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L’inventaire des collections ethnographiques dans le débat SUT le retour de biens culturels 187 Au dìspositìf de contrôZe des exportations mis en $ace par le Canada doivent correspondre des mesures de contrôZe des importations de la part des Etats- Unis Etant donné la proximité géographique des Etats-Unis et l’impossibilité-de con- trôler l’immensefrontière entre ce pays et le Canada, les autorités canadiennes res- sentent comme une frustration le fait que, bien que l’un et l’autre Etats aient signé la Convention adoptée par l’Unesco, la législation habilitante amé- ricaine ne reconnaît pas le droit d’un autre Etat partie à définir son propre patrimoine culturel. Le Canada a établi sa Nomenclature des biens culturels d’exportation contrôlée aux fins de l’application de la Convention de 1970, mais la loi américaine ne lui reconnaît pas ce droit. Les autorités canadiennes ne peuvent donc exercer de droit de recours aux Etats-Unis et, aujourd’hui comme par le passé, les spécialistes et les conser- vateurs canadiens continuent de déplorer la perte de biens culturels de valeur. Les experts et les scientifiques des Etats-Unis qui désirent effectuer des recherches au Canada sont toujours les bienvenus et, bien que leurs activités de collecte soient désormais réglementées, ils sont encore nombreux à venir chaque année. Malheureusement, tous ne res- pectent pas la loi et dans plusieurs cas, il est prouvé que des spécialistes américains dûment autorisés à mener des activités sur le terrain ont délibérément enfreint la Loi sur l’exportation et l’importation des biens culturels et ont rapporté des collec- tions aux Etats-Unis afin d’y poursuivre leurs recherches (fig. 61). Le seul recours dont dispose actuellement le Canada consiste à menacer de refuser à l’avenir toute autorisation d’exportation. C’est le plus souvent vers les Etats-Unis que sont acheminés les objets archéologi- ques et ethnologiques sortis, légalement ou illégalement, du Canada, comme le révèlent les rapports annuels effectués depuis 1978 (fig. 62). L’importance du marché américain ressort des statistiques relatives à l’administration de la Loi sur l’exportation et l’importation des biens culturels. Si les mesures de contrôle à l’exporta- tion et l’attribution de fonds pour le rapatriement des biens culturels ont donné des résultats très satisfaisants, le Canada ne dispose actuellement d’aucun moyen de récupérer des objets qui ont été illégalement exportés aux Etats-Unis. Les contrôles à l’exportation sont, bien entendu, très difficiles à mettre en oeu- vre, puisque les procédures douanières visent essentiellementles individus et les objets qui entrent dans le pays, et non ceux qui en sortent. Très souvent, l’infraction est décelée a posteriori, alors qu’il n’est plus possible de recupérer l’objet. Seul un accord réciproque impliquant l’imposition d’un contrôle à I’importa- tion par les Etats-Unis permettra de dis- poser d’un mécanisme juridique facili- tant la récupération des biens culturels. [Traduit de d’anglais] Lzizventuire des co ZZections ethnograpbipes duns Ze début sar Ze retow de biens caZtweZs Le débat sur le retour de biens culturels à leur pays d’origine ne saurait être mené dans l’abstrait ni être limité à des consi- dérations d’ordre politique ou idéologi- que. Si réduit que soit le nombre des objets en cause dans tel ou tel cas particu- lier, l’appréciation des critères appelés à guider le choix de ceux qui méritent d’être restitués doit s’appuyer sur une connaissance de la nature du patrimoine culturel considéré dans son ensemble. Plus cette connaissance est vaste et pro- fonde, plus les arguments en faveur du retour d’un objet seront convaincants. Cela peut paraître évident, mais, dans la pratique, les choses sont rarement aussi simples. Si l’on admet que la culture est le mode de vie et de pensée d’une société, le patrimoine culturel englobe les objets et le savoir y &érent qui concrétisent ce mode de vie et de pensée. L’étude des biens culturels ne porte donc pas seule- ment sur les objets, mobiliers ou autres, et sur les éléments du milieu au sujet des- quels une culture nourrit des idées parti- culières ; elle touche aussi à l’histoire et à la validité de ces idées. C’est dans cette perspective qu’il fau- drait rassembler des informations sur les pièces conservées dans les collections publiques et privées du monde entier, et évaluer les résultats de cette entreprise. Je parlerai ici des raisons pour lesquelles des objets originaires d’Océanie se trouvent aujourd’hui dans les musées publics du Royaume-Uni, du nombre et de la qua- lité de ces objets, et de la fiabilité de l’information dont on dispose 2 leur sujet. J’analyserai ensuite l’oeuvreaccom- plie en matière de recensement des objets océaniens et tâcherai d’évaluer l’utilité des inventaires pour les cultures dont les objets sont issus et pour celles ils sont conservés à présent. J’essaierai de mon- trer dans quelle mesure les informations tirées de ces inventaires peuvent aider à définir le patrimoine culturel océanien lui-même et, partant, à clarifier les pro- blèmes sur lesquels achoppe le débat sur le retour de pièces appartenant à ce patri- Peter Gathercole en 1929 dans le Norfolk, Royaume-Uni. Chef du Département d’anthropologie de l’Université d’Otago (Dunedin, Nouvelle-Zélande)de 1958 à 1968. Maître de conférence en ethnologie à l’Uni- versité d’Oxford de 1968 à 1970. Conservateur du Musée d’archéologie et d’anthropologie de l’Uni- versité de Cambridgede 1970 à 1981.Actuellement vice-doyen du Darwin College, à Cambridge.Effec- tue depuis longtemps des recherches sur la région du Pacifique. Coordonnateur du nouveau groupe de travail de l’International Commission for Museums of Ethnography (ICME) chargé d’étudier la question des inventaires des collectionsethnogra- phiques. Co-auteur avec Alison Clarke de I’étude intitulée Survey of Oceanian collections in micSeumS in the United Kingdom and the In3 Republic, Paris, Unesco, 1979.

