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©CityEditions2016pourlatraductionfrançaise©2015byBrightonWalshPubliéauxÉtats-UnissousletitreTessaeverafterparBerkley,unemarquedePenguinGroupCouverture:©FelixWirth/CorbisISBN:9782824644028CodeHachette:7388599Rayon:Romancenewadult>CollectiondirigéeparChristianEnglish&FrédéricThibaudCatalogueetmanuscrits:www.city-editions.comConformémentauCodedelapropriétéintellectuelle,ilestinterditdereproduireintégralementoupartiellementleprésentouvrage,etce,parquelquemoyenquecesoit,sansl’autorisationpréalabledel’éditeur.Dépôtlégal:avril2016ImpriméenFrance
1
TESSA
Ilyadesjoursoùj’ail’impressiondecourirsuruntapisroulantquinemènenullepart.Jejetteunœilàmontéléphonepourregarderl’heureetessaiededirigermaclienteverslasortiesans
enavoirl’air.Nonquejenel’aimepas,bienaucontraire.C’estuneclientefidèlequiaoséaccordersaconfianceàunejeunefilletoutjustesortiedel’écoledecoiffure.
Depuis trois ans, elle demande toujours à avoir affaire à moi et m’a même recommandée à desdizainesdesesamies.Maiscesoir,ilsetrouvequejesuisdéjàenretardpourallerchercherHaleyàlagarderie ;alors, jeveuxjustequ’ellearrêtedeparleretqu’elles’enaille.Jesuisrestéeplus tardqued’habitudeexprèspourelleet je lepaye,maintenant. J’auraisdûmedouterque jenepourraispasmedébarrasserdemaclientecommeça,ellequiaimetoujoursresteràpapoteraprèssonrendez-vous.
Après l’avoirenfinsaluéesur lepasde laporteetunefoismonpostede travailnettoyé, jedisaurevoirauxautresfillesquitravaillentcesoiretm’engouffredansl’airpiquantdel’automne.J’enfouislesmainsdansmespochesetmedépêchederejoindremavoiture.Sansattendrequelechauffageaitletempsde réchauffer l’habitacle, je prends la route en espérant pouvoir récupérer Haley avant l’heure de lafermetureofficielledelagarderie.Maisl’aiguilledel’horlogedépassebientôtdix-huitheures,etjesaisbienquecetespoirestd’oresetdéjàridicule.
Unquartd’heureplus tard, jemegare sur leparkingetme ruevers laported’entrée,que j’ouvreprécipitamment.
–Maman!Haleycourtversmoiàtoutevitesse,unsourireradieuxsurleslèvres,etjemepenchepourlaprendre
dansmesbras.–Coucou,machérie.Tuaspasséunebonnejournée?–Oui!AvecMelinda,onafabriquédespoulettespendantlestravauxmanuels,aujourd’hui.Regarde!
Lamienne,elleadesplumesdetouteslescouleursetcetrucrougequipendouillesouslebec,là.Jerisdesadescription.–C’est très joli !On lamettra sur le frigo en rentrant à lamaison. Tu vas chercher tonmanteau,
d’accord?Elle tourne les talonsetdétale immédiatement.Alorsque jeme redresse, jevoisMelindaadossée
prèsdelaportederrièrelaquelleHaleyadisparu.–Bonsoir,Tessa.–Bonsoir.Désolée, je suisencoreen retard,mais j’aieudumalàmedébarrasserdemadernière
cliente.–Tessa…Àl’expressiondesonvisageetautondesavoix–trèsdoux–,jedevinecequ’ellevamedire.Je
m’ypréparedepuiscinqmois,medemandantquandcelavafinirpararriver.–Voussavezquej’aimebeaucoupHaley,etjesuisconscientequecettepériodedetransitionn’estpas
facilepourvous,depuisquevotrefrèreestparti.Cesderniersmoisn’ontpasdûêtresimples.Maismoiaussi,j’aiunefamille,et,àpartirdesixheures,jedoisêtreavecelle.
–Jesais.Vraiment,jesuisdésolée,Melinda.Je jette unœil vers la porte derrière laquelle est cachéeHaley etmemets à parler plus bas afin
qu’ellenepuissepasm’entendre.–Ilmefautunpeuplusdetempsquejenelepensaispourtrouverlebonrythme,depuisledépartde
Cade.Jenesaismêmepluscommentm’excuser.–Jesaisquevousnelefaitespasexprès,maislefaitestquecelaserépèteencoreetencore.Jecrois
que j’ai été très patiente et compréhensive, depuis le temps que ça dure. Je voulais vous laisser unecertainemargedemanœuvre,étantdonnéqueCadevenaitsouventchercherHaley.Jusqu’ici,jenevousaipasfacturélesdépassementshoraires,mais,àpartirdemaintenant,jevaisdevoirlefaire.
Jehochelatête, leslèvrespincées.Cen’estpasspécialementpourcettehistoiredefacturationdesdépassements,quoiqu’ilssoientexorbitantspourdissuaderlesparentsd’arriverenretardetquejem’enpasseraisbien.Non,c’estsurtoutlefaitqu’ellemediseceladecettemanière.J’ail’impressiond’êtreunegaminedanslebureaududirecteurd’école.Mêmesij’aiseulementvingt-deuxans,jenesuisplusuneenfantdepuisbien,bienlongtemps.
–Jecomprends.Ellerestemuetteunmomentetsedandineunpeusurplace.– Ça ne me fait pas spécialement plaisir de vous le suggérer, dit-elle finalement, mais peut-être
pourriez-vous trouver un lieu d’accueil plus proche de votre travail ? Ce serait peut-être plus faciled’arriveràl’heure,avantlafermeture.Jepeuxvousdonnerquelquescoordonnéesde…
Je secoue la tête avant qu’elle termine, sûre d’être prête à tout – tout – pour queHaley reste ici.Depuis sa naissance, elle n’a fréquenté que cette garderie.Après tous les bouleversements récents (ledépart de son oncle cet été, l’entrée en maternelle cette année), je ne veux pas lui imposer d’autreschangements.
–Non,merci,çavaaller.Jevaismedébrouiller.Àcetinstant,Haley,toutsourire,seslongscheveuxnoirsflottantderrièreelleetlesyeuxpétillants,
débouledelapetitepièceoùlesenfantsaccrochentleursmanteauxetrangentleursaffaires.Elleest…incroyable.C’estlaplusbellechosequej’aiefaitedetoutemavie.Malheureusement,depuisledépartdeCade,depuisquejemeretrouvevraimentseule,j’ail’impressiondenepasêtreàlahauteurdecettepetitemerveille.
J’avaistoujourscruquejemaîtrisaislamajoritédeschoseslaconcernant,quejem’ensortaisplutôtbienavecelle.Mais,depuisquemon frèreestparti, jemesuispris ladure réalité enpleine face : ilm’aidaitconsidérablementetréglaitunemultitudedeproblèmespourmoi.Lachuteaétérude.
Etjemedébatstoujourspouressayerderemonterlapente.
JASON
Cesontdessoiréescommecelle-làquimedonnentenviedemetireruneballe.Desodeursdecuisineflottentdanslasalleàmangeroùmamère,monpèreetmoisommesinstalléset
entretenonsuneconversationforcée,commetouslesvendredissoir.Lebruitdescouvertsenargentsur
lesassiettesestleseulquisefasseentendredanscettepiècetropgranderempliedebibelotsqu’ilnefautpas toucher,de tableauxvalantplusque lesalaireannueldecertainespersonnes,etdemeublesquinedevraientmêmeplusexister.Lamaisondemonenfance.Si tantestqu’onpuisseappelerunmuséeunemaison.
Comme simamère avait une clochette sous la table pour signaler que nous avons fini l’entrée, lanouvellebonneentredanslapièceetdébarrassenosbolsdesoupepourrevenirquelquesinstantsplustard avec des assiettes de salade. Je hais les vendredis soir. Devoir revenir ici et écouter les deuxpersonnes qui ne me considèrent que comme un moyen de parvenir à leurs fins… Je crois que jepréféreraisencorerecevoirplusieurscoupsdepieddanslesvalseusesqued’êtreforcéàsubircerituelchaquesemaine.
Hélas,cesonteuxquipayentlesfactures…–J’aivuSheilahier,auclub,ditmamèred’untondédaigneux.Mon père acquiesce en relevant brièvement les yeux duWall Street Journal étalé devant lui. Ce
fumiernepeutpaspasservingtminutesavecnoussansfaireautrechoseenmêmetemps.Pasétonnantquemamèreaiteuuneaventureaveclejardinier.
Monpèreneditrien,cequemamèreprendcommeunencouragementàcontinuer.–Elles’estfaitfairedesinjectionsdeBotox,çasauteauxyeux.Àmonavis,elles’estfaitgonflerles
lèvresaussi.Franchement,sionveutselancerlà-dedans, lamoindredeschosesestd’êtreunpeuplusdiscret.Ellepourrait…
D’unseulcoup,jedécrocheetjememetsàpenseràmilleautreschoses,histoiredepouvoirpasserlaprochainedemi-heuresansdevenirfou.
Cen’estquelorsqu’onposeleplatderésistancedevantmoi(duconfitdecanard,medit-on)quejeremarquequemonpère toussotedans le silencede lapièce. Je relève lesyeuxet trouveceuxdemesparentsbraquéssurmoi.
–Quoi?Mamèresecouelatêteavecunemouesévère.–Cen’estpasunefaçondeparleràsesparents,Jason.Jelèvelesyeuxauciel.Envingt-quatreans,mesparentsontétébeaucoupdechosespourmoi,sauf
peut-êtredesparents,justement,etce,malgrél’enviequej’avaisqu’ilensoitautrement–cequejeneleuravoueraisjamais.
–Tamèrearaison.Aurais-tuoubliéquipayetoutcelapourtoi?–Oh!rassure-toi,jenerisquepasdel’oublier,vuquetumelerappellestouteslessemaines.Sansmequitter des yeux,monpère boit une gorgée de bourbon avant de reposer son verre sur la
table.Ceregarddurafaitpleurerautantd’hommesquedefemmes.L’ayantmoi-mêmereçuplussouventqu’àmontour,celanemefaitplusrien.Jelefixedoncenretour.
–Jecroisquenousavonsétéplusqu’indulgentsetpatientsdanston…éducation.Ilprononcecemotcommes’ilsemblaitluiresterentraversdelagorge,commes’ildevaitlecracher
pourlefairesortir.Jesensmesépaulessetendre.Ilnecroitpasqu’uneécoled’artsplastiques–mêmesilamienneestunedesmeilleuresdupays–puissejamaismefournirlegenred’éducationdontjemesuisdétournéquandj’aiquittél’universitéqu’ilavaitlui-mêmefréquentée,unétablissementtrèsrenomméoùjen’avaisaucuneenvied’aller.Ilfautdirequejeneluiaipasvraimentlaissélechoix…Jesuispartiavantlafindupremiersemestre,prêtàsouscrireunemprunts’il lefallait, lorsquemongrand-pèreestintervenuetm’apayémapremièreannéeenartsplastiques.Ilm’atoujoursditquejedevaisfaireceque
j’aimais,quellesquesoientlesattentesdemonpère.Quellesquesoientlesattentesdemesparentspourmoi.
Onpeutdirequemesparentsetluiavaientdesvisionsdelavieassezdifférentes.Etdelafamille,aussi.
Indifférent,ouneremarquantmêmepasquejemesuisraidi,monpèrecontinue:–Nous t’avons laissé prendre une année de congé après l’université pour faire Dieu sait quoi en
vivantsurnosfonds.Depuiscepetitbreak,noust’avonsdonnécinqanspourobtenirtondiplôme,cequiestassezrisible, franchement,pourquelqu’unquiest sortidu lycéedans lescinqpourcentdesmieuxclassés.Noust’avonsautoriséàquitteruneuniversitédepremierordrepourquelquechosede…,deplusadaptéàtesgoûts.Cefaisant,nousnoussommesexposésauxrumeursquipeuventcirculerauclub.
–Seigneur!Auclub!Commentavez-voussurvécuàça?Aprèslamortdemongrand-père, ilyaquelquesannées,cesontjustementceschuchotementsdans
leur dos, au club, qui ont poussémes parents à financer le reste demes études dans une école qu’ilsjugeaient indigne de moi. Mais de quoi auraient-ils eu l’air si unMontgomery avait dû prendre unempruntpourfinancersesétudes?
–JasonDaniel,çasuffit!aboiemamère.Commesijen’avaisriendit,monpèrepoursuit:–Lacoupeestpleine,Jason.Voilàtroplongtempsquetudépasseslesbornes.J’attendsqu’ilajoutequelquechose,qu’ilpréciseunpeudequoiilmemenace,cettefois.Nousavons
déjàeucegenred’échange,aupointque jenepourraisplus lescompter,et jenesuispasd’humeuràentrerdanssonjeu.
–Vas-y,explique-toidonc,papa,parcequejenesuispassûrdecomprendreoùtuveuxenvenir.–Jeveuxenveniraufaitquenoustelaissonsfinircesemestre,etuniquementcelui-ci.J’aidemandéà
notreavocatdeserenseignersurtontravailàl’école…–Joli…Quias-tusoudoyépourfaireça?–…et lesunitésdevaleurquetuasdéjàeuestepermettraient largementd’obtenir tondiplôme,si
seulementtuvoulaisbienpasserlediplômefinal.Il s’adosse dans sa chaise, jette sa serviette sur la table et croise lesmains sur son ventre. Ilme
ressemblebeaucoup,enplusvieux:descheveuxbrunsavecunpeudegrisauxtempes,desyeuxnoirscapablesdedevenirglaçantsenuninstant,etunetaillesuffisantepoursesentirimportantquandilentredansunepièce.J’espèreuniquementquenosressemblancess’arrêtentauphysique.
Je fais toutmonpossibledansce sens.Pourêtre sûrdedevenirquelqu’uncommemongrand-pèreplutôtquecommemonpère.Lefaitquejemebattepourressembleràl’hommequemonpèredétestaitestvraimentlacerisesurlegâteau.
Souvent,j’essaiedelevoiraveclesyeuxdequelqu’und’autre,quelqu’unquilerespecterait,quilecraindraitmême,peut-être;mais,quoiquejefasse,ilrestesemblableà lui-même,depuis toujours.Unhommequiaccordaitplusd’attentionàsonjournal,sontéléphoneousonordinateurqu’àsonfilsunique.Unhommetoujourstropoccupépourserendreauxmatchesdesonfilsquandilétaitpetit.Unhommequivoulait que son fils soit lemeilleur, pas pour son propre bonheur,mais pour le regard que les autresposeraientsurlui.
Leplustriste,c’estquejeluipardonnaistoutcela,avant.Jepassaisoutreetl’acceptais.Jen’aimaispascela,maisjel’acceptais.Etpuis,aprèslamortdemongrand-père,monpèreafermélafondationquesonpèreavaitcréée–unefondationquifournissaitdeslogementsàdesgenspeufortunés–,justepour
pouvoirempocher le fric,et là,cefut finipourmoi.Àpartirdecemoment, j’aisuque jenepourraisjamaislerespecter.
Voyantquejen’aipasl’intentiondediscuter,ilannoncelacouleursansplusdedétours:–Tesfraisdescolaritéserontpayéspourcesemestre.Tucontinuerasàtouchercequ’ilfautpourton
loyerettesdépensescourantesjusqu’àcequetuaiesobtenutondiplômed’architecte.Lapaperasseestdéjà réglée ; le… nécessaire a été fait pour que tu puisses te présenter sans avoir de portfolio. Enattendantquetuaieslediplôme,jeveuxquetusoisavecmoiàlasociété,quetusuivestoutcequejefaispourapprendrelesficellesdumétier.Jenesuisplustoutjeuneetj’aimeraispouvoirprendremaretraitedanslesdixannéesàvenir.Iltefaudrabiencetemps-làpourcomprendreenfincequetufabriquesetnepasfoutretavieenl’air.
–Lawrence…D’un geste autoritaire,mon père repousse la tentative d’intervention demamère, ne lui accordant
mêmepasunregard.–Le2janvier,Jason.Pasunjourdeplus.J’enaiassezd’attendrequetuviennestravailleretquetu
cessestesconneriesdepetitsjeuxsurordinateur,ouquoiquetufassesdanscetteécolededessin.Ilestgrandtempsquetuarrêtesdeteconduireenenfantgâtéetquetuviennesprendretaplacedanslasociété.
2
JASON
Jequittelamaisondemesparentsenfaisantclaquerlaportederrièremoietjefonceversmavoitureen marmonnant entre mes dents tous les jurons de mon répertoire. En fait, leur ultimatum n’est pasvraimentunesurprise.Àvraidire,jesuismêmeassezétonnéqu’illeuraitfallutoutcetempspourmeposerunesortededeadline.Après tout,dans leurmilieu,cen’estpas très reluisantd’avoirun filsdevingt-quatreansquifaitencoresesétudes–àmoinsqu’ilnepasseunMBAouundoctorat.
Maismêmemaintenant,avecleforcingqu’ilsfontpourquej’aiemondiplôme,ilsserontencoregênéspartoutcequej’aifait,parlecheminquej’aiprispourarriveroùjesuis.
J’aibeausavoirquej’aidelachance(avecdesparentsquipaientmesétudesettoutesmesfactures),cen’estpourtantpaslasituationquej’auraischoisiesij’avaispuendécider.Engrandissant,jemesuisrenducomptequej’auraistoutdonnépourfairepartiedelafamilledemesmeilleursamis,parexemple.LesparentsdeCadeetd’Adamonteuàcœurdes’investirdanslaviedeleursenfants.Deparlerd’autrechosequed’obtenirlesmeilleuresnotes,deprépadegrandesécoles,ducoursdesactionsdelasociétéfamiliale… Je neme souviensmême pas de la dernière fois oùmes parentsm’ont posé une questionconcernantréellementmavie.Ouunequestionappelantuneréponsesincère.
L’uniquefoisoùj’aieudroitàunsemblantdecegenred’affection,c’étaitavecmongrand-père,peudetempsavantsamort–unhommequemonpèrenepouvaitpassupporterparcequ’illejugeaitfaible.Faibleparcequ’ilnedirigeaitpasuneentreprisebrassantdesmilliards.Parcequ’ilavait«dilapidé»sesfondspouraiderlesautres.Parcequec’étaitunhommeintègre,honnête,cequiesttotalementétrangeràmonpère.
Jemets lesgaz sur la longuealléecirculairede lapropriétédemesparents,memoquantbiendestracesderouesquejedoislaisserderrièremoi.Jenemerendscomptedelàoùjesuisquelorsquejevoisenfinlesruesquimesontfamilières.Depuistoujours,c’esticiquejemesenschezmoi,bienplusquelàoùjevivaisavant.LeschosessontdifférentesdepuisledépartdeCade,maisjeressenstoujoursuneespècedesoulagementquandjepassecetteporte.
Iln’estpastrèstard–l’horlogeindiqueàpeinevingtheures–etj’espèrearriveràtempspourvoirHaley avant qu’elle n’aille se coucher. Si quelqu’un saitme faire sourire, c’est bien cette petite fille.J’avoue que l’attachement que j’éprouve pour elle depuis les quelques mois d’absence de Cade medésarmeunpeu,maisc’estainsi.
La voiture de Tessa est garée dehors. Jeme dirige vers la porte de derrière et tourne la poignéecomme je le fais toujours ; elle est verrouillée. Depuis que Cade n’est plus là, Tessa fait davantageattentionàsasécurité.Sonfrèreleluiasuffisammentrépétéavantdepartir.Jefrappedoucement,aucasoùHaley serait couchée.Au bout de quelquesminutes sans réponse, je sorsmon trousseau de clés etutiliseledoublequej’aiavecmoidepuisdesannées.
Jeremarqued’aborduneodeurdefritureetjevoisensuite,danslacuisine,desrestesdenuggetsdansunepetiteassiettedeprincesse.Sacréchangementparrapportàl’époqueoùCadevivaitici.Ilferaitune
attaques’ilsavaitavecquoiTessnourritsanièce.J’avancedansl’obscuritéducouloirpourrejoindrelesalonetm’arrêtenet.Haleyestdevantlatélé,
des crayons étalés tout autour d’elle comme si elle faisait du dessin.Lorsqu’elle se retourne pourmeregarder, je sursaute d’étonnement devant l’état de sonvisage,mais elle se rue versmoi avant que jepuissedirequoiquecesoit.
–Jay!Un grand sourire aux lèvres, elle bondit sur place et se jette dansmes bras. Je l’accueille à bras
ouvertstoutenprenantgardedenepastachermesvêtementsaveccequ’elleasurlevisage.–Coucou,p’titbout.Qu’est-cequec’estqueça,dis-moi?luidis-jeendésignantsespaupières,ses
jouesetseslèvresbarioléesdemultiplescouleurs.Aulieuderépondre,ellebaisselesyeux,évitantlesmiens.–Haley…Ellesepenchepourmurmureràmonoreille:–J’aitrouvélemaquillagedemaman.Sij’aiapprisunechosedepuistouteslesannéesoùjefréquenteTessa,c’estbienquesonmaquillage
etautresproduitsbizarrespoursescheveuxsontsacrés.Etsiquelqu’unalemalheurd’ytoucher,ilpeutêtre assuré de passer un sale quart d’heure. Elle est comme ça depuis l’adolescence, et ça n’a faitqu’empirerlorsqu’elleestentréeàl’écoled’esthétiqueetdecoiffure.IlestdoncévidentqueHaleyafaitcelasanssapermission.
–D’accord,dis-jed’unevoixcalme.Etoùestmaman?Ellepivotedansmesbrasetmemontre lecanapé. J’avanceet jetteunœilpar-dessus ledossier :
Tessaestcouchéelà,portantencoresatenuenoiredusalondecoiffure,unbrascouvrantsesyeux,l’autrependantdanslevide.
–Elledepuiscombiendetempscommeça?–DepuisledébutdeDocMcStuffins.Haleylèvesesgrandsyeuxversmoi,salèvreinférieureunpeutremblotante.Lavoixtremblante,elle
medemande:–Tuvaspasluidire,hein?Jedevrais,pourtant.Parsolidaritéentreadultes,cegenredechose.MaisHaleymefaitcraquer;et
l’idéed’êtreunadultenem’emballepasdesmasses.–Non,ceseranotrepetitsecretànous.Viens,onvanettoyertoutçaettemettreaulit.Ilesttard,ettu
asdel’écoledemain.Si Tessa s’est endormie et ne s’est même pas réveillée devant ce dessin animé ridicule ou en
entendantmaconversationavecHaley,c’estqu’elledoitêtretrèsfatiguée.Jevaislalaissersereposerencoreunpeu, le tempsdemettre lapuceau lit. J’emmèneHaleydans lecouloiretattrapeungantdetoilettedansleplacardavantd’entrerdanslasalledebain.Unefoislapetiteperchéesurleplanvasque,j’ouvrelerobinetpouravoirdel’eauchaude,puisj’entreprendsderetirertoutescessaloperiesdesonvisage.Elle ressemble vraiment à un clown, avec ses joues rose vif, ses lèvres couvertes de rouge àlèvresjusqu’aumentonetcevertétalétoutautourdesesyeux.
Jesecouelatête.–Combiendetempsilt’afallupourfaireça?–Chaipas.–Tusaisquetun’aspasledroitdetoucherauxaffairesdetamaman,pasvrai?
Ellefaitlamoue,têtebaissée.–Voui.–Ettul’asdéjàfait,avant?–Uneseulefois.–Jesupposequetut’esfaitgronder?–S’ilteplaît,luidispas,Jay.Salèvreinférieurerecommenceàtrembloter.Cettefois,leslarmescoulent,rondesetpleinessurses
jouesrosées.Unseulregarddecesbeauxyeuxbruns,etjecraque.Audébut,jetrouvaisjustequec’étaitunegaminesympa,riendeplus;unegaminesympaquejevoyaisunefoisdetempsentemps.Or,depuisledépartdeCade,elles’estraccrochéeàmoi,etmevoilàmaintenantprêtàluimangerdanslecreuxdelamain.
–D’accord,maisàconditionquetumepromettesquelquechose.–Promis.Jerisenessuyantlestraînéesvertessursesyeux.–Attends,jenet’aimêmepasencoreditcequec’était.–Promisquandmême.–Tuessûre?ParcequejevoulaistefairepromettredejoueràTransformersavecmoitouslesjours
pendantunesemaine,aulieudetadînette.Samâchoiresedécrocheetsesyeuxs’écarquillent.–Non,jeplaisante.Maistunedoispaslerefaire,d’accord?–D’accord.–Jesuissérieux,p’titbout.Plusjamais.–Promis.Ellemetendsonpetitdoigtpourqueje leserre.Untrucdefillequisemblevouloirdirequec’est
juré-craché.J’emboîtelemienaveclesien.–OK.Maintenant,enpyjama,puisjeteliraiunehistoire.–Deuxhistoires.–Biententé,maisnon.Uneseule.Elleregardeenbiais,sedemandantvisiblementcommentellepourraitobtenirautrechosedemoi.–Bon,d’accord,uneseule,maisavecdesvoixrigolotes,alors.–Çamarche.UnefoisHaleymiseenpyjama,bordéedanssonlit,etl’histoirelue,jeretournedanslesalonoùje
trouve Tessa toujours endormie sur le canapé. Sa bouche est légèrement entrouverte, avec une lippeboudeuseetrebondiequimetenteterriblement.Sonsouffleestprofond,régulier,etj’aibeauessayerdem’enempêcher,lemouvementdesarespirationattiremonregardverssapoitrine.Jedétournerapidementles yeux,mais pas assez vite pour pouvoir ignorer cette attirance soudaine et intense quim’emplit deculpabilité.Quoique«soudaine»nesoitpastoutàfaitletermeexact…Cetteattirancecouvedepuispluslongtempsquejenevoudraisl’admettre,bienavantledépartdeCade.Depuiscesderniersmois,ellen’afaitquegrandir,endépitdemeseffortspourlafairetaire.
Assailli de culpabilité à l’idéequ’il s’agissede lapetite sœurdeCade (cette fille que je connaisdepuisquej’aineufans…,cettefillesurlaquelleCadem’ademandédeveillercommesielleétaitmapropresœur),jemeforceàmedétourneretcommenceàrangerlepetitbazarlaisséparHaley.Jeremetslescapuchonssurlescrayonsetdébarrasseson«atelierdedessin».Jevaisensuitedanslacuisineet
jette les restes du repas. Je ne vois que l’assiette deHaley etmedemande siTessa amangéquelquechose.Puisjemedemandepourquoijemeposecettequestion.
Quandtoutestrangé,jeretourneverslecanapépouressayerderéveillerTessa.Elledortcommeunemasse(commetoujours).JedevraisavoirhontedecertainstoursqueCade,Adametmoiluiavonsjouésquandnousétionsplusjeunes.Engros,pendantdesannées,elleasubiàpeuprèstouteslesblaguesquel’onpeutfaireàquelqu’unquidortprofondément.Jecroisqu’ellenenousajamaispardonnédeluiavoirfaitmouiller son litquandelleavaitquatorzeans.Cette idéeme rappelleune foisdepluscombien jedevraisplutôtlaconsidérercommeunesœurquecommeunefillesurlaquellejefantasmequandjememasturbe.
Jem’accroupisàcôtéducanapépouravoirlevisageauniveaudusien.Enlaregardantainsideprès,je remarque lescernessoussesyeuxet la fatiguequise lit sursonvisage,mêmequandelledort.Sescheveuxcourtsetbruns tombentsur l’undesesyeux,et jedois littéralementmeretenird’écartercettepetitemèche. Jemepasseunemain sur levisage,me forçant à contenirmonélan.Maisqu’est-cequim’arrive?
Jelaisseretombermamainetprendslasienne,quejeserrelégèrement.Ellenebougepas,necillemêmepas.Sachantquejeneparviendraipasàlaréveilleràmoinsdeluibalancerunseaud’eauglacéeen pleine face, jeme penche et la soulève facilement du canapé.Tout enmarchant en direction de sachambre, jem’efforce de penser àmille autres choses que son petit corps pressé contre lemien.Aucontactdesescuissessousmonbras,sousmamain.Àladouceodeurdesonshampoing,etàlafaçondontellepressesonvisagecontremapoitrinepourserapprocherdemoi.
Saufquecen’estpasdemoiqu’elleessaiedeserapprocher.Inconsciemment,elletendversquelquechosed’autre–ouquelqu’und’autre.Pasversmoi,entoutcas.
Aprèsl’avoirposéesurlelit,j’allumesalampedechevet,luienlèveseschaussuresetlesrangeaupieddulit.Cesimplegestemefaitpenseràtouslesautresvêtementsquej’aimeraisluiretireretsuffitàmefairebander.Jefermelesyeux,réprimeunjuronetsecouelatête,furieuxcontremonespritd’avoirdetellespenséesetcontremonsexepours’enréjouirainsi.
Une foismonmembre un peu calmé, j’essaie de la bouger pour pouvoir faire passer sur elle lescouverturessurlesquellesellesetrouve.Lemouvementfinitparlaréveilleretellesetourneversmoi,battantvaguementdespaupières,avantdeseredresserbrusquementenmedonnantunviolentcoupdetêtedanslementon.
–Putain!–Aïe!grogne-t-elleensefrottantlefront.Jason?Bonsang,tum’asfichuunetrouillebleue!Qu’est-
cequetufaislà?Elle balaie rapidement la pièce du regard, puis regarde ses vêtements avant de jeter unœil à son
réveil.–Ilestpresqueneufheures?Merde,ilfautquej’aillecoucherHaley.J’aidûm’endormir.Elles’apprêteàselever,maisjelaretiensetm’assoissurlelittoutenmefrottantlementon.–Net’inquiètepas.Jem’ensuisoccupé.Ellemefixeenhaussantlessourcils.–C’estvrai?J’acquiesced’unhochementdetête.–Depuiscombiendetempses-tulà?
–Environuneheure.Elleenrestebouchebée.–Uneheure?Pourquoinem’as-tupasréveillée?–Tucroisvraimentque j’auraispu te réveiller?Etpuis, jemesuisditqu’ilyavaitsûrementune
bonneraisonsitut’étaisempafféecommeçasurlecanapé;alors,jet’ailaisséedormir.Jenevoyaispasoùétaitleproblème.
–Bonsang,jedéconnevraimentàpleinstubes,aujourd’hui.–Pourquoidis-tuça?–Pourrien.Jehausseunsourciletlafixesansriendire.Onadéjàjouéàcejeu-làensemble,etc’esttoujoursmoi
quigagne.Ellesoupire,puisraconte:–J’étaisenretardàlagarderiepourallerchercherHaley…unefoisdeplus.Melindam’aditque,si
çarecommençait,elleallaitmefacturerlesheuresdedépassement.Maiscen’estmêmepaslaquestiondel’argent,tusais.C’estjustequejenesuismêmepascapabled’arriveràl’heurepourchercherHaley.
Ellesecouelatêteetlèveunbrassursesyeux.–JemesenstellementnulledepuisqueCadeestparti.Jesuiscontentequ’ilsoitparti,jeveuxdire.
Dieu sait si je l’ai poussé à y aller. Je ne voulais pas qu’il reste ici alors qu’il avait cette superbeoccasion.Mais…c’estdur.Pourtedire,j’aidonnédesnuggetsàmangeràHaley,cesoir,parcequejen’avaispas le tempsde luicuisineruntruccorrect.Hiersoir,c’étaientdeshamburgersàemporter.Lesoir d’avant, des nouilles. Alors qu’avant, tous les soirs, Cade nous préparait un repas digne d’unrestaurantcinqétoiles.
–Cadeestchefcuistot,Tessa.Ellelaisseretombersonbrassurlelitetmeregarde.–Même.Touslesjours,jetrouvequemafaçondegérerleschoses–ouplutôt,denepaslesgérer–
vademal enpis.Unde ces jours, jevaisme réveiller avec le trophéede la«mère laplusnulledumonde»surmatabledenuit.
–Tess,arrête.–Nemedispasd’arrêter.Ellemedonneunpetitcoupdepiedsurlacuisse.– Je tedisceque je ressens,c’est tout.C’estbien lapeinedeveniretde tout fairepourme faire
parlersitutemetsàroulerlesyeuxquandjecommence.Tul’asvoulu,ehbien,maintenant,tul’as.J’approuved’unhochementdetête.–D’accord.Quoid’autre,alors?Ellepousseunprofondsoupirenlevantlesyeuxversleplafond.–Jecroisquejenemerendaispascomptedetoutcequ’ilfaisaitpournous.Cequifaitdemoiune
sœurtotalementminable,par-dessuslemarché.Jemesenscomplètementconne.Jeroulelesyeuxsanspouvoirm’enempêcher.Elleatoujourseutendanceàenfairedestonnes.–Tun’esniconne,Tess,niunesœurminable.Etencoremoinsunemauvaisemère.D’accord,Cade
enfaisaitbeaucoupquandilétaitlà,maistut’esretrouvéeavectouteslesresponsabilitéssurledosenmoinsd’unesemaine,quandilestparti.Donne-toiletempsdet’yhabituer.
–J’auraispeut-êtrepugoberçaenjuinouenjuillet,maisçafaitcinqmoismaintenant,Jason.Cinqmois.Jedevraisavoirprislepli,maintenant.
–Nesoispassidureavec toi.Tuenfaisdixfoisplusque jen’enseraiscapable.Regarde, ilm’afallu troisquartsd’heure rienquepourmettreHaleyenpyjamaet lui fairesebrosser lesdents, toutàl’heure.
Voilàquiluiarracheenfinunsourire.– Oui, elle a besoin d’être bien cadrée au moment d’aller se coucher, dit-elle en riant. Merci,
d’ailleurs.Ellenet’apastropembêté,aumoins?–Non,elleestmignonnecommetout.Elle semetà souriredecette façon si spécialequi illumine sonvisageet,une fois encore, je suis
frappéparsabeauté.JenesaispasàquelmomentelleestpasséedelabanalepetiteTess,jeunesœurdemonmeilleurami,àcettefemme…sisexy,simerveilleuse,dontj’aimeraismieuxqu’ellenesoitpasdela famille de mes meilleurs amis. Mes pensées aussi constantes qu’indécentes seraient certainementbeaucoupplusfacilesàgérer.
–Merci.Jetrouve,moiaussi.Ellebâilleens’étirantetglissesonpiedentremacuisseetlematelas.Lenaturelaveclequelalieuce
genredecontactaffectueuxne faitque renforcermavolontéde rassemblermesesprits etmahontedepenseràellequandjesuisdansmonlit.
–Pourquoivenais-tu,aufait?medemande-t-elle.Lesouvenirdecequis’estpasséavantmonarrivéemefait l’effetd’unseaud’eauglacéesurmon
pantalon.Dansungrognement,jefermelesyeuxetmepasseunemainsurlevisage.–Oh,oh!Iln’yaqu’untrucpourmemettrel’inébranlableJasondansuntelétat.Tuasdînécheztes
parents,c’estça?–Ouaip.–Etques’est-ilpassé?Jem’allongesurlelitenmemaintenantsurmescoudes,latêtetournéeverselle.–Ilsm’ontposéunultimatum.J’aijusqu’àlafindusemestrepourfinirmesétudes,puisjedoisavoir
mondiplômed’archi,sinonilsmecoupentlesvivres.Ellemefixe,bouchebée.–Sansblague?J’opineduchef.– Ils ont découvert que j’avais déjà assez d’UV pour obtenir mon diplôme si je déclarais mes
mentionsetilsnemarchentplusdanslacombine.Plusmoyend’ycouper.Mais,bon,çam’aquandmêmepermisdetenircinqans.Lemomentestvenupourmoidepayerl’addition,j’ail’impression.
Ellerestemuettequelquessecondes;jelaquestionneduregard.Commeellenedittoujoursrien,jeluidemande:
–C’estquoi,cesilence?–Jenesaispas, répond-elled’unevoixhésitante,avantd’agiter lamainensecouant la tête.Rien,
laissetomber.–Vas-y,Tess,dis-moicequetupenses.–C’estque…jenetecomprendspas.Tuasunsuperboulotquit’attendaprèstondiplôme,unboulot
pourlequelbeaucoupdejeunesdiplômésseraientprêtsàtuer,oùtugagnerassûrementtroisfoiscequejepourrais espérergagnerpendant toutemavie, et tu fais la finebouchecommeunenfantgâté.Enplus,c’étaitlaboîtedetongrand-père…Jecroyaisquetuseraiscontentdebosserlà-bas.Alors,c’estquoi,le
problème?Jeserrelesdentsetinspireàfondparlenez.–Écoute,jesuisconscientquej’aidelachance,tupeuxenêtresûre.Etj’aivraimentl’impression
d’êtreunpetitconégoïstedenepasenêtreplusheureux.Maisçateplairait,àtoi,sitouttonaveniravaitdéjà été tracé avant même que tu saches marcher ? C’est beaucoup de pression, tu sais. Et puis…D’accord, travaillerpour laboîtedemongrand-père serait super si jepouvais le faireàmamanière,maisçaneconviendrapasàmonpère.Ilnevoudrajamaisquejetravailledansleserviceweb.Enplus,laboîteacesséd’apparteniràmongrand-pèrequandmonpèreamis lamaindessus,qu’ilagrefféunpaquetd’associéspouraugmenter lesprofitsetqu’ilasurtoutmis l’éthiqueaupanier.Mongrand-pèredoitseretournerdanssatombeenvoyantcequemonpèreafaitdeMontgomeryInternational.
–As-tuaumoinsparléà tonpèrede l’idéede faireunautre travaildans laboîte?Peut-êtrequ’ilseraitd’accordpourquetuprennesunpostemoinsimportantdansunautreservice.
Jesecouelatête.– Impossible. Il ne voudra jamais. Avec lui, c’est tout ou rien. Il ne connaît pas le sens du mot
«compromis».–Et,donc,vousêtescomplètementdifférents,tudisais?–Situcommencesàmecompareràmonpère,çaveutdirequ’ilesttempsquejem’enaille.Je m’apprête à me lever, mais Tessa se met à rire et pose les deux pieds sur mes cuisses pour
m’empêcherdepartir.–Jeplaisante!Nesoispassusceptiblecommeça.Non,tuneluiressemblesenrien.Maistuestêtu,
ça,oui.Etc’estpourçaquejesuisétonnéequetubaisseslesbras.Tentelecoup.Qu’est-cequetuasàperdre?Siçasetrouve,iltesurprendra.
Oubienildonneraraisonàtoutcequejepensedelui,etjemeretrouveraiàlacasedépart.
3
TESSA
Devoirtoutgérerestépuisant.Jemesuislevéeunedemi-heureplustôtqued’habitudepourpouvoirchoisir les habits de Haley et lui préparer autre chose qu’un bol de céréales froides pour le petit-déjeuner.Cen’étaitqueduporridge,mais,bon…,c’estdéjàça.J’aiveilléàtenirmeshorairestoutelajournée,allantplusvitequandmesclientesarrivaientenretard,afind’êtresûredequitterlesalonàcinqheuresetdemiepétantespourpouvoirrécupérerHaleydanslestemps.
Lerepasdusoirn’esttoujourspasauniveaudeceuxqueCadepréparait,maisj’estimequ’avectousleseffortsquej’aifournisaujourd’hui,j’aidroitàunpeud’indulgence.Jemangel’escalopedepouletetla saladeque jeme suispréparéespendantqueHaleyme raconte chaque secondede sa journéeentredeuxbouchées.
–…etpuisonaprislegoûter.Despommesetdubeurredecacahuète.C’estcequejepréfère,hein?–Mmmh,jesais,mapuce.–Etaprès,onafaitleslettres.Cettesemaine,c’estle«j».Comme«jaguar»,«jouer»,«jardin»et
«Jay»!Etaprès…J’essaievraimentd’êtreattentive,del’écouter,dem’intéresser.Seulement,jesuisdeboutdepuiscinq
heures dumatin, et, après avoir préparéHaley etmoi, couru à l’école, puis àmon travail, passé huitheures debout au salon et une de plus dans la cuisine pour préparer le repas, je suis complètementexténuée. Je voudrais m’écrouler sur mon lit et ne plus en bouger pendant douze heures. Sauf qu’enréalité,jeneseraipascouchéeavantonzeheuresetjen’auraiqu’environsixheuresdesommeil.
–Maman!LavoixdeHaleymetiredemespensées;jelèvelesyeuxverselle.–Quoi?–Jepeuxavoirunbonbon?Jedevraisdirenon.Ellen’apasbesoindebonbon,surtoutaprèstouteslessaloperiesqueje luiai
donnéesàmangerdernièrement,maisjen’aipaslaforcedemebattre,cesoir.Jecèdedansunsoupir.–Mangetesharicotsvertsd’abord.Elle s’empresse de piquer une grosse quantité de haricots sur sa fourchette et l’enfourne
immédiatement,commesimonoffren’avaitqu’uneduréelimitée.Pendantquelquesinstants,jemelaissealleràlaregarder,àmeperdredanssesgrandsyeuxbruns,tandisqu’ellemeraconted’autresdétailsdesajournée,danslesmouesqu’ellefaitquandelleréfléchitàcequ’ellevamedireensuite.Sescheveuxsontenbataille;ellelesécartesanscessedesonvisage.Voilàunmoisdéjàquejedoislesluicouper,maisjen’aipastrouvéletemps.Elleestmagnifique,adorable,etelleestàmoi.Quoiqu’ilarrive,jesaisqu’àlafindelajournée,elleseralàavecmoi.
Cettepetitefillepétillanteetviveestunevéritableforcede lanature,et je l’aimeplusque toutaumonde. Elle me fait rire plus que personne ne m’a jamais fait rire dans ma vie. Elle est gentille,attentionnée,c’estcequej’aidemeilleurdansmonexistence.
Mais parfois…, parfois, des soirs comme celui-ci, lorsque j’ai eu une longue et dure journée,j’aimeraisnepasêtreseuleavecelle.J’aimeraisqu’ilyaitquelqu’und’autrepourmedélesterunpeudecepoids.Quelqu’unquim’aidelematin,quil’emmèneauparc,luilisedeshistoires,lesoir,enfaisantdesvoixrigolotes.Quelqu’unpourmetenircompagniependantquejeprépareàmanger.Pourboireunverre de vin avecmoi une fois queHaley est couchée. Pourme tenir chaud pendant les froides nuitsd’hiver.
Comme chaque fois que j’ai ce genre de pensée – c’est systématique –, une énorme vague deculpabilités’abatsurmoietjeregrettetoutcequivientdemetraverserl’esprit.Parcequenotrevieestdéjàformidable,et,penseràlarempliravecquelqu’und’autre,c’estunpeucommesijemedisaisqueHaleynemesuffitpas.Commesilefaitd’êtreensemblen’étaitpassuffisant.
Cen’estpasdutoutça.Jel’aime,jedonneraismaviepourelles’illefallait.Lesmomentsquenouspassonsensemblesontceuxquejechérisleplus.Mais,àlafindelajournée,quandelleestcouchée,jemeretrouvetouteseule.
Etjenepeuxpasm’empêcherd’avoirenvied’autrechose.
JASON
J’auraisdûsortircesoir.J’auraisdûappelerSeanouKylepourqu’onseretrouveauShooters,oun’importeoù.Aumoins,lebruitetlesgensauraientpermisàmoncerveaudesedéconnecterunpeudecequinecessede l’obséder–c’est-à-direune joliebrunetteavecunepersonnalité tropénormepoursonpetitcorps.
Mais,enfindecompte,jememensàmoi-mêmeenpensantquecelapourraitm’aider.Parceque,cesneuf derniers mois, j’ai fait tout ce qui était en mon pouvoir pour essayer de chasser Tessa de mespensées,d’interromprecetteattiranceavantqu’ellenes’installe.Etellerevientsanscesse,malgrétout.
J’ai tenté deme distraire avec des femmes qui sont l’extrême inverse d’elle : de grandes blondesréservées.J’aimêmetentélecoupavecdesfemmesdumêmegenrequ’elle.Mêmetaille,mêmecoiffure,mêmesyeux.Maisnon,rienàfaire.Çanefonctionnepasmieux.Parcequ’àlafindelanuit,cen’estpaselle,etjerecommenceàpenseràellechaquefois.
Chaquefois.J’attrapelatélécommandeavecungrognementetzappedechaîneenchaînejusqu’àcequejetombe
surunmatchdefoot.Jeboisunegorgéedebièreetmevautredanslecanapéencuirquicrissesousmoi;j’essaiedemeconcentrersur lematch,maismoncerveau turbineà fond.QuandTessan’accaparepasmespensées,c’estlemerdieravecmesparentsquiprendlaplace.Pasmoyend’yéchapper.Jenem’ensortiraipas.Riendecequejepourraidireoufairen’empêcheramonavenirdemetomberdessuscommelavérolesurlebasclergé.
Peut-être que je vivrais les choses différemment s’ils m’avaient juste demandémon avis. Ce quej’avais envie de faire.Si je voulais faire cela.Mais non, évidemment. Parce que c’est une entreprisefamiliale,ilssontpartisduprincipequejevoudraisenfairepartie.Cequiauraitpuêtrelecas,s’iln’yavaitpaseumonpère.Cetteboîteaétéentièrementfondéeparmongrand-père,maismonpèreenafaitquelquechosedesihorriblequejenelareconnaismêmeplus.Ellen’aplusrienàvoiraveclapetiteentreprise versée dans la philanthropie que mon grand-père avait lancée. Maintenant, seul le profit
compte.Danslesannéesquiontsuivil’arrivéeaupouvoirdemonpère,ilalicenciédesgenstrèsbienquin’étaientqu’àquelquesannéesdelaretraiteetaembauchédejeunesdiplômésqu’ilpayaitdeuxfoismoins. Il a trouvé tous lesmoyenspossibles et imaginablespourpouvoir amasserplusdepognon.Lecoupdegrâceaétélemomentoùiladissouslafondationquegrand-pèreavaitcréée,quibâtissaitdesmaisonspour les foyersà faibles revenus– la seulechosequiauraitpumemotiverdans l’affaire.Laseule chose qui aurait pu faire passer la pilule de travailler pour mon père. Il m’a dit qu’il l’avaitdissouteparcequecen’étaitpasbonpourlerésultatnetdel’entreprise.
End’autrestermes,ilnetrouvaitaucunesatisfactionàperdreuntoutpetitboutdesafortunechaqueannée,mêmesilaraisonpourcelaétaitd’aiderdesgensdanslebesoin.Toutcequiluiimporte–àluicommeàmamère–,c’estleprochaindollarquitomberasursoncompteenbanque,laprochainevoitureflambant neuve, les prochaines vacances à Paris, Saint-Tropez ou Tahiti. Ils ne se soucient que de laqualitédecequ’ilsont,dutape-à-l’œiletdesgensqu’ilsvontpouvoirépateravecça.
Cequiinclutleurfilsunique.C’est lors de soirées comme celle-ci quemon grand-pèrememanque le plus.Ma grand-mère est
morte quand j’étais petit, encore enprimaire ; je n’ai doncpas beaucoupde souvenirs d’elle,mais ilparlaitd’ellecommed’unemerveilleabsolue.Etlesanecdotesqu’ilracontaitàsonsujetavaientdesairsdecontedeféespourmoi,parcequelesoi-disantamourquejevoyaisentremesparentsneressemblaitaucunement à de l’amour.C’était simplement un engagement basé sur des bénéficesmutuels…, sur cequ’ils avaient tous deux à y gagner. Lorsque mon père est entré dans la famille de ma mère (laquintessencedesvieillesfortunes),ilasurtoutépousélaviequ’ilavaittoujoursvouluavoir.
Laviequemongrand-pèreessayaitdememontrervalaitbienplusqueça.Montéléphonevibredansmapoche.Tropheureuxdecettedistraction,jeledégaineimmédiatement.
LenomdeTessas’affichesurl’écranetjefermelesyeuxenexpirantàfond.Pourpenseràautrechose,onauraitputrouvermieux.
Jeréponds:–Salut.–Jason?LavoixdeTessaestplushautperchéequed’habitude,commepaniquée.Jemeredressed’unbond.–Tess?Qu’est-cequisepasse?–Euh,pasgrand-chose.C’est justeque…Merde !Haley !Vavitemechercherunautre seausous
l’évierdelacuisine!Ellecriecesmotscommeunefolleavantdeparlerdenouveaudansletéléphone.–Oui,pardon,euh…Parhasard,est-cequetut’yconnaîtraisunpeuentuyauterie?–Enplomberie,tuveuxdire?–Oui…–Qu’est-cequisepasse,Tess?–Ehbien,j’ai…,j’aioubliédelaisserunfiletd’eaucoulerdanslasalledebain,etilafaitsifroid
aujourd’huiqueletuyauagelé.Et…ilapété.Ilyadel’eaupartout.Jene…,jenesaispasquoifaire.Savoix,hystériquequelquesinstantsplustôt,estmaintenantfragileettremblante.Peuimportequeje
neconnaisserienàlaplomberie!Jeposemabière,contentden’enavoirbuquequelquesgorgées,melèveducanapé,attrapemonmanteauetenfilemeschaussuresavantdefranchirlaporte,montéléphonetoujourscolléàl’oreille.
–Jesuislàdansdixminutes,dis-jeavantderaccrocher.
Et jeme précipite dans cette froide nuit de novembre pour aller aider la fille à laquelle j’essaiedésespérémentdenepaspenser.
TESSA
Il y ade l’eaupartout. J’en évacuedes seaux et des seauxet, chaque foisque j’envideun, jemetrouveencoreplusminable.Unefoisdeplus.UntrucpareilneseraitjamaisarrivésiCadeavaitétélà.Iln’auraitpaslaisséçaarriver.
Les tuyauxontgeléune fois,quand j’avaisneufans.Nousvivionsdans lamaisondepuisquelquesannéesdéjà,maislesprécédentshiversavaientétéassezdoux,etnousn’avionsdoncjamaisvécuça.
Maiscethiver-làavaitétéglacial,plusfroidquedepuisbienlongtemps.C’étaitaprèslamortdemonpère ; il n’yavaitdoncquemamère,Cadeetmoi.Bienqu’iln’eûtqueonzeans,Cadeavaitpris leschosesenmain.Commes’ilsavaitcequ’ilfallaitfaireenpareillecirconstance.
Ensuite,touslesansaprèsça,mamèreouluiveillaientàtoujourslaissercoulerunmincefiletd’eaulesjoursdegrandfroid.Pasuneannéenepassaitsansqu’ilsypensent.Etmoi,laseuleannéeoùjemeretrouveseule,jenesuismêmepascapabled’ouvrirunpeuunfouturobinet.
Jeréprimeunenouvellemontéedelarmes(quinefontquememettreencoreplusdanstousmesétats)quandlaportes’ouvreetHaleycrielenomdeJason.Illuimurmurequelquechoseetj’entendssespasapprocherdemoi.
–Tess,qu’est-ceque…?Ils’arrêtenetdansl’encadrementdelaporteetsefigeenvoyantlasituationquis’offreàsesyeux.Il
regardepartout:lesflaquesd’eauparterre,leseauquejetienssouslemeubledevantlestuyaux,etenfinmoi,aveclatêtedesorcièrequejedoisavoir.Jesuistrempéedelatêteauxpiedsetjen’osemêmepasimaginerdansquelétatdoitêtremonmaquillage.
Ilseraclelagorgeetbraquesesyeuxsurmoiavantdedétournerleregard.–Est-ceque,euh…?Est-cequetuaspenséàcouperl’arrivéed’eau?Jelefixequelquesinstants,puisunrirenerveuxjaillitdemagorgeenmêmetempsqu’unenouvelle
montéedelarmesdébordedemesyeux.Parceque,non.Non,jen’aipascoupél’eau.Jen’aimêmepaspenséàça.Ilfautentenirunesacréecouche,quandmême!
–Allons.Allons…,dit-ilens’accroupissantprèsdemoietenmefrottantgentimentledosàtraversmon tee-shirt trempé.Çava aller. Jedescends à la cave couper l’eau, et après, on s’occupedu reste,d’accord?Cen’estpasgrave.
Ilseredressepourallermettresaparoleàexécution,tandisquejerestelà,secouantlatête,hébétéeparl’ampleurdemanullité.
JASON
J’aicoupél’eau,appeléunplombier,etTessasecachedanssachambresousprétextedesechanger.Mêmesic’estplutôtunebonnenouvellevulescirconstances,lapartiedemoiquifantasmesurellene
peuts’empêcherd’êtreunpeudéçue.Lorsquejesuisarrivéetquej’aifranchilaportedelasalledebain,quandjel’aivueassiseparterre,
lesjambesétaléesdevantelles,sonmaquillageluicoulantsouslesyeux,sescheveuxaplatissurlatêteet– Dieu me pardonne – son tee-shirt rose pâle collé à sa poitrine, j’ai dû détourner le regard.Immédiatement.Parceque,pendantcesdeuxpetitessecondes,j’aipuvoirsoncorpssousunvêtementquinecachaitvraimentplusrien,etj’enaivuplusquejen’auraisjamaisimaginépouvoirlefaire.Ils’avèrequelerosepâledonneexactementlemêmerésultatqueleblanclorsqu’ilestmouillé.Cequisignifiequej’aieuunaperçuonnepeutplusclairdesseinsdeTessa,aussiclairquesielles’étaittenuedevantmoientièrementnue.
Jepousseungrognementetfermelesyeuxenmepassantunemainsurlafigure.Haleyestenfinaulit,etj’attendsl’arrivéeduplombiertoutenessayantdechasserdemonespritl’imagedecesseinsparfaits.
–Coucou.Savoixestdouce,fatiguée,et,commejemeretournepourlaregarder,jevoisqu’elleestàl’imagede
sonintonation.Sescheveuxsontjusteunpeuhumides,maintenant,sonvisage,débarrassédumaquillagesinistrédetoutàl’heure,etelleaenfiléunevesteenflanelleboutonnéeetunpantalondepyjama.Cequinel’empêchepasd’êtreencoresexy.Àvraidire,ellel’estpeut-êtremêmeencoreplus.C’estsûrementdûaufaitquejeconnaismaintenantlatailleetlaformeexactedesapoitrine,etquejepeuxlarevoirenunéclair,malgrél’épaisseurdetissubleuetgrisquilarecouvre.
–Coucou.Jem’éclaircislavoixetdétournelesyeux,craignantqu’ilsneseposentdenouveausursapoitrine.–J’aiappeléunplombier.Ilseralàdansuneheuremaximum.–OK.Merci.J’auraisdûcommencerparfaireça,plutôtquedet’entraînerdanscettehistoire,mais
l’eaucoulaitpartoutetjen’arrivaisplusdutoutàréfléchir.Elleapprocheets’assoitàl’autreboutducanapé,ramenantsesgenouxcontresapoitrineetserrantun
coussincontreelle.Ellefixesesjambesetsecouelatête,l’airdépité.–Quelleimbécilejesuis!Jefroncelessourcilsenlaregardant.–Maisnon,tun’espasuneimbécile.Pourquoidis-tuça?Unriresansjoieluiéchappeetellelèvelesyeuxauciel.–Oh!pourtout.Déjà,c’estmafautesilestuyauxontpété.Jen’aipaspenséàlaissercoulerunpeu
d’eaupouréviterqueçaarrive.TucroisquecegenredechoseestdéjàarrivéàCade?Pasuneseulefoisentreizeansdepuislapremièrefoisoùças’étaitproduit.Moi,jesuislàdepuiscinqmoiset,dèslepremierhiver,j’arriveàfaireexploserlatuyauterie.
–Tess…– Je n’ai même pas pensé à couper l’eau ou à simplement appeler un plombier. Non, j’ai juste
continuéàremplirdesseauxetàlesvider…Commesiçapouvaitserviràquelquechose!Savoixtremble,sesyeuxsemouillent,maiselledéglutitpourravalerseslarmes.Elleesttellement
forte.Commentsefait-ilqu’ellenes’enrendepascompte?–C’était stressant.Parfois, dansdes conditionspareilles, on n’a pas toute notre tête.Ça aurait pu
arriveràn’importequi,luidis-je.–Maisçan’estpasarrivéàn’importequi.Çam’estarrivé,àmoi.Jemetourneunpeupourluifairefacesurlecanapé,monbrasposésurledossierderrièreelle.–Tess,jevoisbienquetuesstressée.Etquetuasl’impressiond’êtrenulle.Maiscen’estpasvrai.
Ellelèvedenouveaulesyeuxauciel,etjeluitiregentimentunemèchedecheveux.–Hé!proteste-t-elle.Jehaussevaguementlesépaules.–Jemesuisditqueceseraitmieuxquedet’appuyersurlefront,commejelefaisaisquandonétaitau
lycée.Ellemedévisage,etjecontinue:–Tunem’écoutaispas.C’étaitseulementunmoyenderécupérertonattention.Donc, jedisais :Tu
n’espasnulle.–C’estpourtantcequejeressens,marmonne-t-elleenévitantmonregard.–Jelevois.Maistutetrompes.Tulèvestafillechaquematin,tulaprépares,tul’emmènesàl’école,
tuvasauboulot, turentresàlamaison,tuluidonnesàmanger, tulacoucheset,àlafindelajournée,vous êtes toutes les deux vivantes, heureuses et en bonne santé. Ce n’est pas être nulle, ça, Tess.D’accord,detempsentemps,ilyaunpetitcouac.Etalors?
Elles’esclaffe.–Detempsentemps?C’estuneuphémisme.–OK,admettonsqu’ilyenaitdestonneschaquejour.Malgrétout,tutedébrouillessuperbien.Sois
unpeupluscoolavectoi-même.Tunepeuxpastoujourssavoircequ’ilfautfaireaubonmoment.–Toi,tuassu.Jeveuxdire,jen’aimêmepaspenséàcouperl’eau.–Sijel’aisu,c’estuniquementparcequejemesuissouvenudeladernièrefoisoùc’étaitarrivé.On
étaitensixième,ettamèredonnaitdesconsignesàCade.Adametmoiétionslà,àleurtraînerdanslespattes.Lapremièrechosequ’elleaditeaétéd’allercouperl’eau.
Jehausselesépaules.–C’estnormalquetunet’ensouviennespas.Tuavaisdûtebarricaderdanstachambrepourjouer
avectespoupéesBarbieoujenesaisquoi.Au fur et àmesuredemesexplications, sonvisage s’est légèrement adouci ; bientôt, sabouche se
décrispeetsesépaulessedétendent.–Çayest,tulaissestomberlaTessronchonnepourredevenirlaTessnormale?Elleritvraimentpourlapremièrefoisdelasoiréeetmelancelecoussinsurlatête.–Cequetupeuxêtrecon!Jesourisetattrapelecoussinquejeposesurmesgenoux.Tessadépliesesjambesjusqu’àcequeses
orteilsviennentsepressercontremacuisse.Ellemepoussegentiment.–Merci,entoutcas.Mercid’êtrevenuaussivite.Jehausselesépaules.–Cen’estrien.–Si, si, insiste-t-elle.Quand c’est arrivé et que jemedemandais quoi faire, tu as été la première
personneque j’aipenséàappeler. Je saisque jepeux toujourscompter sur toi, etc’est très importantpourmoi.Surtoutencemoment.Alors,mercibeaucoup.
J’ai beau apprécier l’idée que ce soit moi qu’elle ait pensé à appeler en premier, moi qui soistoujoursprésentpourl’aider,maprésencepermanenteicifaitaussipartieduproblème.Duproblèmequej’aipourréussiràlachasserunpeudemespensées.Mais,alorsquejelaregardeencetinstant,unpeuperdue,unpeueffrayée,jemerendscomptequejenepourrairienychanger.
Parcequemêmesitouslesclignotantssontaurougedansmatête,mêmesij’aimilleraisonsdemeteniràdistance,jenepeuxpas.Jenepeuxpasm’enempêcher,etjenesuismêmepassûrdelevouloir.
4
TESSA
–Maman!C’estl’heured’appelertontonCade!–Oui, oui, un instant, tu veux ? dis-je enmedépêchant dedébarrasser la table (après unnouveau
repasdontlesimplefaitdesavoirqu’ilaétépréparédanscettecuisineferaithonteàCade).Jefaisdemonmieux,maisilestclairque,certainssoirs,jen’aipasletempsoul’énergiedeservir
autrechosequ’unplatréchaufféaumicro-ondes.–Çasonne!s’écrieHaleydanslesalon.–Alors,varépondre.Elle répond,et j’entendssavoixs’animerquandellecommenceàdiscuteren ligneavecCade, lui
racontantseshistoiresd’écoleetleprojetdeMelindaqu’ellearapportéàlamaison.Ilsdiscutentainsipendantenvirondixminutes,melaissantletempsdepasseruncoupd’épongesurleplandetravailetdemettrenosassiettesdanslelave-vaisselle.Jemerendsensuitedanslesalon,oùjetrouveHaleytellementpenchée sur l’écran de l’ordinateur que son visage – son nez et sa bouche, en tout cas – occupe toutl’espacedesaportiondel’écran.
–Reculeunpeu,machérie.TontonCadeteverramieux,commeça.–Maisjeluifaisaisunbisou.Jeréprimeunrire.–D’accord.Allez,dis-luiaurevoir,maintenant.Ilesttempsd’allertemettreenpyjama.–Aurevoir,tontonCade!Àplus!–Jet’aime,mapetitecrotte.–Moiaussi!–Etnemetspasdebazar,hein,sinononn’aurapasletempsdelireunehistoire,dis-jealorsqu’elle
s’éloignedéjà.Je reçoisunbrefgestede lamainenguisederéponseetprendsplacesur lecanapéenroulant les
yeux.–Çayest,çacommencedéjà,l’insolence.–Tiens,jemedemandebienoùelleapuapprendreça.Jeregardel’écranoùlevisagedeCademesourit.Ilal’airenforme.DepuisqueWinterestrevenue,
ilyaquelquesmois,ilvamieux,onlesentplusheureux.Etiladoresontravail,cequiaideaussi.Jesuistellementheureusepourlui,qu’ilaiteucetteincroyableopportunitédèssasortiedel’école.Mais,bonsang,qu’est-cequ’ilmemanque!
–OnabeauêtresurSkype,jepeuxencoreteraccrocheraunez,tusais,luidis-je.–Ah.Onestdemauvaispoil,cesoir?–Jene…–Qu’est-cequisepasse?–Rien,dis-jeensecouantlatête.
–Tessa,cen’estpascommeparlerautéléphone.Jeterappellequejevoistatête.Tun’asjamaisétécapabledemementir.Alors,qu’est-cequisepasse?
–Non,vraiment,cen’estrien.Simplement…,jesuisunpeudébordée,c’esttout.–Autravail?–AvecHaley,lesaffairesdelamaisonet…Jesoupireenm’affalantdanslecanapé.–Lavieengénéral.Ilfroncelessourcils.Sansqu’ilnediserien,jesaisqu’ilsesentcoupabledem’avoirlaissée.Cequi
n’arrangeenrienmonétatd’esprit.Jemeredressepourmepencherenavant,undoigtpointéversl’écran.–Non.Necommencepas.C’estmafaute,paslatienne.C’estjustequejen’aipasencoretrouvémon
rythme.Jesecouelatêteenmefrottantlesyeux.–J’aipasséunemauvaisesemaine.Mardi,j’étaisencoreenretardpourallerrécupérerHaley,puisje
mesuisempafféesurlecanapé.Elleamislenezdansmonmaquillage,jenem’ensuisrenducomptequelelendemainmatin,quandj’aivulechaosqu’ilyavaitsouslelavabo.
–Commentas-tupunepaslevoirtoutdesuitesielleamislenezdedans?Elleadoresepeinturlurercommeunclown.
–Jasonadûladébarbouilleravantdelamettreaulit.LessourcilsdeCaderemontentpresquejusqu’àsescheveux.–Jase?–Oui,ilestpassé,cesoir-là.Etaprès…J’inspireàfondetfermebrièvementlesyeux.JesaisquejedoisparleràCadedecettehistoirede
tuyau–iltientàêtreaucourantdecegenredechoses–,maisj’aidumalàluiavouerainsimeséchecs.–Ilestrevenuavant-hiersoiraussi,parceque,hum,letuyaudelasalledebainageléetéclaté.Ilouvrelabouchepourparler,puislareferme,serendantsûrementcomptequejem’autoflagelledéjà
assezsansqu’ilaitbesoind’enrajouterunecouche.Jecontinuedonc:– Bref, j’ai appelé Jason et il est venu. Il m’a aidée à fermer l’arrivée d’eau et il a appelé un
plombier.Toutestarrangé,maintenant,mais…voilà,c’étaitunesemainepasmarrante.Ilrestemuetquelquesinstants,secontentantdemeregarderavantdedire:–Jesuiscontentquetuaiesputoutarranger.Ilseracleunpeulagorge,détourneleregarduninstantavantdeposerànouveaulesyeuxsurmoi.–Donc,Jasepassesouventvousvoir?Jehausselesépaules.–Assezsouvent,oui,depuisquetuesparti.–Mmh…Intriguéeparsonintonation,jeplisselesyeuxetluidemande:–Çaveutdirequoi,ce«Mmh»?Ilaunbrefmouvementdetêteet,enuninstant,lalégèreimpressiondesuspicionquej’ailuesurson
visagelasecondeprécédentedisparaît.–Rien.Donc,letuyauapété…C’étaitarrivéàmamanaussi,tutesouviens?–Oui, jemesouviens.Etc’estbienpourçaque j’auraisdûmerappelercequ’il fallait fairepour
l’éviter.
