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© Jacinthe Plamondon, 2019 L'évolution et la structuration des principes directeurs de la procédure civile du Québec, 1867-2016 Thèse Jacinthe Plamondon Doctorat en droit Docteure en droit (LL. D.) Québec, Canada

L'évolution et la structuration des principes directeurs

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Page 1: L'évolution et la structuration des principes directeurs

© Jacinthe Plamondon, 2019

L'évolution et la structuration des principes directeurs de la procédure civile du Québec, 1867-2016

Thèse

Jacinthe Plamondon

Doctorat en droit

Docteure en droit (LL. D.)

Québec, Canada

Page 2: L'évolution et la structuration des principes directeurs

L’évolution et la structuration des principes directeurs de la procédure civile du Québec, 1867-2016

Thèse

Jacinthe Plamondon

Sous la direction de :

Sylvio Normand, directeur de recherche

Sylvette Guillemard, codirectrice de recherche

Page 3: L'évolution et la structuration des principes directeurs

iii

Résumé

Cette thèse de doctorat étudie l’évolution de la procédure civile québécoise de 1867 à 2016 à travers

le développement de certains principes dits «directeurs». L’étude se centre autour de cinq «principes

directeurs» codifiés dans le nouveau Code de procédure civile de 2016 : les principes directeurs de

la contradiction (audi alteram partem), de la proportionnalité, de la maîtrise de leur dossier par les

parties, de la maîtrise de l’instance par le juge et de la conciliation. La thèse retrace le cheminement

des valeurs, concepts et manifestations qui témoignent de la présence, de l’absence, de

l’épanouissement progressif ou sporadique de ces principes sur un siècle et demi. La thèse

considère l’influence structurante de ces principes, notamment sur la pensée et la pratique

procédurales. Ces principes sont-ils déjà présents dans la procédure ou dans la pensée procédurale,

y ont-ils été importés et comment s’y harmonisent-ils? Des éléments, dans le Code de procédure

civile ou ailleurs, attestent-ils de leur apparition ou de leur intégration dans les différents moyens

procéduraux et dans le travail des avocats et juges qui utilisent la procédure civile? Leur présence et

leur définition à un moment de l’histoire procédurale sont-elles semblables à celles des époques

antérieures ou postérieures? S’ils y sont présents depuis un certain temps, ont-ils connu des

changements? La thèse cherche ainsi à attester de différentes réalités révélatrices de la construction

de la procédure civile québécoise : avancées, reculs, choix, changements d’orientation, etc. Par ce

biais, elle participe aussi à la réflexion sur l’application de la procédure civile québécoise dans un

contexte évolutif. Elle considère également le discours qui accompagne ces manifestations. Elle

cherche à mesurer l’impact de ces faits sur l’application de la procédure civile en matière judiciaire.

Implicitement, cette démarche utilise aussi les idées d’évolution, d’emprunt, de résistance et de

changement culturel. Cette étude s’effectue à l’aide de l’évaluation de changements de nature et de

perception subis par la fonction judiciaire exercée par les juges du Québec durant le siècle et demi

étudié. Elle met en lumière des modifications apportées aux pouvoirs et devoirs des juges et explore

le discours qui soutient et accompagne ces changements, en témoignant des orientations autant que

de la représentation de cette fonction judiciaire. La thèse propose d’appréhender les principes

directeurs, la procédure civile et la fonction judiciaire comme des éléments construits, dynamiques,

en mutation.

Page 4: L'évolution et la structuration des principes directeurs

iv

Summary

This thesis studies the evolution of Quebec’s civil procedure between 1867 and 2016 through the

development of certain principles now codified in the Code of Civil Procedure of 2016 and called

«guiding». It is centred on five «guiding principles», namely : adversarial principle (audi alteram

partem), proportionality, control of their case by the parties, control of the proceedings by the

judge, and conciliation. The analysis considers the emergence and growth of values, concepts and

other manifestations revealing the presence or absence of those principles, the progressive or

sporadic interest for them during this century and a half. It also takes into consideration the defining

influence those principles may have had on the philosophy and practice of the civil procedure. Were

those principles already present in Quebec’s civil procedure, or in its spirit? Were they imported

and how did they adapt to it? If they influenced some specific procedures, would parts of the Code

of civil procedure, related laws or elements be noticeably altered by their apparition or integration?

If they have been present for some time, did they evolve or change? Would there be modifications

in the presence and definition of those principles at different times? With those questions and

others, this thesis wishes to shed light on some aspects of the construction and structure of the civil

procedure : progress, drawbacks, choices, new and potentially contradictory orientations, etc. It also

aims to participate to a wider reflexion on the application of civil procedure in an evolving

environment. The discourse about civil procedure and those particular events is also taken into

consideration, as the thesis attempts to measure the impact of those facts on the use of the civil

procedure in a judicial context. Implicitly, the analysis draws from concepts like evolution,

borrowing, resistance and cultural change to underlay the presentation of information. The study is

made through the evaluation of changes in the nature and perception of the judicial function of

Quebec’s judges. It enhances changes made to the powers and duties of the judges, and explores the

discourse which emerges from or supports those changes, revealing of the orientations as well as the

representations of the judicial function at different times. Through this, the guiding principles, the

civil procedure and the judicial function are presented as constructed, dynamic and evolving

elements.

Page 5: L'évolution et la structuration des principes directeurs

v

Table des matières

RÉSUMÉ .................................................................................................................................................. III

SUMMARY .............................................................................................................................................. IV

TABLE DES MATIÈRES ............................................................................................................................... V

TABLE DES ABRÉVIATIONS .................................................................................................................... VIII

REMERCIEMENTS ..................................................................................................................................... X

INTRODUCTION ....................................................................................................................................... 1

DESCRIPTION DU SUJET TRAITÉ ET DU CHAMP DE RECHERCHE ....................................................................................... 1

THÉORIE ET CONCEPTS DE BASE .............................................................................................................................. 7

Principes généraux, principes directeurs et règles en procédure civile québécoise ................................... 7

Fonction judiciaire et rôle du juge en droit judiciaire québécois : un réservoir d’exemples ..................... 13

QUESTIONS ET HYPOTHÈSES DE RECHERCHE ............................................................................................................ 18

MÉTHODOLOGIE, USAGE DES SOURCES ET TRAITEMENT DES DONNÉES ......................................................................... 26

DIVISION DE LA DÉMONSTRATION ......................................................................................................................... 38

PARTIE 1. LES PRINCIPES DIRECTEURS, LA PROCÉDURE CIVILE CODIFIÉE ET LE FORMALISME EN DROIT

JUDICIAIRE AU QUÉBEC (1867-1964) ...................................................................................................... 41

CHAPITRE 1. LA PREMIÈRE CODIFICATION DE LA PROCÉDURE CIVILE QUÉBÉCOISE : L’ÉTAT DES LIEUX .. 42

1.1. LA PROCÉDURE CIVILE DU QUÉBEC AU MOMENT DE LA PREMIÈRE CODIFICATION ..................................................... 42

1.2. LE JUGE ET LES PARTIES AU MOMENT DE LA CODIFICATION .................................................................................. 44

1.3. LA COMMISSION DE LA CODIFICATION ET SON TRAVAIL D’ÉLABORATION DE LA PROCÉDURE CIVILE ............................... 48

CHAPITRE 2. LES PREMIERS CODES DE PROCÉDURE CIVILE : SUR LES TRACES DE «PRINCIPES DIRECTEURS»

.............................................................................................................................................................. 54

2.1. LE PRINCIPE DIRECTEUR DU CONTRADICTOIRE ET SON APPLICATION ....................................................................... 54

2.1.1. Un principe directeur codifié sous l’empire du premier Code ........................................................ 54

2.1.2. L’évolution sous le second Code et l’apparition d’un vocable ........................................................ 58

2.1.3. Le principe directeur du contradictoire : un principe d’application générale ................................ 63

2.2. LE CODE ET LES «AUTRES» PRINCIPES DIRECTEURS, UNE OMNIPRÉSENCE DISCRÈTE .................................................. 69

2.2.1. Les principes directeurs de la maîtrise de leur dossier par les parties et de la maîtrise de l’instance

par le juge : de l’influence au point d’équilibre ........................................................................................ 70

2.2.2. L’équilibre des principes directeurs dans un contexte dynamique ................................................. 83

2.3. LE PRINCIPE DIRECTEUR DE LA PROPORTIONNALITÉ ET LE PRINCIPE DIRECTEUR DE LA CONCILIATION : LES PREMIERS STADES

DE DÉVELOPPEMENT ........................................................................................................................................ 101

2.3.1. L’efficacité et la célérité de la procédure civile, un moteur de changement ................................ 102

2.3.2. L’apparition de la conciliation, un événement éphémère? .......................................................... 111

CHAPITRE 3. LA STRUCTURATION DE LA PROCÉDURE CIVILE ET L’ÉVOLUTION DE SON ESPRIT, DE LA

CODIFICATION AU MILIEU DU XXE SIÈCLE ............................................................................................. 130

3.1. LA STRUCTURE DE LA PROCÉDURE CIVILE, ENTRE PROTECTIONNISME ET FORMALISME ............................................. 130

3.2. LES PRINCIPES DIRECTEURS ET LA REPRÉSENTATION DU DROIT JUDICIAIRE DANS LE CONTEXTE CIVILISTE ....................... 147

Page 6: L'évolution et la structuration des principes directeurs

vi

PARTIE 2. LA RÉFLEXION RENOUVELÉE SUR LA PROCÉDURE CIVILE ET LA CONCEPTION D’UNE STRUCTURE

SOUPLE (1966-2001) ............................................................................................................................ 157

CHAPITRE 1. LE CODE DE PROCÉDURE CIVILE DE 1966 ET SON IMPLANTATION : UN EXEMPLE DE

CHANGEMENT CULTUREL .................................................................................................................... 158

1.1. LA DIMINUTION DU FORMALISME ET SES IMPLICATIONS : UN CHANGEMENT DANS LA CONTINUITÉ? ........................... 159

1.1.1. Le nouvel article 2 C.p.c. et les articles connexes ......................................................................... 159

1.1.2. La réception de l’esprit du Code, de la codification à l’affirmation ............................................. 162

1.2. L’ÉLARGISSEMENT DE L’ACCÈS AU TRIBUNAL................................................................................................... 167

1.2.1. L’élargissement du nombre de moyens procéduraux .................................................................. 168

1.2.2. La volonté de réglementer les actes de procédure irrecevables et ses conséquences ................. 172

CHAPITRE 2. LE CODE DE 1966 ET LES «PRINCIPES DIRECTEURS» : TROIS DÉCENNIES DE CHANGEMENT176

2.1. LES PRINCIPES DIRECTEURS ANCIENS ET RECONNUS .......................................................................................... 176

2.1.1. Le principe directeur du contradictoire : le maintien de l’adhésion au principe codifié ............... 176

2.1.2. Les principes directeurs de la maîtrise de leur dossier par les parties et de la maîtrise de l’instance

par le juge : un équilibre menacé ? ........................................................................................................ 180

2.2. LES NOUVEAUX PRINCIPES DIRECTEURS : DES ORIENTATIONS INCERTAINES ? ......................................................... 183

2.2.1. Le principe directeur de la conciliation : un intérêt renouvelé ? .................................................. 183

2.2.2. La proportionnalité : une réflexion approfondie sur l’économie ? ............................................... 191

2.3. LA PRÉSENCE DE PRINCIPES DIRECTEURS DANS LE CODE : UNE SYNTHÈSE .............................................................. 200

CHAPITRE 3. L’APPORT DU CODE ET LA REPRÉSENTATION DU SYSTÈME JUDICIAIRE, 1966-2001 ......... 203

3.1. LE CODE DE 1966 ET SA PHILOSOPHIE, ENTRE INNOVATION ET CONSERVATISME ................................................... 203

3.2. LA CRITIQUE DE LA PROCÉDURE CIVILE JUSQU’EN 2001 : MISE EN PERSPECTIVE ..................................................... 214

PARTIE 3. LA PROCÉDURE CIVILE, LES PRINCIPES DIRECTEURS ET L’IMPLANTATION D’UNE «MÉTHODE

NOVATRICE» (2001 À NOS JOURS) ....................................................................................................... 222

CHAPITRE 1. LA RÉFORME DU XXIE SIÈCLE ET LE REMANIEMENT DU CODE DE PROCÉDURE CIVILE : UNE

ÉVOLUTION EN DEUX TEMPS ............................................................................................................... 223

1.1. LA PREMIÈRE PHASE DE LA RÉFORME, 1998-2014 ......................................................................................... 223

1.1.1. Une procédure civile moderne : le rapport préparatoire et ses fondements, 1998-2003 ............ 224

1.1.2. Les modifications structurelles du Code de 2003 et la réception de la révision ........................... 230

1.2. LA SECONDE PHASE DE LA RÉFORME : VERS LE CODE REMANIÉ DE 2016 .............................................................. 235

1.2.1. L’approfondissement de la réforme ............................................................................................. 235

1.2.2. L’insertion d’une disposition préliminaire au Code de procédure civile ....................................... 239

1.2.3. La procédure souple et l’encadrement nécessaire au déroulement de l’instance ....................... 248

CHAPITRE 2. LA RÉFORME DE LA PROCÉDURE CIVILE ET LES PRINCIPES DIRECTEURS DE LA PROCÉDURE

CIVILE ................................................................................................................................................... 259

2.1. LES PRINCIPES DIRECTEURS ANCIENS ET LEUR EXPRESSION NOUVELLE ................................................................... 259

2.1.1. Le remaniement du principe «cardinal» et ses effets : le principe directeur de la contradiction. 259

2.1.2. Les principes directeurs de la maîtrise du dossier par les parties et de la maîtrise de l’instance par

le juge : une improbable réconciliation ? ............................................................................................... 263

2.2. LES NOUVEAUX PRINCIPES DIRECTEURS DANS LE CONTEXTE DE LA CODIFICATION ................................................... 273

2.2.1. Le principe directeur de la conciliation : une nouvelle expression ?............................................. 273

Page 7: L'évolution et la structuration des principes directeurs

vii

2.2.2. Le principe directeur de la proportionnalité : emprunt ou reconnaissance ?............................... 285

2.3. L’INTERACTION ENTRE LES PRINCIPES DIRECTEURS : LE DÉVELOPPEMENT D’UNE STRUCTURE ? .................................. 303

CHAPITRE 3. LE CODE RÉFORMÉ ET L’ASPIRATION À UNE «NOUVELLE CULTURE JUDICIAIRE» ............. 314

3.1. LA PROCÉDURE CIVILE, LE PROCESSUS DE RECODIFICATION ET SES CONSÉQUENCES AU XXIE SIÈCLE............................. 314

3.2. LA PROCÉDURE CIVILE ET LE CHANGEMENT CULTUREL, DE L’IMAGE À LA RÉALITÉ .................................................... 324

CONCLUSION ....................................................................................................................................... 342

BIBLIOGRAPHIE .................................................................................................................................... 365

A. LÉGISLATION .............................................................................................................................................. 365

Lois et ordonnances ............................................................................................................................... 365

Codes de procédure civile et codes de procédure civile annotés ........................................................... 368

Projets de loi .......................................................................................................................................... 369

Règles de pratique et règlements des tribunaux ................................................................................... 369

Autres ..................................................................................................................................................... 370

B. JURISPRUDENCE .......................................................................................................................................... 370

C. DOCTRINE, OUVRAGES ET ARTICLES ................................................................................................................. 387

Ouvrages ................................................................................................................................................ 387

Dictionnaires juridiques ......................................................................................................................... 393

Rapports................................................................................................................................................. 393

Articles, chapitres et extraits d’ouvrages ............................................................................................... 397

Documents parlementaires .................................................................................................................... 412

Mémoires et thèses ................................................................................................................................ 414

D. AUTRES DOCUMENTS ................................................................................................................................... 414

Archives .................................................................................................................................................. 414

Discours.................................................................................................................................................. 414

Dictionnaires généraux et dictionnaires spécialisés .............................................................................. 415

Documents internets .............................................................................................................................. 415

Page 8: L'évolution et la structuration des principes directeurs

viii

Table des abréviations

A.C. : Law Reports, Appeal Cases

Am. J. Comp. : American Journal of Comparative Law

B.R. : Recueil de jurisprudence du Québec, Cour du Banc de la Reine/Cour du Banc du Roi

C. de D. : Cahiers de droit

C.A. : Cour d’appel du Québec

C.B.R. : Cour du Banc de la Reine/Cour du Banc du Roi du Québec

C.c.B.-C. : Code civil du Bas-Canada

C.cir. : Cour de circuit

C.c.Q. : Code civil du Québec

C.J.C.P. : Comité judiciaire du Conseil Privé

Code : Code de procédure civile

C.p.c. : Code de procédure civile; si une année est indiquée, il s’agit de la date d’adoption de la

version mentionnée

C.p.c.f. : Code de procédure civile français

C.R. : Cour de révision

C.R.N.S. : Criminal Reports New Series Annoted

C.S. : Cour supérieure

C.S. : Recueil de jurisprudence du Québec, Cour supérieure

D.C.A. (Dorion) : Décisions de la Cour d’appel (Dorion)/ Queen’s Bench Reports (Dorion)

L.C.J. : Lower Canada Jurist

L.C.R. : Lower Canada Reports

L.N. : Legal News

L.R. : Law Reports

L.R.J.J. : The Law Reporter/Journal de Jurisprudence

L.R.P.C. : Law Reports, Privy Council Appeals

L.R. Ex. : Law Reports, Exchequer

L.R. Ch. D. : Law Reports, Chancery Division

M.L.R.(Q.B.) : Montreal Law Report, Queen Bench

M.L.R.(S.C.) : Montreal Law Report, Superior Court

N.C.p.c. : Nouveau Code de procédure civile (en vigueur à compter du 1er janvier 2016)

Pyke’s Cases. : Cases Argued and Determined in the Court of King's Bench for the District of

Quebec in the Province of Lower-Canada, in Hilary Term in the fiftieth year of the reign of George

III, Reported by Justice Pyke, Montréal, s.n., 1811.

Q.A.C. : Quebec Appeal Cases

Page 9: L'évolution et la structuration des principes directeurs

ix

PRD : mode privé de prévention et de règlement des différents

R. de J. : Revue de jurisprudence

R. du B. can. : Revue du Barreau canadien/Canadian Bar Review

R. du B. : Revue du Barreau

R. du D. : Revue du Droit

R.C.S. : Rapport judiciaire du Canada, Cour suprême/ Recueil des arrêts de la Cour suprême du

Canada

R.D. McGill : Revue de droit de l’Université McGill/McGill Law Journal

R.D.U.S. : Revue de droit/Revue de droit de l’Université de Sherbrooke

R.I.D.C. : Revue internationale de droit comparé

R.J.R. : Rapports judiciaires révisés

R.J.T. : Revue juridique Thémis

R.L. : Revue Légale

R. de L.J. : Revue de législation et de jurisprudence

R.L.n.s. : Revue Légale, nouvelle série

R.P. : Rapports de pratique/Quebec Practice Reports

Rev. D.P. et S.P. : Revue du droit public et de la science politique en France et à l’étranger

Rev. dr. unif. : Revue de droit uniforme

S.C.L.R : Supreme Court Law Reports

Windsor Y.B. Access Just. : Windsor Yearbook of Access to Justice

Page 10: L'évolution et la structuration des principes directeurs

x

Remerciements

Chaque expérience d’une vie est tributaire de nombreux événements et rencontres. Je souhaite que

tous ceux qui ont contribué d’une manière proche ou lointaine à ces années de travail par leur

amitié, leurs encouragements, leurs conseils ou leur travail trouvent ici, en commun, l’expression de

ma gratitude. Sans votre sympathie et votre apport, cette thèse n’aurait pas été réalisée.

Quelques personnes doivent cependant être mentionnées de façon particulière.

Je remercie tout d’abord les deux directeurs de la thèse, les professeurs Sylvio Normand et Sylvette

Guillemard, pour leur profonde science de leurs disciplines respectives, les conseils qu’ils m’ont

offerts, chacun à leur moment et à leur façon, ainsi que leur apport important à ma réflexion et à ma

formation.

Je remercie le Fonds FQRSC et la Faculté de droit de l’Université Laval pour le soutien financier

dont cette recherche a bénéficié.

Certains professeurs, notamment à la Faculté mais aussi ailleurs, ont offert encouragements et

conseils, soit dans le cadre des cours suivis, soit à l’extérieur de ceux-ci. Je remercie les professeurs

qui ont participé à l’évaluation de la thèse lors des examens rétrospectifs et prospectifs et lors de la

prélecture. Je remercie tout spécialement les membres du jury qui ont fait l’évaluation finale de la

thèse : monsieur le juge LeBel, mesdames les professeures Sylvette Guillemard, Séverine Menétrey,

Hélène Piquet et monsieur le professeur Sylvio Normand.

Je remercie enfin, avec toute mon affection, mes parents et mes sœurs qui se sont montrés d’une

grande générosité dans leur soutien tout au long du chemin qui a mené à la réalisation de cette

thèse. Ce texte leur est dédié.

Page 11: L'évolution et la structuration des principes directeurs

1

Introduction

Le droit judiciaire civil, incluant l’organisation et le fonctionnement des cours civiles sous toutes

leurs facettes, est un sujet vaste et très technique. De prime abord, le droit judiciaire évoque entre

autres la procédure appliquée devant un tribunal, l’ordre, la stabilité. Pourtant, cette image reste

incomplète. Dans leur mission d’aider à trancher les litiges civils, le système judiciaire et la

procédure civile répondent tous les jours aux besoins d’une foule d’individus. Ils doivent rejoindre

l’humain et le social, puisque «l’existence d’un conflit est une manifestation de la vie elle-même»1.

Ils connaissent donc de constantes adaptations à une réalité socioculturelle changeante. Cette

mouvance est particulièrement perceptible dans une perspective historique. Le droit judiciaire du

Québec, tel qu’il se pratique depuis 1867, a dû répondre par des ajustements constants à de

nombreuses transformations. Tel est le contexte dans lequel s’inscrit cette démarche de recherche,

car la procédure civile dont il sera principalement question ne peut, selon nous, être isolée de son

environnement.

Description du sujet traité et du champ de recherche

Les modifications apportées à la procédure civile et aux textes qui la décrivent traduisent facilement

les changements que nous évoquons. Le Code de procédure civile2 et les quelques lois et règlements

connexes précisent le contenu des règles et déterminent leur application par les tribunaux. De plus,

leur action structurante influence l’ensemble du droit judiciaire. La procédure civile a longtemps été

perçue, dans le fonctionnement du système judiciaire, comme une matière dont chacune des règles

devait être respectée à la lettre. Cette idée formaliste a participé à façonner la réflexion et les

perceptions en matière judiciaire des membres de la communauté juridique, et ce, jusqu’au dernier

tiers du XXe siècle, influençant leurs décisions. Depuis le milieu du XIXe siècle, tout est mis en

œuvre pour développer un droit procédural plus unifié, pour créer une certitude dans le résultat

autant que dans les moyens à utiliser pour les obtenir et pour contrôler les conséquences nécessaires

de l’action en justice, comme les coûts, les délais et bien d’autres éléments. Certains textes anciens

1 L. Otis, La transformation de notre rapport au droit par la médiation judiciaire, 8e Conférence Albert-Mayrand,

Montréal, Éditions Thémis/Faculté de droit de l’Université de Montréal, 2004, p. 9. 2 Pour la commodité de la lecture, les termes «Code de procédure civile», «Code» ou «C.p.c.» réfèrent au Code en vigueur

à l’époque étudiée selon les sections. Lors de l’établissement de comparaison entre les textes de versions successives du

Code, les Codes seront distingués par leur année d’entrée en vigueur : «C.p.c. (1867)» pour le premier Code et «C.p.c.

(1897)» pour le second. Le troisième Code sera désigné sous les abréviations «C.p.c.», ou encore «C.p.c. (1966)» et

«C.p.c. (2003)» pour distinguer la version du Code de 1966 et celle qui a été modifiée par la «première phase» de la

réforme, lorsque cela est nécessaire. Le Code adopté en 2014 (par la Loi instituant le nouveau Code de procédure civile,

L.Q. 2014, c. 1) et entré en vigueur en janvier 2016 sera désigné par l’abréviation «N.C.p.c.» (abrégeant l’expression

«nouveau Code de procédure civile» contenue dans sa loi d’adoption). Pour faciliter la lecture, les articles de cette loi

seront donc indiqués avec la mention «N.C.p.c.», même si ce Code est désormais la loi en vigueur au Québec.

Page 12: L'évolution et la structuration des principes directeurs

2

traduisent aussi l’importance des liens qui existent entre la procédure civile et la fonction judiciaire

et montrent l’influence de la procédure civile sur le rôle du juge3. Cette influence fait l’objet d’une

réflexion contemporaine. David Bamford rappelle, par exemple, qu’au fil des réformes récentes

dans de nombreuses juridictions, de profonds changements se sont produits. Ceux-ci ont modifié les

rôles de l’ensemble des acteurs du système judiciaire, notamment le rôle traditionnel du juge non-

interventionniste dont la principale fonction était de s’assurer que les règles de preuve étaient

respectées durant le procès4. Ces liens et cette influence marquent l’évolution des pratiques

judiciaires. Ils façonnent encore la conception de la procédure civile et celle de la fonction judiciaire

qui prévalent au Québec au début du XXIe siècle, malgré les profonds changements imposés au

Code de procédure civile.

Afin de tirer parti de cette réalité, la présente thèse s’articule autour de l’analyse des lignes de

pensée fondamentales qui structurent l’élaboration et l’application de la procédure civile, ce que

plusieurs auteurs nomment «l’esprit» du Code de procédure civile. Depuis 1966, avec l’avènement

de la philosophie privilégiant la diminution du formalisme, la procédure civile québécoise cesse

d’être le carcan décrit auparavant. Pourtant, son influence continue de se faire sentir. Au-delà de la

contrainte, elle possède certainement des qualités qui lui permettent d’asseoir son ascendant sur

l’ensemble du droit judiciaire, afin que son «esprit» transcende la lettre des articles. Les lignes de

pensée fondamentales, dont fait partie ce que l’on nomme les «principes» qui orientent la procédure

civile, semblent donc jouer un rôle de premier plan dans l’évolution de tous les aspects du droit

judiciaire. Cette thèse propose une étude de l’évolution de l’esprit de la procédure civile par

l’entremise des principes directeurs qui l’orientent. Elle s’intéresse au développement de ceux-ci, en

3 Un texte de 1937 par Rosario Genest montre déjà ces préoccupations de protéger les droits des justiciables tout en

guidant les décisions du juge par des procédures strictes. D’ailleurs, ces préoccupations existent depuis longtemps, comme

l’illustre un extrait cité d’un texte du chancelier d’Aguesseau (citation sans référence, mais dont l’existence semble

attestée par ailleurs, voir E.D. Glasson, Eléments du droit français considéré dans ses rapports avec le droit naturel et

l’économie politique, vol. 2, Paris, A. Durand et Pedone Lauriel/Guillaumin & cie, 1884, p. 140). R. Genest, «Notre Code

de procédure civile, ses Qualités, ses Défauts, ses Lacunes» dans Deuxième congrès de la langue française au Canada,

Deuxième congrès de la langue française au Canada, Québec, 27 juin-1er juillet 1937. Mémoires. L’esprit français dans

ses différentes manifestations, Tome II, Section des lois, Québec, Imprimerie de l’Action Catholique, 1938, p. 239. 4 D. Bamford, «The Continuing Revolution : Experts and Evidence in Common Law Litigation», (2010) 49 S.C.L.R. (2d)

161, 161-162. Pour d’autres exemples sur la modification du rôle du juge dans le contexte contemporain, voir notamment

S. Amrani-Mekki, «The Future of the Categories, the Categories of the Futur», (2010) 49 S.C.L.R. (2d) 245, 255; N.

Andrews, «English Civil Justice in the Age of Convergence», (2010) 49 S.C.L.R. (2d) 97, 103-104; P.-C. Lafond, Le

recours collectif, le rôle du juge et sa conception de la justice, impact et évolution, Cowansville, Yvon Blais, 2006, p. 9-

17 [ci-après P.-C. Lafond, Le recours collectif, le rôle du juge et sa conception de la justice]; F. Ost, «Juge-pacificateur,

juge-arbitre, juge-entraîneur. Trois modèles de justice», dans P. Gérard, F. Ost et M. van de Kerchove, Fonction de juger

et pouvoir de juger, transformations et déplacements, Bruxelles, Publications des facultés universitaires Saint-Louis,

1983, p. 1-70; J.-G. Belley, «Une justice de la seconde modernité : proposition de principes généraux pour le prochain

Code de procédure civile», (2001) 46 R.D. McGill 317, 338-339 [ci-après J.-G. Belley, «Une justice de la seconde

modernité»].

Page 13: L'évolution et la structuration des principes directeurs

3

considérant surtout les liens et l’influence qu’ils ont sur les modifications de la fonction judiciaire

des juges, représentés dans certains cas par les membres de la Cour supérieure.

Les connaissances et les sources québécoises à ce sujet ont été relativement peu exploitées. La

production documentaire à propos du droit judiciaire et de la procédure civile a souvent pris la

forme d’études orientées vers la pratique ou de discussions sur l’application des règles au cours

d’une instance. Au Québec, nombreux sont les ouvrages de synthèse et les études spécialisées qui

ont adopté cette approche5. En effet, l’application constante de la procédure civile devant les

tribunaux civils et dans l’ensemble de la gestion des litiges6 encourage les auteurs à y porter une

attention particulière. Par ailleurs, les grandes révisions de la procédure civile ont aussi été

accompagnées par une production abondante de doctrine. Outre les documents préparatoires à ces

révisions7, les analyses8 de leur contenu, de leur application et de leurs conséquences, de même que

5 D. Ferland et B. Emery, Précis de procédure civile du Québec, 4e éd., Cowansville, Yvon Blais, 2003, 2 v. [ci-après D.

Ferland et B. Emery, Précis, 4e éd.], de même que dans l’édition subséquente : D. Ferland et B. Emery, Précis de

procédure civile du Québec, 5e éd., Cowansville, Yvon Blais, 2015, 2 v. [ci-après D. Ferland et B. Emery, Précis de

procédure civile du Québec, 5e éd.] (N.B. : le texte de la thèse renverra à plus d’une édition du Précis de procédure civile,

et le choix de l’édition de référence sera fait notamment en fonction du contexte du Code étudié à ce moment dans la thèse

et de la date de référence). Voir également G. Doutre, Les lois de la procédure civile, Tome 1, Montréal, Eusèbe Senécal,

1867, 470 p. [ci-après G. Doutre, Les lois de la procédure civile, Tome 1]; G. Doutre, Les lois de la procédure civile dans

la province de Québec, Tome 2, Montréal, Eusèbe Senécal, 1869, 698 p. [ci-après G. Doutre, Les lois de la procédure

civile, Tome 2]; P.-C. Lafond, Le recours collectif, le rôle du juge et sa conception de la justice, supra note 4, 371 p.; A.

Deslongchamps, «Paramètres d’un véhicule procédural efficace», (1999) 40 C. de D. 141. 6 À partir de l’entrée en vigueur du Code de 2016, elle s’applique aussi à la résolution amiable des différends dans une

certaine mesure. 7 Comité de révision de la procédure civile, Une nouvelle culture judiciaire, Québec, Gouvernement du Québec, Ministère

de la Justice, 2001, 299 p. [ci-après : Comité de révision de la procédure civile, Une nouvelle culture judiciaire]; Comité

de révision de la procédure civile, La révision de la procédure civile, document de consultation, Québec, Gouvernement

du Québec, Ministère de la Justice, 2000, 131 p.; Commissaires chargés de la révision du Code de procédure civile,

Révision du Code de procédure civile : premier rapport, document polycopié, Québec, s.l., 1962, non paginé;

Commission chargée de reviser et de modifier le Code de procédure civile du Bas-Canada, Premier rapport de la

Commission chargée de reviser et de modifier le Code de procédure civile du Bas-Canada, Québec, Léger Brousseau,

1893, 27 p. [ci-après Premier rapport de la commission chargée de reviser et de modifier le Code de procédure civile du

Bas-Canada]; Commission chargée de reviser et de modifier le Code de procédure civile du Bas-Canada, Deuxième

rapport de la Commission chargée de reviser et de modifier le Code de procédure civile du Bas-Canada, Québec, Léger

Brousseau, 1894, 195 p. [ci-après Deuxième rapport de la commission chargée de reviser et de modifier le Code de

procédure civile du Bas-Canada]; Commission chargée de reviser et de modifier le Code de procédure civile du Bas-

Canada, Troisième rapport de la Commission chargée de reviser et de modifier le Code de procédure civile du Bas-

Canada, Québec, Léger Brousseau, 1895, 126 p. [ci-après Troisième rapport de la commission chargée de reviser et de

modifier le Code de procédure civile du Bas-Canada]; Commission chargée de reviser et de modifier le Code de

procédure civile du Bas-Canada, Quatrième rapport de la Commission chargée de reviser et de modifier le Code de

procédure civile du Bas-Canada, comprenant le texte entier du Code, les rapports antérieurs, et les projets de

modifications au Code civil et aux statuts, Québec, Léger Brousseau, 1896, 313 p. [ci-après Quatrième rapport de la

commission chargée de reviser et de modifier le Code de procédure civile du Bas-Canada]; Dixième rapport des

Commissaires chargés de codifier les lois du Bas Canada en matières civiles, Code de procédure civile, Ottawa, G.E.

Desbarats, 1866, 297 p. [ci-après Dixième rapport des Commissaires, 1866]. 8 Barreau du Québec, Service de la formation continue du Barreau du Québec, La réforme du Code de procédure civile :

trois ans plus tard, Montréal, Le Barreau, 2006, 284 p.; L. LeBel, et P. Verge (dir.), L’oreille du juge, Études à la

mémoire de Me Robert P. Gagnon, Cowansville, Yvon Blais, 2007, 198 p.; H. Reid, «Le Code de procédure civile depuis

le 1er janvier 1994 : les réponses et les questions», dans P.-A. Comeau et al., Le nouveau Code civil du Québec: un bilan,

Montréal, Wilson & Lafleur, 1995, p. 96-111 (au sujet des modifications ponctuelles suivant l’entrée en vigueur du Code

civil de 1994); E.-F. Surveyer, «À propos de réforme à notre procédure civile», (1945) 5 R. du B. 2; E.-F. Surveyer, «En

prévision de la refonte du Code de procédure civile», (1945) 5 R. du B. 379; S. Guillemard, «La réforme du Code de

Page 14: L'évolution et la structuration des principes directeurs

4

de leurs buts, entraînent de nombreuses discussions et prises de position. Elles mènent aussi à

l’étude concrète des impacts attendus et obtenus par le biais des révisions et réformes. La

communauté juridique se montre généralement critique à l’endroit de la procédure civile, car elle

est appelée à l’utiliser quotidiennement. Les lacunes dénoncées par certains, les besoins de réformes

ressentis par d’autres, l’opposition à des manières de faire anciennes ou nouvelles, fournissent

autant d’occasions de discuter de procédure civile et d’en approfondir quelques aspects9. Le

système judiciaire et les différents protagonistes qui y interagissent ont bénéficié de l’intérêt de

plusieurs auteurs, qui ont perçu un changement important dans la conception du système judiciaire.

Ce dernier a été analysé, comme la redéfinition du rôle des acteurs de ce système, en particulier des

juges, pour répondre à ces nouveaux défis10.

La réflexion théorique sur la procédure civile, sans être absente de la majorité de ces études, tient

cependant une place relativement restreinte dans les préoccupations des auteurs québécois. Peu de

thèses ont été rédigées dans ce domaine au Québec depuis une quarantaine d’années11. Il s’agit d’un

secteur en émergence, bien qu’il soit déjà jalonné par quelques textes importants12. D’une part, la

nature mixte de la procédure civile québécoise, issue à la fois d’influences civilistes et de common

law, permet l’utilisation de nombreuses données théoriques. Plusieurs textes présentent une

pertinence dans ce contexte. Ces études proviennent tant d’auteurs du Québec13 que d’autres pays

procédure civile du Québec : quelques réflexions sur le contrat judiciaire», (2004) 45 C. de D. 133; J. Lambert, «Une

révision traditionnelle plutôt qu’une authentique réforme de la procédure civile au Québec», dans N. Kasirer, et P. Noreau,

Sources et instruments de justice en droit privé, Montréal, Thémis, 2002, p. 219-228; etc. 9 J.-C. Royer, «La révision des règles spéciales d’administration de la preuve», (1999) 40 C. de D. 161, 191-193 et 196; A.

Deslongchamps, supra note 5, p. 143; S.W. Weber, «Comments on several features of the new Code of Civil Procedure»,

(1966) 26 R. du B. 582, 582-586. 10 P.-C. Lafond, Le recours collectif, le rôle du juge et sa conception de la justice, supra note 4, 371 p.; M.-C. Belleau, F.

Lacasse et D. Guth (dir.), Claire L’Heureux-Dubé à la Cour suprême du Canada, 1987-2002, Montréal, Wilson &

Lafleur, 2004, 857 p. 11 Un certain nombre de mémoires de maîtrise en procédure civile peut être recensé, mais, depuis le début du XXe siècle,

rares sont les doctorants qui choisissent cette voie. Parmi ceux-ci, il est possible de mentionner les documents suivants: J.-

F. Roberge, Typologie de l’intervention en conciliation judiciaire chez les juges canadiens siégeant en première instance

et ses impacts sur le système judiciaire, le droit et la justice : étude de la perception des juges canadiens, thèse de

doctorat, Université Laval/Université de Sherbrooke, 2007, 451 p.; P.-C. Lafond, Le recours collectif comme voie d’accès

à la justice pour les consommateurs, Montréal, Thémis, 1996, 835 p. (présenté initialement comme thèse de doctorat,

Université de Montpellier); A. Prujiner, Contribution à une théorie du droit judiciaire d’urgence : étude comparative de

l’injonction interlocutoire et du référé, thèse de doctorat, Université Laval, 1979, 341 p. Parmi les pionniers, voir F. Roy,

Des restrictions au droit de plaider en matière civile : thèse pour le doctorat, thèse de doctorat, Université Laval, 1902,

301 p. 12 Voir par exemple J.-G. Belley, «Une justice de la seconde modernité», supra note 4; J.-M. Brisson, La formation d’un

droit mixte : l’évolution de la procédure civile de 1774 à 1867, Montréal, Thémis, 1986, 178 p. [ci-après : J.-M. Brisson,

La formation d’un droit mixte]. 13 Conseil de la langue française, Codification : valeurs et langage. Actes du colloque international de droit civil comparé,

Montréal, 1985, 712 p.; J.E.C. Brierley, «Quebec’s Civil Law Codification», (1968) 14 R.D. McGill 521; S. Normand,

«La codification de 1866 : contexte et impact», dans H. P. Glenn, Droit québécois et droit français : communauté,

autonomie, concordance, Cowansville, Yvon Blais/Les Cahiers de droit, 1992, p. 43-62; S. Guillemard, «Présentation de

l’exemple de l’hybridation réussie : le C.p.c. du Québec», (2013) 3 Jus & Actores 25, 25-43.

Page 15: L'évolution et la structuration des principes directeurs

5

de tradition civiliste14, d’autres émanent de chercheurs externes de tradition juridique britannique15

ou, plus largement, de la common law. Cependant, malgré quelques études intéressantes sur

l’histoire de la procédure civile québécoise16, nous pouvons constater une sous-utilisation des

ressources historiques pour mieux comprendre la formation du droit judiciaire actuel. Une

comparaison entre cette utilisation et l’attention portée à l’histoire du droit substantif québécois et

du Code civil en particulier17 met cette réalité en perspective.

Cette thèse s’inscrit dans le développement de la réflexion théorique et historique sur la procédure

civile québécoise. Elle permet notamment d’étudier l’évolution de la procédure civile dans une

dimension judiciaire et culturelle, c’est-à-dire en présentant la façon dont elle se structure, dont elle

influence les institutions et les représentations qui composent l’espace judiciaire et dont elle est

influencée par ces mêmes institutions et représentations. Ainsi, son but est d’explorer comment les

principes directeurs de la procédure civile ont évolué durant une période et dans un contexte

donnés. Il ne s’agit pas de faire, ou de refaire, l’histoire de cette notion dans le cadre de l’évolution

de la pensée occidentale18. En nous concentrant sur le cas du Québec à partir de 1867, et par le filtre

d’exemples tirés principalement de l’expérience des juges de la Cour supérieure, nous tenterons de

tracer les contours du cheminement de certains de ces principes directeurs dans la procédure civile.

La Cour supérieure du Québec s’est imposée comme un environnement privilégié susceptible de

fournir des exemples significatifs pour la réalisation de ce projet. Instituée en 1849, elle devient le

tribunal de première instance en matière civile, dont la «jurisdiction», selon le terme de l’époque,

14 L. Cadiet et G. Canivet (dir.), De la commémoration d’un Code à l’autre : 200 ans de procédure civile en France, Paris,

LexisNexis Litec, 2007, 383 p.; R. Cabrillac, Les codifications, Paris, Presses universitaires de France, coll. Droit, éthique

et société, 2002, 310 p. 15 N. Andrews, Principles of Civil Procedure, London, Sweet & Maxwell, 1994, 617 p.; A. Zuckerman, Civil Procedure,

Londres, LexisNexis UK, 2003, 999 p.; A. Zuckerman, Zuckerman on Civil Procedure : Principles of Practice, 2nd ed.,

Londres, LexisNexis UK, 2006, 1178 p. 16 Par exemple J.-M. Brisson, La formation d’un droit mixte, supra note 12; J.-M. Brisson, «La procédure civile du

Québec avant la codification : un droit mixte, faute de mieux», dans Université de droit, d’économie et des sciences

d’Aix-Marseille, La formation du droit national dans les pays de droit mixte, Les systèmes juridiques de Common Law et

de Droit Civil, Aix-Marseille, Les Presses universitaires d’Aix-Marseille, 1989, p. 97; L. Huppé, Histoire des institutions

judiciaires du Canada, Montréal, Wilson & Lafleur, 2007, 764 p. 17 Notamment A. Morel, «L'émergence du nouvel ordre juridique instauré par le Code civil du Bas Canada (1866-1890)»,

dans Le nouveau Code civil : interprétation et application (Les journées Maximilien-Caron 1992), Montréal,

Thémis/Faculté de droit de l'Université de Montréal, 1992, p. 50-63; S. Normand, «Le Code civil et l’identité», dans S.

Lortie, N. Kasirer, J.-G. Belley (dir.), Du Code civil du Québec, Contribution à l’histoire immédiate d’une recodification

réussie, Montréal, Thémis, Université de Montréal, 2005, p. 619-666; J. Boucher et A. Morel, Livre du centenaire du

Code civil : Le droit dans la vie familiale, Montréal, Les Presses de l’Université de Montréal, 1970, 320 p.; J. Boucher et

A. Morel, Livre du centenaire du Code civil : Le droit dans la vie socio-économique, Montréal, Les Presses de

l’Université de Montréal, 1970, 276 p. 18 Pour une intéressante proposition à ce sujet, voir A. Guilmain, «Sur les traces du principe de la proportionnalité : une

esquisse généalogique», (2015) 61 R.D. McGill 87.

Page 16: L'évolution et la structuration des principes directeurs

6

s’étend à toute la province19. Cette Cour a traversé plus de 150 ans de modifications du système

judiciaire et procédural, s’adaptant au fil des réformes sans que sa structure intrinsèque et son nom

soient fondamentalement changés. Ceci est sans précédent parmi les cours québécoises de première

instance sur lesquelles le choix aurait pu être arrêté. Outre sa longévité, la Cour supérieure possède

aussi des caractéristiques distinctives qui en font un milieu fécond en matière d’illustration. Elle est

chargée de connaître en première instance un grand nombre de litiges civils20. Elle est aussi le

tribunal de droit commun selon la tradition anglaise21. Cette même tradition lui confère une

«compétence inhérente» qui lui permet d’entendre tous les types de litiges qui ne sont pas

exclusivement ou expressément dévolus à une autre cour de première instance22. Une compétence

longtemps dite «de surveillance et de contrôle»23 issue de la common law lui est également

reconnue24. Celle-ci consiste à pouvoir juger de la légalité des décisions d’autres organismes, tels

les tribunaux administratifs, cours de première instance provinciales, corps politiques, etc. Dès sa

formation, ses magistrats peuvent rédiger et adopter des «règles de pratique» pour régir divers

aspects de son propre fonctionnement interne25. De plus, la Cour supérieure et les juges qui y

siègent sont investis de pouvoirs inhérents complémentaires qui leur permettent entre autres de

suppléer aux silences de la loi en matière procédurale26. Une cour de première instance telle que la

Cour supérieure possède enfin la caractéristique d’appliquer toutes les réformes procédurales dès

leur mise en vigueur. Elle produit donc un éventail de décisions relatives aux révisions avant même

que les courants d’interprétation se dessinent plus nettement et que les cours d’appel

n’interviennent.

19 Acte pour amender les lois relatives aux cours de jurisdiction civile en première instance, dans le Bas-Canada, (1849)

12 Vic., c. 38, art. 3 et 6. 20 Id., art. vi et vii. 21 Three Rivers Boatman Limited c. Conseil canadien des relations ouvrières, [1969] R.C.S. 607, 616-618 (le juge

Fauteux); Lac d'Amiante Québec c. 2858-0702 Québec Inc., 2001 CSC 51, [2001] 2 R.C.S. 743, 761 (le juge LeBel). 22 Cette compétence est exprimée à l’article 31 C.p.c. À propos de cet article et des origines de ce pouvoir, considérer J.-

M. Brisson, La formation d’un droit mixte, supra note 12, p. 31 et I.H. Jacob, «The Inherent Jurisdiction of the Court»

(1970) 23 Current Legal Problems 23. Voir aussi D. Ferland et B. Emery, Précis, 4e éd., supra note 5, p. 75 et D. Ferland

et B. Emery, Précis, 5e éd., supra note 5, p. 133. 23 Cette compétence autrefois dite «pouvoir de surveillance et de contrôle» est à présent désignée par l’expression

«pouvoir général de contrôle judiciaire» depuis l’entrée en vigueur du nouveau Code en janvier 2016 (art. 34 N.C.p.c.).

Acte pour amender les lois relatives aux cours de jurisdiction civile en première instance, dans le Bas-Canada, (1849) 12

Vic., c. 38, art. 7. 24 Cette compétence est codifiée à l’article 33 C.p.c. Voir aussi D. Ferland et B. Emery, Précis, 4e éd., supra note 5, p. 81. 25 Acte pour amender les lois relatives aux cours de jurisdiction civile en première instance, dans le Bas-Canada, (1849)

12 Vic., c. 38, art. 100. Voir notamment : Règles de pratique de la Cour supérieure (1850) : [R.p.C.s. (1850)]. Elles sont

reproduites dans M. Mathieu, Code de procédure civile de la province de Québec, Montréal, C.O. Beauchemin et Fils,

1893, p. 573 [M. Mathieu, Code de procédure civile]; G. Doutre, Les lois de la procédure civile, Tome 1, supra note 5, p.

269. Il arrive que les deux textes présentent des variantes. En effet, Doutre précise dans son ouvrage qu’il n’existe aucune

traduction française de ces règles en 1867, il a donc traduit lui-même les textes, en sacrifiant l’élégance à la précision (p.

liv). La provenance de la traduction de Mathieu n’est pas précisée : il peut s’agir d’une traduction «officielle» ou d’une

traduction personnelle. 26 Id., p. 102-103. Voir les articles 46 et 20 C.p.c. et 25 N.C.p.c.

Page 17: L'évolution et la structuration des principes directeurs

7

La fonction des juges de la Cour supérieure devient donc un vecteur d’étude dans le cadre de la

thèse. Cet exercice ne vise pas à proposer une définition de la fonction judiciaire dans son ensemble

ou à explorer minutieusement toutes ses composantes. Des éléments de cette nature émergeront

parfois du texte, mais cet aspect de la thèse sert surtout à établir des exemples de l’influence des

principes procéduraux retenus. De même, tout en nous intéressant de près à l’histoire du droit

judiciaire, nous chercherons à recréer le contexte d’évolution des principes et de la procédure civile

tel qu’il s’est manifesté dans le discours et l’expérience vécue du monde judiciaire québécois. La

thèse n’a pas la prétention d’écrire une histoire socioculturelle complète de la Cour supérieure du

Québec ou de la procédure civile québécoise. Cette entreprise mériterait un développement

indépendant. Cependant, nous souhaitons que la thèse participe à la réflexion sur l’existence d’une

culture judiciaire propre au Québec, à l’approfondissement de ses caractéristiques et à la

reconnaissance de l’appartenance de la procédure civile à cette culture judiciaire et, plus largement,

à une culture juridique particulière.

Afin de proposer une limite au sujet traité, cette thèse considère l’incidence de «l’esprit» de la

procédure civile sur la structuration de la procédure civile à travers des manifestations liées à la

transformation de la fonction judiciaire. Elle s’attache ainsi à retracer le développement de quelques

principes directeurs de la procédure civile québécoise. Ce développement sera étudié en considérant

son influence sur l’évolution de la fonction judiciaire, dans le cadre de la Cour supérieure du

Québec. De manière secondaire, elle explore aussi la réciprocité de l’influence de la fonction

judiciaire sur les principes directeurs en quelques occasions.

Théorie et concepts de base

Cette recherche et son orientation se sont fondées sur quelques concepts.

Principes généraux, principes directeurs et règles en procédure civile québécoise

Notre projet repose tout d’abord sur l’étude de cinq principes dits «directeurs» dans les textes liés

notamment à la troisième révision du Code, à la fin du XXe siècle27. Leur nature nécessite une

explication plus complète. Tel qu’il est conçu, tant en droit civil que dans d’autres traditions

juridiques, le droit est représenté à l’aide de principes et de règles qui expriment son essence et

définissent son application. Les principes sont couramment définis comme des notions à caractère

27 Voir par exemple Comité de révision de la procédure civile, Une nouvelle culture judiciaire, supra note 7, p. 35. Ce

texte est l’un des premiers à faire un usage extensif du terme «principe directeur» pour désigner des concepts

procéduraux.

Page 18: L'évolution et la structuration des principes directeurs

8

général qui servent de fondement à divers textes, lois ou règles28. Ils existent même hors de la seule

discipline juridique et appartiennent à ce que certains appellent son «esprit» ou ses «fondements».

Ils présentent des caractéristiques compatibles avec l’étendue de leur influence en droit29. D’abord,

ils sont partagés et cautionnés par une majorité de membres de la communauté juridique, soit par

l’ensemble des juges, des avocats et des autres acteurs du système judiciaire ou qui ont des liens

avec le droit. De plus, ces principes qui seront qualifiés de «généraux» dans le cadre de la thèse sont

influencés par les représentations et les valeurs sociales. Enfin, leur rôle premier est de définir les

orientations fondamentales du droit et du système judiciaire. Les principes généraux

n’appartiennent pas à une branche spécifique du droit. Ils transparaissent dans l’ensemble des

branches et acquièrent ainsi une sorte d’universalité dans le cadre d’un système de droit. L’exemple

du principe de la bonne foi est souvent cité pour illustrer la nature du principe général au Québec30.

La bonne foi doit toujours présider aux comportements en matière judiciaire31, en matière

contractuelle32, de même elle est requise dans l’exercice de tout droit33, etc.

Dans le texte de cette thèse, le terme «principe directeur» est employé de façon technique ou

scientifique pour symboliser une catégorie de phénomènes structurants de la procédure civile qui

autrement ne porterait pas de nom, mais n’en serait pas moins réelle. S’il correspond souvent à la

formule actuelle du Code, ce concept existe par lui-même dans le cadre de la thèse et peut parfois

révéler un léger décalage avec le vocabulaire du législateur. Nous signalerons au passage certaines

de ces circonstances. Dans un premier temps, nous considérons que le vocable désigne une

catégorie particulière de principes. Ceux-ci sont dits directeurs dans un contexte plus restreint que

28 H. Reid, Dictionnaire de droit canadien et québécois, 4e éd., Montréal, Wilson & Lafleur, 2010, p. 478. 29 Voir par exemple les remarques de J.-G. Belley, «Une justice de la seconde modernité», supra note 4, 320-321. Sur les

principes en général, voir entre autres M. Delmas-Marty, Pour un droit commun, Paris, Seuil, coll. La librairie du XXe

siècle, 1994, p. 82-89; J. Boulanger, «Principes généraux du droit et droit positif», dans Le droit privé français au milieu

du XXe siècle, Études offertes à Georges Ripert, Tome 1 : Études générales, Droit de la famille, Paris, Librairie générale

de droit et de jurisprudence, 1950, p. 51-74. 30 L. Rolland, «La bonne foi dans le Code civil du Québec : du général au particulier», (1996) 26 R.D.U.S. 377, 379-380.

Cependant, même traduisant ce que nous considérons comme un principe général, les règles des deux Codes sont

appliquées dans des cas et selon une philosophie précise. Souvent, la bonne foi a été présente implicitement dans les

comportements, sanctionnée par la doctrine et la jurisprudence avant d’être spécifiquement présente dans les lois. Voir

l’implication de l’adoption du principe de bonne foi dans le Code civil : V. Karim, «La règle de la bonne foi prévue dans

l’article 1375 du Code civil du Québec : sa portée et les sanctions qui en découlent» (2000) 41 C. de D. 435, 437-439. Il

est intéressant de voir que l’énonciation d’un principe en matière législative peut également susciter une réflexion sur la

nature d’un tel principe de bonne foi, sur son étendue et son application dans un univers juridique de common law. Voir à

ce sujet J. Stapleton, «Good Faith in Private Law», (1999) 52 Current Legal Problems 1, 7-17. Exposant une perception

du développement judiciaire de la notion de bonne foi en particulier en matière contractuelle, voir L. LeBel et V.

Rochette, «Le principe de bonne foi en droit civil québécois», dans Responsabilité, fraternité et développement durable en

droit : Une conférence à la mémoire de l’honorable Charles D. Gonthier, Manuscrit de la conférence, 20-21 mai 2011,

Faculté de droit de l’Université McGill, en ligne, mcgill.ca/sustainability/fr/channels/event/conférence-commémorative-

gonthier-responsabilité-fraternité-et-développement-durable-en-droit-170416. 31 Art. 4.1 C.p.c. 32 Art. 1375 C.c.Q. 33 Art. 6 et 7 C.c.Q.

Page 19: L'évolution et la structuration des principes directeurs

9

celui dans lequel s’expriment les «principes généraux» évoqués précédemment. Ils existent plutôt à

l’intérieur d’une branche du droit, comme la procédure civile dans le cas qui nous occupe34. Ils sont

limités à cette branche du droit, en ce sens que leur application dans le cadre de cette branche ne fait

généralement référence qu’à celle-ci. Le titre du chapitre du Code qui le contient semble le

confirmer lorsqu’il fait référence aux «principes directeurs de la procédure civile». Ainsi,

l’appellation «principe directeur» est employée pour traduire une notion de nature technique, en ce

sens qu’elle est utilisée dans un contexte plus spécialisé, plus fonctionnel. L’identification des

principes directeurs paraît naître d’un besoin de structure et de description35. En effet, cette

identification est surtout effectuée dans un contexte d’organisation, souvent celle d’une branche du

droit. Elle est souvent le fait de spécialistes, soit des individus possédant des connaissances

juridiques et œuvrant dans le domaine ou la branche de droit que ces principes régissent : rédacteurs

des lois, commissaires à la codification, juges, avocats, etc. Ceci peut correspondre aux

caractéristiques de la récente réforme du Code de procédure civile. Dans le contexte du Code, la

fonction des principes directeurs est d’orienter le droit procédural36. Ils permettent d’établir la

définition des règles applicables, d’assurer leur cohérence à travers l’existence d’une structure

supérieure et de faciliter l’interprétation ultérieure de ces règles.

Ces dernières, quant à elles, ont deux fonctions principales. Elles énoncent la lettre des droits et

obligations de chacun des acteurs du système judiciaire et ainsi, elles décrivent ce système. Elles

sont également les illustrations des principes, c’est-à-dire qu’elles leur permettent de devenir

opérationnels37. Ainsi, tant les principes que les règles entrent en jeu dans le travail interprétatif de

l’avocat ou du juge et colorent la façon d’appliquer le droit. Incidemment, nous traiterons à

plusieurs reprises de «valeurs» afin de représenter des éléments choisis, des préférences auxquels

adhèrent un groupe plus ou moins large de personnes et qui influencent leurs conceptions ou leurs

comportements38. Ainsi, l’«efficacité» peut être perçue comme une «valeur»39, en ce sens que ceux

qui adhèrent à sa définition vont identifier des moyens, des états ou même des situations qui leur

semblent préférables, puisque conformes à un ensemble de critères qui relèvent de leur vision de

34 Il est probable que le choix de l’adjectif «directeur» est le fait d’une volonté de mettre l’accent sur le rôle primordial

conféré aux principes ainsi définis, à savoir permettre d’encadrer et d’interpréter la loi selon des lignes de pensée

proposées dans les règles qui les énoncent. 35 J. Normand, «Principes directeurs du procès» dans L. Cadiet (dir.), Dictionnaire de la justice, Paris, Presses

universitaires de France, 2004, p. 1038-1039. 36 Id. Comité de révision de la procédure civile, Une nouvelle culture judiciaire, supra note 7, p. 35. 37 Considérer par exemple la présentation de N. Andrews, supra note 15, p. 11; J. Boulanger, supra note 29, p. 62; H.

Reid, Dictionnaire de droit canadien et québécois, 4e éd., supra note 28, p. 518. 38 Voir à ce propos, pour une explication résumée, l’article «Valeurs» dans R. Boudon et F. Bourricaud, Dictionnaire

critique de la sociologie, Paris, Quadrige/PUF, 2011, particulièrement aux pages 665-666. 39 Soraya Amrani-Mekki mentionne, à propos de la recherche de l’efficacité procédurale, «qu’il a été envisagé d’en faire

un principe directeur du procès civil» en France, voir S. Amrani-Mekki, loc. cit., note 4, 254.

Page 20: L'évolution et la structuration des principes directeurs

10

l’efficacité économique, institutionnelle, etc. Elle devient une notion qui traduit les aspirations

d’individus ou de groupes, mais qui va au-delà de ce concept puisqu’elle en vient à se traduire par

des attentes et des exigences concrètes. Dans l’ensemble, ces «valeurs» et ces règles jouent un rôle

essentiel dans notre compréhension des «principes directeurs» et de leur développement.

Selon certaines théories concernant les principes, ceux-ci peuvent présenter une évolution qui

s’effectue en plusieurs stades40 : les principes se développent, sont reconnus, appliqués, gagnent ou

perdent en faveur et ces mouvements peuvent se rapprocher de leur conformité ou non aux valeurs

sociales41. Plus précisément, les principes directeurs en milieu civiliste s’insèrent souvent,

implicitement ou par une codification directe, dans la structure du Code de procédure civile, à une

étape de leur développement. Cette intégration peut être plus ou moins lente et la présence du

principe est souvent exprimée de façon indirecte, sauf dans les décennies les plus récentes. Ceci ne

signifie pas, bien au contraire, que ces derniers n’existent pas et n’ont aucune influence sur le droit

avant leur codification. Par contre, une propension à la codification des principes est

particulièrement notable depuis quelques années en droit procédural. Des Codes de procédure civile

actuels reconnaissent de manière directe et explicite des principes directeurs. En France, une section

spécifiquement consacrée aux principes directeurs existe depuis 197142. Au Québec, le comité de

révision de la procédure civile a utilisé la notion de principe directeur dans son rapport final43 et le

législateur a introduit certains des principes identifiés44 au Code de procédure civile en 2003, sans

pour autant créer immédiatement une section distincte ou employer dans le Code le vocable

«principes directeurs». Au contraire, comme nous l’avons souligné, le Code de procédure civile

adopté en 2014 présente de telles caractéristiques45.

Le concept de «principe directeur» utilisé dans la thèse se distingue donc parfois de l’emploi qu’en

fait le législateur dans le Code. Il est quelquefois possible d’y trouver une équivalence ou de voir les

deux concepts recourir à des idées similaires. En revanche, le concept de «principe directeur» défini

40 N. Andrews, supra note 15, p. 12. 41 J.-G. Belley, «Une justice de la seconde modernité», supra note 4, p. 320-321. 42 Ces principes constituent une section liminaire du Code de procédure civile français : ils ont été introduits par décret en

1971 et maintenus lors de la refonte de 1976. Voir par exemple L. Cadiet, «D’un Code à l’autre : de fondation en

refondation», dans L. Cadiet et G. Canivet, supra note 14, p. 3-4; E. Blanc et J. Viatte, Nouveau Code de procédure civile

commenté dans l’ordre des articles, Paris, Librairie du Journal des notaires et des avocats, 1977, p. 7-8; P. Morvan,

«Principes» dans D. Alland et S. Rials, Dictionnaire de la culture juridique, Paris, Quadrige/Lamy-PUF, 2003, p. 1201. 43 Comité de révision de la procédure civile, Une nouvelle culture judiciaire, supra note 7, considérer principalement les

pages 35-40, 144-145, 221, 253 et 257. 44 Comparer entre autres les articles 4.1, 4.2 et 4.3 C.p.c. avec les termes du texte qui sous-tend la révision de 2003 :

Comité de révision de la procédure civile, Une nouvelle culture judiciaire, supra note 7, p. 35-40. Il est important noter le

travail proposé par J.-G. Belley (J.-G. Belley, «Une justice de la seconde modernité», supra note 4, p. 362-372,

notamment) sur le sujet et qui a certes nourri la réflexion des membres du Comité. 45 Le Chapitre III du Livre I du N.C.p.c. mentionne en effet textuellement les «principes directeurs».

Page 21: L'évolution et la structuration des principes directeurs

11

dans la thèse est basé sur des critères qui en permettent l’étude et qui, isolés, servent à représenter

des états de développement des principes, comme nous le verrons. Ces critères n’ont pas

d’équivalents dans le Code. Celui-ci n’offre pas de définition approfondie du «principe directeur».

Il est aussi possible que les changements de vocabulaire amènent le législateur à identifier un

élément qui présente toutes les caractéristiques que nous attribuerons au «principe directeur codifié»

par un autre terme que celui de «principe directeur», ce qui n’empêche pas cet élément de rester,

dans l’optique «scientifique» de la thèse, un «principe directeur». De la même façon, l’expression

«principe directeur» en soi est évidemment une appellation récente, si récente que de nombreux

auteurs n’y adhèrent pas encore ou depuis peu de temps. Le législateur lui-même, s’il en retient le

contenu, n’emploie pas le terme sur l’ensemble de la période étudiée, sauf durant quelques mois. Il

n’est devenu un terme «officiel» du Code qu’à compter de l’entrée en vigueur, en janvier 2016, du

Code adopté en 2014. Il va de soi qu’aucun contemporain du Code de procédure civile de 1867 n’a

utilisé cette expression. Au regard du vocabulaire du Code lui-même, il y a donc un véritable

anachronisme à employer cette formule et à parler de «principes directeurs» en se référant à la

procédure civile du XIXe siècle et d’une grande partie du XXe siècle.

L’une des difficultés d’une thèse de droit qui porte sur une loi comme le Code de procédure civile a

trait à l’importante modification du vocabulaire depuis le XIXe siècle. À l’époque, de nombreux

termes étaient issus de l’ancien droit ou étaient des traductions plus ou moins heureuses de termes

anglais, voire des anglicismes. Au fur et à mesure de l’évolution du Code, tant les modalités liées à

plusieurs moyens procéduraux que les termes mêmes de la loi ont changé. Heureusement, la

majorité des modifications importantes dans ce domaine a coïncidé avec les révisions majeures du

texte du Code, ce qui permet de conserver l’unité à l’intérieur des grandes divisions de la thèse. En

effet, dans un tel contexte, un changement de terminologie s’accompagne parfois d’une

modification subtile de certains éléments d’une procédure donnée et l’adéquation entre deux termes

n’est pas toujours parfaite. Dans la mesure du possible, la thèse utilise donc les termes de l’époque

étudiée au moment où ils sont en vigueur dans le Code de procédure civile46. Une exception notable

à cette règle concerne le terme «juridiction», anciennement utilisé pour désigner la «compétence»

d’un tribunal. Puisqu’il ne désigne pas une forme procédurale spécifique, le mot «compétence» est

utilisé de manière préférentielle, sauf dans une citation directe. Ces choix de vocabulaire, surtout

46 À cet égard, soulignons que des changements de syntaxe, d’expression et d’orthographe ont pu survenir dans la langue

depuis la publication de plusieurs des textes étudiés. Afin d’éviter des répétitions fastidieuses pour le lecteur, il est

nécessaire d’expliquer ici extensivement que les caractéristiques originales ont été respectées dans les citations directes.

L’orthographe anciennement admise d’un mot tel qu’«enfans», par exemple, serait conservée. Il en va de même des

expressions ou des tournures de phrase qui peuvent paraître vieillies ou moins «politiquement correctes» que notre

rédaction actuelle ne l’exige.

Page 22: L'évolution et la structuration des principes directeurs

12

celui d’employer le terme «principe directeur», semblaient appropriés et essentiels pour maintenir la

rigueur de l’étude proposée. L’environnement socioculturel et judiciaire se modifie également, de

même que le contenu du Code. La mise en contexte par rapport à l’application de divers articles du

Code ou à la mise en œuvre de divers moyens procéduraux devient donc un outil nécessaire.

Malgré la richesse et la pertinence de leur contenu et de leur évolution, il était irréaliste de retenir

tous les principes directeurs de la procédure civile, codifiés ou non, dans le cadre d’une thèse. Les

besoins de la thèse nous ont amenée à faire le choix de nous concentrer sur des principes directeurs

particuliers et à laisser de côté des principes directeurs tout aussi intéressants, comme les principes

de la publicité des audiences ou de la coopération entre les parties. Ce choix répond à diverses

stratégies : amplitude de la recherche et temps qu’elle exige, représentativité des types de

cheminements, influence récente, etc.

Le premier principe directeur examiné est le principe longtemps dit «du contradictoire»,

aujourd’hui désigné sous le terme «principe de la contradiction»47. Il est parfois traduit par la

maxime «audi alteram partem». Ce principe directeur, codifié à l’article 17 N.C.p.c., appartient au

texte du Code de procédure civile depuis sa première entrée en vigueur en 186748. Les second et

troisième principes directeurs existent aussi depuis longtemps, mais leur codification est plus

récente, soit 2003. Il s’agit du principe de la «maîtrise de l’instance par le juge» et de la «maîtrise

de leur dossier par les parties», tous deux mentionnés actuellement à l’article 19 N.C.p.c.49 Comme

la thèse l’illustrera, ils présentent un modèle d’évolution différent de celle du principe du

contradictoire. Le quatrième principe directeur est celui de la «proportionnalité», qui a été codifié

en 200350 et se trouve énoncé à l’article 18 N.C.p.c. Ce principe directeur semble nouveau lorsque

l’analyse ne prend en compte que son énonciation et la date de son introduction au Code de

procédure civile. Pourtant, la recherche indique qu’il s’agit sans doute d’un principe en émergence

avant cette date, dont la définition s’ébauche progressivement51. Dans ce contexte, il importe de

préciser que le terme «proportionnalité» est un terme moderne. Son emploi pour étudier un

47 À partir de l’entrée en vigueur du nouveau Code de procédure civile en 2016, voir l’article 17 al. 2 du N.C.p.c. (voir la

Loi instituant le nouveau Code de procédure civile, L.Q. 2014 c. 1). 48 Code de procédure civile du Bas Canada/Code of Civil Procedure of Lower Canada, Ottawa, Malcolm Cameron, 1867,

p. 6, art. 16 : «Il ne peut être adjugé sur une demande judiciaire sans que la partie contre laquelle elle est formée, ait été

entendue ou dûment appelée». 49 Ces principes étaient précédemment codifiés à l’article 4.1 C.p.c. 50 Ce principe était précédemment codifié à l’article 4.2 C.p.c. 51 À ce sujet, il est intéressant de consulter l’article de P. Tessier, «La simplification des procédures spéciales

d’administration de la preuve», (1999) 40 C. de D. 161, 172-173, 165-166, 167-169; ou Conseil Canadien des Églises c.

Canada (M.E.I.), [1992] 1 R.C.S. 236, 251-252 (le juge Cory). Voir aussi, sur l’importance du lien entre la

proportionnalité dans le droit judiciaire et la fonction du juge, Comité de révision de la procédure civile, Une nouvelle

culture judiciaire, supra note 7, p. 38-39.

Page 23: L'évolution et la structuration des principes directeurs

13

phénomène existant au XIXe siècle et durant une partie du XXe siècle constitue un anachronisme52.

Les jugements de l’époque ne contiennent aucune allusion à ce mot et cela, même lorsque le

raisonnement des magistrats rejoint les idées regroupées aujourd’hui sous ce vocable. Le choix

d’employer malgré tout le terme a été fait consciemment, pour la commodité du lecteur et afin de

maintenir une unité dans la présentation des résultats sur l’ensemble de la thèse. Enfin, le dernier

principe à étudier est celui de la conciliation, énoncé à l’article 4.3 C.p.c. depuis la mise en vigueur

de la première phase de la récente révision du Code53. Bien que de facture très récente et compatible

avec les tendances contemporaines de définition de la justice54, ce principe directeur a peut-être des

racines plus profondes qu’il faudra considérer.

Il est certain que le principe du contradictoire qu’un juge a un jour appelé le «principe vénérable»55,

étant le premier à être énoncé au Code de procédure civile, connaîtra un développement plus

important dans l’ensemble de l’étude. Pour cette raison, il servira notamment de principe-témoin,

car il permettra de présenter l’interaction entre les principes. La formulation de l’article qui

l’incorpore au Code a très peu changé56. Pourtant, la définition donnée de ce principe aujourd’hui

inclut plusieurs nuances et ajouts qui ne se retrouvent pas dans la jurisprudence ou la doctrine du

début du XXe siècle. Or ces nuances sont parfois nées d’une réflexion accrue sur les autres principes

directeurs. Ceci montre que les principes directeurs n’agissent pas isolément, mais qu’ils composent

plutôt une structure cohérente qui se module pour s’adapter à une évolution de ses éléments.

Fonction judiciaire et rôle du juge en droit judiciaire québécois : un réservoir

d’exemples

L’évolution de la fonction judiciaire a été choisie pour offrir une part importante des exemples

principaux selon lesquels les changements en matière de principes directeurs et leurs conséquences

sont identifiés et évalués. Le concept de «fonction judiciaire» comporte de multiples facettes. De

52 La définition du principe, présentée à l’article 4.2 du Code de procédure civile de 1966 révisé en 2003, s’appuie

largement sur la réforme de la procédure civile britannique de la fin du XXe siècle (Comité de révision de la procédure

civile, Une nouvelle culture judiciaire, supra note 7, p. 28). En revanche, de nombreux traits et préoccupations du droit

procédural québécois ont permis et préparé la reconnaissance de ce principe au début du XXIe siècle. Ce sont ces aspects

qui seront discutés brièvement. 53 À partir de 2016, la conciliation est désignée comme une «mission» du juge (art. 9 N.C.p.c.) plutôt que d’être intégrée

au chapitre concernant les principes directeurs. Cette circonstance ne change pas la pertinence d’une étude du principe

directeur de la conciliation dans le cadre de cette thèse, voir à cet égard la section 2.2.1 de la troisième partie de la thèse,

en page 273 et suivantes. 54 J.-G. Belley, «Une justice de la seconde modernité», note 4, p. 328-330 et 343-346; L. Otis, supra note 1, p. 12-14 et

19-20. 55 Alliance des professeurs catholiques de Montréal (L’) c. Labour Relation Board of Québec, [1953] 2 R.C.S. 140, 153

(j.e.c. Rinfret) [ci-après Alliance des professeurs c. Labour Relation Board]. 56 Cependant, l’énoncé de l’article 17 N.C.p.c. mettra fin à ce lien «littéraire» avec le Code de 1867 à compter de 2016,

puisque le texte qui exprime le contenu du principe directeur a été entièrement réécrit.

Page 24: L'évolution et la structuration des principes directeurs

14

nombreux auteurs se sont penchés sur cette notion et sur celle du «rôle du juge». Leurs remarques

indiquent que la fonction judiciaire est liée aux pouvoirs et aux responsabilités des juges. Dans le

cadre de cette fonction, les juges sont appelés à exercer divers rôles, notamment lors d’un litige,

face au système judiciaire ou dans l’application des règles de la procédure civile en général. Le

nombre de ces rôles peut augmenter avec l’évolution du droit, leur nature ou leur portée peuvent se

modifier, etc. La fonction judiciaire intègre aussi la relation qui s’établit entre juges et justiciables,

une relation basée sur la perception et la communication. Il est donc essentiel de considérer le

dialogue qui s’établit entre ces groupes dans le milieu judiciarisé, sans oublier le lien de confiance

qui doit exister dans le milieu social. De plus, les juges, les juristes et les justiciables se représentent

la fonction judiciaire de diverses façons et cela transparaît dans leurs propos et leurs actions. Cette

représentation se base sur plusieurs facteurs : réalité des faits, perceptions, traditions, tentatives de

modification, discours plus ou moins idéalisés…Tout ceci colore le contenu des exemples retenus et

nous renseigne sur l’aspect culturel de la procédure civile.

Certains aspects de la représentation de la fonction judiciaire excèdent les limites de cette thèse.

Cependant, les éléments qui recoupent l’implication du juge dans le cadre du litige judiciarisé ont

été intégrés dans la mesure du possible. Le point de départ de notre utilisation de cette notion

s’appuie sur la perception voulant que le concept de «fonction judiciaire» représente l’ensemble des

aspects de la charge, ou de l’office, de juge57 et ce, dans le cadre d’une instance civile de la Cour

supérieure du Québec. La fonction judiciaire illustre donc le fait d’être juge, avec tous les pouvoirs,

devoirs et aussi toutes les limites que cela comporte. Il s’agit d’un concept englobant. Il regroupe

notamment ce que les auteurs désignent par l’expression «rôle du juge»58, soit chacun des aspects

de l’implication du magistrat dans le contexte judiciaire. En effet, le juge possède plusieurs rôles

qu’il est appelé à exercer selon l’évolution d’un dossier59.

Les exemples retenus pour illustrer l’évolution des principes directeurs de la procédure civile

s’appuient par conséquent sur divers rôles que peut jouer le juge de la Cour supérieure dans le cadre

d’une instance60. Nous verrons que la compréhension et la nature de ces rôles peuvent se modifier

57 H. Reid propose de définir une fonction comme «l’exercice d’une charge», ou «l’ensemble des tâches» confiées à une

personne ou un organisme. Dans notre cas, il s’agit du juge. H. Reid, Dictionnaire de droit canadien et québécois, 4e éd.,

supra note 28, p. 271. 58 P.-C. Lafond, Le recours collectif, le rôle du juge et sa conception de la justice, supra note 4, ou J.-F. Roberge, supra

note 11, p. 96, par exemple. 59 Pierre-Claude Lafond propose d’étudier de concert les pouvoirs accrus et la modification du rôle du juge dans le cadre

du recours collectif (P.-C. Lafond, Le recours collectif, le rôle du juge et sa conception de la justice, supra note 4, p. 17).

La modification des pouvoirs du juge permet d’illustrer les interventions du juge et ainsi de constater la modification de

son rôle ou de ses rôles, et donc de sa fonction en général. 60 Divers auteurs ont considéré cette question et leurs travaux ont enrichi cette réflexion. Voir notamment P. Tessier, «La

vérité et la justice», (1988) 19 R.G.D. 29-80; D. Ferland, «La transformation de la justice civile : la ʺnouvelle culture

Page 25: L'évolution et la structuration des principes directeurs

15

au fil du temps, pour diverses raisons. Ces rôles peuvent être classifiés de manière préliminaire

selon leur nature. Le juge, lors d’une instance civile à la Cour supérieure du Québec du XIXe au

XXIe siècle, est tout d’abord un auditeur, en ce sens qu’il entend la preuve des parties. Cet auditeur

est traditionnellement impartial. Certains auteurs disent même qu’il est passif. La thèse examinera

cette conception des choses dans le cadre des différentes périodes déterminées. Ce rôle englobe

également celui d’évaluateur, dans la mesure où il lui appartient d’examiner et d’apprécier la nature

et valeur probante de la preuve présentée par les parties. Le juge est aussi un décideur qui, après

réflexion, se prononce sur la cause, tranche le litige entre les parties, alloue à chacune son dû… Il

est un interprète, car dans un système civiliste, c’est en appliquant la loi aux faits que le juge doit

arriver à la solution du litige. Il doit également motiver sa décision au regard de la loi et des faits.

Le rôle du juge au XXIe siècle emprunte aussi des traits à celui d’un gestionnaire ou d’un

administrateur, puisqu’il est chargé de s’assurer d’une bonne et saine gestion de l’instance et, en

collaboration avec les parties, de réaliser la proportionnalité dans l’ensemble de la procédure et la

preuve. Ce rôle signifie aussi qu’il est tenu de s’assurer de la proportionnalité de ses propres

décisions et ordonnances, afin d’alléger les actes de procédure et l’instance. Le juge est aussi un

conciliateur, qui propose ou accompagne un dialogue entre les parties dans le but de régler le

différend. Le juge est devenu progressivement un acteur de plus en plus important du processus,

puisqu’il peut parfois s’immiscer dans la cause pour favoriser son déroulement, protéger les droits

d’une partie, aider à la gestion de l’instance, etc. Il est un superviseur à qui il incombe de s’assurer

de la conformité de l’instance aux règles et aux formes procédurales définies notamment par le

Code, le fonctionnement contradictoire de l’instance, les droits des parties, etc., ce qui peut

l’amener à agir comme un conseiller. Il est enfin reconnu, dans quelques domaines, comme un

créateur du droit. Il peut participer à l’élaboration de règles complémentaires de la procédure civile,

ce qui rejoint les aspects créatifs de la fonction judiciaire. Ce dernier rôle rejoint parfois le rôle

d’interprète, car l’interprétation nécessite en certains cas que le juge fasse preuve de créativité.

La définition de ces divers rôles du juge a subi une évolution considérable depuis le début de la

période d’étude. Certains n’existaient pas ou n’étaient pas discutés largement vers 1867 (comme le

rôle de conciliateur). D’autres ont vu leur contenu fluctuer (comme le rôle de gestionnaire ou

d’administrateur). D’autres rôles encore qui semblent immuables, par exemple le rôle d’auditeur et

judiciaireʺ du juge et des avocats, dans L. LeBel, et P. Verge, L’oreille du juge, Études à la mémoire de Me Robert P.

Gagnon, Cowansville, Yvon Blais, 2007, p. 25-44; M. Rivet, «Entre l’écoute et le discours du juge : le dialogue dans la

construction de la justice», dans LeBel, L., et P. Verge, L’oreille du juge, Études à la mémoire de Me Robert P. Gagnon,

Cowansville, Yvon Blais, 2007, p. 151-166; F. Ost, «Juge-pacificateur, juge-arbitre, juge-entraîneur. Trois modèles de

justice», supra note 4; F. Ost, «Jupiter, Hercule, Hermès : trois modèles de juge» dans F. Ost, Dire le droit, Faire justice,

2e éd., Bruxelles, Bruylant, 2012, p. 33-60.

Page 26: L'évolution et la structuration des principes directeurs

16

de décideur, ont pu connaître des changements dont la nature est déterminante, sans être

spectaculaires. Pour réaliser notre analyse de la procédure civile dans un contexte évolutif, nous

avons examiné comment chacun des rôles a été perçu et modifié. Ceci révèle des conceptions de la

fonction judiciaire qui s’ancrent dans une époque et sont susceptibles de changement, de décalages

et de conjonctions entre elles. Cette analyse permet aussi de discerner des avenues que les membres

de la communauté juridique jugent devoir améliorer, entre autres.

La représentation de la fonction judiciaire traduite dans le comportement ou les paroles des acteurs

du processus judiciaire civil ne cesse de se modifier. Elle a une forte composante culturelle et

sociale. Un des postulats de la thèse veut que dans un contexte historique, elle évolue en lien avec le

développement de la procédure civile. Nous verrons qu’il ne s’agit pas uniquement d’une évolution

qui dépend principalement d’autres facteurs. Plusieurs auteurs ayant abordé la fonction judiciaire et

son contenu ne prétendent pas faire une œuvre d’historiens, mais ils en sont venus à identifier

quelques traces montrant par exemple que la réflexion sur la procédure civile a eu, ou pu avoir, une

influence sur la modification du rôle des juges. Par exemple, avant l’adhésion importante aux

méthodes alternatives de résolution des différends dans les années 1980, les États-Unis avaient vu

l’adoption des «Federal Rules of Civil Procedure» en 1938. Si elles ont été peu utilisées dans la

décennie suivante avant de gagner en popularité jusque dans les années 1980 où elles étaient

devenues courantes, ces règles créaient une procédure de type «pre-trial» pour simplifier les

procès61. En France, la révision du Code de procédure civile qui culmine avec l’adoption d’un

nouveau Code en 197662 et qui modifie la conception de la procédure civile provient d’une réflexion

étendue sur les principes procéduraux. Les décennies 1970 à 1990 sont aussi le moment d’une

réflexion procédurale importante en Grande-Bretagne, à la suite de laquelle s’amorce un

changement notable issu des propositions du rapport de Lord Woolf en 199663. Tous ces

mouvements tendent aussi à examiner les fonctions du juge et à lui confier de nouveaux pouvoirs.

Notre démonstration s’inscrit donc dans un cadre similaire, cherchant à établir notamment s’il y a

lieu de considérer que l’évolution de la fonction judiciaire est un phénomène constant et continu,

marqué par des sursauts notables, mais tout aussi progressif et nécessaire que les adaptations de la

procédure civile. Elle met en lumière l’influence de choix qui ont été faits durant un siècle et demi

dans ce domaine et qui ont déterminé l’orientation générale de cette évolution jusqu’à la situation

créée aujourd’hui.

61 J. Resnik, «Managerial Judges, Jeremy Bentham and the Privatization of Adjudication», (2010) 49 S.C.L.R. (2d) 205,

206; voir aussi D. Dwyer, «Categories of English Civil Procedure», (2010) 49 S.C.L.R. (2d) 570, 582-583. 62 E. Jeuland, «Le changement de rôle des témoins et des conseils dans quelques pays de droit civil et, en particulier, en

France», (2010) 49 S.C.L.R. (2d) 193, 195. 63 D. Dwyer, supra note 61, 582-583.

Page 27: L'évolution et la structuration des principes directeurs

17

L’étude des représentations attachées à la figure du juge comporte des précédents. Plusieurs auteurs

ont présenté l’évolution historique du rôle des juges en s’appuyant sur une trilogie. Certains

présentent trois images de magistrats, comme les célèbres «juges pacificateurs», «juges arbitres» et

«juges entraîneurs» de François Ost64. Les auteurs utilisent d’ailleurs des exemples similaires en

présentant des images inspirées de la mythologie : Jupiter-Hercule-Hermès65 ou Jupiter-Hercule-

Minerve66, entre autres. Une comparaison de ces diverses réflexions montre que les auteurs ont

discerné le développement de «modèles» de magistrat. Par exemple, le juge représenté par Jupiter

est un juge au service de la loi de l’État, qui est toute-puissante et qui est interprétée avec rigueur

selon la volonté du législateur. Lui-même est au sommet de la pyramide, et par lui le droit descend

vers les justiciables67. Le juge représenté par Hercule, en comparaison, est un juge qui met

davantage l’individu au cœur de sa pensée, son interprétation est moins rigoureusement celle d’une

loi sacralisée que celle qui se centre autour du justiciable68. Quant au juge représenté par Hermès, il

est plutôt le médiateur, le juge de la décision intégrant plusieurs réalités normatives, le juge de la

communication, de la circulation du discours69. Minerve, dans d’autres textes, présente des

caractéristiques similaires, figurant aussi le juge du dialogue entre les droits70. À la rigueur, ce

troisième juge est un juge post-moderne. Dans l’esprit d’un texte comme celui de François Ost,

l’émergence de ces divers «modèles» de juges a son importance, puisque la représentation du

système judiciaire et du droit dans son ensemble influence la perception et le travail du juge71. Il est

également clair que, dans l’esprit de l’auteur, la progression entre ces différents «modèles» de juges

n’est pas linéaire. Il peut y avoir existence concurrente, «superposition»72. Les modèles proposés

par François Ost sont utilisés de manière incidente dans la thèse, afin de fournir un élément de

comparaison entre la fonction judiciaire perçue dans les sources recensées et l’idéal d’une fonction

judiciaire représentée par une figure construite. Cela favorise l’identification des éléments

d’évolution de la fonction judiciaire ou de sa représentation, selon la présence ou l’absence de

certains traits qui permettent de relier la fonction du juge de la Cour supérieure à un ou plusieurs

des modèles proposés.

64 F. Ost, «Juge pacificateur, juge arbitre, juge entraîneur. Trois modèles de justice», supra note 4, p. 1-70. 65 F. Ost, «Jupiter, Hercule, Hermès : trois modèles de juge», supra note 60, p. 33-60. 66 C. Landheer-Cieslak, «Jupiter, Hercule et Minerve : trois modèles d’élaboration du droit des croyants par le juge

étatique», (2006) 47 C. de D. 623. 67 F. Ost, «Jupiter, Hercule, Hermès : trois modèles de juge», supra note 60, p. 36-40. 68 Id., p. 40-46. 69 Id., p. 35-36. 70 C. Landheer-Cieslak, supra note 66, p. 664. 71 F. Ost, «Jupiter, Hercule, Hermès : trois modèles de juge», supra note 60, p. 33-35. Les trois représentations identifiées,

d’ailleurs, ne résument pas à elles seules tous les juges : elles peuvent se décliner en de nombreuses variations. (Id., p. 35). 72 Id., p. 35.

Page 28: L'évolution et la structuration des principes directeurs

18

Questions et hypothèses de recherche

La thèse consiste donc à démontrer comment l’évolution de certains principes directeurs de la

procédure civile québécoise s’est effectuée dans un environnement donné et sur une période

déterminée, à travers son rapport avec l’évolution de la fonction judiciaire. La méthode adoptée

s’appuie sur une approche historique à la fois factuelle et culturelle de la formation de la procédure

civile québécoise. Elle veut percevoir la dynamique propre à l’évolution de cette procédure dans le

contexte judiciaire, à la structuration de la réflexion qui l’accompagne et aux développements de ses

caractéristiques dominantes, comme les principes directeurs. Le but est de mettre en lumière ses

mécanismes propres et son schéma de développement unique. Il ne s’agit pas de l’intégrer dans les

grands ensembles que sont «le droit civiliste» ou «la common law» ou d’exposer les différences ou

convergences qu’elle présente avec ces modèles classiques. Il faut comprendre que cette question et

celles qui en découlent, par exemple l’appartenance à un système inquisitoire ou accusatoire, ne

sont pas au premier plan des préoccupations des juristes au jour le jour dans le contexte de

l’évolution de la procédure civile –sauf, comme nous le verrons à différentes époques, pour protéger

le caractère «civiliste» de la procédure. Compte tenu de la nature de la recherche, ces questions

pourtant intéressantes seront donc laissées de côté.

Par conséquent, la thèse postule tout d’abord que la procédure civile québécoise ne doit pas être

réduite à sa dimension exclusivement technique, bien que celle-ci soit essentielle au droit judiciaire.

Elle ne doit pas être regardée comme une branche de cette discipline composée uniquement de

règles définies par le Code. Au contraire, il s’agit d’une matière extrêmement complexe, sensible

aux variations socioculturelles du monde qui l’entoure. Elle s’appuie sur des principes généraux et

directeurs qui en résument l’esprit et qui influencent le choix des règles et de leur application. Cet

esprit de la procédure civile existe depuis longtemps et connaît une évolution constante qui se

traduit justement par des changements et des réajustements des principes existants, de même que

par l’émergence de nouveaux principes. Ceux-ci ne sont pas définis de façon immuable et le

vocabulaire même qui les accompagne peut prendre plusieurs sens et recouvrir progressivement

plus d’une réalité. Par une comparaison scientifique, nous proposons ici d’utiliser ici une démarche

qui appréhende les principes directeurs dans une optique «organique». Les principes ciblés

s’intègrent dans un ensemble, ils composent une sorte de système par leurs interrelations. Comme

dans un organisme vivant, une modification du contenu ou du poids accordé à chacun des membres

du «système» est susceptible d’entraîner une réponse adaptative de l’ensemble et de chacun de ses

membres. Il s’agit donc d’en étudier les mouvements et les conséquences. Cet aspect de la

procédure civile est également son plus important moteur d’adaptation à la réalité mouvante du

Page 29: L'évolution et la structuration des principes directeurs

19

Québec contemporain et le meilleur outil de cohérence de la procédure lors des révisions du Code

de procédure civile, quoique cet aspect soit peu décrit dans la littérature des 150 dernières années.

Ainsi, les principales questions de recherche s’articulent autour des cinq principes directeurs de la

procédure civile retenus, puisqu’il s’agit d’en comprendre l’évolution et de proposer une théorie de

leur structuration. Par conséquent, nombre des questions de recherche ont trait au développement

interne des principes. Quelle est l’importance de la présence de chacun d’entre eux pendant la

période d’étude déterminée, soit de 1867 à 2016? S’il y a lieu, quel est le schéma de leur évolution?

Comment ces principes directeurs se manifestent-ils, en quoi consistent-ils et comment leur

évolution se traduit-elle en procédure civile? Quels sont les impacts de leur présence ou de leur

absence? Quelles représentations de la procédure civile et du système judiciaire soutiennent-ils?

Comment sont-ils influencés par de telles représentations? Les questions de recherche, en raison de

leur orientation concernant les exemples liés à la fonction judiciaire des juges, souvent issus de la

Cour supérieure, apportent aussi des informations sur l’évolution de celle-ci. Par conséquent, nous

verrons implicitement comment cette fonction, les pouvoirs et devoirs qu’elle implique et son

évolution sont décrits et perçus selon les époques. Cela nous permettra de considérer, de manière

parfois prospective, comment ces changements peuvent être liés aux modifications du système

judiciaire et de ses applications et comment se définissent les relations ou les interrelations entre

principes directeurs et fonction judiciaire.

En effet, à titre d’hypothèses de départ, la thèse postule d’une part que le principe directeur de la

procédure civile à titre d’entité distincte n’est pas né de la réforme du XXIe siècle, bien que celle-ci

ait contribué à mettre son rôle en lumière et à augmenter celui-ci afin de s’y appuyer pour

promouvoir ses objectifs. Il s’agit d’un élément discursif et structurant auquel les acteurs du monde

judiciaire peuvent adhérer, consciemment ou non, selon les époques. Il présente donc des éléments

d’indétermination, une possibilité d’interprétation et résulte aussi d’un choix, car il est possible de

ne pas y adhérer. Le XXIe siècle n’a pas inventé le «principe directeur», même s’il l’utilise, voire lui

offre une définition minimale, et le valorise davantage que par le passé. Le «principe directeur» est

un élément préexistent sur lequel le législateur du XXIe siècle veut désormais capitaliser pour

résoudre des difficultés inhérentes au système judiciaire, par exemple la célérité, l’économie,

l’efficience, l’accessibilité, etc. Il s’agit d’une stratégie, d’une nouvelle approche qui prend la relève

d’autres tentatives antérieures, et dont le succès n’est pas assuré.

Notre hypothèse affirme également que les principes directeurs de la réforme du XXIe siècle ou des

révisions qui la précèdent, quoiqu’on ait cru ou qu’on en ait dit, ne sont pas de purs emprunts à des

Page 30: L'évolution et la structuration des principes directeurs

20

droits externes. Ils existent déjà dans la procédure civile québécoise à différents stades de

développement durant son histoire récente. Cela explique en partie pourquoi les principes directeurs

décrits par les documents liés à la réforme, par exemple, ont pu s’intégrer dans la procédure civile

actuelle sans causer une révolution –malgré des nécessités d’adaptation et quelques protestations.

Cette proposition n’implique pas de nier la possibilité des emprunts, dans le développement des

principes directeurs ou ailleurs, mais de la considérer selon une approche contextualisée qui doit

aussi considérer la problématique de l’enracinement de ces principes directeurs. Le droit du Québec

actuel est né de la rencontre de deux droits, comme nous le verrons. Pourtant, sa situation unique a

rapidement entraîné le développement d’un droit qui lui est propre. En matière de procédure civile,

le lien avec les droits «parents» (ou fondé sur l’«ascendance») a été affaibli assez tôt après la

codification de 1867 et le choix des règles à «emprunter» s’est rapidement élargi, comme nous

l’illustrerons. Il résulte de cela qu’au cours de son histoire, il a pu être modifié par des emprunts

que, à l’instar de Denys Cuche, nous pouvons qualifier d’«endogènes» à la relation avec les droits

ascendants et des emprunts «exogènes» à divers droits, que l’on pourrait aussi représenter comme

des «emprunts collatéraux», selon les besoins du droit québécois73. Mais l’évolution particulière de

celui-ci le désigne très vite, en procédure civile, comme une entité en soi et ses emprunts comme

autant de choix.

En abordant l’idée d’évolution, notre thèse adopte la présupposition voulant que l’ancienneté d’un

principe, ou tout au moins le moment et le mode de son émergence, ait une importance dans la

compréhension de celui-ci. Le professeur Patrick Morvan, dans l’ouvrage basé sur sa thèse et

portant sur le «principe de droit privé», rappelle que l’invocation de l’ancienneté de la jurisprudence

est parfois utilisée par les juges de la Cour de cassation pour établir la légitimité des effets d’un

principe, lorsqu’aucun fondement de doctrine ne le leur permettrait74. Utilisant une approche

différente du sujet, le professeur Neil Andrews inscrit pourtant aussi la définition du principe dans

une perspective de longue durée. Ainsi, il lui attribue un développement et un déclin; il rappelle les

fluctuations que peut connaître sa popularité à divers moments75. La «formation» ou l’«émergence»

des principes pourrait donc présenter certaines caractéristiques notables, révélatrices de la nature de

la procédure telle qu’elle est comprise et appliquée à l’époque. Le professeur Morvan considère

quant à lui diverses influences qui s’exercent sur la formation des principes et qui en orientent le

schéma d’élaboration76. Parmi ces influences, il indique que des principes sont notamment

73 D. Cuche, La notion de culture dans les sciences sociales, Paris, Éditions La Découverte, coll. Repères, no 205, 1996,

p. 54. 74 P. Morvan, Le principe de droit privé, Paris, L.G.D.J., 1999, p. 453. Voir aussi J. Boulanger, supra note 29, p. 51. 75 N. Andrews, supra note 15, p. 12. 76 P. Morvan, Le principe de droit privé, supra note 74, p. 451-546.

Page 31: L'évolution et la structuration des principes directeurs

21

tributaires d’une élaboration «par voie de sédimentation»77, c’est-à-dire par «une répétition lente et

spontanée de pratiques suivies pendant un long laps de temps et ressenties comme obligatoires»78. Il

étudie les implications d’une telle conception pour montrer l’apport des juges et de la doctrine dans

le développement et la définition des principes, les premiers ayant souvent un rôle créateur alors

que la seconde offrirait surtout une impulsion supplémentaire, une approbation79.

La question de l’élaboration des principes rejoint la question du développement et de la

reconnaissance des «principes directeurs» sélectionnés. Il est nécessaire de présenter une certaine

catégorisation qui permette de classer les principes quant à leur stade d’évolution selon les époques.

Un tel exercice a été proposé ailleurs, mais jamais au Québec. Le professeur Andrews, par exemple,

propose trois stades de développement des principes en droit britannique, en se basant sur les étapes

et les modalités de leur reconnaissance. Il indique l’existence des «latent principles», des principes

«latents», dont le statut serait discutable80, en ce sens que des membres de la communauté juridique

en soutiennent l’existence alors que d’autres la nient et que les Cours ne la reconnaissent pas de

façon systématique81. Il précise que «there is no regular judicial support for the existence of such a

principle»82. De même, il reconnaît les «half-articulated principles», qu’il qualifie ainsi parce qu’ils

sont reconnus, appliqués ou invoqués par les avocats, les auteurs de doctrine et les tribunaux sans

pourtant avoir de nom qui les distingue. Ils sont souvent désignés par une métaphore83. L’auteur

ajoute que les cours les utilisent ou les invoquent régulièrement84 et il soutient qu’il n’existe pas de

véritable différence au niveau de la substance entre les «half-articulated principles» et les principes

«nommés», bien que seuls les seconds bénéficient d’une description conventionnelle85. La dernière

catégorie qu’il identifie est celle des «nominate principles», qui sont des principes reconnus depuis

longtemps et qui possèdent un nom qui leur est spécifiquement réservé et qui est largement reconnu

et répandu86. Malgré l’intérêt de cette présentation, elle reste incomplète en ce qui concerne le droit

procédural québécois. Celui-ci possède entre autres caractéristiques civilistes d’être régi par la loi,

77 Cette sédimentation peut se faire selon différentes techniques (P. Morvan, Le principe de droit privé, supra note 74, p.

452-462), ce qui montre bien que les principes n’ont pas nécessairement un mode d’élaboration entièrement uniforme sur

le plan pratique, mais la sédimentation étant tributaire de la jurisprudence, elle détermine dans toutes ces méthodes un

apport des tribunaux dans l’élaboration de nombreux principes. 78 P. Morvan, Le principe de droit privé, supra note 74, p. 455. 79 Id., p. 453-531. Notons que la doctrine peut également entraver l’évolution d’un principe, comme l’illustre l’auteur (p.

531-546). 80 N. Andrews, supra note 15, p. 12. Il emploie le terme «disputable principles». 81 Ibid. 82 Ibid. 83 Ibid. 84 Ibid. 85 Ibid. 86 Ibid.

Page 32: L'évolution et la structuration des principes directeurs

22

une source de droit plus importante dans la tradition civiliste que dans le contexte de common law

qu’étudie Neil Andrews.

Dans l’univers juridique du droit civil français, Patrick Morvan propose aussi des critères qui

peuvent contribuer au développement d’une certaine catégorisation des principes liée à leur

évolution. Cet auteur étudie notamment la «formalisation» du principe, c’est-à-dire son

développement et son intégration progressive à la jurisprudence et à la législation. Il soutient tout

d’abord qu’à l’aube de sa formalisation87, le principe est perçu à travers des indices «indéniables»

traduisant sa «présence occulte», des indices qui seraient récurrents lors de l’émergence de

nombreux principes88. Ces indices sont, selon lui, de deux natures. Les uns font référence à ce qu’il

appelle des «éléments du donné», donc qui réfèrent au droit naturel, à l’idée d’équité, de morale,

d’ordre public ou à une tradition juridique ou à un usage et dénotent la révérence envers un principe

qualifié de général, absolu, essentiel, fondamental ou primordial89. Les autres se rapportent à la

question essentielle à sa thèse des «arrêts de principe», qui ont pour effet de trancher entre deux

opinions à valeur générale et de mettre fin à une hésitation90. À un «degré supérieur de maturité»,

selon le professeur Morvan, «le principe revêt une apparence physique plus distinctive»91. C’est à

ce stade qu’il est «visable», c’est-à-dire susceptible d’être reconnu par la Cour de cassation.

L’auteur discerne deux caractéristiques qui sont particulières à un principe à ce stade de son

développement. Il s’agit du sentiment de l’existence d’un principe préexistant à la loi92 et

notamment traduit par le recours à des locutions et adages93 d’une part. D’autre part, il parle du

«visa de texte fictif». Cette expression désigne un principe qui est cité au soutien d’un arrêt à travers

un texte issu de la loi applicable, mais qui n’a souvent qu’un lien ténu avec la règle appliquée94,

sinon la volonté du juge. En extrapolant sur les explications de Patrick Morvan concernant

l’influence de la jurisprudence dans l’emploi de «principes», il est possible de supposer que le

principe peut être présenté dans un arrêt comme s’il était déduit d’un article de la loi, sans que cet

article ait été spécifiquement prévu pour contenir ce principe. L’auteur précise qu’il s’agit alors

d’un arrêt de principe à portée dogmatique95. Enfin, Patrick Morvan discerne un troisième stade du

principe de droit civil, soit le principe visé, c’est-à-dire clairement reconnu par la Cour de cassation

87 L’en-tête de la section fait même référence à des «principes embryonnaires», P. Morvan, Le principe de droit privé,

supra note 74, p. 312. 88 Id., p. 312. 89 Id., p. 312-314. 90 Id., p. 314-317. 91 Id., p. 320. 92 Ibid. 93 Id., p. 324. 94 Id., p. 327. 95 Id., p. 529-531.

Page 33: L'évolution et la structuration des principes directeurs

23

et qui soutient un arrêt96. Quant à la reconnaissance législative du principe de droit privé, l’auteur

n’en fait pas une catégorie définitive, même s’il mentionne son importance et en discute

longuement l’action. En matière d’élaboration du principe, il soutient que «la loi atteint son but

lorsqu’elle consacre une application partielle du principe. Elle est l’expression particulière d’un

principe qui persiste à s’appliquer par ailleurs à des hypothèses non visées par le texte»97. Il

mentionne que la loi peut reconnaître le principe, ou surenchérir sur le principe en y ajoutant des

applications non prévues en jurisprudence et qui modifient sa signification; elle peut encore abolir

l’autonomie du principe et le muer en règle textuelle si elle le consacre dans sa totalité98. Dans

l’ensemble, cette compréhension des caractéristiques des principes proposés par Patrick Morvan

s’est révélée enrichissante dans le développement de notre réflexion dans le cadre de cette thèse.

Cependant, elle présente quelques difficultés d’adaptation. D’une part, le système des tribunaux

français est très différent de celui du Québec, dont la tradition est empruntée largement au droit

britannique. Tant la nature que le rôle de la Cour de cassation de France n’ont pas d’équivalents

exacts au Québec. Il faut aussi comprendre que l’expression «principes directeurs du procès» existe

en France pour désigner une catégorie d’articles inscrits dans le Code de procédure civile depuis

l’adoption du «Nouveau Code de procédure civile» français en 1975. L’histoire de leur

développement99 et leur application dans un système basé sur une conception de la justice fondée

sur la recherche de la vérité par un juge100 les éloigne un peu de la conception de «principes

directeurs» qui peut convenir au contexte québécois101.

96 Id., p. 64-70 et 339 et suiv. 97 Id., p. 708. En effet, selon l’auteur, l’intervention de la loi peut avoir de multiples buts et un succès variable, allant de la

reconnaissance d’applications particulières du principe (sans pour autant contenir toutes les applications possibles de

celui-ci) jusqu’aux tentatives, dans certaines circonstances, de censurer le principe. P. Morvan, Le principe de droit privé,

supra note 74, p. 707-749. 98 Ibid. 99 Par exemple S. Amrani-Mekki, «L’avenir du nouveau Code de procédure civile en France», dans L. Cadiet et G.

Canivet (dir.), De la commémoration d’un Code à l’autre : 200 ans de procédure civile en France, Paris, LexisNexis

Litec, 2007, p. 247-251. 100 Voir à ce sujet l’étude de S. Amrani-Mekki, supra, note 4, qui présente, discute et au besoin remet en question les

catégories créées entre common law et droit civil sur des questions liées au rôle du juge. 101 D’ailleurs, P. Morvan considère qu’à l’exception du principe du contradictoire, la dénomination de «principe» pour ces

articles est anachronique et artificielle, puisqu’ils sont de nature doctrinale, qu’ils n’ont pas de prééminence normative,

qu’ils étaient prévus plutôt comme des dispositions liminaires, etc. (P. Morvan, Le principe de droit privé, supra note 74,

p. 524-531). Au contraire, le doyen Gérard Cornu considère que les principes directeurs du procès sont bien nommés (P.

Morvan, id., p. 529, note 1068; G. Cornu, «Les principes directeurs du procès civil par eux-mêmes (fragments d’un état

des questions)», dans J.-J. Arnaldez et al., Études offertes à Pierre Bellet, Paris, Litec, 1991.p. 83-100). Il faut remarquer

que les principes directeurs identifiés au Québec sont présentés comme se dégageant de la pratique (Comité de révision de

la procédure civile, Une nouvelle culture judiciaire, supra note 7, p. 35-40) ou enracinés dans la réalité où évoluent les

cours (J.-G. Belley, «Une justice de la seconde modernité», supra note 4, p. 362). P. Morvan rappelle que plusieurs

auteurs ont critiqué ou questionné le contenu des principes directeurs du Code de procédure civile français et leurs

conséquences sur la compréhension de certains aspects du droit procédural (p. 524-529). Son analyse ne peut pas être

calquée entièrement en droit québécois : par exemple, il écarte l’idée du «principe d’interprétation» désignant les maximes

interprétatives et, ainsi, la règle d’interprétation n’est pas un principe selon sa théorie (p. 38). Le discours sur les principes

directeurs québécois n’est pas aussi tranché (par exemple en ce qui a trait à l’article 2 C.p.c.) et les principes ont un rôle

Page 34: L'évolution et la structuration des principes directeurs

24

Pour répondre aux questions de recherche, la thèse est donc élaborée en fonction d’une ligne

directrice principale qui prend en compte ces réflexions. Celle-ci veut que l’évolution des principes

directeurs depuis 1867 se révèle à travers une série de modifications à la procédure civile elle-

même, nées d’orientations législatives ou judiciaires et reflétant les variations de la réflexion sur la

procédure civile présentes dans le discours de la communauté juridique. Cela signifie que, de

manière consciente ou non, les principes directeurs ont une influence dans le cadre de la procédure

civile avant le moment de leur reconnaissance formelle ou de leur codification. Ces modifications et

le discours qui les accompagnent permettent donc d’appréhender le développement des principes

directeurs et de le dater. Ces modifications ne sont pas toujours cumulatives, comme le

cheminement des divers principes n’est pas toujours linéaire. Cependant, les principes directeurs se

traduisent par des manifestations de nature procédurale et un degré donné d’adhésion de la

communauté juridique. Lorsqu’elles atteignent un seuil cumulatif dans le premier cas et une

certaine majorité dans le second, ces éléments permettent de reconnaître que le principe directeur

est adopté en tant que tel. Il faut donc envisager le fait que la structuration de la procédure civile et

des principes directeurs n’est pas le fruit d’une pensée linéaire et d’un développement téléologique

qui détermine le droit procédural correct. Au contraire, elle démontre qu’elle progresse par

l’adoption de plusieurs approches différentes et successives, que des conceptions jugées

irrecevables à une époque s’avèrent être les fondements des changements remarqués à une autre

époque, etc. Dans l’ensemble, les principes directeurs ont une influence sur la procédure civile

durant toute la période étudiée, mais la nature de leur influence est variable. L’usage, conscient ou

inconscient, qui en est fait par la communauté juridique n’est pas le même à toutes les époques.

