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licenta Baudelaire Iuliana

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Page 1: licenta Baudelaire Iuliana

Universitatea “Dunarea de Jos” – GalatiFacultatea de Litere

Specializarea Engleza-Franceza

LUCRARE DE LICENTA

Coordonator stiintific: Lector dr. Mirela Dragoi

Absolvent: Vlad Iuliana Valentina

Galati2010

Universitatea “Dunarea de Jos” – GalatiFacultatea de Litere

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Specializarea Engleza-Franceza

LUCRARE DE LICENTA

LA CRÉATION BAUDELAIRIENNE – ÉTAPES, THÈMES ET

PRINCIPES ESTHÉTIQUES

Coordonator stiintific : Lector dr. Mirela Dragoi

Absolvent : Vlad Iuliana Valentina

Galati2010

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« Dans ce livre atroce,

j’ai mis tout ma pensée, tout mon cœur,

toute ma religion, toute ma haine. »

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TABLE DE MATIÈRES

RÉSUMÉ

ARGUMENT

I. LA SOCIETÉ ET LA CULTURE DU XIXème SIÈCLE

1. Le contexte social et littéraire du XIXème siècle

2. Brève description du courent Symboliste

3. La modernité de Charles Baudelaire

II. CHARLES BAUDELAIRE – sa vie comme démarche pour l’œuvre

1. La douce enfance

2. Les premières pièces – 1838-1840 – développent le

futur poète

III. LES FLEURS DU MAL – naissance, essor, pièges

1. L’inclination vers les titres « pétards » ou « mystérieux »

2. Des « fleurs » répandues dans le temps

1. Le cycle de Mme Sabatier

2. Les dix-huit poèmes de La Revue de Deux Mondes

3. La période 1855-1857

3. L’édition de 1857

1. L’ « architecture secrète » du recueil

2. Première section : Spleen et Idéal

3. Deuxième section : Fleurs du Mal

4. Troisième section : Révolte

5. Quatrième section : Le Vin

6. Dernière section : La Mort

4. La période 1857-1861, le procès des Fleurs du Mal

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5. L’édition de 1861

1. Première section : Spleen et Idéal

2. Deuxième section : Tableaux parisiens

3. Troisième section : Le Vin

4. Quatrième section : Fleurs du Mal

5. Cinquième section : Révolte

6. Dernière section : La Mort

IV. L’UNIVERS THÉMATIQUE BAUDELAIRIEN EXPRIMÉ DANS

DES « FLEURS »

1. L’éternelle lutte entre le Mal et le Bien ; le destin du

poète dans une société stérile – L’Albatros

2. La femme baudelairienne, medium vers l’idéal – Parfum

exotique, A une passante

3. La Mort dans l’écriture baudelairienne

1. La Mort comme passage vers l’Idéal – La Mort des

Amants

2. La Mort infâme et destructrice – Une Charogne

4. Le Spleen – Spleen

5. Les paradis artificiels – Le Vin des Amants

V. EN GUISE DE CONCLUSION – C’EST L’ART

BAUDELAIRIEN DOUX OU AMER ?

VI. BIBLIOGRAPHIE

ANNEXES

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Argument

« …J’ai un de ces heureux caractères qui extraient le plaisir

de la haine et se glorifient en mépris.

Mon goût diabolique et passionné après la sottise me fait trouver

des hauts plaisirs dans les personnifications de la calomnie.

Caste comme le papier, sobre comme l’eau, inclinait vers la dévotion

comme une communiante, inoffensif comme une victime,

je ne regretterai guère passer comme un libertin,

un ivrogne, un païen et un assassin. »

Le père du symbolisme et de la modernité, Charles Baudelaire est un idéal de

courage par sa lutte de devenir poète avec, d’abord la famille, ensuite avec la société. Il a

dû envisager les problèmes de son temps et mener une vie misérable, et toutefois il a

continué de représenter fièrement le statut de poète, sans tomber proie aux compromises.

Moi, j’ai « connu » ce poète au cours de littérature française et son esprit

nonchalant et l’inédite modalité d’exprimer si sincèrement, et toutefois très poétiquement

les sentiments, m’ont séduit tout d’un coup.

On doit admirer Baudelaire pour son insistance de publier un seconde recueil,

lorsque le premier a été rejeté et pour nous partager son génie, essence forte en petite

boîte : il a choisi d’associer la forme simple, courte des sonnets – en grande partie – à une

expression profonde de l’angoisse existentielle partagée entre le Spleen et l’Idéal.

Baudelaire aime la poésie et, bien qu’il ne soit un grand innovateur en matière de

forme, il a crée des nouveaux rapports entre l’émotion et le langage. L’usage du symbole

et de la synesthésie, du champ lexical du mal pour exprimer le beau font de ce poète

tourmenté et inadapté un des plus grands et même un inspirateur du surréalisme par son

goût du bizarre et du merveilleux enfouis au plus profond de nos rêves.

Combinant d’une manière maîtrisée ces aspects, il a réussi une « alchimie

poétique » qui nous a offert les « fleurs » du « mal ». Il a illustré dans son unique volume –

véritable « exposition » des morceaux de la vie – tous les thèmes littéraires connus et tous

les aspects de la vie humaine. Il a tenté de tisser les liens entre le mal et le bien, le bonheur

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et l’idéal inaccessible, la violence et la volupté, il a exprimé la mélancolie, le désespoir,

l’extase et a extrait la beauté de l’horreur. Et il suffit d’ouvrir n’importe quelle page des

Fleurs du Mal pour reconnaître dans son écriture « le goût de l’infini » : richesse de

sensations, combinaisons des motifs des l’Antiquité jusqu’au nos jours, plusieurs niveaux

de compréhension.

C’est ça que nous devons à Baudelaire – il nous a enseigné chercher l’éclatement

dans la nuit et le diamante dans la boue et, surtout, rêver, s’imaginer, car cela est la plus

importante des facultés.

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Page 8: licenta Baudelaire Iuliana

Résumé

Le thème de mon ouvrage est La création baudelairienne – étapes, thèmes et

principes esthétiques et je me suis proposée, comme objectif majeur, d’y souligner

l’importance de l’écriture baudelairienne pour son époque et pour le développement de la

littérature en général.

J’ai conçu mon ouvrage en plusieurs chapitres : pour avoir une idée sur le monde

dans lequel le poète a évolué, on fait une présentation de la société et de la culture du

XIXème siècle, en soulignant les aspects les plus importants qui ont influencé la littérature

en général et l’œuvre de Baudelaire en particulier. Le changement des systèmes politiques,

la colonisation, la forte industrialisation, l’enseignement publique ont élargit le point de

vue des masses qui s’informent de plus en plus et sortent de sous l’influence de l’Eglise.

La société s’exprime, et la littérature gagne le plus – romantisme, réalisme,

naturalisme ou symbolisme se suivent et s’entrecroisent. Ensuite, on a considéré comme

important de présenter brièvement les principes du courant Symboliste pour mieux mettre

en évidence la modernité esthétique et thématique de l’écriture baudelairienne

Le chapitre suivant présente la biographie de l’écrivain et les faits qui l’ont

influencé dans son œuvre, parce que, précisément pour Baudelaire, son enfance et surtout,

son adolescence ont empreint ses « fleurs ». La douce enfance au milieu de la famille, puis

la brusque rupture à l’apparition du beau-père ont laissées des marques profondes dans la

conscience du futur poète.

La troisième partie est une chronologie de l’activité poétique de Baudelaire. On

envisage l’itinéraire du recueil à partir du choix du titre, décrivant les sections, les

transformations dans le temps des deux éditions et les pièges de la parution, jusqu’à la

publication finale.

L’avant-dernier chapitre montre le développement des thèmes dans un « bouquet »

de pièces. On a choisi des poèmes qui illustrent les principaux thèmes abordés par

l’écrivain : le destin sombre du poète maudit, exilé dans une société spirituellement

paralysée, la femme – medium vers le paradis, le spleen comme opposé et toutefois racine

de l’idéal, la mort comme force qui éternise le couple, mais aussi comme procès infâme et

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destructeur de la chair, les paradis artificiels – illusions d’un repos.

La dernière séquence souligne l’originalité de Baudelaire par l’usage des symboles,

de la synesthésie et, surtout, par sa manière originelle d’extraire la beauté, la sensibilité des

images ou sensations laides.

CHAPITRE I : LA SOCIETÉ ET LA CULTURE DU XIXème SIÈCLE

1. Contexte social et littéraire du XIXème siècle

Le XIXème siècle est varié, riche et contradictoire dans la surabondance des matières

qui le caractérisent, « où les gouts nouveaux croisent la culture traditionnelle et où l’avenir

se heurte souvent au passée »1.

Ce siècle voit se succéder des systèmes politiques différents : Premier Empire -

monarchie d’Ancien Régime restaurée, monarchie constitutionnelle – éphémère, IIème

République – Second Empire, IIIème République, qui cherchent à répondre aux aspirations

démocratiques nouvelles et aux transformations économiques qui s’accélèrent avec

l’industrialisation, la colonisation et les conflits entre les puissances européennes.

Les changements de société sont extrêmement importants tout au long du siècle :

l’instruction publique finit par devenir générale et, accompagnée par de remarquables

progrès scientifiques et techniques – l’inauguration de la ligne de chemin de fer, la création

des centres de l’industrie textile, de l’extraction du charbon, métallurgique, l’usage du

télégraphe, du téléphone, l’information organisée par la presse – participe à l’évolution des

mentalités. L’aristocratie et l’Église perdent peu à peu leurs positions de force et une

société laïque s’installe à la fin du siècle, marquée aussi par le poids croissant de la

bourgeoisie et de la classe ouvrière qui s’affrontent.

La modernité littéraire s’affirme dans ce siècle à l’Histoire mouvementée avec des

courants marquants qui touchent tous les arts, comme le romantisme, le réalisme, le

naturalisme ou le symbolisme. Les créateurs les plus importants échappent cependant à un

étiquetage étroit et offrent des œuvres multiples et encore proches de nous,

1 Ion, Angela et coll., Histoire de la littérature française XIXème siècle, Ed. Universitatea din Bucuresti,

Bucuresti, 1981

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particulièrement dans le domaine de la poésie - avec Lamartine, Vigny, Musset, Hugo,

Baudelaire, Rimbaud, Verlaine, Mallarmé - comme dans le domaine du roman - avec

Stendhal, Balzac, Dumas, Hugo, Flaubert, Zola, Maupassant, Verne - et dans une moindre

mesure au théâtre avec le drame romantique et ses épigones - avec Musset, Hugo, Edmond

Rostand.

Tout au long du XIXème siècle, les œuvres littéraires rencontrent un succès croissant

auprès du public, en raison des progrès de l’alphabétisation. La lecture rentre dans les

mœurs et le livre devient un objet de consommation de masse. Tandis que le nombre de

titres et de tirages augmente, le roman se taille la part de lion dans les ventes de livres, au

détriment du théâtre et de la poésie. Désormais, la production littéraire obéit à des

stratégies différenciées suivant le lectorat auquel elle s’adresse et les retombées

économiques attendues par l’éditeur : les romans-feuilletons et les vaudevilles, destinés à

un public populaire, côtoient ainsi sur les étalages des librairies les romans littéraires, la

poésie et les pièces de théâtre d’avant-garde recherchés par les intellectuels.

Le statut de l’artiste au XIXème siècle imposait des réglementations exactes,

demandées par des situations nouvellement créées. Soupçonnées d’être dangereux à la

société, ils étaient mal rémunérés, leur succès et leur relative prospérité économique

n’étant assurées que grâce à des compromis. L’artiste, un bohème, n’avait d’autres

ressources que son talent. Donc, pour survivre, ils se réunissent dans des cénacles qui, dans

la deuxième moitie du XIXème siècle se concentrent à Paris dans les ateliers d’artistes, les

salons littéraires ou les cafés.

Les auteurs rendent compte de ces transformation dans leurs œuvres et une part

d’entre eux s’engagent dans les camps politiques, progressistes, comme Lamartine, Hugo

ou Zola, ou parfois réactionnaires comme Maurice Barrès ou Léon Daudet. Ils se

rejoignent cependant souvent pour exalter la figure de l’artiste libre contre le bourgeois

vulgaire et matérialiste, en créant le mythe de l’artiste bohème et rejeté qu’illustre

notamment la figure du peintre ou du poète maudit.

Le romantisme nourrit toute la première moitié du XIXème siècle. Ce mouvement

esthétique européen fait une place toute particulière au lyrisme et à l’effusion du moi avec

un goût marqué pour la mélancolie : les poètes vont donc exprimer leur mal de vivre et

leurs souffrances affectives en méditant sur la mort, sur Dieu, sur l’amour et la fuite du

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temps, sur la nature et sur la gloire, et au delà de ces thèmes lyriques traditionnels, sur la

fonction du poète et sur une perception plus originale du fantastique. Au delà des thèmes

pas toujours novateurs, les poètes romantiques revendiqueront un assouplissement de

l’expression versifiée à la recherche d’une plus grande musicalité et de quelques audaces

dans les mots et dans les images.

En réaction contre l’effusion égocentrique du romantisme, un mouvement nouveau

apparaît : le Parnasse, qui veut recentrer la poésie sur le travail formel du poète et

développe une théorie de « l’art pour l’art ». Cette école, héritière de Théophile Gautier,

est représentée surtout par Leconte de Lisle (1818 – 1894) et Théodore de Banville (1823 -

1891). L’influence de ce mouvement n’est pas à négliger : la densité et l’expressivité

seront retenues par les poètes suivants et c’est d’ailleurs à Théophile Gautier que

Baudelaire dédiera Les Fleurs du Mal et à Théodore de Banville que le jeune Rimbaud

écrira en 1870. Les figures de Verlaine (1844 – 1896) et de Rimbaud (1854 – 1891)

prolongent le type du poète maudit par leurs vies hors des normes sociales.

Les années 1880 voient s’affirmer des courants aux contours incertains comme le

décadentisme et le symbolisme qui ont en commun l’éclatement de la forme poétique avec

l’utilisation du vers libre et le refus du prosaïsme au bénéfice de la suggestion avec un goût

pour le raffinement et l’irrationnel.

Dans la littérature du XIXème siècle français, on retrouve donc des aspirations

inscrites dans le même mouvement continu comme celui de l’histoire, des visions du

monde, une communion spirituelle, exprimés chaque fois dans des œuvres uniques.

Romantisme, réalisme, naturalisme, Parnasse, symbolisme sont surtout des ensembles

signifiants qui repensent chaque fois l’Art, la Civilisation, l’Histoire, le Peuple, à travers

lesquels cette période se trouve aux sources mêmes de la littérature moderne.

2. Brève description du courant Symboliste

Le Symbolisme est né vers la fin du XIXème siècle, et son « certificat de naissance »

est le Manifeste publié par Jean Moréas en 1886, dans le Figaro.

Il s’inspire du préraphaélisme anglais mais des traits annonciateurs se trouvent déjà

au sein du romantisme allemand, britannique – avec Blake – et français – Chassériau.

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Page 12: licenta Baudelaire Iuliana

Charles Baudelaire, Paul Verlaine, Stéphane Mallarmé sont les trois poètes français qui ont

le plus influencé le symbolisme. Le mouvement symboliste français a, à son tour,

influencé le symbolisme autrichien, anglais et le mouvement symboliste un peu partout

dans le monde.

Le courant tient son originalité de son extension géographique – il se répand

partout dans le monde – de son contenu esthétique et de son déroulement chronologique. Il

met l’accent sur les états psychiques intermédiaires – le rêve, le fantastique et les préfère à

la banalité de la vie ; la musique à la chanson. Le mouvement symboliste tente de stimuler

l’imaginaire et la sensibilité des gens. Il permet le passage du monde réel au monde de

l’idée.

Les poètes symbolistes essaient d’atteindre une réalité transcendante et cherchent à

saisir l’idéal, ils espèrent trouver la clé d'un univers spirituel. Ils cherchent un langage

fluide, musical et pur et utilisent le symbole. Le vers libre est une de leurs innovations

pour s’affranchir de la rime et de la métrique régulière.

Le principe du symbole se réfère à deux choses lancées ensemble, il est donc une

association de deux réalités, le signe de cette association. Les mots du symbole littéraire

sont des analogies de puissances, de vérités ou de mystères cachés. Baudelaire, par le biais

de métaphores, rapproche des réalités séparées, des fragments pour leur donner du sens.

Le rôle du lecteur est dès lors essentiel et quasi interactive: il doit interpréter ou

déchiffrer les images qui lui sont proposées. 

Baudelaire influence l’école symboliste pour le recherche de l’Idéal; Mallarmé, de

son côté, accorde beaucoup d’importance à la fonction poétique du langage comme un

médiateur entre réel et idéal. En effet, le symbolisme est essentiellement l’idéalisme

appliqué à la littérature.

3. La modernité de Charles Baudelaire

Charles Baudelaire (1821 – 1867) est l’un des poètes majeurs du XIXème siècle.

Associant le souci formel des poèmes courts et le réalisme à l’expression d’une angoisse

existentielle partagée entre le Spleen et l’Idéal, il a réussit une « alchimie poétique »

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exemplaire en extrayant « les Fleurs » du mal dans son recueil publié en 1857. Poète du

monde réel et de la beauté, du bonheur et de la souffrance, de la morbidité et du péché, il a

en grande partie fondé le type du poète tourmenté et inadapté au monde. Baudelaire a

également donné au poème en prose sa notoriété avec ses Petits poèmes en prose.

« Comme personne avant lui, Baudelaire a demande à la poésie de lui révéler sa

vérité, il a confié à la parole la tâche de lui apprendre qu’il était, lui, tout entier.»2

Entre le formalisme et le romantisme, Baudelaire invente une troisième voie, celle

de la modernité. Celle-ci se caractérise par de nouveaux rapports entre l’émotion et le

langage. A sa parution, le livre est jugé « scandaleux » et « révolutionnaire », mais le mot

« modernité » devient l’emblème de sa propre poétique. Le poète combine le romantisme

et les courants formalistes. Le mot clé de cette combinaison est celui de modernité, c’est-à-

dire une démarche de synthèse et non d’exclusion.

Les thèmes abordés sont nombreux : corruption de la nature, malédiction du génie,

force de la révolte, l’imaginaire. « Plutôt que de tout parier sur l’émotion - comme les

romantiques - au risque de la sensiblerie et de la facilité littéraire, ou sur la perfection

formelle, au risque de la froideur insignifiante, il préfère penser de nouveaux rapports entre

émotion et langage, entre histoire, existence et poésie. »3

C’est une forme de romantisme maîtrisé, ancré dans le présent de l’Histoire. Elle

est aussi une manière de mettre les pouvoirs de l’art au service de l’inspiration. Il s’agit

aussi d’une poétique de l’imagination : c’est l’imagination qui, au cœur du langage, permet

l’expression de la modernité. « La modernité, c’est le fugitif, le contingent, la moitié de

l’art, dont l’autre moitié est l’éternel et l’immuable », disait même Charles Baudelaire dans

un article de 1863, intitulé Le peintre de la vie moderne, consacré au peintre Constantin

Guys.

Précurseur du symbolisme des années 1870 par sa foi en l’imagination, il fut aussi

le premier inspirateur du surréalisme par son goût du bizarre et du merveilleux enfouis au

plus profond de nos rêves.

Classique par conscience et formation, moderne par conviction et intuition,

2 Jackson, John E., Baudelaire, Ed. Librairie Générale Française, Paris, 2001, p. 483 Lecherbonnier, Bernard et Rince, Dominique, Littérature, textes et documents – le XXeme siècle, Coll.

« Henri Mitterrand », Ed. Nathan, Paris, 1986, p. 46

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Page 14: licenta Baudelaire Iuliana

Baudelaire lègue, ainsi à ses successeurs, le modèle d’une poésie exigeante mais décisive.

« La conscience aigue du nouveau dans l’art et dans la vie, le goût de la ville, des foules,

de l’ivresse et de la solitude de l’homme dans les villes de plus en plus immenses, la

tendance à faire du poème un univers autonome, un objet de délectation sans fin où

réalisme et mysticisme s’allient pour aboutir à une transfiguration des données de la

conscience et du rêve de même qu’à une véritable mutation du langage, font de Charles

Baudelaire le premier, et sans doute le plus grand des poètes modernes. » 4

CHAPITRE II : CHARLES BAUDELAIRE – sa vie comme

démarche pour l’œuvre

1. La douce enfance

Charles Baudelaire, « le dernier des romantiques, le premier des modernes »,

quasiment ignoré par ses contemporains, condamné, usé par la vie, l’alcool et la drogue, a

eu une fin de vie sinistre, mourant à quarante-six ans paralysé et en ayant quasiment perdu

l’usage de la parole. Il n’a publié de son vivant qu’un seul recueil,  Les Fleurs du Mal . Il

est aujourd’hui considéré comme l’un des plus grands poètes français. Il fut aussi à

l’écoute de son temps, étant l’un des seuls à admirer, ce que tant d’autres n’apercevaient

même pas.

Baudelaire est né le 9 avril 1821, d’une mère de 28 ans, Caroline Archenbaut –

Defayis et d’un père de 62 ans, Joseph – François Baudelaire. Le poète désigne ses

ancêtres comme « idiots ou maniaques, tous victimes de terribles passions »5, ce que peut

expliquer sa procrastination qui est baisse de l’énergie, impuissance et spleen. En outre, on

croit que la connaissance de ce fait a causé en lui quelque malaise et a fait naître le

sentiment d’une faute qui l’entachait lui-même.4 Clancier, Georges Emmanuel, op. cit., p. 3905 Mourot, Jean, Baudelaire, Les Fleurs du Mal, Coll. « Phares », Presses Universitaires de Nancy, 1989, p.