–Paslapeinedet’envouloir.Jepariequetuculpabilisesencorepourcequis’estpassémardiavecHaley,jemetrompe?
J’évitesonregard,etilasaréponse.–Tess.Tuétaisjusteunpeuenretardettut’esendormie.Tuterappelleslafoisoùjemesuisendormi
enlagardant?Ilyavaitdesdessinsaufeutresurtouslescoussinsducanapéquandjemesuisréveillé.Cesontdeschosesquiarrivent.
Jeneledispas,maisjesongequecelanedevraitpasm’arriver,àmoi.Etpeut-êtrequejememetstrop de pression,mais je suis tout demême samère. Pas son oncle, une baby-sitter ou un ami de lafamille.Etsielleétaitalléedanslacuisine?Sielleavaittiréunechaise,escaladélecomptoiretprisuncouteau?Outrouvéletiroiroùjerangelesallumettes?Sielleavaitbudesproduitsménagersousielleétaittombéedansl’escaliersansquejel’entendepleurer,assomméedefatiguecommejel’étais?
–Arrête.LetonfermedeCademetiredemespensées,etjerelèvelesyeuxversl’écran.–Jesaisexactementàquoitupenses.Tuimaginestouslesscénarioscatastrophequiauraientpuse
produire.Çanesertàrienqu’àt’angoisser.Tuesunesupermaman,Tess.EtHaleyestunesupergamine,grâceàtoi.Nedoutejamaisdeça.
J’inspireàfondethochelatête,sachantqu’ilnecéderapasavantmoi.–Çava.Çavaaller.Jesecoue légèrement la têteetbalaie l’airdevant l’écrand’ungestede lamain toutenm’asseyant
plusprèsdel’ordinateur.–Bon,assezparlédemoi.Ettoi,quellessontlesnouvelles,monsieurlesuperchef?Ilritetarborecesourirequej’adore,quiilluminesonvisage.–J’aiencorel’impressionquejedoismepincerpourmeréveiller.–Toutsepassebien,alors?–Mieuxquebien.Johnm’aconfiédavantagederesponsabilitésencuisine,surtoutquandOscar, le
grandchef,estencongé.Jecrois…,jecroisqu’ilmeteste.Ilvoyagebeaucoupencemoment;ilcherchedesemplacementspourdefutursrestaurants.
Moncœurs’accélèresoudain,pleind’espoir.–Ahoui?–Oui.Jenesaispasencoreoù,nimêmepourquand.Ilveutpartirdezéro,apparemment;donc,ça
prendraplusieursmois,danslemeilleurdescas.–EtChicago,çateplaît?–C’est…différent.Enfin,c’esttrèsbien.J’aimebeaucoupêtreenville,etWinters’yplaît,mais…ce
n’estpaschezmoi.J’opineduchef,conscientedetoutcequidoitluimanquer.Jenesuispaslaseuleàavoirétéaffectée
parsondépart.Certes,j’aiperdumonfrère,monaidedechaquejour,moncompagnon,maislui,ilatoutquitté.Jenesuispassûreque j’aurais lecouraged’enfaireautant.Encoreuneraisonpour laquelle jel’admire.
J’entendsunevoixfémininederrièrelui,etCadetournelatêteenacquiesçant,unsourireauxlèvres.–Ilvafalloirquej’yaille,dit-ilenrevenantversmoi.–OK.DisbonjouràWinterdemapart.–Çamarche.Àplustard.
–Ouaip,ciao.Jerefermemonordinateurportableetmelaisseretomberdanslecanapé.Mêmesirienn’aétérésolu,
jemesensmieuxmaintenantquej’aiparléàCadedecequis’estpassé.J’aifaittellementd’effortspourle préserver depuis son départ, taisant tousmes problèmes afin qu’il ne se sente pas coupable d’êtreparti, ce qui est vraiment la dernière chose que je souhaiterais. Il a déjà suffisamment douté avantd’acceptercechangement.Alors,pasquestionquemesproblèmesviennentserajouteràsesétatsd’âme.
Ilfautsimplementquej’arriveàm’imposeruneroutine,quejetrouvecommentmedébrouillertouteseule,ettoutrentreradansl’ordre.
JeresteassiselàpendantuneminutequandHaleydébouledesachambre,vêtuedesachemisedenuitdeprincesse.
Jelaregarde,maraisondevivre,etjesouris.–Prête,mapuce?–Ouais!Je la laisseme prendre par la main et me tirer du canapé pourm’emmener derrière elle dans le
couloir. Au moins, quelles que soient mes sombres pensées sur la vie, il semble que cela lui glissecomplètementdessus.Etj’espèrebienquecelacontinueraainsi.
JASON
Leprofannoncelafinducoursetjerangemesaffairesquejefourredansmonsacavantdelemettreàmonépaulepourmedirigerverslaporte,laissantderrièremoilestroispersonnesaveclesquellesonm’ademandédetravaillersurunprojetdegroupe.Àpeineai-jefaitquelquespasqu’unefilletiredoucementlamanchedemonsweat.
–Alors,tum’appelleras,hein?Je la regarde et note qu’elle marche un peu trop près de moi pour une soi-disant simple copine.
Commejenerépondspas,ellecontinue:–Tusais,pourparlerduprojet,quoi.Jem’abstiensdementionnerqu’ellen’apasdemandéauxdeuxautrespersonnesdugrouped’enfaire
autant.Ilestplusfaciledes’endébarrassergentiment.–Oui,d’accord.Àplus,Kristi.–Salut,dit-elleenagitantlamainavecunsouriretropradieux,lesyeuxcachéssousdescouchesde
cequelesfillessemettentsurlescils.ElleressemblepresqueàHaleytellequejel’aitrouvée,l’autresoir.Jedescendslesmarchesdeuxàdeuxetarrivedehors.Unbrefcoupd’œilàmonportablem’indique
quejedisposed’environunedemi-heureavantmonprochaincours.Jefaisdoncunpetittouraucoffeeshoppourmeprendreunmacchiatocaramel.Parchance,iln’yapastroplaqueue,etilnemefautquedeuxminutespourpassermacommande.
–Salut,Jason!melancel’employéederrièrelecomptoir.–Salut…Jejetteunœilaubadgeaccrochéàsaveste,quimesauvelamise.
–…Stacy.Çava?–Oui,bien.Ellesouritetsepencheunpeuenavant,melaissantentrevoirl’intérieurdesondécolleté.–Commed’habitude?Jeregarde–biensûr,jeregarde–avantdereleverlesyeuxverssonvisage.Jenelareconnaispas;
je supposedoncqu’elle n’est pas en cours avecmoi.Comme je nevienspas ici très souvent, je suissurprisqu’elleconnaissecequejecommandehabituellement.
–Euh,oui,merci.–Jet’enprie.Elle s’écarte de la caisse pour me préparer ma boisson alors que d’autres personnes attendent
derrièremoi.Lorsqu’elleaterminé,ellemelatendavecunnouveausourire.–Àbientôt,Jason.–C’estça,àplus,dis-jeenmedirigeantverslasortie.Pasbesoind’êtredevinpoursavoirqu’elleainscritsonnumérodetéléphonequelquepartsurousous
legobelet.Jeneconnaismêmepascettefille,mais,apparemment,elleadéjàentenduparlerdemoi.Jesuisàmi-cheminducampusquandmontéléphonesonne.C’estCade.–Salut,monpote.–Jenetedérangepas?–Non,jesuisenrouteverslafac.Quoideneuf?–Pasgrand-chose.J’aiparléavecTessahiersoir.–Ahoui?Ellet’aracontésasalesemaine?Pasderéponse.J’écarteletéléphoneuninstantpourvérifiersinousn’avonspasétécoupés.–Tuestoujourslà?–Oui,oui.Ilseraclegorge.–Elle,hum,ellem’aditquetuvenaislavoirassezsouventdepuisquejesuisparti.–Oui,peut-être,dis-jeenhaussantlesépaules.–Pourquoinem’enas-tujamaisparlé?–Pourquoinet’ai-jejamaisparlédequoi?–Dufaitquetulavoyaisaussisouvent.–Euh…,jenesaispas.Enfait,si,jelesais.C’estparcequelespenséesquejenourrispourTessanesontpasexactementdu
genredecellesquel’onpartageaveclegrandfrèred’unefille.Melajouantcommesijenefaisaisriend’autrequ’honorerlapromessefaiteavantsondépart,j’ajoute:
–Tum’asditdeveillersurelle.J’aicrucomprendreque,pourlefaire,ilfallaitquejesoisquandmêmeprésentphysiquement,unminimum.
Ilgrogneauboutdufil,maisneditriendeplus.–C’estquoi,leproblème?–Iln’yapasdeproblème.–Nemeracontepasdeconneries.–Ettoi,nedéconnepasavecelle,OK?Jem’arrêtedemarchertoutnet.–Attends,qu’est-cequeçaveutdire,ça?
Letondesavoixconfirmecequejepressentais.S’ilsavait…,s’ilpouvaitsavoirlegenredepenséesquej’aipoursapetitesœurchérie,ilmemettraituneracléedontjemesouviendraisjusqu’àlafindemesjours.Etjesaistrèsbienpourquoiilestsiinquietàcesujet:ilconnaîtmonhistoriqueamoureuxsurlebout des doigts. Il connaît le nom de toutes les filles avec lesquelles je suis sorti (sans parler desdescriptionsdétailléesdecequej’aifaitavecelles)depuislaclassedeseconde,etlalisteestlongue.
–Écoute,jeteconnais,dit-il,confirmantcequejepensais.Etçanemeposepasdeproblème.Aucun.Maispasavecmapetitesœur.
–Jet’emmerde,Cade.Jeluirépondssurletondel’humour,maissesmotsmefrappentenpleincœur.J’avaisbeausavoirce
qu’ilpensait,l’entendremeleconfirmeretsavoirqu’ilmecroitcapabledeça…,c’estduràencaisser.–Jesuissérieux.Jeserrelesdents.Durcissantmavoix,jeréponds:–Moiaussi.Aulieudetenircomptedemafroideur,voilàqu’ilenremetunecouche:–Siçatedémange,vadoncvoirunedetescopinesdebaise.MaisnetegrattepasavecTess.Est-ce
quec’estclair?–Parfaitementclair,dis-jeentremesdents.Ilfautquejetelaisse.Àplustard.Énervéà l’idéequ’ilaitsimplementvouluavoircetteconversationavecmoi, je raccrochesans lui
laisser le temps d’ajouter quoi que ce soit. Jamais je ne jouerais avecTess de la sorte.En dépit despenséespourellequim’assaillentconstamment,jesuisbienconscientqu’ellen’estpasdanslelotdecesfillesquisejettentàmespiedstouslesjours.Etjenesupportepasl’idéequ’ilcroiequejelaconsidèredecettemanière.
Jamaisjenel’aiconsidéréecommeça.Elleatoujoursétéplus…,enfin,différente,mêmes’iln’yavaitrienentrenous.Etcetteconversation
meprouveunefoisdepluscequejesavaisdepuisledébut:elleméritecentfoismieuxqu’unconnardcommemoi.
5
JASON
Même après un après-midi entier de cours, je ne suis pas plus calme qu’après ma conversationtéléphoniqueavecCadeenfindematinée.Toutelajournée,j’airessassécequ’ilm’aditet,petitàpetit,çam’a encore plus énervé. Je sais que je n’ai pas une très bonne réputation avec les filles, et c’estjustifié.Lejugementdesautresàcesujetnem’ajamaisgêné.
Ounem’avaitjamaisgênéjusqu’àaujourd’hui.J’aitoujoursconsidéréCadecommeunmembredemafamille:Adametluim’ontpermisdenepas
devenirdinguequandmesparentsmepoussaientàbout.C’estgrâceàeuxquej’aitenulecoupaprèslamortdemongrand-père.Cesontlesfrèresquejen’aijamaiseus.Etcesujet,montableaudechasse,atoujoursétéuneblagueentrenous;saufquelà,lafaçondontill’adit,oupeut-êtrelapersonneàlaquelleilfaisaitréférence,m’avraimentmishorsdemoi,alorsqu’entempsnormal,çameglisseraitdessus.
Jesuistoutjustearrivéchezmoiquemontéléphonevibredansmapoche.Jelesorsetvoislenomd’Adamà l’écran. Jene seraispasétonnéqueCade l’ait appelépourque luiaussimesermonneàcesujet.Jesoupireetdécroche.
–Nemedispasque,toiaussi,tum’appellespourmediredenepasluitoucher.Ilyauninstantdesilenceauboutdelaligneavantqu’ildise:–Nepastoucheràqui?Etquit’aditça?Jepousseungrognementetbasculelatêteenarrière.Bravo.Jemesuisbiengrillé,surcecoup-là.–Oh!rien,laissetomber.Qu’est-cequit’amène?–Rien,jesuisdanslesbouchons.Alors,àquinedois-tupastoucher?Aprèsunbrefsilence,jelâchelemorceau:–Tess.–Tess?Tuveuxdire…Tessa?NotreTessa?–Oui,enfin,laTessadeCade,s’ilasonmotàdirelà-dessus.–Attendsunpeu.J’ailoupéquelquechose?Depuisquandya-t-ilunproblèmeavecTessa?–Jenesaispas,monvieux.Toutcequejesais,c’estquejesuislà,àfaireexactementcequeCade
m’ademandé,etvoilàqu’ilm’appelleaujourd’huiparcequejeseraisalléunpeutropsouventchezelle.–D’ac-cord,répond-il,visiblementperplexe.–Engros,ilm’aditd’allertrempermanouilleailleurs.–Oh!putain.–Ilpètelesplombs,non?–Tessaluiaditquelquechose?–Jenesaispas.Elleluiasûrementditquejesuisvenul’aiderplusieursfoislasemainedernière.Du
coup,ilsemetàflipper.–Tusaiscommentilestavecelle.Jesuisétonnéqu’ilnelafassepassurveillerpardespros.–Oui,jesaiscommentilestavecelle,maisjem’enfous.Cen’estvraimentpascool,sonplan.
–Jenedispaslecontraire.Ilrestemuetquelquesinstants,puiss’éclaircitlavoix;jeleconnaissuffisammentpoursavoirqu’il
vameposerunequestionquejenevaispasaimer.–Et…est-cequ’ilsepassequelquechoseentretoietTessa?–Oh!pitié,non.Tunevaspast’ymettreaussi.–Moi, çam’estbienégal,dansuncascommedans l’autre, àpartirdumomentoùcen’estpasun
trophéedeplusàtontableaudechasse.–Tusaistrèsbienqu’ellenelevoudraitjamais,mêmesijel’avaisvoulu,moi.–Etalors?C’estlecas?–Non,dis-jeimmédiatement.Maréponseétantaccueillieparunlourdsilence,jememetsàgrommeler.–Pff,jenesaispas.Enfin…,tuasvulapetitebombequ’elleestdevenue?Quandest-elledevenue
sexycommeça?Adaméclatederire.–Euh,oui,ça,jesuisaucourant.Nemedispasquec’estunenouveautépourtoi?–Cequejeveuxdire,c’estquejenel’avaisjamaisvue…commeça.Oualors,jenem’autorisaispas
àlaregardercommeça.Bref.Maiscesdernierstemps…Jemefrottelevisagedemamainlibre.–Oh!etpuismerde,jen’ensaisrien.–Tul’asdéjàdit.–Oui,ehbien,çacorrespondtoujoursàcequejeressens.–Tuferaisbiendelesavoiravantd’entamerquoiquecesoitavecelle.–Jenevaispasentamerquoiquecesoitavecelle.–Pourquoipas?JesaisqueCadetepourriraitlavie…–C’estlemoinsqu’onpuissedire.–…maisqu’est-cequeçapeutfaire?Ils’enremettrait.Auboutducompte.Jesecouelatêteavantqu’ilaitfini.–Non,non,non,çan’arriverapas.Etçan’arienàvoiravecCade,seulementmoi.TuconnaisTess,tu
saisqu’elleveutdusérieux.C’estpourçaqu’elleestsurcesconneriesdesitesderencontresuperciblés.Jenesuispassongenre.
Jechangedesujetavantqu’ilpuisseajouterquoiquecesoit.–Detoutefaçon,j’aid’autreschatsàfouetter.Çayest,mesparentssesontdécidésàmettreunterme
àmacarrièred’étudiantsous-diplômé.–Sansblague?Donc,tuvaspassertondiplômecetteannée?–Ondiraitbien.–Etensuite?– Ensuite, j’irai dans l’établissement que mon père jugera adapté pour passer mon master et
j’apprendrailesficellesdumétierdanslaboîteenmêmetemps,pourque–jecite–jenefoutepasmavieenl’air.
–Donc,tonpèreesttoujoursaussicon.–Ouaip.–L’avantage,c’estlaquantitédesecrétairesquetuvaspouvoirtetaper.Çadevraitbienlefairechier.Jerispourlapremièrefoisdelajournée.
–Là,tumarquesunpoint.–Bon,jedoistelaisser.Tiens-moiaucourantpourl’histoireavecTess.–Iln’yapasd’histoireavecTess.–C’estça…Allez,onenreparle.Jeraccrocheensecouant la tête,convaincuqu’ilsetrompe.Ilfautqu’ilse trompe.Ilnepeutpasy
avoirquelquechoseentreTessaetmoi.Pointfinal.Cettefilleestladéfinitionmêmedelalimiteànepasfranchir.
Unesoiréedesortie,voilàcequ’ilmefautpourbienmemettreçadanslecrâne.
TESSA
JesorsdelachambredeHaleysurlapointedespiedsaprèsl’avoirbordéeetmerendsdanslesalon.J’ai justeeu le tempsderamasser lesaffairesqui traînentpar terrequandlaportedederrières’ouvrebrusquement.Relevantlesyeux,jevoisentrerPaige,mameilleureamie,ungrospotdeglaceentrelesmains.
–Coucou,dis-jeenavançantpourlaserrerdansmesbras.C’estpourquoi,laglace?–J’airompuavecTom.–C’estqui,Tom?Jelasuistandisqu’ellesedirigedroitverslacuisine.Ellesortdeuxcuillères,m’entendune,puisouvrelecouvercleetcommenceàpiocherdanslepot.
Malgrénotreobsessioncommunepourlaglace,ellen’arrivejamaisàprendreunkilo.Oualors,sielleenprendun,ilseratoujoursbienplacé–danslesendroitsquiluiconfèrentcettesublimesilhouetteenhuit.Lapremièrefoisquejel’aivue,jel’aiprisepouruneespècedepoupéeBarbieprétentieuse,avecseslongscheveuxblondsondulés,sesgrandsyeuxbleusetcettesilhouettequifaitquetouteslesfemmesla détestent.Puis elle a ouvert la bouche et a juré commeun charretier, et nous sommesdevenues lesmeilleuresamiesdumonde.Entredeuxbouchéesdeglace,ellemarmonne:
–Jel’airencontréquandjesuissortie,leweek-enddernier.–Etvousvousêtesvusassezrégulièrementdepuispourpouvoirappelerçaunerupture?Jenesavais
mêmepasqu’ilexistait.–J’aipassétoutleweek-endchezlui…etdeuxnuitscettesemaine.Jelèvelesyeuxaucielettapedanslaglace.–Quandvas-tucomprendrequecen’estpasdanslesbarsquetuvasrencontrerquelqu’undebien?–JetesignalequeWinteretCadesesontrencontrésdansunbar,dit-elleenpointantsacuillèrevers
moi.–C’estdifférent.Elletravaillaitlà-bas,etCaden’estpasunpilierdebarminable.–Toutcequejedis,c’estqu’onnesaitjamaisquelgenredemeconpeutrencontrerdanscesendroits.–Mais si, tu le sais !Ça fait sixmoisque tupassespresque tous tesweek-endsavecdespauvres
types!Ellebalaielesujetd’ungesteavantdereplongersacuillèredanslaglace.–Bref.–Bon,alors,qu’est-cequin’allaitpasaveccelui-là?
Elleplisselenezetfrissonnelégèrement.–Illaissaitsonfildentaireusagésurlelavabo.S’ilfaitçaauboutd’unesemaineavecquelqu’un,tu
imaginescequeçadoitêtreauboutd’unan?Non,merci.Elleenfourneuneautrebouchéeetdemande,labouchepleine:–Ettoi?Unelueuràl’horizondansl’océandesrencontresInternet?Je me renfrogne et soupire sur ma chaise. Mes envies d’avoir quelqu’un auprès de moi pour
m’épauleretnepasêtreseulelanuitreviennentenforce,etjemesensencoreplusabattue.Parcequejen’airencontrépersonneavecquijepuisseenvisagerdepartagermonavenir.
– Je ne sais pas. Ils sont tous… bien. Je veux dire, sur le papier, ils sont parfaits. Puis je lesrencontre,etlà…
–Tuasenviedetemettredesbaffes?–Unpeu,oui,dis-jeenriant.Jen’aiaccrochéavecpersonne.Maisj’avaisenviequeçaaccroche,tu
sais.J’auraisvraimentaiméquecesoitcommedanslesfilms,quandlepremierbaiserestunmomentdedingue.
Jepousseunsoupir.–Jesaisquec’estidiot,maisj’aienviedemesentirtransportée.Paigemeregardefixementenclignantàpeinedesyeux.Ellesecouelatêteensoupirant.–Ilserait tempsque tuarrêtes lesromansd’amour,mabelle.Des trucscommeça,çan’arrivepas
danslavieréelle.BonDieu,moi,jesuisauxangessilemecmefaitjustejouiravantdes’endormirsurmoi,maisjemefousbiend’êtretransportée…Etjenecroispasquecesoittropendemander.
Jememetsàtousser,m’étouffantpresqueavecmaglace.–Bonsang,Paige.–Quoi?C’estvrai.Cestypesn’ontjamaisentendul’expression«lesdamesd’abord»?–Oui,bon,toi,aumoins,tubaises.Jeseraiscontentesiçam’arrivaitdetempsentemps.–Ah!tuvois?Ehbien,c’estexactementpourçaquejevaisramenermonculdansunbarceweek-
end,pourchercherleprochainélutemporaire.Jesuisdemauvaispoilquandjenebaisepas.–Jenemerappellemêmepasladernièrefoisoùçam’estarrivé.–C’étaitqui,tonderniermec?–David.–David?Tess,çafaitplusd’unan!Tudoisavoirdestoilesd’araignéedansleslip!lance-t-elleen
agitantsacuillèredevantmoi.–Ha,ha,trèsdrôle,dis-jeengrognant.Ellehausselesépaulesenmeregardantavecunpetitsouriresatisfait.–Oui,jesais,jesuiscommeça.Plussérieusement,jepensequ’ilfautqu’onremédieàça.–Qu’est-cequejefais,àtonavis?J’aiundeuxièmerendez-vousavecquelqu’unvendredi.Ilnem’a
pasfaitbeaucoupd’effetlapremièrefois,maispeut-êtreque…–Etquiestcequelqu’un?–Celuiaveclequeljesuissortieilyaquinzejours.Greg,l’orthodontiste.Elleplisselenez.–Non,franchement.Cen’estpasunorthodontistequivatevirertoutescestoilesd’araignéedelà.Jerisetmedétournepourmettremacuillèredansl’évier.–Continuedoncàtraînerdanslesbarsavecteslosersetlaisse-moimedébrouilleravecmestypes
sympas,tuveux?
–Commetuveux.Tumetiendrasaucourantquandtutesentirasprêteàrencontrerquelqu’und’unpeuplusrisqué?
Sansprévenir,uneimagedeJasonmevientalorsimmédiatementàl’esprit.Avecsescheveuxtoujoursenbataille,sesyeuxespièglesetsonéternelsourireencoin,ilenatoutàfaitlelooketlecharisme,sansparlerdelaréputation.Ilincarneexactementlegenredepersonne«risquée»dontelleparle.
Etc’estbienpourcetteraisonquejenesortiraijamaisavecungarçoncommelui.Lerisque,j’aidéjàdonné,merci.J’aidéjàessayéd’apprivoiserlegenrebadboy,etçam’avaludemeretrouverenceinteetseuleàdix-septans.
Peu importe que ces gentils garçons soient ennuyeux. Parce que le plan cœur brisé et solitude, jeconnaisdéjà,etjen’aiaucuneintentionderemettreça.
6
TESSA
Après avoir dépenséune fortune en appelant le plombier sur les horaires de nuit, plus le prix desréparations,monbudgetdumoisenaprisuncoup.Ladernièrechoseà faireestbiendeclaquermonargentdansunmorceaudecheese-cakeauxframboisesetauchocolatblanc.Or,c’estexactementpourcelaquejevaislefaire,parcequejen’aieuquedesennuisdernièrement,et,par-dessuslemarché,j’aieutoutuntasderendez-vousannulésausaloncematin.Jeméritedoncvraimentcettetuerieettoutessescalories,etjenecomptepasmesentircoupablepoursipeu.Jenemesentiraipaspluscoupabledelamangeravantd’avoirtouchéàlasaladequiattendsurlecoindelatable.
Bienqu’ilsoitmidi,lecafén’estpasaussibondéquejel’auraiscru.Ilyaquelquesétudiants,chacunassisdevantunordinateurportableouvertdevant lui.Engénéral, jen’aimepasdutoutdéjeunerseule,même s’il est rare que j’aie l’occasionde le faire.D’habitude, j’ai à peine le tempsde souffler, tropaccaparéeque jesuispar leboulot,Haleyou les tâchesquotidiennes,et jepréfèreprofiterpleinementdesraresmomentsdepauseennefaisantabsolumentrien.
Celadit,j’enprofiteraismieuxsijenerestaispasassisesansrienfaire,parceque,chaquefoisquecelam’arrive,jememetssystématiquementàpenseràcequis’estpassécesdernièressemaines–voirecesderniersmois–etjereviensdirectàlacasedépart,mesentanttotalementdébordée.
MêmeaprèsmadiscussionavecCadeendébutdesemaine,aprèsqu’ilm’arassuréesurlefaitquejemedébrouillaisbien,jenelesenstoujourspas.Jemesensperdueetdépasséeparlesévénements,etjenesaispasquoifairepourquecelachange.SiseulementjepouvaisappuyersurleboutonPAUSEde lavie!Sijepouvaistoutfigerpendantunmoment,letempsd’essayerderemettreleschosesenordre.
Laclochettedelaportetintealorsquej’engouffreunenouvellebouchéedemoncheese-caketoutenregardantparlafenêtrelesgensquipassentsurlecampus.JenevienspresqueplusjamaisparicidepuisqueCadeaeusondiplôme,mais,lorsqu’ilétudiaitici,jesuisdevenueaccroauxdessertsqu’onfaitdanscecafé.Ilabeauyavoirunedemi-douzained’endroitsoùl’onpeutdéjeunertrèscorrectementetquiontdesdessertspotablesauxalentoursdusalon,jeneregrettejamaislesdixminutesderoutequ’ilmefautpourvenirici.
–Tess?Uneénormebouchéebrandiedevantmabouchegrandeouverte,prêteàl’engloutir,jesursauteetme
figecommesilapolicedelabouffevenaitm’arrêterpourcausededessertprisenpremier.Maiscen’estpaslapolicedelabouffequisetientdevantmoi;c’estJason,unsourireamuséauxlèvres,etlesyeuxluisortantpresquedesorbitesquandillorgnelegâteausurmafourchette,puismasaladeintacte.
–Oh!çava.J’aieuunesalejournée.Jesuisgrande.J’ailedroitdemangermondessertenpremier,tusais.
Ilsegausseenlevantlesmains.–Jen’airiendit.–Paslapeinededirequoiquecesoit.Tonregardettonrictusparlentpourtoi.
Iltirelachaisedevantmoiets’yassoit,puisposesonsacparterreavantderetirersaveste.–Mauvaisejournée,alors?Qu’est-cequisepasse?Haleyt’adonnédufilàretordre,cematin?Jereposemafourchettepleinedesucresurl’assietteensoupirant.–Non, elle a été super.C’est tout le reste : ce qui s’est passé la semaine dernière, et puis un tas
d’annulationsausalon,cematin.Jereprendsmafourchetteetl’agitedevantsonvisage.–J’avaisvraimentbesoindeça.Voilàpourquoij’aifaitlaroutejusqu’ici.–Une foisdeplus, jen’ai riendit.Mangedonc tondessertenpremier.D’ailleurs, jevais faire la
mêmechose.Jerevienstoutdesuite.Il quitte la table et s’éloigne pour aller commander quelque chose. Se passant unemain dans les
cheveux,illèvelesyeuxverslemenuaffichéenhauteursurlemur,puisilcroiselesbrasens’accoudantaucomptoir.Sondossecourbelorsqu’ilsepencheenavant,laissantapparaîtresesmusclessouslafinechemiseencotonqu’ilporte,et,sansquejelefasseexprès,mesyeuxseposentsursoncul.Untrèsjolicul,d’ailleurs,surtoutdanscejean.Ilbouge,etcelégermouvementmetiredel’espècederêveriedanslaquellejeviensdemelaisseraller.Non?Franchement?Moi,j’étaisentraindematerleculdeJason?Jen’aijamaisfaitçadepuismesquatorzeans,quandj’étaisuneadolescentenaïveetentichéedelui.
Jedétournevivement la têteet fixebêtement l’espacevidedevantmoi.Laconversationd’hiersoiravecPaigeestencoretoutefraîchedansmatête,quandellemedisaitquej’avaisbesoindequelqu’underisqué.
Quelqu’uncommeJason.Ilestl’archétypedugenredemecdontjemesuistenueàdistancedepuisNick.Jenetouchepasaux
mecsdecegenre.Auxmecs irresponsableset insouciants,quionteuplusdeconquêtesqu’iln’yavaitd’étudiantes dans mon école. Il y a des gens que ça ne dérange pas. Ça ne dérange pas Paige, parexemple.C’estmêmetoutàfaitlegenredegarçonqu’ellerecherche,etjenelajugepaspourça.Jesuiscontentequ’ellesoitheureuseainsi.Maismoi, jenepourraispasêtreheureuseavecquelqu’uncommeça–avecunarrangementcommeça.Jenepourraisjamaiscoucheravecquelqu’unsanssentiments.Ilfauttoujoursquemoncœurs’enmêle.
Encemoment,j’aibesoindetoutsaufd’unecomplicationcommeJason.Etc’estexactementcequ’ilserait:unegrande,unegrossecomplication.
J’enaidéjàmoncomptepourlerestantdemesjours.
JASON
Tessestperduedanssespenséesquandjeposemonplateausurlatablepourm’asseoirdevantelle.Elle lèvebrusquement lesyeuxversmoi, et jem’efforcedeme rappelerqu’iln’ya riendemalàça.Noussommesamis.Lesamisdéjeunenttoutletempsensemble.Ilssortent,discutentetmangentensemble,c’esttoutcequ’ilyadeplusnormal.JeleferaisavecAdamouCadesansmêmeyréfléchir.
Sauf que, si je le faisais avec l’un d’eux, je ne sentirais pas une tension dansmon jean quand ilsposeraientleslèvressurunepaillepourboireleurboisson…
Jemeracleunpeulagorge,détournelesyeuxetm’installetoutenessayantderéfléchiràcequejevaismanger.Lesdesserts,cen’estpas tropmon truc (àmoinsqu’ilnes’agissede lécherde lacrème
Chantillysurleventred’unepartenairemotivée).Donc,jenesavaisvraimentpasquoichoisir.J’aijustecommandéautrechosequecequeTessavaitenespérantquecelaluiplaiseaussi.
–Oooh ! tu aspris la crèmebrûlée. Il est superbonaussi, cedessert,mais jen’enprends jamaisparcequejel’aimetrop.
Elledécoupeunmorceauqu’ellemetdanssabouche,etseslèvresserefermentautourdelafourchettetandisquesespaupièressefermentàdemi.Ellepousseunpetitgémissementdeplaisir,et,nomdeDieu,voilàquejebandecommeunâneenunquartdeseconde.
–C’esthyperbon.Ellerouvrelesyeuxetmeregardeenhaussantlessourcilsdevantmonexpression.–Quoi?Jem’ensuismispartout?Elleattrapeuneservietteet s’essuie lescoinsde labouche.Jeviensprèsde rireensongeantàce
qu’elleferaitsi je luiavouaisàquoijepensaisexactement.Elleseraitmortifiée,etpeut-êtremêmeunpeuoffusquée.Depuislebéguinqu’elleaeupourmoiquandelleavaitquatorzeans,ellenem’ajamaisregardéaveclemoindreintérêt.
Jeprendslesandwichquej’aicommandéetluidis:–Non,non,jerêvassais,jepensaisàmescours,toutça.Elleprenduneautrebouchée.–Etalors,commentçasepasse,àcepropos?As-tudécidédecequetuvasfaire,pourtesparents?Finalement,peut-êtreaurais-jedûluidirequej’imaginaismonsexedanssaboucheàlaplacedecette
fourchette,parcequ’alors,aumoins,onn’auraitpasàdiscuterdemonculcoincéentredeuxchaisesetdecetinévitableavenirdontjeneveuxpas.
Je mange une grosse bouchée pour m’éviter d’avoir à dire grand-chose, me contentant d’unhaussementd’épaulesetd’un:
–Queveux-tuquejefasse?Ilsnechangerontpasd’avis.Ellemefixeenplissantlesyeux.–Jetrouvequetucapitulesbienvitedevanteux,pourquelqu’und’obstinécommetoi.–Commentveux-tuquejemebatte,Tess?Àmoinsdevouloirmefaire jeterdéfinitivementdema
famille…Ellesecouelatête.–Non,ilsneferaientpasça,dit-elledoucement.–Ohquesi!Ettulesaistrèsbien.S’ilsontacceptéquej’entredanscetteécole,c’estuniquement
parcequemongrand-pèreavaitpayélapremièreannée.Quandilestmort,ilssesontditqueçaneferaitpas très sérieuxdeme fairechangerd’établissementune foisdeplus.Et ilsm’ont fichu lapaixparcequ’ilssavaientqu’auboutducompte,ilsauraientcequ’ilsvoulaient:memettreàlatêtedelaboîte.Etlà-dessus,ilsnecéderontpas.Ilvautencoremieuxnepasavoirdefilsqu’enavoirunquivousdéçoitenn’ayantpasunsuperjob–dumoins,àleursyeux.
J’attrapequelques fritesethausse lesépaulesd’unairdétaché,alorsque jene le suispasdu tout.J’essaiedesauver lesapparences,mais,enréalité, j’espèreencorequ’uneétincelledecompréhensionjaillirachezmesparents,merappelantunpeuletempsd’avantlamortdemongrand-père.Jenesuispascertaind’êtreencoreprêtàlesenvoyerbalader,mêmesieuxlesont.
Nous continuons de manger sans rien dire. Je me rends compte que je n’avais jamais remarquécombiennoussommesàl’aiseensemble.Mêmeavantquecetteattirancenecommencedemoncôté,nousavonstoujourspupasserdutempstranquillement,touslesdeux,enparlantounon.Jesuissortiavecplus
defillesquejenesauraiscompter,et,mêmesiellesn’étaientlàquepourlefun,çan’ajamaisétéaussisimplequ’avecTessa.
Unefoissasaladepresqueterminée,ellereprendladiscussion:–SituneveuxpasêtrePDGouchefouDieusaitcequetonpèreveut,tun’asqu’àleleurdire.Parle-
leur.Ilstesurprendrontpeut-être.–Non, ils neme surprendront pas, Tess. Et tu sais comment je le sais ? Parce que ça va être un
remakedemonentréeenseconde,quandjevoulaisintégrerleclubdewebdesignetqu’ilsnevoulaientpassignerlespapiers.Aulieudeça,ilsm’ontforcéàparticiperauconseildesélèves.
Sesyeuxs’écarquillentetellecessedepicorersasalade.–Ahbon?Jecroyaisquec’étaittonidée.Tuavaisl’aird’adorerça.– Bien sûr, parce qu’à seize ans, j’allais peut-être raconter à tout le monde que mes parents me
manipulaientcommeunemarionnette?Voilàpourquoijefaisaiscommesiçameplaisait.–Bref,c’estdupassé.Leurréactionseraitpeut-êtredifférente,aujourd’hui.Mais, à en juger par les mots employés par mon père lors de son ultimatum, à son opinion sur
l’«écolededessin»quejefréquente,jesaisquecetespoirestvain.Monaveniradéjàététracépourmoi,quecelameplaiseounon.Etaucunenégociationnedéboucherasurunquelconquechangement.
7
JASON
J’aibeausavoircommentsetermineralaconversationavantmêmedel’avoirentamée,j’essaiequandmême. Les paroles de Tessa me reviennent sans cesse en tête depuis notre déjeuner d’hier, et je neparvienspasàleschasser.Voilàpourquoijemeretrouvedansl’immeubletape-à-l’œildemonpère,àmarcherdanssescouloirssouslesregardsetlessouriresunpeuforcéstandisquejemedirigeverssonbureau.
–Bonjour,Jason,meditlaréceptionnisteensouriant.Elle est blonde, bientôt la trentaine, à mon avis, et constitue sûrement l’une des raisons pour
lesquellesmonpèrepassebeaucoupdesessoiréesiciplutôtqu’àlamaison.–Votrepèren’apasderendez-vousencemoment.Jevaisjustel’appelerpourm’assurerqu’ilpeut
vousrecevoir.–Merci.Elle prend le téléphone et l’appelle. Pendant ce temps, une main dans la poche de mon jean, je
regardel’espaceautourdemoi,avectoussesartificessuperflus.Commedanslamaisondemesparents.Unedébauchedesignesextérieursderichesse.Envoyantcela,personnenepeutdouterqu’ilssefassentunmaximumdepognon.
–Vouspouvezyaller,ditlaréceptionniste,metirantdemespensées.Parici.D’ungeste,ellemedésignelecouloirmenantsurlaporteferméedubureaudemonpère.Jeneprendspas lapeinede frapperavantd’entrer. Il est assisderrière sonbureau,dosauxbaies
vitréesallantdusolauplafondetsurlesquellessedétachentsesépaulescarréesdanssoncostumegris.–Jason,dit-ilenmeregardantdelatêteauxpieds,letempsqu’ilfautpourmemettremalàl’aise,
avantdebaisserlesyeuxverslespapiersdevantlui.Laprochainefoisquetuviensici,tâchedemettrequelquechosed’unpeuplusprésentablequ’unjeanetuntee-shirt.Onn’estpasaugymnase.
–Contentdetevoir,moiaussi,dis-jeenrefermantlaportederrièremoi.Jem’installedanslefauteuilenfacedesonbureau.–Quepuis-jefairepourtoi?demande-t-il.J’aiuneréuniondansdixminutes.–Alors,j’iraidroitaubut.Onsaittouslesdeuxquetravaillericin’estpasvraimentcequej’aurais
souhaité,maistunemelaissespastroplechoix.Sondosseredressetandisquesonregardsedurcit.–Ilmesemblequenousenavonsfaitbeaucoupplusquenepastelaissertroplechoix.Noust’avons
laisséallerdanscettefichueécoled’art,malgrétouslesproblèmesquecelafiniraitforcémentparposeraubout du compte– le bout du compte étantmaintenant, quand ilm’a fallu convaincre le servicedesadmissionsdetedonneraccèsaumasterd’architecturesanslemoindreélémentdanstonportfolio.
Unpetitriresansjoiem’échappedevantsafaçonderéécrirel’histoire.–Vousnem’avezpaslaisséyaller.C’estgrand-pèrequiapayépourça,et,aprèssamort,vousavez
justefaitavecpoursauverlesapparencesdevantvosamis.Qu’aurait-onpenséd’unétudiantquichange
d’établissementtroisfoisdesuite,hein?Cen’estpaslegenredelamaisonMontgomery.Je fermeun instant lespaupièreset inspireà fond,essayantdememaîtriser. Iln’ya jamaismoyen
d’avoiruneconversationnormaleaveclui.–Maiscen’estpaspourçaquejesuisvenutevoir.Jesuisvenupourparlerdecequej’aienviede
fairequandjecommenceraiàtravaillerici.–Tuferascequejefais.Jet’aidéjàpréparéleterrain.Situcontinues,tun’aurasàt’inquiéterderien.–Cen’estpascequejeveuxdire.–Ehbien,viens-enauxfaits.Tuasseptminutes,dit-ilentapotantlecadrandesaRolex.Jedéglutiset le regardebienen face,quoiquesonattentionseconcentredavantagesur lespapiers
devantluiquesurmoi.–JeveuxrecréerlaFondationEliseMontgomery.Sonstylosefigeau-dessusdelafeuillesurlaquelleilprenaitdesnotes,seulsignequ’ilmedonne
attestantqu’ilm’aentendu.Jepoursuis:– Jeprendraiquandmême taplace, je ferai ceque tuveuxque je fasse ici,mais jeveuxque l’on
recommencelafondation.Etjeveuxladiriger.Lentement, calmement, il pose son stylo et s’adosse dans son fauteuil, les deux bras posés sur les
accoudoirs,toutenlissantsacravateetenmedévisageant.–Tuveuxressusciteruneassociationàbutnonlucratifquej’aidissouteilyamoinsdetroisans.–Oui.Il semetsoudainà rire–unsonque jenemesouvienspasd’avoirentendudepuis longtemps–et
secouelatête.–Non.Commeça.Non.Ilnemedemandepaspourquoijeveuxlarecréer,ilnemelaissepasletempsdelui
direquecetteinitiativemedonneraitunbut,mepermettraitdedigérertouteslessaloperiesqu’ilafaitesdanscetteboîte,parcequecelavoudraitdirequejesuiscapabledeluidonnertort.Celavoudraitdirequejeseraiscapablederedonnervieàl’héritagedemongrand-père.Héritagequemonpèreapiétinéallègrement.
Ilsepencheenavantetposelescoudessursonbureau,lesmainsjointes,enmefixant.–Jesaisquetongrand-pèreet toiaviezdegrandsprojetsàcesujet.Depuisqu’ilavait lancécette
fondation, vous ne parliez que de ça ensemble, vous y passiez tout votre temps,même quand tu étaisgamin.Tuallais avec lui sur les chantiersdeconstructionet tumettais lesmainsdans le cambouis enfaisantleboulotpourlequelonpayenormalementdesgens.Vousavezétéfaibles,touslesdeux,quandlemomentestvenudefairecequ’ilfallaitpourqueleschosesavancent.
Cequiveutdire,pour lui,ne jamaisperdrede temps,etencoremoinsd’argent,àaiderdesmoinschanceuxquelui.
–Malheureusement, il se trouveque tues leseulMontgomeryàpouvoir tepositionnerà la têtedecette entreprise quand je prendrai ma retraite. Je ne te laisserai pas entrer ici et prendre la tête desaffairesquetongrand-pèrealancéesmaismalgéréesàcausedecettefoutuefondationquipompaittouslesbénéfices,etrisquerdelavoirs’effondreralorsquej’enaienfinfaitquelquechose.Alorsquelesfinances sont enfin florissantes. Et puis, on a des partenaires qui auraient leur mot à dire. Et ilsn’approuverontjamais.
Ildéclaretoutcelaavecuntelairdesatisfactionetd’arrogancequejedoisserrerlesmainssurlesaccoudoirsdemonfauteuilpourmeretenirdefaireungestequejepourraisregretter–oupas.Histoired’effacercetteexpressiondesuffisancedesonvisage.Avecmespoings.
Ilregardesamontre.–Ilestl’heure.Tuavaisterminé?Iln’attendpasmaréponseetselèvepourallerouvrirgrandlaportedevantmoi.Langagecorporel
détendu,souriredécontracté.Montrantàtoutlemondedel’autrecôtédelaportequetoutvaparfaitementbiendansnotrepetitefamille.
– Merci de ta visite. On se voit pour dîner, la semaine prochaine, dit-il assez fort pour que lesquelquesemployéspassantdanslecouloirpuissentl’entendre.
Ilsm’offrentlesmêmessouriresforcésqu’àmonarrivée.J’adresseàmontourunpetitsourireàlaréceptionnisteethochelatêtequandellemeditaurevoiravecunsignedelamain,puismevoilàdevantl’ascenseur, àenfoncercommeunmalade leboutond’appelpourquecet ascenseurarriveetme fassesortird’icileplusvitepossible.
Jenesaispaspourquoi jemefaissubir toutça.Pourquoi jene leurdispasd’allersefairefoutre,pourfairecequimeplaît.D’accord,jen’auraisplusl’argentqu’ilsmedonnenttouslesmoispourvivreconfortablement. Il faudrait que j’emménage ailleurs, que je trouve un boulot très rapidement,mais jepourrais. S’il le fallait, je pourrais. Tous les étés, j’ai travaillé dans la même agence de web et degraphisme, et je suis presque sûr qu’ils seraient prêts à m’embaucher. À un poste plutôt modeste,probablement,maisaumoinsjepourraismettreàprofitmesétudesdewebdesignetdemediainteractif.Jeseraisdansledomainequim’intéresse.Etjenetravailleraispaspourlecompted’unsombreconnardquifaitpasserlefricavanttoutlerestedanslavie.
Mesyeuxseposentsurlemurprèsdel’ascenseur,oùtrôneunvieuxportraitdemongrand-père;sonregarddouxsemblemetranspercer.Etlà,jesaispourquoijenelesenvoiepastouspromenerpourmenermaproprevie.Parceque,malgré tous lescoupsqu’ilsm’ont faits, tous leseffortsque jedois fournirpouravoiruneonced’encouragement, ils’agitdemafamille, laseulequej’aie,malheureusement.Lesmots de grand-père, des mots qu’il répétait souvent, résonnent dans ma tête tandis que j’entre dansl’ascenseuretappuiesurleboutondurez-de-chaussée.Lafamille,c’estcequ’ilyadeplusimportant.Nelalaissejamaistomber.
Ces mots me suivent jusqu’à ma voiture, eux qui font partie de moi depuis mes tout premierssouvenirs.Etcesontencorecesmotsquimemotiventàpersévérer.Peut-êtrequ’unjour,jeparviendraiàconvaincremonpèredefairerenaîtrelafondation.Peut-êtrequ’ilvaréfléchiretqu’ilcomprendramonpointdevue.Peut-être.
8
JASON
Cettefillerittropfort,savoixesttrophautperchée,toutesonattitudeest…insupportable.Peuaprèsquemesamisetmoisommesarrivésici,elles’estfrayéunchemindanslafouleetaréussi,minederien,à s’incruster dans notre groupe. Sauf qu’elle ne risque vraiment pas de passer pour un mec venu làtranquillementpourregarderlematch.Pasavecsarobeultra-moulanteetsescuissardesàtalonsaiguillestellementpointusqu’ilsfontpeur.Pasavecses lèvresrougevifetsesyeuxtropcharbonneux.Ellefaitsemblantdes’intéresserauxdiscussionssurquivabattrequiaumatchdedimanche,maisellen’yconnaîtrien,etsesyeuxnecessentderevenirversmoi,s’attardantsurmontorseouplusbas.Onpeutdirequesesintentionssontclairesetqu’ellen’apasfroidauxyeux,celle-là.
Jedevraisenprofiter.Jedevraisréfléchiràlafaçondontjevaislaramenerchezmoi,surtoutaprèsladiscussionquej’aieuetoutà l’heureavecmonpèreetquim’amisd’unehumeurmassacrante.SurtoutaprèslaconversationavecCadeausujetdeTessa.Or,laseulechosequim’attireestcecoupleassissurles banquettes basses, au fond de la salle. Chaque fois que je les regarde, je ressens une espèce detiraillementbizarredansleventre,quimemetmalàl’aise.Ilmefautquelquesminutespourcomprendrequec’estde la jalousie–unsentimentque jen’ai jamaiséprouvéausujetd’unefillede toutemavie,honnêtement.Cesentimentestinvolontaireettoutàfaitmalvenu.Etjenesaispasquoienfaire.
J’aitoutdesuiterepéréTessa–commentaurait-ilpuenêtreautrement?Àladifférencedelablondeàcôtédemoi,Tessaestclasseetsexysansavoirbesoind’enfairedestonnes.Unsourireunpeuforcésurleslèvres,elleestassiseenfaced’untypequial’airtropvieuxpourelle.Unvêtementrougevifeténervantcouvrelespartiesstratégiquesdesoncorps(lespartiesdontj’aieuunaperçuinvolontairelesoiroùletuyauaéclaté),etjemesenscommeuneenvied’allermettremonpoingdanslafiguredugarsquialachancedepouvoirlaregardertoutelasoirée…etpeut-êtredelaserrercontreluiplustard.
Immédiatement,j’aienviedememettreunpoingdanslafiguredepensercela.Tessan’estpasàmoi,enaucunemanière.Ellenel’ajamaisétéetneleserajamais(surtoutsisonfrèreasonmotàdiredansl’histoire).Alors, qu’est-ce que ça peutme faire qu’elle sorte avec un type sympa,même s’il a l’airaffreusementennuyeux?
Mêmeconscientdetoutcela,jenepeuxpasm’empêcherdelesregarderrégulièrement.Elleal’airdes’ennuyerferme;sesyeuxnecessentderegarderautourd’elleouendirectiondelapistededanse.Elleadoredanser–elleatoujoursaiméça–etilestévidentqu’elleaimeraityallercesoir,maiscetabrutinelevoitmêmepas.Ilestlà,assisenfacedecepetitcanon(unefemmequivauttellementmieuxqueluiqu’ilnedevraitmêmepasavoirledroitderespirerlemêmeairqu’elle),etilnefaitmêmepasattentionauxsignauxqu’elleenvoie.
QuandlaserveuseposeuntroisièmeverredevindevantTessa,jenetiensplusetsorsdemacachette.Je veuxm’assurer que tout va bien, qu’elle rentrera chez elle en toute sécurité, ne serait-ce que pourhonorer lapromesseque j’ai faiteàCade.Celan’a rienàvoiravec lesentiment involontairequim’aenvahiteluncancer.
Avantdemedirigervers lecouplemalassorti, jedonneàJustinunepetite tapedans ledosen luidisantquejevaisvoirquelqu’unquejeconnaisetquejerevienstoutdesuite.Lamouequefaitlablondeenmevoyantm’éloignernem’échappepas,maiscen’estpascequirisquedemeretenir.
LesyeuxdeTessas’écarquillent lorsqu’ellemevoitapprocher.Elle regarde furtivement lemecenfaced’elleensetortillantunpeusursonsiège.
–Hello,dis-jeenarrivantàleurtable.–Salut.Sesyeuxseposentànouveausurletype,tandisquelesmiensrestentrivéssurelle.–Euh,Jason,jeteprésenteGreg.Jeregardeenfinletype,lejaugerapidementetmedemandesic’estvraimentlegenred’hommequi
plaîtàTessa.Parceque,sic’est lecas, jesuishors jeu.Ilestmaigrichon,avecdesbrasquisemblentperdus dans les manches de son pull. Des lunettes à monture métallique sont perchées sur un nezparfaitementdroit.Cegenredetypenepeutpassebattre.Sescheveuxsontsoigneusementpeignés,etjenotequ’ilboitunverredevin.Évidemment.
Ilselèveàdemietmetendlamain.–Ah!lefameuxJason.LefaitqueTessa luiaitparlédemoimedéconcerte. Je la regardeenhaussantunsourcil.Elleme
rendbrièvementmonregardet,sijenelaconnaissaispasdepuisaussilongtemps,jepasseraisàcôtédelafaçondontellemordillesononglesanssoutenirmonregard.Maisjeremarquelesdeux,etcomprendsqu’elleestmalàl’aise.Gregneremarquerien,lui,etcontinue:
–Enchanté.Ilparaîtsympathique,sonsourireestfranc,etjesuisfrappéparlefaitqu’ilnemeperçoitpascomme
unrival.Dutout.Rienquepourça,jeserresamainplusfortquenécessaireetluiadresseunsourireunpeuforcé.J’ai
quandmêmeenviequ’ilmeconsidèrecommeunrival.–Oui,moiaussi.Gregserassoit,etTessmedemande:–Tuesdesortieavectespotes?–Oui.Je jette un regard vers eux par-dessus mon épaule et aperçois la blonde, maintenant penchée sur
Justin.Roulantlesyeux,jevoisqueTessaaleregardbraquélàoùétaientlesmiensl’instantd’avant.–Ondiraitquetoncoupdecesoirachangédecible.Jeladévisageenhaussantlessourcils.–Ehbien,onm’espionne,Tess?Je ressensunepetite satisfactionenpensantque,mêmeenétant ici avecunautregarçon,elleade
touteévidencegardéunœilsurmoi.Etjefrémisàl’idéequ’elleaitsuquejeseraisiciavantmêmequej’arrive.
Maquestion lametmalà l’aise ;ellebougeunpeusursonsiègeetboitunegorgéedevin toutensecouantlatête.Elleneditriendeplus,etletypenecessedeseraclerlagorgecommes’ilvoulaitquejedégageauplusvite,maisilesttroppolipourledire.
Ehbien,s’ilveutquejedégage,iln’aqu’àavoirassezdecouillespourledemander.Aulieud’êtregentlemanetdeleslaisser,jelance:
–Vousnedansezpas?Ellerelèvevivementlatête,tandisquesesjouesrosissent.–Quoi?Oh!Non…,jene…–Tuvoulaisdanser?demandeGreg,leregardoscillantentreelleetlesgenssurlapiste.Desgensquidoiventfacilementavoirdixansdemoinsquelui,ilmesemble.–Onpeut…Visiblementpeumotivéparcetteperspective,ilneterminepassaphrase.Ellesecouelatêteavecunpetitgestedelamaintoutenmefusillantduregard.–Non,merci,c’estgentil,maisjenesaispassijetiendraislongtempsavecceschaussures,detoute
façon.Jebaisselesyeuxsurlacourbedesesmolletsfuseléspourvoirleschaussuresdontelleparle.C’est
legenredechaussuresqueporteunefillequandelleespèreneplusavoirqueçasurelleà lafindelasoirée.Serrantlesdentsàcetteidée,jemedisquec’estpeut-êtrel’occasionrêvéededonneràcetypeunebonneraisondemeconsidérercommeunrival.
–Cen’estpasunedansequitetuera.Allez,viens.JelanceunregardàGreg.–Vouspermettez?Je n’attends pas qu’il me réponde pour poserma bière sur la table et prendre la main de Tessa,
l’invitantàselever.–Non,écoute,jeneveuxpas…–Enquinzeans,jenet’aijamaisvuemanqueruneoccasiondedanser.Jebalanceçaaupassage,questionde rappeleràGreg l’historiqueque j’aiavecelle,parceque je
peuxaussiêtrecon.–Viensdonc.Çaneledérangepas,dis-jeavecunpetitsignedetêteversluisanslaquitterdesyeux
pourautant.–Non,non,biensûr,dit-il.Allez-y,amusez-vous.Sesparolesparaissentsincères,etjemerendscomptequej’aiencoredupainsurlaplanche,parce
quetoutcelanesembleaucunementleperturber.GardantlamaindeTessadanslamienne,jel’entraîneverslamassedescorpsondulantaurythmede
la musique qui ébranle les enceintes. C’est bondé, ce soir, comme presque tous les vendredis, et jecomptebientireravantagedelasituation.Ellepousseunpetitcouinementquandjel’attireplusprèsdemoienpassantunbrasdanssondospourlaserrer.Jenedevraispasfaireça.Jedevraismeconduireenami,cequejesuis,ettenircomptedel’avertissementdeCade.JedevraisrespecterlefaitqueTessaestvenueiciavecunhomme,mêmes’ilal’aird’unennuimortel.Seulement,jenepeuxpasm’enempêcher.Etencoremoinsmaintenantquejesenssoncorpscontrelemien,descuissesjusqu’àlapoitrine,avectoutcequ’ilyaaumilieu.
–Jason…Lamusiqueestforteicietjedevineplusmonnomsurseslèvresquejenel’entends.Sesmainssont
poséessurmapoitrine,et,alorsquejebougedéjàaurythmedelamusique,Tessaestencoreimmobile.Jemepencheetluiparleaucreuxdel’oreillepourqu’ellepuissem’entendremalgrélebruit.– Allez, Tess. Je ne t’ai jamais vue louper une danse. Juste unmorceau. Ce n’est pas le bout du
monde.
Elle reste figée quelques instants de plus, puis semet enfin à bouger. Ses hanches commencent àondulersousmesmains,etjedoisfourniruneffortmonstrueuxpourmeretenirdelaserrerplusfort,plusprèsdemoi,delaplaquercontremonsexedurci.J’aidéjàassezdemalàdanseravecelledanscetétat,sansparlerdufaitquesonprétendantnousregardeàtroismètresdelà.
Il ne lui faut pas bien longtemps pour se laisser aller et s’abandonner à la musique. Ses yeux seferment,sesmouvementssefontplusfluides.Colléeàmoid’unemanièrequimerendencoreplusfoud’unesecondeàl’autre,ellerouleleshanches.Puiselleseretourne,metournantmaintenantledos,lesbraslevésau-dessusdelatête,oublianttoutsauflamusiquequil’entoure.
Unpeuhésitant,jeposelesmainssurseshanches,attentifàlaisserunpeud’espaceentrenous;ilnemanqueraitplusquesonfessierviennesefrottercontremamonumentaleérection.Mais jenepeuxpasm’empêcherd’imaginercommentceseraitsiellefaisaitçapourmoi.Rienquepourmoi.Endansantdansl’intimitédesachambre,faisantunstrip-tease,peut-être.Jememaudisenmêmetempsdevoirleniveaudemespenséeschaquefoisquejesuisavecelle.
Plus nous dansons, plus elle reste ici avec moi – une chanson, puis deux, puis trois – et plus jem’irriteàl’idéequ’elleaitunrencardaveccegenredetype.Illuifautquelqu’unquipuissefaireçaavecelle.Qui ne soit pas coincé et ose l’emmener directement sur la piste (parcequ’il voit dans ses yeuxqu’elleenaenvie,parcequ’ilsaitquecelaluiferaplaisir).Quelqu’unquil’emmèneradansdesendroitsqu’elleaime,quilaferarireavecdesblaguesidiotes,quicommanderaundessertdontiln’apasenvie,justepourqu’ellepuisseygoûter.
Jemefigesoudain intérieurement,prenantconscienceque jeviens justedemedécrire.EtsiTessaméritecertainementmieuxquequelqu’uncommeGreg,ilestclairqu’ellemériteaussiquelqu’undecentfoismieuxquemoi.
Etplustôtjememettraiçadanslecrâne,mieuxcesera.
TESSA
Laculpabilitéme tenaille l’estomac.Sérieusement.Et jenesaismêmepaspourquoi.Jenedevraispasmesentircoupable.Iln’yaaucuneraisonàça,etpourtant,depuiscescinqminutestrèsgênantesoùJasonestapparuànotretableetlebonquartd’heurequenousavonspassésurlapiste,lenœuddansleventreestbeletbienlà,indélogeable,incontournable.
Puis,enplusdelaculpabilité,lajalousies’enestmêléealorsquejeleregardaisretourneravecsesamis,aveclablondequiadélaissétouslesautrespourseconcentrersurJasondèsqu’ilestrevenu.Ilabeaunepasavoireul’airsensibleàsesavances,nejamaisl’avoirtouchée,lefaitqu’ilpuisselefaires’illevoulaitm’amisedansunétatpeuagréable.
Ébranlantaupassagetoutesmesconvictions,mesrésolutions.Jasonestl’exempleparfaitdel’opposédecequejecherchechezunhomme–legenred’hommeavec
quijevoudraisfairemavie,entoutcas.Legenred’hommequis’intégreraparfaitementàmavieetcelledeHaley.Ilestirresponsable,imprévisible,instable.C’estunbadboy,etjen’aiaucuneillusionsurlefaitdepouvoirenfairequelqu’undebien.
Jem’efforcederecentrermonattentionsurceluiquim’accompagne,celuiquiatoutbonsurlepapier.
C’est la deuxième fois quenous sortons ensemble, et jeme souviensmaintenant pourquoi ilm’a fallutroissemainespourluifixerunsecondrendez-vous.Ilesttrèsgentil, ilestséduisant(pourquiaimelelookclassique, styleRalphLauren),mais, comme je l’ai dit àPaige, il neme fait aucuneffet.Pasdepapillonsdansleventre.Pasd’excitationenmedemandants’ilvam’embrasserounon.Pasdefrissonsquandsesmainseffleurentl’arrièredemesbras.Rien.
Rienàvoiraveccequim’atraverséependantlesquelquesminutesoùjedansaisavecJason.Seulement,Greg,àladifférencedeJason,estlegenred’hommequejecherche.Ilvientd’avoirtrente
ans,ilchercheàs’installer,etilsembleêtreassezemballéquandjeluiparledeHaley,bienqu’ilnel’aitpasencorerencontrée.Ilaunbonboulot:orthodontiste.Saufqu’aulieudepenseràsagentillesse,àsonintelligence, je n’ai cessé de me demander ce qu’il pouvait penser de mes dents. Sont-elles assezblanches?Assezdroites?Peut-ildevinerque jen’aipasportémonappareildentaire toutes lesnuitscommej’auraisdûlefairequandonm’aenlevémesbagues?S’attend-ilàcequej’utilisedufildentairetouslessoirs?JememetsalorsàpenseràcequePaigem’aditdesonderniermec; j’imaginedufildentaireusagésurmonlavabo,etlà,c’estmort.
–Pardond’abrégerlasoirée,maisj’aieuunesemaineassezdureauboulotetjesuisunpeufatiguée.Çanetedérangepassionyva?
–Biensûr,pasdeproblème.Ilselèveetcherchemonmanteau.–Tiens,laisse-moit’aider.Ilest toujoursgalant ; ilm’aideàsortirde lavoiture,m’ouvre lesportes,metiremachaise.C’est
biencequejeveux,non?C’estexactementcegenred’hommequejerecherche.Mais s’il est tout ce que recherche, comment se fait-il que je ne ressente pas lemoindre début de
frissonquandjesuisprèsdelui?Etpourquoiest-cequej'enressensautantquandjescrutel’autreboutdelasalle,cherchantJasondu
regard,regardquejetrouveaussibraquésurmoi?LespapillonsquimemanquenttellementenprésencedeGregsemanifestentalorssubitementetsèmentlapagailledansmonventre.
Enunclind’œil.Unclind’œildumauvaishomme.
9
TESSA
Jetournelaclédanslecontactunefoisencore.–Allez,démarre!Rienàfaire.Jen’aiqu’unpetitcliquètementpourtouteréponseettapeungrandcoupsurlevolant.–Putain!–C’estungrosmot,maman!s’exclameHaleydepuislabanquettearrière.Jefermelesyeuxetappuiemonfrontsurlevolantencomptantàreboursàpartirdedix.Lestuilesme
tombent dessus l’une après l’autre, et je commence à perdre pied. Il faut vraiment que ça s’arrête.Lorsquemon décompte arrive à zéro – sans avoir suffi àme calmer –, j’inspire à fond et essaie dem’exprimeraussicalmementquepossible:
–Jesais,mapuce.Pardon.Jedétachemaceinturedesécurité,sorsdelavoitureetvaisouvrirlaportièredeHaley.–Viens,onrentre.Mamanvadevoirtéléphonerpourquequelqu’unréparelavoiture.–Etl’école,alors?–Jecroisquetuvasmanquerl’école,aujourd’hui.Jevaisappelerpourprévenir.–Est-cequ’onpeutmanquermissMelindaaussietfaireunejournéepyjama?Pleinsd’espoir,sesgrandsyeuxbrunsscrutentmonvisage.Jeréfléchisrapidementàmonagendade
lajournée,essayantdedéterminersijepeuxannulermesrendez-vousounon.Lajournéen’estpastrèschargée;Brenda,laréceptionniste,devraitfacilementpouvoirdéplacermesrendez-vous.