Enfin, le rôle amplifié confié aux principes directeurs lors la réforme du début du XXIe siècle est

autant une reconnaissance de leur importance qu’une nouvelle stratégie adoptée pour réaliser des

objectifs anciens.

Afin de réaliser l’étude projetée, il a été nécessaire de développer une forme de catégorisation plus

adaptée au système judiciaire, à la pratique du droit et à la procédure civile du Québec de 1867 à

aujourd’hui. Celle-ci doit aussi tenir compte de la nature de ces principes qui, étant des principes

interprétatif. Il considère également que des généralités voulant que le principe soit une règle générale ou qu’il incarne

l’esprit de la loi, entre autres, sont inexactes dans le cas des principes de droit privé (p. 365-367). Effectivement, en tant

que règle inscrite au Code qui permet à un principe reconnu de s’exprimer, un article n’est pas à proprement parler un

principe. Les principes ne peuvent pas être réduits à l’expression qui en est faite dans une loi, comme la thèse l’illustrera.

Cependant, puisqu’une règle reconnaît un principe, et puisque le législateur, surtout dans les plus récentes révisions du

Code de procédure civile du Québec, a ouvertement voulu inclure dans le Code des règles qui encadrent toute la

procédure et influencent son interprétation par ce qu’il nomme des «principes», il a paru légitime, dans le cadre de notre

thèse, d’adopter une position similaire. D’ailleurs, la distinction de nature effectuée entre «principes généraux» et

«principes directeurs» dans le présent document prend aussi en compte ces réflexions importantes du professeur P.

Morvan.

Page 35: L'évolution et la structuration des principes directeurs

25

directeurs de la procédure civile, ont pour vocation d’orienter celle-ci et que des membres de la

communauté juridique aspirent, possiblement, à voir inscrire dans la loi102. La réflexion de base de

la thèse s’appuie sur les propositions des professeurs Morvan et Andrews, puisque l’idée

d’évolution, d’élaboration progressive des principes directeurs et de leur influence semble

appropriée à l’analyse de la structure procédurale depuis 1867. L’un des buts de la thèse est

d’appliquer cette catégorisation aux exemples retenus à divers moments de l’évolution de la

procédure civile québécoise, afin d’évaluer le niveau et le rythme de développement des principes

directeurs. Il est bon de souligner dès l’abord que cette approche donnera des résultats qui peuvent

différer de ceux que dégagerait une étude menée, par exemple, en considérant plutôt l’intégration

dans la philosophie du droit de données issues des grandes traditions juridiques occidentales103.

Ainsi, selon les marqueurs retenus par les deux approches, nous pourrions être appelée à considérer

un principe directeur comme existant et influant (ou non) dans la procédure civile à des moments

différents. Il faudra sans doute considérer ces approches comme complémentaires et, autant que

possible, en établir la synthèse, mais cet exercice ne sera pas réalisé dans la thèse.

Nos lectures préliminaires nous avaient amenée à penser que, dans le contexte particulier du

Québec, il peut y avoir jusqu’à cinq états de développement des principes directeurs de la procédure

civile. Le premier état de développement regroupe ce que nous pouvons justement appeler des

principes «embryonnaires». Ce sont des principes à leurs débuts, encore imprécis, révélés par des

indices ou perçus par des remarques d’auteurs, d’avocats ou de juges manifestant un intérêt pour

une facette de leur contenu ou de leurs caractéristiques. Par exemple, un intérêt pour la question

économique dans le contexte de l’instance s’inscrit déjà à la base d’un possible développement du

principe directeur de la proportionnalité, sans révéler l’existence d’une idée de proportionnalité telle

qu’elle est comprise lors de l’adoption du nouveau Code en 2014. Un second état proposé est celui

du principe que nous nommerons «latent», à l’instar de la classification du professeur Andrews.

Ceci désigne des principes discutables, soutenus par certains et rejetés par d’autres, soit dans la

jurisprudence ou la doctrine. Plus développés sont les principes qui seront appelés «innommés».

Comme les «half-articulated principles» décrits par Neil Andrews, ils sont reconnus, mais ne se

présentent pas sous un nom précis dans la jurisprudence ou la doctrine. Par la suite, le principe

directeur est désigné par un titre, un vocable qui fait consensus dans la communauté juridique. Cette

102 Il est intéressant de souligner que J.-G. Belley, en exposant douze «principes» pouvant être inscrits au début du Code,

propose qu’ils puissent justement être présentés «à titre de dispositions générales affirmant les valeurs et les principes

d’ordre sur lesquels reposent l’existence et l’interdépendance de tous les procédés de justice» (J.-G. Belley, «Une justice

de la seconde modernité», supra note 4, p. 362 –voir aussi les pages suivantes). D’ailleurs, le texte du professeur Jean-

Guy Belley sur les principes directeurs de la procédure civile prend, notamment, un grand appui sur l’examen du système

judiciaire québécois dans le contexte social contemporain pour dégager les principes qui s’y dessinent. 103 Voir, pour une présentation résumée dans ce domaine, A. Guilmain, supra note 18.

Page 36: L'évolution et la structuration des principes directeurs

26

cristallisation du nom permet au principe directeur concerné de devenir un principe «nommé».

Finalement, il faut considérer la reconnaissance par la loi comme le tout dernier stade, celui du

principe directeur «codifié», puisque la reconnaissance la plus significative dans l’évolution du

Code passera justement par l’inscription dans le Code de procédure civile du Québec. Dans les

prochains chapitres, marginalement, l’utilisation de cette classification permettra d’en constater

l’intérêt dans le contexte juridique et historique. Il ne nous semble pas que cette structure d’analyse

doive être appliquée d’une manière trop rigide, car les catégories sont probablement appelées à se

chevaucher, comme le système développé par Neil Andrews le prévoit par ailleurs104.

Dès l’abord, l’évolution étudiée dans le cadre de la thèse se décline à travers deux contextes. D’une

part, l’évolution de la procédure civile se rapporte à l’élaboration du Code de procédure civile et à

sa maturation, au développement de son contenu normatif, à l’adoption progressive et à

l’application de moyens procéduraux spécifiques et nouveaux. Elle illustre ainsi les mouvances qui

existent dans l’esprit de cette branche du droit. Cet aspect est étudié en priorité. D’autre part, la

recherche a intégré des notions et des observations qui ont trait à la dimension historique et

socioculturelle de la question de recherche, même s’il a été impossible de lui donner toute l’ampleur

qu’elle mérite, toujours pour réduire la taille de la présentation, puisque l’évolution et la

structuration de la procédure civile ou du rôle des magistrats ne se produisent pas en vase clos.

Nous avons mentionné qu’en raison du type d’exemples retenus, nous ferions aussi état des

éléments qui concernent l’évolution de la fonction judiciaire dans son rapport à l’évolution des

principes directeurs de la procédure civile. L’analyse de la façon dont cette influence se manifeste

permettra de considérer la validité de cette hypothèse et participera aussi à l’étude de l’hypothèse

principale.

Méthodologie, usage des sources et traitement des données

Notre analyse s’appuie donc sur de nombreux paramètres et variables. Cependant, le travail de thèse

étant avant tout la présentation d’un résultat, nous ne détaillerons pas de manière complète chacun

d’entre eux. Nous nous attacherons surtout à dégager et expliquer les faits, leur interprétation et

leurs impacts par rapport à la structuration de la procédure civile, à l’état de développement des

principes directeurs et aux liens et influences dans une perspective contemporaine de ces exemples

autant que pour les époques postérieures. Dans un premier temps, puisque la thèse s’inscrit dans

l’univers du droit judiciaire, l’analyse juridique de la situation est primordiale. Cela signifie étudier

la procédure civile et son lien aux principes, tel qu’ils sont définis par l’ensemble des sources

104 Voir notamment N. Andrews, supra note 15, p. 12.

Page 37: L'évolution et la structuration des principes directeurs

27

québécoises citées et appliqués par les tribunaux. Il est essentiel de comprendre le Code en tant que

loi, dans son application, son aspect pratique, son esprit et sa lettre, son interprétation par la

jurisprudence et la doctrine, etc. L’application et l’évolution des règles et principes procéduraux

seront survolées pour en dégager les conclusions utiles à la compréhension de la structuration du

droit judiciaire.

Dans l’application de cette première forme d’analyse recensée, qui se veut juridique et orientée sur

la procédure civile et ses lois, l’étude des arrêts et jugements et de la doctrine, voire même de textes

complémentaires, est aussi mise à contribution. Diverses orientations ont été prônées durant les 150

ans d’évolution de la procédure civile codifiée. Ces sources les reflètent et les expliquent, tout en

mettant en lumière les balises imposées à leur utilisation par les législateurs, les juges ou les avocats

et notaires. Le traitement réservé aux questions pour lesquelles aucune disposition n’est

spécifiquement prévue dans le Code est l’une des avenues privilégiées pour comprendre l’évolution

du droit. Or, les réponses fournies par les divers acteurs sont au cœur du travail effectué dans le

domaine judiciaire. Cette approche examine aussi comment les juges ont utilisé ce que le juge

LeBel a identifié dans une cause contemporaine comme un pouvoir subsidiaire ou interstitiel des

tribunaux de définir le droit procédural qui est avant tout législatif105. Incidemment, ces recherches

en matière procédurale illustrent aussi les transformations de la fonction judiciaire. À partir de ces

données, il devient possible de comprendre comment, en matière juridique, les principes directeurs

ont donné un cadre de pensée à l’évolution des règles. Ils déterminent largement l’application et les

modifications de ces règles. De ce fait, l’évolution de la procédure civile n’est pas uniquement la

modification des techniques juridiques, elle devient une partie intégrante de la façon de penser le

droit civil. Elle incarne concrètement la double capacité du droit à être à la fois souple et

structurant, car le rôle de structure que joue la procédure civile ne doit pas faire d’elle un élément

qui détache le droit des besoins des justiciables.

Dans un second temps, la démonstration de notre hypothèse requiert l’apport d’une mise en

contexte historique de son développement. La nature des principes les place à la charnière du droit

et des valeurs sociales. Une étude approfondie de l’évolution de principes directeurs de la procédure

civile ne peut donc pas se faire dans le vase clos de l’univers judiciaire. Cette nouvelle analyse se

superpose à la première en prenant appui sur un questionnement connu des sciences humaines et

notamment de ce qui est souvent présenté comme l’«histoire sociale»106 : le changement culturel.

105 Lac d'Amiante Québec c. 2858-0702 Québec Inc., 2001 CSC 51, [2001] 2 R.C.S. 743, 761-765. 106 Pour une meilleure compréhension des champs d’études et de l’évolution des questionnements de l’histoire sociale,

voir par exemple P. Burke, History and Social Theory, Second Edition, Ithaca, Cornell University Press, 2005, 224 p.; D.

Page 38: L'évolution et la structuration des principes directeurs

28

Bien que cet aspect soit réduit dans la présentation, il est nécessaire de préciser son contenu, à cause

de son influence sur la recherche. La réforme réalisée au XXIe siècle s’appuie ostensiblement sur

une approche «culturelle» de la procédure civile et cela doit être pris en considération dans son

interprétation. Dans ce cadre, tant les disciplines de sciences humaines que de sciences sociales

nous offrent des outils d’analyse, comme les notions d’acculturation et de changement culturel.

Nous avons privilégié le second terme, car il peut «résulter de causes internes», c’est-à-dire de

phénomènes internes à une forme culturelle, autant que de causes externes107. Le recours au

«changement culturel» permettait donc d’utiliser une notion plus large et de considérer les

phénomènes susceptibles d’être observés sans présupposer qu’ils naîtraient d’un changement que,

comme nous l’avons vu, Denys Cuche qualifie parfois d’exogène108. Normand Séguin, professeur et

historien, proposait avec justesse que :

l’étude du changement culturel a pour objet l’ensemble des transformations qui

modifient le caractère de la société. Elle vise à expliciter la dynamique par laquelle les

éléments de conservation et d’innovation s’opposent et se conjuguent, avec des

décalages dans le temps et l’espace. […] Le changement culturel n’a, évidemment, rien

d’un mouvement linéaire et cumulatif et ne saurait être représenté comme une

maturation sous l’effet d’influences conjuguées. La lecture qu’on en fera prendra plutôt

acte des continuités et des ruptures, des interruptions et des revirements, et invitera

notamment à distinguer la simple modernisation d’une tradition de la véritable

transformation d’une structure, d’une pratique, ou d’un mode de pensée109.

Il est intéressant de se demander, en étudiant l’évolution du Code de procédure civile et de la

fonction judiciaire, s’il y a véritablement changement culturel et dans quelle mesure. Cependant, les

outils mis à la disposition du chercheur dans le contexte du changement culturel, par exemple

l’appréhension de la continuité, de la rupture, des emprunts, de l’acculturation110, sont autant de

phénomènes susceptibles d’aider à comprendre et à expliquer le cheminement procédural

québécois. Le concept de l’acculturation peut englober plusieurs de ces aspects. Sommairement,

MacRaild et A. Taylor, Social Theory and Social History, Palgrave MacMillan, Houndsmill, Basingstoke Hampshire

(U.K.)/New York, 2004, p. 4-31; A. Prost, Douze leçons sur l’histoire, Paris, Seuil, 1996, p. 213-236. 107 D. Cuche, supra note 73, p. 54. 108 Id. 109 N. Séguin, «Quelques considérations pour l’étude du changement culturel dans la société québécoise», dans G.

Bouchard (dir.), La construction d’une culture, le Québec et l’Amérique française, Québec, Presses de l’Université Laval,

1993, p. 215-216. 110 Comme le rappelle par exemple Peter Burke, le changement social, et par conséquent dans l’optique de la thèse le

changement «culturel», peut être généré par des facteurs internes, mais aussi par des facteurs externes (P. Burke, supra

note 106, p. 161-165). La rencontre entre deux traditions juridiques, les échanges qui se produisent, soit par imposition ou

par emprunt volontaire, sont des facteurs de changement dans le droit québécois entre 1759 et 2016. Les réactions

suscitées, parfois positives et parfois négatives, sont autant de facettes d’un changement culturel et participent à son étude

autant qu’à l’évolution sociale ou culturelle. Voir, sur le concept d’acculturation, A. Brami, «L’acculturation : étude d’un

concept», (2000) 121 D.E.S.S. 54, en ligne : academia.edu. Concernant l’acculturation juridique, voir par exemple C.

Journès, «Réflexion introductive sur l’acculturation en droit des affaires», dans J.-L. Navarro et G. Lefebvre,

L’acculturation en droit des affaires, Montréal, Thémis, 2007, p. 7-21.

Page 39: L'évolution et la structuration des principes directeurs

29

l’acculturation désigne les «changements socioculturels résultant du contact direct et prolongé entre

des groupes ou individus de cultures différentes»111, selon une partie de la définition désormais

classique adoptée par l’anthropologie. Elle peut donc décrire certaines formes de changement

culturel, pourvu que l’origine en soit externe. L’usage d’un tel concept nécessite d’éviter certaines

connotations parfois négatives qui s’y attachent. L’acculturation peut s’induire dans les deux

cultures en contact et elle n’est pas non plus le synonyme d’une assimilation112. Elle ne signifie pas

nécessairement la disparition d’une culture113. En effet, il est reconnu que l’acculturation peut

produire divers effets, tels l’adoption de la culture dominante (ou l’assimilation à celle-ci), la

réinterprétation des traits culturels donnant naissance à une pratique inédite, ou encore le refus des

traits culturels, parfois appelé contre-acculturation114. La disparition de la culture recevant les traits

culturels peut se produire dans certaines situations : il est parfois question de «déculturation»115. De

plus, l’acculturation en matière juridique peut se révéler par divers phénomènes. Des auteurs ont

parlé de trois modèles d’acculturation à propos des institutions juridiques116. L’acculturation «par

intégration» survient lorsque l’institution s’incorpore dans la culture réceptrice117 au point de perdre

ses traits caractéristiques. L’acculturation «par assimilation» rejoint l’idée évoquée précédemment

en la poussant à l’extrême. L’adoption d’une institution juridique entraîne la transformation du

système récepteur118 au point de mettre à l’écart ses propres caractéristiques. Enfin, l’acculturation

«par hybridation» implique une transformation mutuelle de l’institution juridique adoptée et du

système de droit récepteur119, ce qui entraîne le développement d’une institution qui présente des

traits combinés de deux traditions juridiques. Autant ce concept est complexe, autant le changement

culturel tel que nous l’appliquons l’est également. Ainsi, dans certains cas, il proviendra peut-être

de cas que nous pourrions désigner comme de l’acculturation, mais il tiendra aussi compte d’autres

modifications induites sans référence à un contact culturel continu, même si elles ont l’aspect

«culturel» pour objet. L’idée d’un changement culturel dans l’univers judiciaire québécois peut

s’étudier en référence à ces concepts liés à l’étude du changement culturel dans les sciences

humaines et sociales.

111 A. Bruno et C. Elleboode (dir.), Dictionnaire d’économie et de sciences sociales, 2e éd., Paris, Ellipses, 2010, p. 12, en

citant les auteurs initiaux de la définition qui l’ont adoptée en 1936. 112 D. Cuche, supra note 73, p. 53 à 56 et 58 à 62. 113 Id. 114 A. Bruno et C. Elleboode (dir.), supra note 111, p. 12. 115 Id. 116 S. Normand, «La culture juridique et l’acculturation du droit : le Québec», (2011) 1 – Special Issue 1, Legal Culture

and Legal Transplants, ISAIDAT Law Review, article 23, p. 1-2, en ligne :

corpus.ulaval.ca/jspui/handle/20.500.11794/14807. 117 Id., p. 2. 118 Ibid. 119 Ibid.

Page 40: L'évolution et la structuration des principes directeurs

30

Ainsi, le professeur Georges Duby, médiéviste, expliquait quant à lui que le but de certains groupes

de recherches d’histoire des civilisations est de définir des «modèles culturels», leur développement

et le mouvement de ce qui les transforme. Les signes qu’ils en dégagent doivent être mis en lien,

selon lui, avec un «système complexe de valeurs et de mythes qu’il importe aussi de reconnaître et

de situer à leur juste place, selon la puissance qu’exerce chacun d’eux sur le comportement des

groupes et selon qu’ils sont perçus de manière plus ou moins claire par la conscience collective»120.

Il proposait notamment qu’un «vaste domaine de l’histoire culturelle paraît donc devoir être occupé

par l’étude des phénomènes de réception. […] On s’aperçoit ici très vite que la culture n’est jamais

reçue uniformément par l’ensemble de la société, que celle-ci se décompose en milieux culturels

distincts, parfois antagonistes, et que la transmission de l’héritage culturel se trouve gouvernée par

la disposition des relations sociales»121. Cette constatation de l’éminent historien, pour n’être pas

récente122, est pourtant importante pour celui qui réfléchit à l’évolution d’une partie de la culture

juridique comme nous avons l’ambition de le faire dans le cadre de cette thèse en ce qui a trait à la

procédure civile. Même si l’environnement d’étude défini est relativement homogène, c’est-à-dire

que l’attention se concentre sur l’évolution de la procédure dans un contexte judiciaire, où la

majorité des acteurs dont le discours est recueilli sont des membres de la communauté juridique, la

possibilité du changement et l’adhésion à celui-ci, ne sont pas vécues de façon homogène. Il y a des

avancées et des reculs, des hésitations, des enthousiasmes, des oppositions. Elles peuvent présenter

des ressemblances avec des concepts de l’histoire sociale123, tels que la résistance, la réception qui

devient parfois la «réinterprétation», les mentalités, les rôles, etc.

Comment ces manifestations sont-elles étudiées dans le cadre de la thèse? D’une part, l’évolution

de la procédure civile et celle de la fonction judiciaire recèlent divers éléments modificateurs : la

présence de manières de faire venues de l’extérieur et leur adoption ou leur rejet, l’obligation de

faire face à de nouveaux contextes ou de répondre à de nouvelles demandes, etc. D’autre part, les

mentalités changent et le discours fait de même, tant à propos de l’application que de la définition

de la procédure civile qu’à propos des tribunaux et des juges eux-mêmes. La redéfinition se traduit

souvent à travers la parole. Les auteurs transposent dans les textes leur expérience ainsi que la

vision de ce qu’ils souhaitent voir se développer. Ainsi, en étudiant en parallèle les modifications

aux structures liées à la procédure civile, comme la loi, de même que le contenu des discours, il est

120 G. Duby, «L’histoire culturelle», dans J.-P. Rioux et J.-F. Sirinelli, Pour une histoire culturelle, Paris, Seuil, 1997, p.

429-430. 121 Id., p. 431. 122 J.-P. Rioux, «Introduction. Un domaine et un regard» dans J.-P. Rioux et J.-F. Sirinelli, Pour une histoire culturelle,

Paris, Seuil, 1997, p. 11. L’auteur propose en effet un texte déjà publié en 1968, mais largement applicable au programme

de l’histoire culturelle à l’aube du XXIe siècle. 123 Voir par exemple P. Burke, supra note 106, p. 44-50, 57-60, 88-92, 95-104.

Page 41: L'évolution et la structuration des principes directeurs

31

possible de composer un tableau plus riche de l’évolution du droit. Bien sûr, cette étude est réalisée

à une échelle très restreinte –dans un microcosme, pourrait-on dire. Elle ne permet donc pas

d’établir définitivement les contours de l’évolution des principes directeurs de la procédure civile.

Elle tendra cependant à approfondir la réflexion sur un phénomène juridique en utilisant des outils

existant dans la discipline qu’est l’histoire.

La recherche proposée n’a pas pour but d’identifier, dans le discours ainsi constitué, la présence

d’approches philosophiques anciennes ou récentes en matière de structuration des principes

directeurs, ou d’y retrouver les traces de grandes écoles de pensées internes ou internationales. Elle

veut surtout proposer ce que Donald Fyson a bien décrit comme «l’examen des structures et des

rouages de la justice au quotidien à travers le regard de ceux qui l’ont vécue […]124». Nos témoins

seront donc, au premier chef, les avocats, les juges et, lorsque cela est possible, d’autres membres

ou voisins de la communauté juridique –professeurs, législateurs, voire des politiciens, ou autres–

qui relatent leur compréhension de la procédure civile, de sa composition ou de son application

devant les tribunaux. En exposant ces éléments, ils informent le lecteur sur les mouvements internes

de la pensée juridique sur les sujets retenus, ces mouvements sélectifs, spécifiques, qui naissent de

l’usage et de la réflexion sur l’expérience et qui traduisent l’existence et les aléas d’une véritable

culture procédurale ou judiciaire.

Cette orientation de la recherche invite donc à une relecture des textes, axée sur la mise en lumière

d’éléments qui traduisent la structure évolutive d’une pensée. Les sources considérées sont donc les

sources classiques de la discipline juridique : les lois, les anciennes règles de pratique125, la

jurisprudence, la doctrine. Pourtant, en utilisant ces sources dans une dimension historique, elles

sont considérées comme des discours, voire «un» discours s’il y a convergence, et sont analysées à

ce titre. Elles ont subi une relecture non juridique et une critique particulière, en tenant compte, par

exemple126, de leur contexte de production, de leurs buts, de leur expression, etc. Cette approche

permet d’enrichir la description des étapes du cheminement qui ont mené d’une conception initiale

de la procédure civile et de la fonction du juge à la conception qui est véhiculée dans les textes

actuels. En effet, des spécialistes d’histoire sociale et culturelle étudient le discours comme un objet

124 D. Fyson, Magistrats, police et société : La justice criminelle ordinaire au Québec et au Bas-Canada (1764-1837),

Montréal, Hurtubise, coll. Cahiers du Québec, 2010, p. 44-45. 125 Celles-ci sont appelées «règlements de procédure civile» depuis l’entrée en vigueur du Code de 2016. Cependant, les

règlements et directives de 2016 pour la Cour supérieure n’ont pas été utilisés systématiquement dans le cadre de la thèse. 126 B. Ziemann et M. Dobson, «Introduction» dans M. Dobson et B. Ziemann (ed.), Reading Primary Sources: The

Interpretation of Texts from nineteenth- and twentieth century history, London/New York, Routledge, 2009, p. 5-15.

D’ailleurs, comme le rappelle aussi P. Burke, le terme «discours» est utilisé comme un concept en histoire. Il s’agit d’un

fait «construit» par un intervenant. L’historien s’intéresse donc autant à son contenu qu’à sa rédaction, à sa production, à

sa diffusion, etc. P. Burke, supra note 106, p. 99-101.

Page 42: L'évolution et la structuration des principes directeurs

32

culturel127. Sa rédaction comme son contenu font preuve de certaines perceptions, de représentations

personnelles ou collectives. Les exemples directs liés à ce travail de lecture des sources ont été

volontairement réduits, même si leur apport a été essentiel et s’il y est fait référence à plusieurs

reprises.

Cet emploi du discours signifie qu’une loi ou une version du Code, par exemple, est considérée

principalement selon sa nature d’outil législatif, c’est-à-dire qu’elle établit une norme qui doit être

socialement respectée. En revanche, cette loi appartient à une époque donnée. Elle tend à régler les

problèmes d’une époque, utilise un vocabulaire qui est lui aussi daté. Elle peut être porteuse d’une

idéologie, populaire ou non à un moment de notre histoire. Si tel est le cas, tant ses articles que sa

disposition préliminaire s’il y a lieu peuvent traduire des valeurs. Il arrive même que la loi soit

proposée dans un but de décrire, de répondre à, voire même d’infléchir, des mouvements sociaux,

des comportements, des représentations, des mentalités. Sa rhétorique, ses buts, ses conditions de

production, sa réception, entre autres, peuvent être examinées, notamment dans le cas des lois

majeures. L’évolution d’un article, entre autres, permet de découvrir les continuités et discontinuités

dans la forme et sur le fond. Malgré leurs spécificités, les lois constituent aussi un corpus de

données qui peuvent être traitées d’une manière sérielle, puisqu’elles sont des productions

officielles et que cela uniformise une partie de leurs caractéristiques et de leurs buts. La

jurisprudence, constituée de jugements, offre un apport différent. En principe, le jugement expose la

solution d’une Cour au problème juridique précis des parties. Mais il peut avoir d’autres objectifs :

il peut réaffirmer un point remis en doute, modifier une pratique établie ou y déroger, avoir un but

éducatif, ou explicatif, ou encore militant dans certaines circonstances. De nouveau, l’importance

du moment et des conditions de production, de l’intention de l’auteur, la personnalité du

destinataire, son identité –apparente ou réelle– sont autant de questions à considérer.

Dans l’ensemble, une compréhension de l’évolution des principes directeurs bénéficie de l’analyse

de la perception entretenue par les membres de la communauté juridique des décennies antérieures

au sujet de la procédure civile, du système judiciaire et de la fonction judiciaire. Cet aspect de

l’étude permet de comprendre que le développement du droit est passé par plus d’une forme de

représentations basées sur une des conceptions précises du monde judiciaire et du droit qui

s’encastrent dans des périodes temporelles définies. Les principes qui y subsistent ou s’y

développent sont les piliers et les garants de la cohérence de l’évolution du droit. Enfin, par le

développement d’une approche évolutive relative à la structuration de la procédure civile et des

127 A. Prost, «Sociale et culturelle, indissociablement», dans J.-P. Rioux et J.-F. Sirinelli, Pour une histoire culturelle,

Paris, Seuil, 1997, p. 138-139.

Page 43: L'évolution et la structuration des principes directeurs

33

principes directeurs, nous proposons de tester un outil qui participe à la compréhension des

mécanismes de notre production du droit judiciaire et des traces, conscientes et inconscientes, des

influences qu’elle subit. Cet outil pourra potentiellement être utilisé pour étudier les étapes de

formation d’autres principes directeurs, déjà présentés comme codifiés et nommés ou même

actuellement à l’état embryonnaire et destinés à émerger un jour dans notre conception de la

procédure civile.

Les sources utilisées sont en grande partie des sources écrites. La loi est évidemment un type de

document qui traduit l’un des stades les plus évidents de l’évolution d’un principe directeur. Celui-

ci acquiert une force obligatoire lorsqu’il est reconnu dans un texte législatif, surtout le Code de

procédure civile. Le contenu du principe directeur énoncé au Code ne devient pas pour autant fixé

et immuable. Il continue de se préciser ou de se nuancer à travers les textes législatifs qui

l’expriment et à travers d’autres influences. Par ailleurs, il peut inspirer explicitement ou

implicitement un nombre important d’articles et participer à la structure du Code avant d’y être

défini. La recherche implique une reconstruction de l’évolution de la loi pour observer le degré

d’intégration d’un principe directeur dans l’univers du droit judiciaire québécois. Les lois qui

complètent le Code apportent parfois un éclairage additionnel à ces sources. Les lois connexes

l’illustrent, comme l’actuelle Loi sur les tribunaux judiciaires, ou la Loi sur la conciliation au début

du XXe siècle. Les lois introduisant des modifications au Code peuvent parfois contenir des

déclarations quant aux buts de celles-ci et ainsi expliquer la réflexion législative qui les sous-tend.

La doctrine et la jurisprudence peuvent amorcer ou traduire des changements au contenu d’un

principe directeur déjà reconnu ou mettent en jeu un principe avant sa reconnaissance formelle par

le législateur, ce qui en rend l’analyse doublement significative. En effet, le principe directeur

influence l’évolution du droit procédural. En retour, le juge, comme le praticien ou l’auteur de

doctrine, peut avoir un impact profond sur le développement, la stagnation ou l’abandon d’un

principe directeur. De même, ces textes sont particulièrement révélateurs lorsque le principe

directeur est en émergence, soit à l’état latent ou innommé, c’est-à-dire lorsqu’il est reconnu par une

seule fraction de la communauté juridique ou qu’il transparaît sans avoir une appellation explicite.

Le vocabulaire ou les idées employés révèlent alors l’étendue de l’influence, ou selon le cas

l’absence d’influence, de ce principe directeur dans un cas précis ou à une époque donnée.

Enfin, il existe des textes complémentaires à la loi dans lesquels l’influence d’un principe directeur

peut apparaître et donner une nouvelle orientation au droit judiciaire. Les débats parlementaires, par

exemple, rapportent les discours et les discussions qui ont entouré l’élaboration de la législation. La

Page 44: L'évolution et la structuration des principes directeurs

34

présence explicite ou implicite d’un principe directeur peut donc s’y faire sentir. C’est le cas

également lors de l’adoption des règlements de procédure des tribunaux. L’application de ces

derniers, des directives, des avis et des communiqués des juges ou du législateur facilitent ou

retardent parfois l’émergence de l’influence d’un principe directeur, dans le cheminement historique

de la procédure civile128. L’impact de ces outils de structure de la pratique peut développer des

comportements compatibles avec certains principes directeurs, tout comme le fait la doctrine ou la

jurisprudence. Ceci traduit de plus une facette de l’évolution informelle d’un principe directeur. Les

comportements et la «pensée judiciaire» s’adaptent progressivement à son application, jusqu’à ce

que le principe directeur soit reconnu comme une évidence et un besoin par les acteurs du monde

judiciaire à une époque donnée. Ceci s’avère révélateur dans un contexte d’évolution.

Par ailleurs, l’usage de ce corpus de sources doit tenir compte de ses limites. Les lois, la

règlementation et les règles adoptées par les cours sont en général les plus simples à traiter. En

effet, les collections de lois disponibles pour l’époque retenue sont relativement complètes. La

doctrine et la jurisprudence soulèvent des défis plus complexes. En ce qui a trait aux jugements

rendus dans les décennies précédant 1980, l’informatisation des données est parcellaire, au mieux,

bien qu’elle se soit améliorée depuis le début des recherches qui ont rendu cette thèse possible. Il

faut donc utiliser les outils de recension disponibles, tels les Codes annotés réalisés aux différentes

époques, pour tenter de retrouver les jugements pertinents.

De plus, l’état des collections est lui-même loin d’être complet face au travail des tribunaux de

l’époque. La publication de la jurisprudence est aussi très sélective pour une grande partie de la

période et est parfois dépendante du nombre d’arrêtistes d’une revue ou du volontariat de juges

disposés à faire publier leurs jugements, par exemple. Cette réalité de la publication judiciaire

impose des biais à la source ainsi conçue. Tous les jugements ne sont pas rapportés dans les

publications retenues. Certains juges sont aussi parfois plus assidus que d’autres à faire connaître ou

à citer leurs jugements, ce qui restreint l’échantillon d’opinions juridiques disponibles pour les

différentes époques. D’ailleurs, les moyens de publication, comme des revues de jurisprudence et de

doctrine, ont parfois une ligne de pensée et publient les décisions et opinions que leur fournissent

les membres de la communauté juridique dont les convictions sont en accord avec celle-ci. La

situation oblige à approcher la source juridique avec des réserves. Par exemple, si un juge exerçant

au début du XXe siècle et dont les jugements sont souvent publiés adopte une philosophie formaliste

128 Cela peut se produire par exemple à une époque où un principe directeur n’est pas encore codifié : n’étant pas encore

universellement reconnu et se manifestant sous d’autres formes, comme nous le verrons, il n’est pas certain que les règles

tiendront déjà compte de son existence.

Page 45: L'évolution et la structuration des principes directeurs

35

en matière procédurale, il est probable qu’un échantillon de décisions de l’époque comprenne

plusieurs de ses jugements. La recherche semble ainsi attester la thèse selon laquelle la procédure

était appliquée de façon formaliste à ce moment. Or, cette perception repose ultimement sur la

lecture d’un échantillon de jugements qui surreprésente probablement la contribution d’un

individu129. Bien sûr, cette surreprésentation est en soi caractéristique de la littérature de l’époque et

des influences subies par les avocats, les auteurs ou les juges. Elle possède donc une pertinence

historique, si l’analyste la considère consciemment. Elle ne permet pas cependant pas toujours de

distinguer exactement le niveau d’adhésion à ces idées, ce qui limite parfois l’appréhension de

tendances plus fines, plus subtiles. Il est possible d’inférer que ces décisions sont le reflet d’une

pensée relativement importante, voire dominante, mais il devient parfois plus ardu de mesurer

l’importance des mouvements de pensée inverses, parfois évoqués par une remarque, une

dissidence, un article… Le moment d’inversion d’une tendance devient parfois plus observable

puisqu’il marque une rupture dans le discours.

Par ailleurs, la qualité des revues, notamment en ce qui a trait à la jurisprudence, est difficile à

évaluer. À plusieurs reprises, surtout en ce qui a trait aux jugements de la première moitié du XIXe

siècle, les textes sont condensés, résumés par un arrêtiste inconnu. Même la citation qui semble

complète du jugement ou de l’opinion d’un juge peut être sujette à caution. De nouveau,

l’importance de cet aspect est relative puisque cette source n’a pas été altérée et que la communauté

juridique de l’époque y avait accès dans cet état. Cependant, la remarque d’un auteur voulant que

des juges aient critiqué un recueil de jurisprudence pour avoir mal rapporté leurs propos oblige à

tenir compte de cette réalité130.

De plus, il est impossible d’arriver à une revue exhaustive de tous les jugements et arrêts d’une

période aussi longue et féconde. Des choix stratégiques ont été nécessaires : recenser les arrêts du

Comité judiciaire du Conseil privé131 et ceux de la Cour suprême132 pour les dossiers provenant du

Québec, utiliser les Codes annotés pour retrouver des jugements pertinents de la Cour d’appel133,

129 Au début du XXe siècle, cette situation explique peut-être le nombre de jugements et d’articles pertinents issus de la

plume des juges Bruneau, Stein et Surveyer, entre autres, malgré leurs pensées différentes. 130 Anonyme, Article sans titre, (1861) 2 The Examiner – L’Observateur 19, 20. 131 Jusqu’en 1949, le Comité judiciaire du Conseil Privé constitue le tribunal de dernière instance en matière civile. 132 Active depuis 1875, la Cour suprême devient le tribunal de dernière instance en matière civile en 1949. L’article 41

C.p.c. (1897) rappelle l’existence des deux tribunaux d’appel que sont la Cour suprême et «Sa Majesté en son conseil

privé». (Voir J.-G. Snell et F. Vaughan, The Supreme Court of Canada, History of an Institution, Toronto, University of

Toronto Press, The Osgoode Society, 1985, p. 18 et 23). Entre 1875 et 1949, le Comité judiciaire du Conseil privé

entendra donc des causes provenant de la Cour suprême, mais aussi de la Cour du Banc de la Reine, dans certains cas. 133 L’institution appelée actuellement la Cour d’appel a été aussi appelée Cour du Banc de la Reine de 1849 à 1901 et de

1952 à 1974, date où l’appellation Cour d’appel est définitivement adoptée, et Cour du Banc du Roi entre 1901 et 1952.

En effet, lors de l’établissement de la Cour dans la forme qu’elle allait garder par la suite, la loi a décrété que l’appellation

serait modifiée pour refléter le fait que le souverain serait un roi ou une reine (Acte pour établir une cour ayant

Page 46: L'évolution et la structuration des principes directeurs

36

voire de la Cour supérieure, si besoin est. Pour les années plus récentes, avec l’informatisation des

données, notre choix s’est porté sur les arrêts de la Cour suprême en priorité. Les jugements de la

Cour d’appel et de la Cour supérieure ont été utilisés de manière complémentaire. Trois critères ont

été utilisés pour choisir les échantillons de jurisprudence retenus, la présence de l’un au moins

d’entre eux étant nécessaire. Ces critères sont : l’identification d’un arrêt à titre d’arrêt majeur en

matière procédurale, l’illustration d’un point sur lequel il existe peu de documentation ou la

présence dans le texte d’éléments de discours qui permettent d’analyser le raisonnement et la pensée

des représentants de la magistrature134. Une difficulté supplémentaire à propos de l’échantillon

repose sur l’avènement, au XXIe siècle, d’une réforme législative perçue comme devant être

complétée. Les nouvelles lignes de pensée étant en redéfinition, elles font l’objet de plusieurs

explications parfois différentes, qui n’ont pas toujours subi l’influence des cours d’appel. Elles

tendent à se préciser avec le temps et avec le dépôt du projet de loi modifiant le Code de procédure

civile en avril 2013 et de son adoption en février 2014, mais surtout après la mise en vigueur en

2016. Ceci n’entrave pas la pertinence des jugements antérieurs à ces événements, mais il est

essentiel d’être conscient de l’existence de telles limites.

La doctrine et d’autres articles traitant de droit judiciaire présentent le même genre de défis que la

jurisprudence, comme l’identification des sources pertinentes, l’éparpillement des articles, etc.

Avant le XXe siècle, les revues peuvent être rares, ou avoir de courtes vies. Les ouvrages sont aussi

peu nombreux. La nature même du sujet rend l’exercice complexe, autant que le traitement de

l’information recueillie. D’une part, elle n’est pas un sujet particulièrement populaire, bien qu’elle

ait souvent entraîné la production de Codes annotés. D’autre part, perçue comme une branche très

pratique, la procédure civile est analysée comme une technique dans une grande partie des articles

et ouvrages consacrés à ce sujet. Malgré cela, il faut analyser leur contenu selon divers angles.

L’importance de la diffusion, d’une certaine érudition est toujours à considérer dans ce cas. Dans le

cas d’un article technique, le destinataire du texte est un avocat ou un notaire, voire un juge, plutôt

qu’une partie, ce qui modifie la présentation qu’en fait l’auteur, tout comme, dans un autre contexte,

jurisdiction en appel et en matières criminelles, pour le Bas-Canada, (1849) 12 Vic., c. 37, art. 2). Cette seconde

circonstance s’est produite à deux reprises durant la période, sous les règnes de Victoria (1837-1901) et d’Elizabeth II

(depuis 1952). Puis le nom Cour d’appel a été adopté officiellement. Dans le cadre de notre thèse, les appellations de la

Cour ont été respectées selon les époques, comme le nom donné aux procédures. Ainsi, dans la première partie de la thèse,

qui étudie la période 1867 à 1966, il est possible de retrouver plusieurs formes de désignation de la même Cour, selon la

date où les jugements discutés ont été rendus. 134 Ainsi, il peut arriver qu’un élément de la présentation des faits, par exemple l’insistance d’un ou de plusieurs des juges

sur un comportement de la partie ou un aspect de la cause, soit plus révélateur que la décision pour illustrer l’intérêt des

magistrats sur un sujet comme la proportionnalité ou la conciliation. Ainsi, pour réaliser cette étude, les références aux

jugements dans le texte (souvent attribuées aux juges dont les notes sont étudiées) ne se bornent pas aux grandes lignes de

la décision prise et expliquée par les cours, elles prennent en compte le discours, l’insistance sur la présence ou l’absence

de certains éléments, et d’autres points qui semblent aussi révélateurs d’une pensée que la décision de la Cour sur un

problème précis.

Page 47: L'évolution et la structuration des principes directeurs

37

s’il s’agit d’un discours politique ou autre, ou de la présentation d’un projet de loi, etc. Ces aspects

du discours doivent être évalués avec une certaine distance, surtout lorsqu’il devient nécessaire de

s’appuyer sur ceux-ci pour dégager une explication de la portée de la loi ou d’articles spécifiques de

celle-ci, de leurs bénéfices futurs et des problèmes qu’ils visent à résoudre. Cela ne signifie pas

nécessairement que l’orateur ait tort dans son appréciation de la situation et de la portée de son

action en matière de politique, par exemple, mais il tend certainement à plusieurs buts en

l’établissant. De plus, les lois et les jugements doivent répondre à des exigences de rédaction

précises. L’écriture législative et le procès sont des contextes de production très précis qui ont leurs

règles propres. La doctrine peut présenter un aspect plus libre, en ceci que si son aspect doit

convenir au format éditorial, le développement dépend davantage de la volonté de l’auteur. Par

contre, cette liberté n’est pas exempte de biais, dont les plus évidents sont l’expérience et la

réflexion inhérente de l’auteur : un avocat praticien, un professeur, un juge, un notaire proposent

des visions différentes d’une même question. Enfin, le monde de l’édition n’est pas toujours neutre :

par exemple, publier un texte dans la Revue de Droit durant les décennies 1920 et 1930 peut

indiquer que l’auteur adhère à un certain schéma de compréhension du droit, à un courant

intellectuel et juridique135.

La thèse présente aussi des limites qui sont imputables au traitement des données et aux choix de

rédaction. Les exemples retenus pour illustrer les tendances qui apparaissaient les plus importantes

dans le développement des principes directeurs ont aussi signifié, malgré leur intérêt, le rejet

d’autres exemples qui démontraient parfois des aspects différents ou moins prédominants. La

longueur de la période d’étude permet de déceler des tendances profondes, mais cette réalité

s’accompagne d’une présentation plus résumée des choses qu’une étude détaillée d’une époque plus

courte permettrait de le faire. En revanche, cette dernière n’aurait pas permis d’étudier de nombreux

stades de développement des principes directeurs, ce qui était l’un des attraits de la recherche aux

yeux de l’auteure. Comme nous l’avons évoqué précédemment, les pouvoirs des juges ne seront pas

étudiés exhaustivement. Ils sont considérés dans le contexte de la mise en œuvre des principes

directeurs et fournissent des exemples à la démonstration. De même, cette thèse n’a pas pour but de

rechercher et d’établir l’origine des principes directeurs de manière définitive, ou d’en écrire

l’histoire détaillée. Le nombre de principes directeurs retenus et la limitation de la période

temporelle à l’étude suffisent à indiquer que cette thèse poursuit un objectif différent. En ce sens,

elle pourrait presque être comparée à une recherche généalogique, car elle met en lumière certains

135 Voir à cet égard J.-G. Belley, «Une croisade intégriste chez les avocats : La Revue du droit (1922-1939)», (1993) 34 C.

de D. 183; S. Normand, «Un thème dominant de la pensée juridique traditionnelle : La sauvegarde de l’intégrité du droit

civil», (1987) 32 R.D. McGill 559.

Page 48: L'évolution et la structuration des principes directeurs

38

aspects d’une situation au cours d’une période donnée. En revanche, le questionnement ne dépend

pas de la découverte de l’origine, du «premier ancêtre» ou du «premier moment» d’existence des

divers principes directeurs. Elle s’intéresse à leur progression, à leur émergence, à la façon dont ils

se développent à travers des modifications fréquentes liées à leur définition, à leur moyen

d’expression, au niveau d’adhésion qu’ils suscitent, entre 1867 et nos jours. Cette étude s’arrête aux

continuités et discontinuités qui peuvent se présenter, ce qui explique le choix de mettre parfois plus

d’insistance, à certains moments de leur développement, sur un courant minoritaire qui semble

porteur d’une idée liée à un principe plutôt qu’à un courant majoritaire qui ne révèle pas encore un

événement similaire, etc. Si la thèse propose des explications et des réflexions quant aux raisons de

quelques-uns des choix effectués en matière de développement des principes directeurs, elle

s’intéresse de près à la manière dont ce développement s’est produit.

Cette thèse est loin d’avoir épuisé toutes les questions qui se posent à propos de l’évolution de la

procédure civile québécoise et des principes directeurs. Le champ de recherche est vaste. Des études

théoriques ou pratiques, des recherches ciblées, qu’elles soient thématiques ou limitées à une

époque plus restreinte, ou encore l’analyse contextualisée des développements qui suivront l’entrée

en vigueur du plus récent Code de procédure civile, entre autres, apporteraient une contribution

importante à la connaissance et à l’explication du sujet.

Division de la démonstration

Le choix d’une étude s’étendant sur un siècle et demi présente également le défi de l’organisation

des données au moment de la rédaction. L’évolution est un concept clé de la recherche effectuée et

les comparaisons entre époques sont aussi importantes que les interrelations entre les principes

directeurs à un moment précis dans le temps. Le maintien de «l’historicité» présente donc une

certaine importance. La division primaire recrée donc le déroulement temporel où les divisions les

plus importantes se calquent sur les moments de révision et de réforme du Code de procédure

civile, afin de donner au lecteur des repères temporels généraux. Par la suite, cependant, il a été

nécessaire d’organiser la matière de manière thématique, afin de faire ressortir des aspects phares de

chaque époque.

La première partie de cette étude la période allant de 1867 à 1965. Elle se compose de trois

chapitres. Ce choix d’une période aussi longue et d’une telle subdivision vient principalement du

fait que l’articulation législative de la procédure civile est faite dans un esprit de continuité, alors

que le changement culturel est pour sa part progressif et relativement cumulatif durant la période.

Page 49: L'évolution et la structuration des principes directeurs

39

Après mûre considération, il apparaissait alors artificiel de scinder l’étude pour regarder séparément

les époques 1867-1896 et 1897-1965. Un tel choix aurait flatté la logique du chercheur actuel, mais

il aurait rendu difficile l’explication du développement très intégré de la structure des deux premiers

Codes. En effet, durant ces cent ans, le Code de procédure civile entre en jeu, créant un nouveau

contexte de travail et un nouvel esprit procédural136. Le Code est la principale source de règles en

matière judiciaire. Ce Code connaît une révision en 1897 et se prépare à la seconde, qui entre en

vigueur en 1966. Si l’esprit du premier Code semble immuable, il est pourtant vivement critiqué et

les auteurs de ces critiques tentent d’avoir un impact sur l’évolution du droit procédural.

Parallèlement, des transformations sur le plan des principes prennent forme et même se traduisent

de plusieurs façons. Le rôle structurant des principes s’y confirme avec netteté, de même que les

divers aspects de leur influence. Cette partie comprend tout d’abord un bref survol historique

portant sur le système judiciaire antérieur à 1867, l’établissement de la Cour supérieure et offrant

quelques informations sur la commission qui s’occupe de la codification de la procédure civile. Par

la suite, la démonstration se répartit selon deux axes qui composent autant de chapitres. L’un

d’entre eux réunit le résultat de l’étude des cinq principes directeurs présentés et considère les

questions relatives à leur existence, leur contenu, leurs états respectifs de développement et, s’il y a

lieu, de reconnaissance dans le Code de procédure civile, dans la jurisprudence et la doctrine.

L’autre chapitre développe la question de la structuration du Code et des principes directeurs et

considère les liens de ces phénomènes avec la culture judiciaire.

La seconde partie de notre étude concerne la période plus contemporaine qui débute lors de

l’adoption de la deuxième révision du Code de procédure civile en 1965 et se termine au moment

de la troisième révision de la procédure civile. Cette partie est la plus courte de la thèse. Par contre,

son importance justifie la création d’une partie indépendante. En effet, entre 1965 et 2001, la

structure du Code et la réflexion sur la procédure civile semblent avoir atteint une période de

transition qui permet de synthétiser les résultats de l’évolution de la période précédente tout en

ouvrant la porte à la période suivante. Également séparée en trois chapitres, cette partie s’intéresse

au Code qui a remplacé le Code entré en vigueur en 1897. Elle examine notamment comment, à

partir du changement de paradigme que représente ce nouveau Code, la pensée en matière

procédurale a évolué vers la procédure civile que nous connaissons aujourd’hui. Nous avons

136 Les auteurs font référence au phénomène de «l’effet de codification», qui est applicable au cas de la procédure civile.

Pour appréhender l’influence de la codification sur le droit civil selon la vision de plusieurs auteurs, voir par exemple A.-

F. Bisson, «Effet de codification et interprétation», (1986) 17 R.G.D. 359. Voir également L. Perret, «L’évolution du Code

civil du Bas-Canada ou d’une codification à l’autre : réflexion sur le Code civil et son effet de codification», (1989) 20

R.G.D. 719; S. Normand, «Le Code civil et l’identité», supra note 17; A. Morel, «L'émergence du nouvel ordre juridique

instauré par le Code civil du Bas Canada (1866-1890)», supra note 17.

Page 50: L'évolution et la structuration des principes directeurs

40

envisagé la situation selon trois axes principaux. Dans un premier temps, nous considérons le

contenu du Code et la modification qu’il impose sous l’angle d’un changement culturel. Nous nous

intéressons ensuite au développement du discours sur les principes directeurs. Enfin, nous nous

arrêtons à la philosophie et aux représentations qui naissent de ce Code.

La dernière partie de notre étude est consacrée principalement à l’étude de l’application de la

première partie de la troisième révision, élaborée au début du XXIe siècle. Elle est aussi séparée en

trois chapitres et traite de la réforme du Code de procédure civile entre 2001 et 2016. Nous

considérons tout d’abord la réforme et ses ambitions, puis nous nous penchons sur les cinq principes

retenus, avant de considérer la question du changement culturel. Cela nous permet de tenir compte

des caractéristiques d’une réforme qui se fait en deux parties. L’expérience comme la discussion et

la critique ont amené des changements dans l’orientation de certains articles durant cette période. Il

n’en reste pas moins qu’à l’aune de la reconnaissance des principes directeurs de la procédure

civile, cette réforme est un tout. D’ailleurs, la pensée unique n’a été l’apanage d’aucune des

périodes précédentes. La possibilité envisagée de séparer les deux parties de la réforme apparaissait

à nouveau artificielle quant à la présentation des résultats. Les traits du Code de procédure civile

adopté en 2014 et entré en vigueur en 2016 sont souvent utilisés à titre comparatif et

complémentaire, pour indiquer les tendances qui semblent continuer ou réorienter l’évolution du

Code pour les années à venir. Ils permettent de jeter un bref regard prospectif sur les évolutions

prévisibles dans ce contexte et soulèvent également la question de la hiérarchisation ou de

l’importance relative des principes directeurs, à partir de l’application des principes directeurs

codifiés. Chacun de ces paragraphes présente une explication du développement des principes

directeurs similaire à celle qui est exposée précédemment. Elle est complétée par une analyse de la

structuration de ces principes directeurs et de la procédure civile, ainsi que du changement culturel

qui peut les accompagner.

Page 51: L'évolution et la structuration des principes directeurs

41

Partie 1. Les principes directeurs, la procédure civile

codifiée et le formalisme en droit judiciaire au Québec

(1867-1964)

Page 52: L'évolution et la structuration des principes directeurs

42

Chapitre 1. La première codification de la procédure

civile québécoise : l’état des lieux

Les lois du Québec au milieu du XIXe siècle accusent l’influence de plusieurs législateurs successifs

et de plusieurs traditions juridiques, avec les aléas découlant naturellement de cette situation.

1.1. La procédure civile du Québec au moment de la première

codification

Le droit judiciaire dans son ensemble ne fait pas exception à cette constatation. Celui-ci présente

plusieurs caractéristiques que les commentateurs de l’époque s’entendent pour décrier137 : le

manque d’uniformité, la difficulté de connaître les règles en vigueur, les sources multiples et, à

l’occasion, difficiles d’accès, etc. Marquée par ses origines française et anglaise, modifiée par les

ordonnances et lois propres au Bas-Canada et par les ajouts mineurs créés par les règles de

pratique138, la procédure civile forme un ensemble complexe et hétérogène139. D’ailleurs, un survol

rapide de la jurisprudence et de la doctrine de l’époque montre que la pratique des cours elle-même

manque parfois d’uniformité, que cela soit dû à la multiplicité des sources, aux pratiques adoptées

au sein des divers districts ou à d’autres facteurs institutionnels. Il en va de même de la structure du

système procédural du Bas-Canada, malgré la bonne volonté des acteurs des réformes de

l’époque140. En 1857, deux lois majeures pour la procédure civile sont adoptées. La première

pourvoit à la codification des lois141, la seconde modifie l’organisation judiciaire du Bas-Canada

pour accentuer la décentralisation judiciaire142 afin de mieux répondre aux nouvelles réalités

137 G. Doutre, Les lois de la procédure civile, Tome 1, supra note 5, p. xii et xiii; G.-E. Cartier, discours sur la codification

des lois prononcé le 27 avril 1857 à l’Assemblée législative, dans J. Tassé, Discours de Sir Georges Cartier baronnet

accompagnés de notices, Montréal, Eusèbe Senécal et Fils, 1893, p. 130-131; Anonyme, «De la codification des lois du

Canada», (1846) 1 R. de L.J. 337, 337-338 et 340. Sur le système des tribunaux, voir J.U.B., «De l’organisation

judiciaire», (1845) 1 R. de L.J. 49, 49. Pour une critique plus générale du droit judiciaire et de ses difficultés, voir aussi E.

Lareau, Histoire du droit canadien, tome II : Domination anglaise, Montréal, Librairie générale de droit et de

jurisprudence, 1889, p. 396-424, notamment; G. Doutre, Les lois de la procédure civile, Tome 1, supra note 5, p. xvii-

xxii; E. Kolish, Guide des archives judiciaires, Québec, Archives nationales du Québec, 2000, p. 55 et suiv. 138 J.-M. Brisson, La formation d’un droit mixte, supra note 12, p. 58-59. 139 Pensons par exemple à l’introduction des «writs», une procédure issue du droit anglais, ou à tout le moins développée

dans l’esprit du droit anglais, H.M. Neatby, The Administration of Justice under the Quebec Act, Minneapolis, The

University of Minnesota Press, 1937, p. 42; J.-M. Brisson, La formation d’un droit mixte, supra note 12, p. 45. Voir aussi

Ex Parte Gauthier, (1853) 3 L.C.R. 498 (C.S.) : sans citer de sources, le juge Day déclare s’appuyer sur le droit anglais

pour expliquer le fonctionnement du writ et le pouvoir de la Cour à cet égard. 140 Déjà, les Statuts refondus pour le Bas Canada, publiés en 1861, notamment les chapitres 82, 83, 85, 87, 88, 89, 90, 94,

permettent de constater l’étendue de la législation ayant des effets en matière procédurale à la veille de la codification

(Québec (Province), Statuts refondus pour le Bas Canada, Québec, Imprimeur de la Reine, 1861). 141 Acte pour pourvoir à la codification des lois du Bas-Canada se rapportant aux matières civiles et à la procédure,

(1857) 20 Vic., c. 43. 142 Acte pour amender les actes de judicature du Bas Canada, (1857) 20 Vic., c. 44, art. 1. Cet acte est parfois désigné au

XIXe siècle sous le vocable l’«Acte de la décentralisation judiciaire» : voir la note accompagnant le discours sur

Page 53: L'évolution et la structuration des principes directeurs

43

économiques et géographiques du Bas-Canada. Cependant, ces lois qui modernisent les structures

judiciaires font peu pour uniformiser le contenu de la procédure civile.

Les constats concernant l’état de la procédure civile au Québec dans les années qui précèdent

l’adoption du premier Code de procédure civile dénotent aussi une insatisfaction réelle chez les

acteurs du système judiciaire. Toujours en 1857, l’adoption d’une loi pour modifier le déroulement

de l’enquête à la Cour supérieure permet d’en prendre connaissance. Auparavant, en matière

d’interrogatoire des témoins, l’enquête dépendait largement des avocats des parties. Les juges de la

Cour supérieure avaient prévu spécifiquement que le témoin était «examiné par un avocat et pas

plus, et transquestionné par un avocat et pas plus»143, une mesure évidemment destinée à encadrer le

processus, à en diminuer la longueur et, probablement, le coût. Le nouveau mode d’enquête proposé

prend appui sur une recherche de sécurité et d’efficacité144, du moins selon les explications qui sont

offertes au moment de son adoption. L’intention du promoteur de cette réforme est de s’appuyer sur

l’interrogatoire direct en présence d’un juge et pris en note par le greffier. Les admissions de vive

voix peuvent être recueillies à cette occasion et feront ensuite partie de la preuve145. Le promoteur

du projet espère encourager les avocats à faire les admissions nécessaires rapidement, donc dans les

premières étapes de la cause146. Malgré ces objectifs de célérité et de simplification voulant mener

plus sûrement la cause vers sa conclusion, ce mode d’enquête subit des critiques avant 1866147. De

même, en 1866, dans leur dernier rapport, les commissaires chargés de codifier la procédure civile

déclarent :

Dans notre système au contraire la responsabilité de l'enquête reste toute entière aux

parties ou à leurs procureurs. Il est vrai que les écritures sont souvent multipliées à

l'excès et qu'on voit le dossier grossi outre mesure par les témoignages sur des faits

l’organisation judiciaire du Bas-Canada : G.-E. Cartier, discours sur l'organisation judiciaire du Bas-Canada, prononcé le

17 avril 1857 à l'Assemblée législative dans J. Tassé, supra note 137, p. 121. Sans nommer l’acte sous ce nom, G.-E.

Cartier utilise le terme décentralisation pour parler du phénomène qu’il engendre (G.-E. Cartier, discours prononcé le 30

octobre 1866 au banquet offert à l’honorable M. Cartier par les citoyens de Montréal, dans J. Tassé, supra note 137, p.

512.) Il y réfère aussi implicitement : G.-E. Cartier, discours prononcé le 8 février 1866 au banquet offert à l’honorable J.-

A. Macdonald par le barreau de Toronto, dans J. Tassé, supra note 137, p. 473. Un auteur anonyme parle de la

«decentralization» dans un article à propos des résultats obtenus par l’application de cette loi (Anonyme, Article sans

titre, (1861) 1 The Examiner – L’Observateur 3, 6). Il réfère à la même loi sous le vocable «Mr. Attorney General

Cartier’s Code of Practice». 143 R.p.C.s. (1850), art. 44, dans M. Mathieu, Code de procédure civile, supra note 25, p. 581 et dans G. Doutre, Les lois

de la procédure civile, Tome 1, supra note 5, p. 275. 144 G.-E. Cartier, discours sur l'organisation judiciaire du Bas-Canada, prononcé le 20 avril 1857 à l'Assemblée législative,

dans J. Tassé, supra note 137, p. 125. 145 Ibid. 146 Id., p. 126. 147 Anonyme, Article sans titre, (1861) 1 The Examiner – L’Observateur 3, 6-7. Cependant, en lisant cet article et sa suite

(Anonyme, Article sans titre, (1861) 2 The Examiner – L’Observateur 19, 19-21), il apparaît que les défauts de la réforme,

aux yeux de l’auteur, ne suffisent pas à la rendre sans valeur et sont dus au moins autant à son application fautive par les

juges et les avocats qu’à sa conception initiale. Sur les inconvénients du système, voir aussi : G. Doutre, Les lois de la

procédure civile, Tome 1, supra note 5, p. xv et liv.

Page 54: L'évolution et la structuration des principes directeurs

44

qui, dans une procédure bien réglée et de bonne foi, auraient dû être admis de suite. La

mise à exécution des règles sur l'articulation de faits et l'intelligence de la procédure

rendue plus facile et plus générale, feront, par la suite, disparaître ces dénégations

qu'on peut trop souvent imputer à la mauvaise foi, et simplifieront nos enquêtes148.

Outre la nature disparate des lois, ces exemples illustrent les difficultés d’application de la

procédure civile et expliquent le besoin de changement, de simplification et de systématisation qui

se révèlent dans certains textes. La codification des lois civiles est proposée comme le moyen

privilégié pour influencer l’ordonnancement et le choix des règles de procédure civile qui seront

considérées comme applicables dans l’avenir. C’est du moins ce que tendent à exprimer les discours

d’observateurs et de promoteurs de cette stratégie149. Répondant au schéma proposé par Rémy

Cabrillac, une «forte volonté politique de codifier» s’ajoute à un «besoin social de sécurité

juridique»150. De plus, la recherche de la célérité et de l’efficacité devant les tribunaux font déjà

figure de valeur, en ce sens qu’elles sont partagées par plusieurs juristes et qu’elles influencent le

raisonnement qui entoure les choix faits dans la structuration de la procédure civile. Ainsi, le milieu

du XIXe siècle est un moment charnière dans l’évolution de la procédure civile québécoise.

1.2. Le juge et les parties au moment de la codification

Même avant la codification, le premier devoir du juge consiste à décider justement, selon la loi et

les faits de chaque cas particulier, selon un auteur151. Certaines tendances dans les sources révèlent

que la perception du droit judiciaire à l’époque repose en partie sur, ou se construit en parallèle à,

l’image d’un juge au rôle surtout réflexif et en retrait152. L’encouragement donné au rôle «passif» du

juge dans certains textes l’atteste. Cependant, la nécessité de publier de telles remarques et la réalité

de la Cour supérieure avant la codification montrent que cette image n’est sans doute pas

exactement conforme à la réalité. Il faut donc considérer que cette manifestation culturelle comporte

148 Dixième rapport des Commissaires, 1866, supra note 7, p. x. 149 C’est du moins ce qu’il faut comprendre des remarques de G.-E. Cartier, discours sur le Code de procédure civile du

Bas-Canada prononcé le 26 juin 1866 à l’Assemblée législative, dans J. Tassé, supra note 137, p. 488 et 490-491.

L’obligation de retenir les lois à caractère général et permanent a dû contribuer à ce phénomène. Les commissaires

assurent quant à eux que leur mandat est de «préparer une série d’articles exprimant les règles pratiques qui doivent fixer

et définir les droits civils» (Premier rapport des Commissaires pour la Codification des lois du Bas Canada qui se

rapportent aux matières civiles, nommés en vertu du Statut 20 Vic. chap. 43, dans Code civil du Bas Canada, Premier,

Second et Troisième Rapports, Québec, G.E. Desbarats, 1865, p. 11). Voir aussi E. Lareau, supra note 137, p. 276 et

B.A.T. de Montigny, Histoire du droit canadien, Montréal, Eusèbe Senécal, 1869, p. 597-599. R. Lemieux (Les origines

du droit franco-canadien, Montréal, C. Théoret, Librairie de droit et de jurisprudence, 1900, p. 446-451) s’appuie sur le

texte de Loranger pour montrer l’éparpillement des règles de droit applicables avant la codification, ce qui laisse sous-

entendre que celle-ci a modifié la situation. 150 R. Cabrillac, Les codifications, supra note 14, p. 68 et suivantes. 151 Anonyme, «Law Reports», (1846) 1 R. de L.J. 9, 11. 152 Par exemple, un article recommande chez le «bon juge» la patience envers les avocats et l’absence d’interruptions. R.

M’K., «The Bench, the Bar, the Judge, the Advocate», (1846) 1 R. de L.J. 13, 14. Au nombre des vertus nécessaires au

juge, il cite la piété, l’indépendance, l’impartialité, la patience et la promptitude à juger, l’absence de préjugés («bias»),

etc.

Page 55: L'évolution et la structuration des principes directeurs

45

aussi une part d’idéal. Pour l’efficacité du système et la conformité à l’idéologie dominante, le juge

est encouragé à la passivité.

Le juge de la Cour supérieure entend la cause qui lui est présentée par les parties. «Notre système

emprunté à l’Angleterre laisse aux procureurs la responsabilité de l’enquête, et le juge n’y intervient

que pour empêcher les abus»153, décrivent les commissaires en 1866. Il y a donc une nette et forte

séparation entre les pouvoirs des parties et des juges à l’étape de l’enquête avant 1866. Sans qu’il

soit déclaré en ces termes dans la législation, car ni l’Ordonnance de 1667 ni les textes de loi ne le

précisent, la partie est maîtresse de son dossier et, dès lors, de la stratégie procédurale qu’elle

adopte154, de même qu’elle doit assumer ses responsabilités dans cette gestion de son dossier et de

sa preuve155. Cette attitude est caractéristique du fonctionnement de la procédure civile au XIXe

siècle et doit aussi se déduire du comportement et de décisions de juges, tant à la Cour supérieure

qu’aux autres cours, dans de multiples circonstances. En l’absence de reconnaissance formelle, ces

caractéristiques et une telle adhésion tendent à définir un principe directeur innommé. Le rôle des

parties est donc implicitement encadré par des comportements et l’adhésion des acteurs du procès à

une représentation commune du fonctionnement de la cause civile dans le système judiciaire.

La fonction judiciaire est aussi définie en tenant compte de ces images. Son rôle fondamental de

tiers auquel est reconnu le droit de décider d’une question sur laquelle deux parties ne peuvent

parvenir à s’entendre s’exerce dans le cadre défini par cette idée et par la loi. Cette attitude peut

conduire à présenter le juge comme «l’esclave de la loi», à rejeter l’idée d’un magistrat pouvant

juger en «équité» pour lui préférer celle d’un individu attaché aux règles établies et éprouvées.

D’ailleurs, il est reconnu que le juge ne peut pas se prononcer au-delà des conclusions demandées

par les parties156. Il est aussi tenu de faire appliquer la loi, un exercice parfois complexe compte

tenu de l’état des lieux concernant la procédure civile que nous avons esquissé au préalable. Par

ailleurs, l’importance du respect de la procédure civile telle qu’elle existe permet aussi, dans la

153 Dixième rapport des Commissaires, 1866, supra note 7, p. xvi. 154 Voir par exemple Clarke c. Johnston, (1853) 3 L.C.R. 421, 425 (j. Rolland) (C.B.R.). 155 Dans de nombreux cas, ses choix ne peuvent pas être modifiés par le juge. Voir notamment, sur le comportement

durant l’enquête, les articles 43 et 47 R.p.C.s. (1850). Le premier sanctionne de forclusion la partie qui fait défaut de

comparaître ou qui, comparaissant, ne procède pas. Le second prescrit qu’une commission rogatoire n’est pas rapportée au

jour fixé, les parties procèderont comme si cette commission n’avait pas eu lieu. (M. Mathieu, Code de procédure civile,

supra note 25, p. 581-582 et dans G. Doutre, Les lois de la procédure civile, Tome 1, supra note 5, p. 275). Pour divers

exemples où le juge doit respecter le choix, parfois erroné, des parties, et les limites de cette règle, voir : Poulin c.

Langlois, (1860) 10 L.C.R. 322, 323-324 (C.cir.) (j. Taschereau); Leprohon c. McDonald (1867), (1896) 18 R.J.R. 471

(C.S.) (résumé); Coupal c. Bonneau (1865), (1867) 10 L.C.J. 177, 178 (C.B.R.); Nordheimer c. Duplessis (1866), (1896)

18 R.J.R. 141, 141-142 (C.B.R.) (résumé). 156 Quant à l’application de la règle de l’impossibilité de se prononcer au-delà des conclusions avant 1849, voir par

exemple les résumés des causes Stilson c. Anderson (1811), (1892) 2 R.J.R. 269, Perrault c. Vallières (1820), (1892) 2

R.J.R. 269, Tram c. Godin (1812), (1892) 2 R.J.R. 269. Voir également Boswell c. Kilborn, (1862) 12 L.C.R. 161, 168-

169 (CJCP).

Page 56: L'évolution et la structuration des principes directeurs

46

compréhension des avocats et juges de l’époque, de minimiser les risques d’atteintes aux droits des

parties157. Ceci est particulièrement important au moment de la décision. Le comportement

formaliste proposé et souvent adopté par les magistrats et les avocats n’est pas illogique ou dénué

d’aspects positifs. Au contraire, il tend à favoriser une pratique ordonnée, c’est-à-dire une pratique

perçue comme juste pour les parties et menant à des décisions prévisibles. Il peut même découler,

dans certains cas, du respect du principe du contradictoire, comme chez un juge qui désigne celui-ci

comme l’une des «règles élémentaires et fondamentales» de la procédure158. Pourtant, cette pensée

impose des limites aux pouvoirs du juge, diminuant considérablement la possibilité d’avoir recours

à l’équité, à l’appréciation personnelle des faits, ou même à l’innovation en matière procédurale. Si

ces limites peuvent parfois être bénéfiques, elles pourraient être une entrave dans d’autres cas. Ce

raisonnement montre surtout à quel point l’attitude et la réflexion face à la procédure, à ses règles et

à ses principes, influencent la compréhension même de la fonction judiciaire, particulièrement dans

un contexte dominé par un principe directeur innommé comme celui de la maîtrise de leur dossier

par les parties.

Pourtant, cette représentation commune des parties maîtresses du déroulement de leur cause

n’exclut pas d’autres réalités, bien qu’elles soient moins invoquées dans le discours dominant.

L’intervention du juge dans l’enquête est aussi reconnue avant 1866, par exemple lorsque le

législateur confie à celui-ci le suivi accru des interrogatoires de l’enquête dans une cause

contestée159. Le juge n’est donc pas seulement perçu comme l’observateur passif de cette enquête.

La jurisprudence et la doctrine de l’époque ne permettent cependant pas de mesurer comment ce

pouvoir a été réellement exercé par les juges160. L’ensemble des textes colligés tendent à illustrer les

limites étroites de la marge de manœuvre laissée aux magistrats. Par exemple, la place accordée au

contrôle du juge de l’instance a été sévèrement critiquée par le Comité judiciaire du Conseil

privé quand il a refusé à la Cour la possibilité de changer le remède demandé et de modifier la

157 Voir, à titre d’exemple, Cuthbert c. Barrett, (1851) 1 L.C.R. 212 (C.S.) et Lamarche c. Lebrocq, (1851) 1 L.C.R. 215

(C.S.).) Par le respect minutieux des articles de la loi, les juges tentent, notamment, de s’assurer que des personnes ne

seront pas «continually harassed and placed at the mercy of a revengeful individual» (Cuthbert c. Barrett, (1851) 1

L.C.R. 212, 214 (C.S.) (j. Duval)). 158 Trust and Loan Company of Upper Canada (The) c. MacKay, (1859) 9 L.C.R. 465, 468 (C.B.R.) (j. Mondelet). 159 Le législateur précise que le magistrat «pourra faire au témoin toutes les questions qui lui paraîtront pertinentes au

point en contestation». Acte pour amender les actes de judicature du Bas Canada, (1857) 20 Vic., c. 44, art. 82. 160 Le travail effectué dans les sources fragmentaires que sont la jurisprudence et la doctrine de cette époque laisse

subsister des lacunes dans nos connaissances à l’égard de plusieurs aspects du travail des juges de la Cour supérieure

quant au déroulement de l’instance. Comme il n’entre pas dans notre propos d’établir minutieusement ces activités, mais

plutôt d’étudier les pouvoirs confiés aux juges, cette recherche pourtant intéressante a dû être laissée de côté. En revanche,

les commissaires qui préparent le Code de 1867 veulent maintenir l’existence des trois modes d’enquête utilisés lors de la

rédaction, le premier sous la supervision directe du juge, le second où les réponses sont prises au long mais où le juge

n’est pas présent et le troisième, devant le commissaire enquêteur, comme en témoignent leurs commentaires (Dixième

rapport des Commissaires, 1866, supra note 7, p. xv et xvi).

Page 57: L'évolution et la structuration des principes directeurs

47

nature de l’action161. Une réprimande de la plus haute cour de justice, accompagnée d’un

encouragement à considérer le dossier uniquement selon les choix de recours faits par les parties,

est de nature à promouvoir une approche plus restrictive en matière de gestion de l’instance par le

juge. De concert, ces deux influences peuvent aussi inciter à adopter une orientation plus formaliste

en matière procédurale.

La jurisprudence illustre également que l’audition passive du juge fait quelquefois place à une

implication active dans le procès162. De plus, le rôle d’auditeur du juge tel qu’il est compris au

milieu du XIXe siècle ne le confine pas à la salle d’audience. Le magistrat de la Cour supérieure

peut faire, selon les termes de l’époque, une «descente sur les lieux», soit une visite du lieu, à la

demande des parties. Ces dernières semblent avoir recours à cette possibilité si cela s’avère

nécessaire pour lui permettre de bien comprendre les faits en cause163. De même, ce rôle d’auditeur

confère au juge une certaine discrétion dans la conduite de la cause, souvent justifiée par l’intérêt de

la justice et la protection des droits des parties. En effet, cette dernière est même évoquée pour

expliquer l’intervention du juge en quelques occasions164. Il appert que les juges de la Cour

supérieure ont reçu des pouvoirs en ce sens par les lois. La marge d’appréciation qui accompagne le

respect des délais établis165 illustre cette réalité.

Même contenue dans les limites étroites que lui définissent la loi et la jurisprudence du milieu du

XIXe siècle, une intervention du juge dans l’instance présente des avantages dont sont probablement

conscients les commissaires qui préparent le premier Code et ils entendent l’utiliser166. Par exemple,

lorsqu’ils critiquent le système d’expertise en vigueur, la question des rôles respectifs des juges et

des parties semble avoir implicitement pesé sur la solution qu’ils proposent. «Chacun des experts se

croit tenu d’embrasser les intérêts de celui qui l’a nommé, et il est bien difficile d’obtenir un rapport

impartial»167, déplorent-ils. Ils suggèrent plutôt un choix qui soit fait du consentement des deux

161 Boswell c. Kilborn, (1862) 12 L.C.R. 161, 168-169 (CJCP). 162 Lantier c. D'Aoust, (1860) 10 L.C.R. 497, 500 (C.B.R.) : à cette occasion, l’un des juges exprime son opinion sur

l’insuffisance de la réponse donnée à un interrogatoire, et la partie demande donc à répondre de nouveau. 163 Ceci est permis par l’ordonnance de 1667 : «Ordonnance de Louis XIV de 1667», supra note 189, p. 163. Voir

l’application dans Robert c. Danis, (1861) 11 L.C.R. 74 (C.S.). Ce pouvoir est retiré aux magistrats dans le premier Code

de procédure civile. 164 Ceci est illustré notamment par les propos tenus dans Beaudry c. Ouimet, (1864) 14 L.C.R. 449 (j. Smith). 165 Voir notamment Acte pour amender les lois relatives aux cours de jurisdiction civile en première instance, dans le

Bas-Canada, (1849) 12 Vic., c. 38, art. 24, le défendeur peut présenter une demande motivée pour être relevé d’un défaut

de comparaître, après avis et le délai d’un jour à la partie adverse, et le juge peut accueillir cette demande; Acte pour

amender les lois relatives aux cours de jurisdiction civile en première instance, dans le Bas-Canada, (1849) 12 Vic., c.

38, art. 25 et 26 : le premier article accorde un délai de huit jours complets après la comparution pour produire une

défense et instaure le même délai entre chaque plaidoyer subséquent, etc., alors que le second permet au juge d’allonger

un de ces délais sur demande précédée d’un avis à la partie adverse et d’un délai d’un jour à celle-ci. 166 Dixième rapport des Commissaires, 1866, supra note 7, p. xxiv 167 Id., p. xvi.

Page 58: L'évolution et la structuration des principes directeurs

48

parties ou, si le consensus n’est pas atteint, la nomination d’office par le tribunal. Ils souhaitent

ainsi adopter une façon de faire qui prévaut, selon eux, en France168. Cette proposition

s’accompagne d’une tentative de conférer un pouvoir supplétif au juge si les parties ne s’entendent

pas pour faire ce choix169. Une telle suggestion traduit leur conviction que le juge doit diriger

l’instance afin de s’assurer qu’elle soit impartiale et complète. Cette perception permet de proposer

une possibilité d’intervention du juge dans un domaine relevant initialement des parties. Peut-on

alors considérer que la maîtrise de l’instance par le juge est un principe directeur? Les acteurs du

système judiciaire et le législateur reconnaissent son rôle et même l’augmentent, mais, en accord

avec le système dit «contradictoire» hérité du droit britannique, le juge est un arbitre aussi neutre

que possible. L’état de développement de ce principe directeur avant la codification de 1867

pourrait se décrire comme «embryonnaire» pour certains de ses aspects et comme «innommé» pour

certains autres, en des circonstances particulières. Nous pourrions y référer comme un principe

directeur en formation ou en transition.

1.3. La Commission de la codification et son travail d’élaboration de la

procédure civile

La Commission de la codification mise sur pied pour rédiger le Code civil et le Code de procédure

civile passe comparativement peu de temps à préparer ce dernier170. Seul le dernier rapport des

commissaires porte sur le sujet, les sept précédents se concentrant uniquement sur le Code civil. Le

Code civil est déposé le premier, près de huit ans après l’amorce législative de la codification171, le

Code de procédure civile est achevé l’année suivante172. Malgré des affirmations173 retrouvées dans

les textes consultés, il apparaît que la rédaction du Code de procédure civile a été épisodique durant

la préparation du Code civil. Le travail sur le Code de procédure civile principalement réalisé par le

168 Ibid. 169 Ibid. 170 G.-E. Cartier, discours sur le code de procédure civile du Bas-Canada prononcé le 26 juin 1866 à l'Assemblée

législative, dans J. Tassé, supra note 137, p. 490. Le nombre de rapports à son sujet est largement inférieur à celui des

rapports faits en prévision du Code civil : la procédure fait l’objet du huitième rapport de la Commission, dont une

nouvelle version tenant compte des corrections apportées après certaines consultations est publiée comme le dixième

rapport. Dixième rapport des Commissaires, 1866, supra note 7. 171 Dans les faits, il semble que le début des travaux ait eu lieu en 1859, à cause de la maladie de l’un des commissaires.

G.-E. Cartier, discours sur le code de procédure civile du Bas-Canada prononcé le 26 juin 1866 à l'Assemblée législative,

dans J. Tassé, supra note 137, p. 487. 172 Acte concernant le Code Civil du Bas Canada, (1865) 29 Vic. c. 41; Acte concernant le Code de Procédure Civile du

Bas Canada, (1866) 29-30 Vic. c. 25. 173 D’après George-Etienne Cartier, cette apparente rapidité dans l’exécution vient du fait que «[en] faisant leurs

recherches pour le Code civil, les commissaires se trouvaient à travailler, en même temps pour le Code de Procédure, et

les mêmes études ont servi pour les deux ouvrages». G.-E. Cartier, discours sur le code de procédure civile du Bas-Canada

prononcé le 26 juin 1866 à l'Assemblée législative, dans J. Tassé, supra note 137, p. 490.

Page 59: L'évolution et la structuration des principes directeurs

49

commissaire Beaudry174. Les commissaires, pour leur part, se contentent de présenter leur projet de

Code de procédure civile avec quelques propositions d’amendements et d’ajouts, selon leur texte.

L’esprit dans lequel le travail est rédigé est apparent. «Les Commissaires ne se sont pas crus

appelés à rédiger un Code de procédure nouveau, mais se bornant à remplir les exigences du statut,

ils ont exposé la procédure telle qu'elle paraît être actuellement, se contentant de suggérer les

dispositions qui leur paraissaient nécessaires pour remplir les lacunes et former un tout aussi

homogène et uniforme que possible […]»175, indique Gonzalve Doutre. Cette affirmation rejoint

d’abord les prescriptions de la loi de la codification176, qui précise que les Codes doivent

comprendre seulement le droit réellement en vigueur au Bas-Canada. Elle reprend aussi les propos

des commissaires eux-mêmes dans leur présentation du projet de Code de procédure civile du Bas-

Canada, tel que déposé en 1866177.

Ces affirmations répétées tendraient à prouver que le contenu du Code de procédure civile de 1867,

outre les quelques changements proposés par les commissaires et adoptés par l’Assemblée

législative178, reflète encore l’état de la procédure civile dans les quelques années qui précèdent

cette date179. Par ailleurs, le travail des commissaires révèle la nécessité de certaines modifications.

Au moment de la codification, les documents font état d’un questionnement sur les façons de faire

et d’un perfectionnement de celles-ci si la chose est possible180. Enfin, il est probable que la

conception de la procédure des juges Morin, Day, Beaudry et Caron, eux-mêmes et malgré leurs

efforts de neutralité, a aussi coloré le Code. Lorsque deux pratiques s’opposaient sur un même

point, ils ont dû trancher.

174 J.-M. Brisson, La formation d’un droit mixte, supra note 12, p. 148-153 : l’auteur a considéré les minutes de la

Commission de la codification des lois et a établi qu’il avait probablement rédigé une grande partie de ce second Code.

Initialement, Joseph-Ubalde Beaudry, a été l’un des deux secrétaires nommés à la Commission. Au décès du commissaire

Augustin-Norbert Morin, il est nommé commissaire pour le remplacer. (J.-J. Lefebvre, «Beaudry [Baudry], Joseph-

Ubalde», dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. X, Toronto/Québec, Presses de l’Université de Toronto/Presses

de l’Université Laval, 1972, p. 39). 175 Dixième rapport des Commissaires, 1866, supra note 7, p. x 176 Acte pour pourvoir à la codification des lois du Bas-Canada qui se rapportent aux matières civiles et à la procédure,

(1857) 20 Vic., c. 43, art. 5 et 6. 177 Dixième rapport des Commissaires, 1866, supra note 7, p. x. 178 Les suggestions faites par les commissaires n’ont pas toutes été adoptées. Par exemple, le texte final rejette la

suggestion de l’article 52 du projet, concernant la description du corps certain, de l’immeuble, de la terre, etc. Elle est de

nature à restreindre la description, mais la législature n’adopte pas l’amendement proposé. (G. Doutre, Les lois de la

procédure civile, Tome 1, supra note 5, p. lix) Il en va de même en ce qui concerne les modalités entourant la constitution

de nouveau procureur si l’un des procureurs d’une partie décède (Id., p. lxi). 179 D’ailleurs, des auteurs soulignent qu’aucune abrogation, altération des lois en force ou remise en vigueur de lois

éteintes n’était permise sans que la question ait été soigneusement considérée. Voir notamment B.A.T. de Montigny,

supra note 149, p. 597-599; E. Lareau, supra note 137, p. 276-277. Ce dernier précise que les changements nécessaires à

la modernisation des lois étaient faits en tenant compte des anciens principes. 180 À titre d’exemple, voir Code de procédure civile, dans Dixième rapport des Commissaires, 1866, supra note 7, art. 106

à 137 et les commentaires à cet égard : Dixième rapport des Commissaires, 1866, supra note 7, p. xii-xiv. Voir aussi Id.,

p. xiv-xvi et Code de procédure civile, dans Dixième rapport des Commissaires, 1866, supra note 7, art. 288 et 303

(projet de Code).

Page 60: L'évolution et la structuration des principes directeurs

50

Dans l’ensemble, la codification des lois civiles du Bas-Canada est une œuvre monumentale,

complexe, qui tend à la perfection et à la complétude sans les atteindre. Les commissaires

l’affirment d’entrée de jeu. Ils se disent également convaincus que certaines raisons motivant leurs

choix se prêteront à «la critique et à un honnête dissentiment»181. Entre autres, ils envisagent dès

l’abord cette possibilité à propos des principes. «Tout Code de loi, quelque complet qu’il puisse

être, suppose nécessairement l’existence obligée de certains principes fondamentaux sur lesquels

doit reposer et se soutenir toute législation positive, et il n’y a ni soin ni prévision qui puisse assurer

une précision et un développement tels que tout procédé de raisonnement et de déduction basée sur

ces principes et sur l’expérience et la science qui ne se trouvent pas dans la loi écrite, devienne

inutile»182. Les commissaires ne discutent pas spécifiquement de principes directeurs. De plus, cette

opinion a été émise au moment de l’élaboration du Code civil et n’est pas reprise dans le rapport

concernant la procédure civile. Néanmoins, l’idée semble intéressante. Elle peut indiquer une piste

quant à la philosophie de la codification de 1866 et rejoindre ainsi nos préoccupations de recherche.

Au-delà de l’idéologie de complétude attachée au Code, il apparaît que les commissaires ont une

conscience aigüe des limites de leur œuvre et que les contemporains les partagent183.

Dans ce premier Code, les commissaires codifient un seul des principes directeurs que nous avons

retenus. Il est difficile à première vue d’évaluer la portée de leur décision. En effet, lors de la

présentation du projet de Code en 1866, l’intégration du principe du contradictoire est proposée

sous la forme d’un article spécifique. Il sera adopté par la suite pour devenir l’article 16 C.p.c. À

cause des obligations qui leur sont faites dans la loi, cette décision signifie que, selon eux, ce

principe directeur fait partie du droit en vigueur à l’époque184. Le rapport des commissaires sur le

Code de procédure civile comprend l’article proposé185, mais n’ajoute ni explication ni remarque à

son égard, à l’inverse de ce qui se produit souvent lorsqu’ils proposent une modification au droit

dans le projet186. De plus, contrairement à ce qu’ils ont fait pour quelques autres articles187, leurs

références ne contiennent pas de mention de la jurisprudence en ce qui a trait à l’article 16 C.p.c.188.

181 Premier rapport des Commissaires pour la Codification des lois du Bas Canada qui se rapportent aux matières civiles,

nommés en vertu du Statut 20 Vic. chap. 43, supra note 149, p. 33. 182 Ibid. 183 G. Doutre, Les lois de la procédure civile, Tome 1, supra note 5, p. lviii (le rapport des Commissaires) ou G. Doutre,

Les lois de la procédure civile, Tome 2, supra note 5, p. iii et iv, par exemple. 184 Acte pour pourvoir à la codification des lois du Bas-Canada qui se rapportent aux matières civiles et à la procédure,

(1857) 20 Vic., c. 43, art. 5 et 6. 185 Dixième rapport des Commissaires, 1866, supra note 7, p. 4 et 5. 186 Voir Id., p. v à xxxvii. 187 Voir par exemple l’article 54 du projet de Code de procédure civile, portant sur les heures d’assignation, citant la cause

Robinson c. McCormick, (1851) 1 L.C.R. 27 (C.S.) : Dixième rapport des Commissaires, 1866, supra note 7, p. 12. 188 Dixième rapport des Commissaires, 1866, supra note 7, p. 4.

Page 61: L'évolution et la structuration des principes directeurs

51

Les conjectures sur le choix des références pourraient être nombreuses. L’Ordonnance de 1667189,

que plusieurs auteurs désignent comme l’un des ancêtres du Code de procédure civile190, ne contient

pas une disposition qui reconnaît directement et définit ce principe. En revanche, certains de ses

articles sont visiblement influencés par le principe directeur connu aujourd’hui sous les noms de

«principe directeur du contradictoire» et «principe directeur de la contradiction» ou sous le vocable

«audi alteram partem»191. De même, il existe des articles dans les règles de pratique de la Cour

supérieure de 1850, par exemple, qui s’appuient implicitement sur le respect de ce principe

directeur, notamment en ce qui a trait aux significations192. Des lois, toujours tacitement,

témoignent aussi de son influence193. Quelques jugements y font référence, généralement de

manière sous-entendue194. Il est possible de trouver au moins un jugement du juge Sewell le

désignant explicitement comme un principe et même l’un des plus importants195, puisant son origine

dans le droit naturel196 et existant dans le droit français197.

189 «Ordonnance de Louis XIV, roi de France et de Navarre, du mois d’avril 1667. Avec le procès verbal contenant les

modifications faites par le conseil à la dite ordonnance», préambule, dans Edits, ordonnances royaux, déclarations et

arrêts du conseil d’état du Roi concernant le Canada, imprimés sur une adresse de l’Assemblée législative du Canada,

Québec, Presse à vapeur de E.R. Fréchette, 1854, p. 106 et suiv. [ci-après «Ordonnance de Louis XIV de 1667»]. 190 Dixième rapport des Commissaires, 1866, supra note 7, p. viii; P. Ferland, Code de procédure civile annoté, Montréal,

Wilson & Lafleur, 1962, p. 381. 191 L’article 2 du titre XXXV, sur les requêtes civiles, indique : «Permettons de se pourvoir par simple Requête à fin

d’opposition contre les Arrêts & Jugemens en dernier ressort, auxquels le demandeur en Requête n’aura été partie, ou

duement appelé, et même contre ceux donnés sur Requête.» Voir aussi, notamment, les règles pour la remise des exploits

d’ajournement, qui correspond à peu près à la signification des procédures introductives d’instance à notre époque (Titre

II, art. 3, 4, 7, 8, 9); l’article 5 du Titre III concernant les dates et délais de forclusion; l’article 1 du Titre IX qui prévoit les

délais d’assignation selon le lieu de résidence et la distance à parcourir et, dans le même titre, les règles concernant la

mise au greffe des procédures ou d’autres documents et leur signification au procureur de la partie adverse (Titre XI, art.

14, 17, 19, 23); la communication des demandes incidentes et des pièces justificatives d’une partie à l’autre (Titre XI, art.

27); l’obligation pour la personne assignée de comparaître pour être entendue devant les juges et consuls des marchands

(Titre XVI, art. 1), etc. 192 R.p.C.s. (1850), art. 18, 19, 24, 26, 31, 34, 55, etc., dans M. Mathieu, Code de procédure civile, supra note 25, p. 576

et suiv., et dans G. Doutre, Les lois de la procédure civile, Tome 1, supra note 5, p. 271 et suiv. Pour illustrer les

références implicites au principe directeur du contradictoire, voir particulièrement l’article 31. 193 Voir par exemple Acte pour amender les lois relatives aux cours de jurisdiction civile en première instance, dans le

Bas-Canada, (1849) 12 Vic., c. 38, art. 14. 194 Pour un exemple d’une cause qui contient une réflexion implicite sur le principe du contradictoire, voir l’arrêt Beaudry

c. Mayor, Aldermen and Citizens of Montreal (The), (1858) 8 L.C.R. 104 (CJCP). Les Lords du Conseil privé s’y

prononcent clairement sur l’importance d’entendre la preuve de la partie avant de déterminer la somme à lui accorder à la

suite d’une expropriation (p. 106-108) et parlent même de «principes fondamentaux de l’administration de la Justice».

Dans cette affaire commencée devant les juges de paix, ceux-ci ont considéré qu’ils n’avaient pas l’autorité nécessaire

pour assermenter les témoins de M. Beaudry. Le jury –par ailleurs assermenté par ces mêmes juges de paix– a refusé

d’entendre les témoins, soutenant qu’il n’en avait pas besoin pour fixer la somme. Le demandeur se trouvait dans une

impasse qui l’empêchait de faire valoir ses arguments. Il a donc tenté par certiorari d’obtenir l’aide de la Cour supérieure.

Le jugement majoritaire de la Cour du Banc de la Reine s’appuie sur d’autres considérations, mais le juge dissident

propose un aperçu intéressant quant au principe directeur à l’étude (Beaudry c. Corporation de la Cité de Montréal (La),

(1856) 6 L.C.R. 328, 335 (j. Aylwin, dissident) (C.B.R.)). 195 Baker c. Young, dans Pyke, G., Cases Argued and Determined in the Court of King's Bench for the District of Quebec

in the Province of Lower-Canada, in Hilary Term in the fiftieth year of the reign of George III, Reported by Justice Pyke,

Montréal, s.n., 1811, p. 22-24 (C.B.R.) (j. Sewell) [ci-après Pyke’s Cases]. Il s’agit d’une décision sur une motion. 196 Les membres de la communauté juridique du XIXe siècle considèrent que le droit naturel est «le système des règles

imposées aux hommes par leur propre nature, pour les diriger dans leur conduite. […] Par cela que la loi naturelle dérive

de la nature même de l’homme, elle a pour caractère principal d’être immuable et universelle. […]» : A. Dalloz,

Page 62: L'évolution et la structuration des principes directeurs

52

Malgré l’existence de ces références souvent implicites, le rapport des commissaires à la

codification de la procédure civile établit une seule évidence : pour justifier l’adoption de l’article

16, les commissaires ne citent aucune source bas-canadienne. Ils puisent leurs sources dans le droit

français. Parmi les trois textes mentionnés figure d’abord un ouvrage de Pigeau198, déjà cité par le

juge Sewell199. Un autre ouvrage, celui d’Edmond Seligman, un critique du Code de procédure

civile français200 constitue aussi une des références. Les textes mentionnent de plus le Code de

procédure civile de Genève, très proche du Code français. À l’époque, le Code de procédure civile

français ne comprend pas d’énoncé exposant spécifiquement le principe du contradictoire, bien

qu’il réfère tacitement à l’obligation de le respecter en assignant la partie adverse201. Un article

énonciatif a cependant fait son apparition dans les lois de procédure civile du canton de Genève,

publiées en 1819202.

Dans l’ensemble, l’existence du principe du contradictoire jusqu’au moment de la codification est

confirmée dans le droit judiciaire du Bas-Canada. Il s’agit alors d’un principe directeur innommé

accepté et appliqué par les cours et la législation. Il est souvent présenté en lien avec certaines

Dictionnaire général et raisonné ou répertoire abrégé de législation, de doctrine et de jurisprudence en matière civile,

commerciale, criminelle, administrative et de droit public, Tome 2, Paris, Bureau de la Jurisprudence

Générale/Imprimerie de Moquet et Cie, 1835, p. 207-208. Le droit naturel est aujourd’hui défini comme l’«ensemble des

principes universels, conformes à la nature et à la conscience, qui représentent un idéal de justice et ont, d’un point de vue

moral, priorité sur le droit positif196». H. Reid, Dictionnaire de droit canadien et québécois, 4e éd., supra note 28, p. 219-

220. 197 Ce choix de sources françaises ne signifie pas que le droit anglais ne reconnaît pas ce principe directeur. Il est en

accord avec le souci que montre ce juge dans le cadre de nombreux jugements de respecter la division entre les sphères

d’influence du droit français et du droit anglais, ou de paraître la respecter, voir son usage des sources françaises dans

Trépanier c. Dupuis, dans Pyke’s Cases, p. 24-25, ou Gagné c. Bonneau, dans Pyke’s Cases, p. 39-40. 198 Dans le cadre des exceptions péremptoires, voir E.N. Pigeau, La procédure civile du Châtelet de Paris et de toutes les

jurisdictions ordinaires du royaume, tome 1, Paris, Desaint, 1787, p. 160-161. Voir également, à propos de l’opposition à

l’exécution des jugements, la page 490 et l’édition antérieure : E.N. Pigeau, La procédure civile du Châtelet de Paris et de

toutes les jurisdictions ordinaires du royaume, tome 1, Paris, Desaint, 1779, p. 490. D. Jousse, Nouveau commentaire sur

l’Ordonnance civile du mois d’avril 1667, nouvelle édition, corrigée et augmentée, Tome premier, Paris, Debure l’Aîné,

1757, p. vii, en ligne : Google Book. 199 Baker c. Young, dans Pyke’s Cases, p. 24 (C.B.R.) (j. Sewell). 200 L’auteur Edmond Seligman publie cet ouvrage vers 1855. Il propose une critique de la procédure civile française, en se

basant parfois sur les modifications qui y ont été apportées dans les pays qui ont adopté le Code de procédure civile

français ou dans ceux à qui il a été imposé. Lors de sa première mention du principe du contradictoire, il indique : «Une

maxime d’éternelle justice veut que nul ne soit condamné, s’il n’a pu se défendre; c’est l’idée dominante qui se développe,

s’étend et se ramifie dans tous les détails des règles de la procédure». E. Seligman, Quelles sont au point de vue juridique

et au point de vue philosophique les réformes dont notre procédure civile est susceptible, Reims, Librairie de P. Regnier,

1855, p. 12. C’est cependant au titre des ajournements qu’il développe le plus sa théorie sur le contradictoire (Id., p. 124). 201 L’énonciation des formalités auxquelles les parties sont assujetties lors de la signification des exploits qui sont

obligatoires et dont la transgression entraîne la nullité en est un exemple. Art. 68 et 70, Code de procédure civile des

Français, reproduit dans Les 57 Codes, Paris, Moronval Frères, 1867, p. 253-254 [ci-après C.p.c.f. 1867]. Cet article

ressemble beaucoup, jusque dans sa formulation, aux articles 3 et 4 du titre II de l’Ordonnance de 1667 (supra note 189).

Pour d’autres exemples, voir aussi les articles 155, 156 ou 161 C.p.c.f. 1867, p. 262-263. 202 P.-F. Bellot, Ch. Schaub et Ch. Brocher, Loi sur la procédure civile du canton de Genève suivie de l’exposé des motifs

par feu P.-F. Bellot, 3e éd., Genève/Paris, Librairie Cherbuliez et Cie/Librairie de la suisse romande, 1870, art. 3, p. 402

(consulté sur Google livres). Bien que présent dans l’esprit du Code de procédure civile français, le principe du

contradictoire y est inscrit textuellement pour la première fois dans les années 1970. E. Blanc et J. Viatte, supra note 42,

p. 30.

Page 63: L'évolution et la structuration des principes directeurs

53

valeurs de justice. Pourtant, sa définition et sa portée dans le droit du Bas-Canada se révèlent

parfois variables. À partir de l’adoption du projet de Code de procédure civile, une règle exprime et

articule spécifiquement une définition sommaire du principe directeur en lui conférant le statut de

principe directeur codifié. Cet ajout d’un article général dans le projet de Code de procédure civile

reconnaît sans heurt et sans surprise l’existence d’une obligation fondamentale qui est presque un

état de fait. L’application directe de la règle est relativement restreinte, mais le recours aux valeurs

qu’elle incarne, ou à l’esprit qui l’anime, montre l’importance que lui accordent la communauté

juridique et les justiciables.

Ces éléments tendent à démontrer qu’il existe une adhésion assez générale au constat des

promoteurs du projet. La codification en tant que telle, pourtant étrangère jusque-là à la culture

juridique et judiciaire du Bas-Canada, apparaît comme une réponse pragmatique à des difficultés

réelles. De plus, afin d’organiser les instances judiciaires de la future province de Québec,

l’emprunt du Code à une autre nation francophone et civiliste apparaît somme toute logique.

D’ailleurs, et contrairement au Code civil, l’emprunt au Code de procédure civile français est

principalement structurel, puisque les rédacteurs sont appelés à n’y inclure que le droit déjà en

vigueur, héritier des traditions britannique, française et coloniale. Il y aura donc un changement

culturel quant à l’usage d’un nouvel outil et celui-ci se produit à la frontière de deux traditions

juridiques, dans un environnement unique qui a aussi ses besoins propres. Il est difficile de

considérer que l’emprunt d’une méthode de codification basée sur l’expérience française récente

soit, ici, uniquement endogène ou exogène. Les Codes français ont été adoptés depuis la Conquête,

c’est donc autant par choix que par filiation que la procédure civile est codifiée. L’impression

d’«acculturation» qui aurait pu se manifester devant celui-ci doit avoir été amoindrie pour

l’ensemble de la communauté judicaire, d’autant plus que le droit ancien perdurait partiellement,

dans un rôle supplétif. Gonzalve Doutre, qui souhaite y trouver déjà un droit «canadien, qui nous

fait oublier ses sources diverses»203 exprime un vœu que le Code ne peut satisfaire compte tenu de

la mentalité et de la culture de l’époque. Cependant, il renvoie aussi au fait que le droit qu’il

contient constitue un mélange typiquement canadien et n’adopte que partiellement du nouveau

droit. Si le passage du droit ancien au droit codifié est un exemple de changement culturel, celui-ci

s’est produit à un moment propice. De plus, il conservait les traits essentiels du contenu de la

culture originale et il se présentait sous les dehors d’une rationalisation et d’une structuration

nécessaires. Dans l’ensemble, ce changement culturel présentait des caractéristiques propres à

faciliter sa réception par la communauté juridique.

203 G. Doutre, Les lois de la procédure civile, Tome 1, supra note 5, p. xii-xiii.

Page 64: L'évolution et la structuration des principes directeurs

54

Chapitre 2. Les premiers Codes de procédure civile : sur

les traces de «principes directeurs»

Sous l’empire du Code de 1867 puis du Code de 1897, les principes directeurs tant implicites

qu’explicites connaissent un certain développement.

2.1. Le principe directeur du contradictoire et son application

L’article 16 C.p.c. (1867) constitue le premier principe directeur expressément codifié et, à titre de

principe témoin, la présente section s’intéresse à sa reconnaissance dans le Code autant que dans les

autres textes de l’époque.

2.1.1. Un principe directeur codifié sous l’empire du premier Code

Nous nous interrogerons tout d’abord sur la définition donnée de ce principe dans le Code et à sa

portée réelle, avant de considérer la présence de celui-ci dans le droit de la nouvelle province de

Québec.

L’article 16 C.p.c. à l’épreuve de la codification

L’article 16 C.p.c. définit l’existence et l’importance de l’exigence d’appeler et d’entendre la partie

adverse dans une cause. Cet article est inscrit parmi les «dispositions générales», c’est-à-dire celles

qui s’appliquent à l’ensemble des instances et des cours. Il assure le respect du débat contradictoire

dans le déroulement des instances204. Son application est universelle, même si l’acceptation de

l’étendue de son contenu peut varier légèrement selon le juge ou les circonstances d’une cause. Les

plus anciennes décisions qui appliquent l’article 16 C.p.c. n’affirment généralement pas

expressément la nature absolue de la règle codifiée. Certaines d’entre elles témoignent pourtant de

la sensibilité des magistrats à l’article. Le concept présent dans l’article traduit l’une des bases de

l’image qu’ils se font de la justice. À ce stade de son développement, le principe en question n’est

pas identifié systématiquement sous un nom précis. Les textes recensés n’utilisent ni l’appellation

«principe du contradictoire» ni la mention de la maxime latine audi alteram partem pour le

désigner205.

En 1867, en référence aux états de développement des principes directeurs que nous avons définis,

ces caractéristiques font du principe du contradictoire un principe directeur «codifié» et

204 16 C.p.c. : «Il ne peut être adjugé sur une demande judiciaire, sans que la partie contre laquelle elle est formée ait été

entendue ou dûment appelée». 205 Ces deux vocables continueront d’être utilisés malgré tout, par souci de clarté.

Page 65: L'évolution et la structuration des principes directeurs

55

«innommé». En effet, il est clair que sa reconnaissance a atteint un degré suffisant parmi les juristes

pour qu’aucune objection ou aucun commentaire ne soit fait lors de sa codification. Nous pouvons

dire que ce principe directeur appartient déjà à ce que nous pourrions désigner comme la «culture

judiciaire» dominante. Cette codification intervient pourtant sans qu’un nom ait été décerné au

principe et sans qu’un vocable faisant consensus ait pu être déterminé dans les sources consultées.

La possibilité que l’évolution des principes ne respecte pas une évolution linéaire, conforme à des

stades définis ou à une échelle de classification telle que celle que nous proposons, a déjà été

évoquée. Ce principe directeur en offre un exemple convaincant. Qu’advient-il de son évolution

sous l’empire du premier Code de procédure civile?

Le principe codifié en évolution

Cette évolution a donné lieu à peu de jurisprudence. L’une des causes les plus citées par les auteurs

fait suite à une instance de la Cour des commissaires. L’une des parties, absente lors de la décision

sur le bref de certiorari, affirme qu’elle n’a jamais reçu signification de cette nouvelle action

intentée contre elle, du jugement rendu par la suite et de la taxation du mémoire de frais. Elle aurait

pris connaissance de ces événements au moment où l’huissier s’est présenté pour effectuer la saisie

de ses biens. Dans le jugement de la Cour supérieure, le juge Larue prend en considération l’origine

anglaise du bref de certiorari et les modalités qui l’entourent. Sa conclusion est la suivante :

Comme on le voit, en Angleterre, la partie intéressée ne peut pas ignorer ce qui se

passe, et il ne peut être dans l'esprit de nos lois de procédure qu'il en soit autrement; car

comment la partie adverse pourra-t-elle comparaître pour montrer cause contre l'octroi

du bref, comme l'autorise l'art. 1225, si elle n'en a eu aucune connaissance?

L'article 16 C.P.C., décrète d'ailleurs qu'il ne peut être adjugé sur une demande

judiciaire, sans que la partie contre laquelle elle est formée, ait été entendue ou dûment

appelée.

L'opposant n'a été ni appelé, ni entendu, et je suis d'avis qu'il a recours (qu'il l'appelle

requête ou opposition, il importe peu) pour faire annuler les jugements rendus contre

lui206.

Le juge établit donc un lien entre l’application de la règle de l’article 16 C.p.c. et le respect de

l’esprit des lois de la procédure. La notion de débat contradictoire dans le déroulement de la cause

présente déjà une importance certaine qui la différencie d’une simple règle de procédure. Le juge

n’utilise pas le mot «principe», mais son argumentation paraît se fonder sur une conception définie

de la notion de justice en matière de procédure civile.

206 Marcotte c. Cour des Commissaires de St-Casimir (La), (1895) 7 C.S. 236, 239 (j. Larue).

Page 66: L'évolution et la structuration des principes directeurs

56

Cette conception est partagée par d’autres membres de la communauté juridique de l’époque. Ainsi,

dans un arrêt de la Cour suprême concernant une signification faite à un tiers ailleurs qu’au

domicile du défendeur, et où le rapport de l’huissier ne rendait pas compte des erreurs de

signification, le défendeur n’a pas attaché d’importance aux documents lorsqu’il les a enfin reçus207.

Un jugement a donc été rendu contre lui, par défaut. Cependant, ce jugement ne fut jamais exécuté.

Après quelques années, la partie «filed an opposition to the judgment, asking inter alia, that the said

judgment be set aside on the ground that he, the appellant, had never been duly served with the

action; art. 16 C.C.P.»208 Il tente également de faire valoir les moyens de défense qu’il aurait

présentés dans le cadre de l’action principale, joignant ainsi ce que l’on considère être «le

rescisoire» et «le rescindant»209, un procédé qui n’était pas permis en procédure civile. La Cour

supérieure rejette donc son opposition.

