L'imagination

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Sur l’imagination chez Merleau -Ponty et Bachelard par Ana Bazac

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    Sur limagination chez Merleau -Ponty et Bachelard

    ANA BAZACRsum : Louvrage tend surprendre quelques sim ilitudeset diffrences entre Merleau -Ponty et Bachelard en ce quiconcerne leur conception sur limagination. Mais letraitement de ce problme forme le cur de leur philosophieen tant que recherche sur la cration de lhomme.La premirepartie dcrit le fondement husserlien de la conception sur lapsychologie et la philosophie (phnomnologique) pourlapproche de limagination. La deuxime partie discute leslments de la thorie de limagination chez Merleau -Pontyvia Sartre. La troisime partie surpr end des similitudes et desdiffrences dans lapproche bachelardienne de limagination,tandis ce que, en guise de conclusion, on mentionne quelquesaspects concernant limportance du dbat sur limaginationau-del de la philosophie thorique (pour repren dre leconcept kantien).Mots-cl: constitution des essences , intentionnalit, passivitcorporelle

    I. Limagination entre les approches de la psychologie et de laphilosophie : Husserl

    Limagination serait la facult dans le sens kantien du terme defaire / avoir / construire des images 1. Cette facult consiste en toutcas de ne pas affirmer la prsence relle de son objet 2, c'est--1 Cette facult ne consiste pas en la cration des copies de la ralit, mais e n la cration

    des copies des copies: limagination inventive , novatrice en oeuvrant limaginat ionreproductrice au vocatrice, dune manire slective, culturelle. En ce sens, GastonBachelard, Lair et les songes . Essai sur limagination du mouvement , Paris, Jos Corti,1943, p. 7 avait remarqu : autant dire quune image stable et acheve coupe les ailes limagination. 2 Maurice Merleau-Ponty, Limagination, compte -rendu de louvrage de Jean -PaulSartre (Journal de Psychologie Normale et Pathol ogique, 33e anne, Nos 9-10,

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    dire dtre la conscience du rel. a veut dire dtre un acte dela conscience, ou bien un complexe des act es dans lequel laconscience vise directement le mme objet qui lui a t donn enperception 1 .

    Comme on le sait, ctait seulement la philosophie qui sestproccup tout dabord et jusquau 19 ime sicle des problmesde lhomme. Ces problmes consistaient, avant tout, en laconnaissance du monde par lhomme, la reproduction idale du monde dans la conscience et la cration idale du monde.Bien avant la constitution de la science de la psychologie, lesphilosophes ont tch de rpondre aux questions concernant lesrelations monde extrieur monde intrieur. Puis, la psychologiesest dveloppe en transposant dans les preuves des expriencesles diverses conclusions des spculations et des concepts a priorides philosophes.

    Vers laube du 20ime sicle, la philosophie a eu ainsi choisir entre sa rduction psychologiste cest penser lesessences comme une construction du psychique ou bien sarduction raliste, naturaliste ou idaliste de diverses sortes. Maissi la philosophie ne pouvait rester quune philosophie desessences2 (des objets de nature idale de la conscience, et pas desobjets en soi), elle devait se constituer comme une ontologie deux niveaux, montrait Husserl qui part bien de lexprienceempirique et dcrit les actes et leurs rsultats (la reprsentation desessences) de constitution des essences. Cest justement par ladescription de cette trajectoire les phnomnes comme ils seprsentent la conscience - quon peut comprendre le monde,c'est--dire revenir aux choses mmes . Ctait, si je peux dire

    novembre- dcembre 1936, pp. 756-761), dans Maurice Merleau -Ponty, Parcours. 1935-1951, Paris, ditions Verdier, 1997, p. 52 (en suivant lobservation de Sartre,Limagination, Paris, F. Alcan, 1936, p. 2, 136).1 Ibidem (cest moi qui souligne, AB), p. 53.2 Jean-Paul Sartre, Limagination, Paris, F. Alcan, 1936, p. 140: la rflexion

    phnomnologique cherche saisir les essences. C'est --dire quelle dbute en seplaant demble sur le terrain de luniversel .

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    ainsi, le moment de lintrt pour / la focalisation sur linterface dumonde intrieur et du monde extrieur.

    La solution et louverture phnomnologique inities parHusserl, jamais envisages de substituer la psychologie avec laphilosophie (phnomnologique), ont t, a bien observ Merleau -Ponty, une rponse ncessaire une double crise issue dudveloppement mentionn : la crise des sciences de lhomme(indpendamment de lexprimentalisme g alopant, comme dans lapsychologie) et la crise de la philosophie. En effet, lesproccupations de la phnomnologie pour la conscience, laperception, limagination taient voues non seulement branlerles fondements a priori de la psychologie ( savoir considrecomme science de la dtermination extrieure des conduites delhomme 1) mais surtout rtablir la philosophie comme mditation infinie 2 sur lexprience de la conscience et de saconditionnalit interne externe. Il sagissait ainsi aussi dedpasser les a priori de la philosophie : la rduction delintelligibilit la rationalit pure, le sujet rationnel, les formesrationnelles prtablies (les exigences dintriorit rationnellepure 3).

    Husserl a voulu provoquer et, videmment, dpasser ltatde double crise par une rflexion qui nous rvle les prjugstablis en nous par le milieu et par les conditions extrieures, transformer ce conditionnement subi en conditionnementconscient 4.

    1 Maurice Merleau-Ponty, Les sciences de lhomme et la phnomnologie (1951-1952), dans Maurice Merleau-Ponty, Parcours deux. 1951-1961, Paris, Vrdier, 2000, p.66.2 Maurice Merleau-Ponty, Les sciences de lhomme et la phnomnologie (1951-1952), dans Maurice Merleau-Ponty, Parcours deux. 1951-1961, Paris, Vrdier, 2000, p.62.3 Ibidem, p. 65.4 Maurice Merleau-Ponty, Les sciences de lhomme et la phnomnologie (1951-1952), dans Maurice Merleau-Ponty, Parcours deux. 1951-1961, Paris, Vrdier, 2000, p.58.

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    Les pas de cette rflexion (qui d passe toute mystique 1)sont : (1.) il faut que la philosophie non seulement reproduise lesexpriences de ce que les hommes vivent (qui sont certainementdtermine physiquement et socialement), mais aussi (2.) quellemette en vidence / dgage le sens o u la signification des cesexpriences singulires. Il sagit dans ce pas de relever lintuition des significations universelles et intersubjectives quisont comprises dans les expriences singulires et, en mme temps,les transcendent, justement puisque les hommes apparaissaientdans un monde / une culture dj constitus et sont levs afinquils les utilisent2.

    Il sensuit (3.) le troisime pas, celui de la conscience delintentionnalit : la philosophie saisit que la conscience est encadrpar des entits culturelles, ce sont celles -ci qui lui donne latlologie humaine (qui la dirigent vers telles ou telles directions/valeurs, qui ont la capacit dattirer la conscience, c'est--direde lui imposer telle ou telle intention eidtique). Tout simplement,la conscience est oriente vers quelques sens ou significations : lastructure de lintentionnalit donne la conscience, en marquant saspcificit face au monde en soi (monde extrieur), c'est --dire entant le monde pour soi. Mais ces deux mondes sont, pour leshommes, profondment entrelacs : les essences, auxquelles onarrive par la cogitatio, par le raisonnement qui sopre sur lessignifications et le monde peru (qui forment, au fond, une unit),sont justement le rsultat de cette int erface.

    Bref, comme les hommes le font c'est--dire comme ilsdistinguent le fait quil vivent et les significations de ce fait-l la

    1 Ibidem, p. 67.2 On ne doit pas oublier que: A. Le fondement de la possibilit de dgager lessignifications universelles est le langage, cest dire les notions universelles mmes,comme lavait soulign Aristote , Analytiques Postrieures , A 31, 87 b 37 ; B. Lesconditions extrieures imposent certainement une approche slective des significationsuniverselles, ce qui veut dire aussi des capacits faibles davoir lintuition des essences ;ce problme montre dj les significations trans phnomnologiques, mais issues delanalyse phnomnologique, quon peut discuter.

