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1. 1 DES S S C ï E N C E S. 47
~z~6~ 6~~rr~.D.
JEAN-ËTIENNE GuETTARD Docteur-régent de la fa-cuité de Médecine de l'Académie de Stokolm, des Sociétésde Botanique de Florence & de BaHe de la Société phy-
fiographique de Londres, penfionnaire de l'Académie des
Sciences, naquit à Étampes le 22. Septembre 171~ de
Jean Guettard & de Marie Defcurain.
L'aïeul maternel de M. Guettard étoit apothicaire à
Étampes aux travaux de' fon état à des ~bins gratuits
pour les pauvres de fa ville & des paroiffes voifines il
joignoit des connoinances très-étendues, dans ia botanique
qu'il cultivoit pour ion propre bonheur pour le plaifird'obferver & de s'inn:ruire, fans aucune vue ni de gloireni d'ambition littéraire comme en un mot il feroit à
defirer que les îciences~d'observation, runent cultivées dans
les provinces. Alors on verroit des hommes modèles ani-
més par le feui befbin de s'occuper raûëmbier de toutes
parts, ces faits ifblés que le defir de fe faire un nom
auroit négligé de recueillir, & dont cependant la réunion
eft la. feule bafe ibiide fur laquelle le génie puiHe élever
des théories précités & durables. Ainfi l'on doit regretter
pour le progrès des fciences comme pour le'bien même
des provinces que les hommes éclairés y foient devenus fi
rares & que ia capitale appelle aujourd'hui tous les talens,
pour en perfectionner un petit nombre en corrompant ou
en étourfant tout le refte.`
Le jeune Guettard attaché à ion grand-père dès fes pre-mières années, l'accompagna dans fes promenades aunitôï
bu'i} put marcher & fes promenades étoient de véritables
herborif&tions. Ramaffer des plantes en demander les
HISTOIRE DE L'ACADEMIE ROYALE~3
noms apprendre à les connoître à en distinguer les dif-
férentes parties à en faifir les caractères tels furent les
jeux de fon enfance.
Son aïeul crut voir dans cette activité le germe d'un
talent réel pour l'observation des plantes on décida dans
la famille qu'il ne fatloit rien négliger pour l'encourager.Ainfi en même temps que la nature avoit formé M. Guet-
tard pour les fciences le hafard avoit tout difpofé pour
que l'on s'aperçut à temps de fes heureufes difpofitions& du goût nainant qui indiquoit le genre pour lequel il
étoit né.
Cette observation fe préfente fans ceffe dans l'histoiredes favans, & rien ne prouve mieux peut-être l'utilité d'uneéducation publique qui s'étendant à toutes les cla~e.sdela Société offrît à tous les enfans, moins une inftruction
fuivie que ces premiers élémens de chaque fcience,utiles à tous les hommes donnât en même temps le
moyen de diu:inguer dans chaque individu les premièreslueurs du talent, la première aurore du génie fit panerfous les yeux de tous, les divers objets de nos connoif-fances, & fournit à ces goûts din:incts, à ces difpofitionsparticulières plus communes qu'on ne croit une ocçanoncertaine de naître & de fe montrer.
Par ce moyen, aucun homme né pour avoir du géniene feroit perdu pour la Société les talens deviendroientmoins rares animés par une concurrence plus grande &s'entraidant les uns les autres avec plus de force leurnombre ne feroit pour eux qu'un moyen de plus de fe
perfectionner & de s'agrandir.On deftinoit M.Guettard à l'état d'apothicaire àÉtampes;-
c'étoit le vœu du respectable vieillard qui avoit veillé-fur fes premières années. Etre utile à fes compatriotes;répandre des fecours fur des malheureux nxés près de
lui attachés au même fol pouvoir veiller fur le bien
qu'il leur avoit fait & le perfectionner ajouter au piaifirde
DES S SCIENCES. 49
efe la bienfaisance celui d'en revoir fouvent les objets;jouir de cette considération que donnent les lumières & lavertu auprès des hommes fimples qui ne les apprécient pasmais les jugent par leurs effets être heureux par Li bonté,
le repos & l'étude tel avoit été le fort de M. Deîcurain,& il n'en defiroit pas un autre pour fon petit-fils.
Cependant lorfqu'il le vit au fortir de fes études, obtenir
l'e~ime, les encouragemens de M.~ de Junieu de ceshommes dont lui-même fe faifoit tant d'honneur d'être le
correfpondant & l'ami, il ne s'oppofa point à ta deûinée
plus brillante qui fembloit s'offrir à l'enfant dans lequel ils'étoit accoutumé à voir l'appui de fa vieille~e. Ii facrina.cette douce-efpéra.nce au bonheur ou plutôt à la gioire de~bnpetit-fils, & la confolation de recevoir fes foins au piaifirde jouir de fes fuccès.
