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Les troubles du développement moteur et l’évolution de la personnalité Disorders of motor development in relation to evolution of personality Die Störungen der motorischen Entwicklung und die Entwicklung der Persönlichkeit R. Diatkine Résumé Étude du rôle du développement moteur dans la genèse de la relation objectale et dans ses diverses modalités. Très précocement on peut noter des différences dans les dispositions toniques des enfants, ce qui correspond à des conduites déjà distinctes. Il en est de même à la fin de la première année et dans les années suivantes : l’enfant se défend contre l’angoisse d’une manière différente selon son type psychomoteur. © 2002 E ´ ditions scientifiques et médicales Elsevier SAS. Tous droits réservés. Abstract Study of part played by motor development in the birth of objectal relationship and its various forms. Differences in tonic dispositions can be found very early in children, corresponding already to differences in conduct. This is also so at the end of the first year and during those that follow : the child’s defences against anxiety vary with his psychomotor type. © 2002 Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS. All rights reserved. Zusammenfassung Arbeit über die Rolle der motorischen Entwicklung in der Bildung der Objektbeziehung und in ihrer verschiedenen Erscheinungsformen. Sehr frühzeitig kann man Unterschiede der tonischen Anlagen der Kinder bemerken, die schon verschiedenen Verhaltensarten entsprechen. Das gleiche geschieht am Ende des ersten Jahres und in den folgenden Jahren : das Kind wehrt sich gegen die Angst auf verschiedene Weise, je nach seinem psychomotorischen Typus. © 2002 E ´ ditions scientifiques et médicales Elsevier SAS. Alle Rechte vorbehalten. Les relations du développement moteur et de l’évolution de la personnalité ont déjà fait l’objet de nombreux travaux. Dupré, en décrivant la débilité motrice, ne s’est pas contenté de reconnaître le parallélisme psychomoteur et le retard moteur des oligophrènes, il a aussi esquissé une théorie des troubles psychomoteurs et du bégaiement. On connaît les travaux d’Heuyer et de ses élèves qui ont approfondi le problème dans la même direction. Wallon a poursuivi pendant un temps des recherches du même ordre, en essayant de classer les anomalies du développement moteur dans une systématisation que l’on peut discuter — et en les comparant aux difficultés du comportement ou de caractère de l’enfant. Depuis le problème a continué à intéresser vivement psychiatres d’enfants et psychologues. Nous ne pouvons citer ici les nombreux travaux qui s’y rapportent. Nous nous réfèrerons surtout aux travaux d’Ajuriaguerra et de ses collaborateurs [1] en France, et nous rappellerons ceux de > Première parution : Revue de neuropsychiatrie infaéntile et d’hygiène mentale de l’enfance 1962 ; 4 (5-6) : 247-251. © L’Expansion Scientifique Française. Neuropsychiatrie de l’enfance et de l’adolescence 50 (2002) 402–405 www.elsevier.com/locate/ea © 2002 Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS. All rights reserved. PII: S 0 2 2 2 - 9 6 1 7 ( 0 2 ) 0 0 1 2 9 - 0

Les troubles du développement moteur et l'évolution de la personnalité

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Les troubles du développement moteur et l’évolution de la personnalité

Disorders of motor development in relation to evolution of personality

Die Störungen der motorischen Entwicklung und die Entwicklungder Persönlichkeit

R. Diatkine

Résumé

Étude du rôle du développement moteur dans la genèse de la relation objectale et dans ses diverses modalités. Très précocement on peutnoter des différences dans les dispositions toniques des enfants, ce qui correspond à des conduites déjà distinctes. Il en est de même à lafin de la première année et dans les années suivantes : l’enfant se défend contre l’angoisse d’une manière différente selon son typepsychomoteur. © 2002 E´ditions scientifiques et médicales Elsevier SAS. Tous droits réservés.

Abstract

Study of part played by motor development in the birth of objectal relationship and its various forms. Differences in tonic dispositionscan be found very early in children, corresponding already to differences in conduct. This is also so at the end of the first year and duringthose that follow : the child’s defences against anxiety vary with his psychomotor type. © 2002 Éditions scientifiques et médicales ElsevierSAS. All rights reserved.

Zusammenfassung

Arbeit über die Rolle der motorischen Entwicklung in der Bildung der Objektbeziehung und in ihrer verschiedenen Erscheinungsformen.Sehr frühzeitig kann man Unterschiede der tonischen Anlagen der Kinder bemerken, die schon verschiedenen Verhaltensarten entsprechen.Das gleiche geschieht am Ende des ersten Jahres und in den folgenden Jahren : das Kind wehrt sich gegen die Angst auf verschiedene Weise,je nach seinem psychomotorischen Typus. © 2002 E´ditions scientifiques et médicales Elsevier SAS. Alle Rechte vorbehalten.