–Onverra,dis-je,n’osantpasencorem’engager.Dèsquenoussommesderetouràl’intérieur,jel’installeavecunlivredecoloriageetdescrayons,et
j’attrapemon téléphone enme demandant ce que je vais faire. En temps normal, j’appellerais Jason.Mais,aprèslasoiréedevendredi,lasituationestdifférente.Bizarre.Tendue.Nousnenoussommespasparlédepuisquenousnoussommesquittéssurlapistededanseetqu’ilestretournéavecsesamis,tandisque je rejoignais Greg. C’est un fait hautement inhabituel pour nous. Je préfère ne pas penser àl’importancequesacompagnieaprisepourmoietauplaisirquej’ytrouve.
Etjeveuxencoremoinspenseràlafaçondontmoncorpss’estlittéralementaniméquandilétaitserrécontremoi,surlapiste.
Malheureusement, la seule autre personne sur laquelle je puisse compter ici – Paige – en connaîtencoremoins quemoi enmatière de voiture. À contrecœur, je compose donc le numéro de Jason etattendsquelquesinstantsavantquesavoixprofondeneréponde.
–Salut.–Salut…L’hésitationdansmavoixdoitêtreévidente,carildemandetoutdesuite:–Qu’est-cequisepasse?Jepousseunlongsoupir.
–Jenesaispastrop.Mavoiturenedémarrepas.Commeilyajusteunpetitclicquandjetournelecontact,jenecroispasquecesoitlabatterie,maisjenesaispas.Tut’yconnaisunpeu,envoitures?
–Jepeuxtoujoursjeterunœil.J’arrivetoutdesuite.Uncoupd’œilvers lapendulem’indiquequ’ilestunpeuplusdehuitheures.Jemesouviensqu’il
m’avaitditavoirdescoursdebonneheurepresquetouslesjours,cesemestre.–Tun’aspascours?Aulieuderépondreàmaquestion,ilmedit:–Àtoutdesuite.Enattendantqu’ilarrive,jetéléphoneàl’accueilpériscolairedeHaleypourlesprévenirqu’ellene
viendrapasaujourd’hui.J’attendsavantdeprendred’autresdispositions,espérantqueJasonpourrafairedémarrermavoiturequandilseralà.Sic’estlecas,j’arriveraipeut-êtreautravailàl’heureetjepourraidéposerHaleyenchemin.
Àpeinedixminutesplustard,j’entendsunevoituresegarerdehors.–Haley,mamansortuninstantpourvoirsiJasonarriveàdémarrerlavoiture.Jerevienstoutdesuite.–D’acc’,dit-ellesansreleverlesyeuxdesoncahierdecoloriage.J’attrapemonmanteau,ouvrelaporteetsorsenenfilantlesmanchessurlechemin.Lorsquej’arriveà
mavoiture,Jasonadéjàouvertlecapotetilregardedanslemoteur,tripotantjenesaisquelstrucs.–Coucou,mercid’êtrevenu.Ilmeregardepar-dessussonépaule;sesyeuxseposentlentementsurmoncorps,et,commevendredi
soir,jesenstousmessenss’allumeràcesimplecontactvisuel.–Jet’enprie.Donc,tuasjusteunpetitclic,c’estça?–Oui,ellenedémarrepasdutout.De nouveau concentré sur le moteur, il se racle la gorge. Après quelques minutes à le regarder
bidouillerdifférentespartiesdel’engin,jescrutel’expressiondesonvisageetlesgestesdesesmains.–Enfait,tunesaispasdutoutcequetufais,jemetrompe?Ilmeregardeenbiaisavecunpetitsourire.–Jesuissitransparentqueça?–Probablementpaspourlaplupartdesgens,dis-jeenriant,maisjeteconnaisdepuisunmoment.–Ouaip.Son regard soutient lemienquelques instants, jusqu’à ceque je détourne les yeux. Il s’éclaircit la
voix,puisrefermelecapot.– Écoute, je ne sais pas trop quel est le problème, mais je peux appeler mon mécanicien et lui
demandercequ’ilenpense.–Tuasunmécanicien?Ilroulelesyeux.–Mesparentsenontun.–Tesparentsontleurpropremécanicien?–Ilsonttout.DepuistoutescesannéesquejeconnaisJason,jen’airencontrésesparentsquedeuxfois.Quandles
garçonsétaientencoreaucollègeetaulycée,Jasonpassaitbeaucoupdetempscheznouss’iln’étaitpasavec son grand-père. En revanche, je ne me souviens pas que Cade soit allé très souvent chez lui.L’impressionqu’ilmerested’euxestcelledeparentstotalementélitistes,et,commeJasonestpersuadé
qu’ilsnerenoncerontpasàleursprojetsd’avenirpourlui,quoiqu’ilenpense,celanefaitqueconfirmercette impression.Commentdesgenscommeeuxont-ilspuengendrerun filsaussicoolet intègre,celaresteunmystèrepourmoi.Leplustriste,c’estqu’ilssontsûrementdéçusdel’hommequ’ilestdevenu.
Jeréalisealorsque,n’ayantpasdiscutéavecluidepuisplusieurs jours, jenesaispasoùenestsasituation.
–Aufait,as-tudécidédefairequelquechose?Deparleravectesparents?–Dequoi?–Detonhistoired’études,deboulot,toutça…Ilrit,maisc’estunriresansjoie.–Ehbien,oui.Jesuisalléparleràmonpère.Jeluiaiditquejepourraisavalerlapiluledetravailler
là-bas,àconditionqu’ilrecréelafondationEliseMontgomery.–Cellequetongrand-pèreavaitcréée?Leslogementspourlesfamillesmodestes?–Ouaip,fait-il.Etilm’arépondu…,bon,engros,quec’étaitnon.–Commeça,c’esttout?Ilneretientmêmepasl’idée?–Dutout.Etsesassociésirontdanslemêmesens.Tucomprends,cen’estpasbonpourlescomptes,
dedilapiderainsilesbénéfices.Donc,nonseulementjen’obtienspaslaseulechosequiaitjamaisvalulecoupdanscetteboîte,maisjemeretrouvetoujourscoincélà-bas,puisquejesuisleseulMontgomeryqu’ilresteaprèsmonpère.
Laraideurdesesépaulesetladuretédesonintonationconfirmentcequejesaisdéjà:iln’aaucuneenviedeça.
–Pourquoi les laisses-tu te faire ça ? Pourquoi ne les envoies-tu pas balader pour faire ce qui teplaît?
–Ilsontuneidéebienprécisedelapersonnequejedoisêtre,queçameplaiseounon.–Mais tu n’es pas du genre à te plier à quelque chose qui ne te convient pas.Tu n’as jamais été
commeça.–Saufquandçalesconcerne.–Maispourquoi?J’insiste,parcequejesuisvraimentétonnée.QuandJasonn’apasenviedefairequelquechose,ilne
lefaitpas.Ilenatoujoursétéainsi.–Là,jenecomprendspas.–Mongrand-pèrem’a toujoursditdenepasabandonnersa famille. Jemedis tout le tempsqu’ils
finirontpeut-êtreparchanger.Ilhausselesépaules,commesicen’étaitpassigravepourlui,maisjesaisqueçal’est.–Sijereculaislà-dessus,ilsmejetteraientdeleurviepourdebon.Delafamille.Et,mêmesicesont
desparentsnuls,cesontquandmêmemesparentsnuls,etc’esttoutcequej’aidanslavie.Fronçantlessourcils,jetiredoucementlamanchedesaveste.–Tun’aspasqu’euxdanslavie,Jason.Onn’estpeut-êtrepasdumêmesang,maistuasCade,Haley
etmoi.EtAdam.Onestcommeunefamille.Ilmefixependantunmoment,etjemedemandes’ilchercheàêtrerassuréoujusteàcomprendresice
quejedisestvrai.Ilsecontentedem’adresserunhochementdetête,puisildégainesonportabledesapocheetsedétournelégèrement.Unemainposéeenbasdemondos,ilmeguideverslamaisontouten
composantlenumérodesonmécanicien.–Bonjour,Dan,c’estJason.J’aiunsouci…Je le laisse au téléphone etm’efforce de garderHaley occupée pour qu’elle n’aille pas l’embêter
pendantsaconversation.Maismonpouvoirsurelleaseslimiteset,dèsqu’ilaraccroché,elleserueversluicommeunefolle.
Illasoulèvedeterrepourlaprendredanssesbras,tandisqu’ellecommenceàparleràtoutevitesse:–Tusaisquoi,Jay?Ehben,lavoiture,elledémarraitpas,etmaman,elleatapédessusetelleadit
ungrosmotetmaintenantc’estjournéepyjama!Ilmeregardeavecunsourirenarquois.–C’estvrai,ça?Elleatapélavoitureetditungrosmot?Alors,qu’est-cequ’ellevadevoirfaire,
maman,pourserattraper?Jelefusilleduregard,nemesentantpasd’humeuràentrerdanscejeu-là.–Elledoitmefairedesgâteaux!Cequejeveux,commegâteaux!s’écrieHaleyenleregardant.Ellesetourneversmoi,undoigtsurlabouche,tandisqu’ellelèvelesyeuxversleplafond,enpleine
réflexion.–Chocolatetbeurredecacahuète,jecrois.–Mercibeaucoup,dis-jeàJason.–Eh!Cen’estpasmafautesituparlesmal.–J’étaisencolère.Ettuauraisditmillefoispirequeça,situavaisétémaplace.Alors,qu’est-ce
qu’iladit,tonmécano?–Quec’estsûrementl’allumageetqu’ilpeutarrangerçaaujourd’hui.Ilenvoieunedépanneusetout
desuite.Jepousseunsoupirenfermant lesyeux.Jen’aiaucuneenvied’attendredesheuresdansungarage
avecunegaminedequatreansdanslespattes.Sansparlerdelasommequejedevraidébourser,entreladépanneuseetlesréparations.Aprèsl’incidentdutuyau,moncompteenbanquen’estdéjàpasbiengarni,voilàquivasûrementlemettreàsec.
–Çanedevraitpasêtrebienlong.Jevaisyalleravecladépanneuseetjetelaissemavoitureicisituveuxt’enservir.
Jerelèvebrusquementlatête.–Quoi?Ilhausselesépaulesetexplique:–Ceseraplussimplesic’estmoiquiattends,plutôtquetoietcepetitmachin.IlhochelatêteversHaleytoutenluichatouillantleventre.Ellepartdansdegrandséclatsderire,se
pliantendeuxsursonbras,jusqu’àcequ’illasoulèvepourlalâcherenfinsurlecanapé.–Écoute,je…Illèveunemain,m’arrêtantnet.–Iln’yapasdeproblème.–Tun’aspasdescours?–Çanemetuerapasdemanquerunejournée.–Bon,ehbien…,d’accord,situessûr…Ilhaussedenouveaulesépaules,puismesourit.
–Mieuxvautquetufassesdoubledosedegâteaux,quandmême.Sachantquejenepeuxpasmanquerunejournéeentièredetravail,jem’éclipsepourappelerBrenda
etluidemanderdereprogrammermesrendez-vousd’aujourd’huisurmaprochainejournéedecongé,quiseraremplacéeparaujourd’hui.Unefoiscelaréglé,jereviensdanslesalon,oùjetrouveJasonetHaleyà plat ventre par terre, coloriant chacun une page de dessin.Un frissonme parcourt alors, partant ducentredemapoitrineetirradiantdanstoutlerestedemoncorps.
Un peu plus tard, le signal sonore de la dépanneuse se fait entendre dehors. Jason dit au revoir àHaleyetmelancelesclésdesavoitureavantdesortir.
Parlafenêtre,jeleregardeparleravecletypequis’occuped’embarquermavoiture.Unefoismontédanslecamion,Jasonseretourneetmefaitunpetitsignedelamainavantdedisparaîtredansl’habitacle.Alorsquelevéhicules’éloigne,jemedemandedepuisquandexactementJasonaprislerôledeceluiquej’appelledèsquej’aibesoind’aide.
Etdepuisquandilvientchaquefois.
JASON
Enmoinsdedeuxheures,lavoituredeTessaesttransportéeaugarageetréparée;undesavantagesd’avoir dupersonnel à sa dispositiondès qu’on en a besoin. Il n’est pas encoremidi ; je devraismedépêcherdeluilaisserlavoiturepourmerendreàmescoursdel’après-midi.Seulement,jesaisqu’unefoisquejeseraichezelle,quandjelesverrai,elleetHaley,j’auraienviedetoutsaufdepartir.
Nous n’avons pas discuté depuis que je l’ai vue avec son rencard vendredi soir, en grande partieparce que j’avais besoin d’un peu de temps pour remettre mes idées en place. Quoi que je puisseéprouver – quelle que soit la nature de cette attirance–, il faut que j’arrête.Ayant pris cette décisionl’autresoir,j’aiflirtéaveclablondeaprèsledépartdeTessaetdeGreg.Jel’ailaisséeposersesmainssurmontorseetsefrotterunpeucontremoi.Jem’apprêtaisàlaramenerchezmoi,rienquepourchasserTessdemespensées…avantdechangerbrusquementd’avis.Ceque j’auraiségalement fait si la fillen’avaitpascommencéàtitubersousl’effetdel’alcool.Apparemment,elleaeuunpeudemalàtenirlemêmerythmequelesgarçons.Mêmesij’avaisgrandbesoindepenseràautrechosequ’àTess,j’aidesprincipes.Jen’auraispassautéunefillebourrée,surtoutenpensantsansarrêtàuneautrepersonne.Jel’aidoncramenéechezellepourêtresûrqu’ilneluiarriverien,puisjesuisrentréchezmoi.Seul.
Aujourd’hui,enrevoyantTessa,jemerendscomptequejenesuispasmieuxqu’ilyatroisjours.Jegaresavoituredanslegarageetentrechezelleparlapetiteporte.Latéléchantedanslesalon;je
merendsdoncdanscettedirection.J’arrivedevant lecanapéetviensàuncheveud’éclaterderireenvoyantlascènequis’offreàmoi.UneHaleyhilarelèvelesyeuxverslesmiens,desmiettesdechocolatpleinlafigure,tandisqu’enmêmetemps,uneTessaàl’airtrèscoupablecroisemonregard,ungâteauàmi-chemindelabouche.
–Eh,tusaisquoi,Jay?Mamanafaitdescookiesetc’estçaqu’onmangecemidi!–Chut!Ilnefallaitpasleluidire!lagrondegentimentTessa.Jesouris.–C’estvrai?Descookiespourledéjeuner…Cedoitêtreungrandjour.
Haleyapprouveenhochantlatête.–Etj’ailedroitderegarderunfilm.T’asvu?C’estRaiponce!–Tuenas,delachance,disdonc.VoyantqueHaleyseconcentreànouveausursonfilm,jeregardeTessa.–Est-cequ’ilrestedesgâteauxpourmoi?Ellelèvelesyeuxauciel.–Onn’aquandmêmepasmangéquatredouzainesdecookiesaudéjeuner.–Quatredouzaines?–Jet’avaisditquej’enferaisplus.–Non,tunel’aspasdit,c’estmoiquit’aidemandé.–Oui,ehbien…Ellehausselesépaules.–Chuuut!faitHaley,lesyeuxrivéssurl’écran.Je fixe Tessa pendant un moment ; elle croise mon regard brièvement avant de baisser les yeux.
Lorsqu’elle les relève, je hoche la tête vers la cuisine et avance dans cette direction tandis queTesss’extraitducanapépourmesuivre.
Avant que je puisse lui dire quoi que ce soit (lui demander comment s’est passé son rencard, parexemple,mêmesijen’aipastropenviedelesavoir),ellemedemande:
–Alors,c’étaitquoi,lapanne?Jem’adossecontrelecomptoir,lesjambescroisées.–C’étaitl’allumage,commeillepensait.Maisc’estbon,c’estréparé,dis-jeenattrapantuncookie
surlagrillederefroidissement.Maintenantquej’ailetempsdebienlaregarder,jeconstatequeHaleyneplaisantaitpasenparlantde
safameusejournéepyjama.Jehausseunsourcilavecungesteverssesvêtements.Elleporteunpantalonlargeencotonàmotifsd’hippocampesetundébardeurquidoitdaterdesesannéeslycée–voirecollège.L’ourletesteffiloché,etletissurâpéetmoulantnedissimulepasgrand-chosedesesformes.Enunéclair,je repense à son corps sous le tee-shirt rose pâle quand le tuyau a éclaté (le tee-shirt rose pâletransparent), et je suis contraint deme détourner un peu. Jeme racle la gorge et la taquine sur sonpantalon,d’unevoixquisonnefauxmêmeàmesoreilles.
–Ceshippocampes…Joli!Elleme lance une petite tape sur le ventre du revers de lamain en passant devantmoi pour aller
ouvrirleréfrigérateur.–Oh!laferme.Elleremplitunverredelaitqu’elleposedevantmoiavantderangerlabouteille.–Combiençavamecoûter?Jesecouelatêteavecungestedelamain.–Net’inquiètepaspourça.–Jason.–Tessa.Ellesoupireenroulantlesyeux.–S’ilteplaît,arrête.Dis-moilemontantdelafacture.–Environquatredouzainesdecookies.Je soutiens son regard lorsqu’elle me dévisage, la mâchoire serrée. Elle croise les bras, faisant
remontersapoitrine,etilnem’enfautpasdavantagepourmerappelerprécisémentlaformedesesseinstelsquejelesaiaperçussoussontee-shirt.Jerelèveimmédiatementlesyeuxverslessiens,maisellehaussedéjàlessourcils.Troptard.Merde.
Plutôtquedemenargueràcesujet,elledit:–Ehbien,jevaisavoirdumalàtepayer.C’estnotrerepasdumidi,tusais.–Trèsbien.Alors,disonstroisdouzainesdecookiesetunejournéepyjama?Ellebredouilleenécarquillantlesyeux.–Euh…,unequoi?D’ungeste,jedésignesonpyjamaàhippocampes,puisjepointelementonverslesalon.–Pyjama.Film.Cookies.–Ahoui.Oui,biensûr.De toute évidence, elle est unpeu troublée, et jemedemandebrièvement à quoi elle a cruque je
pensais.–Tuneretournespasencours?Jesaisquejedevrais.Jedevraispartir,sicen’estpourresteràjourdansmescours,aumoinspour
mettreladistancenécessaireentreTessaetmoi.Parcequ’encemoment,jenefaisquem’enfoncerplusprofondémentdansletrouquej’aicreusémoi-même.
Mais,aulieudem’enaller,jesecouelatête.–Non.JemeferaisbienunpetitRaiponce,aujourd’hui.CeFlynnRider,ilfaitvraimentrêver.Elleritettournelestalonspourserendredanslesalon.–Ahoui,tucraquespourlesgrandsetbeauxbrunsténébreux,toi,maintenant?Je la regardemarcher et remarque la façon dont ses hanches ondulent.BonDieu, j’ai vraiment un
problèmesijecommenceàtrouversonculsexysousunpyjamaàmotifshippocampes.–N’oubliepasimbudesapersonne,aussi,dis-je.–Donc,enfait,tuesattirépartonproprereflet,c’estça?–Oh!merci,Tess…Tumetrouvesbeau,alors?–Oh!çava.Toutl’ÉtatduMichigantetrouvebeau,cen’estpasunscoop.Sauf que là, ça vient de la petite sœur de mon meilleur ami…, de quelqu’un que je n’ai jamais
considéré autrement jusqu’à très récemment. Quelqu’un que je ne devrais toujours pas considérerautrement.
Tessaseblottitsurlecanapé,tireleplaidsurelle,etHaleylèvelesyeuxversmoi.–Assieds-toiàcôtédemoi,Jay!M’extirpantdemespensées,jem’exécuteetm’assoisàsadroite.Ellemetendunboutdecouverture,
puisfroncelessourcils.–Ilgratte,tonjean.Tudevraisêtreenpyjama.–Pardon,p’titbout,maisjen’aipasemportédepyjama.Tuasl’intentiondem’excluredevotrepetite
fête?Elleréfléchitquelquesinstants,lefrontplissécommesiellel’envisageaitréellement,puissecouela
tête.–Nan,tupeuxrester.Maistiens-toitranquille,hein?–Çamarche.D’un coupd’œil par-dessus sa petite tête, je vois les yeuxdeTessa braqués surmoi.Mon regard
descendsursaboucheet,pourjenesaisquelleraison,l’enviemeprenddemepencherpourgoûteràlasensationdeceslèvrespleinesentrelesmiennes,pourdécouvrirlegoûtdesalangue.Secouantlatête,jedirigemonregardverslatélépouressayerdegardermonself-control.
Sidésagréablequ’aitpuêtrelecoupdefilqueCadem’apassél’autrejour,j’avouequejenepeuxplusluienvouloir.Pasaveclespenséesquejenourrismaintenantpoursapetitesœurchérie.Etj’auraissûrement besoin d’une bonne piqûre de rappel, parce qu’apparemment, lemessage n’est pas passé lapremièrefois.
10
TESSA
–Maman,tatiePaigeestlà!Jepasselatêteparlecoindelacuisineetvoislavoituredemameilleureamieavancerdansl’allée.
Jevoisaussiunegaminedequatreanssurexcitéesautersurlescoussinsducanapé,sescheveuxvoletantautourd’elle.
–HaleyGrace,arrêtedesautersurcecanapé!Arrête.Toutdesuite.Ellesemetàbouder,faisantressortirsalèvreinférieuredefaçonpresquecomiqueavantdeselaisser
tombersurlescoussins.Jenelavoisplus,maisjelaconnaisassezpoursavoirqu’ellealesbrascroiséssurlapoitrine,leregardfuribond.Jeroulelesyeuxet,sachantquePaigeentrerasansattendrequejeluiouvre,retournedanslacuisinefinirdepréparerlerepaspournotresoiréefilleshebdomadaire.
Moinsd’uneminuteplustard,laported’entrées’ouvreengrinçantetj’entendslavoixdePaige.–Coucou,Haley.Ehbien,qu’est-cequit’estarrivépouravoirunesigrosselèvre?Elleabeauessayerderésister(etjesaisqu’elleessaiedetoutessesforces,têtuecommeelleest),
Haleyfinitbientôtparcraquer:sespetitsgrognementssetransformentviteenéclatsderire,etlarevoilàdebonnehumeur.
PendantquePaigedistraitHaley,jefinismatâche.Lesspaghettisquejevaisservir(oui,j’avoue,despâtes toutes prêtes avec une sauce en boîte) sont à mille lieues de ceux que Cade nous préparaitamoureusement en testant ses recettes, et je sens une fois encore qu’ilmemanque – bien plus que sacuisinegastronomique.Nousavonsskypéàdeuxreprisesdepuisl’histoiredutuyau.Chaquefois,jel’aitrouvéunpeubizarre.IlmeposaittoutletempsdesquestionssurJason,medemandantquandjel’avaisvupourladernièrefois.Jenesaispasquelleimpressionluifontmesréponses,etjedoisdirequecelam’inquiète un peu. Je suis terrifiée à l’idée que ce soudain intérêt pour Jason transparaisse dansmesdiscussionsavecmonfrère,plusqu’avecquiquecesoit.
–Coucou.Paigemetiredemespensées,etjeluisouris.–Coucou,toi.C’étaitcomment,lescours,aujourd’hui?–Horrible,commed’habitude.Ellepasselatêtepar-dessusmonépaulepourregarderlacasserole.–Jenesaispascequec’est,maisçasentbon.–Desspaghettis.Etsi tu trouvesqueçasentbon,c’estsignequetesexigencesontfiniparbaisser
depuisledépartdeCade.Elleaunpetitrire.–C’estvrai,tun’espasuncordon-bleu,jel’avoue.Avantquejeréplique,Haleyl’appelledepuislesalon.Paigemedécocheunpetitsourireencoinet
partjoueràlapoupée.Àvraidire,jesuisplutôtheureused’avoirunmomentpourrassemblerunpeumes
esprits avant de lui raconter ce quim’arrive.Nous n’entamons les vraies discussions qu’une fois queHaleyestcouchée,et,cesoir,ilsetrouvequecelam’arrangebien.
Engrandepartie,parcequejenesaispasvraimentcequejedoisluidire.Engrandepartie,parcequeje ne sais pas vraiment ce que je ressens. Je suis perdue, déboussolée ; j’espère quelque chose avecquelqu’undontjenesuismêmepassûrequ’ilexistetoutenvoulantquelquechoseaveclaseulepersonneavecquijenedevraispaslevouloir.
UnefoisHaleycouchée,Paigetapotelecoussinàcôtéd’ellesurlecanapéetjem’yinstalle,latêterenverséesurledossier.
–Tuasl’aircrevée,dit-elle.–Jesuiscrevée.–Plusqued’habitude?Qu’est-cequisepasse?J’aiunpetitriretriste.–Qu’est-cequinesepassepas,tuveuxdire?Jemefrottelesyeuxengrommelant.–Jesuis…complètementàcôtédemespompesetjenem’enétaisjamaisrenducompte.Commentai-
jefaitpournepaslevoir?–TuveuxdiredepuisledépartdeCade?–Oui.J’aiétévraimentbête,quandjelepoussaisàpartir,quandjeluidisaisdenepassesoucierde
cequisepasseraitlorsquejemeretrouveraistouteseule.J’étaistotalementàcôtédelaplaque.–Demonpointdevue,tutedébrouillespourtantsacrémentbien.–Maistun’aspasvuquandj’ailaisséHaleymangerquatregâteauxenguisededéjeuner,l’autrejour.–Jenevoistoujourspasoùestleproblème.J’expireàfondetdis:–J’ail’impressiondemedébattrepouryarriver,maisqueçanemarcherajamais.–Maissi.Donne-toijusteunpeudetemps.–Oui,c’estcequeJasonaditaussi.Ellehausseunsourcilenm’observant,mais,au lieudes’engouffrerdanscesujetcommeelleena
sûrementenvie,ellerépond:–Ehbien,ilaraison.Tuverras,çarentrerabientôtdansl’ordre.–Jel’espère.Parcequej’ail’impressiondefairen’importequoiavecHaley.–Oh!jet’enprie,arrête.Elleseraitparfaitementheureusesiellepouvaitjoueràlapoupéetoutela
journéeetmangerdesgâteauxenguisederepaslemidi.Jecroisquetut’enfaistouteunemontagnepourrien.
–Maisc’estça,leproblème.Jenesaispas…Certainsjours,jemedéfoncevraimentpourêtreunesupermaman,tucomprends?Pourmontrerquej’ensuiscapable.Etj’ail’impressionquejen’yarrivepas.
–Tess…Paigesecouela têteetsepenchepourmeserrerdanssesbras.J’acceptesonétreintesansrésister,
m’yabandonnantjusqu’àcequenousnousécartions.–Tuaimescettepetiteplusquetoutaumonde.Tuassuivilemeilleurcheminpourtetrouverunbon
boulot,stable,quigarantitvotresécurité.Tuasrenoncéàtesannéesdefolie,oùtun’avaisàtesoucierquedetapomme.Ettuasfaitçapourelle;alors,nemedispasquetun’espasunebonnemère.Tueslamamanlaplusgénialequejeconnaisse,etjesuisbienplacéepoursavoirquetutedébrouillesmieuxque
n’importequelleautrenanadevingt-deuxansavecunpetitdequatreans.Soisplusindulgenteavectoi-même.
Je luisourisquandellea terminésa tirade.VoilàpourquoiPaigeestmameilleureamiedepuiscescinqdernières années, depuis son arrivéedansun tout nouveau lycée, où elle est entrée comme si leslieuxluiappartenaientdéjà.
–Tuavaispréparétondiscoursavantdeveniroutuasimprovisé?Elleaunpetithaussementd’épaules.–Imprototale.Tusaisbienquej’enaidanslacervelle.Nous rions ensemble et jeme vautre un peu plus confortablement dans le canapé tandis que nous
boulottonslepaquetdechipsqu’elleaapporté.Nousmettonsensuiteunfilmet,unedizainedeminutesplustard,ellemelance:
–Aufait,tunem’aspasracontétonrencarddel’autresoir!Des souvenirs de cette soirée me reviennent brusquement à l’esprit ; sauf qu’il ne s’agit pas des
momentsavecGreg,maisplutôtdesquinzepetitesminutespasséesavecJasonsurlapistededanse.Jepousseungrognementettournematêtesurledossierducanapépourlaregarder.
–Oh!ças’estbienpassé.–Tune crois quandmêmepasque je vaisme contenter de cette réponse, dit-elle en riant. «Bien
passé»,engros,çaveutdirequec’étaithorribleouhorriblementchiant.Alors,lequeldesdeux?Jem’efforcedenepenserqu’auxmomentsavecGreg,nemesentantpasencoreprêteàdivulguertout
lereste.– Je ne sais pas. Écoute, je…, j’ai vraiment essayé. Et il est vraiment adorable. Il est venu me
chercher,m’aoffertdesfleurs.Jedésigne ladouzainede rosesgarnissantunvasesur la tablede lasalleàmanger. Jedéteste les
roses.Paigelesait,etelleplisseleneztoutenreposantleregardsurmoi.J’inspireàfondetpoursuis:– Ilm’aaidée àmettremonmanteau,m’a tenu lesportes ouvertes. Il a demandédes nouvelles de
Haley…–Bref,unvraiprincecharmant,quoi.–Oui,jesais.Saufque,quandjesuisaveclui,jenesensrien.Aucuneexcitation.Pasdepapillons
dansleventre.Nada.–Mmmh,jecroisquec’estuntrucchimique,ça.Ettusaiscommeçapeutêtrenul,aulit,quandonn’a
pascetruc-là.J’acquiesced’unhochementdetête,lalaissantcontinuer.–Ettusaisaussicommeonpeutprendresonpiedavecquelqu’unquandlachimiefonctionne.Ehbien, en fait, non, jene saispas.Lapetitepoignéedepartenairesque j’ai eusnem’ont jamais
transportée bien haut, à part le père de Haley, mon premier en tout, et encore, je pense que cetteexcitation,plusqu’àsapersonne,étaitdueaufaitquetoutcelaétaitnouveau.J’aitoujoursprésuméqueles problèmes éprouvés avec les garçons depuis lors étaient demon fait (des problèmes physiques àcausedelagrossesseoujenesaisquoi). Ilnem’est jamaisvenuà l’espritque, toutsimplement,nousn’étionspassexuellementcompatibles.
Jerepensealorsàcequej’aiéprouvésurlapisteavecJason,à lasensationdesoncorpsderrièremoi,solide,fort,àlafaçondontilm’envoyaitdesfrissonsdelatêtejusqu’auxorteils,sansoubliertouslespetitsendroitsentrelesdeux–desendroitsdanslesquelspersonnen’avaitsuscitéderéactiondepuisbienlongtemps.Etlui,ilm’afaitceteffet-làrienqu’endansant.
–Àquoitucogites,commeça?medemandePaige.Essayant de dissimuler le rouge qui me monte aux joues, je réprime mes dernières pensées et
réponds:–Jen’aijamaisconnuça.–Quoi?–Ça…Jene saispas…Cebesoindévorantd’êtreavecquelqu’un. Jen’ai jamais ressenti l’envie
incontrôlable d’arracher les fringues demonmec et de baiser par terre parce que je ne pouvais pasattendred’arriverjusqu’àlachambre.
Jusqu’àJason,medis-je.–Putain,baiserparterre,c’estcequejepréfère,moi.L’espaced’uneminute,unepetiteminute,jemesensjalousedemameilleureamie.Elleesttoutceque
jepensaisquejeseraisquandj’avaisseizeansetquejefantasmaissurmonavenir:lafac,lescopines,lesmecs.Sortirlevendredisoir,avoirlagueuledeboislelendemainmatin,êtresimplementjeune,quoi.Elleestcomplètementlibre.Aucuncompteàrendreàquiquecesoit.Etelleenprofiteàfond.Trèsvite,jemesenscoupabled’avoircesentimentdejalousie,car,sij’avaispuvivredecettemanière,jen’auraisjamaiseuHaley.
–Et,donc,tun’asjamaisressentiça?Lespapillonsdansleventre,quandmême?–Ilyalongtemps,oui.AvecNick.Maisjecroisquec’estparcequej’étaistrèsjeune,alorsquelui
avaitdel’expérience.Çadevaitêtredespapillonsnerveuxplutôtqu’euphoriques,àmonavis.–Etpasdepuis?Aucundesmecsquetuasrencontrésnet’afaitunpeufrissonner?Non,aucundeceuxquej’airencontrésrécemment.Çasembleréservéàceluiquejeconnaisdepuis
quejesuispetite.Remarquant l’expression de mon visage et la façon dont j’esquive sa question, elle pousse le
questionnement:–Oooh!…Quoi?Qui?Unmecd’Internet?Jericane.–Siseulementçapouvaitêtreça!–Maisqui,alors?BonDieu,vas-y,accouche!Elleattrapeuncoussinqu’ellesecollesurleventreenrebondissantsurlecanapé.–Oh!cen’estrien.Vraiment,jet’assure.Jesuisjuste…unpeudéboussolée,jecrois.Jefaistrop
d’effortsaveccesmecs,àespérerqueçacolle,alors,forcément,jemeretrouveattiréeparquelquechosedecomplètementdifférent.Etàcausedeça,voilàquejem’embarquedansuntripavecJason.Ondiraitquemonproprecerveauconspirecontremoi.
–Wouah,wouah,wouah!QueltripavecJason?Raconte!Elleseredressebrusquementetsepencheversmoi.–Qu’est-cequisepasse,machérie?Tuascouchéaveclui?Savoixdevientsuraiguë,etellem’agrippelebrasenlesecouantd’avantenarrière.–Bordel,siquelqu’unpeutt’enlevercesfoutuestoilesd’araignéedelàoùellessont,c’estbience
mec!Waouh!Elles’éventedelamainetselaissetomberenarrièresurlescoussins.–Bonsang,Paige!Jeladévisage,bouchebée.–Pourquoifaut-iltoutdesuitequetuimaginesquej’aicouchéaveclui?Tunepensesqu’àça,ma
parole.–Jenepeuxpasm’enempêcherquandjepenseàlui.IlestCanon,avecungrandC.Avecsonsourire
–ah,cespetitesfossettes!–etcecharmedécontracté!Leproblème,c’estqu’onsaittoutdesuitequ’onseferaitsauteretjeterl’instantd’aprèscommeunemalpropre.
–Dieuduciel…–Quoi,commesitun’avaispasremarquéàquelpointilestattirant,peut-être?Oulafaçondontilte
regarde,cesdernierstemps.À contrecœur, jem’apprête à approuver son opinion sur la séduction évidente de Jason quand la
deuxièmepartiedesonproposmemonteenfinaucerveau.–Attends…Qu’est-cequetuasdit?Surlafaçondontilmeregarde?Ellemefixeunmoment,puissesyeuxs’écarquillent.–NomdeDieu,tun’asréellementpasremarqué.Il est clair que je n’ai absolument rien remarqué à ce sujet, peut-être parce que j’ai été trop
préoccupéeparcequisepassaitdansmatêtedernièrement.–Non,jen’airienremarquédespécial.–Ehbien,jeteledis,moi:depuisquelquetemps,ilteregardedifféremment.Pasdefaçonperverse,
jeveuxdire,maisentoutcas,c’estsûrqu’ilyadudésir.–Et…depuiscombiendetemps?Ellehausselesépaules.–Jenesaispas…,deux,troismois?Franchement,j’étaispersuadéequetut’enétaisrenducompteet
quetupréféraisl’ignorer.C’estpourçaquejenet’enaijamaisparlé.Tuaimesbienmettrelatêtedanslesable,fairel’autruche.
Jeregardemesmainsensecouantlatête,nesachantquefairedecetteinformation.–OK,doncsitun’aspascouchéaveclui,queveux-tudirequandtuparlesdetripaveclui?Qu’est-
cequisepasse?–J’ai…,jenesaispas.Cesdernierstemps,j’aipasmalpenséàlui,différemment.DepuisqueCade
estparti,Jasonestsouventici.Environdeuxfoisparsemaine,ilvientvoirsitoutvabien,m’aideràfairecequ’ilpeut.
–C’estgentil.J’acquiesce.–Oui.Tutesouviensdel’histoiredemontuyau?Etpuis,l’autrejour,ilm’aaidéeàfaireréparerma
voiturequandelleesttombéeenpanne.PuisilasautésescoursetilestrestéavecHaleyetmoipourunejournéepyjama.
Àchaqueélémentquejeluidonne,sessourcilsremontentunpeuplushautsursonfront.–D’accord,etdonc…Jepousseungrandsoupir.–Etdonc,jenesaispas.Simplement,jepenseàluiunpeuautrementqu’entantquemeilleurpotede
monfrère.Etjenecroispasquecesoitunetrèsbonneidée.–C’estpeut-êtreceshistoiresdetoilesd’araignée,aussi.Lecôté«penseràlui»,jeveuxdire,pasle
côté«mauvaiseidée».–Tuvasarrêteraveccestoilesd’araignée,s’ilteplaît?–Oh!jedisçacommeça.N’empêchequ’ilseraitl’hommedelasituation.Etlespapillons,alors?
Est-cequetuenas,quandilestlà?
Elleposelaquestion,attendantdoncuneréponse,mais,àenjugerparsonexpression,ellesaitdéjàcequ’ilenest.
Mêmesijen’aiplusbesoindelefaire,jerépondsentoutehonnêteté:–Destonnes,çameretournecomplètement.–Ehbien,nousyvoilà!Fonce,mapoule!–Quoi?Commeça?–Commentça,«commeça»?Pasbesoind’enfairetoutunplat,Tess.Parfois,labaise,c’estjustede
labaise.– Bon, d’abord, tu sais très bien que ce n’est pas vrai. Pas pour moi. C’est fini. Pour toujours,
franchement.Etensuite,«justedelabaise»aveclemeilleuramidemonfrère?Tucroisvraimentqueceseraitunebonneidée?
–Écoute,j’imaginebienqueCadeseraitfurax,maisqu’est-cequ’onenaàfoutre?Ilvabienfalloirqu’ilfinisseparcouperlecordon,celui-là.Tuesuneadulteavecungosse!Ilmesemblequetuesassezgrandepourprendre tesdécisions toute seule,ycomprisencequiconcerne lesmecsque tu souhaitesmettredanstonlit.
Ellearaison.Biensûr.Sijelevoulais,jepourraisappelerJasontoutdesuite,l’inviterchezmoietm’ymettre.Maisoùest-cequeçamemènerait,auboutducompte?Ladernièrefoisquej’aifaitcela(oublierlaprudenceetmelancerdansunehistoireavecunbadboyjusteparcequ’ilmefaisaitfrémir),jemesuisretrouvéesuruncheminquejen’aiplusaucuneintentiond’emprunterdenouveau.
–Cen’estpaslegenred’hommequ’ilmefaut,Paige.–Qu’est-cequ’iltefaut,alors?–Quelqu’underesponsable.Stable.Quelqu’undeplusvieux,quisaitcequ’ilveut,cequiinclutune
vieavecunefemmequidébarqueavecuneviedefamille.–Donc,quelqu’uncommetonorthodontiste,chiantàmourir.–Écoute,je…,jecroisquejevaisluilaisserencoreunechance.Peut-êtrequej’étaisàcôtédemes
pompes?–Oupeut-êtrequetutebercesd’illusionsetquetuessaiesdet’enconvaincreparcequetuflippes
commeunebêtederessentirvraimentquelquechosepourquelqu’unquinecorrespondpasà tonpetitmodèleétriqué.Çan’apasbesoind’êtrelatotale,Tess.Tuasledroitdet’amuserunpeu,mêmesiçanetemènepasaumariage.
Ellelèveunemainenmevoyantfroncerlessourcils.–Bon,faiscequetuasàfaire.Vadoncàunautrerendez-vousoùtuparlerasdescoursdelaBourse
etduprixdupain.Etfais-moisignequandturetrouverasunpeudesenscommun.
11
JASON
Sijemecroyaisdéjàfoutuavant,lefaitd’avoirpassélajournéeavecHaleyetTessa,toutlemondevautrésurlecanapéàregarderdesfilmstoutelajournée,n’afaitqu’aggraverleschoses.Etmaintenant,jemesenscommeungrosdébile incapabledechasserune filledesespensées. Jepensemêmeàsonodeur,c’estdire !J’ai l’impressiond’êtreCadequand ilétaitcomplètementgagadevantWinter.Non,pire.J’ail’impressiond’êtreAdam.Cetimbécileatoujoursétéàlamercidesfemmes.
Etlepiredanstoutcela,c’estquejenepeuxmêmepasleurenparler,àl’unetàl’autre.AdammepousseraversTessaenm’énuméranttouteslesraisonspourlesquellesc’estunebonneidée,etCade…Seigneur.Jen’osemêmepasimaginercequeferaCade.
Voilàpourquoiilfautabsolumentquejem’ôteçadelatête.Lescours,çanemarchepas.Stressersurla catastrophe annoncée qui m’attend à la boîte de mon père ne m’aide pas beaucoup plus, et,malheureusement,n’aaucuneffetsurcequimechatouilledanslepantalon.
Cequ’il faudraitque je fasse, c’est appeler l’unedesdeuxdouzainesde fillesdont j’ai lenumérodansmontéléphone.Jedevraissortir,allerdansunbarettrouverquelqu’unpourmedistraire.Quelqu’unpourmefaireoubliertoutcequej’aisoudainementenvied’avoir.
Aulieudecela,jemejettedroitdanslagueuleduloup.Je me gare devant la maison de Tessa et regarde la grande baie vitrée devant moi. Derrière les
rideaux tirés, jevoisdesombresbougeantà l’intérieur,et, l’espaced’un instant, jesongeàm’enallersansluiparler.Sansfairecequej’aibesoindefaire,sansluidirecequim’envahitconstammentdepuisunmoment.
Mais,n’ayantjamaisétélâche,jeretirelesclésducontact,sorsdelavoitureetj’avanceverslaported’entréeenréfléchissantàdixmillefaçonsd’entamercetteconversationavecelle.
Quelleestlameilleuremanièrededireàunefillequevousconnaissezdepuislamoitiédevotreviequ’ellevoushantenuitet jour?Que,brusquement, jelavoisbienautrementquecommelapetitesœurcasse-piedsdemonmeilleurami?
J’inspire à fond, frappe à la porte et attendsqu’ellevienneouvrir. J’ai beaudisposerdequelquesinstantspourrassemblermesesprits,rienn’auraitpusuffireàmeprépareràcequejevoislorsqu’elleouvrelaporte.Elleporteunerobe–noire,cettefois–quiépousesoncorpstoutenlaissantsesépaulesetsesbrasdénudés,etnecouvrepassuffisammentsesjambes,saufsielleavaitprévudeportercelapourmoi.Elleadenouveauchangéquelquechoseàsacoiffuredepuisladernièrefoisoùjel’aivue,ilyadeuxoutroisjours:desmèchesviolettesparmisescheveuxbruns.J’adorequandelleestcoifféeainsi,lescheveuxsouplesetunpeuenbataille.C’estsexy.Commesiellevenaitjustedesortirdulit.CequimefaitautomatiquementpenseràTessadansunlit,lescheveuxétaléssurl’oreiller,avecjusteundrapfinsursoncorps;etçanem’aidepasvraiment.
Seslèvres–couvertesd’unrougevif–s’arrondissentdesurprisequandellemevoit,toutcommesesyeux.
–Jason!Qu’est-cequetufaislà?Jehausselesépaules.– Je passais par ici ; alors, jeme suis dit que j’allaism’arrêter dire bonjour.Tu sors ? dis-je en
désignantsarobe.–Euh…,oui.Oui.Enfin,jepensaissortir.Sontéléphonesemetàsonnerquelquepartàl’intérieur;elleouvregrandlaporteavantdedétaler
pourl’attraper.–Amanda!Salut!Non,maismercidemerappeleraussivite.Elle se tait uneminute, écoutant sa correspondante, puis elle affiche unemine désappointée etme
couleunbrefregardavantdeportersesyeuxailleurs,lesépaulesaffaissées.–Bien sûr. Jecomprends toutà fait.C’étaitvraimentde ladernièreminute,de toute façon.Merci,
bonnesoirée.Elleraccrocheetbalancesontéléphonesurlecanapéderrièreelleenégrenanttouslesjuronsdeson
répertoire.Perplexe,jeluidemande:–Qu’est-cequisepasse?Ellepousseunsoupiretsetournepourmeregarder.–Mababy-sitter a euune intoxicationalimentaire cet après-midi.Ellem’aappelée ily aunquart
d’heurepourmedirequ’ellenepourraitpasvenircesoir.Brusquement,ilmesemblequelameilleurechoseàfaireestderemettreàplustardlaconversation
quejevoulaisavoiravecelle.Pourquoinepasattendrequelquesheuresdeplus,quandj’aidéjàattendudessemaines?Desmois,même,pourêtretoutàfaitfranc.
–JepeuxgarderHaleysitudoissortir.–Je…Ellemeregarde,puissesyeuxdévientverslecouloirmenantàlachambredeHaley,oùjel’entends
jouer.–Jenesaispassiceseraitunebonneidée.Jefroncelessourcils.–Pourquoiça?Tun’aspasconfianceenmoi?–Non!Non,cen’estpasça,pasdutout.Biensûrquejetefaisconfiance,Jason.Ellesoupireencoreenévitantmonregard.–C’estjusteque…jenesuispassûreque…çamettraittoutlemondeàl’aise.–Quineseraitpasàl’aise?–Euh,toi.–Etpourquoiveux-tuquejenesoispasàl’aise?JepassepleindetempsavecHaley.Voyant qu’elle ne répond pas et qu’elle commence à se mordiller l’ongle du pouce, je décide
d’insister:–Tess,jenevoisabsolumentpasdequoituparles.Alors,crachelemorceau,s’ilteplaît.Ellebaisselesbraset,seredressantcommepourmieuxaffrontermaréaction,croisemonregard.–JesorsavecGreg.C’estpourçaquej’avaisbesoind’unebaby-sitter.Elleavaitraisondeseméfier,parcequejemeprendslanouvellecommeuncoupdepoingdansle
ventre.Pendantdesjours,jen’aifaitquepenseràelle,àcettesoiréesurlapiste,auxmomentspassés
avecelleetHaley,quandnousavonsenvoyépromenertoutesnosobligations,etjen’aicesséderéfléchiràlafaçondontjepourraism’yprendreavecelle.Jesuisvenucesoirdansl’intentiondetoutluidire,deluidemandersielleauraitenvied’essayer,endépitdesavertissementsdesonfrère.Mêmesijesaisquec’estunemauvaiseidée.
Pendant que je faisais tout cela, elle, elle faisait des projets pour revoir ce type chiant comme lapluie,quiestforcémentmieuxquemoipourelle.
Jeladévisage,bouchebée, toutenessayantdemecontrôler.Dèsquejemesenscapabledeparlersansrientrahiretd’afficheruncertaindétachement,jeluidis:
–Ehbien,vaàtonrendez-vous.Ellerelèvelatêteversmoi,lesyeuxrondscommedessoucoupes.–Ça…,çanetedérangepas?–Pourquoiveux-tuqueçamedérange,Tess?Mavoixestsourde,aussimaîtriséequej’ensuiscapable.–Maiscomme…l’autresoir…et…Ellesecouelatêteetrefermelaboucheavantdereprendre:–Rien.Oui,biensûr.Bon,situessûrque…Jeretiremonmanteauetlejettesurlecanapéenhaussantlesépaules.–Évidemmentquejesuissûr.Sonregardestattirépardes lumièresdephareséclairantsoudainlesalon,etellesedirigevers la
fenêtre.–C’estlui.JevaisdirebonnenuitàHaley.Moinsd’uneminuteplustard,onsonneàlaporte.J’ouvreetmeretrouvenezànezavecunénorme
bouquetdefleurs:desroses.JericaneintérieurementensongeantqueTesstrouvelesrosesringardes.Ellelesdéteste,même.
–Greg.Ilnefallaitpas.Lasurpriseselitsursonvisage,puisGregseressaisit,affichantlemêmesourirequ’ilavaitquandje
mesuisimmiscédansleurrencarddelasemainedernière.–Oh!Jason.Bonsoir.Pardon,jepensaisqueceseraitTessquiouvrirait.Jem’éloigneetm’assoissurlecanapé,lebrasétendusurledossier.–ElleestentraindedirebonnenuitàHaley.–Ah.Donc,tu…Saphrasedemeureensuspenssoussessourcilsrelevés.–JeresteavecHaley.Lababy-sitteraeuunempêchement.Ilplisselefront,tendantvisiblementl’oreilleverslecouloiroùl’onentendTessarappelerlesrègles
delasoiréeàsafille.– Elle n’avait pas besoin de t’appeler. Elle aurait pu annuler. Ou bien on serait restés ici. Tu as
sûrementautrechoseàfaire,j’imagine.–Non.Jesuistoujourslàpourelles.Dèsqu’ellesenontbesoin.Je soutiens longuement son regard ; maintenant, il est évident qu’il a enfin compris que je peux
constituerunemenacedanssarelationavecTess.Avant,mêmequandjel’aientraînéesurlapistepourdanser,ilnemeconsidéraitquecommel’amidesonfrère.Quelqu’undebienplusjeunequelui,moinsétablidanslavie,doncquelqu’unavecquiiln’étaitpasencompétition.
Maisça,c’étaitavantqu’ilsachequejefaisaisvraimentpartiedutableau.
TESSA
Jenesaispascequim’aprisd’accepterqueJasongardeHaley.Ilafalluquecesoitlapersonnequej’essaied’oublier,derefoulerdemonesprit,quirestechezmoicesoiralorsquejesorsavecl’hommeaveclequelj’essaiedecomblerlevide.
AprèsavoirsouhaitébonnenuitàHaleyetluiavoirdemandéd’êtrebiensage,jesorsdesachambreet retournedans lesalon.Jasonestvautrédans lecanapé,portraitvivantde ladécontraction,sonbrasétendusurledossieretlesjambesécartées,prenantautantdeplacequepossible.Gregsetienttoutraideprèsdelaporteetm’adresseunsourirecrispé.
–Salut,désolée,dis-jeenavançantverslui.Mababy-sitteraannuléàladernièreminute.–Oui,c’estcequeJasonvientdem’expliquer.Ilseraclelagorge,tandisquesesyeuxenregistrentlatenuequejeporte.Mêmesouslefeudeson
regardencetinstant,paslemoindrefrissonnetraversemoncorps.Entouteautrecirconstance,j’auraisignorécedétail;maisJasonétantarrivéquelquesminutesplustôt,ayantfaitexactementlamêmechose,etmoncorpsyayantréponduparunechairdepoulegénéralisée,ladifférenceentrecesdeuxhommesetl’effetqu’ilsmefontnepeutquemesauterauxyeux.Etmedéstabiliser.
–Tuprendstonmanteau?Notreréservationestpourseptheures.–Ohoui,biensûr.JemetourneetlanceunregardàJasonenpassantdevantlui.Sonlangagecorporeltraduittoujoursle
calmeetledésintérêt,maissonregardestacéréetnemelâchepasuninstantlorsquejetraverselapiècepourprendremonmanteauaccrochéderrièrelaporte.Aprèsl’avoirenfiléetprismonsac,jem’arrêteprèsdeGregetmetourneversJason.
–Jenerentreraipastard.Tuasmonportables’ilsepassequoiquecesoit.Ilhochelatête.–Prendstontemps.Lesmotssuivantsontbeaum’êtreadressés,c’estenregardantGregqu’illesprononce:–Jeserailàquandturentreras.Autondesavoix,quisonnequasimentcommeunavertissementàGreg,jemedemandecequiabien
pusepasserentreeuxquandj’étaisdanslachambreavecHaley.–Prête?demandeGreg.–Oui.Gregposelamainenbasdemondosetmeguideverslaporte,qu’ilouvredevantmoi.Avantqu’ilne
lareferme,jelanceundernierregardversJason,etl’intensitéquej’ytrouvemepoursuitlongtempsaprèsnotredépart.
12
JASON
Cen’est que lorsque la porte se refermeque jeme rends compte àquel pointmesmâchoires sontserrées. Je laissema têtebasculer enarrière sur le coussinducanapé. J’ai envied’attraper les fleursqu’ilalaisséessurlatabletteprèsdelaporteetdelesluifaireboufferaveclesépines.Jemefrottelevisageengrognant.J’auraisdûappelerKatieouJessouLaura.J’auraisdûsortiravec lespotesetmebourrerlagueule.J’auraisdûfairemilleautreschosesplutôtqued’allervoirTessa.
Parceque,maintenant,jemeretrouvecoincéicipourjenesaiscombiendetempspendantquelafillequim’obsèdedepuisdesmoissortavecunvieuxnaze.Leurimageaumomentoùilssortaientmerevientàl’esprit,leregardqu’ilm’ajetépar-dessussonépaulequandilsontfranchilaporte…
QuandilaposélamainsurTessaenlarapprochantdelui,j’aieuenviedeluipétertouslesdoigtsunpar un.Quand il l’emmenait, l’éloignant demoi. Parce que c’est exactement ce qui est en train de sepasser.S’ilnemeconsidéraitquecommeunamilorsquenousnoussommesrencontrés,ilestclairqu’ilamaintenantcomprisqu’iln’yapasquecela.Ilaenfinpigéquemaprésencedoitl’inquiéter.
Pirequederevoir l’imagedesamainposéesurTessa toutà l’heure, j’imaginesesdeuxmainssurelle, plus tard. Je sais qu’il s’agit de leur troisième rendez-vous, et, si j’ajoute à cela la robe et leschaussuresqu’elleamises,ilestévidentqu’ellecompteconclurecesoir.Quandj’ypense,j’aienviedem’arracherlesyeuxàlapetitecuillèrepournepasvoirça.
Unepetitevoixaiguëvientsoudainmetirerdemespensées.–Jay!Aumêmemoment,Haleysortdesachambreencourantàtoutevitesse(cettegaminenesaitrienfaire
doucement).J’aiàpeineletempsdemeprotégerlespartiesqu’ellemesautedessuscommeunebrutesurlecanapé.Arrivéesurmesgenoux,elleposelesmainssurmesépaules,levisagetropprèsdumienet,visiblementtrèsénervée,parlantbientropfort.
–Jesuistropcontentequecesoittoiquimegardespendantquemamanvadraguer!Viens,viens!Onvajoueràladînette.
Ellesautedemesgenouxetmeprendlamainpouressayerdemetirerducanapé,avectoutelaforcedesesquatreans.Jejouelejeuetlalaissem’entraînerdanslecouloir,puisdanssachambre,oùelleadéjàtoutpréparé.
–Quandas-tuinstallétoutça?–Là,toutdesuite,quandmamanm’aditqueturestaisici.Deuxcouvertssontdresséssursatableminiature.Elleavancepourmedonnerunechaise.Jehausseunsourciletfaisremarquer:–Ceneseraitpasplutôtàmoidefaireça?Elle rit et se tournevers sa cuisinière enplastiquependantque jepliemagrandecarcasse sur les
espèces de marchepieds qu’elle prend pour des fauteuils. Je sais pertinemment qu’avant la fin de lasoirée,cetrucvapéteretjemeretrouveraileculparterre.
–N’oubliepastonchapeau.–Monquoi?–Tonchapeau,dit-ellecommesic’étaitl’évidencemême.Ilfautporterunchapeaupourprendrele
thé.C’estlarègle.Jeregardel’endroitqu’ellemedésigne.Devantlelitsetrouveunepiledechapeauxviolets,rosevif
etjaunes.Jesuissûrquemonvisagedoittrahirlarépulsioninstinctivequej’éprouve.– Jenepeuxpasplutôtmettreunecasquettedebase-ball ? J’enaiunedansmavoiture.Çaneme
prendraqu’uneminute.Enunclind’œil,sonsouriresetransformeenairsévère.–Lescasquettesdebase-ballsontinterditesquandonprendlethé.Ilfautmettreundeceux-là.Ellecroiselesbrasentapotantdupiedd’agacement.–TontonCade,ilenmettaittoujoursun.Jericaneensecouantlatête.–Et jenemanqueraipasdele luirappeler laprochainefoisqueje luiparlerai.OK,donne-moi le
jaune,là.Jecroisqu’ilm’irabien.Ellehoche la tête avec leplusgrand sérieux et va le chercher avant de leposer surma tête et de
l’ajusterpourqu’ilsoitmisbiencommeilfaut.–C’estbon?–Ouais.Onpeutmanger,maintenant.Jeprendsl’assietteenplastiquedevantmoietlaporteàmeslèvres.–Non!Pascommeça!Lethé,d’abord.Etn’oubliepasdeleboireaveclepetitdoigtenl’air.–Monpetitdoigt?–Oui.–Pourquoi?Ellehausselesépaules.–Chaipas.C’estcequemamanaditàCade;alors,ilfautfairepareil.Je risetm’exécuteen la regardant s’affairerdedroiteàgauche,heureuxd’être làavecelle,parce
que,siquelqu’unpeutmefaireoublierTessaetcequ’ellefaitencemoment,c’estbiensafille.
TESSA
JenepensepasêtrejamaisalléedansunrestaurantaussichicqueceluioùGregm’aemmenée,etjenepensepasm’êtrejamaissentieaussipeuàmaplace.L’endroitestintime;ilnedoitpasyavoirplusd’unedouzainedetablesdanslasalle.Touteslestablessontéclairéesàlabougiepardeschandeliers.Lepersonnelestensmoking,etilyabientropdecouvertsdisposésdevantmoipourquejesachelesquelschoisir.
Jemesuissentiemalàl’aisedèsl’instantoùnoussommesentrés,etcettesensationnem’apasquittéedepuis.Rienn’yafait.Nilepainfraisavecunbeurresophistiquéqu’ilsontapporté,nilepotagemaisonnilasalade.Etmaintenantquelesplatsprincipauxsontdevantnoussurlatable,jemedemandesicettebouledansmonventredisparaîtraunjour.
Jedevraisêtreattentiveaubelhommeassisen facedemoiquim’entretientdesaffairesdumonde
depuis un quart d’heure. Or, je ne pense qu’à deux personnes, à l’autre bout de la ville, qui doiventdiscuterencemomentdelameilleurerobeàmettresurtelleoutellepoupée.
–Tessa?–Mmh?–Jetedemandaissitonplatétaitbon.–Ohoui!C’estdélicieux.Je regarde autour de nous, notant que cet endroit serait sûrement considéré comme le top du
romantisme par toute personne ayant unminimumde neurones.Apparemment, je ne dois pas en avoirbeaucoup.
–Cetendroitestvraiment…étonnant.Ilm’observe quelques instants avant de couper sa viande, présentée davantage comme uneœuvre
d’artquecommequelquechoseàmanger.–C’estunpeutrop,peut-être,dit-il.Jesecoueimmédiatementlatêteenlevantunemain.–Non,non,c’estvraimentbien.Ilsoupire.–C’estvrai,approuve-t-il.Seulement,çan’estpasfaitpourtoi.Jemetortilleunpeusurmachaiseetluisouris,l’airdésolé.–Jel’avoue,eneffet.Maisc’estsuper.Etlanourritureestexcellente.–Jesuisnavré.–Non,non,surtoutpas.C’estmafaute.Auboutdequelquesminutesdesilence,ilmedit:–Puis-jetedemanderquelquechose?–Biensûr.–Commentenvisages-tulasuite?Je toussote un peu, car je viens de boire une gorgée de vin, et me tamponne les lèvres avec ma
serviette.–Pardon?–Jepensequ’ilestinutiledeterappelerquec’estnotretroisièmerendez-vous.Habituellement,àce
stade,onauneidéeassezprécisedecequenousinspirel’autre.Jet’aimebeaucoup,Tessa.Beaucoup.Etj’aimeraisvoircequecelapeutdonner,mais,pourça,jenepeuxpasêtreleseulàlevouloir.Jeneveuxpastemettreaupieddumuretjeteprésentemesexcuses,parcequec’estexactementcequejesuisentraindefaire.Ilestclairquetuasvécubeaucoupdechosesdifficiles–bienplusquejen’enaivécumoi-même,malgrénotredifférenced’âge. Je l’ai bien compris. J’en suis conscient, et jeme senspleindebienveillance,prêtàattendres’illefaut.Maispassijen’airienàattendre.
Sa demande est légitime. Il a été franc sur le fait qu’il recherche activement quelqu’un avec quipartagersavie.Etc’estaussicequejerecherche.Quelqu’unpourdulongterme.Jeréfléchisàcequ’ilvientdedireet songequ’ilaentièrement raison.Àcestade, jedevraissavoir si j’aienvieounondecontinueraveccethomme.Et,enfait,jelesaistrèsbien.Jelesavaismêmeavantnotredeuxièmerendez-vous;maisj’étaistropbutéepourl’admettre.
Parcequelavéritéestbienpluseffrayantequecethommefiableetrassurantassisdevantmoi.–Tuesuntypeformidable,Greg.Ildoitsentirlesexcusesdansmavoix,carilpousseunprofondsoupirenhochantlatête.
–Voilà,c’estbiencequejepensais.–Jesuisdésolée,dis-je,peut-êtrepourlacentièmefoisdelasoirée.–Non,iln’yapasdequoil’être.Reprenantmesmotsdetoutàl’heure,ilcontinue:–C’estmafaute.Jemesuisobstinéàfairecommesiçapouvaitmarcher,alorsquejesentaisqueça
neseraitpaslecas.–Maisj’aivraimentappréciélesmomentspassésavectoi,tusais.Ilmesouritavecsincérité,et,unenouvellefois,jeregrettedenepasressentird’attirancepourlui.–Moiaussi.Nous passons le reste du dîner entre conversations artificielles et silences gênants. Lorsqu’il me
ramèneàlamaisonenmedisantqu’ilespèrequenousgarderonslecontact,jemensetluirépondsqueçameferaitplaisir,àmoiaussi.
Lesfenêtresdelamaisonsontplongéesdanslenoir.J’ouvrelaporteet,unefoisàl’intérieur,guetteun signedevie.N’entendant rien, je retiremes chaussures et lesgarde à lamain enmarchantdans lecouloir,verslachambredeHaley.Toutdoucement,j’entrouvresaporte.Moncœurfaitunbonddansmapoitrine en découvrant la scène que j’y trouve, et tous les papillons qui dormaient dans mon ventres’éveillentbrusquement.
Jason et Haley sont tous deux endormis sur son lit, ma petite chérie blottie sous son grand bras,épousantparfaitementleflancdeJason.Elleasoncostumedeprincesseaucomplet,letulledesaroberemontéauxgenoux,sesfauxescarpinsluitombantdespieds.Lediadèmequidevaitornersatêtereposemaintenantsur l’épauledeJason.Etsiun telspectaclemettraitdubaumeaucœurden’importequellemaman,cen’estpourtantpascequim’émeutleplus.Cequim’émeutleplus,c’estl’hommetropgranddontlesjambesdépassentdesbordsdulitdeHaley.Ilportel’undeschapeauxdecérémonieduthédeHaley,avecunboaàplumesrosevifautourducou;j’enailesoufflecoupé.
Cegenredescènen’estpourtantpasnouveaupourmoi.Quandjerentraistarddutravail,ouaprèsunesortieavecdesgarçonsouavecPaige,ilm’arrivaitdetrouverHaleyetCadeenlacésdelasorte.Etjemerappelleavoiralorspenséquejedonneraistoutpourtrouverunhommequiferaitcelaavecmafille.Quimettraitsavirilitéd’adultedecôtépendantuneheureetjoueraitàladînetteetàsedéguiseravecunepetitefillequileregardeavecadmiration.
Pendanttoutcetempsoùjel’aicherché,jelefaisaisdanslamauvaisedirection.J’essayaisdefairerentreruncubedansuntrourond,enquelquesorte.ParcequeGregabeauêtrestableetrassurant,jenel’imaginepasdu tout fairecegenredechose.Finalement,cethommeétait là,devantmoi,depuisbienlongtemps ; cette brusque prise de conscience m’ébranle littéralement, et je trébuche sur des jouetsabandonnésparterreenmedirigeantverslaporte,quejerefermesansbruitderrièremoi.
Unefoissortie,jem’adosseàlaportedeHaleyenfermantlesyeux,savourantcetterévélation.Maisjen’aiguèreletempsd’ypenser,carlaportes’ouvrebientôt,etJasonsortdelachambre,débarrassédesondéguisement. Il referme la porte et s’appuie contre lemur en facedemoi, les bras croisés sur sapoitrine.
Sa posture est détendue, comme elle l’était quand je suis partie, tout à l’heure,mais ses yeuxmescrutentcommes’ilcherchaitàsavoirquelquechose.Ilsmeparcourentdelatêtejusqu’àmespiedsnus,sansmanquerlesescarpinssuspendusàmesdoigts.Et,commeavant,j’ail’impressionquesesyeuxmecaressentàmesurequ’ilssedéplacentsurmoncorps,allumantquelquechoseenmoi.