M. de Réaumur avoit entrepns fur ies fcjences &fur lesarts des travaux immenfes auxqueis il ne pouvoit fuffire
feu} il cherchoit à s'attacher de jeunes gens dont les taiens
ilaiffails avoient encore befoin d'appui ils l'aidoient dans
fes travaux achevoient de s'inftruire fous fes yeux trou-
voient dans fes livres dans fes cabinets, dans fon labora-
toire ces fecours qui au milieu de tant d'imtitutions faites'en fav.eur des fciences manquent encore fi fouvent à la
jeuneûë laborieuse, mais pauvre & obfcure. Enfin rendus
à eux-mêmes au bout de quelques années, ils ne paroif-foient dans le monde qu'avec un nom déjà connu, & pré-ferv,és par des iiauons utiles, des dangers dont l'entrée de la
carrière des fciences eft fouvent femée. La plupart de
ces élèves font entrés enfuite dans l'Académie, & tous ont
confervé pour M. de Réaumur une reconnonTance tendre
&: durable qui prouve à la fois &.qu'il les avoit bien choifis,,& qu'il avoit fu oublier avec eux 'jufqu'à l'efpèce de fupé-riorité que pouvoient lui donner fon âge, tes longs tra-
vaux & une réputation confirmée. M. Brinbn nous reûe
feui de ces élèves de M. de Réaumur. On aime dans les
compagnies favantes à (e rappeler ces filiations qui nous.
/~?. G
)0 HISTOIRE DE L'ACADEMIE ROYALE
rendent plus chers les' talens dont nous joliiffons en les
unifiant au fouvenir de ceux que nous avons perdus.En 1743 M. Guettard entra dans l'Académie comme
botaniSIe, & il nous refte à rendre compte de fes travaux
qui, bornés d'abord à la botanique, s'étendirent enfuiteàla.
minéralogie.Les botanistes avoient reconnu dans plufieurs parties des
plantes, & fur-tout dans leurs feuilles, des corps arrondis
différens de grandeur & de forme, & deStinés à remplirl'intervalle de leurs vaiffeaux & de leurs fibres. Quel-
ques-uns de ces corps font terminés par des appendices
auxquels on a donné le nom de filets ou de poils. Ces
glandes contiennent une liqueur que dans plufieurs genresde plantes, elles laiSîënt Suinter & qui fe montre-tantôt
comme une eau plus ou moins transparente, tantôt comme
une SubStance concrète ou rénneuSe ou Sucrée.
Un examen plus approfondi de ces parties, fit apercevoirà M. Guettard qu'elles pouvoient devenir un véritable
caractère botanique, confiant dans les plantes d'un même
genre, & propre, par conséquent, à marquer les limites
de certains genres entre leSqueis les botanistes n'avoient
pu établir encore que des distinctions incertaines il vit
même que ce caractère étoit du nombre de ceux dont
l'identité établit entre les eSpèces des plantes, ces rappoits
multipliés qui indiquent un rapprochement naturel &
indépendant des méthodes.
Ces recherches étoient du nombre de celles dont le
mérite ne peut être fenti que par les Savans, qui paroiSlentinutiles ou minutieuSes aux autres hommes & dont on
peut eSpérer tout au plus cette eSpèce de gloire que dans
les genres où le public n'oSe s'ériger en juge il accorde
fur la foi de ceux qu'il croit en droit de juger. Elles
eurent le bonheur d'obtenir le fuffrage de Linnsus.
M. Guettard ne put y être inSennble, mais il parut dans le
i-eStede fa vie, prefque indifférent furie fort de fes autres
ouvrages content d'avoir une fois mérité l'eStime de ce
DES S S C 1 E N C E S. ?li
grand homme, il crut en avoir fait anez pour fa gloire,ëc fembla ne piu's travailler que pour le bien des fciences,fans aucun retour fur lui-même.