Les relations du développement moteur et de l’évolutionde la personnalité ont déjà fait l’objet de nombreux travaux.Dupré, en décrivant la débilité motrice, ne s’est pas contentéde reconnaître le parallélisme psychomoteur et le retardmoteur des oligophrènes, il a aussi esquissé une théorie destroubles psychomoteurs et du bégaiement. On connaît les

travaux d’Heuyer et de ses élèves qui ont approfondi leproblème dans la même direction. Wallon a poursuivipendant un temps des recherches du même ordre, enessayant de classer les anomalies du développement moteurdans une systématisation que l’on peut discuter — et en lescomparant aux difficultés du comportement ou de caractèrede l’enfant.

Depuis le problème a continué à intéresser vivementpsychiatres d’enfants et psychologues. Nous ne pouvonsciter ici les nombreux travaux qui s’y rapportent. Nous nousréfèrerons surtout aux travaux d’Ajuriaguerra et de sescollaborateurs[1] en France, et nous rappellerons ceux de

> Première parution : Revue de neuropsychiatrie infaéntile et d’hygiènementale de l’enfance 1962 ; 4 (5-6) : 247-251. © L’ExpansionScientifique Française.

Neuropsychiatrie de l’enfance et de l’adolescence 50 (2002) 402–405

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© 2002 Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS. All rights reserved.PII: S 0 2 2 2 - 9 6 1 7 ( 0 2 ) 0 0 1 2 9 - 0

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Barbara Fish [2], de L. Bender, de Pollack et Goldfarb,parmi tous ceux qui, en Amérique se sont intéressés à cettequestion.

Comment aborder aujourd’hui le problème ? Remar-quons d’abord que les études statistiques basées sur lesrenseignements anamnestiques, sont à la fois pleines d’ inté-rêt et décevantes. En dehors des oligophrènes, chez lesquelsle retard du développement moteur se retrouve facilementpar sa massivité même, les autres groupes d’enfants pertur-bés étudiés — retard du langage, troubles psychomoteurs,psychoses infantiles, etc. — paraissent présenter un pour-centage beaucoup plus important d’anomalies du dévelop-pement moteur que les groupes d’enfants normaux, maischez de nombreux enfants atteints des mêmes perturbations,on ne trouve aucune anomalie dans leur évolution motrice.Un récent travail de Barbara Fish [2] confirme cette notion.

On en arrive à conclure qu’ il y a bien un lien entre lesparticularités du développement moteur et l’apparitiond’anomalies de la personnalité, mais que les méthodesemployées n’en permettent qu’une approche assez lâche.

Tous les auteurs en effet critiquent l’utilisation desrenseignements anamnestiques. Les parents n’observentqu’un aspect limité du comportement de leur enfant — etréorganisent ultérieurement les faits qui s’y rattachent. Maisil faut peut-être aussi critiquer les éléments sur lesquelsporte la recherche. Ce sont généralement les grandes étapesdu développement moteur que l’on tente de préciser :érection de la tête, position assise, station debout, marche.Barbara Fish [2], dans son enquête se réfère aux travaux deGesell pour déterminer ce qu’elle considère comme avance(quotient de développement de 140) ou comme retard(quotient de développement de 70). Mais elle pense quel’absence de notion de retard du développement dansl’étude anamnestique ne permet pas d’en affirmer l’ inexis-tence, donc de tirer des conclusions.

Par contre elle porte toute son attention — et sur ce pointnous la suivrons entièrement — sur l’existence de dyshar-monies évolutives, de troubles de l’ intégration de la motri-cité, de discordances, d’ irrégularités dans la vitesse ou lalenteur du développement, toutes notions qui ressortent trèsdifficilement de l’ interrogatoire des parents.

Nous ne pouvons donc retrouver chez un enfant vutardivement, après cinq ans par exemple, tous les élémentsde son évolution motrice antérieure qui ont pu jouer un rôledans la genèse de son état actuel. Et c’est encore plus vraipour l’adulte. Seules des études longitudinales sont suscep-tibles d’établir la relation qui peut exister entre certainstypes de développement moteur, et certaines formes d’évo-lution, normale ou pathologique, de la personnalité. C’est àune recherche de ce type que se livrent actuellement IrèneLezine et Mira Stambak [4], et nous aurons à revenir surleur travail.