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    philosophie doit aussi voir la distinction entre ces deux niveaux 1, etaussi leur entrelacement : cest le mlange et lambigut duneentire philosophie excessivement raliste ou excessivement idaliste qui ont gnr la crise de la philosophie saisi parHusserl.

    Le quatrime pas, (4.) est la rduction phnomnologique : cest la rsolution non pas de suppr imer, mais de mettreen suspens et comme hors daction toutes les affirmationsspontanes dans lesquelles je vis, non pour les nier, maispour les comprendre 2.Lopposition de lontique lontologique la philosophie

    na pas t, pour Husserl, quun point de dpart 3 : Husserl, qui dfinissait la philosophie par la suspension delaffirmation du monde, reconnat linhrence du philosopheau monde 4.Ainsi la psychologie et la philosophie, plus quelles soient

    compatibles lune avec lautre, s entre aident5. Cest lhypothseassume par Merleau-Ponty, et Gaston Bachelard aussi, en tant que

    1 Car la Wesenschau, en tant quelle est exprience; en tant que lessence saisir

    travers lexprience vcue, sera une connaissance concrte; mais dun autre ct, en tantqu travers mes expriences concrtes je sais plus quun fait contingent, une structureintelligible qui simpose moi chaque fois que je pense lobjet intentionnel dont sagit,jobtiens par elle une connaissance, je ne suis pas enferm dans quelque par ticularit dema vie individuelle, jaccde un savoir qui est valable pour tous, Maurice Merleau -Ponty, Les sciences de lhomme et la phnomnologie (1951-1952), dans MauriceMerleau-Ponty, Parcours deux. 1951-1961, Paris, Vrdier, 2000, p. 68.2 Maurice Merleau-Ponty, Les sciences de lhomme et la phnomnologie (1951-1952), dans Maurice Merleau -Ponty, Parcours deux. 1951-1961, Paris, Vrdier, 2000,pp. 69-70.3 Ibidem, p. 127.4 Ibidem, beaucoup plus dlibrment que Heidegger, avait soulign M erleau-Ponty.5 Maurice Merleau-Ponty, Le Visible et lInvisible , suivi de notes de travail par MauriceMerleau-Ponty, Texte tabli par Claude Lefort, accompagn dun avertissement et dunepostface, Paris, Gallimard, 1964, p. 47 : La philosophie nest pas science, parce que lascience croit pouvoir survoler son objet, tient pour acquise la corrlation du savoir et dultre, alors que la philosophie est lensemble des questions o celui qui questionne estlui-mme mis en cause par la question .

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    base de leur conception sur limagination. Lhypothse estfructueuse au-del du tableau historique unique reprsent parchacun des deux penseurs.

    II. La continuation phnomnologique de la thorie delimagination : Sartre et Merleau-Ponty

    Merleau-Ponty na pas russi rdiger une thorie comme telle,unitaire et paissie, de limagination : il na pas eu le temps, fautede sa mort prmature. Mais, en partant de Husserl et cestvraiment une preuve brillante du caractre transnationale, sansfrontires , de la raison philosophique, de plus, de la raisonhumaine -, Merleau-Ponty a esquiss des lments qui, encontinuit de sa phnomnologie de la perception, et encore duchair et du chiasma, soutiennent une conception riche ensuggestions concernant la comprhension philosophique delhomme au pluriel 1.

    Celui qui a pos le problme de limagination dans lespacephilosophique franais dune manire husserlienne a t Sartre. Endpassent la tradition occidentale excessivement cartsiennepuisquen refusant limage et au symbole nimporte quelledignit ontologique 2, Sartre a insist dans son ouvrage de 1936sur la diffrence entre perception et image, sur les relations entrelimage et lobjet dont elle est limage, sur le moment deprsentification faite par limage, sur la critique de limage choseet de lassociationnisme, toutes ces conceptions existant mme en1914 3. La question de la primaut de lexistence extrieure avaitgnr une conception o limagination et la sensibilit avaient1 Voir Ana Bazac, Reconnaissance de lhomme par lhomme comme visible et invisible ,

    la Confrence internationale 100 Years of Merleau-Ponty, A Centenary Conference,les 14-16 mars, 2008, Sofia University.2 Ionel Bue, La thorie de l image de Jean-Paul Sartre Gilbert Durand , dans Sartren gndirea contemporan (Sartre dans la pense contemporaine), coord. AdrianaNeacu, Craiova, Editura Universitaria Craiova, 2008, p. 164.3 Jean-Paul Sartre, Limagination, Paris, F. Alcan 1936, p. 80.

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    auparavant demeures le domaine de la passivit corporelle 1,mais, et il pourrait sembler trange, ce modle de raisonnementavait correspondu tant aux visions naturalistes quaux idalismes.Husserl avait renvers ce modle pour montrer quon doit formerla mthode sur lobjet c'est--dire quon doit partir desexpriences vcues et lies aux choses et pas dfinir dabord lamthode pour lappliquer ensuite lobjet 2, c'est--dire pas partirde la priori.

    Si nous voulons aller plus loin il faut retourner lexprience et dcrire limage dans sa pleine concrtion,telle quelle apparat la rflexion 3.Par montrant quil y a encore espace pour une thorie sur

    limage, c'est--dire fixer et dcrire lessence de cette structurepsychologique telle quelle apparat lintuition rflexive 4, Sartrea nanmoins esquiss cette thorie, telle quelle lui apparaissait desobservations de Husserl : a) si la conscience est conscience dequelque chose, b) il y a une distinction radicale entre la conscienceet ce dont il y a conscience ; c) pas les contenus de conscience sontlobjet de la conscience, mais la chose extrieure qui passe certainement travers ces contenus de conscience ; d) si, donc,limage est limage de quelque chose, il y a une diffrence 5 entrelintention imageante et la matire psychique la hyl, disaitHusserl que lintention vient animer ; la hyl, naturellement,reste subjective mais, du mme coup, lobjet de limage , dtach dupur contenu, se campe hors de la conscience comme quelquechose de radicalement diffrent (cest moi qui souligne, AB) 6 ; e)1 Ibidem, p. 82.2 Ibidem.3 Ibidem, p. 138.4 Ibidem, p. 143.5 Comme dans la perception. De ce point de vue, on doit noter que encore Plotin (205 -

    270 ) avait observ que la sensation se termine en imagination, et quand la premirenest plus, lobjet de la vision reste dans la seconde , et que la fonction ilageante(fantasia) ne possde pas son objet, mais elle en a seulement la vision , Ennades, IV,3, 29 et IV, 4, 3.6 Jean-Paul Sartre, Limagination, Paris, F. Alcan 1936, p. 146.

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    cest linvention qui, mme base sur des formations psychiquesrelles, a une transcendance au sein mme de son nant 1 ; f)linvention met en vidence non plus la simple distinction entre lesobjets rels du monde et, dautre part, la conscience, mais celleentre les nouveaux objets cr es par la conscience et le sens quihabite cette conscience 2 : la ralit psychique concrte est la nose,tandis ce que le sens qui vient lhabiter 3 est la nome.

    Husserl avait ainsi pass de la conscience passive, dereprsentation, la conscience active, lie lintention : cest ce quijustement permet la cration 4. Il ny a pas de pense pure, ni dessimulacres des objets rels dans la conscience, mais des processusde cration des objets non rels qui deviennent des ralitsimages (abgebildet) 5.