On a donné le nom de parafites à des plantes qui s'at-
tachent à d'autres, fe n.ourrinent de leur fuc &: croiflent
à leurs dépens. M. Guettard en étudiant ce que les bota-
nistes avoient dit de ces plantes, vit que ce phénomène,tout commun tout anciennement connu qu'il étoit, n'avoit
jamais été examiné avec cette exactitude fi e~entielle dans
des fciences de faits, où t'on ne peut regarder comme vrai-
ment connu que ce qui l'eu: avec une précinon rigoureufe.M. Guettard diflingua les parafites en trois claûes les
unes croisent fur une plante étrangère, fans rien tirer
de la terre fur laquelle elles ne pourroient vivre les
autres ont de véritables racines, doivent une partie de leur
nourriture au fol fur lequel elles font placées elles pour-roient fubhft:er fans le fecours des autres plantes, & cepen-dant elles cherchent à s'y unir pour y trouver à la fois
un appui & une nourriture plus appropriée à leur confli-
tion. Enfin, il y en a unetroinème claûe, que M. Guettard
nomme & qui, bien que placées fur les
différentes parties d'une autre plante & même y étant
attachées, n'en tirent cependant aucune nourriture &
n'en ont befoin que pour s'élever. Mais c'étoit fur-tout
l'organe par lequel les parafites de la féconde clane s'at-
tachent à une plante, pénètrent dans fa fubftance, & en
tirent leur nourriture, qu'il étoit important de connôitre
&: de décrire.
Un parenchyme compote de glandes, eu entoure dans
l'intérieur des plantes parantes par des faifceaux de fibres
longitudinales lorfque la tige d'une de ces plantes te
courbe fur la branche qui doit la nourrir, ton écorce fe
brite des glandes femblables à celles ,du parenchyme,tortent par cette ouverture, s'étendent, forment un mamelon,
au milieu duquel une production des fibres longitudinalesdevient une efpèce de fuçoir qui s'introduit dans l'écorce,
G if
HISTOIRE DE L'ACADÉMIE ROYALE
& jufqu'aù bois de la branche nourricière, pour y pomperles fucs devinés à alimenter la plante parante.
Les végétaux ont une tranfpiration infenfible comme les
animaux; cette tranfpiration varie fuivant les différentes
efpèces & n'en: pas, à beaucoup près la même pourtoutes ies parties des plantes quelquefois elle excède dans
un feu! jour le poids entier de la branche qui l'a fournie,
eue efi plus forte dans les jours qui fuivent un temps
pluvieux: là chaleur ne contribue' point à l'augmenter,mais la préfence & l'abfence de la lumière l'accotèrent ou
l'arrêtent. Cette influence de la lumière fur la tranfpiration,comme fur la couleur des végétaux, fernble en indiquerune fur les êtres animés jusqu'ici elle eft moins connue,
quoique pluneurs. médecins aient paru l'observer. Les
personnes d'une lennbilité délicate ont cru l'éprouver
quelquefois, & on étoit tenté fouvent de la confondre
-avec l'effet moral des distractions même involontaires
que produit le fens de la vue & qui parodient ibulagernos maux, parce qu'elles nous lès font oublier. Mais dans~
ce moment où l'opinion que la fubfhnce de la lumière peutfe combiner avec les corps, & devenir un de leurs élémens,
commence à être mife au rang des vérités chimiques la
réalité de cette innuence de la lumière fur les corps animés eft
devenue plus probable, & elle offre à ceux qui voudroient
en faire l'objet de leurs recherches, l'efpérance doublement
féduifante de parvenir à des réfultats finguliers &: de
trouver des vérités utiles.
M. Guettard eut encore ici le mérite de fubflituer dans
la botanique une fuite d'expériences précités, & capablesd'éclairer fur un phénomène important de l'économie
végétale, à de fimples aperçus, dont on s'étoit contente
jufqu'à Im.
