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L'intention de communication Author(s): Georges Mounin Source: La Linguistique, Vol. 18, Fasc. 2 (1982), pp. 3-19 Published by: Presses Universitaires de France Stable URL: http://www.jstor.org/stable/30248437 . Accessed: 16/06/2014 01:33 Your use of the JSTOR archive indicates your acceptance of the Terms & Conditions of Use, available at . http://www.jstor.org/page/info/about/policies/terms.jsp . JSTOR is a not-for-profit service that helps scholars, researchers, and students discover, use, and build upon a wide range of content in a trusted digital archive. We use information technology and tools to increase productivity and facilitate new forms of scholarship. For more information about JSTOR, please contact [email protected]. . Presses Universitaires de France is collaborating with JSTOR to digitize, preserve and extend access to La Linguistique. http://www.jstor.org This content downloaded from 185.44.78.129 on Mon, 16 Jun 2014 01:33:41 AM All use subject to JSTOR Terms and Conditions

L'intention de communication

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L'intention de communicationAuthor(s): Georges MouninSource: La Linguistique, Vol. 18, Fasc. 2 (1982), pp. 3-19Published by: Presses Universitaires de FranceStable URL: http://www.jstor.org/stable/30248437 .

Accessed: 16/06/2014 01:33

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L'INTENTION DE COMMUNICATION

Georges MOUNIN

i. Depuis un sitcle environ (depuis Whitney) s'est imposde lentement chez les linguistes la these selon laquelle la fonction premiire et centrale du langage etait la communication inter- individuelle (ou sociale), et non pas comme on le posait depuis deux millinaires et demi, I'expression de la pensde.

Certes des critiques ont etd avancees contre cette these. Celles de Benveniste (1958) et de Culioli (1968) par exemple, qui sont

inaddquates en ce sens que, dans l'expression << instrument de communication >>, elles mettent en cause l'usage metaphorique du terme << instrument >, plut6t que le concept de communica- tion. Ou bien celle de Chomsky (1968), qui est inopdrante en ce qu'il oppose t la fonction de communication du langage d'autres << fonctions >> que celui-ci posshde aussi (<< clarifier ses pensdes >>, << prouver l'habiletd > [linguistique du locuteur], << tromper >, << jouer >>, << modifier le comportement ou les pensees d'au- trui >>, etc.). Mais Chomsky ne voit pas que ces pritendues fonc- tions, qui ne sont en fait que des usages circonstanciels et secondaires, ne mettent pas en cause la fonction premiere et centrale des messages linguistiques. Et meme (comme Jakobson [1963] l'avait cependant soulign6 en depit de sa categorisation des six fonctions du langage), Chomsky ne voit pas que tous ces usages supposent cette fonction et se manifestent, quel que soit I'usage particulier ou predominant d'un message donn6, h travers cette fonction omniprdsente - laquelle, de surcroit, est la seule h pouvoir expliquer dans leur g6ndralitd le fonctionnement

La Linguistique, vol. x8, fasc. 2/1982

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(synchronie) et I'6volution (diachronie) de toutes les langues (cf. Mounin, I975, pp. 21-22 et 25-26).

Mais il existe un autre point faible dans la theorie g6ndrale du langage considdre comme etant essentiellement un pheno- mene de communication : c'est le problkme de l'intention de communication, laquelle est posse comme le critbre qui permet de discerner la communication d'avec tout ce qui n'est pas elle. Dans un premier temps de leur reflexion, ce sont les linguistes eux-memes qui ont donne le maximum de relief h ce critdre qui etait un postulat necessaire : ( Pour le linguiste, et maintenant

pour le simiologue, la premiere demarche est toujours de bien

distinguer les faits qui manifestent une intention de communi- cation (ils seront du ressort de la linguistique, ou de la simiologie) d'avec tous ceux qui ne manifestent pas cette intentionz (Mounin resumant ses maitres depuis Saussure jusqu'h Martinet, I975, p. I7).

C'est sans doute Eric Buyssens qui, le premier, dts 1943, a mis au premier plan l'importance de ce point de vue. << La simio- logie, 6crit-il, peut se definir comme l'&tude des procedes de communication, c'est-a-dire des moyens utilisds pour influencer autrui et reconnus comme tels par celui qu'on veut influencer >>1 (Buyssens, I967, p. Ii; et aussi pp. 12 et 17). Par exemple, dit-il encore :

<< Si, de loin, je fais a un ami le signe de venir, mon geste est un moyen conscient de communiquer>> (ibid., p. 17); << dans ce [type de] comportement, on retrouve l'intention d'agir sur l'esprit d'autrui >> (ibid., p. I9). Et encore : la signification d'un message, c'est

<<l'influence qu'on cherche ~i exercer sur l'esprit de celui A qui on s'adresse>>

(ibid., p. 20o). Selon Buyssens, l'acte de communication est d6fini

complbtement lorsqu'on dit que < le fait perceptible utilise est conventionnel, c'est-a-dire reconnu comme un moyen par les deux individus

qui y sont interesses z (ibid., p. 18). Sans doute, des expressions comme <<influencer autrui>>, <<agir sur l'esprit [d'autrui] >>, <<exercer une influence sur l'esprit [d'autrui] z peuvent paraitre un peu trop larges pour definir la communication proprement linguistique ou semiologique. En effet, certains probl6mes du type de l'hypnose librement consentie, et tous les entrainements fondes sur des stimuli comportementaux repetis volontairement et consciem-

i. Tous les fragments mis en italique, dans les citations de Buyssens, le sont par l'auteur du pr6sent article. De m&me pour les citations de Prieto et de MacKay.