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La figure du père offre un curieux mélange: un prêtre, des manières aristocratiques,

de la galanterie, quelque libertinage de 1’imagination, le goût de 1’art, la sensualité et le

raffinement, tous ces aspects se retrouvent aussi dans Baudelaire. II faut enfin noter son

attachement au souvenir de son père, exprimé dans Fusées : « Faire tous les matins ma

prière à Dieu [...], à mon père, à Mariette et à Poe, comme intercesseurs ».

Quant à la côté maternelle, son ascendance anglaise peut expliquer les tendances

anglomanes du poète, mais on y peut lier plusieurs images: celle de la mère très élégante,

toujours parée, comme le poète même la décrit dans Le Parfum: « Et des habits,

mousseline ou velours, /Tout imprègnes de sa jeunesse pure, Se dégageait un parfum de

fourrure. »

Cette période de bonheur, qui prendra dans la mémoire de Baudelaire une telle

importance, ne dura qu’un an et neuf mois. Le 8 novembre 1828, Mme Baudelaire épouse,

en un mariage d’amour, le commandant Aupick, chevalier de Saint-Louis, officier de la

Légion d’honneur, aide de camp du prince de Hohenlohe ; la mère du poète avait alors

trente-six ans, Aupick quarante. Le jeune garçon, devant ce bel homme en uniforme,

encore jeune et portant beau, a dû éprouver une intuitive et immédiate jalousie. Sa mère

n’est plus « uniquement à lui ».

Baudelaire a été, dès 1832 à 1840, presque constamment séparé du milieu familial.

C’est de là que part la psychologie de 1’exclu : « souffrance d’abord, orgueilleux privilège

ensuite, souffrance et privilège, enfin privilège de la souffrance et de la malédiction ».6

Promu lieutenant-colonel, Aupick est envoyé à Lyon. Venu le rejoindre avec sa

mère au début de 1832, Baudelaire est mis tout de suite dans une pension.

On connaît, par Edgar Quinet, 1’atmosphère sinistre de ce collège ; bâtiments noirs,

voûtes ténébreuses ; ciel bas et brumeux de Lyon ; odeur de charbon qui le poursuivra

jusqu'aux dernières années de sa vie. L’image de la ville – paysage de toits, murs noirs –

propice aux « lourdes mélancolies », à 1’ennui, s’inscrit en lui dès cette époque.

Baudelaire même note que le collège de Lyon lui donne « le sentiment de destinée

éternellement solitaire ».

Baudelaire ait été en état de crise dans ses dernières années à Louis le Grand ; c'est

même une crise religieuse qu’il traverse. Mais en 1839, il est rasséréné. Son camarade

6 Ibidem, p.19

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Page 16: licenta Baudelaire Iuliana

Hignard, très pieux, note : il est « devenu très beau garçon, mais ce qui me fait bien plus

de plaisir, il est devenu sérieux, studieux et religieux ».7

C’est une période lumineuse de sa vie; il est déjà le dandy, comme le confirme ce

témoignage de Prarond : « Je le vois encore descendre un escalier de la maison Bailly,

mince, le cou dégagé, un gilet très long, des manchettes intactes, une légère canne à petite

pomme d’or à la main, et d’un pas souple, lent, presque rythmique. »8

En ce qui concerne les influences littéraires, les écrits de jeunesse en trahissent.

Baudelaire se signale par 1’amour précoce des belles œuvres littéraires, le culte de Victor

Hugo et de Lamartine. Le condisciple anonyme de Louis le Grand parlait de son

enthousiasme pour Hugo et Gautier. « Aimer Gautier, à ce moment, c’est une manière de

révolte contre 1’orthodoxie littéraire. »9

2. Les premières pièces – 1838-1840 – développent le futur poète

« N’est-ce pas qu’il est doux...» développe le thème du souvenir et du « vert paradis

des amours enfantines », annonçant ainsi Moesta et errabunda. Ces vers révèlent une

manifestation précoce de 1’horreur de la vie et de la retraite vers le souvenir, malgré l’«

affectation byronienne de corruption prématurée », qui annonce 1’atmosphère de Don

Juan aux enfers, décrit Jean Mourot dans son œuvre sur Baudelaire. Ce qui caractérise

surtout cette pièce, c’est 1’usage du vers prose, hérité de Sainte-Beuve.

La pièce Incompatibilité fut rapportée du voyage aux Pyrénées fait avec Aupick en

1837 ou 1838. Le titre en est curieux, car on ne voit pas bien le rapport avec le thème et le

contenu du poème. Cette pièce néanmoins porte la marque du Baudelaire futur, possède

déjà un « accent ». Dans ces vers se décèle 1’influence de Sainte-Beuve, dans le thème du

lac, qui a une valeur symbolique, et dans la sorte d’impression que le calme mystérieux des

eaux procure. L’accent de Baudelaire apparaît encore dans des sensations caractéristiques :

la spatialité, les épithètes vagues, 1’image de 1’écho : « Dans ce morne désert, à 1’oreille

incertaine/ Arrivent par moments des bruits faibles et longs, /Et des échos plus morts que

7 Ruff, Marcel-A., L’esprit du Mal et l’esthétique baudelairienne, Paris, A. Colin, 1955, p. 258 Ibidem, p. 289 Mourot, Jean, op. cit., p. 27

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la cloche lointaine/ D’une vache qui paît aux penchants des vallons. » 10Incompatibilité est

un texte riche en thèmes et en détails baudelairiens.

II s’agit là seulement de quelques textes d’une production de jeunesse. Ce sont

plutôt des « Fleurs du Bien », mais elles contiennent quelques détails caractéristiques du

poète.

C’est à la fin de 1’année universitaire 1839-1840 que Baudelaire fait part à sa

famille de sa vocation poétique. La mère de Baudelaire et le général Aupick n’étaient

certainement pas a priori hostiles à une carrière littéraire pour Baudelaire, qu’ils

entendaient à la façon bourgeoise; mais c’est poète qu’il voulait être, et ce mot sentait pour

sa famille la bohême, d’autant que la conduite de Baudelaire se relâchait. Poésie, bohême,

mauvaises fréquentations, tout cela allait ensemble dans l’esprit des parents. Baudelaire,

sentant la résistance, s’est braqué, et, par représailles, a dû s’enfoncer encore plus dans ses

mauvaises habitudes et il choisit déjà de vivre en marge, une vie maudite. C’est vers cette

période qu’il a connu une prostituée juive et a contracté le mal vénérien.

La pièce XXXII des Fleurs du Mal, qui oppose 1’image de cette prostituée à celle

de Jeanne Duval, « reine des cruelles », évoquée dans sa «majesté native», célébrée pour

sa stature et sa chevelure, se rapporte à cette liaison qui s’est prolongée jusqu’en 1842.

Les rapports entre Baudelaire et sa famille ont dû s’aigrir et devenir violents fin

1840, début 1841. La famille décide de l’éloigner. On le fait embarquer à Bordeaux, sur le

« Paquebot des Mers du Sud », qui met à la voile vers Calcutta, le 9 juin 1841. En

septembre, du 1er au 19ème, il est à l’île Maurice. La solitude intellectuelle, dans laquelle il

se trouvait durant ce voyage - le besoin de conversation étant impérieux chez lui, ce désir

le poussant sans cesse, plus tard, à demander l’hospitalité à des amis - le lui rendit

insupportable.

Le 20 octobre 1841, il écrit le sonnet À une Dame Créole, inspiré par la femme de

son hôte. C’est la première pièce des Fleurs du Mal (LXI) que nous rencontrons;

1’occasion nous est donc offerte de déceler la marque de Baudelaire dans cette pièce

ancienne qui peut être datée avec certitude : 1841.

« L’accent » de Baudelaire se reconnaît encore dans le privilège conféré à la

sensation olfactive, le goût pour les parfums : « Au pays parfumé que le soleil caresse »,

10 Ibidem, p. 28

17

Page 18: licenta Baudelaire Iuliana

mais il désigne déjà son idéal féminine: taille élevée, noblesse et nonchalance, calme. On

peut distinguer de même les thèmes de la paresse et des yeux, du regard direct. C’est vrai,

à vingt ans, le poète n’est de loin un maître dans la technique du vers, mais on reconnaît

aisément des thèmes et des motifs spécifiques.

Baudelaire est majeur le 9 avril 1842 et il décide de quitter le foyer et à vivre de ses

propres moyens. Le beau-père a dû cesser toute remontrance, résigné à laisser faire, et il

n’y a pas eu rupture violente. II peut entrer en possession de 1’héritage paternel — terrains

à Neuilly — qu’il ne réalisera pas tout de suite ; il espère vivre avec des leçons que lui

procureront ses anciens professeurs. Les terrains de Neuilly, vendus 1’année suivante, lui

rapportent 70 000 francs, ce qui lui faisait un pactole. Le jeune Baudelaire est donc en

possession de son héritage et il se croit riche ; 1’existence de poète qui a décidé de vivre en

rompant avec son passée bourgeois ne lui donne pas 1’impression, au point de vue

matériel, d’une chute de niveau. Les amis de l’Ecole Normande sont des fils de famille et

vivent à 1’aise, comme lui. À cette époque, sa toilette et ses allures de dandy sont la

manifestation extérieure de sa volonté d’originalité ; son dandysme est un constant

sacrifice de la nature à 1’art, une autre manière d’aller contre le mouvement de la vie ;

s’affirme déjà 1'idéal que dira La Beauté (F.M., XVII). Une autre forme de cette attitude,

c’est 1’exercice, sous des dehors impassibles, d’une politesse froide et ironique.

Le dandysme est le dernier éclat d'héroïsme dans les décadences. « Le dandysme

est un soleil couchant ; comme 1’astre qui décline, il est superbe, sans chaleur et plein de

mélancolie. »11 Comme un dandy authentique, Charles Baudelaire a essayé « le plaisir

d’émerveiller et la satisfaction orgueilleuse de n’être jamais émerveillé »12, par la récitation

de certains poèmes qui, sois irritaient, sois enchantaient. En tout cas, les auditoires ne

pouvaient pas rester indifférents.

Baudelaire rencontre Jeanne Duval vers la fin de 1842. Jeanne est « le seul être en

qui j'ai trouvé le repos [...] la seule personne que j’ai aimée »13, mais elle était tracassière

et le trompait ; lui-même, avide d’indépendance, n’était pas facile à vivre.

La fortune se termine vite et la famille est effrayée de ses dépenses. Désormais, le 11 Dantec, Le, Y.-G., Oeuvres complètes, Ed. Révisée par Claude Pichois, Paris, Gallimard, Bibliothèque de

la Pléiade, 1961, p. 5112 Cosma, Doru, op. cit., p. 12813 Ibidem, p. 129

18

Page 19: licenta Baudelaire Iuliana

gérant de ses biens sera Ancelle, notaire à Neuilly. Baudelaire est révolté de cette mesure,

mais il avait quitté sa famille pour rendre sa liberté féconde ; or, il n’a encore rien publié, il

ne gagne pas sa vie avec sa plume. II ne travaille pas, alors qu’il aime 1’ordre et la règle; il

se soumet à la tyrannie de sa sensualité. Pour gagner quelque argent, il collabore au

Corsaire-Satan. Baudelaire se lie alors plus intimement avec des jeunes gens qu’il avait

connus à 1’ancien Corsaire, mais dont il partage maintenant la bohème miteuse :

Champfleury, Murger, Barbara, Pierre Dupont, Courbet, Bonvin.

Le sentiment aigu de 1’échec est certainement à 1’origine de sa tentative de

suicide, le 30 juin 1845, d’un coup de couteau : « Je me tue parce que je ne puis plus vivre,

que la fatigue de m’endormir et la fatigue de me réveiller me sont insupportables. Je me

tue parce que je suis inutile aux autres et dangereux à moi-même. »14

Transporté chez sa mère, Baudelaire y reste cinq ou six mois, mais il renonce de

nouveau à ce confort pour vivre son existence de poète. II repart d’un bon pied, décide à

produire : et de fait, l’année 1846 sera féconde en publications.

La vie besogneuse des nouveaux amis de Baudelaire - comme Courbet ou Daumier

- l’expérience qu’ils ont et qu’il acquiert lui-même de la misère, lui donne de la réalité un

sentiment plus aigu, qui masque les préoccupations littéraires et formelles de 1’Ecole

Normande. Le groupe confirme Baudelaire dans son goût pour les arts plastiques –

Bonvin, Daumier, Courbet étaient des artistes et Champfleury amateur d’art. Avec eux, à

leur contact, il s’initia à la technique par la fréquentation des ateliers.

La tentative de suicide a eu un effet de choc: Baudelaire a pour un temps exorcisé

ses démons ; le fils écrit à sa mère : « Tout ce que je puis t’affirmer, c'est que tu en seras

contente dans quelque temps […] comme je crois que je puis maintenant vivre de ce

que je gagne» 15.

Ses publications vont se succéder à cadence rapprochée, de la fin de 1845 à 1847,

pour la plupart au Corsaire Satan et à L’Artiste. Les Contes normands  et Historiettes

baguenaudières, Comment on paye ses dettes quand on a du génie, anonymes, et  Le

Musée classique du Bazar Bonne Nouvelle, Le Jeune Enchanteur, Choix de maximes

consolantes sur l’amour, Conseils aux jeunes littérateurs,  Salon de 1846, L’Impénitent,  A

14 Crepet, Jaques, Oeuvres complètes de Baudelaire, Conrad, 1947-1956, p. 5815 Mourot, Jean, op. cit., p. 61

19

Page 20: licenta Baudelaire Iuliana

une Indienne, La Fanfarlo, pièces signées de divers noms.16

S’ouvre ensuite une nouvelle période de dépression ; pendant un an, Baudelaire ne

publie plus, à l’exception du poème Les Chats (F.M., LXVI), qui parait dans un feuilleton

de Champfleury, au Corsaire. Baudelaire étudie longuement les chats ; il les arrête dans la

rue, entre dans les boutiques où le chat médite accroupi sur le comptoir, les caresse et les

magnétise de son regard.17

Son échec répété a comme causes les tarifs très bas et les difficultés à se faire

payer, ou les « paradis artificiels ». « Franchement, le laudanum et le vin sont de

mauvaises ressources contre le chagrin »18. II prenait du laudanum et de l’éther comme

médicaments et il avait expérimenté le hachisch par curiosité. En 1847, usant du laudanum

et de l’éther comme médicaments, il a pu trouver, comme dans le vin, un apaisement à ses

souffrances physiques et morales, mais connaître aussi la dépression qui suit l’absorption

de drogues. II est certain que l’abus, comme médicament, de l’opium et de l’éther, a dû

aggraver le déséquilibre nerveux qui était déjà, chez lui, un vice constitutionnel.

Pour se punir, il accepte un poste subalterne dans une famille de l’Île-de-France.

« Le péché capital dont il souffre de plus en plus, c’est son impuissance à se réaliser à

la hauteur de ce qu’il appelle son orgueil, c’est-à-dire à remplir sa destinée »19. L’idée

profonde de Baudelaire, c’est que le destin de 1’homme est une lutte contre le Mal, c’est-à-

dire ce qui l’empêche d’obéir à ses plus authentiques aspirations, lutte dans laquelle il ne

peut jamais se proclamer vainqueur.

Dans 1’année 1848, Baudelaire publiera peu : sa première traduction d’Edgar Poe,

Révélation magnétique, paraît dans la Liberté de penser en juillet ; à noter aussi Le Vin de

l’Assassin (F.M., CVI). Il ne produira ni ne publiera rien en 1849 ; c’est qu’il sera accaparé

par les événements. Le peu qu’il écrira sera pour collaborer à deux feuilles politiques

éphémères : Le Salut Public et La Tribune Nationale. Néanmoins, le poète semble avoir

vécu les événements avec sincérité, conviction et espérance. On le verra à la barricade le

24 février ; aux journées de juin, il sera du parti des ouvriers insurgés ; et, plus tard, au

Coup d’Etat, il reprendra les armes. Comme raisons de cette attitude, on souligne sa 16 Ibidem, p. 6317 Adam, A., Les Fleurs du Mal, Classiques Garnier, 1961, p. 6518 Crepet, Jaques, op. cit., p. 7119 Ruff, Marcel, op.cit., p. 74

20

Page 21: licenta Baudelaire Iuliana

récente expérience de la misère, sa connaissance des humbles et de la souffrance des

hommes, ce mouvement qui le porte vers les opprimés, sa sympathie entretenue par ses

amis, Daumier, Coubert, Pierre Dupont, qui sont républicains et socialistes. Il y a aussi le

caractère idéaliste et presque religieux de l’état d’esprit de 1848, puis le goût romantique

de la Révolution et de la Révolte, une protestation contre « un monde où l’action n’est pas

la sœur du rêve » - comme il écrit dans Le Reniement de Saint-Pierre - et en outre un

cortège de sentiments moins avouables, que Baudelaire analyse dans Mon Cœur mis à nu :

« Mon ivresse en 1848. Goût de la vengeance. Plaisir naturel de la démolition. Ivresse

littéraire ; souvenir de lectures [...] Les horreurs de Juin. Folie du peuple et folie de la

bourgeoisie. Amour naturel du crime ».20 Baudelaire oppose le naturel et l’artificiel, qui

suscite l’idéal.

Les événements de 1848 l’ont convaincu que l’art ne pouvait pas rester indifférent

à la peine des hommes. Déjà, il l’avait chantée lui-même dans un poème antérieur, peut-

être avant 1843 : Le Crépuscule du matin (F.M., CIII), et il la chantera encore, plus

audacieusement, dans le poème Le Cygne (F.M., LXXXIX), dédiée à toutes les victimes de

la vie et de la société : « Aux captifs, aux vaincus !... à bien d'autres encore ! » 21, allusion,

bien sûr, aux victimes des révolutions. Il n’y a pas d’art sans idées, sans une «

communication permanente » de pensées et de sentiments entre le poète et les hommes de

son temps. Il dénonce donc l’Ecole de l’Art pour l’Art et l’Ecole Païenne, qui, dans

l’évasion vers les temps antiques, refusent l’engagement.

La Beauté inclut pour Baudelaire vérité et moralité, car le Beau est inséparable

d’une vie vécue : « Faut-il vous dire, à vous qui ne l’avez pas plus deviné que les autres,

que dans ce livre atroce, j’ai mis tout mon cœur, toute ma tendresse, toute ma religion

(travestie), toute ma haine. II est vrai que j’écrirai le contraire, que je jurerai mes grands

dieux que c’est un livre d’art pur, de singerie, de jonglerie ; et je mentirai comme un

arracheur de dents.»22 « La première condition nécessaire pour faire un art sain est la

croyance à l’unité intégrale »23, le Beau ne peut être immoral ni pernicieux, précisément à

cause de l’unité intégrale. Selon cette foi en l’Unité, Beauté rejoint Vertu ; et les choses 20 Dantec, Le Y-G, op. cit., page 7321 Mourot, Jean, op. cit., page 7522 Crepet, Jaques, op. cit., page 7823 Mourot, Jean, op. cit., page 74

21

Page 22: licenta Baudelaire Iuliana

morales rejoignent les choses physiques. Baudelaire doit encore à l’esprit quarante-huitard

d’avoir aperçu une esthétique de la joie ; après 1848, il est sensible à l’optimisme, à

l’allégresse.

Mais l’optimisme de 1848, s’il rend Baudelaire à une esthétique de la joie, ne va

pas jusqu’à lui faire renier ses tendances et sa nature. Ce qu’il chante, c’est l’irréparable,

son lot à lui, c’est l’insatisfaction, le regret, les remords, la conscience de l’existence

comme Mal. Exister est un mal ; il s’agit du mal métaphysique, non du mal moral :

l’existence est le mal et la conscience le sait. Cette conscience est aussi « un phare ironique

»24, au sens où l’ironie romantique est dédoublement : comme dans

L'Heautontimoroumenos, l’être se regarde et constate son malheur ; mais cette activité est

soulagement, car par l’ironie, il est supérieur à son mal.

La biographie de Baudelaire est mal connue entre 1848 et 1850. II ne renonce pas

tout de suite au journalisme politique ; en septembre, à Châteauroux, il dirige la rédaction

du Représentant de l’Indre, mais se brouille rapidement avec les actionnaires

conservateurs du journal.

En revanche, il faut signaler l’importance toute particulière de l’année 1851 ; le

futur recueil se précise : Baudelaire annonce la publication de dix poèmes nouveaux, sous

le titre collectif Les Limbes, qui remplace Les Lesbiennes, annoncé en 1845 et 1848.

En 1852, on parle du début de sa liaison passionnée avec Apollonie Sabatier. Il lui

adresse de nombreux poèmes, dont Harmonie du Soir et L'Aube spirituelle.

En 1854, il publie Les Contes extraordinaires d'Edgar Poe et en 1855, son

compte-rendu de l’Exposition Universelle et de dix-huit poèmes des futures Fleurs du mal.

L’année 1857 est marquée par la mort de son beau-père, le Général Aupick. Mais

en juin, la publication des Fleurs du mal chez Poulet-Malassis lui fait plus fameux. En

août, un procès en moralité est instruit contre lui. Le procureur Pinard demande la

condamnation du recueil de poèmes. Malgré l’appui de Sainte-Beuve et de Barbey

d’Aurevilly, Charles Baudelaire et son éditeur sont condamnés. Six poèmes devront

également être retirés.

