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HAL Id: hal-02960135 https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-02960135 Submitted on 9 Oct 2020 HAL is a multi-disciplinary open access archive for the deposit and dissemination of sci- entific research documents, whether they are pub- lished or not. The documents may come from teaching and research institutions in France or abroad, or from public or private research centers. L’archive ouverte pluridisciplinaire HAL, est destinée au dépôt et à la diffusion de documents scientifiques de niveau recherche, publiés ou non, émanant des établissements d’enseignement et de recherche français ou étrangers, des laboratoires publics ou privés. Élevage, chasse et société dans le Néolithique français : exemples dans le Danubien du nord de la France Lamys Hachem To cite this version: Lamys Hachem. Élevage, chasse et société dans le Néolithique français: exemples dans le Danubien du nord de la France. La révolution néolithique dans le monde, 2009. hal-02960135

Élevage, chasse et société dans le Néolithique français

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Submitted on 9 Oct 2020

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L’archive ouverte pluridisciplinaire HAL, estdestinée au dépôt et à la diffusion de documentsscientifiques de niveau recherche, publiés ou non,émanant des établissements d’enseignement et derecherche français ou étrangers, des laboratoirespublics ou privés.

Élevage, chasse et société dans le Néolithique français :exemples dans le Danubien du nord de la France

Lamys Hachem

To cite this version:Lamys Hachem. Élevage, chasse et société dans le Néolithique français : exemples dans le Danubiendu nord de la France. La révolution néolithique dans le monde, 2009. �hal-02960135�

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Élevage, chasse et sociétédans le Néolithique français :exemples dans le Danubien

du nord de la FranceLamys Hachem*

Le lien entre faune et société au sein du Néolithique français est un vastesujet. Il existe en effet de grandes différences, pour ce qui est du nombredes sites, de la nature des collections archéologiques et des problématiques,entre les plaines du Nord et la zone méditerranéenne, entre la côte atlantiqueet le secteur oriental de la France. Après réflexion, il m’a paru difficile, pourla cohérence du propos, de réunir ces contrastes sous le seul angle d’uneunité territoriale actuelle, car une telle unité n’avait pas de sens culturel àl’époque néolithique. C’est pourquoi ce sujet sera abordé d’une manièredifférente, en mettant l’accent sur l’entité culturelle danubienne, laquellecorrespond au mouvement de colonisation de l’Europe tempérée [Demoule2007]. On connaît environ deux cents sites du Néolithique danubien ayantlivré des restes de faune, mais je traiterai plus précisément des animauxassociés aux premiers paysans à avoir colonisé le Bassin parisien au débutdu Ve millénaire, les Rubanés (5 100-4 900 avant notre ère), ainsi qu’à ceuxqui leur ont succédé, les Villeneuve-Saint-Germain (4 950-4 650 avant notreère). Les habitats rubanés sont exclusivement situés à l’est de la Seine, alorsque ceux du Villeneuve-Saint-Germain (ou VSG) présentent une extensiongéographique beaucoup plus vaste, qui s’étend vers l’ouest de la France.

* Institut national de la recherche archéologique préventive, Paris (UMR 7041, Archéologies

et sciences de l'Antiquité, Protohistoire européenne)

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Une centaine de plans de maisons du Néolithique ancien ont été mis aujour, en grande partie dans le cadre de fouilles d’archéologie préventive,mais pas seulement, des sites importants pour leurs apports à la connais-sance scientifique (comme Jablines, Cuiry-lès-Chaudardes ou Aubevoye)ayant été fouillés d’une manière plus exhaustive, dans le cadre de fouillesprogrammées. Il est donc possible de procéder à une étude à l’échelle de lamaison néolithique – un objet identitaire d’une importance essentielle dansla culture danubienne [Coudart 1998]. Les maisons néolithiques, en bois ettorchis, présentaient sur leurs flancs des fosses dans lesquelles ont été jetésles déchets domestiques des habitants, dont les reliefs des repas. Ces restessont une aubaine pour les archéologues, car ils permettent de restituer nonseulement le régime alimentaire de la population rubanée, mais aussi lestechniques d’élevage et de chasse utilisées à l’époque.

