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Images en Ophtalmologie Vol. IX - n° 7 novembre-décembre 2015 246 Focus Mots-clés. Syndrome d’Urrets-Zavalia • Mydriase • Greffes endothéliales • DSAEK • DMEK. Keywords. Urrets-Zavalia syndrome • Mydriasis • Endothelial transplantation • DSAEK • DMEK. L’Urrets-Zavalia postgreffe endothéliale, mythe ou réalité ? Urrets-Zavalia syndrome after endothelial keratoplasty: myth or reality? P. Fournié (Service d’ophtalmologie, hôpital Purpan, CHU de Toulouse) A lberto Urrets-Zavalia a décrit le syndrome qui porte son nom en 1963 comme une mydriase irréversible dans les suites d’une greffe de cornée transfixiante pour kératocône (1). Signes cliniques En plus de la mydriase fixée survenant quelques jours à quelques semaines après l'intervention , l’atrophie irienne est fréquente. On peut également observer, de façon inconstante, un ectropion de l’iris, une dispersion pigmentaire, des synéchies antérieures ou postérieures ainsi que des opacités cristalliniennes sous-capsulaires antérieures. Un glaucome secondaire est assez rare. Ce syndrome a ensuite été décrit après : des greffes de cornée transfixiantes pour d’autres indi- cations que le kératocône ; des greffes de cornée lamellaires antérieures profondes ; une trabéculectomie, une iridoplastie et une iridotomie laser ; l'implantation phaque réfractive. Physiopathogénie Sa physiopathogénie reste inconnue. A. Urrets-Zavalia évoquait le rôle des mydriatiques postopératoires à l’origine de goniosynéchies et d’hypertonie oculaire. Le syndrome est cependant observé sans utilisation de mydriatiques, et inversement rares sont les patients sous mydriatiques qui développent cette complication. D’autres hypothèses suggèrent le rôle d’un bloc pupillaire, d’ano- malies iriennes ou du système nerveux sympathique, de traumatismes peropératoires ou d’une élévation de la pression intraoculaire. L’ischémie irienne qui en résulte expliquerait la mydriase fixée par atrophie ischémique du sphincter pupillaire (2). Le syndrome d’Urrets-Zavalia est rare, certains auteurs remettant même en question son existence. Syndrome d’Urrets-Zavalia et greffes endothéliales Les greffes endothéliales de cornée sont récentes mais s’imposent de plus en plus dans les indications de décompensation endothéliale œdémateuse. La DSAEK (Descemet Stripping Automated Endothelial Keratoplasty) apporte, en plus de la couche endothélio- descemétique, une lamelle stromale. La DMEK (Descemet Membrane Endothelial Keratoplasty) n’apporte, elle, que l’endothélio-Descemet. Nous avons décrit le premier cas de syndrome d’Urrets-Zavalia dans les greffes endothéliales en 2009 (3), chez un patient, âgé de 47 ans, opéré par DSAEK d’une dystrophie endothéliale de Fuchs à un stade décompensé. Le cas est “typique” de la survenue d’un syndrome d’Urrets-Zavalia. La procédure s’est déroulée sans incident avec insertion d’un greffon de 9 mm de diamètre positionné à l’aide d’une bulle d’air laissée complète pendant 10 minutes en peropératoire, puis réduite en fin d’intervention (figure 1). Le patient était phaque. Le lendemain de l’intervention, le greffon était en place avec une tension oculaire à 26 mmHg. Le patient a rapporté des douleurs oculaires ainsi que des céphalées postopératoires dans la nuit qui a suivi l’opération. De l’acétazolamide per os et un collyre de dexaméthasone lui ont été prescrits. La tension s’est rapidement normalisée, sans glaucome secondaire.

L’Urrets-Zavalia postgreffe endothéliale, mythe ou réalité

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Page 1: L’Urrets-Zavalia postgreffe endothéliale, mythe ou réalité

Images en Ophtalmologie • Vol. IX - n° 7 • novembre-décembre 2015246

Focus

✔ Mots-clés. Syndrome d’Urrets-Zavalia • Mydriase • Greffes endothéliales • DSAEK • DMEK.