L'inventaire des collections ethnographiques dans le débat sur le retour de biens culturels

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L’inventaire des collections ethnographiques dans le débat SUT le retour de biens culturels 187

Au dìspositìf de contrôZe des exportations mis en $ace par le Canada doivent correspondre des mesures de contrôZe des importations de la part des Etats- Unis

Etant donné la proximité géographique des Etats-Unis et l’impossibilité -de con- trôler l’immense frontière entre ce pays et le Canada, les autorités canadiennes res- sentent comme une frustration le fait que, bien que l’un et l’autre Etats aient signé la Convention adoptée par l’Unesco, la législation habilitante amé- ricaine ne reconnaît pas le droit d’un autre Etat partie à définir son propre patrimoine culturel. Le Canada a établi sa Nomenclature des biens culturels d’exportation contrôlée aux fins de l’application de la Convention de 1970, mais la loi américaine ne lui reconnaît pas ce droit. Les autorités canadiennes ne peuvent donc exercer de droit de recours aux Etats-Unis et, aujourd’hui comme par le passé, les spécialistes et les conser- vateurs canadiens continuent de déplorer la perte de biens culturels de valeur.

Les experts et les scientifiques des Etats-Unis qui désirent effectuer des recherches au Canada sont toujours les bienvenus et, bien que leurs activités de collecte soient désormais réglementées, ils sont encore nombreux à venir chaque année. Malheureusement, tous ne res- pectent pas la loi et dans plusieurs cas, il est prouvé que des spécialistes américains dûment autorisés à mener des activités sur le terrain ont délibérément enfreint la Loi sur l’exportation et l’importation des biens culturels et ont rapporté des collec- tions aux Etats-Unis afin d’y poursuivre leurs recherches (fig. 61). Le seul recours dont dispose actuellement le Canada consiste à menacer de refuser à l’avenir toute autorisation d’exportation.

C’est le plus souvent vers les Etats-Unis que sont acheminés les objets archéologi- ques et ethnologiques sortis, légalement ou illégalement, du Canada, comme le révèlent les rapports annuels effectués depuis 1978 (fig. 62). L’importance du marché américain ressort des statistiques relatives à l’administration de la Loi sur l’exportation et l’importation des biens culturels.