    Limage est plus que la perception : elle est construite, peuttre, avec la mme matire psychique, mais anime / organise par

    1 Ibidem, p. 147.2 Ibidem, p. 153. Dans Limaginaire, Paris, Gallimard, 1940, p. 234, Sartre a montr que pour quune conscience puisse imaginer il faut quelle chappe au monde par sa naturemme, il faut quelle puisse tirer delle -mme une position de recul par rapport aumonde. En un mot il faut quelle soit libre. 3 Ibidem.4 En discutant la relation entre libert et intentio nnalit chez Merleau-Ponty (Libertatei intenionalitate la Merleau -Ponty Libert et intentionnalit chez Merleau -Ponty -,Revista de filosofie , LII, nos 1-2, 2005), Adrian Ni a dduit une conclusion importantepour la philosophie pratique : les obstacles seront selon la log ique de Merleau-Ponty desdonns subjectifs issues de lintentionnalit, et pas du tout des proprits objectives,(AB) gnres par la composition des maintes choix et, ainsi, constitutions desvnement (p. 82). Mais, mme si les obstacles sont les rsu ltats du choix individuel fait,c'est--dire de la libert, et mme si on peut voir le mme objet comme obstacle oucomme facteur favorisant, ce qui dpend du projet ou du choix, il y a quand mme dessituations objectives qui, en pouvant tre interprtes diffremment, constituent pourquelques uns des conditions pour des choix dveloppant leur libert ou bien pour desautres des conditions qui limitent les choix crateurs et inhibent la libert. La libert etlintentionnalit ne sont ainsi seulement de s Erlebnisse individuels mais desentrecroisements entre le moi et lextrieur, impersonnel ou plein des Autrui : la libertest toujours une rencontre de lextrieur et de lintrieurLide de situation exclue lalibert absolue lorigine de nos engagements , Maurice Merleau-Ponty, Le Visible etlInvisible, suivi de notes de travail par Maurice Merleau -Ponty, Texte tabli par ClaudeLefort, accompagn dun avertissement et dune postface, Paris, Gallimard, 1964, p. 518.5 Jean-Paul Sartre, Limagination, Paris, F. Alcan 1936, p. 149, en se rfrant Husserl,

    Ideen, p. 226.

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    lintentionnalit, par les nomes ; elle est ainsi une synthse active,un produit de notre libre spontanit , tandis ce que touteperception au contraire est une synthse purement passive 1. Decette faon, limage est un certain type de conscience , un acte etnon une chose, elle est conscience de quelque chose 2. Laspcificit de limage est que dans elle, le savoir est immdiat(AB, tandis ce que la perception permet seulement une atteinte delobjet, dans une srie virtuellement infinie des perceptions)ellese donne toute entire pour ce quelle est ds son apparition 3.Mme si elle donne seulement un savoir en raccourci, justementparce quelle ne se base pas sur la perception : le rel extrieur laperception serait le nant.

    Tous les aspects de ltude de limage ne peuvent pasngliger cette perspective philosophique husserlienne dacqurirune vue intuitive de la structure intentionnelle de limage 4. Cestseulement cette perspective qui peut nous faire comprendre, asoulign Merleau-Ponty la position de Sartre dassumer laconception de Husserl : ce que cest que limage, comment ellepeut se laisser utiliser par la pense, entrer en rapport avec elle, ceque signifie chez un sujet la prdominance de la vie imaginaire 5.

    Pour commencer lucider le sens de lacte dimaginer dansla vie de lhomme, il faut montrer tout dabord que limage est quelque chose qui nest pas observable, quoiquelle prtendltre : une prtention la prsence de lobjet imaginaire,prtention qui nest pas fonde , une rfrence unique de moi lobjet aie en vue /en ralit, avec la prtention de le faireapparatre ici, dans mon entourage mental 6.

    Dj il est clair que limage est1 Jean-Paul Sartre, Limagination, Paris, F. Alcan 1936, p. 157.

    2 Jean-Paul Sartre, Limagination, Paris, F. Alcan 1936, p. 162.

    3 Jean-Paul Sartre, Limaginaire, Paris, Gallimard, p. 19.

    4 Jean-Paul Sartre, Limagination, Paris, F. Alcan 1936, p. 158.5 Maurice Merleau-Ponty, Les sciences de lhomme et la phnomnologie (1951-1952), dans Maurice Merleau-Ponty, Parcours deux. 1951-1961, Paris, Vrdier, 2000, p.75.6 Ibidem, p. 76.

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    en ralit une opration de toute la conscience et passeulement un contenu de conscience. On saperoit quesimaginer, cest former un certain mode de relation aveclobjet absent 1.

    Et lobjet absent, conjoint limage, est le monde dans toute sacomplexit2.

    Cest Sartre qui a donn peut tre la meilleurecaractrisation de la phnomnologie de Merleau -Ponty, passeulement cause de leur amiti, rompue cause des contingencesdu temps, mais cause du faire part et du voisinage de leurphilosophie : il ne voulait quopposer lhistoire limmobilismedu sujet kantien et

    lintellectualisme de lobjectivit il reprochait comme aurationalisme classique de regarder le monde en face etdoublier quil nous enveloppe relativisme, donc, mais deprcaution ; il croyait ce seul absolu : notre ancrage, lavie Ltre est par nous qui sommes par lui. Tout ceci, biensr, ne vas pas sans lAutre ; cest ainsi que Merleaucomprend laffirmation difficile de Husserl : la consciencetranscendantale est intersubjectivitPar Merleau nousnous retrouvons singuliers par la contingence de notreancrage dans la Nature et dans lHistoire, c'est --dire parlaventure temporelle que nous sommes au sein delaventure humaine. Ainsi lhistoire nous faits universelsdans lexacte mesure o nous la faisons particulire. Tel estle don considrable que Merleau nous offre par sonacharnement toujours creuser au mme lieu : parti de

    1 Idem2 Maurice Merleau-Ponty, Lil et lesprit, Paris, Gallimard, 1964, p. 21: quon a crutourdiment quun dessin tait dcalque, une copie, une seconde chose, et limagementale un dessin de ce genre . Mais le dessin et le tableau] sont le dedans du dehors et ledehors du dedans, que rend possible la duplicit du sentir, et sans lesquels on necomprendra jamais la quasi -prsence et la visibilit imminente qui font tout le problmede limaginaire.

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    luniversalit bien comme du singulier, Merleau parvient la singularit de luniversel .1En effet, Merleau-Ponty avait saisi que les deux modes

    dtre, celui en soi des objets tals dans lespace et pour soi dela conscience ,2 sont entrelacs justement par la position active dudernier mode. Mais cette position mme, comme ses rsultats, sontgnrs dans la contingence des perspectives vcues qui limitenotre accs aux significations ternelles 3. Les situations de viepermettent et conditionnent les significations, les universels(historiques, donc particulires ) qui tmoignent la co-existencesociale, la possibilit et la ncessit de connatre, comprendre,communiquer avec lAutrui, donc de forger et de dbatt re les sensou les significations qui constituent pas seulement un mondeextrieur des irrels mais aussi des particules (un monde particule) constitutifs de ltre pour soi. De ce point de vue, lareconnaissance rciproque des hommes, comme tous les act esnotiques dailleurs, implique que chaque particule (ce qui inclutaussi les significations, diffrentes et historiques) soit unemdiation pour dautres reconnaissances, et en ce sens, unepermanente cration des sens comme orientation par rapport aupossible, au mdiat, et non pas un milieu limit ce que nousappelions plus haut avec Goldstein lattitude catgoriale 4

    Si le psychisme est la structure du comportement, et cettestructure est visible du dedans et du dehors (pour lacteur et pourle spectateur), lAutrui mest en principe accessible ; mais comme jeme peux tromper sur moi-mme et ne saisir que la significationapparente ou idelle de ma conduite -, je peux aussi me trompersur lautrui et ne connatre que lenveloppe de son

    1 Jean-Paul Sartre, Merleau-Ponty vivant , Les Temps Modernes , no. 184-185, 1961,p. 306, 311, 364, 373.2 Maurice Merleau-Ponty, Phnomnologie de la perception , Paris, Gallimard, 1945, p.401.3 Maurice Merleau-Ponty, La structure du comportement . Prcd de Une philosophiede lambigut par Alphonse de Waelhens, IIIe dition, Paris, PUF, 1953, p. 240.4 Ibidem, p. 190.