Trios années plus tard, il publie les Paradis artificiels, puis, en 1861, la seconde

édition des Fleurs du mal.

24 Ibidem, page 77

22

Page 23: licenta Baudelaire Iuliana

En 1864, Baudelaire fuit en Belgique et s’installe à Bruxelles où il donne une

tournée de conférences. Très vite ce pays, qui d’abord lui a plu, lui devient insupportable.

Il est atteint par la syphilis, et a de plus en plus recours à la drogue.

En 1866, le poète fait une chute dans l’église Saint Loup de Namur et perd connaissance. Il

est hospitalisé à Bruxelles, victime à la fois d’hémiplégie et d’aphasie.

Le 31 août 1867, il revient à Paris et meurt, à quarante-six ans dans la clinique du

docteur Duval. Il est inhumé le 2 septembre au cimetière Montparnasse.

Une année plus tard, on publie à titre posthume, du Spleen de Paris, ainsi que des

Curiosités esthétiques.

CHAPITRE III : L’ŒUVRE DE BAUDELAIRE

- NAISSANCE, ESSOR, PIÈGES -

1. L’inclination vers les titres « pétards » ou « mystérieux »

Si une évolution peut être discernée dans les idées esthétiques de Baudelaire, il n’y

a pas, en revanche, d’évolution apparente dans sa poétique, dans son art du poème

individuel.

Baudelaire a très tôt conscience de 1’art qu’il pratique ; la couleur, qu’il définit

dans Le Salon de 1846, c’est exactement la suggestion, telle qu’il la manifeste dans sa

poésie ; et dès 1846 encore, il formule le principe de la « sorcellerie évocatoire » 25 : elle

implique une opération surnaturelle sur les choses ; la poésie est une injonction à

l’existence, elle suggère. Mais cette définition de la poésie n’est pas sans danger, car les

connotations des mots, ainsi combinés, évoluent.

Dès 1846, Baudelaire sait déjà qu’il ne faut pas confondre « les fantômes de la

raison avec les fantômes de 1’imagination ; ceux-là sont des équations, et ceux-ci des êtres

25 Crepet, Jaques, op.cit., page 87

23

Page 24: licenta Baudelaire Iuliana

et des souvenirs »26. « La poésie est essentiellement philosophique ; mais comme elle est

avant tout fatale, elle doit être involontairement philosophique […] la grande poésie est

essentiellement bête, elle croit, et c’est ce qui fait sa gloire et sa force ».27

Ainsi, la poésie fait penser, ce qui ne signifie nullement que le poète le fasse

consciemment : « la poésie d’un tableau doit être faite par le spectateur, comme la

philosophie d’un poème par le lecteur ».28

L’affirmation de tous les amis de Baudelaire qui sont unanimes à déclarer qu’un

grand nombre de Fleurs du Mal étaient composées en 1845 n’est donc pas pour étonner.

Aussi bien, dès 1845, le poète pouvait annoncer un recueil, sous le titre Les Lesbiennes.

II y a, chez Baudelaire, une esthétique consciente de la surprise ; il avait

certainement lu très jeune ce que disaient Helvétius et Montesquieu de 1’effet de surprise :

« après le plaisir d’être étonné, il n’en est pas de plus grand que celui de causer une

surprise »29. Le choix des Lesbiennes ressortit à la même attitude : ce titre veut provoquer

le scandale. « J’aime les titres mystérieux ou les titres pétards » écrivait Baudelaire ; Les

Lesbiennes, c’était un « titre pétard ». Mais seulement trois ou quatre pièces sont vraiment

« pétardes »: Femmes damnées (F.M., CXI), Delphine et Hippolyte, Lesbos, Sed non

satiata (F.M., XXVI). Une autre raison plus profonde, sans parler de 1’attrait morbide

pour la corruption, c’est la haine de Baudelaire pour le naturel, son goût pour la contre-

nature, pour 1’artificiel, sa hantise de ce qui dépasse les limites de 1’humaine nature ; les

lesbiennes sont célébrées comme des chercheuses d’infini, des esprits contempteurs de la

réalité. Baudelaire voit dans le saphisme une manifestation de 1’Enfer humain, qui est

1’infini du désir avec toutes ses curiosités, mais aussi avec le repentir et les remords. Le

titre Femmes damnées a bien une signification morale.

Un titre nouveau apparaît à la fin de 1848. Après le « titre pétard », Baudelaire

passe au « titre mystérieux ». Le 9 avril 1851, paraissent, dans Le Messager de I’

Assemblée, onze poèmes, sous le titre collectif : Les Limbes. Parmi elles, Spleen, L’idéal,

Le Mort joyeux, Les Chats, Les Hiboux. En 1852, Baudelaire annonce, pour paraître

prochainement, Les Limbes, Poésies, Michel – Lévy. A cette date, devaient figurer dans le 26 Ibidem, page 8827 Dantec, Le Y-G, op.cit., page 8828 Ibidem, page 8829 Mourot, Jean. op. cit., page 90

24

Page 25: licenta Baudelaire Iuliana

recueil, outre les onze poèmes, une série d’autres quinze.

Ce titre, tout d’abord, se ressent de 1’esprit de 1848. C’est un mot du vocabulaire

fouriériste. Jean Wallon, ami de Baudelaire, qui annonçait le recueil dans La Presse en

1849, disait : « Ce sont sans doute des vers socialistes ».30 Dans le discours des

fouriéristes, le mot limbes désignait les troubles, 1’état incertain d’une société grosse d’une

révolution. Certaines pièces disent une révolte de portée sociale.

Il y a aussi le sens théologique – les limbes, on le sait, sont ces lieux d’outre-tombe

réservés aux païens justes et aux enfants morts sans baptême. Le titre comporte une idée

d’exil, d’aspiration à une lumière qui sera éternellement refusé. C’est un thème

métaphysique et religieux présent dans certaines pièces – Bohémiens.

Une note accompagnant les onze poèmes publiés dans Le Messager de I’

Assemblée, affirme que ce livre « est destiné à retracer 1’histoire des agitations spirituelles

de la jeunesse moderne »31. Ainsi le sens psychologique rejoint le sens fouriériste, et les

limbes désignent un mal du demi-siècle.

Au total et en gros, avec le titre des Limbes, se manifeste une inspiration à la fois

sociale et spiritualiste, s’élabore un humanitarisme social assorti d’un pessimisme

métaphysique ; ces éléments semblent, à peu près, justifier le titre.

2. Des « fleurs » répandues dans le temps

Entre 1852 et 1855, Baudelaire publie très peu de poèmes : Les Deux Crépuscules

de la grande Ville (F.M., XCV et CIII), Le Reniement de saint Pierre (F.M.,

CXVIII), L’Homme et la mer (XIV), Que diras-tu ce soir, pauvre âme solitaire (F.M.,

XLII). On connaît d’autre part, comme composés en cette période, quelques poèmes

adressés à Mme Sabatier, dans des lettres : Le Flambeau vivant (F.M.,

XLIII) ; Réversibilité (F.M., XLIV) ; Confession (F.M., XLV), L’Aube spirituelle (F.M.,

30 Ibidem, page 9731 Ibidem, page 94

25

Page 26: licenta Baudelaire Iuliana

XLVI). Les années 1854-1855 sont marquées surtout par l’abondance des traductions

d’Edgar Poe. Entre 1853-1854, Baudelaire a voulu se tourner vers le théâtre, avec deux

projets : La Fin de Don Juan, qui se relie à Don Juan aux enfers, et L’ivrogne, qui se relie

au Vin de l’assassin, les deux pièces des Fleurs du Mal pouvant être considérés comme

la quintessence des deux drames projetés. C’est dans cette période 1852-1855 que

Baudelaire met définitivement au point son esthétique, dans deux textes importants :

L’Exposition universelle et De l’Essence du rire de 1855. Dans la seconde, Baudelaire lie

pour la première fois la notion de péché à une forme d’art.

En 1855, Baudelaire est totalement détaché du réalisme, qui fut sa tentation autour

de 1848, ou plutôt le réalisme change de sens et signifie pour lui surnaturalisme. « La

Poésie est ce qu’il y a de plus réel, c’est ce qui n’est complètement vrai que dans un autre

monde ».32 Dans ces pages, il refuse de s’enfermer dans un système esthétique ; il s’agit

essentiellement de sentir en faisant courir ses doigts « sur l’immense clavier des

correspondances » et de rester fidèle à « l’impeccable naïveté ». Le poète doit toujours

être prêt à s’étonner devant ce qu’offrent les créations toujours variées et imprévisibles de

la vie et de l’art. Cette esthétique de la surprise appelle une définition du Beau qui est le

bizarre, un écart, la marque d’une individualité. Elle implique aussi la condamnation de

l’idée du progrès. On retiendra donc l’expression de la Beauté comme purement

individuelle, bizarre ; et la condamnation de l’idée du progrès.

Entre 1852-1855 s’accumulent les difficultés matérielles ; le manque d’argent ; les

changements de domicile « vivant dans le plâtre, dormant dans les puces »33. Il a quitté

Jeanne en 1852, mais il l’entretient et est torturé par les remords de ne pouvoir assez la

secourir. II connaît une détresse matérielle, mais surtout morale ; il éprouve toujours le

sentiment de ne pas être à la hauteur de lui-même, de l’impuissance physique et morale; il

est convaincu que sa carrière est un échec lamentable. Dans cette période, l’amour pour

Mme Sabatier a été une lueur, un moyen inventé par Baudelaire pour échapper à sa

damnation quotidienne.

a. Le cycle de Mme Sabatier

32 Dantec, Le Y-G, op. cit., page 10433 Mourot, Jean, op. cit., p. 105

26

Page 27: licenta Baudelaire Iuliana

C’est le 9 décembre 1852 que Baudelaire adresse à Mme Sabatier le premier de ces

billets anonymes où il allait, pendant plusieurs années, lui vouer une adoration mystique.

Mme Sabatier, née en 1822, s’appelait Aglae-Josephine Savatier mais, en faisant une

carrière de théâtre, change son nom et son prénom. Les connus ont dû célébrer la beauté

de ses formes, sa santé riche, sa bonté, sa joie et son air triomphant qui mettait autour

d’elle comme de la lumière et du bonheur, thèmes qui assureront la cohérence du cycle

dans Les Fleurs du Mal. Nous connaissons cinq billets anonymes envoyés par Baudelaire;

le sixième, signé, date du 18 août 1857, deux jours avant le procès des Feurs du Mal, lui

demandant d’intervenir auprès d’amis influents. Baudelaire lui disait, se referant à son

recueil « tous les vers compris entre la page 84 et la page 105 vous appartiennent », c'est-à-

dire neuf poèmes. Le ton de ces billets, surtout dans la période 1853-1854, manifeste un

amour naïf, respectueux, idéaliste : Mme Sabatier est la Dame des pensées de Baudelaire,

sa conscience : « Vous faites le bien même sans le savoir, même en dormant, simplement

en vivant ».34 Les indications fournies par ces billets aident à comprendre les poèmes du

cycle, la véritable mythologie construite par Baudelaire.

Dans ces poèmes, on parle d’abord du thème de la santé, de la beauté, de

l’allégresse physique, parfois jugée insolente, qui enivre le poète, mais qu’il voudrait

parfois punir. Le mythe de Mme Sabatier dans le cycle signifie aussi la lumière spirituelle

qui console et qui sauve le poète, mais qui triomphe également dans le souvenir. Une lettre

du 31 août 1857 révèle que Mme Sabatier est devenue la maîtresse de Baudelaire, mais

qu’il a été incapable de surmonter la déception de la réalisation charnelle ; c’est toujours le

même péché, la même impuissance dès que l’amour devient charnel. La mythologie

spirituelle qu’élabore Baudelaire est en fait un lamentable fiasco. Mme Sabatier a souffert

de cette dérobade, mais est restée son amie : elle sera une des premières à son chevet, à son

retour de Bruxelles, malade.

b. Les dix-huit poèmes de La Revue des Deux Mondes

Le 1er juin 1855, paraissent dans La Revue des Deux Mondes, sous le titre Les

34 Crepet, Jaques, op. cit., p. 107

27

Page 28: licenta Baudelaire Iuliana

Fleurs du Mal, précédés d’une épigraphe empruntée à d’Aubigné, dix-huit poèmes. Le titre

avait été mentionné par Baudelaire - qui employait souvent fleurs pour poèmes - dans une

lettre du 7 avril 1855 à Victor de Mars, secrétaire de la Revue, mais, aux dires

d’Asselineau, « celui qui donna le titre définitif, Fleurs du Mal, c’est Hippolyte Babou, je

m’en souviens très bien, un soir au café Lemblin, après une longue enquête sur ce sujet »35.

En tout cas, Baudelaire en a adopté, à cause du caractère pétard. Ce titre a surtout, en effet,

un sens esthétique, superficiel. Si on lui accorde un sens moral - évasion dans le Mal, où

l’homme force ses limites - il ne recouvre que partiellement le sens du drame décrit par le

recueil dans son ensemble et ne convient vraiment qu’à la section qui porte justement ce

titre et qui dit les raffinements du Mal — sadisme, perversions, débauche — par lesquels

l’homme cherche à échapper à l’ennui, mais non sans un sentiment de culpabilité.

Les dix-huit poèmes sont numérotés. Baudelaire désirait en effet, comme il le dit

dans sa lettre à Victor de Mars, « qu’ils se fassent pour ainsi dire suite ». Leur ordre est

donc signifiant :

N° 1. Au Lecteur; la pièce conservera cette place, avant le premier des titres

secondaires. Elle montre l’humanité entière livrée au Mal et au Démon.

N° 2. Réversibilité ; ce titre est emprunté à Joseph de Maistre : la seule possibilité de salut

ne peut venir que de l’intercession d’âmes saintes comme Mme Sabatier.

N° 3. Le Tonneau de la haine ; dit l’inassouvissement de la haine.

N° 4. Confession ; ce poème avoue la fragilité de l’entente des cœurs.

N° 5. L’Aube spirituelle ; en contraste avec le précédent, ce poème est consacré à la

spiritualité de l’amour ; il montre le réveil de l’ange dans la brute assoupie.

N° 6. La Volupté deviendra La Destruction dans Les Fleurs du Mal

N° 7. Un Voyage à Cythère ; comme la précédente, cette pièce est consacrée à l’Amour

corrupteur.

N° 8. A la Belle aux cheveux d’or deviendra L’Irréparable dans le volume, pièce

consacrée aux ténèbres et à la permanence du remords.

N° 9. L’invitation au voyage.

N° 10. Moesta et errabunda.

N° 11. La Cloche deviendra La Cloche fêlée dans le recueil

35 Ibidem, page 109

28

Page 29: licenta Baudelaire Iuliana

N° 12. L’Ennemi

N° 13. La Vie antérieure.

Cette série des pièces 9 à 13 manifeste une alternance des plaintes, des retours

douloureux sur soi-même, avec des appels nostalgiques vers des pays imaginaires, paradis

des amours enfantines ou mystère d’une vie antérieure.

N° 14. Le Spleen deviendra De Profundis clamavi dans Les Fleurs du Mal.

N° 15. Remords posthume.

N° 16. Le Guignon.

N° 17. La Béatrice, ensuite Le Vampire

N° 18. L’Amour et le crâne.

Cette série des pièces 14 à 18 dit le désespoir, se termine par une malédiction de

l’amour. L’Amour et le crâne sera la conclusion de la section Fleurs du Mal dans les deux

éditions de 1857 et 1861 ; il est déjà celle des dix-huit poèmes ; conclusion désespérée :

« Laissez-moi me reposer dans l’amour/ Mais non, l’amour ne me reposera pas./ La

candeur et la bonté sont dégoûtantes./ Si vous voulez me plaire et rajeunir les désirs,/ soyez

cruelle, menteuse, libertine, crapuleuse et voleuse ;/ et si vous ne voulez pas être cela,/ je

vous assommerai, sans colère./ Car je suis le vrai représentant de l’ironie,/ et ma maladie

est d’un genre absolument incurable. »36

Il faut surtout noter le caractère noir de cette publication, dont le pessimisme

est à peine atténué par l’intervention de quelques touches lumineuses : L'Aube spirituelle,

L’Invitation au voyage, La Vie antérieure. Cette publication noire coïncide avec le

moment où l’admiration de Baudelaire pour Joseph de Maistre est à son comble « le grand

génie de notre temps, un voyant » et où il loue Edgar Poe d’avoir « vu clairement, et

imperturbablement affirmé la méchanceté naturelle de l’homme ». 37

c. La période 1855-1857

Après cette publication, Baudelaire continue de mener une vie besogneuse et

moralement tourmentée. Il pourrait gagner largement sa vie avec sa plume, s’il était plus

36 Adam, A., op. cit., page 11237 Mourot, Jean, op. cit, page 111

29

Page 30: licenta Baudelaire Iuliana

régulièrement laborieux et moins exigeant avec lui-même. II a renoué avec Jeanne Duval à

la fin de 1855, et de nouveau rompu en septembre 1856. Ce dont témoigne sa

correspondance, dans cette période, c'est son aspiration, sans y parvenir, à une vie régulière

: « Je ne veux pas voir venir la vieillesse sans une vie régulière, je ne m’y résignerai

jamais »38. En 1856, le 12 mars, Baudelaire publie les  Histoires extraordinaires de Poe,

l’année suivante, en mars, les  Nouvelles Histoires extraordinaires, puis, en avril 1857,

paraissent, dans La Revue Française, neuf poèmes et plus tard, en mai, autre trois. Le 25

juin de cette année 1857, a lieu la mise en vente des Fleurs du Mal.

3. L’édition de 1857

a. L’ « architecture secrète » du recueil

La publication du recueil fut longtemps en projet pour Michel Lévy, puis,

brusquement, Baudelaire accepte les propositions de Poulet-Malassis. Le poète était très

préoccupé par l’ordre à y introduire, fondé surtout sur la qualité des pièces, mais il

insistera sur l’ordre même de la matière, d’où ressort « une terrible moralité ». « Les

artistes qui voient les lignes sous le luxe et l’efflorescence de la couleur percevront très

bien qu’il y a ici une architecture secrète, un plan calculé par le poète méditatif et

volontaire. Les Fleurs du Mal ne sont pas à la suite les unes des autres comme tant de

morceaux lyriques, dispersés par l’inspiration et ramassés dans un recueil sans d’autre

raison que de les réunir. Elles sont moins des poésies qu’une œuvre poétique de la plus

forte unité. Au point de vue de l’art et de la sensation esthétique, elles perdraient donc

beaucoup à n’être pas lues dans l’ordre où le poète, qui sait ce qu’il fait, les a rangées.

Mais elles perdraient bien davantage au point de vue de l’effet moral ».39

L’architecture secrète des Fleurs du Mal est censée mettre en place l’unité

thématique et narrative d’une descente aux enfers, provoqué par la faillite de l’amour et de

l’idéal et par divers vices autodestructeurs. Baudelaire ne croit pas ni dans le progrès ni

dans la continuité historique. Les Fleurs du Mal sont tout sauf l’épopée de l’interpretabilité

38 Ibidem, page 11339 Ibidem, page 115

30

Page 31: licenta Baudelaire Iuliana

de la vie.

Pourtant, malgré les suggestions de l’auteur, lire l’ouvrage comme un drame avec

dénouement serait leur imposer une téléologie morale contraire à ce qu’elles ont de plus

original : leur manière de rompre avec les grands schémas narratifs. Sur ce point,

l’ambivalence de Baudelaire lui-même est remarquable ; il oscille entre la recherche d’une

plénitude du sens et le doute sur sa possibilité. Cet ordre est à posteriori, comme chez

Balzac : les poèmes des Fleurs du Mal n’ont pas été composés en vue d’un ordre, mais on

remarque les tempéraments vigoureux qui impriment aux ouvrages de l’esprit, composés

au hasard des circonstances, une unité fatale et involontaire. Ce qu’il faut découvrir, c’est

une unité générale, plutôt qu’un ordre logique, continu, et ne pas vouloir le serrer de trop

près. Baudelaire insistera, en tout cas, sur cet ordre : « Le seul éloge que je sollicite pour ce

livre est qu’on reconnaisse qu’il n’est pas un pur album et qu’il a un commencement et une

fin ». 40

Chef d’œuvre de Baudelaire, ses Fleurs du Mal de 1857 sont à l’image des tensions

et de la dynamique qui animent l’esprit de la modernité.

b. Première section : Spleen et Idéal

Dans cette section, le poète décrit avec autant de patience que de cruauté « la

double nature de son être, déchiré entre sa soif d’une idéalité perdue et les tourments du

quotidien, qu’il nomme ennui et guignon, et surtout spleen, le mot anglais qui traduit la

diversité de ses souffrances morales et physiques »41.

Bénédiction parle sur le destin du poète, maudit et haï de son entourage, mais les

yeux fixés sur une lumière à laquelle il est promis, grâce à la souffrance rédemptrice. C’est

en effet sur le destin du poète qu’est centrée l’édition de 1857 ; aussi bien le recueil se clôt

sur La Mort des artistes.