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ment par le sujet, peuvent 6tre considdrds comme couverts par les expressions de Buyssens, alors qu'il nous parait difficile de les admettre comme des faits de communication linguistiques ou

semiologiques. Buyssens, qui travaillait alors en pionnier, par approches

successives, a d'ailleurs d'autres formules plus restrictives, et done plus satisfaisantes. << Ce qui, dit-il, distingue l'acte de communi- cation de l'indice, c'est son caractbre conventionnel : le fait

perceptible [le message 6mis] associe' i un Rtat de conscience est realise volontairement et pour que le timoin [le recepteur] en reconnaisse la destination>> (ibid., p. 2o). Plus clairement encore :<< L'acte de communication, ecrit-il, est l'acte par lequel un individu, connaissant un fait perceptible associ6 un certain itat de conscience, realise ce fait pour qu'un autre individu comprenne le but de ce comporte- ment et reconstitue dans sa propre conscience ce qui se passe dans celle du premier >> (ibid.). Ces formulations, d'une part eliminent tous les problkmes lies au mensonge, i l'hypocrisie, au viol des cons- ciences, a la publicit6 clandestine des images subliminales, celles des hidden persuaders - probl6mes specifiques, plus complexes, qui parasitent le phenombne de communication, ne le contre- disent pas, mais au contraire le presupposent comme base. D'autre

part, elles opposent les << moyens > de la communication (les signes) 'a une autre categorie de faits, qui ne supposent pas d'inten- tion de communication mais au contraire postulent l'absence de cette intention : les indices. << Chaque fois, dit Buyssens, que notre

ritine est frappee par des rayons lumineux [...] on peut dire dans un certain sens que les nerfs communiquent quelque chose au cer- veau : mais il ne s'agit pas d'une communication sociale : il n'y a pas Ul un &tre qui cherche "B influencer notre esprit >> (ibid., p. 26). Revenant sur cette intention de communication, << c'est li, dit Buyssens, que git le critire qui permet de distinguer le fait simio-

logique [de communication d'un emetteur conscient de l'etre avec un recepteur conscient de l'etre] d'avec les indices >> (ibid., p. 17).

Luis Jorge Prieto (1966, 1968), qui a le plus systimatiquement ddveloppd la pensde de Buyssens, se borne sur ce point "t la repeter par de bonnes definitions : l'indice est << un fait perceptible imm&- diatement qui nous fait connailtre quelque chose a propos d'un autre qui ne l'est pas [perceptible] >> (1968, p. 95) tandis que le signal est un << indice artificiel >>, c'est-A-dire un fait qui fournit

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[lui aussi] une indication [mais] qui a etd produit expressement pour cela >> (1966, p. 19)2.

Cette fagon de poser le probl6me de base de la communication a 6te reformulee de maniere totalement independante par rapport a la tradition des linguistes, semble-t-il, par D. M. Mac Kay, du

Department of Communication de l'Universite de Keele (Hinde, 1972). Il pose, en termes excellents, qu'il ne faut pas confondre << la manifestation passive d'un symptom [= indice] avec la pro- duction dglibirle (meme si elle est instinctive) de mots ou de

comportements calcules pour informer l'observateur >> (ouvr. cite, p. 5). Le fait de rougir de confusion, note-t-il (ibid., p. I9), est un

sympt6me et non un message. Par consequent, < ne serait-il pas bon d'avoir des termes diffdrents pour les actes qui expriment l'intention de l'Nmetteur, et qui sont perfus et interpritis comme tels, et pour les actes qui ne le sont pas ? > (ibid., p. 5). Il insiste ailleurs sur la necessite de distinguer les processus conscients d'avec les autres (ibid., p. I3), d'etudier comme sp6cifiques les actes inten- tionnels de communication (ibid., p. 14), et de ne pas parler d' < intentions inconscientes z (ibid., p. 15). Dans l'acte de communication [tel que Mac Kay le definit] un organisme peut etre consider6 comme utilisant un outil (verbal ou autre) afin de

provoquer et fagonner [moulding] la representation de certains faits [...] dans un autre organisme >> (ibid., p. I7). Enfin, < l'affir- mation que A est en train de communiquer affirme quelque chose non seulement sur la forme et les resultats de l'action de A, mais aussi sur son but [goal] > (ibid., p. 19).<<J'esptre, conclut Mac Kay, que [ces iclaircissements 'tant

donnrs] la ref6rence au concept

d'intention ne devrait causer aucune inquietude >> (ibid., p. 18). Un linguiste saussurien, nourri de Troubetzkoy, de Jakobson, de Buyssens et de Martinet ou Prieto, ne peut qu'applaudir h des

analyses aussi nettes, venant d'un tel specialiste5 (surtout que

2. Comme on n'insistera jamais assez sur l'insuffisance de culture historique de trop de chercheurs actuels en sciences humaines, qui ne connaissent souvent que leurs pr'decesseurs imm6diats auxquels ils attribuent gendreusement des (< coupures epist&- mologiques >> r'volutionnaires, signalons que cette opposition definitoire est dejh chez Charles BALLY : < L'indice, &crit-il, est un fait qui permet de conclure A l'existence d'un autre fait; le signe est un acte de volition r6fl6chie>> (cf. J. VENDRYES, L'oeuvre linguistique de Ch. Bally, dans les Cahiers Ferdinand de Saussure, 6, 1946-1947, p. 194).