Le jugement unanime de la Cour suprême, rédigé par le juge Taschereau, affirme la nécessité de

respecter l’audition contradictoire de la cause. Il ne s’appuie pas uniquement sur la règle telle

qu’elle est énoncée dans le Code. Le texte de l’arrêt mentionne à peine cet article sur lequel s’est

appuyé l’appelant. Le juge met également de l’avant une conception de la loi et de la justice qui

nécessite ce respect. Il affirme que l’une des raisons sur laquelle s’est basée la Cour supérieure pour

rejeter l’action ne peut pas être retenue, à savoir celle qui prend en considération que l’opposition210

n’a pas été produite dans le délai prévu par l’article 483 C.p.c. «The law cannot be so unjust as to

peremptorily bind any one to exercise a right before he is in a position to be possibly aware of that

right»211, ajoute-t-il, s’appuyant sur les auteurs Pigeau et Poncet212. Cette formulation fait appel à

l’esprit de la loi et aux intentions du législateur. Une telle argumentation est parfois utilisée pour

justifier le recours à une interprétation de la norme selon une orientation qui fait appel à des valeurs

ou des principes, au-delà de la lettre du texte de base. Le juge sous-entend ainsi que la règle doit

être respectée en tout temps, même lors de l’application d’un article du Code qui régit un type de

procédure spécifique. La règle du contradictoire influence donc la computation des délais si elle

n’est pas respectée, même lorsqu’aucune exception n’est précisément créée à cet égard.

207 Turcotte c. Dansereau, (1897) 27 R.S.C. 583. Cette cause a donné lieu à deux jugements de la Cour suprême, mais le

premier (rapporté à (1897) 26 R.C.S. 578), ne traite pas de l’assignation. Le second, quant à lui, traite presque

exclusivement de cette question. 208 Id., p. 586 (j. Taschereau). 209 Id., p. 586-587. 210 En première instance, la procédure adéquate pour une telle action est alors appelée «opposition à jugement». Depuis

1966, la procédure équivalente se nomme «rétractation de jugement». À la Cour suprême, la procédure employée est

naturellement celle de l’appel, même si la Cour fait référence à la procédure initialement prévue, l’opposition. 211 Turcotte c. Dansereau, (1897) 27 R.S.C. 583, 587 (j. Taschereau). 212 Comme nous l’avons vu, Pigeau a écrit sur la procédure civile française. Poncet, quant à lui, a écrit un traité sur la

procédure civile belge.

Page 67: L'évolution et la structuration des principes directeurs

57

L’appréciation relative des règles de la procédure civile transparaît également des propos du juge

Taschereau. La Cour suprême écarte les arguments procéduraux quant à l’élaboration de la défense

et souligne la priorité qui doit être accordée au respect de la règle élémentaire du contradictoire.

Comme le juge Larue en Cour supérieure, le juge Taschereau n’opte pas pour un formalisme rigide

lorsqu’il est question du contradictoire.

It is not on her claim, or on the appellant's liabilities, that we have to adjudicate here,

but exclusively on the judgment she has obtained against the appellant. And that

judgment cannot stand. The appellant's opposition should not be defeated on

technicalities and it is on technicalities exclusively that the courts below have found

reasons to dismiss it.

[…] His having alleged a defence does not disentitle the appellant from invoking the

nullity of the judgment, as he does in his opposition. I repeat it, the appellant is not,

and never has been in default. The judgment against him is not only voidable, but it is

void and an absolute nullity213.

Il apparaît donc à travers ces échantillons de jurisprudence que la règle du contradictoire est

d’application générale. De plus, elle donne lieu à une hiérarchisation des règles procédurales,

puisqu’elle est respectée de préférence à d’autres règles légitimes. Ces deux caractéristiques sont

typiques des règles qui traduisent des principes directeurs dans le Code de procédure civile et

permettent d’appuyer l’hypothèse que, selon les critères élaborés pour cette thèse, le principe

directeur du contradictoire reste codifié sous l’empire du premier Code, mais il n’acquiert pas un

nom ou un vocable. Ceci ne lui permet pas d’être considéré comme un principe directeur «nommé»

et confirme que son évolution ne nécessite pas un vocable unique pour le désigner ou n’est pas

totalement achevée, ce qui attesterait de la survivance des traits liés par notre classification aux

principes directeurs «innommés».

L’ensemble de ces constatations permettent de postuler que, dans ce cas particulier, la codification

n’a pas modifié en soi la reconnaissance du principe directeur, mais qu’elle a plutôt confirmé un

état de fait préalable. Le rôle du principe dans la culture judiciaire était déjà établi et il n’a pas été

modifié. La règle codifiée ne semble pas non plus suffire à contenir le contenu du principe

directeur, ce qui rejoint nos postulats de départ. L’exemple du juge Taschereau est intéressant à cet

égard puisqu’il ne semble pas s’appuyer sur l’article codifié, mais sur son esprit. La prééminence de

la règle du contradictoire est distillée dans son discours. Dans l’esprit du juge, le principe directeur

transcende peut-être la règle qui l’énonce et, celle-ci ayant été citée préalablement dans la cause, il

ne ressent pas le besoin de justifier l’application du principe par son énoncé légal. Ou encore,

213 Turcotte c. Dansereau, (1897) 27 R.S.C. 583, 588-589 (j. Taschereau) (sic).

Page 68: L'évolution et la structuration des principes directeurs

58

l’insertion du principe dans le Code est passée relativement inaperçue, en ce sens qu’elle n’a pas

entraîné de modification de l’orientation du droit procédural ou de la pratique de celui-ci. Le juge

continue à référer au principe lui-même sans ressentir une pression de modifier ses habitudes de

réflexion ou de justification. Il est donc possible d’affirmer que l’implantation de la règle

procédurale dans cet exemple est d’autant plus simple qu’elle émane de la culture judiciaire ou en

rejoint le contenu et ne constitue pas en soi un changement culturel.

2.1.2. L’évolution sous le second Code et l’apparition d’un vocable

La première révision de la procédure civile achevée en 1897 n’influence pas le contenu de la règle

du contradictoire. Elle reçoit simplement une nouvelle numérotation. Le texte reste identique,

comme une lecture comparative des deux articles le démontre214. L’application du nouvel article 82

C.p.c. en lui-même s’inscrit ainsi dans une ligne de pensée identique à celle de l’article 16 C.p.c.

dans le Code de 1867. La teneur des jugements rendus par les magistrats est donc cumulative et

témoigne d’une évolution linéaire de l’expression de la règle.

L’importance de la règle du contradictoire continue d’être affirmée dans le discours des juges. De

plus en plus, ils insistent sur la nature centrale de celle-ci dans la procédure civile. Leur façon

d’exprimer cette place privilégiée s’amplifie même avec le temps. Plusieurs causes traitant de

l’article 82 C.p.c. se bornent d’ailleurs à indiquer le contenu de la règle et à l’appliquer215.

Cependant, d’autres juges vont plus loin dans la qualification de cette règle procédurale.

Audi alteram partem et l’article 82 C.p.c. : vers le statut de principe nommé

L’application directe du Code de procédure civile ne caractérise pas toujours les jugements qui

illustrent le plus clairement l’évolution de la règle. L’un de ces jugements, Commission des liqueurs

de Québec c. Jeffries, est rendu dans une affaire pénale216. La Commission des liqueurs porte en

appel une question relative à l’importance d’une peine infligée à un particulier par l’application de

la Loi des liqueurs alcooliques217. La Commission a cependant formé cet appel sans en donner avis

à l’intéressé, M. Jeffries. La Loi des liqueurs alcooliques ne contient aucun article obligeant à

214 Art. 82 C.p.c. (1897) : «Il ne peut être adjugé sur une demande judiciaire sans que la partie contre laquelle elle est

formée ait été entendue ou dûment appelée».

Art. 16 C.p.c. (1867) : «Il ne peut être adjugé sur une demande judiciaire, sans que la partie contre laquelle elle est formée,

ait été entendue ou dûment appelée». 215 Western Savings and Loan Association c. Patrice, [1943] R.L.n.s. 297, 302-303 (C.S.) (j. Surveyer); Rousseau c.

Rimouski Airlines Ltd., [1950] R.P. 308, 312 (C.S.) (j. Edge); Fulton c. Hénault (1902), 5 R.P. 258, 260 (C.S.); Prévost c.

Laliberté (1931), 35 R.P. 72, 74 (C.S.) (j. Weir); In re Lachapelle, (1929) 67 R.J.Q. 365, 366 (C.S.) (j. Boyer); Gagnon c.

Desrochers (1924), 27 R.P. 408, 410 (C.S.) (j. Bruneau). 216 Commission des liqueurs de Québec c. Jeffries, (1929) 46 B.R. 242 217 Loi des liqueurs alcooliques, (1921) 11 Geo. V, c. 24; S.R.Q. 1925, c. 37.

Page 69: L'évolution et la structuration des principes directeurs

59

donner un tel avis dans ces circonstances. Les juges de la Cour d’appel sont pourtant formels à cet

égard, l’obligation existe. Le discours des juges s’appuie sur la maxime audi alteram partem et sur

sa nature fondamentale. Il est même possible d’y déceler une analogie avec la disposition du Code

de procédure civile, analogie utilisée pour affirmer la nature centrale de la règle. «Je crois que nous

ne pouvons pas mettre de côté la règle élémentaire qui a toujours été appliquée dans tout pays

jouissant d’un système judiciaire civilisé : audi alteram partem, que je trouve consignée à l’article

82 de notre Code de procédure. Cette règle universelle s’applique non seulement aux procédures

civiles, mais à toutes procédures judiciaires […]»218, déclare l’un d’entre eux. Un second juge du

banc formé pour entendre la cause souligne aussi que la procédure utilisée viole une règle

fondamentale du droit de la province, ainsi que de la loi anglaise exprimée selon lui par la maxime

audi alteram partem219. Le troisième juge étend la portée de ses remarques à l’ensemble du système

judiciaire en revenant sur un jugement qu’il a rendu dans une autre affaire afin de clarifier sa

pensée. Il considère que cette règle est si universelle, si fondamentale, tant en pratique qu’en équité,

qu’elle est implicite à tout système de procédure220 et à une loi, même si celle-ci ne la prévoit pas221.

Les tribunaux reconnaissent que la maxime audi alteram partem énonce un principe général du

droit dans plus d’un arrêt, dont le plus célèbre reste Alliance des professeurs catholiques de

Montréal (L’) c. Labour Relation Board of Québec222.

La maxime "audi alteram partem" est, si l'on peut dire, un principe vénérable. [...] Le

principe que nul ne doit être condamné ou privé de ses droits sans être entendu, et

surtout sans avoir même reçu avis que ses droits seraient mis en jeu est d'une équité

universelle et ce n'est pas le silence de la loi qui devrait être invoqué pour en priver

quelqu'un. À mon avis, il ne faudrait rien moins qu'une déclaration expresse du

législateur pour mettre de côté cette exigence qui s'applique à tous les tribunaux et à

tous les corps appelés à rendre une décision qui aurait pour effet d'annuler un droit

possédé par un individu223.

Ainsi, il semble que les cours canadiennes appliquent davantage la maxime latine audi alteram

partem dans la première moitié du XXe siècle qu’auparavant et qu’elles reconnaissent qu’elle

exprime un principe.

218 Commission des liqueurs de Québec c. Jeffries, (1929) 46 B.R. 242, 243 (j. Cannon). 219 Id., p. 244 (j. Greenshields). 220 Id., p. 247 (j. Howard). Dans le cadre de l’arrêt Jeffries, il accepte le recours à un principe en précisant que «the

opinion expressed in the last paragraph of my notes on this issue in the Thibaudeau Case is broader than I intended. […] I

did not intend to exclude from such appeals such a universal rule as that which forbid a Court to condemn a person […]

without having had an opportunity of being heard on his own behalf.» Dans le jugement en question, Commission des

liqueurs de Québec c. Thibaudeau, (1928) 44 B.R. 417, le juge Howard, pour la Cour, explique, en résumé, que la

procédure d’appel décrite dans la loi est complète et ne peut être considérée comme référant à une autre loi (dans ce cas, il

cite le «Quebec Summary Convictions Act», p. 428). 221 Commission des liqueurs de Québec c. Jeffries, (1929) 46 B.R. 242, 247 (j. Howard). 222 Alliance des professeurs c. Labour Relation Board, [1953] 2 R.C.S. 140. 223 Id., p. 153-154 (j.e.c. Rinfret).

Page 70: L'évolution et la structuration des principes directeurs

60

La référence à cette maxime n’est pas entièrement nouvelle en droit québécois comme en

témoignent certains textes du début du XXe siècle, notamment issus du Comité judiciaire du Conseil

privé. En 1906, dans l’arrêt Lapointe c. L’Association de bienfaisance et de retraite de la police de

Montréal224, nous trouvons en effet un des exemples précoces de cette tendance. Dans cette affaire,

l’Association de bienfaisance et de retraite refuse de verser les sommes auxquelles un policier a

droit parce qu’il a été forcé de démissionner. La décision est prise par un groupe de directeurs de

l’Association sans entendre les explications du policier. Le Comité judiciaire du Conseil privé

renvoie le dossier en Cour supérieure, en ordonnant que ses explications soient entendues et son cas

discuté par un autre groupe de directeurs. Lord Macnaghten, au nom des lords, fustige le procédé en

déclarant que l’ensemble des procédures étaient irrégulières et «above all contrary to the elementary

principles of justice»225. Par la suite, il cite d’autres précédents anglais à l’appui de sa décision. L’un

d’entre eux déclare notamment, au sujet de tels comités :

They are bound in the exercise of their functions by the rule expressed in the maxim

"Audi alteram partem", that no man should be condemned to consequences resulting

from alleged misconduct unheard, and without having the opportunity of making his

defense. This rule is not confined to the conduct of strictly legal tribunals, but is

applicable to every tribunal or body of persons invested with authority to adjudicate

upon matters involving civil consequences to individuals226.

Tant dans la cause Alliance des professeurs que dans la cause Lapointe, les juges insistent : les

tribunaux judiciaires sont liés par cette règle. Celle-ci s’étend aussi à d’autres autorités jouissant

d’un pouvoir décisionnel. Ces deux causes ne font pas directement référence à l’article 82 C.p.c.,

puisqu’elles ont pris naissance devant des commissions dont la procédure ne dépend pas du Code.

Cependant, la maxime audi alteram partem est associée au contenu de l’article 82, qui en est

l’expression dans le Code de procédure civile. Après qu’une partie de la communauté juridique

l’aient reconnue comme règle élémentaire ou fondamentale, d’ailleurs, des magistrats rappellent

que la règle de l’article 82 C.p.c. traduit aussi un «principe» plus général227.

À ce stade, avec l’utilisation plus répandue du vocable audi alteram partem228, il est clair que le

principe directeur codifié au milieu du XIXe siècle possède désormais, dans le droit québécois, un

nom spécifique. Il est passé progressivement et définitivement du groupe des principes «innommés»

224 Lapointe c. Association de bienfaisance et de retraite de la police de Montréal, [1906] A.C. 535. 225 Lapointe c. Association de bienfaisance et de retraite de la police de Montréal, [1906] A.C. 535, 539, traduction

personnelle. 226 Lapointe c. Association de bienfaisance et de retraite de la police de Montréal, [1906] A.C. 535, 540 (citant Russell c.

Russell, (1880) 14 L.R. Ch. D. 471, lui-même citant Wood c. Woad, (1874) 9 L.R. Ex. 190). 227 Voir notamment Commission des liqueurs de Québec c. Jeffries, (1929) 46 B.R. 242, 243 (j. Cannon). 228 Certains usent de variations francophones de cette même maxime : «droit d’être entendu», par exemple. Voir A.

Perrault, «La procédure civile dans la province de Québec», (1942) 2 R. du B. 1, 2. En discutant de la sécurité du

défendeur, il indique qu’il ne sera pas jugé «sans être entendu».

Page 71: L'évolution et la structuration des principes directeurs

61

au groupe des principes «nommés». Que ce nom ou ce vocable, selon le cas, soit appelé à changer

par la suite ou que le principe soit plus tard connu sous un second nom n’a pas de conséquence

particulière dans ce contexte. Un nom se cristallise au début du XXe siècle, quelques décennies

après la «codification» du principe. La reconnaissance définitive par le plus haut tribunal canadien

en 1953 marque le point culminant de cette cristallisation.

Les compréhensions diverses du principe directeur du contradictoire et de ses sources

Selon leur pensée et leur influence culturelle, la nature du principe que la justice doit être rendue

contradictoirement est comprise différemment par les magistrats. En 1922, par exemple, un

jugement du juge Bruneau montre que certains le tiennent pour un principe de «droit naturel»229.

Cette affirmation traduit notamment le contexte culturel dans lequel son auteur a été formé230, mais

aussi sa perception que le principe directeur est difficilement contestable. Ce principe lui semble

tellement essentiel, que le magistrat se permet d’ajouter quelques mots d’avis aux avocats :

À ce sujet, je crois devoir conseiller aux avocats, surtout à ceux qui sont obligés de

plaider devant la Cour de Pratique, de ne demander le rejet d'une motion, requête, etc.,

faute par leur adversaire de se présenter pour la soumettre à la Cour, que dans des

circonstances spéciales et pour de très graves raisons, car tant qu'un pareil jugement

n'est pas signé et enregistré, je considère que c'est le devoir du juge de remettre au rôle,

pour être entendu contradictoirement, une telle motion, requête, etc.231

Le juge étant appelé à jouer un rôle de protection afin de faire respecter les droits des parties, la

reconnaissance de la règle de l’article 82 C.p.c. comme expression d’un principe plus important lui

impose donc un devoir à cet égard. Le juge est tenu d’agir dans la cause pour protéger le droit des

parties d’être entendues. Ses décisions en tiennent compte. Le juge Bruneau, dans ce cas, tente

également d’influencer le déroulement des instances en conseillant aux avocats une conduite

générale propre à assurer le respect de la règle telle qu’il la conçoit.

L’idée que le principe du contradictoire émane du droit naturel, du droit romain ou de l’ancien droit

français n’est pas affirmée par tous les juges. Plusieurs des sources citées dans la jurisprudence

québécoise du début du XXe siècle et servant à accréditer la désignation du contradictoire en tant

que «principe» sont d’origine anglaise, contrairement à la tendance observée avant et lors de la

229 Marsh c. Montréal Tramways Co. (1922), 24 R.P. 195, 210-211 (C.S.) (j. Bruneau). 230 Cette référence au droit naturel prévaut plus souvent dans le discours du XIXe siècle. Le juge Bruneau, né en 1864,

devient membre du Barreau à partir de 1887. Après une carrière juridique et politique, il est nommé juge en 1907. Voir P.-

G. Roy, Les juges de la Province de Québec, Québec, Archives du gouvernement de la province de Québec/R. Paradis,

1933, p. 85. 231 Id., p. 211.

Page 72: L'évolution et la structuration des principes directeurs

62

codification232. Comme les notions exprimées dans l’ancien droit français et dans le droit

britannique se rejoignaient, il était facile pour les praticiens et les juges de puiser ensuite des

références du droit anglais pour faire reconnaître ce principe directeur. De nombreux textes de

l’époque soulignent la tendance consistant à utiliser des précédents issus de la common law pour

expliquer des concepts de droit civil233. Cette tendance ne provient pas nécessairement de l’absence

de références possibles dans un autre système juridique, nous l’avons vu. Nous émettons

l’hypothèse que cette même situation s’est produite dans le cas de la maxime audi alteram partem.

Elle appartenait aux deux systèmes, sans qu’une véritable différence de signification entre les

notions puisse être décelée. La jurisprudence anglaise sur le sujet était disponible. La possibilité

d’appel à la Cour suprême et au Comité judiciaire du Conseil privé pouvait faciliter la perméabilité

du droit civil québécois à celle-ci. De plus, les sources consultées234 ont établi que le Code de

procédure civile français de la fin du XIXe siècle ne contient pas d’article formulé de façon

équivalente, même si le principe audi alteram partem existe dans le droit français. Ses

manifestations sont plus diffuses235.

Cette conjoncture a-t-elle eu des conséquences en procédure civile sur le développement du

principe directeur ou l’adhésion à celui-ci? Au début du XXe siècle, une partie de la communauté

juridique entretient une vision «nationaliste» du droit. Ceci est révélateur de la culture judiciaire

ambiante. Non seulement les Codes sont-ils importants par leur nature légale, ils le sont aussi pour

la défense des institutions particulières de la province de Québec. La suggestion qu’une perception,

fût-elle erronée, de l’origine du principe directeur ait entraîné une résistance à l’hégémonie de celui-

ci doit donc être envisagée. Cependant, il est également difficile de soutenir que l’utilisation de

sources provenant du droit civil ou de la common law a infléchi la reconnaissance ou la définition

du principe directeur par rapport à la période suivant la première codification de manière

significative. Rien ne permet non plus de soutenir que le résultat aurait été différent pour la

procédure civile si les références utilisées par les juges ou les avocats avaient été différentes. Nous

pourrions par exemple imaginer qu’elle pouvait renforcer le choix d’un vocable latin, de manière

232 Voir à ce sujet les mentions sur les sources du principe directeur du contradictoire dans le droit du Bas-Canada, p. 51. 233 Les auteurs jugent cette tendance fréquente et, pour la plupart d’entre eux, malheureuse. P.-B. Mignault, «Le juge

Brodeur», (1924) 2 R. du D. 241 : p. 245-247; P.-B. Mignault, «L'avenir de notre droit civil», (1922-23) 1 R. du D. 59 :

60-65; A.-A. Bruneau, «De la limite des pouvoirs des juges et des tribunaux», (1923-24) 2 R. du D. 289, 295-296. Voir

aussi V. Morin, «L’Anglicisation de notre Droit civil», dans Deuxième Congrès de la langue française au Canada,

Deuxième congrès de la langue française au Canada, Québec, 27 juin-1er juillet 1937. Mémoires. L’esprit français dans

ses différentes manifestations, Tome II, Section des lois, Québec, Imprimerie de l’Action Catholique, 1938, p. 210 et suiv.,

où il se prononce en faveur de l’emprunt intelligent à la common law dans les domaines où elle peut améliorer et vivifier

le droit civil. 234 Voir p. 52. 235 Les articles 59, 61, 66, 68, 69, 70 C.p.c.f. contiennent alors les règles concernant les «exploits d’ajournement», qui sont

les actes de procédure qui débutent l’instance. La signification est obligatoire, et certaines formalités doivent être remplies

sous peine de nullité.

Page 73: L'évolution et la structuration des principes directeurs

63

inconsciente et par un réflexe de mimétisme, car l’utilisation du «latin juridique» est un trait connu

de la culture judiciaire du début du XXe siècle236. Dans l’ensemble, ce principe directeur se révèle

bien ancré dans la culture judiciaire. La perception de son origine ou des sources utilisées par les

contemporains pour appuyer les usages qu’ils en font n’ont pas eu d’incidence décelable dans le

cadre de notre étude. L’utilisation du principe directeur du contradictoire répond à une façon de

concevoir la justice et à un besoin pratique immédiat, les sources utilisées permettant souvent de

justifier une interprétation plutôt que de la définir. Des traits du discours des juges traduisent aussi

cette réalité, comme certaines remarques formulées à propos des règles fondamentales.

2.1.3. Le principe directeur du contradictoire : un principe d’application générale

L’étude de l’usage du principe directeur du contradictoire dans la deuxième moitié du XIXe siècle

permet d’établir quelques caractéristiques représentatives de son enracinement dans la procédure

civile en tant que partie du système judiciaire et de la culture qui y prévaut.

Les trois types de référence au principe directeur

Premièrement, l’application du principe du contradictoire se fait souvent directement, par un emploi

clair de l’article ou de la maxime qui donne corps à la règle237. Lorsque l’occasion leur est donnée

de réitérer l’importance de la règle énoncée à l’article 82 C.p.c., les juges jouent souvent un rôle de

protection par rapport à la partie lésée dans son droit d’être entendue, notamment par un défaut de la

signification ou une absence complète de celle-ci238. Par exemple, nous pourrions renvoyer au

discours d’un juge de la Cour supérieure qui associe facilement le respect de l’article 82 C.p.c. et le

rôle du juge à titre de défenseur des droits des individus239. Ce discours évoque aussi le respect des

valeurs liées à la conception de la procédure civile et le rôle d’orientation des règles qu’il lui

reconnaît. De même, il illustre la portée de cet article dans le droit judiciaire, puisqu’il influence

une procédure particulière même si aucune autre règle spécifique ne prévoit son application dans le

cadre de celle-ci. Ces traits sont bien ceux que l’on reconnaît à un principe directeur.

Deuxièmement, l’application du principe directeur du contradictoire peut aussi se faire d’une façon

différente, plus diffuse, par l’entremise d’autres règles qui découlent du principe directeur et qui,

sans l’énoncer, promeuvent son respect. Le législateur, dès la première rédaction du Code, a

spécifiquement inscrit la règle voulant que la formulation employée dans la préparation de la

236 Voir, par exemple, A. Mayrand, Dictionnaire de maximes et locutions latines utilisées en droit québécois, Montréal,

Guérin, 1972, p. 1-2. 237 Art.16 C.p.c. (1867) et art. 82 C.p.c. (1897) 238 Voir par exemple, à propos de signification en matière d’interdiction d’un individu, Prévost c. Laliberté (1931), 35

R.P. 72 (C.S.) (j. Weir) (aussi rapporté à 29 R.P. 266), et Martin c. Martin (1937), 43 R.P. 159 (j. Surveyer). 239 Martin c. Martin (1937), 43 R.P. 159, 161-162.

Page 74: L'évolution et la structuration des principes directeurs

64

procédure ne soit pas un obstacle à la réception de cette procédure par un tribunal240 et conserve

cette règle dans le second Code. Le législateur prône ainsi l’idée que la possibilité pour les parties

de mener le débat à terme et de faire valoir leurs arguments est plus importante que la rédaction des

différents actes de procédure. Ceci rejoint, par exemple, les décisions judiciaires qui affirment qu’il

y a toujours un recours disponible lorsqu’il y a eu entorse à la règle voulant que le débat soit

contradictoire et surtout lorsqu’il y a eu défaut de signification, et que le nom donné au recours

choisi par la partie affectée dans ses droits est secondaire241. Cette possibilité trouve un écho dans le

nouvel article 526 C.p.c., adopté en 1897. Le juge peut permettre de signifier à nouveau le bref

d’assignation et la déclaration, si leur première signification a été irrégulière. Il exerce ce pouvoir

en tout temps et aux conditions qu’il juge à propos. La question des amendements242 à la procédure

permet aussi d’illustrer l’application de la règle du débat contradictoire. La discrétion du juge en

matière d’amendement est large, une fois que les conditions de base sont respectées243. D’ailleurs, la

Cour du Banc de la Reine a précisé en 1877 que la partie adverse doit avoir la possibilité de

répondre aux nouvelles allégations faites par voie d’amendement244. Une règle de pratique a

d’ailleurs été adoptée à cet effet245. Les tribunaux aménagent donc leur pouvoir en tenant compte de

leur compréhension du principe directeur en question.

Le Code de 1897 élargit encore cette possibilité. Bien que des réticences aient été émises, car cet

élargissement du pouvoir d’amender les actes de procédure donne aux plaideurs une latitude accrue

dans un environnement judiciaire culturellement marqué par le formalisme, son application est

encouragée par au moins une partie des juges de la Cour supérieure246. Il est exigé que l’acte de

procédure modifié soit signifié à l’autre partie, ce qui démontre la continuité implicite de

240 Voir l’article 20 C.p.c. (1867). 241 Marcotte c. Cour des Commissaires de St-Casimir (La), (1895) 7 C.S. 236, 239, entre autres. 242 Jusqu’en 2003, le terme amendements est employé pour désigner une modification à un acte de procédure ou à une loi.

Le terme actuel du nouveau Code est «modification». 243 En 1882, la Cour supérieure interprète le Code de procédure civile de la Louisianne et son application, où elle fait

ressortir que l’unicité de chaque cas y est reconnue et va jusqu’à dire que le meilleur intérêt de la justice apparaît alors

comme la règle à suivre : voir Seery c. St. Lawrence Grain Elevating Co. (The), (1882) 5 L.N. 403, 403 (C.S.) (j.

Torrance). 244 Montrait c. Williams, (1878) 22 L.C.J. 19, 20 (C.B.R.), (j.e.c. Dorion). 245 Art. 47 R.p.C.s. (1928). Cette règle reprend une règle plus ancienne (art. 55 R.p.C.s.). Celle-ci précisait le temps dont

disposait la partie pour répondre après signification de l’amendement, ce qui exigeait implicitement cette signification.

L’article 47 des Règles oblige explicitement la signification de la pièce amendée. Les anciennes spécifications de l’art. 55

y sont d’ailleurs reprises presque textuellement. En 1850, la règle prévoit qu’aucune motion n’est reçue ou entendue sans

un avis préalable d’au moins un jour à la partie adverse, sauf dans des cas particuliers. M. Mathieu, Code de procédure

civile, supra note 25, p. 584 et G. Doutre, Les lois de la procédure civile, Tome 1, supra note 5, p. 276. 246 «Je ne vois pas, en cela, une objection suffisante pour priver de son droit d'amender une partie qui en réclame

l'exercice, car il ne faut pas oublier que les tribunaux sont plutôt favorables aux amendements bien que ceux-ci soient très

rares, les avocats semblant toujours craindre d'amender, et, à mon humble avis, ils ont bien tort, car les arts 513 à 526 sont

dans le [Code?] pour l'avantage des plaideurs, et pour aider à réparer les omissions et erreurs des avocats, en autant que

faire se peut, dans les limites indiquées par l'art. 522 C.P.», note, par exemple, le juge Stein dans Carignan c. Boudreau,

(1931) 37 R.L.n.s. 234, 248. Voir aussi le jugement majoritaire et l’opinion dissidente dans l’arrêt Price c. Fraser (1901)

31 R.C.S. 505, entre autres.

Page 75: L'évolution et la structuration des principes directeurs

65

l’application du principe directeur du contradictoire, en conjonction avec le droit de répondre à

l’amendement247. La Cour du Banc du Roi et la Cour supérieure considèrent la possibilité de

répondre à l’amendement comme un droit important248 de la partie. Implicitement, elles semblent se

reconnaître le devoir général de lui permettre de l’exercer, donc de protéger les droits des parties,

selon la forme la mieux adaptée au déroulement de la cause. Une tendance à l’interprétation libérale

de l’article prévaut chez une partie des juges249. Cependant, la lettre de l’article ouvre aussi la porte

à des interprétations restrictives dans certaines circonstances250. Cette conjugaison de deux

tendances opposées peut expliquer pourquoi, quelques décennies plus tard, d’autres élargissements

des limites de l’amendement sont réclamés par une partie des magistrats.251

L’utilisation d’autres articles que l’article 82 C.p.c. permet aussi de s’assurer que les parties sont

informées du déroulement de l’action et ont la possibilité de défendre leur cause252. La Cour

suprême elle-même a déjà souligné que l’obligation de notification du dépôt d’une motion est une

règle élémentaire de justice, «a rule of common justice»253. L’existence et la mise en application

concrète du principe du contradictoire sont donc réitérées à plusieurs reprises dans l’ensemble des

articles du Code et des outils qui l’entourent. Le principe directeur est soutenu par les jugements de

la magistrature. Le traité sommaire de procédure de Philippe Ferland, publié à la fin de la période

étudiée dans cette section, fait aussi écho à la diffusion de l’idée du contradictoire à travers de

nombreuses règles du Code254. Une telle présence s’avère révélatrice d’un principe directeur codifié

et bien implanté, reconnu dans la doctrine et la culture judiciaire ambiante. L’auteur désigne

247 Dion ltée c. Banque Provinciale du Canada, (1939) 66 B.R. 344, 352 (j. Rivard). Dans cette cause, la correction

matérielle de l’acte n’a pas été effectuée, non plus que la signification de l’acte amendé à la partie adverse. Ainsi, celle-ci

n’a pas bénéficié de l’occasion d’y répondre, ce qu’elle aurait été en droit de faire. La Cour d’appel précise ce droit sans

mentionner la maxime audi alteram partem ou la règle de l’article 82 C.p.c., bien qu’il s’agisse d’une application du

même principe directeur, en esprit tout au moins. 248 Giroux c. Roberge, (1921) 30 B.R. 294, 295-296 (j.e.c. Lamothe). Voir aussi Carignan c. Boudreau, (1931) 37 R.L.n.s.

234, 250 (C.S.) (j. Stein), qui s’appuie sur deux arrêts de la Cour du Banc du Roi et des arrêts qu’il a lui-même rendus

précédemment en première instance. La cause Montrait c. Williams, (1878) 22 L.C.J. 19 (C.B.R.), précitée, démontre que

cette idée était déjà prônée et appliquée sous l’égide du premier Code. 249 Voir Commission des accidents du travail c. Rheault, [1952] B.R. 28. 250 522 C.p.c. (1897) et 53 C.p.c. (1867). Voir aussi G. Lemay, «La demande en justice : sa structure, son amendement, au

siècle dernier et en 1960, 4 C. de D. 75, 86. Voir également Revision du Code de procédure civile, Premier rapport,

présenté à l’honorable G.-E. Lapalme, procureur général de la province, Québec, 15 mars 1962, projet B, p. 7. Le

document comprend aussi un «projet A» [ci-après Rapport préliminaire des commissaires à la révision du Code de

procédure civile, 1962]. Selon le rapport, la jurisprudence a limité le droit d’amender en interprétant les mots «nature de la

demande», parfois de manière indue. S’appuyant sur l’objectif de ramener la procédure à son rôle d’auxiliaire de la

justice, le rapport propose de modifier le critère pour faciliter l’amendement. 251 Dès 1920, un juge de la Cour du Banc du Roi souligne en obiter qu’il n’aurait pas vu d’inconvénient majeur à ce que la

loi permette de changer la nature d’une action par amendement, mais il rappelle que la loi déclare le contraire. Barone c.

Grand Trunk Railway Company of Canada (The) (1920), 24 R.P. 65, 67 (C.B.R.) (j. Dorion, dissident). S. Challies,

«Some Problems of Civil Procedure», (1961-62) 8 R. D. McGill 3, 7. Juge de la Cour supérieure, il qualifie la restriction

de l’article 522 C.p.c. de «mischievous provision which should be repealed». 252 Considérer, à titre d’illustration, les articles 234 et 235 C.p.c. (1867) et 293, 295 et 296 C.p.c. (1897). 253 Eastern Townships Bank c. Swan, (1899) 29 R.C.S. 193, 200, (j. Girouard). 254 P. Ferland, Traité, supra note 190, p. 32

Page 76: L'évolution et la structuration des principes directeurs

66

d’ailleurs cette règle de l’article 82 C.p.c. à la fois comme un «grand commandement de toute

procédure judiciaire» et comme une «notion qui est la raison d’être de toute justice : l’accès aux

tribunaux, la faculté de faire valoir ses droits»255.

Troisièmement, l’application du principe directeur du contradictoire provient d’un travail conscient

des utilisateurs et interprètes du droit procédural qui doivent être guidés par lui, notamment celui

des juges lors de l’audience et de la décision. Cette perception est partagée. Des juges définissent

leur rôle à l’égard du respect de la règle du contradictoire en parlant de justice : «[l]e juge doit

exercer sa discrétion en se basant sur des motifs juridiques ayant toujours en vue le principe

fondamental qu'une partie ne doit pas être condamnée à moins qu'elle n'ait été entendue ou dûment

appelée. (art. 82 C.P.)»256. L’idée voulant que le débat contradictoire forme la base du procès juste

et équitable est donc acquise dans la culture juridique. D’ailleurs, à la suite de l’arrêt Alliance des

professeurs, l’idée que la règle audi alteram partem, associée à l’article 82 C.p.c., traduise un

principe fondamental du droit judiciaire est reprise dans plusieurs jugements, notamment par la

Cour suprême en 1954. Le juge en chef Rinfret ajoute qu’il s’agit d’un «principe fondamental basé

sur l'équité naturelle»257. Le non-respect de la règle est fatal à la «juridiction»258 du tribunal et les

actes de procédure faits par la suite, dont le jugement final, sont frappés de nullité259.

Ces trois voies qui canalisent l’application d’un principe directeur tel que celui du contradictoire

montrent que sa reconnaissance par la codification a des effets sur les méthodes qu’utiliseront les

interprètes. La codification impose d’une part une règle, un texte qui prête corps à un principe

directeur déjà présent dans la culture judiciaire. D’autre part, en lui conférant un statut interprétatif

ou se basant sur son contenu ou les valeurs qu’il contient pour rédiger d’autres articles du même

Code, celui-ci oriente l’application du principe. Cependant, les juristes continuent, à la fois

consciemment et inconsciemment, à se référer au principe et à son esprit en dehors du cadre de

l’article pour en favoriser le rayonnement et le respect. Dans ce cas particulier, il faut en conclure

qu’il y a effectivement reconnaissance d’un principe directeur déjà présent et complètement formé

dans la culture judiciaire du XIXe siècle. Celui-ci continue de s’appliquer et conserve ses

caractéristiques de principe. Sa nature «générale» rejoint plusieurs représentations du système

255 Ibid. 256 Deacon c. Demers, [1943] C.S. 155, 157-158 (j. Salvas). 257 Robillard c. Commission Hydroélectrique de Québec, [1954] R.C.S. 695, 699 (j.e.c. Rinfret). 258 La «compétence» du tribunal était alors désignée sous le terme «juridiction» dans le Code de procédure civile. Le

changement de vocabulaire n’a été effectué que dans les années 1990, mais, hors des citations, le texte utilise le terme

actuel. 259 Robillard c. Commission Hydroélectrique de Québec, [1954] R.C.S. 695, 699 (j.e.c. Rinfret).

Page 77: L'évolution et la structuration des principes directeurs

67

judiciaire partagées par les différents acteurs de celui-ci et cela influence à la fois la réaction

d’acceptation tacite de sa codification et la manière dont un vocable s’impose pour le désigner.

Le principe directeur et les limites de son application

Les décisions judiciaires analysent notamment la portée de cette règle énoncée par l’article 82

C.p.c.260 et l’étendue du devoir qu’elle impose aux parties comme aux juges. Cependant, les

opinions divergent parfois à propos de son application, notamment en matière quasi judiciaire261.

Dans ce contexte différent, les juges doivent faire respecter la règle du contradictoire, mais il

appartient à la partie qui serait victime d’un bris de cette règle de soulever cette question et d’en

présenter la preuve. L’influence que peut avoir le juge dans le contrôle de l’instance ou la

détermination des questions en litige est circonscrite dans cette limite, même s’il est question d’un

point aussi fondamental que le respect du débat contradictoire. Le principe directeur du contrôle de

leur dossier par les parties trouve ici son application. Il est clair que, dans le système de valeurs qui

régit la compréhension de la procédure civile dans la première moitié du XXe siècle, l’importance

de ce second principe directeur est relativement équivalente au premier. En effet, ils inspirent

mutuellement quelques-unes des balises qui les encadrent.

D’autres limites sont reconnues par les tribunaux. D’une part, malgré son importance, la règle audi

alteram partem reprise à l’article 82 C.p.c. peut être neutralisée par un texte de loi qui abroge ou

modifie l’application de la maxime et qui fait clairement voir qu’il est rédigé dans ce but262. Par

ailleurs, certains soulignent que l’étendue de l’application de la maxime audi alteram partem est

parfois limitée aux atteintes qui ont une nature définitive263. Il faut en comprendre que les atteintes

auxquelles la Cour supérieure peut remédier durant l’instance sont, et probablement doivent être,

corrigées de prime abord, afin que la cause se poursuive et atteigne une conclusion satisfaisante.

Enfin, les magistrats rappellent que le contenu de l’obligation englobée dans la règle est de

permettre à la partie de faire valoir ses moyens264. Ces trois limites, surtout la dernière, sont

cependant énoncées dans le cadre d’une violation de la règle audi alteram partem par un organisme

quasi judiciaire plutôt que par un tribunal, dans la majorité des cas. En matière judiciaire, l’exigence

260 R. c. Randolph, [1966] R.C.S. 260; Guay c. Lafleur, [1965] R.C.S. 12; Marcotte c. Société Coopérative Agricole de

Ste-Rosalie, [1955] R.C.S. 294; etc. 261 Ainsi, deux juges dissidents de la Cour d’appel semblaient d’avis qu’ils pouvaient examiner d’office l’application de la

règle audi alteram partem, qui n’avait pas été soulevée. L’arrêt unanime de la Cour suprême considère qu’il s’agit d’une

«question of fact which should have been expressly pleaded if appellant wished to rely upon it in his action». Marcotte c.

Société Coopérative Agricole de Ste-Rosalie, [1955] R.C.S. 294, 298 (j. Abbott). 262 R. c. Randolph, [1966] R.C.S. 260, 265 et 266 (j. Cartwright). 263 Id., p. 266 (j. Cartwright). 264 Komo Construction Inc. c. Commission des relations du travail du Québec, [1968] R.C.S. 172, 175 (j. Pigeon). Cette

exigence était déjà affirmée implicitement par la Cour d’appel, voir Québec Labour Relations Board c. Pascal Hardware

Company Ltd., [1965] B.R. 791, 795 (j. Choquette, sur requête).

Page 78: L'évolution et la structuration des principes directeurs

68

de l’article 82 C.p.c. est plus sévère. Elle n’est cependant pas toute-puissante. Les circonstances de

la cause ou des événements peuvent nécessiter des aménagements265.

Par ailleurs, ces limites rejoignent aussi la représentation culturelle du système judiciaire au XIXe

siècle et dans la première moitié du siècle suivant. Pour les juges et les avocats de l’époque, le

système judiciaire apparaît fortement hiérarchisé, de même que le contenu du Code de procédure

civile. Le juge doit rester une figure qui transcende toute implication dans la cause, neutre et

inaccessible comme la Justice elle-même. Les parties sont maîtresses de leur dossier. De la même

façon, le Code s’applique de façon formaliste. Cela explique tout d’abord en partie l’étendue

comme les limites de l’utilisation du principe directeur du contradictoire. L’ensemble appuie notre

hypothèse d’une structuration «organique» des principes directeurs qui fonctionnent au moins

autant en symbiose autant qu’en concurrence et dont l’équilibre et le poids respectif doivent sans

cesse être ajustés. Nous voyons que la pensée des acteurs de la période s’appuie largement sur

conception du procès civil où les parties sont très actives et le juge encouragé à la neutralité. Cette

conception a modelé en partie la représentation que les acteurs se font des principes directeurs et de

leur action. Elle a aussi orienté leur développement. Cela vient ensuite illustrer qu’en l’absence

d’une nécessité de réception ou de modification réelle de la culture judiciaire, l’identification ou la

codification de «principes directeurs» n’impose pas de contrainte ou d’évolution significative pour

la communauté juridique. À plus ou moins long terme, celle-ci adapte progressivement son action,

son discours et son vocabulaire à la nouvelle réalité de la loi, sans rompre les liens avec les

anciennes pratiques, ce qui témoigne que nous sommes ici en présence d’un principe directeur dont

le seuil de maturation et le potentiel d’adhésion étaient atteints avant la codification. Ce schéma, qui

consiste à poser une action en accord avec la culture judiciaire dominante, signifie sans surprise une

insertion réussie d’un principe innommé dans une codification.

Toujours en matière de limites, il faut rappeler que l’origine culturelle initiale de l’énoncé de la

règle codifiée ne semble pas présenter d’incidence sur la reconnaissance ou l’usage du principe

directeur pour les contemporains. À l’image du Code tout entier, les sources utilisées pour définir ce

principe directeur ont pu être d’origine mixte. Ceci ne permet pas de déterminer une origine unique

au principe directeur, même si le choix initial des codificateurs reposait sur la doctrine civiliste.

L’origine culturelle du principe directeur peut se réclamer de deux traditions juridiques selon les

265 Voir Barrie c. Boisvert, [1944] C.S. 78, 78-79 (j. Boulanger). Cette décision est rendue durant la Seconde Guerre

mondiale, alors qu’un mis en cause se trouve en service outre-mer. Il est intéressant de le comparer avec la cause Pesco c.

Belleville (1941), 45 R.P. 49 (C.S.), où l’une des parties, un Français, réside en zone occupée, ce qui anéantit toute

possibilité de procéder par commission rogatoire. Voir aussi, à la même époque, l’exemple législatif de l’adoption de

l’article 383a C.p.c. en 1944, prévoyant la constitution d’une commission permettant l’interrogatoire d’une personne en

service actif hors de la province durant un conflit militaire.

Page 79: L'évolution et la structuration des principes directeurs

69

écrits de ceux qui sondent ces questions. Cependant, il n’y a aucune controverse dans ce contexte :

que son ascendance soit identifiée dans le droit civil ou la common law, elle répond à un besoin réel

et appartient au droit reconnu être alors en vigueur dans la province de Québec. Cette appréhension

du pragmatisme qui prévaut en matière de «culture judiciaire» à l’époque est d’ailleurs révélatrice

de la conception de la procédure civile et des principes directeurs appelés à la guider dans l’esprit

de l’époque. Celle-ci est avant tout un outil qui permet d’atteindre une forme de justice reconnue

par les acteurs du système judiciaire.

2.2. Le Code et les «autres» principes directeurs, une omniprésence

discrète

En théorie, le Code de procédure civile tel qu’entré en vigueur en 1867 joue le rôle d’élément de

structure de l’instance, remplaçant les anciens outils qui géraient la procédure civile. Pourtant,

l’effort de rationalisation de la procédure civile en vigueur et d’organisation de l’administration de

la justice essuie rapidement des critiques sévères. Par exemple, en 1882, la Commission de

codification des statuts sur les réformes judiciaires identifie deux sources des difficultés de

l’administration de la justice. Il s’agit tout d’abord des «défauts nombreux et radicaux du Code de

procédure civile, dont l'insuffisance est universellement reconnue»266 et, ensuite, de «la mauvaise

organisation des tribunaux, dont la hiérarchie est mal observée et la compétence imparfaitement

ordonnée»267. Selon la commission, la lenteur de la justice s’explique par plusieurs insuffisances :

une multiplicité des degrés de juridiction parmi les tribunaux, une procédure formaliste et dilatoire

qui comprend des formes nombreuses et compliquées, des phases de procédure multiples

entrecoupées de longs délais268, etc. Le principal défaut de cette procédure constitue encore «le

pouvoir illimité qu'ont les parties de laisser traîner leurs causes en longueur et de les perpétuer à

l'infini»269. Une telle évaluation sous-entend que les parties devraient aussi exercer un contrôle

régulateur sur ces sujets. Ces reproches énoncés par le juge T.J.J. Loranger s’adressent à l’esprit

formaliste du Code de procédure civile qui, selon lui, autorise le plaideur à se complaire dans les

délais. Cette condamnation s’adresse aussi à l’influence du Code sur le déroulement de l’instance.

L’auteur reconnaît également que les parties sont maîtresses de leur dossier. Il souligne la tendance

266 Travaux de la Commission de codification des statuts sur les réformes judiciaires, imprimé par ordre de la législature,

Québec, 1882, s.n., 1882, p. 3-4, dans Commission appointed to revise and consolidate the statutes of the Province of

Quebec, Report of the Commission appointed to revise and consolidate the statutes of the province of Quebec, S.l., s.n.,

1881. Les rédacteurs des travaux de la Commission sont T.J.J. Loranger (commissaire), C.A. Pariseault et T.H. Oliver

(secrétaires) [ci-après Travaux de la Commission de codification des statuts sur les réformes judiciaires]. 267 Id., p. 4 268 Ibid. 269 Ibid.

Page 80: L'évolution et la structuration des principes directeurs

70

généralisée de celles-ci à multiplier les actes de procédure ou à les étirer, ce qui tend à prouver que

ce contrôle est réellement exercé, que sa critique soit justifiée ou non. Il expose ainsi que les règles

définies n’encouragent pas une résolution des causes rapide et efficace. C’est en modifiant ces deux

points qu’il propose de réformer la procédure civile.

2.2.1. Les principes directeurs de la maîtrise de leur dossier par les parties et de la

maîtrise de l’instance par le juge : de l’influence au point d’équilibre

Le rapport de la Commission de 1882 et, plus généralement, la critique du premier Code, présente

plusieurs traits de principes directeurs qui ne sont pas encore codifiés selon nos critères.

Le contrôle de leur dossier par les parties : un principe directeur innommé

D’emblée, la critique du commissaire Loranger montre l’importance du principe directeur de la

maîtrise de leur dossier par les parties dont nous avons vu quelques effets. Elle décrit simultanément

l’existence d’un tel principe et ses conséquences sur le déroulement de l’instance. Lors de la

préparation de la codification, les commissaires avaient déjà souligné la mainmise des parties sur le

processus d’enquête. La narration de cette situation par les auteurs du rapport de 1866 nous

confirme que celle-ci forme un trait de la procédure civile québécoise270. Pour les commissaires à la

codification, il va de soi que la partie et les avocats sont maîtres de leur gestion du dossier, même

lorsque cet exercice est effectué à mauvais escient. Ils ne discutent pas de cet aspect des choses et

ne proposent pas de le remettre en question dans le projet de Code. Seuls les points de procédure

qui encadrent les actes liés à l’enquête sont modifiés pour tenter d’établir une évolution raisonnable

de celle-ci. Dans ce contexte aussi, il semble que les caractéristiques d’un principe directeur sont

applicables et que, avant même 1867, il est respecté comme tel. Cependant, la doctrine et la

jurisprudence consultées n’ont pas permis de découvrir un vocable commun pour désigner la notion.

La maîtrise de leur dossier par les parties est donc un principe directeur innommé. En 1867, comme

nous l’avons dit, il est toujours implicite et n’est pas inscrit dans le premier Code. Pourtant, il est

utilisé universellement. De plus, de nombreux articles sont fondés sur ce principe directeur, par

exemple ceux qui rappellent les exigences procédurales à accomplir par les parties pour entamer

une instance271 ou l’obligation de rédiger les conclusions adéquates à la demande272, le juge ne

pouvant pas agir sans cause ou ultra petita. Les parties sont ainsi responsables de la genèse du

dossier et de son orientation, ce qui une expression de contrôle. Le non-respect de telles règles

270 Voir Dixième rapport des Commissaires, 1866, supra note 7, p. x, déjà cité en page 43. 271 Art. 12 C.p.c. (1867); art. 76 C.p.c. (1897). 272 Art. 17 C.p.c. (1867); art. 113 C.p.c. (1897).

Page 81: L'évolution et la structuration des principes directeurs

71

entraîne des sanctions pouvant aller jusqu’au rejet de l’action273 ou le rejet des arguments qui se

rapportent à des points qui n’ont pas fait l’objet d’allégation274, etc.

Le respect du rôle conféré à la partie s’étend aussi au comportement qu’elle adopte durant

l’instance, par exemple au sujet des délais. Cela permet même d’inférer du comportement de la

partie qu’elle souhaite agir d’une manière particulière dans le cadre de l’instance. Puisque la gestion

de son dossier est entre les mains de la partie, les juges ont interprété le contenu du Code comme les

encourageant à respecter ces décisions. Cette interprétation est appuyée par la conception de leur

rôle à titre de protecteur des droits des parties, ce qui vaut tant pour la partie qui est en position de

choisir son acte procédural que de la partie qui est en droit de se fier aux comportements ou aux

actes de l’autre partie. Ainsi, une partie peut donner à son adversaire l’impression qu’elle n’insiste

pas sur une application stricte des préceptes de la procédure civile en matière de délais par un

comportement ou une adhésion tacite à un comportement. Si elle demande une forclusion

ultérieurement, la Cour lui oppose souvent que son comportement équivaut à une acceptation tacite

du retard, surtout si elle a accepté de recevoir une signification hors délais275 ou si elle-même a été

précédemment coupable d’un non-respect d’un délai similaire sans que son adversaire ait entamé

une procédure pour obtenir la forclusion276. Dans l’ensemble, les tribunaux respectent jusqu’à un

certain point l’accord tacite à la continuation de la cause hors délais, lorsque cet accord crée une

renonciation claire aux droits conférés par le Code. Une demande de déclaration de forclusion sans

273 Ce n’est pas toujours le cas, mais la situation s’est produite. Par exemple, la partie qui n’a pas demandé les frais ne

peut les obtenir par motion après le jugement (Blais c. Parrot, [1946] 50 R.P. 115 (C.S.)), ou le plaidoyer qui ne contient

pas de conclusions est rejeté sur motion (Lefebvre c. Legros, (1900) 6 R.L.n.s. 92 (C.cir.)). Selon le résumé d’un arrêtiste,

il a été décidé que l’inscription en droit qui ne contient pas de conclusions peut être acceptée s’il y a une indication qu’elle

s’applique à l’ensemble ou à l’une des allégations (Potvin dit Montpetit c. Montreal Loan and Mortgage Co. (The) (1897),

1 R.P. 216 (C.S.)). Par ailleurs, le jugement sera cassé s’il se prononce sur un sujet alors qu’il n’y avait pas de conclusion

à cet égard et qu’il n’a donc pas été soumis aux parties (Rhéaume c. Bourdon, (1886) 31 L.C.J. 170), etc. 274 Voir art. 110 C.p.c. (1897). Voir notamment Mayrand c. St.Denis, (1928) 34 R.L.n.s. 380, 387 (j. Stein); Leclerc c.

Robitaille, [1952] R.L.n.s. 257, 271-272 (j.e.c. Galipeault); Maillet c. Perras, (1940) 69 B.R. 183, 186-187 (j. Bond).

Cette divulgation a cependant des limites dans l’esprit de certains juges. Discutée dans deux des arrêts cités

précédemment, qui s’en distinguent, une décision de la Cour du Banc du Roi a affirmé qu’une partie n’est pas tenue

d’annoncer la manière dont elle fera sa preuve, dans ce cas par le biais d’un aveu extrajudiciaire de la partie décédée. Ce

mode de preuve est possible dans les circonstances. En effet, s’il avait vécu, le demandeur aurait pu l’interroger sans avis

préalable. Il n’est pas forcé de déclarer qu’il tentera de prouver un aveu extrajudiciaire de culpabilité si les allégations déjà

exposées ouvrent la porte à ce moyen de preuve. Skeene c. Dontigny, (1926) 41 B.R. 544, 547 (j.e.c. Lafontaine). La

sévérité d’une telle sanction appelle des atténuations274, car elle pourrait mettre en péril les droits d’une partie. Dans le cas

de l’interrogatoire où l’on tente d’obtenir un aveu judiciaire, il est possible d’interroger sur les faits non allégués, voir

Turcotte c. Giguère, (1929) 35 R.L.n.s. 333, 342-344 (C.cir.) (j. Stein) 275 Par exemple, le juge exerce sa discrétion et permet à un défendeur de mener un interrogatoire préliminaire selon

l’article 286a C.p.c., même si sa motion est faite hors délais, car il n’y a pas de forclusion. Dans ce cas, le demandeur n’a

pas agi. Renaud c. Jonquière (Ville de), [1946] R.P. 182 (C.S.). 276 Il y a entre autres le consentement tacite à la prolongation du délai, déduit de l’art. 250 C.p.c. : Picard c. Warren,

[1952] 2 R.C.S. 433; voir aussi le résumé du jugement dont il était appelé, Warren c. Picard, [1951] B.R. 554. Roy c.

Québec (Cité de), [1952] R.P. 190, 191 (C.S.) (j. Marquis).

Page 82: L'évolution et la structuration des principes directeurs

72

que la partie adverse soit avertie prend l’adversaire par surprise277, ce que le législateur et les

tribunaux tentent généralement d’empêcher.

La responsabilité quant aux délais et aux modifications de la procédure prévue par le Code repose

sur les parties, c’est-à-dire qu’elle relève autant du demandeur que du défendeur. De manière

générale, les obligations des parties dans la conduite de leur dossier sont similaires. Cependant,

quelques avocats et juges semblent vouloir nuancer cette responsabilité en fonction du rôle que

remplissent les parties, demandeur ou défendeur, en s’interrogeant sur la possibilité que ce rôle

influençât la gestion de leur dossier et leurs obligations à cet égard. L’attribution des dépens au

demandeur ou au défendeur qui ne les a pas demandés tend à montrer qu’il existe chez une partie

des juges et avocats une différenciation entre les attentes développées face à chacune des parties278.

Malgré l’uniformité de l’article 549 C.p.c. qui accorde les dépens à la partie qui a gain de cause,

certaines décisions permettent de discerner une tendance minoritaire différente lors de son

application. Il semble parfois que l’une des parties peut faire face à des exigences qui ne sont pas

appliquées aussi sévèrement dans le cas de l’autre279. Si les explications proposées peuvent sembler

étonnantes, elles n’en témoignent pas moins d’une forme de réflexion sur le rôle des parties et sur

leur responsabilité dans la gestion de leur dossier basé sur une culture judiciaire qui privilégie une

grande liberté des parties.

Le contrôle de leur dossier par les parties se traduit aussi par des pouvoirs qui sont reconnus à

celles-ci. Cependant, dès l’adoption des premiers Codes, ces pouvoirs commencent à s’élargir,

notamment en matière d’interrogatoire280. Le Code révisé en 1897 reprend partiellement l’un de ces

nouveaux pouvoirs à l’article 286 C.p.c. en le modifiant, permettant l’assignation d’un plus grand

nombre de personnes et élargissant aussi le contenu de l’interrogatoire281. La Cour du Banc de la

277 Dunn c. Morris, (1925) 31 R.L.n.s. 316 : 323 (j. Bruneau); Sénécal c. Montreal Turnpike Trust (The), (1893) 4 C.S.

161, 161-162 (j. Loranger). Le juge Bruneau cite même l’article 82 C.p.c. dans ce contexte : Dunn c. Morris, (1925) 31

R.L.n.s. 316, 323 (j. Bruneau). 278 Voir notamment A. Perrault, «La critique des arrêts», (1942) 2 R. du B. 264, 266-267. Dans ce texte, l’auteur suggère

même que, dans les circonstances particulières d’une cause qu’il étudie, le tribunal pourrait accorder des dépens au

défendeur qui ne les a pas expressément demandés, en s’appuyant sur la seule autorité de la loi. Ceci rompt avec une

partie de la pensée procédurale de l’époque. 279 Art. 549 C.p.c. Voir notamment, pour les dépens non demandés par le demandeur et que les cours tendent à refuser

d’accorder : Montreal Tramways Co. c. Campeau (1937), (1941) 70 B.R. 180, (les juges Létourneau et Bernier, p. 184),

qui s’appuie entre autres sur la cause Coupal c. Bonneau (1865) (1867) 10 L.C.J. 177 (C.B.R.). Pour le cas du défendeur,

où les cours tendent à les accorder malgré tout, voir Roy c. Nadeau, [1942] B.R. 65. Brodsky c. Archambault, [1944] C.S.

448 et A. Perrault, «La critique des arrêts», supra note 278, 266-267. 280 À la faveur de la refonte des lois en 1888, le législateur insère l’article 251a C.p.c. qui prévoit que les parties peuvent

être interrogées comme témoins : S.R.Q. 1888, art. 5879. Quelques années plus tôt, il avait permis l’interrogatoire des

parties sur les faits et articles pertinents en amendant l’article 221 C.p.c. : Acte pour amender le code civil et le code de

procédure civile, (1885) 48 Vic., c. 20, art. 8. 281 Art. 286 C.p.c. Ainsi, outre les personnes physiques, le Code de procédure civile révisé prévoit les cas où la partie

adverse est une corporation ou une société étrangère et permet d’assigner certains de ses représentants pour répondre à

Page 83: L'évolution et la structuration des principes directeurs

73

Reine se fait l’écho de la logique d’accroissement des pouvoirs des parties. Dès 1899, elle a conféré

une interprétation large au contenu du nouvel article 286 C.p.c. Elle considère que l’interrogatoire

prévu à ce stade des procédures a pour but de «s’enquérir» afin de permettre aux parties de se

«préparer au procès»282. Cet élargissement des pouvoirs des parties est reconnu par l’ensemble du

monde judiciaire, malgré quelques remarques discordantes qui trahissent des doutes parmi une

minorité de magistrats283. Dans cette expansion, la réflexion ne s’appuie cependant pas uniquement

sur le principe directeur du contrôle de leur dossier par les parties. Les principes directeurs ou les

valeurs sur lesquelles ils s’appuient ont parfois tendance à s’influencer mutuellement, à se

coordonner, lorsqu’ils servent de base à une tentative de modification du droit procédural.

L’amplification de ce pouvoir se poursuit avec l’adoption de l’article 286a C.p.c., entre autres284,

qui autorise la partie défenderesse à interroger, sur permission, la partie demanderesse sur les faits

se rapportant à la demande avant la production de la défense. Un affidavit atteste que la demande

d’interrogation est faite de bonne foi et non dans le but de retarder la cause285. La partie qui y a

recours est investie de la responsabilité de peser la nécessité et la pertinence de sa demande286. Nous

retrouvons ici une illustration de l’idée d’autorégulation en matière de temps et de coûts qui

continue de sous-tendre la réflexion sur le rôle des parties dans les décennies suivantes. Celle-ci

existe dans un contexte où la partie peut cependant utiliser tous les moyens disponibles pour établir

leur preuve. L’économie de temps est évidemment une préoccupation qui est soutenue par le

législateur dans son évaluation de la nouvelle procédure et qui se révèle de nature à contrebalancer

l’interrogatoire. Par la suite, d’autres personnes seront ajoutées : l’employé d’une corporation, sur autorisation (Loi

modifiant le Code de procédure civile, (1938) 2 Geo. VI, c. 100, art. 1), la personne qui a la charge, la direction ou la

garde d’une chose ayant causé un dommage à la partie adverse (Loi modifiant le Code de procédure civile, (1939) 3 Geo.

VI, c. 96, art. 2), et la personne dont la partie adverse exerce les droits à quelque titre que ce soit (Loi modifiant le Code de

procédure civile, (1944) 8 Geo. VI, c. 45, art. 3). Pour une explication du fonctionnement de l’article 286 au milieu du

XXe siècle, voir W.C.J. Meredith, «Examination on Discovery in Quebec», dans P. Ferland, Traité, supra note 190, p.

351-354. 282 Canadian Pacific Railway Co. (The) c. Richelieu and Ontario Navigation Co. (The), (1900) 9 B.R. 293, 297 (j. Bossé)

[ci-après C.P.R. c. Richelieu and Ontario Navigation Co.]. Voir également Montreal Tramways Co. c. Brodeur, (1937) 62

B.R. 342, 344 (j. Barclay). 283 Voir les remarques dissidentes du juge St-Jacques dans Montreal Tramways Co. c. Brodeur, (1937) 62 B.R. 342, 352.

Il considère que les «dispositions» de l’article n’excèdent pas celles de l’art. 339 C.p.c. Celui-ci régit l’interrogatoire des

témoins au procès. 284 Art. 286a C.p.c., ajouté au Code par la Loi modifiant le Code de procédure civile relativement à l’examen préalable,

(1926) 16 Geo. V., c. 65, art. 1. Le désir d’équité explique sans doute pourquoi un député, disant représenter des avocats

de Montréal, a proposé d’accorder ce privilège aux deux parties. Cette demande a été rejetée en comité général de la

Chambre. Québec, Assemblée nationale, Débats de l’Assemblée législative, 16e lég., 3e sess., vol. 2 (16 mars 1926), p.

587. Étant donné que le demandeur a déjà présenté sa demande et que, dès la défense déposée, il aura le droit d’appeler la

partie défenderesse selon 286 C.p.c., les conséquences de ce refus sont minimes, puisque la possibilité d’amender les actes

subsiste. 285 Art. 286a C.p.c. (1897) 286 Henchey c. Gauthier, [1945] R.P. 106 (C.B.R.). D’ailleurs, un auteur recommande d’inclure dans la motion des raisons

qui soutiennent la demande d’examen, car si aucune raison n’est apparente dans la motion ou le dossier, la Cour pourrait

refuser la demande si elle considère qu’elle n’aura pas d’utilité. W.C.J. Meredith, «Examination on Discovery», (1952) 12

R. du B. 7 : 7. Voir également, sur le nombre d’objections relatives à la pertinence et le détournement de sa fonction :

Buisson c. Thibaudeau (1934), 38 R.P. 112 (C.S.).

Page 84: L'évolution et la structuration des principes directeurs

74

le pouvoir conféré à la partie. Ces mêmes préoccupations transparaissent dans la jurisprudence du

XXe siècle. Les cours reconnaissent majoritairement que la disposition doit être interprétée

libéralement287, bien que l’on puisse découvrir une tendance à vouloir modérer certains usages

abusifs de ce pouvoir, car ils allongent les causes288. D’autres questionnements montrent la

réflexion du monde judiciaire face à l’élargissement des pouvoirs. Dans certains de ces cas, il est

possible de relever l’influence d’une pensée basée sur l’économie et la célérité dans le déroulement

de l’instance. Par exemple, la partie défenderesse dispose désormais de deux possibilités

d’interrogatoire préalable, soit avant la production de la défense et après cette production. Un juge,

figure parmi les principaux commentateurs et réformateurs des réalités procédurales de la première

moitié du XXe siècle, s’interroge : selon les circonstances de chaque cause, devrait-on demander à

la partie d’opter entre les deux289? Implicitement, cette question nous amène à réaliser que la

réflexion sur la limite entre le principe directeur de la maîtrise de leur dossier par les parties d’une

part et les notions de célérité et d’efficacité d’autre part est déjà entamée. Le potentiel d’opposition

entre ces deux séries de notions, dont nous serons appelée à rediscuter, transparaît déjà dans la

réflexion des réformateurs de la décennie 1920. Elles peuvent rejoindre, entre autres, les

constatations qu’il serait possible de faire à propos d’autres moyens de procédure dont l’usage

s’amplifie à l’époque, comme le phénomène de l’objection290, qui est aussi lié à la fois au contrôle

du dossier par la partie, ici en matière de preuve notamment291, et à l’économie de l’instance292.

287 Charest c. Forget, (1941) 70 B.R. 401, 403; Marcoux c. Fortin (1929), 32 R.P. 60, 60 (C.S.) (j. Stein); Snag Proof

Company, Ltd. c. Beadner (1928), 31 R.P. 186, 189 (C.B.R.) (j. Hall); Buisson c. Thibaudeau (1934), 38 R.P. 112, 114-

116 (C.S.) (j. Surveyer). Notons que dans l’arrêt Snag Proof Company, il est explicitement question du droit de la partie à

connaître toutes les charges retenues contre elles, sous peine de violer «the most elementary rules of pleadings», Snag

Proof Company, Ltd. c. Beadner (1928), 31 R.P. 186, 187 (C.B.R.) (j. Hall). Il s’agit d’une cause rendue sous la loi des

douanes, en matière de contrebande («smuggling»). Il est intéressant de comparer la règle énoncée par le juge avec

l’élargissement du pouvoir d’interrogatoire avant l’instruction selon 286 C.p.c., voir à ce sujet les explications du juge

Bossé dans la cause C.P.R. c. Richelieu and Ontario Navigation Co., (1900) 9 B.R. 293. Cette dernière cause est citée par

analogie dans l’arrêt Buisson c. Thibaudeau. 288 Voir par exemple Diamond Taxicab Association, Limited c. Union Taxicab Company, Limited (1927), 30 R.P. 1, 2-3;

Henchey c. Gauthier, [1945] R.P. 106 (C.B.R.). Cependant, il ne s’agit pas non plus de restreindre l’interrogatoire de

manière excessive, afin de ne pas empêcher l’atteinte de l’objectif prévu. W.C.J. Meredith, «Examination on Discovery»,

supra note 286, p. 9. Charest c. Forget, (1941) 70 B.R. 401; Buisson c. Thibaudeau (1934), 38 R.P. 112 (C.S.). Selon le

juge Surveyer, en 1944, cet interrogatoire est très employé : il pense qu’environ un quart du rôle de la chambre des

requêtes de Montréal «est affecté à ces demandes» et qu’ailleurs qu’à Québec et Sherbrooke, elles «retardent les procès»

dans les districts où la présence du juge n’est pas permanente. E.-F. Surveyer, «Encore le code de procédure», (1944) 4 R.

du B. 109, 110. Il a d’ailleurs prononcé une opinion similaire sur le banc : Buisson c. Thibaudeau (1934), 38 R.P. 112

(C.S.). Le juge conserve le pouvoir discrétionnaire de refuser un tel interrogatoire si son utilité n’est pas justifiée : Plante

c. Plante, [1944] R.P. 421, 422 et 423 (C.S.). 289 E.-F. Surveyer, «Réformes proposées au Code de procédure civile : Examen préalable», (1926-27) 5 R. du D. 175, 179. 290 Art. 225 al. 3 C.p.c. (1867) dans le cas des interrogatoires sur faits et articles ou art. 290 et 291 C.p.c. (1867); art. 355

et 331 C.p.c. (1897), entre autres. 291 Ainsi, dans un article, S.W. Weber discute des objections à la «verbal evidence», s’interrogeant notamment sur le

moment où elle peut être faite. S.W. Weber, «Procedural Jurisprudence», (1951) 11 R. du B. 367, 369-370. Ce même

auteur avait aussi discuté brièvement de l’objection à la preuve illégale quelques années auparavant : S.W. Weber, «Some

Problems in Procedure», (1946) 6 R. du B. 69, 72.

Page 85: L'évolution et la structuration des principes directeurs

75

L’exercice de leurs droits par les parties dans ce contexte nécessite des précautions dans la

rédaction même du Code. Par conséquent, des moyens sont prévus pour protéger les parties, telle

une mesure qui leur permet d’échapper aux conséquences de défauts mineurs dans la rédaction de

leur demande si leur énoncé des faits et des conclusions est présenté avec précision, concision et de

bonne foi293. En revanche, les pouvoirs des parties en matière de contrôle de leur dossier leur

confèrent d’autres bénéfices essentiels. Les parties peuvent demander à la Cour d’autoriser certaines

adaptations de la procédure civile, afin qu’elle s’intègre mieux aux circonstances d’une cause. Un

certain nombre d’entre elles sont prévues par le Code. Ainsi, la Cour supérieure possède le pouvoir

de permettre à une partie de répondre par écrit à une exception préliminaire294. Cependant, cela ne

dispense pas la partie de respecter les autres règles de procédure ou d’obtenir certaines autorisations

de la Cour prévues par le Code295. La maîtrise de leur dossier par les parties reste un principe

directeur de la procédure respecté, qui influence la compréhension et l’application des règles

procédurales. Pourtant, il apparaît ici, et dans d’autres cas où les parties sont astreintes à demander

des permissions, qu’il est déjà tempéré par la maîtrise du juge quant au déroulement de l’instance.

La reconnaissance de ce dernier principe directeur, pour être moins visible, est pourtant

profondément ancrée dans les pratiques. D’autre part, les exemples montrent que les parties peuvent

explicitement ou implicitement modifier l’application des règles de procédure. Les exemples de

consentement explicite des parties à une modification de l’application des règles procédurales ou à

une renonciation à celles-ci sont plus rares. Ainsi, le procureur d’une partie peut invoquer une

entente avec l’avocat de la partie adverse pour prolonger un délai, entre autres pour la production

d’une défense ou d’une réponse, mais le représentant de l’autre partie peut le contredire. Les cours

d’appel ne remettent pas en doute la possibilité d’une telle entente, mais elles n’acceptent pas d’en

admettre le contenu sans preuve296. À long terme, la Cour suprême a reconnu tant aux parties qu’au

juge la possibilité de conclure ou de permettre des ententes visant à faciliter et accélérer le

déroulement de l’instance quand un changement et le non-respect de formalités menacent de causer

du tort à celui-ci297. Ce type d’entente s’apparente notamment à l’évolution de l’idée de dialogue

entre les parties et rejoint les valeurs de coopération, de conciliation et de célérité, ainsi que les

préoccupations en matière d’efficacité. Ce dialogue illustre l’influence simultanée des différents

292 Buisson c. Thibaudeau (1934), 38 R.P. 112, 113 (C.S.). Le juge Surveyer précise qu’elles sont devenues un «véritable

fléau». Le juge fait plus spécialement référence à l’article 590 C.p.c. dans le cadre d’un interrogatoire «hors cour», mais il

vise également nommément les articles 286, 286a et 591 C.p.c. 293 20 C.p.c. (1867); 105 C.p.c. (1897). 294 Art. 164 C.p.c. (1897). Les pouvoirs conférés par les articles 164 et 165 C.p.c. (1897) ont été repris par l’article 88

C.p.c. (1966). 295 Voir par exemple, à titre d’illustration, Ferrel c. Saultry (1907), 8 R.P. 268, 272 (C.B.R.) (j. Cross). 296 Progress Furniture Manufacturers Limited c. Eastern Furniture Limited, [1960] R.C.S. 116. 297 Giguère c. Glazier, [1965] R.C.S. 393, 395 (j. Fauteux).

Page 86: L'évolution et la structuration des principes directeurs

76

principes procéduraux sur un aspect ou l’autre de la procédure civile, mais son initiation appartient

de plein droit à la conduite de leur dossier par les parties.

Dans l’ensemble, ces observations viennent confirmer que le contrôle de leur dossier par les parties

présente et conserve les caractéristiques d’un principe directeur innommé dans la première moitié

du XXe siècle, tant au niveau de son influence que de sa reconnaissance. Dès l’adoption du Code, il

s’agit d’un principe directeur à part entière, susceptible d’orienter la procédure civile et l’instance

en elle-même. Dans les décennies subséquentes, son intégration constante dans l’évolution du droit

procédural le soumet à des discussions et modifications qui accentuent l’importance qui lui est

accordée dans le discours judiciaire. Cela se traduit aussi par l’accroissement du nombre d’articles

du Code qui y font référence, même si aucun ne le définit précisément ou ne codifie son statut de

principe directeur. Cependant, cela ne signifie pas que les limites de son action soient fixées et

déterminées. Au contraire, il est en constante redéfinition.

Le contrôle de l’instance par le juge et l’importance du formalisme

La fonction première du juge sous l’empire des deux premiers Codes de procédure civile consiste à

rendre un jugement dans la cause dont il est saisi298. Ce rôle de décideur s’accompagne du rôle

d’auditeur, puisque le juge de la Cour supérieure doit entendre la cause pour pouvoir décider.

Entre 1867 et 1965, ce rôle du juge n’est pas explicitement inscrit dans le droit codifié. En

revanche, des articles y font référence. Le chapitre du jugement explique les différents aspects de

celui-ci, depuis la possibilité d’un délibéré jusqu’au contenu obligatoire du jugement et aux

formalités de son enregistrement299. D’autres articles répartis dans le Code s’appuient aussi sur cette

reconnaissance du rôle du juge. Le tribunal, par exemple, ne peut adjuger au-delà des conclusions

de la demande300; il a le pouvoir de prononcer les injonctions et les réprimandes, de «supprimer des

écrits ou de les déclarer calomnieux»301; etc. Ce rôle d’auditeur et de décideur est d’ailleurs un

devoir imposé au juge. Comme dans le droit français302, cette obligation est cependant codifiée dans

298 À la fin de la période, un auteur présente ce rôle de manière classique : «[en] général, le rôle du juge consiste donc à

déterminer les faits et à leur appliquer la règle qu’impose la loi. Le juge constate ainsi les droits et les obligations des

parties». L. Tremblay, «Certains aspects de la discrétion judiciaire», (1961-62) 8 R. D. McGill 239, 239. 299 Art. 468 et suivants C.p.c. (1867) et art. 536 et suivants C.p.c. (1897). 300 Art. 17 C.p.c. (1867) et art. 113 C.p.c. (1897). 301 Art. 9 C.p.c. (1867) et art. 20 C.p.c. (1897). L’article précise que ce pouvoir discrétionnaire est utilisé «suivant les

circonstances, dans les causes dont ils sont saisis» et «même d’office». L’article prévoit que ce pouvoir appartient «aux

tribunaux» en 1867 et par «les tribunaux et les juges» en 1897, précision qui permet de soupçonner que le législateur

souhaite établir clairement l’étendue de l’application de l’article et son importance. 302 Cette obligation de juger est présente dans le Code civil français lors de son adoption en 1804. Elle répond,

notamment, aux difficultés posées par les lois révolutionnaires en vigueur depuis quelques années, où faute de

reconnaissance de leur pouvoir en ces matières, les juges envoyaient à un comité de législation toutes les questions non

prévues par les lois. Au sujet de ce devoir de juger, consulter notamment le «Discours préliminaire au Conseil d’État» de

Page 87: L'évolution et la structuration des principes directeurs

77

son expression la plus claire dans le Code civil, qui précise notamment que le juge ne peut refuser

de juger si la loi est silencieuse, obscure ou insuffisante303. L’article rend légitime le recours à

l’interprétation de la loi lorsque les besoins d’une cause le justifient, bien qu’il précise également

que le juge se prononce en se référant d’abord à la loi. Ceci rappelle la nature du Code de procédure

civile, qui est l’expression de cette loi. Une règle souvent réitérée du droit civil veut que le juge

applique la loi, mais qu’il ne la rédige pas304. La limite des pouvoirs du juge en cette matière semble

très sûre, pourtant un examen attentif montre qu’elle est en réalité assez vague, même au XIXe et au

début du XXe siècle. Comme le rappelle Edouard-Fabre Surveyer à propos d’un jugement rendu par

le juge Bruneau de la Cour supérieure, celui-ci «ne se contente pas d’exposer et de développer la loi

: il use de son droit de la critiquer»305. Le mot «développer» indiquerait que le rôle du juge en

matière législative, s’il n’est pas créateur de droit en tant que tel, est pourtant créatif. Il lui

appartient de définir l’étendue de l’application d’une disposition, en accord avec l’économie de la

loi et du droit en général. Ainsi, il peut utiliser une règle existante pour résoudre une situation

nouvelle. Il adapte le droit pour qu’il corresponde à la réalité. Et, s’il est tenu d’appliquer la loi, il

peut également signifier son désaccord, désigner les difficultés et proposer des solutions306. Notons

que les juges se sont parfois inspirés de la réalité sociale et de l’influence des principes directeurs

pour déroger à la pratique établie en matière de procédure civile pour répondre à un impératif

supérieur, notamment à la Cour suprême307. Ces cas sont cependant rares.

En matière de procédure, il appartient également au juge de première instance d’aider les parties à

faire leur preuve puisque le but de la procédure civile est de favoriser le déroulement de

l’instance308. Il agit dans le respect des préceptes du Code. Ceux-ci exposent parfois en détail les cas

où le juge exerce ou non un pouvoir, de même que ceux où il fait usage de la discrétion qui lui est

confiée. Parmi ceux-ci, il est prévu que le juge a le pouvoir de décider qu’une partie sera interrogée

hors cour si elle est malade ou sur le point de quitter la province309. Par contre, il ne peut pas

ordonner qu’une partie qui ne présente pas ces caractéristiques soit interrogée durant la longue

Portalis, reproduit, par exemple, dans c, Discours préliminaire du premier projet de Code civil, Bordeaux, Éditions

Confluences, collection «Voix de la cité», 1999, p. 73-76. 303 Art. 11 C.c.B.C. 304 Les juges le rappellent parfois : A.-A. Bruneau, «De la limite des pouvoirs des juges et des tribunaux» supra note 233,

p. 296. La répartition des pouvoirs entre les branches législative, exécutive et judiciaire du droit constitutionnel est ainsi

illustrée. 305 E.-F. Surveyer, «Réformes proposées au Code de procédure civile : Droit de surenchérir : Articles 1076 et 1079, C.P.»,

(1926-27) 5 R. du D. 33, 33. 306 Notamment par des articles, comme le fait par exemple E.-F. Surveyer, ou parfois en obiter dans un jugement. 307 Par exemple, le juge Girouard, dans une cause traitant de possession équivoque, souligne qu’il aurait été d’usage de

nommer des experts pour trancher sur une question de compensation. Il propose plutôt d’adjuger sur l’incident puisque

tous les faits sont devant la Cour et que les circonstances de la cause en elle-même, qui «traîne devant les tribunaux depuis

plus de vingt ans», le lui indiquent. Lefeunteum c. Beaudoin, (1897) 28 R.C.S. 89, 102 (j. Girouard). 308 Art. 21 C.p.c. (1867) et art. 3 C.p.c. (1897) 309 Art. 240 C.p.c. (1867) et art. 356 C.p.c. (1897)

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78

vacance310, quelles que soient les raisons qui pourraient rendre cet interrogatoire utile311. Le juge

dispose ainsi de nombreux pouvoirs dans l’application desquels il doit user de sa discrétion et de

son discernement, mais ces pouvoirs comportent des limites. Cela est illustré par les pouvoirs liés

aux changements de districts judiciaires dans certaines circonstances312 qui ne peuvent pas être

exercés dans d’autres313. Une telle limite sera parfois justifiée par des règles régissant le

fonctionnement du système judiciaire ou des tribunaux314, par exemple si les conditions de

compétence territoriale ne sont pas remplies315.

Ces limites du pouvoir du juge de la Cour supérieure peuvent être imposées ou renforcées par la

jurisprudence. Des restrictions concernant les jugements interlocutoires ont connu un tel

développement de nature jurisprudentielle. Théoriquement, le juge peut réviser un jugement

interlocutoire au moment du jugement final, selon la pratique de l’époque. Or, ce jugement

interlocutoire émane souvent d’un autre juge de la Cour supérieure lorsqu’il est prononcé durant

l’enquête. Au moins un magistrat exprime sa répugnance, en tant que juge unique, à réviser la

décision d’un autre juge au moment du jugement final, à moins de circonstances exceptionnelles316.

D’autres ont peut-être partagé cette réaction, même si le jugement interlocutoire n’a pas l’autorité

de la chose jugée. Cette attitude est susceptible de plusieurs explications, comme celle d’un

sentiment de déférence envers les collègues de la Cour supérieure qui exercent dans le cadre d’une

même instance317. Cette hypothèse est plausible, mais d’autres possibilités peuvent être considérées.

Par exemple, il peut s’agir de l’existence probable d’une habitude développée lorsque les juges ne

siégeaient pas seuls, à la Cour supérieure, ou lorsqu’il existait une Cour de révision. Quoi qu’il en

soit, l’analyse des propos du juge Stein montre que certains juges circonscrivent l’un de leurs

310 Gold c. Steinman (1926), 28 R.P. 440 (C.S.) (j. Surveyer). En effet, l’énoncé du texte est restrictif : sauf dans le cas

d’un témoin sur le point de quitter la province ou d’un témoin dont l’état santé est tel qu’il ne pourra pas se rendre à

l’audience, tous les témoins doivent être entendus à l’instruction. Si les circonstances changent, les témoins dont la

déposition a été prise seront tout de même appelés à l’instruction, voir art. 356 al. 2 C.p.c. (1897) 311 Voir l’effet des articles 225 et 251a C.p.c. (1867) ou 286, 286a, 287, 288 C.p.c. (1897), par exemple. 312 Art. 241 C.p.c. (1867) et art. 357 C.p.c. (1897) : un juge peut ordonner que l’enquête ou l’interrogatoire du témoin soit

effectué dans un autre district judiciaire où la Cour supérieure siège, entre autres. Une fois les procédures complétées, il

est aussi possible de référer l’enquête dans un autre district, où le procès pourra également avoir lieu, P. Ferland, Traité,

supra note 190, p. 399. 313 Dostaler c. Rodier (1921), 23 R.P. 229, 230 (C.r.). 314 Ibid. : «[…] notre organisation judiciaire ne permet pas à une cour de renvoyer le dossier à une autre cours de même

juridiction pour audition.» Dans cette affaire, cependant, l’intention du premier juge était de transférer la cause à un juge

dans un autre district parce que les parties y étaient engagées dans une instance l’une contre l’autre, instance présidée par

cet autre juge. La motion initiale de la défenderesse demande plutôt la suspension des procédures, ce que le juge a choisi

de ne pas accorder. Si le juge avait prononcé la suspension des procédures, comme l’en priait la motion, ou s’il avait

procédé par réunion d’actions, la question se serait sans doute posée différemment. Dostaler c. Rodier (1921), 23 R.P.

229, 229-230 (C.r.). 315 P. Ferland, Traité, supra note 190, p. 399. 316 Mayrand c. St-Denis, (1928) 34 R.L.n.s. 380, 386-387 (j. Stein). 317 Cette déférence ne prévaut cependant pas au niveau du jugement final rendu dans une autre affaire, car les juges ne

sont pas liés par la jurisprudence de la Cour supérieure et profitent de cette liberté.

Page 89: L'évolution et la structuration des principes directeurs

79

pouvoirs par la jurisprudence318. Ils ont donc aménagé le pouvoir de rendre jugement qui leur est

confié par la législation, tant par élargissement que par restriction.

Cet exemple et d’autres illustrent que les pouvoirs des juges, y compris leurs pouvoirs

discrétionnaires, ont été généralement considérés avec une grande prudence par les tribunaux, qui se

sont donné pour mission de les baliser319. L’établissement d’une balise correspond à la fois à une

façon particulière d’envisager la fonction judiciaire et à une marque de confiance dans les bienfaits

de la mesure et des règles sur l’application du droit judiciaire et la protection des justiciables. Ce

phénomène, s’il est amplifié, n’est pas sans rappeler le formalisme. En revanche, il présente aussi

un intérêt pratique et déontologique indéniable. L’établissement de telles balises illustre également

l’influence des juges dans la définition de leur propre fonction et leur implication dans l’exercice

raisonné et acceptable de celle-ci selon les différentes époques. Dans l’ensemble, l’élaboration de la

procédure civile et de l’application des principes directeurs présente un lien de réciprocité avec

l’image du juge développée dans le discours. Parce que le juge est perçu selon des rôles définis et

que son pouvoir est encadré d’une telle manière, les principes directeurs se développent selon des

lignes de force, et l’influence entre ces éléments est réciproque.

L’attitude formaliste reste très présente dans la réflexion en matière de droit judiciaire. Ce réflexe

est compréhensible de la part des avocats comme des juges. En effet, le Code de procédure civile

étant adopté avec des délais et des formes procédurales précis, il est logique de déduire qu’un

respect strict de ces formalités et délais engendrera nécessairement un fonctionnement harmonieux

du système et que la cause particulière suivra le cours le plus efficace de cette façon. L’idée d’ordre

qui sous-tend le formalisme n’est pas infondée. Par contre, dès le XIXe siècle, des tendances visant

à assouplir les règles dans certaines circonstances, à adapter quelque peu la procédure aux besoins

des parties, commencent à se manifester. La règle générale énoncée par le Code peut parfois ne pas

convenir, ou le manquement à celle-ci n’est pas toujours sanctionné. Les principes directeurs,

comme l’application qui en est faite, influencent parfois une telle situation. Par exemple, une partie

a contesté jusqu’au Comité judiciaire du Conseil privé l’existence d’un jugement final dans une

affaire qui aurait été commencée en Cour supérieure par une forme procédurale appelée requête320

318 Mayrand c. St-Denis, (1928) 34 R.L.n.s. 380, 386-387 (j. Stein). 319 Un juge en chef de la province de Québec explique qu’à la lecture du Code, il arrive parfois que le pouvoir

discrétionnaire semble absolu, mais que les cours ont «refusé d’interpréter ce pouvoir comme absolu, comme arbitraire.

Elles ont-elles-mêmes posé des limites à l’exercice de ce pouvoir en décidant qu’il ne peut être exercé que judiciairement,

c’est-à-dire de la façon dont s’exercent les pouvoirs ordinaires d’une cour de justice». L. Tremblay, supra note 298, p.

240. 320 Mayor, Aldermen, and Citizens of the City of Montreal (The) c. Brown, (1876) 2 A.C. 168. Le Code soustrait à la Cour

du Banc de la Reine la compétence d’entendre un appel si le jugement de la Cour supérieure n’est pas un jugement final,

selon l’argument. En effet, le Code ne permet l’appel d’un jugement interlocutoire que dans quelques circonstances

Page 90: L'évolution et la structuration des principes directeurs

80

et qui aurait dû l’être, selon ses avocats, par une autre forme procédurale appelée demande.

Cependant, les Lords soutiennent qu’il s’agit réellement d’un jugement final. Le déroulement de

l’instance a déjà permis aux parties d’être informées et entendues à tous les stades, plusieurs

procédures qui sont habituelles dans les poursuites ordinaires ont été respectées, puis un jugement a

été rendu321. L’intention du tribunal de première instance était de rendre un jugement final. Selon

Sir Henry Keating, les juges de la Cour du Banc de la Reine ont eux-mêmes considéré que tel était

le cas quand ils ont décidé que les défendeurs avaient un droit d’appel et ils s’appuyaient d’ailleurs

sur le véritable contenu des procédures, et non sur leur seule forme322, pour agir de cette façon.

Le processus est nettement présenté comme un processus respectant le principe directeur du

contradictoire. Sir Henry Keating insiste sur la signification aux parties, les répliques,

l’interrogatoire et le contre-interrogatoire de chaque témoin par les avocats des parties. En créant un

lien entre la nature même d’une instance et le principe du contradictoire, il démontre implicitement

que la validité du jugement final dépend du respect de ce principe. Le juge a donc non seulement

pour fonction d’entendre et de juger, mais aussi de faire cet exercice contradictoirement. Il n’y a

qu’un pas à franchir pour établir une nouvelle conclusion selon laquelle il sera aussi de son devoir

de s’assurer que les conditions d’une présentation contradictoire de la preuve et des procédures sont

respectées. Nous remarquons ici que l’importance donnée au principe directeur du contradictoire est

de nature à encourager la reconnaissance du principe directeur de la maîtrise de l’instance par le

juge. Les responsabilités confiées au magistrat dans l’instance sont affirmées et rappelées, elles

peuvent donner lieu à une intervention réelle des juges, voire à un élargissement des possibilités

ouvertes aux parties323. La perception du principe directeur se modifie et s’ancre davantage dans

l’esprit et les comportements des acteurs du procès civil. À long terme, cette situation peut mener à

une adhésion et à une reconnaissance accrue du principe directeur et, dans le cadre de notre étude, à

une modification de son statut.

D’autre part, le Comité judiciaire du Conseil privé semble mettre en garde contre une interprétation

trop formaliste, dans quelque domaine que ce soit, de la fonction judiciaire, ce qui encourage aussi

son développement. Par exemple, le fait que l’action ait été commencée par une pétition de droit et

achevée sans que le juge de la Cour supérieure ait annoncé de manière explicite qu’il rendait un

précises. Voir les articles 1114, 1115 et 1116 C.p.c. (1867). L’article 1116 précise les cas où l’appel d’un jugement

interlocutoire est permis. 321 Mayor, Aldermen, and Citizens of the City of Montreal (The) c. Brown, (1876) 2 A.C. 168, 183 (Sir Henry Keating). 322 Ibid. 323 En droit procédural, par exemple, un manquement au respect du principe directeur du contradictoire peut être soulevé

même après un jugement, Marcotte c. Cour des Commissaire de St-Casimir (La), (1895) 7 C.S. 236 (R.J.Q.); Robillard c.

Commission Hydroélectrique de Québec, [1954] R.C.S. 695.

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81

jugement final n’enlève pas la qualité de jugement final à la décision. La fonction du juge est de

rendre un jugement final, dans ce cas, et elle a été remplie même si cela n’a pas été expressément

déclaré324. La Cour du Banc de la Reine, selon Sir Henry Keating, a implicitement accepté ce fait.

Les circonstances de ce dossier permettent de comprendre la portée de la mise en garde du

magistrat325. La fonction du juge de la Cour supérieure durant cette période est tributaire de

nombreuses conceptions du droit et de la procédure civile. Ceci influence la façon dont cette

fonction est exercée. Puisque le Code renferme la majorité des règles régissant les instances, le juge

doit se considérer comme lié par celles-ci. De même, puisque la partie est maîtresse de sa preuve, le

juge de la Cour supérieure affirme parfois devoir se limiter au contenu de cette preuve326. L’usage

ou le non-usage d’un certain vocabulaire par les parties et les juges de la Cour supérieure n’est pas

de nature à déterminer le sort de toutes les causes327. La réalité des faits et des circonstances

judiciaires, l’intention des acteurs et les conséquences attachées aux décisions sont autant de

facteurs qui peuvent révéler la nature d’une action, au-delà des termes employés. La partie n’ayant

pas subi de préjudice dans ses droits et le débat contradictoire ayant eu lieu, l’ensemble des juges

ayant entendu cette affaire ont donné leur avis en faveur d’une conception moins restrictive des

limites qu’une partie voulait imposer au pouvoir du juge de première instance.

La fonction judiciaire continue d’être un sujet de réflexion pour la communauté juridique du XIXe

siècle, même si elle est rarement citée directement dans les jugements ou les textes. La définition

des impératifs de la fonction de décideur du juge comprend aussi un devoir d’évaluer la preuve

présentée devant lui à la lumière de sa raison et de ses connaissances. Dans le cadre d’un arrêt à

propos d’une question d’expropriation328, le Comité judiciaire du Conseil privé se prononce sur

cette question. Sur une question d’appréciation de la preuve civile329 et non sur une question

324 Mayor, Aldermen, and Citizens of the City of Montreal (The) c. Brown, (1876) 2 A.C. 168, 183 (Sir Henry Keating). 325 Voir, à propos de cet arrêt, les remarques des pages précédentes. Voir également, sur le contexte du dossier, les pages

112 et suivantes. 326 Ainsi, la partie est considérée comme responsable d’une preuve déficiente ou lacunaire ou basée sur des moyens de

preuve inadéquats. Une philosophie différente apparaît cependant concernant le rôle de supervision du juge (voir page 91,

par exemple). 327 Comme le démontre l’arrêt discuté précédemment, Mayor, Aldermen, and Citizens of the City of Montreal (The) c.

Brown, (1876) 2 A.C. 168, 183-184 (Sir Henry Keating). Il approuve ainsi la Cour du Banc de la Reine qui avait

considéré qu’elle avait compétence pour entendre l’appel. 328 Il s’agit d’une instance liée à la construction du Parc du Mont-Royal à Montréal, qui nécessite l’expropriation de

nombreux terrains à partir de 1872. Des commissaires ont été chargés d’évaluer les terrains expropriés en vue de

l’indemnisation et leur évaluation a été contestée par des propriétaires. À propos de la construction du Parc ou sur la

question de l’expropriation des terrains, consulter par exemple www.lemontroyal.qc.ca/fr/connaitre-le-mont-royal/la-

petite-histoire-du-mont-royal.sn; O. Foisy et P. Jacob, Les quatre saisons du Mont Royal, Montréal, Éditions du Méridien,

2000, p. 15. Voir aussi, pour d’autres détails, J. de Laplante, Les parcs de Montréal, des origines à nos jours, Montréal,

Éditions du Méridien, 1990, p. 40-43. 329 Ainsi, le Code civil du Bas-Canada comprend plusieurs règles de preuve importantes quant à l’appréciation de la

preuve par le juge. L’article 1204 C.c.B.C. crée l’obligation d’offrir la meilleure preuve : une preuve inférieure ou

secondaire est irrecevable sauf si la meilleure preuve ou la preuve originaire ne peut être fournie. Les articles 1233 à 1237

C.c.B.C. concernant la preuve testimoniale prévoient plusieurs restrictions, par exemple à l’effet que la preuve

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82

strictement procédurale, les Lords proposent pourtant quelques avenues de réflexion sur la fonction

judiciaire. Cet enseignement survient après une critique de la position adoptée par le juge de

première instance et la façon dont il a écarté le rapport des commissaires qui ont évalué les terrains.

[…] In another part of his judgment the learned Judge remarked : "I have to judge

according to the evidence. As I view the case, the law no more makes me judge of the

value of real estate, apart from the sworn evidence before me, than it makes me judge

of the value of pork, or flour, or any other thing of which the value is in question

before me. In the one case, as in the other, I can only know what is proved. If this

evidence is untrue, it was the business of the Defendants to contradict it, which they

have not done. If it is true, I have done no injustice in acting upon it."

The learned Judge seems to have taken too narrow a view of his functions. It was his

duty to make use of his own judgment and experience in deciding whether the opinions

of the witnesses were sufficient to outweigh the judgment of the Commissioners. In

their Lordships' opinion the learned Judge attached too much importance to the

opinions of witnesses, which were chiefly of a speculative character; […]330.

La référence au jugement et à l’expérience pour prendre une décision constitue une invitation claire

aux juges de première instance. Ils ont le devoir de ne pas se laisser enclore dans une utilisation trop

restrictive de la loi ou dans des méthodes de jugement qui ne tiennent pas compte du contexte

spécifique de chaque instance. Leurs pouvoirs doivent être suffisamment larges pour leur permettre

de suivre ce précepte. Lord Barnes Peacock rappelle ici avec à-propos que le juge se concentre

évidemment sur la preuve faite devant lui, mais qu’il doit aussi l’analyser avec ses connaissances,

son expérience et son sens critique. Il est un spécialiste dans son domaine et, si les parties dirigent la

présentation de leur preuve, il lui appartient de la considérer et de l’apprécier. Pourtant, la liberté

laissée aux plaideurs de présenter leur preuve comme ils l’entendent est centrale dans l’idéologie

judiciaire des premiers Codes de procédure civile331. Les parties qui ne se déchargent pas de leur

fardeau de preuve sont appelées à en supporter les conséquences, qui se traduisent souvent par

l’échec de leur cause. La ligne de démarcation entre le rôle de la partie et celui du juge sur cette

question, pourtant loin d’être controversée à l’époque, n’était pas toujours parfaitement nette.

Ce pouvoir d’appréciation du juge sur l’ensemble de la preuve s’accompagne d’autres capacités

similaires ou complémentaires. Le juge possède également un pouvoir de supervision sur les

interrogatoires et les contre-interrogatoires. Les acteurs du procès s’attendent à son intervention

testimoniale ne peut contredire ou changer les termes d’un écrit valablement fait, ou que, selon la valeur en litige,

certaines preuves testimoniales ne sont pas admissibles, etc. 330 Morrison c. Mayor, Aldermen, and Citizen of Montreal, (1877) 3 A.C. 148, 157-158 (Sir Barnes Peacock). 331 La partie assigne les témoins pour l’interrogatoire préalable (286 C.p.c. (1897)); la partie fait inscrire la cause pour

preuve et audition (293 C.p.c. (1897) ou sur le rôle des enquêtes (234 C.p.c. (1867)); l’assignation par subpoena des

témoins est faite par la partie (297 C.p.c. (1897) et 244 C.p.c. (1867)); la partie peut demander que les témoins se retirent

durant l’examen d’un autre témoin (313 C.p.c. (1897) et 254 C.p.c. (1867)), etc.

Page 93: L'évolution et la structuration des principes directeurs

83

lorsque le procureur ou le témoin oublie son rôle332. Ceci illustre le degré d’implication du juge

dans le procès. Il y participe à part entière et sa contribution est toujours nécessaire. Globalement,

cependant, le procès civil pousse le magistrat à restreindre son intervention333 dans la mesure où le

rôle des avocats et celui des parties le lui imposent. La présence d’un jury commande qu’il respecte

des balises différentes334. Cependant, le déroulement de l’instance reste toujours sous le contrôle du

juge.335 Par conséquent, le principe directeur de la maîtrise de l’instance par le juge existe déjà sous

l’empire des premiers Codes. Il n’a pas l’ampleur que nous lui connaissons aujourd’hui et son

application est parfois volontairement réduite.

2.2.2. L’équilibre des principes directeurs dans un contexte dynamique

Dans bien des domaines, le Code de procédure civile assujettit lui-même l’exercice de la gestion de

l’instance par la magistrature à des balises, mais celles-ci subissent des remises en question entre

1867 et 1965.

Les influences réciproques de deux principes complémentaires

Ainsi, d’une manière générale, l’argument du temps nécessaire au déroulement de l’instance est

souvent abordé. Il n’est pas étonnant qu’une partie des changements apportés à la définition ou à

l’exercice de la fonction judiciaire ait eu pour but de donner au juge une meilleure possibilité de

contrôler la durée de l’instance. Ce faisant, il devient nécessaire de reconsidérer également

l’étendue de l’influence du contrôle des parties sur leur dossier. La comparaison de la gestion de

difficultés procédurales entre les Codes de 1867 et de 1897 permet d’illustrer les progrès de la

place relative reconnue à chacun des deux principes directeurs en cause.

Par exemple, il est intéressant de considérer le sujet des retards volontairement apportés par une

partie à l’évolution de son dossier. Dans le Code de 1867, la règle régissant le cas des exceptions

préliminaires utilisées pour retarder la cause336 prévoit que la partie qui se croit victime d’une

332 P. Langlois, «Du contre-interrogatoire», (1941) 1 R. du B. 187, 191. L’auteur souligne que même l’avocat est tenu de

s’assurer d’avoir une conduite irréprochable. Selon l’auteur, l’avocat qui questionne un témoin de la partie adverse serait

avantagé si la conduite de ce dernier nécessite une remontrance du tribunal. Par contre, l’avocat qui manque de réserve et

s’attire une réprimande du juge pourrait être désavantagé psychologiquement face au témoin qu’il interroge et à propre

son client. 333 Voir par exemple W.C.J. Meredith, «Interpretation of Verdicts in Civil Jury Cases», (1953) 1 R. D. McGill 99, 99,

implicitement. 334 Le besoin des interventions du juge peut être perçu différemment dans le cadre d’un procès civil devant jury, puisque

la décision finale est entre les mains du jury, un groupe de personnes qui ne connaissent pas bien les règles de la

procédure civile et de la preuve (voir W.C.J. Meredith, «Interpretation of Verdicts in Civil Jury Cases», supra note 333,

99. 335 Voir Montreal Tramways Co. (The) c. Séguin, [1916] 52 R.C.S. 644. 336 Art. 131 C.p.c. : «Avant de répondre à l’exception dilatoire ou aux autres exceptions préliminaires produites, le

poursuivant peut, s’il croit que ces exceptions sont proposées uniquement pour retarder la cause, requérir par écrit le

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84

manœuvre destinée à ralentir le procès est responsable de prendre les mesures nécessaires pour

corriger cette situation. Le principe directeur de la maîtrise de leur dossier par les parties se trouve

ainsi affirmé, puisqu’elles ont le contrôle de leurs stratégies respectives. Le principe du

contradictoire, quant à lui, influence la sanction réservée à la partie fautive. En effet, celle-ci

conserve son droit de plaider. Elle a la possibilité de présenter sa défense au mérite dans un délai de

huit jours avant de risquer la forclusion. Cette mesure illustre le respect du droit d’être entendu tel

qu’il est compris au XIXe siècle. L’action du tribunal est mentionnée de manière négative, par une

interdiction, mais l’article ne lui réserve aucune intervention d’office337. L’intervention du juge pour

contrôler l’instance n’est pas utilisée. L’image de la fonction judiciaire véhiculée par cet article

rejoint celle du juge auditeur impartial, qui n’a pour tout pouvoir que celui d’entendre la défense au

mérite, s’il y a lieu, et de prononcer le jugement. Il est aussi possible que, privilégiant

l’autorégulation de l’usage de la procédure civile par les parties elles-mêmes, les juges cherchent

parfois à réduire leurs interventions. La formulation de l’article et la lecture des principes directeurs

qu’il expose restent inchangées lors de la révision de 1897338 et jusqu’en 1966.

En revanche, des mesures ponctuelles sont mises en place progressivement. Le Code de 1897

codifie entre autres une règle particulière en matière de vente339. Elle permet au juge, sur motion

d’une des parties faite en tout temps après le dépôt du rapport d’opposition et avant l’expiration des

quatre jours qui suivent la signification de l’avis accompagnant le rapport, de renvoyer l’opposition

si son but est de retarder injustement la vente340. Il peut aussi ordonner l’interrogatoire de l’opposant

et renvoyer l’opposition après cet «examen»341. La règle est approuvée par les cours342, ce qui veut

dire que les tribunaux québécois, surtout la Cour supérieure, ont discrétion pour appliquer cet article

selon les circonstances.

défendeur de plaider au mérite, et le forclore, si la défense au mérite n’est pas produite dans les huit jours qui en suivent la

demande; et dans ce dernier cas, le tribunal ne peut prendre connaissance d’aucune autre contestation que celle liée sur les

exceptions préliminaires.» 337 La problématique connexe des pouvoirs inhérents est traitée ci-après, voir la section suivante. 338 Art. 167 C.p.c. : «En tout temps avant jugement sur les exceptions préliminaires, sauf dans les cas prévus par les

articles 177§6, 178 et 181, le demandeur peut, s’il croit que ces exceptions sont proposées uniquement pour retarder la

cause, requérir par écrit le défendeur de plaider au mérite, et le forclore, si la défense n’est pas produite dans les six jours

suivant la demande et, dans ce dernier cas, le tribunal ne peut prendre connaissance d’aucune autre contestation que celle

liée sur les exceptions préliminaires.» 339 Cette règle aurait été appliquée en jurisprudence auparavant. Fontaine c. Payette, (1905) 36 R.C.S. 613, 616 (j.

Girouard); Quatrième rapport de la commission chargée de reviser et de modifier le Code de procédure civile du Bas-

Canada, supra note 7, p. xl. 340 Art. 651 C.p.c. (1897). 341 Ibid. 342 Fontaine c. Payette, (1905) 36 R.C.S. 613, 616, (j. Girouard). Le juge Girouard précise, en déclarant que la Cour n’a

pas le pouvoir d’entendre l’appel : «[j]uger autrement serait faire manquer le but que la législation veut atteindre, savoir,

empêcher des procédures frivoles et des appels pour délai. Nous avons d'autant moins de difficulté à arriver à cette

conclusion que nous sommes tous d'avis que l'opposition est faite dans le but de retarder injustement la vente».

Page 95: L'évolution et la structuration des principes directeurs

85

Le phénomène connu au début du XXIe siècle sous les désignations de poursuites abusives, frivoles

ou «manifestement mal fondées» a connu une évolution différente. Tout d’abord, il existe quelques

références explicites à la situation dans les Codes de procédure civile adoptés en 1867 et 1897343. La

commission qui préside à la révision du Code a considéré la question, comme en témoigne leur

rapport. En rédigeant ce qui deviendra l’article 552 C.p.c. (1897), par exemple, cette commission

précise que l’article permet la condamnation personnelle aux frais des individus qui, à titre de tuteur

ou d’administrateurs, instituent des procédures qualifiées d'«évidemment mal fondées»344. Les

commissaires ajoutent, dans le texte anglais seulement : «Such is the universal rule, as far as

present research shows, both in French law and elsewhere»345. Parallèlement, les juges vont utiliser

l’article général sur les dépens pour sanctionner certaines situations. En effet, pour des raisons

«spéciales», le tribunal peut déroger à la règle voulant que la partie qui succombe doive payer les

frais. Il peut alors, selon les termes de l’époque, «mitiger» ou compenser les frais ou, encore, en

décider autrement346. Ainsi, les articles adoptés par le législateur pour encadrer les instances et

l’action des acteurs de celles-ci sont utilisés par les juges pour régler de telles difficultés, en

considérant des préceptes d’économie, de célérité et d’efficacité qui doivent être ceux des actions.

