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Love affair - ekladata.comekladata.com/VI-GpljsjEEyzJJH7Ela8l4V59Q/Love-affair-Brighton... · 1 TESSA Il y a des jours où j’ai l’impression de courir sur un tapis roulant qui

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LoveAffair

BrightonWalshTraduitdel’anglaisparMarylineBeury

Eden

©CityEditions2016pourlatraductionfrançaise©2015byBrightonWalshPubliéauxÉtats-UnissousletitreTessaeverafterparBerkley,unemarquedePenguinGroupCouverture:©FelixWirth/CorbisISBN:9782824644028CodeHachette:7388599Rayon:Romancenewadult>CollectiondirigéeparChristianEnglish&FrédéricThibaudCatalogueetmanuscrits:www.city-editions.comConformémentauCodedelapropriétéintellectuelle,ilestinterditdereproduireintégralementoupartiellementleprésentouvrage,etce,parquelquemoyenquecesoit,sansl’autorisationpréalabledel’éditeur.Dépôtlégal:avril2016ImpriméenFrance

Sommaire

123456789101112131415161718192021222324252627282930313233Épilogue

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TESSA

Ilyadesjoursoùj’ail’impressiondecourirsuruntapisroulantquinemènenullepart.Jejetteunœilàmontéléphonepourregarderl’heureetessaiededirigermaclienteverslasortiesans

enavoirl’air.Nonquejenel’aimepas,bienaucontraire.C’estuneclientefidèlequiaoséaccordersaconfianceàunejeunefilletoutjustesortiedel’écoledecoiffure.

Depuis trois ans, elle demande toujours à avoir affaire à moi et m’a même recommandée à desdizainesdesesamies.Maiscesoir,ilsetrouvequejesuisdéjàenretardpourallerchercherHaleyàlagarderie ;alors, jeveuxjustequ’ellearrêtedeparleretqu’elles’enaille.Jesuisrestéeplus tardqued’habitudeexprèspourelleet je lepaye,maintenant. J’auraisdûmedouterque jenepourraispasmedébarrasserdemaclientecommeça,ellequiaimetoujoursresteràpapoteraprèssonrendez-vous.

Après l’avoirenfinsaluéesur lepasde laporteetunefoismonpostede travailnettoyé, jedisaurevoirauxautresfillesquitravaillentcesoiretm’engouffredansl’airpiquantdel’automne.J’enfouislesmainsdansmespochesetmedépêchederejoindremavoiture.Sansattendrequelechauffageaitletempsde réchauffer l’habitacle, je prends la route en espérant pouvoir récupérer Haley avant l’heure de lafermetureofficielledelagarderie.Maisl’aiguilledel’horlogedépassebientôtdix-huitheures,etjesaisbienquecetespoirestd’oresetdéjàridicule.

Unquartd’heureplus tard, jemegare sur leparkingetme ruevers laported’entrée,que j’ouvreprécipitamment.

–Maman!Haleycourtversmoiàtoutevitesse,unsourireradieuxsurleslèvres,etjemepenchepourlaprendre

dansmesbras.–Coucou,machérie.Tuaspasséunebonnejournée?–Oui!AvecMelinda,onafabriquédespoulettespendantlestravauxmanuels,aujourd’hui.Regarde!

Lamienne,elleadesplumesdetouteslescouleursetcetrucrougequipendouillesouslebec,là.Jerisdesadescription.–C’est très joli !On lamettra sur le frigo en rentrant à lamaison. Tu vas chercher tonmanteau,

d’accord?Elle tourne les talonsetdétale immédiatement.Alorsque jeme redresse, jevoisMelindaadossée

prèsdelaportederrièrelaquelleHaleyadisparu.–Bonsoir,Tessa.–Bonsoir.Désolée, je suisencoreen retard,mais j’aieudumalàmedébarrasserdemadernière

cliente.–Tessa…Àl’expressiondesonvisageetautondesavoix–trèsdoux–,jedevinecequ’ellevamedire.Je

m’ypréparedepuiscinqmois,medemandantquandcelavafinirpararriver.–Voussavezquej’aimebeaucoupHaley,etjesuisconscientequecettepériodedetransitionn’estpas

facilepourvous,depuisquevotrefrèreestparti.Cesderniersmoisn’ontpasdûêtresimples.Maismoiaussi,j’aiunefamille,et,àpartirdesixheures,jedoisêtreavecelle.

–Jesais.Vraiment,jesuisdésolée,Melinda.Je jette unœil vers la porte derrière laquelle est cachéeHaley etmemets à parler plus bas afin

qu’ellenepuissepasm’entendre.–Ilmefautunpeuplusdetempsquejenelepensaispourtrouverlebonrythme,depuisledépartde

Cade.Jenesaismêmepluscommentm’excuser.–Jesaisquevousnelefaitespasexprès,maislefaitestquecelaserépèteencoreetencore.Jecrois

que j’ai été très patiente et compréhensive, depuis le temps que ça dure. Je voulais vous laisser unecertainemargedemanœuvre,étantdonnéqueCadevenaitsouventchercherHaley.Jusqu’ici,jenevousaipasfacturélesdépassementshoraires,mais,àpartirdemaintenant,jevaisdevoirlefaire.

Jehochelatête, leslèvrespincées.Cen’estpasspécialementpourcettehistoiredefacturationdesdépassements,quoiqu’ilssoientexorbitantspourdissuaderlesparentsd’arriverenretardetquejem’enpasseraisbien.Non,c’estsurtoutlefaitqu’ellemediseceladecettemanière.J’ail’impressiond’êtreunegaminedanslebureaududirecteurd’école.Mêmesij’aiseulementvingt-deuxans,jenesuisplusuneenfantdepuisbien,bienlongtemps.

–Jecomprends.Ellerestemuetteunmomentetsedandineunpeusurplace.– Ça ne me fait pas spécialement plaisir de vous le suggérer, dit-elle finalement, mais peut-être

pourriez-vous trouver un lieu d’accueil plus proche de votre travail ? Ce serait peut-être plus faciled’arriveràl’heure,avantlafermeture.Jepeuxvousdonnerquelquescoordonnéesde…

Je secoue la tête avant qu’elle termine, sûre d’être prête à tout – tout – pour queHaley reste ici.Depuis sa naissance, elle n’a fréquenté que cette garderie.Après tous les bouleversements récents (ledépart de son oncle cet été, l’entrée en maternelle cette année), je ne veux pas lui imposer d’autreschangements.

–Non,merci,çavaaller.Jevaismedébrouiller.Àcetinstant,Haley,toutsourire,seslongscheveuxnoirsflottantderrièreelleetlesyeuxpétillants,

débouledelapetitepièceoùlesenfantsaccrochentleursmanteauxetrangentleursaffaires.Elleest…incroyable.C’estlaplusbellechosequej’aiefaitedetoutemavie.Malheureusement,depuisledépartdeCade,depuisquejemeretrouvevraimentseule,j’ail’impressiondenepasêtreàlahauteurdecettepetitemerveille.

J’avaistoujourscruquejemaîtrisaislamajoritédeschoseslaconcernant,quejem’ensortaisplutôtbienavecelle.Mais,depuisquemon frèreestparti, jemesuispris ladure réalité enpleine face : ilm’aidaitconsidérablementetréglaitunemultitudedeproblèmespourmoi.Lachuteaétérude.

Etjemedébatstoujourspouressayerderemonterlapente.

JASON

Cesontdessoiréescommecelle-làquimedonnentenviedemetireruneballe.Desodeursdecuisineflottentdanslasalleàmangeroùmamère,monpèreetmoisommesinstalléset

entretenonsuneconversationforcée,commetouslesvendredissoir.Lebruitdescouvertsenargentsur

lesassiettesestleseulquisefasseentendredanscettepiècetropgranderempliedebibelotsqu’ilnefautpas toucher,de tableauxvalantplusque lesalaireannueldecertainespersonnes,etdemeublesquinedevraientmêmeplusexister.Lamaisondemonenfance.Si tantestqu’onpuisseappelerunmuséeunemaison.

Comme simamère avait une clochette sous la table pour signaler que nous avons fini l’entrée, lanouvellebonneentredanslapièceetdébarrassenosbolsdesoupepourrevenirquelquesinstantsplustard avec des assiettes de salade. Je hais les vendredis soir. Devoir revenir ici et écouter les deuxpersonnes qui ne me considèrent que comme un moyen de parvenir à leurs fins… Je crois que jepréféreraisencorerecevoirplusieurscoupsdepieddanslesvalseusesqued’êtreforcéàsubircerituelchaquesemaine.

Hélas,cesonteuxquipayentlesfactures…–J’aivuSheilahier,auclub,ditmamèred’untondédaigneux.Mon père acquiesce en relevant brièvement les yeux duWall Street Journal étalé devant lui. Ce

fumiernepeutpaspasservingtminutesavecnoussansfaireautrechoseenmêmetemps.Pasétonnantquemamèreaiteuuneaventureaveclejardinier.

Monpèreneditrien,cequemamèreprendcommeunencouragementàcontinuer.–Elles’estfaitfairedesinjectionsdeBotox,çasauteauxyeux.Àmonavis,elles’estfaitgonflerles

lèvresaussi.Franchement,sionveutselancerlà-dedans, lamoindredeschosesestd’êtreunpeuplusdiscret.Ellepourrait…

D’unseulcoup,jedécrocheetjememetsàpenseràmilleautreschoses,histoiredepouvoirpasserlaprochainedemi-heuresansdevenirfou.

Cen’estquelorsqu’onposeleplatderésistancedevantmoi(duconfitdecanard,medit-on)quejeremarquequemonpère toussotedans le silencede lapièce. Je relève lesyeuxet trouveceuxdemesparentsbraquéssurmoi.

–Quoi?Mamèresecouelatêteavecunemouesévère.–Cen’estpasunefaçondeparleràsesparents,Jason.Jelèvelesyeuxauciel.Envingt-quatreans,mesparentsontétébeaucoupdechosespourmoi,sauf

peut-êtredesparents,justement,etce,malgrél’enviequej’avaisqu’ilensoitautrement–cequejeneleuravoueraisjamais.

–Tamèrearaison.Aurais-tuoubliéquipayetoutcelapourtoi?–Oh!rassure-toi,jenerisquepasdel’oublier,vuquetumelerappellestouteslessemaines.Sansmequitter des yeux,monpère boit une gorgée de bourbon avant de reposer son verre sur la

table.Ceregarddurafaitpleurerautantd’hommesquedefemmes.L’ayantmoi-mêmereçuplussouventqu’àmontour,celanemefaitplusrien.Jelefixedoncenretour.

–Jecroisquenousavonsétéplusqu’indulgentsetpatientsdanston…éducation.Ilprononcecemotcommes’ilsemblaitluiresterentraversdelagorge,commes’ildevaitlecracher

pourlefairesortir.Jesensmesépaulessetendre.Ilnecroitpasqu’uneécoled’artsplastiques–mêmesilamienneestunedesmeilleuresdupays–puissejamaismefournirlegenred’éducationdontjemesuisdétournéquandj’aiquittél’universitéqu’ilavaitlui-mêmefréquentée,unétablissementtrèsrenomméoùjen’avaisaucuneenvied’aller.Ilfautdirequejeneluiaipasvraimentlaissélechoix…Jesuispartiavantlafindupremiersemestre,prêtàsouscrireunemprunts’il lefallait, lorsquemongrand-pèreestintervenuetm’apayémapremièreannéeenartsplastiques.Ilm’atoujoursditquejedevaisfaireceque

j’aimais,quellesquesoientlesattentesdemonpère.Quellesquesoientlesattentesdemesparentspourmoi.

Onpeutdirequemesparentsetluiavaientdesvisionsdelavieassezdifférentes.Etdelafamille,aussi.

Indifférent,ouneremarquantmêmepasquejemesuisraidi,monpèrecontinue:–Nous t’avons laissé prendre une année de congé après l’université pour faire Dieu sait quoi en

vivantsurnosfonds.Depuiscepetitbreak,noust’avonsdonnécinqanspourobtenirtondiplôme,cequiestassezrisible, franchement,pourquelqu’unquiest sortidu lycéedans lescinqpourcentdesmieuxclassés.Noust’avonsautoriséàquitteruneuniversitédepremierordrepourquelquechosede…,deplusadaptéàtesgoûts.Cefaisant,nousnoussommesexposésauxrumeursquipeuventcirculerauclub.

–Seigneur!Auclub!Commentavez-voussurvécuàça?Aprèslamortdemongrand-père, ilyaquelquesannées,cesontjustementceschuchotementsdans

leur dos, au club, qui ont poussémes parents à financer le reste demes études dans une école qu’ilsjugeaient indigne de moi. Mais de quoi auraient-ils eu l’air si unMontgomery avait dû prendre unempruntpourfinancersesétudes?

–JasonDaniel,çasuffit!aboiemamère.Commesijen’avaisriendit,monpèrepoursuit:–Lacoupeestpleine,Jason.Voilàtroplongtempsquetudépasseslesbornes.J’attendsqu’ilajoutequelquechose,qu’ilpréciseunpeudequoiilmemenace,cettefois.Nousavons

déjàeucegenred’échange,aupointque jenepourraisplus lescompter,et jenesuispasd’humeuràentrerdanssonjeu.

–Vas-y,explique-toidonc,papa,parcequejenesuispassûrdecomprendreoùtuveuxenvenir.–Jeveuxenveniraufaitquenoustelaissonsfinircesemestre,etuniquementcelui-ci.J’aidemandéà

notreavocatdeserenseignersurtontravailàl’école…–Joli…Quias-tusoudoyépourfaireça?–…et lesunitésdevaleurquetuasdéjàeuestepermettraient largementd’obtenir tondiplôme,si

seulementtuvoulaisbienpasserlediplômefinal.Il s’adosse dans sa chaise, jette sa serviette sur la table et croise lesmains sur son ventre. Ilme

ressemblebeaucoup,enplusvieux:descheveuxbrunsavecunpeudegrisauxtempes,desyeuxnoirscapablesdedevenirglaçantsenuninstant,etunetaillesuffisantepoursesentirimportantquandilentredansunepièce.J’espèreuniquementquenosressemblancess’arrêtentauphysique.

Je fais toutmonpossibledansce sens.Pourêtre sûrdedevenirquelqu’uncommemongrand-pèreplutôtquecommemonpère.Lefaitquejemebattepourressembleràl’hommequemonpèredétestaitestvraimentlacerisesurlegâteau.

Souvent,j’essaiedelevoiraveclesyeuxdequelqu’und’autre,quelqu’unquilerespecterait,quilecraindraitmême,peut-être;mais,quoiquejefasse,ilrestesemblableà lui-même,depuis toujours.Unhommequiaccordaitplusd’attentionàsonjournal,sontéléphoneousonordinateurqu’àsonfilsunique.Unhommetoujourstropoccupépourserendreauxmatchesdesonfilsquandilétaitpetit.Unhommequivoulait que son fils soit lemeilleur, pas pour son propre bonheur,mais pour le regard que les autresposeraientsurlui.

Leplustriste,c’estquejeluipardonnaistoutcela,avant.Jepassaisoutreetl’acceptais.Jen’aimaispascela,maisjel’acceptais.Etpuis,aprèslamortdemongrand-père,monpèreafermélafondationquesonpèreavaitcréée–unefondationquifournissaitdeslogementsàdesgenspeufortunés–,justepour

pouvoirempocher le fric,et là,cefut finipourmoi.Àpartirdecemoment, j’aisuque jenepourraisjamaislerespecter.

Voyantquejen’aipasl’intentiondediscuter,ilannoncelacouleursansplusdedétours:–Tesfraisdescolaritéserontpayéspourcesemestre.Tucontinuerasàtouchercequ’ilfautpourton

loyerettesdépensescourantesjusqu’àcequetuaiesobtenutondiplômed’architecte.Lapaperasseestdéjà réglée ; le… nécessaire a été fait pour que tu puisses te présenter sans avoir de portfolio. Enattendantquetuaieslediplôme,jeveuxquetusoisavecmoiàlasociété,quetusuivestoutcequejefaispourapprendrelesficellesdumétier.Jenesuisplustoutjeuneetj’aimeraispouvoirprendremaretraitedanslesdixannéesàvenir.Iltefaudrabiencetemps-làpourcomprendreenfincequetufabriquesetnepasfoutretavieenl’air.

–Lawrence…D’un geste autoritaire,mon père repousse la tentative d’intervention demamère, ne lui accordant

mêmepasunregard.–Le2janvier,Jason.Pasunjourdeplus.J’enaiassezd’attendrequetuviennestravailleretquetu

cessestesconneriesdepetitsjeuxsurordinateur,ouquoiquetufassesdanscetteécolededessin.Ilestgrandtempsquetuarrêtesdeteconduireenenfantgâtéetquetuviennesprendretaplacedanslasociété.

2

JASON

Jequittelamaisondemesparentsenfaisantclaquerlaportederrièremoietjefonceversmavoitureen marmonnant entre mes dents tous les jurons de mon répertoire. En fait, leur ultimatum n’est pasvraimentunesurprise.Àvraidire,jesuismêmeassezétonnéqu’illeuraitfallutoutcetempspourmeposerunesortededeadline.Après tout,dans leurmilieu,cen’estpas très reluisantd’avoirun filsdevingt-quatreansquifaitencoresesétudes–àmoinsqu’ilnepasseunMBAouundoctorat.

Maismêmemaintenant,avecleforcingqu’ilsfontpourquej’aiemondiplôme,ilsserontencoregênéspartoutcequej’aifait,parlecheminquej’aiprispourarriveroùjesuis.

J’aibeausavoirquej’aidelachance(avecdesparentsquipaientmesétudesettoutesmesfactures),cen’estpourtantpaslasituationquej’auraischoisiesij’avaispuendécider.Engrandissant,jemesuisrenducomptequej’auraistoutdonnépourfairepartiedelafamilledemesmeilleursamis,parexemple.LesparentsdeCadeetd’Adamonteuàcœurdes’investirdanslaviedeleursenfants.Deparlerd’autrechosequed’obtenirlesmeilleuresnotes,deprépadegrandesécoles,ducoursdesactionsdelasociétéfamiliale… Je neme souviensmême pas de la dernière fois oùmes parentsm’ont posé une questionconcernantréellementmavie.Ouunequestionappelantuneréponsesincère.

L’uniquefoisoùj’aieudroitàunsemblantdecegenred’affection,c’étaitavecmongrand-père,peudetempsavantsamort–unhommequemonpèrenepouvaitpassupporterparcequ’illejugeaitfaible.Faibleparcequ’ilnedirigeaitpasuneentreprisebrassantdesmilliards.Parcequ’ilavait«dilapidé»sesfondspouraiderlesautres.Parcequec’étaitunhommeintègre,honnête,cequiesttotalementétrangeràmonpère.

Jemets lesgaz sur la longuealléecirculairede lapropriétédemesparents,memoquantbiendestracesderouesquejedoislaisserderrièremoi.Jenemerendscomptedelàoùjesuisquelorsquejevoisenfinlesruesquimesontfamilières.Depuistoujours,c’esticiquejemesenschezmoi,bienplusquelàoùjevivaisavant.LeschosessontdifférentesdepuisledépartdeCade,maisjeressenstoujoursuneespècedesoulagementquandjepassecetteporte.

Iln’estpastrèstard–l’horlogeindiqueàpeinevingtheures–etj’espèrearriveràtempspourvoirHaley avant qu’elle n’aille se coucher. Si quelqu’un saitme faire sourire, c’est bien cette petite fille.J’avoue que l’attachement que j’éprouve pour elle depuis les quelques mois d’absence de Cade medésarmeunpeu,maisc’estainsi.

La voiture de Tessa est garée dehors. Jeme dirige vers la porte de derrière et tourne la poignéecomme je le fais toujours ; elle est verrouillée. Depuis que Cade n’est plus là, Tessa fait davantageattentionàsasécurité.Sonfrèreleluiasuffisammentrépétéavantdepartir.Jefrappedoucement,aucasoùHaley serait couchée.Au bout de quelquesminutes sans réponse, je sorsmon trousseau de clés etutiliseledoublequej’aiavecmoidepuisdesannées.

Jeremarqued’aborduneodeurdefritureetjevoisensuite,danslacuisine,desrestesdenuggetsdansunepetiteassiettedeprincesse.Sacréchangementparrapportàl’époqueoùCadevivaitici.Ilferaitune

attaques’ilsavaitavecquoiTessnourritsanièce.J’avancedansl’obscuritéducouloirpourrejoindrelesalonetm’arrêtenet.Haleyestdevantlatélé,

des crayons étalés tout autour d’elle comme si elle faisait du dessin.Lorsqu’elle se retourne pourmeregarder, je sursaute d’étonnement devant l’état de sonvisage,mais elle se rue versmoi avant que jepuissedirequoiquecesoit.

–Jay!Un grand sourire aux lèvres, elle bondit sur place et se jette dansmes bras. Je l’accueille à bras

ouvertstoutenprenantgardedenepastachermesvêtementsaveccequ’elleasurlevisage.–Coucou,p’titbout.Qu’est-cequec’estqueça,dis-moi?luidis-jeendésignantsespaupières,ses

jouesetseslèvresbarioléesdemultiplescouleurs.Aulieuderépondre,ellebaisselesyeux,évitantlesmiens.–Haley…Ellesepenchepourmurmureràmonoreille:–J’aitrouvélemaquillagedemaman.Sij’aiapprisunechosedepuistouteslesannéesoùjefréquenteTessa,c’estbienquesonmaquillage

etautresproduitsbizarrespoursescheveuxsontsacrés.Etsiquelqu’unalemalheurd’ytoucher,ilpeutêtre assuré de passer un sale quart d’heure. Elle est comme ça depuis l’adolescence, et ça n’a faitqu’empirerlorsqu’elleestentréeàl’écoled’esthétiqueetdecoiffure.IlestdoncévidentqueHaleyafaitcelasanssapermission.

–D’accord,dis-jed’unevoixcalme.Etoùestmaman?Ellepivotedansmesbrasetmemontre lecanapé. J’avanceet jetteunœilpar-dessus ledossier :

Tessaestcouchéelà,portantencoresatenuenoiredusalondecoiffure,unbrascouvrantsesyeux,l’autrependantdanslevide.

–Elledepuiscombiendetempscommeça?–DepuisledébutdeDocMcStuffins.Haleylèvesesgrandsyeuxversmoi,salèvreinférieureunpeutremblotante.Lavoixtremblante,elle

medemande:–Tuvaspasluidire,hein?Jedevrais,pourtant.Parsolidaritéentreadultes,cegenredechose.MaisHaleymefaitcraquer;et

l’idéed’êtreunadultenem’emballepasdesmasses.–Non,ceseranotrepetitsecretànous.Viens,onvanettoyertoutçaettemettreaulit.Ilesttard,ettu

asdel’écoledemain.Si Tessa s’est endormie et ne s’est même pas réveillée devant ce dessin animé ridicule ou en

entendantmaconversationavecHaley,c’estqu’elledoitêtretrèsfatiguée.Jevaislalaissersereposerencoreunpeu, le tempsdemettre lapuceau lit. J’emmèneHaleydans lecouloiretattrapeungantdetoilettedansleplacardavantd’entrerdanslasalledebain.Unefoislapetiteperchéesurleplanvasque,j’ouvrelerobinetpouravoirdel’eauchaude,puisj’entreprendsderetirertoutescessaloperiesdesonvisage.Elle ressemble vraiment à un clown, avec ses joues rose vif, ses lèvres couvertes de rouge àlèvresjusqu’aumentonetcevertétalétoutautourdesesyeux.

Jesecouelatête.–Combiendetempsilt’afallupourfaireça?–Chaipas.–Tusaisquetun’aspasledroitdetoucherauxaffairesdetamaman,pasvrai?

Ellefaitlamoue,têtebaissée.–Voui.–Ettul’asdéjàfait,avant?–Uneseulefois.–Jesupposequetut’esfaitgronder?–S’ilteplaît,luidispas,Jay.Salèvreinférieurerecommenceàtrembloter.Cettefois,leslarmescoulent,rondesetpleinessurses

jouesrosées.Unseulregarddecesbeauxyeuxbruns,etjecraque.Audébut,jetrouvaisjustequec’étaitunegaminesympa,riendeplus;unegaminesympaquejevoyaisunefoisdetempsentemps.Or,depuisledépartdeCade,elles’estraccrochéeàmoi,etmevoilàmaintenantprêtàluimangerdanslecreuxdelamain.

–D’accord,maisàconditionquetumepromettesquelquechose.–Promis.Jerisenessuyantlestraînéesvertessursesyeux.–Attends,jenet’aimêmepasencoreditcequec’était.–Promisquandmême.–Tuessûre?ParcequejevoulaistefairepromettredejoueràTransformersavecmoitouslesjours

pendantunesemaine,aulieudetadînette.Samâchoiresedécrocheetsesyeuxs’écarquillent.–Non,jeplaisante.Maistunedoispaslerefaire,d’accord?–D’accord.–Jesuissérieux,p’titbout.Plusjamais.–Promis.Ellemetendsonpetitdoigtpourqueje leserre.Untrucdefillequisemblevouloirdirequec’est

juré-craché.J’emboîtelemienaveclesien.–OK.Maintenant,enpyjama,puisjeteliraiunehistoire.–Deuxhistoires.–Biententé,maisnon.Uneseule.Elleregardeenbiais,sedemandantvisiblementcommentellepourraitobtenirautrechosedemoi.–Bon,d’accord,uneseule,maisavecdesvoixrigolotes,alors.–Çamarche.UnefoisHaleymiseenpyjama,bordéedanssonlit,etl’histoirelue,jeretournedanslesalonoùje

trouve Tessa toujours endormie sur le canapé. Sa bouche est légèrement entrouverte, avec une lippeboudeuseetrebondiequimetenteterriblement.Sonsouffleestprofond,régulier,etj’aibeauessayerdem’enempêcher,lemouvementdesarespirationattiremonregardverssapoitrine.Jedétournerapidementles yeux,mais pas assez vite pour pouvoir ignorer cette attirance soudaine et intense quim’emplit deculpabilité.Quoique«soudaine»nesoitpastoutàfaitletermeexact…Cetteattirancecouvedepuispluslongtempsquejenevoudraisl’admettre,bienavantledépartdeCade.Depuiscesderniersmois,ellen’afaitquegrandir,endépitdemeseffortspourlafairetaire.

Assailli de culpabilité à l’idéequ’il s’agissede lapetite sœurdeCade (cette fille que je connaisdepuisquej’aineufans…,cettefillesurlaquelleCadem’ademandédeveillercommesielleétaitmapropresœur),jemeforceàmedétourneretcommenceàrangerlepetitbazarlaisséparHaley.Jeremetslescapuchonssurlescrayonsetdébarrasseson«atelierdedessin».Jevaisensuitedanslacuisineet

jette les restes du repas. Je ne vois que l’assiette deHaley etmedemande siTessa amangéquelquechose.Puisjemedemandepourquoijemeposecettequestion.

Quandtoutestrangé,jeretourneverslecanapépouressayerderéveillerTessa.Elledortcommeunemasse(commetoujours).JedevraisavoirhontedecertainstoursqueCade,Adametmoiluiavonsjouésquandnousétionsplusjeunes.Engros,pendantdesannées,elleasubiàpeuprèstouteslesblaguesquel’onpeutfaireàquelqu’unquidortprofondément.Jecroisqu’ellenenousajamaispardonnédeluiavoirfaitmouiller son litquandelleavaitquatorzeans.Cette idéeme rappelleune foisdepluscombien jedevraisplutôtlaconsidérercommeunesœurquecommeunefillesurlaquellejefantasmequandjememasturbe.

Jem’accroupisàcôtéducanapépouravoirlevisageauniveaudusien.Enlaregardantainsideprès,je remarque lescernessoussesyeuxet la fatiguequise lit sursonvisage,mêmequandelledort.Sescheveuxcourtsetbruns tombentsur l’undesesyeux,et jedois littéralementmeretenird’écartercettepetitemèche. Jemepasseunemain sur levisage,me forçant à contenirmonélan.Maisqu’est-cequim’arrive?

Jelaisseretombermamainetprendslasienne,quejeserrelégèrement.Ellenebougepas,necillemêmepas.Sachantquejeneparviendraipasàlaréveilleràmoinsdeluibalancerunseaud’eauglacéeen pleine face, jeme penche et la soulève facilement du canapé.Tout enmarchant en direction de sachambre, jem’efforce de penser àmille autres choses que son petit corps pressé contre lemien.Aucontactdesescuissessousmonbras,sousmamain.Àladouceodeurdesonshampoing,etàlafaçondontellepressesonvisagecontremapoitrinepourserapprocherdemoi.

Saufquecen’estpasdemoiqu’elleessaiedeserapprocher.Inconsciemment,elletendversquelquechosed’autre–ouquelqu’und’autre.Pasversmoi,entoutcas.

Aprèsl’avoirposéesurlelit,j’allumesalampedechevet,luienlèveseschaussuresetlesrangeaupieddulit.Cesimplegestemefaitpenseràtouslesautresvêtementsquej’aimeraisluiretireretsuffitàmefairebander.Jefermelesyeux,réprimeunjuronetsecouelatête,furieuxcontremonespritd’avoirdetellespenséesetcontremonsexepours’enréjouirainsi.

Une foismonmembre un peu calmé, j’essaie de la bouger pour pouvoir faire passer sur elle lescouverturessurlesquellesellesetrouve.Lemouvementfinitparlaréveilleretellesetourneversmoi,battantvaguementdespaupières,avantdeseredresserbrusquementenmedonnantunviolentcoupdetêtedanslementon.

–Putain!–Aïe!grogne-t-elleensefrottantlefront.Jason?Bonsang,tum’asfichuunetrouillebleue!Qu’est-

cequetufaislà?Elle balaie rapidement la pièce du regard, puis regarde ses vêtements avant de jeter unœil à son

réveil.–Ilestpresqueneufheures?Merde,ilfautquej’aillecoucherHaley.J’aidûm’endormir.Elles’apprêteàselever,maisjelaretiensetm’assoissurlelittoutenmefrottantlementon.–Net’inquiètepas.Jem’ensuisoccupé.Ellemefixeenhaussantlessourcils.–C’estvrai?J’acquiesced’unhochementdetête.–Depuiscombiendetempses-tulà?

–Environuneheure.Elleenrestebouchebée.–Uneheure?Pourquoinem’as-tupasréveillée?–Tucroisvraimentque j’auraispu te réveiller?Etpuis, jemesuisditqu’ilyavaitsûrementune

bonneraisonsitut’étaisempafféecommeçasurlecanapé;alors,jet’ailaisséedormir.Jenevoyaispasoùétaitleproblème.

–Bonsang,jedéconnevraimentàpleinstubes,aujourd’hui.–Pourquoidis-tuça?–Pourrien.Jehausseunsourciletlafixesansriendire.Onadéjàjouéàcejeu-làensemble,etc’esttoujoursmoi

quigagne.Ellesoupire,puisraconte:–J’étaisenretardàlagarderiepourallerchercherHaley…unefoisdeplus.Melindam’aditque,si

çarecommençait,elleallaitmefacturerlesheuresdedépassement.Maiscen’estmêmepaslaquestiondel’argent,tusais.C’estjustequejenesuismêmepascapabled’arriveràl’heurepourchercherHaley.

Ellesecouelatêteetlèveunbrassursesyeux.–JemesenstellementnulledepuisqueCadeestparti.Jesuiscontentequ’ilsoitparti,jeveuxdire.

Dieu sait si je l’ai poussé à y aller. Je ne voulais pas qu’il reste ici alors qu’il avait cette superbeoccasion.Mais…c’estdur.Pourtedire,j’aidonnédesnuggetsàmangeràHaley,cesoir,parcequejen’avaispas le tempsde luicuisineruntruccorrect.Hiersoir,c’étaientdeshamburgersàemporter.Lesoir d’avant, des nouilles. Alors qu’avant, tous les soirs, Cade nous préparait un repas digne d’unrestaurantcinqétoiles.

–Cadeestchefcuistot,Tessa.Ellelaisseretombersonbrassurlelitetmeregarde.–Même.Touslesjours,jetrouvequemafaçondegérerleschoses–ouplutôt,denepaslesgérer–

vademal enpis.Unde ces jours, jevaisme réveiller avec le trophéede la«mère laplusnulledumonde»surmatabledenuit.

–Tess,arrête.–Nemedispasd’arrêter.Ellemedonneunpetitcoupdepiedsurlacuisse.– Je tedisceque je ressens,c’est tout.C’estbien lapeinedeveniretde tout fairepourme faire

parlersitutemetsàroulerlesyeuxquandjecommence.Tul’asvoulu,ehbien,maintenant,tul’as.J’approuved’unhochementdetête.–D’accord.Quoid’autre,alors?Ellepousseunprofondsoupirenlevantlesyeuxversleplafond.–Jecroisquejenemerendaispascomptedetoutcequ’ilfaisaitpournous.Cequifaitdemoiune

sœurtotalementminable,par-dessuslemarché.Jemesenscomplètementconne.Jeroulelesyeuxsanspouvoirm’enempêcher.Elleatoujourseutendanceàenfairedestonnes.–Tun’esniconne,Tess,niunesœurminable.Etencoremoinsunemauvaisemère.D’accord,Cade

enfaisaitbeaucoupquandilétaitlà,maistut’esretrouvéeavectouteslesresponsabilitéssurledosenmoinsd’unesemaine,quandilestparti.Donne-toiletempsdet’yhabituer.

–J’auraispeut-êtrepugoberçaenjuinouenjuillet,maisçafaitcinqmoismaintenant,Jason.Cinqmois.Jedevraisavoirprislepli,maintenant.

–Nesoispassidureavec toi.Tuenfaisdixfoisplusque jen’enseraiscapable.Regarde, ilm’afallu troisquartsd’heure rienquepourmettreHaleyenpyjamaet lui fairesebrosser lesdents, toutàl’heure.

Voilàquiluiarracheenfinunsourire.– Oui, elle a besoin d’être bien cadrée au moment d’aller se coucher, dit-elle en riant. Merci,

d’ailleurs.Ellenet’apastropembêté,aumoins?–Non,elleestmignonnecommetout.Elle semetà souriredecette façon si spécialequi illumine sonvisageet,une fois encore, je suis

frappéparsabeauté.JenesaispasàquelmomentelleestpasséedelabanalepetiteTess,jeunesœurdemonmeilleurami,àcettefemme…sisexy,simerveilleuse,dontj’aimeraismieuxqu’ellenesoitpasdela famille de mes meilleurs amis. Mes pensées aussi constantes qu’indécentes seraient certainementbeaucoupplusfacilesàgérer.

–Merci.Jetrouve,moiaussi.Ellebâilleens’étirantetglissesonpiedentremacuisseetlematelas.Lenaturelaveclequelalieuce

genredecontactaffectueuxne faitque renforcermavolontéde rassemblermesesprits etmahontedepenseràellequandjesuisdansmonlit.

–Pourquoivenais-tu,aufait?medemande-t-elle.Lesouvenirdecequis’estpasséavantmonarrivéemefait l’effetd’unseaud’eauglacéesurmon

pantalon.Dansungrognement,jefermelesyeuxetmepasseunemainsurlevisage.–Oh,oh!Iln’yaqu’untrucpourmemettrel’inébranlableJasondansuntelétat.Tuasdînécheztes

parents,c’estça?–Ouaip.–Etques’est-ilpassé?Jem’allongesurlelitenmemaintenantsurmescoudes,latêtetournéeverselle.–Ilsm’ontposéunultimatum.J’aijusqu’àlafindusemestrepourfinirmesétudes,puisjedoisavoir

mondiplômed’archi,sinonilsmecoupentlesvivres.Ellemefixe,bouchebée.–Sansblague?J’opineduchef.– Ils ont découvert que j’avais déjà assez d’UV pour obtenir mon diplôme si je déclarais mes

mentionsetilsnemarchentplusdanslacombine.Plusmoyend’ycouper.Mais,bon,çam’aquandmêmepermisdetenircinqans.Lemomentestvenupourmoidepayerl’addition,j’ail’impression.

Ellerestemuettequelquessecondes;jelaquestionneduregard.Commeellenedittoujoursrien,jeluidemande:

–C’estquoi,cesilence?–Jenesaispas, répond-elled’unevoixhésitante,avantd’agiter lamainensecouant la tête.Rien,

laissetomber.–Vas-y,Tess,dis-moicequetupenses.–C’estque…jenetecomprendspas.Tuasunsuperboulotquit’attendaprèstondiplôme,unboulot

pourlequelbeaucoupdejeunesdiplômésseraientprêtsàtuer,oùtugagnerassûrementtroisfoiscequejepourrais espérergagnerpendant toutemavie, et tu fais la finebouchecommeunenfantgâté.Enplus,c’étaitlaboîtedetongrand-père…Jecroyaisquetuseraiscontentdebosserlà-bas.Alors,c’estquoi,le

problème?Jeserrelesdentsetinspireàfondparlenez.–Écoute,jesuisconscientquej’aidelachance,tupeuxenêtresûre.Etj’aivraimentl’impression

d’êtreunpetitconégoïstedenepasenêtreplusheureux.Maisçateplairait,àtoi,sitouttonaveniravaitdéjà été tracé avant même que tu saches marcher ? C’est beaucoup de pression, tu sais. Et puis…D’accord, travaillerpour laboîtedemongrand-père serait super si jepouvais le faireàmamanière,maisçaneconviendrapasàmonpère.Ilnevoudrajamaisquejetravailledansleserviceweb.Enplus,laboîteacesséd’apparteniràmongrand-pèrequandmonpèreamis lamaindessus,qu’ilagrefféunpaquetd’associéspouraugmenter lesprofitsetqu’ilasurtoutmis l’éthiqueaupanier.Mongrand-pèredoitseretournerdanssatombeenvoyantcequemonpèreafaitdeMontgomeryInternational.

–As-tuaumoinsparléà tonpèrede l’idéede faireunautre travaildans laboîte?Peut-êtrequ’ilseraitd’accordpourquetuprennesunpostemoinsimportantdansunautreservice.

Jesecouelatête.– Impossible. Il ne voudra jamais. Avec lui, c’est tout ou rien. Il ne connaît pas le sens du mot

«compromis».–Et,donc,vousêtescomplètementdifférents,tudisais?–Situcommencesàmecompareràmonpère,çaveutdirequ’ilesttempsquejem’enaille.Je m’apprête à me lever, mais Tessa se met à rire et pose les deux pieds sur mes cuisses pour

m’empêcherdepartir.–Jeplaisante!Nesoispassusceptiblecommeça.Non,tuneluiressemblesenrien.Maistuestêtu,

ça,oui.Etc’estpourçaquejesuisétonnéequetubaisseslesbras.Tentelecoup.Qu’est-cequetuasàperdre?Siçasetrouve,iltesurprendra.

Oubienildonneraraisonàtoutcequejepensedelui,etjemeretrouveraiàlacasedépart.

3

TESSA

Devoirtoutgérerestépuisant.Jemesuislevéeunedemi-heureplustôtqued’habitudepourpouvoirchoisir les habits de Haley et lui préparer autre chose qu’un bol de céréales froides pour le petit-déjeuner.Cen’étaitqueduporridge,mais,bon…,c’estdéjàça.J’aiveilléàtenirmeshorairestoutelajournée,allantplusvitequandmesclientesarrivaientenretard,afind’êtresûredequitterlesalonàcinqheuresetdemiepétantespourpouvoirrécupérerHaleydanslestemps.

Lerepasdusoirn’esttoujourspasauniveaudeceuxqueCadepréparait,maisj’estimequ’avectousleseffortsquej’aifournisaujourd’hui,j’aidroitàunpeud’indulgence.Jemangel’escalopedepouletetla saladeque jeme suispréparéespendantqueHaleyme raconte chaque secondede sa journéeentredeuxbouchées.

–…etpuisonaprislegoûter.Despommesetdubeurredecacahuète.C’estcequejepréfère,hein?–Mmmh,jesais,mapuce.–Etaprès,onafaitleslettres.Cettesemaine,c’estle«j».Comme«jaguar»,«jouer»,«jardin»et

«Jay»!Etaprès…J’essaievraimentd’êtreattentive,del’écouter,dem’intéresser.Seulement,jesuisdeboutdepuiscinq

heures dumatin, et, après avoir préparéHaley etmoi, couru à l’école, puis àmon travail, passé huitheures debout au salon et une de plus dans la cuisine pour préparer le repas, je suis complètementexténuée. Je voudrais m’écrouler sur mon lit et ne plus en bouger pendant douze heures. Sauf qu’enréalité,jeneseraipascouchéeavantonzeheuresetjen’auraiqu’environsixheuresdesommeil.

–Maman!LavoixdeHaleymetiredemespensées;jelèvelesyeuxverselle.–Quoi?–Jepeuxavoirunbonbon?Jedevraisdirenon.Ellen’apasbesoindebonbon,surtoutaprèstouteslessaloperiesqueje luiai

donnéesàmangerdernièrement,maisjen’aipaslaforcedemebattre,cesoir.Jecèdedansunsoupir.–Mangetesharicotsvertsd’abord.Elle s’empresse de piquer une grosse quantité de haricots sur sa fourchette et l’enfourne

immédiatement,commesimonoffren’avaitqu’uneduréelimitée.Pendantquelquesinstants,jemelaissealleràlaregarder,àmeperdredanssesgrandsyeuxbruns,tandisqu’ellemeraconted’autresdétailsdesajournée,danslesmouesqu’ellefaitquandelleréfléchitàcequ’ellevamedireensuite.Sescheveuxsontenbataille;ellelesécartesanscessedesonvisage.Voilàunmoisdéjàquejedoislesluicouper,maisjen’aipastrouvéletemps.Elleestmagnifique,adorable,etelleestàmoi.Quoiqu’ilarrive,jesaisqu’àlafindelajournée,elleseralàavecmoi.

Cettepetitefillepétillanteetviveestunevéritableforcede lanature,et je l’aimeplusque toutaumonde. Elle me fait rire plus que personne ne m’a jamais fait rire dans ma vie. Elle est gentille,attentionnée,c’estcequej’aidemeilleurdansmonexistence.

Mais parfois…, parfois, des soirs comme celui-ci, lorsque j’ai eu une longue et dure journée,j’aimeraisnepasêtreseuleavecelle.J’aimeraisqu’ilyaitquelqu’und’autrepourmedélesterunpeudecepoids.Quelqu’unquim’aidelematin,quil’emmèneauparc,luilisedeshistoires,lesoir,enfaisantdesvoixrigolotes.Quelqu’unpourmetenircompagniependantquejeprépareàmanger.Pourboireunverre de vin avecmoi une fois queHaley est couchée. Pourme tenir chaud pendant les froides nuitsd’hiver.

Comme chaque fois que j’ai ce genre de pensée – c’est systématique –, une énorme vague deculpabilités’abatsurmoietjeregrettetoutcequivientdemetraverserl’esprit.Parcequenotrevieestdéjàformidable,et,penseràlarempliravecquelqu’und’autre,c’estunpeucommesijemedisaisqueHaleynemesuffitpas.Commesilefaitd’êtreensemblen’étaitpassuffisant.

Cen’estpasdutoutça.Jel’aime,jedonneraismaviepourelles’illefallait.Lesmomentsquenouspassonsensemblesontceuxquejechérisleplus.Mais,àlafindelajournée,quandelleestcouchée,jemeretrouvetouteseule.

Etjenepeuxpasm’empêcherd’avoirenvied’autrechose.

JASON

J’auraisdûsortircesoir.J’auraisdûappelerSeanouKylepourqu’onseretrouveauShooters,oun’importeoù.Aumoins,lebruitetlesgensauraientpermisàmoncerveaudesedéconnecterunpeudecequinecessede l’obséder–c’est-à-direune joliebrunetteavecunepersonnalité tropénormepoursonpetitcorps.

Mais,enfindecompte,jememensàmoi-mêmeenpensantquecelapourraitm’aider.Parceque,cesneuf derniers mois, j’ai fait tout ce qui était en mon pouvoir pour essayer de chasser Tessa de mespensées,d’interromprecetteattiranceavantqu’ellenes’installe.Etellerevientsanscesse,malgrétout.

J’ai tenté deme distraire avec des femmes qui sont l’extrême inverse d’elle : de grandes blondesréservées.J’aimêmetentélecoupavecdesfemmesdumêmegenrequ’elle.Mêmetaille,mêmecoiffure,mêmesyeux.Maisnon,rienàfaire.Çanefonctionnepasmieux.Parcequ’àlafindelanuit,cen’estpaselle,etjerecommenceàpenseràellechaquefois.

Chaquefois.J’attrapelatélécommandeavecungrognementetzappedechaîneenchaînejusqu’àcequejetombe

surunmatchdefoot.Jeboisunegorgéedebièreetmevautredanslecanapéencuirquicrissesousmoi;j’essaiedemeconcentrersur lematch,maismoncerveau turbineà fond.QuandTessan’accaparepasmespensées,c’estlemerdieravecmesparentsquiprendlaplace.Pasmoyend’yéchapper.Jenem’ensortiraipas.Riendecequejepourraidireoufairen’empêcheramonavenirdemetomberdessuscommelavérolesurlebasclergé.

Peut-être que je vivrais les choses différemment s’ils m’avaient juste demandémon avis. Ce quej’avais envie de faire.Si je voulais faire cela.Mais non, évidemment. Parce que c’est une entreprisefamiliale,ilssontpartisduprincipequejevoudraisenfairepartie.Cequiauraitpuêtrelecas,s’iln’yavaitpaseumonpère.Cetteboîteaétéentièrementfondéeparmongrand-père,maismonpèreenafaitquelquechosedesihorriblequejenelareconnaismêmeplus.Ellen’aplusrienàvoiraveclapetiteentreprise versée dans la philanthropie que mon grand-père avait lancée. Maintenant, seul le profit

compte.Danslesannéesquiontsuivil’arrivéeaupouvoirdemonpère,ilalicenciédesgenstrèsbienquin’étaientqu’àquelquesannéesdelaretraiteetaembauchédejeunesdiplômésqu’ilpayaitdeuxfoismoins. Il a trouvé tous lesmoyenspossibles et imaginablespourpouvoir amasserplusdepognon.Lecoupdegrâceaétélemomentoùiladissouslafondationquegrand-pèreavaitcréée,quibâtissaitdesmaisonspour les foyersà faibles revenus– la seulechosequiauraitpumemotiverdans l’affaire.Laseule chose qui aurait pu faire passer la pilule de travailler pour mon père. Il m’a dit qu’il l’avaitdissouteparcequecen’étaitpasbonpourlerésultatnetdel’entreprise.

End’autrestermes,ilnetrouvaitaucunesatisfactionàperdreuntoutpetitboutdesafortunechaqueannée,mêmesilaraisonpourcelaétaitd’aiderdesgensdanslebesoin.Toutcequiluiimporte–àluicommeàmamère–,c’estleprochaindollarquitomberasursoncompteenbanque,laprochainevoitureflambant neuve, les prochaines vacances à Paris, Saint-Tropez ou Tahiti. Ils ne se soucient que de laqualitédecequ’ilsont,dutape-à-l’œiletdesgensqu’ilsvontpouvoirépateravecça.

Cequiinclutleurfilsunique.C’est lors de soirées comme celle-ci quemon grand-pèrememanque le plus.Ma grand-mère est

morte quand j’étais petit, encore enprimaire ; je n’ai doncpas beaucoupde souvenirs d’elle,mais ilparlaitd’ellecommed’unemerveilleabsolue.Etlesanecdotesqu’ilracontaitàsonsujetavaientdesairsdecontedeféespourmoi,parcequelesoi-disantamourquejevoyaisentremesparentsneressemblaitaucunement à de l’amour.C’était simplement un engagement basé sur des bénéficesmutuels…, sur cequ’ils avaient tous deux à y gagner. Lorsque mon père est entré dans la famille de ma mère (laquintessencedesvieillesfortunes),ilasurtoutépousélaviequ’ilavaittoujoursvouluavoir.

Laviequemongrand-pèreessayaitdememontrervalaitbienplusqueça.Montéléphonevibredansmapoche.Tropheureuxdecettedistraction,jeledégaineimmédiatement.

LenomdeTessas’affichesurl’écranetjefermelesyeuxenexpirantàfond.Pourpenseràautrechose,onauraitputrouvermieux.

Jeréponds:–Salut.–Jason?LavoixdeTessaestplushautperchéequed’habitude,commepaniquée.Jemeredressed’unbond.–Tess?Qu’est-cequisepasse?–Euh,pasgrand-chose.C’est justeque…Merde !Haley !Vavitemechercherunautre seausous

l’évierdelacuisine!Ellecriecesmotscommeunefolleavantdeparlerdenouveaudansletéléphone.–Oui,pardon,euh…Parhasard,est-cequetut’yconnaîtraisunpeuentuyauterie?–Enplomberie,tuveuxdire?–Oui…–Qu’est-cequisepasse,Tess?–Ehbien,j’ai…,j’aioubliédelaisserunfiletd’eaucoulerdanslasalledebain,etilafaitsifroid

aujourd’huiqueletuyauagelé.Et…ilapété.Ilyadel’eaupartout.Jene…,jenesaispasquoifaire.Savoix,hystériquequelquesinstantsplustôt,estmaintenantfragileettremblante.Peuimportequeje

neconnaisserienàlaplomberie!Jeposemabière,contentden’enavoirbuquequelquesgorgées,melèveducanapé,attrapemonmanteauetenfilemeschaussuresavantdefranchirlaporte,montéléphonetoujourscolléàl’oreille.

–Jesuislàdansdixminutes,dis-jeavantderaccrocher.

Et jeme précipite dans cette froide nuit de novembre pour aller aider la fille à laquelle j’essaiedésespérémentdenepaspenser.

TESSA

Il y ade l’eaupartout. J’en évacuedes seaux et des seauxet, chaque foisque j’envideun, jemetrouveencoreplusminable.Unefoisdeplus.UntrucpareilneseraitjamaisarrivésiCadeavaitétélà.Iln’auraitpaslaisséçaarriver.

Les tuyauxontgeléune fois,quand j’avaisneufans.Nousvivionsdans lamaisondepuisquelquesannéesdéjà,maislesprécédentshiversavaientétéassezdoux,etnousn’avionsdoncjamaisvécuça.

Maiscethiver-làavaitétéglacial,plusfroidquedepuisbienlongtemps.C’étaitaprèslamortdemonpère ; il n’yavaitdoncquemamère,Cadeetmoi.Bienqu’iln’eûtqueonzeans,Cadeavaitpris leschosesenmain.Commes’ilsavaitcequ’ilfallaitfaireenpareillecirconstance.

Ensuite,touslesansaprèsça,mamèreouluiveillaientàtoujourslaissercoulerunmincefiletd’eaulesjoursdegrandfroid.Pasuneannéenepassaitsansqu’ilsypensent.Etmoi,laseuleannéeoùjemeretrouveseule,jenesuismêmepascapabled’ouvrirunpeuunfouturobinet.

Jeréprimeunenouvellemontéedelarmes(quinefontquememettreencoreplusdanstousmesétats)quandlaportes’ouvreetHaleycrielenomdeJason.Illuimurmurequelquechoseetj’entendssespasapprocherdemoi.

–Tess,qu’est-ceque…?Ils’arrêtenetdansl’encadrementdelaporteetsefigeenvoyantlasituationquis’offreàsesyeux.Il

regardepartout:lesflaquesd’eauparterre,leseauquejetienssouslemeubledevantlestuyaux,etenfinmoi,aveclatêtedesorcièrequejedoisavoir.Jesuistrempéedelatêteauxpiedsetjen’osemêmepasimaginerdansquelétatdoitêtremonmaquillage.

Ilseraclelagorgeetbraquesesyeuxsurmoiavantdedétournerleregard.–Est-ceque,euh…?Est-cequetuaspenséàcouperl’arrivéed’eau?Jelefixequelquesinstants,puisunrirenerveuxjaillitdemagorgeenmêmetempsqu’unenouvelle

montéedelarmesdébordedemesyeux.Parceque,non.Non,jen’aipascoupél’eau.Jen’aimêmepaspenséàça.Ilfautentenirunesacréecouche,quandmême!

–Allons.Allons…,dit-ilens’accroupissantprèsdemoietenmefrottantgentimentledosàtraversmon tee-shirt trempé.Çava aller. Jedescends à la cave couper l’eau, et après, on s’occupedu reste,d’accord?Cen’estpasgrave.

Ilseredressepourallermettresaparoleàexécution,tandisquejerestelà,secouantlatête,hébétéeparl’ampleurdemanullité.

JASON

J’aicoupél’eau,appeléunplombier,etTessasecachedanssachambresousprétextedesechanger.Mêmesic’estplutôtunebonnenouvellevulescirconstances,lapartiedemoiquifantasmesurellene

peuts’empêcherd’êtreunpeudéçue.Lorsquejesuisarrivéetquej’aifranchilaportedelasalledebain,quandjel’aivueassiseparterre,

lesjambesétaléesdevantelles,sonmaquillageluicoulantsouslesyeux,sescheveuxaplatissurlatêteet– Dieu me pardonne – son tee-shirt rose pâle collé à sa poitrine, j’ai dû détourner le regard.Immédiatement.Parceque,pendantcesdeuxpetitessecondes,j’aipuvoirsoncorpssousunvêtementquinecachaitvraimentplusrien,etj’enaivuplusquejen’auraisjamaisimaginépouvoirlefaire.Ils’avèrequelerosepâledonneexactementlemêmerésultatqueleblanclorsqu’ilestmouillé.Cequisignifiequej’aieuunaperçuonnepeutplusclairdesseinsdeTessa,aussiclairquesielles’étaittenuedevantmoientièrementnue.

Jepousseungrognementetfermelesyeuxenmepassantunemainsurlafigure.Haleyestenfinaulit,etj’attendsl’arrivéeduplombiertoutenessayantdechasserdemonespritl’imagedecesseinsparfaits.

–Coucou.Savoixestdouce,fatiguée,et,commejemeretournepourlaregarder,jevoisqu’elleestàl’imagede

sonintonation.Sescheveuxsontjusteunpeuhumides,maintenant,sonvisage,débarrassédumaquillagesinistrédetoutàl’heure,etelleaenfiléunevesteenflanelleboutonnéeetunpantalondepyjama.Cequinel’empêchepasd’êtreencoresexy.Àvraidire,ellel’estpeut-êtremêmeencoreplus.C’estsûrementdûaufaitquejeconnaismaintenantlatailleetlaformeexactedesapoitrine,etquejepeuxlarevoirenunéclair,malgrél’épaisseurdetissubleuetgrisquilarecouvre.

–Coucou.Jem’éclaircislavoixetdétournelesyeux,craignantqu’ilsneseposentdenouveausursapoitrine.–J’aiappeléunplombier.Ilseralàdansuneheuremaximum.–OK.Merci.J’auraisdûcommencerparfaireça,plutôtquedet’entraînerdanscettehistoire,mais

l’eaucoulaitpartoutetjen’arrivaisplusdutoutàréfléchir.Elleapprocheets’assoitàl’autreboutducanapé,ramenantsesgenouxcontresapoitrineetserrantun

coussincontreelle.Ellefixesesjambesetsecouelatête,l’airdépité.–Quelleimbécilejesuis!Jefroncelessourcilsenlaregardant.–Maisnon,tun’espasuneimbécile.Pourquoidis-tuça?Unriresansjoieluiéchappeetellelèvelesyeuxauciel.–Oh!pourtout.Déjà,c’estmafautesilestuyauxontpété.Jen’aipaspenséàlaissercoulerunpeu

d’eaupouréviterqueçaarrive.TucroisquecegenredechoseestdéjàarrivéàCade?Pasuneseulefoisentreizeansdepuislapremièrefoisoùças’étaitproduit.Moi,jesuislàdepuiscinqmoiset,dèslepremierhiver,j’arriveàfaireexploserlatuyauterie.

–Tess…– Je n’ai même pas pensé à couper l’eau ou à simplement appeler un plombier. Non, j’ai juste

continuéàremplirdesseauxetàlesvider…Commesiçapouvaitserviràquelquechose!Savoixtremble,sesyeuxsemouillent,maiselledéglutitpourravalerseslarmes.Elleesttellement

forte.Commentsefait-ilqu’ellenes’enrendepascompte?–C’était stressant.Parfois, dansdes conditionspareilles, on n’a pas toute notre tête.Ça aurait pu

arriveràn’importequi,luidis-je.–Maisçan’estpasarrivéàn’importequi.Çam’estarrivé,àmoi.Jemetourneunpeupourluifairefacesurlecanapé,monbrasposésurledossierderrièreelle.–Tess,jevoisbienquetuesstressée.Etquetuasl’impressiond’êtrenulle.Maiscen’estpasvrai.

Ellelèvedenouveaulesyeuxauciel,etjeluitiregentimentunemèchedecheveux.–Hé!proteste-t-elle.Jehaussevaguementlesépaules.–Jemesuisditqueceseraitmieuxquedet’appuyersurlefront,commejelefaisaisquandonétaitau

lycée.Ellemedévisage,etjecontinue:–Tunem’écoutaispas.C’étaitseulementunmoyenderécupérertonattention.Donc, jedisais :Tu

n’espasnulle.–C’estpourtantcequejeressens,marmonne-t-elleenévitantmonregard.–Jelevois.Maistutetrompes.Tulèvestafillechaquematin,tulaprépares,tul’emmènesàl’école,

tuvasauboulot, turentresàlamaison,tuluidonnesàmanger, tulacoucheset,àlafindelajournée,vous êtes toutes les deux vivantes, heureuses et en bonne santé. Ce n’est pas être nulle, ça, Tess.D’accord,detempsentemps,ilyaunpetitcouac.Etalors?

Elles’esclaffe.–Detempsentemps?C’estuneuphémisme.–OK,admettonsqu’ilyenaitdestonneschaquejour.Malgrétout,tutedébrouillessuperbien.Sois

unpeupluscoolavectoi-même.Tunepeuxpastoujourssavoircequ’ilfautfaireaubonmoment.–Toi,tuassu.Jeveuxdire,jen’aimêmepaspenséàcouperl’eau.–Sijel’aisu,c’estuniquementparcequejemesuissouvenudeladernièrefoisoùc’étaitarrivé.On

étaitensixième,ettamèredonnaitdesconsignesàCade.Adametmoiétionslà,àleurtraînerdanslespattes.Lapremièrechosequ’elleaditeaétéd’allercouperl’eau.

Jehausselesépaules.–C’estnormalquetunet’ensouviennespas.Tuavaisdûtebarricaderdanstachambrepourjouer

avectespoupéesBarbieoujenesaisquoi.Au fur et àmesuredemesexplications, sonvisage s’est légèrement adouci ; bientôt, sabouche se

décrispeetsesépaulessedétendent.–Çayest,tulaissestomberlaTessronchonnepourredevenirlaTessnormale?Elleritvraimentpourlapremièrefoisdelasoiréeetmelancelecoussinsurlatête.–Cequetupeuxêtrecon!Jesourisetattrapelecoussinquejeposesurmesgenoux.Tessadépliesesjambesjusqu’àcequeses

orteilsviennentsepressercontremacuisse.Ellemepoussegentiment.–Merci,entoutcas.Mercid’êtrevenuaussivite.Jehausselesépaules.–Cen’estrien.–Si, si, insiste-t-elle.Quand c’est arrivé et que jemedemandais quoi faire, tu as été la première

personneque j’aipenséàappeler. Je saisque jepeux toujourscompter sur toi, etc’est très importantpourmoi.Surtoutencemoment.Alors,mercibeaucoup.

J’ai beau apprécier l’idée que ce soit moi qu’elle ait pensé à appeler en premier, moi qui soistoujoursprésentpourl’aider,maprésencepermanenteicifaitaussipartieduproblème.Duproblèmequej’aipourréussiràlachasserunpeudemespensées.Mais,alorsquejelaregardeencetinstant,unpeuperdue,unpeueffrayée,jemerendscomptequejenepourrairienychanger.

Parcequemêmesitouslesclignotantssontaurougedansmatête,mêmesij’aimilleraisonsdemeteniràdistance,jenepeuxpas.Jenepeuxpasm’enempêcher,etjenesuismêmepassûrdelevouloir.

Jeseraislàenunclind’œilsielleavaitbesoindemoi.Etça,çanechangerapas.

4

TESSA

–Maman!C’estl’heured’appelertontonCade!–Oui, oui, un instant, tu veux ? dis-je enmedépêchant dedébarrasser la table (après unnouveau

repasdontlesimplefaitdesavoirqu’ilaétépréparédanscettecuisineferaithonteàCade).Jefaisdemonmieux,maisilestclairque,certainssoirs,jen’aipasletempsoul’énergiedeservir

autrechosequ’unplatréchaufféaumicro-ondes.–Çasonne!s’écrieHaleydanslesalon.–Alors,varépondre.Elle répond,et j’entendssavoixs’animerquandellecommenceàdiscuteren ligneavecCade, lui

racontantseshistoiresd’écoleetleprojetdeMelindaqu’ellearapportéàlamaison.Ilsdiscutentainsipendantenvirondixminutes,melaissantletempsdepasseruncoupd’épongesurleplandetravailetdemettrenosassiettesdanslelave-vaisselle.Jemerendsensuitedanslesalon,oùjetrouveHaleytellementpenchée sur l’écran de l’ordinateur que son visage – son nez et sa bouche, en tout cas – occupe toutl’espacedesaportiondel’écran.

–Reculeunpeu,machérie.TontonCadeteverramieux,commeça.–Maisjeluifaisaisunbisou.Jeréprimeunrire.–D’accord.Allez,dis-luiaurevoir,maintenant.Ilesttempsd’allertemettreenpyjama.–Aurevoir,tontonCade!Àplus!–Jet’aime,mapetitecrotte.–Moiaussi!–Etnemetspasdebazar,hein,sinononn’aurapasletempsdelireunehistoire,dis-jealorsqu’elle

s’éloignedéjà.Je reçoisunbrefgestede lamainenguisederéponseetprendsplacesur lecanapéenroulant les

yeux.–Çayest,çacommencedéjà,l’insolence.–Tiens,jemedemandebienoùelleapuapprendreça.Jeregardel’écranoùlevisagedeCademesourit.Ilal’airenforme.DepuisqueWinterestrevenue,

ilyaquelquesmois,ilvamieux,onlesentplusheureux.Etiladoresontravail,cequiaideaussi.Jesuistellementheureusepourlui,qu’ilaiteucetteincroyableopportunitédèssasortiedel’école.Mais,bonsang,qu’est-cequ’ilmemanque!

–OnabeauêtresurSkype,jepeuxencoreteraccrocheraunez,tusais,luidis-je.–Ah.Onestdemauvaispoil,cesoir?–Jene…–Qu’est-cequisepasse?–Rien,dis-jeensecouantlatête.

–Tessa,cen’estpascommeparlerautéléphone.Jeterappellequejevoistatête.Tun’asjamaisétécapabledemementir.Alors,qu’est-cequisepasse?

–Non,vraiment,cen’estrien.Simplement…,jesuisunpeudébordée,c’esttout.–Autravail?–AvecHaley,lesaffairesdelamaisonet…Jesoupireenm’affalantdanslecanapé.–Lavieengénéral.Ilfroncelessourcils.Sansqu’ilnediserien,jesaisqu’ilsesentcoupabledem’avoirlaissée.Cequi

n’arrangeenrienmonétatd’esprit.Jemeredressepourmepencherenavant,undoigtpointéversl’écran.–Non.Necommencepas.C’estmafaute,paslatienne.C’estjustequejen’aipasencoretrouvémon

rythme.Jesecouelatêteenmefrottantlesyeux.–J’aipasséunemauvaisesemaine.Mardi,j’étaisencoreenretardpourallerrécupérerHaley,puisje

mesuisempafféesurlecanapé.Elleamislenezdansmonmaquillage,jenem’ensuisrenducomptequelelendemainmatin,quandj’aivulechaosqu’ilyavaitsouslelavabo.

–Commentas-tupunepaslevoirtoutdesuitesielleamislenezdedans?Elleadoresepeinturlurercommeunclown.