3. Je relive aussi la convergence de ces points de vue (convergence pr6cieuse a mes yeux comme venant d'un chercheur acharn6 depuis longtemps a clarifier ces concepts) avec celui de Tzvetan Todorov, dont le d6veloppement, trop long pour etre cite ici, merite qu'on s'y reporte (dans Signe et Symbole, Philosopher, sous la direction de Christian DELACAMPAGNE et Robert MAGGIORI, Paris, Fayard, 1980, pp. 129-130 notamment).

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Mac Kay, lorsqu'il dcrit que < le premier echange, dans une situation authentique de communication, est souvent consacrd a etablir la perception de chacun des participants comme le destinataire [target] de l'autre>> (ibid., p. 2o), rencontre exactement le concept d'indication notificative de Prieto, concept sur lequel nous reviendrons bient6t)4.

On peut done considdrer que le concept de communication (linguistique ou, plus largement, semiologique) est etroitement

ddpendant du concept d'intention de communication5. Les cri-

tiques dirigdes contre ce dernier concept sont done non seulement recevables mais centrales. Et contrairement au souhait exprimd par Mac Kay, ce concept a cause jusqu'ici beaucoup d'alarmes, et d'attaques, parce qu'il semble introduire un critbre subjectif, introspectif, dans une analyse objective, ce qui reste le pech6 par excellence en matibre d'analyse scientifique, ffit-ce de faits de pure subjectivitd.

Ici encore, il faut souligner que non seulement les linguistes n'ont pas tente de se dissimuler ce point de fragilit6 de leur these, mais qu'ils l'ont, les premiers, mis en evidence comme problkme. Buyssens avait ddja bien marqud qu' << en pratique, les revdlations involontaires [indices sur le locuteur] sont souvent intimement m^les aux actes de communication >> (Mounin, I970, p. I5) et, rdpetons-le, que << les linguistes savent bien, notamment, qu'il ne sera pas toujours aisd de ddmontrer scientifiquement>> la presence de cette intention (Mounin, I975, p. 19); ni ais' de << tracer, dans la vie sociale, la frontibre entre les phenomenes qui rel6vent rdelle- ment d'une simiologie de la communication et ceux qui n'en relbvent pas >> (Mounin, 1970, p. 14).

C'est sfirement Prieto qui a pousse le plus loin la reflexion sur ce problame. << La distinction, dit-il, entre un signal et un indice qui n'est pas un signal semble toujours pouvoir etre faite dans la pratique; mais, en l'itat actuel des connaissances, il est malaise de donner une definition rigoureuse du signal [qui implique l'intention de communiquer], en determinant quelle est la diffdrence spdcifique qui le caracterise A l'interieur de la

4. On consultera sur ce point le travail plein de finesse et si concret de Jean LUo- NETTI (1977).

5. On consultera sur ce point les trois 6tudes importantes de Jeanne MARTINET (1978, 1979, 1981).

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classe des indices z>> (Prieto, 1968, p. 95). << Pour qu'il y ait signal, dit-il encore, il est ndcessaire - et suffisant - que le recepteur se rende compte du propos [de l'intention] qu'a l'emetteur de lui transmettre un message determin6 >> (Prieto, 1966, p. 14. - On notera que le texte de 1968, en fait, est anterieur h celui de 1966 : il a 6td redig6 dbs 1960, et retard6 par la publication du volume collectif qui le contenait). Puis il poursuit :"<

Comment le signal s'arrange-t-il pour permettre au recepteur de se rendre compte que l''metteur se propose de lui transmettre un message ? La

riponse est bien simple : le signal, du fait meme qu'il est produit, indique au recepteur ce propos de l'emetteur > (Prieto, 1966, p. 15; cf. aussi pp. 31, 35, 53, 56). A notre avis, Prieto ici ne voit

pas, ou du moins ne dit pas assez explicitement, que ceci est vrai seulement si le recepteur, et l'6metteur, ont appris socialement le code des signaux dont il est question7. Ceci explique sans doute

que Prieto, quand il examine les causes d'6chec de l'acte de communication, n'en envisage que deux : la mauvaise comprdhen- sion du message ou l'ambiguite du message (ibid., pp. 55, 56). Il ne considbre pas comme source d'echec la non-perception du code, c'est-a-dire la non-perception de l'intention de communi-

quer. Toutefois, c'est Prieto lui-meme qui propose le nouveau

concept susceptible de mieux aborder le debat, ne serait-ce que pour demontrer que ce concept est refutable : << La premiere indication, dit-il, X laquelle nous avons affaire - nous l'appellerons l'indication << notificative >> - est fournie par le signal du fait meme qu'il est produit : la production d'un signal indique au

recepteur que l'emetteur se propose de lui transmettre un mes-

sage >> (ibid., p. 33; cf. aussi pp. 15, 53, 56, 62).

2. C'est sur ce point de l'argumentation de Prieto que j'ai rencontre la discussion critique la plus serrie concernant l'inten- tion de communication (Nattiez, 1973). Le raisonnement est

6. BUYSSENS parlait (ci-dessus p. 5) d'une << production d6libdrde (meme si elle est instinctive) >>, comme TODOROV, infra, p. 21. La concession me parait excessive. Elle m6ritera un examen d6taill6 qui, pour ma part, pourrait prendre comme point de d6part la pensde de Piaget sur le << constructivisme de la conscience >>, et sur les niveaux de conscience (cf. Ren6 TIssoT, 1979, pp. 143-151).