Les pièces suivantes chantent le destin terrestre du poète ; ce destin garde une

signification mystique, car la mission et le privilège du poète et de l’artiste est de

transfigurer les choses. J’aime le souvenir de ces époques nues c’est l’évocation d’un

40 Hollier, Denis, De la littérature française, Ed. Bordas, Paris, 1993, page 3841 Barberes, Dominique et Rince, Dominique, op. cit., p. 68

31

Page 32: licenta Baudelaire Iuliana

univers plus beau susceptible d’abolir les laideurs quotidiennes. Les Phares définit la

fonction de l’artiste. Le vocabulaire des trois dernières strophes — écho, cri, ordre, phare,

appel — dévoile dans l’art un témoignage de la dignité humaine ; la pièce proclame la

signification morale de l’art transfigurateur.

II existe un lien visible entre les cinq poèmes qui suivent Les Phares: La Muse

malade, La Muse vénale, Le Mauvais Maine, L’Ennemi, Le Guignon ; ils forment une série

sombre, consacrée aux insuffisances et aux échecs de l’artiste.

Les six poèmes suivants représentent le chant de l’évasion vers des vies

imaginaires – La Vie antérieure, Bohémiens en voyage - ou de l’évasion par l’orgueil et le

désir d'infini – Don Juan aux enfers, Châtiment de 1’orgueil - enfin de l’évasion vers des

types différents de Beauté – La Beauté, L’idéal, La Géante.

Une autre évasion est celle de l’amour charnel – dans le cycle dit de Jeanne Duval.

Il commence avec Les Bijoux et se termine avec Je te donne ces vers.... . II comprend seize

poèmes : ceux de 1861, plus deux pièces supprimées : Les Bijoux, Le Léthé, moins La

Chevelure,  Duellum, Le Possédé, Un Fantôme. L’amour charnel est un Idéal qui arrache

le poète au Spleen et l’aide à franchir ses limites ; c'est un mal qui témoigne malgré tout

d’une grandeur : « O fangeuse grandeur ! Sublime ignominie ! ».

Les neuf poèmes suivants concernent expressément Mme Sabatier, au témoignage

de Baudelaire lui-même. Ce cycle va de Tout entière au Flacon, avec le poème A celle qui

est trop gaie, supprimé depuis; s’y ajoutera, en 1861, Semper eadem. Cette série oppose

l’amour angélique à l’amour charnel.

Vient ensuite le cycle de Marie Daubrun, qui comprend sept poèmes, du Poison

à Causerie; il participe de façon ambiguë de l’amour charnel et de l’amour angélique.

Ces trois cycles n’en forment en réalité, du point de vue de l’esprit du recueil,

qu’un seul : celui de l’Amour, considéré dans ses rapports avec le Bien et le Mal.

Mais l’amour a, chez Baudelaire, un caractère satanique, il est destruction et

autodestruction « quand même les deux amants seraient très épris et très pleins de désirs

réciproques, l’un des deux sera toujours plus calme ou moins possédé que l’autre. Celui-là,

ou celle-là, c’est l’opérateur, ou le bourreau ; l’autre, c’est le sujet, la victime. […] Moi, je

dis : la volupté unique et suprême de l’amour gît dans la certitude de faire le mal » 42.

42 Dntec, Le Y-G, op. cit., p. 119

32

Page 33: licenta Baudelaire Iuliana

Les trois pièces suivantes, Franciscae meae laudes, A une Dame Créole, Moesta et

errabunda, concernent des femmes diverses. Elles semblent s’opposer à la conclusion

désespérée de L’Heautontimoroumenos ; la première chante l’amour purificateur, la

seconde et la troisième la nostalgie des figures de femmes aperçues dans l’enfance et la

jeunesse.

Les Chats et Les Hiboux, qui viennent ensuite, semblent avoir été réunis à cause

de leur titre animalier. Le second, qui reprend le thème pascalien du repos, servait de

conclusion aux onze poèmes des Limbes publiées en 1851; en indiquant, peut-être, le

remède aux agitations suscitées par la passion.

Les sept poèmes suivants – La Cloche fêlée, les quatre Spleen, Brumes et

pluies, L’Irrémédiable - développent les thèmes de l’échec, de la culpabilité, du remords,

de l’ennui, et se terminent par l’affirmation que l’existence, c’est le Mal, et la conscience

dans le Mal ; c’est-à-dire que la condition humaine est une damnation, et la conscience

lucide qui constate cette damnation est une damnation. Ces sept poèmes sont comme la

conclusion de la partie la plus grave et la plus sombre de Spleen et Idéal.

Les pièces qui suivent n’ont pas l’unité des précédentes ; et on échouerait à y

découvrir quelque ordre. Quatre pièces sont, par anticipation, des Tableaux parisiens, et

seront, en effet, rangées sous ce titre dans la seconde édition ; ainsi que les deux suivantes,

bien qu’elles ne correspondent, par leur contenu et leur esprit, à aucun des deux litres, ni à

celui du recueil total.

Les quatre poèmes suivants – Le Tonneau de la haine, Le Revenant, Le Mort

joyeux, La Sépulture - ont le ton paroxystique et macabre de la poésie Jeune France, et

semblent avoir été placés là pour créer un contraste avec les rêveries apaisantes, diversions

et consolations du poète, que chantent les trois derniers poèmes de Spleen et Idéal:

Tristesses de la lune, La Musique et La Pipe.

L’ensemble de ces poèmes justifie le titre Spleen et Idéal. II existe bien un

équilibre, un contraste. Mais le Mal l’emporte toutefois, inspirant le plus grand nombre de

poèmes ; il est à l’origine du Spleen, se retrouve dans l’évasion même de l’Idéal, si bien

que son règne est total. Et c’est la conscience que le poète a du destin qui est la source de

son chant, défini dans l’épître à Sainte-Beuve : « L’art cruel qu’un Démon, en naissant,

m’a donné, / De la douleur pour faire une volupté vraie, / D’ensanglanter son mal et de

33

Page 34: licenta Baudelaire Iuliana

gratter sa plaie. »43

Ces vers fournissent peut-être le moyen de justifier le sens du titre Fleurs du Mal.

On observera que les trois poèmes terminaux donnent une note qui n’est pas désespérée :

malgré ses douleurs, et dans ses douleurs mêmes, l’art et la rêverie poétique procurent à

Baudelaire – car il s’agit surtout dans cette édition de 1857 du destin du poète –

consolation et apaisement, et justifient les promesses de Bénédiction : « Soyez béni mon

Dieu, qui donnez la souffrance. »

b. Deuxième section : Fleurs du Mal

Cette section s’ouvre par la pièce La Destruction, qui y joue le même rôle que

Bénédiction dans la première. Baudelaire y éclaire et justifie son propos ; dans ce poème

qui avait d’abord pour titre La Volupté, il dit sa complicité, par le « désir éternel et

coupable » avec ceux et celles qui se sont voués au Mal par la Volupté ; par la Volupté qui

est une tentative d’évasion désespérée et inefficace.

La section comprenait douze poèmes, dont trois ont été supprimés depuis –

Femmes damnées, Lesbos, Les Métamorphoses du vampire. Comme les pièces consacrées

au sadisme – Une Martyre - aux perversions sexuelles, Les Deux Bonnes Sœurs et  La

Fontaine de sang confirment le caractère d’évasion désespérée. Allégorie, pièce de 1842,

qui célébrait la beauté du corps, prend dans ce contexte un sens autre que païen ; elle dit

l’abandon – envers et contre tout – à la volupté. Le Voyage à Cythère suggère, par le

patibulaire symbolique, que l’île expie par sa déchéance le culte de Venus. L’Amour et le

crâne, qui terminait la publication de la Revue des Deux Mondes, dégage la moralité de

l’ensemble : l’Amour est une illusion ; mais une illusion qui laisse l’être qui cède à la

volupté déchiré et pantelant.

c. Troisième section : Révolte

C’est le chapitre le plus bref du recueil ; avec La Mort, il ne contient que trois

pièces : Le Reniement de saint Pierre, Abel et Caïn, Les Litanies de Satan.

43 Mourot, Jean, op. cit., p. 120

34

Page 35: licenta Baudelaire Iuliana

Révolte représente dans le recueil la postulation satanique, autre forme

métaphysique de l’évasion. Une pièce comme Don Juan aux enfers aurait pu y figurer.

d. Quatrième section : Le Vin.

Cette section contient cinq poèmes : L’Âme du vin, Le Vin des chiffonniers, Le Vin

de l’assassin, Le Vin du solitaire, Le Vin des amants. A cette place la section signifie une

consolation et un remède : l’oubli du mal qu’on a commis ou dont on souffre.

e. Dernière section : La Mort

Trois pièces constituent cette section : La Mort des amants, La Mort des

pauvres, La Mort des artistes. Chacune se termine par une ouverture sur une résurrection

et une vie nouvelle. La Mort des artistes clôt le recueil sur le destin du poète et rejoint

ainsi le thème de Bénédiction.

L’ordonnance du recueil de 1857 est fondée sur les rapports de l’homme avec le

Mal. L’action du Mal n’y est pas montrée selon une progression continue. Spleen et Idéal

se termine sur des rêveries de diversion ; Fleurs du Mal et Révolte disent l’évasion par

l’obéissance à la postulation satanique ; Le Vin et La Mort l’évasion vers le paradis des

rêves et les cieux inconnus.

La conclusion du recueil de 1857 est donc relativement optimiste. Tout autre sera

la signification de l’édition de 1861.

4. Période 1861 – Le procès des Fleurs du Mal

Tirée à 1300 exemplaires, cette première édition obtient un succès mêlé de

scandale. Gustave Bourdin, dans un article de Figaro, écrit  « L’odieux y coudoie

l’ignoble ; le repoussant s’y allie à l’infect. [...] Ce livre est un hôpital ouvert à toutes les

démences de l’esprit, à toutes les putridités du cœur ; encore si c’était pour les guérir, mais

elles sont incurables ».44

44 Crepet, Jaques, op. cit., p. 124

35

Page 36: licenta Baudelaire Iuliana

Le journaliste désigne en particulier quatre pièces : Le Reniement de saint Pierre,

Lesbos et les deux poèmes Femmes damnées. Selon Baudelaire, c’est cet article qui attira

sur le recueil les foudres de la justice.

Le 7 juillet, un rapport rédigé par le Ministère de l’Intérieur dénonce à la fois les

blasphèmes qui portent atteinte aux croyances religieuses incriminant les pièces: Le

Reniement de saint Pierre, Abel et Caïn, Les Litanies de Satan, Le Vin de I’ assassin, et

l’érotisme de certains tableaux.

L’auteur et ses éditeurs sont traduits en police correctionnelle, et le

procureur général demande la saisie de l’ouvrage. Tandis que Baudelaire cherche des

protections, et que ses amis - Edouard Thierry, Frederic Dulamon, Barbey et Charles

Asselineau - écrivent en faveur du recueil, le juge d’instruction signale les poèmes retenus

pour atteinte à la morale religieuse et atteinte à la morale publique ; ce sont les treize

pièces suivantes : Le Reniement de saint Pierre, Abel et Caïn, Les Litanies de Satan, Le

Vin de l’Assassin, Les Bijoux, Sed non satiata, Le Léthé, A celle qui est trop gaie, Le Beau

Navire, A une Mendiante rousse, Lesbos, Femmes damnées, Les Métamorphoses du

vampire.

Le 20 août, il se présente à l’audience de la sixième Chambre correctionnelle, «

devant laquelle étaient traduits escrocs, souteneurs et prostituées. »45 Le jugement est rendu

le jour même ; outre les amendes, le tribunal ordonne la suppression de 6 pièces : Les

Bijoux, Le Léthé, A celle qui est trop gaie, Lesbos, Femmes damnées, Les Métamorphoses

du vampire.

Baudelaire n’a cessé de protester contre cet arrêt, qui l’a meurtri, humilié. II écrit

dans Mon Cœur mis à nu : « Histoire des Fleurs du Mal, humiliation par le malentendu, et

mon procès ». Ce qu’il ne peut admettre, c’est la condamnation d’un artiste par des juges,

et surtout leur incompréhension de la véritable signification du recueil, ce « livre atroce »,

dont il a mis tout son cœur. Ce que l’irrite par-dessus tout, c’est de s’entendre reprocher

son réalisme, ce qui est alors synonyme de scandale. Champfleury le lui avait prédit avant

l’audience « Vous serez certainement accusé de réalisme. » 46

C’est pourquoi Baudelaire veut réagir, donner une nouvelle édition, pour laquelle il

45 Adam, A., op. cit., p. 12446 Dantec, Le Y-G, op. cit., p. 126

36

Page 37: licenta Baudelaire Iuliana

écrit plusieurs projets de préface. Dans le plus ancien, attesté dès 1858, il se justifie en

dénonçant violemment l’hypocrisie et la bêtise de ses contemporains : « La France traverse

une phase de vulgarité. Paris, centre et rayonnement de bêtise universelle. [...]Le grand

homme est bête. Mon livre a pu faire du bien. Je ne m’en afflige pas. Il a pu faire du mal.

Je ne m’en réjouis pas. [...]On m’a attribué tous les crimes que je racontais »47

Si son sentiment de l’échec a pu être renforcé encore par sa situation

financière catastrophique, et par sa rupture avec Mme Sabatier, qu’il est incapable d’aimer

charnellement, il n’en reste pas moins vrai qu’il est loin d’être abattu, et que l’accueil

réservé aux Fleurs du Mal l’a stimulé. II a le sentiment d’être devenu un homme public, et

la période qui sépare la première de la deuxième édition est féconde en publications.

Quelques jours après le procès, le 24 août 1857, la revue Le Présent publie, sous le

titre Poèmes nocturnes, six poèmes en prose : Le Crépuscule du soir, La Solitude,  Les

Projets,  L’Horloge,  La Chevelure et L’Invitation au voyage. On voit mal le lien de ces

pièces avec le titre choisi, que Baudelaire conservera jusqu’au moment où il s’arrêtera au

titre neutre de Poèmes en prose, en novembre 1861, dans Revue fantaisiste. Même si les

thèmes sont différents, quatre de ces poèmes ont des titres identiques à des pièces

des Fleurs du Mal.

Dans le dernier trimestre de l’année 1857, il donne plusieurs morceaux de critique:

Quelques caricaturistes français ; Quelques caricaturistes étrangers; une étude sur

Madame Bovary. Le 15 novembre, dans la revue Le Présent, paraissent deux pièces qui

trouveront place dans la seconde édition des Fleurs du Mal: Paysage parisien, Une

Gravure de Mortimer, à coté d’autres poèmes, comme Hymne et La Rançon.

L’année 1858 est un peu moins riche ; Baudelaire donne un nouveau volume de la

traduction d'Edgar Poe et poursuit la publication des Paradis artificiels, avec Le Poème du

Haschisch, dans lequel il confirme le lien qu’il établit entre le Mal et le goût de l’infini :

« Hélas ! les vices de l’homme, si pleins d’horreur qu’on les suppose, contiennent la

preuve de son goût de l’infini ; seulement, c’est un goût qui se trompe souvent de route. »48

II ne publie qu’un seul poème : Duellum, le 19 septembre, dans L’Artiste.

Baudelaire avait d’abord pensée remplacer les six pièces condamnées pour boucher les

47 Adam, A., op.cit., p. 12648 Dantec, Le Y-G, op. cit., p. 127

37

Page 38: licenta Baudelaire Iuliana

trous de l’édition des Fleurs du Mal gâché par le procès. Un an plus tard il projette d’y

insérer vingt pièces nouvelles.

Aussi les publications de l’année 1859 sont abondantes. Baudelaire fait paraître

douze poèmes, dont Le Voyage, L'Albatros, La Chevelure, qui seront déterminants pour

l’architecture et le sens de la seconde édition des Fleurs du Mal.

Des traductions et des essais de cette année 1859, se détachent surtout le compte

rendu de La Double Vie de Charles Asselineau et l’étude sur Théophile Gautier, publié

d’abord dans L’Artiste du 13 mars, puis en plaquette, chez Poulet-Malassis, au mois de

novembre, précédé d’une lettre de Victor Hugo, qui remercie Baudelaire pour les vers

saisissants qu’il lui dédie – Les Sept Vieillards  et Les Petites Vieilles – en ces termes

: « Vous dotez le ciel de l’Art d’on ne sait quel rayon macabre. Vous créez un frisson

nouveau ».49

Toutes ces productions augmentent la réputation littéraire de Baudelaire et

améliorent sa situation financière : c’est une période sereine, une pause dans sa

détresse. Mais très vite, Baudelaire retombe : ses relations avec Jeanne Duval, malade –

elle souffre d’une forme de paralysie – sont difficiles ; les dettes l’assaillent de nouveau, et

surtout le mal vénérien, dont il se croyait débarrassé, progresse, ce qui le rend encore plus

dépendant du laudanum. Les mois qui précèdent la publication de la seconde

édition des Fleurs du Mal sont assez sombres ; en décembre 1860, l’idée du suicide le

hante encore ; il se sent « attaqué d’une espèce de maladie à la Gérard».50

Dans l’année 1860, Baudelaire publie, en édition pré originale, seize pièces qui

entreront dans Les Fleurs du Mal.

Baudelaire a assez de matière pour une deuxième édition des Fleurs du Mal. II

avait passé, le 1er janvier 1860, avec Poulet-Malassis, installé à Paris, un contrat pour un

tirage à 1500 exemplaires chacun, de cette nouvelle édition, des Paradis artificiels et de

deux volumes d’essais critiques, Opinions littéraires et Curiosités esthétiques. C’est

vers cette époque aussi – février 1860 – que Baudelaire assiste aux concerts dirigés par

Wagner à Paris ; il retrouve dans sa musique « la lutte des deux principes qui ont choisi le

cœur humain pour le principal champ de bataille, c’est-à-dire de la chair avec l’esprit, de

49 Ibidem, p. 12850 Crepet, Jaques, op. cit., p. 129

38

Page 39: licenta Baudelaire Iuliana

l’enfer avec le ciel, de Satan avec Dieu »51

La revue L’Artiste publie, le 1er février 1861, Danse macabre, avec cette note : «

Une nouvelle édition des Fleurs du Mal va paraître, qui renfermera un grand nombre de

pièces inédites dans le caractère général de l’œuvre primitive, ainsi qu’on peut en juger par

cette Danse macabre »52. C’est le 9 février 1861 que la Bibliographie de la France

enregistre le volume de la seconde édition originale des Fleurs du Mal, augmentée de

trente-cinq poèmes nouveaux.

5. L’édition de 1861

Baudelaire souligne l’ordre du recueil plus énergiquement qu’en 1857. II ira même

jusqu’à dire et la répéter que ces poèmes nouveaux ont été écrits en fonction « du cadre

singulier » qu’il avait choisi. En fait, certains parmi ces poèmes nouveaux, par exemple

L’Albatros ou Paysage, étaient de composition ancienne. L’ordre général est le même

qu’en 1857 ; c’est le sens qui a changé, et le ton.

a. Première section : Spleen et Idéal

Face aux menaces du monde du spleen, la première partie des Fleurs du Mal ne

cesse d’opposer les images où « les mirages du monde rêvent de l’idéal. Pureté, liberté,

innocence, tels sont les mots qui peuvent décrire cet univers jamais vraiment présent, mais

vers lequel le poète adresse tous ses efforts et tous ses espérances ».53

Au Lecteur et Bénédiction restent à leur place, cette seconde pièce ouvrant Spleen

et Idéal. Le Soleil passera dans les Tableaux parisiens et sera remplacé par L’Albatros, qui

correspond plus exactement au thème du privilège du poète associé à sa malédiction

terrestre.

51 Dantec, Le Y-G, op. cit., p. 13052 Mourot, Jean, op. cit., p. 12353 Barberes, Dominique et Rince, Dominique, op. cit., p. 132

39

Page 40: licenta Baudelaire Iuliana

Le Masque, qui remplace Les Bijoux, et Hymne à la Beauté complètent le cycle de

la Beauté, beauté souffrante et beauté satanique.

De la pièce XXII à la pièce LXIV, c’est, comme en 1857, le cycle de l’Amour,

enrichi de treize pièces. La Chevelure, après Parfum exotique, et Un Fantôme s’ajoutent

aux poèmes du temps retrouvé dans le cycle de Jeanne Duval, tandis que Duellum et Le

Possédé assurent le côté satanique de la passion charnelle dans ce même cycle. Semper

eadem ajouté en tête du cycle de Mme Sabatier en change le sens par son ton ironique et

pessimiste. Chant d’automne, A une Madone ajoutées à la fin du cycle de Marie Daubrun

accentuent le pessimisme des deux pièces précédentes – L’Irréparable et Causerie. Enfin,

Chanson d’après-midi et Sisina enrichissent le cycle des Femmes diverses, pour lequel Le

Revenant et Sonnet d’automne viennent d’autre part constituer une conclusion sombre et

violente.

Quant à la dernière partie de Spleen et Idéal, elle est profondément modifiée dans

le sens de la désespérance. Les poèmes qui disaient la diversion et qui terminaient Spleen

et Idéal, sont reportés avant les pièces « frénétiques » et « spleenétiques » ;  Brumes et

pluies est enlevé à la série « spleenétique » qui se retrouve renforcée par des poèmes

nouveaux – Obsession, Le Goût du néant,  Alchimie de la douleur, Horreur sympathique.