Si les mesures de contrôle à l’exporta- tion et l’attribution de fonds pour le rapatriement des biens culturels ont donné des résultats très satisfaisants, le Canada ne dispose actuellement d’aucun moyen de récupérer des objets qui ont été illégalement exportés aux Etats-Unis. Les contrôles à l’exportation sont, bien entendu, très difficiles à mettre en oeu- vre, puisque les procédures douanières visent essentiellement les individus et les objets qui entrent dans le pays, et non ceux qui en sortent. Très souvent, l’infraction est décelée a posteriori, alors qu’il n’est plus possible de recupérer l’objet.

Seul un accord réciproque impliquant l’imposition d’un contrôle à I’importa- tion par les Etats-Unis permettra de dis- poser d’un mécanisme juridique facili- tant la récupération des biens culturels.

[Traduit de d’anglais]

Lzizventuire des co ZZections ethnograpbipes duns Ze début sar Ze retow de biens caZtweZs

Le débat sur le retour de biens culturels à leur pays d’origine ne saurait être mené dans l’abstrait ni être limité à des consi- dérations d’ordre politique ou idéologi- que. Si réduit que soit le nombre des objets en cause dans tel ou tel cas particu- lier, l’appréciation des critères appelés à guider le choix de ceux qui méritent d’être restitués doit s’appuyer sur une connaissance de la nature du patrimoine culturel considéré dans son ensemble. Plus cette connaissance est vaste et pro- fonde, plus les arguments en faveur du retour d’un objet seront convaincants. Cela peut paraître évident, mais, dans la pratique, les choses sont rarement aussi simples. Si l’on admet que la culture est le mode de vie et de pensée d’une société, le patrimoine culturel englobe les objets et le savoir y &érent qui concrétisent ce mode de vie et de pensée. L’étude des biens culturels ne porte donc pas seule- ment sur les objets, mobiliers ou autres, et sur les éléments du milieu au sujet des- quels une culture nourrit des idées parti-

culières ; elle touche aussi à l’histoire et à la validité de ces idées.

C’est dans cette perspective qu’il fau- drait rassembler des informations sur les pièces conservées dans les collections publiques et privées du monde entier, et évaluer les résultats de cette entreprise. Je parlerai ici des raisons pour lesquelles des objets originaires d’Océanie se trouvent aujourd’hui dans les musées publics du Royaume-Uni, du nombre et de la qua- lité de ces objets, et de la fiabilité de l’information dont on dispose 2 leur sujet. J’analyserai ensuite l’oeuvre accom- plie en matière de recensement des objets océaniens et tâcherai d’évaluer l’utilité des inventaires pour les cultures dont les objets sont issus et pour celles où ils sont conservés à présent. J’essaierai de mon- trer dans quelle mesure les informations tirées de ces inventaires peuvent aider à définir le patrimoine culturel océanien lui-même et, partant, à clarifier les pro- blèmes sur lesquels achoppe le débat sur le retour de pièces appartenant à ce patri-

Peter Gathercole

Né en 1929 dans le Norfolk, Royaume-Uni. Chef du Département d’anthropologie de l’Université d’Otago (Dunedin, Nouvelle-Zélande) de 1958 à 1968. Maître de conférence en ethnologie à l’Uni- versité d’Oxford de 1968 à 1970. Conservateur du Musée d’archéologie et d’anthropologie de l’Uni- versité de Cambridge de 1970 à 1981. Actuellement vice-doyen du Darwin College, à Cambridge. Effec- tue depuis longtemps des recherches sur la région du Pacifique. Coordonnateur du nouveau groupe de travail de l’International Commission for Museums of Ethnography (ICME) chargé d’étudier la question des inventaires des collections ethnogra- phiques. Co-auteur avec Alison Clarke de I’étude intitulée Survey of Oceanian collections in micSeumS in the United Kingdom and the In3 Republic, Paris, Unesco, 1979.

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moine. Je montrerai enfin comment les travaux de recensement pourraient être développés de manière àpromouvoir une meilleure compréhension entre les peu- ples d’Océanie, d’une part, et entre ces peuples et le reste du monde, d’autre part.