7. II faudrait naturellement distinguer l'apprentissage d'un code au sens strict, et l'apprentissage au sens large des comportements codiques (ou s6miotiques) d'une culture donn6e. Ainsi, I'Europ6en qui n'a pas v6cu au Moyen-Orient ne pergoit pas que le fait de lever les sourcils - ou le menton - fait partie d'un code gestuel (signifie << n6gation >) diff6rent du sien. Il ne lui attribue done spontandment, sans apprentissage sur le tas, ni une indication notificative, ni afortiori une indication significative addquate.

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celui-ci : < Jean Molino [...] a montr6 que s'il tait possible, intrinsbquement, de determiner s'il y a ou non intention de communication [...] cela signifierait que le signe [ou le signal des Anglo-Saxons depuis au moins Bloomfield] n'a pas deux faces, mais trois, une face hypothetique qui manifesterait FORMELLE- MENT, d'une manibre quelconque, l'existence de cette intention de communication, outre le signifiant et le signifi z>> (Nattiez, ouvr. cite, p. I66). Cette troisibme face existe-t-elle ? On pourrait objecter a Molino et Nattiez l'existence de nombreux codes qui posshdent ce qu'on appelle un < indicatif>>, que le Nouveau Petit Larousse d6finit ainsi, un peu lIchement : < Musique, bruitage que rep6te une station de radiodiffusion ou de television, au debut d'une emission, A fin d'identification.>> (En effet, il y a bien d'autres << indicatifs >>, en navigation, en aviation, dans tous les types de transmission cryptographique.) Mais dans les langues naturelles, en quoi consisterait l'indication notificative formelle qu'exige Molino ? < L'intention, dit Nattiez, est un phenomane difficile- ment connaissable, alors que la science s'edifie sur l'examen de TRACES >> (ibid., p. 166).

Il reprend, pour tenter de le prouver, l'exemple d'une commu- nication iventuelle avec des extra-terrestres (cf. Mounin, 1970, pp. 117-127), oi0 ce qu'on cherche h itablir n'est pas d'abord la nature du code mais son existence, ou non. La base de l'analyse est que si cette communication existait, les radio-astronomes

pensent qu'elle aurait beaucoup de chances d'etre fondie sur l'emission de radiations. Comme toutes celles qu'on capte venant de l'espace, et qui sont des emissions naturelles connues de la physique des astres, sont etendues (c'est-a-dire emises par des

surfaces), continues, modulkes, les radio-astronomes cherchent des radio-sources qui, ponctuelles, intermittentes, de friquence stable, auraient de fortes chances d'etre artificielles, c'est-a-dire intentionnellement 6mises pour etre identifiees comme un signal. Nattiez pense que, meme si elles existaient, de telles emissions ne prouveraient sans doute rien (ibid., p. I67). En fait, ou bien il n'a pas compris les radio-astronomes et a raisonni sur les mots sans connaitre les choses, ou bien il est victime d'une opposition qu'il fait entre critbres situationnels (origine ponctuelle, inter-

mittente) et critbres formels, internes aux indices (temps, fr6quence et puissance stables). L'opposition entre emission etendue et emission ponctuelle, entre emission continue et emission inter-

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I0 Georges Mounin

mittente n'est pas moins formelle et interne aux indices que la stabilit6 des paramktres des ondes elles-memes. Ce n'est pas quelquefois uniquement la situation et quelquefois uniquement la structure formelle qui permettent de dire qu'un indice est un signal : c'est toujours les deux ensemble, comme nous le verrons plus loin.

De plus, Nattiez commet une erreur interessante en ce qu'elle permet d'analyser les causes de maints malentendus dans maintes discussions : il traduit, c'est-a-dire paraphrase, I'affirmation qu'il combat. Selon lui, parler de signaux ponctuels, intermittents, de frequence et d'intensite stables, ce serait 6tablir, comme << critdres de l'artificiel >>, << la regularite, la fixit6, I'ordonn6 par opposition h l'alkatoire, le mobile, le disordonn >> (ibid., p. I67). Il me semble que le texte auquel il se refbre ne permet absolument

pas les synonymies qu'il en tire : ponctuel = regulier (?), inter- mittent = fixe (?), stable en frequence = ordonn6 (?)8. Il n'y a aucune correlation entre les trois termes cites et les trois termes de Nattiez, meme si on corrige encore autrement l'ordre des

pr'tendus synonymes (intermittent = ordonnd, stable = r'gulier, ponctuel = fixe). Le texte cite ne dit absolument pas que les critires de 1' << artificiel >> [c'est-A-dire des produits d'une activite humaine ou, plus largement, intelligente : ici, des signaux] sont la regularite, la fixit6 et I'ordre; il ne dit absolument pas non

plus que les critbres du << naturel >> [ici, des indices] seraient tou-

jours l'aleatoire, le mobile, le disordonn6. Et, pour illustrer cette

opposition, l'image du << bruit de la pluie [qui] est lindaire [?], regulier [?] et provient d'une source fixe [?] >> (Nattiez, p. 167) est une image trbs inaddquate. Surtout, Nattiez ne voit pas que le texte qu'il critique oppose l'artificiel [qui pourrait etre un signe] (ponctuel, intermittent, stable) au naturel [un phinombne astro-

physique bien connu] (&tendu, continu, module) dans le cas et dans la situation seulement de la recherche des caractbres que des

signaux pourraient avoir en astrophysique - et non pas en

gendral. Il y a I~ une grosse faute logique inapparente : privilkgier un mode de pensde fixiste, essentialiste, metaphysique, verbale, qui voudrait toujours que tous les phenombnes, dans un domaine

donnd, soient reductibles A une rbgle unique - alors qu'une pensde

8. On peut aussi comprendre, peut-6tre : << fr6quence et intensit6 stables >> = fixit6; stables (?) = r6gularit6; et non al6atoire = ordonne. Mais la lecture n'en reste pas moins confuse. Mieux valait s'en tenir aux termes du texte discute : phenomenes ponc- tuels, intermittents, stables quant aux parametres des ondes.