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    comportement 1. Alors la connaissance de mes intentions et de sesintentions ce qui veut dire lentier mcanisme de la constitutionde mes /ses intentions, y inclus la constitutions des images quimaniment et laniment parat salutaire. Cette connais sance peuttre rduite ou bien commence avec la perception, commeacte qui nous fait connatre des existences 2. (Bien que notre rapportau monde nature et socit plus profond que toute perceptionexpresse ou que tout jugement 3.) Le problme de la perceptionrside dans la dualit des notions/ structure et significations 4.

    Les sens, les nomes mises comme intentions dans notrerelation avec le monde, y inclus les objets absents, sont desconstructions sociales, et encore, par les plus profonds re ssorts dela conscience, des constructions des rels irrels. Pour cette raison,

    limagination la plus vraisemblable, la plus conforme aucontexte de lexprience, ne nous avance pas dun pas versla ralit : en effet, il sagit avec le rel et limaginaire,de deux ordres, deux scnes ou deux thtres, celui delespace et celui des fantmes 5.Si ces deux scnes sont interconnects sur le plan ontique, ils

    ont t spars dans la philosophie : nous reprochons laphilosophie rflexive de transformer le monde en nome, mais dedfigurer aussi ltre du sujet rflchissant en le concevantcomme pense, et, pour finir, de rendre impensables ses relations

    1 Ibidem, p. 238.2 Maurice Merleau-Ponty, La structure du comportement . Prcd de Une philosophiede lambigut par Alphonse de Waelhens, III dition, Paris, PUF, 1953 , p. 184 : laconscience de lenfant qui voit utiliser des objets humains et commence les utiliser son tour est capable de retrouver demble dans ces actes et dans ces objets lintentiondont ils sont le tmoignage visible. 3 Maurice Merleau-Ponty, Phnomnologie de la perception , Paris, Gallimard, 1945, p.415.4 Maurice Merleau-Ponty, La structure du comportement . Prcd de Une philosophiede lambigut par Alphonse de Waelhens, III dition, Paris, PUF, 1953, p. 240.5 Maurice Merleau-Ponty, Le Visible et lInvisible , suivi de notes de travail par Maurice

    Merleau-Ponty, Texte tabli par Claude Lefort, accompagn dun avertissement et dunepostface, Paris, Gallimard, 1964, p. 62. Merleau-Ponty cite Limagination de Sartre.

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    avec dautres sujets dans le monde qui leur est commune 1. Lesaspects rvls par Sartre sont vrais : en particularisant phnomnologiquement lexistentialisme, Merleau -Ponty areprsent, lui aussi, le dpassement des sparations historiquesdes mondes de lhomme.

    partir du moment o je me conois comme ngativit etle monde comme positivit, il ny a plus dinteraction, jevois de tout moi-mme au-devant dun monde massif 2.Ainsi il faudrait saisir dans nos expriences lau -del et len

    de de limage. Dabord cest la perception 3. De la chosemme 4, et mme sil ne sagit pas dune reprsentation, laperception nous permet assister ce miracle dune totalit 5.Quelle est cette totalit ? Cest le vcu dautrui6, que pourtant je voisdune manire obscure : je communique seulement avec lui parce que notre vie a darticul 7 - mais je le vois par lintermde desimages, des symboles, des expriences qui leur tour sontdplacs, diffrents face la perception et la perception vraie. Oubien mme le fait que je le vois pose un rideau de fume e ntre lachose et ma perception.

    La philosophie de limage part ainsi de la structureintrinsque de la pense parmi laquelle se dcouvre le mondesensible. Cest une structure forme de multiples strates ou

    1 Maurice Merleau-Ponty, Le Visible et lInvisible , suivi de notes de travail par Maurice

    Merleau-Ponty, Texte tabli par Claude Lefort, accompagn dun avertissement et dunepostface, Paris, Gallimard, 1964, p. 67.2 Ibidem, p. 78.3 La perception est le saisissement des i ntentions releves dans le comportement desautres. Maurice Merleau-Ponty, La structure du comportement . Prcd de Unephilosophie de lambigut par Alphonse de Waelhens, III dition, Paris, PUF, 1953, p.181 : Ce sont les peintres, - certains peintres, qui nous ont appris, selon le mot deCzanne, regarder les visages comme des pierres. 4 Maurice Merleau-Ponty, Le Visible et lInvisible , suivi de notes de travail par Maurice

    Merleau-Ponty, Texte tabli par Claude Lefort, accompagn dun avertissem ent et dunepostface, Paris, Gallimard, 1964, p. 21.5 Ibidem, p. 23.6 Ibidem, p. 26.7 Ibidem, p. 27.

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    mdiations qui impose qu on saperoit que tout ce qui pournous sappelle pense exige cette distance soi, cette ouvertureinitiale que sont pour nous un champ de vision et un champdavenir et de pass 1.

    Donc si on part de la navet phnomnologique deschoses comme elles nous apparaiss ent on sarrte(philosophiquement) dans la distance face la pense et au monde.Ici on saisit la place de la parole et du langage, les sens et lessignifications ports par les mots. Dans toutes ses apparences celle de langage parlante, du moment de la constitution du sens, etcelle de langage parl, du moment qui appelle le bagage cultureldes sens reprsents par les langues le langage construit / forme /porte des sens et significations uvrs (slects, interprts,composs) dans la conscience par des mcanismes intentionnelscomme images2.

    Mais quest-ce que cest que cette distance la pense ? Siordinairement les gens ne sont pas conscients de leurs perceptions,la philosophie doit ltre : ainsi la distance se confronte avec ladiffrence entre le visible permis par la perception et linvisible,c'est--dire le vrai3, qui est lissue des jugements sur les perceptionsdu monde, sur les mdiations, sur leurs origine relationnelle, surleur tre form intrinsquement dans la conscience. Si le vrai est cequi nous apparaisse comme objectif celui-ci tant le rsultat denos oprations mentales qui ne doivent rien notre contact avecles choses 4 - et qui est lordre ambigu de ltre peru 5, on neparlera pas des conditions qui expliq ueraient les faits objectifs1 Maurice Merleau-Ponty, Le Visible et lInvisible , suivi de notes de travail par Maurice

    Merleau-Ponty, Texte tabli par Claude Lefort, accompagn du n avertissement et dunepostface, Paris, Gallimard, 1964, p. 28.2 Voir aussi Maurice Merleau -Ponty, Science et exprience de lexpression , dansMaurice Merleau-Ponty, La prose du monde , texte tabli par Claude Lefort, Paris,ditions Gallimard, 1969, p.17, 20.3 Maurice Merleau-Ponty, Le Visible et lInvisible , suivi de notes de travail par Maurice

    Merleau-Ponty, Texte tabli par Claude Lefort, accompagn dun avertissement et dunepostface, Paris, Gallimard, 1964, p. 30.4 Ibidem, p. 31.5 Ibidem, p. 40.

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    (mais seulement qui les conditionnent 1), ni des concepts a priori quiexpliqueraient lobjectif (concepts comme le Grand Objet , oubien, linverse, le psychisme ), mais on montrera que ltre objet, et aussi bien ltre sujet, conu par opposition lui etrelativement lui, ne font pas alternative, que le monde peru esten de ou au-del de lantinomie 2.

    Cest le processus inter imbriqu objet sujet (Merleau-Ponty en faisant leur critique 3), cest lentrelacement complexe quiconstitue le humain que Merleau -Ponty a dmontr et soulignmaintes fois. Les mmes raisons qui empchent de traiter laperception comme un objet, empchent aussi de la traiter commeopration dun sujet, en quelque sens quon la p renne 4.

    La rflexion philosophique permet ainsi de comprendreque percevoir et imaginer ne sont plus que deux manires depenser 5. Ce qui est commun donc pour la perception et pourlimagination est louverture de la pense sur la chose mme ,qui est cela mme que nous pensons voir cogitatum ou nome ,et en mme temps lappartenance de la pense nous, quipensons. La diffrence entre les deux manires de penser est quedans limaginaire, la pense nest pas de voir ou de sentir, mais

    le parti pris de ne pas appliquer, et mme oublier lescritres de vrification, et de prendre comme bon ce quinest pas vu et ne saurait ltre 6. Ainsi le rel devient le corrlatif de la pense, etlimaginaire est, lintrieur du mme dom aine, le cercletroits des objets de penses demi penss, des demi - objetsou fantmes qui nont nulle consistance, nul lieu propre,

    1 Ibidem, p. 41.2 Idem.3 Voir : Lide de sujet aussi bien que celle de lobjet transforme en adquation deconnaissance le rapport avec le monde et avec nous -mmes que nous avons dans la foiperceptive , ibidem, p. 42.4 Idem5 Ibidem, p. 47.6 Ibidem, p. 50.