Les objets océaniens - ou, comme on disait alors, les <<curiosités>> d’Océanie - sont arrivés en Grande- Bretagne, comme du reste dans la plupart des autres pays d’Europe, à la suite de l’expansion européenne dans le Pacifique qui a commencé au XVII‘ siècle. A partir de la fin du XVIII‘ siècle, les puissances maritimes européennes ont créé des empires coloniaux à la fois dans les très grandes îles situées au large des côtes de l’Asie du Sud-Est (Indonésie, Australie et Nouvelle-Zélande) et dans les petites îles du bassin du Pacifique. C’est ainsi qu’en un temps relativement court - deux cents ans environ - les Européens nou- vellement arrivés dans la région ont acquis, dans le cadre du processus de colonisation, des objets représentatifs de cultures très diverses. Dans l’esprit des Européens, les cultures locales étaient << exotiques >> ; les objets qui en faisaient partie étaient considérés, par opposition aux spécimens d’histoire naturelle (quali- fiés de << curiosités naturelles >>), comme des << curiosités artificielles >> symbolisant cet exotisme. Ils étaient recherchés à la fois pour ce qu’ils représentaient en eux- mêmes, et parce qu’ils contribuaient à satisfaire la curiosité intellectuelle et scientifique croissante de l’Europe qui était aussi, pour une part, un aspect du mouvement d’expansion coloniale. L’acquisition d’objets a donc été considé- rée d’emblée comme légitime et natu- relle, de même que le fait de les emporter en Europe pour qu’ils y soient conservés et étudiés aussi bien par les profanes que par les spécialistes. En quelque sorte, ces objets exotiques ont été domestiqués par la culture européenne.

Les motifs qui poussaient à acquérir ces objets étaient divers et ils ont changé avec le temps. D’une manière générale, on peut dire que le goût de l’exotisme s’est mué en un désir plus scientifique de con- server des témoignages d’un monde << pri- mitif, avant qu’il ne disparaisse. La nature des objets recherchés a évolué en fonction de la région géographique et de l’intensité de l’expansion coloniale. Petit à peut, on s’est intéressé non plus seule- ment à l’extraordinaire, mais aussi à l’ordinaire. De même, le lieu où ces objets étaient finalement conservés a changé. La multiplication rapide des

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musées au XIX“ siècle a entraîné une dis- persion croissante de la masse de plus en plus considérable de pièces rapportées en Europe. Ce processus s’est compliqué avec le développement en Europe d’un commerce d’objets auquel participaient aussi bien les musées que les collection- neurs privés. Et la création dans le Pacifi- que d’un certain nombre de musées et de collections privées qui sont à leur tour intervenus dans ce commerce n’a fait que renforcer cette dispersion. Toutes ces ten- dances ont profondément marqué l’his- toire des collections océaniennes au Royaume-Uni. En faire l’inventaire, c’est donc à la fois étudier un aspect de l’histoire de l’engagement britannique dans le Pacifique au cours des deux cents dernières années et &der à élucider l’his- toire de la dispersion et de la fragmenta- tion du patrimoine culturel océanien. (fig. 63 à 67).

Historique des recherches

Deux raisons m’ont poussé à entrepren- dre, en 1970, le recensement des collec- tions océaniennes conservées dans les musées britanniques. Tout d’abord, j’étais parvenu à la conclusion qu’il était hors de question de faire des recherches sérieuses sur les objets qui m’intéres- saient sans en savoir aussi long que possi- ble sur les collections dont ils prove- naient. Ensuite, il me paraissait inadmissible, du simple point de vue scientifique, que des informations élé- mentaires concernant l’emplacement, l’importance et le contenu de ces collec- tions ne figurent nulle part. Ma situation était comparable à celle d’un chercheur qui, ayant besoin, pour ses travaux, de consulter des documents imprimés, découvrirait que les bibliothèques qui les détiennent sont complètement désorga- nisées et ne possèdent aucune bibliogra- phie. Une fois mon étude entreprise, je me suis rendu compte que mes craintes étaient fondées : seule une très petite par- tie des objets océaniens conservés dans les musées britanniques avait été répertoriée et, faute d’avoir fait l’objet d’un colla- tionnement par les musées concernés, une grande partie de la documentation existante ne présentait guère d’utilité. Pareille situation n’a rien d’exceptionnel et peut se produire dans n’importe quel domaine de la recherche, àun stade quel- conque de son développement. En ce qui concerne l’anthropologie du Pacifique, il m’a semblé que le mieux que je pouvais faire pour contribuer àremédierà cet état de choses était d’entreprendre une étude