La botanique qui avoit été fa première pamon de
M. Guettard parut, au bout de quelque temps, céder
prefqu'entièrement la place à la minéralogie. Connoîtreprejfqu'entièrement la place à fa minéralogie. Connoîtreles ëfémens dont font composées les j~ubftancesminéf~Ies
DES S SCIENCES. 53
répandues fur la furface du globe ou enterrées dans fon
fein, à différentes profondeurs; apprendre à distinguer,d'après leur forme ou des qualités extérieures faciles à
faifir, les corps fimples ou compofés formés par ces diffé-
rentes fuMtances; obferver de quelle manière ces matières
fe trouvent difpofées fur le globe tantôt ranemblée~en
grandes maûës, tantôt confondues entr'elles, mais fuivant
une loi régulière favoir quels genres font couramment
réunis dans un même pays, quels autres font couramment
féparés remonter de ces obiervations aux caufes plus ou
moins éloignées, qui ont formé les divers minéraux, aux
moyens que la Nature a employés pour les produire &
de-là s'élever enfin aux loix générales qui ont préndé à
l'ordre fuivant lequel ils fe préfentent à nos regards, têt
efl l'objet de la fcience minéralogique.On voit donc, qu'après la nomenclature des (ub~ances
minérales la géographie naturelle doit être la bafe de
cette fcience. M. Guettard efi le premier naturalise quiait fenti & fait connoître la nécemté des cartes minéra-
logiques, qui ait ofé concevoir l'enfemble de ce grandtravail, & entreprendre d'en exécuter quelques parties il
forma le plan d'un Atlas minéralogique de ia France &
même de l'Europe des caractères chimiques dévoient
indiquer, à côté de chaque lieu, la nature dès carrières
ou des mines en même-temps que d'autres fignes faifoient
connoître à laquelle des trois grandes divifions qu'il éta-
bliûbit &: qu'il avoit nommées bandes appartenoit
chaque canton particulier. Des voyages tuccemfs dans
prefque toutes les provinces de France en Italie en
AUemagne en Pologne réunis à ce que des lectures
immentes avoient pu apprendre à M. Guettard, l'ont mis;
à portée de publier un aHez grand nombre de ces cartes,
mais il avoit fenti qu'il lui feroit impoffible de terminer
feul même l'Atlas de la France.. Témoin~de l'ardeur queM. Lavoifier montroit pour les fciences il l'avoit dès fa
plus grande j.euneSe anbcié à ce travail, pour lequel les-
HISTOIRE DE L'ACADEMIE ROYALE~4-
lumières d'un chimie font plus néceuaires, peut-être, queM.Guettard lui-même ne le penfbit: il y attachoit un grand
prix, mais c'étoit pour defirer que ion entreprise ne fût pointabandonnée plutôt que pour s'en auurer !a gloire exclufive;une fois certain d'avoir un fucceueur il fembla fe repoferfur lui du foin de continuer l'ouvrage, & même de le
perfectionner. r
H feroit à defirer qu'au lieu de la connoinance très-
utile, mais vague encore qui réfuite de cartes ainfi cons-
truites, on trouvât fait par un ufage de fignes plus com-
pliqués, foit par' queiqufautre méthode le moyen de
repréfenter non-feulement deux des fubu;ances qui appar-tiennent à un même Ueu mais la fuite des fubfiances prin-cipales qu'on y rencontre fuivant l'ordre de profondeuroù elles fe trouvent que des coupes habilement choifies& jointes à chaque carte Indiquauentia difpofition de ces
fubftances entr'eHes & minent à portée de fàifir véritable-
ment l'ensemble d'un pays &: fa confUtution minéraio-
-gique. Un jour fans doute, de telles cartes feront exécutées
pour toutes les parties du globe & c'en: alors feulement
qu'on pourra déterminer les loix générales que la Naturea fuivies dans la diftribution des fub~ances minérales. Pourremonter enfuite de ces ioix à la connoinance des caufesde cette distribution & donner une théorie de la Terreil réitéra encore un pas immenfe à franchir; mais pourle franchir avec Succès, pour ne pas s'expofer à ne retirerde fes efforts d'autre fruit qu'une chute honteufe il faut
pouvoir s'aider de ces matériaux épars de ces réfuitatsminutieux d'une recherche pénibie que M. Guettard s'oc-
cupoit à rauembier & il a plus fait pour avancer ia véri-table théorie de la Terre fur laquelle il n'a jamais ofé îe
permettre une feule conjecture, que les. philosophes quiont fatigué leur génie à imaginer ces briuantes hypothèses,fantôme d'un moment que le jour de ia vérité fait bien-tôt rentrer dans un néant éternel.
Les voyages de M. Guettard, & fût-tout le plan qu'il s'étoit
DES S S C 1 E N C E X. ~3
formé non d'étudier les objets d'histoire naturelle queles recherches des favans avoient déjà indiqués àlacuriontédes voyageurs mais de tout voir, de tout examiner dansles pays qu'il parcourait furent pour lui l'occaffon d'une
découverte importante.li obferva le premier en 173~. que les montagnes
'd'Auvergne. étoient des volcans éteints. II alloit à Vichyavec M. de Maiesherbes autrefois fon condifciple, de-
puis fon ami. Un goût commun pour l'hiftoire naturelle,d'amour de la liberté la franchife l'oubli abfolu de
toute ambition, le même mépris pour toutes les chaînes
dont 1'ufage accable l'homme de lafociété, avoient formé
entr'eux une liaifon intime que les dinérences d'opinions,de caractère d'occupations n'avoient pu brifer. A Mou-
lins, M. Guettard remarque une borne formée d'une pierre'noire il croit la reconnoître~-pour une lave & demande
d'où vient cette pierre: on lui dit'qu'elle vienfde'VoIvic.