Le nombre d’ossements animaux retrouvés atteint plus de deux centmille, une abondance qui s’explique par le bon état de conservation des osdans le sol. Ainsi, 80 % des données fauniques connues en Europe pourcette période se trouvent concentrées dans le nord de la France, car, plus àl’est, le sédiment lœssique a fait fondre la plupart des ossements. L’analysearchéozoologique a été effectuée dans le cadre de deux « actions collectivesde recherche » (ACR), l’une conduite dans la vallée de l’Aisne [Ilett,Hachem, Coudart et al. 2003-2006], l’autre dans la vallée de la Marne[Lanchon et al. 2005-2007]. Ces ACR, qui ont permis de faire travaillerensemble plusieurs institutions impliquées dans l’archéologie du territoire,ont fortement contribué à faire aboutir des programmes de recherche inscritsdans la longue durée, en l’occurrence trente années de terrain. De plus, untravail de thèse mené par L. Bedault devrait finaliser les recherches sur lafaune spécifiquement VSG. D’autres études ont également été menées, quiproposent des comparaisons solides. Certaines dans le Bassin parisien, avecune fenêtre ouverte sur la confluence Seine-Yonne [Tresset 1996], uneautre sur la Champagne et sur l’Oise [Arbogast 1994]. D’autres séries ontégalement été étudiées en Alsace [Arbogast et Jeunesse 1996].

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LES TENDANCES STRUCTURELLES

Le mode de colonisation des premiers paysans s’est traduit par la fondationde hameaux, qui, en se développant, ont donné naissance à des villages plusou moins étendus et pérennes. Ces hameaux sont constitués de maisonsrelativement proches les unes des autres et l’on dénombre au minimum deuxet au maximum six bâtiments fonctionnant en même temps, cette configu-ration étant dénommée « phase d’habitat ». L’implantation des installationsrubanées obéit à un schéma assez strict, à savoir le fond d’une vallée, prèsd’un cours d’eau, sur une terrasse non inondable dotée de sols fertiles[Plateaux 1990]. Les sites VSG se rencontrent dans le même type d’envi-ronnement, mais les secteurs occupés font l’objet d’une diversification etd’un élargissement en faveur des vallons adjacents et des plateaux, celagrâce à l’exploitation des ressources du milieu environnant. Au Rubanécomme au VSG, la rivière est un élément structurant du paysage et tisse unlien entre les différents villages, lesquels n’ont pas tous la même importance[Dubouloz 2007 ; Lanchon, communication personnelle].

Tout au long du Néolithique ancien, les animaux domestiques sont prédo-minants dans la consommation de viande, dans une proportion évaluée auminimum à 80 %. Parmi ceux-ci, l’espèce la plus représentée est le bœuf,suivi des moutons et des chèvres, et enfin des porcs.

Les courbes d’abattage, qui permettent de connaître l’âge de l’animalau moment de sa mort, montrent que l’élevage des bovins et des porcs estorienté vers la production bouchère [Bedault et Hachem 2008]. Des analysesmenées sur le C13 contenu dans les dents de bovins à Cuiry-lès-Chaudardessemblent confirmer que les vaches n’ont pas été exploitées pour leur lait[Balasse 1999], mais une analyse doit être menée sur une plus grande échellepour voir ce qu’il en est dans d’autres sites.

Pour les moutons et les chèvres, les courbes d’abattage laissent envisagerune exploitation plus diversifiée que celle des bovins, probablement pour leurlait ou leur toison. Des analyses isotopiques sont en cours pour approfondircette question. Cela paraît plausible, car de récentes recherches mettent enévidence l’exploitation laitière des caprinés au début du Néolithique auProche-Orient et en Europe méditerranéenne [Vigne et Helmer 2007].

Quand un certain seuil démographique est atteint et incite lesNéolithiques à fonder un nouveau village, ceux-ci, au lieu d’enclencher un

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processus de domestication locale des animaux sauvages, ce qui seraitprobablement trop long et trop complexe, emmènent avec eux une partiede leur troupeau. En effet, comme l’a montré une étude métrique menéesur les ossements de bovins [Hachem 2001], les bovins domestiques sedistinguent bien des aurochs, ce qui ne serait pas le cas si l’on avait affaireà des individus hybrides issus d’une union des deux (l’aurochs étant lasouche sauvage du bovin domestique, ils peuvent parfaitement se croiser).Une étude effectuée sur l’ADN ancien des bovinés dans les vallées del’Aisne, de la Vesle et de la Marne confirme ces observations métriqueset montre, de plus, que les bovins domestiques ont une souche sauvageissue du Proche-Orient [Auxiette et Hachem 2007 ; Giegl et Pruvost 2007].Ces animaux ont donc été domestiqués très anciennement et ont suivi leprocessus de colonisation.