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    disparaissant au soleil de la pense comme les vapeurs dumatin et ne sont, entre la pense et ce quelle pense, quunemince couche dimpens 1.En se rfrant louvrage de Sartre, Limaginaire (1940),

    Merleau-Ponty a mentionn que limage peut tre dcrite commeune conduite magique :

    la conscience cherche se fasciner elle -mme, voquer lachose, irrmdiablement absente, par sa physionomie, sonstyle, son dfroque 2.(Donc la rflexion garde tout de la foi perceptive : la

    conviction quil y a quelque chose, quil y a le monde, lide de lavrit, lide vraie donne. Simplement, cette conviction barbaredaller aux choses mmes, - qui est incompatible avec le fait delillusion, - elle la ramne ce quelle veut dire au signifi, elle laconvertit en sa vrit, elle y dcouvre ladquation et laconsentement de la pense la pense, la transparence de ce que jepense pour moi qui le pense 3. La philosophie ne suspende la foiau monde que pour le voir 4, cest a lapprochement auxessences.)

    Il y a certainement diffrentes formes dimagination etdimaginaire. Limagination donne un monde flou, incohr entjustement parce quil est imaginaire 5 et, en mme temps, rel justement parce quil est tir la surface du monde par lamoindre parcelle du peru 6. Dautre part, le pouvoir et lafaiblesse de limagination est analogue au pouvoir et la faiblessede la pense mme : un simple reflet peut faire le monde tre

    1 Ibidem, pp. 50-51.2 Maurice Merleau-Ponty, La ralit et son ombre , dans Maurice Merleau-Ponty,

    Parcours. 1935-1951, Paris, ditions Verdier, 1997, p. 123.3 Maurice Merleau-Ponty, Le Visible et lInvisible , suivi de notes de travail par Maurice

    Merleau-Ponty, Texte tabli par Claude Lefort, accompagn dun avertissement et dunepostface, Paris, Gallimard, 1964, p. 51.4 Ibidem, p. 61.5 Ibidem, p. 63.6 Idem

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    prsent, tandis ce que les dlires les plus riches len efface. Le relnous apparat ainsi comme fragile, et le vrai aussi, c'est --dire il y aune confusion monde esprit, un passage permanent entre eux,mme si coextensifs parce que distincts 1.

    Merleau-Ponty a insist sur la capacit des images/ desimagins de renforcer les sens, les schmas mentales : unpersonnage de Stendhal peut devenir le modle dun adjectif, oubien dune caractristique humaine. Tout comme notre conclusionsur/ ou synthse du comportement du personnage est de nouveaunotre schma, notre concept 2.

    La constitution des significations par le langage parlant, cequi inclut les images, est une relation desprit lesprit 3, c'est--dire une relation o un homme assume les significations donnespar lautre, crivain ou orateur : la pdagogie de limagination estainsi une base des relations sociales.

    Il y a une liaison entre les images Merleau-Ponty parlaitdes expressions cres et offertes dans lart et celle de la science.

    Dabord par lexistence du langage et de ses fonctions : parler et comprendre ne supposent pas seulement lapense, mais, titre plus essentiel, et comme fondement dela pense mme, le pouvoir de se laisser dfaire et refairepar un autre actuel, plusieurs autres possibles etprsomptivement par tous ,

    c'est--dire le langage, comme moyennant les images, est lapulsation de mes rapports avec moi -mme et avec autrui 4, lecontinuum social par la possibilit du continuumcommunicationnel. Le langage est partout, dans lart et la science,

    1 Ibidem, p. 71.2 Maurice Merleau-Ponty, Science et exprience de lexpression , dans MauriceMerleau-Ponty, La prose du monde , texte tabli par Claude Lefort, Paris, ditionsGallimard, 1969, p. 19.3 Ibidem, p. 21.4 Maurice Merleau-Ponty, Science et exprience de lexpression , dans MauriceMerleau-Ponty, La prose du monde , texte tabli par Claude Lefort, Paris, ditionsGallimard, 1969, p. 30.

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    une cration qui porte pas seulement les significations, mais, avant, une valeur demploi 1 : la capacit dexprimer concrtement lessignifications construites pour la pense.

    Puis dans le rle des images : mme si Merleau-Ponty adfini seulement lart comme ltrange tentative de procurer unepseudo- prsence du monde sans les moyens de la connaissanceobjective et par la seule force de la mtaphore 2, ne serait lascience la mme tentative et, avant dutiliser la connaissanceobjective, ne partent pas les notions scientifiques de ltat desmtaphores ?3

    Lexistence humaine qui se fait justement par lesexpriences des hommes de penser, de signifier, dimaginer, decrer nest pas un processus tlologique, comme il nest pas lersultat des choix millimtriques des hommes dans le champ infinidu possible : ni mme lart, o lartiste est conscient en poursuivantson but final, nest pas le prototype ni du choix rationnel ni dumonde qui devrait tre , c'est--dire qui serait expliqu dans latraditionnelle philosophie rationaliste 4. Les hommes en analysantle fait que le travail de Matisse a t enregistr par une camra sont installs dans leur temps et dans leur vision dhommes etainsi ils ttonnent autour dune intention de signifier 5, ils nont pas leur disposition un Monde Intelligible tout fait 6. Le mondedes possibles qui ne sont pas venus au monde, ni mmes commedes images fulgurantes, est plus vaste que le rel humain. Mais de1 Ibidem, p. 41.2 Maurice Merleau-Ponty, La ralit et son ombre , dans Maurice Merleau-Ponty,

    Parcours. 1935-1951, Paris, ditions Verdier, 1997, p. 123.3 Voir Paul Ricoeur, La mtaphore vive , Paris, le Seuil, 1975.4 Cest pourtant le petit rationalisme , cf. Maurice Merleau-Ponty, Partout et nullepart , dans Maurice Merleau-Ponty, Signes, Paris, Gallimard, 1960, p. 185 : Ilsupposait une immense Science dj faite dans les choses, que la science effectiverejoindrait au jour de son achvement, et qui ne nous laisserait plus rien demander,toute question sense ayant reu sa rponse. 5 Maurice Merleau-Ponty, Science et exprience de lexpression , dans Maurice

    Merleau-Ponty, La prose du monde , texte tabli par Claude Lefort, P aris, ditionsGallimard, 1969, p. 64.6 Maurice Merleau-Ponty, La ralit et son ombre , dans Maurice Merleau-Ponty,

    Parcours. 1935-1951, Paris, ditions Verdier, 1997, p. 123.

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    ce point de vue, la thorie merleau - pontienne des images donneun support celui-ci1.

    III. Gaston Bachelard ou la tension de saisir scientifiquementlimagination potique

    On avait parl de deux directions contraires dans la pensebachelardienne : celle tourne vers lapproche scientifique etrationaliste des thories et des faits scientifiques et celle dont lecontenu a t le monde des rveries et des images potiques. Ilparait que cette impression avait t fonde sur des notations deBachelard concernant les moyens opposs dtudier la science et laposie2. Parce que la connaissance scientifique est diffre de laconnaissance sensible ( on voit la temprature sur lethermomtre : on ne la sent pas 3), ni cette connaissancescientifique comme telle ne peut pas se constituer finalementquavec ses instruments, les concepts, forgs et falsifis dunemanire rationnelle en tant quils forment une descriptioncontinue, dialectique et rptable, c'est--dire des lois.