Dans les faits, les procédures qui pourraient être dites abusives, frivoles ou «manifestement mal

fondées» sont parfois traitées aussi dans le cadre de la théorie plus générale de l’abus de droit347.

Lorsqu’une partie souffre d’un abus de droit de la part de la partie adverse, son recours semble être

le recours en responsabilité. Celui-ci lui permet potentiellement d’obtenir des dommages-intérêts.

La jurisprudence montre que des procédures «malicieuses» sont traitées sous le couvert de la

343 Voir par exemple Dixième rapport des Commissaires, 1866, supra note 7, p. xiv et xvii : il y est suggéré une mesure

susceptible «d’empêcher l’inscription en faux à la légère», du fait que le juge n’intervient dans l’enquête «que pour

empêcher les abus» et, à nouveau, de prévenir les abus dans l’utilisation de la requête civile. Trente ans plus tard, il est à

noter, par exemple, que dans le cas de l’article 651 C.p.c., les commissaires de la première révision refusent les

oppositions frivoles. Quatrième rapport de la commission chargée de reviser et de modifier le Code de procédure civile

du Bas-Canada, supra note 7, p. xl. 344 Premier rapport de la commission chargée de reviser et de modifier le Code de procédure civile du Bas-Canada, supra

note 7, p. 27. 345 First Report of the Commission charged with the revision and amendment of the Code of civil procedure of Lower

Canada, Québec, s.n., 1893, p. 26. Cet article 552 C.p.c. (1897) est de droit nouveau, il ne se base pas sur le Code de

1867. Voir, à propos de cet article et de son application subséquente, un court paragraphe dans l’article «Costs», dans P.

Ferland, Traité, supra note 190, p. 585-586. 346 Art. 549 C.p.c. (1897). Par exemple, le Traité de procédure civile de Philippe Ferland décrit notamment des situations

où les juges ont dérogé à la règle générale au cours des années. Parmi celles-ci, au paragraphe intitulé «unnecessary

pleadings or evidence», le document décrit : «[t]he normal rule is often varied if the pleadings are unnecessary or badly

drafted or if useless evidence has needlessly protected proceedings» (Voir «Costs», dans P. Ferland, Traité, supra note

190, p. 575 (références omises)). L’exemple proposé est celui d’une défense basée sur un moyen qui aurait pu être traité

en exception préliminaire, par exemple, ce qui entraînera une répartition des dépens qui tient compte de la situation après

le jugement. (Ibid.) 347 Voir par exemple L. Dussault, «De l’abus des droits», (1965) 4 C. de D. 114, 122.

Page 96: L'évolution et la structuration des principes directeurs

86

responsabilité348. Dans ce contexte, un juge peut s’appuyer sur l’article 1053 C.c.B.C.349 pour

identifier la source de la responsabilité350. Quelques juges utilisent aussi l’article 893 C.p.c.351 ou

son ancêtre, l’article 796 du Code de 1867352, qui permet au plaideur de s’opposer à des mesures

provisionnelles sans «cause raisonnable et probable» et l’article pourrait trouver application dans le

cadre de la cause353. Qu’elle soit formulée dans le Code de 1867 ou dans celui de 1897, cette

disposition ne constitue pas une application antérieure littérale des recours actuels en matière de

poursuites frivoles, abusives ou «manifestement mal fondées»354. Elle propose en effet d’intenter un

recours en dommages contre l’auteur de la procédure initiale. Ce recours, distinct de la première

cause, fait ainsi naître un second litige entre les mêmes parties355. Ces mesures traduisent une vision

de l’économie, de l’efficacité et de la célérité de la justice qui diffère de celle qui se développe dans

d’autres domaines. De la même façon, la dominance du principe directeur de la maîtrise de son

dossier par la partie prime évidemment sur le principe directeur de la maîtrise de l’instance par le

juge, auquel ne sont encore réservés que des pouvoirs limités. L’évolution des valeurs, comme celle

que subissent les principes directeurs, n’est pas toujours linéaire. Cependant, la règle indique que le

législateur est sensible au problème que peuvent rencontrer certains justiciables dès la seconde

348 Compagnie P.-T. Légaré c. Gignac, (1929) 46 B.R. 188, 188-189 (j. Rivard). Voir aussi l’explication du juge St-

Jacques dans Lewis Bros. Ld. c. Groulx, (1937) 62 B.R. 448, 453-454. Voir également Canadian Last Block Co. Ltd. c.

Desmarteau, (1923) 34 B.R. 130, 131 (j. Martin) et 133-134 (j. Rivard). 349 Art. 1053 C.c.B.C. : «Toute personne capable de discerner le bien du mal, est responsable du dommage causé par sa

faute à autrui, soit par son fait, soit par imprudence, négligence ou inhabilité.» 350 Compagnie P.-T. Légaré c. Gignac, (1929) 46 B.R. 188, 189 (j. Rivard) 351 Compagnie P.-T. Légaré c. Gignac, (1929) 46 B.R. 188, 189 (j. Rivard). Art. 893 C.p.c. : «Dans les cas prévus dans les

chapitres qui suivent, le demandeur peut obtenir que la personne du débiteur, ses biens ou la chose en litige soient mis

sous la main de la justice, ou obtenir un autre remède provisionnel; sauf au défendeur son recours en dommages en

prouvant absence de cause raisonnable et probable dans la poursuite de ces voies extraordinaires.» La rédaction de

l’article s’est produite avant l’abolition, survenue à l’occasion de la révision du Code au milieu des années 1960, de

l’emprisonnement comme sanction en matière civile, notamment pour dettes. Ainsi, en théorie, la «personne» du débiteur

peut effectivement être «mise sous la main de la justice», et non seulement ses biens. 352 «Le remplacement de l’expression ‘‘cause probable’’ par les mots : ‘‘cause raisonnable et probable’’ est destiné à

préciser le sens d’une règle importante, et à incorporer dans le texte les termes mêmes dans lesquels elle est généralement

exprimée en jurisprudence». Observations spéciales des commissaires chargés de la révision et de la modification de

Code de procédure civile du Bas-Canada, chapitre XXXII, reproduit dans H. Gérin-Lajoie, Code de procédure civile de la

Province de Québec annoté, Montréal, Wilson & Lafleur, 1920, p.1887. 353 Compagnie P.-T. Légaré c. Gignac, (1929) 46 B.R. 188, 189 (j. Rivard) et 191 (j. Létourneau). 354 D’après le juge en chef de la Cour du Banc de la Reine, les critères qui donnent lieu à un dommage pour une poursuite

sous le Code de 1867 sont l’absence de cause probable et la malice. Scott c. McCaffrey, (1892) 1 B.R. 123, 126 (j.e.c.

Lacoste). Selon le juge (p. 125-126), le plaideur qui réclame devant un tribunal exerce un droit, il n’est pas en faute si des

inconvénients résultent de l’usage de ce droit. Ces règles, selon lui, sont en accord avec l’article 1053 C.c.B.C. Le droit,

dans ce cas, était bien exercé. Les deux critères proposés ici sont issus de la jurisprudence britannique (Abrath c. North

Eastern Railway Co., (1886) 11 A.C. 247, 250-252 (H.L.) (Lord Bramwell)). Sur l’évolution de ces critères en droit

québécois, voir J.-D. Archambault, L’exercice anormal du droit d’ester en matière civile et sa sanction judiciaire,

Cowansville, Yvon Blais, 2005, p. 22-32. Pour des exemples de procédures civiles prises à la suite de dénonciations qui

ont entraîné des arrestations et la façon dont elles peuvent engager la responsabilité de celui qui agit sans cause

raisonnable et probable et par malice, voir Martin c. Bertrand, [1946] R.L. 253 (C.S.) ou Sirois c. Bernier, [1948] B.R.

615. 355 Cependant, même après l’adoption des procédures de l’article 54.4 C.p.c. (qui ne correspondent pas aux remèdes des

premiers Codes de procédure dans le domaine des procédures mal fondées), le recours distinct basé sur la responsabilité

civile a continué d’être reconnu par les tribunaux, M.R. c. Mi.R., 2010 QCCA 1527 (CanLII), par. 36-37 (j. Pelletier).

Page 97: L'évolution et la structuration des principes directeurs

87

moitié du XIXe siècle, puisqu’il a prévu des mesures dans le cadre du Code pour sanctionner les

actions intentées sans cause raisonnable et probable, donc suffisante. Pourtant, pour diverses

raisons, l’article 893 C.p.c. est peu utilisé356. Par ailleurs, il semble que les commissaires chargés de

la codification et, après eux, le législateur aient présenté des options dans le dossier de la gestion

des procédures que nous appellerions à présent «manifestement mal fondées», tant en 1866 qu’en

1897. Ces options restent limitées et applicables à des recours spécifiques. Dans l’ensemble, elles

privilégient la réparation du dommage causé à travers une seconde instance357. L’implication du

juge dans le contrôle de l’instance s’affirme au cours du siècle à l’étude. Des exemples, comme

celui du contrôle du parjure358, le prouvent. En matière d’abus de procédure, l’intervention directe

du juge est plus délicate. Les options ouvertes par la loi aux tribunaux sont spécifiques et parfois

limitées, alors que les parties ont aussi le droit d’être entendues. Les parties lésées apparaissent

donc plus à même de dénoncer et prouver l’abus dans l’usage des procédures. Bien qu’il y ait une

intégration progressive au Code de moyens procéduraux pour décourager l’usage de procédures

frivoles ou non fondées, par exemple, cette conception359 serait fidèle à l’esprit du Code et à

l’attitude de nombreux membres de la communauté juridique360 à la fin du XIXe et au début du XXe

siècle, faisant reposer ce fardeau sur les parties361. Cependant, les juges de la Cour supérieure

peuvent aussi faire appel à leurs pouvoirs inhérents pour sanctionner l’outrage au tribunal362 ou,

plus spécifiquement dans le cas à l’étude, l’abus de procédure même en l’absence de texte

spécifique sur la question363. D’autres évolutions témoignent d’un changement progressif de

356 Voir à cet égard J.-D. Archambault, supra note 354, p. 23-32, notamment. 357 Par exemple, Macpherson c. Greenwood, (1927) 65 C.S. 415, 417 : celui qui a recours à des procédures

exceptionnelles qui sont de nature à causer des dommages et qui «agit à la légère, sans prendre les précautions d’un

homme prudent, refusant tous moyens de conciliation pouvant éviter le litige et causer des dommages, il doit être tenu

responsable si ces procédures sont ensuite rejetées par le tribunal». Voir aussi Rochon c. Washer, [1943] C.S. 209, 210 et

212 (j. Pratte), où le juge explique que ce sont les conditions d’exercice du droit qui cause le dommage (qui doit être

prouvé par celui qui s’en plaint). Il fait également allusion à l’obligation de supporter l’exercice normal de ce droit pour

permettre l’accès à la justice. 358 Voir par exemple Bengle c. Weir, (1929) 67 C.S. 289, 291 ou 299 (j. Trahan). 359 Avec la rédaction de l’article qui semble restreindre son application, cette attitude pourrait participer à expliquer la

sous-utilisation de règles du Code, telle que le décrit J.D. Archambault quant à l’application de l’article 893 C.p.c. durant

une certaine période. 360 Pelletier c. Larochelle, [1951] C.S. 181, 182-183 (j. Edge). 361 Art. 893 C.p.c. (1897). 362 A. Popovici, L’outrage au tribunal, Montréal, Thémis, 1977, p. 11-16. 363 Ainsi, dans une affaire, une partie a été préalablement condamnée à refaire le toit de l’église puisque la première toiture

effectuée n’était pas conforme aux contrat, plans et devis, etc. Le jugement initial, rendu en juin 1907, obligeait les

constructeurs à entreprendre les travaux dans les quinze jours du jugement. La partie a porté ce jugement en appel. Celui-

ci a été confirmé en décembre 1907 (Syndics de la Paroisse de St-Pie de Guire c. Compagnie de construction de

Shawinigan, (1908) 9 R.P. 153, 153 (j. Bruneau)). Les demandeurs signifient alors leur jugement d’appel à la

défenderesse en garantie et exigent la satisfaction immédiate du jugement initial de la Cour supérieure. La défenderesse en

garantie dépose une motion en Cour supérieure et demande que le délai prévu initialement soit prolongé jusqu’au 15 avril

au moins, en raison de l’impossibilité de construire le toit de l’église en hiver (le second jugement de la Cour supérieure

est rendu le 11 février 1908). Après avoir indiqué que la Cour n’a pas le pouvoir de suspendre le jugement final rendu en

juin 1907 d’après la loi, le juge s’appuie sur l’article 3 C.p.c. (1897) pour permettre la suspension et rappelle l’origine

anglaise de la «juridiction générale» des tribunaux anglais, tout en expliquant l’impossibilité d’agir des défendeurs. Le

Page 98: L'évolution et la structuration des principes directeurs

88

paradigme, qui tend à élargir la liberté d’action du juge dans la gestion de l’instance. La réflexion

sur le principe directeur de la maîtrise de l’instance par le juge s’effectue donc parfois de manière

sous-jacente à des situations spécifiques et elle est modelée par les autres conceptions du système

judiciaire.

Sur le plan pratique, il apparaît donc que le développement du principe directeur de la maîtrise de

l’instance par le juge est relativement lent. S’il est considéré comme un principe directeur innommé

durant cette partie de notre période d’étude, l’influence des principes du contradictoire et de la

maîtrise de leur dossier par les parties domine le déroulement de l’instance. La fonction judiciaire se

conçoit alors assez strictement et ne doit empiéter que dans des circonstances rarissimes sur la façon

dont les plaideurs dirigent leurs dossiers et sur le respect de l’affrontement contradictoire de leurs

thèses. Ces lignes de force de la définition de la fonction judiciaire avant 1965 sont puissantes,

surtout au XIXe siècle. Plusieurs veulent d’ailleurs les maintenir, par attachement à la fonction

judiciaire telle qu’ils la conçoivent et au respect qu’elle leur inspire. L’utilisation des pouvoirs

inhérents pourrait peut-être permettre un assouplissement de telles mesures, si les circonstances

commandent au juge d’en faire usage364. En revanche, le discours qui accompagne l’application des

deux premiers Codes de procédure civile propose une image plus nuancée de la réflexion du monde

judiciaire.

L’intervention du juge et les tendances à l’élargissement

L’implication du juge dans la progression de l’instance se fait relativement tard, souvent après

l’enquête, et nous avons vu qu’elle est limitée par les restrictions du premier Code de procédure

civile. Déjà en 1887, un rapport fait état de doléances quant au niveau d’intervention du juge dans la

progression des dossiers et conclut que la cause en est le contrôle quasi absolu des parties sur

l’enquête. Celles-ci en déterminent le terrain et les limites alors que le rôle du juge se borne à faire

respecter ce cadre et à empêcher que la preuve des faits allégués soit faite de façon irrégulière365. Le

juge ajoute en terminant : «[l]es demandeurs principaux n’ont donc aucune raison valable pour s’opposer à la présente

motion, si ce n’est que pour créer des embarras à la défenderesse en garantie, dont la bonne foi est même reconnue par la

partie adverse» (Id., p. 155). Cela laisse sous-entendre qu’il anticipe la possibilité d’une opposition qui tiendrait de l’abus

procédural et que sa décision veut aussi prévenir et gérer cette situation. 364 Comme le rappelle le juge Bruneau : «la Cour Supérieure est par excellence le tribunal de droit commun des

justiciables, et il est reconnu que sa juridiction n’est limitée que par le statut. Elle a donc le pouvoir et le droit d’agir dans

une foule de cas non prévus par la loi» (Syndics de la Paroisse de St-Pie de Guire c. Compagnie de construction de

Shawinigan, (1908) 9 R.P. 153, 154). Ainsi, le pouvoir d’action de la Cour ne doit être limité strictement au Code, ce qui

sous-entend qu’il est impossible d’interpréter strictement le pouvoir d’action des juges lorsque les circonstances donnent

ouverture à l’application de l’article 3 C.p.c. (1897). 365 L.A. Jetté, L. Lorrain et W.A. Weir, Rapport à l'honorable premier ministre de la province de Québec sur les

observations relatives au Code de procédure civile et transmises au désir de la circulaire du 1er décembre 1887, suivi

d'une analyse des observations et d'un projet de loi concernant la procédure quant à certaines matières commerciales et

autres requérant célérité, Montréal, Typographie de La Patrie, 1888 (CIHM no 07772 (2 microfiches)), p. xvii. Ils

Page 99: L'évolution et la structuration des principes directeurs

89

rapport propose que le «remède serait d'enlever aux parties ce contrôle de l'enquête pour le donner

au juge; de faire fixer et déterminer par ce dernier, dans chaque cause contestée, les faits dont la

preuve est nécessaire et admissible, à peu près comme cela se pratique déjà dans les procès qui

doivent être soumis à un jury»366. Il articule son argumentation autour de la conformité de ce mode

d’enquête à l’Ordonnance de 1667 et à l’ancien droit367, ce qui démontre une attitude protectrice

envers le patrimoine de droit procédural, de même qu’autour de la nécessité de cette réforme pour

l’administration de la justice368. Illustrant l’intérêt déjà noté pour la recherche d’efficacité et de

l’économie, le rapport prévoit de plus que ces mesures auront un effet bénéfique sur les frais de la

cause en diminuant les frais de sténographie369. Il rappelle que cela réduirait certains abus dénoncés

par le Barreau370. Cette proposition présente d’autant plus d’intérêt qu’elle est faite après une

enquête auprès des membres de la communauté juridique de la province de Québec. Ces facteurs

amènent les auteurs à proposer des innovations au droit judiciaire, tout en promettant plus de

pouvoirs aux magistrats.

L’idée de réaménager le système des enquêtes ressurgit lors de la préparation de la révision du Code

de procédure civile, mais elle est justifiée autrement. D’une part, l’innovation que représente

l’inclusion du principe de la publicité des procès et, d’autre part, la révision des modes d’enquête

ont des répercussions sur le processus d’encadrement de l’instance. Certains perçoivent que ces

mesures faciliteraient l’intervention du juge, pour une meilleure administration des procès. Comme

le souligne Rosario Genest en 1937 dans une conférence sur le Code de procédure civile,

[p]ar notre code actuel, l'enquête est devenue publique, elle est faite devant le juge ou

le tribunal qui peut s'immiscer dans la cause. La preuve se fait sous sa surveillance

immédiate. Le juge n'est plus un être passif; il prend contact avec le plaideur. Il prête

un concours actif et efficace à la recherche de la vérité et à la réalisation du droit. Ce

fut un grand bienfait pour les plaideurs. Cette réforme fut des plus heureuses, et elle

abrégea de beaucoup la durée des procès comme elle en diminua le coût371.

L’accroissement de cette intervention se révèle aussi en ce qui a trait aux interrogatoires. Les

mesures proposées visent à donner au juge une meilleure connaissance des faits et à l’aider à en

décrivent une enquête «absolument abandonnée au contrôle des parties elles-mêmes, sans intervention efficace du juge»,

une rhétorique qui montre déjà le thème de la recherche de l’efficacité. 366 Ibid. 367 Id., p. xvii-xviii. Certains pays, comme la France, l’ont amélioré et conservé. 368 Id., p. xviii. Le texte rapporte que le nombre d’affaires contestées devant les tribunaux croît et que l’insuffisance qui

caractérise les ressources et l’encadrement procédural aggravera progressivement la situation. 369 Ibid. 370 Ibid. 371 R. Genest, «Notre Code de Procédure civile, ses Qualités, ses Défauts, ses Lacunes» supra note 3, p. 225-226.

Page 100: L'évolution et la structuration des principes directeurs

90

arriver à un jugement en augmentant son rôle dans l’enquête372. Les commissaires qui ont préparé le

Code de 1897 ont précisé dans leurs observations sur l’instruction que le dix-huitième chapitre de

ce Code est dominé par le principe voulant que cette instruction se déroule sous la «supervision

directe» de la Cour373, bien que cela ne signifie pas nécessairement en présence d’un juge.

Sous l’empire de ce second Code, en matière de gestion du temps de l’instance et de l’audience, le

besoin d’une assistance aux plaideurs s’amplifie progressivement durant la première moitié du XXe

siècle. Ces difficultés sont dénoncées depuis plusieurs décennies374 et nos sources ont révélé que les

juges tentent de réduire coûts et délais de diverses manières375 tout en essayant de préserver le

respect des droits des parties. Mais les membres de la communauté juridique du milieu du XXe

siècle semblent espérer davantage. Dans les années qui précèdent l’adoption du Code de 1966, le

juge en chef de la province de Québec propose notamment que le juge «[puisse] et [doive]

intervenir quand son intervention est nécessaire pour assurer une meilleure justice»376. Son

raisonnement présuppose aussi que le juge, par son attitude, doive participer au maintien de la

sérénité dont l’administration de la justice a besoin377. L’intervention du juge prend également de

l’ampleur dans d’autres domaines. Cette tendance s’appuie sur l’importance d’assurer une meilleure

justice aux justiciables378. Le même juge en chef de la province de Québec suggère, entre autres,

que le devoir soit fait au juge de signaler l’omission d’une preuve essentielle durant l’enquête ou un

défaut dans une procédure379. Comme la fonction du juge n’est pas de remplacer l’avocat ou la

partie, ceux-ci restent maîtres de leur dossier et sont responsables d’apporter ou non les corrections

nécessaires380.

372 Nous avons vu des mesures similaires lors de l’adoption de mesures prévoyant des modifications à l’interrogatoire en

1857 pour tenter d’en réglementer la longueur et la pertinence. Les modifications de 1897 conservent le même objectif. 373 Textuellement, «sous la surveillance immédiate du tribunal». Premier rapport de la commission chargée de reviser et

de modifier le Code de procédure civile du Bas-Canada, supra note 7, p. 19. Cela ne signifie pas que les juges doivent

impérativement assister à l’ensemble des étapes de la procédure suite au dépôt de la demande : selon les circonstances, les

interrogatoires préalables peuvent être menés en présence d’un protonotaire plutôt que d’un juge. Art. 286 C.p.c. (1897). 374 Travaux de la Commission de codification des statuts sur les réformes judiciaires, supra note 266, p. 3-4 : T.J.J.

Loranger soulignait volontiers que les vices de l’administration de la justice sont le fait des défauts du Code de procédure

civile. À propos de son parcours d’avocat, homme politique, juge à la Cour supérieure (1863 à 1879), et professeur de

droit administratif à l’Université Laval de Montréal, voir. J.-C. Bonenfant, «Loranger, Thomas-Jean-Jacques», dans

Dictionnaire biographique du Canada, vol. XI, Toronto/Québec, University of Toronto Press/Presses de l’Université

Laval, 1982, p. 584-586. 375 Cela se vérifie notamment en ce qui a trait à l’amendement ou la mise en cause du tiers. 376 L. Tremblay, supra note 298, p. 240. Outre les interventions durant l’enquête et l’interrogatoire du témoin, le juge en

chef considère que le magistrat peut, au cours de l’audition, «discuter courtoisement avec les avocats», tout en leur

donnant une grande latitude pour exposer leurs arguments (p. 241). 377 Id., p. 241-242. En cela, il rejoint une caractéristique depuis longtemps attendue du comportement des juges, la

sérénité, et qui a certainement influencé la popularité de l’image d’un juge-sphinx. Cette qualité est encore attendue des

juges d’aujourd’hui. 378 L. Tremblay, supra note 298, p. 240. 379 Id., p. 241. 380 Ibid.

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91

Ces remarques montrent qu’à la fin de notre période d’étude, une partie grandissante de la

communauté juridique aspire à des changements qui obligeraient le juge à prendre une part plus

active dans le déroulement de l’instance. Implicitement, ils adhèrent donc plus étroitement au

principe directeur innommé qu’est la maîtrise de l’instance par le juge et souhaitent que son

influence s’accroisse. De même, la définition de ce contrôle s’élargit, englobant de plus en plus de

responsabilités et de pouvoirs qui seraient confiés aux juges. Les suggestions proposées dans les

rapports en prévision des révisions du Code de procédure civile n’aboutissent pas à la

reconnaissance de ce principe directeur dans le texte codifié. Elles tendent pourtant à l’intégrer

davantage à la structure du texte, l’élevant au stade de principe directeur innommé, mais reconnu

par la communauté juridique. La reconnaissance progressive du principe directeur du contrôle de

l’instance par le juge, un choix381 soutenu par des impératifs pratiques, accompagne et soutient le

développement de ce rôle du juge. La définition de la fonction judiciaire s’en trouve influencée.

Il faut considérer que cette modification du paradigme pourrait ainsi entraîner une réorientation de

la compréhension du principe directeur de la maîtrise de leur dossier par les parties. Celles-ci

composent en effet avec une nouvelle forme de présence du magistrat. En plus d’être l’auditeur

privilégié, il devient un véritable superviseur qui a la capacité de signaler les lacunes dans le travail

des avocats. La sanction d’une erreur procédurale cesse alors d’entraîner l’échec de la cause de la

partie. Il y a plutôt lieu de proposer aux parties de faire un amendement, une correction. Cette

intervention n’est pas une attitude inédite chez les juges de la Cour supérieure : des magistrats

reconnaissent à travers leurs jugements avoir offert des suggestions aux parties quant à

l’amendement de leur plaidoyer382, par exemple. De même, le juge doit se montrer vigilant quant

aux limites de son pouvoir d’intervention. En s’impliquant davantage et autrement, il ne doit pas

retirer aux parties leurs prérogatives. Ces balises sont plus complexes à évaluer que ne le sont les

limites du rôle du magistrat cantonné dans un rôle d’auditeur. Dans ce cas, il n’interagit pas avec les

parties. La nature et la définition du principe directeur de la maîtrise de leur dossier par les parties

ne changent pas.

381 La décision de privilégier un principe relève du choix du législateur, des juges et ultimement des membres de la

communauté juridique. Pour des raisons méthodologiques, sociales, juridiques et pratiques, l’assouplissement du droit

procédural a été effectué par le transfert d’un pouvoir accru dans les mains du juge. La crainte de «l’arbitraire» (S.

Pagnuelo, Lettres sur la réforme judiciaire, Montréal, J.D. Chapeleau, 1880, p. 6-7 (Première lettre); G. Doutre, supra

note 5, p. xv; S. Pagnuelo, id., p. 169 (Dix-septième lettre)), et particulièrement de l’arbitraire des juges, existe au XIXe

siècle. Par la suite, son influence est moins citée lors de l’examen de décisions structurantes en matière de procédure, ce

qui ne signifie pas qu’elle disparaisse complètement. D’autres phénomènes (comme les délais prolongés) gardent au

contraire une grande importance dans les décisions. 382 Voir par exemple Mayrand c. St-Denis, (1928) 34 R.L.n.s. 380, 387 (j. Stein).

Page 102: L'évolution et la structuration des principes directeurs

92

L’orientation du principe directeur du contrôle de leur dossier par les parties qui prévaut au début

du XXe siècle doit répondre à une modification dans la conception de la justice. Au début des

années 1960, un auteur croit bon de rappeler que le juge n’est pas un arbitre entre les avocats, mais

entre les justiciables383. Il explique que le procès vise à déterminer à quelle partie la loi donne

raison, et non à identifier l’avocat le plus habile. Cette constatation semble élémentaire, mais elle a

sa raison d’être. En effet, dans un contexte où la forme primerait sur le fond, l’avocat le plus versé

en procédure aurait certainement un avantage, malgré la valeur des arguments de son adversaire.

Cette conception pourrait donc rejoindre celle qui préside à la révision du Code de procédure civile

à la même époque et qui fait de la procédure civile l’auxiliaire du droit substantif384. Dans un tel

contexte, l’intervention judiciaire accrue nécessite de nouvelles façons d’assurer le respect du

contrôle de la partie sur son dossier. La définition de l’esprit de la procédure civile est reconsidérée.

Le point d’équilibre dans la relation entre le juge, les avocats et les parties se déplace. Les principes

directeurs et les façons de faire répondent à une nouvelle réalité où les éléments d’encadrement

qu’étaient les règles du Code et leur interprétation paraissent prêts à s’assouplir alors que les rôles

d’auditeur et de superviseur du juge prennent un nouvel aspect.

Le besoin d’élargir la sphère d’influence du juge en augmentant son implication dans l’instance

passe principalement par des modifications au Code de procédure civile. La nature même de ce

texte législatif et du droit civil l’exige. Pourtant, les juges de la Cour supérieure ont parfois tenté

d’agir plus activement sur des points très précis sur lesquels ils croyaient que leur compétence leur

donnait un pouvoir restreint d’action.

En effet, en tant que juges, ils ont la possibilité de rendre les ordonnances nécessaires pour le

déroulement satisfaisant de l’action en se basant notamment sur l’article 3 du Code385. Leur pouvoir

d’ordonner des mesures conservatoires pour servir l’intérêt des parties est considéré comme

«indéfini» et confié seulement à «la discrétion et à la sagesse» du juge qui l’exerce386. Ce même

article a quelquefois donné lieu à des interprétations beaucoup plus ambitieuses, car il leur reconnaît

une marge de manœuvre. Toute forme de procédure adoptée par les parties en l’absence d’articles

ou de règles applicables pour faire valoir ou maintenir un droit particulier ou une juste réclamation

et qui n’est pas incompatible avec les dispositions de la loi ou du code peut être considérée comme

383 L. Tremblay, supra note 298, p. 240. 384 Rapport préliminaire des commissaires à la révision du Code de procédure civile, 1962, projet B, supra note 250, p. 7. 385 Art. 3 C.p.c. et art. 20 C.p.c. (1897); art. 21 C.p.c. et art. 9 C.p.c. (1867). 386 Drummond c. Holland, (1879) 23 L.C.J. 241, 242 (j. Jetté), Parizeau c. Héritiers Meloche (Les) (1910), 12 R.P. 161,

162 (j. Bruneau). Le juge Bruneau souligne que ce principe s’applique particulièrement dans les matières provisoires, qui

requièrent de la célérité.

Page 103: L'évolution et la structuration des principes directeurs

93

valable et accueillie comme telle387. Ces articles permettent parfois aux juges de tous les tribunaux

d’accepter des moyens de procédure non prévus par le Code, ou d’en valider certains pour des

motifs de justice, malgré une contestation sur la forme par la partie adverse.

L’interprétation de l’article 3 C.p.c. a ainsi permis l’usage du bref d’habeas corpus dans des

circonstances pour lesquelles il n’était pas initialement prévu388. Les trois Cours canadiennes et le

Comité judiciaire du Conseil privé l’ont notamment utilisé à l’occasion d’une affaire portant sur les

droits parentaux d’une veuve souhaitant recouvrer la garde de sa fille389. Les arguments, tant au

niveau du Comité judiciaire du Conseil privé que de la Cour supérieure, rejettent les objections à

l’usage de cette procédure. Ils tiennent tous compte du fait que même si la procédure suivie pouvait

soulever des questions procédurales, elle avait permis d’entendre pleinement les parties en

protégeant leurs droits390 et sans leur causer de préjudice391 ou d’injustice. Elle permet d’en arriver à

un résultat juste, qui reconnaît l’autorité parentale et les juges ne souhaitent pas voir la procédure

être reprise pour une question de forme392. À la Cour suprême, notamment, le juge Rinfret393

démontre que l’évolution jurisprudentielle de la procédure d’habeas corpus, malgré plusieurs

jugements contradictoires, semble justifier à ses yeux l’utilisation de cette procédure dans le cadre

des questions semblables de droits de garde de mineurs.

Cependant, une lecture stricte de l’article 3 C.p.c. utilisé dans ce contexte peut soulever des

questions sur la portée qui lui est attribuée. Cet article prévoit en effet que, s’il n’existe aucune

disposition pouvant permettre de faire valoir un droit ou une réclamation, il est possible de faire

usage d’un moyen de procédure existant394. L’article ne traite donc pas spécifiquement de

l’utilisation d’une forme procédurale exceptionnelle lorsque la partie aurait pu procéder par une

action ordinaire –si tel est le cas ici. La Cour suprême considère somme toute la procédure choisie

387 Art. 21 C.p.c. (1867), art. 3 C.p.c. (1897). 388 Encore au XXIe siècle, l’habeas corpus est utilisé pour gérer des «situations familiales difficiles» impliquant des

enfants séparés de l’un de leurs parents par l’autre, comme le rappelle une auteure (S. Guillemard, «Présentation de

l’exemple de l’hybridation réussie : le C.p.c. du Québec», supra note 13, p. 32-33). La situation décrite dans l’arrêt

Stevenson c. Florant diffère un peu de cette situation, mais présente cependant une analogie d’esprit avec ceux-ci. 389 L’enfant a été confiée jusque-là à ses grands-parents paternels, le grand-père ayant été nommé tuteur avec le

consentement de la mère et celui de la Cour. Les trois Cours canadiennes et le Comité judiciaire du Conseil privé ont

considéré qu’il était dans l’intérêt de l’enfant d’être confiée à sa mère, compte tenu de l’âge et de l’état de santé des

grands-parents et puisque la mère était maintenant en mesure de subvenir aux besoins de l’enfant. Stevenson c. Florant,

[1927] A.C. 211. 390 Stevenson c. Florant, [1927] A.C. 211, 216 (Sir Thomas Warrington). 391 Stevenson c. Florant, [1925] R.C.S. 532, 539 (j. Rinfret). 392 Stevenson c. Florant, [1927] A.C. 211, 216 (Sir Thomas Warrington). 393 Stevenson c. Florant, [1925] R.C.S. 532, 539 (j. Rinfret). 394 Art. 3 C.p.c. (1897) : «Si ce code ne contient aucune disposition pour faire valoir ou maintenir un droit ou une

réclamation, toute procédure adoptée qui n’est pas incompatible avec quelque disposition de la loi ou de ce code doit être

accueillie et est valable». Nous pouvons comparer cet article avec l’article 20 C.p.c. du Code de 1966, voir par exemple la

en page 207.

Page 104: L'évolution et la structuration des principes directeurs

94

comme valide. Elle envisage l’utilisation de l’article 3 C.p.c. pour assurer aux juges, notamment

celui de première instance, le pouvoir d’accepter un choix procédural controversé, surtout si celui-ci

ne cause aucun préjudice à la partie adverse. Les juges ont pris soin de souligner que les étapes

d’une enquête ordinaire ont été suivies. Les Lords du Comité judiciaire du Conseil privé ont aussi

choisi de conférer une large portée à l’article, afin d’inscrire leur jugement dans le cadre du Code de

procédure civile. Pourtant, les bases de cette décision reposent sur deux conceptions entretenues par

les juges. Il s’agit d’une part de leur conception de la justice et, d’autre part, de celle de la procédure

civile. Ils sont réticents à faire preuve de formalisme parce qu’ils sont convaincus que le respect

strict de la procédure n’apporterait rien au débat qui se déroule devant eux. De plus, ils ont sans

doute considéré l’aspect économique de la contestation pour parvenir à cette conclusion. La

perspective de voir s’allonger les débats et de rendre plus onéreux le fardeau des parties a sûrement

contribué à les dissuader. Par ailleurs, il a été mentionné que le Comité judiciaire du Conseil privé

s’est montré sensible à ces questions dès le XIXe siècle. Il est probable que la Cour suprême a aussi

considéré ce point, même si cela ne ressort pas du texte du jugement. Ceci démontre que

l’interprétation de la procédure puise à de nombreuses sources, qu’elle tient compte des courants

modernes et qu’elle s’adapte à l’intérieur des limites imposées par la rédaction même du Code.

L’article 3 C.p.c. a donné lieu à plusieurs aménagements en matière de procédure civile, afin de

permettre l’exercice de certains recours lorsque le Code n’y pourvoyait pas. De nombreux cas

pourraient être recensés395. Dans l’ensemble, les juges de la Cour supérieure exercent ainsi un

pouvoir important sur la détermination de la procédure civile. La limite fixée par l’article, soit la

cohérence avec l’ensemble du Code, ne précise qu’une obligation à considérer lors de la décision.

La discrétion du juge est très large. De plus, sans faire toujours explicitement référence à un article

codifié, tel l’article 3 C.p.c. (1897), les juges de la Cour supérieure s’appuient sur son esprit. Ainsi,

ils se prononcent parfois sur l’étendue de leurs pouvoirs afin de favoriser le déroulement de

l’instance. Ceci peut mener à des innovations procédurales, dont certaines sont adoptées par la suite

395 Pour des exemples concernant divers sujets, voir les exemples suivants. En matière de saisie-arrêt, voir Duckett c.

Bayard (1903), 5 R.P. 281, 282 (C.S.) (j. Lavergne). En matière de contestation d’une élection dans une compagnie ou

une corporation privée : Scott c. Greenshields, (1911) 17 R. de J. 437, 438-439 (C.S.) (j. Laurendeau). Le juge souligne

même la nécessité d’utiliser cette procédure en affirmant que l’action de droit commun ne lui semble pas être un remède

efficace. Dans Cousineau c. Gagnon, (1914) 23 B.R. 309, 316 (j. Gervais), il est question de contester l’absence de forme.

Dans ce cas, il s’agissait d’une admission faite sans droit par l’avocat et non l’aveu judiciaire d’une partie et la procédure

à faire est celle qui doit être suivie pour modifier les allégations. Le juge affirme cependant que si la partie avait voulu

retirer un aveu fait par elle, elle aurait pu procéder par «requête alléguant erreur avec serment et avis de présentation

suivant l’article 3 C. proc.». L’utilisation de l’article 3 est à nouveau démontrée. Enfin, la contestation de la permission de

plaider certains faits par déclaration spéciale et additionnelle a aussi été recensée, voir Demers c. Cité de Québec (1937),

40 R.P. 255, 256 (C.S.) (j. Prévost); St-Denis c. Donnacona (Ville de), (1934) 72 C.S. 339, 340 (j. Belleau). Dans le

premier cas, les faits sont survenus entre l’émission du bref et la signification de l’action, dans le second, avant la

contestation, mais depuis la signification.

Page 105: L'évolution et la structuration des principes directeurs

95

sous la forme proposée ou sous une forme préliminaire. Dans la cause Painchaud c. Millen396, le

juge Martineau accepte une motion du défendeur afin d’ordonner l’examen médical du demandeur

dans une action en dommages pour des lésions corporelles ou pour maladie. Or, avant l’introduction

au Code de l’article 286b en 1921, aucun texte de loi ne permet au juge d’ordonner cet examen.

Quelques années après l’adoption de l’article, le juge Martineau fixe les balises du mandat confié au

médecin expert, tout en reconnaissant que le demandeur ne peut pas être contraint à l’examen

médical, puisqu’il n’est pas prévu au Code397. Dans ce contexte, et citant un jugement plus ancien,

le juge semble s’autoriser de son pouvoir de rendre les ordonnances nécessaires au déroulement du

procès afin de compléter la procédure civile. Il reconnaît au juge un pouvoir inhérent, nécessaire à

l’exercice efficace de ses fonctions398. Dans ce cas, il ordonne l’expertise pour pouvoir se prononcer

sur les dommages.

Cet exemple montre une forme d’utilisation des pouvoirs du juge pour lui permettre une plus grande

intervention dans l’instance. Les juges agissent parfois dans un contexte plus large, guidés par des

impératifs de saine administration des instances et du système judiciaire en général. Il se développe

ainsi des pratiques locales en matière procédurale, dont quelques-unes naissent de l’application

d’articles du Code de procédure civile. Ils n’adoptent pas une règle de pratique, même s’ils

disposent aussi de ce pouvoir399 pour aider à l’application du Code, mais le comportement devient

généralisé à l'échelle locale. L’application des articles 234 et 235 du Code de procédure civile de

1867, à titre d’illustration, a donné lieu au développement d’une telle pratique. Ces articles

concernent des délais relativement à l’inscription sur le rôle des enquêtes400 et à l’avis d’inscription

à donner à l’adversaire401. Le district de Montréal aurait vu une pratique locale non prévue au Code

396 Painchaud c. Millen, (1930) 68 C.S. 487, 488-489, qui rapporte le texte de l’ordonnance en cours d’instance nommant

l’expert. 397 Il déclare dans ses notes que «j’aurais manqué à mon devoir, un devoir primordial, dirais-je, en ne cherchant pas par ce

moyen à éclairer ma conscience sur l’état pathologique actuel du demandeur et contrôler dans la mesure du possible la

preuve faite de part et d’autre à ce sujet». Painchaud c. Millen, (1930) 68 C.S. 487, 489 (j. Martineau). 398 Painchaud c. Millen, (1930) 68 C.S. 487, 490 (j. Martineau). Il s’agit aussi d’une illustration de l’application de la

théorie des pouvoirs inhérents issus de la common law. Le juge Martineau se réclame d’un jugement du juge Mathieu qui

aurait rendu une ordonnance semblable en 1885 (voir «Examen médical», (1930-31) 9 R. du D. 368, 369 et Painchaud c.

Millen, (1930) 68 C.S. 487, 490. La permission d’appeler est refusée au demandeur : «Examen médical», (1930-31) 9 R.

du D. 368, 369. Le juge de la Cour du Banc du Roi, en chambre, considère qu’il n’existe pas de droit d’appel prévu contre

une telle ordonnance du juge de la Cour supérieure. Painchaud c. Millen, (1930) 49 B.R. 565, 566 (j. Howard, en

chambre). 399 Art. 74 C.p.c. (1897) et art. 29 C.p.c. (1867). 400 Art. 234 C.p.c. (1867). 401 Art. 235 C.p.c. (1867).

Page 106: L'évolution et la structuration des principes directeurs

96

modifier la façon de procéder402. Cette pratique était acceptée par les juges et les avocats, afin

d’éviter confusion et frais403.

D’autres pratiques adoptées par les juges sont moins bien perçues. En 1929, le législateur

entreprend notamment de mettre un frein à la pratique par laquelle les juges ordonnent une «preuve

avant de faire droit»404. Soucieux de préserver les droits des parties, les juges accordent largement

cette possibilité405, mais cela ralentit le processus de l’inscription en droit406. Le nouvel article

prévoit donc que la contestation en fait ne peut pas être inscrite avant le jugement sur l’inscription

en droit et que ce jugement doit disposer de cette inscription sans ordonner de preuve ou la réserver

au mérite407. Le projet divise408. Les tenants de cette modification se réclament d’arguments

pratiques, notamment la diminution des abus409. L’autre faction soutient des arguments de principes

et de traditions, maintenir «les prérogatives et la liberté de discussion des tribunaux et des juges»410,

entre autres. Certains énoncés s’appuient sur le principe qu’il ne faut pas intervenir dans les

coutumes juridiques issues de temps immémoriaux411. Dans ce contexte, l’efficacité perçue du

travail des cours l’emporte sur des considérations plus abstraites. Ceci illustre l’intérêt pour

l’efficacité qui prend souvent les traits d’une valeur et qui accrédite l’hypothèse d’une implantation

progressive d’un principe directeur de la proportionnalité dans le système judiciaire par le biais

initial des valeurs.

Il apparaît que l’adoption de méthodes particulières par les juges serait perçue comme un moyen de

gérer ou de contrer des comportements controversés adoptés par les praticiens. C’est le cas d’une

problématique liée aux allégations inutiles, par exemple par l’insertion d’informations qui touchent

402 «[…][T]he practice prevailing at the time, was to file inscriptions for proof and hearing in blank and leave them with

the prothonotary to be set down for hearing at least eight days before trial.», Eastern Townships Bank c. Swan, (1899) 29

R.C.S. 193, 199 (j. Girouard) (sic.). 403 Voir les remarques du juge Girouard, Eastern Townships Bank c. Swan, (1899) 29 R.C.S. 193, 199. 404 Loi modifiant le Code de procédure civile relativement à l’inscription en droit, (1929) 19 Geo. V., c. 81. 405 L’art. 195 C.p.c. prévoit que : «Nulle contestation en fait ne peut être inscrite avant le jugement sur l’inscription en

droit». Les juges et avocats ont tiré parti de la spécificité de l’article pour permettre la présentation de certains types de

preuves avant ce jugement sur l’inscription en droit. 406 En 1947, le rapport de Me Désilets indique qu’une telle habitude paralyse le mécanisme de l’inscription en droit et

celui-ci devient ainsi «inopérant» : A. Désilets et G. Trudel, Rapport contenant les recommandations relatives à la

modification du Code de procédure civile de la province de Québec et énonçant les motifs de ces recommandations

présenté le 30 septembre à l'honorable Maurice L. Duplessis, procureur général et premier ministre de la province, S.l.,

s.n., 1947, p. 21 (non publié, bibliothèque de l’Assemblée nationale). L’inscription en droit peut normalement être faite

trois jours après la contestation liée (art. 293 C.p.c. (1897)). Si une preuve avant de faire droit est ordonnée, elle entraîne

l’augmentation des démarches et procédures à effectuer et du temps à y consacrer pour les parties et la Cour. 407 Loi modifiant le Code de procédure civile relativement à l’inscription en droit, (1929) 19 Geo. V, c. 81, art. 1. L’article

modifié prévoit désormais que : «Nulle contestation en fait ne peut être inscrite avant le jugement sur l’inscription en

droit, et ce jugement doit disposer de l’inscription en droit sans ordonner de preuve et sans la réserver au mérite». 408 Québec, Assemblée nationale, Débats de l’Assemblée législative, 12e lég., 2e sess., vol. 1 (22 février 1929), p. 410. 409 Québec, Assemblée nationale, Débats de l’Assemblée législative, 12e lég., 2e sess., vol. 1 (18 février 1929), p. 356. 410 Id., p. 356. 411 Ibid.

Page 107: L'évolution et la structuration des principes directeurs

97

à l’«atmosphère de la cause»412 dans ces allégations. À la suggestion du Barreau rural, le texte de

l’avant-projet de révision du Code de procédure civile soumis par MM. Désilets et Trudel fait appel

aux tribunaux pour gérer le problème que peuvent causer des allégations inutiles413. L’importance

de leur rôle est ainsi reconnue. Ils doivent orienter les façons de faire en matière de procédure afin

d’assurer au mieux le traitement des instances d’une manière efficace et qui tente de rester

conforme au Code. L’élargissement de l’application de ce principe directeur, même sous le couvert

d’une réflexion sur l’efficacité et la célérité se confirme progressivement.

La reconnaissance progressive d’un principe directeur et ses conséquences

La capacité du juge de la Cour supérieure de gérer l’instance s’affirme indirectement à travers

diverses mesures et au cœur même des gestes et des habitudes de travail des juges. La possibilité de

prendre une cause en délibéré en est un exemple. Puisqu’il lui appartient en partie de gérer certains

aspects administratifs liés au déroulement de l’instance, il peut décider de la nécessité du délibéré et

de la durée de celui-ci. Ce pouvoir existe depuis les débuts du Code de procédure civile. Il a été

reconnu sans nécessiter un article précis414. Les mentions de ce pouvoir du juge que nous avons

retrouvées dans la jurisprudence de la première moitié du XXe siècle sont souvent d’ordre pratique

plutôt que théorique415. Les précisions entourant la procédure du délibéré se dessinent au cours du

XXe siècle et le processus s’inscrit indirectement dans le Code. Par exemple, lors de la présentation

du rapport préparatoire à la révision du Code en 1962, les commissaires font état de nombreuses

plaintes de praticiens à l’égard de la longueur des délibérés416. L’esprit de cet article est repris à

l’article 465 C.p.c. du Code de 1966, qui établit que les affaires prises en délibéré depuis plus de six

mois doivent être remises au rôle si le juge en chef l’ordonne.

Cependant, le pouvoir du juge de suspendre le délibéré n’a pas connu la même reconnaissance

implicite. Dans un premier temps, les modalités de la radiation de l’ordre de délibéré, auparavant

laissées à la discrétion des juges, ont été définies par une loi de 1924 qui ajoute l’article 536a

412 Une autre expression désigne aussi ce supplément d’information : «le background de l’espèce». A. Désilets et G.

Trudel, supra note 406, p. 22. Cette pratique élargit considérablement le champ de la contestation liée et de l’enquête. 413 Id., p. 22. 414 Les articles 468 à 470 C.p.c. (1867) mentionnent les causes prises en délibéré, mais aucun article ne fonde le pouvoir

du juge d’avoir recours à une telle mesure. L’article 536 C.p.c. (1897) se lit comme suit : «Le jugement dans une cause en

délibéré peut être prononcé à tout jour juridique». Il mentionne donc l’existence du délibéré, sans en donner les modalités

et sans attribuer spécifiquement au juge le pouvoir de prendre une cause en délibéré. 415 L’article 536a C.p.c. (1897) a donné lieu à quelques jugements qui mentionnent la suspension du délibéré ou

l’amendement après enquête close. Voir par exemple J.G. White Engineering Corporation (The) c. Canadian Car and

Foundry Company Limited (1940), 43 R.P. 354 (C.S.) ou Drouin c. Dubois, [1951] R.P. 305 (C.S.). 416 Rapport préliminaire des commissaires à la révision du Code de procédure civile, 1962, Projet B, supra note 250, p.

10-11. Cette situation n’est pas sans rappeler celle à laquelle fait allusion le juge Bruneau dans son article sur la nécessité

du délibéré. A.-A. Bruneau, «Du délibéré des juges», (1924-25) 3 R. du D. 203, 208 et 210.

Page 108: L'évolution et la structuration des principes directeurs

98

C.p.c.417. Les débats accompagnant l’adoption de cet amendement au Code montrent que le parrain

de cette loi veut «obliger le juge à donner des raisons avant de mettre une cause hors de délibéré de

façon que l’avocat sache à quoi s’en tenir»418. Les questions des délais et de la bonne administration

de la justice sous-tendent les débats419. Les premiers arguments avancés par les députés touchent

quatre aspects fondamentaux du système judiciaire. Tout d’abord, ils donnent une mesure du

contrôle de l’instance par le juge, qui a le pouvoir de suspendre le délibéré pour cause. Ensuite, ils

s’appuient sur la reconnaissance implicite du contrôle de leur dossier par les parties et la

reconnaissance de leurs droits durant l’instance, principalement le droit des parties d’être informées

rapidement d’une telle situation. La célérité du processus judiciaire et la saine administration de la

justice sont ensuite abordées pour soutenir l’une ou l’autre des opinions. Pourtant, ces questions

sont traitées en quelques échanges au moment de l’adoption de la loi. Les députés reportent

rapidement leur attention vers les problèmes d’applicabilité de la mesure420.

L’existence du pouvoir d’interrompre le délibéré précède l’adoption de l’article 536a C.p.c. Le

silence des Codes de 1897 et 1867 sur la nature du pouvoir des juges d’interrompre le délibéré

conduit les magistrats à s’interroger sur l’étendue de leur pouvoir d’interruption et sur les limites de

celui-ci. Quelques causes font surtout état des limites de ce pouvoir. Les juges balisent celui-ci de

façon différente et ils agissent plus sévèrement dans certaines occasions, alors qu’ils se réservent

parfois une plus grande latitude421. La pertinence et l’influence de la preuve à entendre au moment

de rendre jugement, les raisons de l’omission, la question de la nouveauté de la découverte de la

preuve et celle de l’omission par inadvertance sont souvent parmi les points soulevés. Un rapide

survol de la jurisprudence démontre que cette incertitude s’exprime particulièrement lorsqu’ils se

trouvent devant la nécessité d’interrompre le délibéré de leur propre chef pour rouvrir l’enquête. En

1914, la Cour du Banc du Roi expose brièvement une vision du pouvoir de rouvrir l’enquête dans

un arrêt qui aurait pu trancher la question, car les juges de la Cour du Banc du Roi indiquent

clairement que la réouverture du délibéré est permise et que les conditions en sont

417 Loi modifiant le Code de procédure civile relativement à la radiation de l’ordre de délibérer, (1924) 14 Geo. V, c. 81.

Le nouvel article 536a C.p.c. se lit comme suit : «Aucun ordre de délibérer ne peut être rayé et aucune ordonnance ayant

pour effet d’empêcher que le jugement soit prononcé ne peut être rendu (sic), à moins que l’ordre de radiation ou

l’ordonnance n’énonce au long les motifs qui y donnent lieu. Le protonotaire doit faire rapport au juge en chef ou au juge

en chef suppléant, suivant le cas, portant à sa connaissance l’ordre ou l’ordonnance, ainsi que les motifs qui l’ont

déterminé et en donner avis aux procureurs des parties.» 418 Québec, Assemblée nationale, Débats de l’Assemblée législative, 16e lég., 1re sess., vol. 2 (4 mars 1924), p. 655 (M.

Bugeaud). 419 Id., p. 655. 420 Les députés reportent rapidement leur attention vers les problèmes d’applicabilité de la mesure. La question de savoir

si le juge doit lui-même faire rapport au juge en chef, comme il était prévu initialement, ou si ce rapport ne devrait pas

plutôt être fait par le protonotaire, semble susciter la plus longue discussion. Id., p. 655. 421 À titre d’exemple d’une approche plus sévère, voir Canadian Breweries (Limited) (The) c. Allard (1902), 4 R.P. 365 (j.

Loranger). Quant à la seconde attitude, voir Hétu c. Butter and Cheese Association of Dixville (The) (1906), 8 R.P. 103 (j.

Hutchison).

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99

discrétionnaires422. Pourtant, la jurisprudence des premières décennies du XXe siècle s’avère divisée

entre deux visions du pouvoir du juge423. La première est restrictive424, plus en accord avec la

définition traditionnelle du juge non interventionniste et avec une application formaliste de la

procédure civile. La seconde s’appuie sur une approche plus large425, qui prône la reconnaissance

d’un rôle plus interventionniste des juges en vertu d’un pouvoir en matière de direction de

l’instance. Cependant, personne ne nie formellement le droit d’agir du magistrat. Le nouvel article

ne confère donc pas un pouvoir, il définit plutôt les modalités qui entourent et encadrent son

exercice. La possibilité d’offrir une preuve qui aide à trancher le litige a déjà intégré la réflexion des

juges et s’avère finalement l’argument essentiel qui entraîne la cristallisation de la jurisprudence sur

la question426.

En 1953, la Cour d’appel rend une décision qui tranche la difficulté427 et montre que les

préoccupations de la Cour en matière de procédure civile et ses critères de définition de la fonction

judiciaire ont connu une grande évolution dans plusieurs domaines, au-delà de la question qui

suscite ce jugement. Dans un premier temps, le souci principal de la Cour est de parvenir à une

décision juste pour les deux parties, et elle réitère l’importance du rôle du juge à cet égard. Il doit

s’impliquer dans la cause pour faire le plus de lumière possible sur la question, même si cela

bouscule la conception selon laquelle les avocats seuls peuvent diriger le procès428. L’analyse du

juge Rinfret, au début des années 1950, apporte une nouvelle preuve que l’ancien stéréotype du juge

auditeur et passif ne correspond plus à la réalité de la pratique en procédure civile ni à la mentalité

de certains juges. Ceci peut apparaître comme une marque d’adhésion plus importante au principe

directeur implicite de la maîtrise de l’instance par le juge. De plus, la définition de la place de ce

principe directeur implicite face à un autre principe directeur de la procédure, qui affirme la maîtrise

de leur dossier par les parties, est distinctement abordée. Enfin, il est révélateur que le juge de

422 Commission scolaire de la paroisse de Ste-Geneviève (La) c. Corporation du Collège de Notre-Dame de la Côte-des-

Neiges (La), (1914) 20 R.L.n.s. 433, 443-444 (j.e.c. Archambault) : «[il] s’agit ici d’une question qui est laissée

absolument à la discrétion du juge devant lequel une cause est mise en délibéré. Il lui est loisible de décharger le délibéré

pour toute raison qu’il juge suffisante. Une cour d’Appel ne saurait intervenir en pareille matière. […] Une partie ne

saurait souffrir d’un acte de son procureur qu’elle n’a pas autorisé». 423 En 1921, en Cour de circuit, le juge en chef de la Cour supérieure affirme que les Cours ne doivent pas permettre la

réouverture d’enquête à moins de circonstances exceptionnelles : Martel c. Gagnon (1921), 23 R.P. 211 (j. Lemieux). 424 Voir notamment la revue de jurisprudence du juge Rinfret dans Poulin c. Laliberté, [1953] B.R. 8, 11-15. Il fait

remonter cette tendance au jugement Canadian Breweries (Limited) (The) c. Allard (1902), 4 R.P. 365, précité, note 421. 425 Voir entre autres Poulin c. Laliberté, [1953] B.R. 8, juge Rinfret. Il indique que cette interprétation se base sur le

jugement Hétu c. Butter and Cheese Association of Dixville (The) (1906), 8 R.P. 103, précité, note 421. 426 Moore c. Rouleau, [1946] B.R. 573. Cette cause non rapportée, mais indiquée dans les résumés des arrêts prononcés à

Montréal, confirme la circonspection nécessaire à l’action du juge en matière de réouverture de l’enquête : la partie qui la

demande doit démontrer suffisamment que la preuve aiderait à la solution du litige. Cette opinion est partagée par

d’autres, comme le juge Rinfret Poulin c. Laliberté, [1953] B.R. 8, 15. Voir aussi, sur des questions similaires, L.

Faribault, «Causes en délibéré», (1965) 25 R. du B. 210, 210. 427 Poulin c. Laliberté, [1953] B.R. 8. 428 Id., p. 10.

Page 110: L'évolution et la structuration des principes directeurs

100

première instance ait eu le réflexe de discuter avec les parties et de suggérer une marche à suivre,

plutôt que d’exercer son pouvoir de son propre chef. Cette façon de faire traduit chez le juge un

respect du contrôle de leur dossier par les parties, et une tendance au dialogue dans l’utilisation de

son pouvoir de gérer l’instance. Ces préoccupations sont probablement aussi liées à une façon

d’envisager la fonction judiciaire. Dans cette optique, le juge doit rester en retrait du débat

judiciaire, exercer une influence limitée et laisser la conduite générale de leurs dossiers et de la

présentation de la preuve aux parties impliquées.

Dans un second temps, deux des juges abordent les questions de temps –il est question de

prescription– et de coûts429. Tous deux soupèsent la place qui doit leur être réservée dans la décision

du juge. Leur décision aurait été différente s’il y avait eu prescription. Par contre, l’extension du

temps consacré à la cause ne les trouble pas outre mesure, puisque la conséquence se résume à une

possible augmentation des coûts. Dans l’esprit des juges, la considération de l’intérêt de la justice

prend le pas sur la question purement financière. La justice bien rendue a un coût et tous le prennent

en considération. En 1924, la réaction des députés a été similaire lors de l’adoption de l’article 536a

C.p.c.430. Cependant, si la célérité et le respect du principe directeur du contradictoire sont très

présents dans l’argumentation, l’économie n’est pas mentionnée directement. Cette attention à

l’administration de la justice prend une grande expansion dans le discours judiciaire. Celle-ci est de

nature à encourager la reconnaissance, ou à tout le moins la mise en application, de certaines

valeurs ou de certains principes directeurs. Les juges québécois montrent une fois de plus qu’ils

sont sensibles à la recherche de la célérité, de l’efficacité et de l’économie dans la gestion de

l’instance431. De plus, dans le cas d’une partie d’entre eux432, il semble y avoir une prise de

conscience bien nette de l’existence de valeurs, voire d’une forme embryonnaire de principe de

proportionnalité dans le contexte de cette cause. Ils ne lui donnent ni le nom, ni le statut de principe,

mais reconnaissent son potentiel en l’utilisant comme argument au soutien de leur affirmation à

propos du pouvoir des juges –ici, d’un pouvoir particulier.

Cette décision rendue dès le début des années 1950 traduit la reconnaissance implicite de

l’existence de trois principes directeurs en matière procédurale par une partie de la communauté

429 Il s’agit des juges Rinfret et McDougall. 430 Québec, Assemblée nationale, Débats de l’Assemblée législative, 16e lég., 1re sess., vol. 2 (4 mars 1924), p. 655 et 683. 431 Le juge Rinfret sous-entend ainsi que la méthode adoptée permet en fait de réaliser une économie de temps et de frais,

tant pour la Cour que pour les parties. Qu’il ait tort ou raison en droit de le croire (il souligne que cela économiserait les

frais d’une seconde action), il est révélateur qu’il perçoive cette économie potentielle comme un élément de décision et

qu’il le mentionne. 432 Poulin c. Laliberté, [1953] B.R. 8, 11 (j. Rinfret).

Page 111: L'évolution et la structuration des principes directeurs

101

juridique433. Elle démontre aussi une méthode de raisonnement qui permet de développer la fonction

judiciaire et une conception de la procédure civile qui s’écarte des bases du formalisme. Les juges

participent à la définition de leur propre rôle en affirmant les pouvoirs dont ils disposent, parce que

certains impératifs nécessitent l’intervention du juge et que le Code de procédure civile ne peut y

suppléer de façon plus adéquate et raisonnable. Si les «impératifs» sont en fait le respect de

principes directeurs de la procédure civile qui jusqu’alors ne se traduisent pas tous dans des règles

écrites, comme cet exposé le propose, il est possible de considérer que ces principes participent

activement à la structuration de la procédure civile, peu importe leur état de développement. Ce

dernier aura plutôt une importance au moment de soupeser le poids accordé par une société donnée

à un principe particulier. L’enjeu de la façon dont cette participation s’exprime est aussi différent.

Elle peut être persuasive, voire impérative, lorsque le principe directeur est reconnu, alors qu’elle

est beaucoup plus subtile et secondaire lorsque le principe directeur est latent ou embryonnaire.

Dans ce dernier cas, elle peut, comme l’intérêt porté à l’économie dans notre exemple, être

examinée sans être retenue, ou encore venir conforter des arguments appuyés sur des principes

directeurs plus développés. De plus, un principe directeur reconnu et exprimé dans une règle du

Code encourage le raisonnement des magistrats, en particulier. La protection de l’intérêt des parties

et la nécessité de les entendre également sur la question sont envisagées expressément par la Cour

d’appel434, manifestation du respect de la règle audi alteram partem et du principe directeur qui

l’inspire. Elle constitue, avec l’importance de la preuve à apporter à la solution du litige, une des

rares obligations imposées au juge de première instance au moment d’exercer sa discrétion dans le

cadre d’une question similaire. Elle est donc à la fois un argument secondant la définition adoptée

du pouvoir du juge, et une limite raisonnable à l’exercice de celui-ci, c’est-à-dire qu’elle constitue

une articulation de la réflexion parfois fluctuante sur le principe directeur de la maîtrise de

l’instance par le juge

2.3. Le principe directeur de la proportionnalité et le principe directeur

de la conciliation : les premiers stades de développement

Il apparaît que les racines de certains principes directeurs contemporains peuvent rejoindre des

phénomènes ou des prises de conscience plus anciennes. Qu’en est-il de ces deux principes-clés?

433 Comme nous venons de le voir, cette décision contient une réflexion implicite sur les principes de la maîtrise du

dossier par les parties, de la maîtrise de l’instance par le juge et de la proportionnalité. 434 Poulin c. Laliberté, [1953] B.R. 8, 10-11 (j. Rinfret).

Page 112: L'évolution et la structuration des principes directeurs

102

2.3.1. L’efficacité et la célérité de la procédure civile, un moteur de changement

Le temps et les coûts du procès civil ont souvent été cités parmi les écueils qui menacent l’efficacité

du système judiciaire. Certaines préoccupations des magistrats en matière d’économie435 et de

délais436, à l’instigation du législateur ou spontanément, sont parfois exprimées avant l’adoption du

premier Code. La situation suivant la codification ne fait pas que des heureux. Critique de la

situation qui prévaut dans la seconde moitié du XIXe siècle, le juge Loranger en offre un parfait

exemple. Il prétend que l’administration de la justice ne saurait être réellement améliorée sans une

révision de la procédure civile437. La structure de celle-ci permet des retards considérables, souvent

attribuables aux choix et décisions des parties438. Cette opinion est partagée par d’autres auteurs439.

Pourtant, la question du véritable rôle de la codification se pose dans ce contexte. Les délais

proposés par le Code et qui accompagnent la majorité des actes procéduraux y contribuent, puisque

ces délais énoncés par la loi doivent être respectés. Cependant, des délais de cette nature sont

nécessaires dans le cadre de la procédure civile, pour le bien même des parties et le fonctionnement

harmonieux des moyens judiciaires offerts440.

Ces commentaires reprennent des thèmes liés à la célérité, à l’économie, à la recherche d’efficacité,

qui ont toutes déjà servi de base à la critique avant 1867441. Elles constituent aussi l’une des raisons

de l’insatisfaction face au Code. Il faut comprendre que cette impression de lenteur présente des

liens avec l’évolution sociale, puisque les moyens de transport maritimes ou ferroviaires sont de

plus en plus rapides, la production industrielle en accélération, etc.442. De plus, la pensée dominante

435 Avant 1867, ils ont le pouvoir de fixer les tarifs liés aux différents actes posés : Acte pour amender les lois relatives

aux cours de jurisdiction civile en première instance, dans le Bas-Canada, (1849) 12 Vic., c. 38, art. 100. Voir par

exemple Chabot c. Sewell, (1851) 1 L.C.R. 436, 445 (j. Bowen) (C.S.). Voir également Atkinson c. Noad, (1864) 14

L.C.R. 159, 163 (C.S.) ou, sans égard au résultat, la discussion dans Jersey c. Rowell, (1863) 13 L.C.R. 172, 173-177

(C.B.R.). De façon complémentaire, il est possible de considérer aussi Bell c. Leonard, (1857) 1 L.C.J. 17 (C.S.). 436 Les délais sont souvent fixés par la loi, ainsi que les pouvoirs des juges à cet égard (voir par exemple Acte pour

amender les lois relatives aux cours de jurisdiction civile en première instance, dans le Bas-Canada, (1849) 12 Vic., c.

38, art. 23, 24, 56, etc.), mais les juges ont une certaine latitude pour décider s’ils seront appliqués strictement ou plus

souplement et l’exercent : voir à titre d’illustration Bell c. Knowlton, (1863) 13 L.C.R. 232, 233 (j. Monk) (C.S.); Ex

parte, Church, (1864) 14 L.C.R. 318, 319 (C.S.); Jersey c. Rowell, (1863) 13 L.C.R. 172, 174 (j. Meredith) et 175-176 (j.

Berthelot) (C.B.R.) ou Byrne c. Fitzsimmons, (1860) 10 L.C.R. 383, 384 (j. Taschereau) (C.S.). 437 T.J.J. Loranger, C.A. Pariseault, T.H. Oliver, «Avant propos» dans Travaux de la Commission de codification des

statuts sur les réformes judiciaires, supra note 266, p. 3-4. 438 Id., p. 4. 439 Voir par exemple S. Pagnuelo, supra note 381, page 98-100 (Onzième lettre); L.A. Jetté, L. Lorrain et W.A. Weir,

supra note 365, p. xiii. C’était pourtant ce que les commissaires avaient espéré éviter dans le Code (Dixième rapport des

Commissaires, 1866, supra note 7, p. x). 440 Premier rapport de la commission chargée de reviser et de modifier le Code de procédure civile du Bas-Canada, supra

note 7, p. 7 et 9. Ils citent notamment l’auteur Pierre-François Bellot, à propos des lois de procédure de Genève. 441 Voir notamment l’exposé en page 43. 442 Par exemple, l’augmentation de la population, l’amélioration et l’expansion des réseaux routiers et ferroviaires et des

communications durant le XIXe siècle et le début du siècle suivant désenclavent les communautés et accélèrent les

déplacements. Là où d’anciennes lois devaient prévoir plusieurs jours pour une réponse ou une comparution, ces délais

peuvent être réduits puisque les parties et avocats peuvent y répondre plus aisément, etc. Voir à cet effet G.-E. Cartier,

Page 113: L'évolution et la structuration des principes directeurs

103

de la fin du XIXe siècle tend de plus en plus vers la rationalisation et la productivité, héritées d’un

courant économique et industriel en pleine expansion. Est-il possible que cette réalité sociale

s’ajoute aux caractéristiques des causes et ait créé une impression accrue de lenteur dans leur

cheminement? Avec l’accélération des déplacements et du transport, l’urbanisation et l’expansion

relative des tribunaux, les membres de la communauté juridique perçoivent à tout le moins des

possibilités de réduire les délais et les frais des actions qui n’ont pas été anticipées à une époque

antérieure. Culturellement, il est possible, à nouveau, de définir la célérité et l’économie comme des

valeurs à ce stade de l’évolution de la société québécoise. Elles influencent l’appréhension du réel,

elles servent de cadre à des choix de politiques ou de comportements qui sont valorisés ou critiqués

selon leur conformité à ces standards.

Plusieurs auteurs proposent donc des mesures en faveur d’une limitation des coûts et des délais443,

bien qu’elles soient progressives. Dans l’ensemble, ces valeurs tendent à s’affirmer de plus en plus

et à intégrer à la fois la structure du Code et la pensée des juges. Ces valeurs sont aujourd’hui

reconnues comme formant la base d’un principe directeur de la procédure civile : la proportionnalité

des procédures444. Dans les faits, l’impact de celles-ci est parfois tel que la proportionnalité,

principe directeur qui est innommé, non reconnu et non codifié, peut être considérée comme un

principe directeur au stade latent à cause de l’adhésion importante de la communauté juridique aux

valeurs qui le sous-tendent445. Aucun avocat, auteur ou juge ne fait allusion directement à un tel

principe au XIXe siècle et au début du XXe siècle. Sa réalité se cantonne encore au stade des valeurs

qui, seules, pourraient peut-être avoir une désignation assez répandue à l’époque446. Ces valeurs

influencent potentiellement l’application de la procédure civile et son évolution, malgré l’absence

d’un vocable désignant spécifiquement la «proportionnalité» en matière de droit judiciaire.

Cette adhésion est surtout perceptible au moment de la révision du Code de procédure civile en

1897. Les commissaires sont particulièrement sensibles aux moyens qui leur paraissent susceptibles

discours sur l'organisation judiciaire du Bas-Canada, prononcé le 17 avril 1857 à l'Assemblée législative, dans J. Tassé,

Discours de Sir Georges Cartier baronnet accompagnés de notices, Montréal, Eusèbe Senécal et Fils, p. 121, 122-123.

Voir aussi, à titre d’exemple, P.-A. Linteau, R. Durocher, J.-C. Robert, Histoire du Québec contemporain, De la

Confédération à la crise, 1867-1929, Montréal, Boréal Express, 1979, p. 95, entre autres. 443 Par exemple, Siméon Pagnuelo dans ses lettres sur la réforme du système judiciaire en 1880, qui s’élève à plusieurs

reprises contre les pratiques déficientes et même le laxisme qui ralentissent la procédure. Voir particulièrement : S.

Pagnuelo, supra note 381, p. 86-96 (Dixième lettre). 444 Rappelons que selon la définition donnée au début du XXIe siècle, tant les actes de procédures autorisées par le juge

que celles que demandent ou qu’accomplissent les parties sont visées. 445 Il serait même possible de dire que l’adhésion à ses valeurs préfigure ou prépare l’émergence du principe directeur

codifié des décennies plus tard. 446 Voir par exemple, avec d’autres exemples déjà cités, L.-J. de la Durantaye, «L’abrégement des procès par la

suppression du serment lors des faits et articles», 11 R. du B. 365, 365-366. Ce texte s’appuie sur la valeur de célérité et

propose une sanction économique pour la décision de nier un fait dont la vérité est plus tard établie.

Page 114: L'évolution et la structuration des principes directeurs

104

d’augmenter l’efficacité de la procédure civile tout en diminuant les délais et les inconvénients pour

les justiciables, comme les coûts. Leur proposition, déjà signalée, d’abolir le système d’enquête tel

qu’il existe découle de cette pensée447. Cette mesure draconienne est accompagnée d’autres

suggestions plus modestes, mais qui tendent vers des buts communs et reposent sur les mêmes

valeurs. Certaines ont été adoptées. Parmi celles-ci, une règle qui tente de limiter le nombre de

témoins entendus dans le cadre d’une instance est énoncée pour la première fois dans le Code de

1897448. Cependant, l’angle d’approche est indirect. La règle veut qu’une partie faisant entendre

plus de cinq témoins pour prouver un même fait doive assumer elle-même les frais de témoignages

additionnels sur ce fait449. Les frais encourus pour l’audition de témoins excédentaires ne pourraient

pas être taxés contre son adversaire si elle devait gagner sa cause. Les commissaires ont initialement

envisagé de permettre aux parties de demander les frais liés à la présence de trois témoins prouvant

le même fait, afin de maintenir les frais des litiges dans des limites raisonnables450.

L’adoption de cette nouvelle mesure est significative, car elle illustre bien l’état de la réflexion sur

les valeurs et les principes directeurs inscrits dans la procédure civile au tournant du XXe siècle.

D’une part, la justification de la proposition dans le rapport des commissaires montre que la valeur

qu’est l’économie et l’intention de développer une procédure plus efficace motivent le choix des

auteurs. D’autre part, ceux-ci ne proposent pas une sanction prohibitive en elle-même pour en

assurer le respect. Il s’agit d’une mesure dissuasive basée sur une pression économique. La partie

reste seule maîtresse de son dossier et elle a toute latitude pour exposer entièrement le contenu de

celui-ci, mais elle est invitée avec insistance à choisir les témoins qui lui permettent de faire la

meilleure preuve. Ainsi, cette mesure qui s’inscrit dans un mouvement de pensée rappelant le

principe de la «proportionnalité» est modulée pour respecter le principe directeur implicite, mais

important à l’époque, de la maîtrise de son dossier par la partie451. Malgré leur importance, les

valeurs de célérité et d’économie, comme la recherche d’efficacité, n’ont pas réellement modifié

l’application des principes directeurs du contradictoire et du contrôle de leur dossier par les parties.

Cependant, elles œuvrent déjà à une meilleure prise de conscience des responsabilités des parties

447 Premier rapport de la commission chargée de reviser et de modifier le Code de procédure civile du Bas-Canada, supra

note 7, p. 8. 448 Id., p. 20. 449 Art. 337 C.p.c. L’article est inspiré, notamment, du Code de procédure civile français, où un article impose une limite

de cinq témoins sur un même fait (Premier rapport de la commission chargée de reviser et de modifier le Code de

procédure civile du Bas-Canada, supra note 7, p. 20; art. 281 C.p.c.f. (édition de 1914)). 450 Premier rapport de la commission chargée de reviser et de modifier le Code de procédure civile du Bas-Canada, supra

note 7, p. 20. Le rapport considère que cette mesure remédierait à ce que les commissaires nomment «un grave abus». 451 Il s’agit d’une décision appuyée sur les valeurs d’une époque et la perception des acteurs. Comme dans de nombreux

cas présentés ici, d’autres avenues auraient pu s’offrir, plus radicales (comme des sanctions prohibitives) ou ignorant

certains faits économiques au nom de la pureté du principe de contrôle du dossier par les parties qui auraient abouti à un

statu quo. Chacun de ces choix était de nature à influencer de manière différente le développement de la procédure civile.

Page 115: L'évolution et la structuration des principes directeurs

105

dans une saine administration de l’instance en imposant des conséquences au non-respect de ces

valeurs. Elles montrent aussi l’attention de certains juges quant à ces valeurs dans l’autorisation des

mesures permises, un autre aspect lié au principe de la proportionnalité.

La controverse sur la possibilité de rassembler des actions dans une même instance témoigne aussi

du développement des valeurs qui sous-tendent le principe directeur de la proportionnalité. Le Code

de procédure civile de 1897 introduit deux nouveaux articles qui permettent de regrouper des

actions durant l’enquête et l’audition. Plusieurs auteurs attribuent l’origine de ces nouveaux articles

à un emprunt aux règles de la Cour de l’Échiquier du Canada, en matière maritime452, mais des

magistrats soulignent que cette pratique a été reconnue par la doctrine et la jurisprudence au moins

depuis 1865453. Bien que l’article 290 C.p.c. soit clairement introduit lors de la révision de 1897, le

juge Bruneau affirme que cette pratique existait sous le premier Code, même en l’absence de texte

pour en consacrer le droit. Il retrace son origine jusqu’à une règle de l’Ordonnance de 1667454.

Certains juges de la Cour du Banc de la Reine ont reconnu la légitimité de cette pratique avant

l’adoption du Code révisé. L’exercice de la discrétion judiciaire dans la suspension des procédures

ou l’instruction simultanée d’actions exprime bien, selon eux, l’esprit de la loi qui vise à réduire le

nombre de litiges, «surtout entre les mêmes parties»455. L’idée que la jonction d’actions sert «les

fins de la justice» est d’ailleurs répétée par d’autres magistrats456, que cette jonction soit faite du

consentement des parties, sur demande de l’une des parties, ou d’office. L’article 291 C.p.c.

n’oblige pas explicitement le juge à obtenir le consentement des parties, son pouvoir comprend une

marge de discrétion. Nous pouvons inférer de l’interprétation proposée au texte à l’époque que la

décision est laissée à l’appréciation du juge de première instance. Les juges de la Cour du Banc du

Roi préfèrent éviter d’intervenir dans un tel contexte457, en l’absence de préjudice causé à l’une ou

l’autre des parties458. Ils respectent ainsi la discrétion du premier juge dans l’évaluation de cette

question. Si l’une des parties présente une motion pour réunir deux causes entre les mêmes parties,

452 P. Ferland, Traité, supra note 190, p. 63; Watt & Scott, Ltd. c. City of Montreal, [1920] 60 R.C.S. 523, 534 (j. Brodeur,

dissident). 453 Watt & Scott, Ltd. c. Montreal (City of), [1920] 60 R.C.S. 523, 534 (j. Brodeur, dissident). 454 St-Aubin c. Lamarre (1919), 20 R.P. 389, 399. 455 Chrétien c. Crowley, (1882) D.C.A. (Dorion) 385, 387 et 388 (j.e.c. Dorion). 456 Par exemple Lafortune c. Dubois (1938), 41 R.P. 434, 435 (C.S.) (j. Savard) et Meunier c. St.-Jean (1905), 7 R.P. 62,

63 (C.S.) (j. Davidson). Dans Watt & Scott, Ltd. c. Montreal (City of), [1920] 60 R.C.S. 523, 532 (j. Brodeur, dissident), il

semble que le juge tente d’éviter les frais, ce qui abonde implicitement dans le même sens que les autres décisions. 457 North American Life Ass. Co. c. Lamothe (1905), 7 R.P. 177, 178 (j. Hall, en chambre). Selon lui, la seule conséquence

sera que le demandeur ne pourra pas faire la dernière adresse au jury qu’il pouvait escompter faire si son action séparée

était maintenue. Il manifeste sa confiance que le juge de première instance protégera ses droits même dans le cadre d’une

action jointe. 458 Lafortune c. Dubois (1938), 41 R.P. 434, 435 (C.S.) (j. Savard). Dans Théâtre Moderne Limitée c. Trudeau, [1948]

R.P. 423, 427 (j. Trahan, C.S.), le juge montre en quoi la décision sera favorable aux parties : économie de temps et de

frais, ce qui servira leurs intérêts et ceux de la justice. Voir aussi Evans c. Evans, (1889) 5 M.L.R.(S.C.) 414, 415 (j.

Pagnuelo).

Page 116: L'évolution et la structuration des principes directeurs

106

cette motion peut être rejetée si la réunion est inutile et si elle a pour effet de retarder l’instruction

de la cause459. Cette discrétion confère un pouvoir de gestion de l’instance et du temps de la Cour au

juge de première instance.

La tentative de diminuer le nombre d’instances en entendant simultanément plus d’une cause n’est

pas nouvelle. Les Codes ont toujours permis le cumul de causes d’actions dans des circonstances

bien précises460. Les droits des parties de contrôler la preuve, de faire entendre des témoins et de

s’objecter ne leur sont pas retirés par mesure d’économie461. L’influence de principes directeurs

comme le contradictoire et le contrôle de son dossier par la partie façonne aussi le développement

des valeurs d’économie et de célérité, et même le discours sur l’efficacité.

Des besoins différents des parties et du système judiciaire peuvent aussi être comblés par des

initiatives qui ont un objectif d’économie et d’efficacité. La suggestion de permettre «que plusieurs

personnes puissent se grouper pour demander ce qu’un même individu doit à chacune d’elles,

lorsque les droits réclamés découlent de la même cause d’action»462 est faite lors des consultations

préalables à l’avant-projet de Code de procédure civile au milieu des années 1940. Le commissaire

accepte d’introduire cette suggestion dans son rapport463, puisqu’il affirme avoir pu juger du succès

de mesures similaires ailleurs464. Les arguments principaux énumérés en faveur de cette mesure

s’appuient sur le fait que le nombre d’instances diminue et qu’il en va de même pour le nombre

d’enquêtes, les dépens sont réduits et les dangers d’interprétations multiples de situations similaires

sont amoindris465. Dans l’ensemble, cette mesure a une grande influence sur l’économie dans le

cadre des instances et dans la perspective du système judiciaire en général. Les tribunaux eux-

mêmes mentionnent les avantages de mesures ayant des effets similaires466. Elle traduit aussi

l’importance attachée à la notion d’efficacité des mesures employées, tant dans la perspective du

fonctionnement de ce système que dans la perspective de la stabilité du droit. Le commissaire

459 Evans c. Evans, (1889) 5 M.L.R.(S.C.) 414, 415 (j. Pagnuelo). Dans cette cause, le juge se réserve le droit de réviser la

pertinence de réunir les causes, si les circonstances changent (i.e. si les meubles dont il est question sont vendus par

licitation plutôt que partagés en nature comme c’est le cas au moment du jugement). 460 Art. 15 C.p.c. (1867); art. 87 C.p.c. (1897) : lorsque ce cumul n’est pas défendu par une autre disposition, que les

poursuites ne sont ni incompatibles ni contradictoires, qu’elles tendent à des condamnations de même nature et peuvent

être instruites par le même mode d’enquête. 461 Voir par exemple Quebec Central Railway Company (The) c. Dionne (1901), 4 R.P. 424, 426 (C.B.R.). Dans un

contexte différent, voir Dion ès-qual. c. Dion ès-qual., (1910) 37 C.S. 84, 89-90 (C.R.) (j. Langelier) : une fois les mis-en-

cause joints à l’action, l’enquête aurait dû être reprise pour qu’ils y participent et s’objectent s’il le fallait. 462 A. Désilets et G. Trudel, supra note 406, p. 13. 463 Id., p. 13-14. 464 Id., p. 14. Le texte cite l’Angleterre et les États-Unis. 465 Id., p. 13-14. 466 Aucun préjudice ne serait causé à la partie contre laquelle une telle action est entamée : elle se défend contre un

nombre réduit d’actions et s’expose à payer des frais beaucoup moins importants, selon un juge : Lussier c. Cité de

Montréal (La) (1919), 21 R.P. 277, 279 (C.S.) (j. Duclos). Il s’agit du cas de plusieurs consommateurs tous reliés à des

égouts, mais dans différentes rues.

Page 117: L'évolution et la structuration des principes directeurs

107

propose même un rapprochement entre cette procédure avec la réunion d’actions pour enquête et

audition, un moyen connu et déjà employé par les tribunaux, pour démontrer que cette évolution de

la pratique ne serait pas sans fondement et sans analogie dans la procédure civile québécoise467.

L’importance attachée à la continuité dans la loi initiatrice de la réforme à la révision de la

procédure civile explique que ce fait soit mis en exergue.

Dans ce contexte, force est de constater que certains juges adhèrent facilement aux valeurs qui sous-

tendent ce qui sera identifié plus tard comme le principe directeur de la proportionnalité en matière

de procédure civile. Ils sont prêts à reconnaître la responsabilité des parties dans ce domaine. La

répartition de l’adhésion à ces valeurs n’est pas égale entre tous les juges. La sanction du non-

respect de celles-ci par les parties n’est pas toujours possible. L’introduction d’une limite au

nombre de témoins entendus sur un même fait indique qu’une grande liberté d’appréciation est

laissée aux parties dans ce domaine.

Quelques magistrats sont pourtant plus sensibles que d’autres aux questions d’économie et

d’efficacité. Le juge Stein de la Cour supérieure adopte parfois un moyen procédural plutôt qu’un

autre sur la base de considérations économiques, dans certaines circonstances et pour mettre en

œuvre les dispositions adoptées par le législateur468. L’explication de la pensée de ce magistrat en la

matière, bien qu’appuyée sur le Code et la jurisprudence, ne fait pas une concession formaliste aux

règles du Code de procédure civile. Après avoir considéré les décisions de procédure faites dans

l’affaire et avoir envisagé la «ligne de démarcation» floue entre deux formes de procédures

existantes dans ce cas, il conclut cependant que «chaque partie doit toujours adopter la procédure la

plus économique pour soumettre ses prétentions»469. Comme cet extrait le prouve, le développement

de ces valeurs porte une partie des magistrats à les considérer comme des balises de leur application

du Code de procédure civile. Ces juges commencent à édifier implicitement le statut de la

proportionnalité à titre de principe directeur. Ils démontrent aussi une sensibilité aux coûts des actes

procéduraux qu’ils autorisent, malgré la responsabilité explicitement attribuée à la partie de faire le

choix le plus économique selon les circonstances de chaque cause.

Cette attitude n’est pas encore généralisée. L’importance du principe du contrôle de leur dossier par

les parties et les règles du Code restreignent leurs options d’intervention. Le juge de première

instance est limité par sa fonction judiciaire. Il possède des pouvoirs définis dans plusieurs cas et il

n’est pas libre d’agir comme un avocat ou de protéger les parties des aléas de leurs mauvaises

467 Id., p. 13. 468 Labonté c. Southern Canada Power Company, Ltd. (1928), 31 R.P. 157, 158-159 (C.S.). 469 O’Connor c. Marin (1926), 29 R.P. 323, 326 (C.S.).

Page 118: L'évolution et la structuration des principes directeurs

108

décisions. De plus, il ne peut pas juger au-delà des conclusions proposées par les parties, quelque

difficulté qu’il puisse anticiper par la suite. Le juge Girouard le rappelle au nom de la Cour suprême

à propos d’un jugement où le magistrat a tenté de vider entièrement le litige. Il déclare donc :

We fully realise (sic) the desire of the learned judge to put an end to a very expensive

litigation, but to do so there must be a proper issue between the parties, that is, an

action by one or other of the parties to have the various accounts and claims between

them adjusted and settled after the completion of the work. Two witnesses were

examined to establish the value of the work remaining to be done, but this was done

only incidentally in support of the allegation of the defence that the work had not been

completed. The evidence was never intended to establish the claim of the appellant for

expenses in finishing the work or liquidated damages under the contract470.

Cette explication illustre bien l’intégration d’une valeur telle que l’économie ou d’un idéal comme

l’efficacité dans la pensée des magistrats de l’époque, ainsi que l’influence que cette intégration

exerce potentiellement sur leurs décisions. Cependant, elle démontre aussi que les valeurs en

question sont sujettes à l’application des règles procédurales, qu’elles ne peuvent s’exprimer qu’à

travers des limites étroites. Leur émergence sous la forme de principe directeur qui oriente la

procédure civile n’est pas complète. Pourtant, ces valeurs trouvent des moyens d’expression

différents et peuvent avoir des conséquences marquantes.

Cependant, le principal moyen d’action des tribunaux dans ce domaine repose sur le contrôle des

frais. Cette réalité se perpétue durant une bonne partie de la période étudiée. Le degré d’adhésion

des magistrats aux valeurs qui sous-tendent le principe directeur de la proportionnalité ne leur

confère pas de moyens d’action autres que ceux qui existent déjà dans le Code. Les juges prennent

parfois l’initiative de commenter les coûts de l’action ou assujettissent une partie au paiement des

frais en exprimant l’espoir que les parties fassent preuve d’un peu plus de discipline en matière de

choix procéduraux dans certaines circonstances471. Des magistrats, notamment des juges de la Cour

suprême, déplorent ouvertement l’acharnement procédural de parties au regard de la valeur et de

l’importance générale des causes en litige472. De même, les juges doivent prendre en considération

les délais occasionnés par les actes de procédure demandés avant de les accorder, surtout s’ils l’ont

été dans le but de gagner du temps473. Les restrictions à leur intervention dans l’instance, à la fin du

470 Whiting c. Blondin, (1904) 34 R.C.S. 453, 458 (j. Girouard). 471 Coghlin c. Fonderie de Joliette (La), (1904) 34 R.C.S. 153, 159 (j. Girouard); Hébert c. School Commissioners of St-

Félicien, (1921) 62 R.C.S. 174, 185 (j. Mignault); Côté c. Corporation of the County of Drummond (The), [1924] R.C.S.

185, 195 (j. Mignault); Audette c. O'Cain, (1908) 39 R.C.S. 103, 112 et 119-120 (j. Girouard, dissident). 472 Hébert c. School Commissioners of St-Félicien, (1921) 62 R.C.S. 174, 185 (j. Mignault); Audette c. O'Cain, (1908) 39

R.C.S. 103, 112 et 115 (j. Girouard, dissident); Couture c. Couture, (1904) 34 R.C.S. 716, 716-717 (j. Girouard); Coghlin

c. Fonderie de Joliette (La), (1904) 34 R.C.S. 153, 159 (j. Girouard). 473 Fontaine c. Payette, (1905) 36 R.C.S. 613, 615-616 (j.e.c. Taschereau). Voir aussi S. Pagnuelo, supra note 381, p. 96

(Dixième lettre), où l’auteur dénonce la stratégie consistant à insister sur le respect scrupuleux de la procédure civile afin

Page 119: L'évolution et la structuration des principes directeurs

109

XIXe et au début du XXe siècle, ne permettent pas une action plus stricte. En revanche, des juges

ont parfois qualifié de manière sévère les décisions procédurales d’une partie qui, sciemment, ne

tente pas de minimiser les frais d’une instance, notamment en application de l’article 87 C.p.c.474. Il

est juste de souligner que certains plaideurs ont à cœur de maintenir les délais et les frais dans des

limites raisonnables; ces tentatives sont parfois signalées475. Parmi ceux qui espèrent une réforme de

la procédure civile, plusieurs avocats demandent que les dossiers soient tranchés avec justice et

célérité476, que les moyens procéduraux soient plus simples, moins coûteux et mieux adaptés à la vie

moderne477, un signe que ces valeurs se rejoignent et ont de l’importance pour le monde judiciaire.

De plus, les magistrats adoptent parfois de façon concertée des comportements qui tendent à

promouvoir la célérité et l’efficacité, notions qui font l’objet de leurs réflexions. La jurisprudence

fait état de pratiques adoptées par les divers tribunaux pour accélérer le déroulement des instances

en général. Ces pratiques s’inscrivent quelquefois dans le cadre de règles de pratique478. D’autres

sont réitérées de manière généralisée par l’ensemble des tribunaux. Par ailleurs, dans le cadre d’un

article sur les dépens, il est expliqué que la partie qui obtient gain de cause dans un procès, mais qui

a sans nécessité étiré l’instance par ses décisions procédurales, n’aura pas droit à tous les dépens479.

Ceux-ci seront limités et parfois, le juge n’en accordera pas480. L’auteur cite d’ailleurs avec

approbation un jugement du juge Stein, déclarant que «les tribunaux doivent décourager les

plaideurs de tendre des pièges à leurs adversaires, et de les entraîner dans des frais considérables et

inutiles, par leur omission de leur dénoncer, dès le début, des moyens péremptoires»481. Ce

jugement est présenté par le juge Stein en s’appuyant sur des précédents issus de la Cour du Banc

de retarder la cause et d’obtenir du délai. Considérer Travaux de la Commission de codification des statuts sur les

réformes judiciaires, supra note 266, p. 4. 474 «J’admets cela; mais ce que je n’admets pas, c’est que le demandeur, après avoir laissé passer l’échéance de la créance

relative à un premier char, comme il l’a fait, et avoir attendu, pour exercer cette créance au moyen d’une action, un délai

assez long pour qu’une deuxième créance, relativement à un deuxième char devint exigible, puisse, alors, multipliant les

frais sans excuse légitime, prendre deux actions séparées pour faire valoir ces deux créances, qui, d’après moi, n’en

forment plus, alors, qu’une seule, indivisible, en vertu de ce même contrat». Silesse c. J.W. MacDonald, (1929) 35

R.L.n.s. 139, 152 (C.S.) (j. Stein). Toutefois, le juge croit que le demandeur présente des demandes légitimes, demandes

qu’il a l’intention d’accorder. Il applique donc l’article 87 C.p.c. pour séparer les frais (p. 155-158) et le demandeur

«devra supporter comme frais inutiles» (p. 157) un montant couvrant le bref, la signification et le rapport de la seconde

action. Les autres frais, qui auraient été payés de toute façon pour une action unique, sont taxés au défendeur. Dans ce cas,

le juge s’autorise à sanctionner le comportement procédural du demandeur. 475 Breakey c. Corporation of the Township of Metgermette North, (1920) 61 R.C.S. 237, 245 (j. Brodeur). Dans ce cas,

des administrateurs essaient d’éviter des frais d’enquête. 476 Il s’agit d’un rapport présenté au congrès du Barreau sur les déboursés et frais judiciaires. A. Taschereau,

communication dans le cadre du Congrès du Barreau, rapportée à (1944) 4 R. du B. 84, 84. 477 Id., p. 85-86. 478 Selon 73 C.p.c. (1897), les Cours peuvent adopter des règles de pratique nécessaires à la mise en application des

dispositions du Code. 479 G.S. Challies, «Les frais», dans P. Ferland, Traité, supra note 190, p. 573. Le juge Challies a également été professeur

de procédure civile à l’Université McGill. 480 Id., p. 574. 481 St-Pierre c. St-Jérôme de Matane, (1933) 39 R.de J. 458, 468 (C.S.).

Page 120: L'évolution et la structuration des principes directeurs

110

du Roi, de la Cour de révision et de la Cour supérieure. La citation retenue indique à la fois

l’importance de la question du contrôle des coûts, de la bonne foi des parties dans le contrôle de

leur dossier et du rôle confié au tribunal pour aider à réaliser ces objectifs. Il se développe aussi des

façons de pratiquer le contrôle du temps et des coûts à l’échelle locale. Elles sont limitées à un

district judiciaire, mais reconnues dans celui-ci482. Elles tiennent plutôt de la coutume, car elles ne

sont pas nécessairement reconnues par une règle de pratique en bonne et due forme. Le législateur a

aussi prévu des aménagements483. Ceci nourrit la réflexion sur la possibilité réelle de

l’autorégulation par les parties de la longueur de leur dossier et des coûts qu’ils engendrent. Nous

pouvons suggérer que les acteurs du système judiciaire de l’époque sont au fait des obstacles

rencontrés par cette philosophie. Cependant, leur prise de conscience progressive de l’échec de cet

espoir d’autorégulation ou d’atteinte de la célérité idéale peut avoir eu une influence sur plusieurs

phénomènes. Parmi ceux-ci se trouveraient notamment l’adhésion à un accroissement partiel du rôle

du juge et à une pensée qui fait une place de plus en plus importante à des valeurs qui se

rapprochent des bases d’un principe directeur de proportionnalité.

L’interaction de ces valeurs reconnues avec les principes directeurs de la procédure comme le

principe du contradictoire et celui du contrôle de leur dossier par les parties présente plusieurs

facettes. D’une part, comme cet exposé l’a établi, les liens entre la responsabilité des parties en

matière procédurale et l’obligation de respecter une certaine discipline en matière de gestion du

temps et des coûts prennent forme. D’autre part, l’influence des principes directeurs se manifeste

aussi dans la réflexion sur les divers moyens procéduraux mis à la disposition des parties à travers

les règles du Code. Ceci prévaut tant lors de la modification d’anciens moyens que lors de

l’adoption de nouveaux, souvent perçus comme plus pratiques, plus rapides, plus adaptés aux

réalités de la société et d’une instance bien gérée. Notons que ces innovations, même lors de la

réforme de 1897, ne font pas l’unanimité.

Dans l’ensemble, cette étude témoigne d’un développement des valeurs et idées qui participeront

plus tard à la définition du principe directeur de la proportionnalité. Ceci accrédite l’hypothèse

d’une reconnaissance progressive de leur importance durant la période. Ces valeurs de célérité et

d’économie, ainsi que les tentatives basées sur une conception de l’idéal d’efficacité, participent

482 Pour des exemples de jugements mentionnant l’existence et expliquant le fonctionnement de telles pratiques, voir

notamment Larivière ès-qual. c. Boucher (1939), 43 R.P. 292, 293 (C.S.) (j. Duranleau) ou Eastern Townships Bank c.

Swan, (1899) 29 R.C.S. 193, 199 (j. Girouard). 483 Par exemple, l’article 294a C.p.c. (introduit par la Loi concernant l’instruction des causes dans le district judiciaire de

Montréal, (1950-51) 14-15 Geo. VI, c. 67, art. 1) permet au juge en chef et au juge en chef adjoint de la Cour supérieure

de Montréal, entre mars 1951 et septembre 1954, d’ordonner la préparation de rôles spéciaux pour les causes continuées

sine die ou référées au maître des rôles, ou pour une partie d’entre elles.

Page 121: L'évolution et la structuration des principes directeurs

111

également à l’élaboration d’un discours sur la procédure civile. En discutant de sa nature, un auteur

affirme que la procédure civile est un des éléments essentiels de la philosophie du droit. Elle permet

au plaideur d’obtenir ce qu’il revendique : «[e]t c’est pourquoi, pour demeurer juridique, elle devra,

souple en tout, être sans cesse "proportionnée à la fin" même recherchée»484, conclut-il, glissant

même dans son texte une allusion à la souplesse dont il souhaite voir la procédure civile être dotée

et rejetant ainsi son application formaliste. Cette intégration au discours doctrinal tend à valider

l’hypothèse de l’ancienneté des racines de ce principe directeur. Cependant, l’identification du

moment de l’émergence du principe directeur en devient plus insaisissable. Le principe directeur de

la proportionnalité existe au stade latent, selon notre classification, et son influence se traduit par le

recours à des valeurs fondamentales qui participent à sa définition. L’acceptation formelle de ces

valeurs s’avère largement antérieure à son accession au rang de principe directeur.

2.3.2. L’apparition de la conciliation, un événement éphémère?

Le développement d’un principe directeur, nous l’avons mentionné, peut se dérouler de nombreuses

façons. Ce qui a été défini dans le cadre de cette thèse comme le «principe directeur de la

conciliation» présente un schéma d’évolution particulier entre 1867 et 1965.

Les manifestations d’un esprit de conciliation : 1867-1899

L’idée de la conciliation connaît un développement unique au XIXe et au début du XXe siècle.

Nombre d’auteurs et de contemporains affirment qu’au XIXe siècle, l’ensemble de la procédure

judiciaire a pour but de fixer les règles et le déroulement juste et équitable des procès, alors que

celui-ci semble perçu comme un véritable duel opposant les parties et arbitré par un juge neutre485.

L’idée de la conciliation ne correspond pas à cette définition. Elle repose sur le dialogue et la

négociation. Pourtant, la conciliation suscite un intérêt réel et peut être considérée comme une

«valeur» pour une partie des acteurs du monde judiciaire avant 1920. Le discours de ceux qui

participent au mouvement en faveur de la conciliation est en effet typique d’une adhésion à un

système axiologique. Il s’appuie sur quelques éléments idéologiques partagés, il identifie et promeut

certains comportements souhaitables et préférables, cohérents avec ces éléments. Cette valeur,

puisque le terme résume la situation, a trouvé moyen de s’exprimer dans le domaine judiciaire.

484 G. Favreau, «Procédure civile : Délais injustes – Procédures contre des femmes mariées», (1942) 2 R. du B. 325, 325. 485Ainsi, en guise de préambule à l’ouvrage de G. Doutre, P.R. LaFrenaye, fait référence à l’image du duel judiciaire (voir

P.R. LaFrenaye, «Préface», dans G. Doutre, Les lois de la procédure civile, Tome 1, supra note 5, p. viii). D’ailleurs, cette

perception n’est pas limitée au XIXe siècle : en discutant du projet de Code qui entrera en vigueur en 1966, Gérard Lemay

indique que «pour peu que ces dispositions et autres analogues soient interprétées dans l'esprit qui les a animées, l'on

cessera vite de dire chez-nous que la justice civile est (p. 26) une "affaire de technicalité", un "duel astucieux", un

véritable jeu de hasard"». G. Lemay, Pour la suite du monde judiciaire et semi-judiciaire, En marge du Bill 20 (Code de

procédure civile), Québec, Faculté de droit, Université Laval, Novembre 1964, p. 25-26 (inédit) [G. Lemay, Pour la suite

du monde judiciaire et semi-judiciaire].

Page 122: L'évolution et la structuration des principes directeurs

112

La conciliation ne s’impose pas dans un milieu étranger aux accords, car des ententes entre parties

potentielles ont existé avant la codification. La pratique se poursuit dans la seconde moitié du XIXe

siècle. Malheureusement, il est impossible de mesurer l’ampleur du phénomène dans le cadre de

cette thèse, notamment parce que les sources et outils de recherche choisis ne le permettent pas.

Seules les ententes conclues dans des conditions difficiles et débouchant sur une conclusion peu

satisfaisante sont accessibles dans ce contexte. Parfois, les ententes conclues pour éviter l’instance

donnent naissance à d’autres litiges. En considérant le domaine du droit de la famille, par exemple,

il appert que des parties négocient parfois une solution sans se référer à des avocats ou à des

notaires. À d’autres moments, les accords sont conclus avec le concours de ceux-ci. En revanche,

ceux qui les ont contractées ne perçoivent pas toujours que de telles ententes sont à l’avantage

mutuel des deux parties486. Pourtant, la jurisprudence révèle des cas où les parties expriment en

Cour leur espoir de régler leur différend à l’amiable487. Elles jugent parfois profitable de souligner

qu’elles ont toujours coopéré pour trouver un résultat à la satisfaction de tous488. Cette ouverture

influence parfois la taxation des coûts. De plus, nous avons vu que les parties qui évoluent dans le

cadre judiciaire peuvent aussi juger utile de s’entendre, notamment sur l’application de certaines

règles procédurales489 afin d’alléger ou d’accélérer l’instance. De même, les parties peuvent penser

à faire des admissions, autre moyen qui peut alléger les frais du litige490 ou, dans certains cas,

permettre de le régler de manière plus consensuelle.

La conciliation en elle-même devient parfois avantageuse pour les parties, avec l’aide des

magistrats. Le Comité judiciaire du Conseil privé en offre quelques illustrations. C’est le cas dans

l’affaire Brown c. Le curé et les marguilliers de l’œuvre et fabrique de Notre Dame de Montréal,

plus connue sous son nom populaire d’«Affaire Guibord». Plusieurs juges décident, dans certaines

circonstances, de prêcher la tolérance, l’entente et la réconciliation entre les parties. C’est le cas

dans cette cause qui leur semble présenter un triste exemple de conflit entre le clergé montréalais et

les membres laïcs de l’Institut Canadien. Ils tentent cependant d’encourager un dialogue futur entre

les parties.

486 En relatant les faits, les juges font parfois ressortir cet aspect : King c. Pinsoneault, (1875) 6 L.R.P.C. 245; Chartrand

c. Tremblay, [1958] R.C.S. 99, 103 (j. Taschereau). 487 Grand Trunk Railway Company c. McAlpine, [1913] A.C. 838, 841 (Lord Atkinson). Voir aussi Beaudry c. Barbeau,

[1900] A.C. 569, 576 (Sir Henry Strong). 488 Beaudry c. Barbeau, [1900] A.C. 569, 576 (Sir Henry Strong). Dans ce cas, puisqu’il s’agit de l’interprétation du

testament, le juge exprime l’opinion que les frais devraient être payés à même la succession et taxés «as between solicitor

and client». 489 Giguère c. Glazier, [1965] R.C.S. 393; Christin c. Lafontaine (1902), 5 R.P. 198 (C.S.); Progress Furniture

Manufacturers Limited c. Eastern Furniture Limited, [1960] R.C.S. 116. Dans ce dernier cas, la preuve ne pouvant être

faite, l’entente alléguée est rejetée. 490 Breakey c. Corporation of the Township of Metgermette North (The), (1920) 61 R.C.S. 237, 345 (j. Brodeur).

Page 123: L'évolution et la structuration des principes directeurs

113

If, as it was suggested, difficulties should arise by reason of an interment without

religious ceremonies in the part of the ground to which the mandamus applies, it will

be in the power of the ecclesiastical authorities to obviate them by permitting the

performance of such ceremonies as are sufficient for that purpose, and their Lordships

hope that the question of burial, with such ceremonies, will be reconsidered by them,

and further litigation avoided.491

L’intervention d’une Cour produit cependant de meilleurs effets si les parties entreprennent elles-

mêmes le processus de discussion. De nouveau, le Comité judiciaire du Conseil privé en offre une

illustration majeure dans une cause québécoise portant sur une question d’indemnisation. Celle-ci

est due à une dame dont l’époux est décédé des suites des blessures infligées par un convoi de la

«Grand Trunk Railway Company»492, aussi connue des francophones sous le nom de la compagnie

du «Grand Tronc». Dès l’audience, les Lords sont enclins à infirmer le jugement de première

instance, estimant que les instructions données au jury par le juge étaient erronées. Les parties font

comprendre aux Lords présents qu’elles n’apprécient pas la perspective d’un nouveau procès. En

réalité, elles préféreraient conclure une entente à l’amiable. Une seule difficulté les sépare de cet

accord. La compagnie du Grand Tronc affirme que les directives données au jury lors du premier

jugement lui imposent des obligations telles qu’elles entraveront à l’avenir la bonne conduite de ces

affaires. Elle voudrait donc que les Lords consentent à donner leur opinion sur ces directives. Les

Lords se montrent ouverts à ce moyen de favoriser la conciliation entre les parties. Lord Atkinson

relate que les Lords ont assuré aux appelants qu’ils étaient prêts à agir selon leur suggestion493. Par

conséquent, les parties ont conclu un accord et, au moment du jugement, il ne reste aux Lords qu’à

exprimer leur opinion au sujet des directives en cause494. L’opinion du Comité judiciaire sur ces

instructions est ensuite exposée. Cette démarche donne un exemple d’attention aux besoins des

parties et d’ouverture à un règlement du conflit différent d’un second procès. Le rédacteur du

jugement semble considérer qu’il est tout naturel pour le Comité judiciaire du Conseil privé de faire

cette démarche. Du moins, il ne souligne pas que cette demande paraisse inhabituelle, et il ne

mentionne aucune opposition ou discussion parmi les Lords pour acquiescer à celle-ci. Par ailleurs,

ce même rédacteur se garde bien de suggérer aux juges des cours canadiennes de s’impliquer

491 Brown c. Curé et marguilliers de l’œuvre et fabrique de Notre Dame de Montréal (Les), (1874-1875) 6 L.R.P.C. 157,

219-220 (Sir Robert Phillimore). Cette recommandation de conciliation entre les parties, l’Institut Canadien (qui a repris

l’affaire au décès de Mme Brown) et l’Église catholique, n’a sans doute pas porté ses fruits. En effet, le litige a

effectivement été conclu par la décision des Lords et Joseph Guibord a bien été inhumé dans le cimetière de la Côte-des-

Neiges. Cependant, l’évêque montréalais du moment, Mgr Ignace Bourget, adhère à l’idéologie ultramontaine et défend

avec vigueur la primauté de l’Église sur le pouvoir temporel. Ses conceptions ne lui permettent qu’une ligne d’action dans

cette affaire : il déclare donc le lieu de sépulture interdit et à jamais séparé du cimetière. J.-R. Rioux, «Guibord, Joseph»,

Dictionnaire biographique du Canada, vol. IX, Toronto/Québec, Presses de l’Université de Toronto/Presses de

l’Université Laval, 1977, p. 377-378. P. Sylvain, «Bourget, Ignace», dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. XI,

Toronto/Québec, Presses de l’Université de Toronto/Presses de l’Université Laval, 1982, p. 103-115. 492 Grand Trunk Railway Company c. McAlpine, [1913] A.C. 838. 493 Grand Trunk Railway Company c. McAlpine, [1913] A.C. 838, 840 (Lord Atkinson). 494 Ibid.