L’analyse métrique des porcs et des sangliers distingue clairement laforme domestique de la forme sauvage, ce qui laisse probablement exclurela domestication locale des porcs [Hachem 1995 ; id. 2001]. Quant auxmoutons et aux chèvres, il est admis qu’ils ont une origine proche-orientale.

Les troupeaux sont de grande taille : pour un hameau de quatre à sixmaisons, on évalue le cheptel entre cinquante et soixante-dix bêtes. Ledéveloppement du bétail dans des conditions environnementales favorablesest un élément susceptible de contribuer à la pérennité d’un site. En effet,une étude de l’environnement local autour des sites rubanés tend à montrerun lien entre l’accès direct au terroir agricole (sans obstacles tels que lesrivières et les zones palustres) et la durée d’occupation d’un village[Dubouloz 2007]. Plus la disponibilité des surfaces étendues favorables àla culture et probablement à l’élevage est grande, plus le site perdure. Pourle VSG, le système d’organisation de l’habitat est différent, et la relationentre implantation du site et environnement local est plus complexe [Lanchonet al. 2005-2007].

La chasse, à l’époque considérée, est loin d’être négligeable. On peut ydistinguer trois catégories : le grand gibier commun, le gibier rare et le petitgibier. La première catégorie est la plus importante : il s’agit du cerf, dusanglier, de l’aurochs et du chevreuil. Tous sont mangés, cependant que lesbois de cervidés servent à faire des outils. Les animaux rares, le loup, l’ourset le cheval, sont présents dans les restes, mais de manière ténue, car ils nesont pas consommés. La plupart des os retrouvés sont des dents ou desphalanges, ce qui laisse penser qu’il s’agit d’objets ayant une fonction parti-

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culière. Enfin, le petit gibier à fourrure se compose d’une variété de petitscarnivores, mais les plus fréquents sont le castor et le blaireau. La présencedes autres espèces, comme le lièvre, le renard, la fouine et l’écureuil, estun peu plus sporadique. Le castor et le blaireau sont consommés et leurfourrure est appréciée.

ÉLEVER, CHASSER, MANGER :LES RÈGLES ET LEURS VARIANTES

Les rejets de chaque maison montrent un même éventail d’espèces, avecau minimum les trois animaux domestiques et les quatre grands animauxsauvages. Mais les proportions de ces espèces varient selon au moins troisfacteurs : la chronologie, la taille de la maison et l’emplacement de la maisondans le village.

Intéressons-nous d’abord à la chronologie. Au Rubané comme au VSG,le bovin est l’élément dominant dans la composition de la faune (fig. 1),tandis que les deux autres espèces domestiques varient. Au Rubané, lescaprinés sont en deuxième position et l’on remarque leur forte augmentationà la fin de la séquence chronologique, avec près de 30 % de hausse. Cettehausse perdure jusqu’au VSG ancien. Un changement a lieu à partir del’étape moyenne du VSG [Bedault 2005 ; Bedault et Hachem 2008 ; Bedault,à paraître]. En effet, c’est le porc qui devient la seconde ressource carnéeet cette tendance perdurera jusqu’à l’époque gauloise, à La Tène ancienne[Auxiette et Hachem 2007].

La chasse évolue autant que l’élevage, mais pas forcément au mêmerythme. Si l’on prend les quatre animaux sauvages communs, on s’aperçoitque le sanglier est plus fréquent en début et en milieu de séquence qu’à lafin (fig. 2). À partir de l’étape finale du Rubané récent, sa proportion déclineet c’est le cerf qui devient le gibier privilégié, avec le chevreuil. Il le restetout au long du VSG.