–Jasonadûladébarbouilleravantdelamettreaulit.LessourcilsdeCaderemontentpresquejusqu’àsescheveux.–Jase?–Oui,ilestpassé,cesoir-là.Etaprès…J’inspireàfondetfermebrièvementlesyeux.JesaisquejedoisparleràCadedecettehistoirede

tuyau–iltientàêtreaucourantdecegenredechoses–,maisj’aidumalàluiavouerainsimeséchecs.–Ilestrevenuavant-hiersoiraussi,parceque,hum,letuyaudelasalledebainageléetéclaté.Ilouvrelabouchepourparler,puislareferme,serendantsûrementcomptequejem’autoflagelledéjà

assezsansqu’ilaitbesoind’enrajouterunecouche.Jecontinuedonc:– Bref, j’ai appelé Jason et il est venu. Il m’a aidée à fermer l’arrivée d’eau et il a appelé un

plombier.Toutestarrangé,maintenant,mais…voilà,c’étaitunesemainepasmarrante.Ilrestemuetquelquesinstants,secontentantdemeregarderavantdedire:–Jesuiscontentquetuaiesputoutarranger.Ilseracleunpeulagorge,détourneleregarduninstantavantdeposerànouveaulesyeuxsurmoi.–Donc,Jasepassesouventvousvoir?Jehausselesépaules.–Assezsouvent,oui,depuisquetuesparti.–Mmh…Intriguéeparsonintonation,jeplisselesyeuxetluidemande:–Çaveutdirequoi,ce«Mmh»?Ilaunbrefmouvementdetêteet,enuninstant,lalégèreimpressiondesuspicionquej’ailuesurson

visagelasecondeprécédentedisparaît.–Rien.Donc,letuyauapété…C’étaitarrivéàmamanaussi,tutesouviens?–Oui, jemesouviens.Etc’estbienpourçaque j’auraisdûmerappelercequ’il fallait fairepour

l’éviter.

–Paslapeinedet’envouloir.Jepariequetuculpabilisesencorepourcequis’estpassémardiavecHaley,jemetrompe?

J’évitesonregard,etilasaréponse.–Tess.Tuétaisjusteunpeuenretardettut’esendormie.Tuterappelleslafoisoùjemesuisendormi

enlagardant?Ilyavaitdesdessinsaufeutresurtouslescoussinsducanapéquandjemesuisréveillé.Cesontdeschosesquiarrivent.

Jeneledispas,maisjesongequecelanedevraitpasm’arriver,àmoi.Etpeut-êtrequejememetstrop de pression,mais je suis tout demême samère. Pas son oncle, une baby-sitter ou un ami de lafamille.Etsielleétaitalléedanslacuisine?Sielleavaittiréunechaise,escaladélecomptoiretprisuncouteau?Outrouvéletiroiroùjerangelesallumettes?Sielleavaitbudesproduitsménagersousielleétaittombéedansl’escaliersansquejel’entendepleurer,assomméedefatiguecommejel’étais?

–Arrête.LetonfermedeCademetiredemespensées,etjerelèvelesyeuxversl’écran.–Jesaisexactementàquoitupenses.Tuimaginestouslesscénarioscatastrophequiauraientpuse

produire.Çanesertàrienqu’àt’angoisser.Tuesunesupermaman,Tess.EtHaleyestunesupergamine,grâceàtoi.Nedoutejamaisdeça.

J’inspireàfondethochelatête,sachantqu’ilnecéderapasavantmoi.–Çava.Çavaaller.Jesecoue légèrement la têteetbalaie l’airdevant l’écrand’ungestede lamain toutenm’asseyant

plusprèsdel’ordinateur.–Bon,assezparlédemoi.Ettoi,quellessontlesnouvelles,monsieurlesuperchef?Ilritetarborecesourirequej’adore,quiilluminesonvisage.–J’aiencorel’impressionquejedoismepincerpourmeréveiller.–Toutsepassebien,alors?–Mieuxquebien.Johnm’aconfiédavantagederesponsabilitésencuisine,surtoutquandOscar, le

grandchef,estencongé.Jecrois…,jecroisqu’ilmeteste.Ilvoyagebeaucoupencemoment;ilcherchedesemplacementspourdefutursrestaurants.

Moncœurs’accélèresoudain,pleind’espoir.–Ahoui?–Oui.Jenesaispasencoreoù,nimêmepourquand.Ilveutpartirdezéro,apparemment;donc,ça

prendraplusieursmois,danslemeilleurdescas.–EtChicago,çateplaît?–C’est…différent.Enfin,c’esttrèsbien.J’aimebeaucoupêtreenville,etWinters’yplaît,mais…ce

n’estpaschezmoi.J’opineduchef,conscientedetoutcequidoitluimanquer.Jenesuispaslaseuleàavoirétéaffectée

parsondépart.Certes,j’aiperdumonfrère,monaidedechaquejour,moncompagnon,maislui,ilatoutquitté.Jenesuispassûreque j’aurais lecouraged’enfaireautant.Encoreuneraisonpour laquelle jel’admire.

J’entendsunevoixfémininederrièrelui,etCadetournelatêteenacquiesçant,unsourireauxlèvres.–Ilvafalloirquej’yaille,dit-ilenrevenantversmoi.–OK.DisbonjouràWinterdemapart.–Çamarche.Àplustard.

–Ouaip,ciao.Jerefermemonordinateurportableetmelaisseretomberdanslecanapé.Mêmesirienn’aétérésolu,

jemesensmieuxmaintenantquej’aiparléàCadedecequis’estpassé.J’aifaittellementd’effortspourle préserver depuis son départ, taisant tousmes problèmes afin qu’il ne se sente pas coupable d’êtreparti, ce qui est vraiment la dernière chose que je souhaiterais. Il a déjà suffisamment douté avantd’acceptercechangement.Alors,pasquestionquemesproblèmesviennentserajouteràsesétatsd’âme.

Ilfautsimplementquej’arriveàm’imposeruneroutine,quejetrouvecommentmedébrouillertouteseule,ettoutrentreradansl’ordre.

JeresteassiselàpendantuneminutequandHaleydébouledesachambre,vêtuedesachemisedenuitdeprincesse.

Jelaregarde,maraisondevivre,etjesouris.–Prête,mapuce?–Ouais!Je la laisseme prendre par la main et me tirer du canapé pourm’emmener derrière elle dans le

couloir. Au moins, quelles que soient mes sombres pensées sur la vie, il semble que cela lui glissecomplètementdessus.Etj’espèrebienquecelacontinueraainsi.

JASON

Leprofannoncelafinducoursetjerangemesaffairesquejefourredansmonsacavantdelemettreàmonépaulepourmedirigerverslaporte,laissantderrièremoilestroispersonnesaveclesquellesonm’ademandédetravaillersurunprojetdegroupe.Àpeineai-jefaitquelquespasqu’unefilletiredoucementlamanchedemonsweat.

–Alors,tum’appelleras,hein?Je la regarde et note qu’elle marche un peu trop près de moi pour une soi-disant simple copine.

Commejenerépondspas,ellecontinue:–Tusais,pourparlerduprojet,quoi.Jem’abstiensdementionnerqu’ellen’apasdemandéauxdeuxautrespersonnesdugrouped’enfaire

autant.Ilestplusfaciledes’endébarrassergentiment.–Oui,d’accord.Àplus,Kristi.–Salut,dit-elleenagitantlamainavecunsouriretropradieux,lesyeuxcachéssousdescouchesde

cequelesfillessemettentsurlescils.ElleressemblepresqueàHaleytellequejel’aitrouvée,l’autresoir.Jedescendslesmarchesdeuxàdeuxetarrivedehors.Unbrefcoupd’œilàmonportablem’indique

quejedisposed’environunedemi-heureavantmonprochaincours.Jefaisdoncunpetittouraucoffeeshoppourmeprendreunmacchiatocaramel.Parchance,iln’yapastroplaqueue,etilnemefautquedeuxminutespourpassermacommande.

–Salut,Jason!melancel’employéederrièrelecomptoir.–Salut…Jejetteunœilaubadgeaccrochéàsaveste,quimesauvelamise.

–…Stacy.Çava?–Oui,bien.Ellesouritetsepencheunpeuenavant,melaissantentrevoirl’intérieurdesondécolleté.–Commed’habitude?Jeregarde–biensûr,jeregarde–avantdereleverlesyeuxverssonvisage.Jenelareconnaispas;

je supposedoncqu’elle n’est pas en cours avecmoi.Comme je nevienspas ici très souvent, je suissurprisqu’elleconnaissecequejecommandehabituellement.

–Euh,oui,merci.–Jet’enprie.Elle s’écarte de la caisse pour me préparer ma boisson alors que d’autres personnes attendent

derrièremoi.Lorsqu’elleaterminé,ellemelatendavecunnouveausourire.–Àbientôt,Jason.–C’estça,àplus,dis-jeenmedirigeantverslasortie.Pasbesoind’êtredevinpoursavoirqu’elleainscritsonnumérodetéléphonequelquepartsurousous

legobelet.Jeneconnaismêmepascettefille,mais,apparemment,elleadéjàentenduparlerdemoi.Jesuisàmi-cheminducampusquandmontéléphonesonne.C’estCade.–Salut,monpote.–Jenetedérangepas?–Non,jesuisenrouteverslafac.Quoideneuf?–Pasgrand-chose.J’aiparléavecTessahiersoir.–Ahoui?Ellet’aracontésasalesemaine?Pasderéponse.J’écarteletéléphoneuninstantpourvérifiersinousn’avonspasétécoupés.–Tuestoujourslà?–Oui,oui.Ilseraclegorge.–Elle,hum,ellem’aditquetuvenaislavoirassezsouventdepuisquejesuisparti.–Oui,peut-être,dis-jeenhaussantlesépaules.–Pourquoinem’enas-tujamaisparlé?–Pourquoinet’ai-jejamaisparlédequoi?–Dufaitquetulavoyaisaussisouvent.–Euh…,jenesaispas.Enfait,si,jelesais.C’estparcequelespenséesquejenourrispourTessanesontpasexactementdu

genredecellesquel’onpartageaveclegrandfrèred’unefille.Melajouantcommesijenefaisaisriend’autrequ’honorerlapromessefaiteavantsondépart,j’ajoute:

–Tum’asditdeveillersurelle.J’aicrucomprendreque,pourlefaire,ilfallaitquejesoisquandmêmeprésentphysiquement,unminimum.

Ilgrogneauboutdufil,maisneditriendeplus.–C’estquoi,leproblème?–Iln’yapasdeproblème.–Nemeracontepasdeconneries.–Ettoi,nedéconnepasavecelle,OK?Jem’arrêtedemarchertoutnet.–Attends,qu’est-cequeçaveutdire,ça?

Letondesavoixconfirmecequejepressentais.S’ilsavait…,s’ilpouvaitsavoirlegenredepenséesquej’aipoursapetitesœurchérie,ilmemettraituneracléedontjemesouviendraisjusqu’àlafindemesjours.Etjesaistrèsbienpourquoiilestsiinquietàcesujet:ilconnaîtmonhistoriqueamoureuxsurlebout des doigts. Il connaît le nom de toutes les filles avec lesquelles je suis sorti (sans parler desdescriptionsdétailléesdecequej’aifaitavecelles)depuislaclassedeseconde,etlalisteestlongue.

–Écoute,jeteconnais,dit-il,confirmantcequejepensais.Etçanemeposepasdeproblème.Aucun.Maispasavecmapetitesœur.

–Jet’emmerde,Cade.Jeluirépondssurletondel’humour,maissesmotsmefrappentenpleincœur.J’avaisbeausavoirce

qu’ilpensait,l’entendremeleconfirmeretsavoirqu’ilmecroitcapabledeça…,c’estduràencaisser.–Jesuissérieux.Jeserrelesdents.Durcissantmavoix,jeréponds:–Moiaussi.Aulieudetenircomptedemafroideur,voilàqu’ilenremetunecouche:–Siçatedémange,vadoncvoirunedetescopinesdebaise.MaisnetegrattepasavecTess.Est-ce

quec’estclair?–Parfaitementclair,dis-jeentremesdents.Ilfautquejetelaisse.Àplustard.Énervéà l’idéequ’ilaitsimplementvouluavoircetteconversationavecmoi, je raccrochesans lui

laisser le temps d’ajouter quoi que ce soit. Jamais je ne jouerais avecTess de la sorte.En dépit despenséespourellequim’assaillentconstamment,jesuisbienconscientqu’ellen’estpasdanslelotdecesfillesquisejettentàmespiedstouslesjours.Etjenesupportepasl’idéequ’ilcroiequejelaconsidèredecettemanière.

Jamaisjenel’aiconsidéréecommeça.Elleatoujoursétéplus…,enfin,différente,mêmes’iln’yavaitrienentrenous.Etcetteconversation

meprouveunefoisdepluscequejesavaisdepuisledébut:elleméritecentfoismieuxqu’unconnardcommemoi.

5

JASON

Même après un après-midi entier de cours, je ne suis pas plus calme qu’après ma conversationtéléphoniqueavecCadeenfindematinée.Toutelajournée,j’airessassécequ’ilm’aditet,petitàpetit,çam’a encore plus énervé. Je sais que je n’ai pas une très bonne réputation avec les filles, et c’estjustifié.Lejugementdesautresàcesujetnem’ajamaisgêné.

Ounem’avaitjamaisgênéjusqu’àaujourd’hui.J’aitoujoursconsidéréCadecommeunmembredemafamille:Adametluim’ontpermisdenepas

devenirdinguequandmesparentsmepoussaientàbout.C’estgrâceàeuxquej’aitenulecoupaprèslamortdemongrand-père.Cesontlesfrèresquejen’aijamaiseus.Etcesujet,montableaudechasse,atoujoursétéuneblagueentrenous;saufquelà,lafaçondontill’adit,oupeut-êtrelapersonneàlaquelleilfaisaitréférence,m’avraimentmishorsdemoi,alorsqu’entempsnormal,çameglisseraitdessus.

Jesuistoutjustearrivéchezmoiquemontéléphonevibredansmapoche.Jelesorsetvoislenomd’Adamà l’écran. Jene seraispasétonnéqueCade l’ait appelépourque luiaussimesermonneàcesujet.Jesoupireetdécroche.

–Nemedispasque,toiaussi,tum’appellespourmediredenepasluitoucher.Ilyauninstantdesilenceauboutdelaligneavantqu’ildise:–Nepastoucheràqui?Etquit’aditça?Jepousseungrognementetbasculelatêteenarrière.Bravo.Jemesuisbiengrillé,surcecoup-là.–Oh!rien,laissetomber.Qu’est-cequit’amène?–Rien,jesuisdanslesbouchons.Alors,àquinedois-tupastoucher?Aprèsunbrefsilence,jelâchelemorceau:–Tess.–Tess?Tuveuxdire…Tessa?NotreTessa?–Oui,enfin,laTessadeCade,s’ilasonmotàdirelà-dessus.–Attendsunpeu.J’ailoupéquelquechose?Depuisquandya-t-ilunproblèmeavecTessa?–Jenesaispas,monvieux.Toutcequejesais,c’estquejesuislà,àfaireexactementcequeCade

m’ademandé,etvoilàqu’ilm’appelleaujourd’huiparcequejeseraisalléunpeutropsouventchezelle.–D’ac-cord,répond-il,visiblementperplexe.–Engros,ilm’aditd’allertrempermanouilleailleurs.–Oh!putain.–Ilpètelesplombs,non?–Tessaluiaditquelquechose?–Jenesaispas.Elleluiasûrementditquejesuisvenul’aiderplusieursfoislasemainedernière.Du

coup,ilsemetàflipper.–Tusaiscommentilestavecelle.Jesuisétonnéqu’ilnelafassepassurveillerpardespros.–Oui,jesaiscommentilestavecelle,maisjem’enfous.Cen’estvraimentpascool,sonplan.

–Jenedispaslecontraire.Ilrestemuetquelquesinstants,puiss’éclaircitlavoix;jeleconnaissuffisammentpoursavoirqu’il

vameposerunequestionquejenevaispasaimer.–Et…est-cequ’ilsepassequelquechoseentretoietTessa?–Oh!pitié,non.Tunevaspast’ymettreaussi.–Moi, çam’estbienégal,dansuncascommedans l’autre, àpartirdumomentoùcen’estpasun

trophéedeplusàtontableaudechasse.–Tusaistrèsbienqu’ellenelevoudraitjamais,mêmesijel’avaisvoulu,moi.–Etalors?C’estlecas?–Non,dis-jeimmédiatement.Maréponseétantaccueillieparunlourdsilence,jememetsàgrommeler.–Pff,jenesaispas.Enfin…,tuasvulapetitebombequ’elleestdevenue?Quandest-elledevenue

sexycommeça?Adaméclatederire.–Euh,oui,ça,jesuisaucourant.Nemedispasquec’estunenouveautépourtoi?–Cequejeveuxdire,c’estquejenel’avaisjamaisvue…commeça.Oualors,jenem’autorisaispas

àlaregardercommeça.Bref.Maiscesdernierstemps…Jemefrottelevisagedemamainlibre.–Oh!etpuismerde,jen’ensaisrien.–Tul’asdéjàdit.–Oui,ehbien,çacorrespondtoujoursàcequejeressens.–Tuferaisbiendelesavoiravantd’entamerquoiquecesoitavecelle.–Jenevaispasentamerquoiquecesoitavecelle.–Pourquoipas?JesaisqueCadetepourriraitlavie…–C’estlemoinsqu’onpuissedire.–…maisqu’est-cequeçapeutfaire?Ils’enremettrait.Auboutducompte.Jesecouelatêteavantqu’ilaitfini.–Non,non,non,çan’arriverapas.Etçan’arienàvoiravecCade,seulementmoi.TuconnaisTess,tu

saisqu’elleveutdusérieux.C’estpourçaqu’elleestsurcesconneriesdesitesderencontresuperciblés.Jenesuispassongenre.

Jechangedesujetavantqu’ilpuisseajouterquoiquecesoit.–Detoutefaçon,j’aid’autreschatsàfouetter.Çayest,mesparentssesontdécidésàmettreunterme

àmacarrièred’étudiantsous-diplômé.–Sansblague?Donc,tuvaspassertondiplômecetteannée?–Ondiraitbien.–Etensuite?– Ensuite, j’irai dans l’établissement que mon père jugera adapté pour passer mon master et

j’apprendrailesficellesdumétierdanslaboîteenmêmetemps,pourque–jecite–jenefoutepasmavieenl’air.

–Donc,tonpèreesttoujoursaussicon.–Ouaip.–L’avantage,c’estlaquantitédesecrétairesquetuvaspouvoirtetaper.Çadevraitbienlefairechier.Jerispourlapremièrefoisdelajournée.

–Là,tumarquesunpoint.–Bon,jedoistelaisser.Tiens-moiaucourantpourl’histoireavecTess.–Iln’yapasd’histoireavecTess.–C’estça…Allez,onenreparle.Jeraccrocheensecouant la tête,convaincuqu’ilsetrompe.Ilfautqu’ilse trompe.Ilnepeutpasy

avoirquelquechoseentreTessaetmoi.Pointfinal.Cettefilleestladéfinitionmêmedelalimiteànepasfranchir.

Unesoiréedesortie,voilàcequ’ilmefautpourbienmemettreçadanslecrâne.

TESSA

JesorsdelachambredeHaleysurlapointedespiedsaprèsl’avoirbordéeetmerendsdanslesalon.J’ai justeeu le tempsderamasser lesaffairesqui traînentpar terrequandlaportedederrières’ouvrebrusquement.Relevantlesyeux,jevoisentrerPaige,mameilleureamie,ungrospotdeglaceentrelesmains.

–Coucou,dis-jeenavançantpourlaserrerdansmesbras.C’estpourquoi,laglace?–J’airompuavecTom.–C’estqui,Tom?Jelasuistandisqu’ellesedirigedroitverslacuisine.Ellesortdeuxcuillères,m’entendune,puisouvrelecouvercleetcommenceàpiocherdanslepot.

Malgrénotreobsessioncommunepourlaglace,ellen’arrivejamaisàprendreunkilo.Oualors,sielleenprendun,ilseratoujoursbienplacé–danslesendroitsquiluiconfèrentcettesublimesilhouetteenhuit.Lapremièrefoisquejel’aivue,jel’aiprisepouruneespècedepoupéeBarbieprétentieuse,avecseslongscheveuxblondsondulés,sesgrandsyeuxbleusetcettesilhouettequifaitquetouteslesfemmesla détestent.Puis elle a ouvert la bouche et a juré commeun charretier, et nous sommesdevenues lesmeilleuresamiesdumonde.Entredeuxbouchéesdeglace,ellemarmonne:

–Jel’airencontréquandjesuissortie,leweek-enddernier.–Etvousvousêtesvusassezrégulièrementdepuispourpouvoirappelerçaunerupture?Jenesavais

mêmepasqu’ilexistait.–J’aipassétoutleweek-endchezlui…etdeuxnuitscettesemaine.Jelèvelesyeuxaucielettapedanslaglace.–Quandvas-tucomprendrequecen’estpasdanslesbarsquetuvasrencontrerquelqu’undebien?–JetesignalequeWinteretCadesesontrencontrésdansunbar,dit-elleenpointantsacuillèrevers

moi.–C’estdifférent.Elletravaillaitlà-bas,etCaden’estpasunpilierdebarminable.–Toutcequejedis,c’estqu’onnesaitjamaisquelgenredemeconpeutrencontrerdanscesendroits.–Mais si, tu le sais !Ça fait sixmoisque tupassespresque tous tesweek-endsavecdespauvres

types!Ellebalaielesujetd’ungesteavantdereplongersacuillèredanslaglace.–Bref.–Bon,alors,qu’est-cequin’allaitpasaveccelui-là?

Elleplisselenezetfrissonnelégèrement.–Illaissaitsonfildentaireusagésurlelavabo.S’ilfaitçaauboutd’unesemaineavecquelqu’un,tu

imaginescequeçadoitêtreauboutd’unan?Non,merci.Elleenfourneuneautrebouchéeetdemande,labouchepleine:–Ettoi?Unelueuràl’horizondansl’océandesrencontresInternet?Je me renfrogne et soupire sur ma chaise. Mes envies d’avoir quelqu’un auprès de moi pour

m’épauleretnepasêtreseulelanuitreviennentenforce,etjemesensencoreplusabattue.Parcequejen’airencontrépersonneavecquijepuisseenvisagerdepartagermonavenir.

– Je ne sais pas. Ils sont tous… bien. Je veux dire, sur le papier, ils sont parfaits. Puis je lesrencontre,etlà…

–Tuasenviedetemettredesbaffes?–Unpeu,oui,dis-jeenriant.Jen’aiaccrochéavecpersonne.Maisj’avaisenviequeçaaccroche,tu

sais.J’auraisvraimentaiméquecesoitcommedanslesfilms,quandlepremierbaiserestunmomentdedingue.

Jepousseunsoupir.–Jesaisquec’estidiot,maisj’aienviedemesentirtransportée.Paigemeregardefixementenclignantàpeinedesyeux.Ellesecouelatêteensoupirant.–Ilserait tempsque tuarrêtes lesromansd’amour,mabelle.Des trucscommeça,çan’arrivepas

danslavieréelle.BonDieu,moi,jesuisauxangessilemecmefaitjustejouiravantdes’endormirsurmoi,maisjemefousbiend’êtretransportée…Etjenecroispasquecesoittropendemander.

Jememetsàtousser,m’étouffantpresqueavecmaglace.–Bonsang,Paige.–Quoi?C’estvrai.Cestypesn’ontjamaisentendul’expression«lesdamesd’abord»?–Oui,bon,toi,aumoins,tubaises.Jeseraiscontentesiçam’arrivaitdetempsentemps.–Ah!tuvois?Ehbien,c’estexactementpourçaquejevaisramenermonculdansunbarceweek-

end,pourchercherleprochainélutemporaire.Jesuisdemauvaispoilquandjenebaisepas.–Jenemerappellemêmepasladernièrefoisoùçam’estarrivé.–C’étaitqui,tonderniermec?–David.–David?Tess,çafaitplusd’unan!Tudoisavoirdestoilesd’araignéedansleslip!lance-t-elleen

agitantsacuillèredevantmoi.–Ha,ha,trèsdrôle,dis-jeengrognant.Ellehausselesépaulesenmeregardantavecunpetitsouriresatisfait.–Oui,jesais,jesuiscommeça.Plussérieusement,jepensequ’ilfautqu’onremédieàça.–Qu’est-cequejefais,àtonavis?J’aiundeuxièmerendez-vousavecquelqu’unvendredi.Ilnem’a

pasfaitbeaucoupd’effetlapremièrefois,maispeut-êtreque…–Etquiestcequelqu’un?–Celuiaveclequeljesuissortieilyaquinzejours.Greg,l’orthodontiste.Elleplisselenez.–Non,franchement.Cen’estpasunorthodontistequivatevirertoutescestoilesd’araignéedelà.Jerisetmedétournepourmettremacuillèredansl’évier.–Continuedoncàtraînerdanslesbarsavecteslosersetlaisse-moimedébrouilleravecmestypes

sympas,tuveux?

–Commetuveux.Tumetiendrasaucourantquandtutesentirasprêteàrencontrerquelqu’und’unpeuplusrisqué?

Sansprévenir,uneimagedeJasonmevientalorsimmédiatementàl’esprit.Avecsescheveuxtoujoursenbataille,sesyeuxespièglesetsonéternelsourireencoin,ilenatoutàfaitlelooketlecharisme,sansparlerdelaréputation.Ilincarneexactementlegenredepersonne«risquée»dontelleparle.

Etc’estbienpourcetteraisonquejenesortiraijamaisavecungarçoncommelui.Lerisque,j’aidéjàdonné,merci.J’aidéjàessayéd’apprivoiserlegenrebadboy,etçam’avaludemeretrouverenceinteetseuleàdix-septans.

Peu importe que ces gentils garçons soient ennuyeux. Parce que le plan cœur brisé et solitude, jeconnaisdéjà,etjen’aiaucuneintentionderemettreça.

6

TESSA

Après avoir dépenséune fortune en appelant le plombier sur les horaires de nuit, plus le prix desréparations,monbudgetdumoisenaprisuncoup.Ladernièrechoseà faireestbiendeclaquermonargentdansunmorceaudecheese-cakeauxframboisesetauchocolatblanc.Or,c’estexactementpourcelaquejevaislefaire,parcequejen’aieuquedesennuisdernièrement,et,par-dessuslemarché,j’aieutoutuntasderendez-vousannulésausaloncematin.Jeméritedoncvraimentcettetuerieettoutessescalories,etjenecomptepasmesentircoupablepoursipeu.Jenemesentiraipaspluscoupabledelamangeravantd’avoirtouchéàlasaladequiattendsurlecoindelatable.

Bienqu’ilsoitmidi,lecafén’estpasaussibondéquejel’auraiscru.Ilyaquelquesétudiants,chacunassisdevantunordinateurportableouvertdevant lui.Engénéral, jen’aimepasdutoutdéjeunerseule,même s’il est rare que j’aie l’occasionde le faire.D’habitude, j’ai à peine le tempsde souffler, tropaccaparéeque jesuispar leboulot,Haleyou les tâchesquotidiennes,et jepréfèreprofiterpleinementdesraresmomentsdepauseennefaisantabsolumentrien.

Celadit,j’enprofiteraismieuxsijenerestaispasassisesansrienfaire,parceque,chaquefoisquecelam’arrive,jememetssystématiquementàpenseràcequis’estpassécesdernièressemaines–voirecesderniersmois–etjereviensdirectàlacasedépart,mesentanttotalementdébordée.

MêmeaprèsmadiscussionavecCadeendébutdesemaine,aprèsqu’ilm’arassuréesurlefaitquejemedébrouillaisbien,jenelesenstoujourspas.Jemesensperdueetdépasséeparlesévénements,etjenesaispasquoifairepourquecelachange.SiseulementjepouvaisappuyersurleboutonPAUSEde lavie!Sijepouvaistoutfigerpendantunmoment,letempsd’essayerderemettreleschosesenordre.

Laclochettedelaportetintealorsquej’engouffreunenouvellebouchéedemoncheese-caketoutenregardantparlafenêtrelesgensquipassentsurlecampus.JenevienspresqueplusjamaisparicidepuisqueCadeaeusondiplôme,mais,lorsqu’ilétudiaitici,jesuisdevenueaccroauxdessertsqu’onfaitdanscecafé.Ilabeauyavoirunedemi-douzained’endroitsoùl’onpeutdéjeunertrèscorrectementetquiontdesdessertspotablesauxalentoursdusalon,jeneregrettejamaislesdixminutesderoutequ’ilmefautpourvenirici.

–Tess?Uneénormebouchéebrandiedevantmabouchegrandeouverte,prêteàl’engloutir,jesursauteetme

figecommesilapolicedelabouffevenaitm’arrêterpourcausededessertprisenpremier.Maiscen’estpaslapolicedelabouffequisetientdevantmoi;c’estJason,unsourireamuséauxlèvres,etlesyeuxluisortantpresquedesorbitesquandillorgnelegâteausurmafourchette,puismasaladeintacte.

–Oh!çava.J’aieuunesalejournée.Jesuisgrande.J’ailedroitdemangermondessertenpremier,tusais.

Ilsegausseenlevantlesmains.–Jen’airiendit.–Paslapeinededirequoiquecesoit.Tonregardettonrictusparlentpourtoi.

Iltirelachaisedevantmoiets’yassoit,puisposesonsacparterreavantderetirersaveste.–Mauvaisejournée,alors?Qu’est-cequisepasse?Haleyt’adonnédufilàretordre,cematin?Jereposemafourchettepleinedesucresurl’assietteensoupirant.–Non, elle a été super.C’est tout le reste : ce qui s’est passé la semaine dernière, et puis un tas

d’annulationsausalon,cematin.Jereprendsmafourchetteetl’agitedevantsonvisage.–J’avaisvraimentbesoindeça.Voilàpourquoij’aifaitlaroutejusqu’ici.–Une foisdeplus, jen’ai riendit.Mangedonc tondessertenpremier.D’ailleurs, jevais faire la

mêmechose.Jerevienstoutdesuite.Il quitte la table et s’éloigne pour aller commander quelque chose. Se passant unemain dans les

cheveux,illèvelesyeuxverslemenuaffichéenhauteursurlemur,puisilcroiselesbrasens’accoudantaucomptoir.Sondossecourbelorsqu’ilsepencheenavant,laissantapparaîtresesmusclessouslafinechemiseencotonqu’ilporte,et,sansquejelefasseexprès,mesyeuxseposentsursoncul.Untrèsjolicul,d’ailleurs,surtoutdanscejean.Ilbouge,etcelégermouvementmetiredel’espècederêveriedanslaquellejeviensdemelaisseraller.Non?Franchement?Moi,j’étaisentraindematerleculdeJason?Jen’aijamaisfaitçadepuismesquatorzeans,quandj’étaisuneadolescentenaïveetentichéedelui.

Jedétournevivement la têteet fixebêtement l’espacevidedevantmoi.Laconversationd’hiersoiravecPaigeestencoretoutefraîchedansmatête,quandellemedisaitquej’avaisbesoindequelqu’underisqué.

Quelqu’uncommeJason.Ilestl’archétypedugenredemecdontjemesuistenueàdistancedepuisNick.Jenetouchepasaux

mecsdecegenre.Auxmecs irresponsableset insouciants,quionteuplusdeconquêtesqu’iln’yavaitd’étudiantes dans mon école. Il y a des gens que ça ne dérange pas. Ça ne dérange pas Paige, parexemple.C’estmêmetoutàfaitlegenredegarçonqu’ellerecherche,etjenelajugepaspourça.Jesuiscontentequ’ellesoitheureuseainsi.Maismoi, jenepourraispasêtreheureuseavecquelqu’uncommeça–avecunarrangementcommeça.Jenepourraisjamaiscoucheravecquelqu’unsanssentiments.Ilfauttoujoursquemoncœurs’enmêle.

Encemoment,j’aibesoindetoutsaufd’unecomplicationcommeJason.Etc’estexactementcequ’ilserait:unegrande,unegrossecomplication.

J’enaidéjàmoncomptepourlerestantdemesjours.

JASON

Tessestperduedanssespenséesquandjeposemonplateausurlatablepourm’asseoirdevantelle.Elle lèvebrusquement lesyeuxversmoi, et jem’efforcedeme rappelerqu’iln’ya riendemalàça.Noussommesamis.Lesamisdéjeunenttoutletempsensemble.Ilssortent,discutentetmangentensemble,c’esttoutcequ’ilyadeplusnormal.JeleferaisavecAdamouCadesansmêmeyréfléchir.

Sauf que, si je le faisais avec l’un d’eux, je ne sentirais pas une tension dansmon jean quand ilsposeraientleslèvressurunepaillepourboireleurboisson…

Jemeracleunpeulagorge,détournelesyeuxetm’installetoutenessayantderéfléchiràcequejevaismanger.Lesdesserts,cen’estpas tropmon truc (àmoinsqu’ilnes’agissede lécherde lacrème

Chantillysurleventred’unepartenairemotivée).Donc,jenesavaisvraimentpasquoichoisir.J’aijustecommandéautrechosequecequeTessavaitenespérantquecelaluiplaiseaussi.

–Oooh ! tu aspris la crèmebrûlée. Il est superbonaussi, cedessert,mais jen’enprends jamaisparcequejel’aimetrop.

Elledécoupeunmorceauqu’ellemetdanssabouche,etseslèvresserefermentautourdelafourchettetandisquesespaupièressefermentàdemi.Ellepousseunpetitgémissementdeplaisir,et,nomdeDieu,voilàquejebandecommeunâneenunquartdeseconde.

–C’esthyperbon.Ellerouvrelesyeuxetmeregardeenhaussantlessourcilsdevantmonexpression.–Quoi?Jem’ensuismispartout?Elleattrapeuneservietteet s’essuie lescoinsde labouche.Jeviensprèsde rireensongeantàce

qu’elleferaitsi je luiavouaisàquoijepensaisexactement.Elleseraitmortifiée,etpeut-êtremêmeunpeuoffusquée.Depuislebéguinqu’elleaeupourmoiquandelleavaitquatorzeans,ellenem’ajamaisregardéaveclemoindreintérêt.

Jeprendslesandwichquej’aicommandéetluidis:–Non,non,jerêvassais,jepensaisàmescours,toutça.Elleprenduneautrebouchée.–Etalors,commentçasepasse,àcepropos?As-tudécidédecequetuvasfaire,pourtesparents?Finalement,peut-êtreaurais-jedûluidirequej’imaginaismonsexedanssaboucheàlaplacedecette

fourchette,parcequ’alors,aumoins,onn’auraitpasàdiscuterdemonculcoincéentredeuxchaisesetdecetinévitableavenirdontjeneveuxpas.

Je mange une grosse bouchée pour m’éviter d’avoir à dire grand-chose, me contentant d’unhaussementd’épaulesetd’un:

–Queveux-tuquejefasse?Ilsnechangerontpasd’avis.Ellemefixeenplissantlesyeux.–Jetrouvequetucapitulesbienvitedevanteux,pourquelqu’und’obstinécommetoi.–Commentveux-tuquejemebatte,Tess?Àmoinsdevouloirmefaire jeterdéfinitivementdema

famille…Ellesecouelatête.–Non,ilsneferaientpasça,dit-elledoucement.–Ohquesi!Ettulesaistrèsbien.S’ilsontacceptéquej’entredanscetteécole,c’estuniquement

parcequemongrand-pèreavaitpayélapremièreannée.Quandilestmort,ilssesontditqueçaneferaitpas très sérieuxdeme fairechangerd’établissementune foisdeplus.Et ilsm’ont fichu lapaixparcequ’ilssavaientqu’auboutducompte,ilsauraientcequ’ilsvoulaient:memettreàlatêtedelaboîte.Etlà-dessus,ilsnecéderontpas.Ilvautencoremieuxnepasavoirdefilsqu’enavoirunquivousdéçoitenn’ayantpasunsuperjob–dumoins,àleursyeux.

J’attrapequelques fritesethausse lesépaulesd’unairdétaché,alorsque jene le suispasdu tout.J’essaiedesauver lesapparences,mais,enréalité, j’espèreencorequ’uneétincelledecompréhensionjaillirachezmesparents,merappelantunpeuletempsd’avantlamortdemongrand-père.Jenesuispascertaind’êtreencoreprêtàlesenvoyerbalader,mêmesieuxlesont.

Nous continuons de manger sans rien dire. Je me rends compte que je n’avais jamais remarquécombiennoussommesàl’aiseensemble.Mêmeavantquecetteattirancenecommencedemoncôté,nousavonstoujourspupasserdutempstranquillement,touslesdeux,enparlantounon.Jesuissortiavecplus

defillesquejenesauraiscompter,et,mêmesiellesn’étaientlàquepourlefun,çan’ajamaisétéaussisimplequ’avecTessa.

Unefoissasaladepresqueterminée,ellereprendladiscussion:–SituneveuxpasêtrePDGouchefouDieusaitcequetonpèreveut,tun’asqu’àleleurdire.Parle-

leur.Ilstesurprendrontpeut-être.–Non, ils neme surprendront pas, Tess. Et tu sais comment je le sais ? Parce que ça va être un

remakedemonentréeenseconde,quandjevoulaisintégrerleclubdewebdesignetqu’ilsnevoulaientpassignerlespapiers.Aulieudeça,ilsm’ontforcéàparticiperauconseildesélèves.

Sesyeuxs’écarquillentetellecessedepicorersasalade.–Ahbon?Jecroyaisquec’étaittonidée.Tuavaisl’aird’adorerça.– Bien sûr, parce qu’à seize ans, j’allais peut-être raconter à tout le monde que mes parents me

manipulaientcommeunemarionnette?Voilàpourquoijefaisaiscommesiçameplaisait.–Bref,c’estdupassé.Leurréactionseraitpeut-êtredifférente,aujourd’hui.Mais, à en juger par les mots employés par mon père lors de son ultimatum, à son opinion sur

l’«écolededessin»quejefréquente,jesaisquecetespoirestvain.Monaveniradéjàététracépourmoi,quecelameplaiseounon.Etaucunenégociationnedéboucherasurunquelconquechangement.

7

JASON

J’aibeausavoircommentsetermineralaconversationavantmêmedel’avoirentamée,j’essaiequandmême. Les paroles de Tessa me reviennent sans cesse en tête depuis notre déjeuner d’hier, et je neparvienspasàleschasser.Voilàpourquoijemeretrouvedansl’immeubletape-à-l’œildemonpère,àmarcherdanssescouloirssouslesregardsetlessouriresunpeuforcéstandisquejemedirigeverssonbureau.

–Bonjour,Jason,meditlaréceptionnisteensouriant.Elle est blonde, bientôt la trentaine, à mon avis, et constitue sûrement l’une des raisons pour

lesquellesmonpèrepassebeaucoupdesessoiréesiciplutôtqu’àlamaison.–Votrepèren’apasderendez-vousencemoment.Jevaisjustel’appelerpourm’assurerqu’ilpeut

vousrecevoir.–Merci.Elle prend le téléphone et l’appelle. Pendant ce temps, une main dans la poche de mon jean, je

regardel’espaceautourdemoi,avectoussesartificessuperflus.Commedanslamaisondemesparents.Unedébauchedesignesextérieursderichesse.Envoyantcela,personnenepeutdouterqu’ilssefassentunmaximumdepognon.

–Vouspouvezyaller,ditlaréceptionniste,metirantdemespensées.Parici.D’ungeste,ellemedésignelecouloirmenantsurlaporteferméedubureaudemonpère.Jeneprendspas lapeinede frapperavantd’entrer. Il est assisderrière sonbureau,dosauxbaies

vitréesallantdusolauplafondetsurlesquellessedétachentsesépaulescarréesdanssoncostumegris.–Jason,dit-ilenmeregardantdelatêteauxpieds,letempsqu’ilfautpourmemettremalàl’aise,

avantdebaisserlesyeuxverslespapiersdevantlui.Laprochainefoisquetuviensici,tâchedemettrequelquechosed’unpeuplusprésentablequ’unjeanetuntee-shirt.Onn’estpasaugymnase.

–Contentdetevoir,moiaussi,dis-jeenrefermantlaportederrièremoi.Jem’installedanslefauteuilenfacedesonbureau.–Quepuis-jefairepourtoi?demande-t-il.J’aiuneréuniondansdixminutes.–Alors,j’iraidroitaubut.Onsaittouslesdeuxquetravaillericin’estpasvraimentcequej’aurais

souhaité,maistunemelaissespastroplechoix.Sondosseredressetandisquesonregardsedurcit.–Ilmesemblequenousenavonsfaitbeaucoupplusquenepastelaissertroplechoix.Noust’avons

laisséallerdanscettefichueécoled’art,malgrétouslesproblèmesquecelafiniraitforcémentparposeraubout du compte– le bout du compte étantmaintenant, quand ilm’a fallu convaincre le servicedesadmissionsdetedonneraccèsaumasterd’architecturesanslemoindreélémentdanstonportfolio.

Unpetitriresansjoiem’échappedevantsafaçonderéécrirel’histoire.–Vousnem’avezpaslaisséyaller.C’estgrand-pèrequiapayépourça,et,aprèssamort,vousavez

justefaitavecpoursauverlesapparencesdevantvosamis.Qu’aurait-onpenséd’unétudiantquichange

d’établissementtroisfoisdesuite,hein?Cen’estpaslegenredelamaisonMontgomery.Je fermeun instant lespaupièreset inspireà fond,essayantdememaîtriser. Iln’ya jamaismoyen

d’avoiruneconversationnormaleaveclui.–Maiscen’estpaspourçaquejesuisvenutevoir.Jesuisvenupourparlerdecequej’aienviede

fairequandjecommenceraiàtravaillerici.–Tuferascequejefais.Jet’aidéjàpréparéleterrain.Situcontinues,tun’aurasàt’inquiéterderien.–Cen’estpascequejeveuxdire.–Ehbien,viens-enauxfaits.Tuasseptminutes,dit-ilentapotantlecadrandesaRolex.Jedéglutiset le regardebienen face,quoiquesonattentionseconcentredavantagesur lespapiers

devantluiquesurmoi.–JeveuxrecréerlaFondationEliseMontgomery.Sonstylosefigeau-dessusdelafeuillesurlaquelleilprenaitdesnotes,seulsignequ’ilmedonne

attestantqu’ilm’aentendu.Jepoursuis:– Jeprendraiquandmême taplace, je ferai ceque tuveuxque je fasse ici,mais jeveuxque l’on

recommencelafondation.Etjeveuxladiriger.Lentement, calmement, il pose son stylo et s’adosse dans son fauteuil, les deux bras posés sur les

accoudoirs,toutenlissantsacravateetenmedévisageant.–Tuveuxressusciteruneassociationàbutnonlucratifquej’aidissouteilyamoinsdetroisans.–Oui.Il semetsoudainà rire–unsonque jenemesouvienspasd’avoirentendudepuis longtemps–et

secouelatête.–Non.Commeça.Non.Ilnemedemandepaspourquoijeveuxlarecréer,ilnemelaissepasletempsdelui

direquecetteinitiativemedonneraitunbut,mepermettraitdedigérertouteslessaloperiesqu’ilafaitesdanscetteboîte,parcequecelavoudraitdirequejesuiscapabledeluidonnertort.Celavoudraitdirequejeseraiscapablederedonnervieàl’héritagedemongrand-père.Héritagequemonpèreapiétinéallègrement.

Ilsepencheenavantetposelescoudessursonbureau,lesmainsjointes,enmefixant.–Jesaisquetongrand-pèreet toiaviezdegrandsprojetsàcesujet.Depuisqu’ilavait lancécette

fondation, vous ne parliez que de ça ensemble, vous y passiez tout votre temps,même quand tu étaisgamin.Tuallais avec lui sur les chantiersdeconstructionet tumettais lesmainsdans le cambouis enfaisantleboulotpourlequelonpayenormalementdesgens.Vousavezétéfaibles,touslesdeux,quandlemomentestvenudefairecequ’ilfallaitpourqueleschosesavancent.

Cequiveutdire,pour lui,ne jamaisperdrede temps,etencoremoinsd’argent,àaiderdesmoinschanceuxquelui.

–Malheureusement, il se trouveque tues leseulMontgomeryàpouvoir tepositionnerà la têtedecette entreprise quand je prendrai ma retraite. Je ne te laisserai pas entrer ici et prendre la tête desaffairesquetongrand-pèrealancéesmaismalgéréesàcausedecettefoutuefondationquipompaittouslesbénéfices,etrisquerdelavoirs’effondreralorsquej’enaienfinfaitquelquechose.Alorsquelesfinances sont enfin florissantes. Et puis, on a des partenaires qui auraient leur mot à dire. Et ilsn’approuverontjamais.

Ildéclaretoutcelaavecuntelairdesatisfactionetd’arrogancequejedoisserrerlesmainssurlesaccoudoirsdemonfauteuilpourmeretenirdefaireungestequejepourraisregretter–oupas.Histoired’effacercetteexpressiondesuffisancedesonvisage.Avecmespoings.

Ilregardesamontre.–Ilestl’heure.Tuavaisterminé?Iln’attendpasmaréponseetselèvepourallerouvrirgrandlaportedevantmoi.Langagecorporel

détendu,souriredécontracté.Montrantàtoutlemondedel’autrecôtédelaportequetoutvaparfaitementbiendansnotrepetitefamille.

– Merci de ta visite. On se voit pour dîner, la semaine prochaine, dit-il assez fort pour que lesquelquesemployéspassantdanslecouloirpuissentl’entendre.

Ilsm’offrentlesmêmessouriresforcésqu’àmonarrivée.J’adresseàmontourunpetitsourireàlaréceptionnisteethochelatêtequandellemeditaurevoiravecunsignedelamain,puismevoilàdevantl’ascenseur, àenfoncercommeunmalade leboutond’appelpourquecet ascenseurarriveetme fassesortird’icileplusvitepossible.

Jenesaispaspourquoi jemefaissubir toutça.Pourquoi jene leurdispasd’allersefairefoutre,pourfairecequimeplaît.D’accord,jen’auraisplusl’argentqu’ilsmedonnenttouslesmoispourvivreconfortablement. Il faudrait que j’emménage ailleurs, que je trouve un boulot très rapidement,mais jepourrais. S’il le fallait, je pourrais. Tous les étés, j’ai travaillé dans la même agence de web et degraphisme, et je suis presque sûr qu’ils seraient prêts à m’embaucher. À un poste plutôt modeste,probablement,maisaumoinsjepourraismettreàprofitmesétudesdewebdesignetdemediainteractif.Jeseraisdansledomainequim’intéresse.Etjenetravailleraispaspourlecompted’unsombreconnardquifaitpasserlefricavanttoutlerestedanslavie.

Mesyeuxseposentsurlemurprèsdel’ascenseur,oùtrôneunvieuxportraitdemongrand-père;sonregarddouxsemblemetranspercer.Etlà,jesaispourquoijenelesenvoiepastouspromenerpourmenermaproprevie.Parceque,malgré tous lescoupsqu’ilsm’ont faits, tous leseffortsque jedois fournirpouravoiruneonced’encouragement, ils’agitdemafamille, laseulequej’aie,malheureusement.Lesmots de grand-père, des mots qu’il répétait souvent, résonnent dans ma tête tandis que j’entre dansl’ascenseuretappuiesurleboutondurez-de-chaussée.Lafamille,c’estcequ’ilyadeplusimportant.Nelalaissejamaistomber.

Ces mots me suivent jusqu’à ma voiture, eux qui font partie de moi depuis mes tout premierssouvenirs.Etcesontencorecesmotsquimemotiventàpersévérer.Peut-êtrequ’unjour,jeparviendraiàconvaincremonpèredefairerenaîtrelafondation.Peut-êtrequ’ilvaréfléchiretqu’ilcomprendramonpointdevue.Peut-être.

8

JASON

Cettefillerittropfort,savoixesttrophautperchée,toutesonattitudeest…insupportable.Peuaprèsquemesamisetmoisommesarrivésici,elles’estfrayéunchemindanslafouleetaréussi,minederien,à s’incruster dans notre groupe. Sauf qu’elle ne risque vraiment pas de passer pour un mec venu làtranquillementpourregarderlematch.Pasavecsarobeultra-moulanteetsescuissardesàtalonsaiguillestellementpointusqu’ilsfontpeur.Pasavecses lèvresrougevifetsesyeuxtropcharbonneux.Ellefaitsemblantdes’intéresserauxdiscussionssurquivabattrequiaumatchdedimanche,maisellen’yconnaîtrien,etsesyeuxnecessentderevenirversmoi,s’attardantsurmontorseouplusbas.Onpeutdirequesesintentionssontclairesetqu’ellen’apasfroidauxyeux,celle-là.

Jedevraisenprofiter.Jedevraisréfléchiràlafaçondontjevaislaramenerchezmoi,surtoutaprèsladiscussionquej’aieuetoutà l’heureavecmonpèreetquim’amisd’unehumeurmassacrante.SurtoutaprèslaconversationavecCadeausujetdeTessa.Or,laseulechosequim’attireestcecoupleassissurles banquettes basses, au fond de la salle. Chaque fois que je les regarde, je ressens une espèce detiraillementbizarredansleventre,quimemetmalàl’aise.Ilmefautquelquesminutespourcomprendrequec’estde la jalousie–unsentimentque jen’ai jamaiséprouvéausujetd’unefillede toutemavie,honnêtement.Cesentimentestinvolontaireettoutàfaitmalvenu.Etjenesaispasquoienfaire.

J’aitoutdesuiterepéréTessa–commentaurait-ilpuenêtreautrement?Àladifférencedelablondeàcôtédemoi,Tessaestclasseetsexysansavoirbesoind’enfairedestonnes.Unsourireunpeuforcésurleslèvres,elleestassiseenfaced’untypequial’airtropvieuxpourelle.Unvêtementrougevifeténervantcouvrelespartiesstratégiquesdesoncorps(lespartiesdontj’aieuunaperçuinvolontairelesoiroùletuyauaéclaté),etjemesenscommeuneenvied’allermettremonpoingdanslafiguredugarsquialachancedepouvoirlaregardertoutelasoirée…etpeut-êtredelaserrercontreluiplustard.

Immédiatement,j’aienviedememettreunpoingdanslafiguredepensercela.Tessan’estpasàmoi,enaucunemanière.Ellenel’ajamaisétéetneleserajamais(surtoutsisonfrèreasonmotàdiredansl’histoire).Alors, qu’est-ce que ça peutme faire qu’elle sorte avec un type sympa,même s’il a l’airaffreusementennuyeux?

Mêmeconscientdetoutcela,jenepeuxpasm’empêcherdelesregarderrégulièrement.Elleal’airdes’ennuyerferme;sesyeuxnecessentderegarderautourd’elleouendirectiondelapistededanse.Elleadoredanser–elleatoujoursaiméça–etilestévidentqu’elleaimeraityallercesoir,maiscetabrutinelevoitmêmepas.Ilestlà,assisenfacedecepetitcanon(unefemmequivauttellementmieuxqueluiqu’ilnedevraitmêmepasavoirledroitderespirerlemêmeairqu’elle),etilnefaitmêmepasattentionauxsignauxqu’elleenvoie.

QuandlaserveuseposeuntroisièmeverredevindevantTessa,jenetiensplusetsorsdemacachette.Je veuxm’assurer que tout va bien, qu’elle rentrera chez elle en toute sécurité, ne serait-ce que pourhonorer lapromesseque j’ai faiteàCade.Celan’a rienàvoiravec lesentiment involontairequim’aenvahiteluncancer.

Avantdemedirigervers lecouplemalassorti, jedonneàJustinunepetite tapedans ledosen luidisantquejevaisvoirquelqu’unquejeconnaisetquejerevienstoutdesuite.Lamouequefaitlablondeenmevoyantm’éloignernem’échappepas,maiscen’estpascequirisquedemeretenir.

LesyeuxdeTessas’écarquillent lorsqu’ellemevoitapprocher.Elle regarde furtivement lemecenfaced’elleensetortillantunpeusursonsiège.

–Hello,dis-jeenarrivantàleurtable.–Salut.Sesyeuxseposentànouveausurletype,tandisquelesmiensrestentrivéssurelle.–Euh,Jason,jeteprésenteGreg.Jeregardeenfinletype,lejaugerapidementetmedemandesic’estvraimentlegenred’hommequi

plaîtàTessa.Parceque,sic’est lecas, jesuishors jeu.Ilestmaigrichon,avecdesbrasquisemblentperdus dans les manches de son pull. Des lunettes à monture métallique sont perchées sur un nezparfaitementdroit.Cegenredetypenepeutpassebattre.Sescheveuxsontsoigneusementpeignés,etjenotequ’ilboitunverredevin.Évidemment.

Ilselèveàdemietmetendlamain.–Ah!lefameuxJason.LefaitqueTessa luiaitparlédemoimedéconcerte. Je la regardeenhaussantunsourcil.Elleme

rendbrièvementmonregardet,sijenelaconnaissaispasdepuisaussilongtemps,jepasseraisàcôtédelafaçondontellemordillesononglesanssoutenirmonregard.Maisjeremarquelesdeux,etcomprendsqu’elleestmalàl’aise.Gregneremarquerien,lui,etcontinue:

–Enchanté.Ilparaîtsympathique,sonsourireestfranc,etjesuisfrappéparlefaitqu’ilnemeperçoitpascomme

unrival.Dutout.Rienquepourça,jeserresamainplusfortquenécessaireetluiadresseunsourireunpeuforcé.J’ai

quandmêmeenviequ’ilmeconsidèrecommeunrival.–Oui,moiaussi.Gregserassoit,etTessmedemande:–Tuesdesortieavectespotes?–Oui.Je jette un regard vers eux par-dessus mon épaule et aperçois la blonde, maintenant penchée sur

Justin.Roulantlesyeux,jevoisqueTessaaleregardbraquélàoùétaientlesmiensl’instantd’avant.–Ondiraitquetoncoupdecesoirachangédecible.Jeladévisageenhaussantlessourcils.–Ehbien,onm’espionne,Tess?Je ressensunepetite satisfactionenpensantque,mêmeenétant ici avecunautregarçon,elleade

touteévidencegardéunœilsurmoi.Etjefrémisàl’idéequ’elleaitsuquejeseraisiciavantmêmequej’arrive.

Maquestion lametmalà l’aise ;ellebougeunpeusursonsiègeetboitunegorgéedevin toutensecouantlatête.Elleneditriendeplus,etletypenecessedeseraclerlagorgecommes’ilvoulaitquejedégageauplusvite,maisilesttroppolipourledire.

Ehbien,s’ilveutquejedégage,iln’aqu’àavoirassezdecouillespourledemander.Aulieud’êtregentlemanetdeleslaisser,jelance:

–Vousnedansezpas?Ellerelèvevivementlatête,tandisquesesjouesrosissent.–Quoi?Oh!Non…,jene…–Tuvoulaisdanser?demandeGreg,leregardoscillantentreelleetlesgenssurlapiste.Desgensquidoiventfacilementavoirdixansdemoinsquelui,ilmesemble.–Onpeut…Visiblementpeumotivéparcetteperspective,ilneterminepassaphrase.Ellesecouelatêteavecunpetitgestedelamaintoutenmefusillantduregard.–Non,merci,c’estgentil,maisjenesaispassijetiendraislongtempsavecceschaussures,detoute

façon.Jebaisselesyeuxsurlacourbedesesmolletsfuseléspourvoirleschaussuresdontelleparle.C’est

legenredechaussuresqueporteunefillequandelleespèreneplusavoirqueçasurelleà lafindelasoirée.Serrantlesdentsàcetteidée,jemedisquec’estpeut-êtrel’occasionrêvéededonneràcetypeunebonneraisondemeconsidérercommeunrival.

–Cen’estpasunedansequitetuera.Allez,viens.JelanceunregardàGreg.–Vouspermettez?Je n’attends pas qu’il me réponde pour poserma bière sur la table et prendre la main de Tessa,

l’invitantàselever.–Non,écoute,jeneveuxpas…–Enquinzeans,jenet’aijamaisvuemanqueruneoccasiondedanser.Jebalanceçaaupassage,questionde rappeleràGreg l’historiqueque j’aiavecelle,parceque je

peuxaussiêtrecon.–Viensdonc.Çaneledérangepas,dis-jeavecunpetitsignedetêteversluisanslaquitterdesyeux

pourautant.–Non,non,biensûr,dit-il.Allez-y,amusez-vous.Sesparolesparaissentsincères,etjemerendscomptequej’aiencoredupainsurlaplanche,parce

quetoutcelanesembleaucunementleperturber.GardantlamaindeTessadanslamienne,jel’entraîneverslamassedescorpsondulantaurythmede

la musique qui ébranle les enceintes. C’est bondé, ce soir, comme presque tous les vendredis, et jecomptebientireravantagedelasituation.Ellepousseunpetitcouinementquandjel’attireplusprèsdemoienpassantunbrasdanssondospourlaserrer.Jenedevraispasfaireça.Jedevraismeconduireenami,cequejesuis,ettenircomptedel’avertissementdeCade.JedevraisrespecterlefaitqueTessaestvenueiciavecunhomme,mêmes’ilal’aird’unennuimortel.Seulement,jenepeuxpasm’enempêcher.Etencoremoinsmaintenantquejesenssoncorpscontrelemien,descuissesjusqu’àlapoitrine,avectoutcequ’ilyaaumilieu.

–Jason…Lamusiqueestforteicietjedevineplusmonnomsurseslèvresquejenel’entends.Sesmainssont

poséessurmapoitrine,et,alorsquejebougedéjàaurythmedelamusique,Tessaestencoreimmobile.Jemepencheetluiparleaucreuxdel’oreillepourqu’ellepuissem’entendremalgrélebruit.– Allez, Tess. Je ne t’ai jamais vue louper une danse. Juste unmorceau. Ce n’est pas le bout du

monde.

Elle reste figée quelques instants de plus, puis semet enfin à bouger. Ses hanches commencent àondulersousmesmains,etjedoisfourniruneffortmonstrueuxpourmeretenirdelaserrerplusfort,plusprèsdemoi,delaplaquercontremonsexedurci.J’aidéjàassezdemalàdanseravecelledanscetétat,sansparlerdufaitquesonprétendantnousregardeàtroismètresdelà.

Il ne lui faut pas bien longtemps pour se laisser aller et s’abandonner à la musique. Ses yeux seferment,sesmouvementssefontplusfluides.Colléeàmoid’unemanièrequimerendencoreplusfoud’unesecondeàl’autre,ellerouleleshanches.Puiselleseretourne,metournantmaintenantledos,lesbraslevésau-dessusdelatête,oublianttoutsauflamusiquequil’entoure.

Unpeuhésitant,jeposelesmainssurseshanches,attentifàlaisserunpeud’espaceentrenous;ilnemanqueraitplusquesonfessierviennesefrottercontremamonumentaleérection.Mais jenepeuxpasm’empêcherd’imaginercommentceseraitsiellefaisaitçapourmoi.Rienquepourmoi.Endansantdansl’intimitédesachambre,faisantunstrip-tease,peut-être.Jememaudisenmêmetempsdevoirleniveaudemespenséeschaquefoisquejesuisavecelle.

Plus nous dansons, plus elle reste ici avec moi – une chanson, puis deux, puis trois – et plus jem’irriteàl’idéequ’elleaitunrencardaveccegenredetype.Illuifautquelqu’unquipuissefaireçaavecelle.Qui ne soit pas coincé et ose l’emmener directement sur la piste (parcequ’il voit dans ses yeuxqu’elleenaenvie,parcequ’ilsaitquecelaluiferaplaisir).Quelqu’unquil’emmèneradansdesendroitsqu’elleaime,quilaferarireavecdesblaguesidiotes,quicommanderaundessertdontiln’apasenvie,justepourqu’ellepuisseygoûter.

Jemefigesoudain intérieurement,prenantconscienceque jeviens justedemedécrire.EtsiTessaméritecertainementmieuxquequelqu’uncommeGreg,ilestclairqu’ellemériteaussiquelqu’undecentfoismieuxquemoi.

Etplustôtjememettraiçadanslecrâne,mieuxcesera.

TESSA

Laculpabilitéme tenaille l’estomac.Sérieusement.Et jenesaismêmepaspourquoi.Jenedevraispasmesentircoupable.Iln’yaaucuneraisonàça,etpourtant,depuiscescinqminutestrèsgênantesoùJasonestapparuànotretableetlebonquartd’heurequenousavonspassésurlapiste,lenœuddansleventreestbeletbienlà,indélogeable,incontournable.

Puis,enplusdelaculpabilité,lajalousies’enestmêléealorsquejeleregardaisretourneravecsesamis,aveclablondequiadélaissétouslesautrespourseconcentrersurJasondèsqu’ilestrevenu.Ilabeaunepasavoireul’airsensibleàsesavances,nejamaisl’avoirtouchée,lefaitqu’ilpuisselefaires’illevoulaitm’amisedansunétatpeuagréable.

Ébranlantaupassagetoutesmesconvictions,mesrésolutions.Jasonestl’exempleparfaitdel’opposédecequejecherchechezunhomme–legenred’hommeavec

quijevoudraisfairemavie,entoutcas.Legenred’hommequis’intégreraparfaitementàmavieetcelledeHaley.Ilestirresponsable,imprévisible,instable.C’estunbadboy,etjen’aiaucuneillusionsurlefaitdepouvoirenfairequelqu’undebien.

Jem’efforcederecentrermonattentionsurceluiquim’accompagne,celuiquiatoutbonsurlepapier.

C’est la deuxième fois quenous sortons ensemble, et jeme souviensmaintenant pourquoi ilm’a fallutroissemainespourluifixerunsecondrendez-vous.Ilesttrèsgentil, ilestséduisant(pourquiaimelelookclassique, styleRalphLauren),mais, comme je l’ai dit àPaige, il neme fait aucuneffet.Pasdepapillonsdansleventre.Pasd’excitationenmedemandants’ilvam’embrasserounon.Pasdefrissonsquandsesmainseffleurentl’arrièredemesbras.Rien.

Rienàvoiraveccequim’atraverséependantlesquelquesminutesoùjedansaisavecJason.Seulement,Greg,àladifférencedeJason,estlegenred’hommequejecherche.Ilvientd’avoirtrente

ans,ilchercheàs’installer,etilsembleêtreassezemballéquandjeluiparledeHaley,bienqu’ilnel’aitpasencorerencontrée.Ilaunbonboulot:orthodontiste.Saufqu’aulieudepenseràsagentillesse,àsonintelligence, je n’ai cessé de me demander ce qu’il pouvait penser de mes dents. Sont-elles assezblanches?Assezdroites?Peut-ildevinerque jen’aipasportémonappareildentaire toutes lesnuitscommej’auraisdûlefairequandonm’aenlevémesbagues?S’attend-ilàcequej’utilisedufildentairetouslessoirs?JememetsalorsàpenseràcequePaigem’aditdesonderniermec; j’imaginedufildentaireusagésurmonlavabo,etlà,c’estmort.

–Pardond’abrégerlasoirée,maisj’aieuunesemaineassezdureauboulotetjesuisunpeufatiguée.Çanetedérangepassionyva?

–Biensûr,pasdeproblème.Ilselèveetcherchemonmanteau.–Tiens,laisse-moit’aider.Ilest toujoursgalant ; ilm’aideàsortirde lavoiture,m’ouvre lesportes,metiremachaise.C’est

biencequejeveux,non?C’estexactementcegenred’hommequejerecherche.Mais s’il est tout ce que recherche, comment se fait-il que je ne ressente pas lemoindre début de

frissonquandjesuisprèsdelui?Etpourquoiest-cequej'enressensautantquandjescrutel’autreboutdelasalle,cherchantJasondu

regard,regardquejetrouveaussibraquésurmoi?LespapillonsquimemanquenttellementenprésencedeGregsemanifestentalorssubitementetsèmentlapagailledansmonventre.

Enunclind’œil.Unclind’œildumauvaishomme.

9

TESSA

Jetournelaclédanslecontactunefoisencore.–Allez,démarre!Rienàfaire.Jen’aiqu’unpetitcliquètementpourtouteréponseettapeungrandcoupsurlevolant.–Putain!–C’estungrosmot,maman!s’exclameHaleydepuislabanquettearrière.Jefermelesyeuxetappuiemonfrontsurlevolantencomptantàreboursàpartirdedix.Lestuilesme

tombent dessus l’une après l’autre, et je commence à perdre pied. Il faut vraiment que ça s’arrête.Lorsquemon décompte arrive à zéro – sans avoir suffi àme calmer –, j’inspire à fond et essaie dem’exprimeraussicalmementquepossible:

–Jesais,mapuce.Pardon.Jedétachemaceinturedesécurité,sorsdelavoitureetvaisouvrirlaportièredeHaley.–Viens,onrentre.Mamanvadevoirtéléphonerpourquequelqu’unréparelavoiture.–Etl’école,alors?–Jecroisquetuvasmanquerl’école,aujourd’hui.Jevaisappelerpourprévenir.–Est-cequ’onpeutmanquermissMelindaaussietfaireunejournéepyjama?Pleinsd’espoir,sesgrandsyeuxbrunsscrutentmonvisage.Jeréfléchisrapidementàmonagendade

lajournée,essayantdedéterminersijepeuxannulermesrendez-vousounon.Lajournéen’estpastrèschargée;Brenda,laréceptionniste,devraitfacilementpouvoirdéplacermesrendez-vous.