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L'intention de communication 11

qui veut analyser des ph6nomtnes doit ^tre le contraire, c'est-a- dire rdaliste, dialectique, et ne gendraliser qu'a posteriori. Les

astrophysiciens qui cherchent h d6tecter dans l'espace des phino- mtnes volontairement produits pour attirer notre attention de Terriens, et pour entrer en communication avec nous, prolongent en les mettant & jour les sp6culations trbs l'gitimes de ceux qui croyaient Mars habite parce qu'ils croyaient y voir des < canaux >> - ou celles de Gauss, qui proposait de tracer sur le tableau noir

gigantesque de la plaine sib'rienne une construction lumineuse du thdorbme de Pythagore - ou de Camille Flammarion, etc. Tous proposaient,

' titre d'hypothbse experimentale, d'observer ou de construire des phinombnes qui offraient a leurs yeux, a leur epoque, un critere d'intention de communication parce que ces phenomenes taient des produits humains.

En realit6, si Nattiez fait un sort si discutable aux trois paires de mots qu'on vient d'examiner, c'est parce qu'il pense pouvoir se servir, contre le concept d'intention de communication, de quelques pages de Jacques Monod concernant, en biologie, le < naturel >> et 1' P artificiel >> (Monod, 1970, pp. 17-20). La ten- tative est tout a fait recevable : si Monod a raison, il faudra s'incliner. Il cherche a decouvrir si l'activite de tous les &tres vivants est teleonomique, c'est-a-dire s'ils sont des objets doues d'un projet, s'ils ont un but (ouvr. cite, p. 22). Cette hypoth~se et sa discussion ventuelle depassent notre propos. Mais Monod choisit d'en fournir la preuve en demontrant < la difficulte de definir la distinction qui cependant nous parait intuitivement evidente entre objets < naturels >> et < artificiels >> >> (ibid., p. 21). Son raisonnement concerne bien alors les linguistes qui opposent les signes (< artificiels >>) aux indices (< naturels >>). C'est li qu'il introduit ses trois paires de critbres distinctifs (que Nattiez para- phrase encore, a tort, au lieu de les citer) : en biologie, I'artificiel serait caracterise par < les critbres de regularite, de simpliciti g0ometrique, et de repetition >> (ibid., p. I9). Utilisant comme exemple les maisons de Barbizon, les rochers de Fontainebleau, les cristaux, les ruchers, et les abeilles elles-memes, la demons- tration est litterairement brillante. Mais elle n'est pas convain- cante, m6me en biologie. I1 y a probablement autant de ressem- blances, et de diffrences, entre toutes les feuilles d'un millier de platanes de meme espbce et un millier de chaises faites a la main par le meme chaisier - ou la description phonetique fine du mot

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12 Georges Mounin

<( non ) prononce par un millier de locuteurs des deux sexes de trois A quatre-vingt-dix-neuf ans. Les critres de Monod semblent fortement influences parce qu'il vit a l'dpoque de la production industrielle en serie par machines-outils.

Mais ceci n'est pas notre problbme. L'intiret des pages de

Monod, c'est qu'il introduit, dans sa parabole plus litteraire que logique, de petits abus de langage qui la ruinent comme demons- tration logique. Par exemple, quant a la < r6gularitd >~, ou a la << simplicite g0ometrique z, il ajoute ces correctifs : z presque jamais >> des objets naturels ne satisferaient au critbre de regularite, et celle-ci associde a la repetition, ne vaudrait << qu'h certaines

approximations prbs > (ouvr. cite, p. 18). Il pose aussi que notre

concept d' << artificiel >>, concernant un artefact tel qu'un couteau, est conditionne par le fait que << nous savons que le couteau a ete

fazonn6 par l'homme en vue d'une utilisation >> (ibid., p. 17), ce qui reintroduit, par un biais qui interesse vivement le linguiste, tout le problRme - essentiel h ses yeux, nous le verrons - de

l'apprentissage social des produits<< artificiels>> tels que les signaux. Monod, d'ailleurs, ajoute explicitement ceci, qui va dans le meme sens : << C'est donc par rif6rence a notre propre activite [...] que nous jugeons du << naturel >> ou de 1' < artificiel >> d'un objet quel- conque> (ibid., p. 17). Le linguiste et le semiologue n'en demandent

pas plus : il y a des produits artificiels de l'activite humaine, comme les signaux, qui ne sont pas justiciables des trois critbres universels (discutables en eux-memes) que Monod propose pour distinguer le naturel de l'artificiel en biologie. Il conclut trbs bien

qu'en fait << sur la base de critdres structuraux macroscopiques il est sans doute impossible de parvenir a une definition de l'arti- ficiel... o (ibid., p. 21). Mais il ne voit pas qu'en excluant la << fonction >> des objets comme critere, il contredit ce qu'il vient de dire sur l'apprentissage social et l'activit6 sociale comme cri- thres objectifs des produits intentionnels de l'homme. En realite, il me semble que l'erreur centrale de Jacques Monod est de

postuler pour 1' << artificiel >> des critbres qu'il veut objectifs (et nous sommes d'accord) et << gendraux > (ibid., p. I7), c'est-a-dire universels : il veut faire de l'artificiel une essence metaphysique, alors que les artefacts sont tous des produits trbs varies selon les cas et les situations, dont les caractbres definitoires varieront

peut-etre selon de nombreuses sous-classes, leur seul trait universel etant d'etre des << produits >, reconnus comme tels par la vie sociale