~oA-~ WM.y,s'écria-1-Hfur le champ il continue fa route
:& aperçoit le fbmmet du Puy de Dome. Je reconnois
un volcan .dit-il tel en: Fafpect duVéfuve, de l'Etna, du «
pic de Ténérnfe que j'ai vu gravés~ ( carjufqu'alors aucun
volcan actuellement ennammé n'avoit frappé fes yeux).
Déjà fûr de fa découverte, il détermine M. de Maiesherbes
à faire un voyage en Auvergne monte avec lui fur le
'Puy- de Dome& le.Mont-d'or ,rëconnoît les cratères,les laves, les couches Inclinées & parallèles que des matières
fondues ont dû former, remarque encore d'autres volcans
dans le Forés &revient annoncer à Paris que ces mêmes
Gaules qui, fuivant Ia fuperflition ancienne, étoient à l'abri
des tremblemens de terre, avoientdans des temps plus reculés
encore été couvertes de volcans. Bientôt après, d'autres fa-
vans ont observé dans des pays aujourd'hui aum tranquilles,des traces non moins'certaines de ces anciennes incendies.
Ces éruptions enrayantes que l'on croyoit un néau parti-culier à quelques points ifblés, font maintenant reconnues
pour un des phénomènes les plus généraux du globe. Dans
HISTOIRE DE L'ACADEMIE ROYALE56
toutes les contrées de l'Europe, on a trouvé des chaînes
de montagnes qui ont lancé des flammes des terrains
immenfes y font encore couverts des débris des volcans.
Des pierres dont on ignoroit l'origine, teiqueiebazaite,font le produit oeies témoins de ces antiques embrafemens,& un naturalise de cette Académie, M. Defmareft, qui a le
premier découvert cette origine du bazaite, a porté fa pré-cifion de fes recherches jusqu'à reçonnoître dans un même
pays ies traces de piufieurs embrafemensfucceffifs; ü a faitpays les traces de piufieurs embrafemensluccenjrs il a fait
voir que des terrains aujourd'hui paiubiement cultivés ont
été plus d'une fois couverts de ces torrens enSammés
des époques difUnctes & très éloignées entr'eiies.Souvent on eft injufte envers les auteurs de ces découvertes
dues à la feule observation on les attribue au hafard; c'en:
iui, dit-oli, qui a conduit l'obfervateur dans cette contrée,
qui amis ~bustes yeux cet objet ou ce phénomène; pourfe voir, il ne laHoitqu.etes ouvrir. Mais pourquoi d'autres
hommes non moins éclairés qui ayojent parcouru les
mêmes pays n'avoient ils rien aperçu 11 faut doncreconnoïtre dans ces objfervateurs pius heureux quelquechofe de plus que i'infrrucHoh 8~ ia patience à observer; il
existe donc pour les fciences de jfaits comme pour les
Sciences de combinaison des qualités qui constituent fe
véritable talent. Dans ceUes-ci une attention plus forte
,qui fe concentre fur un feul objet, dans les autres une.attention plus continue qui en fe partageant eft par-toutpréfente, & ne laine rien échapper. Dans les premières une
force de tête capable de ranembJer un grand nombre d'idées
j& d'en faifir à la fois tous les rapports dans les fécondes,un tact fur & rapide qui avertit que tel objet n' a pas encoreété décri.t, que tel phénomène mérite d'être étudié,
Nous terminerons ici cette eîquine des travaux de M.
puettard nous n'ayons cité que ceux qui ont mérité une
place dans le fy~ème des connoinances humaines & nousnous bornerons à indiquer près de deux cents Mémoire,;fur toutes les parties de I'hiu:oire nature~e qui tous ren-
ferment
D E S S C 1 E N C E S. 57
ferment des observations précieuses par leur précinon &
par la fidélité avec laquelle Fauteur les a présentées.En 174.8 M. le duc d'Orléans retiré à Sainte-Gene-
viève, s'attacha M. Guettard en quatité de naturalise. Ce
prince aiiioit à ia p!us grande dévotion un goût très-vif
pour les fciences phyfiques & pour les arts qui en dé-
.pendent: H trouvoit en M. Guettard tout ce qu'il pouvoitdefirér dans un homme dediné à partager ïa fbiitude, de
grandes connoinances dans toutes le? parties de l'hi~oire
naturelle, des opinions religieufes qui fe rapprochoientdesbennes, enfin une piété dont fes actions ne permettoient
pas de fbupçonner ia nncérité. M. le duc d'Orléans avoit
quitté le monde pour s'épargner le fpectacle de' l'hypocrifieplutôt encore que celui du fcandale il favoit avec quellefacilité auprès des princes religieux, le deur de teur plaire
multiple l'alliance révoltante des pratiques de dévotion &
d'une conduite iicencieufe, des apparences du zèle avec les
fureurs de i'brgueit &.de l'envie, des difcours.où l'on
exagère la morale avec des fenlimens & des actions qui en
cffenfent les principes & les règles 'il avbit prévu quellefoule de vices fa vertu même pourroit faire naître autourde lui, & il avoit fui dans la retraite.