✔ Keywords. Urrets-Zavalia syndrome • Mydriasis • Endothelial transplantation • DSAEK • DMEK.

L’Urrets-Zavalia postgreffe endothéliale, mythe ou réalité ?Urrets-Zavalia syndrome after endothelial keratoplasty: myth or reality?P. Fournié (Service d’ophtalmologie, hôpital Purpan, CHU de Toulouse)

A lberto Urrets-Zavalia a décrit le syndrome qui porte son nom en 1963 comme une mydriase irréversible dans les suites d’une greffe de cornée

transfixiante pour kératocône (1).

Signes cliniques

En plus de la mydriase fixée survenant quelques jours à quelques semaines après l'intervention , l’atrophie irienne est fréquente. On peut également observer, de façon inconstante, un ectropion de l’iris, une dispersion pigmentaire, des synéchies antérieures ou postérieures ainsi que des opacités cristalliniennes sous-capsulaires antérieures. Un glaucome secondaire est assez rare. Ce syndrome a ensuite été décrit après :

• des greffes de cornée transfixiantes pour d’autres indi-cations que le kératocône ;

• des greffes de cornée lamellaires antérieures profondes ;

• une trabéculectomie, une iridoplastie et une iridotomie laser ;

• l'implantation phaque réfractive.

Physiopathogénie

Sa physiopathogénie reste inconnue. A. Urrets-Zavalia évoquait le rôle des mydriatiques postopératoires à l’origine de goniosynéchies et d’hypertonie oculaire.

Le syndrome est cependant observé sans utilisation de mydriatiques, et inversement rares sont les patients sous mydriatiques qui développent cette complication. D’autres hypothèses suggèrent le rôle d’un bloc pupillaire, d’ano-malies iriennes ou du système nerveux sympathique, de traumatismes peropératoires ou d’une élévation de la pression intraoculaire. L’ischémie irienne qui en résulte expliquerait la mydriase fixée par atrophie ischémique du sphincter pupillaire (2). Le syndrome d’Urrets-Zavalia est rare, certains auteurs remettant même en question son existence.

Syndrome d’Urrets-Zavalia et greffes endothéliales

Les greffes endothéliales de cornée sont récentes mais s’imposent de plus en plus dans les indications de décompensation endothéliale œdémateuse. La DSAEK (Descemet Stripping Automated Endothelial Keratoplasty) apporte, en plus de la couche endothélio-descemétique, une lamelle stromale. La DMEK (Descemet Membrane Endothelial Keratoplasty) n’apporte, elle, que l’endothélio-Descemet. Nous avons décrit le premier cas de syndrome d’Urrets-Zavalia dans les greffes endothéliales en 2009 (3), chez un patient, âgé de 47 ans, opéré par DSAEK d’une dystrophie endothéliale de Fuchs à un stade décompensé. Le cas est “typique” de la survenue d’un syndrome d’Urrets-Zavalia. La procédure s’est déroulée sans incident avec insertion d’un greffon de 9 mm de diamètre positionné à l’aide d’une bulle d’air laissée complète pendant 10 minutes en peropératoire, puis réduite en fin d’intervention (figure 1). Le patient était phaque. Le lendemain de l’intervention, le greffon était en place avec une tension oculaire à 26 mmHg. Le patient a rapporté des douleurs oculaires ainsi que des céphalées postopératoires dans la nuit qui a suivi l’opération. De l’acétazolamide per os et un collyre de dexaméthasone lui ont été prescrits. La tension s’est rapidement normalisée, sans glaucome secondaire.

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Page 2: L’Urrets-Zavalia postgreffe endothéliale, mythe ou réalité

Figure 1. Image peropératoire en fi n d’intervention. Les limites de la bulle d’air sont marquées par les fl èches blanches. Le greff on endothélial est limité par les fl èches noires.

Figure 2. À 1 semaine, la pupille est dilatée avec des synéchies postérieures (flèche blanche). Des opacités cristalliniennes sous-capsulaires antérieures prenant l’aspect de “glaucomfl ecken” ou cataracta glaucomatosa sont visibles.