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des sous-espbces de l'homo faber. L'utilisation, par Nattiez, des rdflexions de Jacques Monod sur le naturel et l'artificiel semble

done illegitime. Cette parenth6se sur les arguments de Monod refermee nous

permet de revenir a la these de Molino, qui contient d'ailleurs le meme type foncier d'erreur logique. Le raisonnement de Jean Molino, en effet, est formellement impeccable. S'il est possible, intrinsequement, de detecter dans un signal, en plus de son signifiant et de son signifid, quelque chose qui manifesterait l'intention de communication de l'emetteur du signal, alors le signal n'a pas deux mais trois faces, la troisibme etant 1' F intention notificative >>, dont l'existence est postulee mais non demontr'e par Prieto.

Le raisonnement est impeccable, mais est-ce le type de raison- nement logique qui convient au probl6me pose ? C'est-A-dire : l'indication notificative de Prieto doit-elle, obligatoirement, &tre toujours manifestee formellement >> et dans chaque signe ? ou seulement 1l'initiale de chaque message ? (cf. la citation de Molino par Nattiez, ci-dessus, p. 9). Nous avons deja signald (supra, p. 9) certains cas de communication oh cette indication notificative specifique ouvre l'emission de chaque message ou de chaque discours. Mais comment affronter le probl6me des codes sans indicatif tel que les langues naturelles humaines ? Selon nous, la reponse h cette question consiste a expliciter, en l'analysant de faqon trbs detaillie et en la gendralisant, la sugges- tion de Prieto : l'indication notificative est perrue par l'emission des signaux (ou des premiers signaux) d'un message, selon des codes multiples, parce que les signaux sont reconnus comme tels en vertu d'un apprentissage prealable qui commence avec les premiers jours de la vie du petit 8tre humain. Nous voudrions ici decrire un exemple trbs concret mais aussi trbs simple pour illustrer le fonctionnement de ce mecanisme d'apprentissage social dans toute son itendue et dans toute sa signification.

Je suis A Savines, dans les Hautes-Alpes. Je prends une route, pour une promenade. A i km, sur ma droite, je trouve l'amorce d'un chemin non goudronne, A l'entree duquel, sur une planchette cloude A un poteau, je lis : Notre-Dame-des-Neiges, 2 km.

Je prends ce chemin dans l'intention d'aller voir cette chapelle. A 500 m de la bifurcation, le chemin, qui &tait roulable, devient un sentier muletier bien trace mais oi l'on ne peut avancer qu'a la queue leu leu. A un moment donne, un peu plus loin, une autre

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bifurcation amorce un autre sentier. Lequel prendre ? Pas de

signaux d'aucune sorte, me semble-t-il, A la fourche. Je me fie a des indices : le sentier de droite me semble moins large, moins foulk. Je prends le sentier de gauche. Encore un peu plus loin sur ce sentier, sur une large pierre, j'aperqois une tache blanche ou blanchitre, de 5

' 7 cm de diametre, qui a l'air d'6tre faite a

la peinture. Je me souviens alors d'en avoir vu quelques autres

auparavant sur le sentier. Sont-ce les marques d'un trace ? J'en trouve successivement quelques autres, toujours sur une grosse pierre, toujours vers le milieu du sentier, de meme forme, un peu ronde - et de meme couleur. Je depasse d'autres sentiers sur ma droite, sans traqage visible. Je continue a choisir le sentier de

gauche, toujours sur des indices : il va toujours dans la meme direction, le sud-est, il monte toujours vers la partie de la colline

qui, de loin, m'avait paru le point culminant (mais nulle part, au depart, je n'avais aperqu d'indices tels que croix, mur, toit, etc., suggerant une chapelle). Cependant, au bout de trois quarts d'heure de marche, je suis toujours loin du sommet, j'ai fait certainement beaucoup plus de 2 km sans rencontrer trace de Notre-Dame-des-Neiges. Je decide de redescendre. Chemin faisant, j'examine mieux les marques blanches, de plus prbs. Je finis par remarquer qu'elles ont toutes (il y en a sept ou huit), au centre, une petite tache noiratre ou grise, et je finis par conclure qu'il s'agit 1l trbs probablement de fientes d'un oiseau, assez gros, qui a l'habitude de se poser sur les pierres, peut-&tre un petit rapace diurne, ou nocturne (si j'avais ete chasseur ou naturaliste amateur, je l'aurais pens0 plus t6t sfirement).

Si l'on analyse cette modeste experience, on voit que l'on est dans un cas concret de recherche de l'intention de communi-

cation, c'est-a-dire de recherche d'une indication notificative. Sur quels e~lments me suis-je fonde dans ma ddmarche ? J'ai pense que je me trouvais dans une situation claire de communi- cation, marquee par un signal : la planchette, la flche, l'objectif, le kilomitrage. Puis j'ai cherche d'autres signaux de tragage. Sur quelles bases les ai-je cherches ? Sur la base de mon accultu- ration dans la vie franqaise de la deuxibme moiti' du xxe si6cle, qui m'a habitue a l'existence de parcours flichis, de traces de randonnie en montagne (trace noir = dangereux, rouge = diffi-

cile; bleu, jaune, vert, etc.), traces des sentiers de grande ran-

donnie, bien standardises (une bande rouge et une bande blanche

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superposees, toujours t droite, g6ndralement a hauteur des yeux, avec des bandes incurvies aux bifurcations, etc.). J'ai done une

longue habitude sociale de codes vari6s dans ce type de situation.