–Onverra,dis-je,n’osantpasencorem’engager.Dèsquenoussommesderetouràl’intérieur,jel’installeavecunlivredecoloriageetdescrayons,et

j’attrapemon téléphone enme demandant ce que je vais faire. En temps normal, j’appellerais Jason.Mais,aprèslasoiréedevendredi,lasituationestdifférente.Bizarre.Tendue.Nousnenoussommespasparlédepuisquenousnoussommesquittéssurlapistededanseetqu’ilestretournéavecsesamis,tandisque je rejoignais Greg. C’est un fait hautement inhabituel pour nous. Je préfère ne pas penser àl’importancequesacompagnieaprisepourmoietauplaisirquej’ytrouve.

Etjeveuxencoremoinspenseràlafaçondontmoncorpss’estlittéralementaniméquandilétaitserrécontremoi,surlapiste.

Malheureusement, la seule autre personne sur laquelle je puisse compter ici – Paige – en connaîtencoremoins quemoi enmatière de voiture. À contrecœur, je compose donc le numéro de Jason etattendsquelquesinstantsavantquesavoixprofondeneréponde.

–Salut.–Salut…L’hésitationdansmavoixdoitêtreévidente,carildemandetoutdesuite:–Qu’est-cequisepasse?Jepousseunlongsoupir.

–Jenesaispastrop.Mavoiturenedémarrepas.Commeilyajusteunpetitclicquandjetournelecontact,jenecroispasquecesoitlabatterie,maisjenesaispas.Tut’yconnaisunpeu,envoitures?

–Jepeuxtoujoursjeterunœil.J’arrivetoutdesuite.Uncoupd’œilvers lapendulem’indiquequ’ilestunpeuplusdehuitheures.Jemesouviensqu’il

m’avaitditavoirdescoursdebonneheurepresquetouslesjours,cesemestre.–Tun’aspascours?Aulieuderépondreàmaquestion,ilmedit:–Àtoutdesuite.Enattendantqu’ilarrive,jetéléphoneàl’accueilpériscolairedeHaleypourlesprévenirqu’ellene

viendrapasaujourd’hui.J’attendsavantdeprendred’autresdispositions,espérantqueJasonpourrafairedémarrermavoiturequandilseralà.Sic’estlecas,j’arriveraipeut-êtreautravailàl’heureetjepourraidéposerHaleyenchemin.

Àpeinedixminutesplustard,j’entendsunevoituresegarerdehors.–Haley,mamansortuninstantpourvoirsiJasonarriveàdémarrerlavoiture.Jerevienstoutdesuite.–D’acc’,dit-ellesansreleverlesyeuxdesoncahierdecoloriage.J’attrapemonmanteau,ouvrelaporteetsorsenenfilantlesmanchessurlechemin.Lorsquej’arriveà

mavoiture,Jasonadéjàouvertlecapotetilregardedanslemoteur,tripotantjenesaisquelstrucs.–Coucou,mercid’êtrevenu.Ilmeregardepar-dessussonépaule;sesyeuxseposentlentementsurmoncorps,et,commevendredi

soir,jesenstousmessenss’allumeràcesimplecontactvisuel.–Jet’enprie.Donc,tuasjusteunpetitclic,c’estça?–Oui,ellenedémarrepasdutout.De nouveau concentré sur le moteur, il se racle la gorge. Après quelques minutes à le regarder

bidouillerdifférentespartiesdel’engin,jescrutel’expressiondesonvisageetlesgestesdesesmains.–Enfait,tunesaispasdutoutcequetufais,jemetrompe?Ilmeregardeenbiaisavecunpetitsourire.–Jesuissitransparentqueça?–Probablementpaspourlaplupartdesgens,dis-jeenriant,maisjeteconnaisdepuisunmoment.–Ouaip.Son regard soutient lemienquelques instants, jusqu’à ceque je détourne les yeux. Il s’éclaircit la

voix,puisrefermelecapot.– Écoute, je ne sais pas trop quel est le problème, mais je peux appeler mon mécanicien et lui

demandercequ’ilenpense.–Tuasunmécanicien?Ilroulelesyeux.–Mesparentsenontun.–Tesparentsontleurpropremécanicien?–Ilsonttout.DepuistoutescesannéesquejeconnaisJason,jen’airencontrésesparentsquedeuxfois.Quandles

garçonsétaientencoreaucollègeetaulycée,Jasonpassaitbeaucoupdetempscheznouss’iln’étaitpasavec son grand-père. En revanche, je ne me souviens pas que Cade soit allé très souvent chez lui.L’impressionqu’ilmerested’euxestcelledeparentstotalementélitistes,et,commeJasonestpersuadé

qu’ilsnerenoncerontpasàleursprojetsd’avenirpourlui,quoiqu’ilenpense,celanefaitqueconfirmercette impression.Commentdesgenscommeeuxont-ilspuengendrerun filsaussicoolet intègre,celaresteunmystèrepourmoi.Leplustriste,c’estqu’ilssontsûrementdéçusdel’hommequ’ilestdevenu.

Jeréalisealorsque,n’ayantpasdiscutéavecluidepuisplusieurs jours, jenesaispasoùenestsasituation.

–Aufait,as-tudécidédefairequelquechose?Deparleravectesparents?–Dequoi?–Detonhistoired’études,deboulot,toutça…Ilrit,maisc’estunriresansjoie.–Ehbien,oui.Jesuisalléparleràmonpère.Jeluiaiditquejepourraisavalerlapiluledetravailler

là-bas,àconditionqu’ilrecréelafondationEliseMontgomery.–Cellequetongrand-pèreavaitcréée?Leslogementspourlesfamillesmodestes?–Ouaip,fait-il.Etilm’arépondu…,bon,engros,quec’étaitnon.–Commeça,c’esttout?Ilneretientmêmepasl’idée?–Dutout.Etsesassociésirontdanslemêmesens.Tucomprends,cen’estpasbonpourlescomptes,

dedilapiderainsilesbénéfices.Donc,nonseulementjen’obtienspaslaseulechosequiaitjamaisvalulecoupdanscetteboîte,maisjemeretrouvetoujourscoincélà-bas,puisquejesuisleseulMontgomeryqu’ilresteaprèsmonpère.

Laraideurdesesépaulesetladuretédesonintonationconfirmentcequejesaisdéjà:iln’aaucuneenviedeça.

–Pourquoi les laisses-tu te faire ça ? Pourquoi ne les envoies-tu pas balader pour faire ce qui teplaît?

–Ilsontuneidéebienprécisedelapersonnequejedoisêtre,queçameplaiseounon.–Mais tu n’es pas du genre à te plier à quelque chose qui ne te convient pas.Tu n’as jamais été

commeça.–Saufquandçalesconcerne.–Maispourquoi?J’insiste,parcequejesuisvraimentétonnée.QuandJasonn’apasenviedefairequelquechose,ilne

lefaitpas.Ilenatoujoursétéainsi.–Là,jenecomprendspas.–Mongrand-pèrem’a toujoursditdenepasabandonnersa famille. Jemedis tout le tempsqu’ils

finirontpeut-êtreparchanger.Ilhausselesépaules,commesicen’étaitpassigravepourlui,maisjesaisqueçal’est.–Sijereculaislà-dessus,ilsmejetteraientdeleurviepourdebon.Delafamille.Et,mêmesicesont

desparentsnuls,cesontquandmêmemesparentsnuls,etc’esttoutcequej’aidanslavie.Fronçantlessourcils,jetiredoucementlamanchedesaveste.–Tun’aspasqu’euxdanslavie,Jason.Onn’estpeut-êtrepasdumêmesang,maistuasCade,Haley

etmoi.EtAdam.Onestcommeunefamille.Ilmefixependantunmoment,etjemedemandes’ilchercheàêtrerassuréoujusteàcomprendresice

quejedisestvrai.Ilsecontentedem’adresserunhochementdetête,puisildégainesonportabledesapocheetsedétournelégèrement.Unemainposéeenbasdemondos,ilmeguideverslamaisontouten

composantlenumérodesonmécanicien.–Bonjour,Dan,c’estJason.J’aiunsouci…Je le laisse au téléphone etm’efforce de garderHaley occupée pour qu’elle n’aille pas l’embêter

pendantsaconversation.Maismonpouvoirsurelleaseslimiteset,dèsqu’ilaraccroché,elleserueversluicommeunefolle.

Illasoulèvedeterrepourlaprendredanssesbras,tandisqu’ellecommenceàparleràtoutevitesse:–Tusaisquoi,Jay?Ehben,lavoiture,elledémarraitpas,etmaman,elleatapédessusetelleadit

ungrosmotetmaintenantc’estjournéepyjama!Ilmeregardeavecunsourirenarquois.–C’estvrai,ça?Elleatapélavoitureetditungrosmot?Alors,qu’est-cequ’ellevadevoirfaire,

maman,pourserattraper?Jelefusilleduregard,nemesentantpasd’humeuràentrerdanscejeu-là.–Elledoitmefairedesgâteaux!Cequejeveux,commegâteaux!s’écrieHaleyenleregardant.Ellesetourneversmoi,undoigtsurlabouche,tandisqu’ellelèvelesyeuxversleplafond,enpleine

réflexion.–Chocolatetbeurredecacahuète,jecrois.–Mercibeaucoup,dis-jeàJason.–Eh!Cen’estpasmafautesituparlesmal.–J’étaisencolère.Ettuauraisditmillefoispirequeça,situavaisétémaplace.Alors,qu’est-ce

qu’iladit,tonmécano?–Quec’estsûrementl’allumageetqu’ilpeutarrangerçaaujourd’hui.Ilenvoieunedépanneusetout

desuite.Jepousseunsoupirenfermant lesyeux.Jen’aiaucuneenvied’attendredesheuresdansungarage

avecunegaminedequatreansdanslespattes.Sansparlerdelasommequejedevraidébourser,entreladépanneuseetlesréparations.Aprèsl’incidentdutuyau,moncompteenbanquen’estdéjàpasbiengarni,voilàquivasûrementlemettreàsec.

–Çanedevraitpasêtrebienlong.Jevaisyalleravecladépanneuseetjetelaissemavoitureicisituveuxt’enservir.

Jerelèvebrusquementlatête.–Quoi?Ilhausselesépaulesetexplique:–Ceseraplussimplesic’estmoiquiattends,plutôtquetoietcepetitmachin.IlhochelatêteversHaleytoutenluichatouillantleventre.Ellepartdansdegrandséclatsderire,se

pliantendeuxsursonbras,jusqu’àcequ’illasoulèvepourlalâcherenfinsurlecanapé.–Écoute,je…Illèveunemain,m’arrêtantnet.–Iln’yapasdeproblème.–Tun’aspasdescours?–Çanemetuerapasdemanquerunejournée.–Bon,ehbien…,d’accord,situessûr…Ilhaussedenouveaulesépaules,puismesourit.

–Mieuxvautquetufassesdoubledosedegâteaux,quandmême.Sachantquejenepeuxpasmanquerunejournéeentièredetravail,jem’éclipsepourappelerBrenda

etluidemanderdereprogrammermesrendez-vousd’aujourd’huisurmaprochainejournéedecongé,quiseraremplacéeparaujourd’hui.Unefoiscelaréglé,jereviensdanslesalon,oùjetrouveJasonetHaleyà plat ventre par terre, coloriant chacun une page de dessin.Un frissonme parcourt alors, partant ducentredemapoitrineetirradiantdanstoutlerestedemoncorps.

Un peu plus tard, le signal sonore de la dépanneuse se fait entendre dehors. Jason dit au revoir àHaleyetmelancelesclésdesavoitureavantdesortir.

Parlafenêtre,jeleregardeparleravecletypequis’occuped’embarquermavoiture.Unefoismontédanslecamion,Jasonseretourneetmefaitunpetitsignedelamainavantdedisparaîtredansl’habitacle.Alorsquelevéhicules’éloigne,jemedemandedepuisquandexactementJasonaprislerôledeceluiquej’appelledèsquej’aibesoind’aide.

Etdepuisquandilvientchaquefois.

JASON

Enmoinsdedeuxheures,lavoituredeTessaesttransportéeaugarageetréparée;undesavantagesd’avoir dupersonnel à sa dispositiondès qu’on en a besoin. Il n’est pas encoremidi ; je devraismedépêcherdeluilaisserlavoiturepourmerendreàmescoursdel’après-midi.Seulement,jesaisqu’unefoisquejeseraichezelle,quandjelesverrai,elleetHaley,j’auraienviedetoutsaufdepartir.

Nous n’avons pas discuté depuis que je l’ai vue avec son rencard vendredi soir, en grande partieparce que j’avais besoin d’un peu de temps pour remettre mes idées en place. Quoi que je puisseéprouver – quelle que soit la nature de cette attirance–, il faut que j’arrête.Ayant pris cette décisionl’autresoir,j’aiflirtéaveclablondeaprèsledépartdeTessaetdeGreg.Jel’ailaisséeposersesmainssurmontorseetsefrotterunpeucontremoi.Jem’apprêtaisàlaramenerchezmoi,rienquepourchasserTessdemespensées…avantdechangerbrusquementd’avis.Ceque j’auraiségalement fait si la fillen’avaitpascommencéàtitubersousl’effetdel’alcool.Apparemment,elleaeuunpeudemalàtenirlemêmerythmequelesgarçons.Mêmesij’avaisgrandbesoindepenseràautrechosequ’àTess,j’aidesprincipes.Jen’auraispassautéunefillebourrée,surtoutenpensantsansarrêtàuneautrepersonne.Jel’aidoncramenéechezellepourêtresûrqu’ilneluiarriverien,puisjesuisrentréchezmoi.Seul.

Aujourd’hui,enrevoyantTessa,jemerendscomptequejenesuispasmieuxqu’ilyatroisjours.Jegaresavoituredanslegarageetentrechezelleparlapetiteporte.Latéléchantedanslesalon;je

merendsdoncdanscettedirection.J’arrivedevant lecanapéetviensàuncheveud’éclaterderireenvoyantlascènequis’offreàmoi.UneHaleyhilarelèvelesyeuxverslesmiens,desmiettesdechocolatpleinlafigure,tandisqu’enmêmetemps,uneTessaàl’airtrèscoupablecroisemonregard,ungâteauàmi-chemindelabouche.

–Eh,tusaisquoi,Jay?Mamanafaitdescookiesetc’estçaqu’onmangecemidi!–Chut!Ilnefallaitpasleluidire!lagrondegentimentTessa.Jesouris.–C’estvrai?Descookiespourledéjeuner…Cedoitêtreungrandjour.

Haleyapprouveenhochantlatête.–Etj’ailedroitderegarderunfilm.T’asvu?C’estRaiponce!–Tuenas,delachance,disdonc.VoyantqueHaleyseconcentreànouveausursonfilm,jeregardeTessa.–Est-cequ’ilrestedesgâteauxpourmoi?Ellelèvelesyeuxauciel.–Onn’aquandmêmepasmangéquatredouzainesdecookiesaudéjeuner.–Quatredouzaines?–Jet’avaisditquej’enferaisplus.–Non,tunel’aspasdit,c’estmoiquit’aidemandé.–Oui,ehbien…Ellehausselesépaules.–Chuuut!faitHaley,lesyeuxrivéssurl’écran.Je fixe Tessa pendant un moment ; elle croise mon regard brièvement avant de baisser les yeux.

Lorsqu’elle les relève, je hoche la tête vers la cuisine et avance dans cette direction tandis queTesss’extraitducanapépourmesuivre.

Avant que je puisse lui dire quoi que ce soit (lui demander comment s’est passé son rencard, parexemple,mêmesijen’aipastropenviedelesavoir),ellemedemande:

–Alors,c’étaitquoi,lapanne?Jem’adossecontrelecomptoir,lesjambescroisées.–C’étaitl’allumage,commeillepensait.Maisc’estbon,c’estréparé,dis-jeenattrapantuncookie

surlagrillederefroidissement.Maintenantquej’ailetempsdebienlaregarder,jeconstatequeHaleyneplaisantaitpasenparlantde

safameusejournéepyjama.Jehausseunsourcilavecungesteverssesvêtements.Elleporteunpantalonlargeencotonàmotifsd’hippocampesetundébardeurquidoitdaterdesesannéeslycée–voirecollège.L’ourletesteffiloché,etletissurâpéetmoulantnedissimulepasgrand-chosedesesformes.Enunéclair,je repense à son corps sous le tee-shirt rose pâle quand le tuyau a éclaté (le tee-shirt rose pâletransparent), et je suis contraint deme détourner un peu. Jeme racle la gorge et la taquine sur sonpantalon,d’unevoixquisonnefauxmêmeàmesoreilles.

–Ceshippocampes…Joli!Elleme lance une petite tape sur le ventre du revers de lamain en passant devantmoi pour aller

ouvrirleréfrigérateur.–Oh!laferme.Elleremplitunverredelaitqu’elleposedevantmoiavantderangerlabouteille.–Combiençavamecoûter?Jesecouelatêteavecungestedelamain.–Net’inquiètepaspourça.–Jason.–Tessa.Ellesoupireenroulantlesyeux.–S’ilteplaît,arrête.Dis-moilemontantdelafacture.–Environquatredouzainesdecookies.Je soutiens son regard lorsqu’elle me dévisage, la mâchoire serrée. Elle croise les bras, faisant

remontersapoitrine,etilnem’enfautpasdavantagepourmerappelerprécisémentlaformedesesseinstelsquejelesaiaperçussoussontee-shirt.Jerelèveimmédiatementlesyeuxverslessiens,maisellehaussedéjàlessourcils.Troptard.Merde.

Plutôtquedemenargueràcesujet,elledit:–Ehbien,jevaisavoirdumalàtepayer.C’estnotrerepasdumidi,tusais.–Trèsbien.Alors,disonstroisdouzainesdecookiesetunejournéepyjama?Ellebredouilleenécarquillantlesyeux.–Euh…,unequoi?D’ungeste,jedésignesonpyjamaàhippocampes,puisjepointelementonverslesalon.–Pyjama.Film.Cookies.–Ahoui.Oui,biensûr.De toute évidence, elle est unpeu troublée, et jemedemandebrièvement à quoi elle a cruque je

pensais.–Tuneretournespasencours?Jesaisquejedevrais.Jedevraispartir,sicen’estpourresteràjourdansmescours,aumoinspour

mettreladistancenécessaireentreTessaetmoi.Parcequ’encemoment,jenefaisquem’enfoncerplusprofondémentdansletrouquej’aicreusémoi-même.

Mais,aulieudem’enaller,jesecouelatête.–Non.JemeferaisbienunpetitRaiponce,aujourd’hui.CeFlynnRider,ilfaitvraimentrêver.Elleritettournelestalonspourserendredanslesalon.–Ahoui,tucraquespourlesgrandsetbeauxbrunsténébreux,toi,maintenant?Je la regardemarcher et remarque la façon dont ses hanches ondulent.BonDieu, j’ai vraiment un

problèmesijecommenceàtrouversonculsexysousunpyjamaàmotifshippocampes.–N’oubliepasimbudesapersonne,aussi,dis-je.–Donc,enfait,tuesattirépartonproprereflet,c’estça?–Oh!merci,Tess…Tumetrouvesbeau,alors?–Oh!çava.Toutl’ÉtatduMichigantetrouvebeau,cen’estpasunscoop.Sauf que là, ça vient de la petite sœur de mon meilleur ami…, de quelqu’un que je n’ai jamais

considéré autrement jusqu’à très récemment. Quelqu’un que je ne devrais toujours pas considérerautrement.

Tessaseblottitsurlecanapé,tireleplaidsurelle,etHaleylèvelesyeuxversmoi.–Assieds-toiàcôtédemoi,Jay!M’extirpantdemespensées,jem’exécuteetm’assoisàsadroite.Ellemetendunboutdecouverture,

puisfroncelessourcils.–Ilgratte,tonjean.Tudevraisêtreenpyjama.–Pardon,p’titbout,maisjen’aipasemportédepyjama.Tuasl’intentiondem’excluredevotrepetite

fête?Elleréfléchitquelquesinstants,lefrontplissécommesiellel’envisageaitréellement,puissecouela

tête.–Nan,tupeuxrester.Maistiens-toitranquille,hein?–Çamarche.D’un coupd’œil par-dessus sa petite tête, je vois les yeuxdeTessa braqués surmoi.Mon regard

descendsursaboucheet,pourjenesaisquelleraison,l’enviemeprenddemepencherpourgoûteràlasensationdeceslèvrespleinesentrelesmiennes,pourdécouvrirlegoûtdesalangue.Secouantlatête,jedirigemonregardverslatélépouressayerdegardermonself-control.

Sidésagréablequ’aitpuêtrelecoupdefilqueCadem’apassél’autrejour,j’avouequejenepeuxplusluienvouloir.Pasaveclespenséesquejenourrismaintenantpoursapetitesœurchérie.Etj’auraissûrement besoin d’une bonne piqûre de rappel, parce qu’apparemment, lemessage n’est pas passé lapremièrefois.

10

TESSA

–Maman,tatiePaigeestlà!Jepasselatêteparlecoindelacuisineetvoislavoituredemameilleureamieavancerdansl’allée.

Jevoisaussiunegaminedequatreanssurexcitéesautersurlescoussinsducanapé,sescheveuxvoletantautourd’elle.

–HaleyGrace,arrêtedesautersurcecanapé!Arrête.Toutdesuite.Ellesemetàbouder,faisantressortirsalèvreinférieuredefaçonpresquecomiqueavantdeselaisser

tombersurlescoussins.Jenelavoisplus,maisjelaconnaisassezpoursavoirqu’ellealesbrascroiséssurlapoitrine,leregardfuribond.Jeroulelesyeuxet,sachantquePaigeentrerasansattendrequejeluiouvre,retournedanslacuisinefinirdepréparerlerepaspournotresoiréefilleshebdomadaire.

Moinsd’uneminuteplustard,laported’entrées’ouvreengrinçantetj’entendslavoixdePaige.–Coucou,Haley.Ehbien,qu’est-cequit’estarrivépouravoirunesigrosselèvre?Elleabeauessayerderésister(etjesaisqu’elleessaiedetoutessesforces,têtuecommeelleest),

Haleyfinitbientôtparcraquer:sespetitsgrognementssetransformentviteenéclatsderire,etlarevoilàdebonnehumeur.

PendantquePaigedistraitHaley,jefinismatâche.Lesspaghettisquejevaisservir(oui,j’avoue,despâtes toutes prêtes avec une sauce en boîte) sont à mille lieues de ceux que Cade nous préparaitamoureusement en testant ses recettes, et je sens une fois encore qu’ilmemanque – bien plus que sacuisinegastronomique.Nousavonsskypéàdeuxreprisesdepuisl’histoiredutuyau.Chaquefois,jel’aitrouvéunpeubizarre.IlmeposaittoutletempsdesquestionssurJason,medemandantquandjel’avaisvupourladernièrefois.Jenesaispasquelleimpressionluifontmesréponses,etjedoisdirequecelam’inquiète un peu. Je suis terrifiée à l’idée que ce soudain intérêt pour Jason transparaisse dansmesdiscussionsavecmonfrère,plusqu’avecquiquecesoit.

–Coucou.Paigemetiredemespensées,etjeluisouris.–Coucou,toi.C’étaitcomment,lescours,aujourd’hui?–Horrible,commed’habitude.Ellepasselatêtepar-dessusmonépaulepourregarderlacasserole.–Jenesaispascequec’est,maisçasentbon.–Desspaghettis.Etsi tu trouvesqueçasentbon,c’estsignequetesexigencesontfiniparbaisser

depuisledépartdeCade.Elleaunpetitrire.–C’estvrai,tun’espasuncordon-bleu,jel’avoue.Avantquejeréplique,Haleyl’appelledepuislesalon.Paigemedécocheunpetitsourireencoinet

partjoueràlapoupée.Àvraidire,jesuisplutôtheureused’avoirunmomentpourrassemblerunpeumes

esprits avant de lui raconter ce quim’arrive.Nous n’entamons les vraies discussions qu’une fois queHaleyestcouchée,et,cesoir,ilsetrouvequecelam’arrangebien.

Engrandepartie,parcequejenesaispasvraimentcequejedoisluidire.Engrandepartie,parcequeje ne sais pas vraiment ce que je ressens. Je suis perdue, déboussolée ; j’espère quelque chose avecquelqu’undontjenesuismêmepassûrequ’ilexistetoutenvoulantquelquechoseaveclaseulepersonneavecquijenedevraispaslevouloir.

UnefoisHaleycouchée,Paigetapotelecoussinàcôtéd’ellesurlecanapéetjem’yinstalle,latêterenverséesurledossier.

–Tuasl’aircrevée,dit-elle.–Jesuiscrevée.–Plusqued’habitude?Qu’est-cequisepasse?J’aiunpetitriretriste.–Qu’est-cequinesepassepas,tuveuxdire?Jemefrottelesyeuxengrommelant.–Jesuis…complètementàcôtédemespompesetjenem’enétaisjamaisrenducompte.Commentai-

jefaitpournepaslevoir?–TuveuxdiredepuisledépartdeCade?–Oui.J’aiétévraimentbête,quandjelepoussaisàpartir,quandjeluidisaisdenepassesoucierde

cequisepasseraitlorsquejemeretrouveraistouteseule.J’étaistotalementàcôtédelaplaque.–Demonpointdevue,tutedébrouillespourtantsacrémentbien.–Maistun’aspasvuquandj’ailaisséHaleymangerquatregâteauxenguisededéjeuner,l’autrejour.–Jenevoistoujourspasoùestleproblème.J’expireàfondetdis:–J’ail’impressiondemedébattrepouryarriver,maisqueçanemarcherajamais.–Maissi.Donne-toijusteunpeudetemps.–Oui,c’estcequeJasonaditaussi.Ellehausseunsourcilenm’observant,mais,au lieudes’engouffrerdanscesujetcommeelleena

sûrementenvie,ellerépond:–Ehbien,ilaraison.Tuverras,çarentrerabientôtdansl’ordre.–Jel’espère.Parcequej’ail’impressiondefairen’importequoiavecHaley.–Oh!jet’enprie,arrête.Elleseraitparfaitementheureusesiellepouvaitjoueràlapoupéetoutela

journéeetmangerdesgâteauxenguisederepaslemidi.Jecroisquetut’enfaistouteunemontagnepourrien.

–Maisc’estça,leproblème.Jenesaispas…Certainsjours,jemedéfoncevraimentpourêtreunesupermaman,tucomprends?Pourmontrerquej’ensuiscapable.Etj’ail’impressionquejen’yarrivepas.

–Tess…Paigesecouela têteetsepenchepourmeserrerdanssesbras.J’acceptesonétreintesansrésister,

m’yabandonnantjusqu’àcequenousnousécartions.–Tuaimescettepetiteplusquetoutaumonde.Tuassuivilemeilleurcheminpourtetrouverunbon

boulot,stable,quigarantitvotresécurité.Tuasrenoncéàtesannéesdefolie,oùtun’avaisàtesoucierquedetapomme.Ettuasfaitçapourelle;alors,nemedispasquetun’espasunebonnemère.Tueslamamanlaplusgénialequejeconnaisse,etjesuisbienplacéepoursavoirquetutedébrouillesmieuxque

n’importequelleautrenanadevingt-deuxansavecunpetitdequatreans.Soisplusindulgenteavectoi-même.

Je luisourisquandellea terminésa tirade.VoilàpourquoiPaigeestmameilleureamiedepuiscescinqdernières années, depuis son arrivéedansun tout nouveau lycée, où elle est entrée comme si leslieuxluiappartenaientdéjà.

–Tuavaispréparétondiscoursavantdeveniroutuasimprovisé?Elleaunpetithaussementd’épaules.–Imprototale.Tusaisbienquej’enaidanslacervelle.Nous rions ensemble et jeme vautre un peu plus confortablement dans le canapé tandis que nous

boulottonslepaquetdechipsqu’elleaapporté.Nousmettonsensuiteunfilmet,unedizainedeminutesplustard,ellemelance:

–Aufait,tunem’aspasracontétonrencarddel’autresoir!Des souvenirs de cette soirée me reviennent brusquement à l’esprit ; sauf qu’il ne s’agit pas des

momentsavecGreg,maisplutôtdesquinzepetitesminutespasséesavecJasonsurlapistededanse.Jepousseungrognementettournematêtesurledossierducanapépourlaregarder.

–Oh!ças’estbienpassé.–Tune crois quandmêmepasque je vaisme contenter de cette réponse, dit-elle en riant. «Bien

passé»,engros,çaveutdirequec’étaithorribleouhorriblementchiant.Alors,lequeldesdeux?Jem’efforcedenepenserqu’auxmomentsavecGreg,nemesentantpasencoreprêteàdivulguertout

lereste.– Je ne sais pas. Écoute, je…, j’ai vraiment essayé. Et il est vraiment adorable. Il est venu me

chercher,m’aoffertdesfleurs.Jedésigne ladouzainede rosesgarnissantunvasesur la tablede lasalleàmanger. Jedéteste les

roses.Paigelesait,etelleplisseleneztoutenreposantleregardsurmoi.J’inspireàfondetpoursuis:– Ilm’aaidée àmettremonmanteau,m’a tenu lesportes ouvertes. Il a demandédes nouvelles de

Haley…–Bref,unvraiprincecharmant,quoi.–Oui,jesais.Saufque,quandjesuisaveclui,jenesensrien.Aucuneexcitation.Pasdepapillons

dansleventre.Nada.–Mmmh,jecroisquec’estuntrucchimique,ça.Ettusaiscommeçapeutêtrenul,aulit,quandonn’a

pascetruc-là.J’acquiesced’unhochementdetête,lalaissantcontinuer.–Ettusaisaussicommeonpeutprendresonpiedavecquelqu’unquandlachimiefonctionne.Ehbien, en fait, non, jene saispas.Lapetitepoignéedepartenairesque j’ai eusnem’ont jamais

transportée bien haut, à part le père de Haley, mon premier en tout, et encore, je pense que cetteexcitation,plusqu’àsapersonne,étaitdueaufaitquetoutcelaétaitnouveau.J’aitoujoursprésuméqueles problèmes éprouvés avec les garçons depuis lors étaient demon fait (des problèmes physiques àcausedelagrossesseoujenesaisquoi). Ilnem’est jamaisvenuà l’espritque, toutsimplement,nousn’étionspassexuellementcompatibles.

Jerepensealorsàcequej’aiéprouvésurlapisteavecJason,à lasensationdesoncorpsderrièremoi,solide,fort,àlafaçondontilm’envoyaitdesfrissonsdelatêtejusqu’auxorteils,sansoubliertouslespetitsendroitsentrelesdeux–desendroitsdanslesquelspersonnen’avaitsuscitéderéactiondepuisbienlongtemps.Etlui,ilm’afaitceteffet-làrienqu’endansant.

–Àquoitucogites,commeça?medemandePaige.Essayant de dissimuler le rouge qui me monte aux joues, je réprime mes dernières pensées et

réponds:–Jen’aijamaisconnuça.–Quoi?–Ça…Jene saispas…Cebesoindévorantd’êtreavecquelqu’un. Jen’ai jamais ressenti l’envie

incontrôlable d’arracher les fringues demonmec et de baiser par terre parce que je ne pouvais pasattendred’arriverjusqu’àlachambre.

Jusqu’àJason,medis-je.–Putain,baiserparterre,c’estcequejepréfère,moi.L’espaced’uneminute,unepetiteminute,jemesensjalousedemameilleureamie.Elleesttoutceque

jepensaisquejeseraisquandj’avaisseizeansetquejefantasmaissurmonavenir:lafac,lescopines,lesmecs.Sortirlevendredisoir,avoirlagueuledeboislelendemainmatin,êtresimplementjeune,quoi.Elleestcomplètementlibre.Aucuncompteàrendreàquiquecesoit.Etelleenprofiteàfond.Trèsvite,jemesenscoupabled’avoircesentimentdejalousie,car,sij’avaispuvivredecettemanière,jen’auraisjamaiseuHaley.

–Et,donc,tun’asjamaisressentiça?Lespapillonsdansleventre,quandmême?–Ilyalongtemps,oui.AvecNick.Maisjecroisquec’estparcequej’étaistrèsjeune,alorsquelui

avaitdel’expérience.Çadevaitêtredespapillonsnerveuxplutôtqu’euphoriques,àmonavis.–Etpasdepuis?Aucundesmecsquetuasrencontrésnet’afaitunpeufrissonner?Non,aucundeceuxquej’airencontrésrécemment.Çasembleréservéàceluiquejeconnaisdepuis

quejesuispetite.Remarquant l’expression de mon visage et la façon dont j’esquive sa question, elle pousse le

questionnement:–Oooh!…Quoi?Qui?Unmecd’Internet?Jericane.–Siseulementçapouvaitêtreça!–Maisqui,alors?BonDieu,vas-y,accouche!Elleattrapeuncoussinqu’ellesecollesurleventreenrebondissantsurlecanapé.–Oh!cen’estrien.Vraiment,jet’assure.Jesuisjuste…unpeudéboussolée,jecrois.Jefaistrop

d’effortsaveccesmecs,àespérerqueçacolle,alors,forcément,jemeretrouveattiréeparquelquechosedecomplètementdifférent.Etàcausedeça,voilàquejem’embarquedansuntripavecJason.Ondiraitquemonproprecerveauconspirecontremoi.

–Wouah,wouah,wouah!QueltripavecJason?Raconte!Elleseredressebrusquementetsepencheversmoi.–Qu’est-cequisepasse,machérie?Tuascouchéaveclui?Savoixdevientsuraiguë,etellem’agrippelebrasenlesecouantd’avantenarrière.–Bordel,siquelqu’unpeutt’enlevercesfoutuestoilesd’araignéedelàoùellessont,c’estbience

mec!Waouh!Elles’éventedelamainetselaissetomberenarrièresurlescoussins.–Bonsang,Paige!Jeladévisage,bouchebée.–Pourquoifaut-iltoutdesuitequetuimaginesquej’aicouchéaveclui?Tunepensesqu’àça,ma

parole.–Jenepeuxpasm’enempêcherquandjepenseàlui.IlestCanon,avecungrandC.Avecsonsourire

–ah,cespetitesfossettes!–etcecharmedécontracté!Leproblème,c’estqu’onsaittoutdesuitequ’onseferaitsauteretjeterl’instantd’aprèscommeunemalpropre.

–Dieuduciel…–Quoi,commesitun’avaispasremarquéàquelpointilestattirant,peut-être?Oulafaçondontilte

regarde,cesdernierstemps.À contrecœur, jem’apprête à approuver son opinion sur la séduction évidente de Jason quand la

deuxièmepartiedesonproposmemonteenfinaucerveau.–Attends…Qu’est-cequetuasdit?Surlafaçondontilmeregarde?Ellemefixeunmoment,puissesyeuxs’écarquillent.–NomdeDieu,tun’asréellementpasremarqué.Il est clair que je n’ai absolument rien remarqué à ce sujet, peut-être parce que j’ai été trop

préoccupéeparcequisepassaitdansmatêtedernièrement.–Non,jen’airienremarquédespécial.–Ehbien,jeteledis,moi:depuisquelquetemps,ilteregardedifféremment.Pasdefaçonperverse,

jeveuxdire,maisentoutcas,c’estsûrqu’ilyadudésir.–Et…depuiscombiendetemps?Ellehausselesépaules.–Jenesaispas…,deux,troismois?Franchement,j’étaispersuadéequetut’enétaisrenducompteet

quetupréféraisl’ignorer.C’estpourçaquejenet’enaijamaisparlé.Tuaimesbienmettrelatêtedanslesable,fairel’autruche.

Jeregardemesmainsensecouantlatête,nesachantquefairedecetteinformation.–OK,doncsitun’aspascouchéaveclui,queveux-tudirequandtuparlesdetripaveclui?Qu’est-

cequisepasse?–J’ai…,jenesaispas.Cesdernierstemps,j’aipasmalpenséàlui,différemment.DepuisqueCade

estparti,Jasonestsouventici.Environdeuxfoisparsemaine,ilvientvoirsitoutvabien,m’aideràfairecequ’ilpeut.

–C’estgentil.J’acquiesce.–Oui.Tutesouviensdel’histoiredemontuyau?Etpuis,l’autrejour,ilm’aaidéeàfaireréparerma

voiturequandelleesttombéeenpanne.PuisilasautésescoursetilestrestéavecHaleyetmoipourunejournéepyjama.

Àchaqueélémentquejeluidonne,sessourcilsremontentunpeuplushautsursonfront.–D’accord,etdonc…Jepousseungrandsoupir.–Etdonc,jenesaispas.Simplement,jepenseàluiunpeuautrementqu’entantquemeilleurpotede

monfrère.Etjenecroispasquecesoitunetrèsbonneidée.–C’estpeut-êtreceshistoiresdetoilesd’araignée,aussi.Lecôté«penseràlui»,jeveuxdire,pasle

côté«mauvaiseidée».–Tuvasarrêteraveccestoilesd’araignée,s’ilteplaît?–Oh!jedisçacommeça.N’empêchequ’ilseraitl’hommedelasituation.Etlespapillons,alors?

Est-cequetuenas,quandilestlà?

Elleposelaquestion,attendantdoncuneréponse,mais,àenjugerparsonexpression,ellesaitdéjàcequ’ilenest.

Mêmesijen’aiplusbesoindelefaire,jerépondsentoutehonnêteté:–Destonnes,çameretournecomplètement.–Ehbien,nousyvoilà!Fonce,mapoule!–Quoi?Commeça?–Commentça,«commeça»?Pasbesoind’enfairetoutunplat,Tess.Parfois,labaise,c’estjustede

labaise.– Bon, d’abord, tu sais très bien que ce n’est pas vrai. Pas pour moi. C’est fini. Pour toujours,

franchement.Etensuite,«justedelabaise»aveclemeilleuramidemonfrère?Tucroisvraimentqueceseraitunebonneidée?

–Écoute,j’imaginebienqueCadeseraitfurax,maisqu’est-cequ’onenaàfoutre?Ilvabienfalloirqu’ilfinisseparcouperlecordon,celui-là.Tuesuneadulteavecungosse!Ilmesemblequetuesassezgrandepourprendre tesdécisions toute seule,ycomprisencequiconcerne lesmecsque tu souhaitesmettredanstonlit.

Ellearaison.Biensûr.Sijelevoulais,jepourraisappelerJasontoutdesuite,l’inviterchezmoietm’ymettre.Maisoùest-cequeçamemènerait,auboutducompte?Ladernièrefoisquej’aifaitcela(oublierlaprudenceetmelancerdansunehistoireavecunbadboyjusteparcequ’ilmefaisaitfrémir),jemesuisretrouvéesuruncheminquejen’aiplusaucuneintentiond’emprunterdenouveau.

–Cen’estpaslegenred’hommequ’ilmefaut,Paige.–Qu’est-cequ’iltefaut,alors?–Quelqu’underesponsable.Stable.Quelqu’undeplusvieux,quisaitcequ’ilveut,cequiinclutune

vieavecunefemmequidébarqueavecuneviedefamille.–Donc,quelqu’uncommetonorthodontiste,chiantàmourir.–Écoute,je…,jecroisquejevaisluilaisserencoreunechance.Peut-êtrequej’étaisàcôtédemes

pompes?–Oupeut-êtrequetutebercesd’illusionsetquetuessaiesdet’enconvaincreparcequetuflippes

commeunebêtederessentirvraimentquelquechosepourquelqu’unquinecorrespondpasà tonpetitmodèleétriqué.Çan’apasbesoind’êtrelatotale,Tess.Tuasledroitdet’amuserunpeu,mêmesiçanetemènepasaumariage.

Ellelèveunemainenmevoyantfroncerlessourcils.–Bon,faiscequetuasàfaire.Vadoncàunautrerendez-vousoùtuparlerasdescoursdelaBourse

etduprixdupain.Etfais-moisignequandturetrouverasunpeudesenscommun.

11

JASON

Sijemecroyaisdéjàfoutuavant,lefaitd’avoirpassélajournéeavecHaleyetTessa,toutlemondevautrésurlecanapéàregarderdesfilmstoutelajournée,n’afaitqu’aggraverleschoses.Etmaintenant,jemesenscommeungrosdébile incapabledechasserune filledesespensées. Jepensemêmeàsonodeur,c’estdire !J’ai l’impressiond’êtreCadequand ilétaitcomplètementgagadevantWinter.Non,pire.J’ail’impressiond’êtreAdam.Cetimbécileatoujoursétéàlamercidesfemmes.

Etlepiredanstoutcela,c’estquejenepeuxmêmepasleurenparler,àl’unetàl’autre.AdammepousseraversTessaenm’énuméranttouteslesraisonspourlesquellesc’estunebonneidée,etCade…Seigneur.Jen’osemêmepasimaginercequeferaCade.

Voilàpourquoiilfautabsolumentquejem’ôteçadelatête.Lescours,çanemarchepas.Stressersurla catastrophe annoncée qui m’attend à la boîte de mon père ne m’aide pas beaucoup plus, et,malheureusement,n’aaucuneffetsurcequimechatouilledanslepantalon.

Cequ’il faudraitque je fasse, c’est appeler l’unedesdeuxdouzainesde fillesdont j’ai lenumérodansmontéléphone.Jedevraissortir,allerdansunbarettrouverquelqu’unpourmedistraire.Quelqu’unpourmefaireoubliertoutcequej’aisoudainementenvied’avoir.

Aulieudecela,jemejettedroitdanslagueuleduloup.Je me gare devant la maison de Tessa et regarde la grande baie vitrée devant moi. Derrière les

rideaux tirés, jevoisdesombresbougeantà l’intérieur,et, l’espaced’un instant, jesongeàm’enallersansluiparler.Sansfairecequej’aibesoindefaire,sansluidirecequim’envahitconstammentdepuisunmoment.

Mais,n’ayantjamaisétélâche,jeretirelesclésducontact,sorsdelavoitureetj’avanceverslaported’entréeenréfléchissantàdixmillefaçonsd’entamercetteconversationavecelle.

Quelleestlameilleuremanièrededireàunefillequevousconnaissezdepuislamoitiédevotreviequ’ellevoushantenuitet jour?Que,brusquement, jelavoisbienautrementquecommelapetitesœurcasse-piedsdemonmeilleurami?

J’inspire à fond, frappe à la porte et attendsqu’ellevienneouvrir. J’ai beaudisposerdequelquesinstantspourrassemblermesesprits,rienn’auraitpusuffireàmeprépareràcequejevoislorsqu’elleouvrelaporte.Elleporteunerobe–noire,cettefois–quiépousesoncorpstoutenlaissantsesépaulesetsesbrasdénudés,etnecouvrepassuffisammentsesjambes,saufsielleavaitprévudeportercelapourmoi.Elleadenouveauchangéquelquechoseàsacoiffuredepuisladernièrefoisoùjel’aivue,ilyadeuxoutroisjours:desmèchesviolettesparmisescheveuxbruns.J’adorequandelleestcoifféeainsi,lescheveuxsouplesetunpeuenbataille.C’estsexy.Commesiellevenaitjustedesortirdulit.CequimefaitautomatiquementpenseràTessadansunlit,lescheveuxétaléssurl’oreiller,avecjusteundrapfinsursoncorps;etçanem’aidepasvraiment.

Seslèvres–couvertesd’unrougevif–s’arrondissentdesurprisequandellemevoit,toutcommesesyeux.

–Jason!Qu’est-cequetufaislà?Jehausselesépaules.– Je passais par ici ; alors, jeme suis dit que j’allaism’arrêter dire bonjour.Tu sors ? dis-je en

désignantsarobe.–Euh…,oui.Oui.Enfin,jepensaissortir.Sontéléphonesemetàsonnerquelquepartàl’intérieur;elleouvregrandlaporteavantdedétaler

pourl’attraper.–Amanda!Salut!Non,maismercidemerappeleraussivite.Elle se tait uneminute, écoutant sa correspondante, puis elle affiche unemine désappointée etme

couleunbrefregardavantdeportersesyeuxailleurs,lesépaulesaffaissées.–Bien sûr. Jecomprends toutà fait.C’étaitvraimentde ladernièreminute,de toute façon.Merci,

bonnesoirée.Elleraccrocheetbalancesontéléphonesurlecanapéderrièreelleenégrenanttouslesjuronsdeson

répertoire.Perplexe,jeluidemande:–Qu’est-cequisepasse?Ellepousseunsoupiretsetournepourmeregarder.–Mababy-sitter a euune intoxicationalimentaire cet après-midi.Ellem’aappelée ily aunquart

d’heurepourmedirequ’ellenepourraitpasvenircesoir.Brusquement,ilmesemblequelameilleurechoseàfaireestderemettreàplustardlaconversation

quejevoulaisavoiravecelle.Pourquoinepasattendrequelquesheuresdeplus,quandj’aidéjàattendudessemaines?Desmois,même,pourêtretoutàfaitfranc.

–JepeuxgarderHaleysitudoissortir.–Je…Ellemeregarde,puissesyeuxdévientverslecouloirmenantàlachambredeHaley,oùjel’entends

jouer.–Jenesaispassiceseraitunebonneidée.Jefroncelessourcils.–Pourquoiça?Tun’aspasconfianceenmoi?–Non!Non,cen’estpasça,pasdutout.Biensûrquejetefaisconfiance,Jason.Ellesoupireencoreenévitantmonregard.–C’estjusteque…jenesuispassûreque…çamettraittoutlemondeàl’aise.–Quineseraitpasàl’aise?–Euh,toi.–Etpourquoiveux-tuquejenesoispasàl’aise?JepassepleindetempsavecHaley.Voyant qu’elle ne répond pas et qu’elle commence à se mordiller l’ongle du pouce, je décide

d’insister:–Tess,jenevoisabsolumentpasdequoituparles.Alors,crachelemorceau,s’ilteplaît.Ellebaisselesbraset,seredressantcommepourmieuxaffrontermaréaction,croisemonregard.–JesorsavecGreg.C’estpourçaquej’avaisbesoind’unebaby-sitter.Elleavaitraisondeseméfier,parcequejemeprendslanouvellecommeuncoupdepoingdansle

ventre.Pendantdesjours,jen’aifaitquepenseràelle,àcettesoiréesurlapiste,auxmomentspassés

avecelleetHaley,quandnousavonsenvoyépromenertoutesnosobligations,etjen’aicesséderéfléchiràlafaçondontjepourraism’yprendreavecelle.Jesuisvenucesoirdansl’intentiondetoutluidire,deluidemandersielleauraitenvied’essayer,endépitdesavertissementsdesonfrère.Mêmesijesaisquec’estunemauvaiseidée.

Pendant que je faisais tout cela, elle, elle faisait des projets pour revoir ce type chiant comme lapluie,quiestforcémentmieuxquemoipourelle.

Jeladévisage,bouchebée, toutenessayantdemecontrôler.Dèsquejemesenscapabledeparlersansrientrahiretd’afficheruncertaindétachement,jeluidis:

–Ehbien,vaàtonrendez-vous.Ellerelèvelatêteversmoi,lesyeuxrondscommedessoucoupes.–Ça…,çanetedérangepas?–Pourquoiveux-tuqueçamedérange,Tess?Mavoixestsourde,aussimaîtriséequej’ensuiscapable.–Maiscomme…l’autresoir…et…Ellesecouelatêteetrefermelaboucheavantdereprendre:–Rien.Oui,biensûr.Bon,situessûrque…Jeretiremonmanteauetlejettesurlecanapéenhaussantlesépaules.–Évidemmentquejesuissûr.Sonregardestattirépardes lumièresdephareséclairantsoudainlesalon,etellesedirigevers la

fenêtre.–C’estlui.JevaisdirebonnenuitàHaley.Moinsd’uneminuteplustard,onsonneàlaporte.J’ouvreetmeretrouvenezànezavecunénorme

bouquetdefleurs:desroses.JericaneintérieurementensongeantqueTesstrouvelesrosesringardes.Ellelesdéteste,même.

–Greg.Ilnefallaitpas.Lasurpriseselitsursonvisage,puisGregseressaisit,affichantlemêmesourirequ’ilavaitquandje

mesuisimmiscédansleurrencarddelasemainedernière.–Oh!Jason.Bonsoir.Pardon,jepensaisqueceseraitTessquiouvrirait.Jem’éloigneetm’assoissurlecanapé,lebrasétendusurledossier.–ElleestentraindedirebonnenuitàHaley.–Ah.Donc,tu…Saphrasedemeureensuspenssoussessourcilsrelevés.–JeresteavecHaley.Lababy-sitteraeuunempêchement.Ilplisselefront,tendantvisiblementl’oreilleverslecouloiroùl’onentendTessarappelerlesrègles

delasoiréeàsafille.– Elle n’avait pas besoin de t’appeler. Elle aurait pu annuler. Ou bien on serait restés ici. Tu as

sûrementautrechoseàfaire,j’imagine.–Non.Jesuistoujourslàpourelles.Dèsqu’ellesenontbesoin.Je soutiens longuement son regard ; maintenant, il est évident qu’il a enfin compris que je peux

constituerunemenacedanssarelationavecTess.Avant,mêmequandjel’aientraînéesurlapistepourdanser,ilnemeconsidéraitquecommel’amidesonfrère.Quelqu’undebienplusjeunequelui,moinsétablidanslavie,doncquelqu’unavecquiiln’étaitpasencompétition.

Maisça,c’étaitavantqu’ilsachequejefaisaisvraimentpartiedutableau.

TESSA

Jenesaispascequim’aprisd’accepterqueJasongardeHaley.Ilafalluquecesoitlapersonnequej’essaied’oublier,derefoulerdemonesprit,quirestechezmoicesoiralorsquejesorsavecl’hommeaveclequelj’essaiedecomblerlevide.

AprèsavoirsouhaitébonnenuitàHaleyetluiavoirdemandéd’êtrebiensage,jesorsdesachambreet retournedans lesalon.Jasonestvautrédans lecanapé,portraitvivantde ladécontraction,sonbrasétendusurledossieretlesjambesécartées,prenantautantdeplacequepossible.Gregsetienttoutraideprèsdelaporteetm’adresseunsourirecrispé.

–Salut,désolée,dis-jeenavançantverslui.Mababy-sitteraannuléàladernièreminute.–Oui,c’estcequeJasonvientdem’expliquer.Ilseraclelagorge,tandisquesesyeuxenregistrentlatenuequejeporte.Mêmesouslefeudeson

regardencetinstant,paslemoindrefrissonnetraversemoncorps.Entouteautrecirconstance,j’auraisignorécedétail;maisJasonétantarrivéquelquesminutesplustôt,ayantfaitexactementlamêmechose,etmoncorpsyayantréponduparunechairdepoulegénéralisée,ladifférenceentrecesdeuxhommesetl’effetqu’ilsmefontnepeutquemesauterauxyeux.Etmedéstabiliser.

–Tuprendstonmanteau?Notreréservationestpourseptheures.–Ohoui,biensûr.JemetourneetlanceunregardàJasonenpassantdevantlui.Sonlangagecorporeltraduittoujoursle

calmeetledésintérêt,maissonregardestacéréetnemelâchepasuninstantlorsquejetraverselapiècepourprendremonmanteauaccrochéderrièrelaporte.Aprèsl’avoirenfiléetprismonsac,jem’arrêteprèsdeGregetmetourneversJason.

–Jenerentreraipastard.Tuasmonportables’ilsepassequoiquecesoit.Ilhochelatête.–Prendstontemps.Lesmotssuivantsontbeaum’êtreadressés,c’estenregardantGregqu’illesprononce:–Jeserailàquandturentreras.Autondesavoix,quisonnequasimentcommeunavertissementàGreg,jemedemandecequiabien

pusepasserentreeuxquandj’étaisdanslachambreavecHaley.–Prête?demandeGreg.–Oui.Gregposelamainenbasdemondosetmeguideverslaporte,qu’ilouvredevantmoi.Avantqu’ilne

lareferme,jelanceundernierregardversJason,etl’intensitéquej’ytrouvemepoursuitlongtempsaprèsnotredépart.

12

JASON

Cen’est que lorsque la porte se refermeque jeme rends compte àquel pointmesmâchoires sontserrées. Je laissema têtebasculer enarrière sur le coussinducanapé. J’ai envied’attraper les fleursqu’ilalaisséessurlatabletteprèsdelaporteetdelesluifaireboufferaveclesépines.Jemefrottelevisageengrognant.J’auraisdûappelerKatieouJessouLaura.J’auraisdûsortiravec lespotesetmebourrerlagueule.J’auraisdûfairemilleautreschosesplutôtqued’allervoirTessa.

Parceque,maintenant,jemeretrouvecoincéicipourjenesaiscombiendetempspendantquelafillequim’obsèdedepuisdesmoissortavecunvieuxnaze.Leurimageaumomentoùilssortaientmerevientàl’esprit,leregardqu’ilm’ajetépar-dessussonépaulequandilsontfranchilaporte…

QuandilaposélamainsurTessaenlarapprochantdelui,j’aieuenviedeluipétertouslesdoigtsunpar un.Quand il l’emmenait, l’éloignant demoi. Parce que c’est exactement ce qui est en train de sepasser.S’ilnemeconsidéraitquecommeunamilorsquenousnoussommesrencontrés,ilestclairqu’ilamaintenantcomprisqu’iln’yapasquecela.Ilaenfinpigéquemaprésencedoitl’inquiéter.

Pirequederevoir l’imagedesamainposéesurTessa toutà l’heure, j’imaginesesdeuxmainssurelle, plus tard. Je sais qu’il s’agit de leur troisième rendez-vous, et, si j’ajoute à cela la robe et leschaussuresqu’elleamises,ilestévidentqu’ellecompteconclurecesoir.Quandj’ypense,j’aienviedem’arracherlesyeuxàlapetitecuillèrepournepasvoirça.

Unepetitevoixaiguëvientsoudainmetirerdemespensées.–Jay!Aumêmemoment,Haleysortdesachambreencourantàtoutevitesse(cettegaminenesaitrienfaire

doucement).J’aiàpeineletempsdemeprotégerlespartiesqu’ellemesautedessuscommeunebrutesurlecanapé.Arrivéesurmesgenoux,elleposelesmainssurmesépaules,levisagetropprèsdumienet,visiblementtrèsénervée,parlantbientropfort.

–Jesuistropcontentequecesoittoiquimegardespendantquemamanvadraguer!Viens,viens!Onvajoueràladînette.

Ellesautedemesgenouxetmeprendlamainpouressayerdemetirerducanapé,avectoutelaforcedesesquatreans.Jejouelejeuetlalaissem’entraînerdanslecouloir,puisdanssachambre,oùelleadéjàtoutpréparé.

–Quandas-tuinstallétoutça?–Là,toutdesuite,quandmamanm’aditqueturestaisici.Deuxcouvertssontdresséssursatableminiature.Elleavancepourmedonnerunechaise.Jehausseunsourciletfaisremarquer:–Ceneseraitpasplutôtàmoidefaireça?Elle rit et se tournevers sa cuisinière enplastiquependantque jepliemagrandecarcasse sur les

espèces de marchepieds qu’elle prend pour des fauteuils. Je sais pertinemment qu’avant la fin de lasoirée,cetrucvapéteretjemeretrouveraileculparterre.

–N’oubliepastonchapeau.–Monquoi?–Tonchapeau,dit-ellecommesic’étaitl’évidencemême.Ilfautporterunchapeaupourprendrele

thé.C’estlarègle.Jeregardel’endroitqu’ellemedésigne.Devantlelitsetrouveunepiledechapeauxviolets,rosevif

etjaunes.Jesuissûrquemonvisagedoittrahirlarépulsioninstinctivequej’éprouve.– Jenepeuxpasplutôtmettreunecasquettedebase-ball ? J’enaiunedansmavoiture.Çaneme

prendraqu’uneminute.Enunclind’œil,sonsouriresetransformeenairsévère.–Lescasquettesdebase-ballsontinterditesquandonprendlethé.Ilfautmettreundeceux-là.Ellecroiselesbrasentapotantdupiedd’agacement.–TontonCade,ilenmettaittoujoursun.Jericaneensecouantlatête.–Et jenemanqueraipasdele luirappeler laprochainefoisqueje luiparlerai.OK,donne-moi le

jaune,là.Jecroisqu’ilm’irabien.Ellehoche la tête avec leplusgrand sérieux et va le chercher avant de leposer surma tête et de

l’ajusterpourqu’ilsoitmisbiencommeilfaut.–C’estbon?–Ouais.Onpeutmanger,maintenant.Jeprendsl’assietteenplastiquedevantmoietlaporteàmeslèvres.–Non!Pascommeça!Lethé,d’abord.Etn’oubliepasdeleboireaveclepetitdoigtenl’air.–Monpetitdoigt?–Oui.–Pourquoi?Ellehausselesépaules.–Chaipas.C’estcequemamanaditàCade;alors,ilfautfairepareil.Je risetm’exécuteen la regardant s’affairerdedroiteàgauche,heureuxd’être làavecelle,parce

que,siquelqu’unpeutmefaireoublierTessaetcequ’ellefaitencemoment,c’estbiensafille.

TESSA

JenepensepasêtrejamaisalléedansunrestaurantaussichicqueceluioùGregm’aemmenée,etjenepensepasm’êtrejamaissentieaussipeuàmaplace.L’endroitestintime;ilnedoitpasyavoirplusd’unedouzainedetablesdanslasalle.Touteslestablessontéclairéesàlabougiepardeschandeliers.Lepersonnelestensmoking,etilyabientropdecouvertsdisposésdevantmoipourquejesachelesquelschoisir.

Jemesuissentiemalàl’aisedèsl’instantoùnoussommesentrés,etcettesensationnem’apasquittéedepuis.Rienn’yafait.Nilepainfraisavecunbeurresophistiquéqu’ilsontapporté,nilepotagemaisonnilasalade.Etmaintenantquelesplatsprincipauxsontdevantnoussurlatable,jemedemandesicettebouledansmonventredisparaîtraunjour.

Jedevraisêtreattentiveaubelhommeassisen facedemoiquim’entretientdesaffairesdumonde

depuis un quart d’heure. Or, je ne pense qu’à deux personnes, à l’autre bout de la ville, qui doiventdiscuterencemomentdelameilleurerobeàmettresurtelleoutellepoupée.

–Tessa?–Mmh?–Jetedemandaissitonplatétaitbon.–Ohoui!C’estdélicieux.Je regarde autour de nous, notant que cet endroit serait sûrement considéré comme le top du

romantisme par toute personne ayant unminimumde neurones.Apparemment, je ne dois pas en avoirbeaucoup.

–Cetendroitestvraiment…étonnant.Ilm’observe quelques instants avant de couper sa viande, présentée davantage comme uneœuvre

d’artquecommequelquechoseàmanger.–C’estunpeutrop,peut-être,dit-il.Jesecoueimmédiatementlatêteenlevantunemain.–Non,non,c’estvraimentbien.Ilsoupire.–C’estvrai,approuve-t-il.Seulement,çan’estpasfaitpourtoi.Jemetortilleunpeusurmachaiseetluisouris,l’airdésolé.–Jel’avoue,eneffet.Maisc’estsuper.Etlanourritureestexcellente.–Jesuisnavré.–Non,non,surtoutpas.C’estmafaute.Auboutdequelquesminutesdesilence,ilmedit:–Puis-jetedemanderquelquechose?–Biensûr.–Commentenvisages-tulasuite?Je toussote un peu, car je viens de boire une gorgée de vin, et me tamponne les lèvres avec ma

serviette.–Pardon?–Jepensequ’ilestinutiledeterappelerquec’estnotretroisièmerendez-vous.Habituellement,àce

stade,onauneidéeassezprécisedecequenousinspirel’autre.Jet’aimebeaucoup,Tessa.Beaucoup.Etj’aimeraisvoircequecelapeutdonner,mais,pourça,jenepeuxpasêtreleseulàlevouloir.Jeneveuxpastemettreaupieddumuretjeteprésentemesexcuses,parcequec’estexactementcequejesuisentraindefaire.Ilestclairquetuasvécubeaucoupdechosesdifficiles–bienplusquejen’enaivécumoi-même,malgrénotredifférenced’âge. Je l’ai bien compris. J’en suis conscient, et jeme senspleindebienveillance,prêtàattendres’illefaut.Maispassijen’airienàattendre.

Sa demande est légitime. Il a été franc sur le fait qu’il recherche activement quelqu’un avec quipartagersavie.Etc’estaussicequejerecherche.Quelqu’unpourdulongterme.Jeréfléchisàcequ’ilvientdedireet songequ’ilaentièrement raison.Àcestade, jedevraissavoir si j’aienvieounondecontinueraveccethomme.Et,enfait,jelesaistrèsbien.Jelesavaismêmeavantnotredeuxièmerendez-vous;maisj’étaistropbutéepourl’admettre.

Parcequelavéritéestbienpluseffrayantequecethommefiableetrassurantassisdevantmoi.–Tuesuntypeformidable,Greg.Ildoitsentirlesexcusesdansmavoix,carilpousseunprofondsoupirenhochantlatête.

–Voilà,c’estbiencequejepensais.–Jesuisdésolée,dis-je,peut-êtrepourlacentièmefoisdelasoirée.–Non,iln’yapasdequoil’être.Reprenantmesmotsdetoutàl’heure,ilcontinue:–C’estmafaute.Jemesuisobstinéàfairecommesiçapouvaitmarcher,alorsquejesentaisqueça

neseraitpaslecas.–Maisj’aivraimentappréciélesmomentspassésavectoi,tusais.Ilmesouritavecsincérité,et,unenouvellefois,jeregrettedenepasressentird’attirancepourlui.–Moiaussi.Nous passons le reste du dîner entre conversations artificielles et silences gênants. Lorsqu’il me

ramèneàlamaisonenmedisantqu’ilespèrequenousgarderonslecontact,jemensetluirépondsqueçameferaitplaisir,àmoiaussi.

Lesfenêtresdelamaisonsontplongéesdanslenoir.J’ouvrelaporteet,unefoisàl’intérieur,guetteun signedevie.N’entendant rien, je retiremes chaussures et lesgarde à lamain enmarchantdans lecouloir,verslachambredeHaley.Toutdoucement,j’entrouvresaporte.Moncœurfaitunbonddansmapoitrine en découvrant la scène que j’y trouve, et tous les papillons qui dormaient dans mon ventres’éveillentbrusquement.

Jason et Haley sont tous deux endormis sur son lit, ma petite chérie blottie sous son grand bras,épousantparfaitementleflancdeJason.Elleasoncostumedeprincesseaucomplet,letulledesaroberemontéauxgenoux,sesfauxescarpinsluitombantdespieds.Lediadèmequidevaitornersatêtereposemaintenantsur l’épauledeJason.Etsiun telspectaclemettraitdubaumeaucœurden’importequellemaman,cen’estpourtantpascequim’émeutleplus.Cequim’émeutleplus,c’estl’hommetropgranddontlesjambesdépassentdesbordsdulitdeHaley.Ilportel’undeschapeauxdecérémonieduthédeHaley,avecunboaàplumesrosevifautourducou;j’enailesoufflecoupé.

Cegenredescènen’estpourtantpasnouveaupourmoi.Quandjerentraistarddutravail,ouaprèsunesortieavecdesgarçonsouavecPaige,ilm’arrivaitdetrouverHaleyetCadeenlacésdelasorte.Etjemerappelleavoiralorspenséquejedonneraistoutpourtrouverunhommequiferaitcelaavecmafille.Quimettraitsavirilitéd’adultedecôtépendantuneheureetjoueraitàladînetteetàsedéguiseravecunepetitefillequileregardeavecadmiration.

Pendanttoutcetempsoùjel’aicherché,jelefaisaisdanslamauvaisedirection.J’essayaisdefairerentreruncubedansuntrourond,enquelquesorte.ParcequeGregabeauêtrestableetrassurant,jenel’imaginepasdu tout fairecegenredechose.Finalement,cethommeétait là,devantmoi,depuisbienlongtemps ; cette brusque prise de conscience m’ébranle littéralement, et je trébuche sur des jouetsabandonnésparterreenmedirigeantverslaporte,quejerefermesansbruitderrièremoi.

Unefoissortie,jem’adosseàlaportedeHaleyenfermantlesyeux,savourantcetterévélation.Maisjen’aiguèreletempsd’ypenser,carlaportes’ouvrebientôt,etJasonsortdelachambre,débarrassédesondéguisement. Il referme la porte et s’appuie contre lemur en facedemoi, les bras croisés sur sapoitrine.