Les deux Crépuscules, les deux élégies – La servante au grand coeur, Je n’ai pas oublié –

passeront aux Tableaux parisiens. Enfin, après la série « spleenétique »,

L’Heautontimoroumenos et L’Irrémédiable viennent se placer avant L’Horloge pour

constituer, depuis La Cloche fêlée, une conclusion, en douze poèmes, absolument

désespérée : elle dit la damnation sous toutes ses formes qu’est le destin terrestre de

l’homme, pour finir, avec L’Horloge, sur la damnation par le Temps dévorateur qui se joue

de ceux qui veulent tricher avec lui.

b. Deuxième section : Tableaux parisiens

C’est une section nouvelle de dix-huit poèmes : huit sont extraits de Spleen et

Idéal, et dix sont nouveaux ; ils évoquent la poésie de la ville et de Paris sans doute, mais,

en dépit du titre, ne sont pas exclusivement voués à la description. La justification de cette

section dans le cadre général, c’est le drame humain, et le Mal, dont ces tableaux sont le

40

Page 41: licenta Baudelaire Iuliana

décor.

La ville impose à la fois au créateur « le miroir de sa laideur ou de son mal, ou le

mirage du lieu magique, fantasmatique, où se perdre est aussi se retrouver. »54

Les pièces se regroupent d’abord en une série diurne – de Paysage jusqu’au

Squelette laboureur – puis à partir de la pièce Le Crépuscule du soir commence une série

nocturne, terminée par Rêve parisien et Le Crépuscule du matin, qui disent le réveil dans la

réalité plate et quotidienne. La plupart de ces poèmes, en dépit de quelques disparates,

disent la douleur et le Mal. Le Cygne, Les Sept Vieillards, Les Petites Vieilles, Les

Aveugles disent les misères de la ville. Le Crépuscule du soir exprime l’épanouissement du

Mal, et les démons de la nuit ; Le Jeu, L’Amour du mensonge, Danse macabre dépeignent

l’humanité qui s’étourdit diversement pour échapper à la Mort et au néant. Les Tableaux

parisiens correspondent à l’esprit du recueil dans la mesure où la plupart « sont des

tableaux du Mal sous des formes spécifiquement parisiennes » 55

c. Troisième section : Le Vin

Dans l’édition de 1857, la section Le Vin était placée entre Révolte et La

Mort, et signifiait « une des formes de l’évasion, mais aussi la première des grandes

tentations de la chair ».56

Cette fois, elle figure entre Tableaux parisiens et Fleurs du Mal, sans aucune pièce

nouvelle ; le changement de disposition manifeste le changement d’esprit, de la première à

la seconde édition. Dans l’édition de 1857, c’était avec L’Ame du vin, Le Vin des

chiffonniers – pièces anciennes, antérieures à 1843, selon Prarond – ; à leur nouvelle place,

les cinq poèmes changent de sens et les deux premiers détonnent un peu. On devient

surtout attentif au Vin des amants, et au Vin de l’Assassin – les deux pièces disant une

forme désespérée de l’évasion. C’est la même leçon que dans les Paradis artificiels et le

petit poème en prose Enivrez-vous ; ces textes expriment la tentative désespérée, sans

cesse recommencée, pour échapper au Temps et à la condition humaine.

54 Barberes, Dominique et Rince, Dominique, op. cit., p. 12655 Ruff, Marcel, op. cit., p. 13356 Barberes, Dominique et Rince, Dominique, op. cit., p. 128

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Page 42: licenta Baudelaire Iuliana

d. Quatrième section : Fleurs du Mal

Sauf les pièces supprimées, Lesbos, Femmes damnées, les Métamorphoses du

vampire, c’est la même liste qu’en 1857, et le même sens : celui d’une évasion désespérée

par les perversions et la volupté, où l’être est détruit et se détruit. La section est le

« florilège » des vices et péchés de la chair, où les femmes damnées voisinent avec les

créatures du rêve et de légende, désespérant un être qui n’a jamais trop de courage pour

contempler son cœur et son corps sans dégoût.

e. Cinquième section : Révolte

Même liste et même sens qu’en 1857 pour cette section, qui dit la soumission à la

postulation satanique et la revendication métaphysique de l’être soumis à Satan et dressé

contre Dieu. La note sarcastique, à la fois comédienne et sincère, qui ouvrait cette section

en 1857, y est supprimée. Note de précaution, certes, mais où Baudelaire affirmait que, par

fidélité à son douloureux programme, il avait dû « façonner son esprit aux sophismes du

Mal »57, et aux blasphèmes ; ce qui était avouer sa participation à l’esprit de Révolte.

On parle ici du moment de colère contre le Dieu menteur, moment de la

compromission avec Satan, lui aussi victime, marginal et aliéné. Après avoir épuisé, dans

les premières parties de son livre, les tentations, artifices et provocations capables de

s’opposer un moment à la déchirure du spleen et de l’idéal, Baudelaire s’abandonne,

en Révolte, aux « imprécations de l’esprit et aux reniements de l’âme : injures, blasphèmes,

suppliques et litanies dédiées à cette grande figure de la marginalité et de la déchéance :

Satan, prince de l’exil, et Dieu, trahi par le sort ».58

f. Sixième section : La Mort

Au terme de l’itinéraire des Fleurs du Mal, le poète semble avoir épuisé ses forces,

57 Mourot, Jean, op. cit., p. 13458 Lecherbonnier, Bernard et Rince, Dominique, op. cit., p. 52

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Page 43: licenta Baudelaire Iuliana

désirs et tentations pour échapper à sa condition d’homme et de poète maudit. Il invoque

donc la mort comme ultime délivrance ou réconfort : « c’est l’ultime tentation et suprême

artifice ou le pauvre, l’amant et l’artiste confient au miracle d’un dernier voyage, à l’espoir

d’une réconciliation et d’un salut ».59

Trois pièces nouvelles sont ajoutées à la fin de cette section : La Fin de la journée,

Le Rêve d’un curieux, Le Voyage. Elles changent la tonalité de cette conclusion : le recueil

désormais incline beaucoup plus vers le Mal et la corruption de la Nature humaine, et il ne

se termine plus comme avec La Mort des artistes, sur le destin du poète. Les trois derniers

poèmes accuseront la note sombre et donneront à la conclusion une valeur plus générale.

Les trois pièces primitives célébraient dans la Mort l’ouverture sur une vie

nouvelle. Dans La Fin de la journée, elle n’est plus qu’un sommeil apaisant ; dans Le Rêve

d’un curieux, elle apparaît comme un néant, qui rend vaines l’attente et la curiosité

anxieuse ; dans Le Voyage, qui dépeint le monde comme « le spectacle ennuyeux de

l’immortel péché », et comme « une oasis d’horreur dans un désert d'ennui », « le dégoût

de l’existence a tellement envahi le cœur du poète » 60, que la Mort, quel que soit le sort

réservé au-delà, « Enfer ou Ciel, qu’importe », n’apparaît plus que comme une délivrance.

Baudelaire, en 1860, avait imaginé et ébauchée un Epilogue « adressé à la ville de

Paris ». II en reste des fragments. Le poète y a renoncé peut-être parce que cet Epilogue

répétait les Tableaux parisiens et restreignait l’horizon du recueil.

C’est entre 1851, date de la publication, dans Le Messager de l’Assemblée, de dix

poèmes sous le titre collectif Les Limbes, et la publication des dix-huit poèmes,

sous le titre collectif Fleurs du Mal dans la Revue des Deux Mondes, que Baudelaire a

découvert l’esprit qui sera celui du recueil de 1857 et de celui de1861.

La condition humaine est un Mal : il naît du drame de l’homo duplex, du

déchirement entre deux postulations opposées, et crée un malaise moral, dont l’expression

est l’Ennui. Les moments où l’homme se sent transporté vers les « champs lumineux et

sereins » sont rares et précaires. II se sent soumis au Temps, qui le presse, et ne lui permet

pas de se réaliser. En cédant au Mal et au péché, il s’évade de l’ennui et du temps, mais

avec remords et avec le sentiment de se détruire.

59 Barberes, Dominique et Rince, Dominique, op. cit., p. 15860 Mourot, Jean, op. cit, p. 136

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Page 44: licenta Baudelaire Iuliana

L’Esprit du Mal qui inspire à l’homme le recours à la volupté, aux perversions, aux

paradis artificiels, est une manifestation de son goût pour l’infini, donc de sa grandeur;

mais aussi de sa misère, car il sait les limites de sa condition et se perd. L’Esprit du Mal

réveille donc son sens du divin en même temps qu’il assure sur lui la domination de Satan.

C’est en rédigeant, vers 1850-1851, les premiers textes des Paradis artificiels que

Baudelaire a aperçu cette idée, qu’il développe dans Le Goût de l’infini - Le Poème du

Haschisch.

L’existence humaine, lorsqu’on en prend ainsi conscience, apparaît comme une

damnation. Dans le frontispice conçu par Baudelaire et exécuté plus tard par Félicien

Rops, le Mal est devenu la tige, le tronc qui supporte son esthétique et en produit les fleurs.

Le Mal manifeste l’Infini, il éclaire en nous la conscience du divin, il cause la souffrance,

la souffrance qui peut être rédemptrice.

L’édition de 1857 laissait apercevoir quelques remèdes ; la fin de Spleen et Idéal

chantait le recours au rêve qui selon la leçon de Poe était un moyen d’échapper à

l’absurdité de l’existence ; et les trois poèmes de la dernière section chantaient le rêve et

les promesses d’un au-delà lumineux.

Mais entre 1857 et 1860, Baudelaire, sous l’emprise d’une maladie qui doit le

miner, par les effets répétés d’une vie irrégulière, par les déceptions matérielles ou

amoureuses, que ne compense pas une certaine réussite littéraire, s’enfonce dans le

pessimisme. Et, dans le recueil de 1861, les promesses lumineuses ont, incontestablement,

disparu.

CHAPITRE IV : L’UNIVERS THÉMATIQUE BAUDELAIRIEN

EXPRIMÉ DANS SES « FLEURS »

1. L’éternelle lutte entre le Mal et le Bien - le destin du poète

dans une société stérile

Le problème du Mal est au centre des préoccupations du poète au même titre que

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celui du Beau. Comme le beau, le mal se fait d’abord contre ce qui existe. L’un et l’autre

sont des armes de libération ; ils expriment le proteste de l’esprit contre l’asservissement

aux principes et aux circonstances. Le choix du mal fonde « cette morale du refus » qui

éclaire toute son œuvre.

Le Mal baudelairien est ce qui s’oppose à la Beauté, tout en lui étant matière

constituante : « J’ai pétri de la boue et j’en ai fait de l’or »61. Il est représenté par cette

faune superbe et inquiétante qui grouille en le sein du poète, personnifiant ses vices mais

aussi sa propension à créer la Beauté.

Baudelaire tente de saisir un monde où le temps n’a plus aucune prise, et donc où

les essences seules sont un baume qui lui permet de côtoyer enfin l’Idéal de la Beauté. Dès

lors, l’esprit du poète se sépare de son corps. Son esprit est dans le monde des essences,

tandis que son corps restera, en tant que chevillé au temps, et donc à la décrépitude, la

source du vice qu’il dépasse seulement par certains actes de foi poétiques.

Le Mal baudelairien ne s’oppose donc qu’en apparence à l’Idéal de la Beauté, le

drame intime de cette œuvre résidant en le fait que le Mal est une étape nécessaire à

l’appréhension de la Beauté. Le titre de l’œuvre s’éclaire immédiatement dans cette

optique, lui-même étant de nature oxymorique : Les Fleurs du Mal sont le symbole troublé

et inquiétant de cette Beauté douloureuse, vénéneuse, mais essentielle, qui est le but le plus

profond de la quête baudelairienne. Il n’y a de Beauté qu’issue du scandale, et le Mal est le

fondement de ce scandale.

 L’albatros 

Souvent, pour s’amuser, les hommes d’équipage

Prennent des albatros, vastes oiseaux des mers,

Qui suivent, indolents compagnons de voyage,

Le navire glissant sur les gouffres amers.

À peine les ont-ils déposés sur les planches,

61 Decaunes, Luc, Poètes d’aujourd’hui, Charles Baudelaire, Ed. Seghers, Paris, 1952, p. 29

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Page 46: licenta Baudelaire Iuliana

Que ces rois de l’azur, maladroits et honteux,

Laissent piteusement leurs grandes ailes blanches

Comme des avirons traîner à côté d’eux.

Ce voyageur ailé, comme il est gauche et veule !

Lui, naguère si beau, qu’il est comique et laid !

L’un agace son bec avec un brûle-gueule,

L’autre mime, en boitant, l’infirme qui volait !

Le Poète est semblable au prince des nuées

Qui hante la tempête et se rit de l’archer :

Exilé sur le sol au milieu des huées,

Ses ailes de géant l’empêchent de marcher.

Dans Spleen et idéal, Baudelaire analyse deux états opposés que connaît le poète

sinon l’être humain en général : le spleen, souffrance physique et morale, et l’idéal, qui est

l’élan vers le beau. Avec L’albatros, Baudelaire a repris l’idée, chère aux romantiques, du

génie méprisé, du poète incompris et solitaire. Pour Chateaubriand, les poètes étaient des

«chantres de race divine». Pour Vigny, le poète était en butte à la société matérialiste pour

laquelle il est un égaré, un être inutile. Hugo pense que le poète a une mission civilisatrice,

il doit guider les peuples : il est l’annonciateur de l’avenir; un mage. Pour Musset, le poète

est un être souffrant qui offre sa poésie, issue de sa souffrance, au public avide. Baudelaire,

le poète, n’est pas fait pour vivre sur la terre, pour se mêler à une société vouée à l’utilité et

qui ne voit dans la poésie qu’enfantillages. Également, dans L’Albatros, deux sphères

s’affrontent : le monde ici-bas, habité par l’ennui et par Satan, dans lequel le corps reste

immergé, aux prises avec le temps, dans ses vices – incarné par les marins qui se moquent

du magnifique oiseau – et le monde d’en haut, ce monde de l’esprit, habité par l’Idéal de la

Beauté, d’où vient l’albatros.

A la première lecture, L’Albatros paraît comme la narration d’une scène de la vie

en mer, le champ lexical maritime précise cet univers : « hommes d’équipage », « oiseaux

des mers », « le navire », « avirons ». Mais le poème trouve sa source dans « le malaise de

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Page 47: licenta Baudelaire Iuliana

l’écrivain, dans les difficultés propres à sa condition de poète, dans la nouveauté d’une

écriture qui  comprend sans effort le langage des fleurs et des choses muettes »62. On

découvre donc, au-delà de l’anecdote, la signification symbolique et philosophique du

poème.

L’Albatros illustre la dualité de l’être humain cloué au sol et aspirant à l’infini en

évoquant un oiseau qui tiens son nom de la réunion des racines «alba» - «blanc» et «atro»

- «noir», en suggérant la réunion de la pureté de l’idéal et l’obscurité intellectuelle et

morale des gens communs, parmi lesquels le poète vit. Les marins s’amusent à ses dépens

et le maltraitent, ainsi l’albatros fait l’image du Poète, cet incompris qui, lui aussi, est crée

pour un autre monde que celui dans lequel il évolue, et paraît ridicule et inadapté face aux

êtres humains.

Devant les quatre strophes d’alexandrins, on pourrait croire qu’on a affaire à un

sonnet. Mais elles sont toutes des quatrains. Cependant, la composition ressemble bien à

celle d’un sonnet : les trois premières strophes s’opposent en effet à la dernière, chacune,

dans cette démonstration en forme, contenant une idée centrale. Puis le poème aboutit à

une véritable chute.

Le premier vers suggère un fait habituel, ce qui arrive souvent aux albatros

capturés par « les hommes de l’équipage ». Ils nous apparaissent comme une communauté,

de façon indifférenciée et se définissent par leur situation – ils appartiennent au monde des

« planches ». L’auteur les caractérise par la pipe, volontairement désigné par un terme

vulgaire, « brûle-gueule ». La cruauté des marins et leur méchanceté sont soulignées par le

motif de la capture : « pour s’amuser ». Un monde trivial, grossier, fruste qui contraste

avec l’image de l’albatros.

D’autre coté, l’importance accordée aux albatros se lit dans la place que tiennent

les périphrases. L’épithète «vastes» permet de projeter l’ampleur et l’immensité de la mer

sur l’albatros : il en prend analogiquement les dimensions et les projette sur le poète qu’il

représente. La périphrase donne une impression d’ampleur, de majesté, de noblesse, de

force, de supériorité de l’oiseau qui, dans le ciel, domine les éléments de la mer,

62 Carlier, Marie, Dubosclard, Joel, Les Fleurs du Mal, Le Spleen de Paris par Baudelaire, Coll. « Profil

Littérature », Série « 20 poèmes expliquées », Ed. Hatier, Paris, 1992, p. 5

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impression confirmée par les syntagmes « ces rois de l’azur » et « ce voyageur ailé » et

prises par le symbole représenté. « L’Oiseau, Le Poète, la mer, le ciel où plane l’albatros

se correspondent dans leur infini grandeur ».63 Pourtant, ces oiseaux suivent des navires,

car c’est pour eux un moyen facile de trouver leur subsistance, ce qui est à mettre en

parallèle avec le recours que le poète doit faire à la société, recours qui lui rend d’autant

plus difficile la poursuite de l’idéal. L’adjectif «indolents » - du syntagme « d’indolents

compagnons de voyage» - convient donc au poète qui est comme absent de la réalité

commune, qui ne s’intéresse pas aux soucis habituels des êtres humains, qui domine avec

hauteur leur mêlée confuse ; la succession des diphtongues sourdes «in», «en», «om»,

«on» ralentit le rythme pour bien suggérer ce que la présence des albatros a d’involontaire.

Dans ce vers, la coupe irrégulière donne moins d’importance à l’action, à l’impulsion,

qu’au planement, qu’à la majestueuse indifférence. La liquidité, la souplesse, l’aisance,

l’effet d’allongement – par la prononciation des « e » muets : «qui suivent », « vastes

oiseaux des mers » et par la prédominance des consonnes liquides et sifflantes : « le navire

glissant sur les gouffres amers » -  font bien sentir la facilité de la course douce et rapide

du voilier, la fluidité de l’air et de l’eau. La profonde masse d’eau salée représente les

souffrances, le mal dont le navire - la société - ne se soucie pas, se contentant de glisser à

la surface. On peut alors remarquer que cette strophe, où, de vers en vers, le rythme

s’amplifie, est constituée d’une longue phrase qui épouse à la fois le mouvement de

l’albatros et celui du navire.

La deuxième strophe surprend le renversement de la situation : le « vaste oiseau

des mers » tombe sur le bateau et lui, qui dominait par son envol le ciel, la mer et le navire,

se transforme en victime. Les marins deviennent les maîtres de la situation, ils

« prennent », ils « déposent », les oiseaux, tandis que ceux-là « laissent piteusement » leurs

ailes « traîner à côté d’eux ». « Les planches » du pont suggèrent plus de rudesse, de

grossièreté spécifique au monde de ces gens, mais peut-être aussi les planches de ce

grand théâtre où se joue l’amère comédie humaine, où tous les êtres humains sont acteurs,

les uns bourreaux, les autres victimes. La déchéance de l’albatros est soulignée par de

fortes antithèses : « rois de l’azur » s’oppose à « maladroits et honteux », comme « grandes

63 Décote, Georges, Le commentaire du texte au baccalauréat, Coll. « Profil Formation », Hatier, Paris, 1978,

p. 89

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ailes blanches » s’oppose à « avirons ». Par le retour des «l» liquides, ce vers est imprégné

de mollesse, de faiblesse, d’abandon et de découragement. Enfin, ces «avirons», devenus

des freins et non plus des propulseurs, on les entend racler les planches par la sonorité

qu’impose la liaison dans «traîner-à», au point que ces ailes, elles aussi inutiles et même

gênantes, ne semblent plus leur appartenir. La phrase qui constitue cette strophe est

désarticulée pour rendre la désarticulation dont est victime maintenant l’albatros.

L’action est dramatisée et insiste sur la déchéance de l’albatros par d’oppositions :

entre ce perpétuel errant, «ce voyageur ailé» et «gauche», qui reprend l’idée de «

maladroits » et « veule », entre « beau » et « comique », qui ajoute une idée de faiblesse,

de lâcheté, d’indignité, d’une inadaptation tragique. Soudain, la capture se change en

torture physique – «  l’un agace son bec avec un brûle-gueule » – et surtout morale – « 

l’autre mime, en boitant, l’infirme qui volait ». L’albatros suscite la caricature et le rire

cruel et stupide, en étant perçu comme « comique ». Il se sent humilié par sa gaucherie –

« maladroits et honteux » - avili et dégradé dans le rappel de sa grandeur passée opposée à

sa misère présente : « lui, naguère si beau, qu’il est comique et laid ! ».

Mais l’agacement des marins est né du besoin de divertissement et

d’étourdissement, c’est-à-dire de l’ennui, le seul crime, le seul péché aux yeux de

Baudelaire. Ainsi, la troisième strophe a permis de montrer, à travers les marins, une

humanité triviale, méchante, bestiale, qui prend son plaisir à la souffrance des autres. Une

humanité inhumaine à laquelle échappe le poète.

Le dernier quartet est l’élucidation du symbole. Baudelaire semble se souvenir de

Lamartine qui, traitant le même thème, avait écrit : « Le poète est semblable aux oiseaux

de passage », mais ici, « le Poète » est identifié au « prince des nuées ». Les deux derniers

vers de L’Albatros - « Exilé sur le sol au milieu des huées, / Ses ailes de géant

l’empêchent de marcher » - révèlent le revers douloureux du génie : l’incapacité de

s’adapter aux réalités de la vie ordinaire et un sentiment constant d’exclusion ; la chute du

géant étant suggérée stylistiquement par une rupture de construction et par l’antithèse entre

les deux parties du dernier vers qui existe aussi au niveau phonique, entre la légèreté du

premier hémistiche et la lourdeur du second.