Certains critères d’âge et de sexe régissent la chasse des animaux sauvages.Ainsi, les Néolithiques s’intéressent prioritairement aux animaux adultes etaux femelles. Même si les très jeunes sangliers et les aurochs sont proba-blement un peu sous-estimés, ce résultat indique un choix inverse de celui

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Figure 1 : Élevage : évolution des tendances alimentaires par étape chronologique au Néolithiqueancien dans le Bassin parisien [Bedault et Hachem 2008, fig. 8, p. 231] (RRBP = Rubané récent duBassin parisien ; VSG = Villeneuve-Saint-Germain). On note une augmentation des caprinés à la findu Rubané et du porc à l’étape moyenne du VSG.

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Figure 2 : Fig. 2. Chasse : évolution des tendances alimentaires par étape chronologique au Néolithiqueancien dans le Bassin parisien [Bedault et Hachem 2008, fig. 9, p. 232] (RRBP = Rubané récent duBassin parisien ; VSG = Villeneuve-Saint-Germain). Le cerf devient le gibier prédominant à l’étapefinale du Rubané récent.

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fait pour les animaux domestiques, lesquels sont abattus jeunes. Cette confi-guration perdure tout au long de la séquence chronologique.

Prenons maintenant le deuxième facteur influençant les proportionsd’espèces consommées dans une maison : la taille de l’habitation. Cettevariation est nettement perceptible si l’on examine un hameau en début ouen milieu de séquence chronologique (fig. 3). Dans un hameau de cinqmaisons datant de la même époque, la maison la plus grande, comportantau minimum trois pièces à l’arrière, sera orientée de manière très prononcéevers la consommation soit du bœuf, soit du mouton. Les animaux sauvagesretrouvés dans les rejets seront plus volontiers l’aurochs, le cerf et le chevreuil.À l’opposé, la maison ne comportant qu’une seule pièce à l’arrière sera plusque les autres orientée vers la chasse, du grand et du petit gibier, en prioritédu sanglier, cependant que l’animal domestique privilégié dans la consom-mation sera le porc. Quant aux autres maisons, pour la plupart de petite taille,elles présentent un profil moyen, avec une consommation tournée principa-lement vers l’élevage, mais sans excès, et avec les espèces sauvages habituelles.

À l’étape finale du Rubané récent, on observe plusieurs changements :les maisons s’allongent (pour accueillir une population en expansion démo-graphique) et l’élevage prend de l’importance, en particulier celui des caprinés.Les maisons de petite taille se font rares, mais certaines d’entre elles sedistinguent encore des grandes par la présence soutenue d’animaux sauvages,cerf et chevreuil en priorité ; le sanglier devient rare.

La configuration des hameaux VSG est à ce jour difficile à caractériser,car aucun site n’a été fouillé sur la totalité d’une emprise et l’étude desfaunes des habitations n’est pas terminée. Cependant, des élémentspréliminaires peuvent être fournis, comme le fait que certaines maisons sedistinguent des autres par une proportion plus importante de caprinés,d’autres de porcs, et que par ailleurs les petites maisons disparaissent, cequi reflète très probablement un changement de structuration de la société.

Enfin, le troisième facteur qui influence les proportions respectivesdes espèces est l’emplacement de la maison dans le village. Cuiry-lès-Chaudardes, en Picardie, offre une bonne base à la réflexion, car c’est un sitequi a été intégralement fouillé et qui présente la séquence d’occupation laplus complète, avec trente-deux maisons et cinq phases d’habitat [Ilett etHachem 2001]. Le phasage chronologique effectué par Michaël Ilett d’aprèsle décor céramique a permis de répartir les maisons sur l’échelle du temps.Le schéma de développement du village est le suivant : le hameau fondateur

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Figure 3 : Fig. 3. Composition d’un hameau type de cinq maisons du Rubané récent du Bassinparisien, étapes ancienne et classique : une grande maison avec un surplus de consommation de bovinsou de caprinés, une petite maison avec un surplus de chasse au grand et petit gibier, en particulier dusanglier, plusieurs maisons petites et moyennes sans surplus particulier.