–Alors,c’étaitcomment,cettesoirée?
Savoixestsourdeetunpeurauque,encoreendormie,etj’aidumalàadmettrecequecesonproduitsurmoi,qu’iléveillequelquechosedeprofondalorsquelecontactdirectd’autreshommesnem’apasfaitlequartdeceteffet.
Jepourraismentir.Jepourraisluidirequec’étaitformidable,queGregm’aemmenéedansunsuperrestaurantetquej’aipasséunebonnesoirée,maisjen’aipasenviedefairesemblant.Pascesoir.
–Pasterrible.–Pourquoiça?Jehausselesépaules.–Çanecollepasentrenous,c’esttout.Ilmedévisageunlongmomentavantdedire:–Pourquoicontinues-tuàsortiravecdestypescommeça,Tess?Auboutdequelquesinstants,lavérités’échappedemeslèvres.–Parcequejecroyaisquecegenred’hommesétaitcequ’ilmefallait.–Etmaintenant?Jeleregardeattentivement,desescheveuxenbatailleàsesyeuxnoisette,enpassantparsamâchoire
tailléeàlaserpeetlégèrementombréeparlarepoussedesabarbe;jesensmesgenouxfaiblir.–Maintenant…,jenesaisplustrop.Ils’écartedumurets’approchedemoi,siprèsquejesenssonsoufflesurmonépauledénudée.–As-tuseulementcruenluiunseulinstant?Renduemuetteparcetteproximité,jemecontentedesecouerlatêtedegaucheàdroite.D’unevoixencoreplussourde,ildit:–Est-cequ’ilt’aaumoinsrendueunpeuheureuse?Celapourraitsignifierdixmillechosesdifférentes.Celapourraitêtresurleplanintellectuel,affectif
ouphysique,mais peu importe ce que Jasonveut dire, parce quedans, tous les cas, la réponse est lamême:
–Non.Lemotsortd’unevoixrauque,d’unsoufflecourt,etjemedemandedepuisquandjesuiscommeça.
Depuisquandjesuisdecellesquiperdenttoutecontenanceàproximitéd’ungarçon.Ungarçonsexyendiable, certes, mais juste un garçon, quand même. Apparemment, ce n’était pas la meilleure idée dumondedelaissermonterlapressionjusqu’àcequ’ellesoitforcéed’exploser.
Iltendlamain,sesdoigtseffleurentmonépauleetjefrémis;lachairdepouleenvahittoutmoncorps,etlapointedemesseinsdurcitsouslesatindemarobe.
–Moi,jepourrais,dit-ilsibasquejel’entendsàpeine.Maisjel’aientendu.Jel’aientendu,etjeveuxexactementcequ’ilsuggère.–Jepourraisterendretrèsheureuse,Tessa.Ça,jen’endoutepas.LescompétencesdeJasonenlamatièren’ontjamaisétéremisesencause,et
ce,depuislelycée.–Est-cequetuveuxquejelefasse?Tun’asqu’unmotàdire,etjeleferai.Ilsepenche,seslèvreseffleurentmoncou,etmatêteheurtelemur,tandisquej’oubliel’existencede
meschaussuresquitombentàterre.Incapabledel’enlacer,depasserlesmainsdanssescheveuxoudel’attirerversmoi,jemecontentedeposermespaumescontrelemurderrièremoi.
–Dis-moi,Tess.Sonintonationestgrave,fragile,etc’estledésespoirquej’yperçoisquifinitparmefairecraquer.
–Oui,dis-jedansunmurmure,retrouvantenfinmavoix.
JASON
Àpeinea-t-elleprononcécemotquejemepenchesurelle,prenantsonvisageentremesmainspourposer mes lèvres sur les siennes. Et ces lèvres…Mon Dieu, quelles lèvres ! Douces et chaudes, etn’hésitantpasàrépondreauxmiennes.Poussantunrâle,j’avanceunpeuplusdanssabouche,coinçantsoncorpsentrelemuretmoi.Bonsang,cequec’estbon.Sesmainssedécollentenfindumurpourvenirsepressercontremesflancs,etj’enveuxencore,plus.Jeveuxlessentircontremapeau,partoutsurmoncorps.Jeveuxqu’elles’agrippe,qu’ellelutte,qu’ellemegriffe.Jeveuxlesmarquesdesesdentssurmonépaule, les tracesdesesonglesdansmondos. Jeveuxqu’ellegeigne,qu’ellegémisse,qu’ellehalète,qu’ellecriemonnom.Jeveuxm’enfoncerenelle,sentirlespulsationsdesonsexeautourdumien,voircommentelleestsousmoipendantquejelabaise.
J’écarte ma bouche de la sienne et fais glisser mes baisers sur sa joue, jusqu’à son oreille. Jeparcourscecheminavecmalangue,merégalantdesesgémissementsencourageants.
–Jusqu’où,Tess?Jusqu’oùes-tuprêteàalleravecmoi?–Quoi?J’adoreletimbreunpeuéraillédesavoix,lafaçonessouffléeetpresquedéboussoléedontelleme
répond. Comme si son cerveau n’était plus branché que sur les réponses de son corps. Comme si jel’avaistellementexcitéequ’ellen’arrivaitplusàcomprendreunequestionsimple.
Jem’écartepourlaregarderdanslesyeux.–Jusqu’oùveux-tuqueçaaille?Jepeuxt’emmenerdanstachambre?Sesyeuxs’écarquillentuninstant,paniqués.Jefrottesajoueduboutdemonpoucepourlarassurer.–OK,onoublielachambre,pasdeproblème.Jeneveuxpasteforcerlamain.Jeposeunpetitbaisersurseslèvres.–Lecouloirmevatrèsbien.Souriant,jemepenchepoursuçoterlachairtendredesoncou;satêtebasculeenarrière,tandisque
sesmainsm’attirentcontreelle.–Onnecouchepas,dit-elle.Jenesaispassic’estlefruitdemonimagination,maisj’ail’impressionqu’elleseforceàprononcer
cesmots,autantpourmeprévenirquepourselerappeleràelle-même.–Onnecouchepas,jerépèteenhochantlatête,mepenchantdéjàpourl’embrasserdenouveau.Voilà qu’elle m’imite maintenant, sa langue cherchant la mienne sans me laisser le temps de
l’approche.Lespetitsbruitsqu’ellefait, lafaçondontellebougesoncorpscontre lemienmedonnentuneérectioncommejen’enaipaseudepuislongtemps.Sansquejesachesic’estàcausedutaboudelasituation(parcequej’aienfinlapersonnequim’étaitinterditedepuislongtemps)ousic’estsimplementparcequec’estTess.
Àcausedenotredifférencedetaille,iln’estpastrèsaisédel’embrasseretdemefrottercontreelledelamanièrequiluiarrachedesgémissements.Jel’attrapedoncparl’arrièreduhautdescuissesetlasoulèvecontrelemurenguidantsesjambesautourdemeshanches.Unemaincaléesoussesfesses,jeremonte le longde sa cuisse avec l’autre, sansm’arrêter lorsque je rencontre le tissude sa robe trop
courte,maintenantremontéeautourdeseshanches.Jesaisquelaseulechosequimeséparedésormaisdesonsexeestlafinebandededentellequejesenssousmesdoigts.Cetteidéem’arracheungrognementetmefaitmefrottercontreelleencoreplusfort,meshanchescherchant lebonrythmepourappuyeroùilfautetluidonnerceàquoielleadroit.
Je suis doué pour ça, je l’ai toujours été. Trouver ce qui fait gémir, crier une femme, ce qui latransformeenunevéritablepoupéedechiffonsousmesmains.Cequi lafaitdécoller.Et j’aivraimentenviedelefairepourTessa,alorsque,souvent,jem’enfaisaisunesortededevoir.Commesilemoinsque je puisse faire pour les femmes qui acceptaient de ne passer qu’une nuit dans mon lit était dem’assurerqu’ellesyprennentdubontemps,pourlepeuqu’ellesyrestaient.
MaisavecTess…,c’estcomplètementdifférent.Premièrement,jeveuxbienplusqu’uneseulenuit.Jecroisquejepourraispasserdesjoursàétudiersoncorpssansm’enlasser.Deuxièmement,j’aienviedelafairejouir.Jeveuxluidonnerduplaisir,lavoirsepâmerdansmesbras,savoirquejesuisleseulàpouvoirluioffrirça.
J’aienviedelatoucherlàoùelleestdouce,chaudeetmouillée,deglissermamainsousletissudesaculotteetdelafairejouiravecmesdoigts.J’aienviedebaisserlehautdesarobe,deposerlabouchesursesseins,deluisucerlestétonsjusqu’àlafairecrier,maisjeneveuxpasluiforcerlamain.
Aulieudecela,j’attrapesesfessesdemesdeuxmainsetpressemonsexecontreelleenbougeant,etbientôt elle halète contremabouche, lespaupières lourdes et le regard enivré commeelleplonge sesyeux dans les miens. Elle remue contre moi de façon désordonnée, ayant depuis longtemps perdu lerythmeetsoncorpscherchantmaintenantladélivrancetantattendue.
Jemurmurecontreseslèvres:–Allez,mabelle,lâche-toi.Lâcheunpeu.Laisse-moitefairejouir.Malgrémesbonnesrésolutions,voilàquemamainremontelelongdesacuisseetquejeglissemon
poucesousletissudesapetiteculotte.Elleestsidouce,simouilléequej’aipeurd’éjaculerdansmonjeancommesij’étaisredevenuunadolescentinexpérimenté.
Elle se tend, ouvre la bouche, gémit.Enquelquesmouvements demonpouce sur son clitoris, ellejouit,latêterenversée,lecouoffert,lapoitrinehaletante.
Jedevraisêtregênéderessentirune tellesatisfactionà l’idéed’êtreceluiquiapufairecelapourelle,mais je ne laisse aucune place à la honte. J’adore le fait d’avoir pu lui donner du plaisir avecseulementquelquescaressesetquelquesbaisers.Quandjepenseàcequecepourraêtrequandj’auraiunlitàmadisposition,quandjepourraimeservirdemesmains,demalangueetdemonsexe,latêtemetournedéjà.
Normalement,c’estàcestadequejecommenceàsongeràmaprochaineconquête,m’ennuyantdéjàaveclafillequejeviensdefairejouir.MaislasimpleidéedenepaslerefaireavecTessmeserrelecœur.Etjemerendscompteavecinquiétudequejenem’ennuiepasdutout.Bienaucontraire.
Jem’imagine trèsbien faire ça avecelle tous les jourspendantunmois sansm’en lasser.Et c’estcarrémentflippant.
13
TESSA
Quand j’étaisplus jeune, j’ai euunbéguinpour Jason.Commentaurait-ilpuenêtre autrement ? Ilavait toutcequ’uneadopouvait attendred’unpetit ami. Il étaitplusvieux,avaitplusd’expérience. Ilétaitdrôle,incroyablementsexyetsavaits’amuser.Malheureusement,àcetteépoque,ilnemevoyaitquecommelapetitesœurennuyeusedesonmeilleurami.
Malgré tout, la petite bête tenace que j’étais déjà avait longtemps nourri le fantasme totalementirréalistequ’unjour,bientôt,ilviendraitversmoi.Ilserendraitcomptequenousétionsfaitsl’unpourl’autreet,unsoiroùilseraitavecCade,ilentreraitdansmachambreetm’embrasserait.Etnousserionsheureuxpourtoujours.
Aujourd’hui, jemedemandecomment j’aipuêtreaussinaïveet innocente,àfantasmerainsisurunsimplebaiser.
Toutchangealorsquej’entraiensecondeetquenousnousretrouvâmestousdanslemêmelycée.Là,jefusforcéed’assisterauspectacledeJasonparadantchaquejouravecunenouvellefilleàsonbras.Jelevoyaisdanslescouloirs,collantuneblonde,unebruneouunerousse(illesaimaittoutesautant)contreles casiers, les mains et les lèvres s’activant partout où elles le pouvaient, et j’en fus désespérée.Vraimentdévastée–enfin,autantqu’uneadodequatorzeanspuissel’êtrequandelleserendcomptequesoncœurabattupourlamauvaisepersonne.
Alors,j’aitracémonchemin.J’aicommencéàavoirdesvuessurd’autresgarçons,j’aientamédesconquêtes,et,finalement,j’aieu
monpremiercopaineteumonpremierbaiser.J’aioubliéJasonetsescopinesd’unjoursansplusjamaisregarderenarrière.
Mais même si, en surface, j’ai oublié tout cela, il semblerait que ces souvenirs n’aient jamaistotalementdisparu,parcequ’aujourd’hui,jemeretrouveallongéesurmonlit,assouvieparcethomme-làenpersonne,àmedirequ’iladéjàdûfairelamêmechoseavecunecentained’autresfillesavantmoi.Siçasetrouve,ill’amêmefaitpasplustardqu’hier.Etcetteidéemenoueleventre,faitpalpitermoncœuretmedessèchelabouche.
Parcequejeneveuxpasêtreunefilledeplusdanssalistedéjàbientropfournie.Jenesaiscomment,ilestsoudainpassédustatutdemecquejenevoulaispasàceluidemecqueje
voulais plus que tous les autres, et celame fiche une trouillemonumentale, surtout pour avoir été letémoindirectdesindiscrétionsdeJasonenlamatière.Ilsemblaitheureuxquandilestparti.Ilétaittoutsourire, pleindemotsgentils, etm’adit qu’ilm’appellerait demain ;mais je supposequ’il dit cela àtoutessesconquêtes.
Montéléphonevibresurmatabledenuit,metirantdemespensées.JesuisàlafoisdéçueetsoulagéedevoirlenomdePaiges’affichersurl’écranplutôtqueceluidugarçonauqueljepensais.
–Salut.–Merde,j’espéraisquetunerépondraispas.
Jeréprimeunrire.–Pourquoi?–Parcequej’espéraisquetuseraistropoccupéeàbaisercommeunebête.–Oh!Paige…–Quoi?C’étaitbienl’objectifdelasoirée,non?Letroisièmerencard?Tunevasquandmêmepas
medirequec’estpourmoiquetut’esfaitépilerleminou?J’aibeaunepasavoirvraimentcouchéce soir,quelqu’unaquandmêmepuenprofiter.La simple
idée du pouce de Jasonme frottant entre les jambesm’envoie de nouveaux picotements dans le bas-ventre.
–NomdeDieu.Tuasbaisé!–Jen’airiendit!–Oh!jet’enprie,tonsilenceenditplusquesituavaisparlé!–Commentça?Ignorantmaquestion,elleenchaîne:–Parcontre,iln’estquedixheuresettuesdéjàrentrée…Çaveutdirequelemecétaitunrapide,
non?–Franchement,Paige,jenecomprendspascommentfonctionnetoncerveau.–Maistum’aimesquandmême.–Engénéral,oui.–Allez, accouche.Raconte-moi tous les détails.Est-ce qu’il a une bite de cheval, aumoins, pour
rattrapersesautresdéfauts?–Seigneur.Maistuasvraimentunproblème,maparole!–Jenevoispasoùestleproblème.J’espèrejustequemacopineenaeupoursoncompte.–Pourêtrehonnête,jenesuispassûrequej’auraisenviedebaiseravecuntypequiauraitunebitede
cheval.Primo.Etarrêteunpeudeparlerdecul!Jen’aipascouché.–Non,maistuasquandmêmefaitquelquechose.Jelesens.–Arrêtetonchar.Onnepeutpassentirçaautéléphone.–Moi,si.Tuestoute…bizarre.Nerveuse.Etjet’imaginetoutàfaitcommeçaaprèslesexe,parce
que,pouruneraisonobscure,tupensesquetun’aspasdroitàça.Je pousse un long soupir. Elle neme lâchera pas tant que je n’aurai pas craché lemorceau, c’est
évident.–Écoute,jen’aipascouché,tum’entends?J’aijuste…faitautrechose.–Aaaah!Cequelquechosemeplaîtbien.Yaurait-ilunehistoiredelanguedanscequelquechose,
parhasard?–Non,pasdelangue.–Dedoigts,alors?–Mmm…,pasexactement.–BonDieu,Tess, il fautvraimentque je teposedixmillequestionsoubienvas-tumedirecequi
s’estpassé,àlafin?Jepourraisévitersesquestions,refuserd’yrépondre,mais,àvraidire,jesensquej’aibesoind’en
parleràquelqu’un.Fixantleplafond,jesoupireavantdelaisserlesmotssortirprécipitamment.–Jasonm’achaufféeàmortcontreunmur.–Tupeuxrépéter?
–MonDieu…C’estnul,non?Vraimentnul.Jen’arrivepasàcroirequej’aiefaitça.Jen’arrivepasàcroirequejel’aielaissémefaireça.Etjusteaprèsêtrerentréed’unrencardavecunautretype,enplus.Ilfautvraimentêtredégueulasse,non?Enfin,aumoinsonn’apascouché,c’estdéjàça.Jeluiaidittoutdesuite:«Onnecouchepas.»Maiscen’estquandmêmepasterrible,hein?Ilesttoujourssemblableàlui-même,iln’apaschangé.Mêmeensachantcela,jel’ailaissémeplaquercontreunmuretsefrottersurmoijusqu’àcequej’aieunorgasme.MonDieu…
Paigesetaitquelquesinstants,puis,commejenedisrien,ellemedemande:–Bon,çayest,tuasfini?–Jecrois,oui.–OK,alors,commençonsparleplusimportant:c’étaitbien?Je repense à la sensation que j’avais entre ses bras.À la taille de son torse contre lemien, à ses
muscles sous mes doigts. À l’envie que j’avais de passer sous son tee-shirt pour sentir sa peau. Jerepenseàsonsouffledansmoncou,surmapoitrine,surmeslèvresetdansmabouche.Àcequej’aisentiquand il se pressait contremoi, à son érection d’acier, à la facilité avec laquelle j’ai joui quand il asimplementpassélepoucesousmaculottepourappuyeruntoutpetitpeu.
–C’étaitgénial.–Ah!Tupeuxaumoinsadmettreça.Ceneserapeut-êtrepasaussidurquejelecroyais,alors.–Quoidonc?–Deteconvaincredeluilaisserunechanceavectoi.–Quelle chance,Paige ? Je te rappellequ’onparlede Jason.Dumecqui est tricardd’uncaféde
CenterAvenueparcequ’ilaétésurprisentraindesauterunefilledansleschiottes.Ilnes’agitpasdeGreg, qui cherchait activement quelqu’un avec qui avoir une relation sérieuse. Jason, lui, chercheactivementànepasavoirderelationsérieuseavecquiquecesoit.
–Oui,maislà,c’estavectoi.Jevoudraistellementcroirecequ’elledit.Maisjen’yarrivepas.–Çanecompterapasplus,Paige.–Qu’a-t-ilditavantdepartir?Jesoupireenmerappelantsesparoles,l’expressiondesonvisage,et,l’espaced’uninstant,unpetit
boutdemoinourritl’espoirque,peut-être,Paigen’apascomplètementtort.–Qu’ilm’appelleraitdemain.–Bon,ehbien,onverracequisepassedemain.
JASON
Jenesuismêmepasrentréchezmoiquelaculpabilitém’assailledéjà,s’installantdansmonventretel un poids surmon estomac. C’est pourtant la dernière chose que je voudrais éprouvermaintenant,surtoutaprèsavoirlaisséuneTessacombléechezelle.Ilauraitfacilementpuyavoirunsilencegênéouuneconversationmaladroiteaprèsnotrepetite séance,mais il n’en a rien été.Elle était heureuse, toutsourire,etjel’aiquittéesurunbaiserenpromettantdeluiparlerdemain.
Alors,sitoutallaitbienquandjesuisparti,pourquoicesentimentmeplombe-t-illeventre?Jesaisquejen’aipasprofitéd’elle.Jeluiaidonnénombred’occasionsdedirenon,d’arrêter,etjesaisqu’elle
enavaitautantenviequemoi;etpourtant,jemesensrongéparl’horribleimpressiond’avoirfaitquelquechosedemal.
Bon.Avouonsqu’iln’yapasbesoind’êtreungéniepourdevinerd’oùçavient.Laraison,c’estcesensdelaloyautéindéfectibleenversmonmeilleurami.Ilyadeuxsemaines,ilm’ademandédemeteniràdistanced’elle,et,aulieudel’écouter,aulieudefairemarchearrière,j’aiplaquésasœurcontreunmuretjel’aifaitjouir.Lefranginm’arracheraitlescouilless’ilsavaitça.
Letrajetretourestrapide,etjemegaresurmaplacedeparkingavantd’entrerdansmonimmeuble.Unefoisdansmonappartement,jebalancelescléssurlecomptoiretlancemonmanteausurunfauteuil.Conscient d’avoir besoin de me détendre avant de pouvoir dormir, j’attrape une bière dans leréfrigérateuretm’allongesurlecanapé.
Montéléphonesonnejusteaprèsquej’aiallumélatélé.Uncourtinstant,jepensequec’estpeut-êtreTessaquiappellepourmedirequenousavonsfaitunegraveerreur.Jen’oseavouercequecetteidéemefaitauniveaudelapoitrine.
L’écrandemonportableaffichelenomdeladernièrepersonneàquij’aienviedeparlermaintenant:la personnemêmeque j’ai l’impressiond’avoir trahie. Jepousseungrognement et bascule la tête surl’accoudoirducanapéenfermantlesyeux.Jen’aipasbesoindesavertissementsdeCadeoudetoutessesconneries de discours protecteurs en ce moment ; seulement, si je ne réponds pas, il appelleraprobablementTess,etjeneveuxpasqu’elleaitàaffrontercetappelencemoment.Jeneveuxpasqu’ilrisquededevinercequis’estpasséentrenous,mêmesiellenel’avouepasouvertement.
N’ayantguèred’autreschoix,jedécrochedonc.–Salut.–Salut,mec,quoideneuf?–Pasgrand-chose.Jeviensderentrer.–Déjà?Ilest,quoi,dixheures,chezvous?Çafaittôtpourtoi.–Oui,peut-être.–Tun’aspasréussiàemballerdanslesbars,cesoir?Sonintonationabeaun’êtreniméchanteniaccusatrice,jetiquequandmêmeenentendantsaremarque
etserrelesdentspournepasm’énerver.Cen’estpassafautes’ilmeconsidèretoujourscommeletypequiramèneunefillechezlui levendredi,etuneautrelesamedi.Cen’estpassafautes’iln’estpaslàpourvoircommejemeconduisdifféremmentavecTess.
Lorsquejemesenscapabledeparlersanstrahirlefaitquesaremarquem’apiquéauvif,jeréponds:–Enfait,jenesuispassorticesoir.J’étaischezTessa.Ilrestemuetquelquesinstants,etj’aienviedemetaperlatêtecontreunmurpourluiavoirseulement
ditça.J’auraisdûlaboucler.–ChezTessa?Ils’éclaircitlavoixet,affectantledétachement,c’estmalgrétoutd’unevoixtenduequ’ilmedit:–Qu’est-cequetufaisaislà-bas?J’estimepréférabledenepasluidirequej’aifaitjouirsasœurcontreunmuretchoisisplutôtdelui
communiqueruneautrepartiedelavérité.–JegardaisHaley.Tessavaitunrencardcesoir.Cesquelquesmotsfontresurgirenmoilesouvenirdecetypeaveclamainposéeenbasdesondos,
alorsqu’illaguidaithorsdelamaison…,loindemoi…,etjesensmonventresenouer.Sijemesenscommeunconaprèscequenousavonsfait,cequirestesûr,c’estquejeneveuxpluslavoirsortiravec
d’autrestypes.Ilexpirebruyamment,etjeperçoisclairementsonsoulagementauboutdelaligne.–Ahoui?Toujourscedentiste?–Orthodontiste.–Exact.Tul’asdéjàvu?–Ouaip.–Et?–Et…Jepousseunsoupiravantdeprendreunegorgéedebière.–Écoute,jenesaispas…Ilestchiantàmourir.Ettropvieuxpourelle.–Vieuxcomment?–Aumoinstrenteans,jepense.–Putain,marmonne-t-il.J’aibeausavoirquejenedevraispaslaisserCadecroirequeTessavoittoujourscemec,jeneveux
paslaisserpasserl’occasionqu’ilmefoutelapaixàcesujet(encequimeconcerne).–Tugardesunœilsurelle,hein?Jeréprimeunrire.–Ilfaudraitsavoir,Cade.Ladernièrefoisquetum’asappelé,tum’asquasimentengueulépourqueje
nel’approchepas.Maintenant,tuvoudraisquejegardeunœilsurelle.Alors,jefaisquoi?–Jeveuxquetuveillessurelle.Maisent’abstenantdeteservirdetabitepourça.–Écoute,monpote,Tessaestunegrandefille.Elleestcapabledeprendresesdécisionstouteseule.
Etsielleaenviedesetapercemecdetrenteansoudesemaqueravecungarsquineteplaîtpas,c’estsonchoix.Necomptepassurmoipourluifairepassertamorale.Jem’assurequ’elleestensécuritéetqu’ellevabien,jel’aidequandsavoituretombeenpanne,jegardeHaleyquandelleestcoincée,maissitu veux savoir ce qui se passe dans sa vie privée, demande-le-lui directement. Je ne ferai pasl’intermédiaire.
Ilrestemuetquelquesinstants.Lorsqu’ilrépondenfin,sesproposmesurprennent:–Tuasraison.Jesaisquejenedevraispasfaireça,maisc’estdurd’êtresiloinquandellepartdans
desrencardsaveccesconnardsqu’ellerencontresurInternet.Commentsavoirquic’est,cesmecs?Ellepourraittombersurdesminablesoudespsychopathes,etmoi,jenepeuxrienfaire.Jen’aipasl’habitudedenepasavoirdevisibilitésurlesgensqu’ellefréquente.
–Fais-luiunpeuconfiance.Tasœurn’estpasuneidiote.Cen’estpasnonpluscommesiellerecevaitunmailetpartaitrencontrerlemecdansunboislelendemain.Fais-luiconfiance,ellesaitcequ’ellefait.
Si ces mots correspondent à ce dont nous parlons, je voudrais vraiment qu’ils s’appliquent pluslargement,qu’ilscorrespondentaussiàcequenousvivons…,Tessaetmoi.
–Oui.C’estlecas.Jeluifaisconfiance.Quelqu’unparlealorsàCade–unevoixféminine–etilsemetàrire.–WintermeditdelaisserTessatranquilleetdeparlerd’autrechose.–J’aitoujourssuquec’étaitunefilleintelligente.Ilritdoucement.–Oui,c’estvrai.Alors,quoideneufpour toi?Commentsepassent tescours?Tuvaspasser ton
diplômecetteannéeouquoi?Lorsdenotredernièreconversation,j’étaistellementénervéparcequ’ilm’avaitditàproposdeTess
quejen’aimêmepasprislapeinedeluiparlerdel’ultimatumposéparmesparents.–Oui,jecroisbien.–Sansdéconner?Tuasenfinlevélevoilesurtonclassement,c’estça?Qu’est-cequit’adécidéàle
faire?–Ehbien,quandtesparentstedisentqu’ilstecoupentlesvivressitunetemagnespasletrain,onva
direqueçatemetunpeulapression.–Ilsontditça?–Ehoui.J’aiapprisçailyaunequinzainedejours,àtable.Jepassemondiplômeenjanvier,touten
secondantmonpèreàlaboîte,oubienjemefaisjeterdelafamille.–Sansblague,c’estvraimentleursconditions?–J’aijusteajoutélecôté«ontejettedelafamille»,maisilsn’ontpaseubesoindeledirepourque
cesoitvrai.Tusaiscommentilssont.Soislemeilleurouvatefairevoirailleurs.Tuimaginescequeceseraitpoureux,auclub,si leur fils faisaitautrechosequeporteruncostardcinq joursparsemaineetallerjoueraugolfdèsquel’occasionseprésente?
Ilsetaitquelquesinstants,puissoupire.–Pardon,monpote.–Pardonpourquoi?–Jemesensvraimentcon.–Ehbien,tuescon,maisj’ysuishabitué,depuisletemps.–Non,jesuissérieux.Tutedébatsavectoutcemerdier,etmoi,commeunconnard,jet’emmerdeen
tefaisantlamoraleàproposdeTess.–Net’enfaispaspourça.–Situveuxmonavis,jepensequetudevraislesenvoyersefairefoutre.–Oui,c’estcequetoutlemondemedit.J’aimerais beaucoup pouvoir le faire. Rien ne me ferait plus plaisir que de leur faire un bras
d’honneuravantdeleurtournerledos,m’enalleretnejamaisrevenir.Maislehic,c’estquejen’aipasgrandidanslemêmegenredemaisonqueTessaetCade.Jen’aipas
grandiauprèsdeparentsquim’aimaientd’unamourinconditionnel,quimepoussaientversmescentresd’intérêt, me soutenaient dans mes choix. J’ai grandi auprès de deux personnes qui se souciaientdavantagedel’imagequedonneraientmesdécisionsaucountry-clubquedecequiétaitbonpourmoi,decequimerendraitheureux.Etj’aibeauavoirpasséquelquesannéesàfairetoutcequejepouvaispourrepousserleslimites(enprenantlemaximumdetempspourretarderl’obtentiondemondiplômeetenmefaisant une réputation dont je savais qu’elle ne leur faisait guère honneur), j’ai toujours su que celas’arrêteraittôtoutard,qu’ilsfiniraientparselasser.Auboutducompte,malgrétoutcequ’ilsm’ontmissur ledos, toutes lesattentes inadaptéesqu’ilsontpourmoi, il se trouveque je rechercheencore leurapprobation. Surtoutmaintenant quemongrand-père (la seule personne de toutema famille àm’avoirjamaisditquejevalaisdavantagequecequejepouvaisfairepourquelqu’un)n’estpluslà.
Lefaitderechercherencoreleurapprobationestvraimentdébile,étantdonnéquejenel’obtiendraijamais.Jamaisjenecorrespondraiàl’imagedufilsparfaitqu’ilssesontforgée.
Jenel’aijamaisétéetjeneleseraijamais.
14
TESSA
Paige était tellement sûre d’elle hier soir au téléphone, quand elle me disait d’une voix pleined’assurance ce que je devais faire. J’aimerais avoir une telle confiance enmoi, ne serait-ce que cinqminutes. Il doit être très agréabled’être aussi sûredequelquechose. Jen’aipas connuçadepuisdeslustres. J’ai l’impression d’avoir systématiquement remis en question toutes mes décisions depuis cematindans lasalledebain ilyacinqans, lorsque jefixaisunbâtonnetblancquim’emmenaitversunavenirquejen’avaisjamaisenvisagé,dumoins,pasàdix-septans.
ToutcequejefaisdésormaisestliéplusoumoinsdeprèsàHaley:commentcelaval’affecter,sicela l’affecte…,sicela faitdemoiunepersonneestimableauxyeuxdemafille.Quedired’hiersoir,quandj’ailaisséunmecmefairejouircontreunmur?Évidemment,jenepeuxpasdirequej’ensoistrèsfièredecepointdevuelà,pasentantquemodèlepourelle.
Sic’étaitbonsurlemoment–etc’étaitmêmeextraordinaire–,jenepeuxtoutefoispasm’empêcherdemedemander s’il ne s’agissait pas d’une erreur.Pas sur le fait lui-même,mais sur lamanière.Onauraitpuattendreunpeu.Sortiruneoudeuxfoisensemble,apprendreàseconnaîtreautrementquelesamisquenoussommesdepuisquinzeans.Surtout,onauraitaumoinspuallerjusqu’ausalonplutôtquedefaireçacontrelemurdelachambredeHaley.
Jepousseunsoupiretfermelesyeuxpouressayerd’arrêterderessasser.Jenepeuxrienchangeràcequi s’estpasséhier soir.Mêmesiunepartiedemoisaitquec’étaitunpeu irresponsable…,uneautrefrémitencoreausouvenirdecemomentetsedemandequandnouspourronsrecommencer.
JebaisselesyeuxversHaley,pelotonnéecontremoidansmonlit,lajoueécraséecontremapoitrinetandis qu’elle regarde un dessin animé à la télévision.C’est notre petit rituel du samedimatin depuislongtemps. Au début, je faisais cela pour des raisons purement égoïstes : afin de pouvoir somnolerquelquesminutesdeplus,épuiséequej’étaisparmonrôledejeunemèrequisuivaitdescoursenmêmetemps. J’avoue qu’il m’arrive encore parfois de grappiller une petite demi-heure de sommeilsupplémentaire, mais c’est devenu différent avec le temps. Haley se montre toujours plus ouverte lematin,etencoreplusquandellecôtoiedespersonnagesd’animaux.C’estmonarmesecrètedemamanpourlafaireparlerdechosesqu’ellen’aborderaitpeut-êtrepasautrement.J’espèrequecelacontinueraquandelleseraplusgrande.
Une publicité remplace le dessin animé, détournant son attention de la télé, et elle se tourne pours’allongersurleventre,appuyéesursescoudes,enmeregardant.
–Qu’est-cequ’onfaitaujourd’hui,maman?J’écarteunemèchedecheveuxdesonvisage.–Jenesaispas.Qu’est-cequetuauraisenviedefaire,machérie?–Allermangerdesglaces!–Ildoitfairemoinscinqdegrésdehorsettuveuxallermangerdesglaces?–J’aitoujoursenviedemangerdesglaces.
Jerisdevantsonexpression.–Moiaussi.Maisjecroisqu’ilyaunetempêtedeprévueaujourd’hui;alors,onpourraitpeut-être
faireçadanslesalonplutôtquedesortir.J’aidelaglacevanille-caramel-chocolatdanslecongélateur,dis-jeavecunsourire.
Sesyeuxs’écarquillentenmêmetempsqu’ungrandsourireilluminesonvisage,etjeressensunéland’amourpourellepresquedouloureux.Elleestparfaite:lemeilleurdemoi,avecunformidablemélangedetraitsdepersonnalitéquin’appartiennentqu’àelle.
Quandj’aiunebaissedemoral,quandjesuisencolèreàcausedetoutcequejenefaispascommeilfaut,ilmesuffitdelaregarder,desimplementprendreletempsdelaregarder,parcequ’ellemerappelletoutcequej’airéussi,finalement.
–Onpeutfaireunejournéepyjamadanslesalonetfaireduméquillage?Jevaisessayerdepasteremettredurougeàlèvrespartoutsurlafigure.
Je ris encore etme dis que cette époquememanquera, quand elle parlera parfaitement bien et nevoudrapluspasserautantdetempsseuleavecmoi.
–Oui,onpeutfaireça.Peut-êtremêmequ’onpourratemettreduvernisauxonglesdepied.–Ouais!s’exclame-t-elleenselaissanttombersurledosetensetortillantd’excitation.Elles’immobilisesoudainavantdeseredresserbrusquement,relevantsapetitetêtetoutébouriffée,
sescheveuxluimasquantlamoitiéduvisage.–Est-cequeJaypeutveniraussi?Monbrassefigealorsquejem’apprêtaisàécarterencorelescheveuxdesesyeux.–Jenepensepasqu’ilaittrèsenvied’avoirduvernisàongles,tusais.–Onn’estpasobligésdefaireça,maisilpeutregarderdesfilmsavecnousetmangerdelaglaceet
du pop-corn, et peut-être me lire une histoire en faisant des voix rigolotes, et cette fois il pourraitapportersonpyjamaaulieud’unjeanquigratte.
J’avaisbeausavoirdepuistoujoursquetoutcequejeferaisdansmaviesocialeaffecteraitHaley,jereçois cette question comme une véritable gifle ; c’est exactement le genre de piqûre de rappel dontj’avaisbesoin.Haleyestdéjà impliquéedans cette relationavec Jason.Qu’il y ait ounonuneaffairesentimentaleentrenous,ilfaitdéjàtellementpartiedelaviedemafillequ’ellenepeutl’envisagersanslui.Elleleréclamequandiln’estpaslà,lecollequandilestlà;bref,ellel’adore.
J’espère juste que Paige a raison sur l’issue de la nuit dernière. Parce que, si mes actes ont desretombées,siquelquechosesepasseàcausedemeschoix,jeneseraipaslaseuleàenêtreaffectée.
Cela ne doit pas faire plus d’une demi-heure que je somnole quand Haley se met à s’agiter, mesignalantqu’ilyaencoreunepublicitéàlatélé.Ellesautesurlelitet tentedemechatouillerenriantcommeunefollequandilmesembleentendrequelquechose.D’unseulcoup,jesuisbienréveillée.
–Chut,mapuce.Tais-toiuneminute.Sonrires’éteintimmédiatement.Jetendsl’oreilleetn’entendsquelesondelapublicité.Lerestede
lamaisonestcalme.Dèsque jemedétendsànouveaudans le lit,elle recommenceàbondiretà rire.Cettefois,jesuissûred’avoirentenduunbruit.L’espaced’uninstant,jepanique.Toutmoncorpssetend,tandisquejemeprépareàattraperlabattedebase-balllaisséeparCadesousmonlit,àportéedemain.J’entendsalorslavoixdeJasonrésonnerdanslamaisonetmemetsàpaniquerpourunetoutautreraison.
–Ohé?–Jay!LesyeuxdeHaleysontaussigrandsquesonsourirependantqu’ellesautedemonlitpourseruerhors
demachambre.Jeportelevieuxdébardeurmiteuxetlepantalondepyjamadeflanelleaveclesquelsj’aidormi,etje
suiscertainequemescheveuxsontundésastre.Jenesuispasmaquilléeetnemesuismêmepasbrossélesdents.Repoussantd’ungestelescouvertures,jebondisdulitetmefaufiledanslasalledebainavantqueHaleyn’entraîneJasondanslecouloir.
Unseulregarddanslemiroirsuffitàconfirmermescraintes.Jepasselesdoigtsdansmescheveuxpourleurdonnerunsemblantd’ordre,puiseffacesommairementlesrestesdemascarasousmesyeux.Unbrefbaindebouche,unrapidecoupdebrosseàdents,etjeressorspoursuivrelebruitdesrires.Aulieudemachambre,oùjepensaisqueHaleyemmèneraitJasonpourluimontrersondessinanimépréféré,jelestrouvedanslacuisine.HaleyestperchéesuruntabouretetremuelesfessesenracontantunehistoireàJason.
Tandis qu’elle lui explique quelsmots commencent par la lettre qu’elle a apprise cette semaine àl’école, Jason regarde par-dessus sa petite tête, et nos regards se croisent. Ses yeux sont sombres,profondsetbraquéssurmoiavecunefolleintensité.
Lorsque j’étais seule avecmes pensées dansmon lit vide, hier soir, il était facile de balayermessentiments,demeconvaincrequej’avaisfaituneerreur.Quejeneressentaispasundésirsifouqueçaensaprésence.Quesondésiràluin’étaitpasaussiintensequejel’imaginais.
Maislà…,maintenant…,enlevoyantàtroismètresdemoi,avecceregardmedévorantcommedufeu…,jemerendscomptequejemementaisetquejesaistrèsbienfairesemblant.
Saufqueluinesembleavoiraucuneintentiondefairesemblant.
JASON
Sansmeposerplusdequestions,cematin,jemesuislevé,j’aiprisunedouche,jemesuisarrêtépouracheter les donuts que Haley adore et j’ai foncé chez Tessa. J’avais besoin de la voir, malgré toutel’appréhensionquej’éprouvais.J’avaisbeauavoirl’impressiond’êtreunvraichiot,jem’enfichais.
Mesparentspeuventbienm’enleverlepeud’indépendancequ’ilmereste,merefuserleschoixquejenourrissaispourmonavenir,saperl’espoirquej’avaisdefairelaseulechosequimeplaisait,maislà,jeveuxfaireça.Bêtement,égoïstement,maisc’estmonchoix.
Aprèsavoirfrappédeuxfoisàlaportesansobtenirderéponse,j’utilisemaclépourentrer,medisantqueTessdoitêtreoccupéeouqu’ellenem’entendpas.JelanceunbonjouretentendsbientôtlavoixdeHaleypuissespetitspasmartelerlesolducouloir.Elleselancedansmesjambes,alorsquej’entredanslacuisinepourydéposerlesdonuts.
–Coucou,p’titbout.Qu’est-cequevousfaisiez?–Rien.Tum’asapportéundonut?Jemepencheetouvrelentementlaboîtepourqu’ellepuisseenvoirl’intérieur.–Non.Jet’enaiapportédeux.Sesyeuxpétillent,etsabouches’ouvreenungrandsourire.Ellegrimpesurletabouretetcommence
às’attaqueraubeignetcouvertdechocolatetdevermicellesmulticolorestoutenmeracontantsasemaineà l’école et à la garderie, bien qu’ellem’en ait déjà parlé hier soir.Haley ne remarquemêmepas lemoment où samère entre dans la pièce, derrière elle, mais, quant à moi, je ne peuxm’empêcher de
releverlesyeux.Tessaalescheveuxenbatailleetestsexyendiableavecsesjouesunpeurouges.Enunclind’œil,jelaregardedelatêteauxpieds.Cequejeregrettepresqueaussitôtd’avoirfait,carellen’apasdesoutien-gorge,et lavuedesesseinspointantsousletissuélimédesonhautmedonneenviedehurleràlamort.Puisdelaplaquercontreunmuretderejouerlescénariodelanuitdernière,maiscettefoisjusqu’auboutdubout.
Ce n’est que lorsqueHaleyme tire sur lamain à plusieurs reprises que jeme souviens qu’il y aquelqu’und’autrequenousdeuxdanscettepièce,etquepenseràcequej’aienviedefaireauxseinsdeTessaesttoutàfaitinappropriéencetinstant,quoiquemaqueueenpense.
–Alors,dis?Secouant la tête pour recouvrermes esprits, je baisse les yeux versHaley et sa bouche pleine de
chocolat.–Euh,oui,biensûr.Jenesaismêmepasàquoijedisoui,maisilestclairque,detoutefaçon,jedisrarementnonàcette
petitepersonne.–Ouaaais!Ledernierseraaumilieu!Sansplusattendre,elledescenddesontabouretetdétaledelacuisine.–HaleyGrace,tunevaspasdansmonlitavantdet’êtrelavélesmainsetlafigure!crieTessadans
lecouloirendirectiondesafilleavantdeseretournerversmoi.Quand son regard se pose à nouveau sur moi, elle hausse les sourcils d’un air interrogateur. Je
panique un instant devant son expression de surprise, me demandant ce que j’ai bien pu promettre àHaley.
–J’aiditouiàquoi,là?Sa surprise semue en suspicion, puis en amusement, alors qu’un sourire naît sur son visage. Elle
croiselesbras(et,non,jeneregardemêmepascequecegestefaitàsesseins).–Tun’asriencaptédecequ’elledisait.–Hein?Qu’est-cequetudis?Elleéclatederireetsecouelatête.–C’estbiencequejepensais.Tuauraispudireouisiellet’avaitdemandéd’essayersonnouveau
maquillagesurtoioudetefriserlescheveux.–Pitié,dis-moiquecen’estpasça.–Ehbien,toutàl’heure,elleparlaitdetemettreduvernisauxonglesdepied,maisjeluiaiditquetu
risquaisdenepasêtrepartant.Tuasjusteacceptédeparticiperànotrepetitritueldusamedimatin.Je referme le couvercle de la boîte de donuts et avance vers Tessa. J’ai envie de la toucher, de
l’embrasseràenperdrehaleine,maisjenesaispastropoùnousensommes–sil’épisoded’hiersoirétaituncoupd’unsoirouledébutdequelquechose.Lepire,c’estquejenesaismêmepascequimefaitle plus peur entre ces deux possibilités. Je fourre le reste du donut dansma bouche, préférant ne paspenseràcelapourlemoment.
–Etc’estquoi,cerituel?Vousallezboiredusangdecochon?–Pire.OnvaregarderDisneyJuniortouscoincésdansunechambre.–Tachambreoulasienne?–Ilvautmieuxquecesoitdanslamienne.Sinon,çaferaitbeaucoupdemondesursonpetitlit.JepensealorsàTessaetmoidanssonlit…,seuls…,etcelasuffitàécarter tous lesdoutesque je
pouvaisavoirenmedemandantsijepréféraisquecequis’estproduithiersoitjusteuncoupd’unsoir,parcequeriennemefaitplusenviequel’idéedelavoirsousmoi,essouffléeetheureuse.
Jemepencheverselle,meslèvreseffleurantpresquelessiennes.–Jepréfèrenettementquecesoitdanslatienne,Tess.Maisàunautremomentetpourunetoutautre
raison.Ses yeux s’agrandissent un peu, sa bouche s’entrouvre légèrement, et je sais qu’elle se rappelle
précisémentcequenousavonsfaitdanslecouloirilyaquelquesheures.J’espèrequ’ellesesouvientduplaisirqu’elleaéprouvédansmesbras,parcequej’adorel’idéequ’ellepenseàmoidecettemanière…,ànousdecettemanière.
–Maman!Jay!Dépêchez-vous,çacommence!–Tuasentenducequ’elleadit?Ledernierseretrouveaumilieu.Surce,jedonneàTessaunepetitetapesurlesfessesetcoursdevantelledanslecouloir,jusqu’àsa
chambre.LepetitcorpsdeHaleyoccupebienplusdeplacequenécessairesurlematelas,etelletapotelaplaceàcôtéd’elle.
–T’asunpyjama?–Non,toujourspas,désolé.Ellepousseunsoupirtrèsexagéréenlevantlesyeuxauciel,aussibienqu’ellepuisselefaireduhaut
desesquatreans.–Bon,d’accord.Maisenlèveteschaussures,sinonmamanvasemettretrèsencolère.Alorsquejeretiremeschaussures,Tessasefaufiledanslachambreetbonditsurlelitenriant.Haley
sedressesursesgenouxenapplaudissantavantdememontrerdudoigt.–C’esttoiquiserasaumilieu,Jay!Ilyapeudetempsencore,j’auraisfaittoutautrechosedemonsamedimatinquerestercoincédans
unlitentredeuxfilles.Mais,aujourd’hui,ilsetrouvequejenevoispasdemeilleurefaçondepassercemoment.
Haleys’écartedulitet tape lacouvertureduplatde lamain,m’invitantàm’installer.Jehausseunsourcil en direction de Tessa, lui demandant ainsi la permission. Le fait qu’elle n’ait pas refusé lapropositiondeHaleydanslacuisine,puisqu’ellesesoitainsijetéesurlelitsembleindiquerqu’elleestpartante,maisjepréfèrem’enassurer.
Ellemesouritenhochantlégèrementlatête;jemontedoncsurlelitetyprendslaplacecentrale,oùjem’installeàmoitiésurTessaetHaley.
– Tu as raison : il est vraiment confortable. Et cet oreiller est si moelleux, dis-je en appuyantdoucementsurleventredeHaley,hilare.
–C’estpasunoreiller,Jay!C’estmoi!–Oh!Jevousprie,mademoiselle,debienvouloirmepardonner,dis-jeavecunaccentbritannique
caricatural.Ellepartdansdegrandséclatsderire.Toujoursàmoitiéallongésurelle,jebredouilleducharabia
aveccetaccent.Dèsqu’ellelepeut,ellesedégagedemonbrasposésurelle.Etàpeineai-jeletempsdebienm’installerqu’ellesefraieuncheminsousmonépaulepourvenirseblottircontremonflanc.Cettepetitefillem’atoujoursfaitcraquer.Depuissanaissance,àvraidire,mêmesij’aibeaucoupluttécontrecesentiment(a-t-ondéjàvuungarçondedix-neufanss’enticherd’unbébé?).
Maismaintenant,avecsonrirequirésonnecontremapoitrine…,quandjevoiscesgrandsyeuxbrunssi semblables aux miens levés vers moi…, une chaleur presque douloureuse m’étreint le cœur, et,
l’espaced’uninstant,jemedemandecequej’éprouveraissielleétaitàmoi.Siellesétaienttoutesdeuxàmoi.Etjemedemandes’ilnes’agiraitpaslàdecedontmongrand-pèreparlait toujours: legenredefamillequicomptevraiment.Legenredefamillequicompteplusquetout.
Depuisquej’aiatteintl’âgedefréquenterdesfemmes,jemesuisbattucontrecegenredelien,j’ailuttécontrecequepouvaitimpliquerd’êtreavecquelqu’unàcausedelatournurepriseparlecouplequeformentmesparents.Maisilsetrouvequejenepeuxpluslutteraujourd’hui;pascontreTessaetHaley.
Surtout,jemerendscomptequejen’aiaucuneenviedemebattrecontreça.
15
TESSA
–Non,maissansblague,vouscomptezvraimentpassertoutelajournéeaulit,commeça?Jasonparletoutbas.Ilmurmurecontremescheveux,etjeréprimeunfrisson.Voilàenvironuneheurequ’ilestarrivé.Uneheurepleinedecontactsphysiques,aveclesvibrations
desavoixsousunefinecouchedecoton,entremonoreilleetsapoitrine.SitôtqueHaleys’estblottiecontrelui,ilm’aattiréecontresonflancégalement,nousserranttoutesdeuxsanslâcherprise.Ilfautdirequejen’aiguèreopposéderésistance.
–Non,ilyatoujoursunmomentoùonvajusqu’àlacuisinepourprendreuntrucàmanger.–Ouais,delaglace!s’écrieHaleyenprojetantdangereusementlepoingenl’air.–Tuterendscomptequetul’asdéjàrendueaccroàlaglace?LesouffledeJasoncaressemonfront,etjedoismerappeleràl’ordre.Ralentir.Fairemarchearrière.
Paige pense que je peux simplement baiser pour baiser,mais pasmoi. Je n’en ai jamais été capable,mêmesi,parfois,j’auraisbienaiméprofiterseulementdel’aspectlibérateurduliencharnel.Seulement,que je leveuilleounon, lesexem’embarque toujoursdansdes turbulencesémotionnelles,et,vunotrehistoire…,vulaproximitéquej’aidéjàavecJason,jenesaispascequidécouleraitd’unenuitpasséeaveclui.
Lesnœudsquimetordentl’estomacmeprouventsuffisammentàquelpointj’aipeurdetoutcela.Sentantquej’aibesoind’air,jeprofitedecetteexcusepourmetirerdulit.Jasontressautequandje
piquesonflancdudoigtenluidisant:–Mieuxvautêtreaccroàlaglacequ’auvin.Jeme lève et sors de la chambre, direction la cuisine.L’horloge dumicro-ondes indique qu’il est
presquemidi;j’attrapetoutcequ’ilmefautpourfairedessandwichespourtoutlemonde.Onnepeutpasnonplusmangerdesglacesoudescookiesenguisededéjeunertouslesjours.
Jasonnetardepasàmerejoindredanslacuisine,sansHaleysursestalons.–Commentas-tufaitpourt’échapper?–Oh!ilyavaituntrucsuruneprincesseSophiequicommençait,jecrois.–Ah!princesseSofia.Ellel’adore,celle-là.J’étaleunecouchedemayonnaisesurtroistranchesdepain,puislesgarnisdejambonetdefromage.
Jasonneditriendeplus,mais,auboutdequelquessecondesseulement,jesensquemoncorpsestenfeu.Sans lesentirvraiment, jesaissans l’ombred’undoutequ’iladûserapprocherdemoi.Lanuquemepicote, la chair de poule m’envahit. Lorsque mes tétons se mettent à pointer sous le tissu de mondébardeur,jemerappellesoudainquejeneportepasdesoutien-gorge.
Ilsepencheversmoi,etjesenslachaleurdesonsoufflesurmanuque,exposéeàluiparmacoupedecheveux courte. Je ferme les yeux, imaginant la suite. Quelle suite ? Je ne sais pas. Ses lèvres ? Salangue?Sesparoles?
Jeveuxtoutça.N’importelequeldestrois,oulestroisensemble.
Commeriennevient,jen’ytiensplus.Jelâchecequejefaisaisetposemesmainspourm’appuyersurlecomptoirtandisquejepenchelatête,lesyeuxfermés.
–Qu’est-cequ’onfait,Jason?Mavoixn’estqu’unmurmureàpeineaudible,maisilm’entend.Sijedevinaisauparavantsaprésence
prèsdemoi,jelasensmaintenantclairement.Ilfaitunpetitpasenavant,soncorpsfrôlantlemien,etjedois bien avouer que cette sensation est enivrante.Qu’ilest enivrant. Il sent unmélange de savon, delessiveavecunsoupçond’eaudetoilette–riendetrèsfort.Cetteodeurestlégère,fraîche,etenveloppeJasond’uneffluvequimemetl’eauàlabouche.
–Jeferaicequetuvoudras,Tess.–Cen’estpasjuste.Jeneveuxpasêtrelaseuleàdécider.–Cenepeutêtrequetoi.Jesaiscommentjesuis;onlesaittouslesdeux.Situmedemandesmon
avis,tucroisquejenevaispast’emmenerdirectementaulit?Mêmesitutrouvesquec’estunemauvaiseidée?Jeveuxquetusoissûre.J’aienviedetoi,Tess,n’endoutepasuninstant.J’aienviedetoidepuisdesmois;jel’accepteenfin.Maisilfautquetuenaiesenvieautantquemoi.
Avant que je puisse répondre, avant même que je puisse penser à quoi que ce soit, sa chaleurs’évanouit,etlavoixdemafillerésonnedanslacuisine.
–Youpi,dufromageetdujambon!Onpeutavoirdeschips,aussi?Ilmefautquelquesinstantsavantdepouvoirarticuleruneréponse.–Situmangestescarottes,d’accord.Ellehochelatêteavecenthousiasmeets’installeàtableàcôtédeJason,maisjesuisincapabledele
regarder.Jedoisavoirlesjouescramoisies,unevaguedechaleurétantmontéeenmoienentendantsesparoles(pleinesd’honnêtetéetdeclartésurcequ’ilveut).
Enl’occurrence,moi.Jem’affaireavectoutcequejepeuxpouréviterd’avoiràcroisersonregard,parcequejesaisqueje
perdrai pied si je tombe sur ses beaux yeux bruns – étonnamment semblables à ceux de ma fille,d’ailleurs.Etilaraison:lasuitedoitdépendredemoi.
Saufquejenesuispassûred’êtreprêteàsauterlepas.Laneigetombeabondamment,engrosfloconstelsqu’onn’envoitqu’uneoudeuxfoisparsaison,qui
tiennent au sol. En dépit de leur accumulation, c’est une belle journée, même si l’hiver est arrivéexceptionnellement tôt cette année, avecune températureavoisinant zérodegré,parfaitepour fairedesbonshommesdeneigeetdesbataillesdeboulesdeneige.
Jene saispas si Jasona sentique j’avaisbesoind’unpeude tempspourmoi,ou s’il est restéungamindansl’âmemalgrésesvingt-quatreans,maisilaproposéd’emmenerHaleydehorspourqu’ellepuisse y déverser cette énergie infinie qu’elle a en elle. Il s’est occupé de la préparer, la couvrantd’habitschaudsdelatêteauxpieds,puisill’aemmenéedehorspourrevenirmoinsdecinqminutesplustard, Haley ayant oublié d’aller faire pipi. Il s’est montré patient, sans s’énerver des dix minutessupplémentairesdedéshabillage-rhabillageimposéesparl’opération.Etilssontrepartis.
Voilà bientôt une heure qu’ils sont sortis, et je suis toujours figée sur place devant l’évier de lacuisine,àregarderlejardin,oùj’entendslesriresaigusdemafillesuivisdeséclatsplusgravesdeceuxdeJason.Commehiersoir,quandjel’aitrouvépelotonnéavecHaleysursonlit,cegenredescènen’ariendenouveaupourmoi :CadeemmenaitHaley jouerdehorsdèsqu’ily avaitde laneige.C’est sasaisonpréférée,mêmelorsqu’ilfaitgrandfroid.Maisilyaquelquechosedenouveaudanslascènequisejouedevantmoi.Etcelaemplitmoncœurd’unechaleuràlaquellejenem’attendaispas,unechaleur
quejen’auraisjamaissoupçonnéequandJasonacommencéàpasserplusdetempsavecnousaprèsledépartdeCade.
Je repense à son attitude depuis ces cinq derniersmois et lamets en perspective avec ce que jeconnaisdeluidepuisquinzeans.Ilaétéd’unsoutienconstantetindéfectible.Etilestévidentqu’ilestfoudeHaley.Mapetitepuce l’a tellementensorceléqu’enunseulbattementdeses longscils,elle luiferaitfairen’importequoi.
LesparolesdePaigemereviennentenmémoire,merappelantquel’attirancedeJasonpourmoinedatepasd’hier.Selonelle,ilmeregardedifféremmentdepuisdesmoisdéjà.Cequ’ilm’aconfirmécematinmême.
Àunmomentdonné,j’aicommencéàleregarderdifféremment,moiaussi.Malgrétout,jesuisencoresurladéfensive.Ce ne sont pas quelques mois d’un comportement différent qui suffisent à effacer les années
précédentes.Desannéespleinesdefilles,decoupsd’unsoir(mêmesijenelejugepaspourça).Ilnes’estjamaisengagéavecaucunedecesfemmes,n’ajamaisbaratinépersonne.Alors,tantmieuxsiçaluiconvenait.Seulement,çanemeconvientpas,àmoi,etj’aipeurqu’ilnes’agissequed’unepassade,dequelque chose qui ne marchera pas. Où est-ce que ça me mènera, ensuite ? Où est-ce que ça nousmènera?Parcequej’aibeauavoirtrèsenviedeprendreunedécisionbaséeuniquementsurcequemoncorpsmedicte,jedoisprendreencompteuneautrepersonne,dansl’histoire.Uneautrepersonnequiensubiralesconséquencessijamaistoutcelaseterminemal.
Pourtant, en les regardant jouer ensemble dans la neige, Jason courant devant Haley, mais assezlentementpourqu’ellepuisselerattraper,jemedisqu’ilneseraitpaslàsansyavoirmûrementréfléchi.IlnesepermettraitpasdeblesserHaleyainsi,et,après le tempsqu’ilapasséavecnouscesderniersmois,ildoitbiensavoircombiencelal’affecterait.
Haleyluilanceunepetitebouledeneiged’ungestefaibleetmaladroit,maisJasons’écrouleàterrecommes’ilvenaitderecevoirunobusenpleinepoitrine.Unesecondeplustard,ellesejettesurlui,latêtebasculéeenarrièredansunimmenseéclatderirecommeseulslesenfantspeuventenavoir.Elleestsiheureuse,sidébordanted’amour.PourJason.À la façondontsonrire rejointceluidemafille,à lafaçondontillasoulèvedanslesairsetluisourit,ilestclairquecesentimentestréciproque.
C’estlà,àcetinstantprécis,quejeprendsconscienced’êtrevraimentdansdebeauxdraps.–Commentfait-ellepournepasêtrefatiguée?Jasonest vautré sur le canapé, la têteposée surun coussin.Après avoirpasséuneheure et demie
dehors,ilssontrentrésseréchaufferdelamêmemanièrequejelefaisaisquandj’étaispetite:avecunchocolatchaud.Dèsqu’ilsonteuterminé,Haleyl’aembarquépourunthé-dînette,suiviparunepartiesurvoltée (ou plutôt sept) deMarioKart.Maintenant,malgré tous leurs jeux de plein air et l’activitéincessanteàl’intérieur,Haleyestencoreexcitéecommeunepuce.
–C’estlefaitdesavoirqu’onestenfermés,qu’onnepourraitpassortirmêmesionlevoulait.Jejetteunœilparlafenêtre.Laneigetombetoujours;lesbeauxfloconsdudébutdejournéesesont
transformésenunetempêteblanchâtre.Leventsouffle,etlesolestmaintenantrecouvertdeplusdetrentecentimètresdeneige.
–Ehbien,moi,jesuisprêtàfaireunesieste,marmonneJasonenfermantlespaupières.–Nan,pasdesieste!s’écrieHaleyencourantenrondautourducanapé.–Voilàcequec’estd’apporterdesdonutsaupetit-déj,dis-jeàJason.Tunepeuxt’enprendrequ’à
toi-même.–Ahoui,etcechocolatchaudavecvingt-septguimauvesetunesucetten’ysontpourrien,peut-être?Jesouris.–C’estlatradition.C’estcequemamèrenousdonnaitquandonrentraitaprèsavoirjouédehors.Iltourneversmoisatêtetoujoursposéesurlecoussin.–Oui,jemesouviens.Savoixestdouce,teintéed’unepointedemélancolie.IlabeaunepasêtredelafamilleMaxwell,ne
pasavoirvécudanscettemaison,ilaquandmêmepasmalcomptésurmesparents–mamère,surtout–,parcequelessiensétaientvraimentnulsaveclui.C’estagréabled’avoircessouvenirsencommun,denepas avoir à raconter les petits détails d’autrefois pour convaincre quelqu’un que mes parents étaientgéniaux.Illesaitdéjà.Ilsaitdéjàtantdechoses.
–Onjoueàunjeu?JesoupireenregardantHaley.–Ilvabientôtêtrel’heuredesecoucher,mapuce.Lavoilàquigrimace,faisantressortirsalèvreinférieure.–Allez.Justeunjeu?–Oui,justeunjeu?l’imiteJasonenfaisantlamouecommeelle.Jeleregardeenplissantlesyeux.–Jecroyaisquetuvoulaisfairelasieste,toi?–Plusviteonaurajouéàcejeu,plusvitejepourrailafaire.–Ouaaais!Haleyprendcelapouruneréponsepositiveetlèvelespoingsenl’airavantdecourirdanslecouloir,
oùtouslesjeuxsontrangésdansunplacard.Quandellerevientversnous,unimmensesouriresurlevisageetuneboîteblancheimpriméedegros
caractèresetdegrandsrondsrouges,verts,bleusetjaunesentrelesmains,Jasonmeregardeavecunairinterrogateur sur lequel je ne peuxmeméprendre. Il sait aussi bien quemoi que cela n’aidera pas àéteindrelachimiequinousattirel’unversl’autre.Enacceptantdejoueràcejeu,jemejettedroitdanslagueuleduloup.
JASON
–Piedgauchesurlevert,annonceTessaàHaleyenécartantlescheveuxdesonvisage.Voilàcommentsepassemonsamedisoir.Pasavecunconcoursdebière,dedragueouunstrip-poker.ÀfaireunTwister.EtmêmepasunTwisterdéshabilléavecungroupedepotes.Nousysommesdepuisunquartd’heure.Unquartd’heuredesupplice,où j’aià la fois tropetpas
assez senti lecontactdeTessa surmoi.QuandHaleyadébouléavecce jeuplutôtquen’importequelautre qu’elle aurait pu choisir, j’ai tout de suite su ce qui arriverait si nous y jouions. Tessa et moisommesdéjàcomplètementallumésennoustrouvantauxdeuxboutsopposésd’unepièce;alors,mettez-noustouslesdeuxsurunpetittapis,ànouspencheretnouscontorsionnerdanstouslessens,etc’estlafin.J’aidûmeretenirunnombreincalculabledefoisdemepencheretdemordrececulquinecessedeseretrouversousmonnez.Laseulechosequim’enaempêché,c’estcetteadorablepetiteempêcheuse-
de-banderdequatreans,quis’éclatecommeunefolle.Suivantlaconsignedesamère,Haleys’étire,essayantd’atteindreunepastilleverte,maislepointle
plusprochen’estpasprochedutout,etelletombesurletapisengrognantavantd’éclaterderireetensemontrantétonnammentbonneperdante.
–C’estmoiquifaistournerlaflèche!Maman,ilfautquetubattesJay,hein!Elles’agenouilleàcôtédutapisdejeuenrebondissantdehautenbassursestalonsetfaittournerla
flèche.Tessafixelagirouette,attendantqu’ellecessedetourner.Lorsquelaflèches’arrête,ellearboreunsouriresatisfait,puisdéplaceaisémentsamainversunepastillebleue.
J’aimoinsdechance(oudavantage,selonlepointdevue).Le tour lancéparHaleyindiqueque jedois poser mamain droite sur du rouge, c’est-à-dire de l’autre côté du tapis. Je bouge prudemment,veillantànepastomber,etposemamainàterrepar-dessusTessa,dontledoseffleuremapoitrine.ElleaprisunedouchependantqueHaleyetmoijouionsdanslaneige,etleparfumdesonshampoingm’envahit–cemêmeparfumquejesensquandellemecoupelescheveuxetquimehanteensuitedesjoursdurant.Jem’égareàpenseràcequedonneraientsescheveuxétaléssurmonoreiller,quandHaley,ayantdéjàmémorisé quelle partie du corps correspond aux sections de la girouette, lance l’ordre du prochainmouvement.