    Entre le concept et limage, pas de synthseles conceptset les images se dveloppent sur deux lignes divergentes dela vie spirituelle 4.En laissant part lorigine de la connaissance scientifique,

    savoir la formation des concepts mmes par des mtaphores et desimages, cest vrai. Les rsultats de la science ne sont et ne peuventpas tre exprims que par des concepts : mme si ils sont1 En partant du grand rationalisme du 17e sicle, qui avait a ttaqu lontologie quisinstalle dans ltre extrieur, et qui avait suggr laccord de lextrieur et de lintrieurpar la mdiation dun infini positif, vu dans toutes les notions vives et confuses que lessens nous donnent des choses existantes , Maurice Merleau-Ponty, Partout et nullepart , dans Maurice Merleau-Ponty, Signes, Paris, Gallimard, 1960, p. 187, 188.2 Gaston Bachelard, La psychanalyse du feu (1938), Paris, Gallimard, 1949, p. 12.3 Gaston Bachelard, La philosophie du non. Essai dune philosophie du nouvel espritscientifique, Paris, PUF, 1940, p. 10.4 Gaston Bachelard, La potique de la rverie (1960), Paris, PUF, 1999, p. 46.

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    formaliss par des schmas, diagrammes et formules, ceux -ci sontsubordonns aux concepts, cest la dfinition des concepts quivient dans la raison, et les images quon pourrait avoir desformules seraient dune nature pure, mathmatique 1. En discutantlattitude des chercheurs et celle des philosophes face la science,Bachelard a mentionn que, tandis ce que les premierscommentent les exemples scientifiques daprs les rglesscientifiques, les philosophes le font souvent par des mtaphores,des analogies, des gnralisations 2. Cette pratique serait gnrepar lattraction des philosophes de la science pour le gnral, pourla priori (tandis ce que les savants sont intresss surtout desrsultats, de la posteriori.) Quand lui, Bachelard proposait unephilosophie de la science tourne dans le mme temps verslempirique et les principes, une philosophie double ple,dveloppe dune manire dialectique, lempirisme et lerationalisme se compltant, ce dernier tant ainsi appliqu 3.

    Si on tient donc compte justement de lvolution desconnaissances scientifiques, dont lhistoire montre linertie desconnaissances dj tombes en dsutude justement parce quellesformaient des images bien ancres dans les consciences dessavants4, on ne serait plus si rsolument le partisan de la ruptureentre science et imagination.

    En effet, Bachelard a parl dune imaginationscientifique 5 qui aurait le rle de faire plus aise la inter -comprhension des chercheurs dans la cration ce qui veut direinnovation des nouveaux modles. Il sagirait des images1 Julien Lamy, Rationalit et imaginaire chez Gaston Bachelard , Les actes ducolloque international Systmes, images, langages , Bucarest, 14 et 15 juin 2006 ,diteurs : Mihaela POP, Sabin Totu, Viorel Vizureanu, Bucureti, Editura Universitiidin Bucureti, 2008, p. 309, en discutant larticle de Gas ton Bachelard, Noumne etmicrophysique, de 1931.2 Gaston Bachelard, La philosophie du non. Essai dune philosophie du nouvel espritscientifique, Paris, PUF, 1940, p. 3.3 Ibidem, p. 5.4 Gaston Bachelard, tude sur lvolution dun problme de physique. La propagationthermique dans les solides (1928), Paris, Vrin, 1973.5 Gaston Bachelard, Les intuitions atomistiques , Paris, Boivin, 1933, p. 159.

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    surveilles et subordonnes la raison scientifique : la ralisationdun programme rationnel dexpriences dtermine une ralitexprimentale sans irrationalit et a nappauvrit pas laconnaissance comme telle, puisque le phnomne ordonn estplus riche que le phnomne naturel 1.

    Dautre part, mme dans ses tudes sur limaginaire, lephilosophe a tent de le comprendre, et pas seulement delanalyser en restant exclusivement au niveau des images. Ilsagirait ainsi de leffort de Gaston Bachelard de dgager larationalit du discours imaginaire 2 dans une perspective derationalit ouverte et plurielle 3.

    De ce point de vue, la philosophie de limagination de G.Bachelard ne serait absolument oppose son pistmologie 4 : cestdune manire dialectique quil a t rait la liaison et le flux desimages, dont le processus nest pas du tout alogique.

    Mais dfaut dune impossible matrise rationnelle delimage 5, Bachelard a mentionn plusieurs fois quil tentait faireune philosophie de limagination comme ph nomnologie / parlintermde de la phnomnologie :

    pour clairer philosophiquement le problme de limagepotique (il faut) une phnomnologie de limagination.

    1 Gaston Bachelard, La philosophie du non. Essai dune philosophie du nouvel espritscientifique, Paris, PUF, 1940, p. 6. (AB, on pourrait dire le mme en ce qui concernelimage : elle peut tre plus riche que le rel, elle peut nous provoquer justement dcouvrir cette richesse, o ailleurs que dans le rel. )2 Julien Lamy, Rationalit et imaginaire chez Gaston Bachelard , Les actes ducolloque international Systmes, images, langages , Bucarest, 14 et 15 juin 2006 ,diteurs : Mihaela Pop, Sabin Totu, Viorel Vizureanu, Bucureti, Editura Universitiidin Bucureti, 2008, p. 309.3 Ibidem, p. 311.4 Cest intressant de noter que tous les deux philosophes analyss ici ont pratiqu latransgression de la frontire de leur premire attraction : Merleau-Ponty, delexistentialisme vers la phnomnologie ; Bachelard, de lpistmologie vers laphilosophie de limagination potique. Il va sans dire qu une profonde urgenceintrieure avait gnr cette transgression, Jacques Gagey, Gaston Bachelard ou laconversion vers limaginaire , Paris, ditions Marcel Rivire et Cie, 1969, p. 10.5 Jacques Gagey, Gaston Bachelard ou la conversion vers limaginaire , Paris, ditionsMarcel Rivire et Cie, 1969, p. 269.

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    Entendons par l une tude du phnomne de limagepotique quand limage merge dans la conscience commeun produit direct du cur, de lme, de ltre de lhommesaisit dans son actualit 1.Lapproche phnomnologique a paru ncessaire

    Bachelard aprs ce quil avait tent danalyser dune manirerationaliste, aussi objectivement que possible 2 les images desquatre principes des cosmogonies intuitives : leau, lair, la terre, lefeu3, puisque ceux-ci sont uns des plus grands oprateursdimages 4. Pourtant cette analyse ne russissait suivre ladynamique immdiate de limage 5. Pour la faire, il fallaitconsidrer le dpart de limage dans une conscience individuelle etaussi sa capacit trans-subjective et encore son dynamisme.Familires (personnelles) ou partages, communes, les images sontcelles qui sont la Stiftung (comment disait Merleau-Ponty pour laperception) de la conscience : se sont elles qui lui donne lacontinuit, elles sont de vritables habitudes psychiques 6 endominant le temps dune certaine faon, lopposition laperception qui est seulement le tmoigne fugace de lexistencecomme prsent.

    Ainsi limagination apparat comme une capacit deperception affective dont la forme est donne par des images. labase il serait justement lintention de voir le monde, de senimbriquer, en lui transmettan t en mme temps des significations,c'est--dire en lenrichissant.1 Gaston Bachelard, La potique de lespace , Paris, PUF, 1958, p. 2.2 Gaston Bachelard, La potique de lespace , Paris, PUF, 1958, p. 3. Fidles noshabitude de philosophe de la science, nous avions essay de considrer les images endehors de toute tentative d interprtation personnelle. 3 Gaston Bachelard : La psychanalyse du feu (1938), Paris, Gallimard, 1949 ; Leau etles rves. Essai sur limagination de la matire , Paris, Jos Corti, 1942 ; Lair et lessonges. Essai sur limagination du mouvement , Paris, Jos Corti, 1943 ; La terre et lesrveries du repos, Paris, Jos Corti, 1946 ; La terre et les rveries de la volont , Paris,Jos Corti, 1948.4 Gaston Bachelard, La flamme dune chandelle , Paris, PUF, 1961, p. 1.5 Gaston Bachelard, La potique de lespace, Paris, PUF, 1958, p. 3.6 Gaston Bachelard, La flamme dune chandelle , Paris, PUF, 1961, p. 6.