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s’installe en implantant un noyau plus important de maisons à l’est del’emprise et une maison à l’ouest. Puis la seconde phase d’habitat a poureffet d’inverser la situation initiale en développant le gros du hameauà l’ouest, mais en gardant des maisons à l’est. Durant les cinq phasesd’habitat, soit plus d’une centaine d’années, les maisons se répartissent surune surface de 6 hectares en maintenant deux pôles d’occupation. L’analysearchéozoologique a montré que, tout au long de l’occupation du village, lesmaisons datant de la même époque se répartissaient dans trois quartiers[Hachem 1997], l’un à l’est, où l’on consomme plus de bovins, l’autre ausud-ouest, où l’on consomme plus de moutons, et le troisième au nord-ouest,où l’on consomme plus de gibier, en particulier du sanglier (fig. 4).

Il est actuellement impossible de tester ce modèle sur un autre villagerubané ou VSG, car la documentation ne le permet pas. En effet, aucun autre

Figure 4 : Fig. 4. Synthèse de l’analyse spatiale de la faune dans l’espace villageois de Cuiry-lès-Chaudardes « Les Fontinettes », exemple de la phase d’habitat 2 et 3, Rubané récent étape classique[d’après Hachem 1997]. Bien que la base de l’alimentation soit la même pour tous, les maisons se sontréparties durant plus d’une centaine d’années dans trois quartiers au sein desquels certains animauxétaient consommés de manière plus importante.

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site de longue durée n’a pu être entièrement fouillé, et les données sonttoujours partielles. Cependant, en analysant les plans d’une dizaine d’habitatset en les projetant à la même échelle et selon la même orientation qu’àCuiry-lès-Chaudardes, des similitudes apparaissent dans la conception desvillages. L’examen de deux sites vient en appui de cette hypothèse. Lepremier, Menneville, dans l’Aisne, est un site de longue durée ceint par uneenceinte [Farrugia et al. 1996 ; Hachem et al. 1998]. La projection du plande l’enceinte et de la surface fouillée, couplée à la datation fine des maisons,donne lieu à plusieurs constatations (fig. 5) : la surface d’occupation d’unvillage est relativement bien cadrée spatialement ; l’extension du village sefait vers l’ouest de l’emprise ; enfin, il semble exister dans le village deuxpôles d’occupation simultanés.

Un autre site qui présente une grande surface d’extension, Bucy-le-Long« La Fosse Tounise, La Héronière » [Constantin et al. 1995], montre uneconcentration de maisons de petite taille au même endroit qu’à Cuiry-lès-Chaudardes (fig. 6). La faune de ces trois maisons doit être étudiée, mais ily a fort à parier que leurs rejets sont constitués en grande partie de produits

Figure 5 : Fig. 5. Superposition des plans schématiques de Cuiry-lès-Chaudardes (en gris clair) et deMenneville « La Bourguignotte » (en gris foncé). Le tracé de l’enceinte a été repéré par prospectiongéophysique. Le modèle de développement des villages de longue durée paraît se faire d’est en ouesten maintenant deux pôles d’occupation.

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de la chasse. Si cela s’avérait exact, le modèle d’organisation des villagesrubanés dans le Bassin parisien serait en grande partie validé.

On le voit, les analyses ne sont pas terminées et le modèle de dévelop-pement de l’habitat qui englobera les aspects chronologiques, architectu-raux et spatiaux est en train de se construire.

L’ANIMAL PENSÉ DANS LA SOCIÉTÉ

Un autre lien entre faune et société est celui de l’investissement idéolo-gique et symbolique.

Les bovins et les aurochs font l’objet d’une attention particulière, donttémoignent le dépôt ou le rejet de bucrânes ou de chevilles osseuses dansl’habitat, dans des fosses isolées ou dans des fosses de maisons, mais, dans

Figure 6 : Fig. 6. Superposition des plans schématiques de Cuiry-lès-Chaudardes (en gris clair) et deBucy-le-Long « La Fosse Tounise, La Héronière » (en gris foncé). Le schéma d’implantation deshabitations de Bucy-le-Long paraît similaire à celui de Cuiry-lès-Chaudardes et les maisons au nord-ouest de l’emprise sont également de petite taille.

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ce cas, un peu en retrait des autres matériaux. Un vase exceptionnel (voirBostyn dans cet ouvrage) retrouvé sur le site VSG d’Aubevoye [Riche 2004]représente d’ailleurs un boviné, sans que l’on puisse déterminer s’il s’agitd’un bovin domestique ou d’un aurochs. Ces deux animaux sont toujoursétroitement associés, ce qui n’est pas sans rappeler le culte proche-orientaldu taureau cher à Jacques Cauvin [1994].