Pivotantsurplace,Tessadéplacesonpiedsurlejauneleplusproche.Cefaisant,sahanchefrôlemonsexe,etlasemi-érectionquej’avaissetransformeengourdintotal,mefaisantgrommelerdansmabarbe.Tessamelanceunregard.Sesyeuxvertss’assombrissent,seslèvress’entrouvrent.S’ilrestaitlemoindredoutesurlaréciprocitédutroublequiflottedansl’air,iln’yenamaintenantplusaucun.
Ellemaintientsapositionquelquesinstants,puisposeuncoudeparterresansmequitterdesyeuxuneseuleseconde.Haleygrognederrièrenous,maisjel’ignore,focaliséquejesuissurlesyeuxdeTessa.Dansceregard,jelistoutcequej’avaisbesoindesavoir.Ledésir,l’acceptation…,lapeur.
Elle a peur de n’être qu’une fille de plus àmon tableau de chasse, que cette histoire ne soit pasdifférentedesautres.Moiaussi,çamefaitpeur.Etpuis,jemerappellequejepourraisavoirunedizained’autresfillesdansmonlit,sijelevoulais.Ilmesuffiraitd’uncoupdefil,etellesrappliqueraientillico.Au lieu de cela, j’ai consacrémon temps à porter des chapeaux et des boas en plumes rien que pouramuserunepetitefille.J’aipasséunsamedisouslacouette,puisàmelesgelerrienquepourentendreleriredeHaley.Dernièrement, j’aipassébeaucoupdetempsàmerapprocherdesdeuxfillesquisesontmisesàcompterplusquetoutpourmoi.Pourtoutescesraisons,jesaisquecettehistoire-làestdifférente.
QueTessaestdifférente.Etjesuisprêtàleluiprouver.
16
TESSA
J’ai capitulé et perdu. Ma fille avait beau vouloir que je gagne (parce que les filles sont lesmeilleures, comme elle dit), je n’ai pas pu. J’ai fait comme si je ne tenais plus et jeme suis laisséetombersurletapis.Parcequemonsangbouillait,parcequej’avaislecorpsenfeuàforcedefrôlerceluide Jason dans une stupide partie deTwister et que je n’en pouvais plus. SiHaley n’avait pas été là,j’auraisattrapéJasonpourlefairevenirsurmoietlelaissermeprendresurcefichutapisenplastique.
Maisdanslavraievie,j’avaisunegossedequatreansàgéreraulieudefairecedontj’avaisenvie.Depuis une demi-heure que j’ai couché Haley, ce désir brûlant s’est calmé, ne laissant qu’un subtilfrémissementsousmapeau,maisilesttoujourslà.CommeunevibrationphysiquelorsqueJasonestprèsde moi, que je n’avais jamais pris la peine de remarquer auparavant. Ou bien que j’ignoraisvolontairement,cequiestplusprobable.
Malgrécela,malgré cedésirpour lui, je suisdans la salledebain sousprétextedeme rafraîchir,alorsque j’aiprisunedouche ilyaquelquesheuresseulement.J’essaiedegagnerdu tempssans tropsavoirpourquoi.Haleydort,Jasonestdanslesalon,sûremententraindem’attendre,etmoi,jemecachedanslasalledebain.
Quelquesminutesplustard,onfrappedoucementàlaporte.Jesursautejusqu’auplafond.–Oui…,dis-jed’unevoixsiténuequejedoisrépéter.Oui?–Tess,tuveuxpeut-êtrequejetelaisseetquejerentrechezmoi?–Quoi?J’ouvrevivementlaporte,lesyeuxexorbités,parcequenon,cen’estpasdutoutcequejeveux.Du
tout,dutout.S’appuyantdansl’encadrementdelaporte,Jasonplongeimmédiatementsesyeuxdanslesmiens. En une fraction de seconde, rien qu’avec ce regard, la chaleur qu’il y a entre nous remonte etexplose, comme tout à l’heure, lorsque nous jouions. Comme cela se produit chaque fois que noussommesàmoinsdedeuxmètresl’undel’autre.
–Non,dis-jeensecouantlatête.Non,jeneveuxpasquetut’enailles.Sessourcilsremontentsursonfrontenuneexpressionmontrantclairementsonincompréhension.–Tuessûre?Parcequeçafaitplusdedixminutesquetuteplanquesici.J’ouvrelabouchepourcontesterlecoupdelaplanque,maisjemeravise.Àlaplace,jemecontente
dehocherlatêteetdedéglutir,carjenesuispascertainedetrouverlesmotspourluidireexactementcequisepasseenmoi.
Sûrementparcequemoi-même,jenemeconnaispasassezbien.Cen’estpourtantpascommesij’étaisvierge.Mêmesicelafaitunmoment,jen’aijamaisétéainsi
avecmesautrespartenaires.Jamaisjen’aiétéàcepointdévoréedenervositéetjenesaispasd’oùçavient. Je ne comprends pas pourquoi j’ai cette espèce d’essaim d’abeilles quime bourdonne dans leventre.Pourquoij’aidumalàrespirer,tantjesuisanxieuseetexcitéeàlafois.
Jasonfaitalorsunpasenavant;l’unedesesmainsvientprendremanuqueetl’autreseposesurma
hanche, son pouce soulevant le bord de mon tee-shirt pour venir effleurer ma peau, et là, je saisexactementpourquoimonventreestdansuntelétat.
–Dernièrechance,murmure-t-ilsurmeslèvres.Rienqu’àcestade,jeseraisdéjàincapabledeluidired’arrêter,mêmesijelevoulais.Mais jeneveuxpasqu’ilarrête. Je secoue la têteet, enfin–enfin !– il se rapprocheetpose ses
lèvres sur les miennes. Le baiser est d’abord hésitant, comme une question.Même s’il m’a tendu laperchejusteavant,j’appréciequ’ilnes’imposepastrop.Voyantquejenerefusepassonbaiser,qu’aucontrairej’agrippesachemisepourl’attirerplusprèsdemoi,ilprendcelapouruneréponsefavorableetpassesalanguesurmeslèvres.Impatientedegoûterànouveausalangue,j’ouvremaboucheàlasienneavecunrâle.
L’étreintedeJasonseresserrealorsquesonpoucedécritdepetitscerclesaucreuxdemoncou,etjesaisqu’ildoitsentirmoncœurs’emballer.Ilbatsifortqu’ilfaittremblermescôtes.Sonautremainserefermesurmahanchepourl’attirercontreluietentamerunfrottement.Jeperdshaleinedanssabouche.Ilesttoutcontremoi,enentier,fort,solideetdur,etcen’estqu’alorsquejeréaliseàquelpointj’avaisenviedeça.
Ilestdéjàdouépourcomprendrecequejeveux,caràpeineai-jepensécelaqu’ilm’emmènedéjàdanslecouloiretdansmachambre.Laporten’estpasencoreferméeque,avidedesentirsapeaucontrelamienne,jecommencedéjààsouleversachemise.Dansungrognement,ilretiresachemiseenungesteavantdeplaquerànouveauses lèvres sur lesmiennes, sa languecontre lamienne ; j’arriveàpeineàrespirertantj’aienviedelui.
Depuispresquequinzeansquenousnousconnaissons,jel’aivutorsenuunnombreincalculabledefois,maisjamaisjen’aisentilecontactdesapeau.Pascommeça.Ilestsecetmusclé,avecuncorpsdecoureur,grandet fin ; sesabdossontbiendessinés sansêtreexcessifs, sesbiceps, rebondis,maispascommes’ilfaisaitdelagonflette.Jepassemesmainspartoutoùellespeuventavoiraccès,glissantdesespectorauxàsonventreetsuivantlafinelignedepoilsquidescendentjusqu’àlaceinturedesonjean,oùs’accrochentmesdoigts.Çaaussi,jeveuxqu’ill’enlève.
–Oh!Tess,gémit-ildansmabouched’unevoixrauquequimefaitl’effetd’unedouchechaude.Celameréconforteétonnamment.Oui,ilenmeurtd’envie.Demoi.Jemesensrassuréedenepasêtre
laseuledanscetrip.Seslèvreseffleurentmajoue,sesdentsmordillentmonmenton,salanguedescendlelongdemoncou,
etjemedisquejepourraismourirencetinstant.Cequin’estd’ailleurspasexclu,parcequemoncœurfait le vacarme d’un troupeau de chevaux lancés au galop, si bien que je n’arrive même pas à medéshabillercommejelevoudrais.
Sansécarterpourautantsabouchedemapeau,Jasonétouffeunpetitrireenmevoyantmedébattreavecmontee-shirt.
–Cen’estpasbonpourtoideriredeça,tusais,dis-jeenrenonçantàretirermontee-shirtpourposermespaumessurlabraguettedesonjean.
Ilestaussidurqu’hiersoir,quandjelesentaissefrottercontremoi,etjemedélecteenpensantquec’estmoiquiluifaisceteffet-là.
–Allez,aide-moiàmedéshabiller.Dansungrognement,ilposesonfrontcontremonépaule.–Tumerendsdingue.Complètementdingue.D’ungesteimpérieux,ilécartemesmainsetentreprenddemedévêtir.Jen’osemêmepaspenserau
nombredefoisoùiladéjàdûfaireçapourêtrecapablededégrafermonsoutien-gorged’unemain,dem’allongersurlelitennemelaissantplusquemaculotte,etce,enmoinsdetrentesecondes.
Etjen’aimêmepasletempsdemepréoccuperdespetitesvergeturesquistrientmeshanchesetlebasdemonventre,parcequ’ilestdéjàsurmoi.Lesseuleschosesquinousséparentencoresontnossous-vêtements,rienquedeuxpetitsmorceauxdecoton,etjelesensdéjàsibienlàoùmoncorpsl’appelle.
Ilplantedoucementsesdentsàlajonctiondemonépauleetdemoncou,etjemecambresurlelit,lesmainsenfouiesdanssescheveux.
–OhmonDieu!…Jasonseredressejustecequ’ilfautpourpouvoirprendreundemesseinsaucreuxdesamainavant
d’yposerseslèvres.– Si tu savais comme ces seins parfaitsm’ont fait rêver,marmonne-t-il avant de commencer à les
lécher,puisàrefermersabouchesurmonmamelon.Ilsefrottecontremoi,seshanchesondulentaveclesmiennesenunrythmepresquefrénétique.Nos
soufflesprécipitésemplissent tout l’espaceautourdenous,et je leveuxenmoi, là, toutdesuite.Mesmainsdescendentdanssondosetbaissentlaceinturedesonboxer,puisellespassentdevant,etjetentedelibérersonsexe.
Mais,avantque jepuisse le faire, il s’arrête, figeant samainsurmonsein.Sesyeuxcherchent lesmiens,etilmedit:
–Attends,Tess.Attends.Touts’écrouled’unseulcoup.
JASON
LesyeuxdeTessa sont écarquillés, et son corps tout entier se relâche comme je l’arrête dans songeste.J’aifailliéjaculermalgrémoiàl’idéedesamainsurmonsexe,maisjeneveuxpasqu’onailletropvite.Jen’aipasenviequecesoituncoupdecinqminutesoùl’onjouiratouslesdeux,maisriendeplus.Jeneveuxpasquecelaressembleàtoutesmesrelationsd’unsoir.
Pasavecelle.Parcequec’estTessa.Jemepenchepour l’embrasser,parceque je lepeux.Parceque,pour l’instantaumoins,elleestà
moi.–Doucement. J’ai toujours envie de toi, ne t’inquiète pas. Tellement envie, si tu savais, dis-je en
pressantmonbassincontresonentrejambeafinqu’ellenedoutepasdecequejedis.Jeveuxjusteallermoinsvite,qu’onneseprécipitepas.J’aienviequeçadureunpeu.Onpeutfaireça?
Ellepousseunsoupir,etsespaupièressefermentavantdeserouvrirsurunhochementdetête.Ilneme fallait pas davantage d’encouragement pour recommencer à l’embrasser. Je n’ai jamais été trèsbranchéparlesbaisers,avant.Jemeforçaistoujoursunpeuàlefaireparcequ’ilfallaitenpasserparlàpourarriveràmesfins.
Maisc’estdifférentavecTessa.Ellemerépondsibienquandsoncorpssecambresouslemienaumoindrecontactdemalanguecontre lasienne.Elleronronnequandjeprendssa lèvre inférieureentremesdentsetgémitquandjel’aspiredansmabouche.
Matêtedescenddanssoncou,quejecaressedemeslèvresetdemalangueenprenantletempsde
chercheràconnaîtrelesendroitsquilafontleplusfrémir,quiluiarrachentdessoupirsdeplaisir.Sesmainsnecessentdecourirsurmoi,sesdoigtssontmaintenantglissésdansmoncaleçon,où ilsvontetviennent,effleurantmonglandàchaquemouvement,cequimerendcomplètementdingue.Jemeredresseet me mets à genoux, assis sur mes talons. Là, j’enlève ses mains de ma ceinture et lui prends lesdeuxpoignets,quejeplaqueau-dessusdesatête.
La voilà étendue devantmoi comme dans les fantasmes les plus fous que j’ai pu nourrir sur ellependant presque un an, ses seins dressés et palpitant à chaque respiration, ses tétons roses et parfaitspointés versmoi. Je voudraisme souvenir toujours de la sensation quand je les tiens au creux demamain.Sousmabouche,sousmalangue.Jeveuxaussisavoircommentilsserontquandilsdanserontsousmoiaurythmedenosmouvements.Commentilsserontquandellebougera,àcalifourchonsurmoi…
Je tends la main, mes doigts effleurent la courbe de sa taille, puis je remonte, remonte, jusqu’àprendreunde ses seinsdansmamain. Jemepenche et laissema langue sepromener sur sa poitrine,lécher la ligneentresesseins.Je jouedemonpoucesursonmamelonet leregardedurcirunpeuplusavantd’yposermalangue.
Elle pousse un soupir. Puis elle gémit légèrement lorsque je décris de petits cercles autour dumamelonduboutde la langue,maiscen’estqu’aumomentoù je leprends toutentierdansmabouchepourlesuçoterqu’ellepousseenfinunlonggémissementsourdquimefaitsourirecontresapeau.
Jenotecetteinformationdansuncoindematêtepourlesautresfois.Ellea lesyeux fermés,et sa tête s’agitedegaucheàdroite sur l’oreiller.BonDieu,cequ’elleest
belle!Etelleestàmoi.Pourl’instant,entoutcas,elleestàmoi.J’appuie sesmains sur lematelas avant de les lâcher, signifiant que je lui demande de ne pas les
bouger.Nousverronscombiendetempselletient.Penchéau-dessusd’elle,jecaressesesdeuxseins,mabouchepassantdel’unàl’autreencoreetencore.Toutsoncorpsfrémitsurlelit,seshanchesondulentdans le vide, et je dois rassembler toute ma volonté pour ne pas lui arracher cette maudite culotte,m’enfoncerenelled’uncoupetluidonnercequ’elleveut.
Jemeconcentreplutôtsurlegoûtdesapeau,surladouceurdesonventrecontremeslèvres.Bientôt,mesmainsagrippentlesbordsdesapetiteculotte,quejetirelelongdesesjambesavantdelabalancerpar-dessusmon épaule. Tessa a la tête tournée sur le côté, le visage pressé contre l’un de ses bras,toujourslevésau-dessusdesatête.Elleouvrelesyeuxetmejetteunregardalorsquejenefaisplusrien,tropoccupéquejesuisàmedélecterduspectacledesanudité.J’aiétéaffreusementfrustrédenepaslavoirenentierhiersoir;alors,jem’imprègnedecequis’offreàmoimaintenant.Elleesttoutenfinesse,encourbesdélicates,etj’aidumalàcroirequecelasoitréellemententraind’arriver.Aprèsdesmoisdefantasmesque j’ai essayéde refouler, aprèsavoir tentédem’interdireçaavecelle, lavoilà, ici, sousmoi,entièrementnue,tremblantededésirpourmesdoigts,monsexe,malangue.
Etjecomptebienprofiterdechaquesecondedecemoment.Jereculesurlelitetcommenceparsesjambesensoulevantl’undesespieds,quejeposesurmon
épaule pour déposer des petits baisers sur sa cheville, son mollet. Puis l’intérieur du genou, de lacheville, et, là, jevoisprécisément l’effet que tout cela lui fait, combien ellemedésire. Son sexe esttrempé,brillant,et jedoismeretenirdenepasallerdirectement làetenfouirma langueenelle ;à laplace,j’effleurecepointd’unsouffleetreprendsmoncheminsursonautrejambe.
Unbruit impatient venudu fondde sa gorge se fait entendre, et ses hanches se soulèvent du lit enondulantdoucement,m’arrachantunsourire,tandisquemeslèvresavancentsursacuisse.
– Ce n’est pas drôle, grogne-t-elle en bougeant en vain pour essayer de me rapprocher du point
stratégique.J’aibeauavoir trèsenviedecontinuercepetit jeu,c’estune torturepourmoiautantquepourelle.
Quandj’arriveauplientresacuisseetsonsexe,jenemeretiensdoncpaspluslongtempsetpassemalangue le long de cette ligne. J’embrasse ensuite son clitoris en l’écartant avec mes doigts avant deremonter le long de sa fente avec le plat dema langue. Ellemanque de décoller du lit, et sesmainsviennents’agripperàmescheveux.
–Jason!Envahiparunevaguedepossessivitéenl’entendantprononcerainsimonnom,jepousseunrâle.Le
sangafflueencoreplusfortdansmonmembre.–Ohoui!halète-t-elle,resserrantencorel’étaudesesmainsdansmescheveuxpourmegardercontre
elle.Comme si je risquais d’aller voir ailleurs. Je décris de petits cercles autour de son clitoris avant
d’appuyerdessusavecmalangueetdeglisserundoigtenelle.Sonmarmonnementestdevenutotalementinintelligible,etjeredoubled’effortseninsérantundeuxièmedoigtetenaugmentantlacadenceavecmabouche.
Sesjambessefermentautourdematête.Ellemetirelescheveux,et,soudain,ellesefigeetpousseunfortgémissementalorsquesesmuscles se resserrent surmesdoigtsetqu’elle jouitcontremabouche.Mêmes’iln’yapasvraimentdequoifanfaronner,j’avoueressentirunecertainefiertéàl’idéedel’avoirfait jouir si rapidement après l’avoir si bien excitée. Je la lèche doucement, lentement, et retiremesdoigtsavantd’embrassersacuisseetderemonterverselle.
Elleafficheunsourirebéat, lespaupièrescloses. J’adoremedirequec’estmoiquiai laissécetteexpressiondebéatitudesursonvisage.Elletendlamainsansouvrirlesyeux,etsessourcilssefroncentpendantquesamainentreencontactavecletissudemonboxer.
–Pourquoiportes-tuencoreça?demande-t-elleenfaisantclaquerl’élastiquedelaceinture.–Hé!Jemepencheetluimordillelamâchoire,tandisqu’ellerit.Jem’écarteetlaregarde,reprenanttoutmonsérieux.–Jeveuxjusteêtresûrquetuessûre,toiaussi.–Jason…Ellesecouelatêteettendlebraspourm’effleurerlevisage.–Arrêtedemeposer laquestion.Oui, je suis sûre. Je te le jure.Maintenant, enlèvececaleçonet
viensenmoi.
17
TESSA
L’effetdemesmotsnesefaitpasattendre.Immédiatement,ilenlèvesoncaleçon,etj’entendsensuitelebruitd’unemballagedepréservatifqu’ondéchire.Jenedevraispasleregardersiattentivement,alorsqu’il ledéroulesur toutela longueurdesonmembre,maiscespectacle–lafaçondont ilsecaresseàdeuxreprisesaprèsavoirenfilélefourreaudelatex–esttotalementfascinant.
–Commeça,onaimebienregarder,hein?Ilparletoutbas.C’estpresqueunmurmuredanslequasi-silencedelachambre,mais,àlamanière
dontjesensmesjouess’enflammer,ilauraitaussibienpulecrierdansunhaut-parleur.Ilsouritdevantmaréaction,puissepenchepourm’embrasser.
–Jem’ensouviendrai,laprochainefois,dit-ilcontremabouche.Laprochainefois.Unepartiedemoidontjen’avaismêmepasremarquélacrispationsedétendalorsunpeu.D’aprèsce
quej’aientendudireaufildesannées–d’aprèscequej’aivuaufildesannées–,Jasonesttoujoursprêtà partir avant même que chacun ait eu son orgasme. Le fait qu’il envisage déjà la possibilité d’uneprochainefoisn’estdoncpasanodin.Mêmesij’avaisdécidédetenterlecoupavecJasonsansavoirlamoindreassurancequecesoitdifférentavecmoi,c’esttoutdemêmerassurant.
Jemedemandebrièvementsinousaurionsdûendiscuteravant…,s’ilauraitd’abordfalluparlerdecequ’impliqueraitcepassageàl’acte.
Parcequej’aibeauêtresûrequ’ilestcapabledemefairecriersonnomunenouvellefoiscesoir,jesaiségalementque,pourlui,lesexeatoujourseuuneautresignificationquepourmoi.
Neme laissantpas le tempsdem’en inquiéterdavantage, ilm’embrassedenouveau, et ses lèvresn’ontplusdu tout l’hésitationdupremierbaiserde tout à l’heure. Ilm’embrasse comme il fait tout lereste,avecuneconfianceetuneassurancequimedéplairaientcarrémentsiellesvenaientdequelqu’und’autre.Maispasaveclui.Ilm’ouvrelabouchedesalangue,lapressecontrelamienneeninclinantmatête juste ce qu’il faut pour pouvoir m’embrasser plus profondément. Puis il délaisse ma bouche ets’écarte pour déposer de petits baisers sur le reste de mon visage, me laissant haletante. Ses lèvress’approchentdemonoreille,etilmurmure:
–Dis-moicequetuaimes,Tess.Soncorpsreposemaintenantcontrelemien,appuyéaucreuxdemescuisses,et jegémisensentant
sonérectiondresséecontrelepointlepluschauddemonanatomie.Jem’accroche à ses épaules, la tête renversée, le cou offert, et je gémis plus fort àmesure qu’il
poussecontremoi.–Dis-moi…,répète-t-il.Jeveuxsavoircequetuaimes.Jeveuxquetuprennestonpied.Sesparoles,avecladoucecadencedesavoixcombinéeaulégermouvementdebassinqu’ileffectue,
fontmonterlapression,etjemesensauborddel’orgasme.
–Jetepréviens,jevaisencorejouir,situcontinues.Mesongless’enfoncentdanssesépaules.Jesuiscertainequejevaisluilaisserdesmarques,maisje
m’enfiche.Àvraidire,ilestmêmepossiblequecetteidéemeplaise.Ilsouritdansmoncou.–Bien,dit-ilavantd’embrasser lecreux justesousmesoreilles.Alors, tu jouiras encorequand je
seraientoi.Tujouirasavecmoi,hein,mabelle?Cesderniersmotsajoutésàunultimepetitcoupdereinsbienplacémedonnentlecoupdegrâce.Je
reparsauseptièmeciel.LabouchedeJasoncherchelamienne,et,avantmêmequejepuissereprendremonsouffle,avantque
lesdernièresvaguesdeplaisiraient finidemesecouer, il s’engouffreenmoi,et jeperdsencoremonsouffle.
–BonDieu,grogne-t-ilcontremes lèvresenbloquantsonbassinetenplongeantsesyeuxdans lesmiens.Tuesincroyablementbonne,tusais.
Ilsemetalorsàbouger.Sesmouvementssontlents,réguliersetsûrs,chaqueva-et-vientponctuéd’unlégerdéhanchement.Chaquefois, il sepressecontremonclitoris,memaintenantsiexcitéeque jen’aiaucundoutequ’iltiendrasapromessedemefaireencorejouir.
Samainpassederrièrematête,sesdoigtssemêlantàmescheveux,tandisquesonpoucecaressemajoue,etj’aidumalàleregarder.Laflammedanssesyeux,ledésiretlebesoinpresquedésespérésquejelisdanssesprunelles–émotionsqu’ildoitvoirenrefletsurmonproprevisage–sontbouleversants.J’ensuisterroriséeet,enmêmetemps,jesensunetensionserelâcherdansmapoitrine.
Son front est appuyé contre le mien. Je voudrais pouvoir l’attirer encore plus près de moi. Nossouffles sontmêlés sansquenousnousembrassions,mêmesinos lèvres se touchent. Jepasseunbrasautourdesoncou,etmonautremains’enfoncedanslachairdesesfesses,encourageantsesmouvements,alorsquenousnousperdonsl’undansl’autre.
Detouteslesfoisoùj’aiimaginéfaireçaavecJason–etmêmedetouteslesfoisoùj’aifaitl’amouravant–,jamaisjen’auraiscruquelesexepourraitêtreaussibon.
Ilm’embrasseenfin.Salangueglissedansmabouche,etjenepenseàplusriend’autrequ’aucontactquinousrelie.Ilromptlebaiseretdescendembrassermesseins,prenantunmamelondanssabouche.Jemecambresouslui,letenantparlescheveuxpourlemaintenirtoutcontremoialorsquelemouvementcontremonclitoriss’accentueencoreplus.
Jegémisenfermantlespaupières.Aprèss’êtreoccupédemonautreseinde lamêmemanière, il reculeets’assoitsurses talons,ses
mains agrippantmes hanches alors qu’il demeure immobile, son sexe encore enmoi. Je suis allongéedevant lui,complètementouverteetunpeu tropexposéeàmongoût.Mais ilmeregardealors– ilmeregardevraiment–et ledésirque jevoisdanssesyeuxestauthentique,sans l’ombred’undoute.Sesmainssontouvertes,sesdoigts,poséssurmonventre.Sespoucess’activentjusteau-dessusdel’endroitoù j’aibesoinqu’ilme touche. J’agitema tête sur l’oreiller et je relève leshanchespour favoriser lecontactlàoùjeleveux.Ilsemetàriredoucement.
–Tuasbesoindequelquechose?Jepousseungrognementetserrelespaupièresenmartelantl’oreillerdechaquecôtédematête.–Iltesuffitdeledire,Tess,etjetedonneraicequetuveux.Cequetuveux…Ilponctuesaphrased’unmouvementdebassin,meresserrantcontrelui.
Jemarmonnequelquesmotsprobablementincohérentstrahissantmafrustration.–Tuenveuxencore?demande-t-il.Maisiln’attendpaslaréponseetlanceunnouveaucoupdereinsenregardantmaintenantl’endroitoù
ilvaetvientenmoi.–Tuessibellecommeça,àmeprendreentoi.Sesmotsnefontquem’exciterdavantage,sansqu’ilaitbesoindemetoucherlàoùilfaut.Iln’apas
encoreposélesdoigtslàoùjeleveux,etmonenvieesttropforte.Jefinisparyglissermapropremainetmetrouvecomplètementtrempéededésir.
Ilpousseunrâleetbasculelatêteenarrièreavantdemeregarderdenouveau.–BonDieu,tuveuxvraimentmetuer.Monsourireestviteinterrompuparlegémissementquimontedemagorgealorsqu’ilaccélèreson
va-et-vientavecunenouvelleurgence.Jemecaresseleclitoriseneffectuantdepetitscercles,levisagetournéversmonbraspourresterconcentréesurlessensationsqu’ilfaitmonterdansmoncorps.
Sansinterrompresesmouvements,ilsepenchepourprendreundemesmamelonsdanssabouche;illelèche,puismemordilleletétonavantdelepincerdélicatement.
Ilnem’enfallaitpaspluspourperdre la tête.Moncorpsentierse tend,et j’entendsvaguement lesexclamations de Jason au milieu du déferlement de pulsations qui résonnent partout dans mon corps,tandisquejetressaute,secouéepardesvaguesdeplaisir.
–BonDieu,Tess…Ilsemetalorsàgrogneretm’agrippeplusfortenselâchantenfin,penchésurmoi,lefrontposédans
moncou.Il respire très fort, et je le laisse là, au creux de moi, mes mains dans ses cheveux, essayant de
retrouverunrythmecardiaquenormal.Essayantderecouvrermesespritsaprèscecataclysme.Jepensaismeretrouverdévoréed’incertitudeaprèsavoirfaitl’amouravecJason.Jepensaisavoirun
pointd’interrogationgéantquiflotteraitau-dessusdematêteàproposdecequiallaitsuivre.Maisnon.Toutmesembleparfait.
Etcelamefaitencorepluspeur.
JASON
Si j’avais su que coucher avec Tessa serait comme ça, je n’aurais certainement pas eu autant descrupulesetjel’auraisbaiséedepuislongtempsdéjà.NomdeDieudenomdeDieu.
Jenesaismêmepassijesuiscapabledebouger,surtoutalorsquelesdoigtsdeTessacourentdansmon dos et dansmes cheveux,mais il faut que jem’occupe d’un détail.Après avoir déposé un petitbaisersursapoitrine,jem’écarteetmeretired’elle,nousarrachantàtousdeuxunpetitgrognement,etjevais dans la salle de bain m’occuper du préservatif. Lorsque je reviens dans la chambre, Tessa estcouchéesur leflanc, ledraprelevédissimulant lesplusbellespartiesdesonanatomie–cellesquejecomptebienobserverendétailplustard.
Jemeglisseàcôtéd’elleencuillèredanslelitetembrassesonépaule.Ellen’ariendit,ellenem’adonnéaucuneindicationsurlafaçondontelleprendtoutcela.Jesaisqu’elleyaprisplaisir.Troisfois,même,onpeutdoncdirequ’auniveaudelachimie,nousnousentendonsbien.Etj’aifaitdemonmieux
pourluimontreràquelpointjeladésiraisquandelles’estdonnéeàmoi.Je sais aussipertinemmentquellehistoire je trimballederrièremoi,unehistoirequeTessaconnaît
trèsbien,etjeressenslebesoinimpérieuxdelarassurer.–Coucou,dis-jecontresapeau.–Mmmh…Jejetteunœilpar-dessussonépaulepourvoirsonvisage.Ellealesyeuxfermésetunpetitsourire
surleslèvres.Jemedétendsàmontouretposematêtesurl’oreiller.–Çava?dis-jeenpassantunbrasautourdesataillepourlaserrerplusfortcontremoi,quoiqu’iln’y
aitdéjàpasbeaucoupd’espaceentrenous.Ellehausselesépaules.–Oui,çavabien.Je réprimeunpetit rireet remontemamainvers sonseinpour titiller sonmamelon. Je sourisplus
encorequand elle se cambre contremoi, pressant ses fesses contremonmembrequi se réjouit déjà àl’idéedudeuxièmeround.
–Siçavajuste«bien»,jepensequejevaiscarrémentm’éclaterpourdécouvrircequipourraitêtre«superbien».
Elle tourne la têtepourme regarderdans lesyeux.À la façondont elle scrutemonexpression,ondiraitqu’elleessaiedecomprendrequelquechose;maisjenesaispasquoi.
Nesupportantpluscesilence, jemepenchepourl’embrasser, traçant lescontoursdeses lèvresduboutdemalangue.Doucement,gentiment,c’est-à-diredefaçontotalementinverseàcequej’aienviedeluifairemaintenant…,àcequej’aienviedeluirefaire;maisjeneveuxpasabuser.
Ellesouritcontremabouche,puiss’écartejusteassezpourdire:–Alors,continuecommeçaettupourraspeut-êtreledécouvrircettenuit.Je laissema tête retomber sur son épaule en grognant. Il est impossible qu’elle ne sente pasmon
érectioncontreelle,etjen’aijamaisconnuçademavie.Cetteenviedefaireplaisiràlafemmeavecquije suis.De l’observer sous toutes les coutures et d’en découvrir lemoindre secret. Je veux donner àTessa cequ’aucunhommene lui a jamais donné auparavant. Je veux lui donner ce que je n’ai jamaisdonnéàpersonneauparavant.
Sansdated’expirationdel’offre.
18
TESSA
La lumière du petit matin filtre par ma fenêtre, m’éveillant d’une nuit presque sans sommeil. Jem’étire, sentant le tiraillement de certainsmuscles qui n’avaient pas travaillé depuis longtemps, et jesouris.LesouhaitdeJasondevoircequejevoulaisdirepar«superbien»aétéaccompli.Deuxfoisdeplus.
J’ouvredoucement lespaupières et voisHaleyplantée à côtédu lit, sonvisage juste au-dessusdumien.
–Haley!Seigneur…,dis-jeenportantunemainàmoncœur,quiafaitunbonddansmapoitrine.Jet’aiditdenejamaismeréveillercommeça!
–Pardon,maman,dit-ellesanssedépartirdesonsourire,lapetitebougresse.Ellejetteunbrefregardpar-dessusmonépauleavantdemeregarderdenouveau,etjemefigeenme
rappelant soudain qui elle doit voir. Je n’ai jamais passé la nuit entière avec un homme à lamaison.MêmelorsquejevoyaisDavid,mondernierpetitamiunpeusérieux,jeneluiproposaispasderester.JevoulaisquecettepartiedemaviesoitséparéedecelledeHaley.Jenevoulaispasqu’ellerisquedesesentirmal à l’aise dans sa propremaison et je comptais encoremoins lui présenter quelqu’un qui neresteraitpeut-êtrepastrèslongtempsdanssavie.
Riendetoutcelanem’estvenuàl’espritavecJason.NesachantquedireàHaley, je tends lamainderrièremoiversJason.Mais,au lieude trouverun
hommechaudetsolide,mamainnerencontrequedesdrapsfroidsetvides.Jetressailleintérieurement.Ignorantmonquestionnement,Haleymedemande:–Onpeutmangerdescwêpespourlepetit-déj?Je lui répondsmachinalement, alors quemon esprit s’emballe déjà à se demander où est Jason et
pourquoiilestparti.Jerectifie:–Descrêpes.Oui,d’accord.Ellecrievictoireavantdedétalerdemachambre,melaissantseuleavecmespensées,quinesontpas
des plus agréables en cet instant. Peut-être avait-il un cours de bonne heure. Sauf que nous sommesdimanche.
Peut-êtreavait-ilunrendez-vous.SaufqueJasonneprendjamaisderendez-vousavantmidi.Peut-êtredevait-ilallerchezsesparents.Saufqu’iln’yvaqu’unefoisparsemaine, levendredi,et
qu’ilpréféreraits’arracherunbrasplutôtqued’yallerdavantage.J’aibeauimaginerdestasdechoses,jenetrouveaucuneexcuseplausiblejustifiantsondépartautre
que la réponseque je n’osemêmepas envisager.Leventre noué, je sors du lit, enfile unpantalondepyjamaetundébardeur,plusunsweatàcapuche.Jevaispasserunebonnejournéeavecmafille,etjen’ai aucune intention de ruminer sur les raisons pour lesquelles Jasonm’aurait fait l’amour trois fois,tenuedanssesbrasendormant,puisseseraitenfuiavantquejemeréveille.Haleyestdanssachambreentraindejoueravecdespoupéesquandjepassedevantsaporte.Jem’arrêteetluidemande:
–Auxmyrtillesounature?–Avecdespetitsboutsdechocolat!–Biententé.Non,pasbesoindetoutcesucre,mapetite.Alors,myrtillesounature,tacrêpe?–Myrtilles,s’ilteplaît.Jesourisetavanceverslacuisine.Jefaishalteauboutducouloir,àl’angleoùils’ouvresurlesalon.
Jasonestlà,endormisurlecanapé,lesbrascroiséssursapoitrine,levisagetournésurlecoussin.Moncœurs’arrêteetrepartàcentàl’heure,parcequ’ilestlà.
Ilestlà.Iln’estpasparticommejelecraignais.Ilnes’estpasenfuicommeunlâche.Ilnes’estpasdébiné
aprèscequenousavonsvécucettenuit,oùquecelanousmèneensuite.–Jay!s’écrieHaleyencourantdevantmoi.Ilajusteletempsdeseréveilleretdeseprotégerlespartiesimportantesavantqu’elleneluisaute
surleventre.–Pourquoit’eslà?demande-t-elleenseplantantjustedevantsonvisage.Mamanfaitdescrêpes.Tu
veuxresterpourlepetit-déj?Ilregardederrièresapetitetête,sesyeuxtrouventlesmiens,etilsourit.D’unsourirequejeneluiai
jamais vu.Ce n’est pas le sourire plein d’assurance qu’il offre à tout lemonde. Pas le rictus un peuarrogantqu’ilafficheconstammentquandilveutarriveràsesfins.
La douceur de son expression me fait immédiatement regretter les pensées erronées qui m’onttraverséequand j’ai constatéqu’il n’était plusdansmon lit.Parcequece sourire…estvraimentpourmoi.Pourmoi,etmoiseule.
JASON
Celanefaitquequinzeminutes,maisj’ail’impressionquequinzeheuressesontécouléesavantqueHaleynesoitenfinabsorbéeparsoncahierdecoloriage,cequimepermetenfindequitterlesalonpourrejoindrelacuisine.
J’avance derrière Tess et posemes deux bras autour d’elle sur le plan de travail pendant qu’elleretournelescrêpes.
Elle sent son shampoing aux fruits, le sexe etmoi ; cela n’arrange en rien l’envie que j’ai de lapenchersurcecomptoirpourlaprendrecommeunsauvage.
J’effleuresanuqueduboutdeslèvresetsouriscontresapeauenlasentantfrissonner.–Jenet’aipasvuquandjemesuisréveillée…Elleneditpascelacommeunequestion,maisjecomprendsqu’elleveutsavoirpourquoijen’étais
paslà.–Oui,j’avaismisleréveilsurmontéléphonepourqu’ilsonneavantl’aube.Jen’étaispassûrquetu
veuilles…Enfin,jenesavaispassituavaisdéjà…Bonsang,pourquoiest-cesidifficileàdire?Probablementparcequej’aimeraismieuxm’arracherun
brasquedepenserauxautresfoisoùTessa…,oùdeshommesontpupasserlanuitchezelle.–JenesavaispascequetuvoulaislaisservoiràHaleyounon.
Elle s’immobilise, la spatule dans samain prête à retourner une crêpe, puis elleme regarde par-dessussonépaule.
–J’aicruquetuétaisparti.Quetut’étaisdébiné.J’aibeaum’êtreditqu’ilfaudraitplusqu’unesuperbenuitdebaisepourlaconvaincrequecettefois
étaitdifférentedesautrespourmoi,sesmotsmeheurtentcommeuncoupdepoingdansleventre.Jelaprendsparleshanchesetbaisselatêtepourl’embrasserdanslecou.
–Jeneferaisjamaisça.Pasavectoi,luidis-jetoutbas.Elle acquiesced’unhochementde tête,me regardant toujours, et j’enprofitepourdéposerunpetit
baisersursabouche.–Crois-moi,j’auraislargementpréféréresterbienauchauddanslelit,avectonpetitcorpsserrétout
contremoi.Ellebasculelatêtecontremapoitrine,tandisquemeslèvresredescendentdanssoncou.–Çaauraitétébienplusagréablequedemeretrouvertoutseulsuruncanapéàcinqheuresdumat’.Elleritdoucement,maiscerires’évanouitvite,et,àlafaçondontellesemordillelalèvre,jevois
qu’elleaquelquechoseàdire.Jeluiprendslaspatuledesmainsetretournelacrêpemoi-même,puisjefaispivoterTessapourquenousnousfassionsenfinface.Jehausseunsourcilinterrogateuretattends.
Ellesoutientmonregard,maisfinitparhausserlesépaulesetcroiserlesbrasenroulantlesyeux.–Jen’aimepasquandtufaisça.–Situmedisaisplutôtcequetuassurlecœur,jen’auraispasbesoindelefaire.Elleplisselesyeuxquelquesinstants,puislasincéritéselitsursonvisage.–Jevoulaismeréveilleravectoi,moiaussi…,dit-elle.–Mais?Ellepousseungrossoupir.–Maisjenesuispassûrequecesoitunetrèsbonneidée.Pastoutdesuite.J’acquiesce,malgréladéceptionquimetiraillelesentrailles.–D’accord.ÀcausedeHaley,c’estça?Elleapprouveenhochantlatête.–Jamaispersonnen’estrestédormirici,Jason.Jamais.Et,mêmesi j’ai trèsenviedevoiroùcette
histoirepourranousmener,jedoislapréserver.Sonbien-êtreestmaprioriténuméroun.Jecomprends.Jecomprendscomplètement,mêmesij’aimeraisqu’ilensoitautrement.Mais,cequi
retientmonattention,c’est le faitqu’elleaitditquepersonnen’était jamais restédormiravecelle.Etcombienj’aihâted’êtrelepremieràlefaire.
TESSA
–Est-cequeCaderentre,cettesemaine?demandeJason.–Non,pourquoiveux-tuqu’ilrentre?Jason hausse les sourcils en me regardant par-dessus une pile de crêpes nappées de sirop.
Franchement,ilestpirequeHaleyaveclabouffe.–Ehbien…,c’estThanksgiving.–C’estcejeudi-là?
–Ouaip.–Merde,j’avaiscomplètementzappé.Euh,non,jenepensepasqu’ilrentre.Ilespéraitjustepouvoir
revenirpourNoël.Ilesttropdébordé,encemoment.–Ducoup,qu’est-cequevousfaites,touteslesdeux?Jehausselesépaulesencontinuantàmangermonpetit-déjeuner.–Jenesaispas.Cequiestsûr,c’estquejenerisquepasdefairecuireunedinde.Onvasûrement
resteràlamaison,àmoinsquePaigenenousinvitechezsesparents.Ilrestesilencieuxquelquesinstants,d’unsilenceunpeulourd,etjelèvelesyeuxverslui.–Etsijet’emmenaischezlesmiens?lance-t-il.J’arrêtedemâcher.Sij’essayaisd’avaler,jerisqueraisdem’étouffer.Puis,laboucheencorepleine,
jeréponds:–Qu’est-cequetuasdit?J’aidûmalentendre,parcequetoutcequiconcernesesparentsesttabou.Onn’enparlepas,àmoins
quejenelepoussedanssesderniersretranchements,etluin’invitejamaispersonnedanslamaisondesonenfance,àmoinsd’yêtreobligé.
–Monrepasdefamilleestdéplacédevendrediàjeudicettesemaine;alors,ilfautquej’ysois.Jevoudraisquetuviennesavecmoi.
–Cheztesparents?–Oui.MesyeuxseposentsurHaley.LesparentsdeJasonn’ontjamaiscachélefaitqu’ilsn’approuvaient
pasmonchoixdel’avoirgardéeàl’âgequej’avais.Sijenelesairencontrésquequelquesfois,Cade,lui,aeuleprivilègedelesvoirbienplussouvent.Chaquefoisqu’ilrevenaitdechezeux,ilétaitfurieux.J’aifiniparluiposerouvertementlaquestion(quelétaitleproblème?),maisilatoujoursesquivé.Puis,unjour,Jasonetluisontrentréssanssavoirquej’étaisdéjààlamaison.Cadefulminait,disantàJasonque ses parents n’avaient aucune ouverture d’esprit, qu’ils pétaient plus haut que leur cul, qu’ils necomprenaientpasquej’étaisunefillesuperquifaisait lebonchoixpourelle-même,unchoixdifficile,certes,maisunchoixqu’ilsdevaientacceptersanscommentaires.Jasonnedésapprouvaitpas,maisplusjamaisilnem’avaitréinvitéechezlui.
–Haleyseraitavecmoi?dis-je.–Biensûr.–Ettuveuxquandmêmenousinviter?Ilmeregardefixement,avecprofondeur,intensité;etjevoismillechosesdansceregard.Quec’est
unemanièrepourluidememontrerquejesuisdifférentedesautres.Etqu’ilsecontrefichedecequesesparentspensentdenous(deHaleyetmoi).Qu’ilnousveutdanssavieetque,malheureusement,cettevieinclutaussilesconnardsquil’ontcréé.Lesconnardsaveclesquelsiln’arienencommun.
Ilestentraindem’offrirquelquechosequ’iln’ajamaisoffertàpersonne,et,unenouvellefois,unpetitmorceau de peur se détache demoi. Jamais je n’aurais cru qu’il puisseme proposer une chosepareille, même dans mes rêves les plus fous. Ça ne m’était même pas venu à l’esprit. Mais que sepasserait-il à l’avenir si l’homme que je recherche désespérément pouvait correspondre à celui quim’envoieauseptièmeciel?
–D’accord.Sonsourirem’auraitfaittomberparterresijen’avaispasétébienassise.S’adossantdanssachaise,
il hoche la tête d’un air satisfait, puis entame une conversation avecHaley, lui demandant ce qu’elle
préfèremangeràThanksgiving.Quandilpenchelatêteverselle,lessourcilsfroncésd’attentioncommesilefaitqu’ellepréfèrelesharicotsvertsauxpetitspoisétaitduplushautintérêtpourlui,jefonds.
Ici,maintenant,autourdecettetableoùjeprendsunpetit-déjeunertardifavecmafille–lapersonnequicomptelepluspourmoi–etJason–cellequicommenceàprendreladeuxièmeplaceaprèselle–,jefonds.Etjesuisenfinhonnêteavecmoi-même.
Endépitdetoutesmesbellesrésolutions,touteslesbarrièresquej’aipuériger,touteslesprécautionsquej’aiprisesaveclui…,toutcelan’aplusd’importance.
Parcequejesuisentraindetomberamoureusedelui,quecelameplaiseounon.
19
TESSA
J’arrive en retard au restaurant. J’ai dû faire quinze bisous de bonne nuit àHaley pendant qu’elleparlait simultanément à Becky, la baby-sitter que je sollicite le plus souvent possible parce qu’elles’entendtrèsbienavecHaley.Paigeestdéjàinstalléequandjem’assoissurlabanquetteenfaced’elleensoufflantsurlesmèchesquimetombentdevantlevisage.
Ellerelèvelesyeuxetmeregardeensouriant.–Ah!tevoilà!Jen’aipasencorecommandé,jeviensjusted’arriver.–J’aicouchéaveclui.Lesouriredisparaît,etsamâchoiresedécroche.Ellerefermelemenud’uncoupsecetsepenchevers
moiau-dessusdelatable.–Tuasintérêtdemeracontertouslesdétailscroustillants,mavieille.Cequejefais.Jeluiracontetout:l’arrivéedeJasonsamedimatin,sajournéeetsasoiréeavecnous,
cequej’airessentienlevoyantavecHaley,etlachimieaussipuissantequ’indéniableentrenoscorps.–Je lesavais.J’étaissûrequece seraitgénial. Il abien ramonépour tedébarrasserde ces toiles
d’araignée,dis?Quelqu’unseraclelagorgeàcôtédenous,et,levantlesyeux,jedécouvreuneserveuseseretenantde
rire.Rougecommeunetomate,jemetourneversmameilleureamieensecouantlatête.–Toialors,tun’esvraimentpassortable.–Quoi?fait-elleenhaussantlesépaules.Aprèsavoirprislacommande,laserveuses’éloigne,etPaiges’enquiertdesdétails,paslemoinsdu
mondeperturbéeparcequivientdesepasserdeuxminutesplustôt.–Alors?–Alors,quoi?–Ehbien,commentilétait?Putain,ondiraitqu’onn’ajamaisparlédeculavantcesoir.Moi,jete
distoujourstout.–Saufquecen’estpasmoiquiteledemande.–Oui,ehbien,c’estmafaçondeprouvermonamitié.J’aimepartagercequifaitdubien.Jesecouelatêteensouriantetremercielaserveusequiposedevantmoiunverredevindontj’aibien
besoin.–Jenedirairiendeplus.–Bordel,Tess,jenetedemandepasnonplusdemefaireundessindesabite.Jeveuxjustesavoirsi
c’estunboncoup…,s’ilnet’apastiréevitefaitentroisminutesavantdes’échouersurtoicommeunpoissoncrevé.
Jerisenlevantmonverre.–Alors,d’accord:oui,ilestdoué.–Justedoué,normal?
–Non,passeulement.Enfait,c’était…Jesoupireetmelaisseallercontreledossierdelabanquette.–…incomparable.Paigemedévisage,buvantmesparoles.–Putain.–Oui,etjet’assurequeçan’apasétévitefait,malfait.Et,mêmesiç’avaitétélecaslapremière
fois,jeleluiauraispardonné,vulenombred’autresfoisoùilaeul’occasiondefairesespreuves.–Ah!deuxfoisdanslanuit?Bien.–Non,pasdeuxfois.Ellerestebouchebée,lesyeuxécarquillés.–Jesuisjalouse,espècedepetitegarce.Moi,lananaquisefaitbaisertouslesweek-ends,voilàque
jesuisjalouse.Ellepousseunlongsoupiretposesoncoudesurlatable,appuyantlementonsursapaume.–J’aioubliécequec’est,dedésirerquelqu’uncommeça…–Commentça,tuasoubliécequec’est?Tuviensdedirequetubaisestouslesweek-ends.–Oui,maisc’estdifférent.Cesontdestypesquejeconnaisjustesuperficiellement.Cen’estpasla
mêmechosequequandtuasunlienautrequemettrepièceAdanspièceB.–Oui,c’estsûrquenous,onaça.Jeboisunegorgéedevinavantd’ajouter:–Ilm’ainvitéeàdînerchezsesparentsavecHaleypourThanksgiving.Sessourcilsluiremontentjusqu’auxcheveux.–Sansdéconner?Ehben,disdonc…Apparemment,pourluinonplus,cen’estpasjustemettrepièce
AdanspièceB.–Oui,c’estcequejemesuisditaussiquandilaproposéça,mais…Pfff,ilsvontmedétester,Paige.
Ilsmedétestentdéjà.Ilsmeprennentpouruneespècedepetitetraînée,toutçaparcequejesuistombéeenceinteaprèsavoirfaitl’amourtroisfois–etaveclemêmegarçon,enplus.Cerepasvaêtrehorrible.Horrible.Pourtant,j’aiaccepté.
–Maisnon,çavaaller.Ilssonttropchicospourêtreouvertementdésagréablesavectoi.Lesbourges,c’esttoutletempscommeça.
Jem’inquiètetellementdelafaçondontilsaccueilleraientHaleyquejen’aimêmepaseuletempsdepenseràlafaçondontilsm’accueilleraient,moi,lafemmequejesuismaintenant.
–BonDieu.J’aidesmèchesviolettes,Paige.Violettes!J’attrapeunemèchedemescheveuxcommesiellenepouvaitpaslesvoirdelàoùellesetrouve.–Cen’estpaslegenredecouleurdecheveuxqu’ilfautquandonvachezdesgrosbourges!Ildoit
bienyavoiruneloicontreçaquelquepartdansleursmanuels.C’estobligé.Paigelèvelesyeuxaucieletsemoquedemoi.–Depuisquandtesoucies-tudecequelesgenspensentdetoi?–Depuisqu’ils’agitdesparentsdemon…,mon…Jason.–Ah ! ton Jason ? Bien, j’aurai peut-êtremoins d’efforts à faire pour te convaincre que je ne le
pensais,alors.–Meconvaincredequoi,encore?–Quevouspourriezfaireunbeaucouple.Jem’affale contre la banquette, les épaules arrondies ; elle a raison. Il n’y a pas vraiment besoin
d’essayerdemeconvaincredecela.–C’estquoi,cettetête?–Je…,jecroisquejesuisdanslamerde.–Pourquoiserais-tudanslamerde?Tuasenfinunhommepoursoulagertesenviesquandtuleveux.–Jecroisquejesuisentraindetomberamoureuse.–Avectroiscoupslemêmesoir,jetecomprends.–Paige,jenerigolepas.–Jesais,mabelle,maisjenevoispasoùestleproblème.–Leproblème,c’estquec’estJason.Jason,lespécialistedescoupsd’unsoir.Jason,lefandesplans
àtrois.Ellesecouelatêteenmeregardantcommesij’étaisunedemeurée.–D’accord,maislà,ils’agitdetoi.–Etalors,qu’est-cequeçachange?–C’estdifférent,etçachangetout.Jecroisquecemectekiffedepuisunbonmomentdéjà,àenjuger
parlafaçondontilteregardaitminederien.Je laisse sesmots s’ancrer enmoi, espérant qu’elle ne se trompepas, car je n’ai aucune intention
d’êtrelaseuleàtomberamoureuse.Laserveusenousapportenosplats.JecommenceàdécoupermaviandeetdisàPaige:–Pourquelqu’und’aussiallergiqueàl’engagement,tuasl’airbienpresséedemevoirtomberdansle
piège.–Jenesuispasallergiqueàl’engagementpourtoutlemonde:seulementpourmoi.–Àcepropos,quandvas-tuévoluerunpeu?Çavafairebientôtquatreans,Paige…Ellemeregardeenplissantlesyeuxetavaleleresteduvindanssonverre.–Tu sais quoi ?Quand tume feras undessinde la bite de Jason, on en rediscutera.En attendant,
parlonsdequelquechosedeplusintéressant.Commedumecquej’airencontrésamedidernier…Jen’insistepaset lalaissechangerdesujetenmeparlantdeJaredetdecequ’il luiafaitavecsa
langue;aumoins,celam’empêchedepenseràcequis’estpassédansmonventrequandelleaditqueJasonetmoiferionsunbeaucouple.
JASON
Monderniercoursdelasemainesetermine,etjequittelasalleàfonddetrain.Kristim’interpelleendisantqu’ellevoudraitmeparlerduprojetaveclequelellenemelâchepas,maisjemecontentedeluiadresserunsignedelamainpar-dessusmonépauleavantdefranchirlaporte,descendrelesmarchesetmeretrouverdansl’airglacialdecettefinnovembre.
Jen’aipaspuvoirTessadepuisquejesuispartidechezelle,dimanchedernier…,aprèsluiavoirdemandédevenirchezmesparentspourThanksgiving.J’aibeauavoirtrèsenviequ’ellesviennent–elleetHaley–,enmêmetemps,jemedonneraisdesclaquesdeluiavoirproposécela.
Mesparentsonttoujoursessayédetoutdirigerdansmavie.Entrerdansuneformationpourlaquellej’étaissurqualifié,maisquim’intéressaitvraiment,puisprendretoutmontempspourpassermondiplômedefind’étudesétaientlesseulesmanièresquej’aietrouvépourrepousserl’inévitableaumaximum.
Aprèsleurultimatum,jen’aimêmepluscela.Maintenant,ilsvontvoirunepartiedemaviedontjen’aiaucuneenviequ’ilss’approchent.Jeneveuxpasqu’ilssemêlentdecelaaussi,duseulaspectdemaviequejenedétestepasencemoment.
Montéléphonevibredansmapoche.J’ouvrelaportièredemavoitureetm’assoisderrièrelevolantavantdelesortirdemonjean.L’horribletassedecaféd’Adams’affichesurl’écran,etjedécroche.
–Allo?–Jesuisrentré,chouchou.Jerismalgrémamauvaisehumeur.–Commentça,t’esrentré?–Ehbien,oui, je suis à l’appart.Punaise, quandest-ceque tu as fait une lessivepour ladernière
fois?–Vatefairefoutre,dis-jeenriant.Jenesavaispasqueturevenais.Quandest-cequetuasdécidé
ça?– Il y a deux ou trois jours. Je boirais bien quelques verres. Tu peux faire quelques courses en
rentrant,situn’espastropaccaparépartanouvellecopine?Monsourires’effacebrusquementenl’entendantprononcer innocemment lemot«copine».Jen’ai
jamaiseudecopine–pasuneseulefois.J’aiconnupleindefilles,biensûr,mais jamaisaupointquel’onpuissemeprêterunerelationassezsérieusepouremployerceterme.Cen’étaientquedesflirtsoudescoupsd’unsoir.
Etmaintenant,ilyaTessa,quiatoutchamboulé,quiaremisenquestiontouslesprincipesquej’avaisdansmesrelations.Etpourtoutdire,l’idéequ’ellepuissen’êtrequ’uncoupd’unsoir,uneaventuresanslendemain,mefaitpaniquerd’unefaçontotalementinédite.Cettechoseagrandienmoidepuisplusieursmois,quandj’aicommencéàlaregarderd’unautreœil.Lentement,maissûrement.Aujourd’hui,jesuisenpleindedans.Endépitdetoutcequej’aivécuavant,detoutesmeshabitudesprécédentes.
–Oui,jesuisdispocesoir.Jejetteunœilautableaudebordetvoisqu’ilestjustequatreheurespassées.–Tuveuxqu’onseretrouveauShootersavantetqu’onsefassequelquespartiesdebillard?–OK.Onseretrouvelà-bas.J’entredanslebaretcommandedeuxbièresaubarmanavantderéserverl’unedestablesdebillard
del’arrière-salle.Jeviensjustederécupérerlesbillesquandj’entendslavoixd’Adam.–N’espèrepasquejetelaisseraigagnerjusteparcequetum’aspayéunverre.–Merde,jecroyaisvraimentqueçamarcherait.Ilsourit,m’attrapelamainetm’attirecontreluipourmedonnerl’accoladeenmetapantdansledos.–Tuesprêtàtefairemettrelaracléedusiècle?demande-t-il.Jericaneetmetourneverslatableenprenantmaqueuedebillard.–Tuespartitroplongtemps.Tuaslamémoirequiflanche,ondirait.–Tuferaisbiendejoindrel’acteàlaparole.Leperdantpaielesboissonstoutelasoirée,etlerepas
aussi.Tiens,jevaismêmetelaissercommencer.–J’espèrequetuaspasmaldeliquidesurtoi,dis-jeenlançantlacasse.Jegardelamain,troisbillesétantdéjàentréesdanslespoches.–Putain.Jesourisettirelecoupsuivant.–Alors,c’estquoi,ceretoursoudainaubercail?JecroyaisquetunerentraisquepourNoël?
–Oui,maisbon.C’estunpeulamerdeaumagasindemesparents.Ayantratémonderniercoup,jem’écartepourlelaisserjouer.–Quelgenredeproblème?Iltiredeuxcoups,rateletroisièmeetsetournealorsversmoi.–Lesaffairesnemarchentpas trèsbien, je crois. Jene saispas tropdepuis combiende tempsça
dure.Ilsnemedisentpastout,maismamèreestcomplètementflippée.–Alors,qu’est-ceque tucomptes faire ?Entrerpar effractiondans lemagasinenpleinenuitpour
allerconsulterleurslivresdecomptesetdécouvrirlaterriblevérité?Ilhausselesépaules.–Peut-êtrepasenmefaufilantlà-basàcinqheuresdumat’mais,oui,quelquechosedecegenre.Ilmetourneledospourjoueràsontour.–Ettoi,tuasparléàCade?Dimanchesoir,en rentrantdechezTessa, j’aiappeléAdampour tout lui raconter. Je luiaiditque
j’avais vraiment été nul de ne pas le faire plus tôt.Comme jem’y attendais, il a réagi en riant et enm’encourageant.Après,ilm’aditdemesortirlesdoigtsduculetd’enparleràCade.Leproblème,c’estquejetiensunpeutropàmesbijouxdefamillepourgérerça,encemoment.
Adosséaumur,j’attrapemabièresurlatabletteetenboisunegrandegorgée.–Non,pasencore.–Tunefaisquerepousserl’inéluctable,etceseraencoreplusdursituattends.–C’estque…jedoisdéjàmecoltinermesparentsavecHaleyetTesscettesemaine.Jen’aipasenvie
d’avoirunfranginhyperprotecteursurledos,par-dessuslemarché.Jejetteunbrefregardversluietm’aperçoisqu’ilalessourcilsrelevésjusqu’auxcheveux.–Depuisquandemmènes-tuunefille–ouquiquecesoit,d’ailleurs–chezteschersparents?–Depuisquejesuisungrosabruti,voilà.Jeboisuneautregorgéedebièreetlareposepourjouermonprochaincoup.–JeluiaidemandédevenirpourThanksgiving.Parcequej’aicarrémentperdulaboule,situveuxle
savoir.–Ehben,sacrénomdeDieu.–Quoi?–Moiquicroyaisquecejourn’arriveraitjamais…Ondiraitquemonbébéabiengrandi,dit-ilavec
unevoixdefausset.–Oh!tagueule,dis-jeenriant.Jenesaismêmepasoùçavamemener.Ilmedévisage,l’airdubitatif.–Vraiment?–Oui,vraiment.Alors,arrêteunpeuavectessous-entendusetdisplutôtcequetuasàdire.Ilmelaissepréparermongestepourtireravantdedire:–Tuesamoureuxd’elle.Jeratemoncoupetmeretournevivementverslui.–Qu’est-cequetu…?–Quoi,tunevaspasmedirelecontraire?demande-t-il,unsourcilrelevé.J’ouvrelabouche,prêtàlefaire,puislareferme;lesmotsnesortentpas.SeigneurDieu,est-ceque
je suis amoureux d’elle ?Est-ce pour ça que l’idée de passer tout ce temps avec elle neme fait pas
paniquer comme un malade, que des mots comme « passer Thanksgiving chez mes parents » ne medonnentpasdessueursfroides?
Voyantquejenedisrien,ilreprend:–Allez,reconnaisquetuaseutoujourscettedrôledetendanceàêtreprotecteuravecelle.Tuétais
presqueaussiconqueCade. Il fallait justeque tu te tapes toutcequiportaitune jupependantunpetitmomentavantdet’enrendrecompte,c’esttout.Cen’estquandmêmepasunchocmonumental,non?
Si,c’estunchoc,parcequejen’aijamaisrienvuvenir.Vraimentrien.JerepensealorsàtouteslesfoisoùCadeetmoiavonsmalmenélesconnardsquidisaientdumalde
Tessa dans les vestiaires du lycée, à la rage qui a envahi toutmon corps quand j’ai appris queNickl’avaitlaisséetomberaprèsl’avoirmiseenceinte…Jen’avaisqu’uneenvie:leretrouveretluifairelapeau.Jerepenseàcequej’airessentiquandelleacommencéàsechercherunmecsurcessaloperiesdesitesInternet,etaucoupquecelamefaisaitquandellesortaitavecl’und’entreeux.Àmafureurenlavoyantsortiraveccegrosnazed’orthodontiste,justesousmesyeux.
Jepousseunsoupir,attrapemabièreetlavideculsec.Jelareposeavecgrandbruit.–Jesuisfoutu.–Tupeuxledire,monpote.Etenplus,c’esttoiquipaieslesbièresetlabouffe.Sorslefric.
20
TESSA
–Dépêche-toi,ma puce ! Cade va appeler d’un instant à l’autre, dis-je àHaley en criant dans lecouloir.
–J’arrive,j’arrive!Ellecourtdanslesalonetsautesurlecanapéaumomentmêmeoùl’appelretentit.L’ayantdéjàfait
centfois,ellesaitcommentétablirlaconnexion.Elleapprochesapetitebouillesouriantedelacaméra,etlevisagedeCadeapparaît,souriantégalement.
–Coucou,p’titmachin.Tatêteagrossiouquoi?Haleyéclatederire,et,tropcontented’avoirquelquesminutesàmoi,jeleslaisseàleurconversation
pourallerenfilerunpantalondeyogaetuntee-shirtàmancheslongues.Cettesemaineaétééprouvantepourmesnerfs. Jen’ai cesséde repenser à la conversationque j’ai eueavecPaige l’autre soir, et aubarragedesentimentsquej’éprouveenversJason,dontjesuisdeplusenplusconsciente.
Jamais je n’aurais cru que cela se passerait ainsi. J’avais toujours imaginé que, lorsqu’on tombeamoureuxdequelqu’un,c’étaitunlongprocessusprogressif,commedesfloconsdeneigetombantsurunsolunpeu tiède. Il faudraitbeaucoupde tempspourque laneigecommenceà tenir, à s’accumuler,et,ensuite,lacouchedeviendraitépaisseetstable.
Je ne pensais pas que celame tomberait dessus commeune avalanchequim’ensevelirait sous desmassesdesentimentscontradictoires.Inquiétude,euphorie,perplexité,excitationet,biensûr,amour.
Peut-êtreest-ceparcequejeconnaisJasondepuistrèslongtemps.Parcequejeconnaistrèsbiensapersonnalité,sesqualités,sesdéfauts;laseulechosemanquantentrenousétaitl’intimitéphysique,et,detouteévidence,iln’yaaucunproblèmeàceniveau-là.Lachimiequinousunitesthorsducommun.
Enfait,j’auraisdûvoirlecoupvenirdepuislongtemps;pourtant,j’ensuistombéeleculparterre.Jesuistrèscontentequenousn’ayonspaseul’occasiondenousvoirpendantquelquesjours,parce
quej’avaisbesoind’unpeudetempspourmettretoutcelaauclairdansmatête.NousnoussommesparléautéléphonetouslessoirsetavonséchangédesSMSenjournée,maisnousavonstouslesdeuxeudesagendasdefolieàcausedesjoursfériésquiarrivent,cequinenousapaslaisséletempsdenousvoir.