La correspondance opère le passage de l’anecdote à l’allégorie, à la signification

morale et philosophique. La correspondance entre l’oiseau et le poète s’établit grâce à

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Page 50: licenta Baudelaire Iuliana

l’ambiguïté des termes qui désignent l’albatros. Par les biais des périphrases – « indolents

compagnons de voyage », « ces rois de l’azur », « ce voyageur ailé » - on assiste à une

personnification de celui-ci. Le Poète s’identifie à son tour à l’oiseau par le motif de l’aile

– « ses ailes de géant l’empêchent de marcher » - récurrent dans le poème – « grands ailes

blanches », « voyageur ailé ». Cette image assure à la fois l’unité du poème et le passage

de l’anecdote au symbole. « La supériorité morale et spirituelle du poète vis-à-vis du reste

des hommes se trouve toujours liée, chez Baudelaire, à un univers aérien et céleste  - le

poète « hante la tempête » - il connaît donc une exaltation d’ordre spirituel et intellectuel et

se moque des atteintes provenant de la terre : il « se rit de l’archer » qui lui lance des

flèches »64.  D’« indolents » qu’ils sont quand ne se présente à eux que le morne spectacle

de la réalité quotidienne, l’un et l’autre s’animent, apparaissent vifs, hardis, fiers quand ils

ont à faire face à des dangers : « la tempête », les flèches de « l’archer », occasions de

déployer leur force, leur puissance, leur supériorité. Les deux derniers vers, véritable chute

du poème, reçoivent leur dynamisme d’une rupture de construction, d’une anacoluthe.

L’albatros et le Poète sont « exilés sur le sol », la terre n’étant pas leur patrie : ils

n’y sont pas chez eux, ils sont d’étrangers. Et, en tant qu’étrangers, ils ont à subir les «

huées » de la foule. Mais l’anacoluthe permet d’interrompre brutalement la phrase dans sa

tentative d’envol pour mettre en relief le paradoxe : « Ses ailes de géant l’empêchent de

marcher », l’impossibilité de « marcher » devient celle de « fonctionner », d’agir selon les

normes, avec la foule, la célébration de l’orgueil de celui qui ne se peut livrer à des actions

terre à terre, basses, vulgaires, utilitaires. Cette inadaptation à une existence où domine la

médiocrité suscite la moquerie et le rejet des hommes.

La correspondance est bien établie entre les deux termes de la comparaison. De

même que les albatros, ces grands oiseaux marins qui suivent nonchalamment le sillage

des navires, sont beaux et à l’aise dans l’air qui est leur élément naturel et deviennent

gauches et ridicules dès qu’ils touchent le pont, de même le poète, sublime dans le monde

supraterrestre où il se meut, apparaît maladroit et inadapté hors de sa sphère, dans la

société humaine où il ne suscite que moqueries, avanies et attaques. Les deux

comparaisons s’éclairent même mutuellement car, si les malheurs de l’albatros sont une

image de ceux du poète, l’explication qu’on donne de ceux du poète dans le dernier vers

64Dantec, Le Y-G. op. cit., p. 11

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expliquent ceux de l’oiseau.

Baudelaire traite le thème choisi d’une écriture particulière, superposant

constamment deux niveaux différents : l’un réaliste, l’autre symbolique. Le poème est

dynamisé par des oppositions : grandeur et chute, spiritualité et matérialité, ciel et terre,

poète et foule et suggère le thème chrétien de la faute originelle et de la chute qui hante

l’artiste. Mais le symbole apparaît tout au long du poème, ce qui lui donne profondeur : les

marins ne sont présentés que par une périphrase – « les hommes de l’équipage » - le bateau

est premièrement désigné par le terme « navire », puis de manière métonymique et

symbolique, nommant seulement le matériau dont est fait l’une de ses parties – « les

planches ».

Le symbole de l’albatros, en opposant la terre au ciel, l’exiguïté à la grandeur, la

platitude à la profondeur, l’idéal à terre, le quotidien à la poésie, donne une dimension fort

vaste au poème. Mais ce qui frappe surtout c’est l’égoïsme et la méchanceté des créatures

humaines, leur paralysie spirituelle et l’absence en elles du sens du beau comme du sens

du bien.

L’albatros a l’étrange destin de l’homme qui a le mieux compris son temps, la vie

des foules modernes, les aspirations secrètes des êtres les plus humbles, qui a su voir de

quelle substance sont faites les grandes villes et leur habitants misérables. Il est resté

toutefois le « prisonnier de la solitude la plus horrible, de l’Ennui qui est comme une chape

de plomb qui immobilise le poète, l’empêchant d’accéder à l’Idéal ».65 Et pourtant, si

l’ascension vers cet idéal était facile, nul n’aurait besoin de le rechercher. Le Mal

symbolisé par l’ennui n'est donc pas une force immobilisatrice, malgré les apparences,

bien au contraire : cette « immobilisation offre effectivement une dynamique très

puissante, qui va pousser le poète à créer le Beau en tentant d’échapper à tout prix à

l’immobilité âpre et amère de la quotidienneté ». 66

2. La femme baudelairienne, medium vers l’idéal

65 Decaunes, Luc, Poètes d’aujourd’hui, Charles Baudelaire, Ed. Seghers, Paris, 1952, p. 4566 Ibidem, p. 47

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Page 52: licenta Baudelaire Iuliana

Les femmes traversent toute l’œuvre baudelairienne, cristallisant tour à tour

émotions, angoisses, fascinations et répulsions. Suzeraines du cœur et du corps du poète,

elles imposent leur aimable tyrannie et font souvent maudire le plaisir empoisonné qu’elles

distillent.

La femme est la tentation la plus parfaite, celle qui correspond à tous les

phantasmes du poète, celle qui semble lui promettre l’évasion à laquelle il aspire et qui se

confond avec sa propre destruction. Elle est celle à qui Baudelaire dit « Je te hais comme

je t’aime », puisqu’elle porte en elle-même le syncrétisme du Beau et du Vice. Cruelle,

stérile, superbe idole, telle doit être l’amante et c’est « en étant détruit par elle où en la

détruisant, c’est dans la mort seulement que l’amant la rejoindra. »67

Jeanne, Marie et Apollonie, les trois passantes privilégiées de la vie et de la poésie

de Baudelaire, jouent tour à tour les trois rôles imparfaits de la mère, de la sœur et de

l’amante, en l’absence de l’impossible épouse.

Jeanne Duval, la mulâtresse, aura inspiré les poèmes les plus érotiques, ceux aussi

où s’exacerbe la cruauté tantôt contre l’idole, incarnation fascinante du mal, tantôt contre

son esclave, le poète mal aimé et mal aimant. L’extrême artifice s’allie à 1’animalité pour

faire de la femme la tentation la plus parfaite, celle qui correspond à tous les phantasmes

du poète, celle qui semble lui promettre l’évasion à laquelle il aspire et qui se confond avec

sa propre destruction.

Les poèmes inspires par Apollonie Sabatier, dédies « à la très belle, à la très bonne,

à la très chère » font entendre un son plus mélancolique et plus apaisé.

Enfin, un troisième cycle de poèmes amoureux évoque des instants où le poète a pu

croire aux promesses du bonheur, lorsque les yeux gris-verts de Marie Daubrun évoquaient

pour lui les couleurs changeantes d’un ciel brouillé, et lorsque sa démarche dansante le

faisait songer à un beau navire qui prend le large, à ces vaisseaux mystérieux de

l’invitation au voyage.

Mais Jeanne Duval, Apollonie Sabatier, Marie Daubrun sont seulement des noms ;

« la femme de l’œuvre de Baudelaire est multiple et possède tous les charmes : ceux des

ténèbres comme ceux du jour, ceux de 1’enfer comme ceux du ciel, tour à tour ange,

démon, statue, bête, bourreau, amante, bonne sœur ou mère, mais toujours radieuse des

67 Clancier, Georges Emmanuel, op. cit., p. 406

52

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sortilèges de la beauté. » 68

La femme aimée ressemble chez Baudelaire toutes les images contradictoires du

spleen et de l’idéal. Qu’il s’agisse de J. Duval, l’amoureuse sensuelle, ou d’A. Sabatier,

incarnation de la vertu, l’amante baudelairienne est toujours celle qui a donnée à la fois

bonheur ou plaisir, mais elle réveille aussi les angoisses et les souffrances naturelles. « Elle

est le suprême artifice dont le poète a besoin : en son corps et en son cœur il a rendez-vous

avec ses désirs les plus intenses et ses fantasmes les plus obsédants ».69

Parfum exotique

Quand, les deux yeux fermés, en un soir chaud d'automne,

Je respire l'odeur de ton sein chaleureux,

Je vois se dérouler des rivages heureux

Qu'éblouissent les feux d'un soleil monotone;

Une île paresseuse où la nature donne

Des arbres singuliers et des fruits savoureux;

Des hommes dont le corps est mince et vigoureux,

Et des femmes dont l'œil par sa franchise étonne.

Guidé par ton odeur vers de charmants climats,

Je vois un port rempli de voiles et de mâts

Encor tout fatigués par la vague marine,

Pendant que le parfum des verts tamariniers,

Qui circule dans l'air et m'enfle la narine,

Se mêle dans mon âme au chant des mariniers.

Les thèmes majeurs des Fleurs du Mal appartiennent à l’enjeu affectif : l’amour, la

culpabilité, la mort, la mélancolie, autant de lieux ou se joue un rapport passionnel à la

réalité. Parmi ces thèmes, le plus étendu est celui amoureux – de l’érotisme le plus sensuel

68 Ibidem, p. 40769 Barberes, Dominique, Rince, Dominique, op. cit., p. 157

53

Page 54: licenta Baudelaire Iuliana

à l’idéalisme le plus sublime, l’éventail est considérable. Mais, comme tous les grands

poètes d’éros, Baudelaire célèbre: il magnifie la femme désirée pour la rendre présente.

Une présence d’autant plus sensuelle qu’elle s’indique par le plus concret des sens,

l’olfaction, comme dans Parfum exotique.

Ce sonnet ouvre, dans la section Spleen et Idéal, le cycle consacré à Jeanne Duval,

la mulâtresse, qui lui aura inspiré les poèmes les plus érotiques, ceux où s’exacerbe la

cruauté tantôt contre l’idole, incarnation fascinante du mal, tantôt contre son esclave, le

poète mal aimé et mal aimant. Mais ici, la femme s’efface très vite devant la puissance de

son parfum et le mouvement crescendo du sonnet se clôt sur un état d’extase provoqué par

le jeu des correspondances.

L’« attaque » du poème – « quand, les yeux fermés dans un soir chaud d’automne »

- indique les conditions qui concourent à rendre le climat de rêverie à l’origine de la vision.

Le poète a « les yeux fermés » au moment d’un soir d’automne, ce qui invite à la nostalgie.

Eu outre, la chaleur de l’automne évoque des contrées exotiques, donc le climat est crée, et

le rêve est à commencer.

Le motif du « sein chaleureux » présente une fort connotation érotique, mais révèle

aussi l’importance de l’image maternelle, car les femmes de Baudelaire participent à un

mythe fondamental - que les surréalistes reprendront à leur compte - celui de « la femme

initiatrice du Moi, inauguratrice du monde et matrice de la poésie elle-même ».70 Ainsi

l’intimité amoureuse régresse, car le bonheur pour Baudelaire est toujours lié à l’enfance

et, comme le décrivait Th. de Banville, le poète « avait la noblesse, la fierté, l’élégance, la

beauté toutefois d’un enfant et d’un homme »71, pour exprimer le mieux cette liaison et le

passage douce de la sensualité érotique à la protection maternelle.

La magie suggestive du parfum provoque le déploiement de la vision : « quand

[…] je respire […], je vois se dérouler des rivages heureux », évocation qui succède à

l’image de la féminité, donc un paysage exotique vient se substituer à la figure de

l’amante. Elle devient donc seulement une libératrice de l’esprit et de la vision, un prétexte

pour le rêve et ne réapparaîtra qu’une fois à travers son parfum. Le rêve du poète prend

alors un aspect visionnaire et se transforme en un tableau exotique très lumineux souligné

70 Lecherbonnier, Bernard, Rince, Dominique, op.cit., p. 3171 Cosma, Doru, op. cit., p. 165

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par les sensations également visuelles et tactiles – « rivages […] qu’éblouissent », « les

feux » - car il voit la lumière fécondée de ses multiples reflets sur l’eau et sent la chaleur

répandue par les feux. Le soleil et la mer inaugurent la vision d’un monde paradisiaque –

le soleil est symbole pour la vie et la mer, pour la liberté et l’infini.

L’île, évoquée dans le second quatrain, est l’image du paradis originel, c’est le lieu

utopique par excellence, elle incarne toutes les aspiration de l’imaginaire, en illustrant le

mythe de la terre-mère dont la générosité est inépuisable : « …la nature donne des arbres

singuliers et des fruits savoureux », Baudelaire conciliant ici les termes opposés « île

paresseuse » et « donne ».

La terre exotique – par les « arbres singuliers » – et sensuelle – par ses « fruits

savoureux » – fait allusion au paradis biblique, mais dans l’Eden le fruit est amer. Ici, la

chute originelle est impossible et la vision harmonieuse est rendue par la régularité du vers,

par la construction syntaxique identique des deux hémistiches et l’allitération en « s » -

« singuliers »/ « savoureux ».

La description de la végétation est suivie de celle de la population et l’accent est

mis sur la santé et la beauté physique des hommes dont « le corps est mince et

vigoureux », leur nudité témoignant de l’innocence et de la beauté de l’homme naturel. Au

plus, à la nudité des corps correspond une transparence des âmes : « des femmes dont l’œil

par sa franchise étonne ». L’étonnement montre que cette relation innocente entre les

hommes et les femmes n’a pas cours dans notre monde civilisé, perverti par la corruption

et la débauche.

Dans le premier tercet, la femme revient par la puissance de son parfum – « guidé

par ton odeur… » – et réaffirme l’attraction du paysage exotique fascinant, aux

« charmants climats ». Dans le champ visuel apparaît le port, symbole d’évasion et du

voyage, du retour au paradis originel évoqué antérieurement. La description du port est

aussi placée sur le signe de la profusion et les sensations y abondent : olfactives – « le

parfum des verts tamariniers », visuelles – « rempli les voiles et les mâts », « les verts

tamariniers », auditives – « le chant des mariniers ». Au niveau phonique, l’assonance des

voyelles éclatantes nous font imaginer l’atmosphère lumineuse et vie : « je vois »,

« voiles », « mâts », « charmants climats », « vague marine », « parfum », « tamariniers », 

« la narine », « âme », « mariniers ».

55

Page 56: licenta Baudelaire Iuliana

La rêverie s’épanouit à partir des sensations et des éléments concrets ; le réel est

appréhendé de façon synecdotique, puisque la signification abstraite est symbolisée par la

chose concrète. L’univers baudelairien est ainsi chargé de symboles qui incarnent la

rêverie. Le port concilie des désirs contradictoires – il est figure de la clôture, car les

bateaux s’y reposent, mais aussi image de la vie bercée et protégée, puisque le bercement

de la vague marine fait appel à la période enfantine. Egalement, le port est le lieu

d’expansion, de l’ouverture vers l’infini, par l’échange incessant des sensations – l’odorant

et la vue se confondent dans l’évocation du « parfum des verts tamariniers » et le « chant

des mariniers » se greffe sur la vision des tamariniers. A la série des voyelles éclatantes se

mêlent les allitérations des consonnes douces et continues, fricatives – « vois », « voile »,

« fatigué », « verts », « m’enfle » - et liquides ou nasales – « charmants climats »,

« marine », « tamariniers », « mariniers » - créant ainsi une unité sensible entre « les

parfums, les couleurs et les sons qui se répondent »72. Mais la fusion se produit dans son

âme, car le poète est le seul qui nous peut révéler ces « correspondances », faisant ainsi le

glissement du plan sensible au plan spirituel.

Chez Baudelaire, unicité entre le monde matériel et spirituel et la femme assure le

lien entre ces deux mondes et, elle est le reflet du monde divin. La femme sert aussi de

médium vers une sorte de paradis retrouvée, l’île paradisiaque.

Le poème Parfum exotique nous impressionne avec sa perfection formelle, étant un

sonnet absolument régulier, mais cette forme idéale est enrichie par ses multiples

significations et, surtout, par l’abondance des sensations, qui nous révèlent l’unité

symbolique de ces trois figures de la protection et du bonheur que sont, pour Baudelaire, le

sein maternelle, l’île et le port, et le bonheur ne peut exister que dans cette recherche

d’idéal et par l’intermédiaire d’une rêverie, mais, parce que ce rêve se fait des yeux, bien

que « fermés », le poète va revenir dans la réalité cruelle, le Spleen.

A une passante

La rue assourdissante autour de moi hurlait.

Longue, mince, en grand deuil, douleur majestueuse,

72 Carlier, Marie, Dubosclard, Joel, op. cit., p. 51

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Une femme passa, d’une main fastueuse

Soulevant, balançant le feston et l’ourlet ;

Agile et noble, avec sa jambe de statue.

Moi, je buvais, crispé comme un extravagant,

Dans son œil, ciel livide où germe l’ouragan,

La douceur qui fascine et le plaisir qui tue.

Un éclair... puis la nuit ! - Fugitive beauté

Dont le regard m’a fait soudainement renaître,

Ne te verrai-je plus que dans l’éternité?

Ailleurs, bien loin d’ici ! trop tard ! jamais peut-être !

Car j’ignore où tu fuis, tu ne sais où je vais,

Ô toi que j’eusse aimée, ô toi qui le savais !

Ce sonnet qui fait partie des Tableaux parisiens se fonde sur le thème de la

rencontre. Les hasards de la ville font se croiser le poète et une belle inconnue qui incarne

la Beauté, à la fois fascinante et insaisissable – une forme de l’Idéal prend vie pour

disparaître aussitôt.

L’atmosphère est quasi sauvage, la « rue assourdissante » et qui « hurle » n’est pas

seulement personnifiée mais rendue comme un monde fou, où le retour des bruits est rendu

par celui de sonorités voisines – « rue », « hur », « sour », « tour ». Le Paris moderne,

affairé et bruyant est antipathique au poète, il n’est pas favorable à la rêverie, à la

rencontre amoureuse. Lui, qui déjà ne participait pas à la folie ambiante, en est soudain

complètement isolé – le son est coupé, lorsque vient s’interposer une forme d’abord

énigmatique, saisie par des perceptions rapides,  marquées aussi par l’extension

progressive des mesures: d’abord la forme – « longue », « mince », puis la couleur – le «

grand deuil », l’allure – « douleur majestueuse » et enfin le phénomène vraiment

désigné : « une femme passa ».

Elle est élégante, véritablement érotisée, par le noir du deuil, rendue plus

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impressionnante par le pathétique de sa situation qui la rend indifférente au monde d’ici-

bas et, de ce fait, d’autant plus séduisante. Elle est « agile et noble », et très féminine, le

poète met en valeur ce mouvement qui est non seulement dynamique « soulevant » mais

aussi léger « balançant le feston et l’ourlet ».

Le portrait de la femme qui donne le sentiment de la perfection dans l’esprit du

poète est bien poursuivi jusqu’à une idéalisation esthétique : « sa jambe de statue »,

enrichie par l’accompagnement de la notion de tristesse – exprimée par « grand deuil » –

avec celle de beauté. Ainsi, le charme de l’inconnue devient plus étrange et plus puissant.

La réaction du poète face a l’incarnation de cet idéal est fortement émotionnelle,

troublante, ingouvernable par la raison – « crispé : comme un extravagant ». Le verbe

« boire » dénote une pulsion avide, cependant que l’adjectif « crispé » indique la paralysie

de l’initiative : face à la femme, le poète a une attitude à la fois ardente et nouée, c’est la

stupéfaction de l’artiste devant la Beauté. Il regarde « son œil, ciel livide ou germe

l’ouragan » et l’agrandit à la dimension d’un ciel d’orage. Le bleu-gris contient à la fois la

menace de la violence – « ouragan », « plaisir qui tue » – et la promesse de la tendresse

charmeuse – « douceur qui fascine », des termes antithétiques spécifiques pour Baudelaire.

Il continue la série des oppositions au niveau phonique aussi – le lien consonantique «  s /

z » dans « douceur », « fascine », « plaisir », assure une continuité facile et glissante, puis

est la surprise heurtée des deux monosyllabes « qui tue », où s’entrechoquent les deux

consonnes occlusives.

Après l’étalement de la vision dans les quatrains – encore rappelée par « un éclair

», mot qui signifie bien la fulgurance de la vision mais aussi sa luminosité et le danger de

l’orage – c’est, de façon très elliptique, le passage brusque à la nuit – « puis la nuit ! », nuit

physique et nuit mentale après l’éblouissement de l’apparition. Désormais, la rencontre

appartient au passée et la femme ne sera l’objet d’une contemplation que dans un futur

mystique, espéré par le poète : « ne te verrai-je plus que dans l’éternité ? » – l’interrogation

inversée suggérant une réponse positive, un espoir.

Mais cette « fugitive beauté » est un aperçu de la beauté éternelle qui, au milieu de

la laideur ambiante de la ville, fait renaître le poète, ravive en lui la flamme de la création.