Mais auparavant nous devons nous demander ce que l’onpeut attendre de ce type de recherche, qui ne peut êtrefructueuse qu’en fonction même des hypothèses de départ.

Dans l’état actuel de nos connaissances, nous devonsadmettre qu’un certain nombre d’états psychopathologiquesde l’enfant et de l’adulte ne sont pas dus à un processusvenant subitement altérer le fonctionnement psychique,mais à des anomalies du développement de ce fonctionne-ment. Freud a eu le grand mérite de montrer les relations deces états avec le passévécu du sujet. Ce passévécu n’est pasl’événement dans son aspect anecdotique. C’est une relationà double sens entre le sujet et son entourage, le premierprédéterminant le comportement du second, et le percevantà sa façon. Et si les thèmes conflictuels sont connus de tous,chaque individu a sa manière propre de réagir. Cettemanière est déterminée autant par des processus psycholo-giques antérieurs (attitude des parents, possibilités d’ inves-tissement et d’ identification), que par l’utilisation passée etprésente de l’équipement qui est à sa disposition. L’ intégra-tion perceptivo-motrice, le langage, font partie de cetéquipement.

La motricité joue un rôle fondamental dans cette évolu-tion, et cela dès le début de la vie. Tous les travauxcontemporains attribuent la plus grande importance pour lacompréhension de l’évolution différentielle de la personna-lité, à cette première année de la vie, qui autrefois étaitconsidérée comme de la préhistoire, puisqu’étant l’èrepyramidale. Les travaux des psychanalystes contemporainsde diverses tendances considèrent comme capitales lestransformations que l’on observe au cours du second semes-tre, et qui correspondent àce que Spitz a décrit sous le termed’ « angoisse du huitième mois ».

Rappelons brièvement le phénomène décrit par Spitz.Aux environs du huitième mois, apparaît un comportementnouveau, une manifestation de colère à la vue d’un visageétranger, ou lors du départ de la mère. Les caractéristiquesmotrices de cette crise de colère sont intéressantes, car ellestémoignent dès cet âge d’une régression véritable sur le planmoteur. En effet, l’enfant réagit à cet événement psycholo-gique, comme il réagissait dans les premières semaines desa vie, à la faim ou à la douleur intestinale, et sa motricitéredevient identique : hypertonique à prédominance pé-riaxiale, avec quelques mouvements d’extension des mem-bres inférieurs ou de pédalage.

Dès avant cet âge, on a pu décrire des comportementsdifférents en fonction d’une certaine typologie motrice.Ajuriaguerra [1], I. Lezine et M. Stambak [4] ont montréque l’on pouvait distinguer divers types moteurs chez lenourrisson, en fonction de son extensibilité. Les hypertoni-ques sont caractérisés par une extensibilité relativementlimitée, ils paraissent plus actifs, se tiennent debout etmarchent plus tôt que les seconds, hypotoniques, à extensi-

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bilité beaucoup plus grande. Mais les enfants de ce derniergroupe sont plus précoces que les premiers sur le plan de lapréhension fine ; ils explorent leur propre corps égalementplus tôt. (À noter que les filles sont le plus souventhypotoniques, les garçons hypertoniques.)

Tous les enfants n’abordent donc pas cette structurationdu huitième mois avec les mêmes capacités de réalisationmotrice.

Elle joue de différentes façons :• Capacitéd’ inhiber la résurgence des dispositions motri-

ces antérieures. Les hypotoniques sont beaucoup plusmal entraînés à ce contrôle, et l’étude de la psycho-motricité de l’enfant et de l’adulte montre que leshypotoniques sont souvent envahis par des réactionshypertoniques brusques (sursaut, crises émotionnelles,réactions de prestance). Ils maîtrisent moins facilementl’aspect émotionnel de l’anxiété et de la dépression. Ilsseront donc plus sensibles à tout événement pouvantréactiver l’expérience primitive de la perte d’objet, etorganiseront à partir de traumatismes minimes, desexpériences vécues qui risqueront de devenir pathogè-nes.