simple, qui permettrait de satisfaire à un besoin d’information exprimé à la fois par les spécialistes du Pacifique et par les peuples de cette région eux-mêmes, ou du moins, à l’époque, par quelques-uns d’entre eux. Je n’avais aucune idée du nombre d’objets à répertorier ni du lieu où ils pouvaient se trouver, mis à part quelques musées, importants pour la plupart.

Je n’avais pas non plus d’idée précise quant à la manière dont j’allais procéder pour répertorier le matériel, ni de la forme sous laquelle je diffuserais le résul- tat de mes recherches. Un événement est alors survenu qui m’a fait mettre mon projet à exécution : j’ai été invité à pren- dre la parole sur la question lors d’un séminaire consacré à l’étude des cultures océaniennes, organisé en janvier 1971 2 Canberra par le Comité consultatifnatio- nal australien pour l’Unesco ; j’ai donné à cette occasion une première indication de l’importance présumée de ces collec- tions (Gathercole, 1971).

Je n’ai pas tardé à m’apercevoir qu’il convenait logiquement de procéder en deux temps pour mener l’entreprise à bien. Tout d’abord, il fallait effectuer un travail de reconnaissance pour détermi- ner l’endroit où se trouvaient les objets, le nombre de ces objets et les dBérentes catégories auxquelles ils appartenaient. L’information ainsi rassemblée servirait de base à un programme d’inventaire détaillé, qui serait mis en ceuvre dans un second temps et qui copprendrait l’éta- blissement de relevés des dimensions et des autres caractéristiques matérielles des objets, la réalisation de photographies et l’élaboration d’une documentation sur leur contexte. Cette seconde phase ne pouvait de toute évidence aller sans la première (aujourd’hui connue interna- tionalement sous le nom de première phase d’inventaire), laquelle pouvait - et, le cas échéant, devrait-se suffire à elle-même. C’est le cas jusqu’à présent de l’étude conduite au Royaume-Uni.

RésuZtats

Les résultats des travaux de la première phase ont été exposés dans un rapport qui a été soumis àl’Unesco en 1979 (Gather- cole et Clarke, 1979). L’étude avait porté sur les pièces conservées dans cent soixante-treize collections publiques du Royaume-Uni, c’est-à-dire sur une quan- tité d’objets bien plus importante que prévu. Le matériel répertorié comportait en effet plus de cent mille objets de tous les genres connus (et de quelques genres

63 NATIONAL MUSEUM, Port Moresby (Papouasie-Nouvelle-Guinée). Cette statuette en craie sculptée de la Nouvelle- Irlande ( X X e siècle) servait durant les rites funéraires ; elle a été rendue à son pays d’origine avec l’aide de 1’ Australian Museum, Sydney.

64 NATIONAL MUSEUM, Îles Salomon. Figure de proue de pirogue de chasse, en bois sculpté et peint. Rendue à son pays d’origine avec l’aide de I’Australian Museum, Sydney.

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190 Peter Gathercole

65 NATIONAL MUSEUM, Pon Moresby. Bouclier de combat en bois recouvert de vannerie garnie de plumes ( X X c siècle). Rendu à son pays d’origine avec l’aide de I’Australian Museum, Sydney.

L‘Unesco a entamé la publication d’une série de brochures consacrées aux Iégislations nationales relatives à la protection du patrimoine culturel mobilier. Chaque brochure contient le texte intégral - reproduit dans la langue d’origine ou traduit - des lois et règlements en vigueur dans un Etat. A ce jour, les pays suivants ont fait l’objet de brochures en langue anglaise : Béfize, Brésil, Chypre, Cuba, Egypte, Equateur, Cambie, Honduras, Hongrie, Irlande, Kenya, Lesotho, Nicaragua, Qatar, République de Corée, République-Unie de Tanzanie. Les brochures consacrées aux pays ci-après ont également été traduites en fransais : Bélize, Chypre, Nicaragua, République de Corée et République-Unie de Tanzanie.