Sa posture est détendue, comme elle l’était quand je suis partie, tout à l’heure,mais ses yeuxmescrutentcommes’ilcherchaitàsavoirquelquechose.Ilsmeparcourentdelatêtejusqu’àmespiedsnus,sansmanquerlesescarpinssuspendusàmesdoigts.Et,commeavant,j’ail’impressionquesesyeuxmecaressentàmesurequ’ilssedéplacentsurmoncorps,allumantquelquechoseenmoi.

–Alors,c’étaitcomment,cettesoirée?

Savoixestsourdeetunpeurauque,encoreendormie,etj’aidumalàadmettrecequecesonproduitsurmoi,qu’iléveillequelquechosedeprofondalorsquelecontactdirectd’autreshommesnem’apasfaitlequartdeceteffet.

Jepourraismentir.Jepourraisluidirequec’étaitformidable,queGregm’aemmenéedansunsuperrestaurantetquej’aipasséunebonnesoirée,maisjen’aipasenviedefairesemblant.Pascesoir.

–Pasterrible.–Pourquoiça?Jehausselesépaules.–Çanecollepasentrenous,c’esttout.Ilmedévisageunlongmomentavantdedire:–Pourquoicontinues-tuàsortiravecdestypescommeça,Tess?Auboutdequelquesinstants,lavérités’échappedemeslèvres.–Parcequejecroyaisquecegenred’hommesétaitcequ’ilmefallait.–Etmaintenant?Jeleregardeattentivement,desescheveuxenbatailleàsesyeuxnoisette,enpassantparsamâchoire

tailléeàlaserpeetlégèrementombréeparlarepoussedesabarbe;jesensmesgenouxfaiblir.–Maintenant…,jenesaisplustrop.Ils’écartedumurets’approchedemoi,siprèsquejesenssonsoufflesurmonépauledénudée.–As-tuseulementcruenluiunseulinstant?Renduemuetteparcetteproximité,jemecontentedesecouerlatêtedegaucheàdroite.D’unevoixencoreplussourde,ildit:–Est-cequ’ilt’aaumoinsrendueunpeuheureuse?Celapourraitsignifierdixmillechosesdifférentes.Celapourraitêtresurleplanintellectuel,affectif

ouphysique,mais peu importe ce que Jasonveut dire, parce quedans, tous les cas, la réponse est lamême:

–Non.Lemotsortd’unevoixrauque,d’unsoufflecourt,etjemedemandedepuisquandjesuiscommeça.

Depuisquandjesuisdecellesquiperdenttoutecontenanceàproximitéd’ungarçon.Ungarçonsexyendiable, certes, mais juste un garçon, quand même. Apparemment, ce n’était pas la meilleure idée dumondedelaissermonterlapressionjusqu’àcequ’ellesoitforcéed’exploser.

Iltendlamain,sesdoigtseffleurentmonépauleetjefrémis;lachairdepouleenvahittoutmoncorps,etlapointedemesseinsdurcitsouslesatindemarobe.

–Moi,jepourrais,dit-ilsibasquejel’entendsàpeine.Maisjel’aientendu.Jel’aientendu,etjeveuxexactementcequ’ilsuggère.–Jepourraisterendretrèsheureuse,Tessa.Ça,jen’endoutepas.LescompétencesdeJasonenlamatièren’ontjamaisétéremisesencause,et

ce,depuislelycée.–Est-cequetuveuxquejelefasse?Tun’asqu’unmotàdire,etjeleferai.Ilsepenche,seslèvreseffleurentmoncou,etmatêteheurtelemur,tandisquej’oubliel’existencede

meschaussuresquitombentàterre.Incapabledel’enlacer,depasserlesmainsdanssescheveuxoudel’attirerversmoi,jemecontentedeposermespaumescontrelemurderrièremoi.

–Dis-moi,Tess.Sonintonationestgrave,fragile,etc’estledésespoirquej’yperçoisquifinitparmefairecraquer.

–Oui,dis-jedansunmurmure,retrouvantenfinmavoix.

JASON

Àpeinea-t-elleprononcécemotquejemepenchesurelle,prenantsonvisageentremesmainspourposer mes lèvres sur les siennes. Et ces lèvres…Mon Dieu, quelles lèvres ! Douces et chaudes, etn’hésitantpasàrépondreauxmiennes.Poussantunrâle,j’avanceunpeuplusdanssabouche,coinçantsoncorpsentrelemuretmoi.Bonsang,cequec’estbon.Sesmainssedécollentenfindumurpourvenirsepressercontremesflancs,etj’enveuxencore,plus.Jeveuxlessentircontremapeau,partoutsurmoncorps.Jeveuxqu’elles’agrippe,qu’ellelutte,qu’ellemegriffe.Jeveuxlesmarquesdesesdentssurmonépaule, les tracesdesesonglesdansmondos. Jeveuxqu’ellegeigne,qu’ellegémisse,qu’ellehalète,qu’ellecriemonnom.Jeveuxm’enfoncerenelle,sentirlespulsationsdesonsexeautourdumien,voircommentelleestsousmoipendantquejelabaise.

J’écarte ma bouche de la sienne et fais glisser mes baisers sur sa joue, jusqu’à son oreille. Jeparcourscecheminavecmalangue,merégalantdesesgémissementsencourageants.

–Jusqu’où,Tess?Jusqu’oùes-tuprêteàalleravecmoi?–Quoi?J’adoreletimbreunpeuéraillédesavoix,lafaçonessouffléeetpresquedéboussoléedontelleme

répond. Comme si son cerveau n’était plus branché que sur les réponses de son corps. Comme si jel’avaistellementexcitéequ’ellen’arrivaitplusàcomprendreunequestionsimple.

Jem’écartepourlaregarderdanslesyeux.–Jusqu’oùveux-tuqueçaaille?Jepeuxt’emmenerdanstachambre?Sesyeuxs’écarquillentuninstant,paniqués.Jefrottesajoueduboutdemonpoucepourlarassurer.–OK,onoublielachambre,pasdeproblème.Jeneveuxpasteforcerlamain.Jeposeunpetitbaisersurseslèvres.–Lecouloirmevatrèsbien.Souriant,jemepenchepoursuçoterlachairtendredesoncou;satêtebasculeenarrière,tandisque

sesmainsm’attirentcontreelle.–Onnecouchepas,dit-elle.Jenesaispassic’estlefruitdemonimagination,maisj’ail’impressionqu’elleseforceàprononcer

cesmots,autantpourmeprévenirquepourselerappeleràelle-même.–Onnecouchepas,jerépèteenhochantlatête,mepenchantdéjàpourl’embrasserdenouveau.Voilà qu’elle m’imite maintenant, sa langue cherchant la mienne sans me laisser le temps de

l’approche.Lespetitsbruitsqu’ellefait, lafaçondontellebougesoncorpscontre lemienmedonnentuneérectioncommejen’enaipaseudepuislongtemps.Sansquejesachesic’estàcausedutaboudelasituation(parcequej’aienfinlapersonnequim’étaitinterditedepuislongtemps)ousic’estsimplementparcequec’estTess.

Àcausedenotredifférencedetaille,iln’estpastrèsaisédel’embrasseretdemefrottercontreelledelamanièrequiluiarrachedesgémissements.Jel’attrapedoncparl’arrièreduhautdescuissesetlasoulèvecontrelemurenguidantsesjambesautourdemeshanches.Unemaincaléesoussesfesses,jeremonte le longde sa cuisse avec l’autre, sansm’arrêter lorsque je rencontre le tissude sa robe trop

courte,maintenantremontéeautourdeseshanches.Jesaisquelaseulechosequimeséparedésormaisdesonsexeestlafinebandededentellequejesenssousmesdoigts.Cetteidéem’arracheungrognementetmefaitmefrottercontreelleencoreplusfort,meshanchescherchant lebonrythmepourappuyeroùilfautetluidonnerceàquoielleadroit.

Je suis doué pour ça, je l’ai toujours été. Trouver ce qui fait gémir, crier une femme, ce qui latransformeenunevéritablepoupéedechiffonsousmesmains.Cequi lafaitdécoller.Et j’aivraimentenviedelefairepourTessa,alorsque,souvent,jem’enfaisaisunesortededevoir.Commesilemoinsque je puisse faire pour les femmes qui acceptaient de ne passer qu’une nuit dans mon lit était dem’assurerqu’ellesyprennentdubontemps,pourlepeuqu’ellesyrestaient.

MaisavecTess…,c’estcomplètementdifférent.Premièrement,jeveuxbienplusqu’uneseulenuit.Jecroisquejepourraispasserdesjoursàétudiersoncorpssansm’enlasser.Deuxièmement,j’aienviedelafairejouir.Jeveuxluidonnerduplaisir,lavoirsepâmerdansmesbras,savoirquejesuisleseulàpouvoirluioffrirça.

J’aienviedelatoucherlàoùelleestdouce,chaudeetmouillée,deglissermamainsousletissudesaculotteetdelafairejouiravecmesdoigts.J’aienviedebaisserlehautdesarobe,deposerlabouchesursesseins,deluisucerlestétonsjusqu’àlafairecrier,maisjeneveuxpasluiforcerlamain.

Aulieudecela,j’attrapesesfessesdemesdeuxmainsetpressemonsexecontreelleenbougeant,etbientôt elle halète contremabouche, lespaupières lourdes et le regard enivré commeelleplonge sesyeux dans les miens. Elle remue contre moi de façon désordonnée, ayant depuis longtemps perdu lerythmeetsoncorpscherchantmaintenantladélivrancetantattendue.

Jemurmurecontreseslèvres:–Allez,mabelle,lâche-toi.Lâcheunpeu.Laisse-moitefairejouir.Malgrémesbonnesrésolutions,voilàquemamainremontelelongdesacuisseetquejeglissemon

poucesousletissudesapetiteculotte.Elleestsidouce,simouilléequej’aipeurd’éjaculerdansmonjeancommesij’étaisredevenuunadolescentinexpérimenté.

Elle se tend, ouvre la bouche, gémit.Enquelquesmouvements demonpouce sur son clitoris, ellejouit,latêterenversée,lecouoffert,lapoitrinehaletante.

Jedevraisêtregênéderessentirune tellesatisfactionà l’idéed’êtreceluiquiapufairecelapourelle,mais je ne laisse aucune place à la honte. J’adore le fait d’avoir pu lui donner du plaisir avecseulementquelquescaressesetquelquesbaisers.Quandjepenseàcequecepourraêtrequandj’auraiunlitàmadisposition,quandjepourraimeservirdemesmains,demalangueetdemonsexe,latêtemetournedéjà.

Normalement,c’estàcestadequejecommenceàsongeràmaprochaineconquête,m’ennuyantdéjàaveclafillequejeviensdefairejouir.MaislasimpleidéedenepaslerefaireavecTessmeserrelecœur.Etjemerendscompteavecinquiétudequejenem’ennuiepasdutout.Bienaucontraire.

Jem’imagine trèsbien faire ça avecelle tous les jourspendantunmois sansm’en lasser.Et c’estcarrémentflippant.

13

TESSA

Quand j’étaisplus jeune, j’ai euunbéguinpour Jason.Commentaurait-ilpuenêtre autrement ? Ilavait toutcequ’uneadopouvait attendred’unpetit ami. Il étaitplusvieux,avaitplusd’expérience. Ilétaitdrôle,incroyablementsexyetsavaits’amuser.Malheureusement,àcetteépoque,ilnemevoyaitquecommelapetitesœurennuyeusedesonmeilleurami.

Malgré tout, la petite bête tenace que j’étais déjà avait longtemps nourri le fantasme totalementirréalistequ’unjour,bientôt,ilviendraitversmoi.Ilserendraitcomptequenousétionsfaitsl’unpourl’autreet,unsoiroùilseraitavecCade,ilentreraitdansmachambreetm’embrasserait.Etnousserionsheureuxpourtoujours.

Aujourd’hui, jemedemandecomment j’aipuêtreaussinaïveet innocente,àfantasmerainsisurunsimplebaiser.

Toutchangealorsquej’entraiensecondeetquenousnousretrouvâmestousdanslemêmelycée.Là,jefusforcéed’assisterauspectacledeJasonparadantchaquejouravecunenouvellefilleàsonbras.Jelevoyaisdanslescouloirs,collantuneblonde,unebruneouunerousse(illesaimaittoutesautant)contreles casiers, les mains et les lèvres s’activant partout où elles le pouvaient, et j’en fus désespérée.Vraimentdévastée–enfin,autantqu’uneadodequatorzeanspuissel’êtrequandelleserendcomptequesoncœurabattupourlamauvaisepersonne.

Alors,j’aitracémonchemin.J’aicommencéàavoirdesvuessurd’autresgarçons,j’aientamédesconquêtes,et,finalement,j’aieu

monpremiercopaineteumonpremierbaiser.J’aioubliéJasonetsescopinesd’unjoursansplusjamaisregarderenarrière.

Mais même si, en surface, j’ai oublié tout cela, il semblerait que ces souvenirs n’aient jamaistotalementdisparu,parcequ’aujourd’hui,jemeretrouveallongéesurmonlit,assouvieparcethomme-làenpersonne,àmedirequ’iladéjàdûfairelamêmechoseavecunecentained’autresfillesavantmoi.Siçasetrouve,ill’amêmefaitpasplustardqu’hier.Etcetteidéemenoueleventre,faitpalpitermoncœuretmedessèchelabouche.

Parcequejeneveuxpasêtreunefilledeplusdanssalistedéjàbientropfournie.Jenesaiscomment,ilestsoudainpassédustatutdemecquejenevoulaispasàceluidemecqueje

voulais plus que tous les autres, et celame fiche une trouillemonumentale, surtout pour avoir été letémoindirectdesindiscrétionsdeJasonenlamatière.Ilsemblaitheureuxquandilestparti.Ilétaittoutsourire, pleindemotsgentils, etm’adit qu’ilm’appellerait demain ;mais je supposequ’il dit cela àtoutessesconquêtes.

Montéléphonevibresurmatabledenuit,metirantdemespensées.JesuisàlafoisdéçueetsoulagéedevoirlenomdePaiges’affichersurl’écranplutôtqueceluidugarçonauqueljepensais.

–Salut.–Merde,j’espéraisquetunerépondraispas.

Jeréprimeunrire.–Pourquoi?–Parcequej’espéraisquetuseraistropoccupéeàbaisercommeunebête.–Oh!Paige…–Quoi?C’étaitbienl’objectifdelasoirée,non?Letroisièmerencard?Tunevasquandmêmepas

medirequec’estpourmoiquetut’esfaitépilerleminou?J’aibeaunepasavoirvraimentcouchéce soir,quelqu’unaquandmêmepuenprofiter.La simple

idée du pouce de Jasonme frottant entre les jambesm’envoie de nouveaux picotements dans le bas-ventre.

–NomdeDieu.Tuasbaisé!–Jen’airiendit!–Oh!jet’enprie,tonsilenceenditplusquesituavaisparlé!–Commentça?Ignorantmaquestion,elleenchaîne:–Parcontre,iln’estquedixheuresettuesdéjàrentrée…Çaveutdirequelemecétaitunrapide,

non?–Franchement,Paige,jenecomprendspascommentfonctionnetoncerveau.–Maistum’aimesquandmême.–Engénéral,oui.–Allez, accouche.Raconte-moi tous les détails.Est-ce qu’il a une bite de cheval, aumoins, pour

rattrapersesautresdéfauts?–Seigneur.Maistuasvraimentunproblème,maparole!–Jenevoispasoùestleproblème.J’espèrejustequemacopineenaeupoursoncompte.–Pourêtrehonnête,jenesuispassûrequej’auraisenviedebaiseravecuntypequiauraitunebitede

cheval.Primo.Etarrêteunpeudeparlerdecul!Jen’aipascouché.–Non,maistuasquandmêmefaitquelquechose.Jelesens.–Arrêtetonchar.Onnepeutpassentirçaautéléphone.–Moi,si.Tuestoute…bizarre.Nerveuse.Etjet’imaginetoutàfaitcommeçaaprèslesexe,parce

que,pouruneraisonobscure,tupensesquetun’aspasdroitàça.Je pousse un long soupir. Elle neme lâchera pas tant que je n’aurai pas craché lemorceau, c’est

évident.–Écoute,jen’aipascouché,tum’entends?J’aijuste…faitautrechose.–Aaaah!Cequelquechosemeplaîtbien.Yaurait-ilunehistoiredelanguedanscequelquechose,

parhasard?–Non,pasdelangue.–Dedoigts,alors?–Mmm…,pasexactement.–BonDieu,Tess, il fautvraimentque je teposedixmillequestionsoubienvas-tumedirecequi

s’estpassé,àlafin?Jepourraisévitersesquestions,refuserd’yrépondre,mais,àvraidire,jesensquej’aibesoind’en

parleràquelqu’un.Fixantleplafond,jesoupireavantdelaisserlesmotssortirprécipitamment.–Jasonm’achaufféeàmortcontreunmur.–Tupeuxrépéter?

–MonDieu…C’estnul,non?Vraimentnul.Jen’arrivepasàcroirequej’aiefaitça.Jen’arrivepasàcroirequejel’aielaissémefaireça.Etjusteaprèsêtrerentréed’unrencardavecunautretype,enplus.Ilfautvraimentêtredégueulasse,non?Enfin,aumoinsonn’apascouché,c’estdéjàça.Jeluiaidittoutdesuite:«Onnecouchepas.»Maiscen’estquandmêmepasterrible,hein?Ilesttoujourssemblableàlui-même,iln’apaschangé.Mêmeensachantcela,jel’ailaissémeplaquercontreunmuretsefrottersurmoijusqu’àcequej’aieunorgasme.MonDieu…

Paigesetaitquelquesinstants,puis,commejenedisrien,ellemedemande:–Bon,çayest,tuasfini?–Jecrois,oui.–OK,alors,commençonsparleplusimportant:c’étaitbien?Je repense à la sensation que j’avais entre ses bras.À la taille de son torse contre lemien, à ses

muscles sous mes doigts. À l’envie que j’avais de passer sous son tee-shirt pour sentir sa peau. Jerepenseàsonsouffledansmoncou,surmapoitrine,surmeslèvresetdansmabouche.Àcequej’aisentiquand il se pressait contremoi, à son érection d’acier, à la facilité avec laquelle j’ai joui quand il asimplementpassélepoucesousmaculottepourappuyeruntoutpetitpeu.

–C’étaitgénial.–Ah!Tupeuxaumoinsadmettreça.Ceneserapeut-êtrepasaussidurquejelecroyais,alors.–Quoidonc?–Deteconvaincredeluilaisserunechanceavectoi.–Quelle chance,Paige ? Je te rappellequ’onparlede Jason.Dumecqui est tricardd’uncaféde

CenterAvenueparcequ’ilaétésurprisentraindesauterunefilledansleschiottes.Ilnes’agitpasdeGreg, qui cherchait activement quelqu’un avec qui avoir une relation sérieuse. Jason, lui, chercheactivementànepasavoirderelationsérieuseavecquiquecesoit.

–Oui,maislà,c’estavectoi.Jevoudraistellementcroirecequ’elledit.Maisjen’yarrivepas.–Çanecompterapasplus,Paige.–Qu’a-t-ilditavantdepartir?Jesoupireenmerappelantsesparoles,l’expressiondesonvisage,et,l’espaced’uninstant,unpetit

boutdemoinourritl’espoirque,peut-être,Paigen’apascomplètementtort.–Qu’ilm’appelleraitdemain.–Bon,ehbien,onverracequisepassedemain.

JASON

Jenesuismêmepasrentréchezmoiquelaculpabilitém’assailledéjà,s’installantdansmonventretel un poids surmon estomac. C’est pourtant la dernière chose que je voudrais éprouvermaintenant,surtoutaprèsavoirlaisséuneTessacombléechezelle.Ilauraitfacilementpuyavoirunsilencegênéouuneconversationmaladroiteaprèsnotrepetite séance,mais il n’en a rien été.Elle était heureuse, toutsourire,etjel’aiquittéesurunbaiserenpromettantdeluiparlerdemain.

Alors,sitoutallaitbienquandjesuisparti,pourquoicesentimentmeplombe-t-illeventre?Jesaisquejen’aipasprofitéd’elle.Jeluiaidonnénombred’occasionsdedirenon,d’arrêter,etjesaisqu’elle

enavaitautantenviequemoi;etpourtant,jemesensrongéparl’horribleimpressiond’avoirfaitquelquechosedemal.

Bon.Avouonsqu’iln’yapasbesoind’êtreungéniepourdevinerd’oùçavient.Laraison,c’estcesensdelaloyautéindéfectibleenversmonmeilleurami.Ilyadeuxsemaines,ilm’ademandédemeteniràdistanced’elle,et,aulieudel’écouter,aulieudefairemarchearrière,j’aiplaquésasœurcontreunmuretjel’aifaitjouir.Lefranginm’arracheraitlescouilless’ilsavaitça.

Letrajetretourestrapide,etjemegaresurmaplacedeparkingavantd’entrerdansmonimmeuble.Unefoisdansmonappartement,jebalancelescléssurlecomptoiretlancemonmanteausurunfauteuil.Conscient d’avoir besoin de me détendre avant de pouvoir dormir, j’attrape une bière dans leréfrigérateuretm’allongesurlecanapé.

Montéléphonesonnejusteaprèsquej’aiallumélatélé.Uncourtinstant,jepensequec’estpeut-êtreTessaquiappellepourmedirequenousavonsfaitunegraveerreur.Jen’oseavouercequecetteidéemefaitauniveaudelapoitrine.

L’écrandemonportableaffichelenomdeladernièrepersonneàquij’aienviedeparlermaintenant:la personnemêmeque j’ai l’impressiond’avoir trahie. Jepousseungrognement et bascule la tête surl’accoudoirducanapéenfermantlesyeux.Jen’aipasbesoindesavertissementsdeCadeoudetoutessesconneries de discours protecteurs en ce moment ; seulement, si je ne réponds pas, il appelleraprobablementTess,etjeneveuxpasqu’elleaitàaffrontercetappelencemoment.Jeneveuxpasqu’ilrisquededevinercequis’estpasséentrenous,mêmesiellenel’avouepasouvertement.

N’ayantguèred’autreschoix,jedécrochedonc.–Salut.–Salut,mec,quoideneuf?–Pasgrand-chose.Jeviensderentrer.–Déjà?Ilest,quoi,dixheures,chezvous?Çafaittôtpourtoi.–Oui,peut-être.–Tun’aspasréussiàemballerdanslesbars,cesoir?Sonintonationabeaun’êtreniméchanteniaccusatrice,jetiquequandmêmeenentendantsaremarque

etserrelesdentspournepasm’énerver.Cen’estpassafautes’ilmeconsidèretoujourscommeletypequiramèneunefillechezlui levendredi,etuneautrelesamedi.Cen’estpassafautes’iln’estpaslàpourvoircommejemeconduisdifféremmentavecTess.

Lorsquejemesenscapabledeparlersanstrahirlefaitquesaremarquem’apiquéauvif,jeréponds:–Enfait,jenesuispassorticesoir.J’étaischezTessa.Ilrestemuetquelquesinstants,etj’aienviedemetaperlatêtecontreunmurpourluiavoirseulement

ditça.J’auraisdûlaboucler.–ChezTessa?Ils’éclaircitlavoixet,affectantledétachement,c’estmalgrétoutd’unevoixtenduequ’ilmedit:–Qu’est-cequetufaisaislà-bas?J’estimepréférabledenepasluidirequej’aifaitjouirsasœurcontreunmuretchoisisplutôtdelui

communiqueruneautrepartiedelavérité.–JegardaisHaley.Tessavaitunrencardcesoir.Cesquelquesmotsfontresurgirenmoilesouvenirdecetypeaveclamainposéeenbasdesondos,

alorsqu’illaguidaithorsdelamaison…,loindemoi…,etjesensmonventresenouer.Sijemesenscommeunconaprèscequenousavonsfait,cequirestesûr,c’estquejeneveuxpluslavoirsortiravec

d’autrestypes.Ilexpirebruyamment,etjeperçoisclairementsonsoulagementauboutdelaligne.–Ahoui?Toujourscedentiste?–Orthodontiste.–Exact.Tul’asdéjàvu?–Ouaip.–Et?–Et…Jepousseunsoupiravantdeprendreunegorgéedebière.–Écoute,jenesaispas…Ilestchiantàmourir.Ettropvieuxpourelle.–Vieuxcomment?–Aumoinstrenteans,jepense.–Putain,marmonne-t-il.J’aibeausavoirquejenedevraispaslaisserCadecroirequeTessavoittoujourscemec,jeneveux

paslaisserpasserl’occasionqu’ilmefoutelapaixàcesujet(encequimeconcerne).–Tugardesunœilsurelle,hein?Jeréprimeunrire.–Ilfaudraitsavoir,Cade.Ladernièrefoisquetum’asappelé,tum’asquasimentengueulépourqueje

nel’approchepas.Maintenant,tuvoudraisquejegardeunœilsurelle.Alors,jefaisquoi?–Jeveuxquetuveillessurelle.Maisent’abstenantdeteservirdetabitepourça.–Écoute,monpote,Tessaestunegrandefille.Elleestcapabledeprendresesdécisionstouteseule.

Etsielleaenviedesetapercemecdetrenteansoudesemaqueravecungarsquineteplaîtpas,c’estsonchoix.Necomptepassurmoipourluifairepassertamorale.Jem’assurequ’elleestensécuritéetqu’ellevabien,jel’aidequandsavoituretombeenpanne,jegardeHaleyquandelleestcoincée,maissitu veux savoir ce qui se passe dans sa vie privée, demande-le-lui directement. Je ne ferai pasl’intermédiaire.

Ilrestemuetquelquesinstants.Lorsqu’ilrépondenfin,sesproposmesurprennent:–Tuasraison.Jesaisquejenedevraispasfaireça,maisc’estdurd’êtresiloinquandellepartdans

desrencardsaveccesconnardsqu’ellerencontresurInternet.Commentsavoirquic’est,cesmecs?Ellepourraittombersurdesminablesoudespsychopathes,etmoi,jenepeuxrienfaire.Jen’aipasl’habitudedenepasavoirdevisibilitésurlesgensqu’ellefréquente.

–Fais-luiunpeuconfiance.Tasœurn’estpasuneidiote.Cen’estpasnonpluscommesiellerecevaitunmailetpartaitrencontrerlemecdansunboislelendemain.Fais-luiconfiance,ellesaitcequ’ellefait.

Si ces mots correspondent à ce dont nous parlons, je voudrais vraiment qu’ils s’appliquent pluslargement,qu’ilscorrespondentaussiàcequenousvivons…,Tessaetmoi.

–Oui.C’estlecas.Jeluifaisconfiance.Quelqu’unparlealorsàCade–unevoixféminine–etilsemetàrire.–WintermeditdelaisserTessatranquilleetdeparlerd’autrechose.–J’aitoujourssuquec’étaitunefilleintelligente.Ilritdoucement.–Oui,c’estvrai.Alors,quoideneufpour toi?Commentsepassent tescours?Tuvaspasser ton

diplômecetteannéeouquoi?Lorsdenotredernièreconversation,j’étaistellementénervéparcequ’ilm’avaitditàproposdeTess

quejen’aimêmepasprislapeinedeluiparlerdel’ultimatumposéparmesparents.–Oui,jecroisbien.–Sansdéconner?Tuasenfinlevélevoilesurtonclassement,c’estça?Qu’est-cequit’adécidéàle

faire?–Ehbien,quandtesparentstedisentqu’ilstecoupentlesvivressitunetemagnespasletrain,onva

direqueçatemetunpeulapression.–Ilsontditça?–Ehoui.J’aiapprisçailyaunequinzainedejours,àtable.Jepassemondiplômeenjanvier,touten

secondantmonpèreàlaboîte,oubienjemefaisjeterdelafamille.–Sansblague,c’estvraimentleursconditions?–J’aijusteajoutélecôté«ontejettedelafamille»,maisilsn’ontpaseubesoindeledirepourque

cesoitvrai.Tusaiscommentilssont.Soislemeilleurouvatefairevoirailleurs.Tuimaginescequeceseraitpoureux,auclub,si leur fils faisaitautrechosequeporteruncostardcinq joursparsemaineetallerjoueraugolfdèsquel’occasionseprésente?

Ilsetaitquelquesinstants,puissoupire.–Pardon,monpote.–Pardonpourquoi?–Jemesensvraimentcon.–Ehbien,tuescon,maisj’ysuishabitué,depuisletemps.–Non,jesuissérieux.Tutedébatsavectoutcemerdier,etmoi,commeunconnard,jet’emmerdeen

tefaisantlamoraleàproposdeTess.–Net’enfaispaspourça.–Situveuxmonavis,jepensequetudevraislesenvoyersefairefoutre.–Oui,c’estcequetoutlemondemedit.J’aimerais beaucoup pouvoir le faire. Rien ne me ferait plus plaisir que de leur faire un bras

d’honneuravantdeleurtournerledos,m’enalleretnejamaisrevenir.Maislehic,c’estquejen’aipasgrandidanslemêmegenredemaisonqueTessaetCade.Jen’aipas

grandiauprèsdeparentsquim’aimaientd’unamourinconditionnel,quimepoussaientversmescentresd’intérêt, me soutenaient dans mes choix. J’ai grandi auprès de deux personnes qui se souciaientdavantagedel’imagequedonneraientmesdécisionsaucountry-clubquedecequiétaitbonpourmoi,decequimerendraitheureux.Etj’aibeauavoirpasséquelquesannéesàfairetoutcequejepouvaispourrepousserleslimites(enprenantlemaximumdetempspourretarderl’obtentiondemondiplômeetenmefaisant une réputation dont je savais qu’elle ne leur faisait guère honneur), j’ai toujours su que celas’arrêteraittôtoutard,qu’ilsfiniraientparselasser.Auboutducompte,malgrétoutcequ’ilsm’ontmissur ledos, toutes lesattentes inadaptéesqu’ilsontpourmoi, il se trouveque je rechercheencore leurapprobation. Surtoutmaintenant quemongrand-père (la seule personne de toutema famille àm’avoirjamaisditquejevalaisdavantagequecequejepouvaisfairepourquelqu’un)n’estpluslà.

Lefaitderechercherencoreleurapprobationestvraimentdébile,étantdonnéquejenel’obtiendraijamais.Jamaisjenecorrespondraiàl’imagedufilsparfaitqu’ilssesontforgée.

Jenel’aijamaisétéetjeneleseraijamais.

14

TESSA

Paige était tellement sûre d’elle hier soir au téléphone, quand elle me disait d’une voix pleined’assurance ce que je devais faire. J’aimerais avoir une telle confiance enmoi, ne serait-ce que cinqminutes. Il doit être très agréabled’être aussi sûredequelquechose. Jen’aipas connuçadepuisdeslustres. J’ai l’impression d’avoir systématiquement remis en question toutes mes décisions depuis cematindans lasalledebain ilyacinqans, lorsque jefixaisunbâtonnetblancquim’emmenaitversunavenirquejen’avaisjamaisenvisagé,dumoins,pasàdix-septans.

ToutcequejefaisdésormaisestliéplusoumoinsdeprèsàHaley:commentcelaval’affecter,sicela l’affecte…,sicela faitdemoiunepersonneestimableauxyeuxdemafille.Quedired’hiersoir,quandj’ailaisséunmecmefairejouircontreunmur?Évidemment,jenepeuxpasdirequej’ensoistrèsfièredecepointdevuelà,pasentantquemodèlepourelle.

Sic’étaitbonsurlemoment–etc’étaitmêmeextraordinaire–,jenepeuxtoutefoispasm’empêcherdemedemander s’il ne s’agissait pas d’une erreur.Pas sur le fait lui-même,mais sur lamanière.Onauraitpuattendreunpeu.Sortiruneoudeuxfoisensemble,apprendreàseconnaîtreautrementquelesamisquenoussommesdepuisquinzeans.Surtout,onauraitaumoinspuallerjusqu’ausalonplutôtquedefaireçacontrelemurdelachambredeHaley.

Jepousseunsoupiretfermelesyeuxpouressayerd’arrêterderessasser.Jenepeuxrienchangeràcequi s’estpasséhier soir.Mêmesiunepartiedemoisaitquec’étaitunpeu irresponsable…,uneautrefrémitencoreausouvenirdecemomentetsedemandequandnouspourronsrecommencer.

JebaisselesyeuxversHaley,pelotonnéecontremoidansmonlit,lajoueécraséecontremapoitrinetandis qu’elle regarde un dessin animé à la télévision.C’est notre petit rituel du samedimatin depuislongtemps. Au début, je faisais cela pour des raisons purement égoïstes : afin de pouvoir somnolerquelquesminutesdeplus,épuiséequej’étaisparmonrôledejeunemèrequisuivaitdescoursenmêmetemps. J’avoue qu’il m’arrive encore parfois de grappiller une petite demi-heure de sommeilsupplémentaire, mais c’est devenu différent avec le temps. Haley se montre toujours plus ouverte lematin,etencoreplusquandellecôtoiedespersonnagesd’animaux.C’estmonarmesecrètedemamanpourlafaireparlerdechosesqu’ellen’aborderaitpeut-êtrepasautrement.J’espèrequecelacontinueraquandelleseraplusgrande.

Une publicité remplace le dessin animé, détournant son attention de la télé, et elle se tourne pours’allongersurleventre,appuyéesursescoudes,enmeregardant.

–Qu’est-cequ’onfaitaujourd’hui,maman?J’écarteunemèchedecheveuxdesonvisage.–Jenesaispas.Qu’est-cequetuauraisenviedefaire,machérie?–Allermangerdesglaces!–Ildoitfairemoinscinqdegrésdehorsettuveuxallermangerdesglaces?–J’aitoujoursenviedemangerdesglaces.

Jerisdevantsonexpression.–Moiaussi.Maisjecroisqu’ilyaunetempêtedeprévueaujourd’hui;alors,onpourraitpeut-être

faireçadanslesalonplutôtquedesortir.J’aidelaglacevanille-caramel-chocolatdanslecongélateur,dis-jeavecunsourire.

Sesyeuxs’écarquillentenmêmetempsqu’ungrandsourireilluminesonvisage,etjeressensunéland’amourpourellepresquedouloureux.Elleestparfaite:lemeilleurdemoi,avecunformidablemélangedetraitsdepersonnalitéquin’appartiennentqu’àelle.

Quandj’aiunebaissedemoral,quandjesuisencolèreàcausedetoutcequejenefaispascommeilfaut,ilmesuffitdelaregarder,desimplementprendreletempsdelaregarder,parcequ’ellemerappelletoutcequej’airéussi,finalement.

–Onpeutfaireunejournéepyjamadanslesalonetfaireduméquillage?Jevaisessayerdepasteremettredurougeàlèvrespartoutsurlafigure.

Je ris encore etme dis que cette époquememanquera, quand elle parlera parfaitement bien et nevoudrapluspasserautantdetempsseuleavecmoi.

–Oui,onpeutfaireça.Peut-êtremêmequ’onpourratemettreduvernisauxonglesdepied.–Ouais!s’exclame-t-elleenselaissanttombersurledosetensetortillantd’excitation.Elles’immobilisesoudainavantdeseredresserbrusquement,relevantsapetitetêtetoutébouriffée,

sescheveuxluimasquantlamoitiéduvisage.–Est-cequeJaypeutveniraussi?Monbrassefigealorsquejem’apprêtaisàécarterencorelescheveuxdesesyeux.–Jenepensepasqu’ilaittrèsenvied’avoirduvernisàongles,tusais.–Onn’estpasobligésdefaireça,maisilpeutregarderdesfilmsavecnousetmangerdelaglaceet

du pop-corn, et peut-être me lire une histoire en faisant des voix rigolotes, et cette fois il pourraitapportersonpyjamaaulieud’unjeanquigratte.

J’avaisbeausavoirdepuistoujoursquetoutcequejeferaisdansmaviesocialeaffecteraitHaley,jereçois cette question comme une véritable gifle ; c’est exactement le genre de piqûre de rappel dontj’avaisbesoin.Haleyestdéjà impliquéedans cette relationavec Jason.Qu’il y ait ounonuneaffairesentimentaleentrenous,ilfaitdéjàtellementpartiedelaviedemafillequ’ellenepeutl’envisagersanslui.Elleleréclamequandiln’estpaslà,lecollequandilestlà;bref,ellel’adore.

J’espère juste que Paige a raison sur l’issue de la nuit dernière. Parce que, si mes actes ont desretombées,siquelquechosesepasseàcausedemeschoix,jeneseraipaslaseuleàenêtreaffectée.

Cela ne doit pas faire plus d’une demi-heure que je somnole quand Haley se met à s’agiter, mesignalantqu’ilyaencoreunepublicitéàlatélé.Ellesautesurlelitet tentedemechatouillerenriantcommeunefollequandilmesembleentendrequelquechose.D’unseulcoup,jesuisbienréveillée.

–Chut,mapuce.Tais-toiuneminute.Sonrires’éteintimmédiatement.Jetendsl’oreilleetn’entendsquelesondelapublicité.Lerestede

lamaisonestcalme.Dèsque jemedétendsànouveaudans le lit,elle recommenceàbondiretà rire.Cettefois,jesuissûred’avoirentenduunbruit.L’espaced’uninstant,jepanique.Toutmoncorpssetend,tandisquejemeprépareàattraperlabattedebase-balllaisséeparCadesousmonlit,àportéedemain.J’entendsalorslavoixdeJasonrésonnerdanslamaisonetmemetsàpaniquerpourunetoutautreraison.

–Ohé?–Jay!LesyeuxdeHaleysontaussigrandsquesonsourirependantqu’ellesautedemonlitpourseruerhors

demachambre.Jeportelevieuxdébardeurmiteuxetlepantalondepyjamadeflanelleaveclesquelsj’aidormi,etje

suiscertainequemescheveuxsontundésastre.Jenesuispasmaquilléeetnemesuismêmepasbrossélesdents.Repoussantd’ungestelescouvertures,jebondisdulitetmefaufiledanslasalledebainavantqueHaleyn’entraîneJasondanslecouloir.

Unseulregarddanslemiroirsuffitàconfirmermescraintes.Jepasselesdoigtsdansmescheveuxpourleurdonnerunsemblantd’ordre,puiseffacesommairementlesrestesdemascarasousmesyeux.Unbrefbaindebouche,unrapidecoupdebrosseàdents,etjeressorspoursuivrelebruitdesrires.Aulieudemachambre,oùjepensaisqueHaleyemmèneraitJasonpourluimontrersondessinanimépréféré,jelestrouvedanslacuisine.HaleyestperchéesuruntabouretetremuelesfessesenracontantunehistoireàJason.

Tandis qu’elle lui explique quelsmots commencent par la lettre qu’elle a apprise cette semaine àl’école, Jason regarde par-dessus sa petite tête, et nos regards se croisent. Ses yeux sont sombres,profondsetbraquéssurmoiavecunefolleintensité.

Lorsque j’étais seule avecmes pensées dansmon lit vide, hier soir, il était facile de balayermessentiments,demeconvaincrequej’avaisfaituneerreur.Quejeneressentaispasundésirsifouqueçaensaprésence.Quesondésiràluin’étaitpasaussiintensequejel’imaginais.

Maislà…,maintenant…,enlevoyantàtroismètresdemoi,avecceregardmedévorantcommedufeu…,jemerendscomptequejemementaisetquejesaistrèsbienfairesemblant.

Saufqueluinesembleavoiraucuneintentiondefairesemblant.

JASON

Sansmeposerplusdequestions,cematin,jemesuislevé,j’aiprisunedouche,jemesuisarrêtépouracheter les donuts que Haley adore et j’ai foncé chez Tessa. J’avais besoin de la voir, malgré toutel’appréhensionquej’éprouvais.J’avaisbeauavoirl’impressiond’êtreunvraichiot,jem’enfichais.

Mesparentspeuventbienm’enleverlepeud’indépendancequ’ilmereste,merefuserleschoixquejenourrissaispourmonavenir,saperl’espoirquej’avaisdefairelaseulechosequimeplaisait,maislà,jeveuxfaireça.Bêtement,égoïstement,maisc’estmonchoix.

Aprèsavoirfrappédeuxfoisàlaportesansobtenirderéponse,j’utilisemaclépourentrer,medisantqueTessdoitêtreoccupéeouqu’ellenem’entendpas.JelanceunbonjouretentendsbientôtlavoixdeHaleypuissespetitspasmartelerlesolducouloir.Elleselancedansmesjambes,alorsquej’entredanslacuisinepourydéposerlesdonuts.

–Coucou,p’titbout.Qu’est-cequevousfaisiez?–Rien.Tum’asapportéundonut?Jemepencheetouvrelentementlaboîtepourqu’ellepuisseenvoirl’intérieur.–Non.Jet’enaiapportédeux.Sesyeuxpétillent,etsabouches’ouvreenungrandsourire.Ellegrimpesurletabouretetcommence

às’attaqueraubeignetcouvertdechocolatetdevermicellesmulticolorestoutenmeracontantsasemaineà l’école et à la garderie, bien qu’ellem’en ait déjà parlé hier soir.Haley ne remarquemêmepas lemoment où samère entre dans la pièce, derrière elle, mais, quant à moi, je ne peuxm’empêcher de

releverlesyeux.Tessaalescheveuxenbatailleetestsexyendiableavecsesjouesunpeurouges.Enunclind’œil,jelaregardedelatêteauxpieds.Cequejeregrettepresqueaussitôtd’avoirfait,carellen’apasdesoutien-gorge,et lavuedesesseinspointantsousletissuélimédesonhautmedonneenviedehurleràlamort.Puisdelaplaquercontreunmuretderejouerlescénariodelanuitdernière,maiscettefoisjusqu’auboutdubout.

Ce n’est que lorsqueHaleyme tire sur lamain à plusieurs reprises que jeme souviens qu’il y aquelqu’und’autrequenousdeuxdanscettepièce,etquepenseràcequej’aienviedefaireauxseinsdeTessaesttoutàfaitinappropriéencetinstant,quoiquemaqueueenpense.

–Alors,dis?Secouant la tête pour recouvrermes esprits, je baisse les yeux versHaley et sa bouche pleine de

chocolat.–Euh,oui,biensûr.Jenesaismêmepasàquoijedisoui,maisilestclairque,detoutefaçon,jedisrarementnonàcette

petitepersonne.–Ouaaais!Ledernierseraaumilieu!Sansplusattendre,elledescenddesontabouretetdétaledelacuisine.–HaleyGrace,tunevaspasdansmonlitavantdet’êtrelavélesmainsetlafigure!crieTessadans

lecouloirendirectiondesafilleavantdeseretournerversmoi.Quand son regard se pose à nouveau sur moi, elle hausse les sourcils d’un air interrogateur. Je

panique un instant devant son expression de surprise, me demandant ce que j’ai bien pu promettre àHaley.

–J’aiditouiàquoi,là?Sa surprise semue en suspicion, puis en amusement, alors qu’un sourire naît sur son visage. Elle

croiselesbras(et,non,jeneregardemêmepascequecegestefaitàsesseins).–Tun’asriencaptédecequ’elledisait.–Hein?Qu’est-cequetudis?Elleéclatederireetsecouelatête.–C’estbiencequejepensais.Tuauraispudireouisiellet’avaitdemandéd’essayersonnouveau

maquillagesurtoioudetefriserlescheveux.–Pitié,dis-moiquecen’estpasça.–Ehbien,toutàl’heure,elleparlaitdetemettreduvernisauxonglesdepied,maisjeluiaiditquetu

risquaisdenepasêtrepartant.Tuasjusteacceptédeparticiperànotrepetitritueldusamedimatin.Je referme le couvercle de la boîte de donuts et avance vers Tessa. J’ai envie de la toucher, de

l’embrasseràenperdrehaleine,maisjenesaispastropoùnousensommes–sil’épisoded’hiersoirétaituncoupd’unsoirouledébutdequelquechose.Lepire,c’estquejenesaismêmepascequimefaitle plus peur entre ces deux possibilités. Je fourre le reste du donut dansma bouche, préférant ne paspenseràcelapourlemoment.

–Etc’estquoi,cerituel?Vousallezboiredusangdecochon?–Pire.OnvaregarderDisneyJuniortouscoincésdansunechambre.–Tachambreoulasienne?–Ilvautmieuxquecesoitdanslamienne.Sinon,çaferaitbeaucoupdemondesursonpetitlit.JepensealorsàTessaetmoidanssonlit…,seuls…,etcelasuffitàécarter tous lesdoutesque je

pouvaisavoirenmedemandantsijepréféraisquecequis’estproduithiersoitjusteuncoupd’unsoir,parcequeriennemefaitplusenviequel’idéedelavoirsousmoi,essouffléeetheureuse.

Jemepencheverselle,meslèvreseffleurantpresquelessiennes.–Jepréfèrenettementquecesoitdanslatienne,Tess.Maisàunautremomentetpourunetoutautre

raison.Ses yeux s’agrandissent un peu, sa bouche s’entrouvre légèrement, et je sais qu’elle se rappelle

précisémentcequenousavonsfaitdanslecouloirilyaquelquesheures.J’espèrequ’ellesesouvientduplaisirqu’elleaéprouvédansmesbras,parcequej’adorel’idéequ’ellepenseàmoidecettemanière…,ànousdecettemanière.

–Maman!Jay!Dépêchez-vous,çacommence!–Tuasentenducequ’elleadit?Ledernierseretrouveaumilieu.Surce,jedonneàTessaunepetitetapesurlesfessesetcoursdevantelledanslecouloir,jusqu’àsa

chambre.LepetitcorpsdeHaleyoccupebienplusdeplacequenécessairesurlematelas,etelletapotelaplaceàcôtéd’elle.

–T’asunpyjama?–Non,toujourspas,désolé.Ellepousseunsoupirtrèsexagéréenlevantlesyeuxauciel,aussibienqu’ellepuisselefaireduhaut

desesquatreans.–Bon,d’accord.Maisenlèveteschaussures,sinonmamanvasemettretrèsencolère.Alorsquejeretiremeschaussures,Tessasefaufiledanslachambreetbonditsurlelitenriant.Haley

sedressesursesgenouxenapplaudissantavantdememontrerdudoigt.–C’esttoiquiserasaumilieu,Jay!Ilyapeudetempsencore,j’auraisfaittoutautrechosedemonsamedimatinquerestercoincédans

unlitentredeuxfilles.Mais,aujourd’hui,ilsetrouvequejenevoispasdemeilleurefaçondepassercemoment.

Haleys’écartedulitet tape lacouvertureduplatde lamain,m’invitantàm’installer.Jehausseunsourcil en direction de Tessa, lui demandant ainsi la permission. Le fait qu’elle n’ait pas refusé lapropositiondeHaleydanslacuisine,puisqu’ellesesoitainsijetéesurlelitsembleindiquerqu’elleestpartante,maisjepréfèrem’enassurer.

Ellemesouritenhochantlégèrementlatête;jemontedoncsurlelitetyprendslaplacecentrale,oùjem’installeàmoitiésurTessaetHaley.

– Tu as raison : il est vraiment confortable. Et cet oreiller est si moelleux, dis-je en appuyantdoucementsurleventredeHaley,hilare.

–C’estpasunoreiller,Jay!C’estmoi!–Oh!Jevousprie,mademoiselle,debienvouloirmepardonner,dis-jeavecunaccentbritannique

caricatural.Ellepartdansdegrandséclatsderire.Toujoursàmoitiéallongésurelle,jebredouilleducharabia

aveccetaccent.Dèsqu’ellelepeut,ellesedégagedemonbrasposésurelle.Etàpeineai-jeletempsdebienm’installerqu’ellesefraieuncheminsousmonépaulepourvenirseblottircontremonflanc.Cettepetitefillem’atoujoursfaitcraquer.Depuissanaissance,àvraidire,mêmesij’aibeaucoupluttécontrecesentiment(a-t-ondéjàvuungarçondedix-neufanss’enticherd’unbébé?).

Maismaintenant,avecsonrirequirésonnecontremapoitrine…,quandjevoiscesgrandsyeuxbrunssi semblables aux miens levés vers moi…, une chaleur presque douloureuse m’étreint le cœur, et,

l’espaced’uninstant,jemedemandecequej’éprouveraissielleétaitàmoi.Siellesétaienttoutesdeuxàmoi.Etjemedemandes’ilnes’agiraitpaslàdecedontmongrand-pèreparlait toujours: legenredefamillequicomptevraiment.Legenredefamillequicompteplusquetout.

Depuisquej’aiatteintl’âgedefréquenterdesfemmes,jemesuisbattucontrecegenredelien,j’ailuttécontrecequepouvaitimpliquerd’êtreavecquelqu’unàcausedelatournurepriseparlecouplequeformentmesparents.Maisilsetrouvequejenepeuxpluslutteraujourd’hui;pascontreTessaetHaley.

Surtout,jemerendscomptequejen’aiaucuneenviedemebattrecontreça.

15

TESSA

–Non,maissansblague,vouscomptezvraimentpassertoutelajournéeaulit,commeça?Jasonparletoutbas.Ilmurmurecontremescheveux,etjeréprimeunfrisson.Voilàenvironuneheurequ’ilestarrivé.Uneheurepleinedecontactsphysiques,aveclesvibrations

desavoixsousunefinecouchedecoton,entremonoreilleetsapoitrine.SitôtqueHaleys’estblottiecontrelui,ilm’aattiréecontresonflancégalement,nousserranttoutesdeuxsanslâcherprise.Ilfautdirequejen’aiguèreopposéderésistance.

–Non,ilyatoujoursunmomentoùonvajusqu’àlacuisinepourprendreuntrucàmanger.–Ouais,delaglace!s’écrieHaleyenprojetantdangereusementlepoingenl’air.–Tuterendscomptequetul’asdéjàrendueaccroàlaglace?LesouffledeJasoncaressemonfront,etjedoismerappeleràl’ordre.Ralentir.Fairemarchearrière.

Paige pense que je peux simplement baiser pour baiser,mais pasmoi. Je n’en ai jamais été capable,mêmesi,parfois,j’auraisbienaiméprofiterseulementdel’aspectlibérateurduliencharnel.Seulement,que je leveuilleounon, lesexem’embarque toujoursdansdes turbulencesémotionnelles,et,vunotrehistoire…,vulaproximitéquej’aidéjàavecJason,jenesaispascequidécouleraitd’unenuitpasséeaveclui.

Lesnœudsquimetordentl’estomacmeprouventsuffisammentàquelpointj’aipeurdetoutcela.Sentantquej’aibesoind’air,jeprofitedecetteexcusepourmetirerdulit.Jasontressautequandje

piquesonflancdudoigtenluidisant:–Mieuxvautêtreaccroàlaglacequ’auvin.Jeme lève et sors de la chambre, direction la cuisine.L’horloge dumicro-ondes indique qu’il est

presquemidi;j’attrapetoutcequ’ilmefautpourfairedessandwichespourtoutlemonde.Onnepeutpasnonplusmangerdesglacesoudescookiesenguisededéjeunertouslesjours.

Jasonnetardepasàmerejoindredanslacuisine,sansHaleysursestalons.–Commentas-tufaitpourt’échapper?–Oh!ilyavaituntrucsuruneprincesseSophiequicommençait,jecrois.–Ah!princesseSofia.Ellel’adore,celle-là.J’étaleunecouchedemayonnaisesurtroistranchesdepain,puislesgarnisdejambonetdefromage.

Jasonneditriendeplus,mais,auboutdequelquessecondesseulement,jesensquemoncorpsestenfeu.Sans lesentirvraiment, jesaissans l’ombred’undoutequ’iladûserapprocherdemoi.Lanuquemepicote, la chair de poule m’envahit. Lorsque mes tétons se mettent à pointer sous le tissu de mondébardeur,jemerappellesoudainquejeneportepasdesoutien-gorge.

Ilsepencheversmoi,etjesenslachaleurdesonsoufflesurmanuque,exposéeàluiparmacoupedecheveux courte. Je ferme les yeux, imaginant la suite. Quelle suite ? Je ne sais pas. Ses lèvres ? Salangue?Sesparoles?

Jeveuxtoutça.N’importelequeldestrois,oulestroisensemble.

Commeriennevient,jen’ytiensplus.Jelâchecequejefaisaisetposemesmainspourm’appuyersurlecomptoirtandisquejepenchelatête,lesyeuxfermés.

–Qu’est-cequ’onfait,Jason?Mavoixn’estqu’unmurmureàpeineaudible,maisilm’entend.Sijedevinaisauparavantsaprésence

prèsdemoi,jelasensmaintenantclairement.Ilfaitunpetitpasenavant,soncorpsfrôlantlemien,etjedois bien avouer que cette sensation est enivrante.Qu’ilest enivrant. Il sent unmélange de savon, delessiveavecunsoupçond’eaudetoilette–riendetrèsfort.Cetteodeurestlégère,fraîche,etenveloppeJasond’uneffluvequimemetl’eauàlabouche.

–Jeferaicequetuvoudras,Tess.–Cen’estpasjuste.Jeneveuxpasêtrelaseuleàdécider.–Cenepeutêtrequetoi.Jesaiscommentjesuis;onlesaittouslesdeux.Situmedemandesmon

avis,tucroisquejenevaispast’emmenerdirectementaulit?Mêmesitutrouvesquec’estunemauvaiseidée?Jeveuxquetusoissûre.J’aienviedetoi,Tess,n’endoutepasuninstant.J’aienviedetoidepuisdesmois;jel’accepteenfin.Maisilfautquetuenaiesenvieautantquemoi.

Avant que je puisse répondre, avant même que je puisse penser à quoi que ce soit, sa chaleurs’évanouit,etlavoixdemafillerésonnedanslacuisine.

–Youpi,dufromageetdujambon!Onpeutavoirdeschips,aussi?Ilmefautquelquesinstantsavantdepouvoirarticuleruneréponse.–Situmangestescarottes,d’accord.Ellehochelatêteavecenthousiasmeets’installeàtableàcôtédeJason,maisjesuisincapabledele

regarder.Jedoisavoirlesjouescramoisies,unevaguedechaleurétantmontéeenmoienentendantsesparoles(pleinesd’honnêtetéetdeclartésurcequ’ilveut).

Enl’occurrence,moi.Jem’affaireavectoutcequejepeuxpouréviterd’avoiràcroisersonregard,parcequejesaisqueje

perdrai pied si je tombe sur ses beaux yeux bruns – étonnamment semblables à ceux de ma fille,d’ailleurs.Etilaraison:lasuitedoitdépendredemoi.

Saufquejenesuispassûred’êtreprêteàsauterlepas.Laneigetombeabondamment,engrosfloconstelsqu’onn’envoitqu’uneoudeuxfoisparsaison,qui

tiennent au sol. En dépit de leur accumulation, c’est une belle journée, même si l’hiver est arrivéexceptionnellement tôt cette année, avecune températureavoisinant zérodegré,parfaitepour fairedesbonshommesdeneigeetdesbataillesdeboulesdeneige.

Jene saispas si Jasona sentique j’avaisbesoind’unpeude tempspourmoi,ou s’il est restéungamindansl’âmemalgrésesvingt-quatreans,maisilaproposéd’emmenerHaleydehorspourqu’ellepuisse y déverser cette énergie infinie qu’elle a en elle. Il s’est occupé de la préparer, la couvrantd’habitschaudsdelatêteauxpieds,puisill’aemmenéedehorspourrevenirmoinsdecinqminutesplustard, Haley ayant oublié d’aller faire pipi. Il s’est montré patient, sans s’énerver des dix minutessupplémentairesdedéshabillage-rhabillageimposéesparl’opération.Etilssontrepartis.

Voilà bientôt une heure qu’ils sont sortis, et je suis toujours figée sur place devant l’évier de lacuisine,àregarderlejardin,oùj’entendslesriresaigusdemafillesuivisdeséclatsplusgravesdeceuxdeJason.Commehiersoir,quandjel’aitrouvépelotonnéavecHaleysursonlit,cegenredescènen’ariendenouveaupourmoi :CadeemmenaitHaley jouerdehorsdèsqu’ily avaitde laneige.C’est sasaisonpréférée,mêmelorsqu’ilfaitgrandfroid.Maisilyaquelquechosedenouveaudanslascènequisejouedevantmoi.Etcelaemplitmoncœurd’unechaleuràlaquellejenem’attendaispas,unechaleur

quejen’auraisjamaissoupçonnéequandJasonacommencéàpasserplusdetempsavecnousaprèsledépartdeCade.

Je repense à son attitude depuis ces cinq derniersmois et lamets en perspective avec ce que jeconnaisdeluidepuisquinzeans.Ilaétéd’unsoutienconstantetindéfectible.Etilestévidentqu’ilestfoudeHaley.Mapetitepuce l’a tellementensorceléqu’enunseulbattementdeses longscils,elle luiferaitfairen’importequoi.

LesparolesdePaigemereviennentenmémoire,merappelantquel’attirancedeJasonpourmoinedatepasd’hier.Selonelle,ilmeregardedifféremmentdepuisdesmoisdéjà.Cequ’ilm’aconfirmécematinmême.

Àunmomentdonné,j’aicommencéàleregarderdifféremment,moiaussi.Malgrétout,jesuisencoresurladéfensive.Ce ne sont pas quelques mois d’un comportement différent qui suffisent à effacer les années

précédentes.Desannéespleinesdefilles,decoupsd’unsoir(mêmesijenelejugepaspourça).Ilnes’estjamaisengagéavecaucunedecesfemmes,n’ajamaisbaratinépersonne.Alors,tantmieuxsiçaluiconvenait.Seulement,çanemeconvientpas,àmoi,etj’aipeurqu’ilnes’agissequed’unepassade,dequelque chose qui ne marchera pas. Où est-ce que ça me mènera, ensuite ? Où est-ce que ça nousmènera?Parcequej’aibeauavoirtrèsenviedeprendreunedécisionbaséeuniquementsurcequemoncorpsmedicte,jedoisprendreencompteuneautrepersonne,dansl’histoire.Uneautrepersonnequiensubiralesconséquencessijamaistoutcelaseterminemal.

Pourtant, en les regardant jouer ensemble dans la neige, Jason courant devant Haley, mais assezlentementpourqu’ellepuisselerattraper,jemedisqu’ilneseraitpaslàsansyavoirmûrementréfléchi.IlnesepermettraitpasdeblesserHaleyainsi,et,après le tempsqu’ilapasséavecnouscesderniersmois,ildoitbiensavoircombiencelal’affecterait.

Haleyluilanceunepetitebouledeneiged’ungestefaibleetmaladroit,maisJasons’écrouleàterrecommes’ilvenaitderecevoirunobusenpleinepoitrine.Unesecondeplustard,ellesejettesurlui,latêtebasculéeenarrièredansunimmenseéclatderirecommeseulslesenfantspeuventenavoir.Elleestsiheureuse,sidébordanted’amour.PourJason.À la façondontsonrire rejointceluidemafille,à lafaçondontillasoulèvedanslesairsetluisourit,ilestclairquecesentimentestréciproque.

C’estlà,àcetinstantprécis,quejeprendsconscienced’êtrevraimentdansdebeauxdraps.–Commentfait-ellepournepasêtrefatiguée?Jasonest vautré sur le canapé, la têteposée surun coussin.Après avoirpasséuneheure et demie

dehors,ilssontrentrésseréchaufferdelamêmemanièrequejelefaisaisquandj’étaispetite:avecunchocolatchaud.Dèsqu’ilsonteuterminé,Haleyl’aembarquépourunthé-dînette,suiviparunepartiesurvoltée (ou plutôt sept) deMarioKart.Maintenant,malgré tous leurs jeux de plein air et l’activitéincessanteàl’intérieur,Haleyestencoreexcitéecommeunepuce.

–C’estlefaitdesavoirqu’onestenfermés,qu’onnepourraitpassortirmêmesionlevoulait.Jejetteunœilparlafenêtre.Laneigetombetoujours;lesbeauxfloconsdudébutdejournéesesont

transformésenunetempêteblanchâtre.Leventsouffle,etlesolestmaintenantrecouvertdeplusdetrentecentimètresdeneige.

–Ehbien,moi,jesuisprêtàfaireunesieste,marmonneJasonenfermantlespaupières.–Nan,pasdesieste!s’écrieHaleyencourantenrondautourducanapé.–Voilàcequec’estd’apporterdesdonutsaupetit-déj,dis-jeàJason.Tunepeuxt’enprendrequ’à

toi-même.–Ahoui,etcechocolatchaudavecvingt-septguimauvesetunesucetten’ysontpourrien,peut-être?Jesouris.–C’estlatradition.C’estcequemamèrenousdonnaitquandonrentraitaprèsavoirjouédehors.Iltourneversmoisatêtetoujoursposéesurlecoussin.–Oui,jemesouviens.Savoixestdouce,teintéed’unepointedemélancolie.IlabeaunepasêtredelafamilleMaxwell,ne

pasavoirvécudanscettemaison,ilaquandmêmepasmalcomptésurmesparents–mamère,surtout–,parcequelessiensétaientvraimentnulsaveclui.C’estagréabled’avoircessouvenirsencommun,denepas avoir à raconter les petits détails d’autrefois pour convaincre quelqu’un que mes parents étaientgéniaux.Illesaitdéjà.Ilsaitdéjàtantdechoses.

–Onjoueàunjeu?JesoupireenregardantHaley.–Ilvabientôtêtrel’heuredesecoucher,mapuce.Lavoilàquigrimace,faisantressortirsalèvreinférieure.–Allez.Justeunjeu?–Oui,justeunjeu?l’imiteJasonenfaisantlamouecommeelle.Jeleregardeenplissantlesyeux.–Jecroyaisquetuvoulaisfairelasieste,toi?–Plusviteonaurajouéàcejeu,plusvitejepourrailafaire.–Ouaaais!Haleyprendcelapouruneréponsepositiveetlèvelespoingsenl’airavantdecourirdanslecouloir,

oùtouslesjeuxsontrangésdansunplacard.Quandellerevientversnous,unimmensesouriresurlevisageetuneboîteblancheimpriméedegros

caractèresetdegrandsrondsrouges,verts,bleusetjaunesentrelesmains,Jasonmeregardeavecunairinterrogateur sur lequel je ne peuxmeméprendre. Il sait aussi bien quemoi que cela n’aidera pas àéteindrelachimiequinousattirel’unversl’autre.Enacceptantdejoueràcejeu,jemejettedroitdanslagueuleduloup.

JASON

–Piedgauchesurlevert,annonceTessaàHaleyenécartantlescheveuxdesonvisage.Voilàcommentsepassemonsamedisoir.Pasavecunconcoursdebière,dedragueouunstrip-poker.ÀfaireunTwister.EtmêmepasunTwisterdéshabilléavecungroupedepotes.Nousysommesdepuisunquartd’heure.Unquartd’heuredesupplice,où j’aià la fois tropetpas

assez senti lecontactdeTessa surmoi.QuandHaleyadébouléavecce jeuplutôtquen’importequelautre qu’elle aurait pu choisir, j’ai tout de suite su ce qui arriverait si nous y jouions. Tessa et moisommesdéjàcomplètementallumésennoustrouvantauxdeuxboutsopposésd’unepièce;alors,mettez-noustouslesdeuxsurunpetittapis,ànouspencheretnouscontorsionnerdanstouslessens,etc’estlafin.J’aidûmeretenirunnombreincalculabledefoisdemepencheretdemordrececulquinecessedeseretrouversousmonnez.Laseulechosequim’enaempêché,c’estcetteadorablepetiteempêcheuse-

de-banderdequatreans,quis’éclatecommeunefolle.Suivantlaconsignedesamère,Haleys’étire,essayantd’atteindreunepastilleverte,maislepointle

plusprochen’estpasprochedutout,etelletombesurletapisengrognantavantd’éclaterderireetensemontrantétonnammentbonneperdante.

–C’estmoiquifaistournerlaflèche!Maman,ilfautquetubattesJay,hein!Elles’agenouilleàcôtédutapisdejeuenrebondissantdehautenbassursestalonsetfaittournerla

flèche.Tessafixelagirouette,attendantqu’ellecessedetourner.Lorsquelaflèches’arrête,ellearboreunsouriresatisfait,puisdéplaceaisémentsamainversunepastillebleue.