On voit dans nos Mémoires, qu'il fuivit la plupart des
travaux dp M. Guettard, que pluneurs ont été entrepris
d'après les vues iraimoit en lui cet amour des ïciencéstb
purifié par l'Indifférence pour la renommée &: cette
franchife fouvent un peu brufque, qui avoit pour un
prince l'attrait de la nouveauté. A fa mort il lui laiffa fon
cabinet d'hiu:oire naturelle, & AL Guettard le céda à M.le
duc d'Orléans, ton fils, qui-lui accorda le titre de garde de
te même cabinet, avec une médiocre pennon, & un petit
logement au Palais-royai. C'en étoit aûez pour le bonheur
d'un favant, dont le feui plaifir étoit l'étude, .& qui n'avoit
jamais conçu que la place qu'on occupe dans la fociété,
pût ajouter de nouveaux besoins à ceux auxquels la
Nature a foumis tous les hommes. Sa dépenfe refh ia
jM/?. H
38 HISTOIRE DE L'ACADEMIE .ROYALE
même après les foibles accroinemens que reçut fa fortune
toujours t) ès-modique, & il ne s'aperçut qu'il étoit un
peu plus r!che, que par ie plaifir de faire plus de bien.
Les autres événemens de la vie de M. Guettard ont
été fes voyages foit dans nos provinces, foit dans les
pays étrangers; il ena donné des relations, où, bien diffé-
rent de la plupart des autres voyageurs, il parie beaucoup
plus de ce qu'it a vu que de lui-même: dans tous il
acquit des amis, mérita i'efUme publique, & fe fit quelques
quereiies, c'étoit la fuite de fon caractère la franchifela probité & ia bonté en étoient le fond, mais un peude brusquerie un~penchant à l'humeur, ôtoient à ces vertus
une partie de leurs charmes & pouvoient quelquefois les
faire méconnoitre.Ii avoit été très-religieux dès fa jeunefie, & le fut toute
fa "vie élevé iuccemvement chez les Jéfuites & chez les
adversaires des Jéfuites il avoit embrane avec zèle le
parti qui lui paroiffoit perfécuté choix bien naturel à
toute âme noble & fennble. Il eut avec Pafcaï un autre
trait de renembiahce, ce fut de ne pouvoir fouffrir dans
les affaires de religion ces ménagemens politiques quel'on honore du nom de facrifice pour le bien de la paix.ïi ne voyoit point de.milieu entre ia vérité & le memonge,entre ce qu'on croyoit & ce qu'on.ne croyoit.pas; il eût par-donné une erreur de bonne. foi, plus auément que i'arti~ceou la fbibiene dans la défenfe de ce qu'on croyoit être la
vérité. Dévot, & dévot de parti, on ferait tenté de penfër
<p'ii à dû être intolérant; un lentiment profond de juitice& d'humanité l'en a préservé: il n'avoit d'intolérance quedans fes difcours, & feulement lorsqu'il étoit animé paria contradiction. Facile à s'irriter, il perdoit alors le pouvoir<ie retenir tes mouvemens & de mefurer. fes~expreHions;mais averti par Ja bonté naturelle, rappelé à iui-même
par la religion ii fe. reprochoit fa vivacité & fbuventen demandoit pardon. Cependant, en convenant ou de
Ton humeur ou <ie la dureté de~es expreujons~ s'il n'avoit
59BE5 5 SCIENCES.