J'ai par consequent cherchi le code possible du trace de mon

parcours, par analogie avec d'autres codes utilisis, en tenant

compte de la variete des marquages selon les communes, selon les associations touristiques locales; par difference aussi avec d'autres marquages quelquefois trbs voisins (signes de piste des scouts, marquages forestiers des arbres destines l'abattage, etc.). C'est cet ensemble d'habitudes socialement acquises qui m'a fait

privilegier les taches blanches (peinture, couleur, forme, dimen- sion, places..., homoghnes), malgre leur distribution inhabituelle

(milieu du sentier) ou douteuse (absence de marques aux bifur-

cations). De ce type d'exemples, on peut diduire que - sauf les cas, plus nombreux qu'on ne pense, de codes a indicatif speci- fique - l'indication notificative est generalement de nature sociale. Contrairement aux apparences, meme dans les cas o0i le code, non seulement est inconnu, mais peut tre assez longtemps inaperqu, la perception de l'indication notificative (c'est-h-dire de la presence possible d'un code) decoule egalement d'un

apprentissage social. Cet apprentissage est celui des situations de communication les plus varides, auxquelles tout homme est accoutume, d'abord; puis la connaissance et l'usage d'autres codes, trbs varies eux aussi, dans le meme type de situations. De ce point de vue, la procedure de recherche du code (donc en pre- mier lieu de l'indication notificative) est la meme que celle de la constitution de toute connaissance : essayer d'abstraire les traits pertinents eventuels d'un phenombne, puis verifier si on peut les generaliser a une classe de ph6nombnes semblables. II y a des milliers de langues du monde que je ne connais pas, mais il n'y a nul doute que si j'observe deux locuteurs communiquant dans l'une de ces langues, ou meme si un locuteur s'adresse a moi, bien que je ne le comprenne pas je sais - par tous les traits de situations analogues qui font partie de mon experience - que j'observe une situation de communication linguistique. C'est mon

apprentissage social tout entier de la communication qui joue. Comme on peut le voir, il n'est pas necessaire, pour admettre

le concept d'indication notificative lors de l'Nmission d'un message, que le signal ait trois faces : son signifiant, son signifie, et la face hypothetique qui manifesterait formellement cette intention de

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communication. Moins encore est-il n6cessaire d'admettre que << la forme de l'objet (ici : du signal) est totalement conditionnde et modelde par l'intention de communication z (Nattiez, p. 166). L'erreur de Nattiez - qui, repetons-le, s'appuie sur un expose oral de Jean Molino (cf. Nattiez, sub Molino, p. I89) - consiste A traiter un phtnomtne social au moyen d'un concept d'origine nettement metaphysique; j'entends par 1 un concept considdr6 comme une essence universelle 6ternelle (tout signe devrait avoir trois faces formelles distinctes, dont l'une manifesterait l'intention notificative, c'est-a-dire l'intention d'6tablir une communication d6finie comme telle, cf. supra, p. 4, 5). Nous croyons avoir etabli

qu'au contraire ce phenombne (l'intention de communiquer) ne

peut ressortir que d'une analyse dialectique, qui englobe a chaque fois, pour chaque interlocuteur, la synchronie et la diachronie de toutes les formes de communication de 1'espbce humaine. Le fait d'apercevoir une intention qui notifie en quelque sorte un d'sir de communiquer me parait presque toujours (sauf dans les cas d'apprentissage social pr'alable et specifique du code A

l'dtude) lied t l'histoire de chaque individu, c'est-a-dire a toute l'histoire de son apprentissage de toute la culture dans laquelle il baigne, culture oih les comportements significateurs eux-memes ont leur longue histoire.

D'un point de vue purement 6pistemologique, il est interessant de souligner que Molino et peut- tre surtout Nattiez, aprbs avoir introduit dans le problkme une condition de logique formelle inutile et meme fourvoyante, rdtablissent in fine les conditions de la veritable analyse h faire. << La determination [de l'intention de

communication] (disent-ils alors) requiert en fait des critbres EXTERIEURS9 a l'objet [c'est-h-dire au signal], philologiques, psychologiques, sociologiques, ou critiques. > A mon avis, cette seule phrase les ramine sur le terrain de Prieto. L'intention de communication est reconnue par un apprentissage social, que Prieto n'a pas explicitd sans doute suffisamment, qui est trbs

complexe chez n'importe quel adulte dans n'importe quelle culture, et qui n'englobe pas exclusivement l'apprentissage social des codes connus et transmis express6ment comme tels; mais elle est reconnue aussi par la gendralisation de cet apprentissage t tous les comportements susceptibles d'6tre communicateurs

g. Les capitales sont de l'auteur.