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    Les images ne sont pas des copies mais des crations designifications par lesquelles la conscience mme slargit 1 enparticipant ainsi au monde : la diffrence entre monde etconscience tend devenir lche :

    ce nest pour rien quon dit communment que le rveurest plong dans sa rverie. Le monde ne lui fait plus vis --vis.Le moi ne soppose plus au monde. Dans la rverie, il ny aplus de non-moi 2.

    Il y a ainsi, comme chez Merleau-Ponty, un dpassement desthories qui considraient les images comme des reprsentationset celles-ci comme refltant la distinction constitutive entre le sujetet lobjet : cest linteraction intrieur extrieur qui constituemaintenant la cration comme lexplication du monde :

    le rveur de rverie, sil est un peu philosophe, peut, aucentre de son moi rveur, formuler un cogito 3.Nanmoins, la phnomnologie professe par Gaston

    Bachelard a rest plutt empirique 4, parce que : 1. il a vouluexpliquer surtout la psychologie des rveurs en dgageant lesrelations conscient inconscient et 2. en bonne partie, il a traitlimagination par linterprtation de ses rsultats, les images etleurs expressions, en mettant en vidence la cap acit de certainsrsultats, face dautres, de clarifier linsertion de lhomme aumonde.

    1 De ce point de vue, il parait que Bachelard a t proche de la conception de Kant surlimagination comme racine de la sensibilit et de lintellect et cette conception avaitt renforce par son interprtation par Heidegger. Le philosophe roumain ConstantinNoica parait aussi adhrer cette conception kantienne ; voir Adrian Ni, Funcie iimaginaie la Kant ( Fonction et imagination chez K ant ), dans Analele Universitiidin Craiova, Seria Filosofie, nr. 19, 2007, p. 120, 126.2 Gaston Bachelard, La potique de la rverie, Paris, PUF, 1969, p. 144.3 Gaston Bachelard, La potique de la rverie, Paris, PUF, 1969, p. 129.4 Jean-Jacques Wunenburger, La phnomnologie bachelardienne de limagination,

    carts et variations , Les actes du colloque international Systmes, images,langages , Bucarest, 14 et 15 juin 2006 , diteurs : Mihaela Pop, Sabin Totu, ViorelVizureanu, Bucureti, Edi tura Universitii din Bucureti, 2008, p. 18.

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    Il y a ainsi une diffrence importante entre laphnomnologie de limagination chez Sartre et Merleau -Ponty et,dautre part, chez Bachelard. Pour les premiers, la perception est lepoint du dpart de la phnomnologie, puisquelle est le premiermoyen de vivre lexistence, puisquelle constitue la consciencehumaine comme conscience observante. Tandis ce quelimagination est une intention dans labsence de lobjet . PourBachelard, limagination est sur le premier plan 1, et saphnomnologie permettrait justement le saisissement de la varitet du dynamisme de la conscience : lexistence saisie parlimagination est vcue 2. Limage a donc une valeur ontologique,en mettant en vidence

    la dialectique du dedans et du dehors, dialectique qui serpercute en une dialectique de louvert et du ferm 3.

    Cest limage potique, le produit de la rverie diurne 4 ( lopposede laccent de Freud sur celle nocturne 5 ; mais Bachelard a tcertainement endett Freud, et pas seulement laphnomnologie), qui nous donne ltre. Ainsi, limage est un non -tre aux premiers6, Bachelard insistant sur la capacit de limage1 Gaston Bachelard, La potique de lespace , Paris, PUF, 1958, p. 4 : Limage, dans sasimplicit, na pas besoin dun savoir. Elle est le bien dune conscience nave. Et p.12 : chercher des antcdents une image, alors quon est dans lexistence mme delimage, cest, pour un phnomnologue, une marque invtre de psychologisme. 2 Gaston Bachelard, La potique de lespace , Paris, PUF, 1958, p. 17.3 Ibidem, p. 20.4 Gaston Bachelard, La flamme dune chandelle, Paris, PUF, 1961, p. 10 : dans le rvenocturne rgne lclairage fantastiqueles mystres eux -mmes sont dessins, dessinsen traits fortslimage est double, elle signifie toujours autre chose quelle -mme (cest l propos la psychanalise).5 Gaston Bachelard, La flamme dune chandelle , Paris, PUF, 1961, p. 2 : labsolu de larverie quest la rverie potique .6 Mme si dans ses notes de travail Merleau -Ponty a mentionn que, sil fallait bienanalyser limaginaire comme lieu de la ngation de soi , limaginaire nest pas,comme pour Sartre, un simple tant cot de ltre mais un lment au sens duBachelard , Maurice Merleau-Ponty, Le Visible et lInvisible , suivi de notes de travailpar Maurice Merleau-Ponty, Texte tabli par Claude Lefort, accompagn dunavertissement et dune postface, Paris, Gallimard, 1964, p. 320. Pour Bachelardllment tait en mme temps le monde donn par limagination et limage de cemonde. Cest, dune faon ltonnement philosophique quprouvait Merleau -Ponty :

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    denrichir ltre1. En consquent, chez Bachelard, l imagination estplus cratrice.

    Mais la crativit de limage est dmontre par Bachelardpar lanalyse de la cration potique, et pas par unephnomnologie de limage labstrait. Cest parce que limagepotique est un vnement du logos , quelle est lorigine deltre parlant : limage potique ne se trouve pas dans unergion qui serait avant le langage ; et ainsi lexpression cre deltre et dmontre la crativit de ltre parlant 2. (Mme silaccent sur le langage est commun pour Merleau-Ponty etBachelard il ne pourrait pas ltre autrement , lobjet diffrent deleur analyse, limage comme intention de la conscience deprsentification des choses absentes, chez Merleau -Ponty, etlimage potique comme intention de la conscience de crer deschoses, chez Bachelard, fait leurs exploits seulement intersects,pas superposs.)

    On ne doit pas confondre, lavait not Bachelard, les imagespotiques avec les mtaphores. Ces dernires sont desdplacements de penses, en une volont de mieux dire, de direautrement , tandis ce que limage quitte le monde rel pour lemonde imagin, imaginaire 3. Autrement dit, les mtaphores sontdes organisations langagires mises au service des imagespotiques :

    le paradoxe de nos enqutes sur limagination littraire :trouver la ralit par la parole, dessiner avec les mots 4.Le grand problme dans une philosophie de limagination

    nest pas seulement de dcrire les images, mais aussi les dcrire comprendre comment tout cela appartient la mme conscience , Maurice Merleau-Ponty, Le Visible et lInvisible , p. 316.1 Gaston Bachelard, La potique de lespace , Paris, PUF, 1958, p. 16 : Limagination,dans ses vives actions, nous dtache la fois du p ass et de la ralit. Elle ouvre verslaveniril faut joindre une fonction de lirrel tout aussi positivecomment prvoirsans imaginer ? 2 Gaston Bachelard, La potique de lespace , Paris, PUF, 1958, p. 7, 8.3 Gaston Bachelard, La flamme dune chandelle , Paris, PUF, 1961, p. 2.4 Ibidem, p. 5.

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    comme exprience interne externe, ou comme saisissement enclair-obscur de cette exprience de la conscience : ce clair-obscurcomment linscrire dans le psychisme ? 1. Eh bien :

    le clair-obscur du psychisme cest la rveriedbordantetoujours un peu, imprgnant de sa lumir e sa pnombre 2.Pour le capter, ce clair-obscur, on devrait se tourner vers luidune manire hermneutique : dcouvrir les liaisons entreles images (y inclus par lintermde des mtaphores) et lesattitudes de lhomme face lexistence.

    IV. Rver plus loin au sujet de la philosophie de limagination

    Le problme principal pour les deux penseurs a t la relationentre lintrieur et lextrieur de lhomme : tous les deux ontapproch limagination comme interface entre ces deux mondes eten mme temps comme processus de production dune nouvelleralit philosophique. Si la phnomnologie nous aide saisircomment les choses apparaissent la conscience, la relation mmeentre ces deux parties les constitue comme telles. Ainsi laconscience nest plus un dehors absolue face aux ses objets, ceux -ciperdant leur autonomie absolue face la conscience humaine 3.