On pourra se procurer des exemplaires gratuits de ces publications auprès de la Division du patrimoine culturel, Unesco, I rue Miollis, 75015 Paris, France.

encore inconnus). Sans vouloir décrire ici lamanière dont le travail a été conduit, je souhaiterais signaler quelques enseigne- ments qui se dégagent des recherches accomplies et qui touchent aux questions soulevées plus haut concernant la nature du patrimoine culturel de l’Océanie et le statut des objets dans la définition de ce patrimoine.

Tout d’abord, l’entreprise a montré que, malgré de nombreuses difficultés, il était possible de mener à bien une étude pilote de ce genre, et par conséquent de programmer et, le moment venu, de dresser l’inventaire détaillé qui constitue la seconde phase des travaux. L’informa- tion existait bien sous une forme exploi- table èt il était possible, à condition d’y consacrer un peu de temps et d’argent, de la rassembler dans un rapport. Si ce tra- vail élémentaire d’intendance muséogra- phique n’avait pas encore été accompli à une telle échelle au Royaume-Uni (mal- gré deux tentatives au moins), ce n’était nullement parce qu’il était irréalisable, que l’information voulue n’existait pas ou que les conservateurs de musée n’étaient pas disposés à prêter leur con- cours. Des études analogues ont ensuite été réalisées en Australie (Bolton, 1982), en Nouvelle-Zélande (Neich, 1982) et aux Etats-Unis d’Amérique (Kaeppler, s.d.) et, en ce qui concerne l’Australie, des enquêtes relevant de la seconde phase ont été effectuées pour la Micronésie, la Nouvelle-Zélande et la Polynésie orien- tale (Bolton et Specht, 1984). Ces travaux ont confirmé les observations qui précè- dent, ainsi que l’intérêt de procéder en deux temps.’

Deuxièmement, l’étude a apporté de nombreuses indications concernant la nature et l’exactitude des renseignements relatifs aux objets océaniens, et la manière dont ces derniers peuvent être répertoriés. Les travaux portant sur l’his- toire de leur acquisition, en particulier sur l’information réunie par les cher- cheurs qui ont tenté de reconstituer l’his- toire de certaines collections ou de cer- tains objets acquis à une époque donnée dans telle ou telle partie de la région, se sont révélés très instructifs. Cette expé- rience a montré qu’il est souvent possi- ble, pourvu que l’on ait une certaine compréhension des facteurs qui ont pré- sidé à I’établissement de collections et à leur dispersion ultérieure, de reconstituer dans une très large mesure une impor- tante documentation historique. C’est là un point que les recherches menées par Mme Adrienne Kaeppler, de la Smithso- nian Institution (Washington, DC), sur

les collections constituEes dans les années 1770 lors des voyages du capitaine Cook ont admirablement mis en évidence. Si maigres qu’aient été les données de départ, l’étude a fourni aux chercheurs et aux autres parties intéressées l’occasion de remonter aux sources, et de corriger et enrichir les informations relatives aux objets. Elle a en outre permis d’effectuer, pour la première fois, des recherches quantitatives comparées sur la fréquence et la proportion de certains types d’objets dans différentes zones et à différentes époques, et d’apprécier l’importance relative des diverses collections.