Commej’avaisdesclientesquifaisaientleforcingpouravoirunrendez-vous,sefairecoifferavantdepartiràjenesaisquelleréuniondefamille, j’ai travaillétardtouslesjoursdecettesemaine.Dieumerci,BeckyapuallerchercherHaleyà lagarderieet resterà lamaisonavecelle jusqu’àceque jerentre.Jedétestefairedesjournéesdedouzeheures,passeulementparcequec’estépuisant,maissurtoutparcequejenevoismafillequepourlaprépareràalleràl’écolelematinetpourlamettreaulitlesoir.Cen’estpasassez.Ellememanque.
J’entredans lesalonetvoisHaleybrandirdevant l’écranundessinqu’ellea fait : il représente latabledurepasdeThanksgiving,avecunedindebizarreaumilieu.
–Là,c’estmoi,là,c’estmaman,etlà,c’estJay,commente-t-elleennousmontrantduboutdudoigt.Les chaises vides, c’est pasque je sais pas comment sont son papa et samaman ; alors, je les ai pas
dessinés,maisjelefiniraiaprès,quandjelesauraivus.–Super.Mais…attends…Quandest-cequetuvaslesvoir,sesparents?La voix habituellement douce de Cade s’est crispée, et je pousse un soupir, sachant qu’il ne me
lâcherapasavecçaavantque je luiaie fourni tous lesdétailsqu’ilveutconnaître. Jesavaisquemonhistoire avec Jason poserait problème àCade. Il connaîtmieux que personne le passé dissolu de sonmeilleurami;ajoutéàsatendancehyperprotectriceavecmoi,ilestévidentquecelavalemettredanstoussesétats.
HaleyluiexpliquenosprojetspourThanksgiving,etCaderépondposément,mêmesijeperçoistrèsbien la tension dans sa voix. Lorsqu’ils ont terminé,Haley lui envoie un bisou etme laisse la placedevantl’écran.
Jem’assoissurlecanapéensoupirant,sachantdéjàcequim’attend.–Salut.–Elleesttoujourslà?demande-t-il.Oh!punaise.S’iltientàs’assurerqueHaleynepuissepasentendre,c’estquecelarisqued’êtreplus
corséquejenelepensais.JeregardeHaley,quiadmiresondessinnonloindemoi,etluidis:–Vatebrosserlesdents,machérie,etchoisislelivrequetuvoudraslirecesoir,d’accord?Unefoisqu’elleaquittélapièce,jemeretourneversl’écrandemonordinateur,lessourcilsrelevés.–Oui,papa?Cadealesmâchoiresserrées,lesnarinesdilatées,et,pourlapremièrefoisdepuissondépart,jesuis
heureusequehuitcentskilomètresnousséparent.S’ilétaitlàencemoment,avectoutcequisepasse,ceneseraitpasjoliàvoir.
–Jason?C’estvrai,Tessa?Jeplisselesyeuxverslui,sentantmacolèremonter.–TuparlesbiendeJason,tonmeilleurami?CeJason?Ehbien,oui,c’estvrai.–NomdeDieu,marmonne-t-ilenpassantunemainsursescheveuxpresquerasés.Putain,jesavais
queçaarriverait.Maisqu’est-cequetucrois?Jemesensmaintenantbienremontée,etencoreplusparlefaitquejedoivedéfendresonmeilleurami
contrelui.–Commentça,qu’est-cequejecrois?Jecroisquec’estunmecsuperquiest toujourslàpourme
donneruncoupdemainquandj’enaibesoin–àquituasdemandéd’êtrelàpourmoientonabsence,jeterappelle.Tuferaisbiendenepasl’oublier.
Cadesecontentedemefixersansriendire.Jepoursuisdonc:–IljoueavecHaley,illalaisseledéguiser,ill’adore.Etilmefaitressentirdestrucsquejen’aipas
ressentisdepuislongtemps.–Pourça,jeluifaisconfiance!lance-t-ilsèchement.–Tupeuxm’expliquercequeçaveutdire?–Tu sais trèsbiencequeçaveutdire,Tessa.Tu sais aussibienquemoicomment il est avec les
filles.Tusaistrèsbienqu’iln’estpasdugenreàs’attarderunefoisqu’ilaeucequ’ilvoulait.Iln’estpascommetonorthodontiste…
–…avecquijemefaisaisroyalementchier.Ilcontinuecommesijen’avaisriendit.–Iln’estpasfiable,passtable,et,putain,çacrèvelesyeuxquecen’estpaslemecqu’iltefautsitu
cherchesquelqu’unpourdulongterme.
–Bon.C’est le seulmotque j’arrive àprononcerpendantunmoment, tellement je suis interloquéepar la
façondontCadeparledesonmeilleurami.Puis,macolèremonted’uncran.Passeulementcontrelui,maisaussicontremoi-même.Parcequejemesuisditexactementlamême
choseavantdemedécideràtenterlecoupavecJason.Finalement,depuisquandquelqu’unneluia-t-ilpasfaitconfiancesansluibalancersonlourdpasséàlafigure?Sansleréduireàlasommedesesactespassés?Qu’est-cequejeressentirais,moi,si tout lemondesecomportaitcommeçaavecmoi?Si lapremièrechosequ’onvoyaitenme regardantétaituneespècedepanneaugéantavec,écrit engrandeslettresrouges,ENCEINTEÀDIX-SEPTANS?Ehbien,c’estexactementcequenousluiavonsfait.Nous,lespersonneslesplusproches,quisommescenséesl’aimerleplus.
–Bon,dis-jedenouveau,ehbien,c’estintéressantdesavoircequetupensesdetonmeilleurpote.–Oh!pasça,jet’enprie.Commepote,ilatoutcequejepeuxdemander.Maiscommecopaindema
petitesœur?Putain,non!–Heureusementpourmoiquejen’aipasàtedemandertonavis,alors.–Tessa…Lamenace que je sens poindre dans sa voixme rend encore plus furieuse, et jeme raidis sur le
canapé.–C’estbon,lâchel’affaire,Cade,tuveux?Tun’aspasplusàdirigermaviedepuisChicagoquetu
nelefaisaisquandonvivaitsouslemêmetoit.Resteàtaplace.C’estmavie,etjecomptebienlamenercommeilmeplaît,avecousansl’approbationdemongrandfrère.
Il restemuetunmoment, lesbrasposés sur sesgenoux,penchévers l’écran. Il est vraiment fâché,commejenel’aipasvudepuislongtemps,etjecomprendsqu’ilsoitinquiet.Jecomprends,maiscen’estpassavie.
C’estlamienne,etilsetrouvequej’aiprisladécisiond’yfaireentrerJason.Ilparleenfin:–Çavaêtrelemêmescénarioqu’avecNick.Tuenesconsciente,aumoins?Unsouffleincrédulesortdemapoitrine,tandisquejeleregarde,lesyeuxécarquillés.Jereçoiscette
phrasecommeunevéritablegiflequ’ilm’auraitdonnéeàtraversl’écran.Certes,j’yaidéjàpensémoi-mêmecentfoisavant,maisl’entendredelabouchedequelqu’und’autre,enl’occurrence,celledemonfrère–c’est-à-direceluiquiestcensémesoutenirplusquetoutautre–estunvraicoupdecouteaudansledos.
–Jet’emmerde,Cade.Sur ce, je me déconnecte illico, n’ayant ni la patience ni la disponibilité d’esprit de me justifier
auprèsdelui.Commesijen’avaispasdéjàassezdestressaveclaperspectivedurepasdedemainchezlesparentsdeJason!Etmaintenant,jesensquejevaisressassercetteconversationpendantunmoment.ParcequeCadeaditlamêmechosequecequimeretenaitd’allerversJason.
Ilatouchédudoigtlapeurquimerongeaitdepuisledébut.
JASON
PouruneveilledeThanksgiving,labibliothèqueestétonnammentpleine.Jen’aiaucuneenvied’êtreici,maisnousdevonsrendrelasemaineprochaineletravaildegroupequ’onnousadonnéàfaireilyaunmois. Nous sommes là depuis deux heures, et, depuis tout ce temps, Kristi ne cesse deme collermalgrélaprésencedesdeuxautrespersonnes.LeprojetconsisteàconcevoiretencoderunsiteInternetavece-commerceintégré;j’auraispulefairetoutseulendeuxjours,maismevoilàforcéderalentirlacadencepourprendreencomptelesidéesdetoutel’équipe.Quellepertedetemps!
–Jason,tuveuxbienjeterunœilàmoncode?Jen’arrivepasàvoiroùestleproblème…Kristi se rapproche encore demoi, posant unemain surmonbras, et je doisme retenir de ne pas
roulerlesyeuxdevantsestentativesdeflirtsiévidentes.Mais,bon,jenepeuxpasluienvouloir.L’annéedernièreencore,j’auraisétépartantsanshésiter.À
vraidire,jel’auraissûremententraînéedansuncoinsombredelabibliothèquepourdécouvrirlacouleurdesapetiteculotte.
Mais,pourl’heure,jesuistropheureuxdesentirmontéléphonevibrerdansmapocheetmesauverdesesassautsincessants.Voyantquec’estCadequiappelle,jem’écartedugroupeetavanceverslabaievitrée,oùilyaplusdemondeetdoncmoinsdesilence.
–Allô?–Jepeuxsavoirdanscombiendetempstucomptaismeledire,bordel?Jegrimaceenl’entendantvitupérerauboutdelaligneetmepasseunemainsurlevisage.J’inspireà
fond,puisréponds:–JesupposequetuasparléàTess.–Quandjet’aiditdenepastoucheràmasœur,tupeuxmedirecequin’étaitpasclair?–Écoute,jesaisquetuesénervé,maiscen’estpas…–Ahoui,jesuisunpeuénervé,c’estsûr.Tum’asditquejepouvaiscomptersurtoi.Quetuveillerais
surellesdeux.Jesuisparti,et,commeuncouillon,jet’aifaitconfiancepourt’occuperd’elles.–Hé!dis-jed’unevoixforte,mefaisantfusillerduregarddetoutesparts.Baissantd’unton,jemetourneetmedirigeverslehalld’entrée.–Jem’occupebiend’elles,jetesignale.–Jesaiscommenttuesaveclesfemmesetj’aidumalàavalerl’idéequetut’occupaisdeTessaavec
ledeuxièmecerveauquetuasdansleslibard.–Jecomprends,Cade.Tuesfâché.Maisilvafalloirquetu…–TuétaislàpendanttoutletempsoùelleavécucetrucpourriavecNick,ettuasquandmêmefait
ça!Tunevauxpasmieuxquelui!Jemeredressevivementetmontonsedurcit.–Certainementpas.–Quoi,tuvasmedirequ’elleestdifférente,peut-être?–Eneffet,elleestdifférente.–Et,donc,c’estellelafemmedetavie?Putain,tumeprendsvraimentpouruncon.Ilricane,mettantmesnerfsunpeuplusàvif.Jesenslacolèremonterenmoi.Jemesensprêtàluirentrerdanslelardetàluidirecequejepense
unebonnefoispourtoutesquandquelquechosemevientàl’esprit:–TuastenulemêmediscoursàTessa?–Tiens,jemesuisgêné!Jefaisuneffortmonumentalpourcontinuerdeparlercalmement.
–Tuasdiscutédeçatranquillementavecelle,oubienluias-tubalancélesmêmesconneriesquecequejeviensd’entendre?
Sonsilencemesuffit.J’aicompris.J’aisupportécesquelquesminutesd’engueulade–lelaissantmecouperlaparoleoum’assénersamoraleàdeuxballes–,maisl’idéequ’ilenaitfaitautantavecelleestlagoutted’eauquifaitdéborderlevase.
–Bon,alorsécoute-moibien,petitcon,parcequejenelediraipasdeuxfois.Tuespeut-êtremonmeilleurpote,mais jen’enai rienà foutreaumomentoù je teparle.Parceque,pour l’instant, tun’esqu’un connard de grand frère qui fait chier ma nana. Tessa est adulte, elle n’a pas besoin de tabénédictionpourleschoixqu’ellefait,surtoutconcernantleshommesqu’ellefaitentrerdanssavie.Situasunproblèmeavecmoi,viensmevoir,espècededégonflé,maislaisse-laendehorsdeça.Pigé?
Jeraccrochesansluilaisserletempsderépondre,parceque,sij’entendsunesecondedeplusdesatirade,jevaisdéfoncerunmur.Ignorantlesregardsdespersonnesautourdemoi,jeretourneàlatableoùmongroupeestinstallé,m’excusedeleslaisseretleurdisquejeferaimapartducodeetleurenverraiçapendantleweek-end.
L’adrénalinecourtdansmesveines;ilfautquej’aillelàoùjedoisêtre.Parceque,silesmotsdeCadenem’ontpastouché,moi…,qu’enest-ilducôtédeTessa?
21
TESSA
Jen’arrivepasàmedébarrasserdecequej’airessentienraccrochantaunezdeCade.Çametrottedanslatêtecommeungrosnuagegris,çameplombelemoraletmefaitremettreencausetoutcequejepensaisavoir résoluconcernant Jason.Ducoup, jeme remetsàdouter. Il faudraitque j’appellePaigepourpouvoirenparleravecelle,mais,commejesaisqu’elletravailletardcesoir,mesangoissesvontdevoirattendrejusqu’àdemainpourêtresoulagées.
Puisquejenepourraipasm’enleverçaducrânesijenemeforcepasàfaireautrechose,jeprendslelivrequejelisencemomentetessaiedem’yplonger.Jerelistroisfoislamêmepageavantdelaissertomber.Dansunsoupir,jerefermelebouquinetlejettesurlatablebasseaumomentoùquelqu’unfrappeàlaporte.
Jejetteunœilàlapendule,intriguée–ilesttard–etavancejusqu’àlafenêtrepourvoirquiestlà.Laréaction demon ventre en regardant dehors me prouve ce que je savais déjà : je suis complètementdépasséepar lesévénements,par lui, par tout ça. J’inspire à fondetvaisouvrir laporte.Là, je restemuettedevantJason.Ilalesdeuxmainsposéesdansl’encadrementdelaporte,etunevivetensionémanedetoutsoncorps.D’unevoixsourde,basse,ilmedit:
–Est-cequ’ilt’aparlé?Je comprends immédiatement àqui il fait référence, cequi signifiequeCade l’a appelé, lui aussi.
Cetteidéeprovoqueenmoiuneboufféed’angoisse;j’aipeurqueCadeaitincitéJasonàmettreuntermeànotrehistoire,qu’ilaittoutgâché.
Jasondoitlirequelquechosesurmonvisage,carilfranchitalorsleseuilpourentrer;là,ilrefermelaportederrièremoietprendmonvisageentresesmains.
–Dis-moiquetunel’aspasécouté,Tess.Sespouces caressentmes joues, d’une caressequi semble être autantdestinée à l’apaiser, lui, que
moi.–Dis-moiqu’ilnet’apasfaitchangerd’avisàmonsujet.Dis-moiquetuveuxqu’oncontinue.Cadenem’apasfaitchangerd’avissurquoiquecesoit,etc’estjustementcequimefaitpeur.Lefait
qu’endépitdesesavertissements, jemesens toujoursprêteàsauterdans l’aventure lesdeuxpiedsenavant,mettantmoncœurenpéril.
Jasonavanceversmoi,mefaisantreculerjusqu’àcequejemeretrouveplaquéeentrelemuretlui.Ilsepencheetmemordillelalèvreinférieure.
–Jet’enprie,dis-le-moi,mapuce.Tuestoujoursavecmoi?Jen’arrivepasàréfléchirtantmoncerveaubouillonned’inquiétudes(surcequipourraitarriver…si
Jasonpart,s’ildéconne,ousimoijedéconne),maisjeréprimecespenséespourmeconcentrersurcequisepassemaintenant.Ici,iln’yapasdesi,pasdemais.Ilestvraimentlà,plantédevantmoialorsquemonfrèreasansdoutefaittoutcequ’ilapupourledissuaderdemevoir.Ilestdevantmoietilmeveut.Ilmeveuttoujours.
–Jesuistoujoursavectoi,dis-jedansunmurmurecontreseslèvres.Immédiatement, Jason prendma bouche, forçant mes lèvres pour y glisser sa langue en un baiser
fougueux.Cebaiserestunepromesse,uneprisedepossession,etj’ensavourechaqueseconde.Sesmainspartentà l’assautdemoncorps,abaissantsurmesépaules la largeencoluredemontee-
shirtdenuitjusqu’àcequemesseinspassentpar-dessus.Un râle sort de sa gorge, tandis qu’il descend vers ma poitrine à coups de petits baisers et de
mordillements;ilprendl’undemesmamelonsdanssaboucheetsemetàlesuceravecforce.Jepousseuncrietlaissemesmainss’enfoncerdanssescheveuxpendantqu’unedessienness’attaque
àmonpantalondeyogapour le baisser, lui laissant bientôt accès àmapetite culotte.Samain entièredisparaîtsouslecotondemonsous-vêtement;sesdoigtss’agitentd’avantenarrière,dehautenbas,etjemeretrouveàhaletercontrelui.
–Allez,vas-y,prendstonpied.Ses caresses se font plus précises, ses doigts descendent pour se glisser en moi, puis reviennent
décriredepetitscerclesautourdemonclitoris.Deplusenplusvite,jusqu’àcequejenecomprenneplusrien.Sonsouffleaucreuxdemonoreille,lefrontappuyéprèsdematêtecontrelemur,ilmurmure:
–Jouissousmamain,etaprèsjet’emmèneraidanstachambre,jet’allongeraisurleventrepourquetescris soientétoufféspar l’oreiller, je soulèveraicebeaupetitculet je tebaiserai jusqu’àceque tujouissesencore.
Jegémis,ettoutmoncorpssetendàunpointpresquedouloureuxsousl’effetdecettepromesse.–Non…,prends-moimaintenant.Maintenant,Jason.Jenereconnaismêmepasmavoix,rauqueetessoufflée,implorantquelqu’undelabaiser.–Non,pasavantquetujouisses.Jegeinsetbasculelatêtecontrelemur,puisjememetsàpressermonbassinplusfortcontresamain,
contresesdoigtsavides,voulantqu’ilailleplusvite,plus fort,voulantqu’ilmeprennecomme ilm’aembrassée.Enmepossédanttotalement.
Il enfonce ses doigts aussi profondément qu’il le peut et les replie en moi, tandis que sa paumetravailletoujoursmonclitoris,etunfeud’artificeéclatealorsderrièremespaupières.
–Ohoui!grogne-t-ildansmoncou.Jesavaisquetumeledonnerais.Tout enme dirigeant versma chambre, Jasonme débarrasse demes vêtements.Le temps qu’il ait
refermélaportederrièrenous,jesuiscomplètementnue.–Surlelit,Tess.Commej’aidittoutàl’heure.J’acquiesce et recule jusqu’à ce que l’arrière demes genoux touche lematelas, ne voulant pas lui
tournerledosavantdel’avoirvusedéshabilleràsontour.Il lefaitvite,efficacement,et, lorsquesoncaleçonrejointletasdevêtementsparterreetqu’ilbranditfièrementsonsexedanssamain,jemelaissetombersurlelit,doutantquemesjambespuissentmeporterpluslongtemps.
Jefaiscommeilmel’avaitdit,m’allongeantsurleventre,etjeleregardevenirversmoipar-dessusmonépaule.Ilremontelelongdemesjambesenm’effleurantduboutdesdoigts,puissepencheetmemordbrusquementlesfesses.
Jeglapisavantdememettreàgémir,carilremontemaintenantdansmondosavecsalanguetoutenmechevauchantauniveaudescuisses. Ilm’embrasse lesomoplates,écarte lescheveuxdemoncouetm’embrasselàaussi.
Ils’écartealorsetagrippemeshanchesendisant:
–Lève-moiça,mabelle.Sesjambesprenantlesmiennesenétauparl’extérieur,jesuisobligéedegarderlescuissesserrées.
Jelèvemonfessierautantquejepeux,l’aidantàmeguiderdanslapositionqu’ilveutquej’adopte,alorsquesonsexevaetvientlelongdemafente,merendantfolle.
–Jason,dis-jeengrommelantetenessayantdelefaireentrerenmoi.–Tucroisquetuesassezmouillée?Jenesuispassûr.Saremarqueestabsurde,parcequejel’entendsglissercontremoi.J’ouvrelabouchepourleluidire
quandilreculesoudain,empoignelehautdemescuissesetmedonneunlongetlentcoupdelangueduclitorisjusqu’auvagin,memettantausupplice.
–OhmonDieu…Ilbasculelatêteverslebaspourpermettreàsalanguedevenirpressermonclitoris,etinsèredeux
doigtsenmoi,meprivantbientôtdetoutmonsouffle.Jemeresserreautourdelui,approchantdeplusenplusdemondeuxièmeorgasme.Jel’entendsgrognerdeplaisirpendantqu’ilpoursuitsonouvrage.
JASON
Cettefillemerendvraimentdingue.Dèsquejelavois,j’ail’impressiondeperdrelatête.Jenepenseplusqu’àsonexpressionquandelleestsousmoi,àcequ’elleressentquandelles’agrippeàmoi,àsavoixquandellecriemonnom.
J’attrapeunecapoteetl’enfilesurmonmembretoutenémettantunrâlesourddevantlespectaclequis’offreàmoi.Tessaestsurlelit,pilecommejelevoulais.Surleventre,leculrelevé,meregardantpar-dessus son épaule avec des yeux de braise. J’adore l’idée que c’est à moi que s’adresse ce regardbrûlant.Que,malgrétouteslesconneriesracontéesparsonfrère,ellemedésiretoujoursautant.
Je grimpe sur le lit et chevauche à nouveau ses cuisses en tenant sa hanche d’unemain et enmeguidantenelledel’autre.Jem’enfonceetlaregardes’ouvrirautourdemoi,engloutirmonsexeenentier,etjepousseunnouveaugrognementenvoyantsonvisageaffolédedésir.
J’aienviedelaravager,delabaisersifortqu’elleenoublierajusqu’àsonnom.Qu’elleoublieratousleshommesquionteuleprivilègedelaconnaîtredecettemanière.Pourqu’ellenesesouvienneplusquedemoi.Pourqu’ellenedésireplusquemoi.
–Tusaisquetuesvraimentbonne?Tuesparfaite…Jemeretirepresqueentièrement,puisjelapénètreànouveaulentementetprofondément,heureuxde
la voir serrer la couette de plus en plus fort entre ses mains. Elle lève les fesses encore plus haut,m’implorantsilencieusementdeluiendonnerplus.
–Plusprofond?Jesourisenl’entendantgémiretempoignesoncul,quejesoulèveenl’écartantautantquepossibleen
gardant ses jambes serrées. Je répète alors mon lent mouvement de va-et-vient, m’enfonçant aussiprofondémentquejepeux,attentifàsespetitsgémissements.Quandilsm’endonnentlesignal,j’accélèrelacadenceetlapilonneavecassezdeforcepourlafaireavancersurlelit.J’attrapesamainetl’écartede la couette pour la ramener dans son dos ; son corps estmaintenant ramassé sousmoi, et ses seinsdansentàchacundemescoupsdeboutoir.Ellealaboucheentrouverte,lespaupièresmi-closessousses
yeuxpresquerévulsés.Latenantd’unemainparlepoignet,jeglissel’autreverssaboucheetcaresseseslèvres.
–Ouvre,mapuce.Suce.Elles’exécuteimmédiatementetouvrelabouchepoursucermondoigt,caressantl’extrémitédubout
desalangue.Jepousseunrâleensentantmonindexdanscepalaismouilléetaugmentelavitesseet,nepouvantplusmecontrôler, lapressiondemonbassin. Je retiremondoigtdesaboucheetdescends lamainverssapoitrinepourtitillersontétondemonindexhumide.Jesouris,combléparsesgémissements,sesyeuxquis’ouvrentetseferment,sonsexequibatautourdumien.
–Oui,c’estça,mabelle.Vas-y,jouis,jouis.Tessaatoujoursétébelle,mêmeavantquejen’admettemonattirancepourelle.Maisquedired’elle
cesoir?Tellequejelavoislà,maintenant,allongéedevantmoi,haletantesoustoutleplaisirquejeluidonne,meregardantdroitdanslesyeuxalorsquej’appuiepilelàoùilfautpourlafairedécoller?
C’est trop. Alors qu’elle pousse un cri étouffé et que ses yeux se révulsent de plaisir sous sespaupières,jemelâcheetdécolleavecelle.
22
TESSA
J’ai beauy être déjà alléequelquefois, la visionde lamaisondesparents de Jasondepuis l’alléem’impressionnetoujoursautant.Ellesetrouvelégèrementenretraitd’uneruetranquille,unpeuéloignéedesautresmaisons– toutaussi impressionnantes–qui labordent.Moiquiai toujours trouvéquenousvivionsdansunjoliquartier,quandjelecompareàcelui-ci,celarevientàvivredansdescartonssousunpont.
Unedomestique–Magda,medit-on–nousaccueilledansl’entréeetprendnosmanteaux,tandisqueHaleyrestecolléeàmoi,bouchebée.
–Waouh!fait-elle.C’estuneseulemaison,toutça?–Ehoui,p’titbout.Jasonluiébouriffegentimentlescheveux,cequilafaitrireetladétendunpeu.Voyantquejenedis
rien,ilsetourneversmoietprendmamainpourlaserrerbrièvement.–Allez,pasdestress.C’esteux,toutça,pasmoi.OK?Après la soirée d’hier, quand Jason est venu chez moi, alors que Cade venait d’essayer de l’en
dissuader, jesuissûrequ’ilestvraimentavecmoi.Peut-êtrepaspour toujours,maisaumoinspourunmoment.Etpourl’instant,celamesuffit.
Cequim’inquiète,maintenant,cequim’apasmalempêchéededormircesderniers jours,c’est laréactiondesesparentsconcernantHaley.Ellenemériteaucundeleurspréjugés,etjenerépondspasdemesactessijamaisilsluidisentquoiquecesoitdedésagréable.
JeregardeJasonenhochantlatête,etilm’adressecesourire,monsourire,celuiqu’ilnedonnequ’àmoi,avantdedéposerunpetitbaisersurmeslèvres.Quelqu’unseraclelagorgejusteaumomentoùils’écarte.LamèredeJasonestàquelquesmètresdenous,l’airdesortird’unecabined’essayagedechezNeimanMarcus.Si ça se trouve, elleaundomestiquequi s’occupeuniquementde sagarde-robe.Sescheveuxbrunssonttirésenundélicatchignonbanane,coiffurequej’airéaliséecentfoispourlesmèresdemariées.Sonmaquillageestsubtiletparfait.Seslèvresrosepâlesontpincées,aumomentoùellenousregarde.Elleporteunchemisierensoiesurunejupedroiteavecdesescarpinsquejen’oseraismêmepasmettrechezmoi.Soussonregardscrutateur,jemesenstotalementàcôtédelaplaqueavecmesbottesetmajupeàfleurs,sansparlerdupullvintagequej’aidûpayertroisdollarsàlafriperieducoin.
–Maman.LavoixdeJasonmetiredemespenséesetfaittairemonangoisse.Dumoins,pourunpetitmoment.–Bonjour.Elleavanceversnous,mais,aulieud’embrasserJasoncommejem’yattendais(c’estcequefaisaitla
miennechaquefoisquenousrentrionsà lamaison,mêmesinousn’étionspartisquedepuisunedemi-heure),ellemetendlamain.
–Raviedeterevoir,Tessa.Jeluirendslapolitesse;sapoignéedemainestmolle.
–Mercidenousrecevoir,madameMontgomery.J’espèrequenousnevousdérangeonspas.–Pasdutout.Noussommesheureuxque,pourunefois,Jasoninvitequelqu’unàlamaison.Je jette unœil vers Jason, qui a lamâchoire serrée,mais ne dit rien. Je lui tends le plat que j’ai
apportéetdis:–Jenesavaispastropquoiapporter,etJasonnem’apasvraimentaidée;alors,j’espèrequeçaira.
Cesontdesharicotsvertsencocotte.Elleprendleplatavecunfrémissementdeslèvres,maiscettetentativedesourireressembleplusà
unegrimacequ’autrechose.–Oh!Commec’est…gentil.Merci.JevaisdonnerçaàMeganpourqu’elleleréchauffe.–C’estMagda,maman,tulesaistrèsbien.–Oui,bon,dit-elleenseretournant,s’attendantàcequenousluiemboîtionslepas.Tonpèreestau
petitsalonavecCharles,Stevenetleursfemmes.Jevousrejoinsdèsquej’auraidéposéçaencuisine.Dèsqu’elles’estéloignée,jemurmureàJason:–Bon,ças’estbienpassé.Jepariequ’elleestentraindejetermonplatàlapoubelle.Ilritetprendmamainpourlaserrer.Jedevinequ’ilaimeraitmemanifesterplusencoresonenviede
merassurer,maisHaleyn’étantplusbouchebéedevantlefastedel’entrée,illaprendaussiparlamainetnousemmèneversle«petitsalon».Qu’est-cequec’estquecettehistoiredepetitsalon?Chezmoi,ily a un salon normal ou une salle àmanger, ce qu’ils doivent bien avoir également, je présume.Ainsiqu’unfumoir.Unebibliothèque.Etunecaveàvin.Àvraidire,jesuissurprisequ’iln’yaitpasdedouvesdanscechâteau.
–Non,ellenelejetteraitpas.Sesbonnesmanièresleluiinterdiraient.Nousavançonsdansunlongcouloirauxmursbordeauxornésdetableauxquisontvraisemblablement
desoriginaux(etdoiventcoûterplusquemonsalaireannuel).Plusieursconsolesanciennesportantdesbouquets de fleurs coupéesviennent décorer le couloir. Je n’ai jamais vraiment pensé à la façondontJasondoitconsidérernotremaison.Elleestplusvieille.Laseulepièceayantétérefaiterécemmentestlacuisine,justeavantlamortdemaman.Àpartça,c’estunintérieurdouilletetdémodé,avecdesmeublesdatantdelapériodeoùj’étaisenprimaire.Jepréfèremettremonargentailleurs,etcelanem’ajamaisgênéedenepasavoircequisefaisaitdeplusneufoudeplusjolienmobilier.
Mais, en étant ici, en voyant l’endroit où il a grandi, le cadre auquel il est habitué, je ne peuxm’empêcherdemedemandersicelalegêne,lui.
Leterme«salleàmangerd’apparat»sembleavoirété inventépourcettepièce.Unetableenboisfoncépouvantaccueilliraumoinsseizepersonnesoccupelaplusgrandepartiedelapièce.Unlustreàpampillesdecristalestsuspenduauplafond,éclairépilecommeilfautpouryvoirclairsansêtreagresséparlalumière.Desverresencristaletbientropdepiècesd’argenteriesontdisposésdevantchacunedeschaisesenboissculpté,merappelantlerestaurantoùGregm’avaitemmenée.Làaussi,c’esttropriche,tropfourni,troptout.
–Ce n’est qu’unemaison, chuchote Jason àmonoreille enmepressant le genou, attirant sur nousl’œilsévèredesonpère.
MonsieurMontgomeryestassisauboutdelatable,et,s’iln’arienfaitquimontreostensiblementsadésapprobation,ilsembletoujoursnousregarderdehaut.Depuisnotrearrivée,sonregardnes’estjamaisposébienloindemoiouHaley,mêmealorsqu’ilétaitengrandeconversationavecCharlesetSteven,deuxdesesassociésdansl’entreprise,ai-jeappris.Ceregardconstantmestressebeaucoup;nonparce
qu’ilesteffrayant,maisparcequ’ilsemblecalculateur,cequiestpresquepire.Lepersonneldetable(franchement,quiadupersonnelpourleservicedetable,denosjours?)vient
seglisserdanslapiècepeuaprèsquenousavonsprisplaceetposedevantnousdesplatssoigneusementprésentésquidoiventêtretypiquesdelatraditiondeThanksgiving.Lesportionssontminuscules.SiCadevoyait ça, il ferait une attaque.Thanksgiving n’est pas vraiment lemoment pour une démonstration denouvellecuisine.
Mapoitrineseserreenpensantàmonfrère,àcequ’ilm’adithiersoir…etàlafaçondontj’aimisfinàl’appel.Jesaisbienqu’ilnefaitqueprendresoindemoi,qu’ilveutéviterquejesouffre,maissesmotsmefontencoremal.Surtoutparcequ’ilsont ravivé lespeursque j’aieu tantdemalàsurmonteravant de m’engager dans cette histoire avec Jason. Il faut que je lui parle, que j’essaie de lui fairecomprendrelasituation.
Parceque,mêmesijesuisuneadultequiélèveseulesafilleetn’apasbesoindesonapprobation,j’aimeraismalgrétoutqu’illeprennebien.
Haleytiresurmamanche.Jemebaissepourqu’ellepuissemurmureràmonoreille.–Maman,j’aimeriendetoutça,dit-elleenplissantlenezavecunemouededégoût.Jeréprimeunpetitrire,parcequeriendecequisetrouvesurlatablenemeplaîtbeaucoup,àmoi
nonplus.–Mangecequetupeux,machérie.Tuaimesça,ladinde.–Oui,maisyadelasaucerougepasbonnedessus.–Onpeutl’enlever.Etilyamacocottedeharicots.Regarde,là,c’estdelapurée…,enfin,jecrois.Jedésigneunemasseblanchemodeléeenformederose…oudejenesaisquoi.–MonDieu,j’espèrequelerepasestadaptépourlapetite?lancemadameMontgomerydel’autre
côtédelatable.Lesmotssontpeut-êtregentils,maissonintonation,beaucoupmoins.–Celafaittellementlongtempsquenousn’avonspaseud’enfantàcettetable,ajoute-t-elle.Jemeredressesurmachaiseetagiteunemaindevantmoi.–Non,non,c’esttrèsbien.Merciencoredenousavoirinvitées.Ellemefaitunpetitsourirecrispé,sesyeuxoscillantentreJasonetmoi,etj’aienviededisparaître
sous terre. Je neme sens vraiment pas àma place, ici. J’ai l’impression que ses parents n’attendentqu’unechose:quemafillecommenceàjoueraveclanourritureouémetteunrot,n’importequelfauxpasquileurpermettraitdedire:«Tuvois!Qu’est-cequetufabriquesavecquelqu’uncommeça?»
Ni l’un ni l’autre n’a été ouvertement désagréable avecmoi ouHaley jusqu’ici,mais il n’est pasdifficile de relever les signes subtils de leurmécontentement, les jugements non dits, et je détestemeretrouverlà.
Passeulementpourmoi,carJasonaluiaussisapartdetorture.Ilestpiégédansunediscussiondeboulotavecsonpèreetsesassociés,et,sijemefieàlatensiondesamainsurmajambe,jecroisqu’ilvaavoirbesoinpourtenirlecoupdeplusqueleverredebourbonquesonpèreluiaservi.
Autourdelatable,laconversationseconcentresurl’étatdel’entreprise.Aprèsavoirretiréautantde«saucerougepasbonne»quepossibledeladindedeHaley,jecoupemaviandeenespérantpouvoirenmangerunequantitéacceptable.
–Ettoi,Tessa,poursuis-tuaussitesétudes?Laconversations’arrêtesur laquestiondemadameMontgomery.Jesourisetavalemabouchéede
dindeavantderépondre.
–Non,jetravaille.Jesuiscoiffeuse.Lafaçondontsongestesefigeunquartdesecondequandelleportesonverredevinàsaboucheest
subtile,maisjelavois.Jevoiségalementsesyeuxseposersurmescheveux,surlesmèchesviolettesquim’inquiétaienttant.J’aimeraismaintenantqu’ilnes’agissepassimplementdequelquesmèches,maisdetouteunemassedecheveuxviolets,histoirequ’elleaitdequoiserégalerdanssonjugement.
–Coiffeuse…–Oui.–Ehbien…Tantmieuxpourtoi.Làencore,letondesavoixcontreditl’intentionaimabledesesmots.–Mais,commetuaseuHaleysijeune,jesupposequetuasétéobligéedechoisirunmétieravecune
formationcourte,n’importequoi,j’imagine.Jasonseraiditprèsdemoi.Jeserresongenousouslatablecommeilmel’afaittoutàl’heure.Ilne
serendpascomptequecen’estpaslapremièrefoisquejesuisconfrontéeàcegenrederemarque.Lesgensestimentqu’étantunejeunemèrecélibataire,jeconstitueuneciblefacilepourleursjugements.J’aidûapprendretrèsviteàrépondreàcela.
–Pasdutout.Ilsetrouvequej’aitoujourseuenviedefairecemétier,bienavantqueHaleynesoitlà.Etjemedébrouilleplutôtbien,donc…
Jehausselesépaulesetboisunepetitegorgéedevin,mettantuntermeàladiscussion.Dumoins,jelecroyais.–Nouspourrionssûrementtetrouverquelquechosedansl’entreprise,n’est-cepas,Lawrence?N’y
a-t-ilpasunpostedelibreaucourrier,encemoment?Ouàlaréception?AvantmêmequelepèredeJasonpuisserépondre,jesourispolimentetrétorque:–C’esttrèsgentilàvous,maisjenecherchepasunautretravail.Jesuisheureuselàoùjesuis.–Peut-être,maisceseraittoutdemêmeunpeuplus…prestigieux,non?ditmadameMontgomery.Je me mords la langue pour me retenir de débiter la myriade de répliques que j’ai envie de lui
balancer.Jeluidisplutôtcequejetrouvedepluspoliàrépondre.Etqui,enl’occurrence,nedoitpasvraimentl’être:
–Pourvous,peut-être,maismoi,j’aimecequejefais.Jenemesouciepasbeaucoupduprestige,delafaçondontlesgensconsidèrentmacarrière,nidel’argentquejepourraisgagner,carjesuisheureusedanscequejefais.
Toutlemonderestemuetautourdelatable;lesvisagessontferméssouslechoc.Jevoudraispouvoirm’enfoncerdansmachaiseetmecachersousla table,mortifiéequejesuisden’avoirpassutenirmalanguependantdeuxsecondes,quecettebandedesnobsm’aienténervéeounon.Mesyeuxse tournentalorsversJason:ilregardesonassiettesophistiquée,unimmensesouriresurleslèvres.Jeredresseunpeulesépaulesetm’assoisbiendroitesurmachaise.
Aprèsquelquessecondesd’unlourdsilence,laconversationreprend,etJasonseretrouveembarquédansdesdiscussionsprofessionnelles.Sonsourires’esteffacé.Pour lapremière foisdepuisqu’ilm’aparléde l’ultimatumposépar sesparents, je ressensune réelle compassionpour lui.Comme samèrevientdeleprouver,untravailpeuprestigieuxesttoutàfaitinacceptableàleursyeux.Alors,pourlui,lefilsunique,seulhéritierdunomdesMontgomery?Jenepeuxmêmepasimaginerleurréactionquandilleur a annoncévouloirgagner savie enconcevantdes sites Internet, au lieude reprendre le flambeautransmisparsonpèreetsongrand-père.Jenesuismêmepasdelafamille,etsamèrevoulaitdéjàme
fairechangerdeboulot,mepousser,pourquej’aieleprivilègederevendiquerl’étiquettedeleurnomdefamilledansmavieprofessionnelle,versautrechose,alorsquejesuisheureusedecequejefais.
Je regardeJasonenbiaiset remarque la tensiondanssamâchoire, ses épaules. Je saisis enfinunebribedeceque signifieêtreunMontgomery.Quellehorreurde le savoirainsi soumisà leurscritèresabsurdes!Etquesesparentsnepuissentpasl’acceptertelqu’ilestetlesoutenir!
JASON
–Alors, Jason, prêt à suivre votre père pour cette nouvelle année à venir ? Il va falloir être à lahauteur,aprèslui,ditCharles.
Nousnesommesquetouslesquatredanslebureaudemonpère;lesfemmessontensembledansuneautrepartiedelamaison,oùmamèrelesaentraînéespourexhiberjenesaisqueltrucquifaitbienensociétéetdonttoutlemondesefiche,surtoutTessaetHaley.Mêmesij’aimeraisbeaucoupmebourrerlagueule,jesuispasséàl’eaudepuisuneheurepourpouvoirrentreraussivitequepossible.Ilfautquejepartedecettemaisonsanstarder.J’étouffelittéralement.
Leshommestiennenttousleurverredecristalremplideleurdigestifpréféréenfumantlescigaresdemon père et en bavassant sur des sujets qui me passent complètement au-dessus de la tête. J’ail’impressiondevoirl’avenir,ceàquoimaviepourraitressemblerdansvingtans.Etçamedonnel’enviepresqueirrésistibledesauterparlafenêtre.
Jem’éclaircislavoixetdis:–Jesuiscertainqu’ilferatoutcequ’ilfautpourquejesoisàl’aise.–Jen’endoutepasuninstant.Charlesm’observequelquesinstants,ainsiqueSteven.–Celadit,nousavonsquelquesdoutessurunautresujet,ajoute-t-il.Jehausseunsourcil,sachantdepuislongtempsquejen’échapperaispasàcegenredequestionnement
avantd’intégrerlasociété.Aulieuderépondreàmoninterrogationtacite,ilmedit:–Parlez-moidoncdeTessa.Jemesensimmédiatementsurlequi-viveetleregardeavecméfiance.Jenesaispasàquoiiljoue,
maisjesaisquejerisquefortdenepasaimerça.–Commentça?Quevoulez-voussavoir?–C’estsérieux,entrevous?–Jenevoispasenquoicelavousconcerne.Monpèreseraclelagorgebruyamment,maisjeneluiaccordemêmepasunregard,focaliséqueje
suissurleconnardencostardArmaniassisdevantmoi.–Jetrouvequesi,personnellement,dit-il.–Etvousvoulezbienm’expliquerpourquoi?Ils’adossedanssonfauteuiletcroiselesjambes.– En janvier, quand vous commencerez officiellement à prendre la relève chez Montgomery
International,touslesdomainesdevotrevieserontscrutésaumicroscopeetrenduspublics.–Ouf,j’aieupeur,j’aicruquevousalliezmedirequemavieallaits’arrêterenjanvier.
Ilpoursuitcommesijen’avaisriendit:–Vousn’avezpasétéparticulièrementdiscretencequi concernevos…activités extrascolaires. Il
seraitpeut-êtretempsquevousvousposiez,histoirederassurertoutlemonde.J’avalemoneauminéraledetraversetmemetsàtousser,lesyeuxexorbités.–Pardon?Ilmetoised’unregardsévère.– Nos clients attendent une certaine image… familiale de notre entreprise. C’est ainsi que votre
grand-pèrel’acréée,etvotrepèreaeuàcœurdesoignercetteimage.–Vousvoulezdiredementirsurcetteimage…Ilmefixelonguement,puisajoute:– Nos autres partenaires ont exprimé leur… inquiétude au sujet de votre style de vie. Mais,
finalement,peut-êtren’êtes-vouspassiloindevousfixeretdefonderunefamille…,dit-ilavecunsignedetêteendirectiondelapièceoùnousavonslaissélesfemmes(ycomprisTessaetHaley).
Normalement, la simple évocation de cette idée m’aurait donné une crise d’urticaire. Étant auxpremièreslogesdumariagedésastreuxdemesparents,jen’aijamaiseulamoindreenviedelesimiterrapidement.Oumêmeplustard.
Mais,aujourd’hui,jeconstatequel’idéedeceprojetavecTessanemefaitpasbondircommecelaauraitpuêtrelecasilyaseulementquelquesmois.
Cequimefaitsortirdemesgonds,enrevanche,c’estquecettebandedesalopards,quinepensentqu’àlaboîteetsefichentdelaviedeshommesetfemmesquiyparticipent,veuillentseservird’elleetnous inciteràvivreensemblepour laseulecausede l’imagede l’entreprise. Jeposemonverreetmelèvedemonfauteuil.
– Désolé de briser votre rêve, Chuck,mais ça ne se passera pas comme ça. Et neme faites pasl’insultedemereposercettequestion.
Sur ce, je tourne les talons etm’envais chercherTessa etHaleypour les emmener aussi loinquepossibledecemonde.
23
JASON
Mesmainssontagrippéesauvolant,quejeserreàm’enfaireblanchirlesjointures.Jefulmineencoreenrepensantàcequivientdesepasserilyaunedemi-heure.LasuggestionàpeinevoiléedeCharlesdemefairepasserlabagueaudoigtdeTessapourrassurerlesassociés(justepourrassurercettebandedecons!)étaitsipeusubtilequecelaauraitétédrôlesiç’avaitétémoinsinsultant.
Ilestclairque,danscetteboîte, tout lemondecroitpouvoir fairecequ’ilveutdemoi(résultatdel’arrogancedemonpère, sansaucundoute),etmeprendpourunpantinqu’ilsvontpouvoirmanipulercommebonleursemble.
J’auraisdûvoirlecoupvenir.Jesavaisquequelquechosedecegenreallaitvenir,qu’ilstrouveraientlemoyendemettreleurssalespattessurleseuldomainedemaviequejeveuxpréserver,domainequej’aurais dû garder sous clé. Je n’aurais pas dû inviter Tessa etHaley ce soir. Non parce qu’elles necomptentpaspourmoi,maisjustementpourlaraisoninverse.Ellescomptentbeaucouptroppourquejelaissemafamilletoxiques’immiscerentrenous.J’auraisdûalleràcefouturepastoutseuletleslaisserendehorsdeça.Tessaapasséunesoiréehorrible,etHaley,guèremieux.Quantàmoi,toutcequej’aigagné,c’estdemeretrouveravecauxfessescettebandedechienscherchantàavoirquelquechosequejeneleurdonneraijamais.
JamaisjeneleurlaisseraiTessaouHaleyenpâture.NousroulonsensilenceverslamaisondeTessa;Haleys’estendormieàl’arrièreauboutdedeux
minutesdetrajet.Tessan’ariendit,ellenonplus.Jenesaispassielleperçoitl’étatdanslequeljemetrouveou,pire,simamèreluiaditquelquechosequandellesn’étaientplusavecnous.Quelquechosedepireque sa remarque lors dudîner sur le travail deTessa. J’espèrequemamèren’apasdit quelquechosed’àpeuprèssimilaireàcequeCharlesm’abalancé.
Toutescespossibilitésmenouentleventre,etjesenslepoidsduregretsurmesépaules.Jeneveuxpasqu’ellesachecequ’onm’aditenfindesoirée,jeneveuxpasqu’ellecroiequejepourraismeservird’elledelasorte.
Jemegaredans l’alléedesamaison.Tessasortde lavoituresansdireunmotetsedirigevers laportièrearrièrepoursortirHaleydesonsommeil.Jelarejoinslàetl’attirecontremoienpressantmeslèvressursonfront.Jen’aipasenviedeparlerdecequis’estpassécesoir,maisj’espèrequecegestesuffitàluifairecomprendrequecen’estpascontreellequejesuisfâché.Heureusement,ellemerendmonétreinte,etjepousseunsoupirdesoulagement.
Elles’écartedemoipourprendreHaley,maisjepassedevantellepourouvrirlaportière.–C’estbon,jem’enoccupe.JedétachelaceinturedesécuritédeHaleyetsorssonpetitcorpsendormidelavoiturepoursuivre
Tessaquiouvrelaportedelamaisonetnouslaissepasser.Haleya la tête appuyéecontremonépaule.Consciemmentoupas, elle serremachemise entre ses
doigts.Jesuisvraimentgagadecettepetitefille.L’idéedelavoirtouslessoirs,delaborderetdelui
liredeshistoiresavantdedormir,defabriquerdesbonshommesdeneigeavecelle,puisdemecoucheravecTessapourm’éveillerauprèsd’ellechaquematinneprovoqueenmoiniangoissenipaniquecommeje pourrais m’y attendre – ou comme j’aurais pu m’y attendre il y a quelques mois. Maintenant, jecomprendsenfindequelgenredefamilleparlaitmongrand-pèrequandj’étaisplusjeune…quandjenepouvaispaslecomprendre,puisquelecouplequeformentmesparentsn’avaitjamaismanifestéuneonced’amour.Maintenant,jeleveux.C’estpeut-êtretroprapide,jesuistropjeune,ettoutcelaesttotalementàl’opposédetoutcequej’auraisimaginédansmavie,maisjenepeuxpasnierl’évidence.
Jelesveuxavecmoi.Touslesjours.Etjeveuxquecesoitàmamanière,etpaspourfaireplaisiràdesconnardsdebusinessmen.
TESSA
Haleyseréveilleàpeinependantquej’essaiedeluienleversabellerobepourlamettreenpyjama.Elleestmollecommeunepoupéedechiffonetnem’estd’aucuneaidedanslamanœuvre,maisjefinisquandmêmeparlamettreaulitavecunbisousurlefront,etjemeglissehorsdesachambre.
Jepensequ’elledevaitcroirequecette soirée ressemblerait àunedesesdînettesdegala,versionréelle,mais j’aivu ladéceptions’accentuersursonvisageàmesureque lasoiréeavançait.Elles’estaffreusementennuyéeetaeudumalàfairefaceàdesgenssidifférentsdeceuxqu’ellecôtoied’habitude.Elles’estquandmêmeconduitecommeunange,etce,malgrélespiquesquej’aipurecevoir.J’espèreseulementqu’ellenes’enestpasrenducompte.
Jen’aijamaiseuhontedemonmétieroudufaitquej’enaiebesoinpournousnourrir,mafilleetmoi.Pourquoienaurais-jehonte,d’ailleurs?J’aivraimenteulahainequandlamèredeJasons’estcontentéed’unvaguehaussementdesourcilsenguisedecommentairesurmonchoixdecarrière.
Mamèreétaitdécédéedepuislongtempsdéjàquandj’aichoisidefairel’écoledecoiffure,maisjepensequ’ellem’auraitsoutenuedanscechoix.Àvraidire,ellem’auraitmêmesoutenuesijeluiavaisditvouloirfairel’écoledesclowns,dumomentqueçam’auraitrendueheureuse.Quandjevoislafaçondontcelasepassedanscettefamille,lapressionetlesattentesauxquellesJasonestconfronté,j’enailecœurbrisépourlui.
Pasétonnantqu’ilaitperduespoiretqu’ilsesentepiégésouscescritèresimpossibles.Ils’estpasséquelquechosecesoir,quelquechosed’autrequecequis’estditaudîner,mais ilest
clairqu’ilnesouhaitepasenparler.Ilestrestémuetpendanttoutletrajetenvoiture,etjen’aipasvoulum’immiscerdanssespensées.Jen’osemêmepasimaginerladosededéceptionqu’ildoitdigérerchaquefoisqu’ilpartdechezsesparents…et ildoityaller touteslessemaines.Jemedemandes’ils luifontouvertementdesreprochesausujetdesoncursusuniversitaire…,concernant lechoixqu’ilafaitouletempsqu’ilmetàpassersondiplôme.Sioui,lefont-ilsdemanièresubtileoubiendéballent-ilstoutsansménagementquandiln’yapasd’autrespersonnespourservirdetamponautourdelatable?Etlefont-ilssouvent?Chaquesemaine,unefoisparmois?
Jenesaisvraimentpascommentilfaitpoursupporterça.Encequimeconcerne,ilasuffid’uneseulephrasedesamèrepourquejerépliquesuruntonàpeinepoli.Sijedevaisentendreçasemaineaprèssemaine, mois aprèsmois, année après année…, je les aurais sûrement envoyés promener une bonnecentainedefoisàcejour.
Je reviensdans le salonet trouve Jasonaffalé sur le canapé, la têtecalée suruncoussin, lesyeuxfermés.J’aiunpincementaucœurenvoyantcettepersonnalitésiaffirméeetextravertieréduiteainsiausilenceetàlarésignation.
Sespaupièresrestentcloseslorsquejemontesurlecanapé,àcalifourchonsurlui;sesmainsglissentsousmajupepourcaressermescuisses.
–Jesuisdéso…J’interromps ses excuses d’un baiser – pas envie, pas besoin de ça – et glissema langue dans sa
bouche,tandisqu’ilgrognedoucement.Sesmainsseresserrentsurmoipourm’attirertoutcontrelui;sic’estcequ’ilfautpourretrouverleJasonquejeconnais–monJason–jesuisprêteàleluidonnerdecentmanièresdifférentes.
Sesmains remontent en haut demes cuisses avant de glisser sousma petite culotte de satin pourempoignermesfesses.Lesdeuxmainsdanssescheveuxenbataille,jeguidesatêteverslebasquandils’écarte dema bouche, lamaintenant dansmon cou où il lèche,mordille et dépose unemultitude debaisersfougueux.Sesmainsseposentsurmatailleetcommencentàrelevermonhaut.Jelèvelesbraspour l’y aider. Ses yeux se posent sur toutes les parties dénudées demon corps avec une avidité nondissimulée.Trop impatient, il neprendmêmepas la peinede retirermon soutien-gorge et se contented’enabaisserlesbonnetspourprendreundemesmamelonsdanssabouche.
Sonnomsortdemes lèvresenunsoupir, le râlequ’ilm’adresseenguisederéponsevibresurmapeau,mefaisantmecambrerdavantagecontrelui.Ilmeserreplusfort,agrippantmeshanchesetfrottantcontremoi son érection encore prisonnière de sonpantalon.Mes doigts s’agitent pour déboutonner sachemise,puisl’ouvrir,laissantmesmainsmonteretdescendrelibrementsursapoitrineetsonventre.Jedéboutonnesonpantalonetenouvre la fermetureéclair,puis je libèresonsexedesoncaleçon.Jemedélectedugémissementqu’ilpousselorsquejelecaressefermement,effectuantdepetitscerclessursonglandavecmonpouce.
– Bon Dieu, Tess, dit-il en m’attrapant par la nuque pour m’embrasser et que je continue de letravailleravecmamain.
Ils’écarteetposesonfrontcontre lemientoutenbaissant lesyeuxverssonsexeglissantdansmamain.
–Tuvoiscommetumefaisbander?Commej’aienviedetoi?Sesmotsetlapreuvedesondésiraucreuxdemamainsontdesdroguespuissantes.Jemesenssexy
etdésiréeenlevoyantdansuntelétatàcausedecequejeluifais.LorsqueJasonsetortillepourattraperson portefeuille et en sortir prestement un préservatif, j’ai la confirmation ultime que mon désir estpartagé.Ilenaenvietoutautantquemoi.Ildéroulele latexsursonsexe,puisécartemapetiteculottepourpouvoirmecaresser.Jesuisaccrochéeàsesépaules,haletantdanssoncouetfaisantondulermeshanchesdansl’espoirqu’ilm’emplisseviteavecdavantagequesesdoigts.
Ma demande silencieuse semble avoir été entendue : ilme soulève juste un peu enmaintenantmaculotte écartée pour pouvoirme pénétrer sans l’enlever. Lorsque jem’empale sur lui, le prenant toutentier dans mon corps et le regardant me regarder, les paupières mi-closes, je suis submergée parl’évidenceque toutestdifférentavec lui.Tout : lespapillonsdans leventre, l’excitationde levoir, ledésirpuissantetconstantquejeressensensaprésence.Jenem’attendaispasàcela,jen’enespéraispasautant,maisc’estlà,indéniable.Cetteconnexionentrenous(àlafoissinouvelleetsifacile,sisimple,commesinoscorpsseconnaissaientdepuisdesannées)estexaltante,etjecomptebienenprofiteretnepaslalâcher.
Sesmainsagrippentmeshanches,m’enjoignantdeglisserd’avantenarrièrecontrelui.Lapressionexercée ainsi surmon clitoris est exactement ce qu’ilme faut pourmonter de plus en plus haut. Il seredresseunpeupourlécherundemesseins,nefaisantqu’accroîtrel’enviequej’aidejouiraveclui.
Jamaisjen’aiéprouvéundésiraussibrûlantpourquiquecesoitavantlui.Jamaisjen’aieuenviedequelqu’unaupointdenemesentirrassasiéequ’enfaisantl’amour.Uneenvietellequejeneprendsmêmepasletempsderetirermesbottes.Nimêmed’enlevermaculotte.Jemecontentedel’écarterunpeupourqu’ilpuisseentrerenmoisansdélai.
Toutcelaacommeungoûtd’interdit,desauvagerieetdeprofondeintimité.Pouvoir être aussi audacieuse avec lui, le voir prendre avec plaisir tout ce que je lui donne, le
moindresoupirougémissement,sansqueluinonplusnesecensureavecmoi,toutcelaestincomparable.Cette révélation, combinée à lamanière dont ilme tient en haletantmon nom encore et encore au
moment de jouir et enme serrant comme s’il voulait ne plus jamaisme lâcher, ne fait pas seulementchavirermoncorps.
Moncœurdécideluiaussidefairelegrandsautetdes’abandonner.Quellesquepuissentenêtrelesconséquences.
24
TESSA
LesoufflecourtdeJasonrafraîchitmapeau,etmatêtereposesursonépaule.Ildéposeunpetitbaiseraucreuxdemoncouetdemonépaule,m’envoyantunfrissondanstoutlecorps.
Laprisedeconsciencequejeviensd’avoirs’ancreenmoi:moncœuracraquépourJason,malgrétousleseffortsquej’aipufairepourleprotéger.Pourlepréserver.Toutcelan’auraserviàrien.Toutesmesmisesengardeavant lui,mesprécautions,mesévitementsontvoléenéclats.Parceque,çayest,c’estsûr:ilm’aàsabotte.
Jeneveuxpassortirdecetétat.Enmêmetemps,jevoudraispartirencourant.Jesuisdéjàpasséeparlà,dumoins,jelecroyais.J’étaisjeuneetamoureuse,mêmesijemerends
comptemaintenantquejen’aijamaisvraimentaiméNick.Parcequecequejevisaujourd’huiavecJason(quoiquecesoit)estmillefoispluspuissantquetoutcequej’aipuéprouverpourNick.
Etcelameterrifie.Jesuisterrifiéedecequecelasignifiepourmonavenir.LemienetceluideHaley.QueferaitJason
s’ilsavait?Est-cequ’ilpaniquerait?S’enfuirait?Merepousserait-ilouserapprocherait-ilencoredemoi?ToutcequejeconnaisducomportementdeJasonjusqu’iciappellelapremièreréponse,maistoutcequ’ilafaitcesdernierstempsappelleplutôtlaseconde.Siseulementjepouvaisenêtresûre,savoircequ’ilressent.S’ilaenviedes’engageravecmoiousijenesuisqu’unedistraction.
Sesmainsdescendentsurmesfesses,etilmeserrefortcontreluitoutenselevantetenmegardantcolléeàluipournousdirigerdanslecouloir,directionmachambre.
–Attends,noshabits…Parce que voilà ce qui est important – après avoir pris conscience que je suis amoureuse de cet
homme.–Jevaisallerleschercher,dit-ilenmeposantsurlelitavantdem’embrassersurlefront.Ilmedébarrasserapidementdurestedemesvêtements,meretirantmesbottesainsiquemajupeet
monsoutien-gorge.–Jerevienstoutdesuite.Sanslamoindregêne,jeleregardesortirdelachambre,nuetdécontracté.Dèsquejenelevoisplus,
mesangoissesreviennentenforce,medévorantlittéralement.Malgrémarévélation,oupeut-êtreàcaused’elle,jenepeuxm’empêcherdesongeràcequimetrottaitdanslatêteenvoiture,quandnousrentrionsdechezsesparents:Jasonnem’ajamaisinvitéechezlui.Est-cesimplementuncomportementtypiquedegarçon, qui ne se rend pas compte de ce que cela peut représenter pourmoi ?Ou bien y a-t-il autrechose?Essaie-t-ildegardercettepartiedesavieséparéedemoi?Denous?Est-ceunsigneindiquantqu’iln’estpassuffisamment investidansnotrehistoirepourmemontrerquelquechosed’aussi simple,quoiquetrèspersonnel,quel’endroitoùildorttouteslesnuits?
Malgré tous mes efforts pour la faire taire, une petite voix dans ma tête commence alors à se
demanders’ilyaemmenéd’autresfilles…,siellesconnaissentlacouleurdesesmurs,l’odeurdesesdraps.Etj’aimalenpensantquedesdizainesd’autresdoiventconnaîtrecesdétailsdesavie,alorsquejen’aimêmepaseudroitàlapluspetiteinvitation.
L’idéepersistequandJasonrevientsecoucherprèsdemoi,passantsonbrasautourdemataillepourmeserrercontrelui.Moncorpsvoudraitprofiterdeladélicieusesensationdelesentirainsicolléàmoi,seulement,monespritnelâchepasl’affaire.Ilnecessederuminer,mepassantenbouclelesimagesdemillefillessansvisagedansunegarçonnièreimaginaire,jusqu’àcequelesmotssortenttoutseulsdemabouche:
–Tusaisquejen’aijamaisvutonappartement?LesmainsdeJasons’immobilisentsurmonventre,etc’estuniquementenlesentantsefigerquejeme
rendscomptequ’il était en traindem’embrasser l’épaule. Je ferme lesyeux, redoutant la suite.Voilà,c’est lemomentoùc’enseratroppourlui.Oùilvacommenceràfairemarchearrière,às’éloignerdemoi,toutçaparcequej’auraivouluvoirl’endroitoùilvit.
Etpuis,ilrit.Jesenssonsoufflehilaredansmondosetsapoitrinesecouéederrièremoi.–Jepeuxsavoircequitefaitrire?–Toi.Ilm’embrassesurl’épauleetmeserreplusfortcontrelui.–Jenecomprendsvraimentpascommentmarchetoncerveau.Ilyacinqminutes,tujouissaissifort
que j’ai dû temettre unemain sur la bouche pour t’empêcher de réveillerHaley, et,maintenant, tu tedemandesàquoiressemblemonappart?
Nesachantpasquoirépondreàcela,jemecontentedehausserlesépaules.Surmapeau,jesenssonsouriredisparaîtrepeuàpeu,puisilseredressesuruncoudepourpouvoirmeregarder.
–Dis,çat’embêtevraiment,ouquoi?Ilalessourcilsfroncés,sesyeuxscrutentlesmiens,etj’ail’impressionderespirerpourlapremière
foisdepuiscescinqdernièresminutes.Jehochelatête,etdis:–Oui.Levoyantclairementperplexe,j’ajoutedansunsoupir:–Donc,jesupposequec’estjusteuntrucdemec?–Commentça,untrucdemec?–Denepasm’avoirinvitée…–Jenesaispascequetuveuxdirepar«trucdemec»,maissiçasignifiequejesuis justeassez
couillonpournemêmepasavoirpenséquetupourraisavoirenviedevenir,alors,oui.Jeledévisage,essayantdedéchiffrersonexpression.Ilal’airtristeetsincère,maislapartiedemon
cerveauquiafantasmésesexploitsamoureuxdanscelieuimaginairen’estpasencoreapaisée.–Est-cequetu…?Enfin,as-tudéjàemmené…desfilles,quoi,là-bas?Cheztoi?Lorsqu’unsourirerevientlentementsedessinersurseslèvres,j’aienviedelegifler,delepousseret
delefairetomberdulit,carjemesenssoudaintropgênéed’avoirétéréduiteàcegenred’inquiétude.Celanem’arrivepassouvent,Dieumerci,maisavecuncascommeJason,c’étaitinévitable.
–Tuesjalouse,dit-ilavecunrictus.–Pff,pasdutout.–Si,tuesjalouse!Ilpousseunpetitrireincrédule.
–Jen’ycroispas!–Ehbien,tuasraisondenepasycroire,parcequecen’estpaslecas.Jem’écartebrusquementdeluietrouleplusloindanslelitpourneplusvoirsonsourired’abruti.–Oh!allez,arrête.C’estmignon.C’estadorable.Jecroisquepersonnen’ajamaisétéjalouxpour
moi,avanttoi.–Demémoire,jedoispouvoirteciteraumoinsvingtnanasquiontétéjalouses,teconcernant.–D’accord;alors,jereformule:personned’importantàmesyeux.Jetournelatêteetleregarde,lementonpressécontremonépaule,attendantqu’ilpoursuive.–Non,personnen’estjamaisvenulà-bas,àpartAdametCade,etjetejurequ’ilsnesententpasaussi
bonquetoi.Ilserapprochedemoietemboîtesoncorpscontrelemienendéposantunpetitbaiserdansmoncou.–Tumefaislatête?Jetepréviens:commejemanqued’expérienceenlamatière,jenesuispastrès
douépoursaisirlesallusionsunpeusubtiles.Situesfâchée,ilvautmieuxmeledirefranchement.Je le regarde, avec ses cheveux en bataille et ses yeux noisette, et je me rends compte qu’il est
totalementsincère.Jepousseunlongsoupiretlèvelatêtepourl’embrassersurlabouche.–Non,jenesuispasfâchée.Jenel’aijamaisété.J’étaisjuste…unpeudansledoute.Sonregardrieurredevientsérieux.Ileffleuremeslèvresdesonpouce.–Net’inquiètepascommeça.Iln’yaquetoi,Tess.Il se penche etm’embrasse, doucement, profondément ; puis, s’écartant légèrement, ilmurmure sur
meslèvres:–Quetoi,mapuce.Jesuisréveilléeparungrandéclatderireetm’étiredanslelitentendantlebrasmachinalementà
côtédemoi,mêmesijesaisdéjàquejen’ytrouveraiqu’uneplacevideetfroide.Aprèsnotrediscussiond’hiersoir,oùj’ailaisséapparaîtrelapremièrefailledansmonarmure,Jason
a entrepris d’embrasser et de lécher la moindre parcelle de mon corps, comme pour essayer de meprouverqu’ilétaitsincère.Demeprouverqu’iln’yavaitquemoidanssavie.Jecroisqu’ilaeupeurdecequejepouvaispenseretéprouver,àcausedelarapiditéaveclaquelleilm’avaitprisesurlecanapé,commesijen’étaisqu’unedesfillesqu’ilsautaitavant.