    Tous les phnomnes psychiques ont cette qualit de faireque le monde humain soit intersect. Mais limagination, avec sacomplexit spciale, a la qualit de constituer pas seulement uneconscience plus complexe mais aussi un nouveau monde quisimbrique et entre lui aussi dans lintersection mentionne.1 Ibidem, p. 9.2 Ibidem, p. 10.3 Pour lhomme, il y a ainsi une condition humaine de lontos : tandis ce quelhomme existe comme humain dune manire relativ ement autonome la nature, ltre comme grand Tout , justement par son exprience, y inclus le savoir, GntherAnders (Stein), Une interprtation de la posteriori , Traduction en franais pa rEmmanuel Levinas, Recherches philosophiques , vol. 4, 1934,http://www.geocities.com/nemesisite/anders.aposteriori.htm Pour lhomme, la naturenest pas en soi, mais pour lhomme; lhomme est un tre a posteriori parce que il secre, par la thorie et la pratique, indices de la libert ontologique de lhomme.

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    Ce nouveau monde, celui des images, est connu passeulement en interprtant les donns de la c onscience mais aussien questionnant comment les objets de la conscience ont puengendrer les significations semes dans la forme des images etquelle est lattitude de la conscience face ces significations.

    La phnomnologie de limagination comme techniquephilosophique prfre pour lapproche du problme nest passeulement un choix historique de Merleau -Ponty et Bachelard,pour quon nomme seulement les protagonistes de cet essai. Si on aattentionn dj sur le fait que limaginaire social avai t t ignordans lhistoire de la philosophie 1, cest justement pour comprendrele poix de cet imaginaire quon doit nignorer pas commentapparaissent les images sociales dans la conscience de lindividuet, bien sur, comment elles sont partages.

    De point de vue phnomnologique, la socit elle -mmeexiste cause que les gens ont des images issues de et sur lesrelations et les faits sociaux. Cest vident que jai utilis ici un senslarge, mtaphorique, du mot image : comme reprsentation,comme connaissances, vraies ou fausses (clichs, chablons,prjugs), systmes des concepts scientifiques ou des parolescopiant limmdiat et limplication sentimentale dans lui.

    Mais si on veut comprendre pourquoi ont les gens lesimages sociales quils ont, on doit se pencher justement sur leurformation dans la conscience des individus. a entrane aussicertainement des explications sociologiques et psychologiques,mais ce que la philosophie apporte est le questionnement delapparition des significations soci ales, de leur persistance commeimages au sens strict et au sens large du terme et de leur inertieet mouvement dans leur confrontation.

    La question philosophique de limagination sociale porteau-del des concepts explicatifs des intrts, des relatio ns et1 Cornelius Castoriadis, Radical imagination and the social instituting imaginary,Rethinking Imagination. Culture and Creativity , eds. Gillian Robinson and John F .Rundell, London & N Y, Routledge, 1994.

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    institutions sociales, au del des savoirs eux-mmes pouvant semanifester comme clichs -, elle est tout fait subversive : si onquestionne par exemple comment simaginent les gens lasouffrance sociale concrte des autres (cest pas une questio n desavoir, daccepter indiffremment ou de repousser en rvolte, surun fondement des convictions quelconques dj abstraites,rompues de limagination) on ira discuter la rationalit sociale etla cohsion sociale de faon nouveau.

    Comme on la vu dans les pages antrieures, Bachelard asoulign surtout sur les aspects positifs de limagination, lacapacit de penser et denrichir le monde (mme si beaucoup deses contenus nexistent pas encore). Tandis ce que Merleau -Ponty,en insistant sur lide classique reprise de Husserl et Sartre quelimagination serait la cration des images faute des objetsprsents, c'est--dire serait la preuve de labsence et de non-existant , peut tre un repre pour la thorie de la pathologie devivre (seulement) dans le monde des images. Cette thorie vise lapathologie des individus aussi bien que celle des socits 1. Oui, ledpassement de la thorie que la vrit serait ladquation lobjetest une victoire de la connaissance philosophique, mais laconsidration des images comme tant la vrit en est laprovocation rebours.

    Limagination de notre approchement social, ou bien denotre distance face aux autres, est aussi un aspect qui clairera la

    1 Gnther Anders, Lobsolescence de lhomme. Sur lme lpoque de la deuximervolution industrielle (1956), Paris, ditions de lEncyclopdie des Nuisances - Ivra,2002 : puisque les mdias nous fournissent le monde, nous navons pas en fairelexprience (Le monde comme fantme et comme matrice. Considrationsphilosophiques sur la radio et la tlvision, I, 6) ; le rapport entre lhomme et le mondedevient unilatral. Le monde, ni prsent, ni absent, devient une fa ntme, la tlvision,limage est ce quelle reprsente sont synchrones. La synchronie est la forme appauvriedu prsent, tout ce qui est rel devint fantomatique, tout ce qui est fictif devint rel ;Celui quon informe est libre, puisque ce qui est abs ent est sa disposition ; il nest paslibre, puisque au lieu de la chose mme, il na droit qu son prdicat ; Le tout est moinsvrai que la somme des vrits partielles quil contient. Le camouflage raliste desstrotypes vise faire de lexprienc e un strotypes (ibidem, II, 11, 13 et III, 17, et IV,20).

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    formation mme des clichs, mais aussi des sentiments qui nousconforte paisiblement : dans quelles conditions considres demanire phnomnologique et hermneutique -, a-t-il lieu, parexemple, la substitution de nos images sociales, ou bien leur inertieobstine ? Comment les interprtons nous, les acteurs de cesimages, comment les oeuvrons nous par lintermde des images, etdans quel sens ? Mais est-ce que nous, les gens concrets dont onparle ici, les oeuvrons vraiment ? Comment imaginons nous lesimages des autres ?

    Et, cause de la complexit des images, est -ce quelimagination est celle qui serait dveloppe aujourdhui, ou bien laperception du permanent prsent donn 1 ? Mme si les lmentsmerleau-pontiens de la thorie de limagination et ceux deBachelard se compltent, est -ce que la perspective de Mer leau-Ponty ou celle de Bachelard semble plutt tre certifie par laralit sociale ? Est-ce que, justement parce que jen ai desperceptions sur les objets, je les vois rellement ?

    La discussion des philosophes sur limagination a bienmontr quon na jamais le temps de comprendre en profondeur laralit, ni par lintermde des perceptions ni par celle des images.Ni mme les concepts scientifiques ne permettent pas le faire, queseulement le processus dialectique o ils sentrecroisent auxnouvelles perceptions et images : il y a une rupture tablie par lavie entre notre pense et notre situation physique ou socialeindividuelle 2. Ainsi on a encore beau se fatiguer pourcomprendre comment voient les gens les diffrences entre les

    1 Mme si lindustrie des rclames a comme but limagination des acheteurs, et m me siles achats entranent la collaboration de la perception des marchandises et delimagination lie elles, i l parait quaujourd'hui, dans le shoping dlirant, il serait laperception qui rgnerait : le prsent, lobjet prsent, la satisfaction prsente onchangera ou jettera lobjet achet seraient plus importants que les rves lis lamultiplication de soi par lintermde de la marchandise.2 Maurice Merleau-Ponty, Les sciences de lhomme et la phnomnologie (1951-1952), dans Maurice Merleau-Ponty, Parcours deux. 1951-1961, Paris, Vrdier, 2000, p.59.

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    vnements proches (et quil vivent aussi par des images) et lessignifications quils engendrent en dehors deux.

    Est-ce que la perception de relations de pouvoir seraittoujours plus forte que l imagination dmocratique et humaniste, etest-ce quelle se complterait avec un espce dimages pures, laBachelard, sur la puissance du systme en tant quil nexisterapas une pdagogie de limagination au sens contraire ? Et quelleest la consquence de lillusion quon a plus ce quil nen fautquon soit libre ?