J’aimoinsdechance(oudavantage,selonlepointdevue).Le tour lancéparHaleyindiqueque jedois poser mamain droite sur du rouge, c’est-à-dire de l’autre côté du tapis. Je bouge prudemment,veillantànepastomber,etposemamainàterrepar-dessusTessa,dontledoseffleuremapoitrine.ElleaprisunedouchependantqueHaleyetmoijouionsdanslaneige,etleparfumdesonshampoingm’envahit–cemêmeparfumquejesensquandellemecoupelescheveuxetquimehanteensuitedesjoursdurant.Jem’égareàpenseràcequedonneraientsescheveuxétaléssurmonoreiller,quandHaley,ayantdéjàmémorisé quelle partie du corps correspond aux sections de la girouette, lance l’ordre du prochainmouvement.

Pivotantsurplace,Tessadéplacesonpiedsurlejauneleplusproche.Cefaisant,sahanchefrôlemonsexe,etlasemi-érectionquej’avaissetransformeengourdintotal,mefaisantgrommelerdansmabarbe.Tessamelanceunregard.Sesyeuxvertss’assombrissent,seslèvress’entrouvrent.S’ilrestaitlemoindredoutesurlaréciprocitédutroublequiflottedansl’air,iln’yenamaintenantplusaucun.

Ellemaintientsapositionquelquesinstants,puisposeuncoudeparterresansmequitterdesyeuxuneseuleseconde.Haleygrognederrièrenous,maisjel’ignore,focaliséquejesuissurlesyeuxdeTessa.Dansceregard,jelistoutcequej’avaisbesoindesavoir.Ledésir,l’acceptation…,lapeur.

Elle a peur de n’être qu’une fille de plus àmon tableau de chasse, que cette histoire ne soit pasdifférentedesautres.Moiaussi,çamefaitpeur.Etpuis,jemerappellequejepourraisavoirunedizained’autresfillesdansmonlit,sijelevoulais.Ilmesuffiraitd’uncoupdefil,etellesrappliqueraientillico.Au lieu de cela, j’ai consacrémon temps à porter des chapeaux et des boas en plumes rien que pouramuserunepetitefille.J’aipasséunsamedisouslacouette,puisàmelesgelerrienquepourentendreleriredeHaley.Dernièrement, j’aipassébeaucoupdetempsàmerapprocherdesdeuxfillesquisesontmisesàcompterplusquetoutpourmoi.Pourtoutescesraisons,jesaisquecettehistoire-làestdifférente.

QueTessaestdifférente.Etjesuisprêtàleluiprouver.

16

TESSA

J’ai capitulé et perdu. Ma fille avait beau vouloir que je gagne (parce que les filles sont lesmeilleures, comme elle dit), je n’ai pas pu. J’ai fait comme si je ne tenais plus et jeme suis laisséetombersurletapis.Parcequemonsangbouillait,parcequej’avaislecorpsenfeuàforcedefrôlerceluide Jason dans une stupide partie deTwister et que je n’en pouvais plus. SiHaley n’avait pas été là,j’auraisattrapéJasonpourlefairevenirsurmoietlelaissermeprendresurcefichutapisenplastique.

Maisdanslavraievie,j’avaisunegossedequatreansàgéreraulieudefairecedontj’avaisenvie.Depuis une demi-heure que j’ai couché Haley, ce désir brûlant s’est calmé, ne laissant qu’un subtilfrémissementsousmapeau,maisilesttoujourslà.CommeunevibrationphysiquelorsqueJasonestprèsde moi, que je n’avais jamais pris la peine de remarquer auparavant. Ou bien que j’ignoraisvolontairement,cequiestplusprobable.

Malgrécela,malgré cedésirpour lui, je suisdans la salledebain sousprétextedeme rafraîchir,alorsque j’aiprisunedouche ilyaquelquesheuresseulement.J’essaiedegagnerdu tempssans tropsavoirpourquoi.Haleydort,Jasonestdanslesalon,sûremententraindem’attendre,etmoi,jemecachedanslasalledebain.

Quelquesminutesplustard,onfrappedoucementàlaporte.Jesursautejusqu’auplafond.–Oui…,dis-jed’unevoixsiténuequejedoisrépéter.Oui?–Tess,tuveuxpeut-êtrequejetelaisseetquejerentrechezmoi?–Quoi?J’ouvrevivementlaporte,lesyeuxexorbités,parcequenon,cen’estpasdutoutcequejeveux.Du

tout,dutout.S’appuyantdansl’encadrementdelaporte,Jasonplongeimmédiatementsesyeuxdanslesmiens. En une fraction de seconde, rien qu’avec ce regard, la chaleur qu’il y a entre nous remonte etexplose, comme tout à l’heure, lorsque nous jouions. Comme cela se produit chaque fois que noussommesàmoinsdedeuxmètresl’undel’autre.

–Non,dis-jeensecouantlatête.Non,jeneveuxpasquetut’enailles.Sessourcilsremontentsursonfrontenuneexpressionmontrantclairementsonincompréhension.–Tuessûre?Parcequeçafaitplusdedixminutesquetuteplanquesici.J’ouvrelabouchepourcontesterlecoupdelaplanque,maisjemeravise.Àlaplace,jemecontente

dehocherlatêteetdedéglutir,carjenesuispascertainedetrouverlesmotspourluidireexactementcequisepasseenmoi.

Sûrementparcequemoi-même,jenemeconnaispasassezbien.Cen’estpourtantpascommesij’étaisvierge.Mêmesicelafaitunmoment,jen’aijamaisétéainsi

avecmesautrespartenaires.Jamaisjen’aiétéàcepointdévoréedenervositéetjenesaispasd’oùçavient. Je ne comprends pas pourquoi j’ai cette espèce d’essaim d’abeilles quime bourdonne dans leventre.Pourquoij’aidumalàrespirer,tantjesuisanxieuseetexcitéeàlafois.

Jasonfaitalorsunpasenavant;l’unedesesmainsvientprendremanuqueetl’autreseposesurma

hanche, son pouce soulevant le bord de mon tee-shirt pour venir effleurer ma peau, et là, je saisexactementpourquoimonventreestdansuntelétat.

–Dernièrechance,murmure-t-ilsurmeslèvres.Rienqu’àcestade,jeseraisdéjàincapabledeluidired’arrêter,mêmesijelevoulais.Mais jeneveuxpasqu’ilarrête. Je secoue la têteet, enfin–enfin !– il se rapprocheetpose ses

lèvres sur les miennes. Le baiser est d’abord hésitant, comme une question.Même s’il m’a tendu laperchejusteavant,j’appréciequ’ilnes’imposepastrop.Voyantquejenerefusepassonbaiser,qu’aucontrairej’agrippesachemisepourl’attirerplusprèsdemoi,ilprendcelapouruneréponsefavorableetpassesalanguesurmeslèvres.Impatientedegoûterànouveausalangue,j’ouvremaboucheàlasienneavecunrâle.

L’étreintedeJasonseresserrealorsquesonpoucedécritdepetitscerclesaucreuxdemoncou,etjesaisqu’ildoitsentirmoncœurs’emballer.Ilbatsifortqu’ilfaittremblermescôtes.Sonautremainserefermesurmahanchepourl’attirercontreluietentamerunfrottement.Jeperdshaleinedanssabouche.Ilesttoutcontremoi,enentier,fort,solideetdur,etcen’estqu’alorsquejeréaliseàquelpointj’avaisenviedeça.

Ilestdéjàdouépourcomprendrecequejeveux,caràpeineai-jepensécelaqu’ilm’emmènedéjàdanslecouloiretdansmachambre.Laporten’estpasencoreferméeque,avidedesentirsapeaucontrelamienne,jecommencedéjààsouleversachemise.Dansungrognement,ilretiresachemiseenungesteavantdeplaquerànouveauses lèvres sur lesmiennes, sa languecontre lamienne ; j’arriveàpeineàrespirertantj’aienviedelui.

Depuispresquequinzeansquenousnousconnaissons,jel’aivutorsenuunnombreincalculabledefois,maisjamaisjen’aisentilecontactdesapeau.Pascommeça.Ilestsecetmusclé,avecuncorpsdecoureur,grandet fin ; sesabdossontbiendessinés sansêtreexcessifs, sesbiceps, rebondis,maispascommes’ilfaisaitdelagonflette.Jepassemesmainspartoutoùellespeuventavoiraccès,glissantdesespectorauxàsonventreetsuivantlafinelignedepoilsquidescendentjusqu’àlaceinturedesonjean,oùs’accrochentmesdoigts.Çaaussi,jeveuxqu’ill’enlève.

–Oh!Tess,gémit-ildansmabouched’unevoixrauquequimefaitl’effetd’unedouchechaude.Celameréconforteétonnamment.Oui,ilenmeurtd’envie.Demoi.Jemesensrassuréedenepasêtre

laseuledanscetrip.Seslèvreseffleurentmajoue,sesdentsmordillentmonmenton,salanguedescendlelongdemoncou,

etjemedisquejepourraismourirencetinstant.Cequin’estd’ailleurspasexclu,parcequemoncœurfait le vacarme d’un troupeau de chevaux lancés au galop, si bien que je n’arrive même pas à medéshabillercommejelevoudrais.

Sansécarterpourautantsabouchedemapeau,Jasonétouffeunpetitrireenmevoyantmedébattreavecmontee-shirt.

–Cen’estpasbonpourtoideriredeça,tusais,dis-jeenrenonçantàretirermontee-shirtpourposermespaumessurlabraguettedesonjean.

Ilestaussidurqu’hiersoir,quandjelesentaissefrottercontremoi,etjemedélecteenpensantquec’estmoiquiluifaisceteffet-là.

–Allez,aide-moiàmedéshabiller.Dansungrognement,ilposesonfrontcontremonépaule.–Tumerendsdingue.Complètementdingue.D’ungesteimpérieux,ilécartemesmainsetentreprenddemedévêtir.Jen’osemêmepaspenserau

nombredefoisoùiladéjàdûfaireçapourêtrecapablededégrafermonsoutien-gorged’unemain,dem’allongersurlelitennemelaissantplusquemaculotte,etce,enmoinsdetrentesecondes.

Etjen’aimêmepasletempsdemepréoccuperdespetitesvergeturesquistrientmeshanchesetlebasdemonventre,parcequ’ilestdéjàsurmoi.Lesseuleschosesquinousséparentencoresontnossous-vêtements,rienquedeuxpetitsmorceauxdecoton,etjelesensdéjàsibienlàoùmoncorpsl’appelle.

Ilplantedoucementsesdentsàlajonctiondemonépauleetdemoncou,etjemecambresurlelit,lesmainsenfouiesdanssescheveux.

–OhmonDieu!…Jasonseredressejustecequ’ilfautpourpouvoirprendreundemesseinsaucreuxdesamainavant

d’yposerseslèvres.– Si tu savais comme ces seins parfaitsm’ont fait rêver,marmonne-t-il avant de commencer à les

lécher,puisàrefermersabouchesurmonmamelon.Ilsefrottecontremoi,seshanchesondulentaveclesmiennesenunrythmepresquefrénétique.Nos

soufflesprécipitésemplissent tout l’espaceautourdenous,et je leveuxenmoi, là, toutdesuite.Mesmainsdescendentdanssondosetbaissentlaceinturedesonboxer,puisellespassentdevant,etjetentedelibérersonsexe.

Mais,avantque jepuisse le faire, il s’arrête, figeant samainsurmonsein.Sesyeuxcherchent lesmiens,etilmedit:

–Attends,Tess.Attends.Touts’écrouled’unseulcoup.

JASON

LesyeuxdeTessa sont écarquillés, et son corps tout entier se relâche comme je l’arrête dans songeste.J’aifailliéjaculermalgrémoiàl’idéedesamainsurmonsexe,maisjeneveuxpasqu’onailletropvite.Jen’aipasenviequecesoituncoupdecinqminutesoùl’onjouiratouslesdeux,maisriendeplus.Jeneveuxpasquecelaressembleàtoutesmesrelationsd’unsoir.

Pasavecelle.Parcequec’estTessa.Jemepenchepour l’embrasser,parceque je lepeux.Parceque,pour l’instantaumoins,elleestà

moi.–Doucement. J’ai toujours envie de toi, ne t’inquiète pas. Tellement envie, si tu savais, dis-je en

pressantmonbassincontresonentrejambeafinqu’ellenedoutepasdecequejedis.Jeveuxjusteallermoinsvite,qu’onneseprécipitepas.J’aienviequeçadureunpeu.Onpeutfaireça?

Ellepousseunsoupir,etsespaupièressefermentavantdeserouvrirsurunhochementdetête.Ilneme fallait pas davantage d’encouragement pour recommencer à l’embrasser. Je n’ai jamais été trèsbranchéparlesbaisers,avant.Jemeforçaistoujoursunpeuàlefaireparcequ’ilfallaitenpasserparlàpourarriveràmesfins.

Maisc’estdifférentavecTessa.Ellemerépondsibienquandsoncorpssecambresouslemienaumoindrecontactdemalanguecontre lasienne.Elleronronnequandjeprendssa lèvre inférieureentremesdentsetgémitquandjel’aspiredansmabouche.

Matêtedescenddanssoncou,quejecaressedemeslèvresetdemalangueenprenantletempsde

chercheràconnaîtrelesendroitsquilafontleplusfrémir,quiluiarrachentdessoupirsdeplaisir.Sesmainsnecessentdecourirsurmoi,sesdoigtssontmaintenantglissésdansmoncaleçon,où ilsvontetviennent,effleurantmonglandàchaquemouvement,cequimerendcomplètementdingue.Jemeredresseet me mets à genoux, assis sur mes talons. Là, j’enlève ses mains de ma ceinture et lui prends lesdeuxpoignets,quejeplaqueau-dessusdesatête.

La voilà étendue devantmoi comme dans les fantasmes les plus fous que j’ai pu nourrir sur ellependant presque un an, ses seins dressés et palpitant à chaque respiration, ses tétons roses et parfaitspointés versmoi. Je voudraisme souvenir toujours de la sensation quand je les tiens au creux demamain.Sousmabouche,sousmalangue.Jeveuxaussisavoircommentilsserontquandilsdanserontsousmoiaurythmedenosmouvements.Commentilsserontquandellebougera,àcalifourchonsurmoi…

Je tends la main, mes doigts effleurent la courbe de sa taille, puis je remonte, remonte, jusqu’àprendreunde ses seinsdansmamain. Jemepenche et laissema langue sepromener sur sa poitrine,lécher la ligneentresesseins.Je jouedemonpoucesursonmamelonet leregardedurcirunpeuplusavantd’yposermalangue.

Elle pousse un soupir. Puis elle gémit légèrement lorsque je décris de petits cercles autour dumamelonduboutde la langue,maiscen’estqu’aumomentoù je leprends toutentierdansmabouchepourlesuçoterqu’ellepousseenfinunlonggémissementsourdquimefaitsourirecontresapeau.

Jenotecetteinformationdansuncoindematêtepourlesautresfois.Ellea lesyeux fermés,et sa tête s’agitedegaucheàdroite sur l’oreiller.BonDieu,cequ’elleest

belle!Etelleestàmoi.Pourl’instant,entoutcas,elleestàmoi.J’appuie sesmains sur lematelas avant de les lâcher, signifiant que je lui demande de ne pas les

bouger.Nousverronscombiendetempselletient.Penchéau-dessusd’elle,jecaressesesdeuxseins,mabouchepassantdel’unàl’autreencoreetencore.Toutsoncorpsfrémitsurlelit,seshanchesondulentdans le vide, et je dois rassembler toute ma volonté pour ne pas lui arracher cette maudite culotte,m’enfoncerenelled’uncoupetluidonnercequ’elleveut.

Jemeconcentreplutôtsurlegoûtdesapeau,surladouceurdesonventrecontremeslèvres.Bientôt,mesmainsagrippentlesbordsdesapetiteculotte,quejetirelelongdesesjambesavantdelabalancerpar-dessusmon épaule. Tessa a la tête tournée sur le côté, le visage pressé contre l’un de ses bras,toujourslevésau-dessusdesatête.Elleouvrelesyeuxetmejetteunregardalorsquejenefaisplusrien,tropoccupéquejesuisàmedélecterduspectacledesanudité.J’aiétéaffreusementfrustrédenepaslavoirenentierhiersoir;alors,jem’imprègnedecequis’offreàmoimaintenant.Elleesttoutenfinesse,encourbesdélicates,etj’aidumalàcroirequecelasoitréellemententraind’arriver.Aprèsdesmoisdefantasmesque j’ai essayéde refouler, aprèsavoir tentédem’interdireçaavecelle, lavoilà, ici, sousmoi,entièrementnue,tremblantededésirpourmesdoigts,monsexe,malangue.

Etjecomptebienprofiterdechaquesecondedecemoment.Jereculesurlelitetcommenceparsesjambesensoulevantl’undesespieds,quejeposesurmon

épaule pour déposer des petits baisers sur sa cheville, son mollet. Puis l’intérieur du genou, de lacheville, et, là, jevoisprécisément l’effet que tout cela lui fait, combien ellemedésire. Son sexe esttrempé,brillant,et jedoismeretenirdenepasallerdirectement làetenfouirma langueenelle ;à laplace,j’effleurecepointd’unsouffleetreprendsmoncheminsursonautrejambe.

Unbruit impatient venudu fondde sa gorge se fait entendre, et ses hanches se soulèvent du lit enondulantdoucement,m’arrachantunsourire,tandisquemeslèvresavancentsursacuisse.

– Ce n’est pas drôle, grogne-t-elle en bougeant en vain pour essayer de me rapprocher du point

stratégique.J’aibeauavoir trèsenviedecontinuercepetit jeu,c’estune torturepourmoiautantquepourelle.

Quandj’arriveauplientresacuisseetsonsexe,jenemeretiensdoncpaspluslongtempsetpassemalangue le long de cette ligne. J’embrasse ensuite son clitoris en l’écartant avec mes doigts avant deremonter le long de sa fente avec le plat dema langue. Ellemanque de décoller du lit, et sesmainsviennents’agripperàmescheveux.

–Jason!Envahiparunevaguedepossessivitéenl’entendantprononcerainsimonnom,jepousseunrâle.Le

sangafflueencoreplusfortdansmonmembre.–Ohoui!halète-t-elle,resserrantencorel’étaudesesmainsdansmescheveuxpourmegardercontre

elle.Comme si je risquais d’aller voir ailleurs. Je décris de petits cercles autour de son clitoris avant

d’appuyerdessusavecmalangueetdeglisserundoigtenelle.Sonmarmonnementestdevenutotalementinintelligible,etjeredoubled’effortseninsérantundeuxièmedoigtetenaugmentantlacadenceavecmabouche.

Sesjambessefermentautourdematête.Ellemetirelescheveux,et,soudain,ellesefigeetpousseunfortgémissementalorsquesesmuscles se resserrent surmesdoigtsetqu’elle jouitcontremabouche.Mêmes’iln’yapasvraimentdequoifanfaronner,j’avoueressentirunecertainefiertéàl’idéedel’avoirfait jouir si rapidement après l’avoir si bien excitée. Je la lèche doucement, lentement, et retiremesdoigtsavantd’embrassersacuisseetderemonterverselle.

Elleafficheunsourirebéat, lespaupièrescloses. J’adoremedirequec’estmoiquiai laissécetteexpressiondebéatitudesursonvisage.Elletendlamainsansouvrirlesyeux,etsessourcilssefroncentpendantquesamainentreencontactavecletissudemonboxer.

–Pourquoiportes-tuencoreça?demande-t-elleenfaisantclaquerl’élastiquedelaceinture.–Hé!Jemepencheetluimordillelamâchoire,tandisqu’ellerit.Jem’écarteetlaregarde,reprenanttoutmonsérieux.–Jeveuxjusteêtresûrquetuessûre,toiaussi.–Jason…Ellesecouelatêteettendlebraspourm’effleurerlevisage.–Arrêtedemeposer laquestion.Oui, je suis sûre. Je te le jure.Maintenant, enlèvececaleçonet

viensenmoi.

17

TESSA

L’effetdemesmotsnesefaitpasattendre.Immédiatement,ilenlèvesoncaleçon,etj’entendsensuitelebruitd’unemballagedepréservatifqu’ondéchire.Jenedevraispasleregardersiattentivement,alorsqu’il ledéroulesur toutela longueurdesonmembre,maiscespectacle–lafaçondont ilsecaresseàdeuxreprisesaprèsavoirenfilélefourreaudelatex–esttotalementfascinant.

–Commeça,onaimebienregarder,hein?Ilparletoutbas.C’estpresqueunmurmuredanslequasi-silencedelachambre,mais,àlamanière

dontjesensmesjouess’enflammer,ilauraitaussibienpulecrierdansunhaut-parleur.Ilsouritdevantmaréaction,puissepenchepourm’embrasser.

–Jem’ensouviendrai,laprochainefois,dit-ilcontremabouche.Laprochainefois.Unepartiedemoidontjen’avaismêmepasremarquélacrispationsedétendalorsunpeu.D’aprèsce

quej’aientendudireaufildesannées–d’aprèscequej’aivuaufildesannées–,Jasonesttoujoursprêtà partir avant même que chacun ait eu son orgasme. Le fait qu’il envisage déjà la possibilité d’uneprochainefoisn’estdoncpasanodin.Mêmesij’avaisdécidédetenterlecoupavecJasonsansavoirlamoindreassurancequecesoitdifférentavecmoi,c’esttoutdemêmerassurant.

Jemedemandebrièvementsinousaurionsdûendiscuteravant…,s’ilauraitd’abordfalluparlerdecequ’impliqueraitcepassageàl’acte.

Parcequej’aibeauêtresûrequ’ilestcapabledemefairecriersonnomunenouvellefoiscesoir,jesaiségalementque,pourlui,lesexeatoujourseuuneautresignificationquepourmoi.

Neme laissantpas le tempsdem’en inquiéterdavantage, ilm’embrassedenouveau, et ses lèvresn’ontplusdu tout l’hésitationdupremierbaiserde tout à l’heure. Ilm’embrasse comme il fait tout lereste,avecuneconfianceetuneassurancequimedéplairaientcarrémentsiellesvenaientdequelqu’und’autre.Maispasaveclui.Ilm’ouvrelabouchedesalangue,lapressecontrelamienneeninclinantmatête juste ce qu’il faut pour pouvoir m’embrasser plus profondément. Puis il délaisse ma bouche ets’écarte pour déposer de petits baisers sur le reste de mon visage, me laissant haletante. Ses lèvress’approchentdemonoreille,etilmurmure:

–Dis-moicequetuaimes,Tess.Soncorpsreposemaintenantcontrelemien,appuyéaucreuxdemescuisses,et jegémisensentant

sonérectiondresséecontrelepointlepluschauddemonanatomie.Jem’accroche à ses épaules, la tête renversée, le cou offert, et je gémis plus fort àmesure qu’il

poussecontremoi.–Dis-moi…,répète-t-il.Jeveuxsavoircequetuaimes.Jeveuxquetuprennestonpied.Sesparoles,avecladoucecadencedesavoixcombinéeaulégermouvementdebassinqu’ileffectue,

fontmonterlapression,etjemesensauborddel’orgasme.

–Jetepréviens,jevaisencorejouir,situcontinues.Mesongless’enfoncentdanssesépaules.Jesuiscertainequejevaisluilaisserdesmarques,maisje

m’enfiche.Àvraidire,ilestmêmepossiblequecetteidéemeplaise.Ilsouritdansmoncou.–Bien,dit-ilavantd’embrasser lecreux justesousmesoreilles.Alors, tu jouiras encorequand je

seraientoi.Tujouirasavecmoi,hein,mabelle?Cesderniersmotsajoutésàunultimepetitcoupdereinsbienplacémedonnentlecoupdegrâce.Je

reparsauseptièmeciel.LabouchedeJasoncherchelamienne,et,avantmêmequejepuissereprendremonsouffle,avantque

lesdernièresvaguesdeplaisiraient finidemesecouer, il s’engouffreenmoi,et jeperdsencoremonsouffle.

–BonDieu,grogne-t-ilcontremes lèvresenbloquantsonbassinetenplongeantsesyeuxdans lesmiens.Tuesincroyablementbonne,tusais.

Ilsemetalorsàbouger.Sesmouvementssontlents,réguliersetsûrs,chaqueva-et-vientponctuéd’unlégerdéhanchement.Chaquefois, il sepressecontremonclitoris,memaintenantsiexcitéeque jen’aiaucundoutequ’iltiendrasapromessedemefaireencorejouir.

Samainpassederrièrematête,sesdoigtssemêlantàmescheveux,tandisquesonpoucecaressemajoue,etj’aidumalàleregarder.Laflammedanssesyeux,ledésiretlebesoinpresquedésespérésquejelisdanssesprunelles–émotionsqu’ildoitvoirenrefletsurmonproprevisage–sontbouleversants.J’ensuisterroriséeet,enmêmetemps,jesensunetensionserelâcherdansmapoitrine.

Son front est appuyé contre le mien. Je voudrais pouvoir l’attirer encore plus près de moi. Nossouffles sontmêlés sansquenousnousembrassions,mêmesinos lèvres se touchent. Jepasseunbrasautourdesoncou,etmonautremains’enfoncedanslachairdesesfesses,encourageantsesmouvements,alorsquenousnousperdonsl’undansl’autre.

Detouteslesfoisoùj’aiimaginéfaireçaavecJason–etmêmedetouteslesfoisoùj’aifaitl’amouravant–,jamaisjen’auraiscruquelesexepourraitêtreaussibon.

Ilm’embrasseenfin.Salangueglissedansmabouche,etjenepenseàplusriend’autrequ’aucontactquinousrelie.Ilromptlebaiseretdescendembrassermesseins,prenantunmamelondanssabouche.Jemecambresouslui,letenantparlescheveuxpourlemaintenirtoutcontremoialorsquelemouvementcontremonclitoriss’accentueencoreplus.

Jegémisenfermantlespaupières.Aprèss’êtreoccupédemonautreseinde lamêmemanière, il reculeets’assoitsurses talons,ses

mains agrippantmes hanches alors qu’il demeure immobile, son sexe encore enmoi. Je suis allongéedevant lui,complètementouverteetunpeu tropexposéeàmongoût.Mais ilmeregardealors– ilmeregardevraiment–et ledésirque jevoisdanssesyeuxestauthentique,sans l’ombred’undoute.Sesmainssontouvertes,sesdoigts,poséssurmonventre.Sespoucess’activentjusteau-dessusdel’endroitoù j’aibesoinqu’ilme touche. J’agitema tête sur l’oreiller et je relève leshanchespour favoriser lecontactlàoùjeleveux.Ilsemetàriredoucement.

–Tuasbesoindequelquechose?Jepousseungrognementetserrelespaupièresenmartelantl’oreillerdechaquecôtédematête.–Iltesuffitdeledire,Tess,etjetedonneraicequetuveux.Cequetuveux…Ilponctuesaphrased’unmouvementdebassin,meresserrantcontrelui.

Jemarmonnequelquesmotsprobablementincohérentstrahissantmafrustration.–Tuenveuxencore?demande-t-il.Maisiln’attendpaslaréponseetlanceunnouveaucoupdereinsenregardantmaintenantl’endroitoù

ilvaetvientenmoi.–Tuessibellecommeça,àmeprendreentoi.Sesmotsnefontquem’exciterdavantage,sansqu’ilaitbesoindemetoucherlàoùilfaut.Iln’apas

encoreposélesdoigtslàoùjeleveux,etmonenvieesttropforte.Jefinisparyglissermapropremainetmetrouvecomplètementtrempéededésir.

Ilpousseunrâleetbasculelatêteenarrièreavantdemeregarderdenouveau.–BonDieu,tuveuxvraimentmetuer.Monsourireestviteinterrompuparlegémissementquimontedemagorgealorsqu’ilaccélèreson

va-et-vientavecunenouvelleurgence.Jemecaresseleclitoriseneffectuantdepetitscercles,levisagetournéversmonbraspourresterconcentréesurlessensationsqu’ilfaitmonterdansmoncorps.

Sansinterrompresesmouvements,ilsepenchepourprendreundemesmamelonsdanssabouche;illelèche,puismemordilleletétonavantdelepincerdélicatement.

Ilnem’enfallaitpaspluspourperdre la tête.Moncorpsentierse tend,et j’entendsvaguement lesexclamations de Jason au milieu du déferlement de pulsations qui résonnent partout dans mon corps,tandisquejetressaute,secouéepardesvaguesdeplaisir.

–BonDieu,Tess…Ilsemetalorsàgrogneretm’agrippeplusfortenselâchantenfin,penchésurmoi,lefrontposédans

moncou.Il respire très fort, et je le laisse là, au creux de moi, mes mains dans ses cheveux, essayant de

retrouverunrythmecardiaquenormal.Essayantderecouvrermesespritsaprèscecataclysme.Jepensaismeretrouverdévoréed’incertitudeaprèsavoirfaitl’amouravecJason.Jepensaisavoirun

pointd’interrogationgéantquiflotteraitau-dessusdematêteàproposdecequiallaitsuivre.Maisnon.Toutmesembleparfait.

Etcelamefaitencorepluspeur.

JASON

Si j’avais su que coucher avec Tessa serait comme ça, je n’aurais certainement pas eu autant descrupulesetjel’auraisbaiséedepuislongtempsdéjà.NomdeDieudenomdeDieu.

Jenesaismêmepassijesuiscapabledebouger,surtoutalorsquelesdoigtsdeTessacourentdansmon dos et dansmes cheveux,mais il faut que jem’occupe d’un détail.Après avoir déposé un petitbaisersursapoitrine,jem’écarteetmeretired’elle,nousarrachantàtousdeuxunpetitgrognement,etjevais dans la salle de bain m’occuper du préservatif. Lorsque je reviens dans la chambre, Tessa estcouchéesur leflanc, ledraprelevédissimulant lesplusbellespartiesdesonanatomie–cellesquejecomptebienobserverendétailplustard.

Jemeglisseàcôtéd’elleencuillèredanslelitetembrassesonépaule.Ellen’ariendit,ellenem’adonnéaucuneindicationsurlafaçondontelleprendtoutcela.Jesaisqu’elleyaprisplaisir.Troisfois,même,onpeutdoncdirequ’auniveaudelachimie,nousnousentendonsbien.Etj’aifaitdemonmieux

pourluimontreràquelpointjeladésiraisquandelles’estdonnéeàmoi.Je sais aussipertinemmentquellehistoire je trimballederrièremoi,unehistoirequeTessaconnaît

trèsbien,etjeressenslebesoinimpérieuxdelarassurer.–Coucou,dis-jecontresapeau.–Mmmh…Jejetteunœilpar-dessussonépaulepourvoirsonvisage.Ellealesyeuxfermésetunpetitsourire

surleslèvres.Jemedétendsàmontouretposematêtesurl’oreiller.–Çava?dis-jeenpassantunbrasautourdesataillepourlaserrerplusfortcontremoi,quoiqu’iln’y

aitdéjàpasbeaucoupd’espaceentrenous.Ellehausselesépaules.–Oui,çavabien.Je réprimeunpetit rireet remontemamainvers sonseinpour titiller sonmamelon. Je sourisplus

encorequand elle se cambre contremoi, pressant ses fesses contremonmembrequi se réjouit déjà àl’idéedudeuxièmeround.

–Siçavajuste«bien»,jepensequejevaiscarrémentm’éclaterpourdécouvrircequipourraitêtre«superbien».

Elle tourne la têtepourme regarderdans lesyeux.À la façondont elle scrutemonexpression,ondiraitqu’elleessaiedecomprendrequelquechose;maisjenesaispasquoi.

Nesupportantpluscesilence, jemepenchepourl’embrasser, traçant lescontoursdeses lèvresduboutdemalangue.Doucement,gentiment,c’est-à-diredefaçontotalementinverseàcequej’aienviedeluifairemaintenant…,àcequej’aienviedeluirefaire;maisjeneveuxpasabuser.

Ellesouritcontremabouche,puiss’écartejusteassezpourdire:–Alors,continuecommeçaettupourraspeut-êtreledécouvrircettenuit.Je laissema tête retomber sur son épaule en grognant. Il est impossible qu’elle ne sente pasmon

érectioncontreelle,etjen’aijamaisconnuçademavie.Cetteenviedefaireplaisiràlafemmeavecquije suis.De l’observer sous toutes les coutures et d’en découvrir lemoindre secret. Je veux donner àTessa cequ’aucunhommene lui a jamais donné auparavant. Je veux lui donner ce que je n’ai jamaisdonnéàpersonneauparavant.

Sansdated’expirationdel’offre.

18

TESSA

La lumière du petit matin filtre par ma fenêtre, m’éveillant d’une nuit presque sans sommeil. Jem’étire, sentant le tiraillement de certainsmuscles qui n’avaient pas travaillé depuis longtemps, et jesouris.LesouhaitdeJasondevoircequejevoulaisdirepar«superbien»aétéaccompli.Deuxfoisdeplus.

J’ouvredoucement lespaupières et voisHaleyplantée à côtédu lit, sonvisage juste au-dessusdumien.

–Haley!Seigneur…,dis-jeenportantunemainàmoncœur,quiafaitunbonddansmapoitrine.Jet’aiditdenejamaismeréveillercommeça!

–Pardon,maman,dit-ellesanssedépartirdesonsourire,lapetitebougresse.Ellejetteunbrefregardpar-dessusmonépauleavantdemeregarderdenouveau,etjemefigeenme

rappelant soudain qui elle doit voir. Je n’ai jamais passé la nuit entière avec un homme à lamaison.MêmelorsquejevoyaisDavid,mondernierpetitamiunpeusérieux,jeneluiproposaispasderester.JevoulaisquecettepartiedemaviesoitséparéedecelledeHaley.Jenevoulaispasqu’ellerisquedesesentirmal à l’aise dans sa propremaison et je comptais encoremoins lui présenter quelqu’un qui neresteraitpeut-êtrepastrèslongtempsdanssavie.

Riendetoutcelanem’estvenuàl’espritavecJason.NesachantquedireàHaley, je tends lamainderrièremoiversJason.Mais,au lieude trouverun

hommechaudetsolide,mamainnerencontrequedesdrapsfroidsetvides.Jetressailleintérieurement.Ignorantmonquestionnement,Haleymedemande:–Onpeutmangerdescwêpespourlepetit-déj?Je lui répondsmachinalement, alors quemon esprit s’emballe déjà à se demander où est Jason et

pourquoiilestparti.Jerectifie:–Descrêpes.Oui,d’accord.Ellecrievictoireavantdedétalerdemachambre,melaissantseuleavecmespensées,quinesontpas

des plus agréables en cet instant. Peut-être avait-il un cours de bonne heure. Sauf que nous sommesdimanche.

Peut-êtreavait-ilunrendez-vous.SaufqueJasonneprendjamaisderendez-vousavantmidi.Peut-êtredevait-ilallerchezsesparents.Saufqu’iln’yvaqu’unefoisparsemaine, levendredi,et

qu’ilpréféreraits’arracherunbrasplutôtqued’yallerdavantage.J’aibeauimaginerdestasdechoses,jenetrouveaucuneexcuseplausiblejustifiantsondépartautre

que la réponseque je n’osemêmepas envisager.Leventre noué, je sors du lit, enfile unpantalondepyjamaetundébardeur,plusunsweatàcapuche.Jevaispasserunebonnejournéeavecmafille,etjen’ai aucune intention de ruminer sur les raisons pour lesquelles Jasonm’aurait fait l’amour trois fois,tenuedanssesbrasendormant,puisseseraitenfuiavantquejemeréveille.Haleyestdanssachambreentraindejoueravecdespoupéesquandjepassedevantsaporte.Jem’arrêteetluidemande:

–Auxmyrtillesounature?–Avecdespetitsboutsdechocolat!–Biententé.Non,pasbesoindetoutcesucre,mapetite.Alors,myrtillesounature,tacrêpe?–Myrtilles,s’ilteplaît.Jesourisetavanceverslacuisine.Jefaishalteauboutducouloir,àl’angleoùils’ouvresurlesalon.

Jasonestlà,endormisurlecanapé,lesbrascroiséssursapoitrine,levisagetournésurlecoussin.Moncœurs’arrêteetrepartàcentàl’heure,parcequ’ilestlà.

Ilestlà.Iln’estpasparticommejelecraignais.Ilnes’estpasenfuicommeunlâche.Ilnes’estpasdébiné

aprèscequenousavonsvécucettenuit,oùquecelanousmèneensuite.–Jay!s’écrieHaleyencourantdevantmoi.Ilajusteletempsdeseréveilleretdeseprotégerlespartiesimportantesavantqu’elleneluisaute

surleventre.–Pourquoit’eslà?demande-t-elleenseplantantjustedevantsonvisage.Mamanfaitdescrêpes.Tu

veuxresterpourlepetit-déj?Ilregardederrièresapetitetête,sesyeuxtrouventlesmiens,etilsourit.D’unsourirequejeneluiai

jamais vu.Ce n’est pas le sourire plein d’assurance qu’il offre à tout lemonde. Pas le rictus un peuarrogantqu’ilafficheconstammentquandilveutarriveràsesfins.

La douceur de son expression me fait immédiatement regretter les pensées erronées qui m’onttraverséequand j’ai constatéqu’il n’était plusdansmon lit.Parcequece sourire…estvraimentpourmoi.Pourmoi,etmoiseule.

JASON

Celanefaitquequinzeminutes,maisj’ail’impressionquequinzeheuressesontécouléesavantqueHaleynesoitenfinabsorbéeparsoncahierdecoloriage,cequimepermetenfindequitterlesalonpourrejoindrelacuisine.

J’avance derrière Tess et posemes deux bras autour d’elle sur le plan de travail pendant qu’elleretournelescrêpes.

Elle sent son shampoing aux fruits, le sexe etmoi ; cela n’arrange en rien l’envie que j’ai de lapenchersurcecomptoirpourlaprendrecommeunsauvage.

J’effleuresanuqueduboutdeslèvresetsouriscontresapeauenlasentantfrissonner.–Jenet’aipasvuquandjemesuisréveillée…Elleneditpascelacommeunequestion,maisjecomprendsqu’elleveutsavoirpourquoijen’étais

paslà.–Oui,j’avaismisleréveilsurmontéléphonepourqu’ilsonneavantl’aube.Jen’étaispassûrquetu

veuilles…Enfin,jenesavaispassituavaisdéjà…Bonsang,pourquoiest-cesidifficileàdire?Probablementparcequej’aimeraismieuxm’arracherun

brasquedepenserauxautresfoisoùTessa…,oùdeshommesontpupasserlanuitchezelle.–JenesavaispascequetuvoulaislaisservoiràHaleyounon.

Elle s’immobilise, la spatule dans samain prête à retourner une crêpe, puis elleme regarde par-dessussonépaule.

–J’aicruquetuétaisparti.Quetut’étaisdébiné.J’aibeaum’êtreditqu’ilfaudraitplusqu’unesuperbenuitdebaisepourlaconvaincrequecettefois

étaitdifférentedesautrespourmoi,sesmotsmeheurtentcommeuncoupdepoingdansleventre.Jelaprendsparleshanchesetbaisselatêtepourl’embrasserdanslecou.

–Jeneferaisjamaisça.Pasavectoi,luidis-jetoutbas.Elle acquiesced’unhochementde tête,me regardant toujours, et j’enprofitepourdéposerunpetit

baisersursabouche.–Crois-moi,j’auraislargementpréféréresterbienauchauddanslelit,avectonpetitcorpsserrétout

contremoi.Ellebasculelatêtecontremapoitrine,tandisquemeslèvresredescendentdanssoncou.–Çaauraitétébienplusagréablequedemeretrouvertoutseulsuruncanapéàcinqheuresdumat’.Elleritdoucement,maiscerires’évanouitvite,et,àlafaçondontellesemordillelalèvre,jevois

qu’elleaquelquechoseàdire.Jeluiprendslaspatuledesmainsetretournelacrêpemoi-même,puisjefaispivoterTessapourquenousnousfassionsenfinface.Jehausseunsourcilinterrogateuretattends.

Ellesoutientmonregard,maisfinitparhausserlesépaulesetcroiserlesbrasenroulantlesyeux.–Jen’aimepasquandtufaisça.–Situmedisaisplutôtcequetuassurlecœur,jen’auraispasbesoindelefaire.Elleplisselesyeuxquelquesinstants,puislasincéritéselitsursonvisage.–Jevoulaismeréveilleravectoi,moiaussi…,dit-elle.–Mais?Ellepousseungrossoupir.–Maisjenesuispassûrequecesoitunetrèsbonneidée.Pastoutdesuite.J’acquiesce,malgréladéceptionquimetiraillelesentrailles.–D’accord.ÀcausedeHaley,c’estça?Elleapprouveenhochantlatête.–Jamaispersonnen’estrestédormirici,Jason.Jamais.Et,mêmesi j’ai trèsenviedevoiroùcette

histoirepourranousmener,jedoislapréserver.Sonbien-êtreestmaprioriténuméroun.Jecomprends.Jecomprendscomplètement,mêmesij’aimeraisqu’ilensoitautrement.Mais,cequi

retientmonattention,c’est le faitqu’elleaitditquepersonnen’était jamais restédormiravecelle.Etcombienj’aihâted’êtrelepremieràlefaire.

TESSA

–Est-cequeCaderentre,cettesemaine?demandeJason.–Non,pourquoiveux-tuqu’ilrentre?Jason hausse les sourcils en me regardant par-dessus une pile de crêpes nappées de sirop.

Franchement,ilestpirequeHaleyaveclabouffe.–Ehbien…,c’estThanksgiving.–C’estcejeudi-là?

–Ouaip.–Merde,j’avaiscomplètementzappé.Euh,non,jenepensepasqu’ilrentre.Ilespéraitjustepouvoir

revenirpourNoël.Ilesttropdébordé,encemoment.–Ducoup,qu’est-cequevousfaites,touteslesdeux?Jehausselesépaulesencontinuantàmangermonpetit-déjeuner.–Jenesaispas.Cequiestsûr,c’estquejenerisquepasdefairecuireunedinde.Onvasûrement

resteràlamaison,àmoinsquePaigenenousinvitechezsesparents.Ilrestesilencieuxquelquesinstants,d’unsilenceunpeulourd,etjelèvelesyeuxverslui.–Etsijet’emmenaischezlesmiens?lance-t-il.J’arrêtedemâcher.Sij’essayaisd’avaler,jerisqueraisdem’étouffer.Puis,laboucheencorepleine,

jeréponds:–Qu’est-cequetuasdit?J’aidûmalentendre,parcequetoutcequiconcernesesparentsesttabou.Onn’enparlepas,àmoins

quejenelepoussedanssesderniersretranchements,etluin’invitejamaispersonnedanslamaisondesonenfance,àmoinsd’yêtreobligé.

–Monrepasdefamilleestdéplacédevendrediàjeudicettesemaine;alors,ilfautquej’ysois.Jevoudraisquetuviennesavecmoi.

–Cheztesparents?–Oui.MesyeuxseposentsurHaley.LesparentsdeJasonn’ontjamaiscachélefaitqu’ilsn’approuvaient

pasmonchoixdel’avoirgardéeàl’âgequej’avais.Sijenelesairencontrésquequelquesfois,Cade,lui,aeuleprivilègedelesvoirbienplussouvent.Chaquefoisqu’ilrevenaitdechezeux,ilétaitfurieux.J’aifiniparluiposerouvertementlaquestion(quelétaitleproblème?),maisilatoujoursesquivé.Puis,unjour,Jasonetluisontrentréssanssavoirquej’étaisdéjààlamaison.Cadefulminait,disantàJasonque ses parents n’avaient aucune ouverture d’esprit, qu’ils pétaient plus haut que leur cul, qu’ils necomprenaientpasquej’étaisunefillesuperquifaisait lebonchoixpourelle-même,unchoixdifficile,certes,maisunchoixqu’ilsdevaientacceptersanscommentaires.Jasonnedésapprouvaitpas,maisplusjamaisilnem’avaitréinvitéechezlui.

–Haleyseraitavecmoi?dis-je.–Biensûr.–Ettuveuxquandmêmenousinviter?Ilmeregardefixement,avecprofondeur,intensité;etjevoismillechosesdansceregard.Quec’est

unemanièrepourluidememontrerquejesuisdifférentedesautres.Etqu’ilsecontrefichedecequesesparentspensentdenous(deHaleyetmoi).Qu’ilnousveutdanssavieetque,malheureusement,cettevieinclutaussilesconnardsquil’ontcréé.Lesconnardsaveclesquelsiln’arienencommun.

Ilestentraindem’offrirquelquechosequ’iln’ajamaisoffertàpersonne,et,unenouvellefois,unpetitmorceau de peur se détache demoi. Jamais je n’aurais cru qu’il puisseme proposer une chosepareille, même dans mes rêves les plus fous. Ça ne m’était même pas venu à l’esprit. Mais que sepasserait-il à l’avenir si l’homme que je recherche désespérément pouvait correspondre à celui quim’envoieauseptièmeciel?

–D’accord.Sonsourirem’auraitfaittomberparterresijen’avaispasétébienassise.S’adossantdanssachaise,

il hoche la tête d’un air satisfait, puis entame une conversation avecHaley, lui demandant ce qu’elle

préfèremangeràThanksgiving.Quandilpenchelatêteverselle,lessourcilsfroncésd’attentioncommesilefaitqu’ellepréfèrelesharicotsvertsauxpetitspoisétaitduplushautintérêtpourlui,jefonds.

Ici,maintenant,autourdecettetableoùjeprendsunpetit-déjeunertardifavecmafille–lapersonnequicomptelepluspourmoi–etJason–cellequicommenceàprendreladeuxièmeplaceaprèselle–,jefonds.Etjesuisenfinhonnêteavecmoi-même.

Endépitdetoutesmesbellesrésolutions,touteslesbarrièresquej’aipuériger,touteslesprécautionsquej’aiprisesaveclui…,toutcelan’aplusd’importance.

Parcequejesuisentraindetomberamoureusedelui,quecelameplaiseounon.

19

TESSA

J’arrive en retard au restaurant. J’ai dû faire quinze bisous de bonne nuit àHaley pendant qu’elleparlait simultanément à Becky, la baby-sitter que je sollicite le plus souvent possible parce qu’elles’entendtrèsbienavecHaley.Paigeestdéjàinstalléequandjem’assoissurlabanquetteenfaced’elleensoufflantsurlesmèchesquimetombentdevantlevisage.

Ellerelèvelesyeuxetmeregardeensouriant.–Ah!tevoilà!Jen’aipasencorecommandé,jeviensjusted’arriver.–J’aicouchéaveclui.Lesouriredisparaît,etsamâchoiresedécroche.Ellerefermelemenud’uncoupsecetsepenchevers

moiau-dessusdelatable.–Tuasintérêtdemeracontertouslesdétailscroustillants,mavieille.Cequejefais.Jeluiracontetout:l’arrivéedeJasonsamedimatin,sajournéeetsasoiréeavecnous,

cequej’airessentienlevoyantavecHaley,etlachimieaussipuissantequ’indéniableentrenoscorps.–Je lesavais.J’étaissûrequece seraitgénial. Il abien ramonépour tedébarrasserde ces toiles

d’araignée,dis?Quelqu’unseraclelagorgeàcôtédenous,et,levantlesyeux,jedécouvreuneserveuseseretenantde

rire.Rougecommeunetomate,jemetourneversmameilleureamieensecouantlatête.–Toialors,tun’esvraimentpassortable.–Quoi?fait-elleenhaussantlesépaules.Aprèsavoirprislacommande,laserveuses’éloigne,etPaiges’enquiertdesdétails,paslemoinsdu

mondeperturbéeparcequivientdesepasserdeuxminutesplustôt.–Alors?–Alors,quoi?–Ehbien,commentilétait?Putain,ondiraitqu’onn’ajamaisparlédeculavantcesoir.Moi,jete

distoujourstout.–Saufquecen’estpasmoiquiteledemande.–Oui,ehbien,c’estmafaçondeprouvermonamitié.J’aimepartagercequifaitdubien.Jesecouelatêteensouriantetremercielaserveusequiposedevantmoiunverredevindontj’aibien

besoin.–Jenedirairiendeplus.–Bordel,Tess,jenetedemandepasnonplusdemefaireundessindesabite.Jeveuxjustesavoirsi

c’estunboncoup…,s’ilnet’apastiréevitefaitentroisminutesavantdes’échouersurtoicommeunpoissoncrevé.

Jerisenlevantmonverre.–Alors,d’accord:oui,ilestdoué.–Justedoué,normal?

–Non,passeulement.Enfait,c’était…Jesoupireetmelaisseallercontreledossierdelabanquette.–…incomparable.Paigemedévisage,buvantmesparoles.–Putain.–Oui,etjet’assurequeçan’apasétévitefait,malfait.Et,mêmesiç’avaitétélecaslapremière

fois,jeleluiauraispardonné,vulenombred’autresfoisoùilaeul’occasiondefairesespreuves.–Ah!deuxfoisdanslanuit?Bien.–Non,pasdeuxfois.Ellerestebouchebée,lesyeuxécarquillés.–Jesuisjalouse,espècedepetitegarce.Moi,lananaquisefaitbaisertouslesweek-ends,voilàque

jesuisjalouse.Ellepousseunlongsoupiretposesoncoudesurlatable,appuyantlementonsursapaume.–J’aioubliécequec’est,dedésirerquelqu’uncommeça…–Commentça,tuasoubliécequec’est?Tuviensdedirequetubaisestouslesweek-ends.–Oui,maisc’estdifférent.Cesontdestypesquejeconnaisjustesuperficiellement.Cen’estpasla

mêmechosequequandtuasunlienautrequemettrepièceAdanspièceB.–Oui,c’estsûrquenous,onaça.Jeboisunegorgéedevinavantd’ajouter:–Ilm’ainvitéeàdînerchezsesparentsavecHaleypourThanksgiving.Sessourcilsluiremontentjusqu’auxcheveux.–Sansdéconner?Ehben,disdonc…Apparemment,pourluinonplus,cen’estpasjustemettrepièce

AdanspièceB.–Oui,c’estcequejemesuisditaussiquandilaproposéça,mais…Pfff,ilsvontmedétester,Paige.

Ilsmedétestentdéjà.Ilsmeprennentpouruneespècedepetitetraînée,toutçaparcequejesuistombéeenceinteaprèsavoirfaitl’amourtroisfois–etaveclemêmegarçon,enplus.Cerepasvaêtrehorrible.Horrible.Pourtant,j’aiaccepté.

–Maisnon,çavaaller.Ilssonttropchicospourêtreouvertementdésagréablesavectoi.Lesbourges,c’esttoutletempscommeça.

Jem’inquiètetellementdelafaçondontilsaccueilleraientHaleyquejen’aimêmepaseuletempsdepenseràlafaçondontilsm’accueilleraient,moi,lafemmequejesuismaintenant.

–BonDieu.J’aidesmèchesviolettes,Paige.Violettes!J’attrapeunemèchedemescheveuxcommesiellenepouvaitpaslesvoirdelàoùellesetrouve.–Cen’estpaslegenredecouleurdecheveuxqu’ilfautquandonvachezdesgrosbourges!Ildoit

bienyavoiruneloicontreçaquelquepartdansleursmanuels.C’estobligé.Paigelèvelesyeuxaucieletsemoquedemoi.–Depuisquandtesoucies-tudecequelesgenspensentdetoi?–Depuisqu’ils’agitdesparentsdemon…,mon…Jason.–Ah ! ton Jason ? Bien, j’aurai peut-êtremoins d’efforts à faire pour te convaincre que je ne le

pensais,alors.–Meconvaincredequoi,encore?–Quevouspourriezfaireunbeaucouple.Jem’affale contre la banquette, les épaules arrondies ; elle a raison. Il n’y a pas vraiment besoin

d’essayerdemeconvaincredecela.–C’estquoi,cettetête?–Je…,jecroisquejesuisdanslamerde.–Pourquoiserais-tudanslamerde?Tuasenfinunhommepoursoulagertesenviesquandtuleveux.–Jecroisquejesuisentraindetomberamoureuse.–Avectroiscoupslemêmesoir,jetecomprends.–Paige,jenerigolepas.–Jesais,mabelle,maisjenevoispasoùestleproblème.–Leproblème,c’estquec’estJason.Jason,lespécialistedescoupsd’unsoir.Jason,lefandesplans

àtrois.Ellesecouelatêteenmeregardantcommesij’étaisunedemeurée.–D’accord,maislà,ils’agitdetoi.–Etalors,qu’est-cequeçachange?–C’estdifférent,etçachangetout.Jecroisquecemectekiffedepuisunbonmomentdéjà,àenjuger

parlafaçondontilteregardaitminederien.Je laisse sesmots s’ancrer enmoi, espérant qu’elle ne se trompepas, car je n’ai aucune intention

d’êtrelaseuleàtomberamoureuse.Laserveusenousapportenosplats.JecommenceàdécoupermaviandeetdisàPaige:–Pourquelqu’und’aussiallergiqueàl’engagement,tuasl’airbienpresséedemevoirtomberdansle

piège.–Jenesuispasallergiqueàl’engagementpourtoutlemonde:seulementpourmoi.–Àcepropos,quandvas-tuévoluerunpeu?Çavafairebientôtquatreans,Paige…Ellemeregardeenplissantlesyeuxetavaleleresteduvindanssonverre.–Tu sais quoi ?Quand tume feras undessinde la bite de Jason, on en rediscutera.En attendant,

parlonsdequelquechosedeplusintéressant.Commedumecquej’airencontrésamedidernier…Jen’insistepaset lalaissechangerdesujetenmeparlantdeJaredetdecequ’il luiafaitavecsa

langue;aumoins,celam’empêchedepenseràcequis’estpassédansmonventrequandelleaditqueJasonetmoiferionsunbeaucouple.

JASON

Monderniercoursdelasemainesetermine,etjequittelasalleàfonddetrain.Kristim’interpelleendisantqu’ellevoudraitmeparlerduprojetaveclequelellenemelâchepas,maisjemecontentedeluiadresserunsignedelamainpar-dessusmonépauleavantdefranchirlaporte,descendrelesmarchesetmeretrouverdansl’airglacialdecettefinnovembre.

Jen’aipaspuvoirTessadepuisquejesuispartidechezelle,dimanchedernier…,aprèsluiavoirdemandédevenirchezmesparentspourThanksgiving.J’aibeauavoirtrèsenviequ’ellesviennent–elleetHaley–,enmêmetemps,jemedonneraisdesclaquesdeluiavoirproposécela.

Mesparentsonttoujoursessayédetoutdirigerdansmavie.Entrerdansuneformationpourlaquellej’étaissurqualifié,maisquim’intéressaitvraiment,puisprendretoutmontempspourpassermondiplômedefind’étudesétaientlesseulesmanièresquej’aietrouvépourrepousserl’inévitableaumaximum.

Aprèsleurultimatum,jen’aimêmepluscela.Maintenant,ilsvontvoirunepartiedemaviedontjen’aiaucuneenviequ’ilss’approchent.Jeneveuxpasqu’ilssemêlentdecelaaussi,duseulaspectdemaviequejenedétestepasencemoment.

Montéléphonevibredansmapoche.J’ouvrelaportièredemavoitureetm’assoisderrièrelevolantavantdelesortirdemonjean.L’horribletassedecaféd’Adams’affichesurl’écran,etjedécroche.

–Allo?–Jesuisrentré,chouchou.Jerismalgrémamauvaisehumeur.–Commentça,t’esrentré?–Ehbien,oui, je suis à l’appart.Punaise, quandest-ceque tu as fait une lessivepour ladernière

fois?–Vatefairefoutre,dis-jeenriant.Jenesavaispasqueturevenais.Quandest-cequetuasdécidé

ça?– Il y a deux ou trois jours. Je boirais bien quelques verres. Tu peux faire quelques courses en

rentrant,situn’espastropaccaparépartanouvellecopine?Monsourires’effacebrusquementenl’entendantprononcer innocemment lemot«copine».Jen’ai

jamaiseudecopine–pasuneseulefois.J’aiconnupleindefilles,biensûr,mais jamaisaupointquel’onpuissemeprêterunerelationassezsérieusepouremployerceterme.Cen’étaientquedesflirtsoudescoupsd’unsoir.

Etmaintenant,ilyaTessa,quiatoutchamboulé,quiaremisenquestiontouslesprincipesquej’avaisdansmesrelations.Etpourtoutdire,l’idéequ’ellepuissen’êtrequ’uncoupd’unsoir,uneaventuresanslendemain,mefaitpaniquerd’unefaçontotalementinédite.Cettechoseagrandienmoidepuisplusieursmois,quandj’aicommencéàlaregarderd’unautreœil.Lentement,maissûrement.Aujourd’hui,jesuisenpleindedans.Endépitdetoutcequej’aivécuavant,detoutesmeshabitudesprécédentes.

–Oui,jesuisdispocesoir.Jejetteunœilautableaudebordetvoisqu’ilestjustequatreheurespassées.–Tuveuxqu’onseretrouveauShootersavantetqu’onsefassequelquespartiesdebillard?–OK.Onseretrouvelà-bas.J’entredanslebaretcommandedeuxbièresaubarmanavantderéserverl’unedestablesdebillard

del’arrière-salle.Jeviensjustederécupérerlesbillesquandj’entendslavoixd’Adam.–N’espèrepasquejetelaisseraigagnerjusteparcequetum’aspayéunverre.–Merde,jecroyaisvraimentqueçamarcherait.Ilsourit,m’attrapelamainetm’attirecontreluipourmedonnerl’accoladeenmetapantdansledos.–Tuesprêtàtefairemettrelaracléedusiècle?demande-t-il.Jericaneetmetourneverslatableenprenantmaqueuedebillard.–Tuespartitroplongtemps.Tuaslamémoirequiflanche,ondirait.–Tuferaisbiendejoindrel’acteàlaparole.Leperdantpaielesboissonstoutelasoirée,etlerepas

aussi.Tiens,jevaismêmetelaissercommencer.–J’espèrequetuaspasmaldeliquidesurtoi,dis-jeenlançantlacasse.Jegardelamain,troisbillesétantdéjàentréesdanslespoches.–Putain.Jesourisettirelecoupsuivant.–Alors,c’estquoi,ceretoursoudainaubercail?JecroyaisquetunerentraisquepourNoël?

–Oui,maisbon.C’estunpeulamerdeaumagasindemesparents.Ayantratémonderniercoup,jem’écartepourlelaisserjouer.–Quelgenredeproblème?Iltiredeuxcoups,rateletroisièmeetsetournealorsversmoi.–Lesaffairesnemarchentpas trèsbien, je crois. Jene saispas tropdepuis combiende tempsça

dure.Ilsnemedisentpastout,maismamèreestcomplètementflippée.–Alors,qu’est-ceque tucomptes faire ?Entrerpar effractiondans lemagasinenpleinenuitpour

allerconsulterleurslivresdecomptesetdécouvrirlaterriblevérité?Ilhausselesépaules.–Peut-êtrepasenmefaufilantlà-basàcinqheuresdumat’mais,oui,quelquechosedecegenre.Ilmetourneledospourjoueràsontour.–Ettoi,tuasparléàCade?Dimanchesoir,en rentrantdechezTessa, j’aiappeléAdampour tout lui raconter. Je luiaiditque

j’avais vraiment été nul de ne pas le faire plus tôt.Comme jem’y attendais, il a réagi en riant et enm’encourageant.Après,ilm’aditdemesortirlesdoigtsduculetd’enparleràCade.Leproblème,c’estquejetiensunpeutropàmesbijouxdefamillepourgérerça,encemoment.

Adosséaumur,j’attrapemabièresurlatabletteetenboisunegrandegorgée.–Non,pasencore.–Tunefaisquerepousserl’inéluctable,etceseraencoreplusdursituattends.–C’estque…jedoisdéjàmecoltinermesparentsavecHaleyetTesscettesemaine.Jen’aipasenvie

d’avoirunfranginhyperprotecteursurledos,par-dessuslemarché.Jejetteunbrefregardversluietm’aperçoisqu’ilalessourcilsrelevésjusqu’auxcheveux.–Depuisquandemmènes-tuunefille–ouquiquecesoit,d’ailleurs–chezteschersparents?–Depuisquejesuisungrosabruti,voilà.Jeboisuneautregorgéedebièreetlareposepourjouermonprochaincoup.–JeluiaidemandédevenirpourThanksgiving.Parcequej’aicarrémentperdulaboule,situveuxle

savoir.–Ehben,sacrénomdeDieu.–Quoi?–Moiquicroyaisquecejourn’arriveraitjamais…Ondiraitquemonbébéabiengrandi,dit-ilavec

unevoixdefausset.–Oh!tagueule,dis-jeenriant.Jenesaismêmepasoùçavamemener.Ilmedévisage,l’airdubitatif.–Vraiment?–Oui,vraiment.Alors,arrêteunpeuavectessous-entendusetdisplutôtcequetuasàdire.Ilmelaissepréparermongestepourtireravantdedire:–Tuesamoureuxd’elle.Jeratemoncoupetmeretournevivementverslui.–Qu’est-cequetu…?–Quoi,tunevaspasmedirelecontraire?demande-t-il,unsourcilrelevé.J’ouvrelabouche,prêtàlefaire,puislareferme;lesmotsnesortentpas.SeigneurDieu,est-ceque

je suis amoureux d’elle ?Est-ce pour ça que l’idée de passer tout ce temps avec elle neme fait pas

paniquer comme un malade, que des mots comme « passer Thanksgiving chez mes parents » ne medonnentpasdessueursfroides?

Voyantquejenedisrien,ilreprend:–Allez,reconnaisquetuaseutoujourscettedrôledetendanceàêtreprotecteuravecelle.Tuétais

presqueaussiconqueCade. Il fallait justeque tu te tapes toutcequiportaitune jupependantunpetitmomentavantdet’enrendrecompte,c’esttout.Cen’estquandmêmepasunchocmonumental,non?

Si,c’estunchoc,parcequejen’aijamaisrienvuvenir.Vraimentrien.JerepensealorsàtouteslesfoisoùCadeetmoiavonsmalmenélesconnardsquidisaientdumalde

Tessa dans les vestiaires du lycée, à la rage qui a envahi toutmon corps quand j’ai appris queNickl’avaitlaisséetomberaprèsl’avoirmiseenceinte…Jen’avaisqu’uneenvie:leretrouveretluifairelapeau.Jerepenseàcequej’airessentiquandelleacommencéàsechercherunmecsurcessaloperiesdesitesInternet,etaucoupquecelamefaisaitquandellesortaitavecl’und’entreeux.Àmafureurenlavoyantsortiraveccegrosnazed’orthodontiste,justesousmesyeux.

Jepousseunsoupir,attrapemabièreetlavideculsec.Jelareposeavecgrandbruit.–Jesuisfoutu.–Tupeuxledire,monpote.Etenplus,c’esttoiquipaieslesbièresetlabouffe.Sorslefric.

20

TESSA

–Dépêche-toi,ma puce ! Cade va appeler d’un instant à l’autre, dis-je àHaley en criant dans lecouloir.

–J’arrive,j’arrive!Ellecourtdanslesalonetsautesurlecanapéaumomentmêmeoùl’appelretentit.L’ayantdéjàfait

centfois,ellesaitcommentétablirlaconnexion.Elleapprochesapetitebouillesouriantedelacaméra,etlevisagedeCadeapparaît,souriantégalement.

–Coucou,p’titmachin.Tatêteagrossiouquoi?Haleyéclatederire,et,tropcontented’avoirquelquesminutesàmoi,jeleslaisseàleurconversation

pourallerenfilerunpantalondeyogaetuntee-shirtàmancheslongues.Cettesemaineaétééprouvantepourmesnerfs. Jen’ai cesséde repenser à la conversationque j’ai eueavecPaige l’autre soir, et aubarragedesentimentsquej’éprouveenversJason,dontjesuisdeplusenplusconsciente.

Jamais je n’aurais cru que cela se passerait ainsi. J’avais toujours imaginé que, lorsqu’on tombeamoureuxdequelqu’un,c’étaitunlongprocessusprogressif,commedesfloconsdeneigetombantsurunsolunpeu tiède. Il faudraitbeaucoupde tempspourque laneigecommenceà tenir, à s’accumuler,et,ensuite,lacouchedeviendraitépaisseetstable.

Je ne pensais pas que celame tomberait dessus commeune avalanchequim’ensevelirait sous desmassesdesentimentscontradictoires.Inquiétude,euphorie,perplexité,excitationet,biensûr,amour.

Peut-êtreest-ceparcequejeconnaisJasondepuistrèslongtemps.Parcequejeconnaistrèsbiensapersonnalité,sesqualités,sesdéfauts;laseulechosemanquantentrenousétaitl’intimitéphysique,et,detouteévidence,iln’yaaucunproblèmeàceniveau-là.Lachimiequinousunitesthorsducommun.