Page 124: L'évolution et la structuration des principes directeurs

114

activement dans la conciliation. Il est vrai que la procédure de ce tribunal est beaucoup moins stricte

que celle des tribunaux canadiens495. Ces deux exemples montrent que dès le XIXe siècle, les parties

peuvent souhaiter des règlements autres qu’un procès à leurs difficultés de nature juridique.

L’intérêt législatif pour la conciliation reste assez discret durant le XIXe siècle dans les lois touchant

la procédure civile. Cette retenue n’illustre pas pour autant un désintérêt pour la question496. Des

mesures favorisant la conciliation dans des circonstances précises accompagnent la première

révision du Code de procédure civile. Les troisième et quatrième rapports de la commission

prévoient qu’un amendement497 devra être fait au Code civil par l’ajout de l’article 504a. Cet article

prévoit que le bornage peut être déterminé par consentement mutuel des propriétaires voisins ou par

une action en bornage devant la Cour. Dans cette dernière éventualité, elle a toute discrétion pour

l’attribution des frais. En effet, jusque-là, un second courant de jurisprudence existait soutenant

qu’il y avait lieu au partage des frais entre les parties dans toutes les actions en bornage498. Les

membres de la commission de révision perçoivent une injustice au regard d’une partie prête à se

plier à un bornage, ou une partie dont les prétentions sont justifiées et à laquelle ils espèrent ainsi

mettre fin. Cette proposition encourage le développement des valeurs liées à la conciliation dans un

domaine où leur application peut être relativement bénéfique. L’article 504a est introduit au Code

civil à la fin du XIXe siècle499. La loi modifie également l’article 504 C.c.B.C. qui prévoit que tout

propriétaire peut obliger son voisin au bornage de propriétés contiguës, et que les frais sont alors

partagés.

Le statut de la conciliation et la loi de 1899

495 S. Pagnuelo a exposé brièvement le fonctionnement de cette instance. L’avocat résume la nature de la contestation et,

avec les Lords du Comité judiciaire du Conseil privé, lit les pièces importantes de la contestation (demande, défense, etc.).

Il résume aussi les questions de fait et de droit. Il présente d’abord les questions de fait, l’avocat de la partie adverse agit

de même. Les juges délibèrent ensuite sur les questions de fait, en présence des parties. L’exercice est fait également à

propos des questions de droit. Les parties et le public ne sont appelés à se retirer temporairement que si les Lords

souhaitent délibérer en privé sur les termes de la sentence. Selon l’auteur, les délibérés qui demandent une suspension de

plusieurs jours sont rares. S. Pagnuelo, supra note 381, p. 112-113 (Douzième lettre). 496 Dans les procédures en bornage, selon les commissaires, le débat sur la répartition des coûts selon qu’il y a eu entente

ou nécessité d’intervention de la Cour précède l’adoption du Code de 1867 et a continué depuis celle-ci, Troisième

rapport de la commission chargée de reviser et de modifier le Code de procédure civile du Bas-Canada, supra note 7, p.

xxxi-xxxii. D’autres discours contemporains illustrent l’intérêt pour la conciliation, mais il s’agit souvent d’intérêts

individuels, voir par exemple une remarque sur le sujet compilée dans : L.A. Jetté, L. Lorrain et W.A. Weir, supra note

365, p. vi. 497 Troisième rapport de la commission chargée de reviser et de modifier le Code de procédure civile du Bas-Canada,

supra note 7, p. xxxii-xxxiii; Quatrième rapport de la commission chargée de reviser et de modifier le Code de procédure

civile du Bas-Canada, supra note 7, p. lxxxvii. 498 Voir l’explication de la question du double courant jurisprudentiel et la prise de position des commissaires : Troisième

rapport de la commission chargée de reviser et de modifier le Code de procédure civile du Bas-Canada, supra note 7, p.

xxxii-xxxiii. 499 Loi amendant le Code civil, (1897) 60 Vic., c. 50, art. 17.

Page 125: L'évolution et la structuration des principes directeurs

115

La principale manifestation de l’émergence d’une idée de conciliation en matière de procédure

civile prend naissance dans le domaine politique et se traduit par une loi. En 1899, la législature de

la province de Québec adopte la Loi concernant la conciliation500. Dès l’abord, le législateur

désigne ainsi la conciliation comme une idée porteuse qui permet d’orienter la pratique du droit. Un

examen approfondi de la Loi concernant la conciliation démontre que la conciliation présente déjà

quelques traits qui préfigurent son rôle de principe directeur. Le nom qui lui sera attribué une

centaine d’années plus tard est déjà annoncé par le titre de la loi de 1899. Ce même examen tend

aussi à établir qu’elle n’est pas et ne saurait être reconnue comme un principe directeur distinct qui

oriente la procédure civile de l’époque. Elle n’est présente dans la sphère juridique qu’au niveau des

valeurs, ce qui classe le futur principe directeur de la conciliation dans la catégorie des principes

directeurs embryonnaires à la fin du XIXe siècle.

Le préambule de la loi traduit d’ailleurs l’existence d’une conception idéologique et morale du

monde judiciaire et social de l’époque : «Attendu qu’il est désirable de diminuer le nombre des

procès qui peuvent surgir dans les campagnes; Attendu que pour atteindre ce but il est opportun de

soumettre, en certains cas, les poursuites judiciaires au préliminaire de la conciliation […]»501. Cette

entrée en matière encourage des comportements souhaitables et conformes à la compréhension d’un

système de valeurs. Il faut aussi noter que cette loi est faite pour les communautés excentrées et les

villages. Les raisons d’une telle orientation de la loi peuvent être nombreuses. Elles peuvent

provenir, entre autres, d’un souhait de l’«élite politique» formée des députés de protéger un tissu

social qu’elle considère plus susceptible d’être affecté dans le cas de dissensions entre ses membres.

Elles peuvent aussi naître d’une représentation idéalisée des milieux ruraux québécois. Dans tous

les cas, cette déclaration renvoie certainement à une image courante au tournant du XXe siècle,

image qui magnifie la vie rurale et agricole au détriment de la vie urbaine et manufacturière502. Il

s’agit ici de prendre des mesures concrètes pour se conformer à cette idéologie, la soutenir et la

protéger. Cette impression est confirmée par un regard sur les circonstances de son adoption.

La session parlementaire de 1899 correspond à la seconde tentative d’obtenir l’adoption de la loi503.

Lors du dépôt du projet de loi, le promoteur de la loi déclare souhaiter que «les autorités religieuses

500 Loi concernant la conciliation, [1899] 62 Vic., c. 54. 501 Id., préambule. 502 Nous pouvons renvoyer aux romans qui, du Jean Rivard d’Antoine Gérin-Lajoie à la Maria Chapdelaine de Louis

Hémon, ont fait l’apologie de la vie des campagnes québécoises jusque dans les premières décennies du XXe siècle. Pour

un aperçu plus complet de l’évolution littéraire, voir P.-A. Linteau, R. Durocher et J.-C. Robert, supra note 442, p. 625-

626, par exemple. 503 Le promoteur de la loi est député du comté de Wolfe, J.A. Chicoyne. Ses idées comme son expérience montrent que

son soutien à une mesure sociale telle que la conciliation dont il est question dans cette loi peut apparaître comme un

aspect complémentaire de sa réflexion sur l’économie rurale et le monde agricole. Voir, à propos du député, G.

Page 126: L'évolution et la structuration des principes directeurs

116

et municipales dans les paroisses soient légalement autorisées à former un tribunal auquel on

pourrait soumettre toute cause de difficultés avant de s'adresser aux cours de justice. La mission de

ce tribunal serait de travailler à amener une entente au moyen de la conciliation et d'éviter ainsi aux

plaideurs des frais très souvent considérables et qui dans bien des cas entraînent la ruine»504. La loi

proposée ne semble pas faire naître de controverse importante en 1899, les députés qui

interviennent lors de la deuxième lecture paraissant s’entendre quant aux aspects bénéfiques de

cette loi, particulièrement en faisant éviter des procès dans des causes de peu de valeur à une

population peu fortunée505. Plusieurs amendements seront apportés au projet de loi en cours d’étude.

L’exemple de la France, qui possède à l’époque un prérequis de conciliation pour de nombreuses

procédures judiciaires, intéresse quelques députés506.

Lors de la publication d’un ouvrage expliquant la nouvelle loi, le promoteur de celle-ci écrit que

l’auteur de l’ouvrage «a parfaitement saisi, en effet, le sens et l’objet de cette mesure sociale qui est

à peine une loi puisque c’est une œuvre de fraternité et de concorde»507. Une partie de la presse de

l’époque semble avoir partagé, ou du moins répété, des affirmations semblables508. Lors de la

seconde lecture du projet, le député J.-A. Chicoyne fait d’ailleurs allusion au patriotisme et à la

fibre morale des avocats qui encouragent cette loi et de ceux qui s’y rallieront509. Cette concordance

d’opinions tend à démontrer que les valeurs liées à la conciliation sont prônées par une partie de la

population, qui possède assez d’influence pour les faire reconnaître dans une loi. Comme

l’exprimait S. Pagnuelo dans ses remarques sur la conciliation qu’il percevait comme l’un des buts

Deschênes, «Chicoyne (Chicoine) Jérôme-Adolphe», dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. XIII,

Toronto/Québec, Presses de l’Université de Toronto/Presses de l’Université Laval, 1994, p. 210-211. 504 Québec, Assemblée nationale, Débats de l’Assemblée législative, 9e lég., 2e sess. (16 janvier 1899), p. 23-24. 505 Québec, Assemblée nationale, Débats de l’Assemblée législative, 9e lég., 2e sess. (25 janvier 1899), p. 67-68. 506 Il appert que la Belgique et d’autres pays possèdent des lois de conciliation depuis un temps plus ou moins long selon

le cas. Dans le cas de la France, la conciliation est prévue dans les articles initiaux du Code de procédure civile. Certains

se montrent particulièrement sensibles à cet exemple : l’importance de l’apport du droit français dans les lois québécoises

(même en matière procédurale), influence l’adhésion de quelques députés. Voir le résumé des discours des députés

Chicoyne et Stephens, dans Québec, Assemblée nationale, Débats de l’Assemblée législative, 9e lég., 2e sess. (25 janvier

1899), p. 68. Notons que la «conciliation obligatoire» existe dans le corpus législatif français depuis la fin du XVIIIe

siècle. Elle a été conservée au Code et améliorée, car elle a fait l’objet de critique à ses débuts. Voir à ce sujet R.

Bordeaux, Philosophie de la procédure civile. Mémoire sur la réformation de la justice, Évreux, Librairie d’Auguste

Hérissey, 1857, p. 406-407. 507 J.A. Chicoyne, «Lettre de J.A. Chicoyne», dans M. Sauvalle, La loi de conciliation. Guide du conciliateur, Montréal,

C. Théorêt/Librairie de droit et de jurisprudence, 1899, p. x. 508 Voir la section «Opinion des journaux» dans M. Sauvalle, supra note 507, p. xi à xvi. L’auteur reproduit dix-sept

citations, datées de janvier 1899 à mars 1899. Elles proviennent de dix-sept journaux au lectorat et aux orientations très

distincts. Parmi ceux-ci, mentionnons sans ordre particulier The Montreal Gazette, La Presse, Le Nord, La Semaine

Religieuse, Le Moniteur du Commerce, Le Canada Français, La Patrie, The Montreal Star, Le Pionnier de Sherbrooke,

Le Quotidien de Lévis, Le Progrès de Valleyfield, etc. 509 «Ne voit-on pas chaque jour les médecins encourager les associations, les publications, les mesures d'hygiène ayant

pour objet de faire décroître le nombre de maladies dans le peuple? Je ne voudrais jamais croire que le Barreau aura moins

de patriotisme et refusera d'encourager une œuvre de patriotisme, d'hygiène morale, destinée à guérir le peuple de la

terrible maladie de procédure qui cause tant de ruines dans ses rangs.» Québec, Assemblée nationale, Débats de

l’Assemblée législative, 9e lég., 2e sess. (25 janvier 1899), p. 68.

Page 127: L'évolution et la structuration des principes directeurs

117

d’une bonne administration de la justice, l’idée à la base de la conciliation provient des valeurs du

christianisme510. Plusieurs membres de la communauté juridique de l’époque partageaient sans

doute cette idéologie, compte tenu du contexte culturel au tournant du XXe siècle511. Ces traits sont

compatibles avec la formation et la reconnaissance d’un principe directeur.

La conciliation est principalement présentée comme une option qui se distingue du règlement

judiciaire des différends. La loi de 1899 prévoit que l’exercice de conciliation dont il est question

n’intervient pas durant l’instance, mais nécessairement auparavant. Le préambule de la loi et le

premier article de celle-ci512 l’imposent et lui assignent ce rôle préalable. Son intégration au

déroulement de l’instance elle-même apparaît plus progressivement.

Cette incorporation graduelle de la conciliation comme valeur du processus judiciaire influence

aussi l’outil législatif par lequel elle se traduit. La Loi concernant la conciliation est une loi

particulière. En ce sens, les premières mesures en faveur d’une réglementation de la conciliation

sont rédigées hors du cadre du Code de procédure civile. Elles n’y ont jamais été formellement

intégrées. L’insertion de la conciliation dans le Code a peut-être été tout de même envisagée par ses

promoteurs. Marc Sauvalle déclare que plusieurs considèrent cette loi «comme un essai et qui devra

faire ses preuves, avant de prendre dans notre arsenal juridique la position définitive et inattaquable

que désirent lui voir obtenir tous ceux qui ont étudié et reconnu les excellents effets des lois de

conciliation dans les pays où elles sont d’application courante»513. Il laisse peut-être entendre que

l’insertion au Code est envisagée à long terme. Cependant, même lors de la refonte générale de

1909, la Loi concernant la conciliation n’est pas incluse dans «l’arsenal juridique» du Code de

procédure civile. Elle est abrogée en 1920514.

La philosophie et l’application de la loi de 1899

510 S. Pagnuelo, supra note 381, p. 179 (Dix-neuvième lettre). 511 L’Église catholique possède alors beaucoup d’influence sur la société : 85% de la population du Québec est catholique,

la pratique du culte est généralisée et l’église joue un rôle important puisqu’elle est très impliquée dans l’éducation et la

santé. Les valeurs chrétiennes sont donc au cœur du développement des individus et de la société. À la fin du XIXe siècle

et au début du XXe siècle, l’Église catholique met l’accent sur les questions sociales, notamment la responsabilité de venir

en aide aux classes défavorisées. Ce discours s’instille lentement dans la pensée des élites québécoises qui les mettront en

pratique surtout à partir du début du XXe siècle. La publication de l’encyclique Rerum Novarum en 1891 traduirait

d’ailleurs ces idées. Voir à ce sujet : P.-A. Linteau, R. Durocher et J.-C. Robert, Histoire du Québec contemporain : de la

Confédération à la crise, supra note 442, p. 520-526. Bien que ces idées touchent principalement les questions ouvrières,

elles ne sont pas si éloignées d’un discours visant à la protection des populations défavorisées des régions rurales tel que

celui qui accompagne le développement de la loi sur la conciliation. 512 Loi concernant la conciliation, [1899] 62 Vic., c. 54, art. 1 : «En matière purement personnelle et mobilière, et lorsque

le montant réclamé n’excède pas vingt-cinq piastres, aucune demande principale introductive d’instance entre parties

capables de transiger, et sur des objets qui peuvent être la matière d’une transaction, ne sera reçue devant les tribunaux de

première instance, à moins que le défendeur n’ait été préalablement appelé en conciliation devant l’un des conciliateurs

visés par la présente loi, ou que les parties n’aient volontairement comparu devant lui.» 513 M. Sauvalle, supra note 507, p. 2. 514 Loi amendant les Statuts refondus 1909, relativement à la conciliation, [1920] 10 Geo. V, c. 76.

Page 128: L'évolution et la structuration des principes directeurs

118

L’obligation d’effectuer une tentative de conciliation avant de faire une demande principale pour

entamer l’instance nécessite des mesures de contrôle. La loi prévoit donc un encadrement du

processus de conciliation. Des «formules», qui ressemblent à des procès-verbaux, sont rédigées par

le conciliateur et attestent de l’accomplissement de cette obligation. Le contenu des documents

diverge515 selon l’issue de la conciliation, c’est-à-dire s’il y a une entente ou non. L’importance du

respect de la discussion entre les parties est déjà reconnue. Déjà en 1899, le processus de

conciliation respecte la confidentialité. Les déclarations sont de «nature privilégiée» et ne peuvent

«servir de preuve au litige» le cas échéant516. De surcroît, les conciliateurs agissent gratuitement517.

Il existe donc une volonté politique de faire respecter cette mesure et de donner à la population

ciblée les moyens de l’utiliser, en raison notamment des faibles coûts qu’elle implique518. Une telle

approche pourrait accréditer l’hypothèse selon laquelle la conciliation constitue déjà un principe

directeur de la procédure civile en 1899. En revanche, d’autres mesures contenues dans la même loi

contredisent cette idée.

Tout d’abord, les exclusions prévues à ce processus sont nombreuses. Toute action dont la valeur en

litige excède «vingt-cinq piastres» est automatiquement exclue de l’application de la Loi concernant

la conciliation519. Plusieurs restrictions reposent soit sur les caractéristiques des parties, soit sur les

matières en cause520. L’identité des parties peut suffire à les exclure de l’application de la loi. Celle-

ci est conçue pour s’appliquer dans le monde rural, agricole ou dans les petites agglomérations. Elle

ne s’applique pas dans certains lieux,521 dont les «cités et villes constituées en corporation par charte

spéciale»522 ou «les autres localités qui ne sont pas régies par le Code municipal». Les matières

exclues sont nombreuses. La matière ou le sujet du différend, l’urgence, la présence de plus de deux

parties au litige, la présence d’une demande pour des mesures provisionnelles ou d’autres éléments

qui complexifient le dossier, comme l’intervention ou les demandes en garanties en sont des

exemples523. En 1905, une restriction supplémentaire est apportée. La Loi amendant la loi

concernant la conciliation524 précise que les mesures de conciliation s’appliquent «dans les localités

où il n’existe pas de cour des commissaires pour la décision des petites causes»525. Il faut donc

515 Loi concernant la conciliation, [1899] 62 Vic., c. 54, art. 12 et les «formules» B et C suivant le texte de la loi. 516 Id., art. 13. 517 Id., art. 17. 518 Dès la présentation du projet de loi, J.A. Chicoyne insiste sur le fait que le service doit être gratuit. Québec, Assemblée

nationale, Débats de l’Assemblée législative, 9e lég., 2e sess. (25 janvier 1899), p. 67. 519 Loi concernant la conciliation, [1899] 62 Vic., c. 54, art. 1. 520 Id., art. 4. 521 Id., art. 15. 522 Ce serait donc le cas des villes de Québec et de Montréal, par exemple, qui sont toutes deux créées par charte. 523 Loi concernant la conciliation, [1899] 62 Vic., c. 54, art. 4. 524 Loi amendant la loi concernant la conciliation, [1905] 5 Ed. VII, c. 31. 525 Id., art. 1.

Page 129: L'évolution et la structuration des principes directeurs

119

comprendre que l’application de la Loi concernant la conciliation se fait dans un cadre relativement

restreint et qu’elle vise une population ayant des besoins spécifiques.

Ensuite, l’identité des conciliateurs donne aussi à réfléchir. Les articles 2 et 3 de la loi créent quatre

catégories de personnes pouvant exercer cette fonction : des citoyens nommés par le conseil local

de leur municipalité526, les prêtres et curés catholiques romains pour les conciliations entre

catholiques seulement527, les juges de paix528 et les maires529. Il est important de constater que les

juges ne sont pas des conciliateurs naturels dans l’esprit des rédacteurs de la loi530. Le juge de paix,

en effet, n’est pas obligatoirement un professionnel du droit531. Théoriquement, un juge de la Cour

supérieure pourrait exercer le rôle de conciliateur. À titre de juge, il peut exercer de plein droit les

fonctions du juge de paix532, qui incluent alors celles de conciliateur. L’accessibilité à un juge de la

Cour supérieure en milieu rural, zone d’application de la loi, est cependant très improbable. Celui-ci

ne correspond pas aux lieux où siège la Cour supérieure. Il est même possible que cette difficulté

d’accès aux tribunaux ait influencé l’adoption d’une telle loi pour les causes de peu de valeur. De

plus, la compétence de la Cour supérieure s’étend sur des causes d’une valeur très supérieure à

celles des causes soumises à cette loi. Les tenants de la conciliation ne soutiennent pas qu’un juge

soit inapte à jouer le rôle de conciliateur : leur discours est plutôt orienté vers l’idée que sa fonction,

ou la perception de celle-ci, nuirait au processus souhaité. Les commentateurs de la loi insistent sur

le fait que le rôle du conciliateur est nécessairement distinct de celui de juge ou d’arbitre et que la

conciliation ne peut réussir que si cette séparation perdure533. Les mesures prises visent à éviter la

confusion des étapes et à promouvoir des débats sains et distincts aux deux stades d’évolution du

processus. Il s’agit de faire comprendre au public que le rôle du conciliateur se définit selon un axe

précis. Il n’est pas appelé à trancher le différend, mais à faciliter le dialogue. Les parties sont donc

responsables d’aboutir à une solution acceptable si elles veulent éviter le litige.

526 Loi concernant la conciliation, [1899] 62 Vic., c. 54, art. 2. 527 Id., art. 3 (a). Il avait été question d’y ajouter les pasteurs protestants, mais des pressions et désaccords de la

communauté protestante elle-même ont entraîné le retrait de cette possibilité. Il a été ajouté dans la loi qu’une personne

d’une autre dénomination religieuse ne pouvait être assignée devant un curé catholique agissant comme conciliateur. En

effet, lors des premières lectures du projet, les «prêtres, curés, vicaires et ministres» de tout culte religieux devaient être

conciliateurs (Québec, Assemblée nationale, Débats de l’Assemblée législative, 1899, 9e lég., 2e sess. (25 janvier 1899), p.

67), ce qui est retiré de la loi finale. Voir aussi M. Sauvalle, supra note 507, p. 18. 528 Loi concernant la conciliation, [1899] 62 Vic., c. 54, art. 3 (b). 529 Id., art. 3 (c). 530 Contrairement à une proposition du juge Tessier lors de l’enquête déjà mentionnée sur la procédure civile : le juge

confierait ce rôle au juge de la Cour supérieure, voir L.A. Jetté, L. Lorrain et W.A. Weir, supra note 365, p. 61. 531 Les quatre conditions pour qu’un homme devienne juge de paix sont alors : résider dans la division territoriale où il est

nommé au moment de cette nomination, moyennant quelques exceptions; ne pas être avocat pratiquant; s’il exerce dans le

district de Montréal ou Québec, ne pas exercer les fonctions de shérif ou coroner dans le même district que celui où il sera

juge de paix; posséder dans la province un immeuble d’une valeur supérieure à 1200$, moyennant quelques exceptions.

Voir à ce sujet : R. Dandurand et C. Lanctôt, Manuel du juge de paix, Montréal, C.O. Beauchemin et fils, 1891, p. 23-25. 532 Id., p. 22. 533 M. Sauvalle, supra note 507, p. 2-3.

Page 130: L'évolution et la structuration des principes directeurs

120

En 1899, les avantages espérés de la conciliation obligatoire sont nombreux. Par exemple, il est bon

de rappeler que Marc Sauvalle exalte ses vertus morales. Il encourage aussi une conception

économique et rationnelle de la loi, à l’instar de J.-A. Chicoyne devant l’Assemblée législative534.

Marc Sauvalle, pour sa part, pose l’hypothèse que 550 procès pourraient être évités grâce à cette loi.

«Songez un peu quelle économie représentent pour la population rurale ces 550 procès évités,

économie d’argent, de temps, de mauvaise humeur, de bile et de colère!»535. Cette estimation

provient d’un calcul de probabilités basé sur le nombre de «petites causes» déposées en milieu rural,

en supposant un nombre de conciliations réussies fixé aléatoirement. Cette incursion dans l’aspect

économique de la gestion des ressources du système judiciaire rejoint des préoccupations

d’efficacité et d’économie identifiées dans les dernières décennies du XIXe siècle536. Sylvio

Normand, dans un texte sur la justice en milieu rural, souligne aussi la dualité des buts principaux

de la loi : la diminution du nombre de procès en milieu rural et la diminution des frais judiciaires

qui s’ensuivent537. Il met également en lumière l’importance accordée à la sauvegarde de la

cohésion sociale dans ces milieux où les gens se côtoient inévitablement, la population locale étant

restreinte538. De plus, surtout après 1905539, la loi devrait s’appliquer dans de nombreuses

municipalités qui ne bénéficient pas d’un accès facile aux tribunaux. La reconnaissance par l’État

de la possibilité de régler les différends à l’échelon local et à moindre coût fait beaucoup pour

encourager l’accès à une forme de justice. Certains y voient un complément bienvenu à l’esprit de

décentralisation des tribunaux540 qui a présidé à un élargissement du nombre de districts judiciaires

et de cours diverses. Malgré l’opposition de quelques avocats, d’autres, comme le député Chicoyne

lui-même, veulent saisir l’occasion de se libérer du fardeau que constituent ces «causes sans

profits»541.

Deux facteurs sont donc particulièrement révélateurs parmi les buts de la loi : l’économie des

ressources financières et l’accessibilité à une forme de justice. La conciliation obligatoire pour ces

litiges avantage les justiciables comme l’ensemble du système de justice, si elle scelle une entente à

534 Dans son discours promouvant le projet, J.-A. Chicoyne soutient que si les statistiques françaises s’appliquaient au

Canada dans les mêmes proportions, 789 causes par an seraient conciliées pour des économies de 100 000$. À titre

comparatif, il note que c’est justement la somme dépensée annuellement pour la colonisation. Québec, Assemblée

nationale, Débats de l’Assemblée législative, 9e lég., 2e sess. (25 janvier 1899), p. 68. 535 M. Sauvalle, supra note 507, p. 12-13. 536 Nous l’avons souligné par exemple à propos de la révision du Code de procédure civile, voir par exemple le court

résumé sur le sujet concernant le premier Code, p. 101. 537 S. Normand, «Justice civile et communauté rurale au Québec, 1880-1920», (1984) 25 C. de D. 579, 587. 538 Id., p. 588. 539 Loi amendant la loi concernant la conciliation, [1905] 5 Ed. VII, c. 31. 540 Voir par exemple le commentaire rapporté du Richmond Guardian dans M. Sauvalle, supra note 507, p. xiii-xiv. 541 M. Sauvalle, supra note 507, p. 6-7, rapportant des paroles attribuées au député Chicoyne. Elles sont citées dans

Québec, Assemblée nationale, Débats de l’Assemblée législative, 9e lég., 2e sess., (25 janvier 1899), p. 67. Voir aussi S.

Normand, «Justice civile et communauté rurale au Québec, 1880-1920», supra note 537, p. 588-589.

Page 131: L'évolution et la structuration des principes directeurs

121

l’amiable entre les parties. De cette façon, les parties épargnent les frais judiciaires, alors que le

temps et les ressources du tribunal peuvent être alloués à d’autres causes542. Pourtant, la conciliation

obligatoire tout comme la création de tribunaux spécialisés pour entendre les «petites causes»

dénotent un parti pris d’économie et de rationalisation de l’usage des divers tribunaux chez le

législateur. En effet, les aspects déjà abordés dans le cadre restreint, à l’époque, du principe de la

conciliation révèlent leur importance intrinsèque s’ils sont examinés dans le contexte de l’évolution

de tous les principes directeurs en cause.

Ces considérations présentent des traits similaires à celles qui accompagnent le développement du

principe directeur de la proportionnalité à l’époque actuelle. Le système de la conciliation établi par

la loi de 1899 comporte une procédure beaucoup plus simple et moins coûteuse que l’audience

judiciaire décrite par le Code de procédure civile. Dans l’esprit du législateur, ceci semble mieux

convenir à des causes où la valeur en litige est faible. Les parties ne perdent d’ailleurs pas leur droit

d’intenter un procès si la conciliation ne leur permet pas d’arriver à une entente. Toute la structure

des tribunaux spécialisés qui traitent les «petites causes» en matière civile peut répondre à un

impératif similaire. Le législateur déleste ainsi les tribunaux de première instance de ce type de

causes. Leurs juges accorderont plus de temps à des dossiers plus lourds, parfois plus complexes.

Dans certains cas, cette complexité peut même découler de l’utilisation de moyens procéduraux plus

nombreux par les parties, moins encouragées à la parcimonie dans le choix des moyens par le fait

que la valeur en litige est plus importante. L’intention du législateur à cet égard se déduit en partie

de ces considérations. L’aspect obligatoire de ces mesures renforce cette impression. Les règles

proposées sont structurelles. Les parties et les magistrats sont tenus de s’y plier, mais ils ne

reçoivent aucune directive les obligeant ou les invitant à appliquer un principe d’économie dans la

conduite des causes. Si cet impératif existe, il provient d’autres sources, ainsi que de leur

compréhension de l’esprit de la procédure civile et des besoins du système judiciaire. Une idée

d’économie et d’efficacité influence l’action étatique notamment dans l’élaboration de quelques

articles du Code. Son insertion dans la pratique procédurale est graduelle. Ceci illustre l’intégration

progressive des valeurs qui préfigurent le développement du principe directeur de la

proportionnalité.

542 À cette époque, les causes de moins de vingt-cinq dollars sont traitées par des tribunaux spécialement constitués pour

entendre ce type de litiges, la compétence de la Cour de magistrat de district s’étend aux litiges dont la valeur allait de

vingt-cinq à cinquante ou quatre-vingt-dix-neuf dollars (selon les districts) et celle de la Cour supérieure débutant à un

montant supérieur à cent dollars. Voir notamment les articles 54, 59 et 61 C.p.c. qui établissent la compétence monétaire

de certains tribunaux. L’article 48 C.p.c. confie par ailleurs à la Cour supérieure la compétence sur tout ce qui n’est pas

accordé aux autres cours.

Page 132: L'évolution et la structuration des principes directeurs

122

L’existence de la Loi concernant la conciliation témoigne du développement d’une conception

différente du rapport entre les parties. La conciliation repose sur le dialogue entre «deux parties

disposées à entrer en arrangement»543, en présence d’un tiers prêt à «faciliter les négociations de

l’entente en mettant en présence les parties, en les exhortant à la concorde»544. En effet, il ne s’agit

plus pour chacun de présenter sa preuve et de faire reconnaître son droit. Les parties adverses

veulent en arriver à une solution qui les satisfasse suffisamment pour représenter une alternative

valable à un procès. L’esprit du débat entre les parties pourrait s’en trouver modifié si l’obligation

de conciliation préalable était étendue à l’ensemble des instances. En 1899, le contexte de la loi ne

l’exige pas. D’une part, les limites imposées à l’application de la conciliation ne permettent pas de

déclencher un mouvement qui entraîne une modification durable de la conception du débat

contradictoire entre deux adversaires acharnés sous l’œil du juge, même si cette image est déjà

obsolète545. D’autre part, la conciliation telle qu’elle est proposée a un champ d’action défini dans le

temps, car elle s’intègre au cheminement d’un différend comme une étape préalable à la demande

en justice uniquement. Une fois que l’action en justice est entamée, l’application de la loi sur la

conciliation est exclue. Durant l’instance, le respect du débat contradictoire entre deux parties et la

maîtrise de leur dossier par ces mêmes parties sont alors les idées qui transcendent et dirigent le

droit procédural applicable. Tout exercice de conciliation aux diverses étapes de l’instance ne

pourrait provenir que de l’initiative des acteurs eux-mêmes, par exemple dans le cadre d’une

transaction qu’elles auraient conclue hors cours, et non du législateur. Par ailleurs, la conciliation au

début du XXe siècle est relativement compatible avec l’esprit du système judiciaire. Ses liens avec

les préoccupations liées à l’efficacité, ainsi qu’aux valeurs d’économie et de célérité, ont été

évoqués. Elle ne contredit pas le principe directeur codifié du contradictoire et le principe directeur

innommé du contrôle de leur dossier par les parties. Ces dernières continuent au contraire d’être les

actrices principales de cette conciliation, où elles sont appelées à faire connaître leur point de vue.

Seule la polarisation du débat entre les parties est susceptible d’être atténuée dans le cadre de la

discussion. Ceci rappelle l’objectif énoncé par les députés, et ne constitue pas une véritable entorse

à la pensée libérale ou à celle qui prévaut quant aux «principes directeurs» de l’époque.

L’abrogation de la loi de 1899 et les approches moins conflictuelles hors des cadres de la loi

543 M. Sauvalle, supra note 507, p. 3. 544 Ibid. 545 Voir à cet égard l’étude sur l’évolution de la fonction judiciaire et la perception de celle-ci à l’époque exposée dans le

chapitre 6.

Page 133: L'évolution et la structuration des principes directeurs

123

L’abrogation de la Loi sur la conciliation en 1920 passe relativement inaperçue à l’Assemblée

nationale, où les débats reconstitués témoignent de peu de discussions et d’explications à ce sujet546.

Elle n’a pas non plus pour conséquence d’abolir l’idéal de conciliation dont elle était porteuse.

Celui-ci continuera à s’exprimer autrement, notamment dans des articles présents dans des lois

particulières, même si elle cesse temporairement d’influencer la procédure civile inscrite au Code.

La fonction judiciaire y est prise en considération. Ainsi, dans le cadre d’une loi sur les accidents du

travail547, un rôle de conciliateur est confié au juge, ce qui indique la continuité de la conciliation.

Les propos de certains juges démontrent que ceux-ci y reconnaissent une partie de leur rôle dans de

telles instances. À la Cour suprême, le juge Brodeur, après avoir fait remarquer qu’il n’y a pas

d’historique de dispositions de conciliation dans les codes québécois, soutient que l’article 7347 des

Statuts refondus de la province de Québec (1909) est une mesure de conciliation548. Cet article

reprend les dispositions de la loi sur les accidents du travail à propos de la conciliation.

De plus, certains juges et avocats conservent le souci de favoriser le règlement à l’amiable des

différends. Ce processus se déroulant souvent en marge de l’instance, il a laissé peu de traces dans

les sources retenues pour préparer cette thèse. Des juges accordent tout de même quelques mots à

ces tentatives et donnent ainsi un aperçu du travail réalisé à cet égard. À la faveur d’une procédure

sommaire entre locateur et locataire, entre autres, il est possible de constater qu’à l’étape de la

comparution, des pourparlers sont entrepris entre les avocats avant l’inscription de la cause549. Le

juge semble favoriser cette façon de fonctionner. Il refuse de sanctionner l’une des parties pour le

retard qui a pu naître à la suite d’une tentative de règlement.

Toutefois, la comparution du dit avocat n'a été signée et produite que le 17. Cela me

fait présumer que cette comparution aurait été, avant le 17, simplement remise à

l'avocat du demandeur, comme cela se pratique, en attendant le résultat d'une tentative

de règlement.

Et c'est cela que laisse entendre le défendeur dans sa motion pour permission de

plaider, faite le même jour, 17 janvier.

546 Le compte-rendu d’un bref échange sur le sujet en fait foi : au député de Deux-Montagnes, M. Sauvé, qui déplore la

disparition de la loi, le député de Montmorency, l’hon. J.-A. Taschereau, répond en substance que «l’expérience a

démontré qu’elle était plutôt une cause de désagrément qu’un avantage pour les centres ruraux», d’après la reconstitution

des débats. L’échange ne se poursuit pas davantage et personne d’autre n’intervient à ce sujet. Québec, Assemblée

nationale, Journal des débats de l’Assemblée législative, 15e lég., 1re sess., no 17 (16 janvier 1920), p. 190. 547 Loi concernant les responsabilités des accidents dont les ouvriers sont victimes dans leur travail, et la répartition des

dommages qui en résultent, (1909) 9 Ed. VII, c. 66, art. 27. Au moment d’autoriser l’ouvrier à avoir recours aux

procédures prévues par la loi, le juge peut «employer tels moyens qu’il croit utiles pour amener une entente entre les

parties». En cas d’entente, il peut rendre jugement conformément à celle-ci. 548 Great North Western Telegraph Co. c. Tremblay, [1920] 60 R.C.S. 597, 606 (j. Brodeur). En réalité, il s’agit

textuellement du même article que celui de la loi sur les accidents du travail. 549 Dessurault c. Morin (1929), 35 R.P. 173 (C.S.).

Page 134: L'évolution et la structuration des principes directeurs

124

En effet, il allègue, sous serment, qu'il a retardé la production de «sa défense parce

qu'il avait raison de croire que la présente cause ne serait pas si tôt inscrite ex parte, et

que le demandeur lui-même l'avait mis sous cette impression».

Et ce délai d'un mois, pendant lequel le demandeur s'est abstenu de procéder, tend à

démontrer que des pourparlers ont eu lieu entre les parties, en vue d'un règlement

possible, de sorte que, aujourd'hui, si le demandeur, comme il l'a prétendu à l'audition,

craint de souffrir d'un dommage irréparable par suite de la contestation de l'action, la

faute, d'après ce qui ressort du dossier, en serait autant à lui qu'au défendeur puisqu'il

aurait parlementé, au début, au lieu de procéder à jugement550.

D’autres étapes de la procédure semblent favorables au juge pour jeter les bases d’un règlement à

l’amiable. Par exemple, la procédure déjà mentionnée qui régit l’interrogatoire préalable de la partie

adverse comme témoin, prévue par l’article 286a C.p.c., fournit l’une de ces occasions. En

expliquant les raisons soutenant le jugement qu’il rend, un juge de la Cour supérieure souligne

qu’après avoir obtenu des renseignements au moyen de l’interrogatoire préalable, la partie qui le

requiert est souvent portée à offrir un règlement551. Cet espoir, parmi d’autres raisons, le porte à

accorder l’interrogatoire préalable en l’espèce. L’importance de l’article 286a C.p.c. pour exprimer

la valeur de la conciliation n’est pas perçue de la même façon par tous les membres de la

communauté juridique. Certains d’entre eux entretiennent une opinion plus mitigée de la portée de

l’interrogatoire préalable du demandeur dans ce contexte. Rosario Genest, avocat et professeur de

procédure, souligne que la capacité à faciliter les règlements a été alléguée pour soutenir

l’introduction de cet article dans le Code. Selon lui, cela ne s’est généralement pas vérifié dans la

pratique et la raison était donc plutôt un prétexte552. Il critique ensuite l’interrogatoire préalable du

demandeur en déclarant qu’il constitue souvent un déni de justice et force un demandeur

inexpérimenté à exposer ses moyens et sa cause avant de connaître les moyens de défense de

l’adversaire553. Il suggère que cet interrogatoire, s’il est maintenu, devrait se dérouler devant le

tribunal et n’avoir lieu que si le défendeur offrait en même temps son propre témoignage554. La

divulgation concurrente des moyens d’action et de défense contribuerait à rétablir l’égalité des

parties dans la défense de leurs droits555. Que cette mesure ait eu ou non les effets décrits par le juge

Stein ou ceux que dénoncent le professeur Genest, il semble que tous deux s’entendent sur un point

: l’idéal d’une entente à l’amiable préside aux tentatives d’élargir les interrogatoires.

550 Id., p. 174-175 (j. Stein). 551 Marcoux c. Fortin (1929), 32 R.P. 60, 60 (C.S.) (j. Stein). Une telle possibilité est aussi évoquée par la Cour du Banc

du Roi, Charest c. Forget, (1941) 70 B.R. 401, 405 (j. Bond). 552 R. Genest, «Notre Code de Procédure civile, ses Qualités, ses Défauts, ses Lacunes», supra note 3, p. 233. 553 Ibid. 554 Ibid. 555 Ibid.

Page 135: L'évolution et la structuration des principes directeurs

125

Les étapes procédurales qui entourent le dépôt de la demande et la préparation de la défense

semblent avoir été considérées comme particulièrement propices au développement d’une entente à

l’amiable. L’importance des offres et du règlement possible du litige constitue une préoccupation

des juges dans le contexte de la demande d’examen médical du demandeur, prévu par l’article 286b

C.p.c. sur permission du juge. Des juges y voient un encouragement à élargir leur influence556. Dans

un cas où la partie demanderesse réclame le droit de recevoir le rapport que le médecin pourrait

faire à la partie défenderesse, le juge n’a pas accordé cette possibilité, mais il utilise un pouvoir que

lui confie l’article 286b C.p.c. pour élargir la divulgation de la preuve et permettre un meilleur

débat entre les parties557. Il semble s’inspirer principalement d’une conception élargie de la règle du

contradictoire. La possibilité de régler à l’amiable, bien que réelle, reste au second plan dans ce

contexte, mais son existence est manifeste dans la pensée du juge.

Dans l’ensemble, les candidats les plus prometteurs pour ce type d’ententes sont souvent des parties

qui entretiennent des relations privilégiées, comme c’est le cas en matière familiale558,

testamentaire559 ou de bornage560. Ces parties se montrent plus disposées à recourir à la négociation

d’une entente pour épargner des frais561, et, possiblement, en raison des liens qui les unissent562. La

négociation d’une entente n’est pourtant pas toujours bien accueillie par les parties. Si les

procureurs, probablement pour des raisons similaires, essaient d’en arriver à un compromis, les

parties ne sont pas toujours enthousiastes à le ratifier563. Il arrive que le désir de conciliation semble

plus durable chez les procureurs que chez leurs clients. Quelle que soit l’origine de l’entente à

l’amiable, les Cours tendent à la considérer comme un contrat et à la faire respecter comme telle564.

556 De Lottinville c. Cité de Québec (1936), 40 R.P. 92, 93-94 (C.S.) (j. Langlais). 557 De Lottinville c. Cité de Québec (1936), 40 R.P. 92, 93-94 (C.S.) (j. Langlais). 558 Chartrand c. Tremblay, [1958] R.C.S. 99, 103 (j. Taschereau). 559 Ceci est illustré dans la cause King c. Pinsoneault, (1875) 6 L.R.P.C. 245, où la décision est rendue par Sir Robert P.

Collier. Ses remarques sur les formalités et le contenu des transactions en droit français sont enrichissantes (p. 259-263).

Voir aussi Beaudry c. Barbeau, [1900] A.C. 569, 576 : en réalité, ce litige aurait eu une nature amiable («[…] has been

throughout of a friendly character, and was instituted for the purpose of obtaining the opinion of the Courts […]»). Cette

cause aurait été instituée pour avoir l’opinion des cours sur l’interprétation du testament. Les Lords imposent donc les

frais aux «trustees» sur le fond de la succession. 560 McGoey c. Leamy, (1897) 27 R.C.S. 545, 550 (j. Taschereau). 561 McGoey c. Leamy, (1897) 27 R.C.S. 545, rendu en Cour suprême en juin 1897. 562 Chartrand c. Tremblay, [1958] R.C.S. 99, 103 (j. Taschereau). Aux dires du juge, dans cette affaire où elle veut obtenir

une reddition de compte, Mme Tremblay «soutient que sans cet engagement […], elle n'aurait jamais signé la quittance en

faveur de l'appelant, que d'ailleurs elle ne l'a signé que par esprit de sacrifice, dans le but d'établir la paix dans la famille

pour le bénéfice des parties et de leurs enfants». 563 Dans l’arrêt King c. Pinsoneault, (1875) 6 L.R.P.C. 245, Sir Robert P. Collier relate comment l’avocat d’une des

parties accepte la transaction et comment la partie considère qu’il n’avait pas autorité pour ce faire. Le juge discute par la

suite de l’existence ou non de cette autorité (p. 263-264, notamment). 564 McGoey c. Leamy, (1897) 27 R.C.S. 545, 550 (j. Taschereau); Bélanger c. Bélanger, [1958] R.C.S. 344, 347-348 (j.

Taschereau).

Page 136: L'évolution et la structuration des principes directeurs

126

La manifestation d’un intérêt pour la conciliation chez certains membres de la communauté

juridique est parfois explicite. Dans un jugement rendu en 1932, le juge Stein565 déclare :

L'on sait combien j'aurais été désireux, comme les avocats eux-mêmes ont si bien

démontré l'être aussi, de provoquer un règlement à l'amiable entre ces deux infortunés,

qui risquent de ruiner leurs relations familiales avec ce procès, relations qui importent

beaucoup plus que les quelques centaines de piastres qu'ils auront à payer en frais

judiciaires; j'ai même suspendu l'audience pour leur fournir une dernière chance de

s'entendre; mais le succès n'a pas couronné cette tentative des avocats et du juge.

[…]

Je crois donc devoir rejeter l'action, et l'un ou l'autre aura ensuite à se pourvoir en

bornage, à mon humble avis, et le partage pourra ensuite se demander, ou se faire à

l'amiable sans litige, ‒comme je le souhaite ardemment,‒ et il pourra se poursuivre

ainsi définitivement, suivant les données exactes qui seront fournies par l'arpenteur, le

plan et le bornage, toutes choses qui me paraissent indispensables566.

Il montre ainsi que la conciliation persiste à être une valeur bien vivante pour certains. Il prouve

aussi que le juge d’un tribunal judiciaire, dès cette époque, peut utiliser ses pouvoirs pour tenter

d’accompagner les parties dans une telle démarche, même s’il n’a pas le pouvoir de participer

directement au processus.

De manière similaire, la valeur de la conciliation et son application dans un contexte judiciaire

trouvent un lieu d’expression en 1947, dans le rapport qui accompagne l’avant-projet de loi destiné

à réviser le Code de procédure civile. Les auteurs du rapport soutiennent en effet que la nature

spéciale des actions en séparation entre époux requiert l’établissement de tribunaux spéciaux. La

Cour supérieure qui a compétence sur ces matières n’est pas adaptée dans tous les cas au traitement

que réclament ces litiges, selon les auteurs. Ils soutiennent que «[l]es causes entre époux ne sont pas

des litiges ordinaires. Elles auraient besoin de magistrats qui ne feraient pas autre chose et qui

acquerraient ainsi une compétence, un flair et un tact particuliers. Bon nombre de nos règles de

procédure, d'un caractère strict, pourraient être remplacées devant un tel tribunal par une équité plus

large et moins contrôlée à l'avance par des textes précis»567. C’est donc la procédure civile qui doit

être adaptée, et non spécifiquement la compétence des juges, même si ceux-ci pourraient acquérir

565 Le juge Adolphe Stein (1878-1938), avocat et député, est nommé juge à la Cour supérieure en 1922 après une pratique

effectuée principalement à Rivière-du-Loup (P.-G. Roy, Les juges de la Province de Québec, supra note 230, p. 513).

Certains de ses jugements semblent le dépeindre comme empreint de l’importance du règlement à l’amiable et des valeurs

sociales et personnelles qui l’accompagnent. Cependant, à l’instar du critique de la procédure civile qu’est le juge

Surveyer, les causes du juge Stein ont été particulièrement bien représentées parmi les jugements publiés de l’époque.

Cette réalité d’une exposition plus importante de certains juges a été évoquée, aussi est-il possible que d’autres magistrats,

moins cités par les publications ou les codes annotés, aient adopté cette valeur ou s’en soient dissociés. 566 Côté c. Côté, [1933] 39 R. de J. 57, 67-69 (C.S.) (j. Stein). Il s’agit d’un différend entre deux frères au sujet de droit de

coupe de bois et de limites cadastrales. 567 A. Désilets et G. Trudel, supra note 406, p. 7.

Page 137: L'évolution et la structuration des principes directeurs

127

des habiletés accrues dans ce contexte. À cette occasion, les auteurs du rapport ajoutent que le

préliminaire de la conciliation serait «désirable» dans toutes ces causes matrimoniales568. Ils

affirment cependant que cette responsabilité de concilier les parties ne saurait être confiée aux juges

de la Cour supérieure, car ces derniers manquent du temps nécessaire pour remplir cette fonction569.

Les auteurs craignent que cette activité de conciliation sollicite tant de temps aux juges de la Cour

supérieure que les rôles en seraient paralysés et d’autres causes suspendues570. Ils soulignent déjà le

manque de juges dans le système judiciaire571.

Ceci atteste que la référence au système de valeurs qui inclut la conciliation est toujours vivace à

l’aube des années 1950. Une partie de la magistrature continue ainsi d’encourager une approche

moins conflictuelle de certains litiges. Dans le rapport préliminaire sur la seconde révision de la

procédure civile, déposé en 1962, une suggestion jugée importante par les rédacteurs rejoint

d’ailleurs les valeurs de dialogue entre les parties et de concorde accrue entre elles pour favoriser le

dénouement favorable de l’instance. Le rapport propose en effet l’adoption d’une procédure de

conférence préparatoire qui permettrait aux parties de négocier le déroulement de l’enquête. La

«longueur» de l’enquête est de nouveau désignée comme une des grandes causes de la lenteur et des

coûts excessifs des procès572. Les auteurs du rapport souhaitent amener les procureurs à se

rencontrer dans des conditions favorables à l’analyse de la contestation et à l’examen de la

possibilité d’abréger l’enquête en la limitant aux faits «contestables»573. Les commissaires ajoutent

que l’application de ces conférences préparatoires a été très bénéfique dans d’autres juridictions,

lorsqu’elle a lieu dans «une atmosphère détendue et sans qu'aucune pression ne s'exerce de la part

du juge»574. Les avocats seraient portés à s’entendre sur certains points, «soit pour dispenser d'une

preuve, soit pour adopter des mesures propres à simplifier celles qu'ils croyaient devoir

présenter»575. Dans l’ensemble, ce principe directeur embryonnaire de la conciliation, notamment

par la conception du dialogue entre les parties pour trouver un terrain d’entente, continue d’exister

dans la pensée juridique. Les avantages de son application intéressent toujours les commissaires à la

préparation du nouveau Code de procédure civile, à l’instar de juges de la Cour supérieure et

d’avocats. Cependant, l’intention des avocats et juges qui travaillent à la préparation du Code de

568 Ibid. 569 Id., p. 7 et 69. 570 Id., p. 69. 571 Id., p. 1. 572 Rapport préliminaire des commissaires à la révision du Code de procédure civile, 1962, projet B, supra note 250, p. 8. 573 Ibid. Cela est aussi proposé par le Barreau de la province de Québec, «Mémoire concernant l’administration de la

justice dans la province de Québec», (1954) 14 R. du B. 48, 52-53. 574 Rapport préliminaire des commissaires à la révision du Code de procédure civile, 1962, projet B, supra note 250, p.

10. 575 Ibid.

Page 138: L'évolution et la structuration des principes directeurs

128

procédure civile en 1947 et 1962 est d’introduire dans ce texte des articles qui se nourrissent de

cette valeur qu’est la conciliation. Il n’est pas question d’ajouter au Code un article reconnaissant la

conciliation en tant que telle sous forme de règle. La perception de cette valeur évolue pourtant.

Les premières étapes de l’évolution d’un «principe directeur» lié à la procédure civile qui ont été

définies pour les besoins de cette thèse sont bien illustrées par cet exemple. L’ensemble de la

jurisprudence et de la doctrine établit clairement que la conciliation n’a jamais complètement

disparu du discours juridique. Certaines décennies ont vu un débat plus structuré s’organiser autour

du sujet, particulièrement au moment de l’adoption de la Loi concernant la conciliation. Diverses

personnes impliquées dans le système judiciaire manifestent leur adhésion, notamment des

magistrats qui en prônent l’importance en tant que valeur, ou soutiennent des valeurs connexes qui

font preuve d’un intérêt pour une justice moins conflictuelle et pour un meilleur dialogue entre les

parties. Le législateur propose périodiquement des mesures qui s’inspirent de son existence. Ses

liens avec la procédure civile et le système judiciaire sont indéniables. Son intégration au

déroulement de l’instance est accentuée au fil du XXe siècle. Cependant, dans la dernière décennie

du XIXe siècle et dans les années subséquentes, elle ne semble pas avoir la capacité de structurer et

d’orienter l’application de la procédure civile. La conciliation, une notion élevée à l’époque à un

rôle de valeur par ceux qui la prônent, appartient à l’histoire législative et judiciaire576 du Québec.

Durant quelques décennies, il est possible de voir son statut osciller, ce qui corrobore notre

hypothèse que le développement des principes directeurs n’est pas linéaire. S’il est possible, en

1899, de parler de la conciliation comme d’un principe directeur embryonnaire, par l’adhésion aux

valeurs qu’elle représente, son cheminement montre des traits particuliers. Son émergence est

fluctuante, mais elle semble prendre un essor relatif, même si elle subit des éclipses temporaires.

Elle pourrait avoir les qualités d’un principe directeur latent, voire innommé, puisqu’elle s’incarne

dans une loi dont la portée est limitée et qui s’éteint après quelques années dans une relative

indifférence, mais elle ne paraît pas attirer l’adhésion générale et retrouve à terme son état

embryonnaire. Sa véritable cristallisation sous forme de principe directeur influent et sa

reconnaissance sont, de toute évidence, postérieures. Cependant, il n’y a pas de stagnation. Au

moment où la seconde révision du Code de procédure civile est envisagée, il est déjà considéré de

l’ajouter au déroulement de la procédure civile en matière matrimoniale. Des traces de son

influence et d’idées connexes sont discernables dans la réflexion sur l’intégration d’une nouvelle

procédure, la conférence préparatoire. De plus, un autre signe indique que la conciliation accède à

un rôle plus important en matière judiciaire. Le rapport de 1947 considère confier le rôle de

576 Le choix du nom «conciliation» pour désigner le principe directeur au XXIe siècle présente donc une cohérence

historique, puisqu’il rejoint des valeurs déjà présentes dans la procédure civile québécoise antérieure.

Page 139: L'évolution et la structuration des principes directeurs

129

conciliateur au juge de la Cour supérieure. La principale raison mentionnée pour rejeter ce choix

concerne l’investissement de temps qu’exige l’entreprise de la conciliation. En suggérant de créer

des tribunaux réservés aux causes matrimoniales, les auteurs ne repoussent pas d’office la

compétence des magistrats en tant que conciliateurs, puisqu’ils veulent confier ce rôle à des juges.

Ces circonstances accréditent toutes l’esquisse d’une évolution de la conciliation vers l’état de

principe directeur procédural latent au milieu du XXe siècle. Elles montrent aussi que son

intégration à la structure de la procédure civile progresse. L’idée de sa future introduction dans le

Code de procédure civile plonge donc ses racines dans l’histoire judiciaire et dans un processus de

reconnaissance fluctuant.

Les pouvoirs conférés aux juges au milieu du XIXe siècle se définissent dans un contexte

particulier. En effet, même si le système judiciaire connaît de nombreux changements après

l’adoption d’un système de tribunaux largement inspiré du droit britannique, celui-ci ne s’impose

pas dans un milieu sans tradition juridique et judiciaire. Par ailleurs, l’image du juge du XIXe siècle

traditionnellement véhiculée est avant tout celle d’un juge auditeur qui préside puis tranche les

débats sans s’y impliquer, en les dominant. C’est ce type de juge qui est parfois désigné par des

termes imagés et révélateurs : le juge «sphinx»577, entre autres. Comme le souligne François Ost,

«[l]a fonction du juge revient donc à trancher, de façon définitive, des contestations portant sur des

droits et réaliser ainsi, dans l’espèce litigieuse, la volonté de la loi. Sans doute, même dans le

modèle libéral-légaliste, cette conception demandera-t-elle à être nuancée et amendée; néanmoins

telle est la figure dont il importe de partir»578. Cette description rejoint le juge de type jupitérien

dans sa conception. Ce juge existe dans le cadre d’une représentation «classique» du droit codifié579.

577 La formule est utilisée à quelques reprises devant les tribunaux. Nous en verrons des exemples par la suite. À l’époque

actuelle, le jugement Brouillard Dit Chatel c. R., [1985] 1 R.C.S. 39, 44 (j. Lamer) est régulièrement cité à cet égard. Voir

aussi : F.A. c. M.S., 2006 QCCA 216 (CanLII), par. 4 (la Cour); Droit de la famille — 10287, 2010 QCCA 292 (CanLII),

par. 6 (j. Bich, juge unique), ou, en matière pénale, R. c. Evrard, 2005 QCCA 420 (CanLII), par. 34 (j. Rochon). 578 F. Ost, «Juge-pacificateur, juge-arbitre, juge-entraîneur. Trois modèles de justice», supra note 4, p. 45. 579 Voir la description de cette représentation dans F. Ost, «Jupiter, Hercule, Hermès : trois modèles de juge», supra note

60, p. 36-37, principalement.

Page 140: L'évolution et la structuration des principes directeurs

130

Chapitre 3. La structuration de la procédure civile et

l’évolution de son esprit, de la codification au milieu du

XXe siècle

Ce survol de l’évolution des Codes de 1867 et 1897 et de leur contenu a permis de mettre en

lumière quelques phénomènes structurants. Dans les faits, la conception de la procédure civile elle-

même est en mutation, surtout dans l’esprit de certains membres de la communauté juridique,

depuis la codification, mais surtout depuis la première révision du Code. L’ordonnancement et

l’interprétation de la loi, autant que les perceptions, y jouent un rôle considérable.

3.1. La structure de la procédure civile, entre protectionnisme et

formalisme

Le Code fait naître, subit ou renforce certains traits de l’application du droit civil procédural par sa

nature, sa lettre et sa portée autant par son insertion à un milieu juridique et judiciaire donné.

Le Code de procédure civile et la culture formaliste

La confrontation de règles héritées du XVIIIe siècle et du début du XIXe siècle à la réalité et aux

besoins de la pratique contemporaine n’est pas toujours heureuse. Par ailleurs, des auteurs et des

praticiens promeuvent une approche plus scientifique de la procédure civile, notamment dans

l’enseignement. Le développement du droit judiciaire après l’entrée en vigueur du Code de

procédure civile révisé en 1897 se divise encore entre tendances au formalisme et au non-

formalisme. La première domine durant les premières décennies du XXe siècle, mais l’adhésion à la

seconde s’amplifie. Cette réalité se manifeste à travers la production jurisprudentielle générale des

cours. En 1917, particulièrement, le juge en chef de la Cour du Banc du Roi, Sir Horace

Archambault, profite d’un jugement pour faire une revue des règles voulant qu’une procédure ne

soit rejetée que si elle cause un tort réel à la partie adverse. Il conclut que cette règle est générale :

«C’est le droit et l’équité qui nous gouvernent aujourd’hui. Nous avons mis de côté cette règle

inique de l’ancien droit qui voulait que la forme emportât le fond»580. Au contraire, d’autres

considèrent cette attitude incompatible avec le droit de l’époque. Pour eux, elle ne pourrait

s’appliquer qu’à des formalités relatives, accessoires, de pure forme ou de peu d’importance.

580 Krauss c. Michaud, (1917) 26 B.R. 504, 511 (j.e.c. Archambault).

Page 141: L'évolution et la structuration des principes directeurs

131

L’omission d’une formalité substantielle emporterait toujours nullité, car elle causerait préjudice du

fait même de la loi qui l’impose581.

Des scénarios similaires existent dans le cas de certaines procédures impliquant une discrétion

judiciaire. La requête civile en cas de jugements non susceptibles d’appel ou d’opposition, ou pour

lesquels ce recours serait inutile en offre un exemple. L’article 1177 C.p.c. a reçu deux formes

d’interprétation. La première considère que les cas d’ouverture de ce recours sont restrictifs et que

le juge a très peu de pouvoir pour les modifier. Elle s’appuie sur des jugements rendus dans les

années 1920, notamment par le juge Bruneau582. Une interprétation plus large, dont la présence est

attestée à la même époque, semble généralement adoptée une vingtaine d’années plus tard selon le

discours de Rosario Genest, l’un de ses tenants. La principale critique du professeur Genest vise

directement l’usage des sources dans l’interprétation restrictive, ainsi que la difficulté de celle-ci à

s’adapter aux changements sociaux et judiciaires contemporains. Le professeur Genest paraît

recommander une interprétation large du droit procédural nouveau, un droit procédural qui prend en

compte les besoins des justiciables engagés dans la vie contemporaine, dans lequel «la forme ne

l’emporte plus sur le fond» 583. Ainsi, même à une époque réputée formaliste et dans la

jurisprudence, la conformité stricte aux règles édictées par le Code n’est pas toujours prônée. Les

règles sont parfois susceptibles d’adaptation si une approche moins formelle semble plus

productive584.

Ce résumé expose l’existence d’un véritable courant en faveur d’un changement dans la perception

de la procédure civile et dans la pensée en matière d’encadrement de l’application des règles, en

faveur d’un assouplissement en matière de formalisme. D’ailleurs, les avocats et les juges sont

conscients de vivre une étape du développement de la procédure civile québécoise où les besoins de

changements sont cruciaux. Dès les années 1920, le juge Thibaudeau Rinfret de la Cour suprême

581 Reford c. Stadium (Incorporé) (The) (1918), 20 R.P. 150, 154-155 (C.S.) (j. Bruneau); Pichet c. Lemay (1913), 14 R.P.

282, 284 (C.S.) (j. Beaudin). Voir l’illustration de deux attitudes dans Serling c. Levine, (1912) 47 R.C.S. 103 : le juge

Brodeur décidant que la nullité est relative puisqu’elle ne pose pas préjudice, le juge en chef Fitzpatrick encourageant

l’idée d’un préjudice lié à la simple violation d’un article du Code. 582 Ethier c. De Limbourg, (1919) 55 C.S. 179, 185-209 (j. Bruneau) et Collin c. Charbonneau, (1921) 23 R.P. 72, 77-88

(C.S.) (j. Bruneau). Ceux-ci s’appuient visiblement sur l’ancien droit français. 583 R. Genest, «Procédure civile», (1942) 2 R. du B. 141, 142. Il en donne une nouvelle preuve quant à sa prise de position

à l’égard des restrictions décrétées par certains juges à l’utilisation des articles 286 et 286a, sur l’interrogatoire

préliminaire de la partie dans le cadre des procès en séparation de corps, alors que le Code ne créait pas une telle

restriction. Voir à cet égard R. Genest, «Séparation de corps», (1942) 2 R. du B. 241, 241-245, ainsi que les causes qu’il

cite : Patenaude c. Gingras (1926), 29 R.P. 219, 220 (C.S.) (j. Trahan) et Boily c. Pepin (1940), 44 R.P. 95, 95-96 (C.S.)

(j. Prévost). 584 Voir par exemple, concernant l’application de l’article 1344 C.p.c. (1867) dans un cas particulier en matière de

bornage, les remarques du juge Taschereau de la Cour suprême : McGoey c. Leamy, (1897) 27 R.C.S. 545, 550 (j.

Taschereau). Le juge souligne le fait que ceci «is not a case of arbitration under the Code, but of an agreement binding

upon the parties».

Page 142: L'évolution et la structuration des principes directeurs

132

remarque, à propos de la maxime voulant que la forme prédomine sur le fond, que «[p]eut-être […]

notre époque indique-t-elle une tendance à ne pas trop insister sur la procédure»585. Une recherche

plus approfondie sur ce sujet particulier serait nécessaire, mais les résultats préliminaires trouvés

dans le cadre de la réalisation de cette thèse permettent de formuler une hypothèse incidente. Il

semble qu’en matière de formalisme, un développement presque «générationnel» pourrait s’être

opéré. Un groupe d’avocats et de juges convaincus de la nécessité d’une diminution du formalisme

s’exprime davantage à partir des années 1920, approximativement. Il ne s’agit pas d’une idée sans

racines.

Dans la même décennie, l’absence d’implication du législateur et même des membres de la

communauté juridique dans la modernisation des règles du Code reste pourtant un élément

caractéristique de la situation, ce que soulignent d’autres réformateurs comme le juge Surveyer586.

Pourtant, l’intérêt pour de nouvelles façons de faire peut exister parmi les juges sans se traduire

concrètement puisque les règles du Code sont la loi et ne le permettent pas. Comme le résume en

1923 l’arrêt Corporation du village de la Malbaie c. Warren587 :

L'appelante appuie très fortement sur la grande importance qu'elle attache à une

déclaration judiciaire de ses droits et de l'étendue des obligations des intimés en vertu

du contrat entre les parties et sur le grand intérêt qui peut en résulter pour elle. Cette

Cour le croit sans peine, mais, tout de même regrette, (s'il était possible à un tribunal

d'avoir des regrets de ne pouvoir rendre des services et de n'avoir que des arrêts à

prononcer), de ne pouvoir se rendre à une invitation aussi pressante, et tout ce qu'elle

pourrait faire serait de conseiller à l'appelante de s'en rapporter à l'opinion de son

aviseur légal. Les tribunaux, en effet, prononcent des sentences qui sont des sanctions

et des remèdes, au cas où un droit a été lésé, mais ne donnent pas de consultations

légales.

Ce résumé des propos du juge en chef de la Cour d’appel décrit très exactement les effets d’un

jugement déclaratoire, une procédure qui n’est alors pas inscrite au Code. Il est d’ailleurs indiqué à

plusieurs reprises dans le discours jurisprudentiel que le jugement déclaratoire n’existe pas en droit

civil québécois588. Le juge Lafontaine, dans la cause citée, précise aussi qu’il ne trouve pas

d’exemple connu en doctrine ou en jurisprudence d’une demande au tribunal pour faire déclarer

l’existence de droits ou d’obligations inscrits dans un contrat. Il appert pourtant que des justiciables

ainsi que le juge considèrent que l’élargissement de la fonction judiciaire serait intéressant sur un tel

585 T. Rinfret, «Notre droit (suite)», (1925-26) 4 R. du D. 359, 368. 586 E.-F. Surveyer, «Réformes proposées au Code de procédure civile (Deuxième série)», (1925-26) 4 R. du D. 419, 419.

«Si j’avais eu des illusions sur le résultat produit par mes vingt premiers articles, l’effet du vingt-et-unième, qui les

récapitule, m’aurait désabusé», écrit-il avant de relater les quelques encouragements qu’il a reçus et d’informer ses

lecteurs qu’il n’en continue pas moins son travail. 587 Corporation du village de la Malbaie c. Warren, (1924) 36 B.R. 70, 71 (j.e.c. Lafontaine). 588 Laurier Saumur c. Québec (P.G.), [1964] R.C.S. 252, 257, (j.e.c. Taschereau) [ci-après, Saumur c. Québec (P.G.)].

Page 143: L'évolution et la structuration des principes directeurs

133

plan, ne serait-ce qu’en élargissant le service que la Cour peut rendre à la population. Par contre,

fidèle à la conception de son rôle telle qu’elle existe à l’époque, le juge doit rejeter la demande. Il

ne se reconnaît pas le rôle de donner une consultation. Nous pourrions dire, implicitement, qu’il ne

se reconnaît pas le pouvoir de créer le droit.

Le Code est la source principale du droit et l’interprétation des pouvoirs des juges doit s’y

conformer. Comme le déclare un juge à propos d’une demande d’introduire de nouveaux

paragraphes dans la demande initiale par le biais d’une réponse :

Il est vrai que ce n'est [peut-être] là qu'une chinoiserie de nos règles de procédure, –

comme le laissait entendre le demandeur à l'audition, –puisque un amendement

conduira au même résultat. Mais les règles de la procédure, fondées sur une très longue

expérience et édictées dans le meilleur intérêt de la justice, doivent être respectées,

comme le proclamait l'hon. juge Tellier en 1922 : –«Les règles de la procédure doivent

compter pour quelque chose; on n'a pas le droit de les méconnaître ni encore moins de

s'en moquer.» (Chave & Gaudet, 24 R.P., 145).589

Le juge refuse donc cette façon de procéder, qui contraste trop avec les règles du Code de

procédure civile telles qu’elles existent à l’époque. Pourtant, il suggère le recours à l’amendement,

soulignant que dans cette éventualité, le défendeur pourra aussi plaider à nouveau et qu’il faudra

accorder des frais minimaux (à savoir qu’il n’y aura pas un double honoraire de plaidoyer). Cette

simple cause est exemplaire, car le magistrat y illustre implicitement l’évolution de nombreux

phénomènes procéduraux et leur interdépendance. En effet, pour lui, le respect des formes

procédurales ne peut se faire au détriment du fond de la cause, ou en niant des aspects

fondamentaux du droit, comme l’obligation d’entendre les parties. Ceci transparaît dans sa décision.

En effet, il encourage l’usage de l’amendement590 pour assouplir le formalisme, il protège les droits

des deux parties d’être pleinement entendues sur la totalité du litige, il agit pour contrôler les frais

de la cause afin, comme il le dit lui-même, de ne pas limiter le recours à l’amendement591. Le juge

agit ici comme un intermédiaire entre différents aspects de la procédure civile. Son action permet

d’en assurer l’application la plus harmonieuse et utile possible.

Ainsi, avant les années 1920, il est possible d’identifier des précurseurs, mais les exemples

précédents illustrent que ces précurseurs semblent être plus nombreux durant cette décennie. À

contre-courant de la pensée encore dominante sur le sujet, ils n’en sont pas moins publiés et lus et

589 Lemieux c. Thibault (1927), 30 R.P. 148, 150-151 (C.S.) (j. Stein). 590 Au sujet de la procédure d’amendement, voir notamment p. 64. 591 Lemieux c. Thibault (1927), 30 R.P. 148, 150-151 (C.S.) (j. Stein).

Page 144: L'évolution et la structuration des principes directeurs

134

deviennent parfois professeurs. L’exemple d’Antonio Perrault592 ou de Rosario Genest593 peut venir

à l’esprit. En 1942, Antonio Perrault tente d’amorcer une réflexion sur la procédure civile dans les

pages de la Revue du Barreau594. Dans son texte inaugural, il se révèle un représentant des

praticiens du droit qui ont évolué vers une conception moins formaliste de la procédure civile. Il

reconnaît la nécessité d’avoir quelques règles procédurales précises, un minimum de forme pour

préserver l’ordre et garder de l’arbitraire des plaideurs et des juges. Mais il ajoute que la

démarcation entre «formalisme» et «laxisme» exagérés est une question «de degré»595. Selon lui, les

cas où la forme l’emporte sur le fond doivent se raréfier, les tribunaux devant préférer le droit aux

formalités596. Il conclut en se prononçant en faveur d’une procédure «simple, expéditive, peu

coûteuse»597. Par ailleurs, les exhortations d’auteurs une vingtaine d’années plus tard vont dans le

même sens et montrent une continuité dans la réflexion. Ainsi, le bâtonnier Yves Prévost suggère

aux magistrats d’abandonner de plus en plus le formalisme pour tenir compte des exigences de la

vie moderne598. L’avocat Guy Favreau soutient que la procédure ne doit pas être l’adversaire du

droit : ses formalités doivent avoir un caractère de nécessité et elles doivent être exemptes de pièges

pour les justiciables599. En un mot, il réclame de la souplesse en matière procédurale et de la

proportionnalité600. Comme nous l’avons vu, des juges aussi souhaitent secouer le joug du

formalisme depuis quelques décennies. Les exemples précédents, qui l’illustrent, montrent une

limitation de leur action, compatible avec la conception de leur fonction à l’époque. La difficulté à

établir une ligne de démarcation, difficulté à laquelle Antonio Perrault fait allusion, est palpable.

D’une part, il est relativement aisé pour les magistrats d’identifier l’excès de zèle en matière de

forme601. D’autre part, les circonstances différentes tendent parfois à créer des situations plus

complexes, puisque les formes de la procédure civile ont aussi leur raison d’être.

592 Antonio Perreault ou Perrault (1880-1955) est un avocat praticien qui a également été professeur de droit commercial à

l'Université Laval de Montréal (1912-1940) et dirige la Revue du Barreau durant les dernières années de sa vie (S.

Normand, «Antonio Perreault : intellectuel et juriste», (2007) 41 R.J.T. 545, 545). Ses articles dans la Revue du Barreau

étant signés Antonio «Perrault», nous avons respecté cette orthographe dans les notes de la thèse. 593 Rosario Genest (1884-1979), tout en pratiquant comme avocat, a été professeur de procédure civile de l’Université

Laval de Montréal durant près de trente ans (entre 1921 et 1950 environ) et a travaillé pour le Barreau. Il a même agi à

titre de bâtonnier de Montréal. (J. Genest et B. Baillargeon, Un idéal, une vie, Québec, Presses de l’Université Laval,

1998, p. 1). 594 A. Perrault, «La procédure civile dans la province de Québec», supra note 228, p. 5 595 Id., p. 2. 596 Ibid. 597 Id., p. 5. 598 Y. Prévost, «Le Barreau et la magistrature», (1966) 26 R. du B. 149, 151. 599 G. Favreau, «Procédure civile : Délais injustes – Procédures contre des femmes mariées», supra note 484, p. 325. 600 Ibid. 601 Voir à cet égard le refus d’une requête pour enquête et audition ex parte devant jury s’appuyant sur une omission du

mot «enquête» dans le titre d’un acte : Dumont Express Limitée c. Kleinberg, [1960] R.C.S. 617, 618 (j. Taschereau). À

titre comparatif, les articles 899a C.p.c. (1867) et 1162 C.p.c. (1897) prévoient que les mots «procédures sommaires»

doivent figurer sur tout original ou copie du bref à cet effet. Dans cet article, le législateur précise également que les

Page 145: L'évolution et la structuration des principes directeurs

135

Nourri de ces exemples, un groupe de plus en plus important de juristes ayant intégré et adhéré à la

critique du formalisme exposée dans la jurisprudence et la doctrine se constituait.

Hypothétiquement, nous suggérons que la décennie 1940-1950 pourrait être le moment où la masse

critique d’adhésion est suffisante pour provoquer une véritable remise en question de l’idéologie

formaliste dominante. Lorsque les travaux préparatoires de la seconde révision du Code de

procédure civile s’amorcent, il est question de mettre fin au réflexe de formalisme. De même, dans

les dernières décennies de la période, l’interprétation trop restrictive du contenu des règles du Code

est de moins en moins bien acceptée. Dans l’ensemble, le milieu du XXe siècle apparaît comme une

période où l’adhésion au formalisme et à l’interprétation restrictive de la procédure subit une remise

en question suffisante pour entraîner un véritable changement de paradigme. Les membres de la

communauté juridique s’ouvrent à de nouvelles perspectives en matière procédurale. Ils perçoivent

bien leur rôle dans cette évolution. Albert Mayrand, par exemple, encourage l’avocat à préparer le

droit de demain602. Pour lui, sa mission dépasse celle d’adapter les intérêts des clients à la loi,

puisqu’elle consiste aussi à adapter les lois aux réalités actuelles et aux exigences de la justice603.

L’avocat devient, sous sa plume, un «inventeur»604 du droit. Cette mission de l’avocat peut aussi

être partagée par le juge de l’époque, même s’il n’est en mesure de proposer des changements que

par la rédaction d’articles ou par le choix d’une interprétation large de la procédure civile. En

revanche, cette thèse propose que les principes directeurs qui sont suffisamment formés à une

époque, même s’ils ne sont pas encore nommés et codifiés, permettent en théorie d’identifier une

autre façon d’encadrer la procédure. C’est pourquoi dès la première codification et de plus en plus

par la suite, ils ont déjà pu influencer l’intérêt qu’y ont porté les juges et autres acteurs du système

judiciaire alors que l’importance du formalisme déclinait.

Pourtant, durant une longue période, l’innovation ou la possibilité d’innovation en matière de

procédure civile est limitée par l’esprit même du Code et la pensée du monde judiciaire. Même des

juges qui n’agissent pas en réformateurs semblent parfois manifester un intérêt pour des procédures

potentiellement bénéfiques et qui auraient permis des économies de temps et d’argent, tout en

sauvegardant des droits et en prévenant des conflits. En revanche, l’application de celles-ci n’est pas

envisagée. La responsabilité de créer et former les lois régissant la procédure civile appartient de

plein droit au législateur. Le juge se borne à appliquer ces lois. Son recours en matière d’innovation

dispositions du chapitre sur les matières sommaires «doivent être interprétées de manière à ne pas enlever l’option de

poursuivre en vertu des lois ordinaires de la procédure». 602 A. Mayrand, «L’avocat et l’élaboration du droit», (1956) 16 R. du B. 1, 4. Il cite en cela H. Mazeaud, L. Mazeaud et J.

Mazeaud, Leçons de droit civil, Tome premier, Paris, Montchrestien, 1955, p. 8, qui propose cette idée dans son avant-

propos sur l’enseignement du droit. 603 A. Mayrand, «L’avocat et l’élaboration du droit», supra note 602, p. 4. 604 Id., p. 4.

Page 146: L'évolution et la structuration des principes directeurs

136

est l’interprétation telle qu’elle est comprise à l’époque, il ne retient donc que les moyens qui

peuvent s’inscrire dans l’interprétation des articles du Code. L’absence de principes directeurs

nommés et codifiés, à l’exception de celui du contradictoire, restreint la marge de manœuvre à cet

égard. Les valeurs et les principes innommés ou latents offrent une base moins solide aux décisions,

car ces points peuvent être contestés605. De plus, il faut rappeler l’analyse faite par exemple par

Albert Mayrand, qui a souligné une certaine tendance à l’inertie chez les avocats lorsqu’il est

question de réforme des lois. Il explique cette réaction, entre autres raisons énumérées, par une

attitude plutôt «conservatrice» de la majorité606. Selon son argumentation, soucieux de la stabilité

des lois, les avocats sont peu engagés dans ce type de réforme. Il s’agit, en fait, d’une attitude qui

est classique de la part des avocats en tant que groupe à ses yeux607, puisqu’il va même jusqu’à

mentionner la «déformation professionnelle»608. De telles conceptions freinent les possibilités

d’innovation en procédure civile. Il y a donc des forces opposées qui s’exercent quant à la

modernisation de la procédure civile. Ces tendances parfois opposées ne sont cependant pas seules à

peser sur la structuration de la procédure civile, même si nous considérons qu’elles ont joué un rôle

important dans son orientation et dans le rythme de son évolution.

Le Code de procédure civile et la culture civiliste

La codification de 1867 voulait donner à la procédure civile québécoise un autre visage. Sans

toucher en profondeur aux règles applicables au moment de sa réalisation, elle avait l’ambition de

se doter d’un Code ordonné, efficace, rationnel, facilement utilisable et applicable, qui réunirait

toutes les règles nécessaires. Bref, les promoteurs de cette codification entendaient tirer tout

l’avantage possible de l’apport cartésien que pouvait offrir une codification, en plus d’encourager

les traits civilistes de la procédure civile. Que peut penser un observateur externe du résultat? D’une

part, la codification a bien imposé une structure plus uniforme à la procédure civile. Elle a aussi

réduit le nombre de sources à consulter pour identifier la loi applicable, ce qui a probablement

facilité le travail des avocats. D’autre part, il est utopique d’affirmer qu’elle a créé une source de

droit procédural unique, qui comprend toutes les règles applicables. Malgré les discours, chacun en

est conscient. En prévoyant l’adoption de règles de pratique609 ou en imposant au juge l’obligation

de juger même en cas de silence, d’obscurité ou d’insuffisance de la loi610 et d’interpréter les lois611,

605 Voir à titre d’exemple les hésitations qui empêchent de reconnaître l’intérêt «éventuel» comme fondement d’une action

durant une longue période et les tentatives d’élargissement de cette interprétation, notamment en lien avec l’article 77

C.p.c. : P. Ferland, Traité, supra note 190, p. 18. 606 A. Mayrand, «L’avocat et l’élaboration du droit», supra note 602, p. 3-4. 607 Ibid. 608 Id., p. 3. 609 Selon l’article 73 C.p.c. (1897), les Cours peuvent adopter des règles de pratique nécessaires à la mise en application

des dispositions du Code. 610 Art. 11 C.c.B.C.

Page 147: L'évolution et la structuration des principes directeurs

137

le recours ponctuel et circonstancié à des sources d’autres origines est sollicité. Par analogie, il est

intéressant de considérer une remarque du «Cours Jetté», qui prétend même que certaines

caractéristiques du droit tel qu’il est défini dans la province, comme le droit d’interpréter les lois,

amènent à reconnaître ainsi «tous les principes du droit naturel et fait un devoir au juge de puiser à

cette source féconde»612. Or, la référence au droit naturel chez les juristes qui reconnaissent son

existence sert parfois d’argument pour justifier l’application d’un principe, ou d’une valeur qui

encourage une forme de comportement en matière judiciaire ou procédurale. Par conséquent, cet

article pourrait être interprété comme permettant au juge de recourir aux principes directeurs qui se

dégagent de l’esprit du Code de procédure civile. Il lui donnerait ainsi une fonction accrue dans la

définition du droit applicable, ou un rôle néanmoins créatif, à défaut d’être créateur de droit.

La question de l’interprétation est d’ailleurs porteuse dans le cadre de notre étude de l’émergence de

principes directeurs. Le juge possède de larges pouvoirs d’interprétation et cette réalité devient aussi

une caractéristique du fonctionnement et de l’application de la procédure civile. «Tous les cas ne

peuvent être prévus, et s’il fallait imposer au juge une interprétation restrictive, vous l’empêcheriez

parfois de rendre justice à la partie à laquelle elle est due»613, déclare, par exemple, Rosario Genest.

Il relie cet argument à la nature du Code qui doit s’exprimer par des principes, donc d’une manière

synthétisée, plutôt que de tendre à prévoir toutes les situations614. Il considère que cela est

nécessaire au Code, sous peine de devenir arbitraire et inopérant615.

Par ailleurs, la procédure civile codifiée prend une dimension particulière dans le contexte

sociopolitique québécois. La conception du droit civil dans son ensemble au XIXe et au début du

XXe siècle prédispose les acteurs contemporains à développer une attitude protectrice envers le

texte même du Code de procédure civile. Un important courant social qui entend préserver «les

611 Art. 12 C.c.B.C. 612 L.-A. Jetté, «Extraits du Cours Jetté : De l’interprétation des lois», (1922-1923) 1 R. du D. 278. Le «Cours Jetté» se

compose de notes de cours colligées qui rapportent l’essentiel de cours dispensés par Louis-Amable Jetté à la faculté de

droit de l’Université Laval de Montréal. La revue n’offre aucune date quant à la préparation de ces textes. Cependant, L.-

A. Jetté commence à enseigner en 1878 et, en 1898, il quitte la charge de doyen qu’il occupait pour devenir lieutenant-

gouverneur de la province de Québec. (S. Normand, «Jetté, sir Louis-Amable», dans Dictionnaire biographique du

Canada, vol. XIV, Toronto/Québec, Presses de l’Université de Toronto/Presses de l’Université Laval, 1998, p. 581.) 613 R. Genest, «Procédure civile : Moyens de se pourvoir contre les jugements», (1942) 2 R. du B. 105, 107. L’auteur

s’intéresse alors à l’«opposition à jugement», prévue à cette époque aux articles 1163 à 1174 C.p.c. (1897). Cette

procédure est utilisée par un défendeur condamné par défaut qui a été «empêché de produire sa défense par surprise, par

fraude ou par une raison jugée suffisante par le juge» pour se faire «relever du jugement prononcé contre lui» (1163

C.p.c.). Dans le Code de 1867, il était question de «révision du jugement par défaut» qui était demandée par requête ou

opposition (483-493 C.p.c. (1867)). Ce type de procédure continue d’exister après 1965 sous le titre de «rétractation de

jugement». D’après son texte, le professeur Genest considère donc que ce pouvoir discrétionnaire du juge est essentiel à

l’exercice de sa fonction. 614 Ibid. 615 Ibid.

Page 148: L'évolution et la structuration des principes directeurs

138

institutions, la langue et les droits» des Canadiens français616 trouve écho dans le monde juridique et

plusieurs avocats et juges réputés adhèrent ouvertement à une forme de «nationalisme juridique»617.

Dans l’ensemble, les tenants de ces idées souhaitent préserver le droit civil québécois, son origine

civiliste et française, en lui évitant de s’imprégner de principes, de méthodes ou d'interprétations

issus de la common law. Plusieurs textes témoignent de la large diffusion de ces idées618, qui est

d’ailleurs le fait d’avocats tant francophones qu’anglophones619.

S’il se traduit surtout par la tentative de préserver le Code civil, ce courant de pensée a eu des

répercussions sur l’interprétation et le développement du Code de procédure civile, en encourageant

une interprétation plus stricte, souvent qualifiée de civiliste, tout en faisant preuve d’une grande

prudence dans son interprétation et sa modification. Or, le phénomène de réception a aussi des

répercussions en matière de changement culturel, notamment. Ainsi, il est possible de proposer que,

dans la structuration de la procédure civile, l’idéologie protectionniste à l’égard du Code puisse

freiner le recours à certaines sources lorsqu’il est question de l’adapter à de nouveaux besoins620. En

effet, le nationalisme en matière judiciaire peut parfois621 entraîner aussi un attachement marqué à

«l’ancien droit» implicitement perçu dans ce cas comme plus authentique. L’innovation procédurale

et le développement de nouveaux moyens procéduraux tranchant avec les «traditions» ne sont donc

616 Cela se rattache aux mouvements décrits par P.-A. Linteau, R. Durocher et J.-C. Robert, Histoire du Québec

contemporain : De la Confédération à la crise supra note 442, p. 307 et 319. J.-M. Brisson indique que ces traits, qui ont

certainement marqué le Code civil, sont moins présents dans le cas de la codification de la procédure civile (J.-M. Brisson,

La formation d’un droit mixte, supra note 12, p. 120-121). Cependant, il est probable que l’idéologie s’est graduellement

étendue au Code de procédure civile dans l’esprit de juristes «nationalistes» ou influencés par ce courant de pensée,

puisque dans les années 1920 et 1930, l’importance de sa nature française était décrite avec force exemples dans une

conférence, notamment (voir R. Genest, supra note 3). D’ailleurs, à la fin de la décennie 1930, Victor Morin ouvre son

article sur le droit civil en rappelant ces mots célèbres : V. Morin, supra note 233 p. 211. La locution «Nos institutions,

notre langue, nos lois» a été citée par de nombreux politiciens au XIXe siècle et au début du XXe siècle, utilisée dans des

titres de publications, comme devise du journal Le Canadien, etc. 617 Il n’entre pas dans le cadre de notre thèse de critiquer ou d’approuver l’idéologie d’un courant qui a eu une existence

légitime. Il ne s’agit que de souligner cette existence et ses buts puisqu’ils peuvent influencer et, dans ce cas, ont influencé

la perception de la procédure civile à une époque donnée. 618 J.-A. Gagné, «Notre Code Civil, ses Qualités, ses Défauts, ses Lacunes», dans Deuxième Congrès de la langue

française au Canada, Deuxième congrès de la langue française au Canada, Québec, 27 juin-1er juillet 1937. Mémoires.

L’esprit français dans ses différentes manifestations, Tome II, Section des lois, Québec, Imprimerie de l’Action

Catholique, 1938, p. 201; R. Genest, «Notre Code de Procédure civile, ses Qualités, ses Défauts, ses Lacunes», supra note

3, p. 227-228; P.-B. Mignault, «Le juge Brodeur», supra note 233, p. 245-247; P.-B. Mignault, «L'avenir de notre droit

civil», supra note 233, p. 59-62; M. Nantel, «Mœurs judiciaires (Le Barreau)» dans Deuxième Congrès de la langue

française au Canada, Deuxième congrès de la langue française au Canada, Québec, 27 juin-1er juillet 1937. Mémoires.

L’esprit français dans ses différentes manifestations, Tome II, Section des lois, Québec, Imprimerie de l’Action

Catholique, 1938, p. 198-200; L.A. Jetté, L. Lorrain et W.A. Weir, supra note 365; p. x-xii. 619 J. Fenston, «Procedural Divagations», (1943) 3 R. du B. 61, 63. 620 Soulignons que certains magistrats font preuve d’une approche pragmatique en la matière : les institutions issues du

droit anglais peuvent être interprétées avec l’aide des sources de common law. Voir notamment Renaud c. Lamothe,

(1903) 32 R.C.S. 357, 364-366 : le juge Girouard soutient que le recours au droit français se justifie si le contenu des

articles du Code civil est resté similaire au Code français, mais que dans le cas contraire, si la loi anglaise avait été

adoptée sur un sujet, il faudrait pouvoir avoir recours aux sources anglaises. 621 Par exemple le juge Bruneau, qui n’hésite pas, dans plusieurs jugements, à rechercher les racines anciennes des règles

d’application contemporaine.

Page 149: L'évolution et la structuration des principes directeurs

139

pas toujours bien acceptés622. De même, cela mène à restreindre les emprunts à d’autres systèmes de

droit ou à d’autres provinces. Ceux qui sont faits nécessitent de l’être avec prudence. Ils sont choisis

afin de s’harmoniser aux règles existantes et traitées de façon à se fondre dans la philosophie

générale d’une procédure considérée être d’origine civiliste623, ce qui fait partie de la stratégie de

réception. Dans l’ensemble, les modifications peuvent influencer les mouvements de résistance à un

changement culturel ou à une acculturation. Il s’agit en effet de l’une des réponses classiques à un

tel événement et elle provient souvent de raisons telles que l’attachement au passé et la difficulté

d’accepter, du moins temporairement, ce qui est perçu comme un emprunt ou provenant d’une autre

culture624, quelle qu’elle soit625. Le fait de bouleverser la tradition apparaît parfois plus important

que l’origine initiale des influences empruntées. Par ailleurs, de telles réticences peuvent aussi

constituer des obstacles à surmonter par les éléments plus progressistes. Elles participent également

à l’évolution du Code. Elles ont joué un rôle dans le choix du contenu et dans le rythme d’évolution

de la procédure civile. Il n’appartient pas à l’observateur de dire que ces attitudes aient été bien ou

mal avisées, puisqu’il est essentiel de considérer d’autres données sur ces questions. En effet, la

nature du Code le place dans une situation ambivalente. Le Code de procédure civile est-il plus ou

moins susceptible d’être influencé par un droit «externe», non-civiliste, que le Code civil?

D’une part, la procédure civile québécoise est d’origine mixte, car elle a connu l’influence de deux

traditions juridiques626, avant de devenir une procédure plus uniformisée par le Code et particulière

au Québec. Cette situation a créé des avantages reconnus par les avocats et les juges.

Ces réformes ou ces innovations juridiques furent, pour la plupart, très sages, et la

meilleure preuve que je puisse en donner est le fait que nous en avons reproduit un

grand nombre dans nos Codes et dans nos Règles de pratique actuelles, comme

complément nécessaire, j’oserais dire, de l’ancien droit français, et de notre nouvelle

organisation judiciaire. Nous avons fait nôtres toutes ces lois, et nous y tenons,

aujourd’hui, autant qu’au droit français lui-même, celui de nos pères, le droit national

de la province de Québec627.

622 Dans un contexte français, Rémy Cabrillac parle de «blocages d’ordre psychologiques» à la recodification, énumérant

notamment «l’aura acquise par le code ancien», la force symbolique que l’ancien Code acquiert, la force des habitudes…

(R. Cabrillac, «D’un code à l’autre, les difficultés d’une recodification», dans M. Puech (dir.), De code en code :

Mélanges en l’honneur du doyen Georges Wiederkehr, Paris, Dalloz, 2009, p.58-59). Voir aussi R. Cabrillac, supra note

14, p. 126-128. De telles réalités se présentent aussi certainement dans le cadre québécois. 623 L.A. Jetté, L. Lorrain et W.A. Weir, supra note 365, p. x-xii. 624 A. Brami, supra note 110, p. 57-58; R. Bastide, Anthropologie appliquée, Paris, Stock, 1998, p. 53-55 et 58-61. 625 Dans le cas actuel, il faut rappeler qu’il ne s’agit pas nécessairement d’une question d’«ethnicité», car cette idée de

culture peut s’appuyer sur l’aspect juridique ou traditionnel, autant que national. Beaucoup se réclament cependant plus ou

moins directement du droit français, voir M. Nantel, «Mœurs judiciaires (Le Barreau)», supra note 618 p. 199-200. 626 Voir notamment J.-M. Brisson, La formation d’un droit mixte, supra, note 12, p. 36-71. 627 A.-A. Bruneau, «De la limite des pouvoirs des juges et des tribunaux», supra note 233, p. 294-295.

Page 150: L'évolution et la structuration des principes directeurs

140

D’autre part, le fonctionnement du système des tribunaux place la procédure civile dans une

position particulière. Les avocats, les juges et les justiciables sont en contact constant avec ces

règles. Ils appliquent celles-ci pour présenter, entendre, décider les causes. Le Code devient un outil

usuel. Dans ce contexte, il doit se montrer à la hauteur des besoins et des attentes et permettre de

servir les intérêts de la justice. Cette situation entraîne le développement d’une conception

pragmatique de la procédure civile, une approche souvent utilitaire de son contenu. Cette attitude

est commune à de nombreux usagers des règles du Code. Un membre du Barreau de Montréal qui

rejette par ailleurs les emprunts à la common law s’exprime en ces termes : «from the point of view

of the litigant, a cogent, scientific, just rule of procedure, which will permit him to "prove his facts"

is of greater importance than even the law itself»628. Il se réfère ensuite à de grands juristes anglais

qui soulignent que la loi existe pour le bien des justiciables et non pour la satisfaction scientifique

des juristes629. Cette attitude pragmatique oblige à une réflexion constante sur l’application du Code

de procédure civile dans la société contemporaine, et non dans une réalité idéalisée.

En théorie, les juges québécois jouissent d’un pouvoir important en matière procédurale. Certains

tendent même à le définir de façon très large. La Cour suprême et le Comité judiciaire du Conseil

privé se montrent souvent réfractaires à l’idée de se prononcer sur des questions processuelles630. Le

Comité judiciaire du Conseil privé affirme à plus d’une reprise sa déférence face aux cours

québécoises en matière de procédure631. Les tribunaux de dernière instance, en Angleterre ou au

Canada, préfèrent d’ailleurs éviter de se prononcer «dans l’appréciation par nos tribunaux des faits

ou dans les décisions sur la procédure»632, sauf si un problème majeur est soulevé. Plusieurs

avocats, auteurs et magistrats considèrent d’ailleurs avec réserve la jurisprudence, particulièrement

lorsqu’elle émane de la Chambre des Lords, du Comité judiciaire du Conseil privé et même, parfois,

de la Cour suprême du Canada. Ils craignent que les jugements ne soient pas appuyés par l’esprit

français (il faut entendre civiliste)633. Ces circonstances font de la Cour du Banc du Roi ou de la

628 J. Fenston, supra note 619, p. 67. 629 Ibid. 630 Ceci convient à certains membres de la communauté juridique, inquiets que ces instances tendent à faire pénétrer des

éléments de common law dans le droit civil (à titre d’exemple, consulter A.-A. Bruneau, «De la limite des pouvoirs des

juges et des tribunaux», supra note 233, p. 295-296). Des exemples où ces instances se sont sciemment abstenues de tels

comportements nuancent cette théorie (Forget c. Baxter, [1900] A.C. 467, 477-478 (Sir Henry Strong)). 631 Kent c. Communauté des Sœurs de Charité de la Providence (La), [1903] A.C. 220 (Lord Davey, en appel de la Cour

du Banc du Roi de la province de Québec); Montreal Light, Heat and Power Consolidated c. City of Outremont, [1932]

A.C. 423, (Lord Tomlin, en appel de la Cour du Banc du Roi de la Province de Québec). 632 R. Genest, «Notre Code de Procédure civile, ses Qualités, ses Défauts, ses Lacunes» supra note 3, p. 231, à propos de

la Cour suprême du Canada. Voir notamment, à titre d’illustration, Mayor, Aldermen, and Citizens of the City of Montreal

(The) c. Brown, (1876) 2 A.C. 168, 184 (Sir Henry Keating); Lambe c. Armstrong, (1897) 27 R.C.S. 309, 312 (j.

Girouard). 633 Voir par exemple les critiques de S. Pagnuelo sur la connaissance des lois civiles et françaises par les juges du Comité

judiciaire du Conseil privé et une partie des juges de la Cour suprême (S. Pagnuelo, supra note 381, p. 115-117

Page 151: L'évolution et la structuration des principes directeurs

141

Reine et de la Cour supérieure les instances privilégiées pour l’interprétation jurisprudentielle à la

fin du XIXe siècle et au début du XXe siècle. Pourtant, même avec cette politique de déférence,

l’utilisation de la jurisprudence qui ne serait pas sévèrement contrôlée par l’interprète apparaît

comme un danger à des auteurs, juges et praticiens, puisque des concepts de common law

pourraient ainsi se diffuser dans le droit civil634. De même, les avis du milieu judiciaire seraient

partagés quant à la reconnaissance de la jurisprudence issue de tribunaux supérieurs par des

tribunaux inférieurs ou quant au poids à accorder à un jugement de la Cour supérieure lorsqu’une

autre formation de cette même Cour s’apprête à rendre une décision, par exemple635. Cette question,

qui traite de la culture professionnelle dans le cadre du système judiciaire, montre que cette réalité

influence aussi la structure de la procédure civile. L’apport du professionnalisme dans la culture

judiciaire ne se limite pas à de tels débats. Beaucoup plus que d’autres lois, la nature et la vocation

du Code de procédure civile636 en font un outil «spécialisé». Les avocats, notamment, peuvent

s’approprier ce texte, qui leur est principalement réservé ou destiné. En effet, peu de justiciables

connaissent et peuvent appliquer seuls la procédure civile. Lorsque l’affirmation est faite que «la

partie» est maîtresse de sa procédure et de sa preuve, la réalité veut que l’avocat oriente les choix en

cette matière. Lorsque les avocats défendent ce principe directeur innommé, ils défendent celui-ci

aussi, et parfois surtout, au nom de l’utilisation qu’ils peuvent en faire et de la latitude qu’il leur

garantit en matière procédurale à titre de praticien. La résistance à l’intervention du juge, tout autant

que l’idéologie liée à la neutralité, a probablement aussi une seconde intention que l’on pourrait

qualifier de corporatiste. L’attitude de protection envers le Code est peut-être aussi une attitude de

protection envers la profession juridique et le rôle de l’avocat dans le déroulement des procès. Ce

rôle lui-même appartient à la conception «traditionnelle» du droit judiciaire. Il faut donc

(Douzième lettre)). Il indique que la Cour suprême pourrait être amenée à changer cet état de choses. Voir aussi A.-A.

Bruneau, «Fondement des systèmes de droit anglais et français», (1923-1924) 2 R. du D. 413, 422-423. 634 Ils craignent toujours la diffusion des concepts de common law dans le droit civil. Voir, sur l’influence de la

jurisprudence, A.-A. Bruneau, «De la limite des pouvoirs des juges et des tribunaux», supra note 233, p. 295-296. Voir

également P.B. Mignault, «L'avenir de notre droit civil», supra note 233, p. 61-62. Cet article parle du Code civil, mais

l’analogie avec le droit procédural est enrichissante. Par ailleurs, le juge Mignault s’élève contre l’utilisation de l’estoppel,

au profit de la fin de non-recevoir, plus civiliste. Il voit un danger même dans l’usage du mot estoppel, l’habitude du

vocabulaire facilitant à la longue la perméabilité aux concepts (Id., p. 64-65). Considérer également M. Nantel, «Mœurs

judiciaires (Le Barreau)» supra note 618, p. 198-200. 635 Voir J.A. Aylen, discours sur «The Administration of justice and the Courts» dans «Congrès du Barreau de la

Province», (1944) 4 R. du B. 424, 431. Considérer aussi les remarques en page 78. 636 Comme l’écrit R. Genest, le «but donc de la procédure est bien l'accomplissement de la loi civile, et ses règles sont

d'autant plus parfaites que le but sera mieux atteint, c'est-à-dire, qu'elle tracera la route la plus simple, la plus courte et la

plus sûre.

Un bon système de procédure doit donc se faire remarquer par la simplicité, la brièveté et la sûreté. Il doit rendre la même

justice en faveur de la partie qui réclame qu'en faveur de la partie qui se défend.» R. Genest, «Notre Code de Procédure

civile, ses Qualités, ses Défauts, ses Lacunes», supra note 3, p. 222. L’ambitieuse tentative d’établir un système de

procédure civile tel que le décrit l’auteur nécessite dès l’abord le développement d’un Code hautement technique et

pratique. Antonio Perrault a aussi parlé de l’importance de la procédure civile et de son étude. A. Perrault, «La procédure

civile dans la province de Québec», supra note 228, p. 1-2.

Page 152: L'évolution et la structuration des principes directeurs

142

comprendre que la conception des professions juridiques, notamment celles d’avocat et de juge,

n’est pas étrangère à l’application des règles du Code et à la façon dont elles se développent. Pour

les principes directeurs codifiés, mais aussi innommés ou latents, les possibilités de développement

devront donc se modeler aussi en tenant compte de ces perceptions.

Cela s’applique notamment en matière de jurisprudence, dont nous esquissons l’influence limitée en

procédure civile durant cette période. Illustrant une tendance réelle parmi ses confrères, le juge

Bruneau rappelle que, dans le système québécois, les juges n’ont pas le pouvoir de faire la loi ou de

la modifier637. Une telle approche qui rejoint le formalisme mène à une conception relativement

étroite du rôle de la jurisprudence. Elle restreint aussi la possibilité pour le droit procédural

d’évoluer par lui-même, avec les avantages et les inconvénients que comporte un tel choix. Celui-ci

a probablement un effet positif sur la cohérence, la sécurité et la simplicité de la procédure civile,

ainsi que sur la célérité générale des procès. Il signifie aussi que le Code sera appliqué avec une

dose de rigidité, qu’il est susceptible de se démoder et qu’il devra être révisé périodiquement pour

intégrer des solutions aux nouvelles difficultés qui surgissent avec l’évolution des besoins des

justiciables. Ainsi, le juge638 conseille aux magistrats qui considèrent une loi incomplète de ne pas

exposer leurs suggestions de modifications par le biais de jugements. Il reconnaît aux juges le

pouvoir de créer des règles de pratique, mais ceci se produit dans un cadre clairement défini et

restreint639. Par ailleurs, cette restriction apparaît moins rigoureuse chez d’autres magistrats : «[c]e

n’est pas évidemment aux juges qu’il appartient de prendre l’initiative de la législation et de

l’incliner dans ce nouveau sens ou dans cette nouvelle direction. Il leur faut attendre l’action du

législateur. Mais il leur appartiendra de donner à ce Droit nouveau, une interprétation large et

sympathique»640. Une telle approche impose de sévères limitations au pouvoir créateur du juge et à

sa capacité à modifier ou interpréter largement les règles du Code de procédure civile, celui-ci

devant être protégé, ainsi que les règles qu’il contient. Pourtant, dans plusieurs cas, il revient au

juge, par interprétation surtout, de rétablir l’équilibre entre société et procédure civile.

D’ailleurs, l’interprétation des articles du Code permet de reconnaître ou non certains de ces

changements sociaux et, incidemment, de conférer à la procédure civile et aux juges une image plus

novatrice ou plus conservatrice641. Théoriquement, il est nécessaire que le juge de la Cour

637 A.-A. Bruneau, «De la limite des pouvoirs des juges et des tribunaux», supra note 233, p. 296. 638 Ibid. Il engage ses pairs à faire des suggestions de changements, sans préciser de quelle manière. 639 Id., p. 293-294. Il est intéressant de comparer cette vision à celle qui a été proposée à la fin du XXe siècle, notamment

par l’arrêt Lac d’Amiante, comme nous le verrons par exemple en page 327. 640 T. Rinfret, «Réponse», (1945) 5 R. du B. 339, 346. 641 C’est le cas de l’interprétation de l’article 25 C.p.c. (1897) en 1922, lorsque la question se pose de savoir si la présence

du mot «personne» permet d’assermenter des femmes comme commissaires avec la charge de recevoir des affidavits.

Page 153: L'évolution et la structuration des principes directeurs

143

supérieure, malgré son impartialité, tienne compte des modifications sociales642 qui se produisent au

Québec entre 1867 et 1965. Mais, limités par les balises posées par les lois, les juges semblent

quelquefois impuissants à adapter la loi à une réalité sociale nouvelle. Des actions entreprises contre

ces groupes désignés alors comme des «entités non incorporées» le démontrent643. Avant que cette

modification n’intervienne, la Cour supérieure est incapable de reconnaître un syndicat non

incorporé comme une partie au litige644, et des justiciables dont la cause paraissait autrement digne

d’être examinée se trouvent plus démunis devant la justice645. L’ajout de deux nouveaux articles au

Code permet de poursuivre des groupements de personnes associées pour la poursuite de fins ou

avantages industriels, commerciaux ou professionnels et confère la possibilité d’ester en justice à

des associations de salariés au sens de la loi sur les relations ouvrières à partir de mars 1960646. Les

conséquences de la pensée formaliste nous apparaissent ainsi aussi nombreuses que diversifiées.