Figure 3. À 1 mois, la pupille reste dilatée avec disparition quasi complète des opacités cristalliniennes. Certaines opacités puncti-formes restent visibles.

Figure 4. À 1 an, la pupille est en mydriase fi xée avec des zones d’atrophie irienne. La cornée ainsi que le cristallin sont clairs.

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Une semaine après l’intervention, l’acuité visuelle (AV) était de 3/10 avec une tension normale à 15 mmHg et un greffon en place, mais une pupille dilatée, des synéchies postérieures ainsi que des opacités cristalliniennes antérieures (figure 2) . Un mois après l’intervention, l’AV était de 6/10 avec disparition presque complète des opacités cristalliniennes mais une pupille dilatée, fixée, un réflexe photomoteur direct et consensuel aboli, ainsi qu’un début d’atrophie irienne (figure 3) . La pupille ne réagissait pas à la pilocarpine en collyre. Un an après l’intervention, la pupille était identique avec atrophie irienne (figure 4) . Le patient se plaignait de photophobie dans certaines conditions de luminosité.

D’autres cas ont été rapportés dans la littérature après DSAEK (4, 5) , ainsi qu’un cas après DMEK (6) . Même rare, il n’est pas surprenant de rencontrer cette complication après une greffe endothéliale, comme après d’autres types de greffes de cornée. Un élément constant retrouvé dans ces cas d’Urrets-Zavalia après greffe endothéliale est l’hypertonie oculaire postopératoire. La taille de la bulle d’air laissée en fin d’intervention joue probablement un rôle. Un bloc pupillaire n’est pas un élément indis-pensable à sa survenue. Une iridotomie ou iridectomie ne prévient pas totalement le risque, qui semble plus important chez le patient phaque. Enfin, un mydriatique postopératoire systématique ne semble pas indiqué. Un mydriatique préopératoire en cas de chirurgie de cata-racte combinée n’est, en revanche, pas contre-indiqué. Si un syndrome d’Urrets-Zavalia survient, il ne compromet pas le résultat fonctionnel mais peut s’accompagner d’une photophobie surtout, d’une gêne esthétique parfois.

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Page 3: L’Urrets-Zavalia postgreffe endothéliale, mythe ou réalité

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Focus

Conclusion

Bien que rare et controversé, le syndrome d’Urrets-Zavalia est une entité à connaître. Sa physiopathogénie reste mal connue. Il a été rapporté après des greffes endothéliales. II

P. Fournié déclare ne pas avoir de liens d'intérêts.

Références bibliographiques1. Urrets-Zavalia A Jr. Fixed, dilated pupil, iris atrophy and secondary glaucoma. Am J Ophthalmol 1963;56:257-65.

2. Tuft SJ, Buckley RJ. Iris ischaemia following penetrating keratoplasty for keratoconus (Urrets-Zavalia syndrome). Cornea 1995;14(6):618-22.3. Fournié P, Ponchel C, Malecaze F, Arné JL. Fixed dilated pupil (Urrets-Zavalia syndrome) and anterior subcapsular cataract formation after Descemet stripping endothelial keratoplasty. Cornea 2009;28(10):1184-6.4. Russell HC, Srinivasan S. Urrets-Zavalia syndrome following Desce-met’s stripping endothelial keratoplasty triple procedure. Clin Experi-ment Ophthalmol 2011;39(1):85-7.5. Anwar DS, Chu CY, Prasher P, Bowman RW, Mootha VV. Features of Urrets-Zavalia syndrome after descemet stripping automated endothelial keratoplasty. Cornea 2012;31(11):1330-4.6. Holtmann C, Spaniol K, Geerling G. Urrets-Zavalia syndrome after Descemet membrane endothelial keratoplasty. Eur J Ophthalmol 2015;25(5):e75-7.

Grandir ensemble, c’est magique…

Continuons en 2016 !

Bonnes fêtes de fin d’année à tous Claudie Damour-Terrasson Directeur de la publication

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