Toutefois, la rencontre ne peut aboutir dans la réalité – « ailleurs, bien loin d'ici  ! trop

tard ! jamais, peut-être ! » – la triple exclamation scandale la dégradation de tout espoir ; la

58

Page 59: licenta Baudelaire Iuliana

lucidité et la conscience du réel ruinent l’exigence d’absolu et provoquent au poète du

regret, de l’angoisse.

L’avant-dernier vers – « j’ignore où tu fuis, tu ne sais où je vais » – rend la

divergence tragique de leurs itinéraires ; les deux destins croisées – similitude suggérée

aussi par le chiasme j’ignore/tu fuis, tu ne sais/je vais – sont unis dans la fatalité de

l’éloignement.

La dernière ligne exprime la certitude de la perte de l’occasion d’une rencontre

amoureuse exceptionnelle, et scandalise par le crescendo du lyrisme dans une invocation à

la fois triste et tendre : « ô toi qui j’eusse aimée, ô toi qui le savais ! ». Ce vers final est

mystérieux – le second hémistiche pose le problème de l’authenticité du rencontre, car la

« passante » connaissait les sentiments du poète ; il a exprime le drame de

l’incompréhension entre l’homme et la femme.

A une passante est donc un croquis parisien ; dans les grandes villes se croisent

sans cesse des êtres anonymes, où, chaque jour, des âmes secrètement accordées frôlent

peut-être, en vain, le bonheur. Le poète est attiré par cette beauté évanescente, éphémère,

mais la rencontre n’a pas lieu, demeure du domaine du souhait. La femme n’est qu’une

silhouette, un regard, qui se dérobe au poète. Mais cela suffit à faire naître un amour qu'il

idéalise : «Ô toi que j’eusse aimé, ô toi qui le savais !», un amour qui n’existe que dans les

possibles de l’imaginaire, mais dans lequel il se complaît. La séduction qu’exerce cette

élégante inconnue répond à la conception baudelairienne de la beauté féminine et insolite,

poétique, qui fait rêver à la fois, mais d’une manière confuse, de volupté et de tristesse ;

qui comporte une idée de mélancolie, de lassitude, même de satiété.

Ce petit poème, dense dans son désespoir contenu, se rattache au thème romantique

de la femme messagère d’idéalité, mais Baudelaire l’introduit au milieu de la ville, idée

saluée de ses précurseurs.

3. La Mort dans l’écriture baudelairienne

a. La Mort comme passage vers l’Idéal

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La mort, thème présent tout au long des Fleurs du Mal, apparaît comme une fatalité

qu’impose le spectacle même de la nature et le poète a deux visions opposées de la mort :

un aspect morbide - dans Une Charogne - et un aspect heureux, comme dans La mort des

amants.

Pourtant, si Baudelaire fait la porte de sortie de son recueil par la mort, c’est

qu’ « elle peut être aussi le seuil d’un ailleurs ou d’un au-delà où seraient renvoyées dos à

dos les contradictions du spleen et de l’idéal, du bien et du mal, de Dieu et de Satan. La

mort est un pur passage ». 73

La mort des amants

Nous aurons des lits pleins d’odeurs légères,

Des divans profonds comme des tombeaux,

Et d’étranges fleurs sur des étagères,

Écloses pour nous sous des cieux plus beaux.

Usant à l’envi leurs chaleurs dernières,

Nos deux cœurs seront deux vastes flambeaux,

Qui réfléchiront leurs doubles lumières

Dans nos deux esprits, ces miroirs jumeaux.

Un soir fait de rose et de bleu mystique,

Nous échangerons un éclair unique,

Comme un long sanglot, tout chargé d’adieux ;

Et plus tard un Ange, entrouvrant les portes,

Viendra ranimer, fidèle et joyeux,

Les miroirs ternis et les flammes mortes.

Le sonnet qui ouvre la cinquième section des Fleurs du Mal est consacré à la Mort,

73 Lecherbonnier, Bernard, Rince, Dominique, op. cit., p. 42

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Page 61: licenta Baudelaire Iuliana

qui s’impose comme la seule issue possible au terme d’un parcours désespéré, car le poète

a épuisé le champ des consolations illusoires. La mort est donc l’unique espoir d’accéder à

l’infini et le symbole parfait de l’amour heureux.

Charles Baudelaire, qui a connu l'infidélité en lui et hors de lui, la séparation et

l'éloignement de la femme aimée dans le gouffre du temps, imagine un monde idéal qui

serait l'inverse du monde réel : la fidélité, la fusion, le luxe y règnent. Le poème présent

une vision idéale de l’amour ou, mieux dit, une vision idéalisée de la mort, mais elles

fusionnent indissociablement par la spiritualisation de la relation amoureuse. La mort

apparaît donc comme une condition indispensable de l’amour eternel, elle seule

supprimant tout ce qui peut le menacer – le temps, l’espace, même la réalité.

Le poème débute par l’image du couple absolu, parfait, défini par le

pronom « nous », répété tout au long du sonnet. Les adjectifs qualificatifs et substantifs –

« lits pleins d’odeurs légères », « nos deux cœurs seront deux vastes flambeaux, / qui

réfléchiront leur double lumière » - insistent sur la profonde unité du couple et montrent

l’être aimé comme un autre soi-même, un reflet, un double, motifs repris par les thèmes du

miroir et de la gémellité : « nos deux esprits, deux miroirs jumeaux ». Également, le

syntagme « cieux plus beaux » montre la supériorité du couple primordial qui a comme

destination après la mort, un lieu distinctif, particulier.

L’unité du second quatrain repose sur le leitmotiv du couple, sur le thème

romantique du double par la répétition du chiffre « deux » et la présentation par paires des

objets – les « miroirs » et les « flambeaux ». Les amants rétablissent l’unité originelle, car

ils sont devenu un : « nous échangerons un éclair unique », mais dans la mort, elle

seulement consacre l’union absolue du couple. Cette fusion des thèmes – l’amour, la mort,

le double, la quête de l’idéal – est possible par l’utilisation d’un vocabulaire ambivalent :

les « lits » sont aussi ceux des amants et de la mort ; les « divans » sont comparés a des «

tombeaux » ; les « flambeaux » symbolisent les feux de l’amour, mais aussi les bougies qui

entourent les morts. Cette ambiguïté est accentuée par l’emploi des adjectifs ; la

profondeur des divans suggère la volupté, mais aussi un ensevelissement dans la mort ; les

« étranges fleurs » sont venues d’un autre monde ; et les « chaleurs dernières » suggèrent

la fin de la passion, mais aussi de la vie. Amour et mort se confondent donc pour peindre

l’amour absolu.

61

Page 62: licenta Baudelaire Iuliana

La perception idéalisée de la mort et de l’amour est sous-tendue par le mysticisme

fondée sur une double croyance ; pour Baudelaire, l’expérience sensuelle se prolonge

toujours en une extase spirituelle et la mort aboutit à une survie idéale, celle de l’esprit.

Tout au long du poème, on glisse progressivement du sensuel au spirituel.

L’allusion des « odeurs légères » témoigne un gauchissement de l’expérience

sensuelle – le poète rejette les parfums triomphants, corrompus au profit des parfums frais,

purs et spirituels. Également, les jeux de la chair consommés dans les « divans profonds »

s’effacent pour laisser place aux sentiments – « nos deux cœurs », puis à la contemplation

spirituelle - « nos deux esprits ».

Les images visuelles sont suggestives aussi – aux couleurs violentes, éclatantes,

spécifiques a un climat passionnel, le poète préfère les tons pastel « un soir fait de rose et

de bleu mystique », propres à évoquer des sentiments purs et spirituels. Également,

l’épithète « mystique », mais surtout l’« Ange » et le verbe « ranimer » soulignent la

survivance de l’âme dans l’au-delà. La mort n’est pas une fin, mais elle est positive, est un

passage à travers des « portes » du terrestre au céleste.

Dans le dernier tercet, on revoit l’idée de retour à la vie : l’Ange, d’habitude calme,

sera « fidèle et joyeux ». Le même effet a l’utilisation du temps futur, qui suggère une

action fictive, permettant à l’imaginaire de se déployer – « nous aurons », « nos cœurs

seront », « nous échangerons » - et de l’adverbe temporel « plus tard » ; une promesse sûre

qui ranimera « les flammes mortes ». Le poème se termine avec une chute paradoxale : le

passage à la mort est paradoxalement un retour à la vie, qui en plus est mieux et plus beau

que la vie.

Les amants s’unissent dans un hors-temps proche de l’éternité. Rien ne disturbe le

rythme bercée du texte, marquée seulement par la régularité du décasyllabe ; la sensation

d’un temps étalé est suscitée par l’allongement des vers grâce à la présence des « e » muets

qui suspendent les vers – « légères », « étagères », « dernières » - des sons prolongés des

voyelles nasales « an » et « on » - « profonds », « étranges ».

L’espace présente le même caractère imaginaire, par l’étrangeté des fleurs et des

couleurs, par la conciliation des contraires : le lieu intime, clos, est aussi illimitée, ouvert,

agrandissement provoqué par le jeu des miroirs et l’impression d’immensité produite par

l’adjectif « vastes ».

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Page 63: licenta Baudelaire Iuliana

Les sensations sont aussi ambiguës ; la souffrance n’est pas violente et

douloureuse, mais presque voluptueuse. « Le long sanglot, tout chargé d’adieux » prend

une résonance suave grâce au voilement sensuel des voyelles nasales et à la fluidité des

consonnes liquides.

La mort n'est pas vraiment présente tout au long du poème : seuls le titre et le

dernier vers en parlent, car elle est vue comme un voyage qui délivre l’amour de la matière

et du péché, le plaisir charnel étant lié chez Baudelaire à la débauche.

On note que Baudelaire, en utilisant une forme et un thème traditionnels, parvenait

à donner une idée positive et donc différente de la mort. La réussite de ce poème repose

sur la fusion intime d’un parcours mental et poétique, fondé sur la métamorphose de

l’expérience charnelle en vie spirituelle. Échappant à l’amour passionnel, destructeur et

condamné, la mort réalise la fusion éternelle du couple. Le sonnet est paradoxal, car la

mort reste la seule capable de donner vie à l’imaginaire.

b. La Mort infâme et destructrice

Une Charogne

Rappelez-vous l’objet que nous vîmes, mon âme,

Ce beau matin d’été si doux:

Au détour d’un sentier une charogne infâme

Sur un lit semé de cailloux,

Les jambes en l’air, comme une femme lubrique,

Brûlante et suant les poisons,

Ouvrait d’une façon nonchalante et cynique

Son ventre plein d’exhalaisons.

63

Page 64: licenta Baudelaire Iuliana

Le soleil rayonnait sur cette pourriture,

Comme afin de la cuire à point,

Et de rendre au centuple à la grande Nature

Tout ce qu’ensemble elle avait joint;

Et le ciel regardait la carcasse superbe

Comme une fleur s’épanouir.

La puanteur était si forte, que sur l’herbe

Vous crûtes vous évanouir.

Les mouches bourdonnaient sur ce ventre putride,

D’où sortaient de noirs bataillons

De larves, qui coulaient comme un épais liquide

Le long de ces vivants haillons.

Tout cela descendait, montait comme une vague

Ou s’élançait en pétillant

On eût dit que le corps, enflé d’un souffle vague,

Vivait en se multipliant.

Et ce monde rendait une étrange musique,

Comme l’eau courante et le vent,

Ou le grain qu’un vanneur d’un mouvement rythmique

Agite et tourne dans son van.

Les formes s’effaçaient et n’étaient plus qu’un rêve,

Une ébauche lente à venir

Sur la toile oubliée, et que l’artiste achève

Seulement par le souvenir.

Derrière les rochers une chienne inquiète

Nous regardait d’un œil fâché,

64

Page 65: licenta Baudelaire Iuliana

Epiant le moment de reprendre au squelette

Le morceau qu’elle avait lâché.

- Et pourtant vous serez semblable à cette ordure,

À cette horrible infection,

Etoile de mes yeux, soleil de ma nature,

Vous, mon ange et ma passion!

Oui! Telle vous serez, ô la reine des grâces,

Après les derniers sacrements,

Quand vous irez, sous l’herbe et les floraisons grasses,

Moisir parmi les ossements.

Alors, ô ma beauté! dites à la vermine

Qui vous mangera de baisers,

Que j’ai gardé la forme et l’essence divine

De mes amours décomposés!

La mort chez Baudelaire est une question de conscience – conscience de la

mortalité du corps, donc une fin irrémédiable et cruelle, mais aussi conscience d’un enjeu

métaphysique qui peut prêter les accents sinistres d’une condamnation sans appel.

Toutefois, la mort est dans Les Fleurs du Mal l’objet d’une hésitation. D’un côté, elle est le

terme désiré d’une existence douloureuse – « C’est la Mort qui console, hélas ! » - de

l’autre, la mort est redoutée comme un faux-semblant, comme le leurre d’une fin. « Le

poète connaît la mort par la douleur et cette connaissance est la force qui donne aux pièces

leur incomparable vérité. »74

Le poème est une sorte de lettre ou de discours du poète à celle qu’il aime, pour lui

dire que seul le poète ou l'amant peut garder l'éternité d'une forme dans sa beauté : le

temps en effet détruit tout et la beauté devient laideur. C’est l’idée de Carpe Diem,

l’invitation au « voyage » de la vie, parce que le temps immuable métamorphosa tout en

74 Jackson, John E., op. cit., p. 110

65

Page 66: licenta Baudelaire Iuliana

« charogne infâme ».

Une fusion du laid et du beau ouvre le poème et se remarque jusqu'à sa fin. Le

poète parle à son âme, ou peut-être à son amante, d’une « matin d’été si doux », dont ils

virent « une charogne infâme », « couchée » sur un lit de « cailloux », suggérant le

tombeau. Le choc est donné par les oppositions extrêmes : la beauté du matin d’été, donc

lumineuse, pleine de vie, est tachée par la carcasse décomposée. En outre, on parle d’un

oxymore au niveau phonétique, la « charogne infâme » rime avec « mon âme » qui

désigne la femme.

Le poète continue la comparaison de la charogne avec une femme « lubrique »,

« nonchalante », aux « jambes en l’air » ; de même sorte s’offre au regard le cadavre au

demi décomposé par les « poisons » qui sortent du ventre horriblement odoré. Baudelaire

personnifie la carcasse par des épithètes, en nous préparant pour le déchiffrement du

poème – tout vivant finira le « ventre suant les poisons ». Le vocabulaire utilisé emprunte à

la fois la thématique de l'érotisme et de la pourriture. En effet, le «  ventre », les « jambes

en l’air », une « femme lubrique, brûlante » – ce qui fait penser aux chaleurs ou à la

passion –, l’adjectif « nonchalante » qui résonne ici avec sensualité, font penser à une

femme qui offre son corps. Les figures érotiques préfigurent ici l’accouplement nécessaire

à une naissance future : celle d’une Fleur du Mal.

Le troisième quartet suive la même structure ; on y trouve des antithèses qui créent

des chocs d’atmosphère et marquent l’ironie : « soleil rayonnait sur cette pourriture »,

opposition et association de la beauté et de la laideur, de la vie et de la mort ; il y a un

indissociable lien entre les « fleurs » et le « mal » ; également ironique est la mention du

terme culinaire « cuire », alors qu’on n’a pas faim devant un tel tableau. La Nature devient

ici l’accueillante de la chair, soutenant la croyance biblique du retour de la terre de nos

corps dans la terre – mère, mais centuplé, comme un payement ou une offrande.

L’espace s’élargit et, auprès du soleil, le ciel regarde aussi « l’épanouissement » de

la chair. L’oxymore à effet ironique « carcasse superbe » est complété de l’opposition de la

fleur et de la « puanteur », tout comme à l’aide des images visuelles viennent celles

olfactives, qui provoquent l’évanouissement de l’amante. Symboliquement, Baudelaire

annonce la naissance de la fleur qui commence à « s’épanouir », mais la vision de la

naissance d’une fleur du mal est un spectacle insoutenable.

66

Page 67: licenta Baudelaire Iuliana

Le tableau de l’horreur se déclenche : le lexique de la vermine est exagérément

développé : « mouches », « larves » et soutenu par l’image auditive du « bourdonnement ».

Le poète se concentre sur le corps – comme un photographe qui prend en objectif

seulement un détail du tableau – l’écoulement des larves suggère celui de l’eau, du sang ou

même de la vie, image soulignée aussi par l’allitération des consonnes liquides dans les

derniers deux vers de la strophe – « larves », « coulaient », « liquide », « le long »,

« baillons ».

L’idée de l’eau continue dans la strophe suivante – la marche de la vermine était

« comme une vague » qui donnait l’impression d’un corps qui se refait par ce mouvement.

La vie après la mort est exprimée ici ironiquement, ce n’est pas vers l’éternité que la

carcasse se dirige, mais vers la terre et à cause des larves.

Dans le septième quatrain, l’auteur se penche sur l’effet auditif de la transformation

du corps – la musique donnée par le mouvement s’allie a l’ « eau courante » eu au vent.

Sur plan phonétique, cette image se crée par l’allitération des consonnes fricatives :

« vent », « vanneur », « mouvement », « van », et l’écoulement de la « vague », par les

voyelles nasales : « monde », « étrange », « courante », « vent », « grain », « dans »,

« mouvement ». La présence du grain nous rappelle le thème romantique de la petitesse de

l’homme et son impuissance face au cours naturel de la vie ; nous sommes un grain et le

van nous mène, indépendant de notre volonté.

Les vers qui suivent posent le problème de la fonction de l’artiste, mais pas du

poète, du peintre – il recrée une réalité idéale à partir de l’ébauche que laisse le réel – « les

formes s’effaçaient », « l’artiste achève » – son travail est celui de la reconstruction de ce

que le réel détruit. Il montre, par l’exemple de cette description de la charogne, la

technique qui est la sienne pour recréer la beauté à partir de la décomposition. Il utilise des

procédés hyperboliques pour mieux expliquer son travail de recomposition ; par l’écriture,

l’artiste métamorphose la mort en vie, ce que donne un caractère didactique au poème.

Dans le tableau déjà plein d’horreur parait un autre vivant – un chien – qui, loin

d’enrichir l’image, la rend plus horrible – la bête veut dévorer la chair déchirée et attend

« fâchée » le départ des gens. Baudelaire souligne le cycle naturel de la vie où il y a des

chasseurs et de la chasse. On note aussi un changement des significations morales : le

chien n’est plus le meilleur ami de l’homme, mais son ennemi car il profite de la mort du

67

Page 68: licenta Baudelaire Iuliana

maître pour subsister.

A la fin, le poète revient au dialogue avec son aimée d’un ton romantique,

élogieux, célébrant sa beauté, la divinisant – « reine des grâces », « soleil de ma nature »,

« mon ange et ma passion », « étoile de mes yeux » – en opposition à la charogne, l’état

futur qui attend son corps – « vous serez semblable à cette ordure, à cette horrible infection

», les ordures étant des déchets répugnants dont personne ne veut. Les exclamations

suggèrent la certitude de ce procès qui va « embrasser » tout corps, c’est la suite naturelle

de la vie et de l’enterrement « sous l’herbe et les floraisons grasses ». Le rythme s’accélère

avec une ponctuation régulière et des phrases purement nominales. Au niveau symbolique,

l’artiste dit à son amante qu’elle deviendra poème, elle aussi, car il est le seul à garder « la

forme de l’essence divine », il la reconstitue de ce que le réel, donc le temps, détruit : « les

amours décomposées » sont recomposés dans le poème et l’univers qu’il réinvente – cela

est la fonction de l’art.

Les couples « vermine »-« divine » et « baiser »-« décomposés » montrent la

relation indestructible entre la vie et la mort, mais aussi l’assurance que la beauté vivra par

son art. Baudelaire expose enfin l’objet ultime de l’œuvre qui est de conserver par-delà la

mort, l’idée, la représentation de ce que fut la beauté de sa compagne, c’est-à-dire sous une

forme idéalisée.

Le poème est une combinaison sublime entre le monde de la beauté et celui de la

mort destructrice du corps, on oscille entre le Mal et la Beauté idéale, l’un et l’autre étant

intimement mêlés, mais l’auteur nous convie à comprendre que la beauté est, peut-être,

faite de laideur. Les champs lexicaux de la mort – « carcasse », « squelette »,

« ossements » – de la décomposition – « ordure », « charogne », « pourriture », « horrible

infection » – et des autres aspects répugnants – « vermine », « larves », « mouches »,

« exhalation », « puanteur », « épais liquide » – s’associent à l’érotisme et à la sensualité

de la femme – « jambes an l’air », « femme lubrique », « baisers ».

Sur le plan symbolique et didactique, le texte nous permet en effet d’assister à la

naissance d’une Fleur du Mal et de comprendre les étapes de l’activité poétique, leur sens

et leur importance. La poésie nouvelle n’impose pas au réel des formes sublimes qui

n’existent pas. Elle fait au contraire du réel, de ses manifestations étranges et fantastiques,

le matériau privilégié de ses investigations. L’art est, pour Baudelaire, artificiel, au sens

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Page 69: licenta Baudelaire Iuliana

positif du terme, c'est-à-dire métamorphose ou alchimie permanente de l'horrible, le réel,

en « fleur » ; la Beauté est immortelle, alors que le poète n’est qu’une écorce de chair.