Enfait,j’auraisdûvoirlecoupvenirdepuislongtemps;pourtant,j’ensuistombéeleculparterre.Jesuistrèscontentequenousn’ayonspaseul’occasiondenousvoirpendantquelquesjours,parce

quej’avaisbesoind’unpeudetempspourmettretoutcelaauclairdansmatête.NousnoussommesparléautéléphonetouslessoirsetavonséchangédesSMSenjournée,maisnousavonstouslesdeuxeudesagendasdefolieàcausedesjoursfériésquiarrivent,cequinenousapaslaisséletempsdenousvoir.

Commej’avaisdesclientesquifaisaientleforcingpouravoirunrendez-vous,sefairecoifferavantdepartiràjenesaisquelleréuniondefamille, j’ai travaillétardtouslesjoursdecettesemaine.Dieumerci,BeckyapuallerchercherHaleyà lagarderieet resterà lamaisonavecelle jusqu’àceque jerentre.Jedétestefairedesjournéesdedouzeheures,passeulementparcequec’estépuisant,maissurtoutparcequejenevoismafillequepourlaprépareràalleràl’écolelematinetpourlamettreaulitlesoir.Cen’estpasassez.Ellememanque.

J’entredans lesalonetvoisHaleybrandirdevant l’écranundessinqu’ellea fait : il représente latabledurepasdeThanksgiving,avecunedindebizarreaumilieu.

–Là,c’estmoi,là,c’estmaman,etlà,c’estJay,commente-t-elleennousmontrantduboutdudoigt.Les chaises vides, c’est pasque je sais pas comment sont son papa et samaman ; alors, je les ai pas

dessinés,maisjelefiniraiaprès,quandjelesauraivus.–Super.Mais…attends…Quandest-cequetuvaslesvoir,sesparents?La voix habituellement douce de Cade s’est crispée, et je pousse un soupir, sachant qu’il ne me

lâcherapasavecçaavantque je luiaie fourni tous lesdétailsqu’ilveutconnaître. Jesavaisquemonhistoire avec Jason poserait problème àCade. Il connaîtmieux que personne le passé dissolu de sonmeilleurami;ajoutéàsatendancehyperprotectriceavecmoi,ilestévidentquecelavalemettredanstoussesétats.

HaleyluiexpliquenosprojetspourThanksgiving,etCaderépondposément,mêmesijeperçoistrèsbien la tension dans sa voix. Lorsqu’ils ont terminé,Haley lui envoie un bisou etme laisse la placedevantl’écran.

Jem’assoissurlecanapéensoupirant,sachantdéjàcequim’attend.–Salut.–Elleesttoujourslà?demande-t-il.Oh!punaise.S’iltientàs’assurerqueHaleynepuissepasentendre,c’estquecelarisqued’êtreplus

corséquejenelepensais.JeregardeHaley,quiadmiresondessinnonloindemoi,etluidis:–Vatebrosserlesdents,machérie,etchoisislelivrequetuvoudraslirecesoir,d’accord?Unefoisqu’elleaquittélapièce,jemeretourneversl’écrandemonordinateur,lessourcilsrelevés.–Oui,papa?Cadealesmâchoiresserrées,lesnarinesdilatées,et,pourlapremièrefoisdepuissondépart,jesuis

heureusequehuitcentskilomètresnousséparent.S’ilétaitlàencemoment,avectoutcequisepasse,ceneseraitpasjoliàvoir.

–Jason?C’estvrai,Tessa?Jeplisselesyeuxverslui,sentantmacolèremonter.–TuparlesbiendeJason,tonmeilleurami?CeJason?Ehbien,oui,c’estvrai.–NomdeDieu,marmonne-t-ilenpassantunemainsursescheveuxpresquerasés.Putain,jesavais

queçaarriverait.Maisqu’est-cequetucrois?Jemesensmaintenantbienremontée,etencoreplusparlefaitquejedoivedéfendresonmeilleurami

contrelui.–Commentça,qu’est-cequejecrois?Jecroisquec’estunmecsuperquiest toujourslàpourme

donneruncoupdemainquandj’enaibesoin–àquituasdemandéd’êtrelàpourmoientonabsence,jeterappelle.Tuferaisbiendenepasl’oublier.

Cadesecontentedemefixersansriendire.Jepoursuisdonc:–IljoueavecHaley,illalaisseledéguiser,ill’adore.Etilmefaitressentirdestrucsquejen’aipas

ressentisdepuislongtemps.–Pourça,jeluifaisconfiance!lance-t-ilsèchement.–Tupeuxm’expliquercequeçaveutdire?–Tu sais trèsbiencequeçaveutdire,Tessa.Tu sais aussibienquemoicomment il est avec les

filles.Tusaistrèsbienqu’iln’estpasdugenreàs’attarderunefoisqu’ilaeucequ’ilvoulait.Iln’estpascommetonorthodontiste…

–…avecquijemefaisaisroyalementchier.Ilcontinuecommesijen’avaisriendit.–Iln’estpasfiable,passtable,et,putain,çacrèvelesyeuxquecen’estpaslemecqu’iltefautsitu

cherchesquelqu’unpourdulongterme.

–Bon.C’est le seulmotque j’arrive àprononcerpendantunmoment, tellement je suis interloquéepar la

façondontCadeparledesonmeilleurami.Puis,macolèremonted’uncran.Passeulementcontrelui,maisaussicontremoi-même.Parcequejemesuisditexactementlamême

choseavantdemedécideràtenterlecoupavecJason.Finalement,depuisquandquelqu’unneluia-t-ilpasfaitconfiancesansluibalancersonlourdpasséàlafigure?Sansleréduireàlasommedesesactespassés?Qu’est-cequejeressentirais,moi,si tout lemondesecomportaitcommeçaavecmoi?Si lapremièrechosequ’onvoyaitenme regardantétaituneespècedepanneaugéantavec,écrit engrandeslettresrouges,ENCEINTEÀDIX-SEPTANS?Ehbien,c’estexactementcequenousluiavonsfait.Nous,lespersonneslesplusproches,quisommescenséesl’aimerleplus.

–Bon,dis-jedenouveau,ehbien,c’estintéressantdesavoircequetupensesdetonmeilleurpote.–Oh!pasça,jet’enprie.Commepote,ilatoutcequejepeuxdemander.Maiscommecopaindema

petitesœur?Putain,non!–Heureusementpourmoiquejen’aipasàtedemandertonavis,alors.–Tessa…Lamenace que je sens poindre dans sa voixme rend encore plus furieuse, et jeme raidis sur le

canapé.–C’estbon,lâchel’affaire,Cade,tuveux?Tun’aspasplusàdirigermaviedepuisChicagoquetu

nelefaisaisquandonvivaitsouslemêmetoit.Resteàtaplace.C’estmavie,etjecomptebienlamenercommeilmeplaît,avecousansl’approbationdemongrandfrère.

Il restemuetunmoment, lesbrasposés sur sesgenoux,penchévers l’écran. Il est vraiment fâché,commejenel’aipasvudepuislongtemps,etjecomprendsqu’ilsoitinquiet.Jecomprends,maiscen’estpassavie.

C’estlamienne,etilsetrouvequej’aiprisladécisiond’yfaireentrerJason.Ilparleenfin:–Çavaêtrelemêmescénarioqu’avecNick.Tuenesconsciente,aumoins?Unsouffleincrédulesortdemapoitrine,tandisquejeleregarde,lesyeuxécarquillés.Jereçoiscette

phrasecommeunevéritablegiflequ’ilm’auraitdonnéeàtraversl’écran.Certes,j’yaidéjàpensémoi-mêmecentfoisavant,maisl’entendredelabouchedequelqu’und’autre,enl’occurrence,celledemonfrère–c’est-à-direceluiquiestcensémesoutenirplusquetoutautre–estunvraicoupdecouteaudansledos.

–Jet’emmerde,Cade.Sur ce, je me déconnecte illico, n’ayant ni la patience ni la disponibilité d’esprit de me justifier

auprèsdelui.Commesijen’avaispasdéjàassezdestressaveclaperspectivedurepasdedemainchezlesparentsdeJason!Etmaintenant,jesensquejevaisressassercetteconversationpendantunmoment.ParcequeCadeaditlamêmechosequecequimeretenaitd’allerversJason.

Ilatouchédudoigtlapeurquimerongeaitdepuisledébut.

JASON

PouruneveilledeThanksgiving,labibliothèqueestétonnammentpleine.Jen’aiaucuneenvied’êtreici,maisnousdevonsrendrelasemaineprochaineletravaildegroupequ’onnousadonnéàfaireilyaunmois. Nous sommes là depuis deux heures, et, depuis tout ce temps, Kristi ne cesse deme collermalgrélaprésencedesdeuxautrespersonnes.LeprojetconsisteàconcevoiretencoderunsiteInternetavece-commerceintégré;j’auraispulefairetoutseulendeuxjours,maismevoilàforcéderalentirlacadencepourprendreencomptelesidéesdetoutel’équipe.Quellepertedetemps!

–Jason,tuveuxbienjeterunœilàmoncode?Jen’arrivepasàvoiroùestleproblème…Kristi se rapproche encore demoi, posant unemain surmonbras, et je doisme retenir de ne pas

roulerlesyeuxdevantsestentativesdeflirtsiévidentes.Mais,bon,jenepeuxpasluienvouloir.L’annéedernièreencore,j’auraisétépartantsanshésiter.À

vraidire,jel’auraissûremententraînéedansuncoinsombredelabibliothèquepourdécouvrirlacouleurdesapetiteculotte.

Mais,pourl’heure,jesuistropheureuxdesentirmontéléphonevibrerdansmapocheetmesauverdesesassautsincessants.Voyantquec’estCadequiappelle,jem’écartedugroupeetavanceverslabaievitrée,oùilyaplusdemondeetdoncmoinsdesilence.

–Allô?–Jepeuxsavoirdanscombiendetempstucomptaismeledire,bordel?Jegrimaceenl’entendantvitupérerauboutdelaligneetmepasseunemainsurlevisage.J’inspireà

fond,puisréponds:–JesupposequetuasparléàTess.–Quandjet’aiditdenepastoucheràmasœur,tupeuxmedirecequin’étaitpasclair?–Écoute,jesaisquetuesénervé,maiscen’estpas…–Ahoui,jesuisunpeuénervé,c’estsûr.Tum’asditquejepouvaiscomptersurtoi.Quetuveillerais

surellesdeux.Jesuisparti,et,commeuncouillon,jet’aifaitconfiancepourt’occuperd’elles.–Hé!dis-jed’unevoixforte,mefaisantfusillerduregarddetoutesparts.Baissantd’unton,jemetourneetmedirigeverslehalld’entrée.–Jem’occupebiend’elles,jetesignale.–Jesaiscommenttuesaveclesfemmesetj’aidumalàavalerl’idéequetut’occupaisdeTessaavec

ledeuxièmecerveauquetuasdansleslibard.–Jecomprends,Cade.Tuesfâché.Maisilvafalloirquetu…–TuétaislàpendanttoutletempsoùelleavécucetrucpourriavecNick,ettuasquandmêmefait

ça!Tunevauxpasmieuxquelui!Jemeredressevivementetmontonsedurcit.–Certainementpas.–Quoi,tuvasmedirequ’elleestdifférente,peut-être?–Eneffet,elleestdifférente.–Et,donc,c’estellelafemmedetavie?Putain,tumeprendsvraimentpouruncon.Ilricane,mettantmesnerfsunpeuplusàvif.Jesenslacolèremonterenmoi.Jemesensprêtàluirentrerdanslelardetàluidirecequejepense

unebonnefoispourtoutesquandquelquechosemevientàl’esprit:–TuastenulemêmediscoursàTessa?–Tiens,jemesuisgêné!Jefaisuneffortmonumentalpourcontinuerdeparlercalmement.

–Tuasdiscutédeçatranquillementavecelle,oubienluias-tubalancélesmêmesconneriesquecequejeviensd’entendre?

Sonsilencemesuffit.J’aicompris.J’aisupportécesquelquesminutesd’engueulade–lelaissantmecouperlaparoleoum’assénersamoraleàdeuxballes–,maisl’idéequ’ilenaitfaitautantavecelleestlagoutted’eauquifaitdéborderlevase.

–Bon,alorsécoute-moibien,petitcon,parcequejenelediraipasdeuxfois.Tuespeut-êtremonmeilleurpote,mais jen’enai rienà foutreaumomentoù je teparle.Parceque,pour l’instant, tun’esqu’un connard de grand frère qui fait chier ma nana. Tessa est adulte, elle n’a pas besoin de tabénédictionpourleschoixqu’ellefait,surtoutconcernantleshommesqu’ellefaitentrerdanssavie.Situasunproblèmeavecmoi,viensmevoir,espècededégonflé,maislaisse-laendehorsdeça.Pigé?

Jeraccrochesansluilaisserletempsderépondre,parceque,sij’entendsunesecondedeplusdesatirade,jevaisdéfoncerunmur.Ignorantlesregardsdespersonnesautourdemoi,jeretourneàlatableoùmongroupeestinstallé,m’excusedeleslaisseretleurdisquejeferaimapartducodeetleurenverraiçapendantleweek-end.

L’adrénalinecourtdansmesveines;ilfautquej’aillelàoùjedoisêtre.Parceque,silesmotsdeCadenem’ontpastouché,moi…,qu’enest-ilducôtédeTessa?

21

TESSA

Jen’arrivepasàmedébarrasserdecequej’airessentienraccrochantaunezdeCade.Çametrottedanslatêtecommeungrosnuagegris,çameplombelemoraletmefaitremettreencausetoutcequejepensaisavoir résoluconcernant Jason.Ducoup, jeme remetsàdouter. Il faudraitque j’appellePaigepourpouvoirenparleravecelle,mais,commejesaisqu’elletravailletardcesoir,mesangoissesvontdevoirattendrejusqu’àdemainpourêtresoulagées.

Puisquejenepourraipasm’enleverçaducrânesijenemeforcepasàfaireautrechose,jeprendslelivrequejelisencemomentetessaiedem’yplonger.Jerelistroisfoislamêmepageavantdelaissertomber.Dansunsoupir,jerefermelebouquinetlejettesurlatablebasseaumomentoùquelqu’unfrappeàlaporte.

Jejetteunœilàlapendule,intriguée–ilesttard–etavancejusqu’àlafenêtrepourvoirquiestlà.Laréaction demon ventre en regardant dehors me prouve ce que je savais déjà : je suis complètementdépasséepar lesévénements,par lui, par tout ça. J’inspire à fondetvaisouvrir laporte.Là, je restemuettedevantJason.Ilalesdeuxmainsposéesdansl’encadrementdelaporte,etunevivetensionémanedetoutsoncorps.D’unevoixsourde,basse,ilmedit:

–Est-cequ’ilt’aparlé?Je comprends immédiatement àqui il fait référence, cequi signifiequeCade l’a appelé, lui aussi.

Cetteidéeprovoqueenmoiuneboufféed’angoisse;j’aipeurqueCadeaitincitéJasonàmettreuntermeànotrehistoire,qu’ilaittoutgâché.

Jasondoitlirequelquechosesurmonvisage,carilfranchitalorsleseuilpourentrer;là,ilrefermelaportederrièremoietprendmonvisageentresesmains.

–Dis-moiquetunel’aspasécouté,Tess.Sespouces caressentmes joues, d’une caressequi semble être autantdestinée à l’apaiser, lui, que

moi.–Dis-moiqu’ilnet’apasfaitchangerd’avisàmonsujet.Dis-moiquetuveuxqu’oncontinue.Cadenem’apasfaitchangerd’avissurquoiquecesoit,etc’estjustementcequimefaitpeur.Lefait

qu’endépitdesesavertissements, jemesens toujoursprêteàsauterdans l’aventure lesdeuxpiedsenavant,mettantmoncœurenpéril.

Jasonavanceversmoi,mefaisantreculerjusqu’àcequejemeretrouveplaquéeentrelemuretlui.Ilsepencheetmemordillelalèvreinférieure.

–Jet’enprie,dis-le-moi,mapuce.Tuestoujoursavecmoi?Jen’arrivepasàréfléchirtantmoncerveaubouillonned’inquiétudes(surcequipourraitarriver…si

Jasonpart,s’ildéconne,ousimoijedéconne),maisjeréprimecespenséespourmeconcentrersurcequisepassemaintenant.Ici,iln’yapasdesi,pasdemais.Ilestvraimentlà,plantédevantmoialorsquemonfrèreasansdoutefaittoutcequ’ilapupourledissuaderdemevoir.Ilestdevantmoietilmeveut.Ilmeveuttoujours.

–Jesuistoujoursavectoi,dis-jedansunmurmurecontreseslèvres.Immédiatement, Jason prendma bouche, forçant mes lèvres pour y glisser sa langue en un baiser

fougueux.Cebaiserestunepromesse,uneprisedepossession,etj’ensavourechaqueseconde.Sesmainspartentà l’assautdemoncorps,abaissantsurmesépaules la largeencoluredemontee-

shirtdenuitjusqu’àcequemesseinspassentpar-dessus.Un râle sort de sa gorge, tandis qu’il descend vers ma poitrine à coups de petits baisers et de

mordillements;ilprendl’undemesmamelonsdanssaboucheetsemetàlesuceravecforce.Jepousseuncrietlaissemesmainss’enfoncerdanssescheveuxpendantqu’unedessienness’attaque

àmonpantalondeyogapour le baisser, lui laissant bientôt accès àmapetite culotte.Samain entièredisparaîtsouslecotondemonsous-vêtement;sesdoigtss’agitentd’avantenarrière,dehautenbas,etjemeretrouveàhaletercontrelui.

–Allez,vas-y,prendstonpied.Ses caresses se font plus précises, ses doigts descendent pour se glisser en moi, puis reviennent

décriredepetitscerclesautourdemonclitoris.Deplusenplusvite,jusqu’àcequejenecomprenneplusrien.Sonsouffleaucreuxdemonoreille,lefrontappuyéprèsdematêtecontrelemur,ilmurmure:

–Jouissousmamain,etaprèsjet’emmèneraidanstachambre,jet’allongeraisurleventrepourquetescris soientétoufféspar l’oreiller, je soulèveraicebeaupetitculet je tebaiserai jusqu’àceque tujouissesencore.

Jegémis,ettoutmoncorpssetendàunpointpresquedouloureuxsousl’effetdecettepromesse.–Non…,prends-moimaintenant.Maintenant,Jason.Jenereconnaismêmepasmavoix,rauqueetessoufflée,implorantquelqu’undelabaiser.–Non,pasavantquetujouisses.Jegeinsetbasculelatêtecontrelemur,puisjememetsàpressermonbassinplusfortcontresamain,

contresesdoigtsavides,voulantqu’ilailleplusvite,plus fort,voulantqu’ilmeprennecomme ilm’aembrassée.Enmepossédanttotalement.

Il enfonce ses doigts aussi profondément qu’il le peut et les replie en moi, tandis que sa paumetravailletoujoursmonclitoris,etunfeud’artificeéclatealorsderrièremespaupières.

–Ohoui!grogne-t-ildansmoncou.Jesavaisquetumeledonnerais.Tout enme dirigeant versma chambre, Jasonme débarrasse demes vêtements.Le temps qu’il ait

refermélaportederrièrenous,jesuiscomplètementnue.–Surlelit,Tess.Commej’aidittoutàl’heure.J’acquiesce et recule jusqu’à ce que l’arrière demes genoux touche lematelas, ne voulant pas lui

tournerledosavantdel’avoirvusedéshabilleràsontour.Il lefaitvite,efficacement,et, lorsquesoncaleçonrejointletasdevêtementsparterreetqu’ilbranditfièrementsonsexedanssamain,jemelaissetombersurlelit,doutantquemesjambespuissentmeporterpluslongtemps.

Jefaiscommeilmel’avaitdit,m’allongeantsurleventre,etjeleregardevenirversmoipar-dessusmonépaule.Ilremontelelongdemesjambesenm’effleurantduboutdesdoigts,puissepencheetmemordbrusquementlesfesses.

Jeglapisavantdememettreàgémir,carilremontemaintenantdansmondosavecsalanguetoutenmechevauchantauniveaudescuisses. Ilm’embrasse lesomoplates,écarte lescheveuxdemoncouetm’embrasselàaussi.

Ils’écartealorsetagrippemeshanchesendisant:

–Lève-moiça,mabelle.Sesjambesprenantlesmiennesenétauparl’extérieur,jesuisobligéedegarderlescuissesserrées.

Jelèvemonfessierautantquejepeux,l’aidantàmeguiderdanslapositionqu’ilveutquej’adopte,alorsquesonsexevaetvientlelongdemafente,merendantfolle.

–Jason,dis-jeengrommelantetenessayantdelefaireentrerenmoi.–Tucroisquetuesassezmouillée?Jenesuispassûr.Saremarqueestabsurde,parcequejel’entendsglissercontremoi.J’ouvrelabouchepourleluidire

quandilreculesoudain,empoignelehautdemescuissesetmedonneunlongetlentcoupdelangueduclitorisjusqu’auvagin,memettantausupplice.

–OhmonDieu…Ilbasculelatêteverslebaspourpermettreàsalanguedevenirpressermonclitoris,etinsèredeux

doigtsenmoi,meprivantbientôtdetoutmonsouffle.Jemeresserreautourdelui,approchantdeplusenplusdemondeuxièmeorgasme.Jel’entendsgrognerdeplaisirpendantqu’ilpoursuitsonouvrage.

JASON

Cettefillemerendvraimentdingue.Dèsquejelavois,j’ail’impressiondeperdrelatête.Jenepenseplusqu’àsonexpressionquandelleestsousmoi,àcequ’elleressentquandelles’agrippeàmoi,àsavoixquandellecriemonnom.

J’attrapeunecapoteetl’enfilesurmonmembretoutenémettantunrâlesourddevantlespectaclequis’offreàmoi.Tessaestsurlelit,pilecommejelevoulais.Surleventre,leculrelevé,meregardantpar-dessus son épaule avec des yeux de braise. J’adore l’idée que c’est à moi que s’adresse ce regardbrûlant.Que,malgrétouteslesconneriesracontéesparsonfrère,ellemedésiretoujoursautant.

Je grimpe sur le lit et chevauche à nouveau ses cuisses en tenant sa hanche d’unemain et enmeguidantenelledel’autre.Jem’enfonceetlaregardes’ouvrirautourdemoi,engloutirmonsexeenentier,etjepousseunnouveaugrognementenvoyantsonvisageaffolédedésir.

J’aienviedelaravager,delabaisersifortqu’elleenoublierajusqu’àsonnom.Qu’elleoublieratousleshommesquionteuleprivilègedelaconnaîtredecettemanière.Pourqu’ellenesesouvienneplusquedemoi.Pourqu’ellenedésireplusquemoi.

–Tusaisquetuesvraimentbonne?Tuesparfaite…Jemeretirepresqueentièrement,puisjelapénètreànouveaulentementetprofondément,heureuxde

la voir serrer la couette de plus en plus fort entre ses mains. Elle lève les fesses encore plus haut,m’implorantsilencieusementdeluiendonnerplus.

–Plusprofond?Jesourisenl’entendantgémiretempoignesoncul,quejesoulèveenl’écartantautantquepossibleen

gardant ses jambes serrées. Je répète alors mon lent mouvement de va-et-vient, m’enfonçant aussiprofondémentquejepeux,attentifàsespetitsgémissements.Quandilsm’endonnentlesignal,j’accélèrelacadenceetlapilonneavecassezdeforcepourlafaireavancersurlelit.J’attrapesamainetl’écartede la couette pour la ramener dans son dos ; son corps estmaintenant ramassé sousmoi, et ses seinsdansentàchacundemescoupsdeboutoir.Ellealaboucheentrouverte,lespaupièresmi-closessousses

yeuxpresquerévulsés.Latenantd’unemainparlepoignet,jeglissel’autreverssaboucheetcaresseseslèvres.

–Ouvre,mapuce.Suce.Elles’exécuteimmédiatementetouvrelabouchepoursucermondoigt,caressantl’extrémitédubout

desalangue.Jepousseunrâleensentantmonindexdanscepalaismouilléetaugmentelavitesseet,nepouvantplusmecontrôler, lapressiondemonbassin. Je retiremondoigtdesaboucheetdescends lamainverssapoitrinepourtitillersontétondemonindexhumide.Jesouris,combléparsesgémissements,sesyeuxquis’ouvrentetseferment,sonsexequibatautourdumien.

–Oui,c’estça,mabelle.Vas-y,jouis,jouis.Tessaatoujoursétébelle,mêmeavantquejen’admettemonattirancepourelle.Maisquedired’elle

cesoir?Tellequejelavoislà,maintenant,allongéedevantmoi,haletantesoustoutleplaisirquejeluidonne,meregardantdroitdanslesyeuxalorsquej’appuiepilelàoùilfautpourlafairedécoller?

C’est trop. Alors qu’elle pousse un cri étouffé et que ses yeux se révulsent de plaisir sous sespaupières,jemelâcheetdécolleavecelle.

22

TESSA

J’ai beauy être déjà alléequelquefois, la visionde lamaisondesparents de Jasondepuis l’alléem’impressionnetoujoursautant.Ellesetrouvelégèrementenretraitd’uneruetranquille,unpeuéloignéedesautresmaisons– toutaussi impressionnantes–qui labordent.Moiquiai toujours trouvéquenousvivionsdansunjoliquartier,quandjelecompareàcelui-ci,celarevientàvivredansdescartonssousunpont.

Unedomestique–Magda,medit-on–nousaccueilledansl’entréeetprendnosmanteaux,tandisqueHaleyrestecolléeàmoi,bouchebée.

–Waouh!fait-elle.C’estuneseulemaison,toutça?–Ehoui,p’titbout.Jasonluiébouriffegentimentlescheveux,cequilafaitrireetladétendunpeu.Voyantquejenedis

rien,ilsetourneversmoietprendmamainpourlaserrerbrièvement.–Allez,pasdestress.C’esteux,toutça,pasmoi.OK?Après la soirée d’hier, quand Jason est venu chez moi, alors que Cade venait d’essayer de l’en

dissuader, jesuissûrequ’ilestvraimentavecmoi.Peut-êtrepaspour toujours,maisaumoinspourunmoment.Etpourl’instant,celamesuffit.

Cequim’inquiète,maintenant,cequim’apasmalempêchéededormircesderniers jours,c’est laréactiondesesparentsconcernantHaley.Ellenemériteaucundeleurspréjugés,etjenerépondspasdemesactessijamaisilsluidisentquoiquecesoitdedésagréable.

JeregardeJasonenhochantlatête,etilm’adressecesourire,monsourire,celuiqu’ilnedonnequ’àmoi,avantdedéposerunpetitbaisersurmeslèvres.Quelqu’unseraclelagorgejusteaumomentoùils’écarte.LamèredeJasonestàquelquesmètresdenous,l’airdesortird’unecabined’essayagedechezNeimanMarcus.Si ça se trouve, elleaundomestiquequi s’occupeuniquementde sagarde-robe.Sescheveuxbrunssonttirésenundélicatchignonbanane,coiffurequej’airéaliséecentfoispourlesmèresdemariées.Sonmaquillageestsubtiletparfait.Seslèvresrosepâlesontpincées,aumomentoùellenousregarde.Elleporteunchemisierensoiesurunejupedroiteavecdesescarpinsquejen’oseraismêmepasmettrechezmoi.Soussonregardscrutateur,jemesenstotalementàcôtédelaplaqueavecmesbottesetmajupeàfleurs,sansparlerdupullvintagequej’aidûpayertroisdollarsàlafriperieducoin.

–Maman.LavoixdeJasonmetiredemespenséesetfaittairemonangoisse.Dumoins,pourunpetitmoment.–Bonjour.Elleavanceversnous,mais,aulieud’embrasserJasoncommejem’yattendais(c’estcequefaisaitla

miennechaquefoisquenousrentrionsà lamaison,mêmesinousn’étionspartisquedepuisunedemi-heure),ellemetendlamain.

–Raviedeterevoir,Tessa.Jeluirendslapolitesse;sapoignéedemainestmolle.

–Mercidenousrecevoir,madameMontgomery.J’espèrequenousnevousdérangeonspas.–Pasdutout.Noussommesheureuxque,pourunefois,Jasoninvitequelqu’unàlamaison.Je jette unœil vers Jason, qui a lamâchoire serrée,mais ne dit rien. Je lui tends le plat que j’ai

apportéetdis:–Jenesavaispastropquoiapporter,etJasonnem’apasvraimentaidée;alors,j’espèrequeçaira.

Cesontdesharicotsvertsencocotte.Elleprendleplatavecunfrémissementdeslèvres,maiscettetentativedesourireressembleplusà

unegrimacequ’autrechose.–Oh!Commec’est…gentil.Merci.JevaisdonnerçaàMeganpourqu’elleleréchauffe.–C’estMagda,maman,tulesaistrèsbien.–Oui,bon,dit-elleenseretournant,s’attendantàcequenousluiemboîtionslepas.Tonpèreestau

petitsalonavecCharles,Stevenetleursfemmes.Jevousrejoinsdèsquej’auraidéposéçaencuisine.Dèsqu’elles’estéloignée,jemurmureàJason:–Bon,ças’estbienpassé.Jepariequ’elleestentraindejetermonplatàlapoubelle.Ilritetprendmamainpourlaserrer.Jedevinequ’ilaimeraitmemanifesterplusencoresonenviede

merassurer,maisHaleyn’étantplusbouchebéedevantlefastedel’entrée,illaprendaussiparlamainetnousemmèneversle«petitsalon».Qu’est-cequec’estquecettehistoiredepetitsalon?Chezmoi,ily a un salon normal ou une salle àmanger, ce qu’ils doivent bien avoir également, je présume.Ainsiqu’unfumoir.Unebibliothèque.Etunecaveàvin.Àvraidire,jesuissurprisequ’iln’yaitpasdedouvesdanscechâteau.

–Non,ellenelejetteraitpas.Sesbonnesmanièresleluiinterdiraient.Nousavançonsdansunlongcouloirauxmursbordeauxornésdetableauxquisontvraisemblablement

desoriginaux(etdoiventcoûterplusquemonsalaireannuel).Plusieursconsolesanciennesportantdesbouquets de fleurs coupéesviennent décorer le couloir. Je n’ai jamais vraiment pensé à la façondontJasondoitconsidérernotremaison.Elleestplusvieille.Laseulepièceayantétérefaiterécemmentestlacuisine,justeavantlamortdemaman.Àpartça,c’estunintérieurdouilletetdémodé,avecdesmeublesdatantdelapériodeoùj’étaisenprimaire.Jepréfèremettremonargentailleurs,etcelanem’ajamaisgênéedenepasavoircequisefaisaitdeplusneufoudeplusjolienmobilier.

Mais, en étant ici, en voyant l’endroit où il a grandi, le cadre auquel il est habitué, je ne peuxm’empêcherdemedemandersicelalegêne,lui.

Leterme«salleàmangerd’apparat»sembleavoirété inventépourcettepièce.Unetableenboisfoncépouvantaccueilliraumoinsseizepersonnesoccupelaplusgrandepartiedelapièce.Unlustreàpampillesdecristalestsuspenduauplafond,éclairépilecommeilfautpouryvoirclairsansêtreagresséparlalumière.Desverresencristaletbientropdepiècesd’argenteriesontdisposésdevantchacunedeschaisesenboissculpté,merappelantlerestaurantoùGregm’avaitemmenée.Làaussi,c’esttropriche,tropfourni,troptout.

–Ce n’est qu’unemaison, chuchote Jason àmonoreille enmepressant le genou, attirant sur nousl’œilsévèredesonpère.

MonsieurMontgomeryestassisauboutdelatable,et,s’iln’arienfaitquimontreostensiblementsadésapprobation,ilsembletoujoursnousregarderdehaut.Depuisnotrearrivée,sonregardnes’estjamaisposébienloindemoiouHaley,mêmealorsqu’ilétaitengrandeconversationavecCharlesetSteven,deuxdesesassociésdansl’entreprise,ai-jeappris.Ceregardconstantmestressebeaucoup;nonparce

qu’ilesteffrayant,maisparcequ’ilsemblecalculateur,cequiestpresquepire.Lepersonneldetable(franchement,quiadupersonnelpourleservicedetable,denosjours?)vient

seglisserdanslapiècepeuaprèsquenousavonsprisplaceetposedevantnousdesplatssoigneusementprésentésquidoiventêtretypiquesdelatraditiondeThanksgiving.Lesportionssontminuscules.SiCadevoyait ça, il ferait une attaque.Thanksgiving n’est pas vraiment lemoment pour une démonstration denouvellecuisine.

Mapoitrineseserreenpensantàmonfrère,àcequ’ilm’adithiersoir…etàlafaçondontj’aimisfinàl’appel.Jesaisbienqu’ilnefaitqueprendresoindemoi,qu’ilveutéviterquejesouffre,maissesmotsmefontencoremal.Surtoutparcequ’ilsont ravivé lespeursque j’aieu tantdemalàsurmonteravant de m’engager dans cette histoire avec Jason. Il faut que je lui parle, que j’essaie de lui fairecomprendrelasituation.

Parceque,mêmesijesuisuneadultequiélèveseulesafilleetn’apasbesoindesonapprobation,j’aimeraismalgrétoutqu’illeprennebien.

Haleytiresurmamanche.Jemebaissepourqu’ellepuissemurmureràmonoreille.–Maman,j’aimeriendetoutça,dit-elleenplissantlenezavecunemouededégoût.Jeréprimeunpetitrire,parcequeriendecequisetrouvesurlatablenemeplaîtbeaucoup,àmoi

nonplus.–Mangecequetupeux,machérie.Tuaimesça,ladinde.–Oui,maisyadelasaucerougepasbonnedessus.–Onpeutl’enlever.Etilyamacocottedeharicots.Regarde,là,c’estdelapurée…,enfin,jecrois.Jedésigneunemasseblanchemodeléeenformederose…oudejenesaisquoi.–MonDieu,j’espèrequelerepasestadaptépourlapetite?lancemadameMontgomerydel’autre

côtédelatable.Lesmotssontpeut-êtregentils,maissonintonation,beaucoupmoins.–Celafaittellementlongtempsquenousn’avonspaseud’enfantàcettetable,ajoute-t-elle.Jemeredressesurmachaiseetagiteunemaindevantmoi.–Non,non,c’esttrèsbien.Merciencoredenousavoirinvitées.Ellemefaitunpetitsourirecrispé,sesyeuxoscillantentreJasonetmoi,etj’aienviededisparaître

sous terre. Je neme sens vraiment pas àma place, ici. J’ai l’impression que ses parents n’attendentqu’unechose:quemafillecommenceàjoueraveclanourritureouémetteunrot,n’importequelfauxpasquileurpermettraitdedire:«Tuvois!Qu’est-cequetufabriquesavecquelqu’uncommeça?»

Ni l’un ni l’autre n’a été ouvertement désagréable avecmoi ouHaley jusqu’ici,mais il n’est pasdifficile de relever les signes subtils de leurmécontentement, les jugements non dits, et je détestemeretrouverlà.

Passeulementpourmoi,carJasonaluiaussisapartdetorture.Ilestpiégédansunediscussiondeboulotavecsonpèreetsesassociés,et,sijemefieàlatensiondesamainsurmajambe,jecroisqu’ilvaavoirbesoinpourtenirlecoupdeplusqueleverredebourbonquesonpèreluiaservi.

Autourdelatable,laconversationseconcentresurl’étatdel’entreprise.Aprèsavoirretiréautantde«saucerougepasbonne»quepossibledeladindedeHaley,jecoupemaviandeenespérantpouvoirenmangerunequantitéacceptable.

–Ettoi,Tessa,poursuis-tuaussitesétudes?Laconversations’arrêtesur laquestiondemadameMontgomery.Jesourisetavalemabouchéede

dindeavantderépondre.

–Non,jetravaille.Jesuiscoiffeuse.Lafaçondontsongestesefigeunquartdesecondequandelleportesonverredevinàsaboucheest

subtile,maisjelavois.Jevoiségalementsesyeuxseposersurmescheveux,surlesmèchesviolettesquim’inquiétaienttant.J’aimeraismaintenantqu’ilnes’agissepassimplementdequelquesmèches,maisdetouteunemassedecheveuxviolets,histoirequ’elleaitdequoiserégalerdanssonjugement.

–Coiffeuse…–Oui.–Ehbien…Tantmieuxpourtoi.Làencore,letondesavoixcontreditl’intentionaimabledesesmots.–Mais,commetuaseuHaleysijeune,jesupposequetuasétéobligéedechoisirunmétieravecune

formationcourte,n’importequoi,j’imagine.Jasonseraiditprèsdemoi.Jeserresongenousouslatablecommeilmel’afaittoutàl’heure.Ilne

serendpascomptequecen’estpaslapremièrefoisquejesuisconfrontéeàcegenrederemarque.Lesgensestimentqu’étantunejeunemèrecélibataire,jeconstitueuneciblefacilepourleursjugements.J’aidûapprendretrèsviteàrépondreàcela.

–Pasdutout.Ilsetrouvequej’aitoujourseuenviedefairecemétier,bienavantqueHaleynesoitlà.Etjemedébrouilleplutôtbien,donc…

Jehausselesépaulesetboisunepetitegorgéedevin,mettantuntermeàladiscussion.Dumoins,jelecroyais.–Nouspourrionssûrementtetrouverquelquechosedansl’entreprise,n’est-cepas,Lawrence?N’y

a-t-ilpasunpostedelibreaucourrier,encemoment?Ouàlaréception?AvantmêmequelepèredeJasonpuisserépondre,jesourispolimentetrétorque:–C’esttrèsgentilàvous,maisjenecherchepasunautretravail.Jesuisheureuselàoùjesuis.–Peut-être,maisceseraittoutdemêmeunpeuplus…prestigieux,non?ditmadameMontgomery.Je me mords la langue pour me retenir de débiter la myriade de répliques que j’ai envie de lui

balancer.Jeluidisplutôtcequejetrouvedepluspoliàrépondre.Etqui,enl’occurrence,nedoitpasvraimentl’être:

–Pourvous,peut-être,maismoi,j’aimecequejefais.Jenemesouciepasbeaucoupduprestige,delafaçondontlesgensconsidèrentmacarrière,nidel’argentquejepourraisgagner,carjesuisheureusedanscequejefais.

Toutlemonderestemuetautourdelatable;lesvisagessontferméssouslechoc.Jevoudraispouvoirm’enfoncerdansmachaiseetmecachersousla table,mortifiéequejesuisden’avoirpassutenirmalanguependantdeuxsecondes,quecettebandedesnobsm’aienténervéeounon.Mesyeuxse tournentalorsversJason:ilregardesonassiettesophistiquée,unimmensesouriresurleslèvres.Jeredresseunpeulesépaulesetm’assoisbiendroitesurmachaise.

Aprèsquelquessecondesd’unlourdsilence,laconversationreprend,etJasonseretrouveembarquédansdesdiscussionsprofessionnelles.Sonsourires’esteffacé.Pour lapremière foisdepuisqu’ilm’aparléde l’ultimatumposépar sesparents, je ressensune réelle compassionpour lui.Comme samèrevientdeleprouver,untravailpeuprestigieuxesttoutàfaitinacceptableàleursyeux.Alors,pourlui,lefilsunique,seulhéritierdunomdesMontgomery?Jenepeuxmêmepasimaginerleurréactionquandilleur a annoncévouloirgagner savie enconcevantdes sites Internet, au lieude reprendre le flambeautransmisparsonpèreetsongrand-père.Jenesuismêmepasdelafamille,etsamèrevoulaitdéjàme

fairechangerdeboulot,mepousser,pourquej’aieleprivilègederevendiquerl’étiquettedeleurnomdefamilledansmavieprofessionnelle,versautrechose,alorsquejesuisheureusedecequejefais.

Je regardeJasonenbiaiset remarque la tensiondanssamâchoire, ses épaules. Je saisis enfinunebribedeceque signifieêtreunMontgomery.Quellehorreurde le savoirainsi soumisà leurscritèresabsurdes!Etquesesparentsnepuissentpasl’acceptertelqu’ilestetlesoutenir!

JASON

–Alors, Jason, prêt à suivre votre père pour cette nouvelle année à venir ? Il va falloir être à lahauteur,aprèslui,ditCharles.

Nousnesommesquetouslesquatredanslebureaudemonpère;lesfemmessontensembledansuneautrepartiedelamaison,oùmamèrelesaentraînéespourexhiberjenesaisqueltrucquifaitbienensociétéetdonttoutlemondesefiche,surtoutTessaetHaley.Mêmesij’aimeraisbeaucoupmebourrerlagueule,jesuispasséàl’eaudepuisuneheurepourpouvoirrentreraussivitequepossible.Ilfautquejepartedecettemaisonsanstarder.J’étouffelittéralement.

Leshommestiennenttousleurverredecristalremplideleurdigestifpréféréenfumantlescigaresdemon père et en bavassant sur des sujets qui me passent complètement au-dessus de la tête. J’ail’impressiondevoirl’avenir,ceàquoimaviepourraitressemblerdansvingtans.Etçamedonnel’enviepresqueirrésistibledesauterparlafenêtre.

Jem’éclaircislavoixetdis:–Jesuiscertainqu’ilferatoutcequ’ilfautpourquejesoisàl’aise.–Jen’endoutepasuninstant.Charlesm’observequelquesinstants,ainsiqueSteven.–Celadit,nousavonsquelquesdoutessurunautresujet,ajoute-t-il.Jehausseunsourcil,sachantdepuislongtempsquejen’échapperaispasàcegenredequestionnement

avantd’intégrerlasociété.Aulieuderépondreàmoninterrogationtacite,ilmedit:–Parlez-moidoncdeTessa.Jemesensimmédiatementsurlequi-viveetleregardeavecméfiance.Jenesaispasàquoiiljoue,

maisjesaisquejerisquefortdenepasaimerça.–Commentça?Quevoulez-voussavoir?–C’estsérieux,entrevous?–Jenevoispasenquoicelavousconcerne.Monpèreseraclelagorgebruyamment,maisjeneluiaccordemêmepasunregard,focaliséqueje

suissurleconnardencostardArmaniassisdevantmoi.–Jetrouvequesi,personnellement,dit-il.–Etvousvoulezbienm’expliquerpourquoi?Ils’adossedanssonfauteuiletcroiselesjambes.– En janvier, quand vous commencerez officiellement à prendre la relève chez Montgomery

International,touslesdomainesdevotrevieserontscrutésaumicroscopeetrenduspublics.–Ouf,j’aieupeur,j’aicruquevousalliezmedirequemavieallaits’arrêterenjanvier.

Ilpoursuitcommesijen’avaisriendit:–Vousn’avezpasétéparticulièrementdiscretencequi concernevos…activités extrascolaires. Il

seraitpeut-êtretempsquevousvousposiez,histoirederassurertoutlemonde.J’avalemoneauminéraledetraversetmemetsàtousser,lesyeuxexorbités.–Pardon?Ilmetoised’unregardsévère.– Nos clients attendent une certaine image… familiale de notre entreprise. C’est ainsi que votre

grand-pèrel’acréée,etvotrepèreaeuàcœurdesoignercetteimage.–Vousvoulezdiredementirsurcetteimage…Ilmefixelonguement,puisajoute:– Nos autres partenaires ont exprimé leur… inquiétude au sujet de votre style de vie. Mais,

finalement,peut-êtren’êtes-vouspassiloindevousfixeretdefonderunefamille…,dit-ilavecunsignedetêteendirectiondelapièceoùnousavonslaissélesfemmes(ycomprisTessaetHaley).

Normalement, la simple évocation de cette idée m’aurait donné une crise d’urticaire. Étant auxpremièreslogesdumariagedésastreuxdemesparents,jen’aijamaiseulamoindreenviedelesimiterrapidement.Oumêmeplustard.

Mais,aujourd’hui,jeconstatequel’idéedeceprojetavecTessanemefaitpasbondircommecelaauraitpuêtrelecasilyaseulementquelquesmois.

Cequimefaitsortirdemesgonds,enrevanche,c’estquecettebandedesalopards,quinepensentqu’àlaboîteetsefichentdelaviedeshommesetfemmesquiyparticipent,veuillentseservird’elleetnous inciteràvivreensemblepour laseulecausede l’imagede l’entreprise. Jeposemonverreetmelèvedemonfauteuil.

– Désolé de briser votre rêve, Chuck,mais ça ne se passera pas comme ça. Et neme faites pasl’insultedemereposercettequestion.

Sur ce, je tourne les talons etm’envais chercherTessa etHaleypour les emmener aussi loinquepossibledecemonde.

23

JASON

Mesmainssontagrippéesauvolant,quejeserreàm’enfaireblanchirlesjointures.Jefulmineencoreenrepensantàcequivientdesepasserilyaunedemi-heure.LasuggestionàpeinevoiléedeCharlesdemefairepasserlabagueaudoigtdeTessapourrassurerlesassociés(justepourrassurercettebandedecons!)étaitsipeusubtilequecelaauraitétédrôlesiç’avaitétémoinsinsultant.

Ilestclairque,danscetteboîte, tout lemondecroitpouvoir fairecequ’ilveutdemoi(résultatdel’arrogancedemonpère, sansaucundoute),etmeprendpourunpantinqu’ilsvontpouvoirmanipulercommebonleursemble.

J’auraisdûvoirlecoupvenir.Jesavaisquequelquechosedecegenreallaitvenir,qu’ilstrouveraientlemoyendemettreleurssalespattessurleseuldomainedemaviequejeveuxpréserver,domainequej’aurais dû garder sous clé. Je n’aurais pas dû inviter Tessa etHaley ce soir. Non parce qu’elles necomptentpaspourmoi,maisjustementpourlaraisoninverse.Ellescomptentbeaucouptroppourquejelaissemafamilletoxiques’immiscerentrenous.J’auraisdûalleràcefouturepastoutseuletleslaisserendehorsdeça.Tessaapasséunesoiréehorrible,etHaley,guèremieux.Quantàmoi,toutcequej’aigagné,c’estdemeretrouveravecauxfessescettebandedechienscherchantàavoirquelquechosequejeneleurdonneraijamais.

JamaisjeneleurlaisseraiTessaouHaleyenpâture.NousroulonsensilenceverslamaisondeTessa;Haleys’estendormieàl’arrièreauboutdedeux

minutesdetrajet.Tessan’ariendit,ellenonplus.Jenesaispassielleperçoitl’étatdanslequeljemetrouveou,pire,simamèreluiaditquelquechosequandellesn’étaientplusavecnous.Quelquechosedepireque sa remarque lors dudîner sur le travail deTessa. J’espèrequemamèren’apasdit quelquechosed’àpeuprèssimilaireàcequeCharlesm’abalancé.

Toutescespossibilitésmenouentleventre,etjesenslepoidsduregretsurmesépaules.Jeneveuxpasqu’ellesachecequ’onm’aditenfindesoirée,jeneveuxpasqu’ellecroiequejepourraismeservird’elledelasorte.

Jemegaredans l’alléedesamaison.Tessasortde lavoituresansdireunmotetsedirigevers laportièrearrièrepoursortirHaleydesonsommeil.Jelarejoinslàetl’attirecontremoienpressantmeslèvressursonfront.Jen’aipasenviedeparlerdecequis’estpassécesoir,maisj’espèrequecegestesuffitàluifairecomprendrequecen’estpascontreellequejesuisfâché.Heureusement,ellemerendmonétreinte,etjepousseunsoupirdesoulagement.

Elles’écartedemoipourprendreHaley,maisjepassedevantellepourouvrirlaportière.–C’estbon,jem’enoccupe.JedétachelaceinturedesécuritédeHaleyetsorssonpetitcorpsendormidelavoiturepoursuivre

Tessaquiouvrelaportedelamaisonetnouslaissepasser.Haleya la tête appuyéecontremonépaule.Consciemmentoupas, elle serremachemise entre ses

doigts.Jesuisvraimentgagadecettepetitefille.L’idéedelavoirtouslessoirs,delaborderetdelui

liredeshistoiresavantdedormir,defabriquerdesbonshommesdeneigeavecelle,puisdemecoucheravecTessapourm’éveillerauprèsd’ellechaquematinneprovoqueenmoiniangoissenipaniquecommeje pourrais m’y attendre – ou comme j’aurais pu m’y attendre il y a quelques mois. Maintenant, jecomprendsenfindequelgenredefamilleparlaitmongrand-pèrequandj’étaisplusjeune…quandjenepouvaispaslecomprendre,puisquelecouplequeformentmesparentsn’avaitjamaismanifestéuneonced’amour.Maintenant,jeleveux.C’estpeut-êtretroprapide,jesuistropjeune,ettoutcelaesttotalementàl’opposédetoutcequej’auraisimaginédansmavie,maisjenepeuxpasnierl’évidence.

Jelesveuxavecmoi.Touslesjours.Etjeveuxquecesoitàmamanière,etpaspourfaireplaisiràdesconnardsdebusinessmen.

TESSA

Haleyseréveilleàpeinependantquej’essaiedeluienleversabellerobepourlamettreenpyjama.Elleestmollecommeunepoupéedechiffonetnem’estd’aucuneaidedanslamanœuvre,maisjefinisquandmêmeparlamettreaulitavecunbisousurlefront,etjemeglissehorsdesachambre.

Jepensequ’elledevaitcroirequecette soirée ressemblerait àunedesesdînettesdegala,versionréelle,mais j’aivu ladéceptions’accentuersursonvisageàmesureque lasoiréeavançait.Elles’estaffreusementennuyéeetaeudumalàfairefaceàdesgenssidifférentsdeceuxqu’ellecôtoied’habitude.Elles’estquandmêmeconduitecommeunange,etce,malgrélespiquesquej’aipurecevoir.J’espèreseulementqu’ellenes’enestpasrenducompte.

Jen’aijamaiseuhontedemonmétieroudufaitquej’enaiebesoinpournousnourrir,mafilleetmoi.Pourquoienaurais-jehonte,d’ailleurs?J’aivraimenteulahainequandlamèredeJasons’estcontentéed’unvaguehaussementdesourcilsenguisedecommentairesurmonchoixdecarrière.

Mamèreétaitdécédéedepuislongtempsdéjàquandj’aichoisidefairel’écoledecoiffure,maisjepensequ’ellem’auraitsoutenuedanscechoix.Àvraidire,ellem’auraitmêmesoutenuesijeluiavaisditvouloirfairel’écoledesclowns,dumomentqueçam’auraitrendueheureuse.Quandjevoislafaçondontcelasepassedanscettefamille,lapressionetlesattentesauxquellesJasonestconfronté,j’enailecœurbrisépourlui.

Pasétonnantqu’ilaitperduespoiretqu’ilsesentepiégésouscescritèresimpossibles.Ils’estpasséquelquechosecesoir,quelquechosed’autrequecequis’estditaudîner,mais ilest

clairqu’ilnesouhaitepasenparler.Ilestrestémuetpendanttoutletrajetenvoiture,etjen’aipasvoulum’immiscerdanssespensées.Jen’osemêmepasimaginerladosededéceptionqu’ildoitdigérerchaquefoisqu’ilpartdechezsesparents…et ildoityaller touteslessemaines.Jemedemandes’ils luifontouvertementdesreprochesausujetdesoncursusuniversitaire…,concernant lechoixqu’ilafaitouletempsqu’ilmetàpassersondiplôme.Sioui,lefont-ilsdemanièresubtileoubiendéballent-ilstoutsansménagementquandiln’yapasd’autrespersonnespourservirdetamponautourdelatable?Etlefont-ilssouvent?Chaquesemaine,unefoisparmois?

Jenesaisvraimentpascommentilfaitpoursupporterça.Encequimeconcerne,ilasuffid’uneseulephrasedesamèrepourquejerépliquesuruntonàpeinepoli.Sijedevaisentendreçasemaineaprèssemaine, mois aprèsmois, année après année…, je les aurais sûrement envoyés promener une bonnecentainedefoisàcejour.

Je reviensdans le salonet trouve Jasonaffalé sur le canapé, la têtecalée suruncoussin, lesyeuxfermés.J’aiunpincementaucœurenvoyantcettepersonnalitésiaffirméeetextravertieréduiteainsiausilenceetàlarésignation.

Sespaupièresrestentcloseslorsquejemontesurlecanapé,àcalifourchonsurlui;sesmainsglissentsousmajupepourcaressermescuisses.

–Jesuisdéso…J’interromps ses excuses d’un baiser – pas envie, pas besoin de ça – et glissema langue dans sa

bouche,tandisqu’ilgrognedoucement.Sesmainsseresserrentsurmoipourm’attirertoutcontrelui;sic’estcequ’ilfautpourretrouverleJasonquejeconnais–monJason–jesuisprêteàleluidonnerdecentmanièresdifférentes.

Sesmains remontent en haut demes cuisses avant de glisser sousma petite culotte de satin pourempoignermesfesses.Lesdeuxmainsdanssescheveuxenbataille,jeguidesatêteverslebasquandils’écarte dema bouche, lamaintenant dansmon cou où il lèche,mordille et dépose unemultitude debaisersfougueux.Sesmainsseposentsurmatailleetcommencentàrelevermonhaut.Jelèvelesbraspour l’y aider. Ses yeux se posent sur toutes les parties dénudées demon corps avec une avidité nondissimulée.Trop impatient, il neprendmêmepas la peinede retirermon soutien-gorge et se contented’enabaisserlesbonnetspourprendreundemesmamelonsdanssabouche.

Sonnomsortdemes lèvresenunsoupir, le râlequ’ilm’adresseenguisederéponsevibresurmapeau,mefaisantmecambrerdavantagecontrelui.Ilmeserreplusfort,agrippantmeshanchesetfrottantcontremoi son érection encore prisonnière de sonpantalon.Mes doigts s’agitent pour déboutonner sachemise,puisl’ouvrir,laissantmesmainsmonteretdescendrelibrementsursapoitrineetsonventre.Jedéboutonnesonpantalonetenouvre la fermetureéclair,puis je libèresonsexedesoncaleçon.Jemedélectedugémissementqu’ilpousselorsquejelecaressefermement,effectuantdepetitscerclessursonglandavecmonpouce.

– Bon Dieu, Tess, dit-il en m’attrapant par la nuque pour m’embrasser et que je continue de letravailleravecmamain.

Ils’écarteetposesonfrontcontre lemientoutenbaissant lesyeuxverssonsexeglissantdansmamain.

–Tuvoiscommetumefaisbander?Commej’aienviedetoi?Sesmotsetlapreuvedesondésiraucreuxdemamainsontdesdroguespuissantes.Jemesenssexy

etdésiréeenlevoyantdansuntelétatàcausedecequejeluifais.LorsqueJasonsetortillepourattraperson portefeuille et en sortir prestement un préservatif, j’ai la confirmation ultime que mon désir estpartagé.Ilenaenvietoutautantquemoi.Ildéroulele latexsursonsexe,puisécartemapetiteculottepourpouvoirmecaresser.Jesuisaccrochéeàsesépaules,haletantdanssoncouetfaisantondulermeshanchesdansl’espoirqu’ilm’emplisseviteavecdavantagequesesdoigts.

Ma demande silencieuse semble avoir été entendue : ilme soulève juste un peu enmaintenantmaculotte écartée pour pouvoirme pénétrer sans l’enlever. Lorsque jem’empale sur lui, le prenant toutentier dans mon corps et le regardant me regarder, les paupières mi-closes, je suis submergée parl’évidenceque toutestdifférentavec lui.Tout : lespapillonsdans leventre, l’excitationde levoir, ledésirpuissantetconstantquejeressensensaprésence.Jenem’attendaispasàcela,jen’enespéraispasautant,maisc’estlà,indéniable.Cetteconnexionentrenous(àlafoissinouvelleetsifacile,sisimple,commesinoscorpsseconnaissaientdepuisdesannées)estexaltante,etjecomptebienenprofiteretnepaslalâcher.

Sesmainsagrippentmeshanches,m’enjoignantdeglisserd’avantenarrièrecontrelui.Lapressionexercée ainsi surmon clitoris est exactement ce qu’ilme faut pourmonter de plus en plus haut. Il seredresseunpeupourlécherundemesseins,nefaisantqu’accroîtrel’enviequej’aidejouiraveclui.

Jamaisjen’aiéprouvéundésiraussibrûlantpourquiquecesoitavantlui.Jamaisjen’aieuenviedequelqu’unaupointdenemesentirrassasiéequ’enfaisantl’amour.Uneenvietellequejeneprendsmêmepasletempsderetirermesbottes.Nimêmed’enlevermaculotte.Jemecontentedel’écarterunpeupourqu’ilpuisseentrerenmoisansdélai.

Toutcelaacommeungoûtd’interdit,desauvagerieetdeprofondeintimité.Pouvoir être aussi audacieuse avec lui, le voir prendre avec plaisir tout ce que je lui donne, le

moindresoupirougémissement,sansqueluinonplusnesecensureavecmoi,toutcelaestincomparable.Cette révélation, combinée à lamanière dont ilme tient en haletantmon nom encore et encore au

moment de jouir et enme serrant comme s’il voulait ne plus jamaisme lâcher, ne fait pas seulementchavirermoncorps.

Moncœurdécideluiaussidefairelegrandsautetdes’abandonner.Quellesquepuissentenêtrelesconséquences.

24

TESSA

LesoufflecourtdeJasonrafraîchitmapeau,etmatêtereposesursonépaule.Ildéposeunpetitbaiseraucreuxdemoncouetdemonépaule,m’envoyantunfrissondanstoutlecorps.

Laprisedeconsciencequejeviensd’avoirs’ancreenmoi:moncœuracraquépourJason,malgrétousleseffortsquej’aipufairepourleprotéger.Pourlepréserver.Toutcelan’auraserviàrien.Toutesmesmisesengardeavant lui,mesprécautions,mesévitementsontvoléenéclats.Parceque,çayest,c’estsûr:ilm’aàsabotte.

Jeneveuxpassortirdecetétat.Enmêmetemps,jevoudraispartirencourant.Jesuisdéjàpasséeparlà,dumoins,jelecroyais.J’étaisjeuneetamoureuse,mêmesijemerends

comptemaintenantquejen’aijamaisvraimentaiméNick.Parcequecequejevisaujourd’huiavecJason(quoiquecesoit)estmillefoispluspuissantquetoutcequej’aipuéprouverpourNick.

Etcelameterrifie.Jesuisterrifiéedecequecelasignifiepourmonavenir.LemienetceluideHaley.QueferaitJason

s’ilsavait?Est-cequ’ilpaniquerait?S’enfuirait?Merepousserait-ilouserapprocherait-ilencoredemoi?ToutcequejeconnaisducomportementdeJasonjusqu’iciappellelapremièreréponse,maistoutcequ’ilafaitcesdernierstempsappelleplutôtlaseconde.Siseulementjepouvaisenêtresûre,savoircequ’ilressent.S’ilaenviedes’engageravecmoiousijenesuisqu’unedistraction.

Sesmainsdescendentsurmesfesses,etilmeserrefortcontreluitoutenselevantetenmegardantcolléeàluipournousdirigerdanslecouloir,directionmachambre.

–Attends,noshabits…Parce que voilà ce qui est important – après avoir pris conscience que je suis amoureuse de cet

homme.–Jevaisallerleschercher,dit-ilenmeposantsurlelitavantdem’embrassersurlefront.Ilmedébarrasserapidementdurestedemesvêtements,meretirantmesbottesainsiquemajupeet

monsoutien-gorge.–Jerevienstoutdesuite.Sanslamoindregêne,jeleregardesortirdelachambre,nuetdécontracté.Dèsquejenelevoisplus,

mesangoissesreviennentenforce,medévorantlittéralement.Malgrémarévélation,oupeut-êtreàcaused’elle,jenepeuxm’empêcherdesongeràcequimetrottaitdanslatêteenvoiture,quandnousrentrionsdechezsesparents:Jasonnem’ajamaisinvitéechezlui.Est-cesimplementuncomportementtypiquedegarçon, qui ne se rend pas compte de ce que cela peut représenter pourmoi ?Ou bien y a-t-il autrechose?Essaie-t-ildegardercettepartiedesavieséparéedemoi?Denous?Est-ceunsigneindiquantqu’iln’estpassuffisamment investidansnotrehistoirepourmemontrerquelquechosed’aussi simple,quoiquetrèspersonnel,quel’endroitoùildorttouteslesnuits?

Malgré tous mes efforts pour la faire taire, une petite voix dans ma tête commence alors à se

demanders’ilyaemmenéd’autresfilles…,siellesconnaissentlacouleurdesesmurs,l’odeurdesesdraps.Etj’aimalenpensantquedesdizainesd’autresdoiventconnaîtrecesdétailsdesavie,alorsquejen’aimêmepaseudroitàlapluspetiteinvitation.

L’idéepersistequandJasonrevientsecoucherprèsdemoi,passantsonbrasautourdemataillepourmeserrercontrelui.Moncorpsvoudraitprofiterdeladélicieusesensationdelesentirainsicolléàmoi,seulement,monespritnelâchepasl’affaire.Ilnecessederuminer,mepassantenbouclelesimagesdemillefillessansvisagedansunegarçonnièreimaginaire,jusqu’àcequelesmotssortenttoutseulsdemabouche:

–Tusaisquejen’aijamaisvutonappartement?LesmainsdeJasons’immobilisentsurmonventre,etc’estuniquementenlesentantsefigerquejeme

rendscomptequ’il était en traindem’embrasser l’épaule. Je ferme lesyeux, redoutant la suite.Voilà,c’est lemomentoùc’enseratroppourlui.Oùilvacommenceràfairemarchearrière,às’éloignerdemoi,toutçaparcequej’auraivouluvoirl’endroitoùilvit.

Etpuis,ilrit.Jesenssonsoufflehilaredansmondosetsapoitrinesecouéederrièremoi.–Jepeuxsavoircequitefaitrire?–Toi.Ilm’embrassesurl’épauleetmeserreplusfortcontrelui.–Jenecomprendsvraimentpascommentmarchetoncerveau.Ilyacinqminutes,tujouissaissifort

que j’ai dû temettre unemain sur la bouche pour t’empêcher de réveillerHaley, et,maintenant, tu tedemandesàquoiressemblemonappart?

Nesachantpasquoirépondreàcela,jemecontentedehausserlesépaules.Surmapeau,jesenssonsouriredisparaîtrepeuàpeu,puisilseredressesuruncoudepourpouvoirmeregarder.

–Dis,çat’embêtevraiment,ouquoi?Ilalessourcilsfroncés,sesyeuxscrutentlesmiens,etj’ail’impressionderespirerpourlapremière

foisdepuiscescinqdernièresminutes.Jehochelatête,etdis:–Oui.Levoyantclairementperplexe,j’ajoutedansunsoupir:–Donc,jesupposequec’estjusteuntrucdemec?–Commentça,untrucdemec?–Denepasm’avoirinvitée…–Jenesaispascequetuveuxdirepar«trucdemec»,maissiçasignifiequejesuis justeassez

couillonpournemêmepasavoirpenséquetupourraisavoirenviedevenir,alors,oui.Jeledévisage,essayantdedéchiffrersonexpression.Ilal’airtristeetsincère,maislapartiedemon

cerveauquiafantasmésesexploitsamoureuxdanscelieuimaginairen’estpasencoreapaisée.–Est-cequetu…?Enfin,as-tudéjàemmené…desfilles,quoi,là-bas?Cheztoi?Lorsqu’unsourirerevientlentementsedessinersurseslèvres,j’aienviedelegifler,delepousseret

delefairetomberdulit,carjemesenssoudaintropgênéed’avoirétéréduiteàcegenred’inquiétude.Celanem’arrivepassouvent,Dieumerci,maisavecuncascommeJason,c’étaitinévitable.

–Tuesjalouse,dit-ilavecunrictus.–Pff,pasdutout.–Si,tuesjalouse!Ilpousseunpetitrireincrédule.