pas changé d'opinion it te gardoit bien de le dire, & un
amour propre délicatt eût quelquefois été plus btené defes réparations que de tes injures. Sujet à des préventions,& comme religieux & comme médecin fouvent même àdes préventions perfbnnettes, elles ne l'écartoient pas dela juflice. Un de fes confrères le remercioit un jour de iuiavoir donné fa voix «Vous ne me devez rien lui répondit-il; fi je n'avois pas cru qu'il fût jufte de vous la donner, «
vous ne l'auriez pas eue car je ne vous aime pas ». Si unetelle franchife orfenfe quelquefois, au moins a-t-ette furla politeffè l'avantage d'inspirer la confiance on fait ce
qu'on doit efpérer ou craindre. Une fbciété compoféed'hommes de ce caractère, perdroit peut-être quelquesagrémens mais elle y gagneroit deux biens ineûimabies,la paix & la fûreté & on ne peut préférer à cettefranchife naïve, mais fevère, qu'une franchife plus douce,
tempérée, non par des ménagemens de convention ou de
politique mais par une fenubitité vraie, que la crainte deMéfier rend adroite ou carénante. Peu d'hommes ont eu
plus, de querelles te font brouillés plus fouvent d'unemanière ouverte mais il n'a jamais fait le moindre malà personne, ni porté la moindre atteinte à la réputationmême littéraire de tes prétendus ennemis. Je t'ai entendu
parler avec l'intérêt le plus vrai le plus tendre même,d'un favant avec lequel il avoit alors une difpute, dont il
avoit à- fe plaindre & qui l'ayant ônfënfé fe croyoitl'objet de fa haine.
II n'aimoit rien de ce qui dominoit fur les opinionsou fur les hommes difficile à vivre pour ceux auxquelsil pouvoit fuppofer des prétentions ou des titres à la
fupériorité il étoit humain, même doux & facile avecfes inférieurs. It étoit béni, refpecté par les pauvres les
gens du peuple, les dome~iques dans tes uns il parolefoit craindre dès tyrans, les autres n'étoient pour iui quefes frères. Cette efpèce d'averfion pour tout ce qui avoit
de la grandeur ou de l'éclat, i'étendoitjufqu'àta fupériorité
Hij
HISTOIRE DE L'ACADÉMIE ROYALE~0
de gloire & de génie; il croyoit voir dans toutes te-$
grandes réputations, un mélange de chariatannerie qui. lesavitinbit à fes yeux. Le talent du flyie, i'art de préfënteï'les objets, ne lui paroinoient que des moyens de tromperace ientiment n.'étoit pas de l'envie, ii-jiétoit Injure qu'enversceux dont il ne pouvoit apprécier le génie Se dont il
croyoit de bonne foi que ia gloire étoit ufurpée & ce quile prouve., c'eit que LInnée n'a jamais eu d'admirateur
plus iincère, &: que ie feui homme pour qui M. Guettard
ait montre de i'enthouûafme, en: précifément celui dont -il
pouvoit être le plus jaloux, mais auHi celui dont il iëntoi't
plus le mérite. Nous avons vu qu'il avoit auui pardonnéà M. de Maiesherbes, <Scfa réputation & fes places, peut-ctre parce que le connoinant mieux, il l'avoit vu parvenirà la renommée, .en ne fongeant qu'à ia jufHce &: à îa conf-
cience- & plus étonné qu'enorgueilli de fa gloire, accepterles placer avec réugnation pour les quitter avec joie.
M. Guettard ne pouvoit fe détendre d'un mouvement
d'humeur lorfqu'U voyoit qu'on lui enievoit la prioritéd'une obfervation,&. ti en avoit même un peu pi us queuun autre eût été l'objet de cette inju~ice. Ce n'eft pas qu'if:
attachât beaucoup de prix à fa réputation, Hs'en .feroit
fait un fcrupLue mais comme il ne dornioit aucun ioilT
à fon u:yîe, comme l'originalité Peuvent piquante ia;
iineûe qu'il montroit dans ia conversation &:dans fes iettres~
di~paroi~Ibient.dans ies ouvrages., que les mémoires étoient
dimciies à }ire il ne pouvoit fe diuimu!er qu'il avoit peu.de lecteurs il étoit frappé de la crainte qu'on ne 1-'efl-ii-.nât.
pointa & il ne lui avoit pas été donné de porter i'hu-
miiit.é jusqu'à fbum'ir avec patience une injuÛice qui auroit:
été peu méritée. Cette idée qui l'occlipoit trop ïouvent~étoit une des caufes de fon humeur & ta feute qui ne fût pas.une fuite de fes vertus de fa haine pour l'intrigue & pourra..chariatannerie, haine qui les lui faifçit voir où eiies n'étoient
pas d'un amour pour ia j~ice.& pour ia vérité, auSi facue à.
bieflerquepourroitl'ctre une pafBon dominante. Ce. der~er
D E: S C TJE N C E 5.
gentimentJui raifbit regarder toute efpèce d'éloges, & même
~es éloges académiques, comme de véritables menfbnges.