4. Le Spleen

Rompant avec la tradition romantique de la belle et bonne nature, le poète décrit au

contraire : le naturel comme un espace de corruption et de dégénérescence. Il ne va pas

décrire la nature et la figer dans l’éternité en y plaquant ses sentiments, créant dès lors un

paysage personnifié, animé et réflexif. Au contraire, il va recréer un monde idéal

fondamentalement opposé à la nature. Nature et nature humaine rivalisent dans les Fleurs

du Mal par des spectacles répugnants ou morbides : des vieillards, rabougris, terres

enlaidies, citées sales et blafardes ; partout c’est le même encrassement d’un « noir tableau

qui rencontre le regard à la fois horrifié et fasciné du poète. Loin d’esquiver en effet cette

laideur originelle et quotidienne, il l’assume jusqu’au bout. »75

Le spleen est aussi une forme de réfraction subjective d’un mal aliénant l’homme

contemporain au point de le réduire à un statut de chose. A la différence de la mélancolie

des poètes romantiques, l’économie de ce spleen renvoie à une souffrance objective liée à

une dépossession ou à une misère bien réelles. Dans Les Fleurs du Mal, « Paris est le

symbole tragique de la condition de l’humanité contemporaine, mais Baudelaire est, soit

un observateur détachée jetant sur la capitale un regard qui tend a y répéter tel ou tel

élément révélateur de la vie moderne, soit un témoigne impliqué dans une réalité qui

l’aliène au même titre que les victimes qu’il y croise et dans lesquels il se reconnaît. »76

Spleen

Quand le ciel bas et lourd pèse comme un couvercle

Sur l’esprit gémissant en proie aux longs ennuis,

Et que de l’horizon embrassant tout le cercle

II nous verse un jour noir plus triste que les nuits;

75 Rince, Dominique, Lecherbonnier, Bernard, op. cit., p. 4876 Jackson, John E., op. cit., p. 95

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Page 70: licenta Baudelaire Iuliana

Quand la terre est changée en un cachot humide,

Où l’Espérance, comme une chauve-souris,

S’en va battant les murs de son aile timide

Et se cognant la tête à des plafonds pourris;

Quand la pluie étalant ses immenses traînées

D’une vaste prison imite les barreaux,

Et qu’un peuple muet d’infâmes araignées

Vient tendre ses filets au fond de nos cerveaux,

Des cloches tout à coup sautent avec furie

Et lancent vers le ciel un affreux hurlement,

Ainsi que des esprits errants et sans patrie

Qui se mettent à geindre opiniâtrement.

— Et de longs corbillards, sans tambours ni musique,

Défilent lentement dans mon âme; l’Espoir,

Vaincu, pleure, et l’Angoisse atroce, despotique,

Sur mon crâne incliné plante son drapeau noir.

Dernier dans la série des quatre poèmes à porter le titre Spleen, le texte évoque une

phase aigue du mal-être baudelairien, caractérisée par la tristesse, l’abdication de

l’Esperance, la mort spirituelle. Le poème se déroule comme une pièce de théâtre en trois

actes, dramatisant la crise qui monte, éclate dans une tentative de révolte pour finir dans la

folie.

La montée du désespoir se déroule dans le premières trois strophes, introduites par

l’adverbe temporel « quand », la répétition ayant un effet d’accumulation – l’atmosphère

psychologique se charge des facteurs de plus en plus angoissants. Les éléments du paysage

– le ciel, la terre, la pluie – sont couverts – « cachot », « barreaux », « couvercle » – sans

une possible évasion. Le lexique – « lourd », « pèse », « murs », « prison », « barreaux » –

70

Page 71: licenta Baudelaire Iuliana

suggère les thèmes de l’oppression, de la claustration, car le poète se sent prisonnier dans

« un jour plus triste que les nuits ». L’espace se rétrécit en commençant par l’horizon – le

« cercle » limite la liberté – et continue par la terre qui ressemble à une chambre de

prisonnier. Les « barreaux » de la pluie rendent la prison plus vaste, ce n’est pas pour la

faire habitable, mais pour affirmer l’universalité d’une réclusion obsessionnelle. L’esprit

souffre, « gémit », il n’a pas de l’énergie pour en surmonter et subit à la fois l’oppression

extérieure et le malaise intérieur – « en proie aux longs ennuis », l’ennui étant le dégout de

la vie, la nausée existentielle.

L’optimisme, le positivisme épuisent leurs dernières forces – « battant les murs de

son aile timide » – et le monde extérieur – « peuple d’araignées » – prend possession de

l’univers mental – « tendre ses filets au fond de nos cerveaux » – créant une hallucination.

Le lexique de la quatrième strophe suggère la violence, la révolte, ou, peut-être,

une imploration : « des cloches sautent », « furie », « affreux hurlement », « geindre ». Le

poète a projeté sur les cloches tout son horreur et son cris et les diriges vers le ciel,

éclatement qui correspond à une tentative de révolte contre la souffrance et contre soi-

même. C’est l’ultime moment de sa lucidité, car Baudelaire ressent le spleen comme « une

interminable tyrannie du temps mauvais et destructeur qui écrase l’existence de tout son

poids maléfique et finit par « manger » la vie. » 77

Isolé par un tiret, le dernier quatrain égare l’esprit en le transformant en un

spectateur – « défilent lentement dans mon âme » – qui voit la défaite de « l’Espoir, /

Vaincu » et l’assaut de « l’Angoisse » ; mais il n’oppose pas de la résistance, il a « le crâne

incliné ». La volonté, le sentiment d’identité, la perception du monde extérieur ont cédés le

lieu à la folie, à la dépression hallucinatoire, à un dérèglement psychique incontrôlable.

L’accent de Baudelaire se manifeste ici par la puissance d’évocation des

images qui créent l’univers splénique ; de strophe en strophe, l’idée de claustration se

développe jusqu’au moment où le « cercle » devient une toile d’araignée, exprimée

métonymiquement par les « filets ». Le même effet sur l’esprit humain a l’humidité

malsaine : le verbe « verser » l’annonce, « humide » et « pourris » le développent et la

« pluie » reprend le thème. La partie de l’Esperance comme un oiseau nocturne – « s’en va

battant » – évoque l’interminable et stérile tournoiement des pensées captives de

77 Barberes, Dominique, Rince, Dominique, op. cit., p. 157

71

Page 72: licenta Baudelaire Iuliana

l’obsession, accentuée par la lugubre lenteur du défilé des corbillards et par l’absence des

sensations sonores – « sans tambours ni musique ».

L’image finale du « drapeau noir » symbolise le triomphe de l’anarchie mentale

définitive et le naufrage – avec référence aux bateaux des pirates – de l’être sous l’attaque

du désespoir. L’allégorie, qui personnifie une abstraction – Esperance, Espoir, Angoisse –

contribue à brouiller la frontière entre le monde moral et la vision concrète et fait lieu à

l’hallucination. Au niveau phonique, les voyelles nasales prolongent la plainte sourde et

permanente – « gémissant », « ennuis », « embrassant », « changée », « battant » – et la

voyelle « i » aiguise l’expression de la souffrance. D’autre part, le choc des consonnes

suggère l’image de la violence, l’agressivité : « des cloches tout à coup sautent avec

furie ». La sonorité du poème évoque l’accablement monotone, la force répétitive du

spleen qui s’abat sur l’esprit.

A travers les images, le poète établit une correspondance entre le paysage extérieur

et l’état moral, qui révèle la vérité subjective du monde et sa manière immédiate de

s’imprimer sur une sensibilité.

Ce poème de Baudelaire tire sa puissance suggestive de l’utilisation d’images

concrètes pour exprimer un drame spirituel et psychologique. Le poète explore ses abîmes

et extrait la beauté des souffrances, de son âme et de son cerveau malades – « fleurs »

extraites du « mal ».

5. Les paradis artificiels

La menace permanente du spleen sur l’idéal est si forte que Baudelaire cherche

constamment à échapper à la misère de sa condition humaine par le recours à des

tentations, qu’il appelle ailleurs paradis artificiels, et qui lui donnent l’illusion d’un repos

ou d’un moment de délivrance.

Ces tentations sont de toutes sortes : sensations rares ou fortes : vin, alcool, tabac et

même drogues, dont le poète lui-même faisait un usage essentiellement médical. A ces

poisons est confié la mission de dilater les sens et d’exalter l’âme. Ces paradis artificiels se

confondent dans l’image de la suprême tentatrice : la femme.

72

Page 73: licenta Baudelaire Iuliana

Le Vin des amants

Aujourd’hui l’espace est splendide!

Sans mors, sans éperons, sans bride,

Partons à cheval sur le vin

Pour un ciel féerique et divin!

Comme deux anges que torture

Une implacable calenture

Dans le bleu cristal du matin

Suivons le mirage lointain!

Mollement balancés sur l’aile

Du tourbillon intelligent,

Dans un délire parallèle,

Ma sœur, côte à côte nageant,

Nous fuirons sans repos ni trêves

Vers le paradis de mes rêves!

Le dernier sonnet de la section Le Vin célèbre la boisson miraculeuse qui libère et

mène l’esprit vers le paradis rêvé.

Après ses propres dites, dans le volume Paradis artificiels, Baudelaire préfère le

vin au hachisch, et c’est pour ca qu’il lui consacre une entière section dans Les Fleurs du

Mal. « Le vin exalte la volonté, le hachisch l’annihile. Le vin est un support psychique, le

hachisch est une arme pour le suicide. Le vin rend bon et sociable. Le hachisch est

insolent. L’un est laborieux pour ainsi dire, l’autre essentiellement paresseux. A quoi bon,

en effet, travailler, labourer, écrire, fabriquer quoi que ce soit, quand on peut emporter le

paradis d’un seul coup ? Enfin le vin est pour le peuple qui travaille et qui mérite d’en

boire. Le hachisch appartient à la classe des joies solitaires ; il est fait pour les misérables

73

Page 74: licenta Baudelaire Iuliana

oisifs. Le vin est utile, il produit des résultats fructifiant. Le hachisch est inutile et

dangereux. »78

Le poème débute avec une exclamation – « Aujourd’hui l’espace est splendide ! »

– qui fait preuve de l’état d’exaltation de l’écrivain. Mais, à une seconde vue, ce n’est pas

le poète qui exalte, mais un cheval – selon les termes de la famille lexicale de ce mot :

« mors », « éperons », « bride ». La répétition de l’adverbe « sans » souligne la liberté à

peine conquise et l’allitération en « s » montre le sifflement d’ardeur pour un voyage

fantastique vers un « ciel féerique ». Le consomme du vin donne ainsi des ailes a

l’imagination, crée un cadre propice pour le rêve.

Le poète et son aimée se métamorphosent en anges, mais ils sont torturés d’une

« implacable calenture », suggérant la chute de l’Eden du couple primordial.

L’opposition, très chère au Baudelaire, se manifeste dans cette inversion du sujet et

des compléments directs par l’antithèse entre la pureté de l’ange – symbole repris dans la

seconde part du quatrain par le « bleu cristal » – et le feu, symbole de la passion, mais

aussi de la chaleur du corps après le consomme du vin, rouge, lui aussi.

Les amants suivent « le mirage lointain » et se « balancent » comme dans un

planement ou dans un bercement d’un bateau, mais la mollesse du balance les provoque un

plaisant « délire parallèle ».

Le couple s’unit et l’amante devient « sœur » qui le suit « cote à cote » sans fin. La

fuite « sans repos » désigne le voyage très rapide de l’esprit et de l’imagination vers « les

paradis de ses rêves ».

Le poème décrit le pouvoir du vin d’inviter à l’imaginaire et la multitude d’images

mène à un mélange pareil au « délire » : cieux, cheveux, anges, eaux, ailes composent

l’éventail des visions du poète enivré mais, aux figures visuelles s’ajoutent celles auditives

– le piaffement du cheval – et tactiles – la chaleur qui torture.

Au niveau phonique, on note une répétition tout au long du poème de la consonne

liquide « l », suggestive pour le culement des amants vers le paradis désiré, mais aussi

pour celui du vin dans les verres. Dans le premier tercet, cette allitération se réfère au

balancement du « tourbillon intelligent » : « mollement », « balancé », « l’aile »,

« intelligent », « parallèle » et dans le dernier, la répétition des « r », « f », « v », indique le

78 Jackson, E. John, op. cit., p. 115

74

Page 75: licenta Baudelaire Iuliana

mouvement rapide, la vivacité des amoureux.

Le petit sonnet Le Vin des amants garde le même accent baudelairien – l’aimée et,

maintenant le vin, donnent cours au rêve qui sauve l’esprit de la réalité splénique

CHAPITRE V: EN GUISE DE CONCLUSION – C’EST L’ART

BAUDELAIRIEN DOUX OU AMER ?

Le développement d’un thème sur la création d’un poète tel que Charles Baudelaire

implique le parcours d’un long chemin à milles carrefours, puisque la complexité de sa

personnalité travestie dans l’œuvre se due aux multiples mémoires de sa vie et surtout aux

leur correspondance dans l’esprit du poète, esprit plein d’imagination, de désirs, de

secrètes.

En passant sur un des « sentiers », j’ai compris que les autres, c'est-à-dire la

société, par la vie qu’elle nous offre, nous détermine à adopter une telle ou telle attitude.

Ainsi, la vie politique, les événements révolutionnaires, la transformation du rural en

urbain influencent le monde artistique et en spécial, la littérature, cette porte-parole du

peuple.

La parution de plusieurs courants et les contradictions d’entre eux soulignent la

déroute des hommes, le chaos général.

Baudelaire même réagit durant les années révolutionnaires par des poèmes de

révolte, des limbes et réagit aussi contre l’urbanisation – il déteste la ville, les murs gris et

les toits noirs qui composent la vue, l’importance et l’influence de l’état social sur la

création est, donc, incontestable.

Passant de la société à son essence – l’homme, ici, le poète – on découvre les

étapes de l’épanouissement d’une création singulière, douée des profonds symboles et

toujours prise en discutions, donc vivante.

Après les paroles de Jules Vallès, retrouvées dans le recueil de Cosma Doru –

75

Page 76: licenta Baudelaire Iuliana

Scriitori in fata justitiei. De la Dante la Zola – « Baudelaire n’était guère un poète par la

volonté du ciel et il s’avait probablement beaucoup efforcé pour en devenir », ce qui invite

a une plus grande appréciation. La forme finale du controversé recueil des Fleurs de Mal

prend contour à travers plusieurs étapes, exposées dans le troisième chapitre de mon

papier. Le poète se confronte avec la pauvreté, la maladie, avec une solitude et une

insatisfaction de soi qui l’empêchent de créer régulièrement et, le plus important, il lutte

avec le malentendu des critiques, matérialisé en le procès de 1857-1861.

En étudiant l’arrangement des pièces dans le recueil, leur regroupement, on

découvre son « architecture secrète », fondée, particulièrement, sur la moralité des poèmes

et sur l’unité du volume. Celui-ci a été conçu comme une descente aux enfers, provoqué

par la faillite de l’amour et de l’idéal et par divers vices autodestructeurs et contient

plusieurs sections : cinq – dans la première édition – et six – dans la seconde : Spleen et

Idéal, Fleurs du Mal, Révolte, Le Vin, La Mort et Tableaux Parisiens – ajoutée en 1861.

Le niveau suivant dans l’approfondissement de l’œuvre baudelairienne est la

demande de « l’attaque » des « fleurs » et l’acceptation d’être témoin à la transformation

douloureuse de la laideur en beauté. On a choisi quelques pièces représentables pour

chaque thème et on a essayée d’identifier leur palette symbolique, la diversité des

sensations qui s’y combinent et les oppositions – si baudelairiennes ! – les représentantes

du thème général de la lutte entre Bien et Mal.

Dans L’Albatros on découvre l’immense différence qui existe entre les hommes

communs et ceux du génie, les premiers faisant partie d’une foule stérile spirituellement,

tel que le génie est supérieur, mais incompris. Néanmoins, le grand paradoxe de ce poème

est l’impuissance du poète d’atteindre l’idéal précisément à la cause de ses ailes, devenues,

sur le sol, des freines.

Puisque le poète ne peut pas créer sans une muse, la femme – reconnue par son

parfum, par son allure de statue ou par son pas balancé – est présente à travers toute œuvre

baudelairienne. Loin d’être une tentation érotique, elle est plutôt un passage vers les

paradis rêvés, un point de départ, comme dans le sonnet Parfum exotique. Cette poésie

impressionne par l’exceptionnelle synesthésie – on s’imagine l’ile paradisiaque seulement

en « goutant » et « odorant » le texte – et par l’énorme toile des symboles.

D’autre coté, A une passante inscrit la femme dans le cadre sauvage, fol de la ville

76

Page 77: licenta Baudelaire Iuliana

comme le ciel inscrit un soleil dans la nuit. Elle est l’évasion de l’artiste du monde

grossier, bruyant, insupportable.

Un autre sujet traitée est celui de la mort, cette force libératrice, qui revive et

renouvelle l’amour, en le projetant dans l’infini. La mort des amants en décrit utilisant

beaucoup de procédés phoniques, qui allongent les vers et bercent l’esprit.

Au contrepoint se situe le poème Une Charogne, morbide image du corps atteint

par l’aile de la mort. Cette pièce est la parfaite illustration de l’esthétique baudelairienne,

est sa « recette » pour la création d’une fleur du mal.

Sur la palette des thèmes on découvre ensuit la mélancolie, le mal de vivre, ce

Spleen qui provoque la mort spirituelle. Dans Spleen IV, la cause du désespoir est la nature

qui, par la pluie, enlaidie de plus la ville au murs et plafond appropriés à une prison. A

travers les images, le poète établi une correspondance entre l’extérieur et l’intérieur de

l’artiste, entre concret – la ville sous la pluie – et spirituel – les pensées du génie sensible.

En fin, Baudelaire nous introduit dans le monde des paradis artificiels, dont il aime

le plus le vin. Cette boisson rouge comme la passion des amants ou comme les feux de

l’enfer, nous mène « à cheval » dans le paradis rêvé.

L’œuvre de Charles Baudelaire est complexe, elle atteint toutes les sphères de la

vie et les décrit sincèrement, d’où le choc des ignorants qui ont réagit frénétiquement

contre la publication du recueil. Gustave Bourdin dénonce – dans un article en Figaro, en

1875 – que « l’odieux s’avoisine avec le bas, le répugnant joint l’infecté … jamais on n’a

assisté á une telle parade de démons. Ce livre est une épitaphe ouverte pour toutes les

folies de l’esprit, pour tous les pourris du cœur… ».79

Tout au contraire, Paul Valery – et plusieurs d’autres – éloge le petit volume des

Fleurs du Mal qui « balance dans l’estime des lettrés les œuvres les plus illustres et les plus

vastes. »80

Néanmoins, ce qui est à admirer est le vif intérêt des lecteurs face a Charles

Baudelaire et son œuvre, indifférent de leur opinion – admirative ou non – sur le sujet.

Et, pour répondre, moi aussi, à la question du titre, personnellement, après avoir

réalisée ce mémoire – baudelairien lui-même, car le travail frénétique, fatiguant, s’est

79 Ibidem, p. 19180 Ibidem, p. 192

77

Page 78: licenta Baudelaire Iuliana

métamorphosée en une fleur qui présente la beauté et la sensibilité de sa création – les

poèmes de Charles Baudelaire me se dévoilent comme la pâte pour un gâteau : les

ingrédients mélangés ont une couleur sèche, une odeur pas séduisante et elle se colle des

doigts…mais le résultat ! Un petit bijou parfumé, doré, et parfaitement sucré.

BIBLIOGRAPHIE

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- Lecherbonnier, Bernard, Rince, Dominique, Littérature, textes et documents –

le XXeme siècle, Coll. « Henri Mitterrand », Ed. Nathan, Paris, 1986

- Clancier, Georges Emmanuel, Panorama de la poésie française de Chénier à

Baudelaire, chap. Un vrai Dieu : Charles Baudelaire, Ed. Seghers, Paris,

1970

- Hollier, Denis, De la littérature française, Ed. Bordas, Paris, 1993

Revues

- Burbon Busset, Jaques de, Baudelaire et son rayonnement dans Revue de la

Table Ronde, no 232, Ed. S.E.P.A.L., Paris, mai 1967

79

Page 80: licenta Baudelaire Iuliana

- Rolland, Romain et coll., dans Europe, revue littéraire mensuelle, no 760-761,

Charles Baudelaire, Paris, 1992

ANNEXES

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Page 81: licenta Baudelaire Iuliana

Charles Baudelaire parmi ses Fleurs du Mal, par Nadar

81

Page 82: licenta Baudelaire Iuliana

La couverture de la première édition des Fleurs du Mal, 1857

82

Page 83: licenta Baudelaire Iuliana

Portrait de Jeanne Duval, par Baudelaire (1865)

83

Page 84: licenta Baudelaire Iuliana

Marie Daubrun, la muse aux « traîtres yeux »

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Page 85: licenta Baudelaire Iuliana

Apollonie Sabatier, peinture d’Ernest Meissonnier

Auguste Clésinger, 1846 :buste de Madame Sabatier

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Page 86: licenta Baudelaire Iuliana

La couverture des Fleurs du Mal, corrigée par Charles Baudelaire

86

Page 87: licenta Baudelaire Iuliana

Le Cénotaphe de Charles Baudelaire, Cimetière de Montparnasse

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Page 88: licenta Baudelaire Iuliana

Baudelaire, autoportrait vers 1863

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