–Jen’ycroispas!–Ehbien,tuasraisondenepasycroire,parcequecen’estpaslecas.Jem’écartebrusquementdeluietrouleplusloindanslelitpourneplusvoirsonsourired’abruti.–Oh!allez,arrête.C’estmignon.C’estadorable.Jecroisquepersonnen’ajamaisétéjalouxpour

moi,avanttoi.–Demémoire,jedoispouvoirteciteraumoinsvingtnanasquiontétéjalouses,teconcernant.–D’accord;alors,jereformule:personned’importantàmesyeux.Jetournelatêteetleregarde,lementonpressécontremonépaule,attendantqu’ilpoursuive.–Non,personnen’estjamaisvenulà-bas,àpartAdametCade,etjetejurequ’ilsnesententpasaussi

bonquetoi.Ilserapprochedemoietemboîtesoncorpscontrelemienendéposantunpetitbaiserdansmoncou.–Tumefaislatête?Jetepréviens:commejemanqued’expérienceenlamatière,jenesuispastrès

douépoursaisirlesallusionsunpeusubtiles.Situesfâchée,ilvautmieuxmeledirefranchement.Je le regarde, avec ses cheveux en bataille et ses yeux noisette, et je me rends compte qu’il est

totalementsincère.Jepousseunlongsoupiretlèvelatêtepourl’embrassersurlabouche.–Non,jenesuispasfâchée.Jenel’aijamaisété.J’étaisjuste…unpeudansledoute.Sonregardrieurredevientsérieux.Ileffleuremeslèvresdesonpouce.–Net’inquiètepascommeça.Iln’yaquetoi,Tess.Il se penche etm’embrasse, doucement, profondément ; puis, s’écartant légèrement, ilmurmure sur

meslèvres:–Quetoi,mapuce.Jesuisréveilléeparungrandéclatderireetm’étiredanslelitentendantlebrasmachinalementà

côtédemoi,mêmesijesaisdéjàquejen’ytrouveraiqu’uneplacevideetfroide.Aprèsnotrediscussiond’hiersoir,oùj’ailaisséapparaîtrelapremièrefailledansmonarmure,Jason

a entrepris d’embrasser et de lécher la moindre parcelle de mon corps, comme pour essayer de meprouverqu’ilétaitsincère.Demeprouverqu’iln’yavaitquemoidanssavie.Jecroisqu’ilaeupeurdecequejepouvaispenseretéprouver,àcausedelarapiditéaveclaquelleilm’avaitprisesurlecanapé,commesijen’étaisqu’unedesfillesqu’ilsautaitavant.

Cequ’ilignore,c’estquec’estpileàcemoment-làquej’aicomprisquejel’aimais.J’inspireàfondenrepensantàtoutcelaetsourisenconstatantquejeneparspasdansunaccèsde

panique comme hier,même si les tiraillements dansmon ventre sont toujours là et risquent d’y resterencoreunmoment.

Jerepousselacouetteetenfileunpantalondeyogasouslemaxitee-shirtquej’aimiscettenuitavantdem’endormirenfincontreJason.Enarrivantdanslecouloir,j’entendsunnouveléclatderire,saufque,cettefois,cen’estpaslerirenormaldeJason,maisunsonprofond,exagéré,théâtral,bientôtsuivid’unrireplusaiguetmoinsfortessayantd’imiterleprécédent.

–C’estbien,maisfais-leplusgrave.Commeça,ditJasonenreprenantsonriredefou.Ilfautqueçaparteduventre,p’titbout.Ilfautqu’oncroiequetuesfolleetméchante.

MonangéliqueetgentillepetitefillequiaimemettredestutusetjoueràladînetteavecsesnounourssuitlesinstructionsdeJasonetémetunerépliqueparfaitedesonriredeméchant,mefaisantsourireenaparté.Sansbruit, jeme faufiledans le salonetentredans lacuisineoù ils sontassisautourde l’îlotcentral, devant bien plus de donuts que trois personnes ne devraient raisonnablement manger. Haleyentoure de ses bras l’assiette où ils sont posés, comme si elle voulait les protéger des vilains trolls

traînantdanslamaison.–Voilà,c’estça!Maintenant,toutlemondesauraàquiappartiennentcesdonuts.Ellepousseunnouveléclatde rire,puisunautre,deplusenplus fort, laissant sa têtebasculer en

arrière,etjenesaispassij’aienviederireavecelleoudepleurerdevantcespectacle.C’esttoutcedontj’avaisrêvédepuissilongtemps.Quelqu’unpourprendrelarelèveunmatindetempsentemps,afinquejepuissedormirunpeuplus.Quelqu’unpourrireavecHaley,s’amuseravecelle,fairedeschosesque jene faispasavecelle.Quelqu’uncapablede sortir à sixheuresdumatin justeparcequ’elle l’ademandé…etquecelaluiferaplaisir.

Jasonsemetàrireavecelle,ilssetordenttousdeuxcommedesfous,etj’aienvied’allerlescouvrirdebaisers,delesétreindrejusqu’àcequecettebulled’euphorietrouvelemoyendequittermoncorps.Jeveuxdesmatinscommecelui-là…toutletemps.

Aveceux,toutletemps.

25

JASON

Jepourraism’habitueràtoutça.D’accord,lasonnerieduréveilàcinqheuresetdemiedumat’, jem’enpasseraisbien,mais,àpartcedétail,jesuiscarrémentpartantpourlereste.Çanem’amêmepasdérangédesortirdanslemauvaistempspouralleracheterdesdonutsavecHaley,parcequedèsqu’ellesemetàbattredescilsenfaisantressortirsalèvreinférieure,jepourraiscéderàn’importelequeldesescaprices.

Après s’être approchéediscrètement deHaley etmoi dans la cuisine pendant que j’apprenais à lapetiteàfaireunriredeméchante,Tessaestpartieprendreunedouche,etsafillem’aentraînédansunepartiedecache-cache.Complètementexcitéequandc’estàsontourdesecacher,elleseplanquetoujoursdanslesmêmesendroitset,chaquefois,jepasseaumoinscinqminutesàfairecommesijenesavaispasoùelleest.J’avouequejeprendsautantdeplaisirqu’elleàcepetitjeu.

C’estàmontourdemecacher,maintenant;jesuisplaquécontrelemur,derrièrelesépaisrideauxdusalon.Haleym’appelle, espérant que je vais répondre, et se parle à elle-même en inspectant tous lesendroitsoùjemesuisdéjàcaché,aucasoùj’yseraisencore.Sespass’approchentdemoiquandunesonnerieélectroniqueetlancinanterésonnesoudain.Ellesefigeavantdeseruerverslatablebasseouesttoujoursposél’ordinateurportabledeTessa.

–C’esttontonCadequiappelle!Jay!Jepeuxrépondre,dis,jepeuxrépondre?Jepeuxrépondre?Jen’aipasbesoinde lavoirpoursavoirqu’ellesautesurplacecommeunepuceenattendantmon

accord. Évidemment, il fallait que Cade appelle à un moment où Tessa est occupée. Je réfléchis uninstant,medemandants’ilneseraitpaspréférablequeHaleyrépondeenprésencedesamère,avantdemedire:Etpuis,merde!Jesuislà,j’yresteraiaussilongtempsqueTessavoudrademoi,etilesttempsqueCadesefasseàcetteidée.Jesorslatêtedederrièrelerideauetlance:

–Oui,vas-y,réponds!Ellesursauteetseretourne,bouchebée.–Ooh!Lasupercachette!Jemecacherailà,laprochainefois.Puisellesepencheversl’ordinateurets’assoitaprèsavoirprisl’appel.–TontonCade!s’écrie-t-elle,levisagesiprochedel’écranqueCadedoitsûrementpouvoircompter

toutessesdents.–Coucou,p’titmachin!Alors,c’étaitbien,Thanksgiving?LevisagedeHaleys’assombrit,sesépauless’affaissent,ellefaitlamoue,etquelquechoseseserre

dansmon ventre. Je regrette vraiment qu’elle ait dû aller là-bas. Si c’était à refaire, je dirais àmesparents que je ne viendrais pas et je passerais Thanksgiving avec Tessa et Haley, chez elles,tranquillement.

–Nan,pastrèsmarrant.MaislamaisondeJayestsuper.Ondiraitunmuseau.–Unmusée,rectifieCade.Haleyacquiesced’unhochementdetête.

–Ouais,c’estça.Jemesuistropennuyéeetc’étaitpasbon,cequ’onamangé.J’aimebienmieuxtapurée,etj’auraisbienaiméquetusoislàaussi,parcequetumemanques.

–Toiaussi,tumemanques,p’titmachin.–Maisya Jayquiest là,maintenant,et ilm’aemmenéeacheterdesdonutscematin,et j’enaieu

cinq!s’écrie-t-elleentendantlamainversl’écranpourillustrersonpropos.–Waouh,toutça!Tun’aspasmalauventre?Elleéclatederire.–Maisnon,jenelesaipastousmangés,idiot!J’engardepouraprès.–Ah!c’estmieux,oui.Cadeseraclelagorge,puisdit:–Est-cequeJasonestlà?–Ouais,ilestcachéderrièrelesrideaux.–Etpourquoisecache-t-ilderrièrelesrideaux?–Enfin,plusmaintenant.Onjouaitàcache-cache.–Ah!d’accord,jecomprendsmieux.Tucroisquejepeuxluiparlerunpeu?Haleyhausselesépaulesendisant:–Benoui,évidemment.–Tuveuxbienmefaireundessin?Unbeau,quejepourraimettresurmonfrigo.Elleacquiesceavecenthousiasme.–Tuveuxquoi,commedessin?–Cequetuveux.Fais-moilasurprise.Sansattendre,elledétaleducanapéet filedans lecouloirpourgagnersachambre. Jesoupire,me

passeunemaindanslescheveuxetprendssaplacedésormaislibresurlecanapé.–Salut,dit-ilenmevoyantàl’écran.Jeluirendssonsalutetcroiselesbrassurmesgenoux,attendantqu’ilparle.Jen’aivraimentrienà

luidire,puisquej’aidéballétoutcequej’avaissurlecœurladernièrefois.–OùestTessa?–Sousladouche.Ilsoupireethochelatête.–Àcequejevois,mesrecommandationsn’ontserviàrien.Savoixn’estpasdurecommejem’yattendais.Elleestrésignée,etjetrouvecelapresquepire.–Enfait,si,saufqueçaaserviàl’inversedecequetuvoulais.Jemepasseunemainsurlevisage,puisleregardedroitdanslesyeux.–Écoute,mongars,jesaisquecen’estpasmoiquetuauraischoisipourêtreavecelle,maistune

peuxrienychanger.Jesuislà,onestensemble,tunepourrasrienyfaire.Jesuisdésolédenepast’enavoirparléavant,maisc’esttout.Pourlereste,c’estcommeça,queçateplaiseounon.Alors,soittul’acceptes,soittutemaîtrisesunpeu,parcequ’ilesthorsdequestionquetuluirefasseslamoraleàcesujet,d’accord?Soutiens-la…,soutiens-nous,oubienferme-launefoispourtoutes,putain.

Ilrestemuetquelquesinstants,puisdit:–J’espèrequemaniècenenousentendpas.Jesourisenlevantlesyeuxauciel.– C’est sûr, il a suffi d’une fois où j’ai prononcé cemot devant Haley – qu’elle a répété… à la

garderie,évidemment–pourqueTessamemetteengardeàceniveau-là,aussi.

Il a un petit sourire, imaginant sans doute Tessa en train de me gronder pour mon langage. Il serembrunit ensuite et me regarde fixement, longuement. Je bouge un peu, mal à l’aise sous ce regardinquisiteur. Pour être honnête, j’avoue que je préfère largement un simple coup de téléphone à cetteconneriedecommunicationvidéo.

– Jen’aurais jamaiscruqueça t’arriverait à toi aussi,quand tumedéballais tout tondiscours surWinter.

Jem’apprêteànier,maisjeretiensmalangue.Parcequ’ilaraison.–Elleestbienpourtoi,dit-ilalors.J’acquiesced’unhochementdetête.–C’estvrai.–Tropbienpourtoi,même.–D’accordavecçaaussi.–Bien.Souviens-toideçaettoutirabien.Maisécoute-moibien,p’titcon:necroispaspourautant

quejenet’aipasàl’œil.Jen’hésiteraipasàtebotterlecul,sic’estnécessaire.Ilfautquetoiaussi,tusoisbienpourelle.

Jepousseunsoupir,écrasépar lepoidsdesesmotsquiconfirmentceque je saisdéjà.Ceque jecrainsdéjàdepuisledébut.

–J’essaie.

TESSA

Unefoissortiedemadoucheetpréparée, jequitte lasalledebainet trouveJasonentraind’aiderHaleyàfairesalistedeNoël.

–P-o-n-e-y,épelle-t-ilens’arrêtantentrechaquelettre,tandisqueHaleylesnotesoigneusementsursafeuille.S-h-e-t-l-a-n-d.

Jesourisenentrantdanslapièceettireuntabouretdel’autrecôtédel’îlotdelacuisine.–J’espèrequec’esttoiquipaieraslanotepourcelui-là.Etpourl’écuriequivaavec.–Jaymedonnedesidéespourmaliste.Regarde!Ellemetendlaliste,etjedéchiffrelesgribouillisécritsenrose,dontlamoitiédeslettrespenchent

dansunsens,etl’autremoitié,dansl’autre.JeregardeJasonenhaussantlessourcils.–Unevraiecérémonieduthé?–Ouiii!s’écrieHaley.Jasondemande:–Etpourquoipas?–ÀLondres?dis-jeenmontrantlaligneoùelleaécritUnthéàLondres.Ilhausselesépaules.–Quevoulais-tuquejefasse?Ellevoulaitdesidées,etelleadorejoueràprendrelethé…Ducoup,

çam’estvenucommeça.JerisetrendssalisteàHaleyensecouantlatêteversJason.

–Tuesbête,maisjet’ai…Jem’interrompsjusteàtempspournepasrévélermonsecret.C’esttrop,troptôt,etcelarisqueraitde

fairefuirJasonillico,mêmesinousnousconnaissonsdepuistrèslongtemps.–Maistuquoi?demande-t-ilavecunsourire.Jetoussoteetbalaiedelamainquelquesmiettesinvisiblessurlecomptoir.–Mais je ne te laisserai aiderHaley à faire sa liste que si tu t’engages à payer tout ce qu’elle y

inscrira.Ma réponse est totalement bidon et, au regard qu’il me coule, je vois bien qu’il n’est pas dupe.

Heureusement,iln’insistepasdavantage.–Danscecas,quesuggères-tuqu’elleyinscrive?–Euh…DespoupéesBarbie.Desjeux.Unnouveauchapeaudedînette.Deschosesquinemeferont

pasperdremontoit.–Ah!voilàquiestmieux.–Jay,commentonécrit«manège»?Illèvelesmainsenl’airetmeregarde.–Ah!là,c’estelle.Jen’ysuispourrien.Je riset,aumême instant,mon téléphonevibresur la table,mesignalant l’arrivéed’un texto.Mon

cœurs’accélèreenvoyantlenomdeCade,etjesensmespaumesdevenirmoitesenmerappelantnotredernieréchange.Retenantmonsouffle,j’ouvrelemessagepourlelire.

Dsl,j’étaisàcôtédelaplaque.S’ilterendheureuse,alors,jesuisheureuxaussi.Biz.Jelâchelesoufflequejeretenais,sentantunpoidsseleverdemesépaules,etprendssoudainement

conscience de l’importance de l’opinion de Cade à mes yeux. Mon frère a beau reconnaître assezfacilement ses torts, il lui faut habituellement plus de temps pour digérer une situation avant des’exprimer.

–Toutvabien?demandeJason,metirantdemespensées.Jeluimontrel’écrandemontéléphone.–Tuneseraispasaucourantdequelquechose,toi,parhasard?Jescrutesonvisagependantqu’illit.Unsouriresatisfaitsedessinesurseslèvres,puisilsecouela

tête.–Non.Maisjesuiscontentqu’ilsesoitexcusé.–Mmh,fais-je,nelecroyantpasuneseconde.Lefaitqu’ilenait(sûrement)parléàCade,qu’illuiaitfaitcomprendrequejesouffraisdesonrefus

delaisserentrerquijevoulaisdansmavie,merendencoreplusamoureusedelui.C’estmaintenantletéléphonedeJasonquivibre;illetiredesapoche,litrapidementlemessageety

répond.–Ilfautquejerentrechezmoi,j’aiduboulotàfairepourmescours.Untravaildegroupeàrendrela

semaineprochaine.EtAdamveutqu’onsevoiecesoir.–Adamestici?–Oui,ilaprisunavionàladernièreminute.Ilsepassedeschosesaumagasindesesparents,maisil

nesaitpastropquoi.Ilterminesontexto,rangesonportabledanssapocheets’accoudesurlatable.–Onpeutsevoirdemain?Jesourisenroulantlesyeux,alorsquemonventrepalpitedejoie.

–Depuisquandas-tuàdemander?–C’estvrai.D’habitude,jemepointecommeça.–Toutletemps.–Etçateplaît.Craignantdelaisseréchapperquelquechose,jeretiensmalangueetluiadresseunsourirelorsqu’il

s’apprêteàselever.–Allez,p’titbout,ilfautquej’yaille.Mercid’êtrevenueavecmoichercherdesdonuts,cematin.Il ébouriffe les cheveuxdeHaley et l’embrasse sur le dessusde la tête avant d’avancer versmoi.

L’airinterrogateur,illanceunbrefregardversHaley,puisdenouveauversmoi,medemandantsansmotdires’ilpeutm’embrasser.

Enguisederéponse,jelèvelementon,attendantsonbaiser.Jenesuispasdéçue.Lebaiserqu’ilmedonneestbienmoinschastequeceluiqu’iladéposésur lescheveuxdeHaley,et jedoisme forceràgarder mon sang-froid, à retenir le gémissement de plaisir qui monte dans ma gorge avant qu’il nes’échappe.Auboutdequelquesinstants,ils’écarteenfin,déposantdepetitsbaiserssurmeslèvres.

Haleyintervientalors,merappelantpourquoiilétaitjudicieuxderetenircegémissement.–Pourquoitudorstoutletempssurlecanapé,Jay?Tueslecopaindemaman,maintenant?JerespiredetraversetmemetsàtousserenregardantJasonavecdesyeuxécarquillés;luisemble

plutôtamusé.J’inspireàfondetdis:–Est-cequeçat’embête,mapuce?QueJasondormesurlecanapé?Ellehausselesépaulesetseremetàdessineruntraîneauetunrennesursalistedecadeaux.–Nan,maisc’estça?–C’estça,quoi?Haleysoupireenlevantlesyeuxauciel.–Toncopain.Àl’école,HannahditqueTommyestsonpetitcopain,etmoijem’enfiche,parceque

jepréfèreBrandon.Jevaismemarieraveclui.–Hop,hop,hop!faitJasond’unair trèssérieux.Jen’aimepasbeaucoupça,moi.Quiestcepetit

voyou,d’abord?Tuveuxquej’ailleluiparler?–Dequoi?–Pourluidiredefaireattentionà…Jel’interrompsenposantunemainsursonbras.Mêmesij’apprécielecôtéprotecteurdesaréponse,

jenepensepasqu’ilsoitnécessairedeprendredesmesuresvisantàs’assurerqu’ungamindequatreansadesintentionshonorablesenversmafille.

–Alors,est-cequeJayestcommeTommypourHannah?C’esttoncopainaussi?Je la regardequelques instants,essayantdegagnerdu temps.Jasonetmoin’avons jamaisparléde

cela;nousn’avonspasvraimenteul’occasiondedéfinircequisepassaitentrenous.Etmêmesijel’ailaissém’embrasserdevantHaley,jenemesuispaspréparéeàrépondreàcettequestion.Jen’avaispasimaginéqu’ellepuissemelaposerdefaçonaussidirecte,exigeantainsidedéfinirlarelationquinousunit,Jasonetmoi.Maismaintenant,jedoisluienfournirune.

J’inspireàfondetluidis:–Oui,c’estmoncopain.–Ouaaais ! s’écrie-t-elle en levant les bras en l’air. Ça veut dire que j’aurai des donuts tous les

matins,alors?

Jesecouelatêteenriant.–Avecunpeudechance,tuenauraspeut-êtreunefoisparsemaine.Ellesesatisfaitdecetteéventualitéetrevientviteverssondessin.Jasonmemurmureàl’oreille:–Alors,commeça,jesuistoncopain?AvantdeledireàHaley,jeredoutaislaréactiondeJasonfaceàcemot.Mais,àenjugerparleton

amusédesavoixetlesourireironiquequejevoissurseslèvresenmetournantverslui,jeconstatequemoninquiétuden’étaitpasjustifiée.

Jemepencheàmontouràsonoreilleetluichuchote:–C’estquejemesuisditqu’ilvalaitmieuxéviter«mecavecquijem’éclateaulitcommeunefolle»

pouruneenfantdequatreans.Ilpousseunpetitgrognementetm’embrasseànouveau.–Demainsoir,jecontinueraisurcettelignée,dit-il.Ilseredresse,attrapesonmanteauetl’enfilesurlechemindelaporte.–Àplustard,mesbeautés.J’apporteraidupop-corndemainsoir.SoyezprêtespourRaiponce!Je ris en entendant le petit cri d’excitationdeHaley etme lèvepour aller prendre un carnet et un

crayondansletiroir.N’ayantpastravailléhieretaujourd’huiaveclejourférié,jeseraiausalondemainetdoisdoncfairecejourlescoursesquej’effectuehabituellementlesamedimatin.Agitantmonstylo,jeréfléchisàcequejevaisprépareràmangercettesemaine.J’essaiedeprendrel’habitudedeplanifierlesmenusunminimum,afind’éviterderecourirtropsouventauxsurgelés.Jusqu’ici,celafonctionneplutôtbien,etcetteroutinem’aideànepasmesentirtropdébordée.

Alorsquej’avanceversleréfrigérateurpourjeterunœilàl’intérieur,unpost-itrosevifattiremonattentionsur lecomptoir.Quelquesmotsyontétégriffonnésde lamaindeJason :Quand tuveux,mabelle.Jedécollelepapierducomptoir,perplexe,etdécouvrecequiétaitcachédessous.

Moncœurfaitunbonddansmapoitrine.Souslepapierrose,ilyauneclédemétal.Laclédel’appartementdeJason,sansaucundoute.Lesmains tremblantes, j’attrapemontéléphone,prendsunephotodupost-itetde lacléet l’envoie

avecunmessageàJason:Etça,jesupposequeçaneteditrien,nonplus?Sa réponsemetquelquesminutesàvenir. Jememordille lesonglesenattendant,unœil surHaley

occupée à jouer, l’autre surmon portable, guettant lemoment où l’écran s’éclairera.Quand il répondenfin,quandcestroislettress’affichent,suiviesimmédiatementd’unautremessagedesapart,jesensunsourireprendretoutelaplacesurmonvisage.

Non.Maissers-t-enquandmême.

26

TESSA

Ilauraitdéjàdûyavoirdesobstaclessur laroute.Dessoubresauts,desdosd’âneoudesnids-de-poulegéantsdanslarelationoùJasonetmoinoussommesengagés.Pourtant,rien.Pasunseulaccroc,cequim’inquièteencoreplusques’ilyenavaiteuunedizaine.

DeuxsemainesetdemiesesontécouléesdepuisThanksgiving.Deuxsemainesetdemiedepuislesoiroùj’aiprisconsciencequej’étaisfollementamoureusedelui.Deuxsemainesetdemiepleinesdenuitsàlamaison,desoiréesfilm,desexe,derire,àregarderl’hommequej’aimejoueretsedéguiseravecmafillejustepourlavoirsourire.

J’ai beau savoir qu’il n’est pas bon de focaliser sur ce qui pourrait mal se passer entre nous, jen’arrivepasàm’empêcherdepenseraupire.Jesuissanscessesurlequi-vive,àanticiperunproblèmequinevientpas.Jedevraisêtresoulagée.Jedevraisêtreheureusedemachanceetremercierlecieldecetteabsencedeproblèmes.MêmelasituationavecCades’estvitearrangée,et jen’aipasentendulamoindreallusionnégativedesapartdepuisqu’ils’estexcusé.

–Eh!Àquoitucogites,commeça?medemandePaige.Noussommesattabléesdansunrestaurantducentrecommercialducoin.Entempsnormal,jeneme

retrouveraispasicisiprèsdeNoël,maisc’estunsoirdesemaine,etJasonetHaleyavaientdesprojetssecrets qui visiblement neme regardaient pas ; alors, je suis sortie avec Paige pour faire un peu deshopping.

Jesecouelatêteetentortillequelquesnouilleschinoisesautourdemafourchette.–Oh!rien.–Menteuse,dit-elled’untonaccusateurenpointantsafourchetteversmoi.Allez,accouche.Qu’est-ce

quisepasse?Jasenebandeplusouquoi?Ilnégligetonpetitabricot?–Paige!dis-jedansunsouffleindignéenregardantautourdenous.À la table voisine, une femmeun peu âgée fait unemoue offusquée en secouant la tête, les lèvres

pincées.–Ceseraitvraimenttroptedemanderquedesurveillerunpeutonlangagequandonestenpublic?Ellesegausse.–Jenemesurveillejamais,c’estunprincipe.Etsidesgensentendent…Ellehausselavoixetregardeostensiblementladamed’àcôté:–…ehbien,tantpispoureux.Ilsn’ontqu’àpasécouterlesconversationsdesautres,c’esttout.–MonDieu…Jeplongematêteentremesmains,sentantmesjouesrougir.Commesiriennes’étaitpasséavecnotrepauvrevoisine,Paigereprend:–Alors,sérieusement,qu’est-cequisepasse?Toutvabien?Voilàpourquoijel’adore,pourquoic’estmameilleureamie.Endeuxsecondes,ellepeutpasserd’une

attitudedrôle,insoucianteetcomplètementinconvenanteàunevéritableécoutepleined’attention.

Jesoupireenbaissantlesépaules.–Jenesaispas.Riennevamal.Etc’estunpeuça,leproblème.Ellehausselessourcils.–Riennevamaletc’estçaleproblème,répète-t-elle.Ilvafalloirquejeconsulteledictionnairede

Tessapourpiger,désolée.–Non,mais…jenesaispas.Jepensaisquel’histoireavecJasonallaitêtrecompliquée,etc’est…

fluide.Tropfluide.–Cen’estpasunemauvaisechose,machérie.–Jesaisquecen’estpasunemauvaisechose.Seulement,jenepeuxpasm’empêcherd’attendrele

momentoùçavacoincer.–Tuattendsqu’ilbousilletout?–Non…,enfin,si...Jenesaispas.Jepousseunnouveausoupiren laregardant.Sonregardest totalementdépourvude jugement,et je

saisque,quoiquejeluidise,celaresteraentrenous.Elleaccueilleratoutsansjamaismejuger.Jepeuxdéballermestripesdevantelle, luiavouermespeurslesplusabsurdes,elleprendratouttelquel,sansbroncher,pourapaisermesangoisses.

–C’estnouveaupourlui,toutça,tusais.Moi,j’aidéjàeuunerelationsérieuse.Maislui…Lapluslonguedesavieadûdurerdeuxheures.Siçasetrouve,jenesuisqu’unesorted’entraînementpourlui…

– Si tu n’es qu’un entraînement, cemec est un acteur de génie et devrait aller àHollywood pourentamerlacourseàl’Oscar.Ilestfoudetoi,Tess.Vraiment, ilestcarrémentraidedinguedetoi, je tejure.

–Quoi?Jesecouelatête,réfutantsaréponse.–Non.Enfin,jesaisqu’ilm’aimebien.C’estévident.Maisilnem’aimepas.Jerepensealorsàlapetiteclémétalliquequ’ilalaisséesouslepost-itrose,quej’auraispugarderou

non,maisque j’ai rangéedans le tiroirdema tabledenuit.Lefaitdemedonnercetteclésignifiait-ilautantpourluiquepourmoi,mêmesijen’aipasvouluendéduiretropdechoses?

–Bon,c’estquoi,cettetête?Àquoitupensais,là,toutdesuite?JememordsleslèvresetregardePaige,sachantqu’ellevaêtrefurieusequejeneluienaiepasparlé

plustôt.–Euh,ehbien,enfait,ilalaisséquelquechoseàlamaisonlelendemaindeThanksgiving.–Genrequoi,uneboîtedecapotes?J’étouffeunrireetsecouelatête.–Non,pasdescapotes.Uneclé.Elleplisselefrontets’adossedanssachaise.–Laclédecheztoi?–Non,laclédechezlui.–Quoi?Ellebonditenavantsursonsiège.–Jerêveouquoi?Elleposelesmainssurlatable,martelantchaquemot.–Ilt’adonnélaclédesonappartilyadeuxsemaines,etc’estmaintenantseulementquetumele

dis?Jenote.Ellereculesachaiseenmefixant,lesbrascroiséssursapoitrine.–Tonstatutdemeilleureamievientd’enprendreuncoup,mavieille.–Oui,jesais…Jemepencheversellepouressayerdedécollersesbrasserréscontreelle.– Excuse-moi. J’ai voulu te le dire tout de suite, mais j’ai eu peur de me faire des illusions, tu

comprends?Jemesuisditqu’iln’yavaitpeut-êtrepasd’intentionparticulièrederrièretoutçaetqu’illareprendraitdèsqu’ilrecouvreraitsesesprits.

–Etalors?–Alors,quoi?–Est-cequ’ilarecouvrésesespritsetreprislaclé?–Non.Ilmedemandejustequandjevaismedécideràm’enservir.–Bon,dit-elleenlibérantenfinsesbrasdeleurprisonpoursepencherversmoi.Ehbien,jecrois

quetudevraisluifaireunepetitevisite-surprisesanstarder.

27

JASON

Jesorsdemonderniercours…,letoutdernierdemavie.Autourdemoi,lesétudiantssebousculentpourquitterlebâtimentenseracontant,toutexcités,leursprojetsdevacances.Moi,jetraînelespiedsetmeforceàquittercetendroitquiétaitunpeuàmoidepuiscinqans.Depuistroplongtemps?Peut-être…Probablement.J’aifaitcelapourrepousserl’inéluctable,maisaussiparcequej’aiaiméça.Mongrand-pèrel’avaitcompris;mesparentsl’onttoléré.Maisc’étaitmonidéeàmoi,àmoiseul,quelquechoseàquoimesparentsnepouvaientpastoucher.Dumoins,jelecroyais.

Etmaintenant,lecompteàreboursversunavenirdontjeneveuxpasacommencé.Dansdeuxpetitessemaines, j’emprunterai lecheminquemonpèrea tracépourmoi, jereprendraipeuàpeuleflambeaud’uneentreprisequineressembleplusdutoutàcellecrééeparmongrand-père,toutcelaparcequejefaispartied’unefamillequinem’ajamaisécouté.

Cetteperspectivemedonneenviedesauterd’unpont.Jesorsmontéléphonetoutenmarchantversmavoiturepourappelerlaseulepersonnequipeutme

sortirdemonhumeurmassacrante.Tessadécrocheàlatroisièmesonnerie.–Coucou,tuasterminé?–Ehoui.C’estofficiel,l’écoleestfinie.–Çan’apasl’airdebeaucoupteréjouir.Unpetitriresansjoiem’échappe.–Pourquoiçanemeréjouiraitpas?Dansdeuxans,jeseraipleinauxas,jeporteraiuncostumetous

les jours, jemangeraidansdes restaurantschics, jevoyageraidans lemondeentieret jedirigeraiuneentreprisecotéeenBourseenchiantsurlesautrespourm’enmettrepleinlesfouilles.Génial,non?

–Jason…Jen’aimepasl’inquiétudequejesensdanssavoix;jel’interromps:–Jepeuxvenir,cesoir?Ellemelaissechangerdesujetsansenremettreunecouchesurcequ’ellem’adéjàditcentfoisces

deuxderniersmois,c’est-à-direquejedevraissimplementindiqueràmesparentsquejenemarchepasdans leur plan, que je veux faire les choses à ma manière. Sauf que je sais déjà comment cetteconversationseterminerait:ceseraitlatoutedernièrequej’auraisaveceux.

–Jevaistravaillertardcesoir.–Çam’estégalsij’yvaisàminuit.Ellerit.–OK.Jet’enverraiuntextoquandj’auraifini;tun’aurasqu’àmeretrouveràlamaison.Beckygarde

Haleycesoir.Jevaislaprévenirquetuviendrasaucasoùtuarriveraisavantmoi.–Parfait.Àtoutàl’heure,mapuce.Nousraccrochons,etjepoursuismoncheminendirectiondemonappartement.J’aienvironsixheures

devantmoi avant queTessa ne rentre chez elle.Cela fait beaucoupde temps à essayer d’oubliermes

tracasavantqu’ellepuisseenfinm’endistraire.J’en suis à ma deuxième bière. Je me suis dit que j’avais suffisamment de temps pour en boire

quelques-unesetlaisserleseffetssedissiperavantd’allerchezTessa.Soudain,onfrappeàmaporte.Jeregardel’heure,espérantqueTessaaittrouvélemoyendequitterlesalonetmefasseunesurprise.Voilàdeuxsemainesquej’attendsqu’ellesedécideenfinàutilisercettesacréeclé.L’idéequ’elledébarqueiciàl’improvistenemedérangemêmepas.Aucontraire,jerêveplutôtqu’elles’enserveunenuitoùjenesuispaschezelleetqu’ellemeréveilleenprenantmonsexedanssabouche.

Jemelèveengrommelantetbalancelamanettedejeusurlecanapéavantdemedirigerverslaporte.Un bref regard par le judas fait fondre tous mes espoirs d’un petit coup vite fait avec ma nana (jecommenceàm’habitueràutilisercegenredeterme).Lapersonnequisetrouvedel’autrecôtédelaportenerisquepasdemedonnerlamoindreérection.

J’ouvreetcroiseleregardfroidetdurdemamère.– Salut, m’man. Qu’est-ce qui t’amène dans mon horrible quartier ? dis-je en m’appuyant dans

l’encadrementdelaporte.Enréalité,c’estunendroitsuper,saufqu’ilneregorgepasdedocteurs,demagistratsetdePDG,avec

desmaisonscoûtantdesmillionsdedollarsetdesterrainsd’unhectare.C’estunjoliquartierdeclassemoyenne,oùj’aipuconvaincremesparentsdem’installerquandj’aiquittél’internatdulycée.

Ellepince les lèvres etpassedevantmoi, toutepimpantedans son tailleur sortant du pressing, lescheveuxrelevésenungenredechignon,avecaubrassonsacàmainquidoitcoûteraumoinsleprixdemonloyermensuel.

–Quoi,jenepeuxpasvenirdirebonjouràmonfilssansavoiruneexcuse?–C’estque…tunel’asjamaisfaitavant,alors…C’estlavérité.Depuisquatreansquej’habiteici,niellenimonpèrenem’ontjamaisfaitl’honneur

d’unevisite.Mongrand-pèrepassait de temps en temps,maispasmesparents. Jamais. Je la devancedanslecouloiretmerendsdanslacuisine.

–Jenem’attendaispasàavoirdelavisite,dis-jeenouvrantleréfrigérateur.J’aidelabièreetdel’eau.

–Jeneprendrairien,merci.Elle regarde autour d’elle, observant les murs blancs ordinaires, le canapé en cuir râpé, et un

équipementTV-hi-fidignesdeceluid’unbardesportifs.Pasdelustresauplafondnidetableauxàquinzemilledollarsaccrochésauxmurs.Monappartestchouette,jel’adore,maisilneressembleenrienàlamaisonoùj’aigrandi–loindelà–etjevoisbienquecelaneluiinspirequedumépris.Commetoutcequifaitpartiedemavie.

–Écoute,jesuisdésolé,maisj’étaisunpeuoccupé,là…,dis-jeavecungestevague,espérantqu’ellesaisiralesous-entendu.

–Àquoifaire?Ehnon,pasdechance.Jehausselesépaulesetréponds:–Jebaisaisunebière.Elleprendunairoutré,posantunemainsursapoitrine.–Jason,surveilletonlangage,jeteprie.Jericaneetsecouelatête.–Ohnon!Désolé.Tupeuxmedireçacheztoi,maispaschezmoi.Etjenet’appartienspas;alors,si

jeveuxpasserl’après-midiàjoueràdesjeuxvidéoetàencoderunsiteInternetpourm’amuser,j’enailedroit.Maintenant,qu’est-cequetuveux,maman?

Ellepasseunemainsursacoiffureimpeccabledontpasuncheveunedépasseetdit:–CommentvaTessa?La questionme surprend etme désarme.Non parce que je ne veux pas qu’elleme questionne sur

Tessa,maisparcequejen’auraisjamaiscruqu’elleleferait.Passansarrière-pensée,entoutcas.D’unevoixplusquesceptique,jeluidemande:

–Pourquoiveux-tulesavoir?Ellesecouelatête,l’airnavré.–Toujoursaussisoupçonneux,àcequejevois.–J’aidebonnesraisonspourça.Ellecontinuesansselaisserébranlerparmaréponse.–Vousaviezl’airproches,touslesdeux,àThanksgiving.–Oùveux-tuenvenir,àlafin?Jem’appuiecontrelemurdusalon,lesbrascroiséssurmapoitrine,attendantqu’ellecracheenfinle

morceau.–J’aicrucomprendrequeCharlest’avaitévoquéles…inquiétudesdesassociés.–Tuparlesdemaréputationdeplay-boy?Oui,iladûévoquerça,oui…–Etautrechoseaussi,sijenem’abuse?Jecomprendssoudainoùelleveutenveniretm’écartedumur,lamâchoireserrée.–Non.–Iln’aparléderiend’autre?–Si,maislaréponseesttoujoursnon.Ellepousseunsoupirdemartyr.–Jenecomprendspaspourquoitufaistantd’histoiresavecça.Çapourraitêtrelasolutionqu’ilnous

fautpour…quelesassociéssoientenfinrassurés.–Jemefousroyalementdecequelesassociéspensentdemoncas.S’ilsnesontpasàl’aiseavec

moi,cen’estpasmonproblème.Jeseraistoutaussisatisfaitdebosserauservicecourrier,commetul’assisubtilementsuggérépourTessa.Ilesthorsdequestionquejel’entraînedanslesplansfoireuxquevouspouvezavoirentête.

–Maiselleestparfaite,avecHaley,Jason.Unefamilledéjàconstituée,c’estbien.Nouspensionsquecelaprendraitdesannées,etvoilàquecelatetombeduciel.

Monsangnefaitqu’untourenentendantcesmots.–Commentça,vouspensiezquecelaprendraitdesannées?Pourfairequoi?–Cen’estpeut-êtrepaslemeilleurmomentpour…–Maman,réponds:qu’est-cequetuvoulaisdireparlà?Elle s’assoit sur le bord du canapé, cramponnant son sac sur ses genoux tel un bouclier pour la

protéger.Elles’éclaircitlavoixavantderépondre:–Ehbien,naturellement,tonpèreetmoiavonsunpland’avenirquenousaimerionstevoirenvisager.Évidemment. Ilsont toujourseudesplanspourmoi,aussi loinquemessouvenirs remontent.Alors

quemongrand-pèrem’encourageaittoujoursdansmescentresd’intérêt,àpoursuivremesrêves,lesdeuxpersonnes censéesme soutenir de façon inconditionnelle nem’encourageaient, elles, que si cela avaitl’impactdésirésurcequ’ilsvoulaientpourmoi.

J’aiunefurieuseenviedebalanceruncoupdepoingdanslemurderrièremoi.–Unaveniroùjesuismariéàunefilledevotrechoixquipondraaumoinsunhéritier,c’estça?–Maistunecomprendsdoncpas?Celan’aplusàêtreainsi,maintenant.Çapeutêtrequelqu’unde

tonchoix.Etc’estencoremieuxs’ilyadéjàunenfant,dumoinsauxyeuxdesassociés.Biensûr,ilfaudraque…j’enjoliveunpeulasituationdeTessaquandj’enparleraiauxfillesduclub, justepourfaireensortequ’ellesoitacceptée,tucomprends.

Ohoui!Jecomprends.Jecomprendstrèsbien,même,parcequecen’estqu’uneautreversiondelamêmesaladeque j’aientendue toutemavie.Et jemerendssoudaincomptequecelane finira jamais.Jamais.Ilsauronttoujoursunpieddansmavie,ilsvoudronttoujoursentirerlesficellestantquejeneromprai pas les liens, tant qu’ils penseront que je ne répliquerai pas. L’idée qu’ils fassent cela avecTessaetHaley…L’idéedemesparentsdénaturantlesdeuxfemmeslesplusbelles,lesplusvibrantesquej’aie jamais connues, les deux filles que j’aime le plus au monde, pour les entacher de leur naturetoxique…Non.C’estimpossible.Jenelepermettraipas.

Calmement,posément,jeluidisalorscequ’ilfautpourmedébarrasserunefoispourtoutesdecettepression.Cequ’ilfautpourm’assurerqueTessaetHaleyresterontàmoi,etrienqu’àmoi.

–Iln’yariendesérieuxentreTessaetmoi,maman.Tun’aspasàéchafauderquoiquecesoitsurquelquechosequin’existepas.Aucunmariagenifamilledéjàconstituéenem’attend.

–Mais…tulesasinvitéespourThanksgiving.Çadoitquandmêmeêtresérieux?Jen’avaisjamaisrencontréaucunedetespetitesamies,avant.

Unrireamers’échappedemabouche.–Parceque tucroisque j’auraisenviedevousprésenterquelqu’un?Écoute, je l’ai invitéeparce

qu’ellen’avaitnullepartoùaller.C’esttout.J’avanceverselle,nullementgênédelasurplomber,tandisqu’elleresteassisesurlecanapé,etbien

contentdevoirenfinunefissuredanslafaçadequ’elleafficheenpermanence.Jeluidisalorslesmotsquidissuaderontmesparentsdevouloirorchestrercettepartiedemavie,que jeveuxgarder rienquepourmoi.

–Je te lerépèteunedernièrefois,pourque tupuissesaller ledire toutdesuiteàmonpèreetauxassociés:Tessaetmoi,çanesignifierien.Elleétaitlààunmomentoùçam’arrangeait,etj’enaibienprofité.Pointfinal.Ilyalongtempsquej’aiapprisànepasm’engageravecquiquecesoit.Ellenefaitpasexceptionàlarègle.

28

TESSA

Lesmots de Paige encore en tête, je prends l’ascenseur pour le troisième étage de l’immeuble deJason.Finalement, l’occasionde lavisite-surprisequ’ellem’a incitéeà lui rendres’estprésentéeplusvite que je ne le pensais. Becky gardant Haley jusqu’à vingt et une heures – heure à laquelle j’étaiscenséesortirdutravail–etunrendez-vouspourunecoupepluscouleurayantétéannulé,jemeretrouveavecdutempslibre.Après laconversationque j’aieue toutà l’heureavecJasonau téléphone, jesaisqu’ilapprécieraunpeudedistraction.

Jemerépètelemêmemantradepuisquej’aiquittélesalon(Pasdestress,cen’estqu’unesimplevisite),tandisquel’ascenseurmontelentementversmadestination.SiJasonm’alaissésaclé,c’estqu’ilveutquejem’enserve.Àvraidire,ilm’amêmedemandéplusieursfoisquandjecomptaismedécideràl’utiliser.Gardantbiencelaàl’esprit,j’avanced’unpasdéterminéverssaporte–la317–,maisjemeretrouveàhésiterunefoisarrivéedevant.Jenesaismêmepass’ilestchez lui,s’ilestvenuiciaprèsm’avoir parlé tout à l’heure ou s’il est sorti avec des amis pour tenter d’oublier ce qui l’attend dansquinzejours.Jenesaispasnonplussijedoisfrapperetattendrequ’ilm’ouvre,ousijedoisdirectementme servir de la clé pour entrer. Je me dis alors que je gâcherais un peu la surprise si je frappaissimplementenattendantqu’ilm’ouvre.

Comme tous les jours depuis que j’ai trouvé cette clé sous le post-it, j’imagine des dizaines descénariosdifférentssij’entraissansleprévenir.Dansl’un,ilestsoussadoucheetjemedéshabillepourmeglissersousl’eauderrièrelui.Jeprendssonsexedansmamainetlecaresseavecfouguejusqu’àcequ’ilseretournepourmeprendrecontrelemurdeladouche.Dansunautre,ilestassissursoncanapé,àregarder la télé ou à jouer à un jeu vidéo, et je le surprends en lui léchant et mordillant le lobe del’oreille,commeilaime,avantdefaireletourducanapépourlechevaucher,mefrottersurluijusqu’àcequenousjouissionstouslesdeux.

Remotivéeparcespensées,j’insèreenfinlaclédanslebarilletetretiensmonsouffleentournantlapoignée pour entrer. Son immeuble est différent de ce que j’aurais imaginé, vu l’endroit où il a vécupendantdix-huitans,maisc’estexactementcequicorrespondauJasonquejeconnais,moi.Jolisansêtretape-à-l’œil,c’estunsolidebâtimentdebriquesavecdegrandsbalcons,unepetitepiscineextérieureetunevéranda.Enmerendantàl’ascenseur,jesuispasséedevantuneminusculesalledesportéquipéedequelquesmachines. Pas d’immense piscine couverte. Pas de spa comme on pourrait s’y attendre pourquelqu’undisposantdelafortunequ’ontlesparentsdeJason.Ilsdoiventhallucinerdelevoirvivredansuncadresi«ordinaire»,cequimefaitsourirerienqued’ypenser.C’estunemanièresubtilepourluideleurfaireunbrasd’honneuretdegarderunpeudecontrôlesursavie.

J’avanceàpasdeloupdanslecouloir;l’épaissemoquettemefacilitelatâcheenabsorbantlebruitdemespas.Celongcouloirmène,jeprésume,àcequidoitêtreunecuisineouvertesurlesalon.Iln’yaaucune décoration sur lesmurs, ce qui nem’étonne pas. Jason est un garçon sans chichis. Il aime leschosessimplesetdépouillées.

Àmesurequejem’approche,j’entendsdesvoixétouffées.Audébut,jecroisqu’ils’agitdusondelatélé,puisjereconnaislavoixdeJason.Ilyaaussiunevoixfémininequiparlebas,etjesenssoudainmon ventre se serrer d’angoisse. Que peut faire une femme seule avec Jason dans son appartement ?J’entendsalorslafind’unedesesphrases:

–…entreTessaetmoi,maman.Jerespireunedemi-secondeencomprenantàquiilparle.Puisj’entendslasuite,etjemeretrouveà

nouveauparalysée,plaquéecontrelemur,maispourunetoutautreraison.–…surquelquechosequin’existepas.Aucunmariagenifamilledéjàconstituéenem’attend.–Mais…tulesasinvitéespourThanksgiving.Çadoitquandmêmeêtresérieux?Jen’avaisjamais

rencontréaucunedetespetitesamies,avant.Jasonrit,d’unrireamerquineressemblepasàceluidel’hommequejeconnais,l’hommequej’en

suisvenueàaimer.Moncœurs’emballeetmespaumesdeviennentmoites.–Parceque tucroisque j’auraisenviedevousprésenterquelqu’un?Écoute, je l’ai invitéeparce

qu’ellen’avaitnullepartoùaller.C’esttout.Ungémissementd’indignationmemontedanslagorge,etjepresseunemainsurmabouche,alorsque

lespapillonsquivolentdansmonventrechaquefoisquejesuisenprésencedeJasonsetransformentenunessaimdefrelons furieux.Je faisunpasprudentenavantpour tenterde jeterunœildans lapièce.J’aperçoisJasondeboutdevantsamère,levisagedur,froid,biendifférentdecequejeconnaisdelui.

Ilenfoncealorsleclou,medonnantlecoupdegrâce:–Je te lerépèteunedernièrefois,pourque tupuissesaller ledire toutdesuiteàmonpèreetaux

associés:Tessaetmoi,çanesignifierien.Elleétaitlààunmomentoùçam’arrangeait,etj’enaibienprofité.Pointfinal.Ilyalongtempsquej’aiapprisànepasm’engageravecquiquecesoit.Ellenefaitpasexceptionàlarègle.

Voilà.L’épéedeDamoclèsque je sentais suspendue au-dessusdema tête vient de tomber. J’avaisbeausavoirquecelarisquaitd’arriver,quecelaallaitarriver,lecoupn’enestpasmoinsrude.Dévastéede douleur et de colère, je pousse un petit cri étouffé…Mais comment ai-je pu croire qu’il en seraitautrement?Quelquepart,j’aitoujourssuqu’ilprendraitpeurets’enfuiraitquandceladeviendraittropsérieux.Seulement,mêmesicelam’inquiétait,jen’étaispaspréparéeàcequemesdoutesmesoientjetésainsienpleineface.

Jen’étaispaspréparéeàcequ’ilmejettesifacilement.

JASON

Sitôt cesmots prononcés devantmamère, j’ai envie de les retirer. Ils sont horribles à dire etmelaissentungoûtamerdanslabouche,maisiln’estpasquestionquejeluilivreTessaetHaleyenpâture,pascommeça.Pasjustepourfaireplaisiràunebandedevieuxschnocksdontjemefoustotalement.Pasjustepoursauverlesapparences.Mesparentsdirigentdéjàmavie;ilsnedirigerontpaslaseuleraisonquimedonneencoreenviedevivre.

J’entends soudain un petit bruit étouffé du côté du couloir. Je tourne vivement la tête dans cettedirectionetmefigeenvoyantprécisémentlapersonnequejevoulaisteniràl’écartdetoutcela,entraindemeregardercommesiellenemereconnaissaitpas.Elleestemmitoufléedanssonmanteaufuchsia,un

bonnetenlainesurlatête,etj’aienviedel’embrasseretdeluidiredes’éloignerd’ici,parcequ’ellen’arienàfairedanslevoisinagedelafemmequiapourrivingt-quatreannéesdemavie.

Tessaouvrelabouchepourdirequelquechose,maisseraviseaudernierinstant,lamâchoireserréeet lesyeuxplissés.Elle lancequelquechoseversmoiavantdetourner les talonspourrepartirdanslecouloirenfaisantclaquerlaportecontrelemurderrièreelle.

–Tessa,attends!Ignorantmamèrequivientd’assisteràlascène,jemerueaprèselleetcourssurlepalier,oùjevois

lesportesde l’ascenseurcommenceràserefermersursonvisagerougedecolère.J’accélèreetpassemonbrasentrelesportespourlesbloqueravantdemeglisserdanslacabined’ascenseur.Elleestcolléeaumurdufond,l’airfurieux,etjemeréjouisdelavoirenrage.Jesauraimieuxgérercelaquesielleétaitenlarmes.J’avanceverselleetessaiedeprendresamain.

Elles’écartecommesimamainl’avaitbrûlée.–Nemetouchepas!Tuasperducedroitilyadeuxminutes.Jesecouelatêteenm’efforçantdegardermesmainslelongdemoncorps.–Non,mapuce,tunecomprendspas.Laisse-moit’expliquer.Ellerit,d’unrirequisonnefaux.–Expliquerquoi?Tuasétéparfaitementclair,etjenecroispasavoirmanquégrand-chosedeceque

tudisais.Ellesecouelatêteenmeregardantdanslesyeuxcommepouressayerd’yvoirlavérité.–Jen’arrivepasàcroirequejesoistombéedanslepanneau.J’aivraimentcruquetuavaischangé.–Maisj’aichangé…Ellelèveunemainpourm’interrompre.– Ça suffit, Jason. Quand tout ça a commencé, quand tu as fait des pieds et des mains pour te

rapprocherdemoi, tu savaisexactementceque jecherchais.Unhomme,pasungamin.Quelqu’unquivoudraitvivreavecmoietHaleysurlelongterme,quelqu’undemature,quisaitcequ’ilveut.

–Jesaisetje…Ellemecoupeencore:–J’aiétéforcéedegrandirunpeutropvite,etçanemerendpaslaviefacile,àvingt-deuxans,mais

jesuiscommeça.Etjesaiscequejeveux.Jeveuxvivreunerelationavecunadulte,cequetuneserasjamais,jemetrompe?

Elle inspire à fond et ferme les paupières quelques instants avant deme regarder de nouveau, lesdentsserrées,lesyeuxfuribonds.

–Mavoiture…,lacanalisation,puisThanksgiving…Toutça,c’étaitjusteparcequetuavaispitiédemoi,hein?Ehbien,vatefairefoutre!lance-t-elleenmepoussantàlapoitrine.Jen’aibesoinnidetonaidenidetapitié.Et,cequiestsûr,c’estquejen’aipasbesoindetoi.

Les portes de l’ascenseur s’ouvrent sur le rez-de-chaussée. Sans hésiter, elleme contourne et sortdanslehallsansunseulregardenarrière.Quoiquedébordantsdepeineetdefierté,sesmotss’imprimentenmoi,etjenetrouverienàdire,aucuneréponsenemevient.Toutecolèrem’abandonne,parcequ’elleacomplètementraison.Ellen’apasbesoinquemoioumafamillemerdiquepourrissionssavieetcelledelapetitefillequej’aimetant.Pourcetteraison,jenelaretienspasquandelleouvrelaported’entréedel’immeublepour sortirdans la rue.Niquandelle entredans savoitureetboucle sa ceinture. Jene laretienspasplusquandelledémarre.

Je la laisse s’en aller, parce que, s’il y a une chose quemamèrem’a apprise en venantme voir

aujourd’hui,c’estbienquecelanefinirajamais.Tantqu’ilsferontpartiedemavie,jeseraitoujoursunpionpoureux,dontilsdisposerontcommebonleursemble;etjerefusedelaisserTessaetHaleydevenirdenouvellespiècessurl’échiquierdemesparents.Ellesméritentbienmieuxquecela.

Hagard, je remonte jusqu’àmonétage, la têtebaisséesous lepoidsde la résignation.Maporteestencoreouvertequandj’arriveàmonappartement,cequiveutdirequemamèreesttoujourslà.J’entre,claquelaportederrièremoietmedirigelàoùjesaisquejevaislatrouver.Elleesttoujoursassisebiensagementsurleborddemoncanapé,raidecommeunpiquet,etjeressensunélandehainepourcequemavieestdevenueàcaused’elleetàcausedemonpère.Certes,ilsm’ontdonnétoutcequejepouvaisdésirer ; tout sauf ce que je désirais le plus au monde, et que mon grand-père me donnait avant del’emporterdanssatombe:l’acceptation.

Quelquechosebrilleausol,attirantmonregard:l’objetqueTessaajetéavantdepartir.Jen’aipasbesoindemepencheretdeleramasserpoursavoircequec’est:lacléquejeluiavaisdonnée.

–Bon,ehbien,commeleprouvecequetuviensdevoir,iln’yaplusrienentreTessaetmoi,dis-jeàmamèred’unevoixblanche.Tun’aurasqu’àrapporterlanouvelleàceuxquitirentlesficelles.

–Jason…Elle hésite, visiblement tiraillée après ce qu’elle vient de voir,mais pas encore assez pour se la

fermer.–Tucomptestoujours…?–Net’enfaispas,jeserailàle2janvier,encostard,toutcommeilfaut.Elleselèveenhochantlatête.–IlyaaussilapetitefêtelevendrediaprèsNoël.–Jen’iraipas.–Cen’estpasfacultatif.–Moncul,oui.Jesuisàvousenjanvier.Jusque-là,jefaiscequejeveux.Tudevraisretrouverton

cheminjusqu’àlaporte,mêmes’iln’yapasdepersonnelpourteraccompagner.Toutendisantcela, jeme retourneetmedirigedans lacuisine.Délaissant labièreentamée toutà

l’heure, j’attrape labouteilledewhiskyetunverredans leplacard.J’ignoremamèrequipartdans lecouloiretrefermelaportederrièreelle.

J’avaledeuxdoigtsdu liquideambréquimebrûle lagorgeet,heureuxà l’idéede laisser l’alcoolfairesoneffet,jem’enressersaussitôtunenouvellerasade.

29

TESSA

Je ne sais comment, j’arrive à rentrer à lamaison, je libère Becky etmets Haley au lit avant dem’autoriseràpenseràcequivientdesepasser.Jenepourraismêmepasdirequejesuissouslechoc,car jem’yattendaisdepuis longtemps.Seulement,pasdecettemanière–enmeprésentantàsapropremèrecommeunsimpleplancul!

Jesuisaulitdepuistroisquartsd’heure,entraindemerepassertouslesmotsquejel’aientendudire,touteslesexpressionsdesonvisage,quandjemedécideenfinàprendremontéléphonepourcomposerlenumérodePaige.

–Salut,beauté.Alors,comments’estpasséecettesurprise?Ils’estbienoccupédetonpetitabricot?Un rire nerveuxm’échappe et, avantmême dem’en rendre compte, je fonds en larmes. Je pleure

tellementquejen’arrivemêmepasàparler.–Ohmerde,Tess!Qu’est-cequis’estpassé?J’entendsdesbruitsbizarresauboutdelaligne,puisuntintementdeclés.–J’arrive.Jesuislàdansdixminutes.Elleraccroche,etjelaisseletéléphonetomberàcôtédemoipourmefrotterlesyeux.Jeneveuxpas

pleureràcausedeça,àcausedelui,surtoutaprèsqu’ilm’ajetéesifacilementsouslapressiondesamère,maisjenepeuxpasm’enempêcher.Leslarmesnecessentd’afflueretcoulentencorequandPaigearrive. Elle enlève ses chaussures et grimpe sur le lit, posant devant moi un pot de glace caramel-chocolatetdeuxcuillèresenguised’offrande.

C’est avec un regard plein de compassion qu’ellem’écoute lui raconter la scène dans les détails.Puis,lacompassioncèdelechampàuneespècedefureurmuette,commesielleseretenaitdepartirpourallertrouverJasonetluidonnerunebonneleçon.Saréactionmeréconforte.Avoiruneamieprêteàfairelapeauàquiconquemeferaitdumalmemetdubaumeaucœur.

Unpeuplustard,unefoisquejemesuissuffisammentcalméepourcesserdepleurer,noussommesassisesdansmonlitetmangeonslaglaceàmêmelepot.

– Jenepigepas.Cen’estpas logique…,pasvu la façondont il était avec toi,dit-elleentredeuxcuilléréesdeglace.

–Çan’apasàêtrelogique.Ill’adit,clairement,defaçonarticulée.Cen’étaitpasunehallucination.–Non,jesais.Mais…peut-êtrequ’ilaseulementditçapoursedébarrasserdesamère?Tudisais

quesesparentsétaientdegrosconsquileforçaientàfairedestrucsdontiln’apasenvie.–Mais que veux-tu qu’ils lui aient demandé ? De rompre avec moi ? Remarque, ils doivent me

détestersuffisammentpourça,etJasonadûplier.Jesecouelatêteetplantemacuillèredanslepot.–Non,cen’estpasça.Etpuis,tusaisquoi?Jem’enfous.Parcequeçan’afaitqueconfirmerlefait

qu’aufonddelui,iln’estencorequ’ungamin.Ilnegrandirajamais,alorsquec’esttoutcequicomptepourmoi:avoirunerelationavecunadulte.

–TuenasparléàCade?Pourvoircequ’il…–Non.Pasquestion.Je n’ai même pas encore pensé à la façon dont j’allais présenter les choses à Cade, surtout

considérantl’hostilitédontilafaitpreuvelespremierstempsenversnotrehistoire.–Commentvais-jeluienparler?Unepenséequej’avaisréussiàrefoulerjusqu’icis’imposealorsàmoi,etmesépauless’affaissent.–Etcommentvais-jeleluidire,àelle?Jen’aipasbesoindepréciseràPaigequejeparledeHaleypourqu’ellelecomprenne.J’imaginelechagrindemafillelorsquejeluidiraiqueJasonneviendraplus,etunenouvellevague

de larmesmemonte aux yeux. J’accepte la cuillérée débordant de glace queme tend Paige en guised’antidépresseur.

C’esttroisjoursplustardqueHaleymequestionneausujetdeJason.Troisjoursderépit,àréfléchirtranquillement–c’est-à-dire,troisnuitssanssommeilàpleurertoutesleslarmesdemoncorps.Jen’aipas eu assez de discernement avant dem’engager dans cette histoire avec Jason. C’était un point derepèredansmaviedepuisl’enfance,et,maintenant,d’uncoup,iln’estpluslà.

Ce quimemanque, ce n’est pas seulement l’incroyable chimie qui nous unissait charnellement, nil’intimitéquenouspartagions.Cequimemanque,c’estlegarçonqu’ilétaitdevenucesdernierstemps:monmeilleuramiaprèsPaige.Etcettepertemefaitunmaldechien.

Au bout de ces trois jours, quand Haley finit par me demander où est Jason, la question devientquotidienne.Ellemedemandes’ilsera làcesoir,s’ilpeutvenirsamedipourune journéepyjama,s’ill’emmènerajouerdanslaneige.J’essaiedecombler levide: je l’emmènevoirunfilmlesoiroùelleespèrelevoir,j’organiseunejournéedonut-pyjama,avecdescookiesàlaplacedudéjeunerlesamedi.Nousfaisonsl’angedanslaneige,desbonshommesdeneige,desbataillesdeboulesdeneige,alorsquejedétestelaneige.Justepourlavoirsourire.

Maisellen’arrêtepasdedemander.Chaquefoisqu’ellelefait,moncœursebriseunpeuplus.Paspourmoi:lemienestdéjàdévasté.Maispourelle.Ellenecomprendpaslalogiquedesrelations

entreadultes,raisonpourlaquellejel’aitoujourstenueàl’écartdemeshistoires,nelaissantjamaisunhommetropserapprocherd’elle.

SaufquejenepouvaispasvraimentévitercelaavecJason,étantdonnéqu’ilfaisaitpartiedesaviedepuissanaissance.

Unesemaineaprès la ruptureavecJason,Haleyetmoisommesdans lasalledebain,à lamaison.Elleestdanssonbain,perdueaumilieud’unemontagnedemousseblanche.Elles’enmetunpeusurlevisage,commeunebarbe,sousmonœilvigilant.

–Maman,est-cequejeressembleaupèreNoël?–Às’yméprendre,machérie.Ilfaudrajustequetumangesunpeuplusdedonutspouravoirungros

ventrecommelui.–Alors,ilfaudraquej’enmangepleindemain.Jerisetluishampouinelatêteenessayantdefairededrôlesdeformesaveclamousse.Maiselleest

tropépaisseettroplourde,etluiretombedansledosavantquej’obtienneunrésultatsatisfaisant.–Quandest-cequ’ilvient,tontonCade?–Lasemaineprochaine,justeavantNoël.–EtWinter,aussi?

–Oui,elleseralàaussi.Un sourire radieux illumine son visage. Je suis heureuse qu’elle ait cela pour la distraire, même

temporairement,duvidequeJasonalaisséderrièreluisanslesavoir–ousanss’ensoucier.–EtJay?Ilvientaussi?Ah.Apparemment,ladiversionespéréeaseslimites.J’esquivecommejelefaisdepuisunesemaine:–Jenesuispassûre,machérie.Celavadépendredesontravail.–Commentçasefaitqu’ilnevienneplusnousvoir?Çafaittroplongtemps.Iladitqu’ilreviendrait

construireunchâteaudeneigeavecmoi.Malgrémapropresouffrance, lacolèremonteenmoienentendantainsima fille,de sapetitevoix

angélique,merappelerqueJasonluiapromisquelquechose–promessequ’ilnetiendrapas–,etjedoismemaîtriserpourrestercalmeetnepasluimontrermondésarroi.

–Tusais,ilesttrèsprisparsesétudesetpardesprojetsavecsesparents,luidis-je.J’avoue, j’aiété lâcheenne luidisant riendecequis’étaitpassé. Jen’enaipasnonplusparléà

Cade,alorsqu’ilseraaucourantauboutdecinqminutespasséesà lamaison.Ila toujourscecurieuxpouvoirsurmoi,etcesixièmesenspourpercevoirquequelquechosenevapas.

–Ben,ilaintérêtàreveniravantquelaneigeaitfondu,ditHaley.Jerisetluiversedel’eausurlatêtepourrincersescheveux.–Onaencoredutempsavantquelaneigenefonde,machérie.Ilaneigétôt,cetteannée.–Youpi!fait-elleentapantl’eaudesesmains,éclaboussantpartout.Ellepassealorsàtoutautrechose,ungrandsourireauxlèvres,reléguantJasondansuncoinobscur

desonesprit.Siseulementcelapouvaitêtreaussifacilepourmoi.Sijepouvaisneplusêtreassailliechaqueinstant

de la journéepar son image, nos souvenirs.Simesnuits, où jedevrais trouverun semblant de repos,pouvaientnepasêtrehantéespardesrêvesdeluisicriantsderéalitéquejem’éveilleencoreaveclui.Sijepouvaisoubliersesmainssurmoi,sesmotsdouxdansmonoreilleetjusquedansmoncœur.

Maisnon.LesouvenirdeJasonnemelaisseaucunmomentderépit.

30

TESSA

Cade est là depuis deux heures quand l’interrogatoire commence.À vrai dire, je pensais que celaarriveraitavant.Jevoyaisbienqu’ilétaitgênédesentirquequelquechosen’allaitpassanspouvoirs’enenquérir(dumoinspasavantqueHaleynepuissepasnousentendre).

ElleestmaintenantbordéeetdanslesbrasdeMorphée.Demoncôté,j’aienfiléunpantalondeyogaetunsweatàcapuche,etjemesensaussiprêtequepossibleàfairefaceauquestionnementdeCade.Jesaisquejenepourraipaséchapperàcetteconversationetjelaredoute.PresqueautantquejeredoutelesquestionsquotidiennesdeHaleysurl’absencedeJason.