Il est bon de souligner que la réaction qui encourage au formalisme découle en partie d’une attitude

de protection qui fait partie intégrante du travail des juges et des avocats. Les raisons idéologiques

prônées par des acteurs du monde judiciaire s’ajoutent aux raisons pratiques soulignées

Anonyme, «Un sérieux précédent», (1922-1923) 1 R. du D. 380, 380-382. Cette affaire montréalaise n’est pas sans

rappeler, à une échelle strictement locale, la cause célèbre qui a amené, en 1929, le Comité judiciaire du Conseil privé à

déclarer que les femmes étaient des personnes au sens de l’AANB. Pourtant, il serait dangereux d’interpréter les opinions

quant aux droits des femmes uniquement sur la base des décisions des deux juges résumées dans cet article. L’opinion

intime des magistrats sur la nomination de dames à ces postes de manière générale demeure de la nature des conjectures,

compte tenu d’une attitude généralisée de respect formel du texte de la loi et du poids des précédents. Seuls les résultats de

leur action sont visibles. Soulignons aussi qu’à la Cour des jeunes délinquants de Montréal, dès sa formation en 1910

(sous la présidence du juge Choquet de la Cour des sessions de la paix), des femmes sont nommées parmi les quelques

«officiers de probation» qui font certaines enquêtes et assurent le suivi des enfants. Bien que rattachées à un tribunal pour

mineurs, donc plus proche d’un domaine où la femme est perçue comme ayant un rôle à jouer à l’époque, cette réalité

montre que l’implication féminine dans les domaines auxiliaires de la justice n’est pas sans précédent : voir à cet égard

l’explication de David Niget dans D. Niget, La naissance du tribunal pour enfants : Une comparaison France-Québec

(1912-1945), Rennes, Presses universitaires de Rennes, coll. Histoire, 2009, p. 77, 116-119, entre autres. 642 Y. Prévost, supra note 598, p. 151. 643 Au début du XXe siècle, une corporation légalement constituée qui possède une personnalité et un nom distincts de

ceux de ses membres possède le droit de plaider, selon 358 C.c.B.C. Cependant, diverses sociétés commerciales ou civiles

ayant des noms propres, ou encore des associations ou des clubs n’ont pas ce privilège de pouvoir plaider s’ils ne sont pas

constitués en corporation, car ils ne constituent pas un «corps légal distinct». Ces groupes non légalement constitués ne

peuvent d’ailleurs ni s’engager ni posséder de biens qui leur sont propres. Seuls leurs membres individuellement

possèdent ces droits. (Voir à ce sujet F. Roy, Des restrictions au droit de plaider en matière civile : thèse pour le doctorat,

supra note 11, p. 52). 644 Society Brand Clothes Ltd. c. Amalgamated Clothing Workers of America, [1931] R.C.S. 321, 328 (j. Cannon). 645 L’action conjointe est permise pour certaines catégories de personnes, tant pour les défendeurs que pour les

demandeurs (même si des opinions contraires ont parfois été émises). Selon Philippe Ferland, en 1941, elle est notamment

inscrite dans la loi de la convention collective. En effet, selon l’article 53 de la Loi de la convention collective, S.R.Q.

1941, ch. 163, cette action peut être entreprise par les salariés ou le comité paritaire contre un même employeur. Les

conditions et restrictions liées à l’action, à l’intérêt, etc., s’appliquent à cette loi et à celles qui l’ont précédée et ont été

modifiées notamment durant la décennie 1930 (voir par exemple Loi modifiant la Loi relative à l’extension des convention

collectives de travail, (1936) 1 Ed. VIII (2e sess.), c. 24, art. 1 et Loi de la convention collective, (1940) 4 Geo. IV ch. 38,

art. 53). L’importance d’une telle forme d’action est louée par certains. «Elle rend en effet de grands services. Elle sert les

fins de la justice. Elle réduit les frais. […] [e]lle ne cause aucun préjudice à la partie adverse. Les parties ne plaident pas

les unes pour les autres, ni avec le nom des autres, elles ne réclament que leur dû. Elle est conforme en tout point à l’esprit

du Code de procédure […].» P. Ferland, Traité, supra note 190, p. 6. 646 Il s’agit des articles 81a et 81b C.p.c., introduits par la Loi modifiant le Code de procédure civile, (1959-60) 8-9 Eliz.

II, c. 99, art. 6.

Page 154: L'évolution et la structuration des principes directeurs

144

précédemment et qui rendent le formalisme logique en matière procédurale. Cela ne signifie pas que

l’évolution de la procédure civile se fasse en vase clos dans le Québec de la fin du XIXe siècle et du

début du XXe siècle. L’emprunt au système juridique de la common law est légitimé par divers

auteurs647. Le phénomène de l’emprunt de façons de faire éprouvées afin d’améliorer le

fonctionnement de la procédure civile et des tribunaux est une technique illustrée dans les

documents liés à la révision du Code648. De plus, l’attitude protectrice qui tend à conserver les liens

de chaque moyen procédural au système d’origine dont il est issu ne fait pas que des adeptes.

Aldéric Laurendeau, avocat, remarque spécialement que le bref de prohibition et le bref de

certiorari trouvent leur origine dans le droit anglais, mais que ces matières sont intégrées au Code

depuis longtemps. Elles sont «naturalisées québécoises et, par conséquent, sujettes aux règles

d’interprétations contenues dans nos propres codes»649. Il s’interroge donc sur les raisons qui font

hésiter à remanier les règles qui les expriment, si cela semble utile650.

Dans la pratique, cet entrecroisement de règles issues de systèmes différents, mais qui doivent

fonctionner harmonieusement, pose avec plus d’acuité la question de l’incorporation des règles à

une procédure civile québécoise unifiée. La procédure civile codifiée présente l’avantage d’être

écrite, ce qui répond à un objectif de stabilité déjà évoqué antérieurement. Les plaideurs doivent

comprendre que cette stabilité n’est pas un vain mot, non plus que la directive donnée aux

commissaires à la codification de retenir le droit actuellement en vigueur au Bas-Canada651.

L’insertion dans le Code d’un certain type d’acte de procédure ne signifie pas pour autant qu’il

conserve tous les traits de la tradition juridique dont il est issu, qu’elle soit française ou anglaise, ni

qu’il s’appliquera de la même façon que dans celle-ci. La codification permet aussi une

transformation de la procédure pour la rendre plus conforme aux besoins présents des tribunaux et

des justiciables. Il peut donc y avoir des traits voisins de l’acculturation par intégration ou par

hybridation dans ces deux cas, selon que la procédure empruntée se fond dans la procédure du Code

647 Par exemple le juge en chef de la Cour suprême du Canada, Thibaudeau Rinfret, qui n’admet pas l’imposition des

réformes issues d’une autre tradition juridique, mais il n’a aucune objection à ce qu’elles soient adoptées et assimilées

volontairement si elles ont du mérite et peuvent apporter des améliorations au droit. T. Rinfret, «Réponse», supra note

640, p. 344. 648 Citons quelques exemples. La compétence du juge en Chambre est plus détaillée dans le Code de procédure civile de

1897. Les commissaires se sont inspirés de règles de pratique de l’Ontario pour prévoir des changements. (Quatrième

rapport de la commission chargée de reviser et de modifier le Code de procédure civile du Bas-Canada, supra note 7, p.

ix.) La nouvelle pratique proposée consistant à assigner les héritiers et à leur signifier des actions contre la succession

dans les six mois du décès en envoyant une assignation collective sans donner de nom à l’ancienne adresse du défunt est

tirée du Code de Genève. (Id., p. xiii.) La proposition d’un nouveau système de transcription des notes sténographiques du

procès de première instance, qui se base sur une transcription en cas de besoin (appel ou révision) ou sur l’ordre d’un juge,

est basée sur le système existant à New York. (Id., p. xxii.), entre autres. 649 A. Laurendeau, «Prohibition et certiorari», (1955) 15 R. du B. 211, 216. 650 Ibid. 651 Acte pour pourvoir à la codification des lois du Bas-Canada qui se rapportent aux matières civiles et à la procédure,

(1857) 20 Vic., c. 43, art. 6.

Page 155: L'évolution et la structuration des principes directeurs

145

ou qu’elle est modifiée pour s’y adapter tout en participant à la modification partielle des règles

d’accueil dans une optique perçue comme plus «moderne»652. L’emprunt, effectif ou considéré, à

d’autres droits qui ne sont pas aux origines du droit québécois est aussi recensé, ce qui illustre que

dès le XIXe siècle, les emprunts totalement exogènes sont aussi de mise en procédure civile653.

Dans les faits, les tentatives pour moderniser et accélérer la procédure passent souvent par la

suggestion d’impliquer davantage le juge, par exemple, dans l’instance, et répondent parfois à des

changements sociaux, comme les sources consultées l’ont établi. Cette suggestion reçoit la caution

de l’application accrue de principes directeurs procéduraux dans plusieurs textes654. Les moments

de révision du Code apparaissent privilégiés pour proposer une discussion sur ces modifications655.

Les exemples étudiés précédemment démontrent l’existence d’une intention de rendre le juge plus

interventionniste dans plusieurs circonstances. Cela prouve déjà l’existence latente d’une

représentation de la fonction judiciaire qui s’éloigne de plus en plus de l’image d’un juge que l’on a

décrit depuis comme un «juge-sphinx».

Le milieu du XXe siècle, notamment à partir de la fin de la décennie 1940, est particulièrement

marqué par une intention d’assouplir l’application de la procédure civile. L’avant-projet de révision

du Code de 1947 en est l’un des exemples les plus explicites, notamment lorsqu’il soutient que le

Code en vigueur pèche par trop de précision, ce qui nuit à son application656. La solution proposée

pour l’amélioration de la situation passe par l’élargissement de la fonction du juge. L’introduction

même du rapport plaide pour «[m]oins d'énonciation dans la loi et plus de latitude au juge»657. Ce

dernier possède la compétence nécessaire. Il lui est aussi loisible d’examiner la situation en cour et

652 Considérer à cet égard les explications données en introduction. Pour les définitions, voir notamment S. Normand, «La

culture juridique et l’acculturation du droit : le Québec», supra note 116, p. 2. 653 Par exemple, les règles l’injonction présentes dans le premier Code et d’origine britannique sont remplacées par celles

de l’injonction californienne, Quatrième rapport de la commission chargée de reviser et de modifier le Code de procédure

civile du Bas-Canada, supra note 7, p. lxxvi. Voir, à ce sujet, la discussion en page 245. 654 Lorsqu’il est question, en 1894, de modifier l’encadrement de l’interrogatoire des parties et des témoins, en offrant au

juge du procès un meilleur suivi de l’instruction (Premier rapport de la commission chargée de reviser et de modifier le

Code de procédure civile du Bas-Canada, supra note 7, p. 19), le débat contradictoire est mieux protégé et mieux encadré.

Les mesures restreignant la preuve sont parfois perçues comme entravant la maîtrise de son dossier par la partie, elles

permettent toujours la présentation de la preuve, comme dans le cas l’établissement d’une limite du nombre de témoins

dont les frais sont taxables pour prouver un même fait : Id., p. xxii-xxiii. Voir la mesure finalement adoptée, art. 337

C.p.c. (1897). 655 Si le contenu des lois de procédure civile influence fortement le développement d’une définition de la fonction

judiciaire, il est difficile de déterminer si les pouvoirs des tribunaux, et par contrecoup ceux des juges, ont été affectés par

la façon de rédiger les Codes. Certains auteurs affirment que l’«esprit anglais» a «présidé à la codification de 1897», cet

esprit étant porté «à voir de la procédure partout» et, ce faisant, éviterait de faire des distinctions et pourrait «élargir la

juridiction» des tribunaux puisque la procédure relève «de la lex fori» (E.-F. Surveyer, «Réformes proposées au Code de

procédure civile : XXI. Cautionnement judicatum solvi», (1924-25) 3 R. du D. 421, 422). Cependant, les exemples

proposés reposent notamment sur l’inclusion d’articles du Code civil dans le Code de procédure civile révisé, par exemple

en matière de contrainte par corps et de cautionnement pour frais (Id., p. 422). 656 A. Désilets et G. Trudel, supra note 406, p. c. 657 Ibid., p. c.

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146

comprendre les réactions des plaideurs. Puisque les conditions dans lesquelles une loi est applicable

sont innombrables, l’auteur suggère de s’en remettre au «tact» du tribunal pour prendre en charge

cette application en pratique658. Il rappelle que cette façon de faire est une technique connue et qu’il

a tenté de «l'amplifier et d'en tirer un plus grand parti»659. Les juges sont ainsi perçus comme des

piliers de la future révision et d’une application plus efficace de la procédure civile lorsque celle-ci

aura été remaniée. Cette nécessité de changement montre l’influence directe de la conception

procédurale sur le rôle des juges québécois et une intention de s’éloigner d’une procédure civile

conçue dans une optique d’application rigide.

L’hypothèse que nous favorisons veut que le rapport de 1947 convie les avocats et les magistrats à

une petite révolution dans la manière d’envisager la procédure civile. L’importance du Code de

procédure civile en tant qu’outil n’est pas remise en cause. Pourtant, si la mentalité qui préside à la

rédaction de ce document devait prévaloir, sa place centrale dans la compréhension de la pratique

est appelée à se modifier. Le Code et les juges seraient ainsi les deux piliers en matière de

procédure civile. «Jusqu'à date, on a cru à des formules législatives pour atteindre à la rapidité et le

succès n'a pas été trop merveilleux. Pour que les causes soient entendues avec célérité, la première

condition est la coopération complète que les parties doivent accorder aux magistrats»660, affirme le

document. Une proposition est avancée afin de reconnaître au magistrat, notamment à celui qui

préside la Cour supérieure, une latitude accrue dans ses actions. L’auteur applique ici le principe

directeur de la maîtrise de l’instance par le juge. Les parties, quant à elles, ne perdent pas non plus

le contrôle de leur dossier, et ce principe directeur est reconnu implicitement. En réclamant leur

coopération plutôt que leur obéissance, le rapport les considère comme des participants à part

entière, doués de libre arbitre et d’un réel pouvoir, dans la progression de l’instance.

L’intervention accrue du juge dans l’instance est aussi prônée par diverses mesures envisagées pour

l’amélioration de la procédure civile. Afin de réduire le temps et les frais des enquêtes, les

commissaires mandatés pour réviser le Code de procédure civile en 1962 proposent l’usage d’une

nouvelle forme procédurale, soit la conférence préparatoire à l’instruction, procédure qui

permettrait au juge de convoquer les procureurs des parties afin de discuter des moyens de

simplifier le litige et d’abréger l’enquête661. Cette conférence peut être demandée par l’une des

parties ou proposée par le juge lui-même662, à qui un pouvoir d’intervention plus important dans le

658 Ibid. 659 Ibid. 660 Id., p. 86. 661 Rapport préliminaire des commissaires à la révision du Code de procédure civile, 1962, projet B, supra note 250, p. 8-

10. 662 Id., p. 10.

Page 157: L'évolution et la structuration des principes directeurs

147

déroulement de l’instance est ainsi reconnu. Bien que les solutions663 proviennent nécessairement

des procureurs, le rôle du juge en matière de contrôle de l’instance est envisagé dans une

perspective plus large, en même temps que son rôle de conciliateur.

Des textes du XXe siècle témoignent donc de l’existence d’une position plus novatrice et moins

stricte face à la procédure civile, de même qu’aux pouvoirs et au rôle du juge. Ils affirment, par

exemple, que les tribunaux ont pour rôle de soutenir le développement de comportements

souhaitables et de promouvoir les changements procéduraux proposés par le législateur. Il semble

que dans plusieurs cas, cette attitude ait porté des fruits et que l’appui de la magistrature et d’une

partie des praticiens ait permis à une nouvelle règle de s’imposer dans la culture judiciaire664. Il y a

donc eu un véritable changement culturel, marqué par le renversement d’une tendance bien ancrée

qui a été supplantée dans le discours par une idée jusque-là marginalisée. Nous avons suggéré qu’il

était relativement plausible de fixer un moment charnière, avec les données dont nous disposons,

encadré de décennies marquantes au niveau du développement de cette idée. S’agit-il pour autant

de l’implantation d’une nouvelle approche culturelle dans la procédure civile? Il est possible

d’argumenter que tel est bien le cas. Cependant, malgré les tendances observées et la modification à

la compréhension du droit, l’argumentation pour un droit procédural aux règles strictement

observées et supervisé d’une manière détachée par un juge passif n’a pas disparu. Nous verrons par

la suite que d’autres moyens, judiciaires et législatifs, ont dû être pris pour que la pensée nouvelle

devienne potentiellement la nouvelle tendance dominante665.

3.2. Les principes directeurs et la représentation du droit judiciaire dans

le contexte civiliste

La représentation du pouvoir de rendre jugement avant 1965, réalités et idéaux

Les lignes précédentes mettent en lumière que l’évolution du système judiciaire et de chacune de

ses parties, y compris les principes directeurs qui l’encadrent, n’est pas uniforme. Elle dépend de

décisions, de circonstances, de perceptions qui pourraient toutes avoir été différentes ou avoir été

prises à d’autres moments. Elle repose en grande partie sur une représentation du système judiciaire

663 Ibid. Ces solutions seront par exemple de se «dispenser d’une preuve» ou de s’entendre sur des «mesures propres à

simplifier celles qu’ils croyaient devoir présenter». 664 L’amendement, tel que défini par la révision de 1897, en est un exemple, Carignan c. Boudreau, (1931) 37 R.L.n.s.

234, 248-250 (C.S.) (j. Stein). L’examen préalable, introduit en 1926, semble jouir aussi de l’appui de certaines cours lors

de son implantation : Loi modifiant le Code de procédure civile relativement à l’examen préalable, 16 Geo. V., c. 65, art.

1; Marcoux c. Fortin (1929), 32 R.P. 60, 60-61 (C.S.) (j. Stein); Charest c. Forget, (1941) 70 B.R. 401, 404-405 et 407 (j.

Bond). Les règles de pratique de 1928 contiennent deux articles encadrant l’amendement, mais cela n’encourage pas

expressément son utilisation. Art. 46 et 47 R.p.C.s. (1928). 665 Voir par exemple la section 1.1 de la partie 2.

Page 158: L'évolution et la structuration des principes directeurs

148

tel qu’il est, mais aussi sur des aspirations, des valeurs et des idéaux qui illustrent ce qu’il pourrait

être. Il en va de même pour les représentations de ce que doit être la procédure civile ou le rôle d’un

juge en matière civile. La communauté juridique crée et définit sa culture judiciaire tout autant

qu’elle est déterminée par elle. L’adhésion progressive à certains courants, à certains principes

directeurs, forge une pensée en matière de procédure civile qui, pour être cohérente avec son

environnement culturel, n’est pas pour autant inévitable ou inéluctable. La société apporte aussi sa

contribution à ce mouvement de structuration.

Dans un premier temps, il est intéressant de se pencher sur l’image sociale du système judiciaire et

des juges. En 1929, un homme nommé Bengle, qui déposait comme témoin dans une cause, intente

un procès au juge Weir de la Cour supérieure de Saint-Hyacinthe pour atteinte à sa réputation,

puisque le juge lui aurait déclaré à plus d’une reprise qu’il se parjurait et lui aurait indiqué les

sanctions possibles d’un tel comportement. M. Bengle s’est senti atteint dans son honneur à cette

occasion et demande des dommages. Le juge Trahan, également de la Cour supérieure, est assigné à

cette cause délicate. Pendant plusieurs pages, il s’intéresse aux raisons pour lesquelles cette action

est irrecevable. Il fait donc une présentation longue et détaillée du rôle confié aux juges dans ces

circonstances, des obligations et prérogatives qui entourent la fonction judiciaire et les liens entre

celle-ci, le fonctionnement et l’image du système judiciaire et les besoins des justiciables666. La

figure du juge décrite par le juge Trahan prend une stature remarquable. En inscrivant si clairement

ses considérations dans l’idée de préservation du système judiciaire et des droits des justiciables à

des procès impartiaux et équitables, il rappelle les notions d’ordre et de sécurité si chères à ses

contemporains. Le juge de la Cour supérieure y apparaît comme le pilier soutenant l’édifice de la

Justice et, implicitement, imbu d’une part de la majesté de la Justice elle-même. Il doit être aussi

intouchable, indépendant, sévère et inaltérable qu’elle. Pourtant, le juge décrit, curieusement, n’est

pas un juge strictement inspiré de l’image de «Jupiter» cité par François Ost667. Le juge doit écouter

et rendre la justice. Ces fonctions sont illustrées directement et indirectement dans tout le jugement.

Mais il est aussi question d’un juge en pleine action, un magistrat qui participe au déroulement de la

cause –l’importance de la prévention du parjure est soulignée à plus d’une reprise.

Il est aussi un juge dont les actes et les paroles, au-delà de son immunité, ont un impact direct sur le

justiciable, car tous deux interagissent. Le témoin qui s’estime atteint dans son honneur par les

propos du juge montre par ailleurs toute l’autorité morale du président du tribunal dans un milieu

666 Bengle c. Weir, (1929) 67 C.S. 289, 291 et 299 (j. Trahan). 667 F. Ost, «Jupiter, Hercule, Hermès : trois modèles de juge», supra note 60.

Page 159: L'évolution et la structuration des principes directeurs

149

social. Qu’il ait raison ou tort dans son appréciation de M. Bengle668, ce dernier s’inquiète des

conséquences de son passage au tribunal et des remontrances du magistrat. Cette cause peut être

analysée au-delà de son contenu réel. Le jugement rendu par le juge Trahan veut prouver et

consolider le principe de l’impartialité dans l’esprit des avocats et des justiciables. Cela appartient

aux grandes conceptions du droit judiciaire dans un système contradictoire. Ses motifs tendent à

renforcer l’image et le prestige du juge, à le replacer hors du débat judiciaire, où un justiciable et

son avocat avaient cru qu’il était présent669. Dans les faits, ce jugement indique surtout que l’image

du «juge-sphinx» est probablement construite, au moins partiellement, et qu’elle est loin d’être

ressentie ou portée de la même façon par tous les acteurs du système judiciaire. Cet exemple nous

amène aussi à constater, dans un second temps, que les juges eux-mêmes participent activement à la

création de leur image. La fonction judiciaire est donc en partie définie par elle-même ou par ceux

qui l’exercent. Cette production de sa propre image à laquelle se livre la magistrature porte

également sur de nombreux aspects qui n’ont pas été traités par le juge Trahan, mais que l’on peut

retrouver dans le discours de l’époque, comme dans l’éloge funèbre de Louis-Philippe Brodeur par

son ancien collègue de la Cour suprême Pierre-Basile Mignault, dans les explications du juge

Bruneau sur le travail exigé durant un délibéré pour «découvrir la vérité» et rendre justice aux

parties670 ou dans le rôle associé au juge par Maréchal Nantel de trancher les conflits et de

régulariser les relations humaines671. Sous la plume des juges, la fonction judiciaire ne se résume

pas uniquement à une occupation, elle englobe également toute une attitude, une façon d’être.

Quelques écrits évoquent une forme de mission 672 dans toute l’acceptation du terme à l’époque.

668 Et en cela, le juge Trahan rappelle, d’une manière générale, que de telles remontrances du juge sont souvent rendues

nécessaires par le comportement de la partie ou du témoin. (Id., p. 291.) Il n’étudie pas la question de la crédibilité de M.

Bengle (son action étant irrecevable). En ce qui concerne le demandeur Bengle, d’ailleurs, le jugement ne fait état que de

remontrances adressées par le juge Weir, mais d’aucune condamnation. 669 Sa présence n’était pas à leur avantage, ils ont porté plainte en responsabilité. Il se peut aussi que, compte tenu d’une

représentation ordonnée de la justice civile, ils n’aient pas trouvé que l’intervention du juge dans le déroulement de

l’instance était acceptable. Les détails de la cause ne permettent pas de hasarder plus que des conjectures à cet égard,

cependant si cela avait pu être vérifié, une telle réalité aurait pu donner un indice d’un décalage dans la compréhension de

la fonction judiciaire et la représentation que peut s’en faire une partie de la population. 670 A.-A. Bruneau, «Du délibéré des juges», supra note 416, p. 205. 671 M. Nantel (1890-1956), avocat et historien, auteur de plusieurs textes historiques et juridiques, a rempli divers postes

administratifs auprès du Barreau de Montréal et du Barreau du Québec et a été notamment bibliothécaire en titre du

Barreau de Montréal. Il siège à la Cour des sessions de la paix de 1953 à 1956. V. Pager, «Le juge Maréchal Nantel»,

(1956) 16 R. du B. 205, 205-207; «Nos disparus : Maréchal Nantel», (1956) 16 R. du B. 398, 398-402. 672 Voir à cet égard P.-G. Roy, Les juges de la Province de Québec, supra note 230, notamment dans sa citation de Louis-

Alexandre Taschereau au frontispice de son ouvrage : «La fonction de juge est la plus haute et la plus redoutable qui soit.

Elle dépasse même un peu, à mon sens, les attributs de notre pauvre humanité. N’émane-t-elle pas, à vrai dire, du pouvoir

suprême devant lequel nous nous inclinons tous?».

Page 160: L'évolution et la structuration des principes directeurs

150

Le juge du XIXe siècle et du début du XXe siècle est souvent présenté comme «l'arbitre impassible

et passif d'un duel judiciaire»673. Le discours sur la procédure civile semble s’être parfois attaché à

préserver cette image, alors que dans les faits, les besoins des avocats, des juges et des justiciables

entraînaient l’amorce de changements en faveur de l’intervention judiciaire et de l’assouplissement

de la procédure civile. Le rapport de l’avant-projet de révision du Code en 1947 fait référence à la

répugnance marquée de certains juges de première instance à amputer, par exemple, les actes de

procédures des parties674, donc à intervenir trop directement dans l’instance. Mais cette image du

juge ne correspond pas à tous les magistrats. Au contraire, dans les années 1920, l’un des bâtonniers

généraux invite les avocats à considérer que leur rôle est avant tout d’informer le juge pour lui

permettre de décider. Il présente l’éventualité de l’interruption de la plaidoirie comme

l’accomplissement d’un devoir et la preuve du souci de rendre pleinement justice à la partie

représentée675. Il souligne que le juge qui se mure dans le mutisme court le risque d’être mal

renseigné. Il met cependant en garde contre l’abus des questionnements du juge, ou son intervention

pour hâter indûment une instance676. La possibilité de l’intervention du juge semble mieux acceptée

des avocats à cette époque, selon ce texte, mais elle est encore soumise à des restrictions et à des

mises en garde677. Le Code de procédure civile n’impose pas de restriction stricte au pouvoir du

juge d’interroger les témoins. En 1960, certains auteurs acceptent même que le juge puisse poser

des «questions suggestives»678 au témoin, car il ne peut être accusé de tenter de l’influencer679. Cette

possibilité est rejetée par d’autres680. Dans tous les cas, il continue d’être lié par les règles de preuve

673 G. Lemay, Pour la suite du monde judiciaire et semi-judiciaire, supra note 485, p. 25. D’autres auteurs proposent des

commentaires semblables. Notamment, Ferdinand Roy qui qualifie le juge de sphinx, F. Roy, «Dicts et silences de la

magistrature», (1941) 1 R. du B. 18, 20. 674 A. Désilets et G. Trudel, supra note 406, p. 21. 675 «Voix d’outre-tombe», (1928-29) 7 R. du D. 244, 244. Ce texte reprend les propos du bâtonnier défunt Rodolphe

Monty lors de la rentrée des tribunaux montréalais. 676 Id., p. 245. 677 M. Nantel, par exemple, rappelle l’importance du «concours franc et entier des avocats et des autres auxiliaires que

leurs fonctions amènent au prétoire» dans l’accomplissement de la tâche du juge. M. Nantel, «Le rôle de la magistrature»,

(1953) 13 R. du B. 366, 367. 678 Ou «leading question», selon S.W. Weber, «Frequently-used Provisions of the Code of Civil Procedure : An Analysis

of their Content and Implications», (1960-61) 7 R. D. McGill 52, 59. Les règles qui gèrent l’intervention du juge pour

questionner un témoin sont alors en évolution. De manière générale, avant la révision de 1966, le juge peut poser les

questions qui lui semblent nécessaires au témoin (art. 344 C.p.c. (1897) et art. 263 C.p.c. (1867)). Une règle de preuve de

l’époque prévoit qu’il ne peut pas être posé de questions suggestives au témoin, sauf s’il s’agit de la partie adverse (un

ajout de la révision de 1897) ou s’il s’agit d’un témoin qui cherche à éviter de répondre ou à avantager l’adversaire (art.

339 C.p.c. (1897) et art. 270 C.p.c. (1867)). Ces règles persistent sous le Code de 1966 (art. 318 C.p.c. et 306 C.p.c.), mais

l’article 318 C.p.c. précisera désormais que le juge peut poser les questions «qu’il croit utiles selon les règles de la

preuve», une mise en garde qui était absente des textes antérieurs. L’obligation de respecter les règles de preuve était

probablement implicite. 679 S.W. Weber, «Frequently-used Provisions of the Code of Civil Procedure : An Analysis of their Content and

Implications», supra note 678, p. 59. 680 L. Tremblay, supra note 298, p. 241.

Page 161: L'évolution et la structuration des principes directeurs

151

verbales et écrites681, etc. L’idée que le juge a le devoir d’intervenir pour éclaircir un point fait son

apparition, accompagnée d’un rappel682. Il ne lui appartient pas de jouer le rôle de l’avocat, qui reste

le maître de l’interrogatoire. L’évolution du rôle d’auditeur du juge, et surtout de son rôle d’auditeur

interventionniste, est lente, mais réelle.

Il apparaît que cet attachement à l’image d’un juge neutre, jupitérien, témoigne aussi d’une

inquiétude latente qui influence la conception de la procédure civile. La loi et les institutions

judiciaires peuvent sembler impartiales et il est important que le décideur le soit aussi. Le maintenir

dans des limites définies neutralise les risques de dérive. Car si les auteurs de l’époque ont tendance

à tenir compte du respect dû à la magistrature dans leur étude de ce sujet, ils conviennent à quelques

reprises que les juges puissent être faillibles683. En se maintenant dans les limites définies par la

cause et la loi, sans pour autant tomber dans l’excès de discrétion qui empêche de répondre aux

vraies questions en litige684, le magistrat remplit les devoirs qui lui sont conférés.

Ces considérations sur le juge, appelé à rendre la décision et par conséquent une base essentielle du

système judiciaire, découlent des attentes de la société et de la communauté juridique, y compris les

juges eux-mêmes. Ceux-ci n’abordent pas leur fonction sans concevoir des attentes, sans idéaux et

sans une culture qui conditionnent en partie leurs réactions et leurs décisions. Il est assez complexe

de hiérarchiser les préoccupations essentielles de ceux-ci à la fin du XIXe et du XXe siècle en se

servant des sources retenues. Une recherche beaucoup plus exhaustive englobant l’ensemble des

tribunaux judiciaires québécois serait nécessaire. Cependant, il est clair que le Code et la justice en

tant que valeur sont essentiels à leur pensée. Les modifications subséquentes au Code de procédure

civile seront entre autres accompagnées de discours invitant à mettre les justiciables au centre des

préoccupations du système judiciaire. Est-ce à dire qu’ils n’y étaient pas? Il est vrai que la loi –ou la

morale telle que comprise à l’époque– peut parfois sembler prendre le pas sur l’attention accordée

aux besoins et aux caractéristiques des parties. Il est exact aussi que la question du justiciable se

pose d’une manière très définie et qui peut paraître réductrice ou désincarnée dans une cause

décidée sur un point de procédure ou de preuve. L’exercice du rôle de décideur s’effectue dans un

contexte où le formalisme fait partie de l’art procédural et constitue un important facteur de

681 Voir S.W. Weber, «Frequently-used Provisions of the Code of Civil Procedure : An Analysis of their Content and

Implications», supra note 678, p. 59. 682 L. Tremblay, supra note 298, p. 241. 683 F. Roy, supra note 673, p. 18-20. Il souligne implicitement le risque d’erreurs qui peuvent toucher la décision

principale et l’obiter (p. 19). 684 Id., p. 20-23. Ce texte met notamment en garde les juges en matière d’obiter dictum (p. 19-20). Dans ces pages, sans

les condamner dans tous les cas, il présente les obiter comme des «commentaires», l’expression d’un «doute» concernant

une question que le juge n’avait pas à juger et sur laquelle il est imparfaitement renseigné. Le risque, selon lui, est que cet

obiter dictum soit pris trop au sérieux, que des praticiens tentent de l’utiliser. Pourtant, selon lui, cet obiter n’est «pas tout

à fait une opinion», ce qui ne veut pas dire qu’elle soit sans signification.

Page 162: L'évolution et la structuration des principes directeurs

152

décision pour le magistrat. Pourtant, l’échantillon de sources considérées semble illustrer

qu’individuellement, à tout le moins, les juges se soucient aussi de manière constante et importante

des parties présentes devant eux. Certains rappellent directement que les parties sont au centre de

leur travail685. Leurs actes, leurs jugements en témoignent. Que ce soit le regret du juge ne pouvant

offrir un «service» faute de l’existence d’une procédure dans le droit québécois686 ou l’adjuration

touchante du juge enjoignant à des frères de discuter à l’amiable pour régler leur conflit, protéger

leurs ressources financières et leurs relations familiales687, des indices révèlent que les justiciables

sont au cœur de la réflexion de magistrats bien intentionnés. Le juge de l’école de «Jupiter», ou le

Sphinx, présidant un tribunal et maniant une procédure rigide, se révèle souvent humain, sensible

aux individus présents devant lui et espérant pouvoir leur apporter la justice ou l’aide dont ils ont

besoin. De telles aspirations, de même que les tentatives d’aménager la procédure civile par

l’interprétation, tendent à démentir l’existence d’une conception monolithique et statique de la

fonction judiciaire. Elle évolue et la représentation du juge de première instance évolue avec elle.

Globalement, la correspondance entre les modèles de juges identifiés à l’époque actuelle

notamment par François Ost et les représentations véhiculées par les textes de l’époque n’est pas

parfaite. La troisième figure proposée par François Ost, celle du juge communicateur, est à écarter

d’emblée, comme les modèles l’auraient prévu pour cette époque historique688. Restent les deux

premiers modèles. Quelques-uns des auteurs considérés présentent le juge comme surhumain, mais

tant Jupiter (en tant que dieu) qu’Hercule (en tant que demi-dieu qui sera plus tard déifié) sont des

figures surhumaines. L’importance d’appliquer la loi de manière uniforme et sans passion tient des

caractéristiques de Jupiter, qui voit la loi comme un dogme et la place au cœur de son action.

Pourtant, l’importance des faits et des justiciables, de «rendre à chacun ce qui lui est dû» selon une

maxime chère à plusieurs juges689, tend à montrer que la conception évolue, du moins dans le

685 Comme le propose le juge en chef Rinfret de la Cour suprême, T. Rinfret, «Réponse», supra note 640, p. 347, précité. 686 Comme l’exprimait le juge dans l’arrêt Corporation du village de la Malbaie c. Warren, (1924) 36 B.R. 70, 71, précité,

voir note 492. Le juge en chef Tremblay, également, rappelle dans son article que les juges existent pour servir la

population, ce qui rejoint la pensée du juge Lafontaine. L. Tremblay, supra note 298, p. 246. 687 Comme l’a fait le juge Stein dans l’arrêt Côté c. Côté, [1933] 39 R. de J. 57, 67, précité, voir note 566. 688 Il s’agit en effet d’«Hermès», le juge dont le rôle est de type communicationnel qui est le «médiateur» d’un droit «en

réseau», généralement associé au droit de la période la plus récente, qui ne correspond pas à la conception procédurale de

la première moitié du XXe siècle. Voir F. Ost, «Jupiter, Hercule, Hermès : trois modèles de juge», supra note 60, p. 47 à

60. 689 Très souvent, elle est inscrite de la façon suivante : «jus suum cuique tribuere». Celle-ci veut dire approximativement :

«donner à chacun le sien», ou «rendre à chacun ce qui lui est dû». Cette maxime juridique très connue ferait d’ordinaire

partie de la définition du droit «jus est cuique suum tribuere […]», soit : «“le droit consiste à attribuer à chacun ce qui lui

revient” c’est-à-dire ce qui lui est dû (litt. : ce qui est sien) sur la base des principes généraux et de la législation applicable

“ex aequo et bono”, soit selon ce qui est bon et juste. […]» : Y. Merminod, Expressions et proverbes latins : adages

juridiques, Neuchâtel, Ides et Calendes, 1992, p. 69. Cela implique que le juge doit être un arbitre neutre, compétent,

objectif, etc. (Id., p. 69). Compte tenu de la formation classique des juristes québécois, la popularité de cette citation est

compréhensible.

Page 163: L'évolution et la structuration des principes directeurs

153

discours. Elle se centre davantage sur l’individu, ce qui indique que les caractéristiques du juge

herculéen ne sont pas non plus à négliger. D’ailleurs, l’ampleur progressivement prise dans le

discours par le principe directeur du contradictoire pourrait appuyer cette hypothèse. Audi alteram

partem est un commandement à tous, autant les parties que le juge qui préside l’audition de

l’instance.

L’acceptation progressive et prudente de l’élargissement de l’implication du juge dans

l’interrogatoire présente une image similaire. Il est complexe de décréter que le principal modèle de

juge auquel peuvent se rattacher les textes étudiés est un juge purement jupitérien ou purement

herculéen, afin d’éviter les positions dogmatiques. Rejoignant en cela les explications de François

Ost690, il ressort des textes utilisés que la représentation du juge de première instance siégeant

principalement à la Cour supérieure, dans le cadre de notre échantillon principal, ne pourrait se

relier uniquement à un seul modèle de juge, et que les caractéristiques de plus d’un modèle sont

identifiables simultanément, influencent au même moment les décisions prises par les législateurs,

les magistrats et les praticiens. La procédure civile évolue, la conception des juges aussi et les

caractéristiques se mélangent. Le juge est toujours surhumain, mais sa relation à la loi ne demeure

pas stable. De sacrée, celle-ci est de plus en plus comprise comme sujette à modifications. La

constatation des défauts du Code, les tentatives d’adaptation, la révision du texte, la contestation du

formalisme qui s’articule lentement, tout contribue à orienter la fonction judiciaire vers une image

du juge comprise autrement. Les caractéristiques herculéennes se mêlent aux caractéristiques

jupitériennes, sans qu’il soit prouvé que l’une ou l’autre ait jamais été l’influence unique. La

codification ayant retiré des pouvoirs au juge et lui ayant donné la structure permettant de

considérer la procédure civile comme émanant de l’État, le moment où la description de la fonction

judiciaire se rapproche le plus du modèle décrit comme l’état naturel d’un juge représenté par

«Jupiter» serait spécifiquement en 1867, au moment de l’adoption du Code. Le glissement vers un

modèle qui rejoint plutôt l’illustration herculéenne s’amorce aussitôt, s’il n’est pas déjà entamé. La

critique du Code puis la première révision de celui-ci sont effectuées en trois décennies, et déjà le

souhait d’être moins formel inspire le discours des membres de la communauté juridique. Un juge

comme le juge Stein, par exemple, est nommé cinquante ans après l’entrée en vigueur du premier

Code. Sa pensée ne se mesure déjà plus selon l’image de «Jupiter». À la veille de la révision de

1965, la conception de la fonction judiciaire est beaucoup plus articulée en fonction de l’individu,

s’approchant un peu plus d’une conception «herculéenne».

La perception du système judiciaire en lien avec les principes directeurs

690 F. Ost, «Jupiter, Hercule, Hermès : trois modèles de juge», supra note 60, p. 35.

Page 164: L'évolution et la structuration des principes directeurs

154

L’analyse de l’évolution de la situation a permis de constater que le Code de procédure civile

exerce des influences diverses sur la compréhension de la procédure civile et, par conséquent, sur la

fonction judiciaire. La polarisation de pans du discours lors de la défense ou de la critique de

certaines institutions liées au monde judiciaire reflète probablement le besoin d’une nouvelle

approche de la justice et aussi celui d’une stabilité du droit judiciaire, deux extrêmes difficilement

réconciliables. Le mouvement porteur de transformations de la procédure civile et de la fonction

judiciaire paraît bien établi dès les années 1940, même si une résistance se fait encore sentir.

Le rôle des principes directeurs dans le développement de la fonction judiciaire émerge lentement

au fil de l’affirmation de leur existence et une hiérarchie des principes est observable durant la

période. Ceux qui ne sont présents qu’à titre de valeurs, ou parfois à titre de principe embryonnaire

ou encore de façon intermittente, ont une influence indéniable, mais encore modérée. Les principes

directeurs reconnus, parmi lesquels le principe du contradictoire est le plus important, suivi de près

par celui de la maîtrise de leur dossier par les parties, se traduisent par de nombreuses références

dans le Code. De ce fait, leur influence est ressentie de façon plus constante et plus marquante.

L’évolution du principe directeur codifié et reconnu du contradictoire et de celui, implicite, de la

maîtrise de leur dossier par les parties a également élargi les limites de la définition de ceux-ci et les

modernisés. Des valeurs qui sous-tendent le principe directeur de la proportionnalité ont aussi

influencé la pratique, en s’intégrant au travail des magistrats et, dans une certaine mesure, à leurs

discours. Le développement d’une pensée judiciaire basée sur des principes directeurs multiples, à

la fois concurrents et complémentaires, s’impose davantage à partir de 1897. L’incidence sur la

fonction judiciaire est perceptible, bien que son cheminement se poursuive toujours.

Comme l’ensemble de la section a permis de l’établir, les décennies précédant la deuxième révision

du Code de procédure civile sont cruciales dans l’évolution des principes directeurs de la procédure

civile. La conception de la fonction judiciaire du juge de la Cour supérieure du Québec connaît

aussi une véritable expansion. Plusieurs de ses rôles sont mieux définis. Le développement de

l’adhésion même tacite au respect de certains principes directeurs procéduraux n’y est pas étranger.

De plus, ces principes directeurs se rattachent de manière récurrente aux modifications apportées

tant à l’esprit qu’à la lettre du Code. Les règles définies par celui-ci portent la marque des

préoccupations de leur époque et il est significatif que les prises de conscience se traduisent,

souvent avec un petit décalage, dans les modifications apportées au Code. Par ailleurs, nous avons

noté qu’il n’y a pas de schéma d’évolution classique et généralisé des principes directeurs. Un

dénominateur commun semble être la formule de l’adhésion. L’acceptation par le nombre semble –

Page 165: L'évolution et la structuration des principes directeurs

155

pour l’époque– celle qui conduit à la reconnaissance. Cette adhésion est à la fois tributaire et

garante de l’influence des principes directeurs qui en font l’objet.

Dans d’autres domaines, chacun de ces principes directeurs se structure de manière propre. Le

principe directeur du contradictoire ne rencontre pas de véritable obstacle et on l’identifie même

parfois au droit naturel. Les principes directeurs de la maîtrise de leur dossier par les parties et de la

maîtrise de l’instance par le juge se structurent beaucoup en opposition l’un à l’autre et sont en

constante recherche d’un point d’équilibre qui traduise les besoins et les aspirations des juristes. Le

principe directeur de la conciliation, largement porté par un groupe ou une élite, est partiellement

basé sur des comportements déjà présents marginalement dans le système judiciaire et partiellement

emprunté à une morale non juridique. Son émergence incomplète et temporaire laisse cependant une

trace dans la pratique de certains individus. Enfin, le principe directeur de la proportionnalité n’est

pas totalement formé, bien que des comportements qu’il peut inspirer soient encouragés et qu’une

partie de ses bases agissent parfois comme des valeurs. Ce dernier principe directeur n’est pas

dominant à l’époque. La communauté juridique est consciente que l’autorégulation par les parties

ne suffit pas pour assurer le fonctionnement efficace et économique d’une action en justice. La

promotion d’un respect strict des règles, une réforme partielle des paramètres de l’action et les

tentatives d’impliquer davantage les magistrats dans certains aspects circonscrits du processus

montrent que la réflexion sur le sujet évolue et donne naissance à diverses tentatives de réponse. La

dernière semble devenir plus attrayante au fil du temps. Malgré cela, l’attention des avocats et des

juges se concentre majoritairement sur d’autres questionnements, même s’ils ne sont pas sans

s’intéresser aux besoins de célérité et d’efficacité de la procédure civile. Cependant, la formation de

la procédure civile s’appuie plus, et temporairement, sur d’autres principes directeurs. Le tout

s’imprègne des redéfinitions des éléments de la culture judiciaire québécoise qui, tout en étant née

de la mixité des sources, présente cependant des traits et des tendances qui lui sont propres. Enfin,

les mouvements de chacun de ces principes directeurs s’entrecroisent, créant des influences

réciproques qui peuvent modifier les trajectoires de développement de chacun, mais aussi un

ensemble qui apparaît tendre partiellement vers l’intégration.

À la fin de la période étudiée dans cette partie de la thèse, il est impossible d’affirmer que les

principes directeurs ou le système judiciaire présentent, pour la société québécoise ou pour le

monde judiciaire, une image unique et unifiée. En revanche, il apparaît que la structure se cristallise

progressivement et que les tendances ou les traits dominants qui définissent la procédure civile se

modifient de manière irréversible. Dès 1953, le juge Édouard Rinfret résume magnifiquement la

façon dont la situation a évolué et la façon de la considérer :

Page 166: L'évolution et la structuration des principes directeurs

156

La question à se poser est la suivante : En quoi consiste la justice?

Un juge doit-il, sans mot dire, écouter les témoignages, entendre les arguments et se

restreindre à décider uniquement sur la preuve et les arguments que veulent bien lui

soumettre les avocats au dossier?

Un juge doit-il, s’il s’aperçoit que, par inadvertance, incapacité ou ignorance, un

avocat oublie de faire une preuve ou de présenter un argument, rendre une décision

qu’il sait inéquitable pour les parties?

Le client doit-il souffrir de la maladresse de son avocat?

Certaines personnes soutiennent l’affirmative, elles sont de l’école que le juge doit s’en

tenir strictement et rigoureusement à ce qu’on lui présente et que les avocats, et non le

juge, sont les maîtres du procès.

L’autre théorie veut, au contraire, que le seul maître du procès soit le juge et que c’est à

lui à le diriger dans les meilleurs intérêts de la justice. Pour ce faire, le juge se doit [de]

s’enquérir de tous les faits, même de ceux qu’on aurait, pour une raison ou pour une

autre, omis de lui soumettre; il se doit de soulever des questions de droit, même si elles

ne lui sont pas soumises, pourvu que, dans chaque cas, il donne aux parties ou à leurs

avocats l’opportunité de les débattre.

Le droit ou, si l’on veut, la justice n’est pas affaire de surprise ou de technicalités.

Il est du devoir du juge de faire le plus de lumière possible sur la question, de rectifier

la situation et de suppléer à la maladresse ou à l’ignorance de l’avocat, si besoin est.

C’est ainsi que je comprends la justice.

Le juge ne doit pas, cependant, faire perdre aux parties leurs droits acquis, et c’est dans

l’exercice de sa discrétion qu’il verra à protéger ceux-ci.691

Devant ce bilan de certaines luttes internes qui ont défini la procédure civile du Québec, le

juge Rinfret convie ses lecteurs à s’interroger sur la portée des changements imposés à

l’esprit de la procédure civile depuis cent ans et sur les conséquences qui en découleront pour

la procédure civile du troisième Code et des suivants. Cela nous amène aussi à nous

questionner sur la culture judiciaire, que nous avons vue évoluer lentement et être parfois

écartelée entre plusieurs conceptions légitimes d’une même institution. Est-elle de nature à

devenir une force pour le changement du droit procédural et de sa structure? Est-elle plutôt

un marqueur de l’implantation de ce changement qui doit se produire autrement? Peut-on

tenter de forcer ou d’accélérer le changement par diverses stratégies et si oui, quels

enseignements ou quelles mises en garde l’évolution de la culture judiciaire peut-elle

apporter aux juristes du XXIe siècle? Les décennies subséquentes fourniront quelques

éléments de réponse.

691 Poulin c. Laliberté, [1953] B.R. 8, 9-10 (j. Rinfret).

Page 167: L'évolution et la structuration des principes directeurs

157

Partie 2. La réflexion renouvelée sur la procédure civile

et la conception d’une structure souple (1966-2001)

Page 168: L'évolution et la structuration des principes directeurs

158

Chapitre 1. Le Code de procédure civile de 1966 et son

implantation : un exemple de changement culturel

À partir de septembre 1966692 et pour plusieurs années, le contenu du nouveau Code de procédure

civile est considéré comme l’expression d’une modernisation nécessaire de la procédure civile et de

son usage693. Il répond à des attentes dont nous avons souligné l’existence tant sur le plan des

moyens de procédure694 que dans la conception de la procédure et du formalisme. L’adoption de ce

nouveau Code n’est pas l’occasion d’une rupture695, du moins n’est-elle jamais envisagée ou

présentée comme telle par les auteurs de la loi. Dans les commentaires accompagnant le projet de

Code de 1964, les trois commissaires696 reconnaissent que les défauts de la procédure civile rendent

des changements nécessaires. Pourtant, ils ajoutent que ces défauts ne demandent pas un

bouleversement important de l’ensemble de la procédure. Ils précisent que l’enracinement des

institutions procédurales dans la «vie juridique» québécoise est trop profond pour qu’elles soient

supprimées697. Cette filiation directe et avouée entre les deux Codes est aussi reconnue par le milieu

juridique, au moins en partie. Un observateur souligne même que :

[…] Le nouveau code reste profondément enraciné dans l’ancien. […] Les critiques

adressées au code de 1896 étaient apparemment intarissables, mais elles s’attaquaient à

son application et n’en atteignaient pas le fond. Personne ne souhaitait un

692 Code de procédure civile, (1965) 13-14 Eliz. II, c. 80, art. 1 et 952. La date d’entrée en vigueur a été fixée par

proclamation (Proclamation, (1966) G.O.Q., 3259) au 1er septembre 1966. Cela est rappelé, par exemple dans Québec

(Communauté urbaine) c. Services de santé du Québec, [1992] 1 R.C.S. 426, 433 (j. L’Heureux-Dubé). 693 P. Meyer, «The New Quebec Code of Civil Procedure : Some Comments and Suggestions», (1964) 10 R. D. McGill

361, 362. Quelques années plus tard, la Cour suprême a utilisé l’expression selon laquelle il était temps d’«enterrer le vieil

adage» voulant que «la forme l’emporte sur le fond», Duquet c. Sainte-Agathe-des-Monts (Ville de), [1977] 2 R.C.S.

1132, 1140 (j. Pigeon). Les Cours ont parfois parlé d’une nouvelle façon de faire de la procédure, voir entre autres :

Construction Gilles Paquette ltée c. Entreprises Végo ltée, [1997] 2 R.C.S. 299, 1997 CanLII 352 (CSC), par. 9 (j.

Gonthier) qui mentionne l’abandon du formalisme excessif; la juge L’Heureux-Dubé identifie quant à elle une philosophie

«remédiatrice», Québec (Communauté urbaine) c. Services de santé du Québec, [1992] 1 R.C.S. 426, 434. Voir aussi Hamel

c. Brunelle, [1977] 1 R.C.S. 147, 153-156 (j. Pigeon). 694 Par exemple : P. Meyer, supra note 693, p. 362; G.S. Challies, «Some Problems of Civil Procedure», (1961-62) 8 R. D.

McGill 3, 3, qui indique plusieurs suggestions utiles qui ont été faites pour améliorer l’«examination on discovery» et en

réduire les formalités, notamment en 1926 et 1958. Voir aussi les remarques sur un malaise persistant face à l’ancienne

façon de faire de la procédure chez une partie des membres de la communauté juridique, L. Marceau, «Le nouveau code

de procédure civile : ses principes et son esprit», (1967) U.B.C.L. Rev. – C. de D. 365, 376. 695 P. Meyer, supra note 693, p. 362. Cet auteur souligne notamment que les innovations proposées ont été maintenues

dans la lignée des institutions traditionnelles, et il loue le travail des commissaires à cet égard. Par ailleurs, quoique

supportant fermement les modifications proposées qui moderniseront le système procédural et le mettront au rang des

systèmes les plus avancés, il considère que la réforme n’est pas assez profonde, qu’il aurait été possible d’aller encore plus

loin. 696 Comme celles de 1867 et de 1897, la commission est formée de praticiens : le juge G. Pratte (Cour du Banc de la

Reine), le juge G.S. Challies (Cour supérieure) et Me A. Leblanc, doyen de la faculté de droit de l’Université de

Sherbrooke et bâtonnier de la région. Voir F. Charette, «Du formalisme procédural : une critique de l’article 2 du Code de

procédure civile», (1994) 39 R.D. McGill 263, 265. 697 Assemblée législative de Québec, Projet-Draft, Code de procédure civile, Québec, L’Imprimeur de la Reine, 1964, p.

Iia [ci-après Projet-Draft, Code de procédure civile, 1964]. Ce document comporte le rapport final des commissaires à

propos de la révision de la procédure civile et le projet de Code.

Page 169: L'évolution et la structuration des principes directeurs

159

bouleversement de notre droit judiciaire privé, parce que notre conception d’une bonne

administration de la justice n’avait pas essentiellement varié. On est même étonné de

voir à quel point la pensée des codificateurs de 1966 diffère peu, au fond, de celle de

leurs prédécesseurs de 1896. […]698

Il rappelle particulièrement l’importance de la révision de la procédure civile en général699 : elle

assouplit les règles, simplifie la procédure, l’accélère et, sans en modifier les fondements, elle

touche sa conception700. Il juge donc qu’elle transcende la simple révision superficielle des

méthodes. Cela ne suffit cependant pas pour que le contenu du nouveau Code soit adopté et

appliqué sans heurts et sans hésitations.

1.1. La diminution du formalisme et ses implications : un changement

dans la continuité?

L’une des caractéristiques les plus critiquées de la procédure civile au milieu du XXe siècle est son

attachement au respect des formes procédurales. La tentative de modifier cette tendance et les outils

employés pour parvenir à ce changement sont révélateurs de la pensée de l’époque.

1.1.1. Le nouvel article 2 C.p.c. et les articles connexes

L’atténuation du formalisme dans la procédure civile québécoise, bien que désirée par une partie de

la classe judiciaire et prévue par la loi qui enclenche la réforme701, ne se réalise pas dès l’adoption

du nouveau Code. Celui-ci contient cependant de nombreuses mesures faites pour imprimer cette

orientation particulière à la procédure civile. Parmi de telles mesures, la première et la plus

significative consiste en l’adoption d’un article qui expose le principe d’absence de formalisme indu

en matière de procédure civile702. Celui-ci précise que :

Les règles de procédures édictées par ce code sont destinées à faire apparaître le droit

et à en assurer la sanction; et à moins d’une disposition contraire, l’inobservance de

celles qui ne sont pas d’ordre public ne pourra affecter le sort d’une demande que s’il

n’y a pas été remédié alors qu’il était possible de le faire. Ces dispositions doivent

s’interpréter les unes par les autres et, autant que possible, de manière à faciliter la

marche normale des procès, plutôt qu’à la retarder ou à y mettre fin prématurément.

698 L. Marceau, «Le nouveau code de procédure civile : ses principes et son esprit», supra note 694, p. 366. La vision

présentée dans ce texte diffère parfois, sur certains points, de la perception des acteurs du système judiciaire qui

appliquent la procédure nouvelle, mais elle s’avère exacte sur le plan théorique. 699 Id., p. 374-375. Certains auteurs contemporains expriment un sentiment similaire, voulant que les réformes restent

ancrées dans l’esprit initial du Code et qu’elles ne constituent pas une véritable recodification. Voir à ce sujet les

remarques de D. Jutras, «Culture et droit processuel : le cas du Québec», (2009) 54 R. D. McGill 273, 275-276. 700 L. Marceau, «Le nouveau code de procédure civile : ses principes et son esprit», supra note 694, p.376. 701 H. Reid, «Le nouveau Code de procédure civile : une étape?», (1964) 6 C. de D. 29, 29. 702 Art. 2 C.p.c. (1966).

Page 170: L'évolution et la structuration des principes directeurs

160

Cet article reprend donc l’idée maîtresse retenue par les commissaires qui révisent la procédure

civile703. Comme elle doit expliquer la cohérence des changements procéduraux proposés, elle est

aussi prééminente dans leur application. Afin de ne laisser planer aucun doute sur la portée de

l’article qui exprime un principe directeur et des intentions précises, les rédacteurs du Code lui

imposent une forme qui exprime l’intention, le but. Un commentateur a par exemple relevé cette

caractéristique importante en qualifiant l’article de «règle d’interprétation»704. Or, le Code de

procédure civile de l’époque contient moins de règles d’interprétation qu’il ne le fait depuis le début

du XXIe siècle. L’ajout d’une telle règle au Code peut être souligné et indique peut-être que, dès

1966, la réflexion sur la nature et la portée d’un texte codifié, même pour une matière aussi

pragmatique que la procédure civile, tend à s’élargir et à présenter plus explicitement son «esprit».

Cet énoncé de la philosophie du Code s’accompagne de nombreuses mesures concrètes qui

modifient progressivement et profondément la procédure civile québécoise. En général, celles-ci

visent à simplifier la procédure et à diminuer les exigences qui encadraient jusque-là les différentes

étapes du processus judiciaire705 : suppressions de certains types de documents706, possibilité de

remédier de façon rétroactive à l’irrégularité née du défaut de représentation, d’assistance ou

d’autorisation707, modification de l’exercice de l’action contre la Couronne pour qu’elle obéisse

autant que possible aux règles des actions contre des particuliers708, etc. Elles sont accompagnées de

l’adoption d’autres règles réputées devoir favoriser l’«exercice normal du droit»709. Parmi celles qui

retiennent l’attention d’un commentateur contemporain de la révision, notons l’élargissement du

droit à l’amendement, la modification des règles de la plaidoirie écrite, l’introduction de nouvelles

mesures comme la requête pour jugement déclaratoire, l’action par mandataires et la reconnaissance

703 Cette affirmation a été faite à l’époque de l’adoption du Code, voir par exemple A. Valiquette, «Le Nouveau Code de

Procédure Civile», (1967) 13 R. D. McGill 161, 161; L. Marceau, «Le nouveau code de procédure civile : ses principes et

son esprit», supra note 694, p. 372 et 378; H. Reid, «Le nouveau Code de procédure civile : une étape?», supra note 701,

p. 30. Elle a aussi été réitérée depuis : Duquet c. Sainte-Agathe-des-Monts (Ville de), [1977] 2 R.C.S. 1132, 1140-1141 (j.

Pigeon); Construction Gilles Paquette ltée c. Entreprises Végo ltée, [1997] 2 R.C.S. 299; 1997 CanLII 352 (CSC), par. 9-

10 (j. Gonthier); Québec (Communauté urbaine) c. Services de santé du Québec, [1992] 1 R.C.S. 426, 433-436 (j.

L’Heureux-Dubé). Un juge de la Cour suprême désignera d’ailleurs du nom de «principe directeur» la règle de l’article 2

en 1991 : Leiriao c. Val-Bélair (Ville), [1991] 3 R.C.S. 349, 378 (j. Gonthier). 704 A. Valiquette, «Le Nouveau Code de Procédure civile», supra note 710, p. 161. 705 L. Laperrière, «Articles 1 à 273», dans Barreau de la province de Québec, Conférences : Le code de procédure civile,

S.l., le Barreau, 1966, p. 2-3. 706 Autrefois requis par l’article 88 C.p.c. du Code de 1897, l’avis préalable de poursuite à l’officier public n’a plus à être

fourni par le demandeur. L’action débute désormais par un bref d’assignation, art. 110 C.p.c. (1965). La partie n’a plus à

présenter une réquisition pour obtenir un bref d’assignation, art. 111 et 112 C.p.c. (1965). Ces brefs sont parfois appelés

«fiat», selon certains auteurs : H. Reid, «Le nouveau Code de procédure civile : une étape?», supra note 701, p. 31. La

façon de rapporter les brefs est aussi modifiée : art. 148 C.p.c. Les auteurs mettent de l’avant le fait que le bref sera

rapporté au jour de l’enquête, à moins d’une demande pour production hâtive, par exemple. L. Laperrière, supra note 705,

p. 2. Voir aussi, à nouveau, H. Reid, «Le nouveau Code de procédure civile : une étape?», supra note 701, p. 31 707 L. Laperrière, supra note supra note 705, p. 2. Voir art. 56 al. 3 C.p.c. 708 H. Reid, «Le nouveau Code de procédure civile : une étape?», supra note 701, p. 31. 709 Ibid.

Page 171: L'évolution et la structuration des principes directeurs

161

de la jonction de demandeurs710. L’une des expressions les plus notables de l’absence de formalisme

indu711 est l’affirmation selon laquelle le non-respect des formes prévues n’entraînera plus

automatiquement la nullité de l’acte de procédure qui en est entaché712. Le Code qui prend effet en

1966 réactualise et adopte l’idée que l’amendement est préférable afin de maintenir la cause et le

droit des parties de se faire entendre, si aucune d’elles n’est lésée par cette décision. Les

commissaires affirment d’ailleurs que les précédentes règles en matière d’amendement sont

empreintes d’un «formalisme désuet et inopportun»713, ce qui inscrit l’adoption de cet article dans la

nouvelle philosophie du Code. Cette pensée peut aussi être déduite de la simplification de certaines

formes procédurales, par exemple la demande reconventionnelle. Celle-ci, autrefois introduite par

un moyen procédural distinct, peut désormais l’être par la défense714. Il en va de même de

l’uniformisation du processus de saisie avant jugement, qui s’effectue désormais selon un seul

moyen procédural715, ou de la simplification des procédures spécifiques comme les brefs de

prohibition et de certiorari716. D’autres formes procédurales, déjà existantes, sont redéfinies pour

que leur application devienne plus uniforme, notamment l’injonction717.

De surcroît, plusieurs moyens proposés se concentrent directement sur la gestion des délais et du

temps de la procédure afin de la rendre plus souple et adaptée aux plaideurs. La faculté du juge de

proroger les délais qui ne sont pas dits de rigueur s’accroît718, alors que le nombre de délais de

rigueur719 et les exceptions à ceux-ci diminuent. Selon les commentaires des commissaires, la

710 Id., p. 2-3; H. Reid, «Le nouveau Code de procédure civile : une étape?», supra note 701, p. 33. Voir les articles 172 al.

2 (demande reconventionnelle) et 199 (amendement). Voir aussi, pour d’autres exemples W.S. Tyndale, «Notes on the

new Code of Civil Procedure», (1966) 26 R. du B. 345, 348. 711 W.S. Tyndale, «Notes on the new Code of Civil Procedure», supra note 710, p. 345-346. L’auteur le souligne à titre de

changement d’application générale. L’expression «nullité pour informalité» et les changements procéduraux à cet égard

sont discutés dans l’arrêt Vachon c. P.G. Québec, [1979] 1 R.C.S. 555, 561 (j. Pigeon). 712 Le texte de l’article 2 C.p.c. (1966) le laisse d’ailleurs entendre dès les dispositions introductives. Les articles

concernant les moyens préliminaires (163 et suiv. C.p.c.) l’illustrent également. 713 Projet-Draft, Code de procédure civile, 1964, supra note 697, p. 44a. 714 Art. 217 et 218 C.p.c. (1897). Art. 172 al. 2 C.p.c. Cette innovation est citée favorablement par les critiques, H. Reid,

«Le nouveau Code de procédure civile : une étape?», supra note 701, p. 32; L. Laperrière, supra note 705, p. 2. 715 U. Neumann, «Proposed Amendments to the Code of Civil Procedure», (1966) 26 R. du B. 607, 608. L’auteur fait

référence à la saisie-revendication, à la saisie-gagerie, à la saisie-conservatoire et à la saisie-arrêt avant jugement,

comprenant l’arrêt simple et l’arrêt en mains tierces. Elles sont décrites aux articles 931 à 956 C.p.c. (1897). Dans le

nouveau Code, elles sont exercées selon un seul moyen procédural, art. 733-741 C.p.c. (1966). La disparition de certaines

formes de saisie suscite des réactions parfois défavorables chez au moins un auteur, voir U. Neumann, «Proposed

Amendments to the Code of Civil Procedure», p. 608. 716 Projet-Draft, Code de procédure civile, 1964, supra note 697, p. 151a; A. Desgagnés, «Des procédures en voie de

disparition : le bref de prohibition et le bref de «certiorari»», (1965) 25 R. du B. 129, 136. 717 Art. 964 C.p.c. (1897) et art. 751 C.p.c. (1966). Cette redéfinition permet aussi de lever certaines ambigüités

d’interprétation, voir notamment C.-A. Sheppard, «Do Mandatory Injunctions Exist in Quebec Law?», (1963) 9 R. D.

McGill 41. 718 L. Laperrière, supra note 705, p. 2; W.S. Tyndale, «Notes on the new Code of Civil Procedure», supra note 710, p.

347. Voir art. 9 C.p.c. (1965). 719 A. Valiquette, «Les délais du nouveau Code de procédure civile», (1967) 27 R. du B. 112, 113. D’autres soulignent

également la disparition presque complète des délais de déchéance : H. Reid, «Le nouveau Code de procédure civile : une

étape?», supra note 701, p. 30.

Page 172: L'évolution et la structuration des principes directeurs

162

simplicité des procédures et la réduction des délais sont deux aspects essentiels de leur réflexion sur

la procédure civile720. Des mesures sont aussi prises pour accélérer certaines procédures, à propos

des exceptions préliminaires, des inscriptions de faux, etc. De telles initiatives semblent parfois

diviser la communauté juridique721, dont des membres remettent en question l’utilité ou les

conséquences de changements apportés à la procédure civile. Elles indiquent aussi qu’en plus du

principe directeur qui demande une diminution du formalisme, la réflexion qui s’appuie sur les

concepts de la célérité et de la simplicité des procédures se révèle être un puissant moteur des

changements apportés au Code.

1.1.2. La réception de l’esprit du Code, de la codification à l’affirmation

La réponse des avocats et des juges à ces innovations a parfois semblé modérée. La production de

littérature juridique des premières années de cette période ne témoigne pas d’un bouleversement

doctrinal. Un auteur a pourtant consacré un article à «l’esprit» du nouveau Code. Il y démontre

clairement que le nouveau Code s’enracine dans un esprit qui reste similaire à celui de son

prédécesseur. Il ajoute que si les principes qu’il contient ne sont touchés qu’accidentellement et

indirectement par la révision, leur mise en œuvre est cependant modifiée722. De plus, l’auteur

considère la permanence de ce qu’il nomme des «principes directeurs du procès». Il s’agit pour lui

du caractère libéral et individualiste de la procédure civile, la répartition des rôles entre juge et

parties et le souci d’organiser le procès afin de respecter les droits de la défense723. Dans

l’ensemble, cette approche peut être révélatrice. D’une part, elle démontre qu’une partie de la

communauté juridique reconnaît dans le droit l’importance de principes que nous pourrions

qualifier de directeurs. D’autre part, elle appuie l’hypothèse déjà formulée voulant que, pour une

partie de la communauté juridique, ce qui peut être, et a été, décrit comme le serait un changement

culturel ne naît pas en 1965. Autrement dit, le changement culturel provoqué par le nouveau Code

se greffe à une réflexion déjà entamée et suffisamment vivace parmi les juristes pour le recevoir et

le nourrir. Pourtant, l’adoption d’une application moins formaliste de la procédure civile aurait pu

susciter un débat724. De plus, il n’y a pas unanimité chez les acteurs concernant les bienfaits dus à la

diminution de celui-ci.

720 Id., p. IVa. 721 Voir par exemple les propos tenus dans S.W. Weber, «Comments on several features of the new Code of Civil

Procedure», (1966) supra note 9, p. 583. 722 L. Marceau, «Le nouveau code de procédure civile : ses principes et son esprit», supra note 694, p. 367. 723 Ibid. 724 Voir entre autres aux pages 79 et 165.

Page 173: L'évolution et la structuration des principes directeurs

163

Dans un tel contexte, il est intéressant de considérer l’idée de permanence dans l’esprit du Code et

dans la présentation dont il fait l’objet. Cela signifie bien sûr que la compréhension de ce qu’est la

procédure judiciaire, malgré les modifications dont il sera fait état, conserve aussi des traits

constants durant la période. Le Code, quoi qu’il en soit de ses règles, est implicitement considéré

comme un texte ayant une vocation «technique», spécialisée, c’est-à-dire celle d’assurer, en tout

premier lieu, le bon déroulement des actions. Sans être fausse, cette réalité a eu tendance à occulter,

dans l’esprit de certains membres de la communauté juridique, le fait que le Code, malgré son

influence sur le déroulement du processus judiciaire, n’est pas uniquement un outil pratique et

«technique»725. Autre trait constant, la référence à un vocabulaire lié au Code depuis le XIXe siècle

tend à perpétuer l’impression d’enracinement du texte dans son passé. Les termes conservent une

relative uniformité, impressionnante au regard de l’évolution de son application judiciaire. La

rédaction de quelques articles évoque de près celle des Codes de 1867 ou de 1897726. La reprise de

concepts, de termes et même de principes directeurs sur une longue période bâtit une impression de

continuité qui peut aussi influencer la façon dont les membres de la communauté juridique

interagissent avec le Code ou parlent de celui-ci.

Déjà en préparant le rapport préliminaire de 1962, les commissaires déclarent que la procédure

civile est «vieillie»727. Cette critique répète une préoccupation qui anime chaque période de révision

du Code de procédure civile. Cependant, les commissaires ne remettent pas en cause la structure

même du système. Certaines remarques le laissent entendre, comme celles qui traitent des règles

concernant la péremption d’instance. «Il faut bien reconnaître que la règlementation actuelle, qui est

tirée de Pothier, ne répond pas aux besoins du moment. Les Commissaires ne croient pas pour

autant qu'il serait sage, sous un régime où la marche des procès est laissée à l'initiative des

plaideurs, d'abolir l'institution elle-même; ils recommandent plutôt qu'on en assouplisse les règles

de manière qu'elles s'adaptent mieux aux circonstances du temps présent»728, précisent-ils.

Autrement dit, le cœur du droit judiciaire reste le droit civil québécois issu d’une tradition juridique

mixte et fondé sur le système contradictoire hérité du droit britannique, mais il est possible

d’infléchir et de modifier les règles, comme ils entendent le faire. La structure même du système

judiciaire n’est pas remise en cause, soit parce qu’elle leur semble adéquate, soit parce qu’elle

725 Comme le Code civil, il réfère à des principes, il participe au développement de la pensée juridique et en est un lieu

d’expression, etc. Voir notamment D. Jutras, «Culture et droit processuel : le cas du Québec», supra note 699, p. 275-

276. 726 Comme nous l’avons souligné, le texte a été révisé par des praticiens. Ceux-ci connaissent et utilisent la procédure : la

permanence du vocabulaire traduit peut-être aussi un trait de l’influence corporative sur le Code, en ce sens que les

commissaires conservent le vocabulaire auquel eux-mêmes et les membres de la profession sont habitués et attachés. 727 Rapport préliminaire des commissaires à la révision du Code de procédure civile, 1962, Projet A, supra note 250, p. 1. 728 Rapport préliminaire des commissaires à la révision du Code de procédure civile, 1962, Projet B, supra note 616, p. 2.

Page 174: L'évolution et la structuration des principes directeurs

164

satisfait suffisamment le législateur pour qu’il l’ait exclue de la révision. De fait, comme la

démonstration a permis de le constater, divers observateurs contemporains de la révision de 1966 et

les commissaires eux-mêmes mentionnent aussi l’enracinement du Code dans ses anciennes valeurs,

malgré les réformes indéniables qu’il contient729.

Ainsi, l’accent mis sur la continuité a assurément facilité l’acceptation d’un texte où certains

aspects, comme la diminution du formalisme, voulaient rompre avec une tradition largement

établie. Cependant, cette même apparence de continuité a-t-elle eu aussi l’effet inverse de

minimiser, dans l’esprit d’une partie des contemporains, l’impact des réformes envisagées? Cette

question est d’autant plus intéressante que l’idée de l’absence de formalisme indu a mis quelques

années à s’imposer comme le courant de pensée dominant devant les tribunaux, même si la

procédure de l’amendement a été largement utilisée dans ce sens auparavant730. Malgré la

reconnaissance de son existence par le législateur, l’unanimité qui n’existait pas avant 1965 ne se

concrétise pas immédiatement par la suite. Le phénomène de résistance au changement, qui consiste

à continuer d’utiliser les méthodes anciennes, est bien connu dans de telles circonstances. La

survivance des pratiques antérieures malgré l’introduction d’une façon de faire modifiée est

représentative de la profondeur d’enracinement d’une philosophie et d’un procédé, d’une conduite,

dans l’esprit du groupe considéré, ou d’une partie de celui-ci. Le décalage temporaire entre le

comportement encouragé par un mouvement réformateur de la procédure civile et le comportement

adopté par l’ensemble des acteurs en situation réelle se produit fréquemment en procédure civile731,

comme nous l’avons constaté. Cette réalité ne prouve pas que le changement, proposé ou imposé,

ne soit pas valable et ne produira pas de résultats probants à moyen terme. Dans divers domaines

liés à la diminution du formalisme, des praticiens et des juges argumentent en faveur ou contre

l’application stricte de règles de procédure. La reconnaissance de l’article 2 C.p.c. en tant qu’idée

maîtresse qui oriente la procédure civile doit être affirmée expressément une nouvelle fois pour être

reçue d’une façon plus universelle. Il est difficile de discerner si le discours lié à la continuité, qui

729 P. Meyer, supra note 693, p. 362; L. Marceau, «Le nouveau code de procédure civile : ses principes et son esprit»,

supra note 694, p. 366; Projet-Draft, Code de procédure civile, 1964, supra note 697, p. IIa. 730 Voir à ce sujet l’arrêt Hamel c. Brunelle, [1977] 1 R.C.S. 147, 156 (j. Pigeon). 731 Ceci apparaît comme un phénomène constant et répétitif en matière de changement culturel. En effet, comme nous

l’avons indiqué dans l’explication des concepts, le changement culturel peut se traduire par des phénomènes comme

l’acculturation, l’inculturation, l’emprunt, la réception, etc. Celui que nous étudions en matière de procédure durant la

période 1965-2013 présente des ressemblances frappantes avec l’emprunt sélectif. L’emprunt libre, ou spontané, se traduit

souvent par une adoption rapide du trait culturel emprunté, mais l’emprunt imposé, ou perçu comme tel, peut se jumeler à

divers phénomènes. Par exemple, en lien avec le refus du changement, notons la résistance culturelle, qui survient dès le

début du processus : elle peut se traduire par une résistance à l’emprunt en tant que tel autant qu’à la culture à laquelle

l’emprunt est fait. Dans d’autres cas, il y a plutôt réinterprétation, soit un remodelage progressif de l’élément selon les

«modalités de la culture emprunteuse», etc. Bien que n’étant ni nécessairement insurmontable ni symbole d’une

déficience du processus initial, de tels phénomènes sont de nature à demander une période d’adaptation. A. Brami, supra

note 110, p. 57-58; R. Bastide, supra note 624, p. 53-55 et 58-61.

Page 175: L'évolution et la structuration des principes directeurs

165

aide par ailleurs à la reconnaissance du contenu du nouveau Code, n’a pas aussi encouragé chez une

partie de la communauté juridique l’impression qu’il fallait interpréter l’article 2 C.p.c. selon les

anciennes façons de faire, puisqu’une partie de sa rédaction reprenait des termes de l’ancien Code.

L’intervention décisive dans ce domaine et qui fixe le statut de l’article 2 C.p.c. émane de la Cour

suprême et se produit en 1977. Elle impose l’acceptation d’une diminution du formalisme

procédural qui vise à faire appliquer la volonté du législateur selon laquelle le fond l’emporte sur la

forme732. Inspirées par cet exemple et l’interprétation de l’article 2 C.p.c., les Cours reconnaissent

progressivement et élargissent une notion déjà exprimée au début du XXe siècle733, à savoir qu’une

procédure non conforme aux règles procédurales peut être amendée pour remédier au problème, si

cela n’affecte pas la partie adverse. Selon les mots de la Cour suprême, une partie «ne doit pas être

privée de son droit par l'erreur de ses procureurs, lorsqu'il est possible de remédier aux

conséquences de cette erreur sans injustice à l'égard de la partie adverse»734. Douze ans après, la

Cour suprême vient reconnaître expressément le nouveau courant de pensée dominant. La

suppression de la nullité sanctionnant le non-respect des formes imposées, pourtant saluée lors de

l’adoption du Code, illustre l’existence d’une adhésion progressive à l’esprit du Code et

l’importance de l’intervention de la Cour suprême à cet égard.

Ainsi, l’adoption officielle d’une philosophie prônant l’absence de formalisme indu dans

l’application de la procédure civile depuis 1966 modifie la conception générale de la procédure

civile. Celle-ci est perçue comme plus souple, permettant, par exemple, quelques adaptations

nécessaires à un dossier particulier735. La reconnaissance de la règle a pourtant des raisons de

susciter la réflexion. Nous avons souligné précédemment l’intérêt que peut avoir l’application

stricte des règles de procédure, notamment en ce qui concerne les délais, en matière de recherche

d’efficacité et de célérité736. L’avènement d’une philosophie de formalisme réduit en procédure

732 Hamel c. Brunelle, [1977] 1 R.C.S. 147, 153-154 et 156 (j. Pigeon). Cette volonté est exprimée par les commissaires,

Projet-Draft, Code de procédure civile, 1964, supra note 697, p. IIa et IIIa. 733 Le juge Pratte rappelle aussi qu’en 1901, la Cour suprême aurait considéré que certains délais étaient susceptibles de ne

pas entraîner forclusion, décision à laquelle la Cour d’appel aurait toujours passé outre par la suite. Cité de Pont Viau c.

Gauthier Mfg. Ltd., [1978] 2 R.C.S. 516, 522-523. La décision citée (Lord c. R., (1901) 31 R.C.S. 165, 170), s’appuie

principalement sur la possibilité pour des parties de prévoir une modification de certains délais et de faire revivre le droit

d’appel après la forclusion. Il mentionne aussi le «Manuel de la Cour d’appel» du juge Rivard, qui traite de la question :

A. Rivard, Manuel de la Cour d’appel, juridiction civile : organisation, compétence, procédure, Montréal, Éditions

Variétés, 1941, no. 518-520. 734 Bowen c. Montréal (Ville de), [1979] 1 R.C.S. 511, 519 (j. Pigeon). 735 C’est ce qu’exprime entre autres le jugement de la Cour suprême dans l’affaire Duquet c. Sainte-Agathe-des-Monts

(Ville de), [1977] 2 R.C.S. 1132, ainsi qu’en d’autres occasions. Des commentateurs l’avaient proposé dès la lecture du

projet de loi, voir par exemple G. Lemay, Pour la suite du monde judiciaire et semi-judiciaire, supra note 485, p. 24-25,

dans le passage précité en page 111. 736 Un texte publié en 1994 s’intéresse d’ailleurs aux questions de formalisme et de réduction de celui-ci, en dégageant des

aspects positifs de l’approche formaliste et en critiquant l’esprit dans lequel l’article 2 C.p.c. a été adopté. Il est possible

de diverger d’opinion avec l’auteur sur certains aspects de son exposé tout en affirmant que son étude continue de se

Page 176: L'évolution et la structuration des principes directeurs

166

civile se relie notamment au développement d’une conception de l’administration de la justice qui

intègre de nouvelles valeurs. La discussion concernant la portée de la philosophie tempérant le

formalisme antérieur s’accompagne d’une réflexion sur ses limites. Comme au début du siècle, des

membres de la communauté judiciaire rappellent que l’administration de la justice ne se fait pas

sans un certain formalisme, si elle doit être «saine et efficace»737. L’assouplissement des règles, par

exemple dans le cas du respect des délais de signification738, fait encore naître la crainte de

l’arbitraire. Une forme d’inquiétude subsiste aussi à propos de la disparition de quelques

conséquences d’une application stricte des règles de gestion de l’instance739. De telles réactions

illustrent-elles une forme de résistance au changement culturel que constitue, pour la communauté

juridique, le renversement d’une tendance généralisée d’application et d’interprétation de

l’ensemble de la procédure civile et de son impact? Si la contestation directe de l’idée proposée par

l’article 2 C.p.c. n’est pas la norme, la limitation de la portée de celui-ci dans le discours et dans son

application en réduit certainement la portée. Ainsi, il est possible de proposer que, consciemment ou

à cause d’autres considérations (ordre, attachement aux anciennes façons de faire, etc.), une partie

des membres de la communauté juridique concevait des réticences face à la diminution du

formalisme et tentait d’en restreindre les effets qu’ils craignaient devoir être néfastes. À l’inverse,

les tenants d’un assouplissement de la procédure civile, de l’adoption entière des principes proposés

à l’article 2 C.p.c., évoquent aussi au soutien de leur raisonnement une conception «moderne» de

l’administration de la justice740, s’appuyant sur la nécessité de ne pas entraver la sanction du droit.

Par ailleurs, l’aspiration à l’accroissement de l’efficacité perdure au moment du choix des recours

qui sont accordés, afin d’éviter par exemple la multiplication des recours et des instances.

L’impact réel de la décroissance du formalisme sur le fonctionnement d’un tribunal doit être

mesuré. L’adoption d’une telle façon de penser accentue le rôle de gestion de l’instance dévolu aux

tribunaux. Lorsque le Code de 1966 prévoit que le juge peut «proroger tout délai qui n’est pas de

rigueur, ou relever une partie des conséquences de son défaut de le respecter»741, il lui confie la

bonne marche du procès. En supprimant le formalisme dans toute règle qui n’est pas strictement

identifiée comme telle, les législateurs de la deuxième moitié du XXe siècle transfèrent aux

tribunaux l’obligation de trancher en matière de prolongation de délai en augmentant le recours à la

révéler enrichissante et pertinente à l’étude du formalisme procédural québécois et même, incidemment, à l’évolution de

la pensée en matière de procédure civile. Voir F. Charette, supra note 696. 737 R. Savoie, «Rigorisme ou laxisme», (1973) 33 R. du B. 305, 307. 738 Id., p. 307. 739 Par exemple, dans l’arrêt Lecompte c. Besner [1973] C.A. 24, 27-28, le juge Deschênes, dissident, s’inquiète que l’art.

2 C.p.c. soit utilisé pour «mettre à néant la rigueur» que le législateur a voulu conférer à certains délais, ici le délai pour

signifier une requête pour précision (170 C.p.c.). 740 Montana c. Développements du Saguenay, [1977] 1 R.C.S. 32, 38 (j. Pigeon). 741 Art. 9 al. 1 C.p.c.

Page 177: L'évolution et la structuration des principes directeurs

167

discrétion judiciaire, plutôt que de l’assujettir au Code en multipliant les règles particulières. Dès

1966, la décision de rendre la procédure moins formaliste a donc aussi un impact sur le rôle

respectif du Code et des magistrats dans l’encadrement de la progression des causes, impact qui

jouera un rôle dans le développement de la philosophie liée aux principes directeurs. En d’autres

termes, l’autorité conférée au Code sur certaines questions diminue légèrement. Par contre,

l’expérience prouve que l’absence de formalisme indu ne signifie pas la fin du recours aux règles

strictes ou de rigueur ni que l’autorité attachée aux règles du Code soit écartée. Dans le Code

comme dans toute interprétation civiliste, la loi reste centrale dans la conception théorique et

pratique du système. Comme le rappelle la Cour suprême, «il est évident que, tout formalisme indu

écarté, les dispositions impératives du Code de procédure civile doivent être respectées, la

procédure observée demeurant une garantie additionnelle du respect des droits des justiciables»742.

La représentation de la procédure civile abandonne en partie et progressivement son aspect rigide,

pour privilégier une approche plus souple, basée sur les besoins des justiciables et de la progression

de leurs dossiers. Mais les avantages des règles de la procédure civile ne sont pas rejetés pour

autant. La procédure civile reste obligatoire dans plusieurs domaines et elle balise toujours la route

autorisée pour obtenir une décision judiciaire sur une question de droit civil.

1.2. L’élargissement de l’accès au tribunal

Nous avons vu que la nouvelle mouture du Code a été réalisée dans l’intention d’offrir un meilleur

service et un meilleur accès à la justice aux justiciables. Comme l’exprime d’ailleurs un auteur à

propos des modifications qui peuvent s’ajouter au projet de révision, «the important thing is to keep

the goal in mind : the better, more efficient administration of justice, in the interests of the litigants

and the public […]»743. La question de l’accès à la justice préoccupe de nombreuses sociétés

modernes. Un auteur propose que «[l]a seule existence théorique d’une possibilité de poursuite du

droit en justice n’est pas suffisante. Cette possibilité doit surtout être économiquement réalisable et

sensée. […]»744. Il ajoute que les cultures juridiques se dotent d’outils et de stratégies pour répondre

à ce défi, et que, bien que certains moyens soient plus utilisés que d’autres, le choix de ceux-ci

présente, à son avis, des caractéristiques culturelles745. Il apparaît donc révélateur de considérer

742 Québec (Communauté urbaine) c. Services de santé du Québec, [1992] 1 R.C.S. 426, 435, j. L’Heureux-Dubé. Voir au,

même effet, Construction Gilles Paquette ltée c. Entreprises Végo ltée (Les), [1997] 2 R.C.S. 299, 1997 CanLII 352

(CSC), par. 9-10 (j. Gonthier). 743 P. Meyer, supra note 693, p. 368. 744 R. Stürner, «Procédure civile et culture juridique», R.I.D.C. 4-2004, 797, 816. 745 Id., p. 816-817.

Page 178: L'évolution et la structuration des principes directeurs

168

brièvement comment ces objectifs ont été envisagés dans la structure du Code et comment ils ont

été reçus et perçus dans le milieu judiciaire.

1.2.1. L’élargissement du nombre de moyens procéduraux

L’un des nouveaux moyens procéduraux mis à la disposition des justiciables et de leurs avocats est

le jugement déclaratoire. Avant 1965, la réflexion sur la possibilité d’une telle action a pris de

l’ampleur, dans la foulée de l’interprétation d’un article concernant l’intérêt pour agir qui mentionne

aussi la possibilité d’un intérêt éventuel dans certains cas746. Après la réforme, le Code prévoit

spécifiquement l’existence d’une action en jugement déclaratoire, considérée jusque-là comme

étrangère à notre droit civil747. La reconnaissance de la requête en jugement déclaratoire, bien

qu’assujettie à des critères spécifiques et limitée à des cas précis748, vient augmenter théoriquement

l’étendue de la compétence accordée au tribunal et permet en principe de trancher certaines

difficultés plus rapidement que dans le système en vigueur sous l’ancien Code. Sa portée reste

cependant limitée. En effet, le rapport des commissaires prône une attitude ferme face au respect

des conditions d’ouverture de celui-ci, notamment l’intérêt de la partie et la pertinence de

l’intervention judiciaire, pour éviter les abus749. Malgré ce fait, et comme le souligne un des

commentateurs dès 1967, l’adoption d’articles permettant le jugement déclaratoire est aussi un

moyen de simplifier la procédure ordinaire et de l’accélérer750. Le jugement déclaratoire est donc

746 Art. 77 C.p.c. (1897). Voir Corporation du village de la Malbaie c. Warren, (1924) 36 B.R. 70, 72 (j.e.c. Lafontaine).

La Cour reconnaît par contre l’existence d’une procédure conjointe de deux parties pour demander une adjudication sur un

point de droit (art. 509-512 C.p.c. 1897), mais elle n’est pas applicable à la majorité des litiges, malgré l’usage parfois

autorisé de l’ article 77 C.p.c. (1897) pour pallier à cette lacune. Dans plusieurs textes, le terme employé est «intérêt

suffisant». Voir par exemple J. Paquet, «La requête pour jugement déclaratoire : où en sommes-nous depuis l’arrêt Duquet

c. Ville de Sainte-Agathe-des-Monts?», Barreau du Québec, Service de la Formation continue, Développements récents en

droit civil, vol. 56, Cowansville, Yvon Blais, 1994, 1, 3-4; G. Massé, «L’adaptation de la justice québécoise au jugement

déclaratoire», (1983) 61 R. du B. can. 471, 471. Dans les années 1950, un juge analyse que la jurisprudence évolue vers

l’acceptation de «l’action en déclaration in futurum», Baril c. Bolduc, [1952] B.R. 611, 620 (j. Bissonette). Voir aussi A.J.

Alexandor Furs Ltd. c. Sadowsky, [1947] B.R. 53, 55 (j. Bissonnette). Dans le cas de l’action provocatoire ad futurum,

celle-ci ne s’applique que s’il existe «un intérêt immédiat et pécuniaire» «actuellement en danger» d’être affecté, «alors

que la seule crainte» du dommage n’est pas suffisante, ce dommage doit être «imminent» (Lizotte c. Dubé, [1944] C.S.

361, 364 (j. Belleau)). 747 Saumur c. Québec (P.G.), [1964] R.C.S. 252, 257 (j.e.c. Taschereau). Voir aussi Ouimet c. Fleury, (1910) 19 B.R. 301,

301 (j. Lafontaine); Rochefort c. Godbout, [1948] C.S. 310, 312-315 (j. Roy) Illustration : Bélanger c. Théberge, (1904)

10 R. de J. 447 (j. Pelletier) (C.S.). De même, considérer L. Sarna, «The Scope and Application of the Declaratory

Judgement on Motion», 33 R. du B. 493, 494-495; J. H. Grey, «John E. L. Duquet v. La ville de Sainte-Agathe-des-

Monts», (1978) 24 R. D. McGill, 477, 477. 748 Art. 453 C.p.c. (1966). De même, le Code de 1966 reconnaît aussi le jugement déclaratoire par action, selon 55 C.p.c.

(1966) : cette double possibilité, soit d’utiliser la requête (théoriquement plus rapide) ou l’action, dans les cas où le

jugement déclaratoire est pertinent, influence le développement de la jurisprudence et de la doctrine jusqu’en 2002. 749 Projet-Draft, Code de procédure civile, 1964, supra note 697, p. 11a, citant Solus et Perrot. Un magistrat de la Cour

d’appel reprend une idée similaire en 1969 : il considère que l’article 453 C.p.c. est d’interprétation stricte et d’ordre

public, expliquant que le recours à l’article doit être restreint aux cas qui y sont prévus. Selon lui, cette restriction permet

d’éviter les abus. Fefferman c. Bentley’s Cycles and Sports ltd., [1969] B.R. 806, 807 (j. Salvas). 750 L. Marceau, «Articles 448 à 481», dans Barreau de la province de Québec, Conférences : Le code de procédure civile,

S.l., le Barreau, 1966, 57, 57.

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169

une procédure porteuse de changements et un lieu d’expression de principes directeurs en

maturation, notamment parce qu’il est possible de l’associer à la simplification de la procédure, à

l’augmentation de la célérité, à la coopération entre les parties et à la diminution des coûts des

procédures civiles.

Dans le cas du jugement déclaratoire, la rupture avec le passé en matière procédurale est nette.

Cependant, la réaction initiale d’une partie des juges et des praticiens peut être qualifiée de

«prudente»751. Le recours est délibérément défini par le législateur dans un esprit de pragmatisme,

justifié par l’idée d’accélérer et de simplifier la procédure752. Certains mettent en doute les bienfaits

escomptés ou résistent à ce changement proposé lors de son adoption et même auparavant753. Parmi

les différentes impressions entretenues initialement, le jugement déclaratoire est souvent perçu, et

donc appliqué, à titre d’outil de prévention uniquement754, devant être refusé si des aspects curatifs

s’y joignent. S’appuyant sur les remarques des commissaires à la codification, ces aspects curatifs

semblent indiquer, aux yeux de ces membres de la communauté juridique, que les parties devraient

procéder par une action ordinaire. En 1977, la Cour suprême s’est opposée à une interprétation trop

stricte de l’article 453 C.p.c. Ce jugement venait réitérer les idéaux du Code de 1966 en matière de

jugement déclaratoire. Selon la Cour, la manière de rédiger l’article et les commentaires des

commissaires montraient que l’objectif était de rendre la possibilité de procéder par requête

largement applicable755, en droit public comme en droit civil.

D’après quelques auteurs, l’utilisation de la requête en jugement déclaratoire devient plus fréquente

à la suite des précisions de la Cour suprême sur son application756. Cette situation aurait plusieurs

conséquences : ajout d’une approche curative à une approche préventive, ajout du pouvoir

d’annulation au pouvoir d’interprétation, évolution du recours à titre de moyen de contrôle

judiciaire de la légalité757, notamment. Un auteur affirme même que le jugement déclaratoire

751 J. Paquet, supra note 746, p. 7-8; D. Ferland et B. Emery, Précis, 4e éd., supra note 5, p. 662. 752 Projet-Draft, Code de procédure civile, 1964, supra note 697, p. 9a-11a et 89a. Ainsi, le jugement déclaratoire est

demandé par requête introductive d’instance accompagnée d’un avis de présentation (art. 453 et 78 C.p.c.), une procédure

plus rapide à l’époque que la procédure générale dans les causes qui ne procèdent pas selon une procédure allégée. Pour

des commentaires concernant le jugement déclaratoire, consulter par exemple C. Ferron, «Le jugement déclaratoire en

droit québécois», (1973) 33 R. du B. 378, 382-383 et J. H. Grey, supra note 747, p. 477-478. Les craintes concernant, par

exemple, l’engorgement des tribunaux ou des abus procéduraux et l’impression que le recours doit rester exceptionnel

ressortent des textes de l’époque, voir entre autres C. Ferron à la page 383 et la critique du juge Pigeon (Duquet c. Sainte-

Agathe des Monts (Ville de), [1977] 2 R.C.S. 1132, 1142). 753 Voir entre autres A.M. Watt, «Articles 382 à 447», dans Barreau de la province de Québec, Conférences : Le code de

procédure civile, S.l., le Barreau, 1966, 47, 53 754 Voir par exemple Corporation des enseignants c. Québec (P.G.), [1973] C.S. 793, 798-800 (j. Deschênes). Voir aussi

J. Paquet, supra note 746, p. 7. 755 Duquet c. Sainte-Agathe des Monts (Ville de), [1977] 2 R.C.S. 1132, 1141 (j. Pigeon). 756 J. Paquet, supra note 746, p. 11-12. 757 Voir notamment D. Ferland et B. Emery, Précis, 4e éd., supra note 5, p. 667-668, J. Paquet, supra note 746, p. 9-15.

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170

constitue une mesure intéressante parce qu’il peut permettre de régler un différend d’une manière

moins litigieuse758. Le jugement déclaratoire intervient parfois, comme la décision sur un point de

droit759, dans un contexte où les parties s’entendent sur les faits et ont une divergence sur

l’interprétation du droit760. Dans d’autres cas où les parties sont en désaccord sur les faits, l’opinion

du tribunal sur l’interprétation du droit pourrait théoriquement aider à amorcer un dialogue entre les

parties, puisque le jugement déclaratoire peut déterminer un état, une obligation ou une

interprétation résultant du texte d’un contrat, d’un testament, d’un écrit instrumentaire ou d’une loi,

entre autres761. L’implantation progressive, d’abord législative puis jurisprudentielle, du jugement

déclaratoire modifie le rôle du magistrat. Celui-ci peut désormais jouer un rôle de prévention762

dans certaines circonstances, et les tribunaux peuvent ainsi rendre un service plus diversifié aux

justiciables. La portée de certaines dispositions a été analysée jusqu’à confirmer que leurs pouvoirs

curatifs pouvaient aussi être exercés dans le cadre d’une réclamation faite par requête, et que le juge

de première instance avait une large discrétion pour apprécier la pertinence de recourir à ce nouveau

moyen procédural.

Par ailleurs, le Code est modifié dans les décennies suivantes d’une manière qui rejoint la

philosophie de l’élargissement de ce que l’on désigne parfois comme «l’offre de service». Influencé

par les mutations sociales, le Code de procédure civile est ainsi enrichi de sections particulières qui

visent à réglementer et encadrer des avenues procédurales spécifiques. En 1971, le législateur

758 G. Massé, supra note 746, p. 487. Un auteur français qu’il cite a effectivement publié une étude sur le jugement

déclaratoire qui pourrait selon lui être utilisé en France. Basé sur les expériences britanniques (anglaise et écossaise),

américaine et allemande en particulier, l’auteur évalue entre autres que tout jugement contiendrait à la fois une

composante déclaratoire et une composante exécutive et que la première pourrait, dans certains cas, être l’objet d’un

jugement (M. Maynard, Les jugements déclaratoires : une nouvelle forme d’activité judiciaire, la justice préventive, Paris,

Marcel Giard, 1922, p. 3-4. Il ajoute :

«Il pourra en être ainsi toutes les fois que les conditions de l’action exécutoire ne seront pas réunies et que le droit pourrait

être protégé contre une menace ou un trouble, ou bien encore, toutes les fois que, les conditions de l’action exécutoire se

trouvant réunies, le demandeur désireux d’éviter cette guerre judiciaire qu’est la litigation et confiant dans la loyauté de

son adversaire et son respect de la loi, veut simplement le renseigner et se renseigner lui-même sur leurs droits et leurs

devoirs réciproques.

[…]

Destinée non pas à trancher, mais à prévenir les litiges, la procédure déclaratoire est à la procédure contentieuse ordinaire

ce que la médecine préventive est à la médecine curative. D’où le nom de procédure préventive ou remède juridique

préventif, que les juristes anglais et américains lui donnent couramment.» (Id., p. 4). 759 Art. 448 à 452 C.p.c. Voir aussi M. Paré, La requête en jugement déclaratoire, Cowansville, Yvon Blais, coll. Points

de droit, 2001, p. 5. 760 Ibid. 761 À l’époque dont il est principalement question ici, les conditions d’ouverture du recours et les écrits visés sont

énumérés à l’article 453 C.p.c. Depuis le 1er janvier 2016, le nouvel article 142 N.C.p.c. est rédigé autrement. 762 Duquet c. Sainte-Agathe des Monts (Ville de), [1977] 2 R.C.S. 1132, 1138-1139. Il est à noter que la Cour suprême,

tout en refusant de reconnaître une distinction entre les buts préventifs et curatifs du recours n’en contredit pas l’existence.

Laflamme c. Drouin, [1973] C.A. 707, 710-712 (j. Rivard). Pour illustrer les cas où le pouvoir ne sera pas utilisé, voir

Fefferman c. Bentley’s Cycles and Sports Ltd., [1969] B.R. 806, 807 (j. Salvas) et Corporation des enseignants c. Québec

(P.G.), [1973] C.S. 793, 798-800 (j. Deschênes). Dans Langlais c. Côté, 2003 CanLII 46422 (QC CS), par. 11 (j.

Taschereau), il est rappelé qu’ «aux pouvoirs des tribunaux de prononcer des jugements exécutoires, le législateur a alors

ajouté celui de prononcer des jugements déclaratoires, dans les limites définies par la loi».

Page 181: L'évolution et la structuration des principes directeurs

171

adopte un Livre complet qui traite des modalités nécessaires pour gérer les demandes relatives aux

petites créances763, dans une loi intitulée de manière caractéristique «Loi favorisant l’accès à la

justice». L’adoption d’un Livre complet encadrant une procédure spécifique s’est produite à

nouveau en 1978, lors de l’adoption du Livre régissant les recours collectifs764.

Dans une optique voisine, quelques sections sont modifiées en profondeur. Le droit de la famille est

d’abord pris en considération isolément. En 1982765, l’ancien Titre «des procédures relatives au

mariage et à l’obligation alimentaire» devient le Titre «des procédures en matière familiale». Les

articles déjà présents dans ce Livre et ailleurs dans le Code sont remaniés, plusieurs dispositions

sont ajoutées et le législateur insuffle à l’ensemble une philosophie très différente. Celle-ci est

rendue nécessaire par la révision du Code civil alors en cours et les changements qu’elle met en

place. En 1986, le Livre traitant de l’arbitrage766 est remanié et augmenté de nombreuses

dispositions qui encadrent plus précisément ce processus. Outre des modifications ponctuelles et

parfois plus importantes767 par la suite, le droit de la famille est à nouveau modifié en 1997 par

l’introduction d’articles encadrant l’exercice de la médiation dans cette matière768. En 1996, le Code

est modifié769 pour prévoir l’introduction d’une procédure allégée pour les demandes dans

lesquelles le montant réclamé ou la valeur de l’objet en litige est égal ou inférieur à 50 000$ et pour

celles qui visent le recouvrement de certaines créances770.

Ces quelques exemples ont été choisis parmi les nombreuses mesures qui touchent la structure

même du texte et de la procédure civile. Ils montrent que l’orientation donnée en 1966 en faveur

d’une ouverture aux besoins des justiciables préside, durant les trois décennies suivantes, à des

modifications ponctuelles et progressives du Code. Ceci ne veut pas dire que le Code est

constamment adapté aux nouvelles situations, mais que la philosophie qui y est introduite en 1965

encourage à une prise de conscience des limites de la pérennité du texte et de l’importance de

structurer la procédure civile plus souplement, afin de répondre à des besoins changeants.

763 Loi favorisant l’accès à la justice, L.Q. 1971, c. 86, art. 1. 764 Loi sur le recours collectif, L.Q. 1978, c. 8, art. 3. 765 Loi assurant l’application de la réforme du droit de la famille et modifiant le Code de procédure civile, L.Q. 1982, c.

17, art. 29. Cette loi contient, outre le Titre déjà mentionné, de nombreuses modifications ponctuelles au Code. 766 Loi modifiant le Code civil et le Code de procédure civile en matière d’arbitrage, L.Q. 1986, c. 73, art. 2. Ce

remplacement multiplie d’ailleurs le nombre d’articles consacrés à l’arbitrage et définit un encadrement plus détaillé de

son utilisation. 767 Voir notamment Loi modifiant le Code de procédure civile, L.Q. 1999, c. 46. 768 Loi instituant au Code de procédure civile la médiation préalable en matière familiale et modifiant d’autres

dispositions de ce code, L.Q. 1997, c. 42, art. 7. 769 Loi modifiant le Code de procédure civile, la Loi sur la Régie du logement, la Loi sur les jurés et d’autres dispositions

législatives, L.Q. 1996, c. 5. 770 Art. 481.1 C.p.c.

Page 182: L'évolution et la structuration des principes directeurs

172

1.2.2. La volonté de réglementer les actes de procédure irrecevables et ses

conséquences

De même que la philosophie du Code de 1966 propose d’élargir l’accès au tribunal en accroissant

les moyens procéduraux disponibles et tente de se centrer sur les besoins des justiciables, elle se

base aussi sur une volonté de mieux gérer le processus judiciaire, notamment en ce qui a trait aux

procédures irrecevables ou aux interrogatoires abusifs. Rompant avec une tendance à reconnaître

aux parties l’usage de tous les moyens disponibles et à l’autoréglementation, elle propose quelques

balises plus définies et une intervention plus rapide dans le cours de l’instance. Ceci reflète

notamment les valeurs de célérité, d’économie et de recherche d’efficacité qui sous-tendent la

pensée procédurale au moment de son adoption. À partir de ce moment, les défendeurs disposent

d’un recours légal à l’égard d’une demande qui n’est pas recevable en droit771, qui leur permet

d’opposer cette irrecevabilité au demandeur et d’obtenir le rejet total ou partiel de la demande qui

n’est pas fondée, même en supposant que les faits allégués sont vrais, selon l’article 165 (4) C.p.c.

(1965). Issu d’un article de l’ancien Code772, ce moyen présente des limites, notamment celle qui

découle de l’obligation d’entendre les parties773. Lors de son adoption, ce moyen d’ordre général est

déjà prévu pour s’appliquer dès l’introduction de la demande. Cependant, il n’a pas été le seul à

témoigner d’une volonté de gestion plus efficace et rapide des situations pouvant mener à un rejet

de l’action. Des mesures spécifiques sont aussi apparues au moment de l’adoption du Code de 1966.

Parmi celles-ci, nous citerons à titre d’illustration rapide le cas de l’article 177 C.p.c., qui est fondé

sur cette orientation philosophique du Code774. Il remédie à l’époque au problème de certaines

défenses frivoles après un interrogatoire775. Malgré la possibilité –restreinte– offerte aux parties de

faire valoir leur point de vue, l’absence de possibilité d’entendre l’affaire sur le fond incite les

771 D. Ferland et B. Emery, Précis, 4e éd., supra note 5, p. 286-287. 772 Art. 191 C.p.c. (1897). 773 La Cour d’appel a d’ailleurs rappelé à plusieurs reprises qu’il faut éviter de mettre fin à un procès de manière trop

hâtive à cause des graves conséquences que cela occasionne. Voir par exemple Cheung c. Borsellino, 2005 QCCA 865

(CanLII); Investissements Intergem inc. c. Ultramar Canada inc., 2006 QCCA 1470 (CanLII); Giroux c. Hydro-Québec,

2003 CanLII 11338 (QC CA), par. 65 (j. Grenier, ad hoc.); Popovic c. Montréal (Ville de), 2008 QCCA 2371 (CanLII),

par. 32 (j. Rochon); Hampstead (Ville) c. Jardins Tuileries Ltée (Les), [1992] R.D.J. 163 (C.A.); 1991 CanLII 3170 (QC

CA) (j. Proulx). Voir aussi Corporation Draperies Montréal Inc. c. Chicoutimi (Ville de), [1984] C.A. 586, 589 (j.

Monet). Cette attitude est d’ailleurs la même à propos de tous les recours de l’article 165 C.p.c. (1966). Au même effet, en

matière de litispendance, voir l’avertissement de la Cour suprême dans Rocois Construction c. Quebec Ready Mix, [1990]

2 R.C.S. 440, 465 (j. Gonthier). 774 Art. 177 C.p.c. : «Dans les cas prévus à l’article 176, le tribunal peut rejeter la défense, si un interrogatoire fait en vertu

de l’article 93 fait voir qu’elle est frivole.» Lors du dépôt du projet de Code en 1964, les commissaires mentionnent que

les articles 176 et 177 «vise à parer aux défenses futiles» : Projet-Draft, Code de procédure civile, 1964, supra note 697,

p. 39a. 775 La Cour supérieure a par exemple utilisé le pouvoir de l’article 177 C.p.c. pour sanctionner une défense qui semblait,

selon les mots du juge, avoir été déposée «for delay only and with a view to setting up as many road blocks as possible

against the prosecution of the Plaintiff’s claim». Danish International Student Committee (The) c. Smith, [1967] R.P. 225,

227 (C.S.) (j. Batshaw).