Cequ’ilignore,c’estquec’estpileàcemoment-làquej’aicomprisquejel’aimais.J’inspireàfondenrepensantàtoutcelaetsourisenconstatantquejeneparspasdansunaccèsde
panique comme hier,même si les tiraillements dansmon ventre sont toujours là et risquent d’y resterencoreunmoment.
Jerepousselacouetteetenfileunpantalondeyogasouslemaxitee-shirtquej’aimiscettenuitavantdem’endormirenfincontreJason.Enarrivantdanslecouloir,j’entendsunnouveléclatderire,saufque,cettefois,cen’estpaslerirenormaldeJason,maisunsonprofond,exagéré,théâtral,bientôtsuivid’unrireplusaiguetmoinsfortessayantd’imiterleprécédent.
–C’estbien,maisfais-leplusgrave.Commeça,ditJasonenreprenantsonriredefou.Ilfautqueçaparteduventre,p’titbout.Ilfautqu’oncroiequetuesfolleetméchante.
MonangéliqueetgentillepetitefillequiaimemettredestutusetjoueràladînetteavecsesnounourssuitlesinstructionsdeJasonetémetunerépliqueparfaitedesonriredeméchant,mefaisantsourireenaparté.Sansbruit, jeme faufiledans le salonetentredans lacuisineoù ils sontassisautourde l’îlotcentral, devant bien plus de donuts que trois personnes ne devraient raisonnablement manger. Haleyentoure de ses bras l’assiette où ils sont posés, comme si elle voulait les protéger des vilains trolls
traînantdanslamaison.–Voilà,c’estça!Maintenant,toutlemondesauraàquiappartiennentcesdonuts.Ellepousseunnouveléclatde rire,puisunautre,deplusenplus fort, laissant sa têtebasculer en
arrière,etjenesaispassij’aienviederireavecelleoudepleurerdevantcespectacle.C’esttoutcedontj’avaisrêvédepuissilongtemps.Quelqu’unpourprendrelarelèveunmatindetempsentemps,afinquejepuissedormirunpeuplus.Quelqu’unpourrireavecHaley,s’amuseravecelle,fairedeschosesque jene faispasavecelle.Quelqu’uncapablede sortir à sixheuresdumatin justeparcequ’elle l’ademandé…etquecelaluiferaplaisir.
Jasonsemetàrireavecelle,ilssetordenttousdeuxcommedesfous,etj’aienvied’allerlescouvrirdebaisers,delesétreindrejusqu’àcequecettebulled’euphorietrouvelemoyendequittermoncorps.Jeveuxdesmatinscommecelui-là…toutletemps.
Aveceux,toutletemps.
25
JASON
Jepourraism’habitueràtoutça.D’accord,lasonnerieduréveilàcinqheuresetdemiedumat’, jem’enpasseraisbien,mais,àpartcedétail,jesuiscarrémentpartantpourlereste.Çanem’amêmepasdérangédesortirdanslemauvaistempspouralleracheterdesdonutsavecHaley,parcequedèsqu’ellesemetàbattredescilsenfaisantressortirsalèvreinférieure,jepourraiscéderàn’importelequeldesescaprices.
Après s’être approchéediscrètement deHaley etmoi dans la cuisine pendant que j’apprenais à lapetiteàfaireunriredeméchante,Tessaestpartieprendreunedouche,etsafillem’aentraînédansunepartiedecache-cache.Complètementexcitéequandc’estàsontourdesecacher,elleseplanquetoujoursdanslesmêmesendroitset,chaquefois,jepasseaumoinscinqminutesàfairecommesijenesavaispasoùelleest.J’avouequejeprendsautantdeplaisirqu’elleàcepetitjeu.
C’estàmontourdemecacher,maintenant;jesuisplaquécontrelemur,derrièrelesépaisrideauxdusalon.Haleym’appelle, espérant que je vais répondre, et se parle à elle-même en inspectant tous lesendroitsoùjemesuisdéjàcaché,aucasoùj’yseraisencore.Sespass’approchentdemoiquandunesonnerieélectroniqueetlancinanterésonnesoudain.Ellesefigeavantdeseruerverslatablebasseouesttoujoursposél’ordinateurportabledeTessa.
–C’esttontonCadequiappelle!Jay!Jepeuxrépondre,dis,jepeuxrépondre?Jepeuxrépondre?Jen’aipasbesoinde lavoirpoursavoirqu’ellesautesurplacecommeunepuceenattendantmon
accord. Évidemment, il fallait que Cade appelle à un moment où Tessa est occupée. Je réfléchis uninstant,medemandants’ilneseraitpaspréférablequeHaleyrépondeenprésencedesamère,avantdemedire:Etpuis,merde!Jesuislà,j’yresteraiaussilongtempsqueTessavoudrademoi,etilesttempsqueCadesefasseàcetteidée.Jesorslatêtedederrièrelerideauetlance:
–Oui,vas-y,réponds!Ellesursauteetseretourne,bouchebée.–Ooh!Lasupercachette!Jemecacherailà,laprochainefois.Puisellesepencheversl’ordinateurets’assoitaprèsavoirprisl’appel.–TontonCade!s’écrie-t-elle,levisagesiprochedel’écranqueCadedoitsûrementpouvoircompter
toutessesdents.–Coucou,p’titmachin!Alors,c’étaitbien,Thanksgiving?LevisagedeHaleys’assombrit,sesépauless’affaissent,ellefaitlamoue,etquelquechoseseserre
dansmon ventre. Je regrette vraiment qu’elle ait dû aller là-bas. Si c’était à refaire, je dirais àmesparents que je ne viendrais pas et je passerais Thanksgiving avec Tessa et Haley, chez elles,tranquillement.
–Nan,pastrèsmarrant.MaislamaisondeJayestsuper.Ondiraitunmuseau.–Unmusée,rectifieCade.Haleyacquiesced’unhochementdetête.
–Ouais,c’estça.Jemesuistropennuyéeetc’étaitpasbon,cequ’onamangé.J’aimebienmieuxtapurée,etj’auraisbienaiméquetusoislàaussi,parcequetumemanques.
–Toiaussi,tumemanques,p’titmachin.–Maisya Jayquiest là,maintenant,et ilm’aemmenéeacheterdesdonutscematin,et j’enaieu
cinq!s’écrie-t-elleentendantlamainversl’écranpourillustrersonpropos.–Waouh,toutça!Tun’aspasmalauventre?Elleéclatederire.–Maisnon,jenelesaipastousmangés,idiot!J’engardepouraprès.–Ah!c’estmieux,oui.Cadeseraclelagorge,puisdit:–Est-cequeJasonestlà?–Ouais,ilestcachéderrièrelesrideaux.–Etpourquoisecache-t-ilderrièrelesrideaux?–Enfin,plusmaintenant.Onjouaitàcache-cache.–Ah!d’accord,jecomprendsmieux.Tucroisquejepeuxluiparlerunpeu?Haleyhausselesépaulesendisant:–Benoui,évidemment.–Tuveuxbienmefaireundessin?Unbeau,quejepourraimettresurmonfrigo.Elleacquiesceavecenthousiasme.–Tuveuxquoi,commedessin?–Cequetuveux.Fais-moilasurprise.Sansattendre,elledétaleducanapéet filedans lecouloirpourgagnersachambre. Jesoupire,me
passeunemaindanslescheveuxetprendssaplacedésormaislibresurlecanapé.–Salut,dit-ilenmevoyantàl’écran.Jeluirendssonsalutetcroiselesbrassurmesgenoux,attendantqu’ilparle.Jen’aivraimentrienà
luidire,puisquej’aidéballétoutcequej’avaissurlecœurladernièrefois.–OùestTessa?–Sousladouche.Ilsoupireethochelatête.–Àcequejevois,mesrecommandationsn’ontserviàrien.Savoixn’estpasdurecommejem’yattendais.Elleestrésignée,etjetrouvecelapresquepire.–Enfait,si,saufqueçaaserviàl’inversedecequetuvoulais.Jemepasseunemainsurlevisage,puisleregardedroitdanslesyeux.–Écoute,mongars,jesaisquecen’estpasmoiquetuauraischoisipourêtreavecelle,maistune
peuxrienychanger.Jesuislà,onestensemble,tunepourrasrienyfaire.Jesuisdésolédenepast’enavoirparléavant,maisc’esttout.Pourlereste,c’estcommeça,queçateplaiseounon.Alors,soittul’acceptes,soittutemaîtrisesunpeu,parcequ’ilesthorsdequestionquetuluirefasseslamoraleàcesujet,d’accord?Soutiens-la…,soutiens-nous,oubienferme-launefoispourtoutes,putain.
Ilrestemuetquelquesinstants,puisdit:–J’espèrequemaniècenenousentendpas.Jesourisenlevantlesyeuxauciel.– C’est sûr, il a suffi d’une fois où j’ai prononcé cemot devant Haley – qu’elle a répété… à la
garderie,évidemment–pourqueTessamemetteengardeàceniveau-là,aussi.
Il a un petit sourire, imaginant sans doute Tessa en train de me gronder pour mon langage. Il serembrunit ensuite et me regarde fixement, longuement. Je bouge un peu, mal à l’aise sous ce regardinquisiteur. Pour être honnête, j’avoue que je préfère largement un simple coup de téléphone à cetteconneriedecommunicationvidéo.
– Jen’aurais jamaiscruqueça t’arriverait à toi aussi,quand tumedéballais tout tondiscours surWinter.
Jem’apprêteànier,maisjeretiensmalangue.Parcequ’ilaraison.–Elleestbienpourtoi,dit-ilalors.J’acquiesced’unhochementdetête.–C’estvrai.–Tropbienpourtoi,même.–D’accordavecçaaussi.–Bien.Souviens-toideçaettoutirabien.Maisécoute-moibien,p’titcon:necroispaspourautant
quejenet’aipasàl’œil.Jen’hésiteraipasàtebotterlecul,sic’estnécessaire.Ilfautquetoiaussi,tusoisbienpourelle.
Jepousseunsoupir,écrasépar lepoidsdesesmotsquiconfirmentceque je saisdéjà.Ceque jecrainsdéjàdepuisledébut.
–J’essaie.
TESSA
Unefoissortiedemadoucheetpréparée, jequitte lasalledebainet trouveJasonentraind’aiderHaleyàfairesalistedeNoël.
–P-o-n-e-y,épelle-t-ilens’arrêtantentrechaquelettre,tandisqueHaleylesnotesoigneusementsursafeuille.S-h-e-t-l-a-n-d.
Jesourisenentrantdanslapièceettireuntabouretdel’autrecôtédel’îlotdelacuisine.–J’espèrequec’esttoiquipaieraslanotepourcelui-là.Etpourl’écuriequivaavec.–Jaymedonnedesidéespourmaliste.Regarde!Ellemetendlaliste,etjedéchiffrelesgribouillisécritsenrose,dontlamoitiédeslettrespenchent
dansunsens,etl’autremoitié,dansl’autre.JeregardeJasonenhaussantlessourcils.–Unevraiecérémonieduthé?–Ouiii!s’écrieHaley.Jasondemande:–Etpourquoipas?–ÀLondres?dis-jeenmontrantlaligneoùelleaécritUnthéàLondres.Ilhausselesépaules.–Quevoulais-tuquejefasse?Ellevoulaitdesidées,etelleadorejoueràprendrelethé…Ducoup,
çam’estvenucommeça.JerisetrendssalisteàHaleyensecouantlatêteversJason.
–Tuesbête,maisjet’ai…Jem’interrompsjusteàtempspournepasrévélermonsecret.C’esttrop,troptôt,etcelarisqueraitde
fairefuirJasonillico,mêmesinousnousconnaissonsdepuistrèslongtemps.–Maistuquoi?demande-t-ilavecunsourire.Jetoussoteetbalaiedelamainquelquesmiettesinvisiblessurlecomptoir.–Mais je ne te laisserai aiderHaley à faire sa liste que si tu t’engages à payer tout ce qu’elle y
inscrira.Ma réponse est totalement bidon et, au regard qu’il me coule, je vois bien qu’il n’est pas dupe.
Heureusement,iln’insistepasdavantage.–Danscecas,quesuggères-tuqu’elleyinscrive?–Euh…DespoupéesBarbie.Desjeux.Unnouveauchapeaudedînette.Deschosesquinemeferont
pasperdremontoit.–Ah!voilàquiestmieux.–Jay,commentonécrit«manège»?Illèvelesmainsenl’airetmeregarde.–Ah!là,c’estelle.Jen’ysuispourrien.Je riset,aumême instant,mon téléphonevibresur la table,mesignalant l’arrivéed’un texto.Mon
cœurs’accélèreenvoyantlenomdeCade,etjesensmespaumesdevenirmoitesenmerappelantnotredernieréchange.Retenantmonsouffle,j’ouvrelemessagepourlelire.
Dsl,j’étaisàcôtédelaplaque.S’ilterendheureuse,alors,jesuisheureuxaussi.Biz.Jelâchelesoufflequejeretenais,sentantunpoidsseleverdemesépaules,etprendssoudainement
conscience de l’importance de l’opinion de Cade à mes yeux. Mon frère a beau reconnaître assezfacilement ses torts, il lui faut habituellement plus de temps pour digérer une situation avant des’exprimer.
–Toutvabien?demandeJason,metirantdemespensées.Jeluimontrel’écrandemontéléphone.–Tuneseraispasaucourantdequelquechose,toi,parhasard?Jescrutesonvisagependantqu’illit.Unsouriresatisfaitsedessinesurseslèvres,puisilsecouela
tête.–Non.Maisjesuiscontentqu’ilsesoitexcusé.–Mmh,fais-je,nelecroyantpasuneseconde.Lefaitqu’ilenait(sûrement)parléàCade,qu’illuiaitfaitcomprendrequejesouffraisdesonrefus
delaisserentrerquijevoulaisdansmavie,merendencoreplusamoureusedelui.C’estmaintenantletéléphonedeJasonquivibre;illetiredesapoche,litrapidementlemessageety
répond.–Ilfautquejerentrechezmoi,j’aiduboulotàfairepourmescours.Untravaildegroupeàrendrela
semaineprochaine.EtAdamveutqu’onsevoiecesoir.–Adamestici?–Oui,ilaprisunavionàladernièreminute.Ilsepassedeschosesaumagasindesesparents,maisil
nesaitpastropquoi.Ilterminesontexto,rangesonportabledanssapocheets’accoudesurlatable.–Onpeutsevoirdemain?Jesourisenroulantlesyeux,alorsquemonventrepalpitedejoie.
–Depuisquandas-tuàdemander?–C’estvrai.D’habitude,jemepointecommeça.–Toutletemps.–Etçateplaît.Craignantdelaisseréchapperquelquechose,jeretiensmalangueetluiadresseunsourirelorsqu’il
s’apprêteàselever.–Allez,p’titbout,ilfautquej’yaille.Mercid’êtrevenueavecmoichercherdesdonuts,cematin.Il ébouriffe les cheveuxdeHaley et l’embrasse sur le dessusde la tête avant d’avancer versmoi.
L’airinterrogateur,illanceunbrefregardversHaley,puisdenouveauversmoi,medemandantsansmotdires’ilpeutm’embrasser.
Enguisederéponse,jelèvelementon,attendantsonbaiser.Jenesuispasdéçue.Lebaiserqu’ilmedonneestbienmoinschastequeceluiqu’iladéposésur lescheveuxdeHaley,et jedoisme forceràgarder mon sang-froid, à retenir le gémissement de plaisir qui monte dans ma gorge avant qu’il nes’échappe.Auboutdequelquesinstants,ils’écarteenfin,déposantdepetitsbaiserssurmeslèvres.
Haleyintervientalors,merappelantpourquoiilétaitjudicieuxderetenircegémissement.–Pourquoitudorstoutletempssurlecanapé,Jay?Tueslecopaindemaman,maintenant?JerespiredetraversetmemetsàtousserenregardantJasonavecdesyeuxécarquillés;luisemble
plutôtamusé.J’inspireàfondetdis:–Est-cequeçat’embête,mapuce?QueJasondormesurlecanapé?Ellehausselesépaulesetseremetàdessineruntraîneauetunrennesursalistedecadeaux.–Nan,maisc’estça?–C’estça,quoi?Haleysoupireenlevantlesyeuxauciel.–Toncopain.Àl’école,HannahditqueTommyestsonpetitcopain,etmoijem’enfiche,parceque
jepréfèreBrandon.Jevaismemarieraveclui.–Hop,hop,hop!faitJasond’unair trèssérieux.Jen’aimepasbeaucoupça,moi.Quiestcepetit
voyou,d’abord?Tuveuxquej’ailleluiparler?–Dequoi?–Pourluidiredefaireattentionà…Jel’interrompsenposantunemainsursonbras.Mêmesij’apprécielecôtéprotecteurdesaréponse,
jenepensepasqu’ilsoitnécessairedeprendredesmesuresvisantàs’assurerqu’ungamindequatreansadesintentionshonorablesenversmafille.
–Alors,est-cequeJayestcommeTommypourHannah?C’esttoncopainaussi?Je la regardequelques instants,essayantdegagnerdu temps.Jasonetmoin’avons jamaisparléde
cela;nousn’avonspasvraimenteul’occasiondedéfinircequisepassaitentrenous.Etmêmesijel’ailaissém’embrasserdevantHaley,jenemesuispaspréparéeàrépondreàcettequestion.Jen’avaispasimaginéqu’ellepuissemelaposerdefaçonaussidirecte,exigeantainsidedéfinirlarelationquinousunit,Jasonetmoi.Maismaintenant,jedoisluienfournirune.
J’inspireàfondetluidis:–Oui,c’estmoncopain.–Ouaaais ! s’écrie-t-elle en levant les bras en l’air. Ça veut dire que j’aurai des donuts tous les
matins,alors?
Jesecouelatêteenriant.–Avecunpeudechance,tuenauraspeut-êtreunefoisparsemaine.Ellesesatisfaitdecetteéventualitéetrevientviteverssondessin.Jasonmemurmureàl’oreille:–Alors,commeça,jesuistoncopain?AvantdeledireàHaley,jeredoutaislaréactiondeJasonfaceàcemot.Mais,àenjugerparleton
amusédesavoixetlesourireironiquequejevoissurseslèvresenmetournantverslui,jeconstatequemoninquiétuden’étaitpasjustifiée.
Jemepencheàmontouràsonoreilleetluichuchote:–C’estquejemesuisditqu’ilvalaitmieuxéviter«mecavecquijem’éclateaulitcommeunefolle»
pouruneenfantdequatreans.Ilpousseunpetitgrognementetm’embrasseànouveau.–Demainsoir,jecontinueraisurcettelignée,dit-il.Ilseredresse,attrapesonmanteauetl’enfilesurlechemindelaporte.–Àplustard,mesbeautés.J’apporteraidupop-corndemainsoir.SoyezprêtespourRaiponce!Je ris en entendant le petit cri d’excitationdeHaley etme lèvepour aller prendre un carnet et un
crayondansletiroir.N’ayantpastravailléhieretaujourd’huiaveclejourférié,jeseraiausalondemainetdoisdoncfairecejourlescoursesquej’effectuehabituellementlesamedimatin.Agitantmonstylo,jeréfléchisàcequejevaisprépareràmangercettesemaine.J’essaiedeprendrel’habitudedeplanifierlesmenusunminimum,afind’éviterderecourirtropsouventauxsurgelés.Jusqu’ici,celafonctionneplutôtbien,etcetteroutinem’aideànepasmesentirtropdébordée.
Alorsquej’avanceversleréfrigérateurpourjeterunœilàl’intérieur,unpost-itrosevifattiremonattentionsur lecomptoir.Quelquesmotsyontétégriffonnésde lamaindeJason :Quand tuveux,mabelle.Jedécollelepapierducomptoir,perplexe,etdécouvrecequiétaitcachédessous.
Moncœurfaitunbonddansmapoitrine.Souslepapierrose,ilyauneclédemétal.Laclédel’appartementdeJason,sansaucundoute.Lesmains tremblantes, j’attrapemontéléphone,prendsunephotodupost-itetde lacléet l’envoie
avecunmessageàJason:Etça,jesupposequeçaneteditrien,nonplus?Sa réponsemetquelquesminutesàvenir. Jememordille lesonglesenattendant,unœil surHaley
occupée à jouer, l’autre surmon portable, guettant lemoment où l’écran s’éclairera.Quand il répondenfin,quandcestroislettress’affichent,suiviesimmédiatementd’unautremessagedesapart,jesensunsourireprendretoutelaplacesurmonvisage.
Non.Maissers-t-enquandmême.
26
TESSA
Ilauraitdéjàdûyavoirdesobstaclessur laroute.Dessoubresauts,desdosd’âneoudesnids-de-poulegéantsdanslarelationoùJasonetmoinoussommesengagés.Pourtant,rien.Pasunseulaccroc,cequim’inquièteencoreplusques’ilyenavaiteuunedizaine.
DeuxsemainesetdemiesesontécouléesdepuisThanksgiving.Deuxsemainesetdemiedepuislesoiroùj’aiprisconsciencequej’étaisfollementamoureusedelui.Deuxsemainesetdemiepleinesdenuitsàlamaison,desoiréesfilm,desexe,derire,àregarderl’hommequej’aimejoueretsedéguiseravecmafillejustepourlavoirsourire.
J’ai beau savoir qu’il n’est pas bon de focaliser sur ce qui pourrait mal se passer entre nous, jen’arrivepasàm’empêcherdepenseraupire.Jesuissanscessesurlequi-vive,àanticiperunproblèmequinevientpas.Jedevraisêtresoulagée.Jedevraisêtreheureusedemachanceetremercierlecieldecetteabsencedeproblèmes.MêmelasituationavecCades’estvitearrangée,et jen’aipasentendulamoindreallusionnégativedesapartdepuisqu’ils’estexcusé.
–Eh!Àquoitucogites,commeça?medemandePaige.Noussommesattabléesdansunrestaurantducentrecommercialducoin.Entempsnormal,jeneme
retrouveraispasicisiprèsdeNoël,maisc’estunsoirdesemaine,etJasonetHaleyavaientdesprojetssecrets qui visiblement neme regardaient pas ; alors, je suis sortie avec Paige pour faire un peu deshopping.
Jesecouelatêteetentortillequelquesnouilleschinoisesautourdemafourchette.–Oh!rien.–Menteuse,dit-elled’untonaccusateurenpointantsafourchetteversmoi.Allez,accouche.Qu’est-ce
quisepasse?Jasenebandeplusouquoi?Ilnégligetonpetitabricot?–Paige!dis-jedansunsouffleindignéenregardantautourdenous.À la table voisine, une femmeun peu âgée fait unemoue offusquée en secouant la tête, les lèvres
pincées.–Ceseraitvraimenttroptedemanderquedesurveillerunpeutonlangagequandonestenpublic?Ellesegausse.–Jenemesurveillejamais,c’estunprincipe.Etsidesgensentendent…Ellehausselavoixetregardeostensiblementladamed’àcôté:–…ehbien,tantpispoureux.Ilsn’ontqu’àpasécouterlesconversationsdesautres,c’esttout.–MonDieu…Jeplongematêteentremesmains,sentantmesjouesrougir.Commesiriennes’étaitpasséavecnotrepauvrevoisine,Paigereprend:–Alors,sérieusement,qu’est-cequisepasse?Toutvabien?Voilàpourquoijel’adore,pourquoic’estmameilleureamie.Endeuxsecondes,ellepeutpasserd’une
attitudedrôle,insoucianteetcomplètementinconvenanteàunevéritableécoutepleined’attention.
Jesoupireenbaissantlesépaules.–Jenesaispas.Riennevamal.Etc’estunpeuça,leproblème.Ellehausselessourcils.–Riennevamaletc’estçaleproblème,répète-t-elle.Ilvafalloirquejeconsulteledictionnairede
Tessapourpiger,désolée.–Non,mais…jenesaispas.Jepensaisquel’histoireavecJasonallaitêtrecompliquée,etc’est…
fluide.Tropfluide.–Cen’estpasunemauvaisechose,machérie.–Jesaisquecen’estpasunemauvaisechose.Seulement,jenepeuxpasm’empêcherd’attendrele
momentoùçavacoincer.–Tuattendsqu’ilbousilletout?–Non…,enfin,si...Jenesaispas.Jepousseunnouveausoupiren laregardant.Sonregardest totalementdépourvude jugement,et je
saisque,quoiquejeluidise,celaresteraentrenous.Elleaccueilleratoutsansjamaismejuger.Jepeuxdéballermestripesdevantelle, luiavouermespeurslesplusabsurdes,elleprendratouttelquel,sansbroncher,pourapaisermesangoisses.
–C’estnouveaupourlui,toutça,tusais.Moi,j’aidéjàeuunerelationsérieuse.Maislui…Lapluslonguedesavieadûdurerdeuxheures.Siçasetrouve,jenesuisqu’unesorted’entraînementpourlui…
– Si tu n’es qu’un entraînement, cemec est un acteur de génie et devrait aller àHollywood pourentamerlacourseàl’Oscar.Ilestfoudetoi,Tess.Vraiment, ilestcarrémentraidedinguedetoi, je tejure.
–Quoi?Jesecouelatête,réfutantsaréponse.–Non.Enfin,jesaisqu’ilm’aimebien.C’estévident.Maisilnem’aimepas.Jerepensealorsàlapetiteclémétalliquequ’ilalaisséesouslepost-itrose,quej’auraispugarderou
non,maisque j’ai rangéedans le tiroirdema tabledenuit.Lefaitdemedonnercetteclésignifiait-ilautantpourluiquepourmoi,mêmesijen’aipasvouluendéduiretropdechoses?
–Bon,c’estquoi,cettetête?Àquoitupensais,là,toutdesuite?JememordsleslèvresetregardePaige,sachantqu’ellevaêtrefurieusequejeneluienaiepasparlé
plustôt.–Euh,ehbien,enfait,ilalaisséquelquechoseàlamaisonlelendemaindeThanksgiving.–Genrequoi,uneboîtedecapotes?J’étouffeunrireetsecouelatête.–Non,pasdescapotes.Uneclé.Elleplisselefrontets’adossedanssachaise.–Laclédecheztoi?–Non,laclédechezlui.–Quoi?Ellebonditenavantsursonsiège.–Jerêveouquoi?Elleposelesmainssurlatable,martelantchaquemot.–Ilt’adonnélaclédesonappartilyadeuxsemaines,etc’estmaintenantseulementquetumele
dis?Jenote.Ellereculesachaiseenmefixant,lesbrascroiséssursapoitrine.–Tonstatutdemeilleureamievientd’enprendreuncoup,mavieille.–Oui,jesais…Jemepencheversellepouressayerdedécollersesbrasserréscontreelle.– Excuse-moi. J’ai voulu te le dire tout de suite, mais j’ai eu peur de me faire des illusions, tu
comprends?Jemesuisditqu’iln’yavaitpeut-êtrepasd’intentionparticulièrederrièretoutçaetqu’illareprendraitdèsqu’ilrecouvreraitsesesprits.
–Etalors?–Alors,quoi?–Est-cequ’ilarecouvrésesespritsetreprislaclé?–Non.Ilmedemandejustequandjevaismedécideràm’enservir.–Bon,dit-elleenlibérantenfinsesbrasdeleurprisonpoursepencherversmoi.Ehbien,jecrois
quetudevraisluifaireunepetitevisite-surprisesanstarder.
27
JASON
Jesorsdemonderniercours…,letoutdernierdemavie.Autourdemoi,lesétudiantssebousculentpourquitterlebâtimentenseracontant,toutexcités,leursprojetsdevacances.Moi,jetraînelespiedsetmeforceàquittercetendroitquiétaitunpeuàmoidepuiscinqans.Depuistroplongtemps?Peut-être…Probablement.J’aifaitcelapourrepousserl’inéluctable,maisaussiparcequej’aiaiméça.Mongrand-pèrel’avaitcompris;mesparentsl’onttoléré.Maisc’étaitmonidéeàmoi,àmoiseul,quelquechoseàquoimesparentsnepouvaientpastoucher.Dumoins,jelecroyais.
Etmaintenant,lecompteàreboursversunavenirdontjeneveuxpasacommencé.Dansdeuxpetitessemaines, j’emprunterai lecheminquemonpèrea tracépourmoi, jereprendraipeuàpeuleflambeaud’uneentreprisequineressembleplusdutoutàcellecrééeparmongrand-père,toutcelaparcequejefaispartied’unefamillequinem’ajamaisécouté.
Cetteperspectivemedonneenviedesauterd’unpont.Jesorsmontéléphonetoutenmarchantversmavoiturepourappelerlaseulepersonnequipeutme
sortirdemonhumeurmassacrante.Tessadécrocheàlatroisièmesonnerie.–Coucou,tuasterminé?–Ehoui.C’estofficiel,l’écoleestfinie.–Çan’apasl’airdebeaucoupteréjouir.Unpetitriresansjoiem’échappe.–Pourquoiçanemeréjouiraitpas?Dansdeuxans,jeseraipleinauxas,jeporteraiuncostumetous
les jours, jemangeraidansdes restaurantschics, jevoyageraidans lemondeentieret jedirigeraiuneentreprisecotéeenBourseenchiantsurlesautrespourm’enmettrepleinlesfouilles.Génial,non?
–Jason…Jen’aimepasl’inquiétudequejesensdanssavoix;jel’interromps:–Jepeuxvenir,cesoir?Ellemelaissechangerdesujetsansenremettreunecouchesurcequ’ellem’adéjàditcentfoisces
deuxderniersmois,c’est-à-direquejedevraissimplementindiqueràmesparentsquejenemarchepasdans leur plan, que je veux faire les choses à ma manière. Sauf que je sais déjà comment cetteconversationseterminerait:ceseraitlatoutedernièrequej’auraisaveceux.
–Jevaistravaillertardcesoir.–Çam’estégalsij’yvaisàminuit.Ellerit.–OK.Jet’enverraiuntextoquandj’auraifini;tun’aurasqu’àmeretrouveràlamaison.Beckygarde
Haleycesoir.Jevaislaprévenirquetuviendrasaucasoùtuarriveraisavantmoi.–Parfait.Àtoutàl’heure,mapuce.Nousraccrochons,etjepoursuismoncheminendirectiondemonappartement.J’aienvironsixheures
devantmoi avant queTessa ne rentre chez elle.Cela fait beaucoupde temps à essayer d’oubliermes
tracasavantqu’ellepuisseenfinm’endistraire.J’en suis à ma deuxième bière. Je me suis dit que j’avais suffisamment de temps pour en boire
quelques-unesetlaisserleseffetssedissiperavantd’allerchezTessa.Soudain,onfrappeàmaporte.Jeregardel’heure,espérantqueTessaaittrouvélemoyendequitterlesalonetmefasseunesurprise.Voilàdeuxsemainesquej’attendsqu’ellesedécideenfinàutilisercettesacréeclé.L’idéequ’elledébarqueiciàl’improvistenemedérangemêmepas.Aucontraire,jerêveplutôtqu’elles’enserveunenuitoùjenesuispaschezelleetqu’ellemeréveilleenprenantmonsexedanssabouche.
Jemelèveengrommelantetbalancelamanettedejeusurlecanapéavantdemedirigerverslaporte.Un bref regard par le judas fait fondre tous mes espoirs d’un petit coup vite fait avec ma nana (jecommenceàm’habitueràutilisercegenredeterme).Lapersonnequisetrouvedel’autrecôtédelaportenerisquepasdemedonnerlamoindreérection.
J’ouvreetcroiseleregardfroidetdurdemamère.– Salut, m’man. Qu’est-ce qui t’amène dans mon horrible quartier ? dis-je en m’appuyant dans
l’encadrementdelaporte.Enréalité,c’estunendroitsuper,saufqu’ilneregorgepasdedocteurs,demagistratsetdePDG,avec
desmaisonscoûtantdesmillionsdedollarsetdesterrainsd’unhectare.C’estunjoliquartierdeclassemoyenne,oùj’aipuconvaincremesparentsdem’installerquandj’aiquittél’internatdulycée.
Ellepince les lèvres etpassedevantmoi, toutepimpantedans son tailleur sortant du pressing, lescheveuxrelevésenungenredechignon,avecaubrassonsacàmainquidoitcoûteraumoinsleprixdemonloyermensuel.
–Quoi,jenepeuxpasvenirdirebonjouràmonfilssansavoiruneexcuse?–C’estque…tunel’asjamaisfaitavant,alors…C’estlavérité.Depuisquatreansquej’habiteici,niellenimonpèrenem’ontjamaisfaitl’honneur
d’unevisite.Mongrand-pèrepassait de temps en temps,maispasmesparents. Jamais. Je la devancedanslecouloiretmerendsdanslacuisine.
–Jenem’attendaispasàavoirdelavisite,dis-jeenouvrantleréfrigérateur.J’aidelabièreetdel’eau.
–Jeneprendrairien,merci.Elle regarde autour d’elle, observant les murs blancs ordinaires, le canapé en cuir râpé, et un
équipementTV-hi-fidignesdeceluid’unbardesportifs.Pasdelustresauplafondnidetableauxàquinzemilledollarsaccrochésauxmurs.Monappartestchouette,jel’adore,maisilneressembleenrienàlamaisonoùj’aigrandi–loindelà–etjevoisbienquecelaneluiinspirequedumépris.Commetoutcequifaitpartiedemavie.
–Écoute,jesuisdésolé,maisj’étaisunpeuoccupé,là…,dis-jeavecungestevague,espérantqu’ellesaisiralesous-entendu.
–Àquoifaire?Ehnon,pasdechance.Jehausselesépaulesetréponds:–Jebaisaisunebière.Elleprendunairoutré,posantunemainsursapoitrine.–Jason,surveilletonlangage,jeteprie.Jericaneetsecouelatête.–Ohnon!Désolé.Tupeuxmedireçacheztoi,maispaschezmoi.Etjenet’appartienspas;alors,si
jeveuxpasserl’après-midiàjoueràdesjeuxvidéoetàencoderunsiteInternetpourm’amuser,j’enailedroit.Maintenant,qu’est-cequetuveux,maman?
Ellepasseunemainsursacoiffureimpeccabledontpasuncheveunedépasseetdit:–CommentvaTessa?La questionme surprend etme désarme.Non parce que je ne veux pas qu’elleme questionne sur
Tessa,maisparcequejen’auraisjamaiscruqu’elleleferait.Passansarrière-pensée,entoutcas.D’unevoixplusquesceptique,jeluidemande:
–Pourquoiveux-tulesavoir?Ellesecouelatête,l’airnavré.–Toujoursaussisoupçonneux,àcequejevois.–J’aidebonnesraisonspourça.Ellecontinuesansselaisserébranlerparmaréponse.–Vousaviezl’airproches,touslesdeux,àThanksgiving.–Oùveux-tuenvenir,àlafin?Jem’appuiecontrelemurdusalon,lesbrascroiséssurmapoitrine,attendantqu’ellecracheenfinle
morceau.–J’aicrucomprendrequeCharlest’avaitévoquéles…inquiétudesdesassociés.–Tuparlesdemaréputationdeplay-boy?Oui,iladûévoquerça,oui…–Etautrechoseaussi,sijenem’abuse?Jecomprendssoudainoùelleveutenveniretm’écartedumur,lamâchoireserrée.–Non.–Iln’aparléderiend’autre?–Si,maislaréponseesttoujoursnon.Ellepousseunsoupirdemartyr.–Jenecomprendspaspourquoitufaistantd’histoiresavecça.Çapourraitêtrelasolutionqu’ilnous
fautpour…quelesassociéssoientenfinrassurés.–Jemefousroyalementdecequelesassociéspensentdemoncas.S’ilsnesontpasàl’aiseavec
moi,cen’estpasmonproblème.Jeseraistoutaussisatisfaitdebosserauservicecourrier,commetul’assisubtilementsuggérépourTessa.Ilesthorsdequestionquejel’entraînedanslesplansfoireuxquevouspouvezavoirentête.
–Maiselleestparfaite,avecHaley,Jason.Unefamilledéjàconstituée,c’estbien.Nouspensionsquecelaprendraitdesannées,etvoilàquecelatetombeduciel.
Monsangnefaitqu’untourenentendantcesmots.–Commentça,vouspensiezquecelaprendraitdesannées?Pourfairequoi?–Cen’estpeut-êtrepaslemeilleurmomentpour…–Maman,réponds:qu’est-cequetuvoulaisdireparlà?Elle s’assoit sur le bord du canapé, cramponnant son sac sur ses genoux tel un bouclier pour la
protéger.Elles’éclaircitlavoixavantderépondre:–Ehbien,naturellement,tonpèreetmoiavonsunpland’avenirquenousaimerionstevoirenvisager.Évidemment. Ilsont toujourseudesplanspourmoi,aussi loinquemessouvenirs remontent.Alors
quemongrand-pèrem’encourageaittoujoursdansmescentresd’intérêt,àpoursuivremesrêves,lesdeuxpersonnes censéesme soutenir de façon inconditionnelle nem’encourageaient, elles, que si cela avaitl’impactdésirésurcequ’ilsvoulaientpourmoi.
J’aiunefurieuseenviedebalanceruncoupdepoingdanslemurderrièremoi.–Unaveniroùjesuismariéàunefilledevotrechoixquipondraaumoinsunhéritier,c’estça?–Maistunecomprendsdoncpas?Celan’aplusàêtreainsi,maintenant.Çapeutêtrequelqu’unde
tonchoix.Etc’estencoremieuxs’ilyadéjàunenfant,dumoinsauxyeuxdesassociés.Biensûr,ilfaudraque…j’enjoliveunpeulasituationdeTessaquandj’enparleraiauxfillesduclub, justepourfaireensortequ’ellesoitacceptée,tucomprends.
Ohoui!Jecomprends.Jecomprendstrèsbien,même,parcequecen’estqu’uneautreversiondelamêmesaladeque j’aientendue toutemavie.Et jemerendssoudaincomptequecelane finira jamais.Jamais.Ilsauronttoujoursunpieddansmavie,ilsvoudronttoujoursentirerlesficellestantquejeneromprai pas les liens, tant qu’ils penseront que je ne répliquerai pas. L’idée qu’ils fassent cela avecTessaetHaley…L’idéedemesparentsdénaturantlesdeuxfemmeslesplusbelles,lesplusvibrantesquej’aie jamais connues, les deux filles que j’aime le plus au monde, pour les entacher de leur naturetoxique…Non.C’estimpossible.Jenelepermettraipas.
Calmement,posément,jeluidisalorscequ’ilfautpourmedébarrasserunefoispourtoutesdecettepression.Cequ’ilfautpourm’assurerqueTessaetHaleyresterontàmoi,etrienqu’àmoi.
–Iln’yariendesérieuxentreTessaetmoi,maman.Tun’aspasàéchafauderquoiquecesoitsurquelquechosequin’existepas.Aucunmariagenifamilledéjàconstituéenem’attend.
–Mais…tulesasinvitéespourThanksgiving.Çadoitquandmêmeêtresérieux?Jen’avaisjamaisrencontréaucunedetespetitesamies,avant.
Unrireamers’échappedemabouche.–Parceque tucroisque j’auraisenviedevousprésenterquelqu’un?Écoute, je l’ai invitéeparce
qu’ellen’avaitnullepartoùaller.C’esttout.J’avanceverselle,nullementgênédelasurplomber,tandisqu’elleresteassisesurlecanapé,etbien
contentdevoirenfinunefissuredanslafaçadequ’elleafficheenpermanence.Jeluidisalorslesmotsquidissuaderontmesparentsdevouloirorchestrercettepartiedemavie,que jeveuxgarder rienquepourmoi.
–Je te lerépèteunedernièrefois,pourque tupuissesaller ledire toutdesuiteàmonpèreetauxassociés:Tessaetmoi,çanesignifierien.Elleétaitlààunmomentoùçam’arrangeait,etj’enaibienprofité.Pointfinal.Ilyalongtempsquej’aiapprisànepasm’engageravecquiquecesoit.Ellenefaitpasexceptionàlarègle.
28
TESSA
Lesmots de Paige encore en tête, je prends l’ascenseur pour le troisième étage de l’immeuble deJason.Finalement, l’occasionde lavisite-surprisequ’ellem’a incitéeà lui rendres’estprésentéeplusvite que je ne le pensais. Becky gardant Haley jusqu’à vingt et une heures – heure à laquelle j’étaiscenséesortirdutravail–etunrendez-vouspourunecoupepluscouleurayantétéannulé,jemeretrouveavecdutempslibre.Après laconversationque j’aieue toutà l’heureavecJasonau téléphone, jesaisqu’ilapprécieraunpeudedistraction.
Jemerépètelemêmemantradepuisquej’aiquittélesalon(Pasdestress,cen’estqu’unesimplevisite),tandisquel’ascenseurmontelentementversmadestination.SiJasonm’alaissésaclé,c’estqu’ilveutquejem’enserve.Àvraidire,ilm’amêmedemandéplusieursfoisquandjecomptaismedécideràl’utiliser.Gardantbiencelaàl’esprit,j’avanced’unpasdéterminéverssaporte–la317–,maisjemeretrouveàhésiterunefoisarrivéedevant.Jenesaismêmepass’ilestchez lui,s’ilestvenuiciaprèsm’avoir parlé tout à l’heure ou s’il est sorti avec des amis pour tenter d’oublier ce qui l’attend dansquinzejours.Jenesaispasnonplussijedoisfrapperetattendrequ’ilm’ouvre,ousijedoisdirectementme servir de la clé pour entrer. Je me dis alors que je gâcherais un peu la surprise si je frappaissimplementenattendantqu’ilm’ouvre.
Comme tous les jours depuis que j’ai trouvé cette clé sous le post-it, j’imagine des dizaines descénariosdifférentssij’entraissansleprévenir.Dansl’un,ilestsoussadoucheetjemedéshabillepourmeglissersousl’eauderrièrelui.Jeprendssonsexedansmamainetlecaresseavecfouguejusqu’àcequ’ilseretournepourmeprendrecontrelemurdeladouche.Dansunautre,ilestassissursoncanapé,àregarder la télé ou à jouer à un jeu vidéo, et je le surprends en lui léchant et mordillant le lobe del’oreille,commeilaime,avantdefaireletourducanapépourlechevaucher,mefrottersurluijusqu’àcequenousjouissionstouslesdeux.
Remotivéeparcespensées,j’insèreenfinlaclédanslebarilletetretiensmonsouffleentournantlapoignée pour entrer. Son immeuble est différent de ce que j’aurais imaginé, vu l’endroit où il a vécupendantdix-huitans,maisc’estexactementcequicorrespondauJasonquejeconnais,moi.Jolisansêtretape-à-l’œil,c’estunsolidebâtimentdebriquesavecdegrandsbalcons,unepetitepiscineextérieureetunevéranda.Enmerendantàl’ascenseur,jesuispasséedevantuneminusculesalledesportéquipéedequelquesmachines. Pas d’immense piscine couverte. Pas de spa comme on pourrait s’y attendre pourquelqu’undisposantdelafortunequ’ontlesparentsdeJason.Ilsdoiventhallucinerdelevoirvivredansuncadresi«ordinaire»,cequimefaitsourirerienqued’ypenser.C’estunemanièresubtilepourluideleurfaireunbrasd’honneuretdegarderunpeudecontrôlesursavie.
J’avanceàpasdeloupdanslecouloir;l’épaissemoquettemefacilitelatâcheenabsorbantlebruitdemespas.Celongcouloirmène,jeprésume,àcequidoitêtreunecuisineouvertesurlesalon.Iln’yaaucune décoration sur lesmurs, ce qui nem’étonne pas. Jason est un garçon sans chichis. Il aime leschosessimplesetdépouillées.
Àmesurequejem’approche,j’entendsdesvoixétouffées.Audébut,jecroisqu’ils’agitdusondelatélé,puisjereconnaislavoixdeJason.Ilyaaussiunevoixfémininequiparlebas,etjesenssoudainmon ventre se serrer d’angoisse. Que peut faire une femme seule avec Jason dans son appartement ?J’entendsalorslafind’unedesesphrases:
–…entreTessaetmoi,maman.Jerespireunedemi-secondeencomprenantàquiilparle.Puisj’entendslasuite,etjemeretrouveà
nouveauparalysée,plaquéecontrelemur,maispourunetoutautreraison.–…surquelquechosequin’existepas.Aucunmariagenifamilledéjàconstituéenem’attend.–Mais…tulesasinvitéespourThanksgiving.Çadoitquandmêmeêtresérieux?Jen’avaisjamais
rencontréaucunedetespetitesamies,avant.Jasonrit,d’unrireamerquineressemblepasàceluidel’hommequejeconnais,l’hommequej’en
suisvenueàaimer.Moncœurs’emballeetmespaumesdeviennentmoites.–Parceque tucroisque j’auraisenviedevousprésenterquelqu’un?Écoute, je l’ai invitéeparce
qu’ellen’avaitnullepartoùaller.C’esttout.Ungémissementd’indignationmemontedanslagorge,etjepresseunemainsurmabouche,alorsque
lespapillonsquivolentdansmonventrechaquefoisquejesuisenprésencedeJasonsetransformentenunessaimdefrelons furieux.Je faisunpasprudentenavantpour tenterde jeterunœildans lapièce.J’aperçoisJasondeboutdevantsamère,levisagedur,froid,biendifférentdecequejeconnaisdelui.
Ilenfoncealorsleclou,medonnantlecoupdegrâce:–Je te lerépèteunedernièrefois,pourque tupuissesaller ledire toutdesuiteàmonpèreetaux
associés:Tessaetmoi,çanesignifierien.Elleétaitlààunmomentoùçam’arrangeait,etj’enaibienprofité.Pointfinal.Ilyalongtempsquej’aiapprisànepasm’engageravecquiquecesoit.Ellenefaitpasexceptionàlarègle.
Voilà.L’épéedeDamoclèsque je sentais suspendue au-dessusdema tête vient de tomber. J’avaisbeausavoirquecelarisquaitd’arriver,quecelaallaitarriver,lecoupn’enestpasmoinsrude.Dévastéede douleur et de colère, je pousse un petit cri étouffé…Mais comment ai-je pu croire qu’il en seraitautrement?Quelquepart,j’aitoujourssuqu’ilprendraitpeurets’enfuiraitquandceladeviendraittropsérieux.Seulement,mêmesicelam’inquiétait,jen’étaispaspréparéeàcequemesdoutesmesoientjetésainsienpleineface.
Jen’étaispaspréparéeàcequ’ilmejettesifacilement.
JASON
Sitôt cesmots prononcés devantmamère, j’ai envie de les retirer. Ils sont horribles à dire etmelaissentungoûtamerdanslabouche,maisiln’estpasquestionquejeluilivreTessaetHaleyenpâture,pascommeça.Pasjustepourfaireplaisiràunebandedevieuxschnocksdontjemefoustotalement.Pasjustepoursauverlesapparences.Mesparentsdirigentdéjàmavie;ilsnedirigerontpaslaseuleraisonquimedonneencoreenviedevivre.
J’entends soudain un petit bruit étouffé du côté du couloir. Je tourne vivement la tête dans cettedirectionetmefigeenvoyantprécisémentlapersonnequejevoulaisteniràl’écartdetoutcela,entraindemeregardercommesiellenemereconnaissaitpas.Elleestemmitoufléedanssonmanteaufuchsia,un
bonnetenlainesurlatête,etj’aienviedel’embrasseretdeluidiredes’éloignerd’ici,parcequ’ellen’arienàfairedanslevoisinagedelafemmequiapourrivingt-quatreannéesdemavie.
Tessaouvrelabouchepourdirequelquechose,maisseraviseaudernierinstant,lamâchoireserréeet lesyeuxplissés.Elle lancequelquechoseversmoiavantdetourner les talonspourrepartirdanslecouloirenfaisantclaquerlaportecontrelemurderrièreelle.
–Tessa,attends!Ignorantmamèrequivientd’assisteràlascène,jemerueaprèselleetcourssurlepalier,oùjevois
lesportesde l’ascenseurcommenceràserefermersursonvisagerougedecolère.J’accélèreetpassemonbrasentrelesportespourlesbloqueravantdemeglisserdanslacabined’ascenseur.Elleestcolléeaumurdufond,l’airfurieux,etjemeréjouisdelavoirenrage.Jesauraimieuxgérercelaquesielleétaitenlarmes.J’avanceverselleetessaiedeprendresamain.
Elles’écartecommesimamainl’avaitbrûlée.–Nemetouchepas!Tuasperducedroitilyadeuxminutes.Jesecouelatêteenm’efforçantdegardermesmainslelongdemoncorps.–Non,mapuce,tunecomprendspas.Laisse-moit’expliquer.Ellerit,d’unrirequisonnefaux.–Expliquerquoi?Tuasétéparfaitementclair,etjenecroispasavoirmanquégrand-chosedeceque
tudisais.Ellesecouelatêteenmeregardantdanslesyeuxcommepouressayerd’yvoirlavérité.–Jen’arrivepasàcroirequejesoistombéedanslepanneau.J’aivraimentcruquetuavaischangé.–Maisj’aichangé…Ellelèveunemainpourm’interrompre.– Ça suffit, Jason. Quand tout ça a commencé, quand tu as fait des pieds et des mains pour te
rapprocherdemoi, tu savaisexactementceque jecherchais.Unhomme,pasungamin.Quelqu’unquivoudraitvivreavecmoietHaleysurlelongterme,quelqu’undemature,quisaitcequ’ilveut.
–Jesaisetje…Ellemecoupeencore:–J’aiétéforcéedegrandirunpeutropvite,etçanemerendpaslaviefacile,àvingt-deuxans,mais
jesuiscommeça.Etjesaiscequejeveux.Jeveuxvivreunerelationavecunadulte,cequetuneserasjamais,jemetrompe?
Elle inspire à fond et ferme les paupières quelques instants avant deme regarder de nouveau, lesdentsserrées,lesyeuxfuribonds.
–Mavoiture…,lacanalisation,puisThanksgiving…Toutça,c’étaitjusteparcequetuavaispitiédemoi,hein?Ehbien,vatefairefoutre!lance-t-elleenmepoussantàlapoitrine.Jen’aibesoinnidetonaidenidetapitié.Et,cequiestsûr,c’estquejen’aipasbesoindetoi.
Les portes de l’ascenseur s’ouvrent sur le rez-de-chaussée. Sans hésiter, elleme contourne et sortdanslehallsansunseulregardenarrière.Quoiquedébordantsdepeineetdefierté,sesmotss’imprimentenmoi,etjenetrouverienàdire,aucuneréponsenemevient.Toutecolèrem’abandonne,parcequ’elleacomplètementraison.Ellen’apasbesoinquemoioumafamillemerdiquepourrissionssavieetcelledelapetitefillequej’aimetant.Pourcetteraison,jenelaretienspasquandelleouvrelaported’entréedel’immeublepour sortirdans la rue.Niquandelle entredans savoitureetboucle sa ceinture. Jene laretienspasplusquandelledémarre.
Je la laisse s’en aller, parce que, s’il y a une chose quemamèrem’a apprise en venantme voir
aujourd’hui,c’estbienquecelanefinirajamais.Tantqu’ilsferontpartiedemavie,jeseraitoujoursunpionpoureux,dontilsdisposerontcommebonleursemble;etjerefusedelaisserTessaetHaleydevenirdenouvellespiècessurl’échiquierdemesparents.Ellesméritentbienmieuxquecela.
Hagard, je remonte jusqu’àmonétage, la têtebaisséesous lepoidsde la résignation.Maporteestencoreouvertequandj’arriveàmonappartement,cequiveutdirequemamèreesttoujourslà.J’entre,claquelaportederrièremoietmedirigelàoùjesaisquejevaislatrouver.Elleesttoujoursassisebiensagementsurleborddemoncanapé,raidecommeunpiquet,etjeressensunélandehainepourcequemavieestdevenueàcaused’elleetàcausedemonpère.Certes,ilsm’ontdonnétoutcequejepouvaisdésirer ; tout sauf ce que je désirais le plus au monde, et que mon grand-père me donnait avant del’emporterdanssatombe:l’acceptation.
Quelquechosebrilleausol,attirantmonregard:l’objetqueTessaajetéavantdepartir.Jen’aipasbesoindemepencheretdeleramasserpoursavoircequec’est:lacléquejeluiavaisdonnée.
–Bon,ehbien,commeleprouvecequetuviensdevoir,iln’yaplusrienentreTessaetmoi,dis-jeàmamèred’unevoixblanche.Tun’aurasqu’àrapporterlanouvelleàceuxquitirentlesficelles.
–Jason…Elle hésite, visiblement tiraillée après ce qu’elle vient de voir,mais pas encore assez pour se la
fermer.–Tucomptestoujours…?–Net’enfaispas,jeserailàle2janvier,encostard,toutcommeilfaut.Elleselèveenhochantlatête.–IlyaaussilapetitefêtelevendrediaprèsNoël.–Jen’iraipas.–Cen’estpasfacultatif.–Moncul,oui.Jesuisàvousenjanvier.Jusque-là,jefaiscequejeveux.Tudevraisretrouverton
cheminjusqu’àlaporte,mêmes’iln’yapasdepersonnelpourteraccompagner.Toutendisantcela, jeme retourneetmedirigedans lacuisine.Délaissant labièreentamée toutà
l’heure, j’attrape labouteilledewhiskyetunverredans leplacard.J’ignoremamèrequipartdans lecouloiretrefermelaportederrièreelle.
J’avaledeuxdoigtsdu liquideambréquimebrûle lagorgeet,heureuxà l’idéede laisser l’alcoolfairesoneffet,jem’enressersaussitôtunenouvellerasade.
29
TESSA
Je ne sais comment, j’arrive à rentrer à lamaison, je libère Becky etmets Haley au lit avant dem’autoriseràpenseràcequivientdesepasser.Jenepourraismêmepasdirequejesuissouslechoc,car jem’yattendaisdepuis longtemps.Seulement,pasdecettemanière–enmeprésentantàsapropremèrecommeunsimpleplancul!
Jesuisaulitdepuistroisquartsd’heure,entraindemerepassertouslesmotsquejel’aientendudire,touteslesexpressionsdesonvisage,quandjemedécideenfinàprendremontéléphonepourcomposerlenumérodePaige.
–Salut,beauté.Alors,comments’estpasséecettesurprise?Ils’estbienoccupédetonpetitabricot?Un rire nerveuxm’échappe et, avantmême dem’en rendre compte, je fonds en larmes. Je pleure
tellementquejen’arrivemêmepasàparler.–Ohmerde,Tess!Qu’est-cequis’estpassé?J’entendsdesbruitsbizarresauboutdelaligne,puisuntintementdeclés.–J’arrive.Jesuislàdansdixminutes.Elleraccroche,etjelaisseletéléphonetomberàcôtédemoipourmefrotterlesyeux.Jeneveuxpas
pleureràcausedeça,àcausedelui,surtoutaprèsqu’ilm’ajetéesifacilementsouslapressiondesamère,maisjenepeuxpasm’enempêcher.Leslarmesnecessentd’afflueretcoulentencorequandPaigearrive. Elle enlève ses chaussures et grimpe sur le lit, posant devant moi un pot de glace caramel-chocolatetdeuxcuillèresenguised’offrande.
C’est avec un regard plein de compassion qu’ellem’écoute lui raconter la scène dans les détails.Puis,lacompassioncèdelechampàuneespècedefureurmuette,commesielleseretenaitdepartirpourallertrouverJasonetluidonnerunebonneleçon.Saréactionmeréconforte.Avoiruneamieprêteàfairelapeauàquiconquemeferaitdumalmemetdubaumeaucœur.
Unpeuplustard,unefoisquejemesuissuffisammentcalméepourcesserdepleurer,noussommesassisesdansmonlitetmangeonslaglaceàmêmelepot.
– Jenepigepas.Cen’estpas logique…,pasvu la façondont il était avec toi,dit-elleentredeuxcuilléréesdeglace.
–Çan’apasàêtrelogique.Ill’adit,clairement,defaçonarticulée.Cen’étaitpasunehallucination.–Non,jesais.Mais…peut-êtrequ’ilaseulementditçapoursedébarrasserdesamère?Tudisais
quesesparentsétaientdegrosconsquileforçaientàfairedestrucsdontiln’apasenvie.–Mais que veux-tu qu’ils lui aient demandé ? De rompre avec moi ? Remarque, ils doivent me
détestersuffisammentpourça,etJasonadûplier.Jesecouelatêteetplantemacuillèredanslepot.–Non,cen’estpasça.Etpuis,tusaisquoi?Jem’enfous.Parcequeçan’afaitqueconfirmerlefait
qu’aufonddelui,iln’estencorequ’ungamin.Ilnegrandirajamais,alorsquec’esttoutcequicomptepourmoi:avoirunerelationavecunadulte.
–TuenasparléàCade?Pourvoircequ’il…–Non.Pasquestion.Je n’ai même pas encore pensé à la façon dont j’allais présenter les choses à Cade, surtout
considérantl’hostilitédontilafaitpreuvelespremierstempsenversnotrehistoire.–Commentvais-jeluienparler?Unepenséequej’avaisréussiàrefoulerjusqu’icis’imposealorsàmoi,etmesépauless’affaissent.–Etcommentvais-jeleluidire,àelle?Jen’aipasbesoindepréciseràPaigequejeparledeHaleypourqu’ellelecomprenne.J’imaginelechagrindemafillelorsquejeluidiraiqueJasonneviendraplus,etunenouvellevague
de larmesmemonte aux yeux. J’accepte la cuillérée débordant de glace queme tend Paige en guised’antidépresseur.
C’esttroisjoursplustardqueHaleymequestionneausujetdeJason.Troisjoursderépit,àréfléchirtranquillement–c’est-à-dire,troisnuitssanssommeilàpleurertoutesleslarmesdemoncorps.Jen’aipas eu assez de discernement avant dem’engager dans cette histoire avec Jason. C’était un point derepèredansmaviedepuisl’enfance,et,maintenant,d’uncoup,iln’estpluslà.
Ce quimemanque, ce n’est pas seulement l’incroyable chimie qui nous unissait charnellement, nil’intimitéquenouspartagions.Cequimemanque,c’estlegarçonqu’ilétaitdevenucesdernierstemps:monmeilleuramiaprèsPaige.Etcettepertemefaitunmaldechien.
Au bout de ces trois jours, quand Haley finit par me demander où est Jason, la question devientquotidienne.Ellemedemandes’ilsera làcesoir,s’ilpeutvenirsamedipourune journéepyjama,s’ill’emmènerajouerdanslaneige.J’essaiedecombler levide: je l’emmènevoirunfilmlesoiroùelleespèrelevoir,j’organiseunejournéedonut-pyjama,avecdescookiesàlaplacedudéjeunerlesamedi.Nousfaisonsl’angedanslaneige,desbonshommesdeneige,desbataillesdeboulesdeneige,alorsquejedétestelaneige.Justepourlavoirsourire.
Maisellen’arrêtepasdedemander.Chaquefoisqu’ellelefait,moncœursebriseunpeuplus.Paspourmoi:lemienestdéjàdévasté.Maispourelle.Ellenecomprendpaslalogiquedesrelations
entreadultes,raisonpourlaquellejel’aitoujourstenueàl’écartdemeshistoires,nelaissantjamaisunhommetropserapprocherd’elle.
SaufquejenepouvaispasvraimentévitercelaavecJason,étantdonnéqu’ilfaisaitpartiedesaviedepuissanaissance.
Unesemaineaprès la ruptureavecJason,Haleyetmoisommesdans lasalledebain,à lamaison.Elleestdanssonbain,perdueaumilieud’unemontagnedemousseblanche.Elles’enmetunpeusurlevisage,commeunebarbe,sousmonœilvigilant.
–Maman,est-cequejeressembleaupèreNoël?–Às’yméprendre,machérie.Ilfaudrajustequetumangesunpeuplusdedonutspouravoirungros
ventrecommelui.–Alors,ilfaudraquej’enmangepleindemain.Jerisetluishampouinelatêteenessayantdefairededrôlesdeformesaveclamousse.Maiselleest
tropépaisseettroplourde,etluiretombedansledosavantquej’obtienneunrésultatsatisfaisant.–Quandest-cequ’ilvient,tontonCade?–Lasemaineprochaine,justeavantNoël.–EtWinter,aussi?
–Oui,elleseralàaussi.Un sourire radieux illumine son visage. Je suis heureuse qu’elle ait cela pour la distraire, même
temporairement,duvidequeJasonalaisséderrièreluisanslesavoir–ousanss’ensoucier.–EtJay?Ilvientaussi?Ah.Apparemment,ladiversionespéréeaseslimites.J’esquivecommejelefaisdepuisunesemaine:–Jenesuispassûre,machérie.Celavadépendredesontravail.–Commentçasefaitqu’ilnevienneplusnousvoir?Çafaittroplongtemps.Iladitqu’ilreviendrait
construireunchâteaudeneigeavecmoi.Malgrémapropresouffrance, lacolèremonteenmoienentendantainsima fille,de sapetitevoix
angélique,merappelerqueJasonluiapromisquelquechose–promessequ’ilnetiendrapas–,etjedoismemaîtriserpourrestercalmeetnepasluimontrermondésarroi.
–Tusais,ilesttrèsprisparsesétudesetpardesprojetsavecsesparents,luidis-je.J’avoue, j’aiété lâcheenne luidisant riendecequis’étaitpassé. Jen’enaipasnonplusparléà
Cade,alorsqu’ilseraaucourantauboutdecinqminutespasséesà lamaison.Ila toujourscecurieuxpouvoirsurmoi,etcesixièmesenspourpercevoirquequelquechosenevapas.
–Ben,ilaintérêtàreveniravantquelaneigeaitfondu,ditHaley.Jerisetluiversedel’eausurlatêtepourrincersescheveux.–Onaencoredutempsavantquelaneigenefonde,machérie.Ilaneigétôt,cetteannée.–Youpi!fait-elleentapantl’eaudesesmains,éclaboussantpartout.Ellepassealorsàtoutautrechose,ungrandsourireauxlèvres,reléguantJasondansuncoinobscur
desonesprit.Siseulementcelapouvaitêtreaussifacilepourmoi.Sijepouvaisneplusêtreassailliechaqueinstant
de la journéepar son image, nos souvenirs.Simesnuits, où jedevrais trouverun semblant de repos,pouvaientnepasêtrehantéespardesrêvesdeluisicriantsderéalitéquejem’éveilleencoreaveclui.Sijepouvaisoubliersesmainssurmoi,sesmotsdouxdansmonoreilleetjusquedansmoncœur.
Maisnon.LesouvenirdeJasonnemelaisseaucunmomentderépit.
30
TESSA
Cade est là depuis deux heures quand l’interrogatoire commence.À vrai dire, je pensais que celaarriveraitavant.Jevoyaisbienqu’ilétaitgênédesentirquequelquechosen’allaitpassanspouvoirs’enenquérir(dumoinspasavantqueHaleynepuissepasnousentendre).
ElleestmaintenantbordéeetdanslesbrasdeMorphée.Demoncôté,j’aienfiléunpantalondeyogaetunsweatàcapuche,etjemesensaussiprêtequepossibleàfairefaceauquestionnementdeCade.Jesaisquejenepourraipaséchapperàcetteconversationetjelaredoute.PresqueautantquejeredoutelesquestionsquotidiennesdeHaleysurl’absencedeJason.
J’entredanslacuisineetytrouveCade,unebouteilledebièredevantluietunverredevinàmoitiérempliposédevantlachaisevoisine.