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dans telle ou telle culture. Lorsque Nattiez ajoute que << l'intention est un phenombne difficilement connaissable [et nous en sommes bien d'accord], alors que la science s'gdifie sur l'examen de TRACES >> (art. cit6, p. I66), il me semble qu'il retombe par cet alors que dans une metaphysique positiviste : toutes les traces ne sont pas matirielles ou formelles, un apprentissage social est une trace (complexe A d6crire), une situation interpersonnelle ou sociale est une trace (dont il est parfois difficile d'extraire les circonstances pertinentes), etc. Tout comportement humain peut 6tre constitu6 de traces materielles (photographiables, par exemple, ou susceptibles d'une notation), mais aussi de traces immat&- rielles (accessibles par toutes les techniques de la psychologie, de la

sociologie, de l'ethnologie, de l'anthropologie sociale). Certains lecteurs auront peut-6tre pense que tout ce qui

prec&de repr'sente un travail disproportionne en regard de l'interet theorique, assez mince A leurs yeux, de < l'intention de communication >>. Nous voudrions, en concluant, souligner trois

aspects essentiels a ce propos. Tout d'abord, pour tout linguiste et tout simiologue - qui

soutiennent que la communication est la fonction primaire et centrale de tout systhme linguistique ou semiotique (avec tout ce

que cette thbse comporte, soit du point de vue phylogenetique, soit du point de vue ontogendtique) -, il n'est pas indifferent d'avoir essay' de lever l'objection contre l'introduction du concept d'in- tention de communication, puisque cette objection a tenu et tient encore une place centrale dans la discussion, quand discussion il y a.

Ensuite, si l'on persiste A penser que le problbme est mineur en linguistique - oi l'intention de communication semble a tout le monde une evidence, voire un truisme - il faut remarquer qu'il n'en est pas de meme en simiologie. Surtout si l'on prend en consideration le point de vue de McKay, qui est aussi celui de Buyssens et de Prieto, quant a la ndcessite theorique de bien distinguer l'indice (tout phe- nom6ne qui fournit y l'observateur une indication interpretable, sans

qu'il y ait intention de la fournir chez l'dmetteur) d'avec le signal ou le signe (qui comportent toujours cette intention d'attirer l'at- tention d'un r6cepteur, et qui sont imis expressdment pour cela) 10.

io. On est 6tonn6 sur ce point que Todorov, aprbs avoir bien caract6ris6 l'intention de signifier (ouvr. cit6, p. 13o), r6introduise le concept < d'intention non consciente >> (ibid.) par exemple pour << l'homme qui met aujourd'hui son veston et sa cravate o>, fait qu'il suggbre de consid6rer comme signe.

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Si meme on persiste a penser malgr6 tout que l'interet de cette distinction n'est pas evident (et comme Barthes, au fond, que les systhmes d'indices sont interpretables, de la meme fagon que les systhmes de signes sont decodables), il est bon de prendre cons- cience que ce problkme est devenu majeur, et central, a partir du moment oih (voici une vingtaine d'annies, avec Lotz, Benveniste et de plus en plus d'autres jusqu'a Hockett) s'est posse la question de savoir enfin s'il y a des critbres objectifs capables de distinguer (ou non) les langues naturelles humaines d'avec la communication animale. On admettra que les experiences sur la communication entre hommes et primates ont rendu cette question brfilante, meme

lorsqu'on oublie qu'elle se posait deja a partir de von Frisch et des abeilles, puis de Konrad Lorenz, si on accepte de considerer un instant celui-ci comme le porte-parole d'un courant trbs important en ethologie, ne serait-ce que par son aptitude a for- muler et t populariser la synth6se des recherches et des decouvertes de toute une ecole.

Dans le chapitre 6 ((( L'anneau de Salomon >>) de son livre II parlait avec les mammiffres, les oiseaux et les poissons, Lorenz expose sur la communication animale un point de vue qui rejoint celui qu'on soutient ici : qu'il ne faut pas confondre un indice avec un signal ou un signe. Bien qu'il emploie toujours le mot signal a la place d'indice, ses descriptions et ses formulations sont absolument sans ambiguite. (( Les animaux, dcrit-il, n'ont [...] pas de langage au sens propre du terme >> (ouvr. cite, p. 86). (( L'animal n'a nullement l'intention consciente d'influencer un conginbre > (ibid., p. 87). (( Les animaux pergoivent et apprecient avec exac- titude des signes incroyablement tenus [des indices] qui n'ont pas z't mis pour les informer des intentions d'un congninre o> (ibid., p. 88); < aucun animal ne dit jamais quoi que ce soit dans le dessein conscient de determiner ses semblables a agir d'une certaine fagon>> (ibid., p. 91)11. Tout le chapitre est a bien connaitre, et a mediter. Selon moi, tant qu'on n'aura pas refute cette presen- tation de Lorenz - et je n'en ai lu jusqu'ici aucune refutation convaincante - on aura maintenu la confusion entre indice et signal'2, on aura decrit comme semblables ou analogues des

Ii. Ces formulations, qui ont l'air abruptes, renvoient, je le r6pelte, au chapitre tout entier, et meme A tout ce qui est decrit dans l'ouvrage sur ce theme.

I2. Signal est utilise ici comme chez Lorenz et tous les auteurs anglo-saxons (cf. l'article cite de MAc KAY qui garde << signal >> en dtpit de tout ce qu'il vient de dire; ct cf. MOUNIN, I975, P. 52-53).

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comportements animaux et humains assez diffdrents, ou trbs diffdrents, et on aura freine, inconsciemment, a la fois l'analyse correcte des formes trbs varides de la << communication animale >>, et l'analyse fine des ressemblances et des differences, qui seule permettrait de classer les formes de cette communication, sans doute sur un continuum qui va jusqu'd l'homme inclusivement - mais sans que nous sachions bien, jusqu'ici, en quoi la commu- nication chez celui-ci est proche ou eloignee, voire spicifique, par rapport t toutes les autres.

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