Page 183: L'évolution et la structuration des principes directeurs

173

tribunaux à la prudence, ce qui traduit peut-être la prééminence qu’elle accorde au principe du

contradictoire à cette époque. Comme pour l’article 165 C.p.c., l’interprétation de l’article 177

C.p.c. est restrictive776. La Cour supérieure insiste sur un point : la défense doit être «intégralement

frivole» pour être rejetée777. L’article 177 C.p.c. est abrogé en 1984778. Cette abrogation survient au

moment où, comme nous pouvons le soutenir, les perceptions et les besoins en la matière

manifestent une forme de changement, voire d’évolution. Des textes permettent de dégager

l’existence d’une perception voulant que le nouvel article ait un effet bénéfique sur la célérité et

l’efficacité du traitement des demandes judiciaires. En effet, cet article 75.1 C.p.c. prévoit que toute

procédure ou toute action est susceptible d’être remise en question si elle présente un défaut de

sérieux ou de fondement779.

Le sentiment des élus est partagé par les membres de la communauté juridique. Un commentateur

de l’époque explique : «Cette nouvelle disposition vise essentiellement à permettre d’éviter que

soient placées sur le rôle des tribunaux civils des causes, actions ou procédures qui ne méritent pas

d’être portées sur le rôle de ces tribunaux en raison de leur caractère frivole ou en raison du fait

qu’elles sont mal fondées»780. Les remarques de l’auteur traduisent ainsi un souci d’administration

du temps des justiciables qui semble largement répandu. L’auteur souligne que l’article s’avère être

une tentative de leur éviter des délais créés par l’encombrement des rôles et leurs conséquences. De

même, l’administration du temps des tribunaux a été considérée, puisque ceux qui se prévalent de

cette mesure évitent l’audition de causes dont l’argumentation au soutien des prétentions de l’une

ou l’autre des parties présente certaines déficiences. Cette mesure s’inscrit dans un courant législatif

perçu comme illustrant une «volonté de prévenir l'utilisation de recours futiles et dilatoires»781.

Celui-ci, qui a débuté avec des mesures plus timides dès 1966, s’est implanté dans la philosophie du

Code et a encouragé la communauté juridique à adhérer à une forme de contrôle accrue du

phénomène, si nous en croyons la progression des mesures prises.

776 Il est encore affirmé que l’article 176 C.p.c. doit recevoir une interprétation restrictive en 1997 (D. Ferland et B.

Emery, Précis de procédure civile du Québec, 3e éd., vol. 1, Cowansville, Yvon Blais, 1997, p. 232 [ci-après D. Ferland et

B. Emery, Précis de procédure civile du Québec, 3e éd.]). Cette interprétation restrictive devait aussi s’étendre à l’article

177 C.p.c. lorsqu’il était en vigueur. En effet, ces articles sont complémentaires. 777 Caisse populaire de Saint-Jovite c. Legault, [1983] R.L. 549, 552 (C.S.) (j. Nichols). La Cour supérieure a, par

exemple, refusé de rejeter une défense qui n’apparaît pas être «entièrement frivole» après un interrogatoire selon 93

C.p.c., Le Bahut Limitée c. Studio Cléopâtre Limitée, [1967] R.P. 365, 369 (C.S.) (j. Nichols). 778 Loi modifiant le Code de procédure civile et d’autres dispositions législatives, L.Q. 1984, c. 26, art. 5. 779 Ainsi, le ministre de la Justice exprime son espoir que cette mesure permette de «réduire le nombre des actions ou

procédures qui allongent inutilement l’audition des causes» : Québec, Assemblée nationale du Québec, Journal des

débats, 32e lég., 4e sess., vol. 27, no. 103 (7 juin 1984), p. 6830. 780 D. Ferland, «Droit judiciaire. La nouvelle requête pour rejet d’action ou procédure manifestement mal fondée ou

frivole (Art. 75.1 C.p.c.)», (1985) 45 R. du B. 607. La cause mise au rôle est, en principe, celle où la partie se déclare prête

à procéder : leur acte de procédure (demande ou défense) et les pièces ont été communiqués, etc. Voir art. 15 R.p.c.(C.S.). 781 Brassard c. Société zoologique de Québec inc., 1995 CanLII 4710 (QC CA), par. 22 (j. LeBel).

Page 184: L'évolution et la structuration des principes directeurs

174

En revanche, l’application de la nouvelle mesure s’avère toujours limitée par une approche

prudente782. De nouveau, la solution qui consiste à priver une partie de son droit à une défense, par

exemple, est perçue comme une décision sérieuse et lourde de conséquences, malgré l’importance

de décourager les procédures frivoles ou dilatoires783. Le principe du contradictoire, principe

reconnu qui sous-tend le droit d’être entendu, a ici un rôle modérateur784. La tentative de

changement de l’usage procédural que représentait l’adoption de l’article 75.1 C.p.c. connaît donc

un succès partiel. L’article circonscrit fermement les limites de l’intervention des tribunaux, d’autant

plus qu’il reconnaît à ceux-ci un pouvoir discrétionnaire de décider s’il y a ou non matière à sanction785,

puisqu’ils ont pour office de déterminer si la procédure semble futile, dilatoire ou si elle est exempte

d’une chance raisonnable de succès786. Il est possible de déduire que chaque partie est responsable de

présenter des actes de procédure et des preuves pertinents et valables, sous peine de sanction, une

responsabilité qui est le corollaire du principe directeur fondant la reconnaissance de la maîtrise de leur

dossier par les parties. Par ailleurs, puisque cette mesure implique entièrement le tribunal dans la

situation, le magistrat devient responsable de s’assurer du bon déroulement de l’instance. Une telle

responsabilité montre à quel point le développement graduel d’une pensée à propos de ce qui se

nommera bientôt la «proportionnalité» conserve ses liens tant avec l’évolution de la définition de la

fonction judiciaire qu’avec la définition ou à la redéfinition des autres principes procéduraux, codifiés

ou implicites à l’époque. Ces traits seront d’ailleurs accentués par l’adoption de l’article 75.2 C.p.c.787

quelques années plus tard et dont l’esprit rejoint les préoccupations administratives de l’époque et

encourage une action plus prompte dans les différents dossiers affectés par des procédures abusives

ou dilatoires, voire même plus décisive en matière de quérulence788, par exemple. Par ces règles et

d’autres qui se basent sur les mêmes valeurs ou considérations, les magistrats sont aussi

782 Drouin c. Centre d’achat Boisbriand Inc., [1991] R.D.J. 163, 165 (C.A.), 1991 CanLII 3544 (QC CA); Burnett c.

Banque Royale du Canada, [1992] R.D.J. 261, 265 (C.A.), 1991 CanLII 3337 (QC CA) (j. Chouinard), Driesen c.

Métayer, [1991] R.D.J. 357, 358 (C.A.); Senécal c. A.S.E.C.P. Montréal ltée, 1995 CanLII 4754 (QC CA), par. 2. 783 Drouin c. Centre d’achat Boisbriand Inc., [1991] R.D.J. 163, 165 (C.A.), 1991 CanLII 3544 (QC CA); I.C.

infrastructure Construction Ltée c. Armco Westeel Inc., [1990] R.D.J. 274, 275 (C.A.), 1990 CanLII 3637 (QC CA). 784 «La modification apportée au Code de procédure civile en 1984 (L.Q. 1984, c. 26) est destinée à écarter sommairement

les actes de procédure, voire les actions, qui sont voués à l’échec. Dans le cas d’une action, il ne faudrait pas perdre de vue

que la partie demanderesse elle-même, par le fait d’un jugement accordant une requête sous l’art. 75.1 C. pr. civ., est

privée de son droit d’être entendue par un juge de première instance, appelé en principe à trancher autant sur les points de

fait que sur les points de droit.» Legault c. Gagné, [1988] R.D.J. 196, 199 (j. Monet) (C.A.). 785 Burnett c. Banque royale du Canada, [1992] R.D.J. 261 (C.A.), 1991 CanLII 3337 (QC CA). 786 Paulin c. Trust général du Canada, [1986] R.D.J. 75, 76 (C.A.). 787 Loi modifiant le Code de procédure civile et diverses dispositions législatives, L.Q. 1993, c. 72. L’article 75.2 C.p.c.

prévoit que : «Lorsqu’il rejette, dans le cadre de l’article 75.1, une action ou une procédure frivole ou manifestement mal

fondée, le tribunal peut, sur demande, la déclarer abusive ou dilatoire. Il peut alors condamner la partie déboutée à payer

des dommages-intérêts en réparation du préjudice subi par une autre partie si le montant en est établi.» 788 Règlement de procédure civile, RRQ, 1981, c. C-25, r. 9, art. 84. De fait, comme le montre la jurisprudence antérieure

depuis Yorke c. Paskell-Mede, [1996] R.J.Q. 1964, 1969-1970 (j. Lagacé) (C.S.), le contrôle en matière d’autorisation a

bien été utilisé. Voir aussi, à ce sujet, Y.-M. Morissette, «Abus de droit, quérulence et parties non représentées», (2003)

49 R. D. McGill 23, 50.

Page 185: L'évolution et la structuration des principes directeurs

175

progressivement invités à intégrer à leur analyse l’impact des conséquences «économiques» des

décisions des parties et des actes que la Cour autorise, fussent-elles liées aux coûts ou aux délais789.

Dans l’ensemble, les moyens mis en œuvre à cet égard illustrent une autre tendance qui transparaît

dans la rédaction du nouveau Code et s’amplifie avec son interprétation durant les décennies

subséquentes. En effet, l’accès aux tribunaux n’est pas uniquement tributaire du seul développement

de nouvelles formes procédurales plus adaptées, il est aussi perçu dans l’optique d’un meilleur

contrôle du déroulement des instances individuelles. Si les critiques des anciens Codes déploraient

la possibilité pour les parties d’étirer indument les procès, la rédaction du Code entré en vigueur en

1966 démontre une intention d’intégrer dans la structure même des règles des moyens pour encadrer

davantage ces phénomènes. La modification de l’utilisation de la procédure devant les tribunaux, de

différentes manières, veut donc répondre à plusieurs valeurs, notamment la célérité et l’économie

du processus. En d’autres termes, même si la philosophie d’application du Code devient plus souple

et se propose d’améliorer l’accès à la justice tout en répondant aux besoins des justiciables, elle se

veut aussi plus explicitement présente et préventive dans la supervision des possibilités de

dérapages. Le contrôle passe à la fois par l’autoréglementation de la cause par les parties et par une

reconnaissance expresse de l’apport des tribunaux dans ces situations.

Par ailleurs, si la réponse à la problématique de l’accès à la justice est de nature culturelle, que

révèle celle de notre période d’étude après ce premier survol? Elle se base principalement sur une

approche institutionnelle. L’État, ou le tribunal, ou le Code sont les principaux lieux d’expression

de la justice et les vecteurs de changement. La réponse est donc basée sur le pragmatisme et la

transformation concrète de la loi ou de son application pour permettre une gestion par le système

judiciaire des besoins des justiciables, en augmentant les formes procédurales d’actions, en

modifiant les balises fondées sur son utilisation économique, etc. La différenciation des rôles de

l’État, de la loi et du magistrat, de même que leur poids comparatif, que nous avons souligné à

l’occasion, sont à considérer avec attention, car ils montrent des signes de changement. Déjà, nous

percevons à partir des années 1980-1990 une tendance accrue à intégrer à ces moyens procéduraux

un phénomène surtout privé, soit le recours aux formes de négociation ou de médiation. Cependant,

il est encore hasardeux à ce stade de notre étude d’identifier dans la pensée des acteurs une

adéquation entre l’accroissement de cette présence et une perception d’accès accru à la justice.

789 En effet, le préjudice peut être compensé si le montant du dommage résultant du préjudice subi est établi, D. Ferland et

B. Emery, Précis, 4e éd., supra note 5, p. 208. Voir 2740478 Canada inc. c. 175809 Canada inc., 2000 CanLII 9254 (QC

CA), par. 4-6.

Page 186: L'évolution et la structuration des principes directeurs

176

Chapitre 2. Le Code de 1966 et les «principes

directeurs» : trois décennies de changement

L’évolution des principes directeurs et l’adhésion aux valeurs qui les sous-tendent dans les

dernières décennies du XXe siècle présentent des caractéristiques essentielles à la compréhension de

la pensée procédurale qui en découle et à la structuration de celle-ci.

2.1. Les principes directeurs anciens et reconnus

Certains de ces principes directeurs ont alors atteint l’état de principes directeurs reconnus, dont

nous pourrons établir qu’ils sont nommés ou codifiés selon les étapes de notre classification. Le

visage de leur évolution est tributaire de leur situation.

2.1.1. Le principe directeur du contradictoire : le maintien de l’adhésion au principe

codifié

Le principe directeur du contradictoire ne connaît pas de bouleversements lors de l’adoption du

Code ou dans les trois décennies suivantes. Puisqu’il est déjà codifié et nommé, les étapes de son

développement sont moins facilement saisies par certains de nos paramètres d’analyse, lorsqu’ils

sont orientés vers son apparition dans des textes de loi. Cependant, il n’est pas non plus un principe

figé dans le temps et d’autres de nos paramètres l’indiquent. Il est possible de mentionner par

exemple que son nom ne devient pas entièrement uniforme. Le principe directeur continue d’être

désigné par les expressions «audi alteram partem»790, «droit d’être entendu(e)» ou encore la

référence au «contradictoire», parfois accompagnée du terme «principe». L’emploi de la référence

au contradictoire ne se révèle pas être généralisé et il est clair qu’il ne supplante pas les autres

vocables au XXe siècle791.

Exemple du principe codifié ancien, le principe du contradictoire reste perçu comme l’élément

fondamental792 du système judiciaire jusqu’à la fin du XXe siècle. En 1966, la règle qui l’exprime se

790 Un rapide survol laisse penser que c’est le vocable que privilégie la doctrine, qui désigne l’article comme «la règle

audi alteram partem», voir par exemple D. Ferland et B. Emery, Précis, 3e éd., supra note 776, p. 8-10. Le contenu de

l’article 5 C.p.c. est similaire à celui de l’article qui l’a précédé : «Il ne peut être prononcé sur une demande en justice sans

que la partie contre laquelle elle est formée n’ait été entendue ou dûment appelée». 791 Certains magistrats indiquent par exemple que «[l]e caractère contradictoire de la preuve résulte de l’article 5 C.p.c.

[…].» (Au sujet de : L. (K.), 1999 CanLII 10714 (QC CQ)). Les tribunaux citent le «principe du contradictoire», souvent

en référence avec l’audition de la preuve (voir La métropolitaine c. L'industrielle, compagnie d'assurance-vie et autres,

1983 CanLII 2742 (QC CA) ou Groupe Promutuel, Fédération de sociétés mutuelles d'assurance générale c. Groupe

DMR inc., 1998 CanLII 9361 (QC CS)). 792 Omniglass Limited c. Groupe Cayouette Superseal inc., [1986] R.D.J. 52, 58 (C.A.) (j. Chevalier).

Page 187: L'évolution et la structuration des principes directeurs

177

trouve placée parmi les premiers articles du nouveau Code. Elle conserve une rédaction identique à

celle du Code qui l’a précédé. Elle est toujours reconnue expressément comme traduisant un

principe qui s’applique à l’ensemble de la procédure civile. D’ailleurs, le débat contradictoire, ou le

droit des parties d’être entendues, continue d’être un des éléments centraux de la conception

procédurale québécoise. Cette réalité rejoint celle de l’importance accordée au principe en question

par les cours et de la verbalisation de plus en plus prononcée qui l’accompagne depuis quelques

décennies. Les véritables modifications qui l’affectent entre 1966 et 2000 influencent beaucoup

l’élargissement de l’application du principe directeur du contradictoire d’une part, et dans la

redéfinition consécutive des limites de son influence d’autre part.

Certaines constantes ne changent pas par rapport aux décennies antérieures et le discours issu de la

jurisprudence comme de la doctrine en témoigne. Le principe directeur est toujours considéré par

des auteurs comme lié au droit naturel793 et il s’applique de façon large dans tout le système

judiciaire. Son respect est universel devant tous les tribunaux dans le dernier tiers du XXe siècle et

notamment en première instance794, qu’il soit affirmé de manière explicite ou implicite. Selon la

pensée judiciaire québécoise, le principe directeur du contradictoire entretient des liens puissants

avec l’idée de la justice contradictoire telle qu’elle est conçue au XIXe siècle et encore de nos jours.

En effet, l’existence d’un système où chaque partie défend ses prétentions est indissociable, dans

une société libérale et prônant l’équité et la démocratie, d’une possibilité pour chaque partie de faire

valoir ses arguments795. L’importance de cet objectif est tempérée par des limites intrinsèques.

Rappelons tout d’abord que, selon la procédure civile adoptée au Québec, le principe directeur

garantit que les parties peuvent être appelées à l’instance. Cette réalité implique qu’elles ont une

occasion de faire valoir leur preuve de manière complète, ou, en droit administratif, la possibilité de

793 Voir par exemple en page 61. 794 La Cour suprême l’a affirmé en matière d’expertise pour la Cour fédérale, à propos de la politique voulant qu’il y ait

exclusion des témoignages d’experts en matière maritime quand des assesseurs assistent le juge. Porto Seguro Companhia

De Seguros Gerais c. Belcan S.A., [1997] 3 R.C.S. 1278, 1293-1294 (j. Sopinka) : «La règle interdisant le témoignage

d’experts lorsqu’un juge siège avec des assesseurs dans les affaires d’amirauté souffre de quatre défauts. Premièrement,

l’interdiction frappant le témoignage d’experts viole le principe de justice naturelle qui consacre le droit d’être entendu,

audi alteram partem. Ce principe confère à toute partie à un litige le droit de présenter des éléments de preuve sur tous les

points importants. Le juge de première instance a le pouvoir discrétionnaire de limiter les éléments de preuve ou de les

écarter lorsque le préjudice qu’ils peuvent causer au procès l’emporte sur leur pertinence. Mais le principe voulant que

toute partie au litige ait le droit d’être entendue s’oppose à l’exclusion d’une catégorie entière d’éléments de preuve. Dire

qu’une partie ne peut pas citer d’experts sur les questions en litige c’est nier son droit fondamental d’être entendue.» 795 Voir par exemple Omniglass Limited c. Groupe Cayouette Superseal inc., [1986] R.D.J. 52, 58-59 (j. Chevalier);

Bourse de Montréal c. Scotia McLeod inc., [1991] R.D.J. 626, 629 (C.A.). Voir aussi L. Otis, «La transformation de notre

rapport au droit par la médiation judiciaire», supra note 1, p. 12-13. La juge L’Heureux-Dubé rappelle même l’importance

de la règle audi alteram partem en droit administratif en faisant allusion à son lien avec le respect de la primauté du droit,

qui «remonte à l'origine de nos institutions démocratiques et fait partie de notre héritage juridique le plus cher». Tout en

soulignant que la règle est de plus en plus présente dans les lois régissant les tribunaux administratifs, la juge rappelle que

la règle est de toute façon implicite dans toute procédure de nature judiciaire ou quasi-judiciaire : Supermarchés Jean

Labrecque Inc. c. Flamand, [1987] 2 R.C.S. 219, 234 (j. L’Heureux-Dubé).

Page 188: L'évolution et la structuration des principes directeurs

178

faire valoir leurs moyens, que cela soit au cours d’une audition par un tribunal ou selon d’autres

méthodes796. Par ailleurs, comme le rappelle la Cour d’appel, «le droit d’être entendu comprend

celui de prendre connaissance de la plaidoirie adverse et aussi celui d’y répondre afin de s’assurer

que le décideur puisse véritablement avoir devant lui tous les arguments et toutes les autorités

nécessaires à une prise de décision éclairée et impartiale»797. Globalement, de nombreux facteurs et

accommodements peuvent être proposés pour permettre aux parties de se faire entendre en tenant

compte des circonstances. Cela se produit par exemple lorsqu’une partie n’a pu produire sa défense

pour une cause jugée suffisante et demande une rétractation de jugement et la reprise de

l’instance798. Les pouvoirs conférés au juge de permettre la comparution malgré le défaut et même

sans le consentement de la partie adverse799 ou l’intervention du tribunal en cas d’«impossibilité de

fait d’agir», lorsque les circonstances le permettent800, témoignent aussi de la protection accordée au

droit des parties d’être entendues.

Dans l’ensemble, les tribunaux reconnaissent par leur action et, à l’occasion dans leur discours, que

l’article 5 C.p.c. codifie un principe fondamental801. Dans le cadre du Code, le principe directeur du

contradictoire peut illustrer les deux tendances évoquées précédemment. Premièrement, les

tribunaux peuvent utiliser le contenu du principe directeur et la rhétorique qui l’accompagne pour

justifier l’assouplissement de certaines règles procédurales. Deuxièmement, le non-respect de ce

même principe directeur demeure une des causes susceptibles de mettre fin à une instance ou

d’obliger à la reprendre malgré les frais et les délais encourus, à moins qu’il soit possible de

corriger la procédure pour y remédier sans préjudice à la partie lésée. Peut-être en illustration de

l’importance acquise par le principe directeur, de nombreux articles spécifiques rappellent

796 La Cour suprême a par ailleurs répété à plusieurs reprises que l’obligation d’être entendu, en droit administratif

notamment, ne signifie pas nécessairement avoir une audience devant un tribunal, mais réfère plutôt à l’opportunité de

faire valoir ses moyens. Voir à cet égard Komo Construction Inc. c. Commission des Relations de Travail du Québec,

[1968] R.C.S. 172, 175 (j. Pigeon); Roper c. Royal Victoria Hospital, [1975] 2 R.C.S. 62, 65-66 (j. de Grandpré). Cette

règle s’appliquera à plus forte raison dans le contexte judiciaire. Voir aussi Supermarchés Jean Labrecque Inc. c.

Flamand, [1987] 2 R.C.S. 219, 234-236 (j. L’Heureux-Dubé), où la juge démontre que l’esprit de la règle telle qu’elle est

comprise notamment en droit administratif signifie que la partie a le droit de présenter ses moyens et sa défense, afin que

le tribunal (ou le décideur) puisse en prendre connaissance. 797 Fraternité des policiers de Lachute c. Dulude, [1991] R.D.J. 159, 161-162 (C.A.) (j. Proulx). Ceci a été réitéré

dans Lessard c. Brodeur, 2006 QCCA 7 (CanLII), par. 6-8. Voir aussi, entre autres : Kane c. Conseil d’administration de

l’université de la Colombie-Britannique [1980] 1 R.C.S. 1105, 1114-1116 (j. Dickson). 798 Art. 482 C.p.c. 799 Art. 150 et 151 C.p.c. 800 Pour une explication plus approfondie, voir par exemple Construction Gilles Paquette ltée c. Entreprises Végo ltée,

[1997] 2 R.C.S. 299; 1997 CanLII 352 (CSC), par. 11, 14 et 21; Cité de Pont Viau c. Gauthier Mfg. Ltd., [1978] 2 R.C.S.

516, 528 (j. Pratte); St-Hilaire c. Bégin, [1981] 2 R.C.S. 79, 86-88 (j. Lamer). À titre d’illustration de l’application de

l’impossibilité en fait d’agir à la Cour supérieure, considérer par exemple Legendre c. 3093-9664 Québec inc., 2010

QCCS 2996 (CanLII). 801 St-Pierre Realties Company Ltd. c. Tremblay, [1988] R.J.Q. 1258, 1264-1265 (C.A.) (j. Mailhot).

Page 189: L'évolution et la structuration des principes directeurs

179

explicitement ou implicitement les obligations des acteurs du système judiciaire à cet égard, comme

les règles liées à la signification en particulier802.

Par ailleurs, le contexte d’utilisation du principe directeur a aussi été modifié par des réalités

contemporaines. L’une d’entre elles est évidemment l’adoption, en 1982, de l’article 7 de la Charte

canadienne des droits803, qui fait référence aux principes de justice fondamentale, et, en 1975, de

l’article 23 de la Charte des droits et libertés de la personne804, qui protège le droit à une «audition

publique et impartiale, devant un tribunal indépendant». Ces deux articles font tacitement référence

à l’idée du droit d’être entendu dans les dossiers qui peuvent faire l’objet de leur application. Il est

intéressant de noter qu’en ce qui a trait à l’article 23 de la Charte québécoise, le droit à un procès

public et le droit d’être entendu sont déjà codifiés depuis le XIXe siècle pour les matières civiles.

Dans ce contexte, au regard des principes directeurs du Code, le contenu n’est pas modifié.

Néanmoins, l’adoption de l’article signifie que le législateur réitère son adhésion à ceux-ci. De plus,

la production doctrinale et la littérature juridique comprennent désormais des affirmations de

l’existence du droit d’être entendu qui sont justifiées par l’article 5 C.p.c. et, dans d’autres cas, par

l’article 23 de la Charte québécoise. Dans ce second cas, l’application est souvent faite en droit

administratif, en matière d’outrage au tribunal, parmi d’autres exemples805. De même, la

justification articulée en citant le contenu du principe directeur sans la moindre référence à un

article spécifique de la Charte ou du Code de procédure civile se produit également, comme aux

époques antérieures. Dans ces cas, même si l’un ou l’autre des outils législatifs peut être en cause,

les parties ou les magistrats réfèrent de manière plus générale au principe audi alteram partem ou

au droit d’être entendu806. Ainsi, depuis l’adoption des Chartes notamment, l’importance du

802 Outre l’obligation générale de signifier tout acte de procédure aux procureurs des parties ou aux parties elles-mêmes si

elles ne sont pas représentées (art. 78 C.p.c.), le Code rappelle la nécessité de la signification dans plusieurs cas : la

requête introductive d’instance (123 C.p.c.), l’acte de comparution en cas de reprise d’instance (258 C.p.c.), le bref de

supœna (art. 280 C.p.c.), le bref d’assignation pour examen médical (399 C.p.c.), l’obligation de signifier avec un avis au

défendeur (art. 119 C.p.c.) dans certains cas et celle de signifier à toutes les parties (art. 128 C.p.c.) dans d’autres, etc. Le

non-respect de ces règles est dénoncé fortement par les tribunaux, voir par exemple 2947-6850 Québec inc. c. Prekas,

1993 CanLII 3595 (QC CA), bien qu’elle puisse faire l’objet de certaines exceptions (voir Association des agents

distributeurs des Messageries Dynamiques inc. c. Groupe Québécor inc., [1983] R.D.J. 422, 424 (C.A.) (j. Jacques)) ou

d’une atténuation (voir par exemple Syndicat des Employés du Transport de Montréal (CSN) c. Québec (P.G.), [1970]

R.C.S. 713). 803 Voir par exemple G.G.(N.) c. E.A., 2006 QCCS 254, par. 32-33. 804 Charte des droits et libertés de la personne, R.L.R.Q., c.-12. L’article 23 prévoit que : «Toute personne a droit, en

pleine égalité, à une audition publique et impartiale de sa cause par un tribunal indépendant et qui ne soit pas préjugé,

qu’il s’agisse de la détermination de ses droits et obligations ou du bien-fondé de toute accusation portée contre elle.

Le tribunal peut toutefois ordonner le huis clos dans l’intérêt de la morale ou de l’ordre public.» 805 Voir par exemple Crane Canada Inc. c. Sécurité nationale, cie d'assurance, [2005] R.J.Q. 56, 2004 CanLII 48772 (QC

CA), où le parallèle est établi, en parlant de la publicité, entre l’article 23 de la Charte et l’article 13 C.p.c.; Fabrikant c.

Swamy, 2010 QCCA 330 (CanLII); Cascades Conversion inc. c. Yergeau, 2006 QCCA 464 (CanLII). 806 Considérer par exemple la manière dont la situation est présentée dans H. (N.) c. M. (R.), 1999 CanLII 12008 (QC CS),

par. 5. Tout en considérant que le non-respect de la règle de notification contrevient au principe «audi alteram partem», il

Page 190: L'évolution et la structuration des principes directeurs

180

principe directeur n’a pas diminué. En revanche, les moyens d’exprimer la règle et d’y référer se

sont diversifiés et additionnés. Ceci ne fait que démontrer l’importance du principe directeur en

question dans la conception socioculturelle du procès civil ou du système judiciaire durant ces

décennies.

2.1.2. Les principes directeurs de la maîtrise de leur dossier par les parties et de la

maîtrise de l’instance par le juge : un équilibre menacé ?

Parmi les principes directeurs hérités des anciens codes, celui de la maîtrise de leur dossier par les

parties est l’un de ceux qui, influencés par des courants de pensée déjà enracinés dans la réflexion

québécoise, prédominent dans la réforme de 1966 sans être textuellement exprimés par une règle du

Code. Après avoir donné une définition du principe, le professeur Louis Marceau expose d’ailleurs

cet état de fait.

Ce que l’on vise, c’est la paix; l’application du Droit est un moyen, non une fin en soi.

Ces parties doivent donc être maîtresses du litige, et pouvoir seules en définir les

données, dire en quoi il consiste, déterminer sur quoi il porte. Le juge doit rester,

comme disait Bartin, neutre et passif et juger strictement dans les bornes et selon les

données établies. C’est là le pouvoir de disposition des parties sur le litige : le principe

dispositif, comme on dit aujourd’hui en doctrine. Toutes les législations non socialistes

admettent avec plus ou moins de nuances ce principe de base, mais rares sont celles qui

lui ont, dans le passé, donné un caractère aussi absolu que la nôtre. Ce caractère, le

nouveau code l’a conservé, sinon amplifié807.

Les innovations du Code transforment en effet l’application de ce principe directeur, même s’il

conserve une place importante dans la représentation du droit québécois et dans son application.

Cependant, il apparaît déjà de notre analyse que l’image du juge neutre et passif est utopique dans

certains domaines où son intervention est calculée et imposée par les dispositions mêmes du Code.

Pourtant, l’exposé de Louis Marceau à titre de témoin de la transition est révélateur. Pour le juriste

de 1967, le principe directeur affirmant la maîtrise de leur dossier par les parties est un principe

reconnu, implicite, mais indéniable. Dans le cadre de notre analyse, il faut rappeler qu’il n’est

pourtant ni codifié ni nommé. Dans les décennies suivantes, cette situation ne change pas. Le

principe directeur est universellement reconnu, mais il reste implicite. Son application et ses effets

sont constants, en ce sens qu’ils ne se modifient pas non plus d’une manière significative. Les cours

réitèrent à plusieurs reprises que, comme le prévoit d’ailleurs le Code, les parties sont responsables

est spécifiquement affirmé que cette question en est une liée au fond plutôt qu’à la procédure, ce qui peut expliquer

l’absence de référence à l’article 5 C.p.c. 807 L. Marceau, «Le nouveau code de procédure civile : ses principes et son esprit», supra note 694, p. 368

Page 191: L'évolution et la structuration des principes directeurs

181

de la progression de leur dossier, de la constitution et de la communication de la preuve et des actes

de procédure, de même que de l’élaboration des conclusions et des solutions recherchées. Les

nombreux articles du Code qui régissent et orientent le fonctionnement des moyens procéduraux qui

y sont associés s’appuient tous sur l’esprit de ce principe directeur. Il n’y a donc pas, dans la

structure même du Code, de remise en question fondamentale du fonctionnement de la procédure

civile selon cette philosophie. Globalement, la compréhension du système judiciaire et procédural

repose encore sur le contrôle de leur dossier par les parties, alors que le juge est un tiers neutre

appelé à trancher le litige. Malgré cela, la continuité de l’adhésion à cette organisation n’empêche

pas les questionnements et la tentative d’en moderniser l’expression.

Dans ce contexte, ce sont surtout les limites de la maîtrise de leur dossier par les parties qui sont au

cœur de l’évolution de ce principe directeur durant le dernier tiers du XXe siècle. Dans les années

1980, la Cour d’appel résume ainsi la situation :

Nous sommes encore dans un système de procédure qui, sauf exception, laisse à la

partie et à ses avocats la conduite de sa preuve. Il leur appartient de déterminer

comment ils la feront, par quel témoin et à l'aide de quels documents. L'intervention du

juge vise suivant les cas à empêcher ou à arrêter une preuve illégale. Elle est nécessaire

aussi sur le plan de la pertinence pour gérer de façon utile le temps de la cour et éviter

que le débat ne dévie sur des problèmes qui ne permettront pas de faire évoluer le

dossier ou d'établir de quelque façon les éléments constitutifs de la demande ou de la

défense : [...].

Ces fonctions s'exécutent en retenant qu'une preuve est un tout, dont le plus souvent les

éléments ne sont offerts que graduellement. Il est souvent difficile d'apprécier la valeur

probante d'un élément particulier sans avoir vu l'ensemble de la preuve. On ne peut

s'empêcher de penser que l'adoption graduelle de meilleurs systèmes de

communication de preuve entre les parties faciliterait à cet égard la tâche du tribunal et

permettrait une meilleure utilisation de son temps808.

Cet extrait développe plusieurs points et illustre que, sans remettre en cause d’importance du rôle

des parties dans la maîtrise de leur dossier, un juge de la Cour d’appel se fait le porte-parole de ceux

qui appellent à une modification des règles qu’elles sont tenues de suivre. Cependant, il résume bien

ce que Louis Marceau considérait comme l’influence libérale qui perdure dans la conception de la

procédure civile québécoise, à savoir la liberté des parties.

À nouveau, il apparaît que le principe directeur de la maîtrise de leur dossier par les parties reste

très présent dans le Code de procédure civile de 1966 et dans son application. Il est aussi

progressivement identifié comme un des aspects de sa modification. La fin de l’extrait cité peut en

808 Domaine de la Rivière inc. c. Aluminium du Canada ltée, [1985] R.D.J. 30, 35 (j. LeBel) (C.A.).

Page 192: L'évolution et la structuration des principes directeurs

182

effet rejoindre les orientations plus générales déjà évoquées qui tentent d’alléger le processus

procédural, notamment dans une optique d’accès à la justice. Ceci laisse entendre que la réflexion

sur ce que l’on perçoit comme une amélioration du système judiciaire à propos du rôle des parties

est déjà liée, même de manière plus distante, à la réorganisation du travail du tribunal. Cependant,

cette réflexion ne remet pas en question le principe directeur de la maîtrise du dossier par les

parties, qui appartient en quelque sorte à la conception de la justice qui prévaut à l’époque de sa

rédaction comme par la suite. Il ne propose pas non plus une insertion plus développée dans le Code

qu’elle ne l’est alors. Son influence, même implicite, est suffisante pour assurer sa pérennité.

À l’inverse, le principe directeur de la maîtrise de l’instance par le juge n’a pas encore obtenu

l’adhésion d’une majorité des membres de la communauté juridique. Il est un principe implicite qui

a probablement dépassé le stade embryonnaire, mais dont la maturation est loin d’être achevée809. Si

son influence apparaît déjà dans quelques actions concrètes, il est encore en évolution. De ce fait, en

1967, les descriptions de la doctrine et de la jurisprudence ne le présentent pas comme un principe

directeur, il n’est ni nommé ni codifié. Il ne possède pas non plus l’ampleur qui lui permettrait

d’être perçu comme un concurrent sérieux à l’expression ou à l’étendue d’un principe directeur tel

que celui de la maîtrise de leur dossier par les parties, auquel adhère l’ensemble de la communauté

juridique. En considérant le contenu de la citation de Louis Marceau déjà proposée810, la divergence

de perception entre l’observateur contemporain et l’observateur historien dans le développement

des principes devient apparante et compréhensible. D’ailleurs, il est significatif également que le

professeur Marceau ait souligné, implicitement, que la décision en faveur du principe d’origine

libérale de la maîtrise de leur dossier par les parties est liée à l’importance prise par le principe du

contradictoire dans notre procédure811.

Cependant, cette citation rappelle qu’il est illusoire de tenter de dissocier le principe de la maîtrise

de leur dossier par les parties de celui de la maîtrise de l’instance par le juge. Ce dernier principe est

présent dans une forme très atténuée au moment de l’adoption du Code de 1966. Une partie des

membres de la communauté juridique adhère pourtant à l’idée d’une intervention accrue du juge. Le

809 En 1967, le professeur Marceau, alors doyen, identifie avec acuité des changements à l’esprit du Code (L. Marceau,

«Le nouveau code de procédure civile : ses principes et son esprit», supra note 694). Cependant, il ne le rattache pas à

l’émergence d’un nouveau principe directeur en ce qui a trait à la fonction judiciaire. Son adhésion au principe de la

maîtrise de leur dossier par les parties décrit celui-ci comme le plus central. Elle est pourtant tempérée par sa réflexion sur

l’évolution du droit procédural et l’augmentation des pouvoirs des juges, qu’il approuve à cause des possibilités qu’elle

offre d’obtenir justice. Les modifications graduelles entre ces deux principes directeurs révélées dans le cadre de la thèse

appuient l’hypothèse de l’émergence progressive du principe du contrôle de l’instance par le juge, et non une brusque

rupture. D’ailleurs, dès l’abord, le projet de Code de 1964 rappelle que la réduction des délais ne peut venir que «de la

bonne volonté et de la diligence des avocats, de la vigilance et de la fermeté du juge», ce qui illustre l’importance du rôle

des deux acteurs. Projet-Draft, Code de procédure civile, 1964, supra note 697, p. VIa. 810 Voir en page 180. 811 L. Marceau, «Le nouveau code de procédure civile : ses principes et son esprit», supra note 694, p. 369.

Page 193: L'évolution et la structuration des principes directeurs

183

phénomène ne suscite pas encore de consensus autour d’un vocable, ce qui en fait un principe

directeur non seulement implicite, mais aussi innommé. Le discours des commissaires et celui du

législateur le rattachent de manière implicite au contenu du Code812. L’image du juge désengagé et

silencieux813 n’exprime plus une réalité, comme le souligne Louis Marceau précédemment.

Pourtant, la reconnaissance de ce principe souffre d’un certain handicap, peut-être à cause de la

grande importance mise sur le principe directeur de la maîtrise de leur dossier par les parties que

des contemporains considèrent comme son compétiteur.

En effet, en se penchant sur les discours de l’époque, il est inévitable de formuler l’hypothèse déjà

envisagée que l’opposition –ou le frein– à la reconnaissance simultanée du principe directeur de la

maîtrise de l’instance par le juge et du principe directeur du contrôle de leur dossier par les parties

s’appuie sur des perceptions de la société et du monde juridique. L’hypothèse est séduisante. Ces

perceptions renvoient à l’élaboration d’une institution judiciaire qui peut préserver la neutralité de

la décision et la possibilité pour les parties d’exposer entièrement leur dossier en maintenant le

magistrat dans un rôle passif, ou du moins détaché le plus possible des aléas, même procéduraux, du

dossier. Nous avons vu cependant que la réalité du rôle du juge est différente de l’image qui est

souvent véhiculée dans le discours de l’époque. Le potentiel explicatif de l’hypothèse conserve

donc sa pertinence, mais il ne s’agit sans doute pas de la seule force qui pèse sur la situation ou de

la seule raison qui l’explique. De plus, dans le dernier tiers du XXe siècle, ces perceptions changent.

La société demande une nouvelle approche des fonctions des acteurs du système judiciaire,

notamment en ce qui a trait à la fonction exercée par le juge814.

2.2. Les nouveaux principes directeurs : des orientations incertaines ?

Dans les dernières décennies du XXe siècle, le Code et le discours qui entoure la procédure civile

font aussi état de la présence d’autres principes directeurs ou de valeurs appelées à les sous-tendre.

2.2.1. Le principe directeur de la conciliation : un intérêt renouvelé ?

En 1966, le nouveau Code ne présente pas d’article qui traduise un intérêt pour la conciliation. En

revanche, quelques années plus tard, l’adoption du livre des petites créances modifie un peu la

812 Les commissaires s’intéressent de près à la problématique de la lenteur et du coût de la procédure, particulièrement de

l’enquête (Projet-Draft, Code de procédure civile, 1964, supra note 697, p. 57a). La rédaction du Code de 1966 témoigne

implicitement de l’obligation de la Cour de prendre en considération le temps et les coûts, voir par exemple art. 67 al. 2 et

3 C.p.c., 271 C.p.c., 279 C.p.c. 813 Une telle image se rapprocherait de celle de Jupiter, selon les catégories de F. Ost, dont nous avons vu l’état

d’évolution dans les chapitres précédents. 814 F. Ost, «Jupiter, Hercule, Hermès : trois modèles de juge», supra note 60, p. 33-36; P.-C. Lafond, Le recours collectif,

le rôle du juge et sa conception de la justice, supra note 4, p. 9-13.

Page 194: L'évolution et la structuration des principes directeurs

184

situation. Un processus de conciliation est prévu pour les justiciables qui introduisent leur action

selon cette procédure. Le rôle de conciliateur est confié directement au magistrat affecté à ce

tribunal et il peut tenter de concilier les parties, «si les circonstances s’y prêtent»815. Confier ce rôle

au juge indique que la perception de la fonction judiciaire se transforme et intègre lentement de

nouvelles pratiques. Un parallèle peut d’ailleurs être effectué entre le recours à cette procédure de

conciliation et les conditions dans lesquelles la Loi sur la conciliation était appelée à s’appliquer au

tournant du XXe siècle. Dans les deux cas, le législateur cible les causes dont la valeur en litige est

relativement modeste. Nous avons aussi noté que la procédure en matière de petites créances est

moins contraignante que devant les autres tribunaux judiciaires, comme c’était le cas à la Cour des

commissaires qui s’occupait des causes de moindre valeur en milieu rural au début du XXe siècle.

Contrairement à la loi de 1899, cependant, le rôle de conciliateur est maintenant confié

exclusivement au juge. Outre la possibilité plus grande d’avoir accès au juge puisque les points de

service des cours sont plus nombreux, il faut en conclure que l’évolution des mentalités a aussi

influencé les traits conférés à cette forme de conciliation. Le juge du dernier tiers du XXe siècle

impliqué dans le processus de décision sur des petites créances est désormais considéré comme un

acteur qui peut s’impliquer dans le dossier pour encourager la conciliation.

Cette importance donnée à la conciliation et au dialogue entre les parties se vérifie aussi dans le

droit de la famille, réformé au début des années 1980. De nouveaux articles s’ajoutent au Code

civil816. Celui-ci prévoit désormais que, dans l’instance en séparation de corps, «il entre dans la

mission du tribunal de conseiller les époux, de favoriser leur conciliation et de veiller aux intérêts

des enfants et au respect de leurs droits»817. L’action du législateur n’intervient pas pour forcer

l’adhésion à un concept ou une valeur qui ne sont pas socialement considérés. Avant la réforme

législative du droit de la famille, il apparaît déjà que des parties peuvent conclure une entente dans

le cadre de procédure de divorce. En 1974, la Cour d’appel est par exemple au fait d’une telle

entente, même si elle n’a jamais été reconnue dans un jugement818. En examinant la possibilité de

reconnaître une telle convention, le juge Kaufman mentionne incidemment que «[a]ny private

agreement would be cogent evidence of the parties’ intention and, in the absence of an objection,

there is no good reason why the terms of such an agreement should not be incorporated in a

815 Art. 978 C.p.c. tel qu’il s’applique en 2003 : celui-ci reprend le contenu de l’ancien article 975 C.p.c. Voir aussi

l’article 975 C.p.c. tel qu’ajouté au Code par la Loi favorisant l’accès à la justice, L.Q. 1971, c. 86, art. 1. 816 Loi assurant l’application de la réforme du droit de la famille et modifiant le Code de procédure civile, L.Q. 1982, c.

17, art. 29. 817 Art. 496 C.c.Q. 818 Ménard c. Ricard, [1974] C.A. 157, 157. Une entente fixant certaines obligations monétaires des parties serait

intervenue, mais les parties n’ont jamais fait incorporer cette entente dans le jugement.

Page 195: L'évolution et la structuration des principes directeurs

185

judgment, as indeed is done very frequently»819. Son collègue le juge Gagnon ajoute que ces

«conventions sont aujourd’hui choses courantes en matière de séparation de corps et de divorce»,

qu’elles sont acceptables, voire de nature à être encouragées820. Avant l’adoption de la mesure

législative, il semble donc que l’innovation provienne aussi, voire principalement, de la société.

Pour répondre au besoin exprimé par les justiciables, les cours se montrent ouvertes à l’accepter821,

même si le juge précise qu’il ne reconnaît pas à ces conventions le «caractère d’une transaction»

avec les «conséquences» que cela implique sans que l’accord des parties ait été soumis à

l’«appréciation» d’un tribunal822. Les juges considèrent favorablement les échanges entre les parties

dans le cadre de la dissolution des unions, rejoignant en cela l’intérêt porté à la conciliation par

certains magistrats des époques antérieures dans les matières de famille ou de voisinage. Dans le cas

présent, le juge Gagnon propose même une analyse liée à la proportionnalité en droit judiciaire,

puisqu’il perçoit que ces ententes sont de nature à réduire le nombre de litiges et à assurer une

meilleure allocation des ressources de la Cour823.

Par ailleurs, sans conférer au juge un rôle de conciliateur, les modifications aux règles de procédure

en matière familiale font l’objet de deux projets de loi sur la médiation. Le premier, en 1993, n’est

jamais mis en vigueur824, et le second, en 1997, est élaboré selon des balises légèrement

différentes825. La loi de 1997 introduit deux nouveaux outils procéduraux au Code de procédure

civile. D’une part, une médiation préalable est prévue. D’autre part, les parties à une procédure en

matière familiale ont désormais l’obligation de participer à une séance d’information sur le sujet826.

Cependant, respectant la philosophie en matière de règlement amiable des différends, le législateur

n’exige jamais des parties qu’elles se soumettent à la médiation ou à une conciliation.

819 Ménard c. Ricard, [1974] C.A. 157, 158 (j. Kaufman). 820 Id., p. 158 (j. Gagnon). 821 Il n’est pas nécessaire pour notre propos d’entrer dans des considérations liées à la capacité économique et à la réelle

liberté des parties, qui appartiennent au droit matrimonial, à l’analyse économique ou féministe du droit et à d’autres

domaines d’études : il suffit d’identifier ici une tendance à la négociation et aux ententes entre les parties. 822 Ménard c. Ricard, [1974] C.A. 157, 158. 823 Ibid. (j. Gagnon). 824 PL 14, Loi modifiant le Code de procédure civile concernant la médiation familiale, 2e sess., 34e lég., adopté le 9 mars

1993 (L.Q. 1993, c. 1). Québec, Assemblée nationale, Journal des débats, 35e lég., 2e sess., vol. 35, no. 64 (6 décembre

1996), p. 3932 (M. Mulcair). 825 Loi instituant au Code de procédure civile la médiation préalable en matière familiale et modifiant d’autres

dispositions de ce code, L.Q. 1997, c. 42, art. 7. 826 Art. 814.3 C.p.c.

Page 196: L'évolution et la structuration des principes directeurs

186

Lors de l’étude du projet de loi à l’Assemblée, tous reconnaissent l’importance d’une mesure de

médiation préalable dans les matières familiales827. Le ministre de la Justice de l’époque précise que

ces mesures poursuivent un double but. Il souligne que :

[…] au moment où l'ensemble des intervenants recherchent des façons de limiter la

contestation devant nos cours de justice, de réduire les délais d'audition des causes ou

d'en réduire les coûts tant pour le justiciable que pour l'appareil judiciaire, et où un

consensus social s'établit au Québec à cet égard, il est également important de

reconnaître que la société québécoise est en droit d'avoir à sa disposition des

mécanismes innovateurs de résolution des conflits. Les mesures en matière familiale

que propose le projet de loi n° 65 sont adaptées à la réalité que vivent les couples en

situation de rupture et devraient contribuer de manière efficace à humaniser et à

adoucir le système judiciaire québécois828.

Comme le rappelle un député de l’opposition, il existe alors diverses mesures qui peuvent permettre

ce genre de médiation si les parties le souhaitent, comme les services offerts par les Cours

supérieures de Montréal et Québec et la médiation privée829. Cette dernière se pratique notamment

dans les Centres de services sociaux830. Elle est parfois perçue et présentée comme un moyen

d’éviter la judiciarisation du conflit entre conjoints831. Le monde juridique québécois témoigne de

son intérêt à saisir les occasions de recourir à la conciliation ou à la médiation judiciaire832. Les

tribunaux veulent aussi intégrer des possibilités de conciliation pour les parties déjà engagées dans

un litige et qui souhaitent s’entendre à l’amiable. Un projet pilote à la Cour d’appel du Québec est

mis sur pied pour permettre la conciliation judiciaire en 1997833. La Cour supérieure de Montréal

avait déjà tenté l’usage de la médiation à travers deux expériences834, en 1992 et en 1995-1997835.

827 Ils ne s’entendent pas sur la portée de celui-ci, l’une des principales pierres d’achoppement étant la question du

volontariat et de l’obligation. Québec, Assemblée nationale, Journal des débats, 35e lég., 2e sess., vol. 35, no. 64 (6

décembre 1996), p. 3932 (M. Mulcair). Il est intéressant de noter que, selon les discours, le projet de 1993 permettait au

juge de référer les parties à la médiation au moment de la contestation, s’il voyait une possibilité d’entente. 828 Québec, Assemblée nationale, Journal des débats, 35e lég., 2e sess., vol. 35, no. 64 (6 décembre 1996), p. 3972 (M.

Bégin). 829 Id., p. 3931-3940. 830 G. Latulippe, La médiation judiciaire : un nouvel exercice de justice, Cowansville, Yvon Blais, 2012, p. 14;

Gouvernement du Québec, La justice : une responsabilité à partager, Actes du Sommet de la Justice tenu à Québec du 17

au 21 février 1992, Québec, Ministère de la Justice, 1993, p. 356-357 [Gouvernement du Québec, La justice : une

responsabilité à partager]. 831 Québec, Assemblée nationale, Journal des débats, 34e lég., 2e sess., vol. 32, no 31 (5 juin 1992), p. 1875-1877, réponse

de M. Rémillard. 832 La terminologie employée varie selon les auteurs. 833 La médiation est d’abord offerte en projet pilote en 1997, mis sur pied par la juge Louise Otis : G. Latulippe, supra

note 830, p. 19. Voir aussi S. Courteau, «La conciliation judiciaire à la Cour supérieure», 3 R.P.R.D. 53, 54. 834 G. Rouleau, «Médiation : médecine douce du droit. Survol de la situation au Québec et au Canada», dans J.-L.

Baudouin (dir.), Médiation et modes alternatifs de règlement des conflits : aspects nationaux et internationaux.

Association Henri Capitant (section québécoise), Cowansville, Yvon Blais, 1997, 3, 4-6 835 Parfois désigné sous le vocable de projet «SoRRèL» (Solutions de Rechange pour le Règlement des Litiges). Les

mesures proposaient, en matière civile et commerciale, des séances d’information sur la médiation et, si les parties s’y

montraient intéressées, une médiation, sur une base totalement volontaire dans les causes qui demanderaient une audition

de trois jours ou plus. Notons que les juges n’ont pas le statut de médiateur dans le projet.. Comme le souligne le juge

coordonnateur du service de la médiation civile et commerciale, ce service n’est encadré ni par le Code de procédure

Page 197: L'évolution et la structuration des principes directeurs

187

Les principales raisons identifiées pour proposer ce service sont liées aux valeurs et à l’économie.

L’avantage d’une meilleure gestion des causes, notamment celles de longue durée, s’ajoute aux

bénéfices du désengorgement du tribunal, de l’économie faite par les justiciables et le système

judiciaire à l’heure où le contrôle des coûts devient primordial, de la satisfaction accrue des usagers,

du développement d’un intérêt durable pour ce moyen de régler les conflits, parmi d’autres836.

L’implication du juge coordonnateur s’articule autour de la possibilité de proposer d’entamer la

médiation aux dossiers qui répondent aux critères du projet et de son rôle d’informer les parties lors

d’une séance837. Ainsi, un texte contemporain présente le juge coordonnateur comme un facilitateur,

ce que l’auteur décrit comme un élargissement de sa fonction traditionnelle de juge838. Si nous

considérons que cette remarque est représentative d’une perception partagée, nous pouvons estimer

qu’il s’agit d’une étape dans l’évolution de la fonction de juger, qui s’élargit. En ce qui concerne le

principe directeur de la conciliation, l’ensemble de ces informations décrivent un phénomène qui

s’amplifie dans la société québécoise à la fin des années 1990.

Ces deux exemples illustrent le développement de la «justice participative»839 dans les dernières

décennies du XXe siècle. Cette attitude encourage l’implication des parties dans la résolution de leur

conflit. De ce fait, les parties peuvent choisir d’utiliser la justice étatique, soit les tribunaux, ou la

justice «extrajudiciaire», c’est-à-dire d’avoir recours aux «méthodes de prévention et règlement des

différends». Ce nouvel intérêt pour la participation de l’individu à la résolution de sa difficulté et au

cheminement de son propre dossier présente des analogies avec le développement d’un courant

défendant l’idée de l’accès accru à la justice pour les citoyens, courant qui s’amplifie aussi depuis

les années 1970840. La popularité de cette pensée s’illustre aussi dans d’autres sphères de l’instance,

comme dans le cadre de l’usage des conférences préalables, ou «Pre-trial conferences». Cet outil

apparaît principalement dans les années 1960 dans quelques provinces canadiennes et prend de

l’ampleur durant les années 1970 et 1980. Une étude réalisée sur cette question soutient que, dans

les décennies antérieures, des juges ont aussi encouragé les règlements négociés841. Ailleurs au

civile, ni par des règles de pratique et n’est obligatoire pour personne. G. Rouleau, «Chapitre 1. L’expérience du projet

pilote de Montréal en médiation civile et commerciale», dans J.-L. Baudouin (dir.), Médiation et modes alternatifs de

règlement des conflits : aspects nationaux et internationaux. Association Henri Capitant (section québécoise),

Cowansville, Yvon Blais, 1997, 179, 180. 836 G. Rouleau, «Médiation : médecine douce du droit. Survol de la situation au Québec et au Canada», supra note 834, p.

4-5. 837 Id., p. 180 et 183-185. 838 Id., p. 183-186. 839 P.-C. Lafond, L’accès à la justice civile au Québec : Portrait général, Cowansville, Yvon Blais, 2012, p. 172. 840 Sur le développement du mouvement d’accès à la justice, voir notamment R.A. Macdonald, «Access to Justice in

Canada Today : Scope, Scale and Ambitions», dans J. Bass, W.A. Bogart et F.H. Zemans, Access to Justice for a New

Century – The Way Forward, Toronto, The Law Society of Upper Canada, 2005, p. 19. 841 H.F. Landerkin et A.J. Pirie, «Judges as Mediators : What’s the Problem with Judicial Dispute Resolution in Canada?»,

(2003) 82 R. du B. can. 249, 262-267.

Page 198: L'évolution et la structuration des principes directeurs

188

Canada, l’usage répandu des méthodes de règlement des différends par les tribunaux842 est un

phénomène qui marque surtout le dernier quart du XXe siècle, particulièrement la fin des années

1980 et les années 1990843. L’une des hypothèses explorées par les auteurs Landerkin et Pirie veut

que l’intégration d’un rôle de «médiateur» dans la fonction judiciaire, compte tenu de la conception

occidentale du système judiciaire, ait un impact potentiel sur l’élargissement des limites de la

définition de la fonction judiciaire844. Ils soulignent et examinent l’existence de certains

phénomènes845. Ils considèrent ainsi la correspondance entre les besoins d’indépendance et

d’impartialité des juges décideurs ou conciliateurs, le besoin de nouvelles approches en matière

judiciaire pour combler l’aspiration à une efficacité accrue, le développement d’une compréhension

de la justice faisant plus de place à l’implication des parties et à leurs échanges, etc. Dans

l’ensemble, la chronologie du développement de la fonction judiciaire et plusieurs des raisons et

raisonnements qui sous-tendent ces évolutions présentent d’intéressantes similitudes avec le cas du

Québec étudié dans cette thèse846.

Dans l’ensemble, l’idée ou l’idéologie à la base du principe de la conciliation rejoint des valeurs

portées par une partie de la société et prônées par les élites. Sa justification s’accompagne aussi

d’un lien clair avec les concepts ou les valeurs à la base du principe de la proportionnalité et à la

recherche, omniprésente dans le développement de la procédure civile québécoise, de la célérité, de

l’efficacité et de l’économie. L’insistance est mise sur le rôle-clé du juge dans l’adoption d’une

nouvelle façon de comprendre la résolution des conflits de nature juridique entre les individus et la

part que le juge est appelé à prendre dans cette transformation. En tant que tiers neutre et placé dans

une situation stratégique, le juge d’un tribunal judiciaire peut ainsi contribuer à cet élargissement

des moyens offerts aux plaideurs. Ces réalités tendent à indiquer, par ailleurs, une modification de

la perception de la nature du système judiciaire, compatible avec une diminution de l’importance de

l’attention apportée à la forme en comparaison du fond et avec une approche plus axée sur

l’utilisateur que sur la structure judiciaire. En d’autres termes, l’esprit véhiculé par le Code de

procédure civile847 depuis 1966 et celui reconnu dans la Disposition préliminaire848 du Code civil de

842 La conférence de règlement à l’amiable, entre autres. 843 Id., p. 274-275. 844 Id., p. 283. 845 Id., p. 282-289. 846 Par ailleurs, les auteurs indiquent certaines différences entre le développement du rôle de conciliation au Canada par

rapport aux États-Unis. Les commissaires examinant le Code de procédure civile au milieu du XXe siècle ont

effectivement noté le développement de méthodes de «pre-trial» aux États-Unis (renvoi), mais leur application au Québec

a été plus tardive. Il semble que, à l’instar de la communauté juridique québécoise, ceux des provinces de common law du

Canada aient adopté plus lentement de telles pratiques dans l’ensemble des causes. Id., p. 263-266. 847 Un intéressant résumé de l’«esprit du Code» est proposé dans D. Ferland et B. Emery, Précis, 4e éd., supra note 5, p. 3-

8. L’explication des auteurs est d’ailleurs applicable au nouveau Code, même si son intégration à la question des principes

directeurs a apporté quelques modifications, voir D. Ferland et B. Emery, Précis, 5e éd., supra note 5, p. 74-92.

Page 199: L'évolution et la structuration des principes directeurs

189

1994 ne sont probablement pas étrangers à ces changements. La communication et la négociation

dans la sphère des litiges ou des événements potentiellement litigieux peuvent exister de diverses

façons, à travers des balises plus ou moins formelles, s’éloignant parfois des formes traditionnelles

d’expression de la justice. Celle-ci s’appuie notamment sur la liberté des conventions849. Cette

conception du droit civil héritière des idéaux du XIXe siècle a orienté en partie le développement

des méthodes «alternatives de règlement des conflits». Par conséquent, elle a aussi influencé la

possibilité actuelle d’en appréhender le développement à travers les sources utilisées pour cette

étude. L’évolution du Code de procédure civile révèle ainsi ses liens avec l’évolution plus générale

du droit civil québécois et des conceptions qui le sous-tendent.

Par ailleurs, cette adhésion progressive d’une partie significative des juristes et des justiciables à un

discours ou à une philosophie qui favorise la «justice participative», et qui se traduit concrètement

par des articles de loi, a d’autres conséquences. Ainsi, la justice participative englobe des réalités

qui transforment un peu la façon de penser l’intervention judiciaire. En effet, elle se base sur la

communication en vue de favoriser une entente, elle préconise le consensus, la confidentialité et

l’absence de formalisme850. Cela ne signifie pas que le litige traditionnel est un échec de la

communication, mais il s’agit en théorie d’échanges moins apaisés et qui ont pour but de faire

pencher, autant que possible, l’opinion d’un tiers en faveur des prétentions de l’une ou l’autre des

parties. Cela ne signifie pas non plus que le principe directeur qui se traduit par la maxime audi

alteram partem perd son rôle central dans la définition du droit judiciaire. En revanche, la

possibilité de régler le litige autrement que par l’intervention du juge, ou par une intervention du

juge qui n’a pas pour fonction de juger, devient plus populaire.

Quelles répercussions cette évolution des mentalités a-t-elle eues sur la définition de la conciliation

dans l’optique de sa reconnaissance à titre de «principe directeur»? Il est possible de comparer ces

transformations juridiques à des mesures favorisant l’augmentation de la coopération et de la

communication entre les parties dans le cadre de l’instance, car elles reposent justement en grande

partie sur de telles notions. Cependant, et malgré la codification d’articles liés à la notion de

conciliation au Code civil et au Code de procédure civile, l’étendue de l’influence de celle-ci est-

848 Voir A.-F. Bisson, «La Disposition préliminaire du Code civil du Québec», (1999) 44 R. D. McGill 539, 542, 555-564. 849 Comme le souligne Mme la juge L’Heureux-Dubé dans un arrêt sur une question d’arbitrage : «sous réserve de ce qui

est contraire aux bonnes mœurs et à l'ordre public, pourvu que les parties aient la capacité de contracter, la convention des

parties fait loi. En ce qui a trait à la solution d'une difficulté ou d'un différend, les parties ont le choix des moyens :

expertise, évaluation, conciliation, médiation, transaction, arbitrage ou toute autre forme d'intervention de nature à tenter

de régler ou à régler le problème qui les confronte». Sport Maska Inc. c. Zittrer, [1988] 1 R.C.S. 564, par. 31 (j.

L’Heureux-Dubé). L’arbitrage est l’un des moyens de prévention et règlement des différends les plus proches du procès

traditionnel, mais la portée de cette partie de l’arrêt est plus grande, en ceci qu’elle peut exprimer le contexte intellectuel

de développement ou d’adoption de plusieurs moyens de prévention et règlement des différends. 850 P.-C. Lafond, L’accès à la justice civile au Québec : Portrait général, supra note 839, p. 184.

Page 200: L'évolution et la structuration des principes directeurs

190

elle suffisante pour que son statut soit modifié dans notre classification? Il ne s’agit pas d’une

attitude adoptée par tous, mais elle suscite apparemment un regain d’intérêt. Cela dit, ce regain ne

peut être mesuré que par quelques discours et par les articles adoptés par le législateur. En effet,

dans la majorité des cas, un recours à la conciliation réussi entre deux parties ne serait pas illustré

dans les sources utilisées pour rédiger cette thèse. Il est donc difficile d’évaluer le degré d’adhésion

à la conciliation dans la communauté juridique et la société. Comparativement aux moyens pris

entre 1899 et 1920, l’emploi d’une stratégie de codification d’articles implicitement liés à ce

principe directeur tend à démontrer que l’engagement en sa faveur est probablement assez

important dans des domaines particuliers. Il y a aussi, il faut le reconnaître, un avantage

«économique» à encourager le règlement des causes dont la valeur en litige est moins élevée, de

même que les règlements en matière familiale, afin d’alléger le recours aux tribunaux pour les

justiciables et pour diminuer l’encombrement des rôles. Pourtant, cela ne suffit pas pour affirmer

que le principe directeur en lui-même est reconnu ou codifié. Le principe directeur de la

conciliation, dont le statut oscillait entre «latent» et «innommé» dans la période précédente, pourrait

être déclaré «innommé» avec certitude après l’adoption de deux articles législatifs qui y réfèrent

implicitement. Nous formulerions volontiers l’hypothèse que son introduction dans le groupe des

principes directeurs «innommés» remonte à l’adoption du livre concernant les petites créances, mais

nous sommes consciente que certains pourraient y opposer l’exiguïté de l’application potentielle de

l’article en question. En matière familiale, la prise de position est claire et peut s’appliquer en

théorie à un grand nombre de justiciables. Il est avéré, cependant, qu’à la fin du XXe siècle, son

statut «innommé» repose sur des bases plus solides qu’au début de celui-ci.

De plus, il faut reconnaître, après une étude plus approfondie de la situation, qu’il est alors trop tôt

pour affirmer qu’il existe une adéquation entre l’idée de conciliation et d’accès à la justice dans la

culture judiciaire ou chez la majorité des membres de la communauté juridique. De manière

embryonnaire, la perception peut être partielle –en ce sens, par exemple, qu’une cause réglée à

l’amiable n’utilise pas les ressources judiciaires, etc. Nous pouvons attester d’une intégration

partielle de cette pensée dans la réflexion et les façons de faire. Quoi qu’il en soit de son statut

comme principe directeur, la conciliation participe davantage de l’offre de justice telle qu’elle se

définit entre 1966 et 2000, mais est-elle pour autant généralement et culturellement perçue comme

une mesure d’accès à la justice? Cela reste incertain.

Page 201: L'évolution et la structuration des principes directeurs

191

2.2.2. La proportionnalité : une réflexion approfondie sur l’économie ?

La proportionnalité est une notion vaste qui englobe plusieurs sujets. Elle a trait à la dimension

temporelle des procès, incluant les incidences qu’elle peut avoir sur la vie des parties, la

disponibilité des juges et des salles d’audience, la possibilité d’accueillir de nouveaux procès, etc.

Elle intègre aussi l’attention portée au coût de la procédure, pour les parties et le système judiciaire.

Dans un tel contexte, l’usage du terme «économie» doit être considéré dans son acceptation

globale851, car il doit rendre compte de la gestion des ressources, des impacts, de l’organisation

judiciaire, etc. Ainsi, la saine administration de la justice se révèle une préoccupation constante

d’une partie de la communauté juridique dans le cadre du développement de la procédure civile à la

fin du XXe siècle. Ces sujets sont fréquemment abordés par les divers auteurs liés au système

judiciaire et ils ont influencé les choix en matière de procédure civile. Le rapport des commissaires

qui a précédé la révision de 1966 et les commentaires suivant l’adoption de celle-ci font largement

appel à cette notion pour appuyer, justifier ou proposer des changements procéduraux. Le texte du

professeur Marceau y fait allusion852. L’introduction du jugement déclaratoire a été par exemple

saluée par certains auteurs comme l’une des innovations les plus importantes du nouveau Code et

cette façon de gérer une difficulté d’ordre juridique modifie la conception même de la bonne

administration de la justice853. L’adoption et la formulation de divers articles peuvent également

fournir des arguments aux juges de la Cour supérieure dans le contexte d’une bonne administration

de la justice. Comme le note un juge de la Cour d’appel à propos d’articles relatifs à la saisie, «[t]he

purpose of these various provisions in the Code of Civil Procedure is to permit the parties to place

before the court in an orderly fashion their respective positions so that not only will justice be done,

but that it will be done in an expeditious and efficient manner. Their purpose is not to enable any

party to take advantage of technicalities to delay the proceedings»854.

Devant les tribunaux, ces préoccupations prennent différentes formes. L’une des plus révélatrices

s’avère être l’utilisation des règles de pratique. S’appuyant d’une manière implicite sur la possibilité

qu’elles lui donnent d’adopter et d’appliquer ces règles pour aider à l’application du Code de

851 Elle ne doit pas être réduite à la vision monétaire ou d’épargne uniquement. En sciences humaines, l’économie

s’intéresse à «l’activité humaine dans le domaine de la création, la répartition et l’échange de richesse» (J.-P. Fitoussi,

«Économie» dans S. Mesure et P. Savidan (dir.). Le dictionnaire des sciences humaines, Paris. PUF, 2006, p. 336. Ainsi,

la compréhension économique de la cause devrait inclure la question de son organisation, des ressources utilisées, etc. 852 L. Marceau, «Le nouveau code de procédure civile : ses principes et son esprit», supra note 694, p. 366. Voir le texte

précité, page 158. 853 L. Marceau, «Articles 448 à 481», supra note 750, p. 57. Voir aussi, dans un ordre d’idées similaire, C. Ferron, supra

note 752, p. 378-380 et 382-383. 854 Association des agents distributeurs des Messageries Dynamiques inc. c. Groupe Québécor inc., [1983] R.D.J. 422,

428-429 (C.A.) (j. Malouf). Le recours à la rédaction du second alinéa de l’article 2 C.p.c., étudié par ailleurs, est aussi

utilisé dans ce même contexte.

Page 202: L'évolution et la structuration des principes directeurs

192

procédure civile, la Cour supérieure entre autres prend ainsi des mesures pour offrir une forme

d’encadrement à la gestion des dossiers et favoriser une bonne administration de la justice855. Les

règles sur la mise en état du dossier, entre autres, ont parfois été interprétées implicitement dans ce

sens durant les dernières décennies du XXe siècle856. Leur rédaction et l’élaboration de leur contenu

offrent aux magistrats un espace discursif différent de celui de la rédaction de jugement ou de la

supervision directe d’une instance. Ce même espace leur procure aussi un levier d’action. Ils

peuvent encadrer la procédure civile dans son articulation et infléchir le déroulement de certaines

instances pour encourager des comportements en matière procédurale ou en décourager d’autres,

moins souhaitables857. Comme le souligne un juge de la Cour d’appel :

Les règles de la procédure attribuent aux juges qui en sont les auteurs un ample

pouvoir discrétionnaire. Pourquoi ce pouvoir ne devrait-il pas être exercé dans le

respect des valeurs traditionnelles du Barreau? Certes, les juges n’ont pas pour fonction

de faire la police. Néanmoins, ils ne peuvent en la matière rester indifférents aux

intérêts de la justice. Ces intérêts, bien compris, transcendent l’évacuation des affaires,

les statistiques et la soi-disant efficacité qui n’est souvent que précipitation. […]

Autoriser, des mois et des années après le début des procédures, la production d’une

autre «expertise» (portant, me semble-t-il, sur des points qui n’ont rien de nouveau),

tout en forçant indirectement le demandeur à engager d’autres frais d’expertise en vue

de présenter, pour bonne mesure, un certain équilibre dans les preuves –même si le

nombre importe moins que la qualité des témoignages–, c’est porter atteinte à

l’intégrité procédurale858.

En bref, en analysant ces extraits du discours des tribunaux, il appert que les règles de pratique

telles que les règles 15 et 17 R.p.c.(C.S.) préfigurent une forme de proportionnalité chez une partie

855 Larose c. Emanuel, [1990] R.J.Q. 2074, 2076 (C.A.) (j. Monet). Les règles et règlements des tribunaux participent à

l’encdrement de la procédure civile, voir l’arrêt Lac d'Amiante Québec c. 2858-0702 Québec Inc., 2001 CSC 51, [2001] 2

R.C.S. 743, par. 36 et 38 (j. LeBel). 856 Voir par exemple Raymond Chabot Fafard Gagnon inc. c. Latouche, 1997 CanLII 10539 (QC CA), où le juge LeBel

rappelle que la bonne gestion du dossier doit aussi s’inspirer des règles 15 et 17 R.p.c.(C.S.). La règle 15 régit le certificat

d’état de cause et la règle 17 prévoit qu’après le dépôt de celui-ci, aucun autre document, rapport, pièce, etc., ne peut être

produit sans permission du tribunal et que celle-ci ne sera accordée que «s’il le considère nécessaire dans l’intérêt de la

justice et aux conditions estimées justes». Pour un exemple assimilant ces règles à la célérité, voir Collard c. Commerce &

Industry Insurance Company of Canada, [1989] R.D.J. 177, 179 (C.A.). 857 Voir à cet égard la remarque du juge LeBel, alors à la Cour d’appel, à propos d’une règle de pratique : «Elle veut éviter

la perpétuation de méthodes de procédure qui ont souvent gêné de façon importante l'administration de la justice»

(Placements Grandterre inc. c. 147616 Canada inc., 1990 CanLII 3299 (QC CA), par. 6). L’art. 15 R.p.c.(C.S.) a été

décrit notamment de la façon suivante : «la pierre d'assise au cadre judiciaire à l'intérieur duquel les parties sont tenues

d'évoluer. L'article vise un dévoilement complet de la preuve. Il assure un débat loyal et ouvert. Il permet d'éviter les

ajournements et les remises inutiles. Cet article est l'un des principaux outils développés par la Cour supérieure, au fil des

ans, afin de contrer les délais, source majeure de mécontentement et de critique à l'égard du système judiciaire. Ces

principes ne sont pas nouveaux. Ils sont connus des plaideurs. Ils obligent les avocats et leurs clients à préparer, à

l'avance, le procès et à dévoiler en temps opportun les éléments de leur preuve. Bref, depuis plusieurs années, l'article 15

vise à enrayer la pratique séculaire de la préparation de procès à la dernière minute.» Modes Striva Inc. c. Banque

Nationale du Canada, 2002 CanLII 34212 (QC CA), par. 8 (j. Rochon). L’article 17 R.p.c.(C.S.) introduit une condition

qui, si elle est remplie, permet de déroger à cette règle. 858 Larose c. Emanuel, [1990] R.J.Q. 2074, 2076 (C.A.) (j. Monet).

Page 203: L'évolution et la structuration des principes directeurs

193

de la communauté juridique, soit les juges. Cette forme de proportionnalité consiste à considérer ce

qui est utile dans le cadre de l’instance au regard de la preuve déjà proposée, les répercussions sur

les ressources en temps et en frais engagés par les parties, tout en rejetant expressément une

conception étroite de l’efficacité859, en observant aussi la limite que sont les intérêts de la justice860.

Une telle utilisation des règles de pratique montre également que l’influence du juge, celle de son

interprétation de la procédure civile ou de sa participation à l’établissement de celle-ci, celle de son

discours, sont cruciales pour l’évolution de la procédure civile et du système judiciaire, toujours

dans le cadre défini par le Code de procédure civile. Dans ce domaine, il y a réciprocité entre

l’influence de la procédure civile sur la définition et l’exercice de la fonction judiciaire et de

l’influence de la fonction judiciaire sur l’application des règles de procédure civile. Ainsi,

l’implication du tribunal pour favoriser la célérité et l’efficacité du processus a deux facettes. La

première est l’application des règles et du Code durant l’instance dans les limites déterminées par le

rôle dévolu au juge qui, s’il est plus impliqué qu’avant 1966 dans l’instance, n’est pas encore un

juge «interventionniste». La seconde est la possibilité pour les juges d’influencer collectivement la

gestion des dossiers par l’adoption des règles de pratique. Le respect de ces règles est par exemple

présenté comme «essentiel à une prompte et efficace expédition des affaires»861. Sans revenir à une

conception de la procédure indument formaliste, cette remarque traduit l’attention de la

magistrature pour ces aspects de la procédure civile et atteste de la nature de sa réflexion.

L’administration de la justice s’appuie donc déjà, dans la culture judiciaire qui prédomine lors de

l’adoption et de l’utilisation du Code de 1966, sur des notions d’efficacité et de célérité, deux

concepts-clés dans la construction ou l’adoption d’un principe directeur de la proportionnalité.

Pourtant, malgré cette sensibilité déjà perceptible, comment s’est développé le principe directeur de

la proportionnalité avant la réforme procédurale du XXIe siècle? Quelles relations a-t-il entretenues

avec les autres principes directeurs? Comment ces réalités nous renseignent-elles sur la culture

judiciaire québécoise en matière de procédure civile?

Les illustrations précédentes tendent à démontrer qu’une aspiration sociale à un système judiciaire

mieux géré s’esquisse. Elle n’oblitère pas pour autant d’autres idéaux qui s’attachent au droit

judiciaire. Cette situation n’est pas unique dans le monde. L’exemple de la Grande-Bretagne

l’atteste. Comme le rappelle un auteur, le système de justice civile «is imbued with moral

859 Voir entre autres les opinions majoritaire (j. Fish) et dissidente (j. LeBel) dans Costello c. Greiss, 1994 CanLII 5301

(QC CA), où l’intérêt de la justice n’est pas exprimé de la même façon. 860 Voir par exemple Raymond Chabot Fafard Gagnon inc. c. Latouche, 1997 CanLII 10539 (QC CA); Harewood c. Sir

Mortimer B. Davis Jewish General Hospital, 1991 CanLII 3659 (QC CA). 861 Collard c. Commerce & Industry Insurance Company of Canada, [1989] R.D.J. 177, 179 (C.A.) (la Cour, le juge

LeBel étant dissident).

Page 204: L'évolution et la structuration des principes directeurs

194

values»862. Il expose que dans cette optique, le système devrait être à la fois «fair and open,

equitable, efficient and effective, free from mystifying technicalities and formalistic sophistries,

simple, speedy and cheap, accessible and intelligent»863, tout en étant perçu comme tel. Cette

analyse se vérifie à travers l’histoire de la procédure civile et se traduit encore dans les réformes

récentes. En Grande-Bretagne, la toute première règle des CPR de Lord Woolf au milieu des années

1990 affirme qu’elle existe pour permettre à la Cour de disposer des causes avec justice864. Ces

règles qui encadrent les façons de faire en procédure civile anglaise ont pour fondement l’idée de la

proportionnalité. Ce discours repose sur des notions qui permettent d’identifier, par rapport à une

conception renouvelée du système judiciaire, les comportements acceptables et ceux qui doivent

être corrigés. En réalité, ces notions sont traitées comme des valeurs, à la fois descriptives des

moyens employés et représentatives des idéaux nourris. L’efficacité, les coûts restreints et la

célérité font partie de cette pensée. Au Québec, un recours à des «valeurs» qui présentent les mêmes

caractéristiques et des objectifs similaires transparaît souvent dans l’application des règles

procédurales. L’application du Code depuis 1966 indique la place croissante reconnue à des

concepts de même nature que la proportionnalité, notamment à travers la préoccupation constante

pour l’administration de la justice d’une partie de la communauté juridique. Cela se traduit

notamment dans des décisions prises par des magistrats de l’époque, dont le discours fait état d’un

souci de l’administration du système judiciaire et des réalités en matière de coûts et des réalités en

matière de coûts et de temps qui peuvent affecter les justiciables engagés dans les procès865. Si une

forme de réflexion sociale influence cette préoccupation comme en témoignent ces exemples, car

l’économie est également présentée comme une forme de justice envers les justiciables et les

parties, les juges défendent aussi l’intégrité de la procédure civile telle qu’elle est énoncée au Code.

Quelques modifications apportées au Code de 1966 démontrent que la structure de celui-ci et les

moyens procéduraux offerts aux parties subissent l’influence d’une conscience par ceux qui l’ont

composé de l’importance de l’économie, de la célérité et de l’efficacité. L’exercice du recours

collectif et certaines procédures qui, dans le Code de 1966, ont permis des actions menées par des

groupes en sont un exemple. L’idée même du recours collectif met en cause une rhétorique

particulière dont l’influence est importante. En effet, il a été associé dès son adoption à des mesures

862 Sir J. Jacob, «Justice Between Man and Man», (1985) 38 Current Legal Problems 211, 220. 863 Id., p. 221. 864 L’expression exacte est «enabling the court to deal with the cases justly and at proportionate cost». CPR 1.1(1). Voir à

ce sujet les remarques de A. Zuckerman, Zuckerman on Civil Procedure, supra note 15, no. 1.7-1.14 (p. 3-6). 865 Voir Fefferman c. Bentley’s Cycles and Sports Ltd., [1969] B.R. 806, 807 (j. Salvas) : tout en rejetant une requête en

jugement déclaratoire, un juge de la Cour d’appel remarque que les «plaideurs en général ont intérêt, comme les parties en

cette cause, d’éviter les délais et les déboursés des procédures ordinaires». Faisant aussi référence à «l’intérêt des

plaideurs», voir l’exposé du juge Deschênes : Corporation des enseignants du Québec c. Québec (P.G.), [1973] C.S. 793,

803 (j. Deschênes).

Page 205: L'évolution et la structuration des principes directeurs

195

d’accès à la justice866 et cet aspect symbolique continue de le définir durant longtemps aux yeux de

plusieurs867. Le Code comprend initialement une nouvelle mesure procédurale permettant à

«plusieurs personnes qui ont un intérêt commun dans un litige»868 de donner à l’une d’entre elles le

mandat d’ester en justice pour le compte de toutes. Le recours collectif tel qu’il existe dans des pays

anglo-saxons, notamment, a été envisagé, mais n’est pas retenu, les commissaires expliquant qu’il

est peu adapté au fonctionnement du droit du Québec869. Comme le rappelle un auteur, des

initiatives tendant à mener à l’adoption du recours collectif à titre de procédure applicable au

Québec sont prises durant la décennie 1970-1980870. Il faut donc comprendre qu’en matière

d’exercice des droits de manière collective, il existe un décalage entre les perceptions du législateur

et les besoins des justiciables. Par ailleurs, les perceptions de la communauté juridique sont

partagées. En matière de mandat, tant les tribunaux que les auteurs de doctrine ont réitéré que

l’usage de cette procédure, exception à la règle voulant que «nul ne peut plaider au nom

d’autrui»871, commandait une interprétation restrictive872. Cependant, les juges se montrent aussi

prêts à reconnaître l’utilité de ce droit quand il est applicable873, de même que d’autres mécanismes

présents au Code et permettant de réduire le nombre d’instances pendantes devant les tribunaux, par

exemple, la réunion d’action874, la jonction des causes d’action875 ou la jonction de parties876, dans

certaines circonstances.

866 P.-C. Lafond, «Le recours collectif : entre la commodité procédurale et la justice sociale», (1998-1999) 29 R.D.U.S. 3,

21, fait ainsi état de la rhétorique utilisée dans un document d’étude soumis en 1974 au ministère de la Justice par le

Barreau du Québec où apparaissent déjà des remarques associant l’usage du recours collectif à une possibilité accrue pour

les justiciables de faire valoir leur droit en justice. Loi sur le recours collectif, L.Q. 1978, c. 8. Il est enrichissant de

considérer les remarques de P.-C. Lafond, dans le même texte, aux pages 29-35. Pour un rappel de l’histoire et une

perception de l’efficacité du recours collectif en common law, voir Western Canadian Shopping Centres c. Dutton, 2001

R.C.S. 534, par. 19-29 (j.e.c. McLachlin). 867 Les auteurs, par exemple, continuent d’y référer dans ce contexte, voir M. Lacoursière, «Les consommateurs et l’accès

à la justice», (2008) 49 C. de D. 97, 109. Voir aussi Comité de révision de la procédure civile, Une nouvelle culture

judiciaire, supra note 7, p. 199-200. 868 Art. 59 al. 2 C.p.c. 869 Id., P.-C. Lafond, «Le recours collectif : entre la commodité procédurale et la justice sociale», supra note 866, 21. 870 P.-C. Lafond, «Le recours collectif : entre la commodité procédurale et la justice sociale», supra note 866, 20-26. 871 Art. 59 al. 1 C.p.c. 872 Camirand-Pineau c. Auger, [1968] C.S. 102, 106 (j. Mayrand); 9096-0105 Québec Inc. c. Construction Cogela Inc.,

[2004] R.J.Q 486 (C.S.), 2003 CanLII 546 (QC CS), par. 55 (j. Gascon); R. Savoie et L.-P. Taschereau, Procédure civile,

Tome I, Montréal, Guérin, 1973, p. 62. 873 Johnson c. Fleck, [1990] R.D.I. 369, 371 (j. Major) : un copropriétaire peut plaider seul et ne plaide pas nécessairement

au nom d’un autre copropriétaire. Voir également Greenberg c. Denis, [1985] R.D.J. 664 (C.A.). 874 Art. 270-272 C.p.c. (1966). 875 Art. 66 C.p.c. (1966). 876 Art. 67 C.p.c. (1966). Bien qu’employée auparavant, elle est expressément reconnue à l’article 67 C.p.c. du Code de

1966. Voir sur ce sujet les remarques de L. Laperrière, supra note 705, p. 12-13. Projet-Draft, Code de procédure civile,

1964, supra note 697, p. 16a. Avant 1966, la question de la jonction des actions a soulevé des questionnements importants

sur ses modalités d’application, notamment à cause de la discrétion qu’elle confie au juge et de l’évaluation du degré de

connexité entre les actions jointes. Voir par exemple Leblanc c. Cour des sessions de la paix, (1941) 70 B.R. 381, 385-

387 (j. St-Jacques) : «[…] cet article ne concerne aucunement le droit de plusieurs personnes de se réunir dans une seule et

même action ou poursuite». Voir aussi Dussault c. Association internationale des débardeurs, local 375, [1942] B.R. 307.

Page 206: L'évolution et la structuration des principes directeurs

196

En 1978, avec l’adoption des procédures de recours collectif, l’idée de permettre des actions

communes à plusieurs demandeurs atteint un seuil de reconnaissance qui marque le début d’une

nouvelle époque de son développement. Celui-ci se poursuit dans l’environnement codifié. Des

auteurs ont proposé que, depuis 1979, les juges ont été «invités à adhérer à une dimension plus

collective, plus sociale, de la justice, et que cette évolution s’est faite insensiblement, voire

imperceptiblement […]»877. En 1966, un auteur avait déjà indiqué que «[t]he new Code does not go

as far as the representative action of common law; but it does allow group actions by one person if

he files a power of attorney from the others»878. Le nouveau recours collectif ne fait pas perdre son

actualité aux autres procédures évoquées, puisqu’il est autorisé lorsque l’utilisation de ces moyens

procéduraux est difficile ou peu pratique879. La reconnaissance d’un droit d’action collectif dans le

cadre du Code de procédure civile vient clore la discussion sur l’existence de ce droit880, bien

qu’elle perdure sur le plan des conditions d’utilisation de ce type d’action même après l’adoption du

recours collectif, comme il était appelé à l’époque. Si les études rapportent que, globalement, les

juges appliquent initialement une interprétation relativement restrictive des critères du recours

collectif, elles établissent aussi que celle-ci s’élargit à partir des années 1990881.

L’évolution de ce moyen procédural peut illustrer son insertion progressive dans la culture

judiciaire. Initialement considéré comme étranger à celle-ci, il en est devenu une composante et il

est appliqué conformément aux buts pour lesquels elle a été ajoutée au Code. Les étapes de sa

reconnaissance sont marquées par des phénomènes tels que l’adhésion progressive, ou par des

réticences ou des résistances notamment traduites par l’interprétation «restrictive». Nous avons vu

que des constatations de cette nature sont compatibles avec un changement culturel et sont appelées

à être observées également dans le cadre de la modification due à l’adoption d’un principe directeur,

par exemple. Dans le contexte du recours collectif, la réaction est circonscrite à la mesure en

question, mais elle n’est pas sans répercussion pour la réflexion sur les valeurs. Ainsi, la valeur

qu’est l’accès à la justice, avec laquelle le Code de 1966 a été défini et qui accompagne son

application durant les trois décennies suivantes, demeure étroitement liée à l’existence, à la

reconnaissance du recours collectif et à son intégration à la culture judiciaire. Il en reste perçu

877 P.-C. Lafond, Le recours collectif, le rôle du juge et sa conception de la justice, supra note 4, p. 2. 878 W.S. Tyndale, «Notes on the new Code of Civil Procedure», supra note 710, p. 348. 879 Art. 1003 c) C.p.c. Voir par exemple P.-C. Lafond, Le recours collectif comme voie d’accès à la justice pour les

consommateurs, supra note 11, p. 151, Del Guidice c. Honda Canada inc., [2007] R.J.Q. 1496 (C.A.), 2007 QCCA 922

(CanLII), par. 32-38 (j. Pelletier); Voisins du train de banlieue de Blainville inc. c. Agence métropolitaine de transport,

2007 QCCA 236 (CanLII), par. 69-70 (j. Dufresne). 880 De fait, il modifie le droit. Auparavant, les juges ont considéré qu’aucun article du Code de 1897 ne fondait un droit

collectif d’action, permettant à plusieurs personnes de se réunir dans une action commune, comme nous l’avons indiqué

précédemment à propos de la cause Leblanc c. Cour des sessions de la paix, (1941) 70 B.R. 381, voir note 876. Il en allait

de même dans le Code de 1966. 881 P.-C. Lafond, Le recours collectif, le rôle du juge et sa conception de la justice, supra note 4, p. 55 à 88.

Page 207: L'évolution et la structuration des principes directeurs

197

comme l’un des symboles par de nombreux juristes. Cependant, même si les arguments d’économie

et de célérité sont aussi présents dans le discours sur le recours collectif, ils n’en sont pas les

caractéristiques primordiales retenues au XXe siècle. Cela signifie que les concepts ou les valeurs à

la base du principe directeur de la proportionnalité des procédures jouent un rôle dans le

développement de ce moyen procédural et dans son application et qu’il peut être un marqueur de

leur influence. En revanche, il n’est pas perçu comme l’une des procédures emblématiques de leur

reconnaissance dans la culture judiciaire avant 2001.

La mise en contexte de cette situation permet de trouver des ressemblances avec la situation décrite

en Grande-Bretagne, pour reprendre l’exemple cité précédemment882. Cependant, la réforme de la

procédure civile britannique est entamée parmi les premières. Réalisée durant la décennie 1990, elle

ne se limite pas à une refonte des règles. Elle est organisée autour d’un «overriding objective»883 qui

place d'emblée l’idée de proportionnalité au cœur de cette procédure. Les sources consultées sur le

sujet étant limitées, elles ne permettent pas d’établir si la proportionnalité est perçue par l’ensemble

de la communauté juridique britannique comme une forme de «principe directeur» à ce moment.

Néanmoins, ceux à qui la réforme est confiée et principalement Lord Woolf, choisissent de le

définir comme tel. Comme le souligne celui-ci dans le rapport sur la réforme britannique :

In order to identify that purpose at the outset, I have placed at the very beginning of

the rules a statement of their overriding objective. This is intended to govern the

operation of all the rules and in particular the choices which the court makes in

managing each case and in interpreting the rules. In the interim report I set out the

likely text of this rule. Because of its importance, I make no apology for setting it out

again here, in its updated form.

“(1) The overriding objective of these Rules is to enable the court to deal with cases

justly.

(2) The court must apply the Rules so as to further the overriding objective.

(3) Dealing with a case justly includes –

(a) ensuring, so far as is practicable, that the parties are on an equal footing;

(b) saving expense;

(c) dealing with the case in ways which are proportionate –

(i) to the amount of money involved;

882 Voir la mention en page 194. 883 Voir la Procedural Rule 1.1 (e), notamment à justice.gov.uk/courts/procedure-rules/civil/rules/part01 (consulté le 2013-

05-23).

Page 208: L'évolution et la structuration des principes directeurs

198

(ii) to the importance of the case;

(iii) to the complexity of the issues; and

(iv) to the parties’ financial position;

(d) ensuring that it is dealt with expeditiously; and

(e) allotting to it an appropriate share of the court’s resources, while taking into

account the need to allot resources to other cases.” 884

Il est bon de souligner que, dans cette énumération, Lord Woolf signale bien l’importance de

considérer les ressources générales du système judiciaire. Cependant, il faut comprendre, comme la

présentation de ce texte permet de l’établir, qu’il s’agit bien d’un critère à soupeser parmi d’autres,

sans lui accorder une préséance. Il ne s’agit pas non plus d’un aspect devant être développé dans

une optique économique rigide.

Par comparaison, au Canada et au Québec comme en Grande-Bretagne ou dans plusieurs pays

occidentaux, la conscience d’un besoin de redéfinir le système judiciaire est exprimée dans la même

période. Par exemple, la perception de l’existence d’une «crise de la justice civile» est notée dans

plusieurs pays, comme en France885. D’après une auteure considérant le système britannique, «[i]n

recent debates about the ‘crisis’ in civil justice Lord Woolf has argued repeatedly that the civil

justice system is an anachronistic legacy of the nineteenth century; its traditions, procedures, and

protection of vested interests are not suited to the late twentieth century, let alone the next

millennium»886. Au Québec, le portrait dressé du système judiciaire en 2001 montre bien qu’il

présente les mêmes difficultés entre 1977 et 1999887. La question des délais et des coûts de la justice

retient depuis plusieurs années l’attention de la communauté juridique canadienne888. Dans ce

contexte, l’économie acquiert une grande importance dans l’évaluation des besoins de révision de la

procédure civile et du travail des tribunaux à l’échelle du Canada. La préoccupation quant aux

délais est souvent expliquée par l’inquiétude que ceux-ci ne diminuent la valeur de la justice rendue.

Cette diminution de qualité pourrait être à la fois générale, en affectant l’ensemble du système, et

884 The Right Honourable the Lord Woolf, Master of the Rolls/Sir H. Woolf, Access to Justice : Final Report to the Lord

Chancellor on the civil justice system in England and Wales, London, The Stationary Office, 1996, (aussi disponible au :

dca.gov.uk/civil/final/overview.htm), [ci-après : Lord Woolf]. Il s’agit du texte de ce qui est défini comme l’«Overriding

Objective» et qui compose l’article 1.1 des règles des procédures (justice.gov.uk/courts/procedure-rules/civil/rules/part01). 885 Élisabeth Michelet mentionne plusieurs expressions issues de textes publiés révélant une perception similaire dans le

droit européen francophone : justice «sinistrée», «en miette», «mutilée», «en perdition» : E. Michelet, «Nouveau code,

nouveau juge, nouvelle éthique», dans Nouveaux juges, nouveaux pouvoirs? Mélanges en l’honneur de Roger Perrot,

Paris, Dalloz, 1996, 27, 277. 886 H. Genn, «Understanding Civil Justice», (1997) 50 Current Legal Problems 155, 157. 887 Comité de révision de la procédure civile, Une nouvelle culture judiciaire, supra note 7, p. 10-26. 888 Ceci s’illustre notamment par la publication d’études, voir Institut Canadien d’administration de la justice/Canadian

Institute for the Administration of Justice, Expeditious Justice, Papers of the Canadian Institute for the Administration of

Justice, Toronto, Carswell, 1979.

Page 209: L'évolution et la structuration des principes directeurs

199

individuelle si elle ne touche que des dossiers spécifiques889. Elle peut se produire tant par les effets

naturels du passage du temps que par les conséquences qu’aurait une pression excessive sur le

travail du juge890. De même, les commentateurs s’inquiètent du maintien de la confiance du public

dans le système judiciaire891. Certains vont même jusqu’à déclarer que les objectifs de base de la

procédure civile sont d’obtenir une résolution des litiges s’appuyant sur le mérite et qui soit à la fois

juste, rapide et peu coûteuse. Ils soulignent de nouveau l’équilibre difficile à atteindre entre la

justice et les objectifs d’économie et de rapidité892. Ils tendent à encourager des solutions

d’équilibre, car, pour eux, la procédure civile doit être suffisamment développée pour assurer un

déroulement juste et satisfaisant des instances, mais être restreinte pour diminuer les délais et les

coûts893. Les travaux sur la justice expéditive amènent les auteurs à faire des constats sur les raisons

de ces délais et coûts et à se pencher sur différents aspects de la procédure civile susceptibles d’en

diminuer les délais, ou de désencombrer les tribunaux894. Dans l’ensemble, des aspects

insatisfaisants et des potentialités de rupture qui caractérisent le fonctionnement du système

judiciaire de la fin du XXe siècle.

En réalité, ceci pourrait soutenir l’hypothèse selon laquelle le principe directeur de la

proportionnalité est un principe qui oscille entre un stade latent et un stade innommé et qui est de

plus en plus présent dans la réflexion des acteurs du système judiciaire –celle des avocats et des

juges en particulier– durant la période étudiée. Il existe manifestement une adhésion aux valeurs et

concepts qui le sous-tendent. Par contre, ceux-ci ne sont pas précisément articulés ou organisés

consciemment en fonction d’une idée de principe directeur. Leur proximité dans le discours est

souvent basée sur leur nature. Nous pouvons relever la lucidité de ce discours face aux

conséquences, dans ces domaines, de l’utilisation de la procédure civile et ces conséquences sont

similaires. Cela crée naturellement des liens qui vont rapprocher la réflexion sur les coûts et les

889 S. Shetreet, «The Limits of Expeditious Justice», dans Institut Canadien d’administration de la justice/Canadian

Institute for the Administration of Justice, Expeditious Justice, Papers of the Canadian Institute for the Administration of

Justice, Toronto, Carswell, 1979, p. 14-15. 890 Ibid. 891 Ibid.; G.L. Gall, «Efficient Court Management», dans Institut Canadien d’administration de la justice/Canadian

Institute for the Administration of Justice, Expeditious Justice, Papers of the Canadian Institute for the Administration of

Justice, Toronto, Carswell, 1979, p. 108-109. 892 G.D. Watson, «Civil Pretrial Procedure and Expeditious Justice», dans Institut Canadien d’administration de la

justice/Canadian Institute for the Administration of Justice, Expeditious Justice, Papers of the Canadian Institute for the

Administration of Justice, Toronto, Carswell, 1979, p. 130. 893 Id., p. 132. 894 G.L. Gall, supra note 891, p. 116; G.D. Watson, supra note 892, p. 127-128, 130-131 et 137-144. Ils font allusion

notamment à la conciliation, la conférence préparatoire, aux délais liés aux enquêtes, etc. La question de la divulgation

complète de la preuve nécessiterait encore des améliorations dans les années 1980 au Canada, mais cette question évolue

durant les décennies : le projet de loi no 28 sur la modification du C.p.c., comme son prédécesseur l’avant-projet de loi de

2011, rend d’ailleurs la divulgation complète de la preuve obligatoire et encourage fortement la préparation d’un protocole

préjudiciaire entre les parties (art. 20). Voir par exemple, à propos de la divulgation complète et rapide des éléments

fondant les prétentions des parties, les articles 20 et 148 N.C.p.c.

Page 210: L'évolution et la structuration des principes directeurs

200

délais de la justice, par exemple. À l’inverse, si ces concepts ou valeurs apportent des éléments

persuasifs aux réponses qui sont apportées, ils n’ont pas d’autorité contraignante et ils peuvent être

écartés par d’autres considérations. De plus, dans la jurisprudence, les questions d’économie et de

célérité sont souvent définies intrinsèquement, en s’appliquant à la cause en litige. La constitution

d’une hypothèse explicative doit donc tenir compte du fait que les réflexions sur une économie des

moyens, une économie du temps, une plus grande efficacité sont généralement présentes dans

l’esprit de la procédure civile. Celles-ci font-elles pour autant partie de la représentation collective

de la justice ou du système judiciaire dans la sphère des principes?

Nous pourrions envisager que, durant les trois décennies à l’étude, elles interviennent peut-être

davantage à propos de la mise en œuvre et du pragmatisme dans la conception du système judiciaire

plutôt qu’en matière de philosophie de la procédure civile, au moins initialement. En ce sens, les

composantes de ce que nous nommons à présent la proportionnalité sont peut-être perçues de

manière périphérique, c’est-à-dire qu’elles sont importantes dans le cadre d’un système de justice

fonctionnel, à l’instar des affirmations proposées en 1979, mais elles ne sont peut-être pas centrales

dans la représentation des valeurs liées à un système de justice pour la majorité des membres de la

communauté juridique, c’est-à-dire dans tous les actes relatifs à un dossier. De même, s’il est

question d’un processus judiciaire juste, la représentation de celui-ci n’inclut peut-être pas

nécessairement de la même façon l’aspect économique pour tous, bien que la conscience de

l’existence de la composante économique soit réelle en matière de fonctionnement du processus. La

recherche avouée d’un équilibre entre justice, célérité et économie, si nous considérons le texte de

1979, tend à suggérer l’existence au moins partielle d’une séparation entre le concept de justice et le

concept d’économie ou le concept de célérité, par exemple, dans la représentation générale. Par la

suite, l’inclusion de l’aspect fonctionnel dans l’aspect juste du processus serait plus répandue chez

les acteurs du système judiciaire et ses analystes.

2.3. La présence de principes directeurs dans le Code : une synthèse

Qu’est-il possible de synthétiser de cette analyse quant à l’évolution de «principes directeurs» dans

la procédure civile québécoise de la fin du XXe siècle? Nous pourrions proposer qu’il existe deux

tendances assez nettes qui permettent de résumer la situation.

Dans un premier temps, nous venons de voir que le concept de «principe directeur» n’est pas adopté

de manière universelle ou systématique dans le discours de la communauté juridique ou dans le

Code. Par contre, en considérant la définition que nous avons établie pour décrire un principe

Page 211: L'évolution et la structuration des principes directeurs

201

directeur, nous pourrions identifier quelques articles qui répondent généralement aux critères

retenus. En effet, ils doivent viser principalement la procédure civile, de manière spécialisée et le

plus souvent dans une idée fonctionnelle, à savoir qu’ils décrivent, organisent et orientent celle-ci,

tant pour lui imposer une structure que pour en encadrer l’interprétation. Ces caractéristiques

peuvent manifestement s’appliquer aux articles 2 et 5 C.p.c., de même, bien que dans un rayon plus

limité, à l’article 13 C.p.c. concernant la publicité des procédures895, qui a aussi vocation à définir le

fonctionnement du système judiciaire. Ces principes, à tout prendre, sont donc codifiés, même s’ils

n’ont pas tous reçu un nom qui les désigne.

Ces principes codifiés ne reçoivent cependant pas un traitement particulier de la part du législateur

lors de leur codification ou dans leur intégration au texte de la loi. Ils sont inscrits parmi les

premiers articles du Code et appartiennent ainsi aux «dispositions introductives» du Livre I du

Code. Traditionnellement, le législateur place en début de Code des dispositions qui ont pour objet

de s’appliquer à tout le Code. En 1966, l’article 1 a pour but de régler l’application du Code à la

suite de son entrée en vigueur et la transition qui peut en résulter. Il prévoit de plus la fin de

l’emprisonnement à titre de sanction en matière civile896, un changement suffisamment important

pour être exposé dès le début du Code. L’article 2, également un changement majeur dans les

tendances interprétatives, est donc placé en tête de Code. Les articles 5 et 13 C.p.c., qui ne

modifient pas les façons de faire, peuvent donc être considérés comme importants pour tout le Code

lorsqu’ils sont placés à proximité des articles les plus généraux. À l’inverse, nous pouvons aussi

déduire de l’absence de regroupement ou de connexité entre les trois articles que le Code ne

témoigne pas encore d’une pensée orientée et complète sur la nature de ces «principes directeurs».

Ces «principes directeurs» reprennent dans une certaine mesure des traits fondamentaux du système

judiciaire, mais c’est leur dimension interprétative qui est essentielle. Ce sont des articles de

référence. Les principes en question ne structurent pas le Code, mais ils sont importants dans la

réflexion sur son application.

Dans un second temps, le législateur ne témoigne pas d’une forme de reconnaissance des autres

«principes directeurs». Ils ne sont pas inscrits dans le Code sauf indirectement, par le biais d’articles

d’application pratique. Ils n’ont donc pas explicitement vocation à influencer la structure du Code,

du système judiciaire ou de la procédure civile. Le cas du principe du contrôle de leur dossier par

les parties diffère de ce schéma, puisque sans être codifié, il est incontestablement reconnu et

895 Le principe que le procès civil est public a été affirmé pour la première fois dans le Code de 1897. Ce principe est alors

codifié à l’article 16 C.p.c. (1897). L’ajout est fait sans explication et est simplement mentionné dans Deuxième rapport

de la commission chargée de reviser et de modifier le Code de procédure civile du Bas-Canada, p. xiii. 896 Art. 1 C.p.c. (1966). Seul l’outrage au tribunal conserve une telle sanction.

Page 212: L'évolution et la structuration des principes directeurs

202

structurant à sa façon. En effet, il est relativement universel et influence l’esprit dans lequel la

procédure civile est appliquée. Les autres principes non codifiés n’ont pas a priori cette faculté. Le

degré d’adhésion à ces «principes directeurs» ou, souvent, à une partie de leurs composantes va

déterminer s’ils sont présents et influencent la façon dont le droit est interprété ou se pratique. Ils

sont encore en construction et leur place dans le discours sur la procédure civile et le système

judiciaire le confirme. Rétrospectivement, il est possible à l’observateur de relever des traces et de

noter des manifestations qui témoignent soit de leur influence, soit d’une présence accrue des

mentions ou de comportements compatibles avec une adhésion à leur contenu, souvent sous forme

de valeurs. Nous avons considéré que cela dénote une évolution.

Cela ne signifie pas qu’ils seront considérés comme des «principes directeurs» à ce moment de leur

évolution –nous avons rappelé qu’aucun «principe directeur» n’est désigné comme tel dans le

discours qui entoure la procédure civile avant 2001 et dans le Code avant 2016. Cette réalité ne

signifie cependant pas que la réforme du XXIe siècle a inventé l’existence des principes directeurs

ou qu’elle les a importés dans un environnement où ils étaient étrangers, bien qu’elle ait

légitimement pu le faire. Le but de cet exposé est notamment d’explorer quels schémas de

développement peuvent être proposés en examinant les phénomènes qui se rattachent à chacun des

«principes directeurs» identifiés par la recherche et désignés comme tels à partir de 2001. Nous

examinons aussi quelles caractéristiques ces différents schémas confèrent aux principes en question,

et les répercussions que ces caractéristiques et que les choix qui les accompagnent peuvent avoir.

À la fin du XXe siècle, parmi les principes directeurs retenus, nous identifions un principe directeur

codifié et nommé et quatre principes directeurs innommés. De surcroît, les états ou les stades de

développement atteints par ceux-ci sont très variables. Le principe directeur du contrôle de leur

dossier par les parties est un principe implicite, mais reconnu. Le principe directeur du contrôle de

l’instance par le juge est un principe innommé, mais dont la portée est restreinte et qui se trouve

largement subordonné au principe concurrent dont nous parlions précédemment. Le principe

directeur de la conciliation, après une émergence éphémère au début du XXe siècle, a connu une

période d’éclipse partielle, mais sa présence et son influence semblent augmenter à la fin du siècle.

Quant à la proportionnalité, ce sont surtout ses composantes distinctes qui sont reconnues : célérité,

économie, efficacité... Celles-ci sont souvent utilisées comme des valeurs, permettant de distinguer

les comportements les plus adéquats. Le degré d’adhésion à ces valeurs et la présence de sanction

dans le Code pour des manquements font que nous considérons que ce principe est présent dans

l’esprit des juristes, mais le degré de cohésion entre ses divers éléments dans la réflexion générale

ne permet pas de le considérer comme un principe entièrement formé.

Page 213: L'évolution et la structuration des principes directeurs

203

Chapitre 3. L’apport du Code et la représentation du

système judiciaire, 1966-2001

3.1. Le Code de 1966 et sa philosophie, entre innovation et conservatisme

Le bilan de l’adoption et de l’application du Code à la veille du changement de millénaire, tel qu’il

est dressé par les auteurs de jurisprudence ou de doctrine, présente des failles, notamment en ce qui

a trait aux délais et aux coûts liés aux actions en justice. Par contre, plusieurs des changements

imposés par le Code et par les ajouts subséquents ont semblé s’intégrer dans la pratique quotidienne

et dans la culture judiciaire en général. Que pouvons-nous conclure d’une telle situation?