En troisième lieu, l’étude a fourni cer- tains enseignements plus fondamentaux concernant notre connaissance des cultu- res océaniennes. C’est ainsi qu’elle a révélé les insuffisances de la documenta- tion généralement utilisée dans les musées et montré en particulier que les modes de classification des objets lais- saient à désirer. Dans notre étude de 1979, Alison Clarke et moi-même écri- vions : c< I1 était fréquent qu’un objet ait plusieurs utilisations, dont l’une a été privilégiée aux dépens des autres par les collectionneurs aux fins de la désignation de cet objet. Parfois aussi, une appella- tion simple s’est imposée dans la termi- nologie des musées, alors qu’en fait d’autres dénominations plus complexes auraient été plus exactes. Le bâton de jet australien (throwing stick), par exemple, était également appelé lance de jet (spear thrower), massue de jet (throwing chb) , boomerang qui ne revient pas (non- retiví-ning boomerang) et bâton de chasse (game stick) - et pas nécessairement dans cinq musées différents >>. Cette B i r - mation, qui reste vraie, est de portée trop limitée : elle se réfère uniquement à la classification opérée par les musées en tant qu’elle repose sur des termes anglais, descriptifs et étroitement fonctionnels. La question de savoir si ces termes consti- tuent des traductions fidèles des appella- tions indigènes correspondantes n’est pas prise en considération. Autrement dit, au-delà de la question du traitement à réserver à la masse des informations dis- parates qui sont restées attachées aux objets océaniens ou qui ont proliféré autour d’eux au fil de leurs séjours succes- sifs dans différentes collections, se pose celle, bien plus vaste et bien plus impor- tante, de la signification et de l’impor- tance de ces objets dans leur contexte cul-

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1. Pour plus de renseignements, priSre de s’adresser à la Division du patrimoine culturel de l’Unesco, 1 rue Miollis, 75015 Paris (France).

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turel d’origine. L’étude a montré sans discussion possible que l’information afférente aux collections doit désormais reposer sur l’échange et qu’il faut suppri- mer la barrière articifielle érigée au cours de l’histoire entre la recherche anthropo- logique occidentale et ses sources indigè- nes. I1 ne faut pas non plus perdre de vue que la recherche indigène joue à présent un grand rôle dans l’étude du patrimoine culturel océanien. De la sorte, la connais- sance des réalités culturelles océaniennes, formulées en des termes susceptibles d’être admis et utilisés par la commu- nauté mondiale, pourra servir d’outil international pour la compréhension de ce patrimoine. Lorsque nous aurons une connaissance plus universelle des lieux où sont conservés les objets qui sont parve- nus jusqu’à nous et des informations qui s’y rapportent, l’analyse comparée de leur importance pourra être entreprise dans de bonnes conditions.

66 NATIONAL MUSEUM, Port Moresby. Masque en fibres végétales, garni de plumes ( X X c siScle). Etait selon toute vraisemblance porté par des adolescents durant les cérémonies d’initiation. Exporté illégalement et rendu à son pays d’origine avec l’aide de 1’Australian Museum, Sydney.

AzdeZà de da connaissance d’une cuZtare

I1 serait cependant dommage de canton- ner le débat sur la nature de la connais- sance des cultures océaniennes à un niveau aussi général ; ce serait supposer résolue la question de l’utilisation qu’il convient de faire de ce savoir plus riche et plus judicieusement interprété. La con- naissance d’une culture n’est pas absolue et elle n’est pas davantage neutre : il n’est de savoir que socialement déterminé. Je veux espérer que les progrès des travaux d’inventaire des collections océaniennes et l’intérit croissant que cette activité sus- cite conduiront à un élargissement décisif de notre connaissance de l’Océanie. J’espère aussi qu’avec le temps on par- viendra à situer dans une perspective plus large le débat sur le retour de biens cul- turels à leur pays d’origine, en lui assi- gnant pour objectif une répartition rationnelle des collections océaniennes dans le monde. La répartition existante traduit en effet un déséquilibre social et politique hérité de l’ère coloniale. Nom- bre de populations du Pacifique ne peu- vent voir certains éléments importants de leur propre patrimoine culturel qu’en se rendant dans les grandes métropoles du Nord, dont les riches musées offrent un contraste frappant avec les maigres collec- tions des musées aux moyens limités fon- dés récemment dans les archipels océa- niens. On ne saurait, pour remédier à ce déséquilibre, se contenter de présenter des informations sur les objets, encore que cela soit d’une urgente nécessité ; il

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192 Peter GatherCole

67 NATIONAL MUSEUM, Port Moresby. Masque funéraire en bois peint garni de fibres végétales, Nouvelle-Irlande (fin du X M e siècle). Utilisé pour la fête du Malaggan. Rendu à son pays d’origine avec I’iide de I’Australian Museum, Sydney.

faudrait aussi restituer à ces pays sinon la totalité, du moins une partie (qui devrait, à mon avis, être considérable) de leurs biens culturels.