J’entredanslacuisineetytrouveCade,unebouteilledebièredevantluietunverredevinàmoitiérempliposédevantlachaisevoisine.

–C’estpourWinter?dis-jeavecunsignedetêteendirectionduverreàpied.–Non,elleestdanslachambre.–Ah!onneveutpasdetémoin,hein?Il ignoremapetiteplaisanterie, tandisque jem’assoisprèsde luipourboireunegorgéedecevin

dontj’aibienbesoin.Ilselance:–OùestJase,cesoir?Jeboisuneautregrandegorgéeenévitantsonregard.–Jen’ensaisrienetjem’enfous.Iljuredanssabarbe.–Qu’est-cequ’ilafait,Tess?J’expireàfondetsecouelatête.–Eh,cen’estpasgrave,OK?Toutcequetuasàsavoir,c’estquecequis’estpasséentrenousest

maintenant terminé.Et jen’ai aucuneenviede t’entendrediredes trucsdugenre« Je te l’avaisdit»,d’accord?

–Et«Jevaisluibotterlecul»,jepeux,ça?Jerisetsongeuninstantàlelaisserfaire,cedontilnesepriveraitpas.–Écoute,jesuistouchéequetuveuillesmeprotéger,maisjesuisunegrandefille,Cade.C’estautant

mafautequelasienne.Ils’adossedanssachaise,lesyeuxrondscommedessoucoupes.–Tuveuxbienm’expliquer,là?Jehausselesépaulesenpassantmondoigtsurlecontourdemonverre.–J’ysuisalléeenétantconscientedeceque jefaisais.Jesavais trèsbienoù jemettais lespieds.

C’étaitmonchoix.Jasonnes’estpasconduitenimbéciledanscettehistoire.Seulementmoi.Ilserrelespoingssurlatable.–Putain,jevaisletuer.Jesourisetposeunemainsursonbraspourqu’ilresteassisàcôtédemoi.

–Certainementpas.Tuvasrestericiet,pourmechangerlesidées,meparlerdelaviederêvequetumènesàChicago.

Ildoitpercevoirquelquechosedansmesyeux,carilsedétenddanssachaiseetboitunegorgéedebière.

–C’est…,écoute,Tessa,jenepeuxmêmepastedireàquelpointc’estgénial.Johnm’ademandédedirigerlescuisineslessoirsoùOscarestderepos.J’ail’impressiond’êtreauseptièmeciel.Leprojetd’ouvrirtroisautresrestaurantsseprécise.IlyadeschosesencoursàMinneapolis,Denveret…ici.

Mesdoigtsseresserrentsursonbras.–Ici?C’estvrai?–Ouaip.–BonDieu,Cade!–Ehoui…–Çaveutdirequetuasdeschancesderevenir?Jeretiensmonsouffle,attendantsaréponse.Etjemerendssoudaincomptequemonenviedelevoir

revenir n’a rien à voir avec l’aide qu’ilm’apportait autrefois.Depuis environ unmois,Haley etmoiavonstrouvénotrerythme,mesnuitssepassentunpeumieuxetmesjournéessontmoinsinfernales.Cen’est certes pas parfait (j’ai enfin compris que je ne serais jamais parfaite moi-même), mais c’estgérable.Etnousformonsunebonnepetiteéquipe,elleetmoi.Non,laraisondemajoie,c’estuniquementlefaitquemonfrèrem’abeaucoupmanquédepuissondépart.EtsononcleabeaucoupmanquéàHaley,aussi.

–Jenesaispastrop.Johnsaitquej’ai trèsenviederevenir ici.S’ilm’estimeprêt, jenevoispaspourquoiildonneraitleposteàquelqu’und’autre.Ilfautsimplementquejemedémènepourluiprouverquej’ensuiscapable.

–C’estgénial.Tuesheureuxd’avoirpriscettedécision,alors?–Oui,carrément.C’étaitunedesdécisions lesplusduresàprendrede toutemavie,mais jene le

regrettepas,mêmesijedoisvivreloindevous.–Ons’ensorttrèsbien,tusais.Ilmeregardeenbiais,l’airdedire«Causetoujours».–Ons’ensorttrèsbien,indépendammentdelasituationavecJason.–Etalors,est-cequeçaveutdirequetuesderetoursurlemarché?Tuvasrappelerledentiste?Jelèvelesyeuxaucieletboisunegorgéedevin.–Ilétaitorthodontiste,etlaréponseestnon.Jehausselesépaulesetm’adossedansmachaise.–Jesuisbien,touteseuleavecHaley,pourlemoment.Jevoulaisàtoutprixtrouverquelqu’unavec

quiêtreheureusepourtoujours,etçam’apétéàlafigure.Jeneveuxplusforcerleschoses.Jel’aidéjàfait avec unmec pour qui je ne ressentais rien, puis avec un autre avec lequel j’auraismieux fait dem’abstenir.

Cequejeneluidispas,c’estquejerêveencorederetrouvercela:unecomplicitécommecellequej’avaisavecJason,maisavecunhommeprêtàs’engagersurlelongterme,às’impliqueravecmoi.Jesaisquejesuisjeune,maismavieneseprêtepasàdesplansculetàdesrelationssanslendemain.

Moncœurn’ajamaisdésirécela.

JASON

J’écartelesboîtesdepizzaetlesbouteillesdebièreenvrac,essayantdetrouvermontéléphonequej’entendssonner.Jenesaismêmepasquel jouronest.Lundi,mardi?Noëloujourdel’An?N’ayantplus de cours pour remplirmon emploi du temps, etmes parentsme fichant, pour une fois, une paixroyale, jen’ai faitque…,qu’être là.ÀjoueràHalopendantparfoiscinqheuresd’affilée,commanderdespizzasoudesplatschinois,boiredelabièredèsmidisiçamechante.Sanspersonneàquiparler,personneàquirendredescomptes,rienquemoi.

L’éclate,quoi.Je trouve mon téléphone au moment où il cesse de sonner, mais il recommence quelques instants

après.Lenomd’Adams’allumesurl’écran.Jemelaisseretombersurlecanapéetdécroche.–Ouais.–BonDieu,Jase,qu’est-cequetuasfait?–Holà,tuvasbaisserd’unton,s’ilteplaît,dis-jealorsquejesaisexactementcequil’amène.Apparemment,mon heure a sonné avecmon autremeilleur pote, parce que, siAdam a eu vent de

l’histoire,c’estqueCadenedoitpasêtreloin.–Jecroyaisquecen’étaitpasjusteunplanculpourtoi?Unecentainederéponsesmeviennentsurleboutdelalangue,maiscommentluidire?Eneffet,ce

n’étaitpasjusteunplanculpourmoi,etc’estprécisémentpourcetteraisonquejenesuisplusavecelle,maintenant.Parcequ’ellecompte–comptait–bienplusquecela.

Voyantquejenerépondspas,ilcontinue:–Jen’arrivepasàcroirequetunem’aiesriendit.Ilafalluquejel’apprenneparCade,quiesten

chemin pour te botter le cul, entre nous soit dit. Simon avion était ce soir et non demain, j’en feraisautant,d’ailleurs.

–Oui,ehbien,jemesuisbottéleculmoi-même;alors,netedonnepascettepeine.–Non,mais,franchement,Jase,qu’est-cequis’estpassé?Jepousseunlongsoupiretfermelesyeuxenlaissantmatêtebasculersurl’accoudoir.–Çan’apasmarché,c’esttout.J’entendsungrognementincréduleauboutdelaligne.–Arrête,pasàmoi.EtCadenerisquepasdegoberça,luinonplus.–Jem’ensoucieraiquandilviendramevoir.Tul’astrouvécomment?–Prêtàt’arracherlescouillesetàtelesfairebouffer,situveuxvraimentlesavoir.Etjenepourrais

mêmepasessayerdefaireletampon,parcequejevoyaislecoupvenir.J’acquiesce en grommelant, conscient de ne pas mériter qu’on me défende. Quoi que Cade me

prépare,jel’auraiméritépuissancedix.–Sijamaistuarrivesencoreàmarcherdemain,onpourraallerprendreunebière.Jeserailàjusqu’au

vingt-huit,dit-il.–OK,çamarche.Onfrappesoudainàmaporte,suffisammentfortpourréveillerlesvoisinsàcentmètresàlaronde.–Merde.–Ah!l’heureasonné?Allez,bonnechanceaveclabête!melanceAdamavantderaccrocher.

Jemefrottelevisageengrognantetbalanceletéléphoneàcôtédemoi.JenemesenspastoutàfaitassezsoûlpouravoircettediscussionavecCade.

Poussantunsoupirderésignation,jemelèveducanapéetavanceverslaporte.Elles’ouvresurlevisagerougedemonmeilleurami.

–Cade,quellebonnesurprise!dis-jesèchement.Ilpassedevantmoiaprèsm’avoirdécochéunregardglacialetavancedanslecouloir.Lorsquejele

rejoinsdanslesalon,jeletrouveplanté,lesbrascroisés,entraindecontemplerlespilesd’emballagesdeplatsàemporteretautresdétritusquijonchentlesoldelapièce.

–C’estquoi,cebordel?–Déjeuner.Dîner.Etpeut-êtrepetit-déj,aussi.Tuasfaim?Jemelaisseretombersurlecanapéetattrapelamanettedejeuvidéoenposantmespiedssurlatable

basse.Cadeapprocheetpoussemespiedsdelatablepoursedresserdevantmoi,leregardmenaçant.–Tessanem’arienditsurcequis’estpassé.J’espèrebienquetuvasmedirelavérité.–C’estmalbarré,monpote,vuquejenecomptepast’endirebeaucoupplusqu’elle.Jem’efforcedel’ignoreretdemeremettreàjouer,sachantpertinemmentquejemeconduiscommeun

con,surtoutconsidérantquejenel’aipasvudepuissixmois;maisjen’arrivepasàfaireautrement.–NomdeDieu,Jase,maisqu’est-cequisepasse?Jecroyaisarrivericiettetrouveravecdeuxnanas

danstonpieu,auquelcasjet’auraismismonpiedauculvitefait.Enfait, tuasjustel’aird’unpauvretypequin’apasprisdedouchedepuisunesemaine.

–Ehoui,qu’est-cequetuveux?dis-jeavecunhaussementd’épaulesenévitantsonregard.–Jenepigepas.Situn’aspasrompupouruneautrefille,c’estquoi,leproblème?Jesaisquece

n’estpasTessaquiarompu,parcequ’ellenevapasbeaucoupmieuxquetoi.Lesimplefaitd’entendresonprénommefaitl’effetd’uncoupdepoingdansleventre.–Tessaseportebeaucoupmieuxmaintenant,dis-jeenmarmonnant.–Commentça?Qu’est-cequeçaveutdire?Jepousseunsoupir,mepencheenavantetposelescoudessurmesgenoux.–Bon, tuavaisraison,ça teva?Elleestbienmieuxsansmoi.Etencoremieuxsans lafamillede

merdequimecolleratoutletemps.Ilmefixependantunmoment,puissecouelatête.– Si c’est vraiment ce que tu penses, tu es encore plus con que je le croyais. Putain, mais tu ne

t’écoutesjamais,maparole?–Jenefaisquem’écouterdepuisunesemaine.Voilàpourquoijesuisicietpasdevantsaporte.Parce

queçavautmieux.–Ahoui?Etçavautmieuxpourqui,exactement?Parceque,delàoùjesuis,jevoisdeuxpersonnes

malheureuses.–Elleseraencoreplusmalheureusesiellesefaitentraînerdanslessaloperiesquejedoisgérertous

lesjoursavecmafamille.–Tusaisquoi?J’enairasleboldet’entendreteplaindredetafamilledemerde.Tuneveuxpas

qu’ilsdirigenttavie?Ehbien,neleslaissepaslefaire.Coupelecordonetgrandisunpeu,bordel!–Parcequetucroisquec’estaussisimplequeça?Iln’yapasdecompromisaveceux:c’esttoutou

rien.

–Donc,tupréfèresavoirtoutaveceuxetrienavecTessaaulieudel’inverse,sijecomprendsbien?EtHaley,alors?Touteslescinqminutes,elledemandeoùtues!

Je relève brusquement la tête vers lui en l’entendant parler de Haley, encaissant tout ce qu’il mebalance.Ilhochelatête.

–Ouaip.QuatrefoisdéjàdepuisqueWinteretmoisommesarrivés.–Merde.Jemepasseunemainsurlevisage.– Écoute, est-ce que tu pourrais… Enfin, je lui ai acheté un cadeau de Noël. Tu pourrais le lui

donner?–Tuveuxqu’ellel’ait?Alors,arrêtedeteplanqueretviensleluidonnertoi-même.Ilserapprocheencore,metoisantdetoutesahauteur.–Qu’est-ce que tu feras quandTessa remettra son profil en ligne sur un de ces putains de sites ?

Quandellesortiraavecunautreorthodontiste,unavocatouautretypechiantcommelamort,justeparcequ’ellecroitquec’estcequ’illuifaut?

Commetoujours,cetteidéemeglacelesang.Jen’aicessédepenseràceladepuisquejel’ailaisséepartir:àceluiquiprendralaplacequejen’aipasoccupéeassezlongtemps.Quelqu’unquiregarderadesfilmsàl’eauderoseavecTessaoujoueradanslaneigeavecHaley.Quiiraacheterdesdonutslesamedimatinavantdepasserlajournéeaulitàregarderdesdessinsanimés.

Celamerendfou.Vraimentfou,maisjeneveuxpasqu’ellessoientunpiondeplusdanslejeuquemesparentsjouentpourmoiencemoment.

–Cen’estpassifacile,Cade.–Ehbien,rendsleschosesfaciles.Quoiqu’ilaitpusepasser…,quellesquesoientlesraisonspour

lesquellestuasrompucettehistoireavecTess,ilyaforcémentmoyend’arrangerça.Surcesmots,ils’envaetseretournepourmedirepar-dessussonépaule:–Bouge-toietgèrelasituation,monpote.

31

TESSA

–Allez,lesfilles,quelafêtecommence,ditPaigeenentrantdansmachambre.Winterestassisesurmonlit,tandisquej’essaiedetrouverquelquechoseàmettre.–Onnepeutpasplutôtresteràlamaison?dis-jeenmeretournantverselle.–Maparole,maistuasquelâge?Quatre-vingtsansouquoi?lance-t-elleenpassantmagarde-robe

enrevue.Onvafairelafête.Onvaprendredubontemps.Onvatefairepicoler,ajoute-t-elleenpointantundoigtversmoi.

Ellesetourneetattrapequelquesvêtementsdansmapenderieavantdemelestendre.–Tiens,enfileça.Tescheveuxsontsuper,commed’habitude.Parcontre,ilvafalloirfairequelque

chosecôtémaquillage,parcequetunerisquespasd’allerbienloinavecceregarddéfait.JepousseunsoupiretlanceunregardimplorantàWinter.Ellelèvelesmainsetsecouelatête.–Nemeregardepascommeça.C’esttameilleureamie.Voilàpourquoijemetiensàdistancedemes

copinesdepuislongtemps.–Ehbien,maintenant,tuescoincéeavecnous,ditPaigeenselaissanttombersurlelitpendantque

j’enfilelesfringuesqu’elleachoisiespourmoi.Unjeantaillebasseetunhautnoirmoulantàdosnu.Sobredevant,supersexyderrière.Pasvraiment

lelookdontj’aienvie.Unsweatlargeetunleggingauraientdavantagereflétémonétatd’esprit.Celadit,cettesoiréeentrefillesdevraitmefairedubien.Enplus,CadeetWinterrentrentchezeux

demain.Cesdeuxdernièressemainesontétédures,mêmeavectoutel’excitationd’avantetaprèsNoël.Avectoutcequisepassait,j’aicruquecelamepermettraitdemoinspenseràJason.Maisjusqu’ici,lesseuls moments où je l’oublie un peu sont ceux où Haley m’accapare. Et même là, c’est une pentesavonneuse,carellenecessetoujourspasdes’enquérirdelui.

–Arrête, dit Paige,me tirant demes pensées.Voilà que tu recommences. Interdiction de penser àCelui-dont-on-ne-doit-pas-prononcer-le-nom.Maintenant,magne-toi,onaduboulot.

Unefoisquejesuischangée,Paigemepousseendirectiondelasalledebainetentreprenddememaquiller.Jem’assoisdocilementetlalaissefaireenespérantqu’elleaitraison.Qu’unpeu,voireunpeutropd’alcoolmeplongeradansunmomentd’oubliplusquebienvenu.

–Paigeaimevraimentça,ondirait?medemandeWinter.NoussommesassisesàunetablehauteetregardonsPaigedanseraumilieud’ungroupedegarçons.–Oui,dis-jeensoupirant.Moncocktailtardeàmefairedel’effet,etjemetrouvebientroplucideàmongoût.Pourl’instant,le

planFaire-picoler-Tessanefonctionnepasvraiment.–Tusais,Cadenem’apasditgrand-chosesurcequis’estpasséentreJasonettoi…–C’estparcequ’ilnesaitpasgrand-chosenonplus.Jeboisunegrandegorgéedansmonverre.–EtjedoutequeJasonluienaitditdavantagelorsqueCadeestallélevoir,l’autrejour.

Quand j’ai appris queCade était allé chez Jason pour lui parler, j’étais blême. J’ai copieusementenguirlandémonfrère,luireprochantdesemêlerdecequineleregardaitpas.Maiscequim’aleplusénervée,c’estdepenserquenotrehistoire,àJasonetmoi,puissenuireàleuramitié.J’aibeausouffrir,jeneveuxsurtoutpasqueleurrelationsedétérioreàcausedecela.

–Eneffet,confirme-t-elle.Cades’inquiètepourtoi.Etilneteledirajamais.–Jesuissurprisequecesoittoiquimeledises.Ellemeregardepar-dessussonverred’eau(c’estellequiconduitcesoir,Dieumerci).–Oui,moiaussi,enfait.MaiscequiestimportantpourCadeestimportantpourmoi.Ellebougesurson tabouretet sepencheunpeuplusversmoi,afinque je l’entendemieuxdans le

vacarmedubar.–Tusais,ilétaitvert,audébut,quandilaapprisquevouscouchiezensemble.Cette façondedire leschosesmefait tiquer. Jesaismaintenantquecen’étaiteneffet riendeplus

pourJason,alorsquejen’aijamaisconsidérélasituationdecettemanière.Elleremarquemaréactionetagiteunemain.–Enfin,jeveuxdire,quevousétiezensemble,quoi.Bref.Ilétaitfurieux,parcequ’ilavaitpeurquetu

souffres.Ilfautdirequemêmemoij’étaisaucourantdelafaçondontJasontraitaitlesfilles.J’opineduchef.Moiaussi,jesavaiscommentilsecomportaitaveclesfilles.Etj’auraisdûécouter

lapetitevoixdansmatêtequimedisaitdenesurtoutrienfaireaveclui.Sijel’avaisécoutée,jeneseraispas assise là, dans ce bar, où je n’ai pas envie d’être, à noyermon chagrin dans un verre demartinipresquevide.

–Mais,auboutd’unmoment,ilachangéd’avis.Jerelèvebrusquementlatêteetlavoisacquiescerdoucement.–Ehoui.Jepeuxtedirequeçan’apasétéfaciledeluifairecomprendrequ’ildevaitarrêterdete

surprotégercommeça,etqu’ildevaitvraimentenvisagerJasoncommequelqu’unquipourraitêtrebienpourHaleyettoi.Etques’est-ilpasséensuite?Quandilafinipararrêtersonblabladegrandfrèreets’estmisàréfléchiràquipourraitvousconvenir,àelleettoi?Ehbien,ilalâchél’affaire.

–Jenecomprendspas…Ilestcommeunebêteencagedepuisdesjours,prêtàégorgerJason.Siçaneledérangeaitvraimentpasqu’onsoitensemble,pourquoiréagirait-ildecettefaçon?

–IlneveutpaségorgerJason,ilveutjustequ’ilsebougelecul.Écoute,onnesaitpascequis’estpassé,maisilyaeuuntruc,et,d’aprèscequeCadem’adit,cen’estpasunehistoireavecuneautrefille.

Jemegausse, n’y croyantpasun instant.Plusieurs semaines se sont écouléesdepuisnotre rupture.Jasonadûenprofiterplussouventqu’àsontourdepuislors.Cettepenséemetordleventre,etjesensl’alcoolquej’aiingérémenacerderemonter.Jefaisalorscequeferaittoutepersonnesenséedanscettesituation:jevidelerestedemonverreculsecetencommandeunautredèsquelaserveusepasseparlà.

–Tessa,jenesaispassituesaucourantdetoutcequis’estpasséentreCadeetmoi…Jesecouelatêteunpeutropfort.–Ça,non.Ilnem’ajamaisriendit.–Ehbien,ilsetrouvequej’étaisunpeuJasondanscescénario.Complètementàcôtédelaplaque.

J’aimaisCade,maisçanemesuffisaitpas.Ellefixesonverreavantdemedemanderposément:–Est-cequetuaimesJason?Si je l’aime ?Plus quema vie. J’aime sa présence discrète et rassurante le soir, quandHaley est

couchéeetquelamaisonestcalme.J’aimequandilrâleenbuvantduvinavecmoi,parcequec’estsoi-

disantuneboissondefille,maisqu’illefaitquandmêmeparcequejeleluidemande.J’aimequandilmelaissedormiretemmènemafilleacheterdesbeignets,puisqu’iljoueavecelledanslaneigependantdesheures.Quandilsedéguiseavecelle,joueàladînetteetrouspèteunpeuparcequ’elleveutessayersonnouveauvernisrosefuchsiasursesonglesdepied.J’aimelafaçondontilmefaitmesentirvivante,êtrebienplusqu’unemaman–toutsimplementmoi-même.

J’essuieleslarmesquimemontentauxyeuxavantdelesreleverversWinterpourluirépondre.–Parfois,l’amournesuffitpas.Ellerestemuettequelquesinstants,puissecouelatête.–Toutestlà,Tessa.Donne-luiunechance…Heureusement,àcemoment-là,laserveuseposedevantmoiunnouveauverredevin.J’enboisune

grandegorgée.Luidonnerunechancedequoi?Parceque,làoùjesuis,seuledansunbaràm’enivrerpourpouvoirl’oublier,jenevoispersonneàquidonnerlamoindrechance.

32

JASON

LesdernièresparolesdeCademehantentdepuisplusieurs jours.Elles tournentenboucledansmatête,écrasanttoutesmesautrespensées:TupréfèresavoirtoutaveceuxetrienavecTessaaulieudel’inverse?

Commentsefait-ilquejen’aiejamaisvuleschosessouscetanglejusqu’ici?Pendanttoutcetemps,j’étaisprêtàabandonnerquelquechosequimerendaitheureux,quelqu’unquimerendaitheureux,pourpassermavieàn’êtrequ’unpantinentrelesmainsdedeuxpersonnesquisefichenttotalementdemoi.Ilm’afallutropdetempspourlecomprendre,maisçayest.Jenesaispascequemeréservel’avenir,quelgenredeviej’aurai,maiscelam’estégal.Tantquej’auraiTessaetHaleyauprèsdemoi,celam’estégal,parcequecesontellesquicomptent.Ellesconstituentexactement legenredefamilledontmongrand-pèreme parlait…Celle qui compte plus que tout.Celle dont ilme disait qu’il ne faut surtout pas sedétourner.Ilneparlaitabsolumentpasdemesparents.Ilmedisaitquejepourraislatrouvertoutseul,siseulementj’ouvraislesyeux.

Jel’aitrouvée…Jelesaitrouvées…etj’aifaillileslaisserm’échapper.Jegaremavoituredansl’alléecirculaire,m’arrêtantdevantlevoiturierengagéparmesparents.La

fêteacommencédepuisunbonmoment;personneneviendrasegarerderrièremoi.Jegardedoncmesclésetdisauvoiturierquejerevienstoutdesuite.Leplanquej’aientêtenedevraitpasêtrebienlongàexécuter.

J’entredanslamaisonetmedélectedesregardsquemejettentlescollèguesetconnaissancesdemesparentsdevantma tenuepasvraiment réglementairepourune telleoccasion. J’auraisprobablementdûagiràunmomentplusopportunetéviterlejouroùilyatroiscentstémoins.Maisjen’aijamaisétédugenreàfairecequ’onattenddemoioucequiestleplusconvenable.

Jeme fraye un chemin dans la foule, y cherchantmes parents. Je finis par les trouver près de lacheminée,unverreàlamain,unsourirefauxsurleslèvres.Jamaiscettevie-làneseralamienne,Dieumerci.

C’est ma mère qui me remarque en premier. Elle semble soudain manquer d’air, et ses yeuxs’écarquillent.Elleagrippeensuitemonpèrepar lebras,et ilse tournepourmescruterde la têteauxpiedsd’unregardsévère.

–Jason,dit-ild’untonglacial.Nousavonsprévenutoutlemondequetunetesentaispastrèsbien.Cen’étaitpaslapeinedevenir.Toutlemondecomprend.

Les invitésrassemblésautourdemesparentsmelancentdesregards,clairementsurprisqu’ilssontparmatenue:unjeanetunsweatàcapuchequinesentpaslahautecouture.

–Jenesuispasmalade,papa,maisjecomprendsquecetteexcusepassaitmieuxquelavérité.–Jason,ditmamèred’untoninquiettoutenregardantsesamis.Peut-êtrepouvons-nousallerdiscuter

dansunendroitoùnousseronsplustranquilles?

–Jetrouveçatrèsbien,ici.Monpèresepencheversmoietmeparleàvoixbasse,maisjepariequetoutlemondeautourdenous

l’entendquandmême.– Réfléchis une minute à ce que tu fais, je te prie. Ce n’est pas une façon de se conduire pour

quelqu’unayanttonstatut.–Heureusementquejenetravaillepasàlaboîte,alors.–Tu joues sur lesmots.Le2 janvier, tu seras làpourme seconder,puisprendre les rênes, cequi

n’excuseaucuncomportementdéplacédetapartavantcettedate.–Non,jecroisquetun’aspascompris.Jeneferairiendansl’entreprise.Jenesuispluspartant.Jemerapprocheunpeuplusdemesparentsetcracheenfinlemorceau:–Jen’enaijamaiseuenvie,etsil’unoul’autre,vousm’aviezécouténeserait-cequedeuxsecondes,

vous le sauriezdepuis longtemps.Vous avez ruiné tout cequegrand-père avait fait debiendans cetteboîte.Vousavezréduittoutcelaenmiettes,etjeneveuxpasêtreimpliquélà-dedans.Trouvezquelqu’und’autrepourprendrelarelève,parcequeceneserapasmoi.

Monpèreestmaintenantécarlate;sesyeuxsontfurieux.S’iln’yavaitpastoutcemondeautourdenous,ilauraitdéjàexplosé.Ilparled’unevoixsourdeetcontrôlée,maistoutsoncorpsditexactementlecontraire.

–Tunesaispascequetufais,Jason.Réfléchisbienàcequetuessurlepointdeperdre.Sonregardm’indiquequ’ilpenseàbienplusqu’autravail.Ilparledetout,ycompriseux.Pourunefois,jem’enmoque.Pourunefois,jenelaissepaslesensdesobligationsoulesparolesde

mongrand-pèrem’empêcherd’agircommej’aienviedelefairedepuisdesannées.Parcequejesaiscequim’attendendehorsdecesmurs.Parcequej’aienfincomprisquemavraiefamillen’estpasliéeàmoiparlesang,maispartoutautrechose.

–J’yaidéjàréfléchi.Etc’esttoutvu.Sitôtpartidechezmesparents,jemerendsauseulendroitquiatoujoursétédavantagechezmoique

lamaisonoùj’aigrandi.JenemesouciemêmepasdelafureurquejerisquedeprovoquerchezCade.IlfautquejevoieTessa,quejeluiexpliquecequis’estpassé,quejeluidiseavoircommisuneterribleerreur,combienj’aiétébête.Enespérantqu’ellepuissemepardonner.

Etqu’elleacceptedemereprendre.LavoituredeTessan’estpasgaréedans l’allée.Àsaplacese trouveunevieilleAccordavecune

plaquedel’Illinois.EspérantqueTessaaprêtésavoitureàCadeetqu’elleseraàlamaison,j’avancejusqu’àlaporteetfrappedoucementpournepasrisquerd’éveillerHaley,quidoitdormiràcetteheure.Maiscen’estpasTessaquiouvre ;c’estsonfrère.Il reste là, lesbrascroisés,etmeregardeavecunsourcilrelevé.

–Ehbien,tuenasmisdutempspourtebougerlecul.–Oui,jesais.Jesuistoujoursunpeulentaudémarrage.Ils’écartepourmelaisserentrer.Aprèsm’êtredébarrassédemonmanteauetdemeschaussures,je

luiemboîtelepasenguettantunsignedelaprésencedeTessa.Envain.Cadem’emmènedanslacuisine,oùAdamestperchésuruntabouret.

–Salut,mec,luidis-je.Ilhausselementonversmoi.

–Alors,çayest,tuasfiniparpiger?–Oui,oui.OK,j’aiétécon.Ilm’afalluunmoment,maisçayest,jesuislà.OùestTess?–Tuasunpeutardé.Ellen’estpaslà,m’annonceCade.–Oùest-elle?–Jecroisqu’elleestressortieavecsondentiste,ditCade,l’airderien,commesicettenouvellene

risquaitpasdefoutretoutemavieenl’air.Adams’étouffeavecsabièreetsecouelatêteenregardantCade,tandisquejemelaissetombersurle

tabouretvoisindeceluid’Adam.–Merde.Merde!Jetapedupoingsurlecomptoir.–Elleadéjàrecommencélesrencards?L’idéedecegrosnazeposantlesmainssurTessamerendfou,etjedoismeretenirdenepaspartirà

sarecherchesur-le-champpourécumertouslesendroitsoùellepourraitêtre.Maisnon.C’estsonchoix.Elleacruquejenevoulaispasd’elle,quejelaprenaisseulementpourunplanculcommeunautre,et

jel’ailaisséelecroire.Jeméritecequim’arrive.–Faispaslecon,Cade,marmonneAdam.Cadeestappuyécontre lecomptoirenfacedenous, lesbrascroisés,etmeregardeenplissant les

yeux.–Jeferaileconjusqu’àcequ’ilmedisepourquoiilestvenuici,dit-ilàAdamtoutenmeregardant

fixement.Jesecouelatêteetinspireàfond.Qu’ellesoitsortieounonavecquelqu’un,celanechangerienàcequejesuisvenufaireici.Àceque

jevaisfairesiellem’enlaissel’occasion.–Jesaiscequetucrois,dis-je,etjesuisheureuxquetusoislàpourveillersurTessa.Maisvoilà:

quetusoismonmeilleurpoteoupas,tun’aspasàsavoirçaavantelle.Ilrestesilencieuxquelquesinstantsenm’observantavantdedire:–Tuvasencoreluibriserlecœur?–J’espèrebienquenon.Ilfaudraitdéjàquejeleregagne,d’abord.–Àconditionqu’elleveuillebiendetoi.Ilvafalloirtefairepardonner.Ilavanceversleréfrigérateuretensortdeuxbièresavantdem’entendreune.–Tupourrascommencerdèscesoir.Tessa,PaigeetWinterdevraientbientôtrentrer.Ilmefautquelquesinstantsavantd’intégrercequ’impliquentcesmots;jesensalorsunénormepoids

sesouleverdemapoitrine.–Quelsalaudtupeuxfaire!–Ouais,ettoi,tuasfaitsouffrirmapetitesœur.Jepensequ’onestencoreloind’êtreàégalité.–Cen’estpasfaux.–Bon,alors,puisquetuesvenuicipourelle,jesupposequetuasréglélemerdieravectesparents?–Situveuxdireparlàquejen’aiplusdemerdierencommunaveceux,alors,oui.Lessourcilsd’Adamselèventsursonfront.–Tut’esbarré?–Ouaip.Jeleuraiditquejenevoulaispasfairepartiedelaboîte.Etj’aifaitçadevantàpeuprès

touslesgensquicomptentpoureux.Ilsfaisaientleurpetitefêtedefind’année,cesoir.Jenevoispascomment ilspourraient fairepasser lapiluleà leursassociés.Et ilsm’ontbien fait comprendrequ’enagissantcommeça,jelesperdraispourdebon.J’imaginequ’ilyauraunavisd’expulsiondeplacardésurmaportedanslesprochainsjours.

–Merde,maisqu’est-cequetuvasfaire,maintenant?demandeAdam.–J’aiquelquesidées.Ilyaunepossibilitédanslaboîtededesignoùj’aibossépendantl’été.Mon

mentorm’atoujoursditdel’appelersijecherchaisunboulot…J’espèrequeceneserapasdupipeau.Sijamaisilm’embauche,jeneferaipasgrand-choseaudépart,maisceseratoujoursmieuxquerien.Etceseramonprojet.Enplus,maintenantquej’aimondiplôme–grâceàl’«ultimatum»demesparents–,jevaisavoiraccèsaufondsdeplacementquemongrand-pèrem’alégué.Iln’estpasénorme,maisceserasuffisantpourrecréerlafondationquemonpèreadissoute.

Cettesimpleidéemeprocureunesatisfactionsansbornes.–Putain,ilsvontpéteruncâblequandilsserendrontcomptequ’ilsnepeuventplustecontrôler.Et

quetun’asplusbesoind’eux,ditAdamavecungrandsourire.Jeluirendssonsourire.–Ehoui.C’estgénial,non?Auboutd’uneheure,nousentendonsenfinunevoituresegarer.Quelquesminutesplustard,ilyadu

bruitducôtédelaported’entrée,puisdesrireshautperchés,dontunquejereconnaistoutdesuite.Laclécliquettedanslaserrure,sanssuccès.Finalement,Cadeselèveetvaouvrirlaporte.Là,iltombesurWinteretPaigeessayantdesouteniruneTessahilare.Paigealesjouesécarlates,lesyeuxunpeuvitreux,et je ne vois pas comment elle peut être d’un quelconque secours pour soutenir Tessa, car elle estclairementplusdéchiréequejustepompette.

TessaalesbrasautourducoudePaigeetdeWinter,lesjouesrougesetlescheveuxenbataille.Elleportelejeanquejepréfère:celuiquialataillesibassequ’onvoitlespetitscreuxdesesreins,cequimedonneenviedetuertouslesmecsquiontpulamatercesoir.

–C’estquoi,cebordel?faitCadeenrefermantlaporte.Ilregardelestroisfilles,tandisqueWinters’efforcedefaireavancertoutlemonde.Elleroulelesyeux.–Essaiedoncdelesengueuler,cesdeux-là,quandellesneveulentpasbouger.J’aieudelachancede

réussiràlesfairesortiravantqu’ellesnesemettentàfairedesbodyshots.–Hé!Jenesuispascommeça,protestePaigeentitubant,lebrasdeTessatoujoursaccrochéàson

cou.J’aiditunverredeplus,c’esttout!–Oui,enfin,ça,c’étaitilyaquatreheures,préciseWinterensedérobantsouslebrasdeTessapour

pouvoirenleversonmanteau.Ilfaudraitpeut-êtrelamettreaulit,celle-là,dit-elleavecunsignedetêteversTessa.Ellevaavoirmalauxcheveux,demainmatin.

–Àvosordres,répondPaigeavecunesortederévérence.Enfin,sil’onpeutdire.–Jel’emmèneaulit,ajoute-t-elle.Elleenroulesonbrassousl’épauledeTessaetcommenceàl’entraînerendirectiondelacuisine–

c’est-à-direà l’opposéde lachambre–quandjemedécideenfinàmemontrer.Tessaa lespaupièreslourdes;ondiraitqu’elleestsur lepointdes’évanouir,etcen’estcertainementpasPaigequiseraenmesuredelareleverquandelletombera.

–Laisse,jem’occuped’elle.

PaigepousseunglapissementenmevoyantsouleverTessadeterrepourlaprendredansmesbrasetm’enaller.

–Hé!Ellemerattrapeetpointeundoigtaccusateurversmonnez.–Qu’est-cequetufaisici,toi?Onaditpasdebitecesoir!C’estlarègle.–Oui,ehbien,désolé.Jenepeuxpasl’enlever.Ellesoupireetcroiselesbrasenmedévisageant.–J’espèrequ’elletedégueuleradessus,tiens.–Elleaussidoitsûrementl’espérer.Jeluidiraidet’appelerdemainpourteteniraucourant,dis-je

par-dessusmonépauleenlacontournant.Adam,tuveuxbienraccompagnerPaige?Paigecommenceàs’énerver,seprétendant toutà faitcapablederentrerchezelle touteseule,et je

m’éloignedanslecouloirpourrejoindrelachambredeTessa.Elleesttotalementdanslegaz.Satêteestappuyée contrema poitrine, elle a les yeux fermés et la bouche ouverte. Quel dommage ! Elle ne sesouviendrasûrementpasdecemomentdemainmatin…

Je la pose délicatement sur son lit, puis j’entreprends de la débarrasser de sa veste et de seschaussures.J’aibeausavoirqu’elleneserapastrèsàl’aise,jeluilaissesonjeanetsonhautavantdetirerlacouettesurelle.Ellebouge,sespaupièress’entrouvrentetelleclignedesyeuxenmeregardant,puispousseunsoupir.

–Jesavaisquetuviendrais.Depuistoujours…,touteslesnuitsdansmesrêves.Ellemarmonne,mais jecomprendstoutdemêmecequ’elledit,etchacundesesmotsm’envoieun

coupdepoingdansleventre.–Tuestoutletempslà…J’voudraist’oublierunpeu…D’unemain, j’écarteunemèchedecheveuxdesonvisagealorsquesespaupières se referment. Je

voudrais lui diremille choses,mille excuses,mais elleméritemieux que deme voir simplementmepointerpourluidemanderpardon.Elleméritetoutcequ’ellepensaitquejeneluidonneraisjamais.

Elleméritelehappyenddontellerêvedepuisquejelaconnais.Jevaisluichercherunverred’eauetuncomprimé,quejeposesursatabledenuit.Jeprendsensuite

unstyloetunblocdepost-itquejetrouvesurlapiledemagazinesprèsdesonlit.J’yécrisdeuxmotsetle colle sur sa table de nuit, espérant qu’elle me fera suffisamment confiance une dernière fois pourm’accordercela,mêmesijeneleméritepas.

33

TESSA

Pendant ces sept dernières heures, j’ai laissé tomber mon peigne quatre fois, j’ai dû refaire mapréparationdecouleuràdeuxreprises,parcequej’avaissous-estimélaquantitédeproduitnécessaire,etj’aiappeléunefidèleclienteparlemauvaisnom.Jen’aipaslatêteàcequejefais.Pourtoutdire,celafaitmêmeunmomentqueçadure.Deuxsemaines,pourêtreprécise.

Deuxsemaines,c’estletempsquis’estécoulédepuislejouroùjemesuiséveilléeavecunegueuledeboismagistrale,portantencoremeshabitsdelaveilleetpuantl’alcool.

C’est le tempsqui s’est écoulédepuisque j’aidécouvert leverred’eauavecuncomprimésurmatabledenuit,déposéslàpourmoi.Depuisquej’aivulepost-itrosevif,oùJasonavaitécritdeuxmots.

Attends-moi.Qu’est-cequ’ilabienpuvouloirdireparlà?Quejel’attendepourquoi?Attendrequ’ilvienne?

Qu’ilgrandisse?Qu’ilcessedegardermoncœurprisonnier?Parcequ’eneffet,ill’est.Moncœurestcomplètement verrouillé sous son emprise. Vulnérable. Situation que j’adore et déteste à la fois ; jevoudraisarrêteretquecelacontinueenmêmetemps.

Selon les dires dePaige, c’est Jason quim’a emmenée dansma chambre ce soir-là – d’après sessouvenirs,quoiqu’ellenefûtguèreenmeilleurétatquemoi.EtCaden’apasvoulumedirecequeJasonfaisaitcheznousàcemoment-là.Toutcequej’aicommeosàronger,c’estcepetitpost-itquejeportecommeunpoidsdansmapochedepuislejouroùill’aécrit.

Unefoislesalonfermé,jesorsaveclesautresfillesendirectiondenosvoitures.Jelaisselamiennechaufferquelquesminutes,puisdémarreverslamaisonenappelantPaigeenchemin:ellegardaitHaleycesoir.

–Salut,beauté,répond-elle.Çaaété,leboulot?–C’étaitlong.Commentças’estpassé,aveclaterreur?Paigeritdoucement.–Oh ! très bien, commed’habitude.Mais elle vient de s’endormir commeunemasse. Sûrement à

cause de tous les trucs sucrés que je lui ai donnés à bouffer. Elle n’a qu’à rester dormir ici et je tel’amèneraidemainmatin.

–Non,net’embêtepas.Jevaisvenirlachercher.– Pourquoi ? Tu devras l’emmitoufler pour la sortir, et elle sera grognon parce que tu l’auras

réveillée.Franchement,cen’estpasunproblème.Enplus,elleestsuperbieninstalléedanssonsacdecouchagedeprincesse.

–Tuessûre?–Absolument.Profitedoncdetasoirée.Vat’amuser.Jepousseunpetitrireetsecouelatêtetoutenm’engageantdansl’alléedelamaison.–Oh!tumeconnais.JevaisfairelafêtesurmoncanapéenregardantdesredifsdeHowIMetYour

Motherjusqu’àcequejem’endormeavantonzeheures.

–Jenecroispas,non.Appelle-moidemain.Elle raccroche sansme laisser le temps de comprendre cette remarque énigmatique. Je hausse les

épaules et rangemon portable dansma poche. J’entre rapidement par la porte de derrière, allume etdénouemonécharpeavantd’enlevermonmanteau.Unefoismesbottesretirées,jeneprendsmêmepaslapeinedemechangeretmedirigedirectementdanslacuisine.Jesaisisunverredansleplacardetouvreleréfrigérateurpouryprendreduvin.Jemepenchepourattraperlabouteille,ayantlafermeintentiondem’en servirunebonne rasadepourprofiterdema liberté,quandquelquechoseaccroche soudainmonregard.Là,collésurleborddelabouteille,setrouveunpost-itrosesemblableàceluilaisséparJasonilyaquinzejours.Semblableàceluisouslequelilavaitglissésacléauparavant.

D’unemaintremblante,jeledécolle.Mesyeuxparcourentlesmotsplusieursfoisavantquejefinisseparensaisirlesens.

J’arrêterailabièreetmemettraiauvintouslessoirssituleveux.Jerefermeleréfrigérateurenfronçantlessourcils.Quanda-t-ilbienpulaissercemot?J’essaiede

repenserauxdernierssoirsaveclui,medemandants’ill’auraitlaissélàsansquejelevoiedepuis,maisje n’ai pas bu de vin depuis leweek-end dernier. Jeme tourne vers le comptoir, perplexe, quand unnouveaucarréroseattiremonattention.Ilyaunautremotsurlacafetière.

J’iraichercherdesdonuts lematinpourqueHaleyet toipuissiezcontinuervotrepetitritueldusameditranquillement.

Jemeretournevivement,scrutantmaintenanttouteslessurfacesenvueautourdemoi.Ilyaunautrecarrérosesurlatélé.Jecoursledécrocher.

Jeregarderai10ThingsIHateaboutYoupourlacentièmefois,justeparcequetuadoresçaetquej’adoreteregarderleregarder.

Quandj’arrivedansmachambreaprèsavoirpasséenrevuetoutlerestedelamaison,j’enaitrouvéunedizainedeplus.Ilyenadesdrôles–JelaisseraiHaleymevernir lesonglesdepiedquandelleveut (à conditionqu’elle ne le dise pas àCade)– et des gentils –Je t’emmènerai danser quand tuvoudras;iltesuffiradeledire.Moncœurbatlachamade.Jelesensprêtàexploserdansmapoitrine,et lespapillonsquis’étaientendormisdepuisplusieurssemainesseréveillentenfinetrecommencentàs’agiter.

Underniermot–leseulquisetrouvedansmachambre–estposésurmatabledenuit,àl’endroitmêmeoù ilavait laissé l’autre ilyadeuxsemaines.Celuioù ilm’avaitdemandéde l’attendre. Jemepenchepourlelire.

Désoléd’avoirmistoutcetemps.Justesouscesmotsestinscriteuneadressequejeneconnaispas.Enretirantlepost-itdematablede

nuit,unéclatmétalliqueattiremonregard.Jeramassel’objetenmepinçantleslèvres.Cetteclén’estpasdelamêmeformequelaprécédentequeJasonm’avaitdonnée.Malgrétout,monventresenouelorsquelessouvenirsdelafoisoùj’aiutilisécetteclém’assaillent.

Lesmainstremblantes,jem’assoissurmonlitetsorsmontéléphonedemapochepourappelerPaige.–Pourquoitum’appelles,bonDieu?–Ehbien,merci,quelaccueil!dis-jed’unevoixperchéetroisoctavesplushautqued’habitude.–Qu’est-cequetuas?Non,laissetomber.Jesais.Alors:pourquoin’es-tupasdéjàenroutepour

allerlàoùtudevraisêtre?

–Maisqu’est-cequec’estquecettehistoire?dis-je,abasourdie.Commentsais-tuquejedevraisêtrequelquepart?

–Bon,Haleyestchezmoi,cesoir,pasvrai?Jeplisselesyeuxtandisqueledoutes’immisce.–Paige…– Non, non, non, pas de ça. Arrête de réfléchir. Ne repense pas à tout ce qui s’est passé avant.

Regardeplutôtcequisepassemaintenant.Maintenant.Neréfléchispas,Tess.Neprévoisrien.N’essaiepasd’êtreraisonnable.Agis,c’esttout.

Laligneestcoupéeavantmêmequejepuissecommencerunmotderéponse,maistousceuxdePaigerésonnent dansma tête.Et, pourune fois, je nememetspas à cogiter. Jeneme souciepasde cequim’attendoudesconséquencespossibles.

J’attrapemesclés,jesautedansmavoitureetdémarre.Jegaremavoituredevantunemodestemaisondeplain-pieddansunquartieragréable,nonloinde

chezmoi. Ilestdifficiledebienvoirparcequ’il faitdéjànuit,mais la lumièreduporcheestallumée,éclairantlenumérodelamaison,quicorrespondàceluiinscritsurlemotdeJason.Jenesaispasdutoutàquipeutbienêtrecettemaisonetquijevaisytrouver.S’ilnes’agitqued’unautremorceaudupuzzleconçuparJasonoudeladestinationfinale.Unpeutremblante,jecoupelecontact,sorsdemavoitureetavancedans l’allée.Une foisarrivée sous la lumièreduporche, jevoisunautrecarré rosecolléà laporte,justeendessousd’unepetitefenêtreronde.

Utilisetaclé.Jesorslaclédemapoche,l’insèredanslaserrureettournelapoignée.Quandjepousselaporte,je

ne tombe pas du tout sur ce que j’imaginais. La maison est presque vide, quasiment dénuée de toutmeuble,avecjustequelqueslumières.Jerefermelaportederrièremoietremarqueunependeriedevantmoi,surlaportedelaquelleestcolléunautrepost-it.

Ouvre-moi.Je reste immobilequelques instants, puism’exécute.À l’intérieur, la penderie est vide, exceptéun

petitmanteauroseetunpantalondeneigeassorti,avecdesbottesrangéesendessous.Unautremotestcollésurlecintre:Encasdeneige,siHaleyn’apastoutessesaffairesavecelle.

Malgrémanervositéetmaméfiance,jenepeuxempêcherunsouriredes’agrandirsurmeslèvres.Jereculeetmedirigedanslesalon.Ilnes’ytrouveriend’autrequ’unlampadairebranchésuruneprise.Surlemur,justederrière,jevoisunnouveaupapierrose.J’avanceverslui,l’estomaccomplètementserré.

Quepréfères-tupourlesmurs:bleu,jauneougris?Jebalaie lamaisondu regard, tandisque lespiècesdupuzzledeJasoncommencentà s’assembler

dansmatête.Jemeretourneensuitepoursuivrelalumièreenprovenancedelacuisine.Rienn’encombrelecomptoir,mêmes’ilyatoutl’électroménagernécessaire.Monœilsaisitviteunepetitetacherosesurlevieuxréfrigérateurbeige.

Là,tusaiscequ’ilfautfaire.Supposantqu’ils’agitdumêmecasdefigurequ’aveclapenderie,j’ouvrelaporteduréfrigérateur.Il

necontientquedeuxchoses:unebouteilledemonvinpréféréetunpackdelabièrepréféréedeJason.Jenesaispascequetoutcelasignifie,maiscequejesais,c’estquejesensl’excitationmonteren

moi,crépitersousmapeaucommedeminusculespétards,etquej’aienvied’ensavoirplus.Jerefermeleréfrigérateur, sors de la cuisine et regarde dans un long couloir qui doit desservir les chambres. Lecouloirestplongédanslapénombre,éclairéseulementparunraidelumièrefiltrantsouslaported’une

pièce.Àpetitspashésitants,j’avanceverscettelumièreetpousselaporte.Lapièceestvide,elleaussi,oupresque;auplafond,uneampoulenueéclairecequiressembleàune

grangeminiatureetuneécuriepourdeschevauxdebois.Jem’approcheetm’accroupispourmieuxvoir.Ilyatroisponeysdansl’écurie,etunepoupéequiressembleincroyablementàHaleysetientdeboutàcôtéd’eux.

Mon regard est attiré par un point rose sur le toit de la grange : encore un petit mot. Les doigtstremblants, je ledécrochedubâtimentminiatureet le lis :Monbailde location risquedenepasmepermettred’avoirunvraiponeyShetlanddanslejardin.TucroisqueHaleyalesensdel’humour?

Leslarmesmemontentauxyeux,etunrirenerveuxm’échappe.–Jesaisqueçamanquededécoration,maisjemesuisditqu’ellepréféreraitsûrementchoisirelle-

même.Je sursauteenentendant lavoixdeJasonetme relèvebrusquementenme retournantpour lui faire

face. Ses cheveux partent dans tous les sens, comme s’il avait tiré dessus pendant des heures sous lestress,etsesyeuxbrillentbizarrement.Jenepensaispasquecelameferaitunteleffetdelerevoiraprèstoutcetemps.Moncœurs’emballe,mabouchedevientsèche,etj’aienvied’allerverslui.Deluitomberdans lesbras,desentir sonsoufflesurmes lèvres, sesmainsautourdema taille, surmonvisage.J’aienviedefranchircetteporteetd’êtreaveclui,seulement,cen’estpassisimple.Mêmesic’estadorableetpleinderomantisme,cenesontpasquelquespost-itquivonttouteffacer.Toutcelaestcharmant,maisjenesaistoujourspascequeçasignifie.Pasvraiment.

Etj’aibesoinqu’ilmeledise.–Jesuiscontentquetuaiestrouvémespetitsmots.Jebrandisdevantluitousceuxquej’airécoltés,ycomprisceuxquiétaientchezmoi.–Qu’est-cequeçaveutdire?Ilavanceversmoid’unpashésitantets’arrêtesiprèsquejesenssonsoufflesurmonvisage.–Çaveutdirequejesuisidiotd’avoircruquejepourraismepasserdetoietHaley.–Maiscequetuasdit…Cequetuasditàtamère…–C’étaitpourqu’ellemelâche.Pourvouspréserverdeleurinfluence,Haleyettoi.Jesecouelatête.–Jenecomprendspas.–LesoirdeThanksgiving,quandonétaitchezmesparents,Charlesainsinuéqu’ilétaittempsqueje

mecasepourrassurerlesassociés.Lesoiroùmamèreestvenuechezmoi,quandtuespassée,ellem’aconfirméqu’ilsvoulaientquejefasseçaavectoi.IlsvoulaientseservirdetoietHaleypourmedonnermeilleurgenre,pouraméliorerl’imagedelaboîte.

Ildéglutit,sonregardsedurcitetsamâchoireseserre.–Ilétaithorsdequestionquejeleslaisseseservirdevouspourquoiquecesoit.–Etalors?Qu’as-tufait?– Je lui aimenti.Etpuis,quand tuasentenduça, jen’aipasvoulu rétablir lavérité,parceque je

savaisqu’ilstrouveraienttoujourslemoyendecontrôlerquelquechose,deseservirdetoioudeHaleyàleuravantage,etjenepouvaispasleslaisserfaireça.

J’aimeraislecroiresurparole,maisjenecomprendstoujourspascequiamaintenantchangé.–Etalors,c’estdifférent,depuis?–Oui.Jesuisparti,dit-ilavecunhaussementd’épaules,commesicesquelquesmotsn’avaientpas

complètementchangélecoursdesavie.–Quoi?–Parti.C’estfini.Avecunehésitationtouchante,ilchercheàprendremamain.Jelelaissefaire,ayantsûrementautant

besoinqueluidececontactphysique.–Lesoiroùjet’ailaissélemot,j’étaisalléchezeux.Devanttroiscentsdeleursamisetcollègues,je

leuraiditquejedémissionnais.Inutiledetedirequejenesuispluslebienvenulà-bas.–Jason…Jeposemamain libresursapoitrineencherchantdanssonregard toute tracederegretconcernant

cettedécision.Maisnon.Sonregardestclair.–Qu’est-cequetuvasfaire,maintenant?–J’aitrouvéunboulot.J’aiunbrusquemouvementdetêteetledévisageavecdesyeuxronds.–C’estvrai?–Oui,danslaboîteoùjebossaispendantl’été.Cen’estpasleGraal,mais,commec’estassezpour

payerleloyerici,j’estimequec’estgagné.–Mais…ettonappartement?Et…–Fini.Toutça,c’est fini.Toutcequ’ilsontpumedonner.Maintenant, j’aicettepetitemaisonqui

n’estpasmeublée,etmapetitepaye,etlecomptedemongrand-pèrequejesouhaiteutiliserpourrecréerlaFondationEliseMontgomery. Je vais devoir travailler dur pendant unmoment, pour essayer demefaireunnomparmoi-mêmedanslaboîteetsurtoutpourfairerepartirlafondation,maisçanemeposeaucunproblème.Jemesensprêtpourtoutçasituesauprèsdemoi.Jereparsàzéro,etjeteveuxàmescôtéspourfairetoutça.Jen’auraisjamaiscruquejedésireraistoutça,Tess.Jen’auraisjamaiscruquejeseraislegenredemecàregarderdesfilmsdefille,àboireduvinetàjoueràladînette,maisenfait,si.Maisseulementpourtoi.Seulementpourtoi.

Illèveunemainpourmecaresserlevisage,effleurantdesonpoucemalèvreinférieure.–Dis-moioui.Jet’enprie,dis-moioui.Savoixm’implore,commesitoutcequ’ilavaitdépendaitdemaréponse.Commesitoutesavieallait

s’écroulersijedisaisnon.JerepenseàcesquelquessemainesdebonheuravecJason.Ilmefaisaitrire,vivre,aimer.Celamerappellequetoutn’apasnécessairementbesoind’êtresisérieux,qu’onpeuttrèsbienprendreleschosescommeellesviennent,aujourlejour.Quel’onaledroitdetomberamoureusedequelqu’unquin’entrepaspiledanslemoule,dumomentquecettepersonnevousrendeheureuse.

Etjedislaseulechosequejepuissedire:–Oui.

Épilogue

JASON

–Ilfautrangerleschevaux,p’titbout.C’estl’heured’alleraulit.Perchéesursontabouretdevantlagrangeetl’écuriequejeluiaiachetéesl’andernierpourNoël–

cadeauqu’elleareçuavectroissemainesderetard–,Haleylèvelesyeuxversmoietfaitsapetitemoueboudeuse.

–Encorecinqminutes?–Tuasdemandélamêmechoseilyaunquartd’heure.–Oooh,allez,Jay!semet-elleàgeindre.–Non,non,non,cettefois,çanemarchepas.Vadonctemettredanstonbeaulit.–Oui,ilestdrôlementbeau,hein?Ellemesouritetdescenddesonperchoirpoursauterdanssonlit.Unlitcouvertd’oreillersàpoilset

àplumesainsiquedepleind’autrestrucsquejetrouveridiculesetdontjenecomprendsmêmepasleprincipe,maisqu’elle a eu à cœurde sélectionnerpour sanouvelle chambre.Tout cequ’ellevoulait,danslamesureduraisonnable…J’aiunbudgetàtenir,maintenant.C’étaitmadevise.Etçal’esttoujours.

–Tuveuxbienmelirecelui-là?dit-elleenattrapantunlivresursatabledechevet.Maisenprenantunevoixdepirate!

Jem’installe près d’elle etm’adosse contre les dizaines de coussins disposés derrière nous avantd’exaucersondésir.Àlamoitiédel’histoire,Tessapasselatêteparl’entrebâillementdelaporte,souritencroisantmonregardetfaitunsigneendirectiondelasalledebainavantdeseretirer.Cequimefaitsourireàmontour,carjesaisexactementoùelleva…etj’aimebeaucoupnotrepetiteroutinedusoir.

Voilàbientôtunanquej’aiemménagéici,depuisquej’aisuppliéTessademedonnerunenouvellechance.Etmaintenant queCade etWinter sont revenus vivre dans lamaisonqu’il partageait autrefoisavecTessa,ellepassepresquetoutessessoiréesiciavecHaleyetmoi.

Cequimeconvienttrèsbien.Quandjeterminedelirel’histoire,Haleyestendormiecontremoi.Jem’écartedélicatementd’elleet

la borde dans son lit avant de sortir de sa chambre pour filer directement dans la salle de bain,commençant à enlevermon pull en chemin. Je bande déjà àmoitié lorsque je pousse la porte et voisTessaallongéedans sonbain,unemousse épaisse couvrant lespartiesde soncorpsque j’ai enviedevoir.

–Coucou,fait-elleenmesouriant.Ellen’apasététropembêtante?–Pasassezpourrésisteraupouvoird’unpiratedéguiséenprince.Jedéboutonnemonjeanetl’enlèveprestement.–Commentsefait-ilqu’onneprennejamaisdedoucheensemble?Toutecettemousse,çan’estpas

bonpourmavirilité.Tessaaunpetitrireenregardantfixementmonsexe,alorsquemoncaleçonvientdetomberàterre.

Ellehausseunsourciletdit:–Oui,toncasal’airgrave,eneffet.Pasgênépourdeuxsous,jehausselesépaules,cequimevautunnouveausourire.Elleseredresseun

peudanslebainetmelaissemeglisserderrièreelle,mesoumettantàuneexquisetorture.J’adorequandelles’appuieainsicontremoi,sondoscontremapoitrine.Quandelleprendmesmainsetentrelacenosdoigts,qu’elleposesursesjambesnues.Quandellemeforceàécoutersesprofondssoupirslorsquejeluisavonneledos.Parcequejesaisqu’aprèsça, je lasécherai, je l’emmèneraidanslachambreet jepasseraitoutelanuitàembrasser,lécher,suçoterlemoindrerecoindesoncorpsoùdesbullesdemousseontpusecacher.

Elleappuiesatêtecontremonépaule,tandisquemeslèvreseffleurentlecreuxdelasienne.Toutestcalme,onn’entendqueledouxsondesbullesquiéclatent,puisellefinitparromprelesilence:

–C’étaitcomment,leboulot?–Bien.J’aiprésentémonidéepour lesitedeNelson,et ils l’ontadorée.Robertsm’ademandéde

chapeauterleprojet.–Super!Tuvois,tut’inquiétaispourrien.–Oui,mais,bon.C’étaitmonplusgrosprojetjusqu’ici.–Jesais,maisilsontbiencomprisquelgenredeboulottupouvaisfaire.Ilsauraientétébêtesdene

pastechoisirpourunplancommecelui-là.–Robertsm’aaussidonnésonaccordpourlancerunecollectedefondspourlafondation.Pournous

aideràregagnerdelavisibilité.Satêteestposéecontremonbras,etjesenssonvisagesourireàcettenouvelle.–Jesuisvraimentfièrequetufassesça,tusais.Tongrand-pèreseraitfierdetoi,luiaussi.Jen’endoutepasvraiment,parceque,pourunefois,jesuissatisfaitdelaviequejemènemaintenant.

Jesuisheureux.Etc’esttoutcequ’ildésiraitpourmoi.Lesilenceretombesurlapièce,tandisquemesmainsdescendentetremontentdoucementlelongde

sesbrasetquejecomptelesminutesavantquenoussortionsdubainpourallerfairetoutesceschosesagréablesdontj’airêvétoutelajournée.

Aulieudemedirequelebainestterminé,commejel’espérais,ellemedemande:–Est-cequeçat’arrived’imaginercequiseseraitpassésituétaisallétravaillerpourtesparents?Jem’immobilisederrièreelle.Meslèvress’arrêtentsursapeauetmesdoigtsse resserrentsur les

siens.–Non.Elleseretournepourmeregarder.–Jamais?Jeconfirmeensecouantlatête.–Jamais.C’estlavérité.Mêmes’ilaétédurdetrouveruntravaildansledomainequimeplaîtetdemefaire

excluredeleurvie,jenechangeraisriensic’étaitàrefaire.Parcequejesais,sansl’ombred’undoute,que,sij’étaisallétravaillerpourMontgomeryInternational,jen’auraispasHaleyetTessadansmavie;or,ellesvalenttouslessacrificesquej’auraispufaire.Ellesvalentplusquetout.

–Jen’aijamaisétéheureuxdanscettevie-là,Tess.

–Etmaintenant,tul’es?Avecnous?Mêmesanseux?Lemot«heureux»n’estmêmepasàlahauteurdecequej’éprouve.Unpeucommeuneseuleétoile

enregardd’unegalaxieentière.Maisjesaisqu’elleabesoindem’entendredirequejelesuis,quejenepensepasavoircommisuneerreurenfaisantcequej’aifait.Quejeneregrettepasdelesavoirchoisies,elleetHaley,plutôtquemesparents.Etilestclairquejeneleregrettepas.Pasuneseuleseconde.

Mes parents ont fait leur choix un jour, il y a longtemps, quand je leur ai clairement annoncémesintentions,cellesdenepasfairepartiedeleurentreprise,devivreenfinmaviepourmoi.

Ilsm’ontexcludeleurexistencesansunseulregardenarrière,et,aprèsavoirpassévingt-quatreansàm’accrocheràquelquechosequiétaitmauvaispourmoidèsledébut,j’aienfinapprisàlâcherprise.Jesuisencoreplusheureuxd’avoirfaitcepas.

Jemepenchepourposermeslèvressurlessiennesetjem’yattardepouressayerdeluifairepassertoutcequejeressenspourelle.Pouressayerdeluimontrersansparlercombienjel’aime,maisjesaisque,parfois,elleaaussibesoindemots.J’embrasselecoindesaboucheetremontedoucementjusqu’àsonoreille.

–Oui,jesuisheureux.Jeseraimêmeheureux,toutàl’heure,quandtumettrasunefoisdeplustonfilmpréféré.Etdemainsoir,quand tumeservirasunverredevin.Etsamediprochain,quand jedevraimeleveràl’aubepouralleracheterdesdonuts,parcequejesuisunidiotetquej’ailancéunritueldontjeneverraijamaislafin.L’amour,çafaitvraimentfairedestrucsdedingueauxmecs.

Jepressemeslèvrescontresonoreille,puism’écartepourlavoirmeregarder,ungrandsouriresurleslèvres.Unefoisdeplus,jesuisstupéfaitparcequejeressens.Parlefaitdenejamaisavoirprispeurenétantavecelle,denepasavoiressayédepartir,den’avoirjamaiseuenviedem’enfuir…

Elleest toutpourmoi.TessaetHaleysont toutpourmoi :mafamille, legenrede familleque j’aitoujours voulu. Le genre dont mon grand-père parlait toujours. Elles représentent le foyer que j’aidésespérémentcherchétoutemavie.

Maintenantquejel’aitrouvé,jenesuispasprèsdeleslaisserfiler.

DésirsintensesSADIEMATTHEWS

Unefilleriche,capricieuse,quiprofited’uneexistencetropfacile:c’estainsiquetoutlemondevoitFreyaHammond,l’héritièred’unepuissantefamilled’industriels.EtMiles,sonnouveaugardeducorps,n’obéitàsesordresqu’avecunméprisà

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Savoure-MoiRONILOREN

Aprèsunpassédouloureux,Kelseyaenfinunavenirdevantelle.Elleamêmeréussiàdénicherunboulotdeserveusepourpayersesétudesàl’écoledecuisine.C’estlàqu’ellerencontreWyatt,sonclientpréféré,unbelhommesurlequelelle

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