L’orientation que prend l’évolution de la procédure civile n’est pas inévitable. Chaque époque la

définit en fonction de ses besoins et de ses aspirations, autant que de perceptions de sa culture et de

son histoire. Ainsi, au moment de l’adoption du Code de 1966, la façon dont les besoins de

changement ont été définis est aussi importante que la façon dont les nouveaux articles seront

appliqués. Pour les réformateurs, l’usage large et libéral que font les juges de certaines nouvelles

dispositions est aussi crucial que le fait que les avocats tirent parti de ces dispositions pour modifier

l’application du Code897. Cela rappelle aussi l’influence que peut avoir le juge sur l’instance, la

procédure civile et le système judiciaire, et celle-ci se modifie. Le rôle de l’interprétation a été

crucial dans ce domaine avant 1966. En effet, c’est en essayant de baliser la portée des règles, de les

étendre à de nouvelles situations et de les interpréter à la lumière d’une conception moderne des

principes que les juges, les avocats, les notaires et les auteurs de doctrine peuvent espérer, à ce

moment, introduire des changements dans la procédure.

Comment l’environnement civiliste québécois permet-il de gérer de telles situations? En 1967,

Louis Marceau propose une analyse qui soulève aussi les aléas de la cohabitation entre la

philosophie formaliste et les tentatives de changements avant 1966. Il remarque qu’avant l’adoption

du nouveau Code, les tentatives d’assouplissement faites par les juges se traduisaient de deux

façons. La première était celle des «suggestions ou conseils officieux au niveau des auxiliaires des

parties, joint à une prodigalité dans l’octroi des autorisations suscitées et requises (mis-en-cause,

amendement, etc.) […]»898. La seconde portait, selon lui, sur «la remise en question de notions qui

traditionnellement limitaient les pouvoirs des tribunaux, mais restaient imprécises et floues»899. Ces

897 P. Meyer, supra note 693, p. 363. 898 L. Marceau, «Le nouveau code de procédure civile : ses principes et son esprit», supra note 694, p. 377. 899 Ibid.

Page 214: L'évolution et la structuration des principes directeurs

204

tentatives lui paraissent critiquables900. Elles se heurtaient à la lettre et à l’esprit du texte, tout en

mettant en danger la structure fondamentale du procès telle qu’elle était prévue. L’auteur, pourtant

visiblement favorable à la réforme de la procédure civile, fait remarquer que «[l’]administration de

la justice est matière trop fondamentale pour que les règles qui l’organisent soient plus ou moins

altérées par les réactions personnelles des juges, si bien intentionnés soient-ils»901. Il rappelle que le

maintien de la structure d’ensemble de la procédure civile et des principes directeurs est une réalité,

et que l’adoption de règles nouvelles ouvertes à l’interprétation, notamment sur les pouvoirs des

juges dont il approuve l’élargissement et le rôle plus humain, doit tout de même respecter ce

choix902. En d’autres termes, dans l’environnement civiliste, le pouvoir de modifier le droit est

limité par la nature même du système et les élargissements proposés ne mettent pas celui-ci à néant,

même si l’esprit du Code se transforme partiellement.

Dans l’ensemble, le Code a proposé des modifications aux façons de faire des parties, afin de

refléter davantage les valeurs promues dès 1966. L’esprit du Code a été marqué par des

changements, notamment par l’adoption de l’article 2, mais ceux-ci ont majoritairement été

introduits par des articles ayant une application pratique. Ceci reflète peut-être en partie la

perception faisant du Code un outil, un texte principalement fait pour définir la procédure civile,

perception que nous avons mentionnée précédemment. Cette conception correspond à son usage

premier et se rattache à la réflexion classique sur son rôle, mais elle a des conséquences. Les règles

d’interprétation n’y sont pas traditionnelles ou nombreuses dans les décennies précédentes, comme

nous l’avons vu. L’interprétation est alors fournie par la doctrine et la jurisprudence. Cela a pu

influencer la façon dont le Code a été rédigé et ce qu’il contient. La réflexion sur les usages et la

rédaction du Code contribuent aussi à entretenir son lien avec la forme générale du texte définie au

moment de la première codification au XIXe siècle. La majorité des articles, même lorsqu’il s’agit

de modifier l’esprit du Code, seront donc des articles à contenu utilitaire. Cette réalité a un impact

lors de la tentative de définition de son esprit et son implantation. Il est normal que les articles

porteurs de principes directeurs ne se concentrent pas sur l’existence et la définition de ces derniers,

sauf exception. En ceci, le Code de 1966 se révèle plutôt traditionnel sur le plan de sa conception et

héritier d’une pensée procédurale qui, malgré ses nouvelles orientations sur le fond, conserve son

ancienne approche du contenu du droit procédural codifié.

900 Ibid. 901 Ibid. 902 Id., p. 378.

Page 215: L'évolution et la structuration des principes directeurs

205

L’adhésion à une forme plus traditionnelle de rédaction du Code ne doit pas occulter le fait qu’il se

montre relativement audacieux quant à son esprit et qu’il s’éloigne justement de l’esprit de ses deux

prédécesseurs. Il intègre les nouvelles façons de penser et les impose désormais comme le courant

principal. Le législateur puise donc à un courant déjà existant pour constituer l’approche dominante

du Code. Ceci ne signifie pas, nous l’avons vu, qu’il y aura adhésion immédiate et complète à ce

changement culturel, mais que celui-ci dispose de bases préalables sur lesquelles se greffer. Il est

probable que cela facilite son adoption dans la culture judiciaire. La souplesse nouvelle

qu’apportent certains articles ne dispense pas de respecter la loi, elle introduit au contraire une

dimension moins rigoriste dans la conception de l’usage du texte codifié, sans affaiblir l’autorité

réelle de celui-ci. Il n’en devient pas permis d’aller à l’encontre ou de transgresser les règles du

Code.

De plus, le Code est composé en tenant compte aussi de la tradition déjà existante dans la province

de Québec. Il n’a pas l’ambition de tout renouveler. Les membres de la communauté juridique

retrouvent des concepts et des réalités qui leur sont familiers. Ainsi, en rappelant les fondements

anciens conservés par la procédure civile de 1966, par exemple, Louis Marceau souligne

l’importance du principe de la maîtrise de leur dossier par les parties. Ce principe est implicite,

puisqu’il n’est pas codifié, identifié ou présenté comme tel. La conception décrite par l’auteur

implique que le juge se cantonne dans un rôle neutre et passif903. Il conclut que le Code de 1966

conserve, voire amplifie, cette maîtrise de leur dossier par les parties et, du même coup, balise

strictement l’emprise du juge sur ces dossiers. Il s’agit cependant d’une perception. Notre étude a en

effet permis de relever que les pouvoirs du juge et sa marge d’intervention en matière de gestion des

instances ont commencé à s’élargir et que quelques-uns de ces changements ont été considérés dans

la préparation du nouveau Code. Le professeur Marceau lui-même en identifie quelques-uns, entre

autres l’introduction de la possibilité d’utiliser la procédure du jugement déclaratoire904. Il serait

possible de citer aussi la possibilité donnée au magistrat de signaler les lacunes dans la procédure ou

la preuve et de permettre aux parties de les combler905. Il rappelle également que, même si une

partie de l’ancien droit a été conservée, notamment les principes, le code est profondément

influencé par la pensée de ceux qu’il appelle les «novateurs»906.

903 L. Marceau, «Le nouveau code de procédure civile : ses principes et son esprit», supra note 694, p. 368. Cette attitude

est parfois décrite comme celle du «juge-sphinx», voir notamment Brouillard Dit Chatel c. R., [1985] 1 R.C.S. 39, 44 (j.

Lamer). 904 Id., p. 373. Voir à cet égard les articles 453-456 C.p.c. (1966). 905 Cet exemple, pris parmi d’autres, est illustré à l’article 292 C.p.c. (1966). 906 L. Marceau, «Le nouveau code de procédure civile : ses principes et son esprit», supra note 694, p. 377-378.

Page 216: L'évolution et la structuration des principes directeurs

206

Le Code de 1966 s’appuie donc sur une dualité d’influences, à la convergence d’une avancée

moderne qui exige un changement de mentalités d’une part et du respect de certaines perceptions et

règles plus anciennes de l’autre. De plus, les discours qui accompagnent l’avènement du Code

prennent appui sur ces deux tendances. Le discours «novateur» critique l’ordre ancien et expose les

avantages attendus des changements. Le discours «de la permanence», si nous pouvons le désigner

par ce terme, rappelle comment le nouveau Code continue l’ancien. Il ne faut pas négliger

l’importance de ce second discours, même en ce qui a trait à l’implantation des nouvelles façons de

faire. Les explications qui soulignent le maintien d’un ordre social établi peuvent parfois paraître

rassurantes et solides devant le risque que paraît représenter une nouvelle façon d’agir. Dans ce

contexte, elles peuvent même aider à l’implantation du changement culturel, car de tels discours ne

sont pas sans force persuasive. Il est vrai qu’ils peuvent aussi imposer des changements ou

imprimer un ralentissement à une réforme, donner des raisons de reconnaître ou non, d’intégrer ou

non, les nouveaux éléments, venant renforcer ou simplement traduire une résistance au changement

dont nous avons souligné qu’elle peut se manifester. Dans le cas du changement imposé à la pensée

procédurale par l’article 2 C.p.c., nous avons vu que le changement est généralement reconnu et

même salué. L’implantation définitive prendra une quinzaine d’années. D’autres modifications plus

tardives, mais liées au développement des «principes directeurs», se font de manière moins

évidente, peut-être parce qu’elles sont perçues comme ayant un potentiel de bouleversement

moindre au moment de leur adoption par le législateur ou au moment où le tribunal les autorise par

interprétation ou autrement.

En effet, l’action des juges au cas par cas peut avoir aussi un effet sur la modification progressive

de la procédure civile. L’exercice des pouvoirs inhérents des tribunaux en offre une illustration.

Issus de la tradition britannique, ils permettent au tribunal qui les possède de rendre diverses

ordonnances non prévues par la loi, notamment afin de faire respecter l’intégrité du processus

judiciaire et de permettre le fonctionnement harmonieux de la cour907. En parallèle, le besoin que

peuvent avoir les justiciables de recourir à des procédures imprévues serait aussi comblé par ce

pouvoir quand les circonstances le permettent. Le Code de procédure civile de 1966 réitère

l’existence de ces pouvoirs. Il permet d’une part au tribunal d’autoriser l’utilisation d’une procédure

compatible avec les règles du Code si aucun moyen d’exercer un droit n’est prévu908, et il rappelle

d’autre part que les juges et les tribunaux ont tous les pouvoirs nécessaires pour exercer leur

compétence, y compris celui de rendre les ordonnances requises pour disposer des cas que la loi n’a

907 I. H. Jacob, supra note 22, p. 27-28. Par ailleurs, l’auteur rappelle que le contrôle sur la procédure est un des domaines

où ce pouvoir est employé, tant à propos du déroulement de l’instance que des abus et de la façon de faire respecter le

processus (p. 32). 908 Art. 20 C.p.c.

Page 217: L'évolution et la structuration des principes directeurs

207

pas prévus909. Depuis l’adoption de l’article 2 C.p.c., celui-ci est régulièrement cité en conjonction

avec les articles 20 et 46 C.p.c. pour disposer de ces cas. Les pouvoirs accordés aux juges par ces

articles sont théoriquement très larges. Les juges tendent dans un premier temps à définir les limites

de leur action, car ils perçoivent que le pouvoir qui leur est accordé n’est pas universel. Le droit du

justiciable doit exister au préalable, alors qu’aucune mesure «particulière, spécifique ou

appropriée»910 n’est prévue au Code «pour l’assurer ou le faire valoir»911, et le recours proposé doit

être compatible avec les règles inscrites au Code. Le pouvoir conféré à l’article 20 C.p.c. n’est pas

celui de créer un droit, mais une manière de faire respecter un droit existant912. La distinction est

subtile, mais essentielle, et elle rejoint l’ancienne jurisprudence sur ce point913. L’action de ces

articles dans ce contexte est supplétive aux dispositions du Code de procédure civile914. L’argument

de l’équité procédurale, même si celle-ci est souhaitable, n’est pas suffisant915 pour écarter

l’application des restrictions inhérentes à l’article 20 C.p.c. Si un recours existant peut être

approprié, il empêche l’utilisation du pouvoir du juge d’ordonner un recours selon l’article 20

C.p.c916.

Conservant toujours l’esprit d’une procédure civile codifiée, la rédaction comme l’application des

articles s’appuient sur l’idée que les règles de la procédure existent et doivent être suivies, et elles

déterminent la manière dont se déroule un procès917. Ainsi, nul ne peut demander à un juge qui ne

siège pas «au mérite» de se prononcer sur le fond918 du litige. Jusqu’ici, aucun principe directeur n’a

permis de contourner ce précepte, qui s’appuie sur la légitimité même du système procédural

québécois et du Code de procédure civile. Même dans le cadre d’une procédure assouplie, où les

tribunaux précisent qu’il convient «de faire preuve de moins de rigorisme dans l’administration des

règles de procédure»919, la conception civiliste du Code se maintient et conserve un ascendant non

négligeable sur la définition du système judiciaire et de son fonctionnement. Cependant, l’épreuve

909 Art. 46 C.p.c. Celui-ci se rapproche donc du contenu du pouvoir inhérent décrit dans le système britannique. 910 Cité dans Paquin c. Lefebvre-Paquin, [1978] C.S. 1182, 1187 (j. Melançon) : la citation initiale est attribuée au juge

McNicoll, dans Société financière du Québec Ltée c. Héritiers de Raymond Deschênes, rendue en 1978 à la Cour

supérieure de Roberval, cause qui semble inédite. 911 Id., à nouveau dans une citation extrait de la cause Société financière du Québec Ltée. 912 Entreprises Laroque inc. (Les), c. Bell Canada, [1990] R.D.J. 95, 97 (C.A.); Manoir de Belmont inc. c. Schokbéton

Québec inc., [1990] R.D.J. 277, 278 (C.A.) (j. Vallerand). 913 Voir par exemple Bouliane c. Janin et Cie Ltée, [1958] R.P. 46, 47 (C.S.) (j. Marquis); Paramount Film Service Ltd. c.

Payeur, [1961] R.P. 288, 293 (C.S.) (j. Blais). 914 Ravenco inc. c. Les entreprises Hankin Ltée, [1987] R.D.J. 80, 83 (C.A.) (j. LeBel). 915 Id., p. 82 (j. Crête). 916 Voir à titre d’exemple Aubin c. Morin, [1975] C.S. 185. Il en allait de même avant l’adoption du Code de 1966, voir

par exemple Zella c. Importadora Americana S.A., [1956] R.L. 251, 255 (C.S.) (j. Brossard). 917 Paquin c. Lefebvre-Paquin, [1978] C.S. 1182, 1187 (j. Melançon). 918 Ibid. 919 Conbec Development Ltd. c. Place Pointe-Claire Ltd., [1972] C.S. 471, 475 (j. Bisson). Cette idée est encore incluse

dans le raisonnement de la Cour d’appel dans Entreprises Laroque inc. (Les) c. Bell Canada, [1990] R.D.J. 95, 97 (C.A.),

par exemple.

Page 218: L'évolution et la structuration des principes directeurs

208

du temps et le changement progressif des mentalités induisent un peu plus de souplesse quant aux

paramètres d’utilisation de ce pouvoir. Dans les années 1990, les juges utilisent désormais un peu

plus leur pouvoir discrétionnaire d’autoriser l’exercice d’un recours innommé non prévu par le

Code. Par exemple, puisque le législateur n’a pas défendu l’examen de l’immeuble à l’article 402

C.p.c., les tribunaux en viennent à conclure qu’ils peuvent l’autoriser920. La retenue initiale des

tribunaux peut être expliquée par la perception de leur rôle. Celle-ci est conditionnée par la

compréhension que partagent généralement la communauté juridique et les magistrats, soit le

«principe que les tribunaux doivent appliquer et interpréter les lois et non en créer»921. À la même

époque, le pouvoir de rendre des ordonnances pour suppléer au silence de la loi922 est aussi examiné

par les tribunaux923, notamment la Cour d’appel. Symbole de l’importance de la réflexion sur le

sujet dans le dernier tiers du XXe siècle, la Cour suprême formule finalement, sous la plume du juge

LeBel, un enseignement qui fera école dans plusieurs domaines. Cet arrêt rappelle surtout la place

centrale que doivent prendre la philosophie de la codification et les effets de celle-ci dans

l’interprétation du Code :

[…] ces pouvoirs inhérents ou accessoires, que consacrent d’ailleurs les art. 20 et 46

C.p.c., n’accordent aux tribunaux qu’une fonction subsidiaire ou interstitielle dans la

définition du contenu de la procédure québécoise. La loi prime. Les tribunaux doivent

baser leurs décisions sur celle-ci. Sans nier l’importance de la jurisprudence, ce

système ne lui reconnaît pas le statut de source formelle du droit, malgré la légitimité

d’une interprétation créatrice et ouverte sur la recherche de l’intention du législateur

telle que l’expriment ou l’impliquent les textes de loi924.

Cette affirmation convie interprètes et usagers à un exercice d’équilibre entre souplesse de la

procédure civile et respect de la structure formelle qu’est le Code. Il insère ainsi le développement

et la compréhension de la philosophie de la procédure civile dans ce dialogue qui permet aux deux

membres de l’équation d’influencer son développement actuel et futur. Et ceci marque aussi une

orientation à donner à la reconnaissance du pouvoir des divers acteurs en matière judiciaire.

920 Construction Marzim inc. c. Cunningham, [1994] R.D.J. 238, 239 (C.A.) (j. Beauregard) : dans ce cas, la loi de 1994

est adoptée, mais elle n’est pas en vigueur. Dans Droit de la famille - 2722 ([1997] R.J.Q. 2197, 2198-2200 (C.S.) (j.

Senécal)), le juge rappelle qu’une jurisprudence ancienne avait considéré à la fois que l’article ne s’appliquait pas aux

immeubles et que le remède créé par les articles 2 et 20 du Code était inapplicable, mais que l’élargissement du texte par

la reformulation de l’article avait changé les choses. Voir aussi Després-Goudreault c. Fondations Étanches (BWN)

Canada inc. (Les), [1991] R.J.Q. 1360, 1364-1365 (C.S.). Des modifications de la rédaction de l’article en élargissent

l’application quelques années plus tard, voir Loi modifiant le Code de procédure civile, L.Q. 1994, c. 28, art. 24 pour le

texte modifié et Droit de la famille - 2722, [1997] R.J.Q. 2197, 2199-2200 (C.S.) (j. Senécal) pour des commentaires sur

cet élargissement. 921 Paramount Film Service Ltd. c. Payeur, [1961] R.P. 288, 293 (j. Blais); Conbec Development Ltd. c. Place Pointe-

Claire Ltd., [1972] C.S. 471, 475 (j. Bisson). 922 Voir à cet égard les articles 46 et 523 C.p.c. 923 Voir par exemple Commission des écoles catholiques de Verdun c. Constructions D. Leblanc inc., [1990] R.D.J. 288,

289-290 (j. Proulx) et, concernant les limites, Manoir de Belmont inc. c. Schokbéton Québec inc., [1990] R.D.J. 277, 278-

279 (j. Vallerand). 924 Lac d'Amiante Québec c. 2858-0702 Québec Inc., 2001 CSC 51, [2001] 2 R.C.S. 743, par. 37 (j. LeBel).

Page 219: L'évolution et la structuration des principes directeurs

209

Le pouvoir des juges peut permettre de faire certaines adaptations à l’interprétation des lois pour

accorder davantage leur application à la réalité moderne ou à une évolution des mentalités.

Cependant, le pouvoir du magistrat est limité dans ce contexte. Le rôle de juger présente des

exigences particulières et cela se vérifie durant toute la période d’étude. Ainsi, en 1977, un juge de

la Cour supérieure explique qu’il ne peut refuser l’application d’un recours existant dans le Code

pour des motifs sociaux et politiques925 et agir selon les pouvoirs inhérents de la Cour sans excéder

ce que lui permet de faire la fonction de juge. Comme le rappelle un des juges de la Cour d’appel,

même si le recours demandé semble inadéquat ou s’il répugne au juge de l’accorder, le pouvoir de

la Cour ne suffit pas pour le refuser tant que la loi le permet926. Les articles qui accordent des

pouvoirs larges, comme l’article 46 C.p.c., ne confèrent aucune «juridiction législative ou de

caractère social ou politique»927, selon un autre juge d’appel. Le rôle du juge dans ce contexte doit

s’exercer de manière beaucoup plus subtile.

Par l’interprétation des lois dans des cas particuliers, en tenant compte de l’ambiance

sociale, les Tribunaux ne sont pas étrangers à de nombreux amendements que le

législatif juge à propos de passer pour se conformer à cette interprétation, ou à des

suggestions constructives ou des mises en garde appropriées, contenues aux décisions

du judiciaire.

[…]

Nulle part ai-je vu dans les extraits d’articles et de décisions cités […] qu’un juge a le

pouvoir judiciaire ou social de mettre de côté un article de loi et de lui substituer une

façon différente de trancher la question928.

Il est donc important de jeter un bref regard sur la façon dont se traduit la fonction judiciaire entre

1966 et 2000. Ce rôle ne perdure pas d’une manière immuable, mais il connaît une transformation.

Jean Pineau929, étudiant les nouveaux pouvoirs confiés au juge dans le Code civil du Québec, relève,

par exemple, qu’avec l’adoption de ce Code révisé dans les années 1990, non seulement le juge

québécois est-il effectivement appelé à appliquer la loi, mais son appréciation et son interprétation

du droit sont de plus en plus mises à contribution et prennent une importance accrue dans la

définition du droit applicable. De manière générale, même le rôle traditionnel du juge qui est

d’entendre les parties et d’appliquer la loi est perçu de manière large et demande une intervention

925 Commonwealth Plywood Cie Ltée c. Conseil Central des Laurentides (C.S.N.), [1978] C.S. 563, 598-599 (j.

Greenberg). 926 C.T.C.U.M. c. Syndicat du transport de Montréal (C.S.N.), [1977] C.A. 476, 489 (j. Kaufman). 927 Id., p. 483-484 (j. Rinfret). 928 Id., p. 485-486 (j. Rinfret). 929 J. Pineau, «Les pouvoirs du juge et le nouveau Code civil du Québec», dans Nouveaux juges, nouveaux pouvoirs?

Mélanges en l’honneur de Roger Perrot, Paris, Dalloz, 1996, 363, 375-377.

Page 220: L'évolution et la structuration des principes directeurs

210

dans la cause prise de manière globale. Ce rôle fondamental du juge ayant subi une redéfinition,

qu’en est-il de ses rôles dans le cadre de la procédure civile qui, elle aussi, est en mutation?

Dès la révision de 1966, il a été implicitement question d’accorder davantage d’attention au

justiciable et à la «justice expéditive»930. L’ensemble du projet est rédigé en tenant compte de cette

considération. Les magistrats des époques antérieures étaient indubitablement au fait de leur rôle à

cet égard, mais ne l’exprimaient pas d’une manière aussi directe ou dans le cadre d’une redéfinition

de l’État québécois à la faveur de la création d’une structure gouvernementale moderne. Au

contraire, la décennie 1960 voit s’effectuer un tel changement. L’interventionnisme est à l’ordre du

jour, de nouveaux ministères sont organisés, la croissance de l’appareil étatique entraîne celle du

nombre de fonctionnaires, les modes de gestion changent931.

La situation trouve manifestement un écho dans la communauté juridique. En 1968, Gérard Trudel,

juge à la Cour provinciale, propose une réflexion sur le pouvoir judiciaire au Canada aux lecteurs de

la Revue du Barreau. D’emblée, il s’élève contre un discours convenu et récurrent sur le sujet,

déclarant qu’il n’est plus temps de s’illusionner en répétant des clichés932. Il revendique plutôt une

définition mesurée de la fonction judiciaire et des qualités requises pour l’exercer, tout en acceptant

que l’institution judiciaire doive être entourée d’un certain isolement et d’un décorum lié aux

besoins de son rôle et à son histoire. Cependant, il rappelle qu’en termes modernes, les juges

aspirent plutôt à ce que leur fonction soit reconnue comme «une forme de service public»933.

L’auteur se défend de tomber dans l’exagération littéraire des qualités des juges. En revanche, la

conception du «service public» telle qu’il l’exprime à cette occasion n’est pas exempte d’un certain

souffle lyrique où la noblesse de l’individu est moins considérée, mais celle qu’il attache à la tâche

accomplie demeure. Dépouillée de cette appréciation, la définition proposée offre un contexte à la

fonction judiciaire dans un environnement, celui du «service public» et de l’État. Or, nous avons

souligné que les juges travaillent dans la société et en lien avec celle-ci, en prêtant attention à son

évolution. Leur intégration dans le schéma social est donc essentielle à la compréhension de

l’exercice de leur rôle. Ce texte reprend l’image d’un juge qui applique la loi, tranche les litiges,

tout en appartenant à la société qu’il contribue à faire fonctionner, en y occupant une place bien

définie. Cette insistance mise sur le service public rendu par les juges est une représentation qui

s’impose de plus en plus à l’endroit de la conception de la fonction judiciaire et qui contribue à

930 Rapport préliminaire des commissaires à la révision du Code de procédure civile, 1962, Projet A, supra note supra

note 250, p. 1. 931 P.-A. Linteau, R. Durocher, J.-C. Robert et F. Ricard, Le Québec depuis 1930, Montréal, Boréal, 1986, p. 625-634. 932 G. Trudel, «Le pouvoir judiciaire au Canada», (1968) 28 R. du B. 193, 197. 933 Id., p. 197-198.

Page 221: L'évolution et la structuration des principes directeurs

211

définir ses limites934. L’idée de service public renforce, par exemple, le rôle de gestionnaire du juge,

car il lui appartient de participer à l’utilisation rationnelle et juste des ressources judiciaires935. Ceci

participe à façonner à la fois son rôle de protecteur des droits des parties, ainsi que son rôle

d’auditeur et de décideur. L’enracinement de cette réalité dans la compréhension de la fonction

judiciaire est déterminant lors de la révision la plus récente de la procédure civile. Le document du

comité chargé de la révision de la procédure civile en 2001 propose d’ailleurs une relative

réorientation de la conception de la procédure civile en mettant davantage l’accent sur son aspect de

«service public»936. Il s’agit de toute évidence d’une thématique récurrente dans le cadre de la

définition de la fonction judiciaire à la fin du XXe siècle.

Quant aux pouvoirs du juge en eux-mêmes, le professeur Marceau considère dès le début de la

période qu’ils subissent un accroissement, opinion que nos observations ont aussi validée au

moment de l’adoption du Code et dans les décennies suivantes. Mais le critique contemporain de la

révision de 1966 va plus loin. «On a presque l’impression qu’on a voulu introduire le concept du

juge-providence. L’arbitre d’autrefois s’humanise : il ne descend pas dans l’arène, mais il est très

loin du spectateur impassible qui aurait pour seule mission de compter les coups que se portent les

adversaires sans avoir les moyens de les aider, même au nom de la justice»937, assure-t-il au terme

d’une recension de certains de ces nouveaux pouvoirs. Ainsi, sa perception du rôle du juge peut être

analysée comme témoignant d’une dualité de conception, ce qui peut traduire sa sensibilité aux

signes d’un changement de la fonction judiciaire dans une perspective historique. D’ailleurs, un

contemporain traduit une sensibilité similaire, mais comprise autrement, en s’inquiétant des

conséquences problématiques que pourrait entraîner la participation du juge à la conférence

préparatoire938. En ceci, et comme les exemples mentionnés dans cette section permettent aussi de

l’illustrer pour les années subséquentes, il est possible de reconnaître beaucoup de traits qui

caractérisent le juge «herculéen» selon la définition de François Ost939. Le juge est ainsi, comme le

934 Il serait malaisé de prétendre que la fonction judiciaire ne reposait pas sur une idée de «service» auparavant, alors que

le discours sur le sujet est implicite et sensible dans les sections antérieures. Cependant, la description du type de service,

comme la notion «administrative» qui peut sembler s’y joindre parfois, y apparaît élaborée autrement. Cette idée aussi

redite plus fréquemment et plus concrètement dans le discours de la période étudiée actuellement. 935 Il faut comprendre que cette gestion peut même recouvrir plusieurs réalités. Comme dans plusieurs autres provinces

canadiennes, les juges sont appelés à prendre en charge ce qui est parfois présenté comme le «case-flow management»,

c’est-à-dire d’assurer la gestion de l’ensemble des causes introduites dans le système judiciaire en plus de la gestion de ces

causes au jour le jour. Pour illustrer l’intérêt porté à la question du «case-flow management» ou de ses adaptations, voir

par exemple M. Légaré, «La gestion des dossiers» dans Cour supérieure du Québec, Quo Vadis : Les Actes du Comité

d’orientation de la Cour supérieure du Québec, supra note 2508, p. 149-159. 936 Comité de révision de la procédure civile, Une nouvelle culture judiciaire, supra note 7, p. 31. 937 Id., p. 374. 938 A.M. Watt, «Articles 382 à 447», supra note 753, p. 52-54. Le fait que cette intervention fasse sortir le juge de son rôle

traditionnel et puisse modifier l’équilibre entre le contrôle de leur dossier par les parties et la mesure de contrôle alors

reconnue au juge sur l’instance a sans doute influencé ce questionnement. 939 F. Ost, «Jupiter, Hercule, Hermès : trois modèles de juge», supra note 60, p. 40-43.

Page 222: L'évolution et la structuration des principes directeurs

212

voulait le Code, plus tourné vers le justiciable et l’évolution du procès que vers la seule décision.

Sans perdre sa neutralité, il se rapproche du débat pour le suivre avec attention. Les lois

reconnaissent même qu’un rôle de médiateur lui est confié, par exemple en matières familiales. Le

juge est, de plus en plus, l’individu aux tâches multiples qui se trouve présent aux diverses étapes de

l’instance940 et s’y implique. Il est le juge qui tranche, certes, mais aussi celui qui conseille,

prévient, adapte ses décisions aux besoins941… Sans que le modèle exprimé par le texte de François

Ost soit parfaitement similaire à celui que nous pouvons constituer par nos observations, il est

évident que les exigences du Code font évoluer le système judiciaire en élargissant la fonction

judiciaire et en rapprochant le magistrat de l’action. Si des caractéristiques jupitériennes, comme

l’importance de la loi, persistent, elles sont sensiblement moins représentées par rapport à la

précédente période.

Cependant, et ceci rapproche peut-être la situation que François Ost décrit à propos du juge modelé

sur le dieu Hermès, les relations entre les lois et entre celles-ci et les interprètes sont de plus en plus

imbriquées. Après l’adoption du Code de 1966, des modifications de son interprétation et de sa

perception continuent de se manifester, montrant que la réflexion sur l’esprit et la nature de la

procédure civile se poursuit et peut difficilement se dissocier d’avec l’idée de la modification de la

fonction judiciaire, à tout le moins dans sa définition. En 1983, par exemple, lors des modifications

sur le régime de l’injonction en Cour supérieure, plusieurs mesures sont prises pour rendre ce

moyen d’action plus rapide et moins coûteux942. Lors de sa présentation, d’ailleurs, le projet de loi

prévoyant ces changements est décrit comme devant réduire les délais d’audition943, parmi d’autres

objectifs944. Dans le cadre du nouveau régime s’appuyant sur les affidavits, il est encore permis aux

parties de présenter une preuve orale945, mais d’autres mesures se greffent à celles-ci946. Par

exemple, lors de l’audition d’une demande d’injonction interlocutoire, le tribunal peut «prendre

940 Voir P.-C. Lafond, Le recours collectif, le rôle du juge et sa conception de la justice, supra note 4, p. 40. 941 Id., p. 41. 942 Considérer notamment l’art. 754.1 C.p.c. Nous avons déjà évoqué ces mesures devant réduire les délais d’audition,

notamment la preuve par affidavit détaillé. Voir à cet égard, Québec, Assemblée nationale, Journal des débats, 32e lég., 4e

sess., vol. 27, no. 36 (13 juin 1983), p. 2214-2215 (M. Bédard). 943 Québec, Assemblée nationale, Journal des Débats, 32e lég., 4e sess., vol. 27, no. 27 (31 mai 1983), p. 1528 (M.

Bédard). 944 Il modifie également, entre autres, les dispositions générales relatives à certains recours exceptionnels (art. 834, 834.1,

835, 835.1, 835.2, 835.3, 835.4 et 835.5 C.p.c.) : dans le cadre de ceux-ci, il est également question de requête (art. 834 et

835 C.p.c.), de production rapide de documents (835.2 C.p.c.), de preuve par affidavit (835.3 C.p.c.), de mesures pour

assurer une audition rapide et protéger les droits des parties (834.1, 834.2 et 835.5 C.p.c.) et de contestation orale (835.6

C.p.c.), ce qui montre une cohérence avec les modifications à l’injonction. Loi modifiant le Code de procédure civile, le

Code civil et d’autres dispositions législatives, L.Q. 1983, c. 28, art. 31 et 32. 945 Art. 754.2 al. 2. Voir à cet égard la Loi modifiant le Code de procédure civile, le Code civil et d’autres dispositions

législatives, L.Q. 1983, c. 28, art. 30, qui introduit cet article dans le C.p.c. 946 Parmi celles-ci, des obligations de signification des affidavits et des autres documents invoqués (754.1 C.p.c.), par

exemple. Québec, Assemblée nationale, Journal des débats, 32e lég., 4e sess., vol. 27, no. 36 (13 juin 1983), p. 2215 (M.

Bédard).

Page 223: L'évolution et la structuration des principes directeurs

213

toutes les mesures susceptibles d’en accélérer le déroulement et de limiter la preuve si elles ne

portent pas préjudice à une partie»947. Le juge se voit ainsi confirmer qu’il détient un contrôle réel

sur le déroulement de l’instance, dans le cadre d’une mesure provisionnelle qui doit nécessairement

rester simple et rapide pour avoir une réelle portée948. Le juge est aussi présenté comme un des

acteurs responsables d’éviter qu’une partie subisse un préjudice, c’est-à-dire qu’elle ne puisse

présenter adéquatement ses arguments pour obtenir une décision juste. Le rôle de protection du

juge, qu’il exerce depuis longtemps, est ainsi renforcé. Témoignant des mêmes valeurs, le tribunal

se voit aussi confier le pouvoir, d’office ou sur demande, d’«ordonner aux parties de lier

contestation sur l’action principale dans un délai imparti et fixer la date de l’instruction»949. Dans

l’ensemble, le discours affirme donc le respect du principe du contradictoire, tempéré par la

reconnaissance des valeurs qui forment aujourd’hui le principe de la proportionnalité. En effet,

l’obligation d’assurer une audition complète des parties n’est pas une invitation à oublier la

proportionnalité du temps et celle des coûts dans le choix des moyens pris pour que la preuve soit

entièrement présentée. Le rôle de plus en plus actif du juge, notamment en matière de supervision

du déroulement de la procédure avec la montée des préoccupations quant à la valeur qu’est

l’économie, par exemple l’économie des ressources judiciaires et des ressources des parties. Cela

rejoint, conceptuellement, des principes directeurs à divers stades de leur développement.

La rédaction du Code avait pour but, entre autres, de faire disparaître toute ambiguïté quant à

l’interprétation de la relation entre droit substantif et droit procédural. Le législateur reconnaît

explicitement la prééminence du fond sur la forme dans le cadre de l’article 2 du Code. Mais une

telle affirmation ne suffit pas à faire disparaître toutes les complexités de la situation. Le rôle de la

procédure reste important et même parfois prééminent. De plus, la séparation entre droit substantif

et droit procédural ne s’explique pas par les seules limites du Code. Ainsi, en 1973, la Cour

suprême indique qu’elle ne peut accepter un raisonnement «qui implique une décision a priori que

le contenu du Code de procédure ne touche nulle part le fond du droit alors que l'on sait

pertinemment que, malgré son titre, ce code renferme de nombreux textes touchant la substance du

droit»950. Par ailleurs, le droit substantif auquel se réfère le Code est nécessairement lié aux sujets

947 Art. 754.3 C.p.c. 948 En Commission permanente de la justice, cet article est présenté avec la simple explication qu’il «donne au tribunal la

latitude nécessaire pour maintenir le déroulement rapide du procès» et il est adopté sans discussion. Québec, Assemblée

nationale, Commission permanente de la justice, «Étude des projets de loi 26, 274, 206 et 221», Journal des Débats,

Commissions parlementaires, 32e lég., 4e sess., vol. 27, n° 107 (14 juin 1983), p. B-5767. 949 Art. 752.1 C.p.c. 950 Royal Victoria Hospital c. Morrow, [1974] R.C.S. 501, 505-506 (j. Pigeon). Cette décision traite notamment de ouï-

dire, donc d’une difficulté en matière de preuve.

Page 224: L'évolution et la structuration des principes directeurs

214

régis par celui-ci951, mais son existence est reconnue et considérée. Ainsi, la réflexion sur la nature

du Code évolue. Dans l’ensemble, le contenu comme l’esprit du Code de procédure civile traverse

une période d’affirmation et de mutation dans les dernières décennies du XXe siècle. Il est

inévitable que la fonction judiciaire et les rôles des autres acteurs, y compris les parties, se

modifient. Et nous avons vu que magistrats et justiciables s’impliquent un peu plus dans l’évolution

des litiges et des différends. Sans confier au juge le rôle d’Hermès, être d’échanges et de dialogue,

spécialiste de la multiplicité des normes comme des acteurs et des niveaux de pouvoirs952, les trois

dernières décennies du XXe siècle voient la mise en place de plusieurs situations qui peuvent

préfigurer son avènement.

De la même façon, la modification de la compréhension de la procédure civile, qui s’est établie de

manière ponctuelle dans le Code de 1966 a démontré que le système judiciaire et ses auxiliaires sont

capables d’adaptation. De nouvelles méthodes sont développées par les avocats et les juges,

notamment, à partir de 1966. L’exercice du pouvoir des juges vient soutenir les mesures élaborées à

travers le Code. En contrepartie, ce pouvoir est accru, puisque les décisions individuelles de gestion,

notamment, pour être plus personnalisées, sont prises en référence au Code, mais sont aussi et

progressivement déléguées, dans une certaine mesure, à l’interprète qu’est le magistrat. Parfois, ces

nouveaux moyens de procéder se sont développés en filigrane de changements plus importants de la

loi ou de son application pratique. L’adoption d’innovations procédurales a aussi préparé la voie de

la réforme du début du XXIe siècle, en amplifiant les traits nouveaux imposés par le Code dès 1966

et en démontrant également que ceux-ci n’avaient pas suffi à régler les problèmes identifiés

initialement en matière de délais et de coûts, notamment. En ce sens, la critique du système

judiciaire est révélatrice, particulièrement celle qui est formulée en 2001.

3.2. La critique de la procédure civile jusqu’en 2001 : mise en perspective

Au Québec comme ailleurs, l’évolution de la procédure civile à partir de 1966 suscite des critiques.

Les constats concernant les carences et les lacunes de la procédure civile existent tout au long de la

période de référence. Les mesures prises ou envisagées pour remédier à ces situations sont

nombreuses et diversifiées.

951 C’est le cas, par exemple, de l’article 55 C.p.c., en matière d’«intérêt suffisant» pour agir, une question reconnue pour

appartenir au droit substantif. Voir à ce sujet les remarques sur la référence à cet intérêt : Jeunes canadiens pour une

civilisation chrétienne c. Fondation du Théâtre du Nouveau-Monde, [1979] C.A. 491, 493 (j. Bernier). 952 F. Ost, «Jupiter, Hercule, Hermès : trois modèles de juge», supra note 60, p. 48-49.

Page 225: L'évolution et la structuration des principes directeurs

215

À titre comparatif, l’étude de 1996 effectuée par l’Association du Barreau canadien pour l’ensemble

du Canada propose un document de discussion sur la question de la nécessité de moderniser la

justice civile953 dans l’ensemble du Canada. Comme nous l’avons mentionné, ce texte accorde une

grande importance aux questions du temps, des coûts et de la complexité du système, ce qui traduit

la préoccupation des avocats comme des magistrats et des justiciables consultés pour cette réalité.

La procédure civile canadienne y est décrite comme généralement complexe et susceptible de

générer des retards importants dans le déroulement des instances. Les tentatives d’explications

proposées font état de la nature de ses règles et de la façon dont elles sont appliquées par les avocats

et les juges. Parmi les facteurs de ralentissement identifiés954 s’inscrivent l’influence des parties ou

de leurs avocats pouvant ralentir la progression de l’instance, le non-respect endémique des délais,

le temps consacré à des digressions dans les interrogatoires, la multiplication des experts, la lenteur

de l’obtention du jugement, etc. Ce discours peut rappeler celui qui a prévalu en Grande-Bretagne,

par exemple, avant la réforme de Lord Woolf.

Le rapport de l’Association du Barreau canadien a également noté la difficulté d’opérer un

changement à l’égard du fonctionnement du système. Selon ses auteurs, elle serait basée notamment

sur une conception «traditionaliste» du système judiciaire et du rôle de ses acteurs, et une tendance

au statu quo955. Le texte du rapport semble indiquer que ces attitudes proviennent d’idées si

profondément ancrées dans la représentation collective que se font les acteurs de l’époque de ces

aspects qu’elles influencent la possibilité pour les juges de «prendre une part plus active dans le

contrôle de l’évolution de l’aspect administratif des causes et dans les diverses techniques de

règlement amiable, comme les conférences de règlement à l’amiable»956. De plus, ils constatent le

lien entre ces attitudes et une conception du rôle du juge limitant celui-ci uniquement à juger957. En

considérant que les magistrats seraient déjà en sous-nombre, l’emploi de leur temps à la présidence

de conférence de règlement à l’amiable ou de conférence de gestion des causes réduirait les

ressources disponibles pour l’audition des causes dans l’esprit des tenants de cette conception958. Au

surplus, les constats relevés dans ce texte peuvent être analysés avec les outils relatifs à l’étude du

953 Association du Barreau canadien : Association du Barreau canadien, Groupe de travail national sur les systèmes de

justice civile, Rapport du Groupe de travail sur les systèmes de justice civile, Ottawa, L’Association du Barreau canadien,

1996, p. iv et 3 [ci-après A.B.C., Rapport du Groupe de travail sur les systèmes de justice civile]. Il s’agit d’une enquête

sur la situation, accompagnée de suggestions pour la modernisation du système judiciaire. 954 Id., p. 13-14, où il est précisé que les retards «ont pour corollaire le coût élevé des procédures». 955 Id., p. 19. 956 Id., p. 20. 957 Ibid. 958 Ibid.

Page 226: L'évolution et la structuration des principes directeurs

216

changement culturel959. En termes comparatifs, ils évoquent des réactions qui peuvent être

classifiées comme de l’intégration progressive ou de la résistance éventuelle devant certains

phénomènes, par exemple l’adoption d’une nouvelle exigence ou d’un nouveau moyen

procédural960, etc.

La modification procédurale peut donc être examinée et présentée comme un véritable changement

culturel pour les membres de la communauté juridique. Leur «culture» est à la fois heurtée et

enrichie par des modifications imposées par les tribunaux et le législateur. Celles-ci sont parfois

empruntées à une autre culture judiciaire identifiable, de plus en plus souvent dans une optique de

règlement de problèmes similaires plutôt que par un sentiment d’attachement ou de «parenté» à un

droit qui aurait été l’un des ancêtres du droit québécois. Cet argument se déplace et est plutôt

présent en matière de «réception» de la règle, que la connexité de deux droits peut faciliter. Par

ailleurs, ces règles sont parfois inspirées par une redéfinition de l’approche en matière de procédure.

Les remarques proposées dans le cadre de tels textes montrent bien que la conception de la

procédure civile et celle de la fonction judiciaire sont non seulement liées, mais que notre capacité

d’appréhender le système judiciaire et son évolution en sont tributaires. En effet, les avenues de

solutions retenues parce que perçues comme acceptables dépendent souvent de la représentation de

l’institution à améliorer dans la société en général.

Au Québec plus spécifiquement, l’insatisfaction est exprimée autant par les organismes que par les

utilisateurs du système, qu’ils soient avocats, parties, etc. Des statistiques sur l’utilisation des

tribunaux semblent indiquer, de manière générale, une diminution du nombre de dossiers ouverts,

notamment à la Cour supérieure, dans les dernières décennies du XXe siècle et au début du XXIe

siècle961. Cependant, des études soulignent aussi que les causes sont plus longues et plus complexes

et que le nombre d’heures d’audience par juge est relativement stable962. Selon les études, la

diminution du nombre de dossiers ouverts peut être due à une coïncidence de plusieurs facteurs963

dont certains sont perçus positivement, comme le gain en popularité de méthodes de prévention et

de résolution des différends qui permettent le règlement du conflit avant d’en arriver au stade d’une

959 Pour une discussion de ces traits dans une optique générale et scientifique, voir par exemple N. Séguin, supra note 109,

p. 215-216; A. Brami, supra note 110, p. 57-60; R. Bastide, supra note supra note 624, p. 53-55 et 59-61. 960 Nous avons remarqué l’existence de telles réactions par exemple face à l’implantation de la nouvelle philosophie issue

de l’article 2 C.p.c. (1966), puisque la Cour suprême a dû intervenir pour définir sa pleine application. 961 Comité de révision de la procédure civile, Une nouvelle culture judiciaire, supra note 7, p. 10; P.-C. Lafond, L’accès à

la justice civile au Québec : Portrait général, supra note 839, p. 38-39. 962 C. Coulombe, «Portrait statistique de l’activité judiciaire en matières civiles à la Cour supérieure et à la Cour du

Québec», dans A. Riendeau, Dire le droit : pour qui et à quel prix?, Montréal, Wilson & Lafleur, 2005, p. 85. 963 Voir à ce sujet, Comité de révision de la procédure civile, Une nouvelle culture judiciaire, supra note 7, p. 10-11; P.-C.

Lafond, L’accès à la justice civile au Québec : Portrait général, supra note 839, p. 45-72.

Page 227: L'évolution et la structuration des principes directeurs

217

demande en justice964. Quant à l’allongement et à la nature plus complexe des causes, il faut se

garder de juger la procédure civile seule responsable de cet état de fait. La nature des causes et des

demandes joue un rôle aussi déterminant dans la durée et la complexité de l’audience que la

manière dont ces dossiers sont présentés. En effet, de telles statistiques peuvent être influencées par

divers facteurs. Le type de demande évolue avec le temps, les besoins des justiciables changent

autant que leur manière de gérer les conflits qui pourraient être judiciarisés et divers facteurs

sociaux non répertoriés dans la thèse agissent également sur la situation. Toutefois, malgré

l’intention d’alléger et d’accélérer la procédure civile, comme celle qui est exprimée dans la

préparation du Code de 1966, ces constats illustrent que cette aspiration ne se traduit pas ou ne se

maintient pas toujours dans l’expérience vécue des justiciables.

Par ailleurs, une critique importante du système de justice de la fin du XXe siècle porte sur les coûts

associés à la justice965, à l’instar des critiques formulées en Grande-Bretagne ou ailleurs au Canada

entre autres. Le rapport de l’Association du Barreau canadien met l’accent sur un nombre important

de difficultés, dont plusieurs ont une incidence tant sur la durée que sur le coût des procès, le second

découlant parfois en partie de la première. Il y est cependant précisé que «[l’]interrogatoire

préalable est la cible du fort mécontentement dans le cadre de la procédure actuelle. On considère

qu’il s’agit d’un exercice onéreux et parfois inutile. Les réformes, par conséquent, devraient

favoriser une utilisation efficace et opportune de l’enquête préalable. Cela signifie qu’il faut

procéder à une réduction majeure de sa portée. Il faut donc que tous les ressorts envisagent des

moyens de limiter l’enquête préalable»966. Le recours accru à l’expertise est aussi relevé comme un

sujet causant des ralentissements et une augmentation des coûts, et cela s’applique tant à

l’accroissement du recours à l’expertise en général qu’à l’augmentation du nombre d’instances où

les parties se prévalent d’expertises multiples967, de même que les appels des décisions

interlocutoires qui émaillent le déroulement des instances968, entre autres.

Dans l’ensemble, ces critiques émises concernant la justice canadienne s’appliquent aussi dans le

cadre de la procédure civile québécoise. Les interrogatoires préalables sont également perçus

comme donnant ouverture à un ralentissement et à une augmentation des coûts d’une instance

lorsque les parties abusent de la procédure et propose de contrôler davantage ces possibilités

d’abus969. De la même façon, le comité désigne l’expertise comme une partie de la procédure qui

964 P.-C. Lafond, L’accès à la justice civile au Québec : Portrait général, supra note supra note 839, p. 45. 965 Comité de révision de la procédure civile, Une nouvelle culture judiciaire, supra note 7, p. 11-13. 966 A.B.C., Rapport du Groupe de travail sur les systèmes de justice civile, supra note 953, p. 49-50. 967 Id., p. 50. 968 Id., p. 51. 969 Comité de révision de la procédure civile, Une nouvelle culture judiciaire, supra note 7, p. 142-143.

Page 228: L'évolution et la structuration des principes directeurs

218

pèse sur les coûts du procès civil970, ce que confirment d’autres études. Elles identifient ainsi

plusieurs difficultés : l’obligation de demander certaines permissions même en cas d’entente entre

les parties en matière d’incidents971, par exemple, la complexité des procédures introductives et de

leurs règles972, les difficultés de respecter les délais973, etc.

Il faut souligner que la perception contemporaine des coûts importants encourus par l’utilisation

faite de quelques moyens procéduraux se reflète aussi dans le discours des tribunaux. Cette réalité

pratique est d’autant plus répandue, mais complexe à définir, qu’elle est multiforme. À titre

d’illustration, en 1999, deux requêtes, l’une en amendement et l’autre en scission de l’instance, sont

présentées à la Cour supérieure de Montréal. L’évaluation de la scission d’instance par le magistrat

fournit une explication rejoignant notre démonstration. La requête s’appuie sur un article974 adopté

en 1997 et qui permet de scinder l’instance exceptionnellement, et invoque la complexité de la

preuve. Or, comme l’indique le juge, la preuve est prévue pour huit jours au total, ce que le juge

considère comme une durée raisonnable, mais implique la présence de treize experts. Le magistrat

souligne à plus d’une reprise l’importance des coûts engendrés par la présence d’autant d’experts975.

Il doit décider si la scission de l’instance sera plus avantageuse, étant donné son but de réduire les

coûts, ou si le risque de devoir présenter en double une partie de cette preuve déjà onéreuse occulte

ses autres avantages976. Il rappelle également que ce nombre sera peut-être réduit en conférence

préparatoire, selon les règles de pratique977. Sans qu’il se prononce sur la pertinence d’une expertise

aussi considérable dans le cas actuel, le rappel de l’existence de cette règle laisse entendre qu’il y a

peut-être matière à réfléchir sur de tels choix en général et, sans aller jusqu’à la critique, montre à

tout le moins la conscience que peuvent développer les juges de l’existence de possibilités

d’amélioration de la procédure civile, voire du système judiciaire.

Outre la scission d’instance, les années 1990 ont aussi vu d’autres stratégies être adoptées dans le

but de réduire les coûts de l’instance et témoignant d’une perception généralisée que les façons de

faire prévues par le Code ou que son interprétation pouvait valider n’étaient pas toujours idéalement

faites pour restreindre les délais et les coûts du procès civil. À titre d’exemple, en 1993, l’appel de

plein droit concernant une requête en annulation de la saisie avant jugement a été aboli et remplacé

par un appel sur permission. Un juge de la Cour d’appel caractérise ce changement en ces termes :

970 Id., p. 150. 971 Id., p. 124. 972 Id., p. 109-114. 973 Id., p. 34. 974 Art. 273 .1 C.p.c. 975 Stroud c. Canadien Pacifique ltée, 1999 CanLII 11902 (QC CS), par. 17-29 (j. Chaput). 976 Id., par. 27-29. 977 Id., par. 26.

Page 229: L'évolution et la structuration des principes directeurs

219

Au nombre des incitations qui ont conduit à cette intervention, on compte notamment

les multiples abus auxquels se sont livrés les plaideurs à la recherche d’un avantage

stratégique dans leur procès. Les débats sur ce type d’incident avaient en effet pour

conséquence l’allongement indu des délais pour l’obtention d’un jugement au fond de

même qu’une augmentation importante des coûts reliés à la poursuite des débats sur un

accessoire. Prévue à l’origine pour protéger l’équilibre entre les parties, cette

procédure devenait elle-même source de déséquilibre en raison de la pugnacité des

plaideurs désireux d’en découdre avec l’adversaire978.

Il ne fait pas de doute, en considérant ce discours, que la connaissance de l’existence de lacunes du

Code est partagée et qu’il y a même eu des tentatives de les amoindrir. Les remarques ci-dessus

traduisent aussi une autre réalité. Le magistrat souligne que l’article du Code, prévu pour protéger

une valeur, a été utilisé pour transgresser cette même valeur. Ceci pourrait être interprété comme

démontrant que la structure du Code et même son esprit ne suffisent pas toujours à protéger les buts

et les valeurs qu’ils avaient la vocation de transmettre au moment de leur développement ou de leur

adoption. En effet, l’usage qui en est fait peut infléchir le fonctionnement de la procédure civile

dans des directions différentes, sans nécessairement s’opposer à la lettre des articles du Code. En

filigrane des propos du juge, il serait peut-être bon de lire une mise en garde applicable beaucoup

plus largement au texte de la loi principale et de celles qui la modifient. Les moyens procéduraux,

notamment, peuvent être adoptés dans l’optique de promouvoir un but, de protéger ou d’intégrer

diverses valeurs dans le cadre de leur application. Cependant, invoquer ou appliquer le moyen en

question n’équivaut pas systématiquement à obtenir la garantie de respecter ce but ou cette valeur.

Ces moyens procéduraux ne peuvent pas être confondus avec le but ou la valeur qui les anime. Cela

fait aussi partie de l’usage critique de la procédure civile.

En 1996, pour répondre à la perception de l’excès des délais procéduraux le législateur introduit au

Code une procédure dite allégée, qui doit théoriquement accélérer le traitement de certaines

demandes979, notamment les causes dont la valeur en litige est inférieure à 50 000$980. Lors de

l’adoption du principe du projet de loi, le ministre de la Justice de l’époque expose les lacunes de la

978 Montour c. Gagnon, 2001 CanLII 14352 (QC CA), par. 1 (j. Pelletier). 979 Voir à ce sujet : Loi modifiant le Code de procédure civile, la loi sur la Régie du logement, la loi sur les jurés et

d’autres dispositions législatives, L.Q. 1996, c. 5, art. 40. Cette loi entre en vigueur au 1er janvier 1997. Voir l’explication

dans : Comité de révision de la procédure civile, Une nouvelle culture judiciaire, supra note 7, p. 108-109. Notons qu’il

s’agit d’un projet de loi dont le principe est adopté unanimement par les partis en chambre, malgré certaines

préoccupations de l’opposition sur la proposition, qui présagent des discussions. Voir le discours du critique en matière de

justice à cette occasion : Québec, Assemblée nationale, Journal des débats, 35e législature, 2e session, vol. 35, no. 16 (2

mai 1996), p. 635, 636-637 (M. Mulcair). 980 Parfois désignée communément sous l’appellation anglaise de «fast track», cette façon de faire est connue de

nombreuses juridictions, en Grande-Bretagne, par exemple. Lord Woolf, supra note 884, p. 24, 27, 98-99. Au Québec,

elle est régie et expliquée par les articles 481.1 à 481.17 C.p.c. Ceux-ci ont été introduits au Code en 1997 : Loi modifiant

le Code de procédure civile, la loi sur la Régie du logement, la loi sur les jurés et d’autres dispositions législatives, L.Q.

1996, c. 5, art. 40.

Page 230: L'évolution et la structuration des principes directeurs

220

situation en matière de délais et de frais judiciaires dans ce contexte981, une situation qui, malgré le

travail des tribunaux, est encore peu enviable982 et constitue selon lui un frein à l’accessibilité à la

justice. Il assure entre autres que les juges ont réussi à réduire les délais entre l’émission du

certificat d’état de cause et l’audition, mais que les délais conservent tout de même leur importance.

Pour établir ces mesures, le ministre de la Justice fait par exemple référence au livre consacré à des

procédures spécifiquement relatives aux personnes et aux biens983, qui institue la procédure par

requête dont il souhaite élargir l’utilisation. De même, il rappelle que l’article 766 (1°) C.p.c.

prévoit notamment l’intervention du tribunal pour décider des moyens propres à simplifier la

procédure et à abréger l’audition984, et soutient que son application sera un peu élargie. D’autres

modifications dont l’intérêt est minime dans notre analyse sont aussi prévues. La principale

innovation de ce projet de loi à propos des délais repose sur le temps alloué aux parties pour

effectuer les étapes qui précèdent l’instruction985. L’article 481.11 C.p.c. précise que l’inscription

pour enquête et audition doit être faite au plus tard 180 jours après la signification de la déclaration

introductive d’instance et de l’avis. Il s’agit d’une mesure ponctuelle, mais elle traduit efficacement

les préoccupations de l’époque en matière de célérité et d’efficacité.

Dans l’ensemble, le discours sur le Code et surtout la critique de la procédure civile dans les trois

dernières décennies du XXe siècle, particulièrement dans les années 1990, laisse entrevoir que la

réforme proposée en 1966 a eu des effets qu’il est impossible de nier. Elle a inauguré une façon de

penser l’approche procédurale, en rejetant le formalisme indu, pour tenter de se rapprocher du

justiciable, qui repose sur diverses conceptions de souplesse, de service public, d’une recherche

d’efficacité liée à une économie du temps et des coûts. Elle reste donc attachée à une approche

basée sur la modification systémique pour améliorer le fonctionnement d’une structure existante,

pensée qui maintient la réflexion sur la procédure civile dans la mouvance d’une perspective

principalement institutionnelle. Malgré la modification de la définition de l’application du droit

codifié, nous avons vu que la pensée civiliste liée à la codification continue de caractériser la

philosophie procédurale québécoise. Plusieurs commentateurs, pour différentes raisons, décrivent

981 Québec, Assemblée nationale, Journal des débats, 35e lég., 2e sess., vol. 35, no. 16 (2 mai 1996), p. 633 (M. Bégin). Il

précise que «le nombre d'actes procéduraux possibles et les coûts que ceux-ci entraînent de même que la longueur des

délais actuels du déroulement de la procédure ordinaire en première instance, c'est-à-dire entre la signification de la

première procédure et le moment où la cause est en état, équivalent parfois à un déni de justice» (sic). 982 Il fait état des chiffres suivants, sans préciser de quelle Cour il s’agit : diminution de 91 à 14 mois sur les procès de

longue durée, de 50 à 8 mois dans les procès de 2 jours, de 26 à 4 mois pour les procès d’un jour en matières civiles, de 22

à 6 mois pour les procès en matières familiales et de 4 mois à 3 semaines dans les causes de pratique familiale. Québec,

Assemblée nationale, Journal des débats, 35e lég., 2e sess., vol. 35, no. 16 (2 mai 1996), p. 633 (M. Bégin). 983 Ce livre correspond aux articles 762 à 773 du C.p.c. 984 Art. 766 (1°) C.p.c. Québec, Assemblée nationale, Journal des débats, 35e lég., 2e sess., vol. 35, no. 16 (2 mai 1996),

p. 634 (M. Bégin). 985 Loi modifiant le Code de procédure civile, la loi sur la Régie du logement, la loi sur les jurés et d’autres dispositions

législatives, L.Q. 1996, c. 5, art. 40.

Page 231: L'évolution et la structuration des principes directeurs

221

un changement qui s’établit tout en respectant certains liens intellectuels avec les concepts et les

principes d’une époque antérieure. Ceci peut être à la fois une réalité et une perception, et a

contribué à l’implantation de plusieurs traits de la réforme de 1966. Pourtant, la question peut être

soulevée : cela a-t-il entravé aussi l’application de la réforme, qui aurait donné d’autres résultats si

elle avait été orientée autrement ou plus radicalement? Il n’y a pas de réponse définitive à une telle

question, car la rupture en matière culturelle comporte aussi des pièges et peut également entraver

l’atteinte des buts définis. En réalité, la réforme de 1966 est en grande partie celle d’une

philosophie et d’une méthode liée à un changement de paradigme dans la perception du Code et de

son usage. En ce sens, elle est à terme couronnée de succès. Cette nouvelle approche moins

formaliste, définie dans la décennie 1960 à partir de la critique de la période antérieure, a pour but

de définir une procédure civile plus moderne, plus adaptée aux besoins de l’époque et dépouillée

des lourdeurs qui encombraient son usage. Les apports récents au Code de 1966 traduisent les

efforts pour consolider les acquis, adapter plusieurs articles et poursuivre le cheminement. Pourtant,

malgré des tentatives pour renforcer les traits principaux de la réforme au fil des trois décennies tels

que l’absence de formalisme indu et l’élargissement de l’accès à la justice, les objectifs de la

réforme ne sont pas tous remplis.

En effet, aussi porteuse qu'ait pu être l’idée à la base de la réforme, la critique qui se développe

durant la période réitère le besoin d’une efficacité accrue des moyens procéduraux et de la

procédure civile dans son ensemble. Durant la décennie 1990, de nombreux systèmes judiciaires

occidentaux arrivent au même constat. Leur fonctionnement ne répond pas à l’idéal d’efficacité, de

célérité, d’économie attendu par les justiciables, les avocats, les notaires, les juges et tous les

acteurs impliqués dans les instances civiles, du moins selon la perception énoncée dans le discours

de l’époque. Au Québec, la réponse à cette critique passe par une nouvelle réforme du Code de

procédure civile.

Page 232: L'évolution et la structuration des principes directeurs

222

Partie 3. La procédure civile, les principes directeurs et

l’implantation d’une «méthode novatrice» (2001 à nos

jours)

Page 233: L'évolution et la structuration des principes directeurs

223

Chapitre 1. La réforme du XXIe siècle et le remaniement

du Code de procédure civile : une évolution en deux temps

La redéfinition de la procédure civile québécoise s’accentue à partir de l’adoption d’une version

révisée du Code de procédure civile en 2002. L’adhésion à de nouvelles façons de faire depuis 1966

a encouragé le développement d’une attitude différente envers la procédure civile. Cette tendance

prend de l’ampleur dans le discours procédural, notamment celui de la Cour suprême. Depuis les

années 1980, elle se traduit notamment par diverses innovations législatives et projets-pilotes. Lors

de la préparation et de l’implantation d’un Code révisé au début du XXIe siècle, ce mouvement

général atteint un nouveau stade d’expression. Les changements dans l’approche et la pratique de la

procédure civile se perçoivent de multiples façons.

La révision de la procédure civile envisagée au tournant du millénaire s’appuie sur une double base,

puisqu’elle se veut à la fois culturelle et structurelle. Stratégiquement, les auteurs associés à la

réforme ont décidé de recourir à des «principes directeurs» pour réaliser ces objectifs. Ces principes

directeurs sont sommairement présentés par le comité dans son rapport986. Dans le premier cas, soit

celui de l’angle culturel de la réforme, il s’agit dans l’esprit des membres du comité de développer

une attitude différente à l’égard de la procédure civile et de sa compréhension. L’examen des

principaux traits du changement identifié et l’évaluation de la profondeur de celui-ci enrichissent

l’étude entreprise des principes directeurs et touchent aux aspects plus concrets de ce changement,

notamment l’orientation donnée à la nouvelle procédure civile. Dans le second cas, soit celui de la

modification structurelle, des mesures concrètes sont mises en place pour promouvoir ce

changement, accordant plus de pouvoirs aux juges pour contrôler le déroulement de l’instance et

définissant différemment l’influence des plaideurs sur celle-ci. Nous allons tout d’abord tenter de

présenter les grandes lignes de cette réforme et discuter de certains traits qui la caractérisent. Par la

suite, nous nous intéresserons plus précisément aux principes directeurs que nous avons retenus

pour effectuer notre étude. Enfin, nous proposerons un bilan de la réforme du Code en lien avec une

réflexion sur la «culture judiciaire» actuelle et son insertion dans l’évolution de celle-ci à long

terme.

1.1. La première phase de la réforme, 1998-2014

Caractérisée par l’élaboration et l’adoption de nouveaux articles, cette phase a posé les bases d’une

nouvelle approche, plus élaborée et plus directe, des principes directeurs dans la procédure civile.

986 Ces principes directeurs étant le cœur de l’étude, ils seront étudiés plus en détail par la suite.

Page 234: L'évolution et la structuration des principes directeurs

224

1.1.1. Une procédure civile moderne : le rapport préparatoire et ses fondements, 1998-

2003

La révision du Code et son contexte philosophique

Le Code de 1966 devait modifier en profondeur la procédure civile. Il a donc été adopté dans une

optique de modernisation, à l’instar du Code de 1867. Celui-ci innovait en introduisant une forme

moderne de codification et visait aussi à compiler et déterminer le droit en vigueur. Ces deux Codes

présentent aussi des similarités sur le plan de leur durée, se distinguant de celle de la révision de

1897, plus étendue. Ce rapprochement est intéressant, mais n’est pas significatif en l’absence

d’autres données issues de codes québécois quant à la durée de vie moyenne d’un tel texte de loi ou

quant à l’influence de son contenu et de son orientation sur la durée de son existence. L’image

projetée par le Code, qui propose en théorie une forme de permanence et de stabilité987, tout comme

l’ambition de lui voir régler le droit judiciaire pour une longue période, demeurent au centre du

processus.

En 1998, un comité est mis sur pied pour réviser la procédure civile québécoise. Celui-ci est

composé d’un nombre plus important de membres que les commissions formées lors des

précédentes réformes. Ses membres sont issus de divers horizons988: avocats, juges, professeurs

d’université, représentants du ministère de la Justice, etc. Il s’agit donc d’un nouveau contexte

d’élaboration et de production du texte. Qu’en est-il de l’environnement philosophique proposé

pour cette réforme? Dans sa globalité, le mandat confié au comité est large989. Il est appelé à

proposer des modifications aux règles de la procédure pour qu’elles soient mieux intégrées, de

simplifier et alléger leur contenu, de réduire si possible le nombre de ces règles. Il est aussi appelé à

mieux coordonner la justice avec les méthodes permettant de régler les conflits à l’amiable, de

s’assurer que l’équilibre entre les parties est contrôlé et de «tenir compte des attentes et besoins des

magistrats, des avocats, des justiciables et des autres intervenants de la justice»990. Le tout doit

composer une justice civile «plus rapide, plus efficace et apaisante, moins coûteuse en temps, en

énergie et en argent»991 pour le justiciable et le système judiciaire. Dans son rapport, le comité

déclare qu’il a reçu pour mandat de «réviser la procédure civile», mais que cela n’inclut pas de

987 Voir par exemple les propos de R. Cabrillac selon lesquels, malgré le phénomène du vieillissement des textes

juridiques, «la durabilité reste perçue comme une qualité essentielle d’un code». R. Cabrillac Les codifications, supra note

14, p. 115. 988 Comité de révision de la procédure civile, Une nouvelle culture judiciaire, supra note 7, p. 3-4. 989 Id., p. 2-3, reproduisant le communiqué du ministre de la Justice du 4 juin 1998. 990 Id., p. 2. 991 Ibid.

Page 235: L'évolution et la structuration des principes directeurs

225

réaliser une «réforme de la justice civile»992. Il s’agit donc de répondre aux critiques formulées à la

fin du XXe siècle concernant la procédure civile. Le changement proposé semble plus important que

lors des révisions de 1966 et plus encore de 1897, puisqu’il faut modifier la procédure en

profondeur, ce qui n’était pas nécessairement précisé auparavant.

L’action entreprise reste cependant enracinée dans le système judiciaire tel qu’il existe. De

nouveau, le discours propose d’induire un changement, gage d’une efficience accrue et attendue,

mais qui s’inscrit dans la continuité de ce qui existe déjà. Face à ce choix, il ne faut pas minimiser

l’attachement au système judiciaire et aux valeurs libérales qui le sous-tendent. Est-ce à nouveau

l’idée de permanence et de stabilité du droit codifié qui s’exprime, ou le discours rassembleur et

rassurant autour d’un changement déjà amorcé et en phase avec un phénomène existant? Les mots

clés employés, tels que «révision», «modifier», «intégrer», «meilleur équilibre», peuvent justifier

les deux interprétations. L’expression «implantation», qui vise la portion concernant l’efficacité, la

célérité, l’apaisement et le contrôle des coûts, est un terme plutôt axé sur le changement, mais qui

crée aussi l’image d’un Code qui viendra ajouter à un environnement déjà connu. Par la suite, le

communiqué du ministre définit plusieurs aspects de la procédure qui devront être considérés.

Parmi eux se trouve la demande de «revoir les principes directeurs»993 du Code de procédure civile.

Celle-ci trace en partie la voie pour les travaux du Comité et participe à inscrire l’expression

«principes directeurs» au cœur du travail qui s’ensuit. Les attentes sont donc élevées et le contexte

de la réforme est discernable dès les premiers mots du communiqué qui fait débuter le processus.

Le rapport préalable à la révision, ses sources et ses objectifs

Le rapport présenté par le comité en 2001 tient compte de tous ces facteurs. Les principaux axes

d’intervention suggérés se fondent sur des constats. Rappelons qu’ils sont principalement la

diminution des causes devant les tribunaux, le coût des procédures en justice, la complexité des

moyens de procédure civile et du Code en soi, les délais inhérents à la progression des causes

civiles dans le système judiciaire, la nécessité de moderniser l’administration de la justice et, enfin,

l’augmentation du nombre de personnes qui se représentent elles-mêmes devant les tribunaux

judiciaires994. Le rapport affirme aussi qu’il propose «une nouvelle vision de la procédure civile. Il

dresse un portrait des tendances contemporaines suggérées par les rapports d’organismes nationaux

et internationaux, appuyées en certains cas par des législations récentes. Il présente la vision du

Comité eu égard à ces tendances et à la révision même de la procédure civile ainsi que ses

992 Id., p. 3. 993 Id., p. 2. 994 Id., p. 10-26.

Page 236: L'évolution et la structuration des principes directeurs

226

objectifs»995. Le tout est complété par des recommandations faites par consensus, lesquelles ne

proposent pas les modifications à apporter pour «assurer la cohérence des dispositions du nouveau

code»996.

Pour encadrer leur action, les auteurs du rapport préconisent cinq grands enjeux à respecter. Ils

considèrent que les personnes, actrices ou usagères du système de justice, doivent être au cœur de

l’exercice. Ainsi, ils soulignent l’importance du respect des personnes qui inclut une idée d’accueil,

d’ouverture et d’accessibilité de la part de l’ensemble du système judiciaire997. Cet aspect spécifique

de la question repose aussi sur une tentative d’améliorer la qualité de la justice envisagée en tant

que «service public» ou «service offert au public»998, prônant l’information et la courtoisie, et de

s’assurer que l’expérience par ailleurs stressante des justiciables se déroule autant que possible dans

une atmosphère sereine. Le lien avec les notions d’accessibilité et de service public présentes dans

le discours des trois décennies précédentes apparaît clairement. Les membres du comité

encouragent ensuite la responsabilisation des parties et l’augmentation de l’intervention des juges

dans le processus. L’intention est, d’une part, d’impliquer davantage les parties dans la conduite de

leur dossier et dans leur compréhension des choix qu’elles y font, thème qui reprend des discours de

la fin du XXe siècle. De la même façon, cette orientation contient l’intention d’informer ces parties

sur les méthodes dites «alternatives» de résolution des conflits999 et de les amener à considérer les

avantages de celles-ci, si leur situation le permet. En ce qui a trait à la fonction judiciaire, le rôle

accru de la magistrature se traduirait par un encadrement de la progression de l’instance afin d’en

réduire la durée et le coût, en ciblant mieux les questions qui constituent réellement le litige, en

promouvant la conciliation, entre autres. Par la suite, les auteurs du rapport veulent instaurer des

mesures pour assurer la proportionnalité des procédures, ce qui rejoint la pensée exprimée à propos

des juges et des parties. Leur intention est d’arriver à «une meilleure adéquation entre la nature et la

finalité d’une action en justice et les moyens disponibles pour l’exercer»1000. Enfin, ils souhaitent

encourager l’utilisation des technologies de l’information. Dans le cadre de cette révision, comme

ils la décrivent1001, ils veulent privilégier d’une part «la célérité et l’adéquation des coûts» dans

995 Id., p. 8. 996 Id., p. 8-9. 997 Id., p. 31-32. 998 Id., p. 31. Il est intéressant de rapprocher cet aspect de l’arrêt Marcotte c. Longueuil (Ville), 2009 CSC 43, [2009] 3

R.C.S. 65, qui discute notamment de la justice à titre de «service public». Voir à cet égard la section 3.2., en page 335. 999 Désormais désignées comme les «modes de prévention et règlement des différends», selon le titre I du livre I du Code

de 2016. 1000 Id., p. 33. 1001 Id., p. 31-33.

Page 237: L'évolution et la structuration des principes directeurs

227

l’administration de la justice et, de l’autre, l’«humanisation de la justice» qui place le justiciable au

cœur de la réflexion et du fonctionnement du système1002.

Ces prises de position des auteurs proposent un encadrement pour la révision, mais peu d’entre elles

apparaissent à première vue comme les indices d’une révolution conceptuelle du Code de procédure

civile. Le fait d’utiliser une révision pour moderniser les pratiques afin d’implanter l’usage de

nouveaux outils ou de nouveaux moyens procéduraux est constant depuis le début de l’histoire du

Code.

Ainsi, la recherche de l’efficience et l’intention de considérer le justiciable appartiennent également

à la réflexion inhérente à la procédure civile durant le XXe siècle. L’accès à la justice, nous l’avons

vu, était déjà pris en compte dans la réflexion liée au Code précédent. Quant au phénomène de

l’apaisement, il peut être interprété comme l’héritier des mesures de conciliation et de médiation

dont le nombre augmente depuis les années 1970, mais qui rejoignent une forme de pensée déjà

exprimée au début du XXe siècle. Dans le cadre du document préparatoire à la réforme, le Comité

rapproche, mais n’associe pas expressément, les mesures d’accès à la justice d’une part et de

médiation de l’autre1003. Toutes sont perçues comme des services qui doivent être offerts dans le

système judiciaire et devant les tribunaux. Pourtant, il est révélateur de voir qu’au moment de la

conception de la réforme, il n’est pas expressément proposé que la médiation privée et même la

conciliation judiciaire souhaitée soient définies comme des mesures d’accès à la justice. En lien

avec une idée de proportionnalité, l’invitation à «participer à une conférence de règlement amiable»

est cependant mentionnée parmi des «moyens propres à simplifier la procédure et à abréger

l’audition»1004.

Nous interrogeant toujours sommairement sur les racines des idées de la réforme, nous constatons

que l’accroissement du pouvoir du juge est un concept plus contemporain, puisqu’il semble acquérir

de la force surtout vers la fin du XXe siècle. Le Code de 1966 a été considéré comme ayant eu cet

effet dans certains cas. Ici, l’intérêt particulier des mesures d’accroissement réside dans le fait

qu’elles ne sont pas simplement des outils au profit des modifications du Code. Les auteurs font

d’elles l’un des buts de ces modifications. Nous verrons que cette caractéristique, qui choisit de

faire de ce qui était un outil un but, est fondamentale dans la rédaction du Code et dans la

compréhension de la «nouvelle culture judiciaire» qu’il doit instaurer.

1002 Id., p. 33-34. 1003 Voir Comité de révision de la procédure civile, Une nouvelle culture judiciaire, supra note 7, p. 41, 78-80, 83 à 95,

notamment. 1004 Id., p. 119.

Page 238: L'évolution et la structuration des principes directeurs

228

Le rapport, d’ailleurs intitulé Une nouvelle culture judiciaire révèle, de l’aveu même de son titre, un

projet ambitieux, voulant redéfinir et réorienter la procédure civile. Il s’inspirait en cela du projet de

Lord Woolf, qui proposait un changement de culture judiciaire pour répondre aux difficultés du

système judiciaire britannique1005. Le texte du rapport en soi fait rarement mention de la «culture

judiciaire» et n’en propose pas de définition1006. Afin de réaliser cette réorientation, les auteurs du

rapport québécois énoncent quelques suggestions. D’une part, ils proposent d’énoncer plus

clairement les valeurs qui fondent le Code et les principes directeurs de la procédure civile à travers

une disposition préliminaire et des «règles générales» placées au début du Code1007. Il s’agirait

d’une section axée principalement sur la philosophie du Code. D’autre part, ils préconisent

plusieurs modifications aux articles existants, pour préciser leur contenu ou pour accélérer, en

théorie, le déroulement de l’instance1008. Ces propositions visent dans un premier temps les matières

que sont la compétence, l’organisation et le fonctionnement des tribunaux, afin d’en rappeler et d’en

préciser les cadres, avec quelques ajustements. Dans un second temps, les auteurs s’intéressent à la

procédure générale devant les tribunaux, c’est-à-dire principalement la manière d’introduire les

actions, le déroulement d’une action, l’administration de la preuve, les jugements, les moyens de les

exécuter et ceux qui permettent de se pourvoir contre eux, les dépens et les tarifs. Il faut

comprendre que l’ensemble du cheminement d’une action est donc révisé. Dans un troisième temps,

ils examinent des formes et des moyens de procédure particuliers susceptibles de modifications plus

ou moins importantes, principalement les matières familiales, les petites créances, le recours

collectif, les matières non contentieuses, le recouvrement des créances, les mesures provisionnelles,

le bornage, le droit international privé, la médiation et l’arbitrage. Cette partie des recommandations

est de nature plus pratique ou plus technique, puisqu’elle vise spécifiquement les articles du Code et

son application au tribunal, mais bon nombre d’entre eux sont modifiés précisément pour insuffler

ou faire ressortir leur rôle de porteurs de l’esprit défini dans le cadre de l’autre partie du rapport.

En réalité, le schéma d’intervention reste inscrit dans le cadre de la révision d’un code en droit civil.

Il faut comprendre qu’il y aura des modifications à la lettre autant qu’au plan du texte, notamment

pour ajouter une disposition préliminaire et les articles concernant les principes directeurs. Ce

changement constitue peut-être l’innovation la plus importante proposée par les auteurs du rapport,

mais nous avons vu que la méthode consistant à remanier le plan au moment d’une réforme ou

1005 Voir par exemple le résumé de la situation proposé en début d’article par M. Haravon, «Dix années de réforme de la

procédure civile anglaise : révolte ou révolution?», R.I.D.C. 4-2004, 825, 826-827. 1006 Outre la mention en page 33, le souhait d’une «nouvelle culture judiciaire» est réitéré presque dans les mêmes termes

en conclusion, p. 253. Le terme «culture judiciaire» n’est plus mentionné ailleurs dans le texte. Voir à cet égard les

réflexions en page 315. 1007 Id., p. 35-43. 1008 Id., p. 43 et suivantes.

Page 239: L'évolution et la structuration des principes directeurs

229

même de placer quelques articles en exergue n’est pas une nouveauté. Toutefois, contrairement aux

autres rapports, cette décision est elle-même mise en exergue et commentée. Tant la proposition que

le contenu des articles sont, jusqu’à un certain point, présentés comme innovateurs. Puisque le Code

n’a jamais contenu de disposition préliminaire, cette affirmation correspond en effet à une réelle

innovation. Il est possible de signaler au passage une analogie entre cette façon de faire et la

méthode employée pour mettre de l’avant une autre des nouveautés identifiées précédemment, à

savoir la recherche d’accroissement du pouvoir des juges et de définition de la fonction judiciaire.

Par ailleurs, dans le cadre de la révision proprement dite des articles du Code, certains sont modifiés

pour intégrer les orientations définies par le législateur et recommandées par le comité.

Les générations précédentes qui ont révisé ou écrit un Code de procédure civile au Québec étaient

conscientes de l’existence de «principes», c’est-à-dire de notions fondamentales dans l’orientation

de la procédure civile. Cependant, elles n’ont pas accordé à ceux-ci la même importance dans la

structure du Code. Surtout, elles semblent avoir envisagé les «principes» d’une manière un peu

différente, peut-être et selon les époques en lien avec les conceptions héritées du droit naturel ou la

tradition et la perception de la nature d’un code. Les «principes» appartiennent à l’esprit du droit et

sont essentiellement de nature à établir les fondements de la pensée juridique et à participer à

l’interprétation du droit. Ainsi, leur présence dans le texte du Code n’avait pas la même portée à une

époque où le Code était défini, non dans une approche de pluralité des fonctions, mais presque

exclusivement par sa dimension «pratique» ou «technique». Cette forme de pensée n’a pas disparu

au début du XXIe siècle, comme le prouve le document préparatoire de 2001.

Lors de la consultation publique, la majorité des intervenants se sont objectés à ce que

des principes déjà énoncés dans d’autres textes législatifs soient répétés au code. En

outre, certains se sont opposés à ce qu’y soient inclus de nouveaux principes,

notamment le principe d’économie déjà énoncé par le Comité dans son Document de

consultation […]. Ils ont fait valoir qu’une telle inclusion était susceptible d’entraîner

de longs et multiples débats judiciaires. D’autres, au contraire, ont considéré leur

codification essentielle, ne serait-ce que pour rappeler l’importance des principes de

justice dans l’interprétation et l’application des règles. Ils étaient d’avis que ces

principes permettent de faire primer la finalité des règles sur le caractère technique de

la procédure, de préciser, à l’intention de tous les intervenants, l’esprit du code et de

donner par le fait même des indications sur les comportements à adopter. 1009

Ainsi, la décision prise par le Comité et plus tard par le législateur à cet égard relève d’un choix

entre deux conceptions de la rédaction de la procédure civile et n’était pas inévitable. Cette décision

consciente d’intégrer des valeurs et des principes au Code servait un but précis et utilitaire. Cette

approche de la situation diffère de l’approche formaliste, mais elle n’en est pas moins une façon

1009 Comité de révision de la procédure civile, Une nouvelle culture judiciaire, supra note 7, p. 35.

Page 240: L'évolution et la structuration des principes directeurs

230

d’orienter et de fixer les comportements en milieu judiciaire et la procédure civile elle-même. Les

principes ainsi reconnus, que nous qualifions de «principes directeurs», constituent donc une

structure d’encadrement tant à l’intérieur qu’à l’extérieur du Code. Elle est proposée implicitement

comme une structure souple, dans la ligne de la pensée qui fait primer le droit substantif sur les

règles de procédure développées au XXe siècle. Il s’agit d’une nouvelle proposition de

compréhension et d’application du Code. Il faut donc chercher l’originalité du Code en préparation

dans l’esprit que l’on veut lui insuffler et, par moments, dans les effets escomptés, bien que nous

ayons vu qu’ils ne sont pas non plus particulièrement innovants, pour la majorité d’entre eux.

En d’autres termes, l’élaboration de cette «nouvelle culture judiciaire» repose sur une forme de

réponse originale aux problèmes déjà identifiés depuis plusieurs décennies. Cette forme de réponse

se fonde d’une part sur l’identification de principes et de valeurs, leur affirmation et, d’autre part,

sur la recherche de l’efficience à travers un contrôle plus strict du déroulement de l’instance par les

parties, leurs représentants, les juges et les autres acteurs du système judiciaire. Le rapport présenté

est donc un texte global qui suggère une révision en profondeur, afin de répondre aux objectifs de

son mandat. Dans l’ensemble, il est possible de considérer que les bases de la réflexion du rapport

proposé ont des liens avec l’évolution procédurale de la période précédente dont il est prévu

d’approfondir la portée. Les choix des acteurs de l’époque s’avèrent déterminants quelques

décennies plus tard. Ceci s’accompagne de changements ponctuels novateurs. Par contre, les liens

sont-ils suffisants pour aider à la réforme à laquelle le rapport convie les acteurs et les usagers du

système judiciaire? Les méthodes utilisées pour approfondir ou modifier les changements déjà

entrepris ou nouveaux sont-elles adéquates? Les moyens proposés, dont nous discuterons de la

définition et de l’implantation, sont-ils de nature à permettre la réalisation de cette réforme?

Comment celle-ci a-t-elle évolué depuis 2003 et avec quelles conséquences?

1.1.2. Les modifications structurelles du Code de 2003 et la réception de la révision

Le Code en 2003 : une révision et quelques modifications de fond

La «première phase» de la réforme se traduit par une loi entrée en vigueur en 2003. Devant

l’ampleur des propositions, le législateur a décidé d’agir immédiatement concernant une partie des

recommandations. Simultanément, il prépare une véritable refonte du Code, qui parachèvera la

modification des articles et de la structure du Code, destinée à la réalisation du projet proposé

d’implanter une nouvelle culture judiciaire.

Page 241: L'évolution et la structuration des principes directeurs

231

Ainsi, bien que le plan du Code ne soit pas modifié, certaines des suggestions sont immédiatement

retenues. Des principes directeurs sont ajoutés au début de celui-ci1010. Cependant, ils ne sont pas

identifiés comme tels dans le Code. Ils sont insérés à proximité du principe directeur du

contradictoire1011, mais le principe directeur de la publicité des procès ou celui de la préséance du

droit substantif sur la procédure civile1012 ne sont pas déplacés pour effectuer un regroupement. La

suggestion concernant l’insertion d’une disposition préliminaire, dont le contenu en matière de

valeurs et de principes a été relativement controversé lors de la préparation du rapport1013, est

reportée à la seconde partie de la réforme. En revanche, plusieurs articles découlant de

l’élargissement de la fonction judiciaire ou encadrant celui-ci en matière de gestion d’instance et de

conciliation sont adoptés. De la même façon, d’autres aspects comme l’imposition d’un délai de

rigueur pour la mise en état du dossier ou l’adoption d’une procédure allégée concernant

l’introduction de l’instance, qui sont tous deux des expressions du principe de la proportionnalité,

sont parmi les aspects modifiés dès 2003.

En effet, cette révision se concentre beaucoup sur le processus d’introduction de l’action, qui était

particulièrement considéré dans le cadre de l’étude du comité chargé de la révision de la procédure

civile1014. Celui-ci s’est intéressé à des études qui tendent à indiquer que l’utilisation de la procédure

allégée et de la requête pour introduire les actions a réellement eu un impact dans l’accélération du

cheminement des causes où ces procédures sont employées1015. Dans une tentative d’augmenter la

célérité et sauf pour quelques moyens d’action spécifiques, le comité propose un mode unique de

demande pour débuter les instances1016, soit la requête introductive d’instance1017. Cette stratégie

peut rappeler également le regroupement préconisé de certains moyens d’action1018, selon une idée

d’unification qui simplifie le processus et sa compréhension1019. Cette forme procédurale étant

généralement considérée comme plus simple et plus rapide et ayant été jusque-là utilisée pour des

actions qui procédaient par la «procédure allégée», le moyen qu’est la requête introductive

1010 Art. 4.1, 4.2 et 4.3 C.p.c. 1011 Art. 5 C.p.c. 1012 Art. 13 et 2 C.p.c., respectivement. 1013 Voir l’affirmation dans Comité de révision de la procédure civile, Une nouvelle culture judiciaire, supra note 7, p. 35. 1014 Id., p. 108-114. 1015 Comité de révision de la procédure civile, Une nouvelle culture judiciaire, supra note 7, p. 20. 1016 Id., p. 110-111 et 113. 1017 Art. 110 C.p.c. 1018 Comité de révision de la procédure civile, Une nouvelle culture judiciaire, supra note 7, p. 61 : par exemple, les

recours visant à sanctionner l’illégalité d’une règle de droit ou d’une décision pourraient être présentés selon une

procédure unique, au contraire de ce qui se pratique depuis le XIXe siècle. Cette proposition n’a pas été réalisée en 2003,

mais montre que la pensée qui guide le développement du Code de procédure civile tend à la simplification et à

l’uniformisation. 1019 Id., p. 109-110.

Page 242: L'évolution et la structuration des principes directeurs

232

d’instance en soi n’est pas rejeté par les praticiens. Les critiques à son égard portent surtout sur les

conséquences en matière de délais et de manque de flexibilité des modalités de sa présentation1020.

La réaction générale à la première phase de la réforme n’est pas uniforme. Tous les acteurs du

système judiciaire s’entendent pour souligner l’importance des valeurs et principes à la base de

l’application et de la gestion de celui-ci, notamment en ce qui a trait aux prolongations1021. Le délai

de rigueur pour la mise en état du dossier engendre pourtant beaucoup de critiques et de

protestations1022. Fixé à 180 jours de l’introduction de l’instance en matières civiles, il est

rapidement élargi à un an en matières familiales1023. Ce délai peut être prolongé sur demande1024.

Par ailleurs, l’interprétation de la règle concernant le respect du délai et sa prolongation doit tenir

compte de plusieurs facteurs. L’esprit insufflé par les premières modifications au Code oriente le

discours sur le sujet. Ainsi, la Cour d’appel a rappelé que, malgré l’existence de l’article 2 C.p.c. et

l’absence de formalisme indu en matière de procédure, le législateur peut choisir de faire primer une

règle procédurale, ce qu’il a fait dans le cas présent pour assurer le «déroulement diligent des

instances, objectif d'ordre public»1025. Cette obligation d’inscrire rapidement une cause civile pour

enquête et audition perdure et marque l’ensemble de l’exercice de réforme du Code1026. Néanmoins,

elle est perçue d’une manière parfois critique par les praticiens1027. Ces réactions illustrent une

réticence et des inquiétudes similaires. Plusieurs praticiens soulignent qu’une fois la cause inscrite,

il y a souvent des délais avant l’enquête et l’audition effective par le juge1028. L’application à plus

longue échéance de la mesure montre qu’il ne s’agit pas que d’une réaction éphémère et

consécutive à l’adoption d’une mesure bouleversant une pratique établie. La résistance d’une partie

1020 Ministère de la Justice du Québec, Rapport d’évaluation de la Loi portant réforme du Code de procédure civile, supra

note 1021, p. 32-34. 1021 Art. 110.1 al. 2 C.p.c. S. Marcotte, «Les approches de la réforme de la procédure civile : la gestion de l'instance et

l'intégration des moyens alternatifs», (1999) 40 C. de D. 57, 60. Selon le document d’évaluation de la réforme en 2006,

même les répondants souhaitant modifier certains aspects du délai de rigueur semblent tous d’accord pour le maintien

d’un délai de rigueur. Ministère de la Justice du Québec, Rapport d’évaluation de la Loi portant réforme du Code de

procédure civile, Québec, Publications du Québec, 2006, p. 26, en ligne : justice-gouv.gc.ca. 1022 Voir par exemple S. Côté, «Le délai de 180 jours, où en sommes-nous?», dans Barreau du Québec, Service de la

formation continue du Barreau du Québec, La réforme du Code de procédure civile, trois ans plus tard, Cowansville,

Yvon Blais, vol. 242, 2006, p. 209-211; Ministère de la Justice du Québec, Rapport d’évaluation de la Loi portant

réforme du Code de procédure civile, supra note 1021, p. 16. 1023 Art. 110.1 al. 1 C.p.c. et art. 173 al. 1 N.C.p.c. Loi modifiant le Code de procédure civile en matière de délai

d’inscription, L.Q. 2004, c. 14, art. 1; Ministère de la Justice du Québec, Rapport d’évaluation de la Loi portant réforme

du Code de procédure civile, supra note 1021, p. 15-16. 1024 Art. 110.1 al. 2 C.p.c. 1025 Marier c. Tétrault, 2008 QCCA 2108 (CanLII), par. 37. 1026 Suggéré par le Comité de révision du Code de procédure civile, voir par exemple : Comité de révision de la procédure

civile, Une nouvelle culture judiciaire, supra note 7, p. 132, 117-118, 124… Ce délai est à présent fixé à 6 mois (173

N.C.p.c.). 1027 Ministère de la Justice du Québec, Rapport d’évaluation de la Loi portant réforme du Code de procédure civile, supra

note 1021, p. 16. Il est bon de souligner que ce délai est celui qui a été imposé dans la procédure allégée de 1996. 1028 S. Côté, supra note 1022, p. 209-211; Ministère de la Justice du Québec, Rapport d’évaluation de la Loi portant

réforme du Code de procédure civile, supra note 1021, p. 22-23.

Page 243: L'évolution et la structuration des principes directeurs

233

des juristes québécois perdure. En 2008, le Barreau du Québec souligne des difficultés liées à

l’application du délai, notamment les coûts et le temps nécessaire pour obtenir une prolongation et

la difficulté systémique d’obtenir une audition rapide à l’issue de la mise en état1029. Le Barreau

exprime aussi l’inquiétude que cette échéance instaure «un climat non propice pour favoriser les

règlements hors cour»1030. Cette constatation est assortie de propositions de modifications1031.

D’autres documents, comme le rapport du ministère de la Justice sur la procédure civile, en 2006,

indiquent que le délai serait généralement respecté, le système de prolongation mis en place

satisferait les besoins des plaideurs dans les cas particuliers et les refus de prolongation seraient

rares lorsque les raisons avancées pour les justifier sont valables1032. Les personnes consultées

souhaitent certains aménagements, mais un consensus s’est formé pour conserver le délai de 180

jours, selon le rapport1033.

Devant de telles observations, il apparaît que l’appareil judiciaire dans son ensemble s’adapte

lentement à la nouvelle réalité procédurale, fait souligné par les observateurs1034. D’autres facteurs

peuvent aussi expliquer la lenteur d’une mise en œuvre1035. Toutefois, une période de transition, qui

peut durer un nombre d’années indéterminé, ne traduit pas nécessairement un échec du changement

envisagé1036. De plus, les délais engendrant ces plaintes découlent de plusieurs facteurs qui ne sont

pas touchés par la révision. La complexité des questions soulevées devant la Cour, par exemple,

peut nécessiter un temps d’audience qu’aucune mesure prise en matière de procédure ne pourra

diminuer. Justice doit être rendue et, pour ce faire, les parties doivent être entendues. Pourtant, il est

bon de consulter quelques statistiques pour constater qu’après l’entrée en vigueur des modifications

en 2003, le temps d’attente moyen dans le traitement des dossiers à la Cour supérieure diminue,

1029 Barreau du Québec, Commentaires du Barreau du Québec sur le document intitulé «Rapport d’évaluation de la Loi

portant réforme du Code de procédure civile» présentés à la Commission des institutions, Assemblée nationale, Février

2008, S.l., s.n., 2008, p. 7 [Barreau du Québec, Commentaires sur le «Rapport d’évaluation de la Loi portant réforme du

Code de procédure civile»]. 1030 Id., p. 8. 1031 Id., p. 8-11. 1032 Ministère de la Justice du Québec, Rapport d’évaluation de la Loi portant réforme du Code de procédure civile, supra

note 1021, p. 16. 1033 Id., p. 21. 1034 Ministère de la Justice du Québec, Rapport d’évaluation de la Loi portant réforme du Code de procédure civile, supra

note 1021, p. 22 (justice.gouv.qc.ca). 1035 Ces facteurs peuvent être institutionnels, financiers, technologiques ou autres. Voir par exemple R. Pidgeon, «La

gestion d’instance – Le point de vue d’un magistrat», dans S. Guillemard (dir.), Le Code de procédure civile : quelles

nouveautés?, Québec, Yvon Blais/Les Cahiers de droit, 2016, p. 325 ou L. LeBel, «Promesses et risques de la réforme de

la procédure civile québécoise en 2016», dans S. Guillemard (dir.), Le Code de procédure civile : quelles nouveautés?,

Montréal, Yvon Blais/Les Cahiers de droit, 2016, p. 355-358. 1036 Ainsi, certains mentionnent que l’entrée en vigueur du Code en 2003 a entraîné l’accroissement des pouvoirs du juge

et le développement «d’outils» présentant la diminution des coûts et des délais comme des avenues de solutions

intéressantes que les praticiens doivent explorer et utiliser pour accroître leur efficacité, notamment en droit familial. J.

Verdon et M. Pélissier-Simard, «La réforme du C.p.c. et le droit familial», dans Barreau du Québec, Service de la

formation continue du Barreau du Québec, La réforme du Code de procédure civile, trois ans plus tard, Cowansville,

Yvon Blais, vol. 242, 2006, p. 253-254.

Page 244: L'évolution et la structuration des principes directeurs

234

mais que cet effet ne s’étend pas à toutes les cours1037. Il y a donc une progression, même si les

praticiens ne la ressentent pas immédiatement. En effet, l’évaluation de la révision a été effectuée

après trois ans d’implantation. Nous avons pu constater depuis le début de notre étude que les

évolutions de la procédure civile s’inscrivent dans un processus caractérisé par une relative lenteur.

Les modifications aux structures sociales et aux institutions sont souvent définies par ce

phénomène, qu’elles proviennent d’une redéfinition interne, de l’emprunt d’une notion à une autre

«culture» ou d’une acculturation, comme le documentent des spécialistes du changement

culturel1038.

Toujours dans le cadre des modifications structurelles apportées à la procédure civile, le Code

révisé présente aussi un nouveau chapitre qui traite de la gestion de l’instance1039. Ces dispositions

s’attachent à encadrer certaines parties de l’instance afin d’en faciliter et d’en accélérer le

déroulement. Cette idée de la gestion de l’instance comprend la négociation d’une entente sur le

déroulement de l’instance entre les parties1040, les modalités remaniées de présentation de la

demande, alors appelée requête1041. Celle-ci est accompagnée de la présentation orale des moyens

préliminaires1042 et offre une occasion de régler plusieurs aspects du déroulement du litige et de

tenter de le simplifier1043. Par ailleurs, quelques instances requièrent une gestion particulière,

notamment à cause de leur nature ou de leur complexité1044, dont les modalités se trouvent dans les

modifications au Code, de même que celles d’une conférence de règlement à l’amiable entre les

parties et présidée par un juge1045. Le Code entré en vigueur en 2003 utilise aussi l’oralité,

prévoyant une défense orale pour de nombreux cas1046, alors que la défense écrite est applicable aux

procédures non énumérées au Code1047, sauf si le tribunal en décide autrement après examen de la

situation et considération des droits des parties1048 ou si les parties conviennent d’une défense écrite.

1037 P.-C. Lafond, L’accès à la justice civile au Québec : Portrait général, supra, note 839, p. 67. Les statistiques de

l’auteur, colligées pour les années 1990 et 2000 (jusqu’en 2011), montrent que la diminution des temps d’attente dans les

différentes cours s’était amorcée avant l’entrée en vigueur du Code révisé. Les années 2000 témoignent d’une diminution

du délai d’attente à la Cour supérieure et à la Cour d’appel (p. 67-68). Les statistiques compilées montrent par exemple

qu’en Cour d’appel, les délais passent de 27.5 mois à 11 mois entre 1997 et 2011, alors qu’en Cour supérieure, ils passent

de 37 à 28 mois entre 2004 et 2011 (p. 67). En Cour du Québec, les fluctuations sont plus importantes : la diminution

marquée du délai d’attente qui caractérise les années 1990 est remplacée par une augmentation dans les années 2000-2006

(p. 64-66), l’effet cumulatif devant alors être pris en compte pour la période suivant la révision (2003-2006). 1038 A. Brami, supra note 110, p. 57-58; R. Bastide, supra note 624, p. 46-66. 1039 Art. 151.1 et suiv. C.p.c. 1040 Art. 151.1 C.p.c. 1041 Art. 151.4 C.p.c. 1042 Art. 151.5 C.p.c. 1043 Art. 151.6 C.p.c. 1044 Art. 151.11 C.p.c. 1045 Art. 151.14-151.23 C.p.c. 1046 Art. 175.1-175.2 C.p.c. Les procédures obligeant à une défense orale sont définies à l’article 175.2 C.p.c. 1047 Art. 175.1 C.p.c. 1048 Art. 175.3 C.p.c.

Page 245: L'évolution et la structuration des principes directeurs

235

Ces dernières règles illustrent l’ensemble de la philosophie du Code basée sur la célérité de

l’instance, la souplesse de la procédure, l’importance de la liberté des parties et de l’implication du

juge. L’essentiel des modifications à la procédure de première instance en 2003 tient dans ces

changements. Dans l’ensemble, ceux-ci sont bien acceptés, malgré une réticence de plusieurs

avocats à une transition vers ce qui est décrit comme «l’oralité accrue» de la procédure civile1049.

1.2. La seconde phase de la réforme : vers le Code remanié de 2016

1.2.1. L’approfondissement de la réforme

L’implantation de la réforme au XXIe siècle a été volontairement effectuée en plusieurs étapes,

contrairement aux précédentes modifications substantielles du Code de procédure civile.

L’application des propositions du comité ayant été scindée1050, une partie des modifications sont

encore plus récentes que la portion entrée en vigueur en 2003. L’avant-projet de loi1051 de 2011

visant à instituer un nouveau Code de procédure civile, de même que le projet de loi et la loi qui

s’ensuivent1052, correspondent à ce que les auteurs désignent parfois comme la «seconde phase» de

la réforme1053.

Cette deuxième partie de la réforme s’appuie toujours sur le document de 2001, mais aussi sur

l’expérience de l’application de la première phase et l’évaluation de cette révision effectuée en

20061054. De manière générale, une nouvelle numérotation et une nouvelle division des chapitres

sont proposées, ce qui ajoute le volet de refonte législative du Code aux modifications. De plus, sur

un plan novateur, ces trois textes prévoient certains ajouts majeurs qui reprennent des aspects de la

révision qui n’étaient pas encore en vigueur. L’unification de plusieurs recours qui se fondent en

une seule procédure dite «pourvoi en contrôle judiciaire» en est une illustration1055. Le législateur

1049 En 2006, certains font état d’une diminution du recours à la défense orale depuis l’introduction de la première phase

de la réforme, et de l’existence de préjugés à son encontre, Ministère de la Justice du Québec, Rapport d’évaluation de la

Loi portant réforme du Code de procédure civile, supra note 1021, p. 46. 1050 Y.-M. Morissette, «Gestion d’instance, proportionnalité et preuve civile : état provisoire des questions», (2009) 50 C.

de D. 381, 393; Ministère de la Justice du Québec, Rapport d’évaluation de la Loi portant réforme du Code de procédure

civile, supra note 1021, p. 69-70. 1051 Avant-projet de loi : Loi instituant le nouveau Code de procédure civile, 2e sess., 39e lég., 29 septembre 2011. 1052 PL 28, Loi instituant le nouveau Code de procédure civile, 1re sess., 40e lég., Québec, 2013 et Loi instituant le

nouveau Code de procédure civile, L.Q. 2014, c. 1, entrée en vigueur en janvier 2016. 1053 De fait, le rapport d’évaluation de la révision mentionne qu’une «phase subséquente de la révision globale» est

prévue. Ministère de la Justice du Québec, Rapport d’évaluation de la Loi portant réforme du Code de procédure civile,

supra note 1021, p. 69-70. 1054 Voir le rapport du Ministère de la Justice du Québec, Rapport d’évaluation de la Loi portant réforme du Code de

procédure civile, supra note 1021. 1055 Art. 529 N.C.p.c. Cette fusion avait été proposée en 2001 : Comité de révision de la procédure civile, Une nouvelle

culture judiciaire, supra note 7, p. 60-61 et 260-261. Les recours comme l’évocation, la révision judiciaire, la requête et

Page 246: L'évolution et la structuration des principes directeurs

236

semble ainsi poursuivre l’application de la nouvelle philosophie procédurale énoncée dans le

rapport de 2001. Des groupes et personnes qui ont déposé un mémoire lors de la consultation sur

l’avant-projet de loi de 2011 soulignent, par exemple, l’accroissement de l’implication du juge dans

la gestion de l’instance dans le cadre du texte proposé, qui vient modifier ce qu’ils désignent

comme «l’équilibre actuel entre le rôle de supervision du juge et celui des parties de mener leur

dossier selon les principes directeurs […]»1056. Or, cette modification s’inscrit directement dans la

poursuite des objectifs énoncés plus tôt. Ainsi, le texte du Code adopté en février 2014 a subi des

adaptations et modifications après les consultations publiques et la révision du texte initial et du

projet de loi de 2013, sans pour autant remanier en profondeur l’esprit du nouveau Code tel qu’il a

été établi depuis 2011. Les décisions de changement en matière procédurale, tant sur le plan culturel

que structurel, sont soutenues par une volonté étatique affirmée.

Cette «seconde phase» de la révision ne constitue donc pas une simple opération esthétique visant à

compléter la révision de 2003. L’étude des deux lois majeures modifiant le Code de procédure

civile au XXIe siècle tend à montrer que la modification est accentuée entre 2011 et l’adoption du

nouveau Code en 2014. Celui-ci est entré en vigueur le 1er janvier 2016. En effet, si la révision

initiale reposait sur l’idée de l’existence de «principes directeurs», celle-ci n’était affirmée jusqu’en

2011 que dans le rapport du Comité de révision1057. Les principes directeurs codifiés n’avaient pas

de désignation rappelant spécifiquement leur statut dans la structure même du Code1058. Le projet de

loi proposé en 2013 ayant depuis été adopté, la présentation de ces principes directeurs et plusieurs

aspects de notre vision de la procédure civile connaissent un changement important lors de l’entrée

en vigueur de la nouvelle loi1059. Les trois textes préparant la seconde phase de la révision, tant la loi

que le projet de loi et l’avant-projet de loi, proposent un remaniement du Code de procédure civile

l’action pour jugement déclaratoire en droit administratif et constitutionnel, le mandamus et l’action en nullité d’une règle

de droit devaient être amalgamés. 1056 Voir à ce sujet Barreau du Québec, Mémoire du Barreau du Québec sur l’avant-projet de loi instituant le nouveau

Code de procédure civile, présenté à la Commission des institutions, Mémoire présenté à la Commission des institutions

de l’Assemblée nationale, Québec, 19 décembre 2011, p. 13 [ci-après, Barreau du Québec, Mémoire du Barreau du

Québec 2011]. 1057 Comité de révision de la procédure civile, Une nouvelle culture judiciaire, supra note 7, p. 38-43. 1058 Ils sont inscrits parmi les dispositions introductives aux articles 4.1, 4.2 et 4.3 C.p.c. (2003), voisinant ce principe

directeur depuis longtemps présent au Code qu’est le principe du contradictoire, inscrit à l’article 5 C.p.c. Il n’existait pas

de section ou de titre désignant des «principes directeurs» dans le texte même de la loi. Le Code adopté en 1966 ne

contient pas de disposition préliminaire, alors que celle du Code civil faisait référence aux «principes généraux», mais non

aux principes directeurs. 1059 Loi instituant le nouveau Code de procédure civile, L.Q. 2014, c. 1.

Page 247: L'évolution et la structuration des principes directeurs

237

qui confirme les changements effectués en 2003 et depuis, les approfondit et en accentue les

traits1060.

Elle est ainsi, en partie, une consolidation des acquis, par exemple en ce qui concerne le délai de

rigueur1061. À propos de celui-ci, la rédaction conserve le même langage impératif que celui de

l’article qui l’a précédé. Cependant, les articles encouragent les parties à prévoir des prolongations

dès la négociation du protocole de l’instance1062. