rapprochements (Dejardin et Fripiat 1998)153
Parallegravelement
des theacuteories dites neacuteo-marshalliennes fondeacutees sur les effets drsquoagglomeacuteration sont apparues
degraves la fin des anneacutees 1970 Ces travaux ont apporteacute un eacuteclairage inteacuteressant sur les
fondements technologiques institutionnels et sociaux du deacuteveloppement eacuteconomique
reacutegional la compreacutehension et la trajectoire effective du systegraveme reacutegional drsquoun pays dans son
ensemble Ils eacutetaient le reacutesultat de lrsquoanalyse de types de reacutegions speacutecifiques tels que les
laquo districts industriels raquo de la troisiegraveme Italie (Becattini 1987 1992 Garofoli 1992) et des
nouvelles formes productives post-fordistes baseacutee sur la laquo speacutecialisation flexible raquo (Piore et
Sabel 1989)
Cet ensemble des travaux ont concordeacute agrave lrsquoapparition de ce que Pecqueur (2007) appelle laquo le
tournant territorial raquo ou eacutegalement laquo lrsquoeacuteconomie territoriale raquo pour Courlet (2008) Avant de
se lancer dans le deacuteveloppement de ces concepts il nous paraicirct utile de faire briegravevement un
deacutetour sur lrsquoapport de la theacuteorie des pocircles de deacuteveloppement (ou de croissance) de Perroux
Cette derniegravere a fait en effet lrsquoobjet de multiples travaux et a inspireacute les politiques
eacuteconomiques reacutegionales de nombreux pays Elle est simultaneacutement une theacuteorie de la
croissance des reacutegions et une theacuteorie rendant compte de la formation de lrsquoineacutegaliteacute dans
lrsquoespace (Benko 2008) Puis nous exposerons les grands principes du courant de la proximiteacute
(deacuteveloppeacute principalement par B Pecqueur A Torre J-P Gilly C Dupuy Y Lung J-B
Zimmermann et G Colletis) dans la mesure ougrave ces analyses en deacutepit de leur diversiteacute
acceptent toutes un preacutesupposeacute commun agrave savoir le fait que les effets et les externaliteacutes
drsquoagglomeacuteration sont le reacutesultat des coordinations des acteurs baseacutees sur la proximiteacute au sens
large du terme
251 La theacuteorie de la polarisation de Perroux
Si on a choisi de preacutesenter la theacuteorie de polarisation de Franccedilois Perroux parmi plusieurs
travaux theacuteoriques crsquoest parce qursquoil est lrsquoun des premiers eacuteconomistes franccedilais agrave introduire la
notion drsquoespace dans lrsquoanalyse eacuteconomique en eacutecrivant que laquo lrsquoextension des espaces
152
Friedmann et Weaver (1979) Stoumlhr et Taylor (1981) citeacutes par Koop et al (2010) 153
Sur ce point voir notamment les travaux de Dejardin et al (1998)
210
abstraits agrave la science eacuteconomique retentira vraisemblablement sur son deacuteveloppement
ulteacuterieur elle eacuteclaire aussi son deacuteveloppement anteacuteceacutedent Elle agira sur lrsquoavenir elle donne
couleur nouvelle au passeacute elle deacuteveloppera des effets en aval elle en deacuteveloppe en amont raquo
(Perroux 1961 p140) Par ailleurs il faisait eacutegalement parti des preacutecurseurs remettant en
cause la convergence de la croissance reacutegionale en preacutecisant que laquo la croissance nrsquoapparaicirct
pas partout agrave la fois elle se manifeste en des points ou pocircles de croissance avec des
intensiteacutes variables elle se diffuse par diffeacuterents canaux et avec des effets terminaux
variables pour lrsquoensemble de lrsquoeacuteconomie raquo (Perroux 1955 citeacute par Benko 2008 p33) Il
srsquoagit pour lui drsquoun systegraveme ougrave la croissance nationale deacutepend de la performance de certains
pocircles reacutegionaux dont la croissance est lieacutee agrave son tour agrave celle initieacutee dans des centres urbains
Pour Perroux la croissance part presque toujours drsquoun pocircle de croissance dont la grande firme
joue le rocircle principal La grande firme par sa puissance eacuteconomique technologique et
financiegravere peut maicirctriser lrsquoespace devenir un pocircle de deacuteveloppement et affecter ainsi
fondamentalement les espaces locaux par les effets combineacutes de sa politique industrielle et sa
politique de localisations Autrement dit la polarisation de ces derniers reacutesulte des effets
drsquoentraicircnement geacuteneacutereacutes par des firmes motrices sur entourage spatial en raison drsquoune liaison
asymeacutetrique qursquoelles sont susceptibles de nouer avec drsquoautres firmes (notamment de la sous-
traitance) et par les biais des effets du revenu qursquoelles impulsent (Zimmermann 1995) Il
srsquoagit ici de consideacuterer la grande entreprise avec laquo hinterland raquo socio-culturel en examinant
leur connexion clef du processus productif de marchandises et de nouvelles connaissances
Au sein de pocircle un reacuteseau complexe de sous-traitants est utiliseacute par une ou plusieurs grandes
entreprises qui ne le controcirclent pas directement ou hieacuterarchiquement mais se contentent
principalement drsquoorchestrer la demande locale de travail (Perroux 1961)
La polarisation fait explicitement reacutefeacuterence agrave la physique et agrave la preacutesence de lrsquoactiviteacute
eacuteconomique dans un lieu deacutetermineacute polarise drsquoautres activiteacutes Elle attire de pouvoir drsquoachat
et creacutee cumulativement des emplois Lorsqursquoun pocircle drsquoactiviteacutes existe il propage autour de
lui une dynamique de deacuteveloppement ce qui signifie que la reacutepartition des activiteacutes sur le
territoire eacuteconomique nrsquoest ni aleacuteatoire ni eacutegalitaire Ces activiteacutes exercent sur drsquoautres uniteacutes
avec lesquelles elles sont en relation des effets drsquoentraicircnement elles augmentent les flux
drsquoachats de produits intermeacutediaires et de travail autour drsquoelles Elles entraicircnent ainsi des effets
drsquoagglomeacuteration en suscitant la creacuteation drsquoactiviteacutes annexes drsquoautres industries
211
Le theacuteoricien de la polarisation preacutecise eacutegalement qursquoil ne srsquoagit plus drsquoune structure qui
impose aux acteurs la localisation des activiteacutes productives mais lrsquoinverse laquo ce sont les
hommes qui ont le pouvoir de creacuteer leurs espaces drsquoinfluence et drsquoaction raquo (Perroux 1961
p83) Toutefois cette theacuteorie preacutesente une limite dans la mesure ougrave cet auteur se place dans
une perspective de progregraves technique et de territoire consideacutereacutes comme presque exogegravenes
crsquoest-agrave-dire des existants comme des construits preacutealables (Colletis et Pecqueur 1993)
Eacutevoquer des firmes motrices des effets drsquoentraicircnement ou encore des obstacles agrave la diffusion
du deacuteveloppement suppose que lrsquoon admette un espace eacuteconomique localiseacute disposant drsquoun
potentiel identifiable Ce dernier serait susceptible drsquoecirctre dynamiseacute par les flux de revenus et
surtout par les relations techniques engendreacutees par la firme motrice (Rallet 2000) En drsquoautres
termes il faut percevoir le territoire comme une variable endogegravene dans la naissance et la
promotion drsquoun processus de deacuteveloppement autonome consideacutereacute lui-mecircme comme un
processus long et continu (Courlet 2008)
252 Lrsquoeacuteconomie de proximiteacute
La grille de lecture proposeacutee par le courant (ou lrsquoeacutecole) de proximiteacute devient une reacutefeacuterence
principale dans lrsquoanalyse des dynamiques territoriales Cette tendance srsquoexplique en partie par
le fait que cette approche apparaicirct comme lrsquoexpression drsquoune laquo dominante instrumentale raquo
permettant notamment de deacuteduire les dynamiques territoriales de la coordination des
individus et non de les preacutesupposer (Colletis-Wahl et al 2008) Lrsquoargument que sous-tend le
caractegravere pertinent de la notion de proximiteacute en analyse eacuteconomique est que la prise en
compte de caractegravere situeacute des agents est neacutecessaire pour la compreacutehension de leurs
comportements et de leurs relations Le courant de la proximiteacute soutient lrsquoideacutee partageacutee que
lrsquoespace nrsquoest pas neutre et ne doit pas demeurer un parent pauvre de lrsquoanalyse industrielle
Leur objet drsquoanalyse consiste principalement agrave faire intervenir lrsquoespace comme une variable
endogegravene dans la theacuteorie eacuteconomique et drsquoexpliquer la nature des effets de proximiteacute Le
regroupement sur un territoire drsquoagents eacuteconomiques et la maniegravere dont ils coordonnent leurs
activiteacutes est au coeur de la notion de proximiteacute (Bellet et al 1993)
En conseacutequence le lien entre le lieu de localisation des activiteacutes eacuteconomiques et les relations
qursquoentretiennent les organisations constitue lrsquoaxe de la reacuteflexion sur la notion de proximiteacute en
sciences sociales (Guedon 2005) Les travaux publieacutes au numeacutero speacutecial de la Revue
Eacuteconomique Reacutegionale et Urbaine (RERU Ndeg3 1993) intituleacute laquo Economie de proximiteacute raquo
paru en 1993 sont consideacutereacutes comme les eacuteleacutements fondateurs de ce courant dans le champ de
212
lrsquoeacuteconomie reacutegionale On peut reacutesumer les postulats qui fondent lrsquoapproche en termes de
proximiteacute en quatre points (Bellet et al 1993)
La valeur donneacutee agrave la creacuteation de ressources mateacuterielles etou immateacuterielles
marchandes etou non marchandes autour de la sphegravere productive agrave la
diffeacuterence de lrsquoallocation de ressources
La prise en consideacuteration de la dimension temps de lrsquohistoire dans le
processus de creacuteation de ressources qui sous-tendent les trajectoires
industrielles et territoriales
Le rocircle joueacute par les interactions agrave travers le processus drsquoapprentissage mutuel
favoriseacute par la proximiteacute geacuteographique
Lrsquoimportance octroyeacutee aux institutions dans lrsquointerpreacutetation territoriales eacutetant
donneacutees la valeur des interdeacutependances hors marcheacute de constitution du
territoire
La notion de la proximiteacute ne constitue plus une seule reacutefeacuterence au spatiale mais prend ainsi
une envergue multidimensionnelle (Dupuy et Gilly 1993) En effet la proximiteacute
geacuteographique nrsquoimplique une dynamique industrielle localiseacutee qursquoagrave partir du moment ougrave elle
srsquoaccompagne de proximiteacute organisationnelle et institutionnelle Ceci se fonde par la
conception qursquoon a donneacutee au territoire Ce dernier est un construit socio-eacuteconomique issu
des strateacutegies collectives drsquoacteurs agissant localement pour reacutesoudre un problegraveme productif
mais srsquoinscrivant dans un contexte global fait de lois de regravegles de normes Ce contexte global
nrsquoest cependant pas deacutetermineacute une fois pour toute mais connaicirct des transformations et des
ruptures qui srsquoinscrivent dans le long terme Plus preacuteciseacutement le territoire sera deacutefini comme
mode de recouvrement de ces trois proximiteacutes qui preacutesentent une grande variabiliteacute dans le
temps et dans lrsquoespace (Dupuy et al 2001)
La proximiteacute geacuteographique laquo Cette notion traduit la distance kilomeacutetrique entre deux entiteacutes
(individus organisations villes) pondeacutereacutee par le coucirct temporel et moneacutetaire de son
franchissementraquo (Rallet et Torre 2004 p 26) En drsquoautres termes elle traite de la seacuteparation
de lrsquoespace et des liens en termes de distance Elle fait reacutefeacuterence agrave la notion drsquoespace
geacuteonomique154
au sens de Perroux renvoyant largement agrave la localisation des entreprises elle
154
Lrsquoespace geacuteonomique est deacutefini par des relations geacuteonomiques entre points lignes surfaces volumes Les
hommes et groupes drsquohommes les choses et groupes de choses caracteacuteriseacutes eacuteconomiquement par ailleurs y
213
integravegre la dimension sociale des meacutecanismes eacuteconomiques ougrave ce que lrsquoon appelle parfois la
distance fonctionnelle (Rallet et Torre 2004) La reacutefeacuterence aux contraintes naturelles et
physiques clairement inscrite dans sa deacutefinition nrsquoeacutepuise pas son contenu qui comprend
eacutegalement des aspects de construit social tels que les infrastructures de transport qui
modifient les temps drsquoaccegraves ou encore les moyens financiers qui permettent lrsquoutilisation de
certaines technologies de communication (Rallet 2000) Certes lrsquoeacutetat des systegravemes de
transport et des moyens financiers exercent de fait une influence objective sur ce qui peut ecirctre
consideacutereacute comme laquo procheraquo ou laquo eacuteloigneacute raquo En revanche la nature subjective de la proximiteacute
qui vient de ce qursquoelle deacutepend drsquoun jugement fait par les individus deacutecide en tout de ce qui
est proche ou eacuteloigneacute (Colletis-Wahl et al 2008)
Plusieurs travaux ont eacutelargis le champ drsquoapplication de proximiteacute geacuteographique au-delagrave des
relations entre deux individus ou entre deux groupes de personnes Comme le montrent les
recherches en eacuteconomie de lrsquoenvironnement un individu peut se trouver dans une situation de
Proximiteacute Geacuteographique avec une riviegravere un site pollueacute ou une usine drsquoincineacuteration ou
encore avec un paysage remarquable ou un lieu de loisirs (Torre et Zuindeau 2009)
laquo Certains objets techniques (une usine de production automobile une centrale eacutelectrique)
ou de concernement peuvent encore jouer un rocircle dans les strateacutegies et les comportements
des acteurs ou des groupes drsquoacteurs ne serait-ce qursquoen termes de localisation des lieux de
travail raquo (Torre 2010 p413) Elle peut eacutegalement prendre une forme permanente ou
temporaire selon Torre (2009)
La demande de Proximiteacute Geacuteographique permanente est satisfaite par une
localisation jugeacutee satisfaisante dans un lieu ou par un changement de
localisation ou drsquoune installation dans un lieu jugeacute davantage propice agrave la
satisfaction des besoins ou agrave la reacutealisation des activiteacutes projeteacutees par
lrsquoacteur
La demande de Proximiteacute Geacuteographique temporaire trouve agrave se satisfaire
sans changement de localisation simplement par lrsquointermeacutediaire de
mobiliteacutes ou de deacuteplacements ponctuels de plus ou moins longue dureacutee
trouvent leur place ils sont susceptibles de localisations geacuteonomiques qui procegravedent de causes et entraicircnent des
conseacutequences eacuteconomiques (Perroux 1949 citeacute par Couzon 2003 p90)
214
En somme la proximiteacute geacuteographique favorise les coordinations de marcheacute facilite les
eacutechanges et les alliances industrielles accroisse la concurrence et lrsquoefficaciteacute et enfin
favorise la prise en charge de biens collectifs Cette proximiteacute permet donc la formation de
relations durables qui deacutebouchent sur lrsquoaffirmation de la speacutecificiteacute des espaces par la creacuteation
de ressources speacutecifiques (Bellet et al 1993) Certes la proximiteacute geacuteographique est une
condition neacutecessaire mais pas suffisante pour la construction drsquoun territoire (Torre 2010)
Cette derniegravere fait intervenir eacutegalement des interactions qursquoon preacutetendra deacutevoiler agrave lrsquoaide de
deux formes de proximiteacute proximiteacute organisationnelle et la proximiteacute institutionnelle
La proximiteacute organisationnelle quant agrave elle concerne les interactions entre acteurs agrave
lrsquointeacuterieur des organisations ou entre les organisations Elle lie donc des acteurs disposant
drsquoactifs compleacutementaires participant agrave une activiteacute finaliseacutee et appartenant agrave un mecircme espace
de rapports un groupe et ses filiales un reacuteseau drsquoacteurs Elle repose sur un cadre cognitif
commun qui concourt agrave la coheacuterence de la structure des relations entre acteurs (Dupuy et
Torre 2004) Autrement dit si la proximiteacute geacuteographique traite de la seacuteparation dans
lrsquoespace la proximiteacute organisationnelle traite quant agrave elle de la seacuteparation eacuteconomique entre
les agents les individus les diffeacuterentes organisations etou institution Elle concerne les
relations interindividuelles mais surtout la dimension collective agrave lrsquointeacuterieur des
organisations ou entre les organisations La proximiteacute organisationnelle est donc multiple
pouvant ecirctre appreacutehendeacutee au plan technologique industriel ou financier (Gilly et Grossetti
1993)
La proximiteacute organisationnelle reacutesulte des modes de coordination soit intra-firmes
(organisation inteacutegreacutee) soit inter-firmes (reacuteseaux de coopeacuteration formelle et informelle) A
partir du moment ougrave la proximiteacute geacuteographique nrsquoa plus de veacuteritable statut elle permet
drsquoaffronter les questions poseacutees par la proximiteacute technologique (connexion entre
technologies) et industrielles (actifs compleacutementaires) (Bellet et al 1993) Crsquoest-agrave-dire que la
proximiteacute geacuteographique en soi ne constitue pas une condition preacutealable et suffisante pour que
lrsquoapprentissage ait lieu Neacuteanmoins elle facilite les interactions et donc lrsquoapprentissage
interactif en renforccedilant tregraves vraisemblablement les autres dimensions de la proximiteacute
(Boschma 2005)
La proximiteacute institutionnelle qui est une dimension de la proximiteacute organisationnelle
exprime laquo lrsquoadheacutesion des agents agrave un espace commun de repreacutesentation de modegraveles et de
regravegles de penser et drsquoaction Elle est eacutetroitement lieacutee agrave des interactions entre agents qui
215
peuvent fonder lrsquoeacutemergence drsquoun territoire agrave travers de processus drsquoapprentissage collectif raquo
(Kirat et Lung 1995 p206-227) La proximiteacute institutionnelle nous renvoie agrave lrsquoexistence
drsquoun noyau collectif de connaissances de valeurs de regravegles du jeu auxquelles adhegravere
lrsquoorganisation Crsquoest elle qui guide les comportements de ces derniers et participe agrave la
reacutegulariteacute socio-eacuteconomique La proximiteacute organisationnelle se construirait agrave partir de la
proximiteacute institutionnelle Cependant il ne faut pas preacuteciser que la proximiteacute institutionnelle
sous-tend aussi la creacuteation des institutions
Pour appreacutehender cette relation bidirectionnelle entre proximiteacute institutionnelle et proximiteacute
organisationnelle il faut prendre en compte la distinction faite par North (1990) entre
institution et organisation Les institutions sont pour lui des regravegles du jeu et les organisations
des eacutequipes de joueurs (North 1991) Dans cette vision les institutions sont consideacutereacutees
comme un ensemble de regravegles formelles etou informelles auxquelles les acteurs adhegraverent
geacuteneacuteralement que ce soit pour des raisons normatives cognitives ou mateacuterielles tandis que
les organisations sont consideacutereacutees comme un groupe drsquoindividus partageant un but collectif
srsquoinscrivant dans les laquo opportuniteacutes raquo qursquoouvrent les institutions Ces derniegraveres forment dans
les analyses de North laquo une base essentielle dans lrsquoordonnancement des relations sociales
ainsi que dans la reacutesolution des litiges qui srsquoy font jour Elle se conccediloit comme un motif
drsquoaction pour les individus et les organisations dont les effets ne peuvent pas ecirctre conccedilus
exteacuterieurement agrave lrsquoactiviteacute sociale de ces derniers raquo (Didry et Vincensini 2010 p214)
Pour North institutions et organisations entretiennent une relation reacuteciproque dans la mesure
ougrave les organisations sont consideacutereacutees comme des entiteacutes doteacutees de regravegles contribuant
eacutegalement aux institutions de lrsquoeacuteconomie politique Il srsquoagit drsquoun processus drsquoapprentissage laquo
institutionnel raquo qui se deacuteveloppe gracircce aux interactions entre organisations et institutions et
qui se caracteacuterise par des rendements croissants (Didry et Vincensini 2010) Ce processus
selon North prend la forme drsquoune laquo matrice institutionnelle raquo qui laquo consiste en un reacuteseau
interdeacutependant drsquoinstitutions et drsquoorganisations politiques et eacuteconomiques qui en deacuterivent et
qui se caracteacuterisent par des rendements croissants (hellip) Des externaliteacutes de reacuteseau se font
jour sur la base des coucircts drsquoinstallation initiaux (comme la creacuteation de novo de la
Constitution ameacutericaine en 1787) des effets drsquoapprentissage deacutecrits ci-dessus via les contrats
avec drsquoautres organisations et des attentes reacutesultant drsquoune preacutevalence de pratiques
contractuelles fondeacutees sur les institutions existantes raquo (North 1991 p109)
216
En somme les acteurs dans leurs transactions comptent sur le soutien drsquoun ensemble
drsquoinstitutions pour leurs besoins de coordination notamment la reacuteduction de lrsquoincertitude
concernant le comportement des autres et par conseacutequent la fiabiliteacute de la neacutegociation entre
les acteurs Il srsquoagit drsquoinstitutions contenant de puissantes organisations comme les syndicats
le patronat et dont lrsquoobjectif principal est de fournir des moyens pour faciliter le partage
drsquoinformations entre les acteurs A cocircteacute de ce type drsquoinstitutions de nombreux acteurs
apprennent agrave suivre un ensemble de regravegles informelles en vertu de leurs expeacuteriences passeacutees
avec un ensemble drsquoacteurs familiers La grille de lecture commune qui se construit au cours
de ces expeacuteriences constitue quelque chose ressemblant agrave une culture commune (Hall et
Soskice 2002) Ce sont des institutions dont lrsquoobjet est de construire un cadre pour lrsquoaction
des agents eacuteconomiques
Les activiteacutes de production agricole au niveau local constituent un champ drsquoeacutetude parfait ougrave
les trois proximiteacutes sont fortement articuleacutees entre elles Crsquoest ainsi le cas des regroupements
de producteurs au sein drsquoune AOC baseacutes sur laquo la reacutefeacuterence agrave un lien de proximiteacute
geacuteographique (lrsquoappartenance agrave une mecircme zone ici souvent identifieacutee agrave un terroir commun)
et agrave un lien de proximiteacute organisationnelle155
(lrsquoappartenance agrave un mecircme syndicat de
producteurs) le recoupement entre les deux types de proximiteacute donnant son sens agrave lrsquoexistence
drsquoune association de producteurs localiseacutes sur un espace territorial coheacuterent et nettement
deacutelimiteacute raquo (Torre 2000a p4) Ce constat est valable mecircme pour les pheacutenomegravenes de
regroupements moins formels de producteurs agricoles ou agroalimentaires qui se regroupent
pour mettre en commun des ressources productives ou du capital fixe et qui entretiennent des
relations de coopeacuteration crsquoest ainsi le cas de nombreuses coopeacuteratives qui disposent drsquoune
implantation reacutegionale forte Ces organisations de producteurs sont en effet agrave la fois fondeacutees
sur la reacutefeacuterence agrave un lien de proximiteacute geacuteographique (terroir commun) et agrave un lien de
proximiteacute organisationnelle (appartenance agrave un mecircme syndicat de producteurs) (Benkahla et
al 2004 Torre 2000b)
Apregraves cette preacutesentation des trois dimensions de la proximiteacute la question qui se pose
geacuteneacuteralement concerne les caracteacuteristiques intrinsegraveques de la coordination entre individus
eacutequipes ou firmes qui imposent la proximiteacute physique Est-il avantageux pour une firme de
chercher agrave se localiser loin des autres firmes appartenant au mecircme secteur drsquoactiviteacute et donc
de tirer un avantage du relatif pouvoir de monopole qui lui est confeacutereacute par lrsquoexistence de coucircts
155
Pour A Torre la proximiteacute institutionnelle fait partie de la proximiteacute organisationnelle
217
de transport Ou de se localiser agrave cocircteacute de ces autres entreprises dans le but de beacuteneacuteficier des
externaliteacutes de proximiteacute geacuteneacutereacutees par les possibiliteacutes de transferts des connaissances
informations et technologies Autrement dit en quoi les agents sont-ils contraints de se
localiser les uns pregraves des autres pour se coordonner dans le cadre de leur activiteacute productive
Le problegraveme ici est de deacuteterminer quel endroit agrave choisir pour exercer son activiteacute compte
tenu des caracteacuteristiques du lieu et du comportement des autres agents etc Dans ce cadre il
convient drsquointroduire lrsquoideacutee drsquoune possible rencontre productive entre firme et territoire crsquoest-
agrave-dire de la construction commune par apprentissage de ressources speacutecifiques
territorialiseacutees (Colletis et Pecqueur 1993) La construction drsquoune ressource speacutecifique
territorialiseacutee indissociable du contexte organisationnel et institutionnel de creacuteation par
lrsquoaction collective locale nrsquoest ni disponible ni reproductible agrave lrsquoidentique ailleurs Elle est le
reacutesultat de meacutecanisme toujours particulier de coordination locale des acteurs et des activiteacutes
et non du seul jeu des contraintes exteacuterieures (eacuteconomique juridique ) (Pecqueur 2008)
Une telle coordination ne peut drsquoailleurs eacutemerger que srsquoil y a une laquo ressemblance raquo entre ces
acteurs crsquoest-agrave-dire une adheacutesion agrave un systegraveme commun de repreacutesentations collectives auquel
les institutions formelles participent souvent de maniegravere active
Geacuteneacuteralement ces circonstances concernent le changement technologique pour
lrsquoapprentissage tant dans les produits que dans les proceacutedeacutes Ainsi les firmes qui ont comme
strateacutegie la diffeacuterenciation des produits reposent sur la recombinaison rapide drsquoeacuteleacutements de
connaissance informelle traditionnelle pour concevoir de nouveaux articles Par ailleurs
lorsque les industries technologiques sont avanceacutees crsquoest-agrave-dire ougrave les frontiegraveres
technologiques ne sont pas encore atteintes (semi-conducteurs) les interactions neacutecessaires agrave
la mise en oeuvre de projet et des eacutequipements ne peuvent se reacuteduire agrave des proceacutedures
totalement formaliseacutees et exeacutecutables telles quelles sur de longues distances Dans ces
conditions on fait appel geacuteneacuteralement agrave des interactions de nature interpreacutetative pour
lesquelles la meacutediation humaine srsquoavegravere indispensable dans la mesure ougrave une autoriteacute externe
aux individus concerneacutes et ougrave la codification des rocircles peuvent eacutetablir et reproduire la
confiance neacutecessaire aux relations (Storper 1995) Les firmes localiseacutees dans un mecircme
territoire profitent des processus drsquoapprentissage de chacune drsquoelles La proximiteacute agrave lrsquointeacuterieur
drsquoune mecircme reacutegion stimule la transmission de lrsquoinformation le partage du savoir-faire ainsi
que lrsquoeacutechange des connaissances technologiques Par conseacutequent les diffeacuterentes compeacutetences
fondamentales seront renforceacutees au plan interne et mises en valeur agrave travers les relations de
218
coopeacuteration inter-firmes Ces relations trouvent une base territoriale au niveau des fonctions
de conception et de fabrication (Lung 1995)
Sur le plan de la fabrication la gestion en laquo flux tendus raquo supposerait lrsquoagglomeacuteration des
principaux facteurs auteurs des donneurs drsquoordre dans le cadre de complexes juste agrave temps
Sur le niveau de rechercher et deacuteveloppement la neacutecessiteacute de contact permanent entre les
agents pour constituer les apprentissages neacutecessaires aux activiteacutes de recherche et
drsquoinnovation fonderait une contrainte de proximiteacute geacuteographique Ces activiteacutes sont en effet
intensives en connaissances tacites Or la transmission de ce type de connaissances impose
aux partenaires de partager une mecircme expeacuterience de travail les connaissances ne pouvant
ecirctre deacutetacheacutees de leur deacutetenteur et faire lrsquoobjet drsquoune circulation sur des supports mateacuteriels
indeacutependants des personnes Il srsquoensuit que ces activiteacutes doivent ecirctre reacutealiseacutees dans le cadre de
freacutequentes relations face-agrave-face Crsquoest la raison qui justifie une concentration forte des
activiteacutes de recherche et deacuteveloppement (48 de lrsquoemploi totale de cette activiteacute se trouve en
Icircle-de-France) Celle-ci permet une proximiteacute geacuteographique entre lrsquoinnovation et ses inputs
informationnels Ces derniers sont principalement tireacutes des activiteacutes de recherches meneacutees
dans les universiteacutes et les deacutepartements de recherche et deacuteveloppement des firmes (un
exemple souvent donneacute dans ce cas est celui de la proximiteacute de lrsquouniversiteacute de Standford qui
a eacuteteacute deacuteterminant et le demeure dans la capaciteacute innovatrice de Silicone Valley) Si la
recherche universitaire et la recherche industrielle sont localiseacutees dans un mecircme endroit une
augmentation des externaliteacutes drsquoinformations et donc drsquoinnovation est nettement constateacutee
(Guillain et Huriot 2000)
Malgreacute toutes ces raisons la proximiteacute technologique lieacutee agrave la proximiteacute geacuteographique ne peut
prendre une existence eacuteconomique qursquoagrave partir drsquoune proximiteacute industrielle et institutionnelle
(type drsquoorganisation industrielle constitution drsquoinstitutions formelles et informelles) Il nrsquoy
aura territorialisation qursquoagrave partir du moment ougrave ces deux types de proximiteacute en viennent agrave se
croiser avec une proximiteacute geacuteographique (Boschma 2005) Au delagrave de cette question
drsquoapprentissage technologique ceci renvoie plus fondamentalement aux rapports pour le
quotidien en face-agrave-face Les nouveaux principes drsquoorganisation productive ne peuvent pas
donc srsquoinscrire dans le cadre drsquoune relation marchande classique qui permettrait une forte
mobiliteacute Ils supposent que les relations srsquoinscrivent dans la dureacutee poussant alors agrave
lrsquoinscription territoriale de lrsquoactiviteacute des firmes (Lung 1995) Une telle dialectique firme-
territoire renvoie aux modaliteacutes drsquoarticulation entre proximiteacute geacuteographique et proximiteacute
219
organisationnelle (dans sa double dimension de compleacutementariteacute et de coopeacuteration entre
acteurs productifs et drsquoadheacutesion inteacuterecircts communes de penseacutee et drsquoaction) qui peuvent
permettre lrsquoeacutemergence drsquoun processus interactif significatif drsquoune dynamique conjointe de la
firme et territoire
Les raisonnements deacuteveloppeacutes ci-dessus constituent les fondements theacuteoriques et
meacutethodologiques de la nouvelle conception de territoire en remettant en cause lrsquoimage du
territoire comme reacuteservoir (ineacutegalement doteacute) de ressources geacuteneacuteriques appropriables sur un
marcheacute ouvert imitables et transfeacuterables pour lui substituer une repreacutesentation ougrave le territoire
est tout drsquoabords une structure impliqueacutee dans la construction permanente de ressources Une
construction qui nrsquoest pas le fait du producteur isoleacute mais de reacuteseaux agrave geacuteomeacutetrie variable de
producteurs et drsquoutilisateurs impliqueacutes dans la chaicircne de valeur drsquoun produit (Porter 1986
Colletis et Pecqueur 1993 Veltz 2000)
26 Peut-on parler drsquoune eacuteconomie territoriale
Dans ce point nous allons de tirer les enseignements principaux des diffeacuterents
deacuteveloppements theacuteoriques exposeacutes ci-dessus et qui ont servi agrave la constitution de ce que B
Pecqueur et C Courlet appellent laquo lrsquoeacuteconomie territoriale raquo Il faut noter ici qursquoil srsquoagit drsquoun
inventaire forcement imparfait et seacutelectif Il srsquoagit de preacutesenter tout simplement ces
diffeacuterentes pistes de recherche qui nous semblent inteacuteressantes agrave souligner et qui mettent en
perspective les deacuteveloppements que nous proposons Notre objectif ici est drsquoexposer en
reacutesumeacute un double passage des logiques de lrsquoexogeacuteneacuteiteacute agrave lrsquoendogeacuteneacuteiteacute de lrsquoespace de
territoriale du deacuteveloppement agrave laquo lrsquoeacuteconomie territoriale raquo
261 De lrsquoespace subi agrave lrsquoespace construit le territoire
Les explications spatiales en matiegravere de deacuteveloppement eacuteconomiques se sont drsquoabord situeacutees
dans une perspective qualifieacutee drsquoexogegravene Dans cette perspective lrsquoespace concerneacute est
consideacutereacute comme passif crsquoest-agrave-dire comme une composition de diffeacuterents eacuteleacutements donneacutes agrave
priori Il eacutetait consideacutereacute comme le lieu ougrave lrsquoon produit et le lieu ougrave lrsquoon consomme (Pecqueur
et Peyrache-Gardeau 2010) et ceux-ci comme de simple contenant drsquohommes deacutenueacutes par
eux-mecircmes de valeurs propres Ce raisonnement srsquoexplique en partie par la logique
drsquooptimum qui se deacutetermine selon elle en fonction de lrsquoensemble des satisfactions deacutevolues
des agents eacuteconomiques consideacutereacutes isoleacutement En drsquoautres termes cette conception annule
toute valeur agrave contenu spatial (les valeurs socioculturelles drsquoun peuple drsquoune reacutegion drsquoune
notion) Par ailleurs laquo elle refuse aussi aux hommes le droit de valoriser diffeacuteremment les
220
espaces sur la base de leur passeacute et de leur raisonnement raquo (Courlet 2001a p13) Srsquoil y a
des deacuteseacutequilibres spatiaux ceux-ci ne sont que transitoires et sont dus agrave des pheacutenomegravenes de
friction dont les forces de marcheacute tendent agrave les annuler
A ce niveau crsquoest le contraire qui srsquoest produit Au lieu drsquoaller vers une convergence entre les
reacutegions la croissance a accentueacute leur divergence156
Il suffit de regarder les reacutesultats du
commerce exteacuterieur par reacutegion qui deacutevoile des dispariteacutes importantes entre elles tant du point
de vue des structures drsquoeacutechange que des performances reacutealiseacutees (Catin 1993 Chevassus-
Lozza et Galliano 2001) Un constat confirmeacute par les travaux de Myrdal (1959) et sa theacuteorie
du deacuteseacutequilibre cumulatif157
ainsi que du pocircle de croissance de Perroux ou plus reacutecemment
Krugman (1991) avec la nouvelle eacuteconomie geacuteographie Celle-ci va plus loin dans son
analyse en consideacuterant lrsquoineacutegaliteacute de deacuteveloppement reacutegional comme est un eacuteleacutement de base
du processus qui creacutee et qui entretient la richesse eacuteconomique et les eacutechanges drsquoun pays
Puisque cette ineacutegaliteacute geacuteographique avec les eacuteconomies de localisation de Marshall et le
principe de causaliteacute circulaire alimente la base de la compeacutetitiviteacute et de la deacutetermination des
eacutechanges reacutesidant dans lrsquoagglomeacuteration industrielle (Courlet 2001a Coissard 2007)
Lrsquoespace nrsquoest plus seulement un reacuteveacutelateur de distorsions ou drsquoeacutecarts mais plus
profondeacutement il peut en ecirctre agrave lrsquoorigine un vecteur un facteur essentiel un veacuteritable
creacuteateur Crsquoest alors la quecircte la conquecircte de lrsquoespace convoiteacutee par des multiples usages
pour des activiteacutes qui revendiquent des localisations preacutefeacuterentielles ou singuliegraveres plus ou
moins exclusives (Lacour 2009)
Cependant ces consideacuterations ont inteacutegreacute lrsquoespace dans leur analyse en tant que postulat ou le
fruit des rapports des forces ou des politiques publiques et non pas comme un produit Par
conseacutequence ses caracteacuteristiques permettent simplement agrave lrsquoorgane de deacutecision drsquoune
entreprise de le distinguer et drsquoeacutevaluer ses avantages comparativement agrave drsquoautres Cette
conception du deacuteveloppement a eacuteteacute remise en cause par les travaux de plusieurs auteurs158
(Becattini Aydalot Courlet Pecqueur Samson) Notamment en avanccedilant que les ressources
156
Selon le journal les Eacutechos du 20 mars 2008 la Silicon Valley est la reacutegion la plus riche des Etats-Unis le
revenu moyen par habitant est de 57 supeacuterieur agrave la moyenne nationale 157
Pour Myrdal (1957) le systegraveme eacuteconomique ne tend pas de lui-mecircme vers une forme drsquoeacutequilibre mais au
contraire drsquoeacuteloigne drsquoune telle situation en raison des laquo effets de remous raquo la population et le capital se
deacuteplacent des zones peacuteripheacuteriques vers les zones en expansion rapide favorisant ainsi les mouvements
cumulatifs neacutegatifs dans les premiegraveres (la fuite des capitaux et la deacutecroissance) et positifs dans les secondes
(produire en reacutegime de rendements croissants) Et des laquo effets de propagation raquo dans le sens opposeacute des laquo effets
de remous raquo de propagation avec un mouvement centrifuge allant des reacutegions deacuteveloppeacutees vers les reacutegions
voisines (Courlet 2001a) 158
Pour plus drsquoinformation sur ce sujet voir par exemple les travaux publieacutes dans Benko et Lipietz (1992)
221
ne sont pas donneacutees par la nature mais sont produites par une interaction sociale On parle de
deacuteveloppement endogegravene qui est conccedilu comme laquo (un) modegravele de deacuteveloppement endogegravene est
() baseacute sur lrsquoutilisation des ressources locales la capaciteacute de controcircle au niveau local du
processus drsquoaccumulation le controcircle de lrsquoinnovation la capaciteacute de reacuteaction aux pressions
exteacuterieures et la capaciteacute drsquointroduire des formes speacutecifiques de reacutegulation sociale au niveau
local favorisant les eacuteleacutements preacuteceacutedents raquo (Courlet et Garofoli 1995 p8)
Il en reacutesulte que lrsquoadoption par un acteur de la logique drsquoendogeacuteneacuteisation implique une
attitude volontariste de sa part Puisque lrsquoacteur en question doit srsquoinvestir dans une
construction interne de capaciteacute drsquoabsorption et dans la construction drsquoune continuiteacute
technologique organisationnelle etou institutionnelle entre ressources internes et externes la
meilleure faccedilon pour lui drsquoy parvenir est de srsquoinvestir aussi dans une co-construction des
ressources externes neacutecessaires laquo Une telle co-construction peut-ecirctre eacutegalement porteacutee sur
les externaliteacutes latentes sachant que cette notion de latence ne renvoie pas seulement au
facteur temps (un retour sur investissement deacutefeacutereacute) mais aussi au facteur laquo acteur collectif raquo
(un retour sur un investissement incomplet et mutualiseacute) raquo (Perrat 2005 p109) Crsquoest alors la
notion de rente qui srsquoimpose comme lrsquoexpression du rapport drsquoexternaliteacute en termes
drsquo laquo appropriabiliteacute raquo des fruits du fonctionnement de telles combinatoires (Perrat 2005) On
est devant un deacuteveloppement qui se rapporte agrave des actions territoriales conscientes qui
influencent lrsquoeacutemergence ou la localisation drsquoactiviteacutes eacuteconomiques Par action consciente il
convient drsquoentendre tout acte volontaire et reacutefleacutechi drsquoacteurs reacutegionaux ou locaux Il existe
des dynamiques territoriales speacutecifiques qui fonctionnent de telle maniegravere que le
deacuteveloppement drsquoune reacutegion nrsquoest pas subordonneacute agrave sa seule capaciteacute drsquoattraction
drsquoeacutetablissement ou des filiales de grandes entreprises mais qursquoil existe un moteur une
dynamique autonome agrave lrsquointeacuterieur de ces reacutegions qui leur a permis de susciter des initiatives
locales agrave geacuteneacuterer un tissu de nouvelles entreprises ainsi qursquoagrave mettre en oeuvre une dynamique
territoriale de lrsquoinnovation (Maillat 1995)
Dans cette optique lrsquoespace devenu territoire nrsquoest plus conccedilu comme un support de facteurs
de localisation et drsquoinstitutions donneacutees Il lrsquoest comme une ressource speacutecifique dans le sens
ougrave sa construction est un eacuteleacutement deacuteterminant du processus de changement (Colletis et al
1999 Lecoq 1995 Samson 2004) Ce nrsquoest pas le territoire en tant que tel qui est lrsquoeacuteleacutement
essentiel Ce qui importe crsquoest le regroupement territorial drsquoacteurs eacuteconomiques et de
ressources immateacuterielles qui par leurs interactions deacuteveloppent des compeacutetences des savoir-
222
faire et des regravegles speacutecifiques associeacutees au territoire Les activiteacutes eacuteconomiques sont par
conseacutequent susceptibles de geacuteneacuterer sur place les conditions neacutecessaires agrave leur deacuteveloppement
en y attirant les facteurs de production agrave venir srsquoinstaller dans des zones ougrave ils nrsquoeacutetaient pas
preacutesents auparavant Elles srsquoengagent dans des processus de creacuteation de ressources et
contribuent ainsi agrave la production des territoires Ce qui peut fonder une communauteacute de destin
drsquoune firme avec un territoire crsquoest lrsquoideacutee drsquoune construction commune et par conseacutequent
lrsquoideacutee drsquoapprentissage collectif fondeacute sur la co-production de ressources (Zimmermann
2000)
Par ailleurs lrsquoendogeacuteneacuteisation du territorialisation et de technologie implique des facteurs de
concurrence partiale fondeacutee sur une double distinction (Colletis et Pecqueur 1993 1995)
actifs-ressources geacuteneacuteriques-speacutecifiques
Ressources ils forment un potentiel pour le territoire en ce sens qursquoelles ne sont pas
en activiteacute Il srsquoagira de facteurs agrave exploiter agrave organiser ou encore agrave reacuteveacuteler
Actifs ce sont des facteurs en activiteacute
Actifs ou ressources geacuteneacuteriques ils se deacutefinissent par le fait que leur valeur ou leur
potentiel sont indeacutependants de leur participation agrave un quelconque processus de
production ou de la dynamique sociale et entrepreneuriale (exogegravene) Les actifs ou les
ressources sont ainsi totalement transfeacuterables leur valeur est une valeur drsquoeacutechange Le
lieu de cet eacutechange est le marcheacute Le prix est le critegravere drsquoappreacuteciation de la valeur
drsquoeacutechange laquelle est deacutetermineacutee par une offre et une demande agrave caractegravere
quantitatif En drsquoautres termes un facteur geacuteneacuterique est indeacutependant du laquo geacutenie du
lieu raquo ougrave il est produit
Actifs ou ressources speacutecifiques ils reacutesultent explicitement de strateacutegie drsquoacteurs et
sont deacutedieacutes agrave un usage particulier Par ailleurs un actif speacutecifique se caracteacuterise par un
coucirct irreacutecouvrable plus ou moins eacuteleveacute en cas de transfert tandis que les ressources
speacutecifiques nrsquoexistent qursquoagrave lrsquoeacutetat virtuel et ne peuvent en aucun cas ecirctre transfeacutereacutees
Un actif speacutecifique de systegraveme il se constitue agrave partir de ressources et de compeacutetences si
profondeacutement ancreacutees dans lrsquoexpeacuterience qursquoelles ne peuvent ecirctre utiliseacutees ou produites
ailleurs ou avec beaucoup de difficulteacutes et un coucirct trop eacuteleveacute Il permet agrave ses deacutetenteurs
agents ou sites de production drsquoavoir une quasi rente deacutecisive dans la compeacutetition entre
territoire Dans ce cas un systegraveme local capable de construire de tels drsquoactifs (ou de
ressources speacutecifiques) est en mesure de reacutetroagir sur les principes qui gouvernent le systegraveme
223
eacuteconomique global (Colletis et Pecqueur 1993) Crsquoest pourquoi la constitution et le maintien
de tels actifs sont un gage de compeacutetitiviteacute de long terme du territoire dans la mesure ougrave il ne
srsquoagit pas de ressources inertes ou passives comme des ressources naturelles ou du capital
social (Samson 2004)
En effet les systegravemes de productions locales constitueacutes en grande partie de petites et
moyennes entreprises speacutecialiseacutees produisent eacutegalement des rendements croissants gracircce agrave
des externaliteacutes creacutees par la concentration de savoir-faire de speacutecificiteacute et drsquoactifs Une telle
chose a eacuteteacute reacuteserveacutee auparavant qursquoaux grandes entreprises Or les agents ne sont pas
seulement des demandeurs de site ils peuvent aussi contribuer agrave former lrsquooffre de site et agrave
creacuteer des ressources localiseacutees en coopeacuterant avec drsquoautres agents ou institutions locales Dans
cette vision la connaissance utiliseacutee dans la production nrsquoest pas en fait exclusivement
exogegravene comme le suggegravere la theacuteorie standard (modegravele de Solow) Mais elle est
continuellement re-produite par lrsquointermeacutediaire drsquoune multipliciteacute de processus
drsquoapprentissage dont certains sont de nature localiseacutee tandis que drsquoautres sont moins lieacutes au
contexte dans lesquelles la connaissance a eacuteteacute eacutelaboreacutee et utiliseacutee (Becattini et Rullani 1995)
Apregraves un deacuteveloppement endogegravene qui srsquoest deacutevelopper peu agrave peu une conception de
lrsquoameacutenagement du territoire centreacutee sur le deacuteveloppement de type plutocirct endogegravene et
organiseacutes autour de ressources speacutecifiques des territoires srsquoest imposeacutee notamment par la
dynamique de leurs acteurs la compreacutehension de leurs interdeacutependances et leur capaciteacute agrave
produire du projet collectif (Pommier 2001) Ceci implique qursquoune entreprise qui veut
profiter des avantages reacutesultant des eacuteconomies externes locales doit prendre part agrave ce
processus de construction et drsquoapprentissage collectif en srsquoancrant dans la communauteacute locale
On est donc dans une nouvelle conception ougrave le territoire nrsquoest plus comme espace
eacuteconomique deacutefinit comme un simple support donneacute sur lequel jouent des acteurs mais
comme le reacutesultat drsquoun processus de construction issue de strateacutegie des acteurs et des
pheacutenomegravenes drsquoapprentissage collectifs (Delfaud et al 1985)
Sur la base de cette nouvelle conception du territoire un nombre important des travaux de
recherche sont apparus notamment les travaux du GREMI159
fondeacute par Aydalot (1986)
(Camagni et Maillat 2006) ceux des geacuteographes (Vanier 2009) ceux de lrsquolaquo Economie des
proximiteacutes raquo (Pecqueur et Zimmermann 2004) ceux publieacutes dans laquo Les Reacutegions qui
159
Groupe de Recherche Europeacuteen sur les Milieux Innovateurs
224
gagnent raquo (Benko et Lipietz 1992) 160
ou encore les recherches sur les districts industriels les
systegravemes productifs localiseacutes les clusters etc Il srsquoagit drsquoune nouvelle deacutemarche qui consiste
agrave eacutetendre lrsquoanalyse eacuteconomique agrave un objet pas ou mal pris en compte lrsquoespace Il srsquoagit alors
drsquoeacutetudier notamment laquo les effets en retour de cette prise en compte sur le fonctionnement des
meacutecanismes eacuteconomiques preacutealablement deacutecrits de maniegravere spatiale raquo (Courlet 2001a p11)
262 De deacuteveloppement territorial agrave laquo lrsquoeacuteconomie territoriale raquo
La nouvelle deacutemarche mentionneacutee au dessus annonce un passage qui srsquoest ouvert drsquoun monde
vers un autre On est devant un glissement qui laquo srsquoopegravere drsquoun corpus conceptuel fondeacute sur le
rapport macromicro et ougrave dominent les reacutefeacuterences agrave la structure aux reacutegulations et
eacutequilibres ougrave srsquoemboicirctent les rapports entre infra-structures et super-structures et ougrave les
analyses inspireacutees de la cyberneacutetique srsquointeacuteressent aux effets induits multiplicateurs ou de
feed-back Un autre corpus se construit dans lrsquoapproche par le territoire il se fonde
drsquoabord sur les organisations productives localiseacutees et leurs capaciteacutes agrave srsquoautoreacuteguler en lien
avec des structures sociales et institutionnelles et agrave eacutevoluer sous lrsquoeffet de perturbations
exogegravenes ou drsquoinnovations endogegravenes raquo (Pecqueur et Peyrache-Gardeau 2010 p619) Les
eacutetudes de ces organisations productives localiseacutees qui se sont multiplieacutees avec la
mondialisation ont conduit agrave une conception de lrsquoespace agrave la fois laquo active raquo et laquo contexte raquo
au sens drsquoAydalot (1986) deacutefinissant une nouvelle eacuteconomie spatiale appeleacutee aujourdrsquohui
laquo lrsquoeacuteconomie territoriale raquo (Pecqueur et Roussier 2003) Celle-ci dont lrsquoobjet est drsquoeacutetudier le
territoire comme construit par des acteurs eacuteconomiques dans leurs relations de proximiteacute
renverse par cela la probleacutematique et les theacuteories de la localisation (et du deacuteveloppement
reacutegional) en srsquointeacuteressant agrave la construction par les acteurs locaux de relations eacuteconomiques de
systegravemes locaux vecteurs de trajectoires de deacuteveloppement speacutecifique et ce dans un contexte
de mondialisation et de globalisation de lrsquoeacuteconomie (Courlet 2008)
Lrsquohypothegravese de base sous jacente de la laquo territorialisation raquo de lrsquoeacuteconomie laquo est que les
conditions de structuration du post-fordisme impliquent lrsquoeacutemergence de la question
territoriale comme fondement du lien nouveau entre geacuteographie eacuteconomie et culture raquo
(Pecqueur et Peyrache-Gardeau 2010 p616) Dans cette vision Courlet (2001a 2008) ainsi
que Pecqueur (et drsquoautres chercheurs) soutiennent lrsquoideacutee que les mutations eacuteconomiques et
160
Camagni R Maillat D (eds) (2006) Milieux innovateurs theacuteorie et politiques Economica Paris Vanier M
(eds) (2009) Territoires territorialiteacute territorialisation controverses et perspectives Presses Universitaires de
Rennes Pecqueur B et Zimmermann JB (eds) 2004 Economie de Proximiteacutes Hermegraves Paris Benko G
Lipietz A (eds) Les Reacutegions qui gagnent PUF Paris
225
technologiques impliquent une nouvelle logique de deacuteveloppement et un rocircle particulier
confineacute au territoire sur le plan productif et sur le plan de la politique publique
A) Le systegraveme productif et les ressources territoriales
La deacutesinteacutegration productive a obligeacute les entreprises de se doter drsquoune laquo dynamique
drsquoaptitude raquo (Ruffieux 1994) Celle-ci se deacutefinit comme la capaciteacute drsquoune entreprise ou drsquoune
organisation agrave accroicirctre ses capaciteacutes de creacuteation de ressources et de compeacutetences
organisationnelles Dans le cadre de cette dynamique drsquoaptitude le rocircle du territoire est celui
de la contribution drsquoun environnement drsquoopportuniteacutes eacuteconomiques autour des institutions
(technologiques de formation collectiviteacutes locales) qui inscrivent leurs actions dans la dureacutee
Drsquoautre part les savoir-faire et le systegraveme de valeur drsquoappartenance constitueacutes au niveau local
sont souvent un facteur deacutecisif dans la laquo dynamique drsquoaptitude raquo Il srsquoagit drsquoun cocircteacute drsquoun
processus collectif drsquoapprentissage de deacuteveloppement de nouveaux savoir-faire se deacuteroulant
dans un contexte territorial (Maillat 1995) Et drsquoun autre cocircteacute de construire une offre
territoriale speacutecifique deacuteclinant compeacutetence et excellence On passe ainsi de la geacuteographie des
coucircts agrave celle des compeacutetences (Veltz 1993)
Cette deacutemarche invite fortement agrave deacutepasser une approche triviale de la ressource qui se
contente de recenser lrsquoexistant et drsquoen deacuteduire un potentiel imaginaire de deacuteveloppement Il ne
suffit pas drsquoavoir des ressources pour se deacutevelopper Le processus de deacuteveloppement est un
processus de reacuteveacutelation des ressources de toutes nature (Pecqueur et Colletis 1993 Courlet
2008 Samson 2004) Crsquoest-agrave-dire que le territoire est issu drsquoun processus de construction agrave
partir des ressources dont il dispose laquo des ressources lieacutees agrave une trace drsquoactiviteacutes de
coordination passeacutees (meacutemoire confiance) et agrave un potentiel une latence ou encore une
virtualiteacute de nature cognitive qui demandent agrave ecirctre activeacutees ou reacuteveacuteleacutees agrave la faveur drsquoun
problegraveme productif raquo (Colletis Pecqueur 2004 p10) En drsquoautres termes les ressources sont
consideacutereacutees comme construites crsquoest-agrave-dire reacutesultant de processus Elles ne sont pas donneacutees
une fois pour toutes mais sont relatives et eacutevolutives En reprenant les termes de Crevoisier et
Kebir (2004) agrave propos des travaux Raffestin (1980) une ressource est une relation entre un
acteur une pratique (meacutediatiseacutee par le travail) et une matiegravere laquo Sans pratique la matiegravere
demeure un pur laquo donneacute raquo inerte et ses proprieacuteteacutes sont latentes Sans pratique la matiegravere nrsquoest
pas deacutevoileacutee en tant que champs de possibles sans pratique aucune relation aucun rapport
avec la matiegravere et partant aucune production raquo (Raffestin 1980 p204 citeacute par Crevoisier et
Kebir 2004 p4)
226
Cette nouvelle conception de la ressource est lrsquoune des cleacutes les plus importantes pour
contourner la probleacutematique de laquo lrsquoeacuteconomie territoriale raquo Comme toute activiteacute eacuteconomique
reposant sur des ressources et localiseacutee la ressource est le lien direct entre lrsquoeacuteconomie et
lrsquoespace (Samson 2004) Crsquoest la raison pour laquelle la territorialisation de la ressource
constitue laquo une figure nouvelle du deacuteveloppement et de lrsquoameacutenagement des eacuteconomies dans le
grand bouleversement post-fordiste de mondialisation raquo (Pecqueur et Gumuchian 2007 p5)
De mecircme le renouvellement de la ressource est consideacutereacute comme une condition deacuteterminante
de la dynamique eacuteconomique dans le long terme (Pecqueur et Peyrache-Gadeau 2004) On
parle donc de ressources territoriales comme eacutetant laquo une caracteacuteristique construite drsquoun
territoire speacutecifique dans une optique de deacuteveloppement raquo (Pecqueur 2004a p2)
La ressource est ainsi associeacutee agrave un territoire elle est territorialiseacutee Elle se dote des
caracteacuteristiques speacutecifiques identifieacutees de lrsquoobjet geacuteographique qui sont le fondement de sa
valeur potentielle Par ailleurs lrsquoidentification de la ressource territoriale correspond laquo agrave un
passage de lrsquoobjet geacuteographique deacutefini par ses caracteacuteristiques intrinsegraveques repreacutesenteacute et
approprieacute (par lrsquointermeacutediaire de cette repreacutesentation) pour la creacuteation de richesses
potentielles161
raquo (Barthes 2004 p2) Au-delagrave du patrimoine naturel la culture (la figure drsquoun
eacutecrivain Jules Verne agrave Amiens par exemple) est consideacutereacutee comme une ressource territoriale
et elle est alors territorialiseacutee crsquoest-agrave-dire rattacheacutee agrave un territoire agrave travers des outils varieacutes de
marquage de lrsquoespace (museacutees signaleacutetique) (Hertzog 2007) Il semble que laquo la notion de
culture (plus encore que la notion drsquoidentiteacute) reacutesume bien la qualiteacute drsquoun espace qui fait
territoire ajoutant agrave la finaliteacute eacuteconomique drsquoautres dimensions (sociale identitaire
eacutecologique patrimoniale cognitive etc) raquo (Kahn 2010 p633)
La transformation de la culture en patrimoine permet une lecture sociale du passeacute et une
adheacutesion meacutemorielle et notamment une laquo deacuteshistoricisation raquo permettant les reacuteemplois
contemporains et autorisant laquo lrsquoextension des pheacutenomegravenes de patrimonialisation aux espaces
eux-mecircmes et aux contenus qui sont censeacutes les caracteacuteriser raquo (Bleton-Ruget 2004 p4) Il
concerne par exemple lrsquoensemble des objets historiques drsquoun territoire (un ancien bacirctiment ou
usine un meacutetier un fruit des fricheshellip) qui se transforment en patrimoine Ils pourraient
donc devenir des facteurs de son attraction eacuteconomique notamment touristique162
Les
161
Par exemple la plage (lrsquoobjet geacuteographique) pourrait ecirctre associeacutee agrave la valorisation du soleil permettant
lrsquoexploitation directe (plage priveacutee payante) ou indirecte (heacutebergements touristiques) de lrsquoobjet geacuteographique qui
devient une ressource Le mecircme processus pourrait concerner une montagne ou autres objets geacuteographiques 162
Dans ce cas lagrave les ressources territoriales sont alors des facteurs drsquoattirance drsquoattraction elles construisent
lrsquoimage de la destination (Escadafal 2004)
227
museacutees en tant que lieux de meacutediation laquo srsquoefforcent de ressaisir lrsquoidentiteacute drsquoun territoire
drsquointerpreacuteter et de donner agrave voir sa transformation dans la perspective de contribuer agrave son
devenir raquo (Rasse 1997 p 11)
Il srsquoagit drsquoune requalification des ressources en interaction conjointe des ameacuteniteacutes
environnementales et culturelles du milieu Ceci confirme que laquo de nombreuses activiteacutes
porteuses de deacuteveloppement telles que le tourisme les activiteacutes creacuteatives et culturelles
lrsquoagriculture de terroir les activiteacutes de production de biens et de services mobilisant des
savoir-faire ancreacutes dans la culture et lrsquohistoire locales se fondent sur la valorisation ou
lrsquoutilisation de ressources naturelles et culturelles raquo (Kebir et Maillat 2004 p2) Ainsi ce
processus de valorisation ou de requalification des ressources renvoie conjointement agrave un
systegraveme de valeurs drsquousage ou agrave des eacutechanges attribueacutes agrave la ressource et agrave son systegraveme de
valeurs lieacutees agrave lrsquoeacutethique la culture lrsquohistoire collective (Pecqueur et Peyrache-Gadeau 2004)
Dans cette perspective la speacutecificiteacute drsquoun territoire nrsquoest que la speacutecificiteacute des ressources
mobiliseacutees et valoriseacutees par ses acteurs (Pecqueur et Ternaux 2006) La conseacutequence est que
lrsquoattractiviteacute drsquoun territoire ne peut ecirctre deacutetermineacutee indeacutependamment de la maniegravere dont le
territoire est organiseacute La territorialiteacute est un ensemble drsquoactifs speacutecifiques crsquoest-agrave-dire
drsquoactifs sous des formes semblables dans des lieux diffeacuterents et dont jouissent tous les acteurs
eacuteconomiques drsquoun territoire agrave des degreacutes divers (Pecqueur 1993) Ces actifs nous lrsquoavons
deacutejagrave dit srsquoopposent aux actifs (et ressources) geacuteneacuteriques qui peuvent se trouver dans de
nombreuses localisations Ces actifs speacutecifiques peuvent ecirctre de nature exogegravene comme par
exemple un actif reacutesultant drsquoune ressource naturelle tregraves speacutecifique mais ils peuvent
eacutegalement ecirctre de nature endogegravene construits par lrsquoorganisation qui en beacuteneacuteficie comme par
exemple une compeacutetence particuliegravere (Boissin 1999)
Ces actifs sont en quelque sorte consideacutereacutes comme des laquo biens publics locaux raquo (Tchekemian
2004) dans la mesure ougrave ils beacuteneacuteficient agrave lrsquoensemble des acteurs ayant participeacute agrave leur
construction etou agrave leur renouvellement Ils sont mis en eacutevidence agrave travers un cadre
conceptuel original en lrsquooccurrence le systegraveme productif localiseacute (SPL) fondeacute et deacuteveloppeacute
par Courlet et Pecqueur au deacutebut des anneacutees 1990 dans la mesure ougrave il laquo est conccedilu comme
une organisation susceptible de creacuteer de tels actifs agrave partir notamment des formes
particuliegraveres de relations entre acteurs constitueacutes en reacuteseau tels que des normes des regravegles
et des savoirs partageacutes et eacuteventuellement une image du territoire vis-agrave-vis de lrsquoexteacuterieur raquo
(Tchekemian 2004 p5) Au total le systegraveme de production deacutesigne deacutesormais lrsquoensemble
228
des acteurs impliqueacutes dans lrsquoidentification et la mise en œuvre de la ressource en vue de la
production drsquoun bien ou drsquoun service (Kebir 2004) Lrsquoenjeu du concept de ressource
territoriale est donc double Il relegraveve agrave la fois de la reacuteveacutelation comme principe discriminant et
de la compreacutehension du meacutecanisme drsquoactivation et de valorisation permettant de passer de
lrsquoobjet geacuteographique et patrimonial agrave son utilisation marchande pour la mise en place drsquoune
politique drsquoaction visant un deacuteveloppement local
B) De la politique publique agrave lrsquoaction publique locale
Il est devenu donc important non pas drsquoimposer un modegravele drsquoorganisation agrave succegraves dans tous
les contextes ougrave lrsquoon est preacutesent mais de trouver les cadres adapteacutes de liaison avec des
milieux au sein desquels on travaille en donnant agrave sa propre action des formes flexibles et en
utilisant les compeacutetences des partenaires et managers locaux (Becattini et Rullani 1995)
Autrement dit il nrsquoexiste ni de modegravele parfait ni de similitudes agrave transposer (Vicente 2003)
Les acteurs locaux publics ont pris conscience qursquoil ne suffisait plus pour assurer lrsquoattractiviteacute
de leur territoire de retenir les firmes ou drsquoen attirer de nouvelles en leur offrant des
ressources qui tendent agrave ecirctre de plus en plus banaliseacutees (terrains bacirctiments eacutequipeacutes
infrastructures sophistiqueacutees des offres en matiegravere de formation de recherchehellip) Mais qursquoil
fallait notamment veiller agrave la structuration organisationnelle de ces ressources la speacutecificiteacute
de ces derniegraveres ainsi induite eacutetant recourue aujourdrsquohui comme un facteur essentiel du
deacuteveloppement et de lrsquoexpansion des territoires
Les investissements publics locaux ayant en charge la promotion des dynamiques territoriales
ont toujours inteacuterecirct en effet agrave rechercher la speacutecification des actifs pour deux raisons
principales (Colletis et Pecqueur 1995) La premiegravere raison est que la preacutesence drsquoactifs
speacutecifiques (eacutecole drsquoingeacutenieurs laboratoires de recherche main-drsquooeuvre qualifieacutee) permet
de diffeacuterencier le territoire et de lrsquoidentifier dans un contexte de concurrence spatiale forte
Or la deuxiegraveme raison reacuteside dans le fait que la preacutesence de ce type drsquoactifs reacuteduit la volatiliteacute
des entreprises Rappelons que les actifs speacutecifiques preacutesentent un coucirct de reacuteversibiliteacute ou
encore un coucirct de reacuteaffectation Crsquoest-agrave-dire que laquo lrsquoactif prend une partie de sa valeur
productive dans le cas ougrave il est redeacuteployeacute vers un usage alternatif Il apparaicirct donc coucircteux
pour une entreprise de se deacutelocaliser dans la mesure ougrave elle ne peut trouver ailleurs
immeacutediatement au mecircme prix le mecircme actif Ce frein agrave la reacuteversibiliteacute srsquoaccentue avec le
temps si lrsquoon considegravere que lrsquoentreprise ameacuteliore chronologiquement la qualiteacute de ses
relations de proximiteacute (confiance allegravege les coucircts) raquo (Pecqueur 1999 p129)
229
Lrsquoobjectif des acteurs locaux public consiste donc agrave mieux organiser lrsquooffre de connaissances
agrave travers lrsquoameacutelioration des infrastructures locales Celles-ci doivent se mettre au service au
deacuteveloppement technologique on parle beaucoup des laquo autoroutes de lrsquoinformation raquo dans
leur mise en place afin de rapprocher les agents du centre de production geacuteographique
eacuteloigneacutee Il faut srsquointerroger sur lrsquoimportance de la proximiteacute ou de son caractegravere contingent
par rapport agrave de telles infrastructures mais eacutegalement se demander de quelle maniegravere
lrsquoinstallation de ces reacuteseaux est susceptible de contribuer au rapprochement des acteurs
locaux ou non en offrant la possibiliteacute de srsquointerconnecter (Rallet et Torre 1995) Ceci
confirme la dimension reacutegionale des politiques technologiques ces derniegraveres anneacutees et qui
consiste agrave faciliter le transfert de technologies deacutetenues au niveau de pocircles de compeacutetences
reacutegionaux vers le tissu industriel local par lrsquoinstauration des meacutecanismes permettant lrsquoaccegraves
des entreprises (notamment les petites et moyennes) aux technologies deacutetenues dans les
sphegraveres scientifiques Le but est de creacuteer des ponts entre la recherche fondamentale surtout
publique et les entreprises afin drsquoeacutelargir leur base de connaissances et de favoriser
lrsquoinnovation agrave travers lrsquoadoption de cette technologie aux besoins speacutecifiques de chaque firme
(Colletis et Pecqueur 1995)
Effectivement lrsquoeacutechec de lrsquoexpeacuterience des RDT (Reacuteseaux de Diffusion Technologique)
(Filippi et Torre 2002) ou du Silicon Sentier Parisien (Dalla Pria et Vicente 2006) met en
eacutevidence lrsquoimportance de lrsquoimportance de renforcer la proximiteacute organisationnelle Celle-ci
permet en effet laquo drsquoeacutetablir des coopeacuterations transversales entre acteurs locaux de nature
diffeacuterente (entrepreneurs chercheurs formateurs) deacutepositaires drsquohabitudes de travail et de
logiques cognitives tregraves diffeacuterentes raquo (Filippi et Torre 2002 p7) La non prise en compte de
ces dimensions a rendu le deacuteclenchement drsquoun processus collectif de creacuteation de
connaissances notamment tacites tregraves difficile voire impossible comme en particulier dans le
cas du Silicon Sentier qui est rapidement devenu le laquo Silicon Deacutesert raquo (Dalla Pria et Vicente
2006)
Le territoire nrsquoest pas donc une entiteacute de nation mais une dynamique de coordination
drsquoacteurs qui a sa place dans lrsquoeacutemergence des niveaux de reacutegulation infranationaux fondeacutee des
reacutealiteacutes socio-eacuteconomiques et institutionnelles ancreacutees spatialement Selon Courlet (2008) il
srsquoagit drsquoune politique publique traduite en action publique impliquant les acteurs locaux et
non une instance coercitive exteacuterieure Lrsquoaction publique locale laquo nrsquoengage pas la seule
responsabiliteacute des institutions publiques locales elle est la reacutesultante drsquoun processus de
230
coopeacuteration ou de coordination entre de nombreux acteurs et opeacuterateurs raquo (Courlet 2008
p11) Cela signifie qursquoil laquo nrsquoy a pas de territoires en crise il y a seulement des territoires
sans projet raquo (deacuteclaration en 1997 du ministre franccedilais de lrsquoAmeacutenagement du territoire citeacute
par Benko 2008 p41) En drsquoautres termes cette deacuteclaration signe la fin du modegravele de
deacuteveloppement laquo par le haut raquo volontariste et normatif dans la majoriteacute des pays
industrialiseacutes et la renaissance drsquoun nouveau modegravele de deacuteveloppement laquo par le bas raquo le
deacuteveloppement local
Ce concept (le deacuteveloppement local)163
signifie la deacuteleacutegation aux collectiviteacutes territoriales la
charge drsquoeacutelaborer des politiques drsquoameacutenagement du territoire ainsi que certaines tacircches
comme les services de soutien aux entreprises Par exemple un soutien agrave des associations
drsquoentreprises qui ont des atouts comme la connaissance tacite et la creacutedibiliteacute politique et que
lrsquoEtat doit exploiter pour que ces politiques de soutien aux entreprises soient efficaces Drsquoune
maniegravere geacuteneacuterale lrsquointervention de lrsquoeacutetat dans le domaine eacuteconomique ne peut avoir un
impact que si celle-ci est deacutesormais cordonneacutee et guideacutee par un reacuteseau local de services
coheacuterent organiseacute et associeacute aux autoriteacutes publiques au monde des affaires ainsi qursquoaux
associations locales Cela est conditionneacute par la deacutefinition correcte des territoires en tant
qursquoentiteacutes spatiales Lrsquoespace de deacutefinition et de mise en place des actions publiques locales
laquo doit avoir une laquo coheacuterence culturelle eacuteconomique ou sociale raquo il doit correspondre agrave un laquo
bassin de vie quotidienne raquo avoir une laquo coheacuterence geacuteographique raquo bref ecirctre laquo pertinent raquo
sans que soient vraiment preacuteciseacutes les critegraveres de la pertinence puisqursquoils doivent ecirctre
appreacutecieacutes localement en fonction du projet raquo (Douillet 2003 p589) Cette vision de lrsquoaction
publique diffegravere ainsi des politiques de zonages du fait que les limites de la laquo zone raquo sont
deacutetermineacutees a priori en fonction de critegraveres speacutecifiques tandis que les politiques drsquoaction
publique locale laquo invitent les acteurs locaux agrave deacutefinir eux-mecircmes un peacuterimegravetre drsquointervention
sans tenir compte des territoires politico-administratifs existants raquo (Douillet 2003 p589)
Cette approche est devenue incontournable aussi bien en eacuteconomie qursquoen politique La prise
en compte des facteurs locaux dans les dynamiques eacuteconomiques apparaicirct aujourdrsquohui comme
une eacutevidence et comme une impeacuterieuse neacutecessiteacute (Pecqueur 1989 Greffe 2002 Benko
2008)
163
Le terme laquo deacuteveloppement local raquo est connu aussi sous les labels de deacuteveloppement endogegravene
deacuteveloppement territorial deacuteveloppement par le bas deacuteveloppement communautaire deacuteveloppement autocentreacute
ou encore deacuteveloppement agropolitain
231
Le territoire apparaicirct donc de plus en plus comme un systegraveme complexe entendu comme le
lieu de relations particuliegraveres entre de nombreux acteurs (Courlet 2008) Il srsquoagit drsquoun
laquo systegraveme apprenant raquo et capable de reacuteflexiviteacute pour agir sur son devenir Comme tout
systegraveme laquo le territoire devient alors doueacute drsquoauto-organisation et donc en mesure de reacuteagir agrave
des perturbations et de srsquoadapter Car le systegraveme est ouvert et permeacuteable il nrsquoest pas
clairement circonscrit et interroge mecircme lrsquoespace de lrsquoameacutenageur ou de la reacutegion du
politique mais devient un objet probleacutematique qui srsquoeacutenonce dans la construction collective et
projective et largement soumis agrave des influences exteacuterieures raquo (Pecqueur et Peyrache-
Gardeau 2010 p619) Crsquoest lrsquoeacutemanation drsquoune logique de lrsquoaction collective laquo un champ
drsquoaction dans lequel les neacutegociations les dispositifs formels et informels de coopeacuteration
drsquoarbitrage des conflits ou de regraveglement des diffeacuterends forment un ensemble complexe que
les deacutecoupages disciplinaires acadeacutemiques rendent difficilement compreacutehensibles raquo (Courlet
2008 p11)
En somme cette approche territoriale de lrsquoeacuteconomie permet de comprendre les facteurs
drsquoeacutemergence des dynamiques des formes spatialiseacutees drsquoaction collective Dans ce cadre
plusieurs travaux empiriques ont eacuteteacute effectueacutes sur les pocircles de compeacutetitiviteacute les clusters les
technopocircles les systegravemes productifs localiseacutes et notamment sur les districts industriels et sur
les milieux innovateurs que nous consideacuterons comme travaux fondateurs et preacutecurseurs Crsquoest
la raison pour laquelle nous les avons choisis pour mettre en eacutevidence lrsquohypothegravese centrale de
lrsquoapproche territoriale du deacuteveloppement la base territoriale creacutee des indeacutependances
particuliegraveres entre agents ou entre agents et institutions ce qui implique une dynamique
eacuteconomique speacutecifique
263 Deux exemples de formes drsquoorganisation productive territoriale
A) Le district industriel une approche essentiellement geacuteographique
Les premiers travaux faisant appel aux hypothegraveses de deacuteveloppement endogegravene ont fait
explicitement reacutefeacuterence agrave des districts industriels italiens reposent sur le travail pionnier de
Marshall (1890 1919) Le district industriel a eacuteteacute toutefois remis agrave lrsquohonneur dans les anneacutees
1970 et 1980 par un groupe drsquoeacuteconomistes et de sociologues italiens qui concentraient leur
recherche sur la renaissance industrielle en cours en Veacuteneacutetie en Toscane dans lrsquoEacutemilie-
Romagne et dans les reacutegions voisines lors de la deuxiegraveme moitieacute des anneacutees 1970 (Bagnasco
1977 Becattini 1987 Brusco 1982 Garofoli 1996) Ce groupe a eu pour objectif
232
drsquoexpliquer lrsquoexistence et la persistance drsquoune zone eacuteconomique dynamique fondeacutee sur des
reacuteseaux de petites et moyennes entreprises meacutelangeant concurrence-eacutemulation-coopeacuteration
Becattini (1992) deacutefini le district industriel comme une entiteacute socio-territoriale caracteacuteriseacutee
par la preacutesence active drsquoune communauteacute de personnes et drsquoune population drsquoentreprises dans
un espace geacuteographique et historique donneacute La re-production et le deacuteveloppement du district
industriel repose sur une interconnexion parfaite entre les conditions eacuteconomico-productives
et les conditions socio-culturelles de la re-production Le concept de districts industriels et ce
depuis lrsquoorigine socio-eacuteconomique et le demeure encore aujourdrsquohui Il srsquoagit drsquoun grand
complexe productif ougrave la coordination entre les diffeacuterentes phases et le controcircle de la
reacutegulariteacute de leur fonctionnement nrsquoest pas soumise aux regravegles preacuteeacutetablies de meacutecanismes
hieacuterarchiques comme cela se deacuteroule dans la grande entreprise Il y a une osmose entre
communauteacute locale et entreprise Le district industriel couvre geacuteneacuteralement lrsquoensemble du
cycle productif et possegravede un secteur de conception et de production de machines lieacutees agrave leur
activiteacute (Courlet 2010)
Le district industriel reacutesulte ainsi drsquoun ensemble drsquoinitiatives de relations et de reacuteseaux agrave
tendance localiseacutee leur confeacuterant ainsi une seacuterie drsquoavantages speacutecifiques notamment agrave travers
lrsquoapparition drsquoun certain nombre drsquoeacuteconomies externes drsquoagglomeacuteration (Pecqueur 1989)
Par ailleurs comme tout systegraveme local de production la vie des districts est eacutevolutive avec
des hauts et de bas des reacutegressions des reconversions et des eacutemergences La notion de district
industriel a eacuteteacute par la suite eacutetendue agrave celle de district technologique ougrave les eacuteconomies externes
sont principalement focaliseacutees sur le changement technologie (Maillat 1996) Les districts
technologiques se dotent davantage drsquoune capaciteacute drsquoinnovation technologique agrave la diffeacuterence
des districts industriels dit traditionnels qui sont des systegravemes de petites entreprises localiseacutees
ou non en milieu urbain Ils font une grande place au rocircle des grandes firmes et agrave celui des
grandes villes ougrave se concentrent les organismes de recherche (Pecqueur et Rousier 1990)
B) Le milieu innovateur
La reconnaissance de caractegraveres (partiellement) tacite de savoir et donc de sa (possible)
transmission par lrsquointermeacutediaire des relations non codifieacutees entre les acteurs eacuteconomiques
constitue certainement lrsquoune des clefs de la relation maintenant eacutetablie entre les dimensions
spatiales et technologiques (Rallet et Torre 1995) En effet la proximiteacute geacuteographique
favorise les occasions de contacts et drsquointeractions entre les entreprises Cependant elle ne
suffit pas agrave elle seule agrave les expliquer ou agrave les susciter Il faut que les entreprises aient quelque
233
chose en commun que leur comportement srsquoinscrive dans une logique de milieu Or pour
qursquoil y ait ce milieu il faut constituer un cadre organique dans lequel srsquoinsegraverent des relations
marchandes et non marchandes crsquoest-agrave-dire des reacuteseaux qui se deacuteveloppent principalement
sur une base territoriale Le milieu nrsquoest pas un entrepocirct dans lequel on srsquoapprovisionne Crsquoest
un ensemble qui doit ecirctre capable de mettre en oeuvre un processus synergique De ce point
de vue le milieu ne peut ecirctre deacutefini comme une simple zone geacuteographique il faut le
consideacuterer comme une organisation territoriale complexe faite drsquointerdeacutependances
relationnelles eacuteconomiques et technologiques (Maillat 2006)
Ce concept offre un cadre organiseacute en relations entre acteurs leur permettant de reacuteduire
lrsquoincertitude et de deacutevelopper des processus collectifs drsquoapprentissage (Camagni 1991) La
notion de milieu est ensuite croiseacutee avec celle de reacuteseaux drsquoinnovation pour deacutefinir ce qui est
un milieu innovateur Ce dernier deacutesigne un laquo un ensemble territorialiseacute dans lequel des
interactions entre agents eacuteconomiques se deacuteveloppent par lrsquoapprentissage qursquoils font des
transactions multilateacuterales geacuteneacuteratrices drsquoexternaliteacutes speacutecifique agrave lrsquoinnovation et par la
convergence des apprentissages vers des formes de plus en plus performantes de gestion en
commun des ressources raquo (Maillat et al 1993 p9) Il srsquoagit dans la reacutealiteacute des reacuteseaux
drsquoinnovation qui expriment les nouvelles conditions drsquoeacutemergence et de deacuteveloppement du
changement technologique crsquoest-agrave-dire la nature collective et interactive des processus
drsquoinnovation Comme le reacuteseau drsquoinnovation ne correspond pas agrave priori un territoire donneacute il
est important de srsquointerroger et drsquoexaminer comment le milieu innovateur et reacuteseau
drsquoinnovation interagissent Comment un milieu participe agrave la constitution drsquoun reacuteseau
drsquoinnovation et comment un reacuteseau drsquoinnovation peut dynamiser et transformer un milieu
Comment la nouvelle conception de deacuteveloppement technologique en termes interdeacutependance
et de reacutetroactions multiples se conjuguent avec les facteurs geacuteographiques de dispersion ou de
localisation des firmes (Camagni 1995)
Il faut par conseacutequent srsquointerroger sur lrsquoinfluence qursquoexercent les interactions entre
producteurs et utilisateurs durant le processus drsquoeacutelaboration technique sur la proximiteacute
geacuteographique ou encore questionner la place occupeacutee par le contexte local (le milieu) dans le
processus de globalisation de la recherche et deacuteveloppement (Rallet et Torre 1995) Il
srsquoensuit que le milieu innovateur participe agrave la constitution des reacuteseaux drsquoinnovation et
intervient dans leur dynamisme Reacuteciproquement les reacuteseaux drsquoinnovation enrichissent le
milieu ils contribuent agrave accroicirctre les capaciteacutes creacuteatrices de celui-ci En drsquoautres termes il
234
srsquoeacutetablit entre le reacuteseau drsquoinnovation et le milieu une interaction dialectique qui fait que le
milieu par ses apports repreacutesente un avantage comparatif et reccediloit autour des reacuteseaux
drsquoinnovation des retombeacutees positives qui agissent sur son processus de structuration et de
constitution Crsquoest parce qursquoils coopegraverent pour innover que les acteurs de reacuteseaux rendent un
milieu dynamique et contribuent agrave geacuteneacuterer des externaliteacutes speacutecifiques (Camagni et al 2004)
Dans ce cas la culture sociale des acteurs conditionne fortement la structure eacuteconomique et la
genegravese des externaliteacutes Finalement les reacuteseaux drsquoinnovation qui dynamisent le milieu et le
rendent innovateur sont soumis avant tout agrave lrsquointention de coopeacuterer et agrave la volonteacute des agents
drsquointeragir (Lecoq 1999) Reacuteciproquement le milieu innovateur suscite des reacuteseaux
drsquoinnovation et contribue agrave la reacuteussite de ceux-ci Le milieu innovateur qui srsquoinscrit dans un
horizon de tregraves long terme integravegre les interactions dynamiques entre reacuteseaux innovateurs et
leur environnement territorial On peut alors concevoir le milieu innovateur comme un
ensemble territorialiseacute dans lequel des reacuteseaux innovateurs se deacuteveloppent par lrsquoapprentissage
qui font de leurs acteurs des transactions multilateacuterales geacuteneacuteratrices drsquoexternaliteacutes speacutecifiques
agrave lrsquoinnovation et par la convergence des apprentissages vers des formes de plus en plus
performantes de creacuteation technologique (Zimmermann 1995)
Au total les processus drsquoeacutevolution du milieu sont le fruit drsquoune combinaison drsquoactiviteacutes de
captage drsquoincubation et de diffusion (Maillat 1995)
Activiteacutes de captage elles permettent aux acteurs drsquoidentifier les transformations
qui interviennent dans lrsquoenvironnement
Activiteacutes drsquoincubation elles consistent en lrsquoutilisation creacuteatrice et en la
recombinaison de ses deacuteveloppements par les acteurs du milieu
Activiteacute de diffusion elles concourent agrave lrsquoessaimage dans lrsquoensemble du milieu
des eacuteleacutements nouveaux
Le reacuteseau drsquoinnovation drsquoun milieu est un mode drsquoorganisation des transactions qui se
deacuteveloppent dans le temps Il est donc eacutevolutif Il srsquoagit drsquoun systegraveme de relations durables
entre diffeacuterents acteurs qui se basent sur un systegraveme de regravegles et de normes (proximiteacute
institutionnelle) plus ou moins formaliseacutees deacutefinissant les obligations et les contraintes des
membres Ces regravegles permettent de deacutelimiter un espace de travail collectif et drsquoen assurer une
gestion plus coheacuterente vis-agrave-vis des turbulences de lrsquoenvironnement Lrsquoexemple type de ces
milieux innovateurs et qui a eacuteteacute lrsquoobjet de plusieurs travaux (Saxenian 1999 Vicente 2003)
235
est celui de Silicon Valley En effet ce dernier est consideacutereacute comme reacuteseau inteacutegreacute (Loilier et
Tellier 2001) conccedilu comme un reacuteseau dense de sous-traitants qui reacutepond agrave des appels agrave
projets lanceacutes par plusieurs clients installeacutes sur le territoire mecircme Une seule entreprise ne
pouvant pas reacutealiser seule un projet ce sont les relations tisseacutees sur le territoire qui vont
permettre une mobilisation des acteurs adeacutequats pour respecter les cahiers des charges et les
deacutelais souvent tregraves courts Cependant cette reacuteactiviteacute reacutesulte par laquo lrsquoinsertion des acteurs dans
des reacuteseaux relationnels propres au territoire de la Silicon Valley et qui peuvent ecirctre
physiques ou eacutelectroniques Crsquoest drsquoailleurs souvent la conjugaison des deux types de
relations qui permettent une synergie jusqursquoalors ineacutegaleacutee dans le domaine des hautes
technologies raquo (Guedon 2005 p10)
236
Encadreacute 3 Deux remarques sur lrsquoeacuteconomie et la concentration territoriales
Avant de conclure ce chapitre deux remarques nous semblent importantes agrave mentionner une correspond agrave une
limite et lrsquoautre agrave une preacutecision
La premiegravere remarque laquo lrsquoeacuteconomie territoriale raquo un chantier en construction
Malgreacute les reacuteponses apporteacutees par laquo lrsquoeacuteconomie territoriale raquo en termes des analyses deacutepassant le dogme de
lrsquoespace homogegravene elle doit parachever son chantier theacuteorique laquo Lrsquoeacuteconomie territoriale raquo doit en effet
approfondir la relation entre agglomeacuteration et performance Excepteacute que cette relation ne soit pas toujours
eacutevidente dans la mesure ougrave certaines petites et moyennes villes peuvent contenir des pocircles de compeacutetitiviteacute
(Courlet 2008) elle pourrait ecirctre neacutegative en raison des externaliteacutes neacutegatives qui impliquent eacutevidemment des
coucircts En effet lrsquoadheacutesion agrave un systegraveme de production local est eacutegalement lrsquoobjet drsquoune eacutevaluation entre les
beacuteneacutefices potentiels et les coucircts potentiels associeacutes au partage drsquoune connaissance speacutecifique Lrsquoadheacutesion a par
exemple un district technologique peut ecirctre contrebalanceacutee par lrsquoaugmentation des prix fonciers la croissance
des salaires ou des coucircts des autres inputs en raison de la proximiteacute des firmes et de leur forte densiteacute agrave
lrsquointeacuterieur des reacutegions En fait lrsquoadheacutesion agrave des systegravemes dynamiques et agrave lrsquoeacutevolution de ces systegravemes deacutepend de
lrsquoarbitrage entre les externaliteacutes technologiques positives et les externaliteacutes de revenu neacutegatives (Antonelli
1995)
Deuxiegraveme remarque la concentration plus ou moins forte selon lrsquoactiviteacute
Toutes les activiteacutes ne reacutepondent pas agrave la logique de concentration territoriale On retrouve des secteurs agrave
concentration technique importante comme la chimie mineacuterale les meacutetaux non- ferreux le papier-carton Il
srsquoagit de secteurs agrave forte intensiteacute capitalistique qui sont dans une logique drsquoaccroissement de la taille des
eacutetablissements pour permettre des eacuteconomies drsquoeacutechelle On retrouve aussi des secteurs assez traditionnels
comme lrsquoindustrie du bois lrsquoindustrie du meuble la reacutecupeacuteration ou des activiteacutes ayant surtout suivies une
logique Fordiste de production de masse et de diffusion de leur localisation sur le territoire national comme la
fabrication drsquoappareils domestiques ou la fabrication drsquoappareils de reacuteception drsquoenregistrement et de
reproduction du son et lrsquoimage Geacuteneacuteralement la concentration suit des logiques sectorielles diffeacuterencieacutees
(Laineacute1999)
Ces limites ou plutocirct des preacutecisions qursquoon vient drsquoeacutevoquer nrsquoenlegravevent rien aux meacuterites de laquo lrsquoeacuteconomie
territoriale raquo Il suffit de lui reconnaicirctre lrsquointeacutegration du territoire dans lrsquoanalyse eacuteconomique et notamment
comme un facteur variable incontournable permettant drsquoeacutechapper agrave la dichotomie coordination par le marcheacute ou
coordination par la hieacuterarchie Crsquoest-agrave-dire que le deacuteveloppement eacuteconomique est un processus dynamique qui se
deacutetermine agrave travers les interdeacutependances entre agents entre activiteacutes et institutions qui sont sources drsquoune
dynamique speacutecifique de deacuteveloppement Ainsi le territoire consideacutereacute comme un systegraveme ouvert et capable de
reacuteflexiviteacute pour agir sur son devenir devient alors doueacute drsquoauto-organisation et est donc en mesure de reacuteagir agrave
des perturbations et de srsquoadapter Parce que comme tout systegraveme ouvert et permeacuteable le territoire laquo nrsquoest pas
clairement circonscrit et interroge mecircme lrsquoespace de lrsquoameacutenageur ou de la reacutegion du politique mais devient un
objet probleacutematique qui srsquoeacutenonce dans la construction collective et projective et largement soumis agrave des
influences exteacuterieures raquo (Pecqueur et Peyrache-Gardeau 2010 p619)
237
CONCLUSION DU CHAPITRE 2
Si nous pouvons caracteacuteriser la premiegravere section de ce chapitre par une entreacutee laquo produit raquo
notamment avec la question de la qualification des produits agricoles et agro-alimentaires la
deuxiegraveme se signale par une entreacutee par les reacuteseaux territoriaux de production Le trait
marquant de ces derniers reacutevegravele lrsquoimportance du couple coopeacuteration-compeacutetition dans le bon
fonctionnement des systegravemes alternatifs Ces systegravemes sont issus de relations spatialement
concentreacutees socialement et historiquement construites et institutionnellement codifieacutees que
les acteurs entretiennent entre eux Toutefois lrsquoactiviteacute agricole a souvent servi drsquoexemple
pour mettre en eacutevidence ces modes originaux de type laquo organisation industrielle
territorialiseacutee raquo164
et qui se preacutesentent sous la forme drsquoun systegraveme baseacute sur la coordination agrave la
fois de marcheacute et de reacuteciprociteacute sur la proximiteacute geacuteographique et sur une division sociale du
travail
Plusieurs initiatives du monde agricole et alimentaire pourraient servir agrave illustrer le modegravele
des systegravemes de production locaux Drsquoune part le monde agricole est le premier qui a reacuteussi agrave
mettre en œuvre drsquoune faccedilon formelle ce type de coordination sous formes de coopeacuteratives
agricoles (Groupements de producteurs Syndicatshellip) Une telle structure regroupant
plusieurs paysans indeacutependants a pour objectif principal la mutualisation des efforts Drsquoautre
part lrsquoaccegraves aux ressources agricoles impose un ancrage territorial Lrsquoeacutelaboration de produits
diffeacuterencieacutes dans le domaine agricole et agroalimentaire a toujours contribueacute agrave la notorieacuteteacute des
lieux par exemple la viande de la pampa Argentine en Ameacuterique Latine le cacao de Choao
en Eacutequateur ou le cafeacute de Cundinamarca en Colombie Nous pouvons eacutegalement citer en
Europe les fromages de Reggiano en Italie ou les vins de Bordeaux en France qui font depuis
longtemps partie du patrimoine de ces pays
164
Voir par exemple le premier travail scientifique de Porter (1998) sur le cluster
238
CONCLUSION DE LA PARTIE 1
La reacuteflexion sur le deacuteveloppement de lrsquoagriculture et sur la qualification des produits
alimentaires srsquoest fondeacutee sur lrsquoanalyse des atouts et des contraintes des paysans et des agro-
industriels face agrave lrsquoinseacutecuriteacute alimentaire agrave savoir augmenter la production et en mecircme temps
ameacuteliorer la qualiteacute des produits agricoles et agro-alimentaires Cela nous a conduit agrave
souligner la neacutecessiteacute drsquoeffectuer des restructurations dans la politique agricole et agro-
alimentaire baseacutees davantage sur les exploitations des ressources territoriales Ces ressources
qui prennent souvent la forme de savoirs et de savoir-faire sont le reacutesultat des actions
collectives formelles etou informelles de tous les acteurs concerneacutes
Cependant le deacuteveloppement et la peacuterennisation de ces actions collectives sont agrave notre sens
lieacutes agrave des systegravemes ou agrave des reacuteseaux locaux Ceux-ci mettent en œuvre en effet des formes
originales de collaboration et de deacuteveloppement de nouvelles dynamiques de coopeacuteration
deacutepassant largement le cœur de meacutetier (cultures ou transformations) pour srsquoeacutetendre agrave des
relations avec drsquoautres institutions priveacutees ou publiques formelles ou informelles (centre de
formation et de recherche autoriteacutes publiqueshellip) En drsquoautres termes ces actions collectives
sont le produit de ce que Crozier et Friedberg (1977) appellent un laquo systegraveme drsquoaction
ouvert raquo crsquoest-agrave-dire laquo un ensemble constitueacute comme un champ structureacute ndash non neutre ndash dont
les diffeacuterents eacuteleacutements ont des conduites coordonneacutees et interdeacutependantes raquo (Crozier et
Friedberg 1977 p227) Cette approche est dynamique puisqursquoelle est deacutefinie non pas par
reacutefeacuterence agrave un eacutequilibre donneacute a priori mais par reacutefeacuterence agrave la diversiteacute des solutions
organisationnelles qui peuvent se deacutevelopper
Les travaux appliqueacutes agrave lrsquoanalyse des interdeacutependances localiseacutees renouvellent dans cette
perspective les meacutethodologies drsquoenquecirctes traditionnelles et les travaux sur lrsquoagriculture ou
sur lrsquoagroalimentaire (coopeacuteratives agricoles produits du terroir signes drsquoorigine AOC
Labelhellip) Crsquoest dans ce cadre que nous appreacutehendons la naissance de la notion des Systegravemes
Agroalimentaires Localiseacutes (Syal) Ces derniers nous permettent drsquoavoir une analyse plus
complegravete du fait alimentaire en raison du cadre systeacutemique qursquoil nous offre et ougrave tous les
protagonistes de lrsquoactiviteacute peuvent ecirctre pris en consideacuteration En effet les Syal se preacutesentent
comme une forme organisationnelle et institutionnelle capable de mettre en eacutevidence le rocircle
joueacute par les diffeacuterents acteurs (agriculteurs industriels consommateurs prestataires de
services) dans le processus de production drsquoun aliment Il srsquoagit drsquoun outil drsquoanalyse tregraves
239
important dans la mesure ougrave ce concept semble capable de nous offrir une dimension
opeacuterationnelle notamment en matiegravere de construction et de valorisation des ressources
locales articuleacutees avec des nouvelles modaliteacutes de coordination et de coopeacuteration Son
eacutevolution conceptuelle et empirique sera lrsquoobjet drsquoeacutetude de la deuxiegraveme partie Nous allons
nous inteacuteresser en particulier agrave la capaciteacute de cette organisation territoriale agrave srsquoadapter aux
changements environnementaux et agrave faire face notamment aux exigences socieacutetales accrues
en termes de production et de qualiteacute des produits agricoles et agro-alimentaires
240
DEUXIEME PARTIE
LES SYAL FACE A LrsquoINSECURITE
ALIMENTAIRE LE CAS DU SYSTEME
OLEICOLE DANS LrsquoESPACE SAIumlS-MEKNES
AU MAROC
241
Les Systegravemes Agroalimentaires Localiseacutes (Syal) repreacutesentent dans la litteacuterature eacuteconomique
reacutecente lrsquoun des axes majeurs agrave partir duquel srsquoarticulent les travaux consacreacutes aux relations
entre lrsquoeacuteconomie spatiale agricole et agro-industrielle (Muchnik et Sainte Marie 2010)
Ainsi la reacutefeacuterence au territoire et aux cultures alimentaires locales est consideacutereacutee comme la
variable cleacute de cette approche fondeacutee sur lrsquoeacutetude des relations hommeproduitterritoire
(Muchnik et al 2008) Crsquoest lrsquoanalyse des speacutecificiteacutes territoriales qui nous permettra de
caracteacuteriser les Syal de comprendre leur diversiteacute et leur dynamique Lrsquoapproche laquo Syal raquo
outil drsquointervention pour le deacuteveloppement territorial laquo est originellement un cadre
analytique des processus de construction renouvellement des ressources locales et de
lrsquoancrage territorial des productions agricoles et agroalimentaires raquo (Fournier et Muchnik
2010 p 1)
Lrsquoobjectif de ces travaux srsquoinspirant de cette approche notamment ceux du groupe laquo GIS-
SYAL raquo165