• Capacité d’organiser des activités de suppléance, per-mettant d’éviter de ressentir passivement l’absence dela mère. Là, chaque groupe d’enfants a son style. Lapréhension, la manipulation fine sont le propre des uns,l’activité, la découverte, le propre des autres. Chacunde ces types de réaction conduit à un mode de compor-tement différent, investi au début de la même façon.Mais, comme l’ont montré Irène Lezine et Mira Stam-bak [4], ces modes de comportement peuvent êtreefficaces, ou engendrer avec les parents des conflits, etde ce fait risquer d’être inopérants, voire même patho-gènes. Certains parents stimulent des enfants hypoto-niques, qui ne demandent qu’à rester dans leur coin.D’autres ne supportent pas ce qu’ ils ressentent déjàcomme la turbulence d’enfants hypertoniques, etc. Cesheurts superficiels viennent colorer les inéluctablesthèmes conflictuels que tout enfant vit avec sa mèred’abord, puis avec le parent du même sexe, dans ledéroulement du complexe d’Œdipe.

• Capacité de contrôler l’existence, l’unité et l’ intégritéde son corps propre qu’ il sent menacé pendant lescrises d’anxiété.

Chez l’enfant plus grand, on retrouve cette typologiemotrice dont Ajuriaguerra et ses collaborateurs [1] ontdistingué deux types : asthénico-passif, caractérisé par uneextensibilité importante, un ballant très ample, des synciné-sies longtemps persistantes — avec une morphologie àprédominance longiligne ou pycnique — athlético — para-tonique, avec extensibilité très limitée, développement mus-culaire précoce, disparition rapide des syncinésies. Chez les

premiers, il est fréquent de constater de l’anxiété, dessymptômes pré-névrotiques (c’est la typologie typique despetits anorexiques) chez les seconds, les troubles du com-portement, les réactions motrices agressives, sont assezfréquents.

Les différentes dispositions motrices permettent de com-prendre pourquoi la rééducation motrice agit plus que sur unsimple trouble moteur, et que ses heureux effets peuvents’étendre au développement de la personnalité.

La rééducation doit d’abord donner au sujet une meilleurmaîtrise de son corps, c’est-à-dire lui permettre de contrôlerle retour des dispositions régressives. Les asthénico-passifssont constamment envahis par une hypertonie de prestance,qu’ ils ne contrôlent pas, et qui est vécue autant comme unelutte contre l’angoisse que comme l’angoisse elle-même. Lecontrôle du tonus de base leur permet de se prémunir contrece phénomène, et ainsi de vivre sur un tout autre mode leursrelations avec leur entourage.

La rééducation, quelle que soit la technique utilisée,permet au sujet d’avoir une meilleure conscience de soncorps propre. Son corps étant mieux dirigé et mieux connu,l’enfant vit avec la rééducatrice une expérience émotion-nelle correctrice, qui, pour ne pas être verbalisée, n’en a pasmoins d’une grande valeur psychothérapique.

Ceci ne peut jouer qu’à la condition que l’enfant n’ait pasorganisé ses symptômes et ses traits de caractère dans unensemble équilibré dynamiquement et économiquement,c’est-à-dire qu’ il ne présente pas une organisation névroti-que ou psychotique précoce.

Quelle que soit l’ importance du rôle du développementmoteur dans la genèse des expériences vécues psychogènes,la psychothérapie ne sera efficace que si celles-ci sontinterprétées comme conséquences de relations ambivalen-tes, donc dangereuses, avec des parents à la fois bons etmauvais.

Ainsi en est-il avec les encéphalopathes psychotisés, dontles premières relations ont pu être gênées par leurs infirmi-tés motrices. Comme Lebovici [3], Ajuriaguerra et sescollaborateurs [1] l’ont montré, quelle qu’ait été l’attituderéelle de la mère, l’enfant n’a jamais pu se dégager del’angoisse liée aux frustrations normales des premièresannées. La mère apparaît dans la psychanalyse de cesenfants comme un personnage particulièrement dangereux.

Références

[1] Ajuriacuerra De J, Bonvalot-Soubiran G. Indications et techniquesde rééducation psychomotrice en psychiatrie infantile. La Psychia-trie de l’Enfant, P.U.F., Paris 1958;2:423–94.

[2] Fish B. The study of motor development in infancy and itsrelationship to psychological functioning. The American Journal ofPsychiatry 1961;117(12):1113–8.

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[3] Lebovici S, Mc Dougall J. Un cas de psychose infantile, étudepsychanalytique. P.U.F., Paris 1960:487.

[4] Lezine I, Stambak M. Quelques problèmes d’adaptation du jeuneenfant en fonction de son type moteur et du régime éducatif. Enfance1961:95–115.

Notes bibliographiques

Diatkine R, Stein C. Les psychoses de l’enfance. L’ÉvolutionPsychiatrique 1958;2:277–322.

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