–C’estpourWinter?dis-jeavecunsignedetêteendirectionduverreàpied.–Non,elleestdanslachambre.–Ah!onneveutpasdetémoin,hein?Il ignoremapetiteplaisanterie, tandisque jem’assoisprèsde luipourboireunegorgéedecevin
dontj’aibienbesoin.Ilselance:–OùestJase,cesoir?Jeboisuneautregrandegorgéeenévitantsonregard.–Jen’ensaisrienetjem’enfous.Iljuredanssabarbe.–Qu’est-cequ’ilafait,Tess?J’expireàfondetsecouelatête.–Eh,cen’estpasgrave,OK?Toutcequetuasàsavoir,c’estquecequis’estpasséentrenousest
maintenant terminé.Et jen’ai aucuneenviede t’entendrediredes trucsdugenre« Je te l’avaisdit»,d’accord?
–Et«Jevaisluibotterlecul»,jepeux,ça?Jerisetsongeuninstantàlelaisserfaire,cedontilnesepriveraitpas.–Écoute,jesuistouchéequetuveuillesmeprotéger,maisjesuisunegrandefille,Cade.C’estautant
mafautequelasienne.Ils’adossedanssachaise,lesyeuxrondscommedessoucoupes.–Tuveuxbienm’expliquer,là?Jehausselesépaulesenpassantmondoigtsurlecontourdemonverre.–J’ysuisalléeenétantconscientedeceque jefaisais.Jesavais trèsbienoù jemettais lespieds.
C’étaitmonchoix.Jasonnes’estpasconduitenimbéciledanscettehistoire.Seulementmoi.Ilserrelespoingssurlatable.–Putain,jevaisletuer.Jesourisetposeunemainsursonbraspourqu’ilresteassisàcôtédemoi.
–Certainementpas.Tuvasrestericiet,pourmechangerlesidées,meparlerdelaviederêvequetumènesàChicago.
Ildoitpercevoirquelquechosedansmesyeux,carilsedétenddanssachaiseetboitunegorgéedebière.
–C’est…,écoute,Tessa,jenepeuxmêmepastedireàquelpointc’estgénial.Johnm’ademandédedirigerlescuisineslessoirsoùOscarestderepos.J’ail’impressiond’êtreauseptièmeciel.Leprojetd’ouvrirtroisautresrestaurantsseprécise.IlyadeschosesencoursàMinneapolis,Denveret…ici.
Mesdoigtsseresserrentsursonbras.–Ici?C’estvrai?–Ouaip.–BonDieu,Cade!–Ehoui…–Çaveutdirequetuasdeschancesderevenir?Jeretiensmonsouffle,attendantsaréponse.Etjemerendssoudaincomptequemonenviedelevoir
revenir n’a rien à voir avec l’aide qu’ilm’apportait autrefois.Depuis environ unmois,Haley etmoiavonstrouvénotrerythme,mesnuitssepassentunpeumieuxetmesjournéessontmoinsinfernales.Cen’est certes pas parfait (j’ai enfin compris que je ne serais jamais parfaite moi-même), mais c’estgérable.Etnousformonsunebonnepetiteéquipe,elleetmoi.Non,laraisondemajoie,c’estuniquementlefaitquemonfrèrem’abeaucoupmanquédepuissondépart.EtsononcleabeaucoupmanquéàHaley,aussi.
–Jenesaispastrop.Johnsaitquej’ai trèsenviederevenir ici.S’ilm’estimeprêt, jenevoispaspourquoiildonneraitleposteàquelqu’und’autre.Ilfautsimplementquejemedémènepourluiprouverquej’ensuiscapable.
–C’estgénial.Tuesheureuxd’avoirpriscettedécision,alors?–Oui,carrément.C’étaitunedesdécisions lesplusduresàprendrede toutemavie,mais jene le
regrettepas,mêmesijedoisvivreloindevous.–Ons’ensorttrèsbien,tusais.Ilmeregardeenbiais,l’airdedire«Causetoujours».–Ons’ensorttrèsbien,indépendammentdelasituationavecJason.–Etalors,est-cequeçaveutdirequetuesderetoursurlemarché?Tuvasrappelerledentiste?Jelèvelesyeuxaucieletboisunegorgéedevin.–Ilétaitorthodontiste,etlaréponseestnon.Jehausselesépaulesetm’adossedansmachaise.–Jesuisbien,touteseuleavecHaley,pourlemoment.Jevoulaisàtoutprixtrouverquelqu’unavec
quiêtreheureusepourtoujours,etçam’apétéàlafigure.Jeneveuxplusforcerleschoses.Jel’aidéjàfait avec unmec pour qui je ne ressentais rien, puis avec un autre avec lequel j’auraismieux fait dem’abstenir.
Cequejeneluidispas,c’estquejerêveencorederetrouvercela:unecomplicitécommecellequej’avaisavecJason,maisavecunhommeprêtàs’engagersurlelongterme,às’impliqueravecmoi.Jesaisquejesuisjeune,maismavieneseprêtepasàdesplansculetàdesrelationssanslendemain.
Moncœurn’ajamaisdésirécela.
JASON
J’écartelesboîtesdepizzaetlesbouteillesdebièreenvrac,essayantdetrouvermontéléphonequej’entendssonner.Jenesaismêmepasquel jouronest.Lundi,mardi?Noëloujourdel’An?N’ayantplus de cours pour remplirmon emploi du temps, etmes parentsme fichant, pour une fois, une paixroyale, jen’ai faitque…,qu’être là.ÀjoueràHalopendantparfoiscinqheuresd’affilée,commanderdespizzasoudesplatschinois,boiredelabièredèsmidisiçamechante.Sanspersonneàquiparler,personneàquirendredescomptes,rienquemoi.
L’éclate,quoi.Je trouve mon téléphone au moment où il cesse de sonner, mais il recommence quelques instants
après.Lenomd’Adams’allumesurl’écran.Jemelaisseretombersurlecanapéetdécroche.–Ouais.–BonDieu,Jase,qu’est-cequetuasfait?–Holà,tuvasbaisserd’unton,s’ilteplaît,dis-jealorsquejesaisexactementcequil’amène.Apparemment,mon heure a sonné avecmon autremeilleur pote, parce que, siAdam a eu vent de
l’histoire,c’estqueCadenedoitpasêtreloin.–Jecroyaisquecen’étaitpasjusteunplanculpourtoi?Unecentainederéponsesmeviennentsurleboutdelalangue,maiscommentluidire?Eneffet,ce
n’étaitpasjusteunplanculpourmoi,etc’estprécisémentpourcetteraisonquejenesuisplusavecelle,maintenant.Parcequ’ellecompte–comptait–bienplusquecela.
Voyantquejenerépondspas,ilcontinue:–Jen’arrivepasàcroirequetunem’aiesriendit.Ilafalluquejel’apprenneparCade,quiesten
chemin pour te botter le cul, entre nous soit dit. Simon avion était ce soir et non demain, j’en feraisautant,d’ailleurs.
–Oui,ehbien,jemesuisbottéleculmoi-même;alors,netedonnepascettepeine.–Non,mais,franchement,Jase,qu’est-cequis’estpassé?Jepousseunlongsoupiretfermelesyeuxenlaissantmatêtebasculersurl’accoudoir.–Çan’apasmarché,c’esttout.J’entendsungrognementincréduleauboutdelaligne.–Arrête,pasàmoi.EtCadenerisquepasdegoberça,luinonplus.–Jem’ensoucieraiquandilviendramevoir.Tul’astrouvécomment?–Prêtàt’arracherlescouillesetàtelesfairebouffer,situveuxvraimentlesavoir.Etjenepourrais
mêmepasessayerdefaireletampon,parcequejevoyaislecoupvenir.J’acquiesce en grommelant, conscient de ne pas mériter qu’on me défende. Quoi que Cade me
prépare,jel’auraiméritépuissancedix.–Sijamaistuarrivesencoreàmarcherdemain,onpourraallerprendreunebière.Jeserailàjusqu’au
vingt-huit,dit-il.–OK,çamarche.Onfrappesoudainàmaporte,suffisammentfortpourréveillerlesvoisinsàcentmètresàlaronde.–Merde.–Ah!l’heureasonné?Allez,bonnechanceaveclabête!melanceAdamavantderaccrocher.
Jemefrottelevisageengrognantetbalanceletéléphoneàcôtédemoi.JenemesenspastoutàfaitassezsoûlpouravoircettediscussionavecCade.
Poussantunsoupirderésignation,jemelèveducanapéetavanceverslaporte.Elles’ouvresurlevisagerougedemonmeilleurami.
–Cade,quellebonnesurprise!dis-jesèchement.Ilpassedevantmoiaprèsm’avoirdécochéunregardglacialetavancedanslecouloir.Lorsquejele
rejoinsdanslesalon,jeletrouveplanté,lesbrascroisés,entraindecontemplerlespilesd’emballagesdeplatsàemporteretautresdétritusquijonchentlesoldelapièce.
–C’estquoi,cebordel?–Déjeuner.Dîner.Etpeut-êtrepetit-déj,aussi.Tuasfaim?Jemelaisseretombersurlecanapéetattrapelamanettedejeuvidéoenposantmespiedssurlatable
basse.Cadeapprocheetpoussemespiedsdelatablepoursedresserdevantmoi,leregardmenaçant.–Tessanem’arienditsurcequis’estpassé.J’espèrebienquetuvasmedirelavérité.–C’estmalbarré,monpote,vuquejenecomptepast’endirebeaucoupplusqu’elle.Jem’efforcedel’ignoreretdemeremettreàjouer,sachantpertinemmentquejemeconduiscommeun
con,surtoutconsidérantquejenel’aipasvudepuissixmois;maisjen’arrivepasàfaireautrement.–NomdeDieu,Jase,maisqu’est-cequisepasse?Jecroyaisarrivericiettetrouveravecdeuxnanas
danstonpieu,auquelcasjet’auraismismonpiedauculvitefait.Enfait, tuasjustel’aird’unpauvretypequin’apasprisdedouchedepuisunesemaine.
–Ehoui,qu’est-cequetuveux?dis-jeavecunhaussementd’épaulesenévitantsonregard.–Jenepigepas.Situn’aspasrompupouruneautrefille,c’estquoi,leproblème?Jesaisquece
n’estpasTessaquiarompu,parcequ’ellenevapasbeaucoupmieuxquetoi.Lesimplefaitd’entendresonprénommefaitl’effetd’uncoupdepoingdansleventre.–Tessaseportebeaucoupmieuxmaintenant,dis-jeenmarmonnant.–Commentça?Qu’est-cequeçaveutdire?Jepousseunsoupir,mepencheenavantetposelescoudessurmesgenoux.–Bon, tuavaisraison,ça teva?Elleestbienmieuxsansmoi.Etencoremieuxsans lafamillede
merdequimecolleratoutletemps.Ilmefixependantunmoment,puissecouelatête.– Si c’est vraiment ce que tu penses, tu es encore plus con que je le croyais. Putain, mais tu ne
t’écoutesjamais,maparole?–Jenefaisquem’écouterdepuisunesemaine.Voilàpourquoijesuisicietpasdevantsaporte.Parce
queçavautmieux.–Ahoui?Etçavautmieuxpourqui,exactement?Parceque,delàoùjesuis,jevoisdeuxpersonnes
malheureuses.–Elleseraencoreplusmalheureusesiellesefaitentraînerdanslessaloperiesquejedoisgérertous
lesjoursavecmafamille.–Tusaisquoi?J’enairasleboldet’entendreteplaindredetafamilledemerde.Tuneveuxpas
qu’ilsdirigenttavie?Ehbien,neleslaissepaslefaire.Coupelecordonetgrandisunpeu,bordel!–Parcequetucroisquec’estaussisimplequeça?Iln’yapasdecompromisaveceux:c’esttoutou
rien.
–Donc,tupréfèresavoirtoutaveceuxetrienavecTessaaulieudel’inverse,sijecomprendsbien?EtHaley,alors?Touteslescinqminutes,elledemandeoùtues!
Je relève brusquement la tête vers lui en l’entendant parler de Haley, encaissant tout ce qu’il mebalance.Ilhochelatête.
–Ouaip.QuatrefoisdéjàdepuisqueWinteretmoisommesarrivés.–Merde.Jemepasseunemainsurlevisage.– Écoute, est-ce que tu pourrais… Enfin, je lui ai acheté un cadeau de Noël. Tu pourrais le lui
donner?–Tuveuxqu’ellel’ait?Alors,arrêtedeteplanqueretviensleluidonnertoi-même.Ilserapprocheencore,metoisantdetoutesahauteur.–Qu’est-ce que tu feras quandTessa remettra son profil en ligne sur un de ces putains de sites ?
Quandellesortiraavecunautreorthodontiste,unavocatouautretypechiantcommelamort,justeparcequ’ellecroitquec’estcequ’illuifaut?
Commetoujours,cetteidéemeglacelesang.Jen’aicessédepenseràceladepuisquejel’ailaisséepartir:àceluiquiprendralaplacequejen’aipasoccupéeassezlongtemps.Quelqu’unquiregarderadesfilmsàl’eauderoseavecTessaoujoueradanslaneigeavecHaley.Quiiraacheterdesdonutslesamedimatinavantdepasserlajournéeaulitàregarderdesdessinsanimés.
Celamerendfou.Vraimentfou,maisjeneveuxpasqu’ellessoientunpiondeplusdanslejeuquemesparentsjouentpourmoiencemoment.
–Cen’estpassifacile,Cade.–Ehbien,rendsleschosesfaciles.Quoiqu’ilaitpusepasser…,quellesquesoientlesraisonspour
lesquellestuasrompucettehistoireavecTess,ilyaforcémentmoyend’arrangerça.Surcesmots,ils’envaetseretournepourmedirepar-dessussonépaule:–Bouge-toietgèrelasituation,monpote.
31
TESSA
–Allez,lesfilles,quelafêtecommence,ditPaigeenentrantdansmachambre.Winterestassisesurmonlit,tandisquej’essaiedetrouverquelquechoseàmettre.–Onnepeutpasplutôtresteràlamaison?dis-jeenmeretournantverselle.–Maparole,maistuasquelâge?Quatre-vingtsansouquoi?lance-t-elleenpassantmagarde-robe
enrevue.Onvafairelafête.Onvaprendredubontemps.Onvatefairepicoler,ajoute-t-elleenpointantundoigtversmoi.
Ellesetourneetattrapequelquesvêtementsdansmapenderieavantdemelestendre.–Tiens,enfileça.Tescheveuxsontsuper,commed’habitude.Parcontre,ilvafalloirfairequelque
chosecôtémaquillage,parcequetunerisquespasd’allerbienloinavecceregarddéfait.JepousseunsoupiretlanceunregardimplorantàWinter.Ellelèvelesmainsetsecouelatête.–Nemeregardepascommeça.C’esttameilleureamie.Voilàpourquoijemetiensàdistancedemes
copinesdepuislongtemps.–Ehbien,maintenant,tuescoincéeavecnous,ditPaigeenselaissanttombersurlelitpendantque
j’enfilelesfringuesqu’elleachoisiespourmoi.Unjeantaillebasseetunhautnoirmoulantàdosnu.Sobredevant,supersexyderrière.Pasvraiment
lelookdontj’aienvie.Unsweatlargeetunleggingauraientdavantagereflétémonétatd’esprit.Celadit,cettesoiréeentrefillesdevraitmefairedubien.Enplus,CadeetWinterrentrentchezeux
demain.Cesdeuxdernièressemainesontétédures,mêmeavectoutel’excitationd’avantetaprèsNoël.Avectoutcequisepassait,j’aicruquecelamepermettraitdemoinspenseràJason.Maisjusqu’ici,lesseuls moments où je l’oublie un peu sont ceux où Haley m’accapare. Et même là, c’est une pentesavonneuse,carellenecessetoujourspasdes’enquérirdelui.
–Arrête, dit Paige,me tirant demes pensées.Voilà que tu recommences. Interdiction de penser àCelui-dont-on-ne-doit-pas-prononcer-le-nom.Maintenant,magne-toi,onaduboulot.
Unefoisquejesuischangée,Paigemepousseendirectiondelasalledebainetentreprenddememaquiller.Jem’assoisdocilementetlalaissefaireenespérantqu’elleaitraison.Qu’unpeu,voireunpeutropd’alcoolmeplongeradansunmomentd’oubliplusquebienvenu.
–Paigeaimevraimentça,ondirait?medemandeWinter.NoussommesassisesàunetablehauteetregardonsPaigedanseraumilieud’ungroupedegarçons.–Oui,dis-jeensoupirant.Moncocktailtardeàmefairedel’effet,etjemetrouvebientroplucideàmongoût.Pourl’instant,le
planFaire-picoler-Tessanefonctionnepasvraiment.–Tusais,Cadenem’apasditgrand-chosesurcequis’estpasséentreJasonettoi…–C’estparcequ’ilnesaitpasgrand-chosenonplus.Jeboisunegrandegorgéedansmonverre.–EtjedoutequeJasonluienaitditdavantagelorsqueCadeestallélevoir,l’autrejour.
Quand j’ai appris queCade était allé chez Jason pour lui parler, j’étais blême. J’ai copieusementenguirlandémonfrère,luireprochantdesemêlerdecequineleregardaitpas.Maiscequim’aleplusénervée,c’estdepenserquenotrehistoire,àJasonetmoi,puissenuireàleuramitié.J’aibeausouffrir,jeneveuxsurtoutpasqueleurrelationsedétérioreàcausedecela.
–Eneffet,confirme-t-elle.Cades’inquiètepourtoi.Etilneteledirajamais.–Jesuissurprisequecesoittoiquimeledises.Ellemeregardepar-dessussonverred’eau(c’estellequiconduitcesoir,Dieumerci).–Oui,moiaussi,enfait.MaiscequiestimportantpourCadeestimportantpourmoi.Ellebougesurson tabouretet sepencheunpeuplusversmoi,afinque je l’entendemieuxdans le
vacarmedubar.–Tusais,ilétaitvert,audébut,quandilaapprisquevouscouchiezensemble.Cette façondedire leschosesmefait tiquer. Jesaismaintenantquecen’étaiteneffet riendeplus
pourJason,alorsquejen’aijamaisconsidérélasituationdecettemanière.Elleremarquemaréactionetagiteunemain.–Enfin,jeveuxdire,quevousétiezensemble,quoi.Bref.Ilétaitfurieux,parcequ’ilavaitpeurquetu
souffres.Ilfautdirequemêmemoij’étaisaucourantdelafaçondontJasontraitaitlesfilles.J’opineduchef.Moiaussi,jesavaiscommentilsecomportaitaveclesfilles.Etj’auraisdûécouter
lapetitevoixdansmatêtequimedisaitdenesurtoutrienfaireaveclui.Sijel’avaisécoutée,jeneseraispas assise là, dans ce bar, où je n’ai pas envie d’être, à noyermon chagrin dans un verre demartinipresquevide.
–Mais,auboutd’unmoment,ilachangéd’avis.Jerelèvebrusquementlatêteetlavoisacquiescerdoucement.–Ehoui.Jepeuxtedirequeçan’apasétéfaciledeluifairecomprendrequ’ildevaitarrêterdete
surprotégercommeça,etqu’ildevaitvraimentenvisagerJasoncommequelqu’unquipourraitêtrebienpourHaleyettoi.Etques’est-ilpasséensuite?Quandilafinipararrêtersonblabladegrandfrèreets’estmisàréfléchiràquipourraitvousconvenir,àelleettoi?Ehbien,ilalâchél’affaire.
–Jenecomprendspas…Ilestcommeunebêteencagedepuisdesjours,prêtàégorgerJason.Siçaneledérangeaitvraimentpasqu’onsoitensemble,pourquoiréagirait-ildecettefaçon?
–IlneveutpaségorgerJason,ilveutjustequ’ilsebougelecul.Écoute,onnesaitpascequis’estpassé,maisilyaeuuntruc,et,d’aprèscequeCadem’adit,cen’estpasunehistoireavecuneautrefille.
Jemegausse, n’y croyantpasun instant.Plusieurs semaines se sont écouléesdepuisnotre rupture.Jasonadûenprofiterplussouventqu’àsontourdepuislors.Cettepenséemetordleventre,etjesensl’alcoolquej’aiingérémenacerderemonter.Jefaisalorscequeferaittoutepersonnesenséedanscettesituation:jevidelerestedemonverreculsecetencommandeunautredèsquelaserveusepasseparlà.
–Tessa,jenesaispassituesaucourantdetoutcequis’estpasséentreCadeetmoi…Jesecouelatêteunpeutropfort.–Ça,non.Ilnem’ajamaisriendit.–Ehbien,ilsetrouvequej’étaisunpeuJasondanscescénario.Complètementàcôtédelaplaque.
J’aimaisCade,maisçanemesuffisaitpas.Ellefixesonverreavantdemedemanderposément:–Est-cequetuaimesJason?Si je l’aime ?Plus quema vie. J’aime sa présence discrète et rassurante le soir, quandHaley est
couchéeetquelamaisonestcalme.J’aimequandilrâleenbuvantduvinavecmoi,parcequec’estsoi-
disantuneboissondefille,maisqu’illefaitquandmêmeparcequejeleluidemande.J’aimequandilmelaissedormiretemmènemafilleacheterdesbeignets,puisqu’iljoueavecelledanslaneigependantdesheures.Quandilsedéguiseavecelle,joueàladînetteetrouspèteunpeuparcequ’elleveutessayersonnouveauvernisrosefuchsiasursesonglesdepied.J’aimelafaçondontilmefaitmesentirvivante,êtrebienplusqu’unemaman–toutsimplementmoi-même.
J’essuieleslarmesquimemontentauxyeuxavantdelesreleverversWinterpourluirépondre.–Parfois,l’amournesuffitpas.Ellerestemuettequelquesinstants,puissecouelatête.–Toutestlà,Tessa.Donne-luiunechance…Heureusement,àcemoment-là,laserveuseposedevantmoiunnouveauverredevin.J’enboisune
grandegorgée.Luidonnerunechancedequoi?Parceque,làoùjesuis,seuledansunbaràm’enivrerpourpouvoirl’oublier,jenevoispersonneàquidonnerlamoindrechance.
32
JASON
LesdernièresparolesdeCademehantentdepuisplusieurs jours.Elles tournentenboucledansmatête,écrasanttoutesmesautrespensées:TupréfèresavoirtoutaveceuxetrienavecTessaaulieudel’inverse?
Commentsefait-ilquejen’aiejamaisvuleschosessouscetanglejusqu’ici?Pendanttoutcetemps,j’étaisprêtàabandonnerquelquechosequimerendaitheureux,quelqu’unquimerendaitheureux,pourpassermavieàn’êtrequ’unpantinentrelesmainsdedeuxpersonnesquisefichenttotalementdemoi.Ilm’afallutropdetempspourlecomprendre,maisçayest.Jenesaispascequemeréservel’avenir,quelgenredeviej’aurai,maiscelam’estégal.Tantquej’auraiTessaetHaleyauprèsdemoi,celam’estégal,parcequecesontellesquicomptent.Ellesconstituentexactement legenredefamilledontmongrand-pèreme parlait…Celle qui compte plus que tout.Celle dont ilme disait qu’il ne faut surtout pas sedétourner.Ilneparlaitabsolumentpasdemesparents.Ilmedisaitquejepourraislatrouvertoutseul,siseulementj’ouvraislesyeux.
Jel’aitrouvée…Jelesaitrouvées…etj’aifaillileslaisserm’échapper.Jegaremavoituredansl’alléecirculaire,m’arrêtantdevantlevoiturierengagéparmesparents.La
fêteacommencédepuisunbonmoment;personneneviendrasegarerderrièremoi.Jegardedoncmesclésetdisauvoiturierquejerevienstoutdesuite.Leplanquej’aientêtenedevraitpasêtrebienlongàexécuter.
J’entredanslamaisonetmedélectedesregardsquemejettentlescollèguesetconnaissancesdemesparentsdevantma tenuepasvraiment réglementairepourune telleoccasion. J’auraisprobablementdûagiràunmomentplusopportunetéviterlejouroùilyatroiscentstémoins.Maisjen’aijamaisétédugenreàfairecequ’onattenddemoioucequiestleplusconvenable.
Jeme fraye un chemin dans la foule, y cherchantmes parents. Je finis par les trouver près de lacheminée,unverreàlamain,unsourirefauxsurleslèvres.Jamaiscettevie-làneseralamienne,Dieumerci.
C’est ma mère qui me remarque en premier. Elle semble soudain manquer d’air, et ses yeuxs’écarquillent.Elleagrippeensuitemonpèrepar lebras,et ilse tournepourmescruterde la têteauxpiedsd’unregardsévère.
–Jason,dit-ild’untonglacial.Nousavonsprévenutoutlemondequetunetesentaispastrèsbien.Cen’étaitpaslapeinedevenir.Toutlemondecomprend.
Les invitésrassemblésautourdemesparentsmelancentdesregards,clairementsurprisqu’ilssontparmatenue:unjeanetunsweatàcapuchequinesentpaslahautecouture.
–Jenesuispasmalade,papa,maisjecomprendsquecetteexcusepassaitmieuxquelavérité.–Jason,ditmamèred’untoninquiettoutenregardantsesamis.Peut-êtrepouvons-nousallerdiscuter
dansunendroitoùnousseronsplustranquilles?
–Jetrouveçatrèsbien,ici.Monpèresepencheversmoietmeparleàvoixbasse,maisjepariequetoutlemondeautourdenous
l’entendquandmême.– Réfléchis une minute à ce que tu fais, je te prie. Ce n’est pas une façon de se conduire pour
quelqu’unayanttonstatut.–Heureusementquejenetravaillepasàlaboîte,alors.–Tu joues sur lesmots.Le2 janvier, tu seras làpourme seconder,puisprendre les rênes, cequi
n’excuseaucuncomportementdéplacédetapartavantcettedate.–Non,jecroisquetun’aspascompris.Jeneferairiendansl’entreprise.Jenesuispluspartant.Jemerapprocheunpeuplusdemesparentsetcracheenfinlemorceau:–Jen’enaijamaiseuenvie,etsil’unoul’autre,vousm’aviezécouténeserait-cequedeuxsecondes,
vous le sauriezdepuis longtemps.Vous avez ruiné tout cequegrand-père avait fait debiendans cetteboîte.Vousavezréduittoutcelaenmiettes,etjeneveuxpasêtreimpliquélà-dedans.Trouvezquelqu’und’autrepourprendrelarelève,parcequeceneserapasmoi.
Monpèreestmaintenantécarlate;sesyeuxsontfurieux.S’iln’yavaitpastoutcemondeautourdenous,ilauraitdéjàexplosé.Ilparled’unevoixsourdeetcontrôlée,maistoutsoncorpsditexactementlecontraire.
–Tunesaispascequetufais,Jason.Réfléchisbienàcequetuessurlepointdeperdre.Sonregardm’indiquequ’ilpenseàbienplusqu’autravail.Ilparledetout,ycompriseux.Pourunefois,jem’enmoque.Pourunefois,jenelaissepaslesensdesobligationsoulesparolesde
mongrand-pèrem’empêcherd’agircommej’aienviedelefairedepuisdesannées.Parcequejesaiscequim’attendendehorsdecesmurs.Parcequej’aienfincomprisquemavraiefamillen’estpasliéeàmoiparlesang,maispartoutautrechose.
–J’yaidéjàréfléchi.Etc’esttoutvu.Sitôtpartidechezmesparents,jemerendsauseulendroitquiatoujoursétédavantagechezmoique
lamaisonoùj’aigrandi.JenemesouciemêmepasdelafureurquejerisquedeprovoquerchezCade.IlfautquejevoieTessa,quejeluiexpliquecequis’estpassé,quejeluidiseavoircommisuneterribleerreur,combienj’aiétébête.Enespérantqu’ellepuissemepardonner.
Etqu’elleacceptedemereprendre.LavoituredeTessan’estpasgaréedans l’allée.Àsaplacese trouveunevieilleAccordavecune
plaquedel’Illinois.EspérantqueTessaaprêtésavoitureàCadeetqu’elleseraàlamaison,j’avancejusqu’àlaporteetfrappedoucementpournepasrisquerd’éveillerHaley,quidoitdormiràcetteheure.Maiscen’estpasTessaquiouvre ;c’estsonfrère.Il reste là, lesbrascroisés,etmeregardeavecunsourcilrelevé.
–Ehbien,tuenasmisdutempspourtebougerlecul.–Oui,jesais.Jesuistoujoursunpeulentaudémarrage.Ils’écartepourmelaisserentrer.Aprèsm’êtredébarrassédemonmanteauetdemeschaussures,je
luiemboîtelepasenguettantunsignedelaprésencedeTessa.Envain.Cadem’emmènedanslacuisine,oùAdamestperchésuruntabouret.
–Salut,mec,luidis-je.Ilhausselementonversmoi.
–Alors,çayest,tuasfiniparpiger?–Oui,oui.OK,j’aiétécon.Ilm’afalluunmoment,maisçayest,jesuislà.OùestTess?–Tuasunpeutardé.Ellen’estpaslà,m’annonceCade.–Oùest-elle?–Jecroisqu’elleestressortieavecsondentiste,ditCade,l’airderien,commesicettenouvellene
risquaitpasdefoutretoutemavieenl’air.Adams’étouffeavecsabièreetsecouelatêteenregardantCade,tandisquejemelaissetombersurle
tabouretvoisindeceluid’Adam.–Merde.Merde!Jetapedupoingsurlecomptoir.–Elleadéjàrecommencélesrencards?L’idéedecegrosnazeposantlesmainssurTessamerendfou,etjedoismeretenirdenepaspartirà
sarecherchesur-le-champpourécumertouslesendroitsoùellepourraitêtre.Maisnon.C’estsonchoix.Elleacruquejenevoulaispasd’elle,quejelaprenaisseulementpourunplanculcommeunautre,et
jel’ailaisséelecroire.Jeméritecequim’arrive.–Faispaslecon,Cade,marmonneAdam.Cadeestappuyécontre lecomptoirenfacedenous, lesbrascroisés,etmeregardeenplissant les
yeux.–Jeferaileconjusqu’àcequ’ilmedisepourquoiilestvenuici,dit-ilàAdamtoutenmeregardant
fixement.Jesecouelatêteetinspireàfond.Qu’ellesoitsortieounonavecquelqu’un,celanechangerienàcequejesuisvenufaireici.Àceque
jevaisfairesiellem’enlaissel’occasion.–Jesaiscequetucrois,dis-je,etjesuisheureuxquetusoislàpourveillersurTessa.Maisvoilà:
quetusoismonmeilleurpoteoupas,tun’aspasàsavoirçaavantelle.Ilrestesilencieuxquelquesinstantsenm’observantavantdedire:–Tuvasencoreluibriserlecœur?–J’espèrebienquenon.Ilfaudraitdéjàquejeleregagne,d’abord.–Àconditionqu’elleveuillebiendetoi.Ilvafalloirtefairepardonner.Ilavanceversleréfrigérateuretensortdeuxbièresavantdem’entendreune.–Tupourrascommencerdèscesoir.Tessa,PaigeetWinterdevraientbientôtrentrer.Ilmefautquelquesinstantsavantd’intégrercequ’impliquentcesmots;jesensalorsunénormepoids
sesouleverdemapoitrine.–Quelsalaudtupeuxfaire!–Ouais,ettoi,tuasfaitsouffrirmapetitesœur.Jepensequ’onestencoreloind’êtreàégalité.–Cen’estpasfaux.–Bon,alors,puisquetuesvenuicipourelle,jesupposequetuasréglélemerdieravectesparents?–Situveuxdireparlàquejen’aiplusdemerdierencommunaveceux,alors,oui.Lessourcilsd’Adamselèventsursonfront.–Tut’esbarré?–Ouaip.Jeleuraiditquejenevoulaispasfairepartiedelaboîte.Etj’aifaitçadevantàpeuprès
touslesgensquicomptentpoureux.Ilsfaisaientleurpetitefêtedefind’année,cesoir.Jenevoispascomment ilspourraient fairepasser lapiluleà leursassociés.Et ilsm’ontbien fait comprendrequ’enagissantcommeça,jelesperdraispourdebon.J’imaginequ’ilyauraunavisd’expulsiondeplacardésurmaportedanslesprochainsjours.
–Merde,maisqu’est-cequetuvasfaire,maintenant?demandeAdam.–J’aiquelquesidées.Ilyaunepossibilitédanslaboîtededesignoùj’aibossépendantl’été.Mon
mentorm’atoujoursditdel’appelersijecherchaisunboulot…J’espèrequeceneserapasdupipeau.Sijamaisilm’embauche,jeneferaipasgrand-choseaudépart,maisceseratoujoursmieuxquerien.Etceseramonprojet.Enplus,maintenantquej’aimondiplôme–grâceàl’«ultimatum»demesparents–,jevaisavoiraccèsaufondsdeplacementquemongrand-pèrem’alégué.Iln’estpasénorme,maisceserasuffisantpourrecréerlafondationquemonpèreadissoute.
Cettesimpleidéemeprocureunesatisfactionsansbornes.–Putain,ilsvontpéteruncâblequandilsserendrontcomptequ’ilsnepeuventplustecontrôler.Et
quetun’asplusbesoind’eux,ditAdamavecungrandsourire.Jeluirendssonsourire.–Ehoui.C’estgénial,non?Auboutd’uneheure,nousentendonsenfinunevoituresegarer.Quelquesminutesplustard,ilyadu
bruitducôtédelaported’entrée,puisdesrireshautperchés,dontunquejereconnaistoutdesuite.Laclécliquettedanslaserrure,sanssuccès.Finalement,Cadeselèveetvaouvrirlaporte.Là,iltombesurWinteretPaigeessayantdesouteniruneTessahilare.Paigealesjouesécarlates,lesyeuxunpeuvitreux,et je ne vois pas comment elle peut être d’un quelconque secours pour soutenir Tessa, car elle estclairementplusdéchiréequejustepompette.
TessaalesbrasautourducoudePaigeetdeWinter,lesjouesrougesetlescheveuxenbataille.Elleportelejeanquejepréfère:celuiquialataillesibassequ’onvoitlespetitscreuxdesesreins,cequimedonneenviedetuertouslesmecsquiontpulamatercesoir.
–C’estquoi,cebordel?faitCadeenrefermantlaporte.Ilregardelestroisfilles,tandisqueWinters’efforcedefaireavancertoutlemonde.Elleroulelesyeux.–Essaiedoncdelesengueuler,cesdeux-là,quandellesneveulentpasbouger.J’aieudelachancede
réussiràlesfairesortiravantqu’ellesnesemettentàfairedesbodyshots.–Hé!Jenesuispascommeça,protestePaigeentitubant,lebrasdeTessatoujoursaccrochéàson
cou.J’aiditunverredeplus,c’esttout!–Oui,enfin,ça,c’étaitilyaquatreheures,préciseWinterensedérobantsouslebrasdeTessapour
pouvoirenleversonmanteau.Ilfaudraitpeut-êtrelamettreaulit,celle-là,dit-elleavecunsignedetêteversTessa.Ellevaavoirmalauxcheveux,demainmatin.
–Àvosordres,répondPaigeavecunesortederévérence.Enfin,sil’onpeutdire.–Jel’emmèneaulit,ajoute-t-elle.Elleenroulesonbrassousl’épauledeTessaetcommenceàl’entraînerendirectiondelacuisine–
c’est-à-direà l’opposéde lachambre–quandjemedécideenfinàmemontrer.Tessaa lespaupièreslourdes;ondiraitqu’elleestsur lepointdes’évanouir,etcen’estcertainementpasPaigequiseraenmesuredelareleverquandelletombera.
–Laisse,jem’occuped’elle.
PaigepousseunglapissementenmevoyantsouleverTessadeterrepourlaprendredansmesbrasetm’enaller.
–Hé!Ellemerattrapeetpointeundoigtaccusateurversmonnez.–Qu’est-cequetufaisici,toi?Onaditpasdebitecesoir!C’estlarègle.–Oui,ehbien,désolé.Jenepeuxpasl’enlever.Ellesoupireetcroiselesbrasenmedévisageant.–J’espèrequ’elletedégueuleradessus,tiens.–Elleaussidoitsûrementl’espérer.Jeluidiraidet’appelerdemainpourteteniraucourant,dis-je
par-dessusmonépauleenlacontournant.Adam,tuveuxbienraccompagnerPaige?Paigecommenceàs’énerver,seprétendant toutà faitcapablederentrerchezelle touteseule,et je
m’éloignedanslecouloirpourrejoindrelachambredeTessa.Elleesttotalementdanslegaz.Satêteestappuyée contrema poitrine, elle a les yeux fermés et la bouche ouverte. Quel dommage ! Elle ne sesouviendrasûrementpasdecemomentdemainmatin…
Je la pose délicatement sur son lit, puis j’entreprends de la débarrasser de sa veste et de seschaussures.J’aibeausavoirqu’elleneserapastrèsàl’aise,jeluilaissesonjeanetsonhautavantdetirerlacouettesurelle.Ellebouge,sespaupièress’entrouvrentetelleclignedesyeuxenmeregardant,puispousseunsoupir.
–Jesavaisquetuviendrais.Depuistoujours…,touteslesnuitsdansmesrêves.Ellemarmonne,mais jecomprendstoutdemêmecequ’elledit,etchacundesesmotsm’envoieun
coupdepoingdansleventre.–Tuestoutletempslà…J’voudraist’oublierunpeu…D’unemain, j’écarteunemèchedecheveuxdesonvisagealorsquesespaupières se referment. Je
voudrais lui diremille choses,mille excuses,mais elleméritemieux que deme voir simplementmepointerpourluidemanderpardon.Elleméritetoutcequ’ellepensaitquejeneluidonneraisjamais.
Elleméritelehappyenddontellerêvedepuisquejelaconnais.Jevaisluichercherunverred’eauetuncomprimé,quejeposesursatabledenuit.Jeprendsensuite
unstyloetunblocdepost-itquejetrouvesurlapiledemagazinesprèsdesonlit.J’yécrisdeuxmotsetle colle sur sa table de nuit, espérant qu’elle me fera suffisamment confiance une dernière fois pourm’accordercela,mêmesijeneleméritepas.
33
TESSA
Pendant ces sept dernières heures, j’ai laissé tomber mon peigne quatre fois, j’ai dû refaire mapréparationdecouleuràdeuxreprises,parcequej’avaissous-estimélaquantitédeproduitnécessaire,etj’aiappeléunefidèleclienteparlemauvaisnom.Jen’aipaslatêteàcequejefais.Pourtoutdire,celafaitmêmeunmomentqueçadure.Deuxsemaines,pourêtreprécise.
Deuxsemaines,c’estletempsquis’estécoulédepuislejouroùjemesuiséveilléeavecunegueuledeboismagistrale,portantencoremeshabitsdelaveilleetpuantl’alcool.
C’est le tempsqui s’est écoulédepuisque j’aidécouvert leverred’eauavecuncomprimésurmatabledenuit,déposéslàpourmoi.Depuisquej’aivulepost-itrosevif,oùJasonavaitécritdeuxmots.
Attends-moi.Qu’est-cequ’ilabienpuvouloirdireparlà?Quejel’attendepourquoi?Attendrequ’ilvienne?
Qu’ilgrandisse?Qu’ilcessedegardermoncœurprisonnier?Parcequ’eneffet,ill’est.Moncœurestcomplètement verrouillé sous son emprise. Vulnérable. Situation que j’adore et déteste à la fois ; jevoudraisarrêteretquecelacontinueenmêmetemps.
Selon les dires dePaige, c’est Jason quim’a emmenée dansma chambre ce soir-là – d’après sessouvenirs,quoiqu’ellenefûtguèreenmeilleurétatquemoi.EtCaden’apasvoulumedirecequeJasonfaisaitcheznousàcemoment-là.Toutcequej’aicommeosàronger,c’estcepetitpost-itquejeportecommeunpoidsdansmapochedepuislejouroùill’aécrit.
Unefoislesalonfermé,jesorsaveclesautresfillesendirectiondenosvoitures.Jelaisselamiennechaufferquelquesminutes,puisdémarreverslamaisonenappelantPaigeenchemin:ellegardaitHaleycesoir.
–Salut,beauté,répond-elle.Çaaété,leboulot?–C’étaitlong.Commentças’estpassé,aveclaterreur?Paigeritdoucement.–Oh ! très bien, commed’habitude.Mais elle vient de s’endormir commeunemasse. Sûrement à
cause de tous les trucs sucrés que je lui ai donnés à bouffer. Elle n’a qu’à rester dormir ici et je tel’amèneraidemainmatin.
–Non,net’embêtepas.Jevaisvenirlachercher.– Pourquoi ? Tu devras l’emmitoufler pour la sortir, et elle sera grognon parce que tu l’auras
réveillée.Franchement,cen’estpasunproblème.Enplus,elleestsuperbieninstalléedanssonsacdecouchagedeprincesse.
–Tuessûre?–Absolument.Profitedoncdetasoirée.Vat’amuser.Jepousseunpetitrireetsecouelatêtetoutenm’engageantdansl’alléedelamaison.–Oh!tumeconnais.JevaisfairelafêtesurmoncanapéenregardantdesredifsdeHowIMetYour
Motherjusqu’àcequejem’endormeavantonzeheures.
–Jenecroispas,non.Appelle-moidemain.Elle raccroche sansme laisser le temps de comprendre cette remarque énigmatique. Je hausse les
épaules et rangemon portable dansma poche. J’entre rapidement par la porte de derrière, allume etdénouemonécharpeavantd’enlevermonmanteau.Unefoismesbottesretirées,jeneprendsmêmepaslapeinedemechangeretmedirigedirectementdanslacuisine.Jesaisisunverredansleplacardetouvreleréfrigérateurpouryprendreduvin.Jemepenchepourattraperlabouteille,ayantlafermeintentiondem’en servirunebonne rasadepourprofiterdema liberté,quandquelquechoseaccroche soudainmonregard.Là,collésurleborddelabouteille,setrouveunpost-itrosesemblableàceluilaisséparJasonilyaquinzejours.Semblableàceluisouslequelilavaitglissésacléauparavant.
D’unemaintremblante,jeledécolle.Mesyeuxparcourentlesmotsplusieursfoisavantquejefinisseparensaisirlesens.
J’arrêterailabièreetmemettraiauvintouslessoirssituleveux.Jerefermeleréfrigérateurenfronçantlessourcils.Quanda-t-ilbienpulaissercemot?J’essaiede
repenserauxdernierssoirsaveclui,medemandants’ill’auraitlaissélàsansquejelevoiedepuis,maisje n’ai pas bu de vin depuis leweek-end dernier. Jeme tourne vers le comptoir, perplexe, quand unnouveaucarréroseattiremonattention.Ilyaunautremotsurlacafetière.
J’iraichercherdesdonuts lematinpourqueHaleyet toipuissiezcontinuervotrepetitritueldusameditranquillement.
Jemeretournevivement,scrutantmaintenanttouteslessurfacesenvueautourdemoi.Ilyaunautrecarrérosesurlatélé.Jecoursledécrocher.
Jeregarderai10ThingsIHateaboutYoupourlacentièmefois,justeparcequetuadoresçaetquej’adoreteregarderleregarder.
Quandj’arrivedansmachambreaprèsavoirpasséenrevuetoutlerestedelamaison,j’enaitrouvéunedizainedeplus.Ilyenadesdrôles–JelaisseraiHaleymevernir lesonglesdepiedquandelleveut (à conditionqu’elle ne le dise pas àCade)– et des gentils –Je t’emmènerai danser quand tuvoudras;iltesuffiradeledire.Moncœurbatlachamade.Jelesensprêtàexploserdansmapoitrine,et lespapillonsquis’étaientendormisdepuisplusieurssemainesseréveillentenfinetrecommencentàs’agiter.
Underniermot–leseulquisetrouvedansmachambre–estposésurmatabledenuit,àl’endroitmêmeoù ilavait laissé l’autre ilyadeuxsemaines.Celuioù ilm’avaitdemandéde l’attendre. Jemepenchepourlelire.
Désoléd’avoirmistoutcetemps.Justesouscesmotsestinscriteuneadressequejeneconnaispas.Enretirantlepost-itdematablede
nuit,unéclatmétalliqueattiremonregard.Jeramassel’objetenmepinçantleslèvres.Cetteclén’estpasdelamêmeformequelaprécédentequeJasonm’avaitdonnée.Malgrétout,monventresenouelorsquelessouvenirsdelafoisoùj’aiutilisécetteclém’assaillent.
Lesmainstremblantes,jem’assoissurmonlitetsorsmontéléphonedemapochepourappelerPaige.–Pourquoitum’appelles,bonDieu?–Ehbien,merci,quelaccueil!dis-jed’unevoixperchéetroisoctavesplushautqued’habitude.–Qu’est-cequetuas?Non,laissetomber.Jesais.Alors:pourquoin’es-tupasdéjàenroutepour
allerlàoùtudevraisêtre?
–Maisqu’est-cequec’estquecettehistoire?dis-je,abasourdie.Commentsais-tuquejedevraisêtrequelquepart?
–Bon,Haleyestchezmoi,cesoir,pasvrai?Jeplisselesyeuxtandisqueledoutes’immisce.–Paige…– Non, non, non, pas de ça. Arrête de réfléchir. Ne repense pas à tout ce qui s’est passé avant.
Regardeplutôtcequisepassemaintenant.Maintenant.Neréfléchispas,Tess.Neprévoisrien.N’essaiepasd’êtreraisonnable.Agis,c’esttout.
Laligneestcoupéeavantmêmequejepuissecommencerunmotderéponse,maistousceuxdePaigerésonnent dansma tête.Et, pourune fois, je nememetspas à cogiter. Jeneme souciepasde cequim’attendoudesconséquencespossibles.
J’attrapemesclés,jesautedansmavoitureetdémarre.Jegaremavoituredevantunemodestemaisondeplain-pieddansunquartieragréable,nonloinde
chezmoi. Ilestdifficiledebienvoirparcequ’il faitdéjànuit,mais la lumièreduporcheestallumée,éclairantlenumérodelamaison,quicorrespondàceluiinscritsurlemotdeJason.Jenesaispasdutoutàquipeutbienêtrecettemaisonetquijevaisytrouver.S’ilnes’agitqued’unautremorceaudupuzzleconçuparJasonoudeladestinationfinale.Unpeutremblante,jecoupelecontact,sorsdemavoitureetavancedans l’allée.Une foisarrivée sous la lumièreduporche, jevoisunautrecarré rosecolléà laporte,justeendessousd’unepetitefenêtreronde.
Utilisetaclé.Jesorslaclédemapoche,l’insèredanslaserrureettournelapoignée.Quandjepousselaporte,je
ne tombe pas du tout sur ce que j’imaginais. La maison est presque vide, quasiment dénuée de toutmeuble,avecjustequelqueslumières.Jerefermelaportederrièremoietremarqueunependeriedevantmoi,surlaportedelaquelleestcolléunautrepost-it.
Ouvre-moi.Je reste immobilequelques instants, puism’exécute.À l’intérieur, la penderie est vide, exceptéun
petitmanteauroseetunpantalondeneigeassorti,avecdesbottesrangéesendessous.Unautremotestcollésurlecintre:Encasdeneige,siHaleyn’apastoutessesaffairesavecelle.
Malgrémanervositéetmaméfiance,jenepeuxempêcherunsouriredes’agrandirsurmeslèvres.Jereculeetmedirigedanslesalon.Ilnes’ytrouveriend’autrequ’unlampadairebranchésuruneprise.Surlemur,justederrière,jevoisunnouveaupapierrose.J’avanceverslui,l’estomaccomplètementserré.
Quepréfères-tupourlesmurs:bleu,jauneougris?Jebalaie lamaisondu regard, tandisque lespiècesdupuzzledeJasoncommencentà s’assembler
dansmatête.Jemeretourneensuitepoursuivrelalumièreenprovenancedelacuisine.Rienn’encombrelecomptoir,mêmes’ilyatoutl’électroménagernécessaire.Monœilsaisitviteunepetitetacherosesurlevieuxréfrigérateurbeige.
Là,tusaiscequ’ilfautfaire.Supposantqu’ils’agitdumêmecasdefigurequ’aveclapenderie,j’ouvrelaporteduréfrigérateur.Il
necontientquedeuxchoses:unebouteilledemonvinpréféréetunpackdelabièrepréféréedeJason.Jenesaispascequetoutcelasignifie,maiscequejesais,c’estquejesensl’excitationmonteren
moi,crépitersousmapeaucommedeminusculespétards,etquej’aienvied’ensavoirplus.Jerefermeleréfrigérateur, sors de la cuisine et regarde dans un long couloir qui doit desservir les chambres. Lecouloirestplongédanslapénombre,éclairéseulementparunraidelumièrefiltrantsouslaported’une
pièce.Àpetitspashésitants,j’avanceverscettelumièreetpousselaporte.Lapièceestvide,elleaussi,oupresque;auplafond,uneampoulenueéclairecequiressembleàune
grangeminiatureetuneécuriepourdeschevauxdebois.Jem’approcheetm’accroupispourmieuxvoir.Ilyatroisponeysdansl’écurie,etunepoupéequiressembleincroyablementàHaleysetientdeboutàcôtéd’eux.
Mon regard est attiré par un point rose sur le toit de la grange : encore un petit mot. Les doigtstremblants, je ledécrochedubâtimentminiatureet le lis :Monbailde location risquedenepasmepermettred’avoirunvraiponeyShetlanddanslejardin.TucroisqueHaleyalesensdel’humour?
Leslarmesmemontentauxyeux,etunrirenerveuxm’échappe.–Jesaisqueçamanquededécoration,maisjemesuisditqu’ellepréféreraitsûrementchoisirelle-
même.Je sursauteenentendant lavoixdeJasonetme relèvebrusquementenme retournantpour lui faire
face. Ses cheveux partent dans tous les sens, comme s’il avait tiré dessus pendant des heures sous lestress,etsesyeuxbrillentbizarrement.Jenepensaispasquecelameferaitunteleffetdelerevoiraprèstoutcetemps.Moncœurs’emballe,mabouchedevientsèche,etj’aienvied’allerverslui.Deluitomberdans lesbras,desentir sonsoufflesurmes lèvres, sesmainsautourdema taille, surmonvisage.J’aienviedefranchircetteporteetd’êtreaveclui,seulement,cen’estpassisimple.Mêmesic’estadorableetpleinderomantisme,cenesontpasquelquespost-itquivonttouteffacer.Toutcelaestcharmant,maisjenesaistoujourspascequeçasignifie.Pasvraiment.
Etj’aibesoinqu’ilmeledise.–Jesuiscontentquetuaiestrouvémespetitsmots.Jebrandisdevantluitousceuxquej’airécoltés,ycomprisceuxquiétaientchezmoi.–Qu’est-cequeçaveutdire?Ilavanceversmoid’unpashésitantets’arrêtesiprèsquejesenssonsoufflesurmonvisage.–Çaveutdirequejesuisidiotd’avoircruquejepourraismepasserdetoietHaley.–Maiscequetuasdit…Cequetuasditàtamère…–C’étaitpourqu’ellemelâche.Pourvouspréserverdeleurinfluence,Haleyettoi.Jesecouelatête.–Jenecomprendspas.–LesoirdeThanksgiving,quandonétaitchezmesparents,Charlesainsinuéqu’ilétaittempsqueje
mecasepourrassurerlesassociés.Lesoiroùmamèreestvenuechezmoi,quandtuespassée,ellem’aconfirméqu’ilsvoulaientquejefasseçaavectoi.IlsvoulaientseservirdetoietHaleypourmedonnermeilleurgenre,pouraméliorerl’imagedelaboîte.
Ildéglutit,sonregardsedurcitetsamâchoireseserre.–Ilétaithorsdequestionquejeleslaisseseservirdevouspourquoiquecesoit.–Etalors?Qu’as-tufait?– Je lui aimenti.Etpuis,quand tuasentenduça, jen’aipasvoulu rétablir lavérité,parceque je
savaisqu’ilstrouveraienttoujourslemoyendecontrôlerquelquechose,deseservirdetoioudeHaleyàleuravantage,etjenepouvaispasleslaisserfaireça.
J’aimeraislecroiresurparole,maisjenecomprendstoujourspascequiamaintenantchangé.–Etalors,c’estdifférent,depuis?–Oui.Jesuisparti,dit-ilavecunhaussementd’épaules,commesicesquelquesmotsn’avaientpas
complètementchangélecoursdesavie.–Quoi?–Parti.C’estfini.Avecunehésitationtouchante,ilchercheàprendremamain.Jelelaissefaire,ayantsûrementautant
besoinqueluidececontactphysique.–Lesoiroùjet’ailaissélemot,j’étaisalléchezeux.Devanttroiscentsdeleursamisetcollègues,je
leuraiditquejedémissionnais.Inutiledetedirequejenesuispluslebienvenulà-bas.–Jason…Jeposemamain libresursapoitrineencherchantdanssonregard toute tracederegretconcernant
cettedécision.Maisnon.Sonregardestclair.–Qu’est-cequetuvasfaire,maintenant?–J’aitrouvéunboulot.J’aiunbrusquemouvementdetêteetledévisageavecdesyeuxronds.–C’estvrai?–Oui,danslaboîteoùjebossaispendantl’été.Cen’estpasleGraal,mais,commec’estassezpour
payerleloyerici,j’estimequec’estgagné.–Mais…ettonappartement?Et…–Fini.Toutça,c’est fini.Toutcequ’ilsontpumedonner.Maintenant, j’aicettepetitemaisonqui
n’estpasmeublée,etmapetitepaye,etlecomptedemongrand-pèrequejesouhaiteutiliserpourrecréerlaFondationEliseMontgomery. Je vais devoir travailler dur pendant unmoment, pour essayer demefaireunnomparmoi-mêmedanslaboîteetsurtoutpourfairerepartirlafondation,maisçanemeposeaucunproblème.Jemesensprêtpourtoutçasituesauprèsdemoi.Jereparsàzéro,etjeteveuxàmescôtéspourfairetoutça.Jen’auraisjamaiscruquejedésireraistoutça,Tess.Jen’auraisjamaiscruquejeseraislegenredemecàregarderdesfilmsdefille,àboireduvinetàjoueràladînette,maisenfait,si.Maisseulementpourtoi.Seulementpourtoi.
Illèveunemainpourmecaresserlevisage,effleurantdesonpoucemalèvreinférieure.–Dis-moioui.Jet’enprie,dis-moioui.Savoixm’implore,commesitoutcequ’ilavaitdépendaitdemaréponse.Commesitoutesavieallait
s’écroulersijedisaisnon.JerepenseàcesquelquessemainesdebonheuravecJason.Ilmefaisaitrire,vivre,aimer.Celamerappellequetoutn’apasnécessairementbesoind’êtresisérieux,qu’onpeuttrèsbienprendreleschosescommeellesviennent,aujourlejour.Quel’onaledroitdetomberamoureusedequelqu’unquin’entrepaspiledanslemoule,dumomentquecettepersonnevousrendeheureuse.
Etjedislaseulechosequejepuissedire:–Oui.
Épilogue
JASON
–Ilfautrangerleschevaux,p’titbout.C’estl’heured’alleraulit.Perchéesursontabouretdevantlagrangeetl’écuriequejeluiaiachetéesl’andernierpourNoël–
cadeauqu’elleareçuavectroissemainesderetard–,Haleylèvelesyeuxversmoietfaitsapetitemoueboudeuse.
–Encorecinqminutes?–Tuasdemandélamêmechoseilyaunquartd’heure.–Oooh,allez,Jay!semet-elleàgeindre.–Non,non,non,cettefois,çanemarchepas.Vadonctemettredanstonbeaulit.–Oui,ilestdrôlementbeau,hein?Ellemesouritetdescenddesonperchoirpoursauterdanssonlit.Unlitcouvertd’oreillersàpoilset
àplumesainsiquedepleind’autrestrucsquejetrouveridiculesetdontjenecomprendsmêmepasleprincipe,maisqu’elle a eu à cœurde sélectionnerpour sanouvelle chambre.Tout cequ’ellevoulait,danslamesureduraisonnable…J’aiunbudgetàtenir,maintenant.C’étaitmadevise.Etçal’esttoujours.
–Tuveuxbienmelirecelui-là?dit-elleenattrapantunlivresursatabledechevet.Maisenprenantunevoixdepirate!
Jem’installe près d’elle etm’adosse contre les dizaines de coussins disposés derrière nous avantd’exaucersondésir.Àlamoitiédel’histoire,Tessapasselatêteparl’entrebâillementdelaporte,souritencroisantmonregardetfaitunsigneendirectiondelasalledebainavantdeseretirer.Cequimefaitsourireàmontour,carjesaisexactementoùelleva…etj’aimebeaucoupnotrepetiteroutinedusoir.
Voilàbientôtunanquej’aiemménagéici,depuisquej’aisuppliéTessademedonnerunenouvellechance.Etmaintenant queCade etWinter sont revenus vivre dans lamaisonqu’il partageait autrefoisavecTessa,ellepassepresquetoutessessoiréesiciavecHaleyetmoi.
Cequimeconvienttrèsbien.Quandjeterminedelirel’histoire,Haleyestendormiecontremoi.Jem’écartedélicatementd’elleet
la borde dans son lit avant de sortir de sa chambre pour filer directement dans la salle de bain,commençant à enlevermon pull en chemin. Je bande déjà àmoitié lorsque je pousse la porte et voisTessaallongéedans sonbain,unemousse épaisse couvrant lespartiesde soncorpsque j’ai enviedevoir.
–Coucou,fait-elleenmesouriant.Ellen’apasététropembêtante?–Pasassezpourrésisteraupouvoird’unpiratedéguiséenprince.Jedéboutonnemonjeanetl’enlèveprestement.–Commentsefait-ilqu’onneprennejamaisdedoucheensemble?Toutecettemousse,çan’estpas
bonpourmavirilité.Tessaaunpetitrireenregardantfixementmonsexe,alorsquemoncaleçonvientdetomberàterre.
Ellehausseunsourciletdit:–Oui,toncasal’airgrave,eneffet.Pasgênépourdeuxsous,jehausselesépaules,cequimevautunnouveausourire.Elleseredresseun
peudanslebainetmelaissemeglisserderrièreelle,mesoumettantàuneexquisetorture.J’adorequandelles’appuieainsicontremoi,sondoscontremapoitrine.Quandelleprendmesmainsetentrelacenosdoigts,qu’elleposesursesjambesnues.Quandellemeforceàécoutersesprofondssoupirslorsquejeluisavonneledos.Parcequejesaisqu’aprèsça, je lasécherai, je l’emmèneraidanslachambreet jepasseraitoutelanuitàembrasser,lécher,suçoterlemoindrerecoindesoncorpsoùdesbullesdemousseontpusecacher.
Elleappuiesatêtecontremonépaule,tandisquemeslèvreseffleurentlecreuxdelasienne.Toutestcalme,onn’entendqueledouxsondesbullesquiéclatent,puisellefinitparromprelesilence:
–C’étaitcomment,leboulot?–Bien.J’aiprésentémonidéepour lesitedeNelson,et ils l’ontadorée.Robertsm’ademandéde
chapeauterleprojet.–Super!Tuvois,tut’inquiétaispourrien.–Oui,mais,bon.C’étaitmonplusgrosprojetjusqu’ici.–Jesais,maisilsontbiencomprisquelgenredeboulottupouvaisfaire.Ilsauraientétébêtesdene
pastechoisirpourunplancommecelui-là.–Robertsm’aaussidonnésonaccordpourlancerunecollectedefondspourlafondation.Pournous
aideràregagnerdelavisibilité.Satêteestposéecontremonbras,etjesenssonvisagesourireàcettenouvelle.–Jesuisvraimentfièrequetufassesça,tusais.Tongrand-pèreseraitfierdetoi,luiaussi.Jen’endoutepasvraiment,parceque,pourunefois,jesuissatisfaitdelaviequejemènemaintenant.
Jesuisheureux.Etc’esttoutcequ’ildésiraitpourmoi.Lesilenceretombesurlapièce,tandisquemesmainsdescendentetremontentdoucementlelongde
sesbrasetquejecomptelesminutesavantquenoussortionsdubainpourallerfairetoutesceschosesagréablesdontj’airêvétoutelajournée.
Aulieudemedirequelebainestterminé,commejel’espérais,ellemedemande:–Est-cequeçat’arrived’imaginercequiseseraitpassésituétaisallétravaillerpourtesparents?Jem’immobilisederrièreelle.Meslèvress’arrêtentsursapeauetmesdoigtsse resserrentsur les
siens.–Non.Elleseretournepourmeregarder.–Jamais?Jeconfirmeensecouantlatête.–Jamais.C’estlavérité.Mêmes’ilaétédurdetrouveruntravaildansledomainequimeplaîtetdemefaire
excluredeleurvie,jenechangeraisriensic’étaitàrefaire.Parcequejesais,sansl’ombred’undoute,que,sij’étaisallétravaillerpourMontgomeryInternational,jen’auraispasHaleyetTessadansmavie;or,ellesvalenttouslessacrificesquej’auraispufaire.Ellesvalentplusquetout.
–Jen’aijamaisétéheureuxdanscettevie-là,Tess.
–Etmaintenant,tul’es?Avecnous?Mêmesanseux?Lemot«heureux»n’estmêmepasàlahauteurdecequej’éprouve.Unpeucommeuneseuleétoile
enregardd’unegalaxieentière.Maisjesaisqu’elleabesoindem’entendredirequejelesuis,quejenepensepasavoircommisuneerreurenfaisantcequej’aifait.Quejeneregrettepasdelesavoirchoisies,elleetHaley,plutôtquemesparents.Etilestclairquejeneleregrettepas.Pasuneseuleseconde.
Mes parents ont fait leur choix un jour, il y a longtemps, quand je leur ai clairement annoncémesintentions,cellesdenepasfairepartiedeleurentreprise,devivreenfinmaviepourmoi.
Ilsm’ontexcludeleurexistencesansunseulregardenarrière,et,aprèsavoirpassévingt-quatreansàm’accrocheràquelquechosequiétaitmauvaispourmoidèsledébut,j’aienfinapprisàlâcherprise.Jesuisencoreplusheureuxd’avoirfaitcepas.
Jemepenchepourposermeslèvressurlessiennesetjem’yattardepouressayerdeluifairepassertoutcequejeressenspourelle.Pouressayerdeluimontrersansparlercombienjel’aime,maisjesaisque,parfois,elleaaussibesoindemots.J’embrasselecoindesaboucheetremontedoucementjusqu’àsonoreille.
–Oui,jesuisheureux.Jeseraimêmeheureux,toutàl’heure,quandtumettrasunefoisdeplustonfilmpréféré.Etdemainsoir,quand tumeservirasunverredevin.Etsamediprochain,quand jedevraimeleveràl’aubepouralleracheterdesdonuts,parcequejesuisunidiotetquej’ailancéunritueldontjeneverraijamaislafin.L’amour,çafaitvraimentfairedestrucsdedingueauxmecs.
Jepressemeslèvrescontresonoreille,puism’écartepourlavoirmeregarder,ungrandsouriresurleslèvres.Unefoisdeplus,jesuisstupéfaitparcequejeressens.Parlefaitdenejamaisavoirprispeurenétantavecelle,denepasavoiressayédepartir,den’avoirjamaiseuenviedem’enfuir…
Elleest toutpourmoi.TessaetHaleysont toutpourmoi :mafamille, legenrede familleque j’aitoujours voulu. Le genre dont mon grand-père parlait toujours. Elles représentent le foyer que j’aidésespérémentcherchétoutemavie.
Maintenantquejel’aitrouvé,jenesuispasprèsdeleslaisserfiler.
DésirsintensesSADIEMATTHEWS
Unefilleriche,capricieuse,quiprofited’uneexistencetropfacile:c’estainsiquetoutlemondevoitFreyaHammond,l’héritièred’unepuissantefamilled’industriels.EtMiles,sonnouveaugardeducorps,n’obéitàsesordresqu’avecunméprisà
peinedissimulé.Passion,désiretémotion.
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Savoure-MoiRONILOREN
Aprèsunpassédouloureux,Kelseyaenfinunavenirdevantelle.Elleamêmeréussiàdénicherunboulotdeserveusepourpayersesétudesàl’écoledecuisine.C’estlàqu’ellerencontreWyatt,sonclientpréféré,unbelhommesurlequelelle
fantasmeensecret.Elledécouvresesfantasmeslesplussecrets.Avecgourmandise…
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HardBoyHELENAHUNT ING
Avecuncélèbrejoueurdehockeypourdemi-frère,Violetconnaîtbienlaréputationsulfureusedesescamaradesdejeu.Notammentducapitainedel'équipe,lelégendaireAlexWatersquifaitrêvertouteslesfilles.
Intense,haletantetsensuel:uneLoveStoryincomparable.ISBN:978-2-8246-0702-3
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