D’autres indices d’une telle attention portée aux animaux se retrouventdans les tombes de village. Ainsi, à Berry-au-Bac, des objets particuliers,sans utilité fonctionnelle, ont été façonnés sur des ossements de bovins etde chevreuil dans une tombe de femme, et une statuette anthropomorphesur des os de caprinés dans une tombe d’enfant [Allard et al. 1997]. Onnotera que ces tombes sont datées de la fin de la séquence rubanée, celleoù les caprinés et les chevreuils sont présents en très forte proportion. ÀBucy-le-Long « La Fosselle », cette fois, une femme était ornée d’une parureen craches de cerf, probablement cousue sur un capuchon (fig. 7). Pour laconfection de cette parure, il a fallu prélever des dents sur quarante et uncerfs ou biches [Hachem et al. 1998]. Cet ornement était visiblementprécieux ; l’analyse des traces d’usure à la surface et à l’endroit de laperforation indique qu’il a été porté, mais de plusieurs manières différentes.Il est donc possible que les craches aient été transmises sur plusieursgénérations [Bonnardin, communication personnelle].

Toujours dans le domaine funéraire, on a trouvé dans l’enceinte deMenneville des enfants inhumés avec des bucrânes et des chevilles osseusesde bovins. Des ossements d’animaux domestiques y étaient aussi associés,d’une part les restes d’un repas particulier composé exclusivement de viandede bovin, d’autre part des morceaux de caprinés déposés auprès des défunts.

En conclusion, je proposerai plusieurs pistes pour caractériser la sociéténéolithique danubienne du nord de la France au regard des animaux qu’ellecôtoie, exploite où vénère. Le hameau est une unité fondamentale qui structurela communauté. Les habitants y occupent une place relativement égalitaireface à la consommation, puisque chaque maison a à sa disposition un mêmeéventail d’espèces. Sont-ils égalitaires face à la propriété du cheptel ? Iln’est pas possible de répondre à cette question. La présence de surplus debovins, de mouton ou de chasse en fonction de la taille de la maison et deson emplacement dans le village laisse envisager des différences de fonctionou de statut entre ces habitations. Ces différences ne sont pas nécessairement

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hiérarchiques. Comme le souligne A. Coudart [ce volume], « tout semblealler dans le sens d’un équilibre et d’une équivalence structurale des unitéssocioéconomiques élémentaires », sans qu’il faille prendre l’égalité socialeau sens étroit du terme. Au vu des données archéozoologiques issues del’habitat et du domaine funéraire, il paraît possible d’envisager qu’une partde l’organisation de la société repose sur une segmentation des individusen trois pôles, ou éventuellement trois clans, éleveurs de bovins, éleveursde moutons, et chasseurs.

Je terminerai ces réflexions avec un dernier élément, relevant sans douteplus d’un sentiment intuitif que de la valeur statistique, qui est la perception

Figure 4 : Fig. 7. Bucy-le-Long « La Fosselle », tombe no 70, femme avec parure de craches de cerf.Une étude de S. Bonnardin a démontré que les craches étaient brodées sur un capuchon. DessinS. Bonnardin, clichés Y. Guichard, CNRS, Protohistoire européenne.

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d’un lien entre certains animaux et le sexe des individus. De nouvelles fouillessur le site de Menneville, dont la partie occidentale est encore intacte – maismenacée à terme de destruction –, permettraient de confronter cette impressionà la réalité des faits, en mettant au jour à la fois des maisons, des sépultureset la faune qui leur est associée. Mais, en attendant cette opportunité, sur labase des données présentées ici et de celles fournies par la nécropole deTrébur, en Allemagne, où des quartiers de viande ont été déposés dans lestombes [Spatz et Driesch 2001], il me semble percevoir que les moutons etles cervidés ont un lien avec les femmes, alors que les porcs et les sangliers(significatifs d’une chasse intensive) sont liés aux hommes. Je lance doncun appel aux ethnologues, pour qu’ils éclairent ce type de données sous lejour de l’anthropologie sociale.

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