est de mettre en eacutevidence les liens eacutetroits entre lrsquoorganisation productive de
lrsquoentreprise agricole et agroalimentaire et les caracteacuteristiques socioculturelles des territoires Il
srsquoagit des territoires qui sont doteacutes drsquoun ordre spatial marqueacute par la conjugaison drsquoactifs
immateacuteriels (support de savoir-faire reacuteseau relationnel paysagehellip) et drsquoactifs physiques (site
de collecte site de transformation reacuteseau des livreurshellip) selon une distribution heacuteteacuterogegravene
dans lrsquoespace Geacuteneacuteralement la deacutemarche Syal vise agrave reacutepondre agrave la question suivante quelles
sont les nouvelles formes de coopeacuteration qui peuvent aider les entreprises des filiegraveres agro-
alimentaires agrave srsquoadapter agrave un environnement en mutation et en quoi le territoire peut-il
intervenir comme variable significative
Malgreacute sa genegravese la deacutemarche Syal srsquoest diffuseacutee rapidement dans la communauteacute
scientifique internationale166
en raison des enjeux auxquels la production agricole doit
reacutepondre Le monde agricole est confronteacute agrave des marcheacutes de plus en plus instables du fait de
la volatiliteacute des prix et de la speacuteculation financiegravere et agrave une remise en cause du paradigme
agricole baseacute sur la production de masse et la standardisation par la dynamique des socieacuteteacutes
notamment en matiegravere de qualification des produits et de preacuteservation de lrsquoenvironnement
(Muchnik et Saint Marie 2010) Rappelons que le nouveau modegravele de deacuteveloppement
165
Le thegraveme des SYAL a eacuteteacute eacutetudieacute depuis la fin des anneacutees 1990 en particulier par les eacutequipes de recherche
regroupeacutees au sein du Groupement drsquoInteacuterecirct Scientifique laquo GIS SYAL raquo Ce dernier a eacuteteacute creacutee en 2001 par six
institutions Inra CIRAD universiteacute de Versailles-Saint-Quentin-en-Yvelines universiteacute de Montpellier-I Sup
Agro Montpellier et Agropolis International 166
Un groupe de recherche europeacuteen (GDRE) Syal a eacuteteacute constitue en 2008 avec la participation de vingt-cinq
institutions drsquoenseignement et de recherche appartenant agrave huit pays europeacuteens Pareillement un reacuteseau de
recherche et de deacuteveloppement sur les Syal a eacuteteacute creacutee en Ameacuterique latine
242
agricole qui commence agrave eacutemerger partout dans le monde doit prendre en consideacuteration
plusieurs contraintes relevant de la multifonctionnaliteacute de lrsquoagriculture la production
suffisante des denreacutees alimentaires la biodiversiteacute (les espegraveces veacutegeacutetales les races
animales) la qualiteacute diffeacuterencieacutee des produits la qualiteacute sanitaire et la preacutevision des risques
alimentaires le bouleversement des socieacuteteacutes rurales (la reproduction des tissus sociaux
lrsquoemploi les paysans et les agriculteurs familiauxhellip) les problegravemes
environnementaux (agriculture raisonneacutee agriculture biologique)
A la diffeacuterence drsquoautres concepts (pex le bassin de production le terroirhellip) le concept de
Syal integravegre dans cette ligneacutee la plupart de ces diverses dimensions drsquoordre eacuteconomique et
social technique et naturel (peacutedoclimatique) Il apparaicirct donc plus adapteacute agrave la reacutealiteacute
complexe du fait alimentaire puisqursquoil nous permet de mettre en eacutevidence son aspect social et
eacuteconomique dans une perspective de deacuteveloppement local et durable Lrsquoexistence et la
speacutecificiteacute de ces Syal sont souvent lieacutees en grande partie agrave la logique laquo produire peu et
mieux raquo agrave la reacutefeacuterence agrave lrsquooriginaliteacute spatiale (rurale) et agrave la particulariteacute des modes de
transformations locales de leur produit (Pecqueur et Saidi 2009 Requier-Desjardins 2010a)
Autrement dit crsquoest le fait drsquoecirctre ancreacute et lieacute au rural avec son histoire et ses savoir-faire
articuleacute agrave la qualiteacute intrinsegraveque du produit qui permet aux entreprises appartenant aux Syal de
se distinguer des autres et donc de capter la rente dite de qualiteacute territoriale (Lacroix et al
2000) Cette reacuteflexion nous aide agrave expliquer pourquoi certains consommateurs sont precircts agrave
payer des prix plus eacuteleveacutes pour certains articles comme lrsquohuile drsquoolive ou le fromage
(Mollard 2001) Ce sont des produits relativement primaires et peu transformeacutes dont la
qualiteacute est lieacutee en grande partie agrave lrsquoappellation drsquoorigine et donc au monde agricole
Certes lrsquoappartenance agrave ces entiteacutes permet drsquoacqueacuterir une identiteacute locale autour de laquelle on
construit une image commerciale Neacuteanmoins il reste des zones drsquoombre agrave eacuteclairer la
relation agrave la terre et agrave lrsquoancrage rural conditionne-t-elle lrsquoexistence mecircme des Syal Ougrave peut-
on envisager des Syal ougrave la transformation domine le processus de production Existe-t-il des
Syal mi-urbains ou urbains Comment les Syal feraient-ils face aux contraintes actuelles en
termes drsquoinseacutecuriteacute alimentaire notamment dans sa dimension quantitative Seraient-ils
obligeacutes de changer leur logique de laquo produire peu et mieux raquo pour une autre baseacutee sur
laquo produire assez et toujours mieux raquo Et si oui quels sont les risques et les opportuniteacutes que
preacutesente ce changement sur leur identiteacute Drsquoune maniegravere geacuteneacuterale comme tout systegraveme
ouvert sur un environnement en mutation la vie des Syal est eacutevolutive avec des hauts et des
243
bas des reacutegressions des reconversions et des eacutemergences Quelles sont les eacuteventuelles
eacutevolutions et trajectoires que pourraient alors emprunter les Syal
Lrsquoobjectif de cette partie est de faire le point sur ces questions Nous exposerons dans un
premier temps les particulariteacutes distinctives et les eacuteleacutements de deacutefinition du concept Syal
(chapitre 3) Puis nous nous arrecircterons sur ces importantes questions et nous verrons leurs
implications sur lrsquoeacutevolution dudit concept (chapitre 4) notamment agrave travers une eacutetude
empirique que nous avons meneacutee autour du Systegraveme Oleacuteicole dans lrsquoEspace Saiumls-Meknegraves au
Maroc (SOM) Nous centrerons notre analyse sur le produit phare du SOM en lrsquooccurrence
lrsquohuile drsquoolive du fait de lrsquoengouement grandissant ces derniegraveres anneacutees pour sa
consommation par une clientegravele hors bassin meacutediterraneacuteen Ce mouvement puise ses origines
dans les qualiteacutes nutritives les attributs sensoriels ainsi que les proprieacuteteacutes theacuterapeutiques
(contre lrsquoobeacutesiteacute le cancer le diabegravetehellip) de ce produit qui sont confirmeacutes de maniegravere
croissante par la science167 Lrsquohuile drsquoolive est obtenue apregraves trituration de lrsquoolive dont le
potentiel cultural mondial se trouve concentreacute dans le bassin meacutediterraneacuteen (98 ) octroyant
ainsi aux pays qui le forment le monopole des exportations Tirant profit de la tendance
positive des modes de consommation vers des produits plus diffeacuterencieacutes et naturels le marcheacute
de lrsquohuile drsquoolive srsquoinscrit dans une voie ascendante aussi bien en termes de production que
drsquoexportation
167
Il faut noter que la grande partie de la production drsquoolive est destineacutee agrave lrsquohuilerie Neacuteanmoins il ne faut pas
sous-estimer lrsquoimportance des autres sous-produits de lrsquoolivier grignons drsquoolive (huiles alimentaires et
industrielles engrais fleurage en boulangerie combustible tourteauxhellip) bois drsquoolivier (charbon artisanhellip)
feuilles drsquoolivier (pharmacie alimentation du beacutetailhellip) noyaux et amandons drsquoolive etc
244
CHAPITRE 3
LES CONTRAINTES DE LA SECURITE
ALIMENTAIRE ET LA DYNAMIQUE DES SYAL
245
Deux axes principaux seront deacuteveloppeacutes dans le cadre de ce chapitre Le premier renvoie aux
diffeacuterents travaux qui ont contribueacute agrave la deacutefinition et agrave la caracteacuterisation du concept Syal pour
le distinguer des autres notions semblables et donc justifier son existence en tant qursquoobjet
scientifique de recherche (section 1) La notion de Systegraveme agroalimentaire localiseacute est
apparue il y a un peu plus drsquoune dizaine drsquoanneacutees dans un contexte de crise des socieacuteteacutes
rurales drsquoaggravation des problegravemes environnementaux et des nouveaux deacutefis alimentaires
poseacutes aux diffeacuterentes socieacuteteacutes des pays du Sud et du Nord tant du point de vue quantitatif que
qualitatif (Devautour et al 1998) Le deacuteveloppement de cette notion a eacuteteacute le fruit des
observations rendant compte de la preacutesence des micro-entreprises agricoles et de premiegravere
transformation agroalimentaire qui sont lieacutees agrave lrsquoagriculture familiale dans de petites reacutegions
des pays du Sud168
(notamment en Ameacuterique latine et en Afrique de lrsquoOuest) dans le cadre de
lrsquoeacutevaluation de deux actions theacutematiques programmeacutees (ATP) du CIRAD laquo Pilotage par
lrsquoaval des filiegraveres courtes agroalimentaires raquo (1989-1992) et laquo conditions drsquoeacutemergence et de
fonctionnement des entreprises rurales raquo (1992-1995) Le deuxiegraveme axe consiste agrave preacutesenter
une lecture critique de ces travaux notamment agrave travers une analyse dynamique du concept
Syal (section 2) Pour ce faire nous aborderons en particulier la question des trajectoires qui
peuvent ecirctre emprunteacutees par les Systegravemes Agroalimentaires Localiseacutes
SECTION 1 PARTICULARITES DISTINCTIVES ET ELEMENTS DE
DEFINITION DU SYAL
Dans cette section le but est de cerner le concept de Syal et de limiter son champ drsquoaction
Nous preacutesenterons tout drsquoabord une deacutefinition globale de cette notion et son eacutevolution
conceptuelle Puis nous indiquerons les diffeacuterentes proprieacuteteacutes qui caracteacuterisent les conditions
drsquoeacutemergence des Syal ainsi que les acteurs qui le composent leur forme de coordination les
eacuteleacutements fondant leur processus de qualification des produits et les relations qui les lient avec
la seacutecuriteacute alimentaire
168
Voir par exemple lrsquoimpact spatial de lrsquoartisanat alimentaire dans la ville de Maroua au Cameroun (Lopez et
Muchnik 1997 2001) ou les expeacuteriences de promotion de lrsquoAgro-Industrie deacuteveloppeacutee en Ameacuterique Latine
autour des Rurales (AIR) (Boucher 1989 2007 Boucher et Requier-Desjardins 2002)
246
11 Eleacutements de deacutefinition du Systegraveme agroalimentaire localiseacute
Les recherches du CIRAD issues du programme ATP (cf supra) visaient principalement agrave
mettre en eacutevidence la reacutesistance de certains produits agroalimentaires speacutecifiques et la
floraison des reacuteseaux spatialiseacutes de petites entreprises familiales agroalimentaires qui ont pu
reacutesister ou innover agrave partir des strateacutegies de valorisation des ressources et produits locaux
(Bonnal et al 1998) Egalement et en correacutelation elles mettaient lrsquoaccent sur lrsquoimpact de ce
mouvement sur la lutte contre la pauvreteacute et la marginalisation des agricultures familiales et
sur lrsquoalimentation des populations urbaines agrave travers la mise en valeur de ressources locales
(Muchnik et Sautier 1998) Il est apparu lors de lrsquoeacutevaluation des reacutesultats de ces recherches
le manque drsquoun outil theacuteorique permettant drsquoarticuler divers eacuteleacutements essentiels qui laquo font
systegraveme raquo (CIRAD-Sad 1996) Crsquoest la raison principale pour laquelle a eacuteteacute eacutelaboreacute et conccedilu
le concept Systegraveme Agroalimentaire Localiseacute (Syal)
Plus tard et apregraves plusieurs anneacutees de recherche autour de Syal Fourcade et al (2010)
reacutesument en cinq eacuteleacutements principaux les conditions de lrsquoeacutemergence du concept
1 Le questionnement lieacute agrave la laquo filiegravere raquo agroalimentaire en tant qursquoorganisation
permettant drsquoavoir une vision lineacuteaire de lrsquoactiviteacute
2 Le deacuteveloppement drsquoune laquo recherche ndash systegraveme raquo dans le domaine de la
transformation des produits
3 La prise en consideacuteration de lrsquo laquo extrecircme aval raquo des filiegraveres (consommation
restauration) pour lequel les relations entre producteurs et consommateurs les
comportements de consommateurs et leur eacutevolution constituent un eacuteleacutement cleacute de
cette approche
4 La consideacuteration drsquousages alternatifs des territoires ruraux (tourisme loisirs
festiviteacuteshellip) qui deacutebouche sur une articulation entre le concept de Syal et celui de
laquo multifonctionnaliteacute raquo des exploitations agricoles
5 La reacutefeacuterence au territoire en tant qursquoeacuteleacutement central consideacutereacute agrave la fois dans une
perspective de geacuteographie humaine comme un espace socialement constitueacute des
hommes habitant cet espace
Ce sont tous ces eacuteleacutements ou une partie de ces derniers qui eacutetaient agrave la base de la premiegravere
eacutetude de cas drsquoun Syal dans un pays deacuteveloppeacute notamment dans la reacutegion Languedoc-
Roussillon en France Il srsquoagit du Syal construit autour du fromage de chegravevre pur qui est doteacute
de lrsquoAOC Peacutelardon Le lait de chegravevre (matiegravere premiegravere) est produit sur le territoire du Syal