D’autre part, l’examen des besoins à satisfaire et des choix à opérer parmi les milliers d’objets existants conduit égale- ment à s’interroger sur le sort qui devrait êue réservé, à longue échéance, aux innombrables objets dont le retour ne s’impose pas. Etant donné l’amélioration spectaculaire des normes de conservation appliquées dans les musées de la plupart des pays du monde et le développement croissant - et caractéristique de notre temps - de l’intérêt à l’égard des autres cultures, on voit mal pourquoi certains objets océaniens devraient être ((retour- nés, uniquement à leur pays ou à leur région d’origine. Peut-être le jour n’est-il pas si lointain où l’on pourra sérieuse- ment se demander quels objets originai- res de Fidji, par exemple, et que ce pays ne souhaite pas récupérer pourraient être <( retournés D de Londres à Rio de Janeiro, ou quelles pièces brésiliennes actuelle- ment conservées à Rio pourraient être envoyées à Londres ou à Fidji. A un cer- tain niveau, mais ceci n’entre pas dans le cadre du présent article, aborder la ques- tion du retour de biens culturels, c’est aussi soulever celle de leur non-retour et de leur restitution à l’ensemble de la communauté culturelle après une période d’isolement dans les musées du monde occidental.

En gzcise de conchsion

De telles idées risquent fort de passer pour utopiques àl’heure actuelle, et je ne voudrais pas conclure sans ajouter quel- ques remarques de nature à les situer dans une perspective plus réaliste. Le travail (presque exclusivement quantitatlf) accompli à ce jour en matière de recen- sement des collections océaniennes en Australie, en Nouvelle-Zélande, au Roy- aume-Uni et aux Etats-Unis d’Amérique a été l’oeuvre d’une petite poignée de chercheurs. Si l’aide bénévole qu’ils ont reçue du personnel des musées a été sou- vent considérable, le montant des fonds publics investis dans leur entreprise a été minime. I1 y a lieu de se demander ce que l’on aurait pu faire si l’on avait disposé de deux fois plus de crédits, par exemple, et quelles dispositions seront prises, en un temps de récession et de réduction des programmes culturels et éducatifs, pour dégager les moyens nécessaires à l’exécu- tion des travaux de la seconde phase- sauf en ce qui concerne l’Australie, où le tiers de ces travaux reste à financer. I1 s’agit là d’une question pressante, qui risque aujourd’hui d’être reléguée à l’arrière-plan. Qui n’avance pas recule ; or, reculer serait à la fois malavisé et inu- tile dans le cas qui nous occupe.

L’une des raisons pour lesquelles il est nécessaire de ne pas laisser se ralentir le travail d’inventaire des collections océa- niennes (et je songe ici en particulier aux pays où l’on n’a rien fait, ou pas grand- chose) est que cette activité conduit le

personnel des musées, les universitaires, les enseignants et les responsables de l’élaboration des programmes culturels de nombreux pays à garder présente à l’esprit la question du statut des collec- tions ethnographiques. C’est Ià un sujet qui n’est abordé d’ordinaire qu’àpropos de l’envoi d’informations et du retour d’objets àdes musées ou àdes centres cul- turels de la région du Pacifique Sud. Concevoir la question sous un angle aussi étroit peut conduire àdes erreurs de juge- ment, voire faire perdre de vue les réalités politiques. I1 n’est pas indispensable que le << retour )> d’un objet s’opère au béné- fice d’un musée. Les musées ne sont pas nécessairement des institutions capables de répondre à tous les besoins culturels associés aux objets. Pour qu’une société puisse déterminer l’histoire et la nature de sa propre identité culturelle, il faut qu’elle ait la possibilité de décider ce qu’elle veut faire de ses biens culturels. Cela peut avoir pour effet de faire courir, pendant quelque temps au moins, cer- tains risques à ces objets. Par ailleurs, les attitudes à I’égard des objets culturels varient. Les mesures prises en faveur du développement culturel dans les pays du tiers monde pourraient comporter la créa- tion de centres actifs qui ne seraient pas uniquement des musées et où les objets seraient gardés en dépôt pour l’avenir.

[ Traduit de Z’angZais]

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