<?//c~ me dnbit-il quelquefois en me
parlant (d'une de' nos feances publiques &: il ajputpit
~/j'~r<3 de ~o// je v~~ wy~ Ce defm-~
tereflemeni; H.rarement fincere étoit dans îbn~ âme .& en
remplinant ici fes intentions la rigueur. Je lui rends
l'hommage qu'il eût te plus deuré. 11 cherchoit u peu à
paroître meilleur qu'il n'etoit, que fes détauts frappoientceux qui le connoiubient à peine tandis que fes amis
~euls connolfïoient toutes fes vertus. Peut-être y-a t-il, dans
cette auemblëe même, pinceurs perfonnes qui n'ayant connu~VLGuettard que par quelques réponses brufques ou même
dures, p<<rquelques traits d'humeur, feront étonnées d'ap-
prendre que cet. homme en apparence fi ievère, u dimcile,
forcé: par fa pontion à vivre ifblé avoit adopté la famille
très-nombreLue d'une femme.qui le lervoit, en faitoit élever
toustes enfans ,&: veiMoit lui-mêmefur les p~luspetits détails
de.~eur éducation; qu'il ne pouvoit voir un malheureux
non~feulement fans le fbulager ..mais fans pleurer avec lui
qu'il étendoit cette.fenlibi.titéjulque fur les animaux & qu'il
svoit expreuemen.t défendu qu'on en tuât aucunpour lui ou
chez lui pilié utile&.prefq.ue.~éceuaire pour cpnierver dans
toute fa pureté ce fenttme~t d'humanité la plus ~orte &
peut-être la feule;barrière eiKcaceque la 'Nature art opppféë
à l'intérêt~ à la colère..
Les cris avec lesquels ,on .proclame dans les. rues ~les
arrêts de. mort, tro.ubloient fon repos au point'de luï
infpi rer le deûr d'abandonnerle. (éjour de Paris. Comment,
dtfait-ii, n'être pas, révolta d~entendre annoncer tran- «
quulement qu'un homme va égorger publiquement un
autre homme., &: invitera cet horrible Spectacle un «
peuple que i'~b)e<~ion.&.la mi.serene difpole~t déjà que '<
trop à la férocité!~ il bén.ifibit ces'fpuverams'qui, t'
convaincus que toute rigueur inutile erL dès-lors injure,
ont cru fuivre la voix de la }.ufHçeautant que celle de l'huma-
HISTOIRE DE L'ACADEMIE ROYALE
nité en cëuant d'exposer les minières de leurs ioix aux
remords & au danger, d'une erreur qui ne peut plus être
réparée.M. Guettard étoit né avec une conilitution très-faine
que des voyages, une vie dure, & la fbbriété, avoiehtrbr-
tinée mais il étoit devenu fujet à des accès de fbmmeiliétar-
gique dans un de ces accès, il le brûla le pied; la guërifbnde cette bieuure fut longue & douloureuse; il ~bunritavec
une patience également ftoïque &. le ma! & les remèdes,
quoique fouvent persuadé de leur~inutilité. Je vois ~~r~
difbit-il, qu'ils ~M/f ~r~/7~ le f0~ mais ils n' r~F/'o~f
~y. L'idée du genre de mort qui devoit terminer fa vie,
ne le quittoit pas,, mais n'altéroit en rien fa gaieté ilvenoit
anidumenf à l'Académie aHoit feu! à pied, avec la précau-tion feulement d'avoir dans fa poche une adreue détaillée,afin qu'on pût le rapporter chez lui il refufoit de dîner
chez fes amis, alloit rarement les, voir, & aliéguoit tranquil-lement po*Lir'excufeta crainte de les afHiger par le fpe~aciede fa mort. Le i.~ Janvier de l'année ï/8o\ il écriât à
une dame de tes amies Une maladie qui me répare de la
» fbciété, m'empêchede vous rendre mes devoirs mais mon
H attachement pour vous fera toujours le même jufqu'au coupfatal qui terminera bientôt ma carrière & il mourut fix
jours après, âgé de fbixante-onze ans.
Je n'ajouterai rien à ce fimple tableau des travaux & de
la vie de M. Guettard, & je iaiue à juger quelle idée ondoit avoir d'un homme qui fans ménagement dans
les difcours qui échappoient à ton humeur s'étoit
-brouillé plus d'une fois avec chacun de fes amis & avoit
toujours fini par les aimer par en être aimé davantagei
qui ayant bieuë dans la dispute la plupart de tes confrères,.avoit confervé l'amitié de p!uneurs, & n'avoit jamais pu'anDiblir dans aucun f'eflime qu'il étoit impouibie de
réfuter à fon caractère &: à fes vertus.
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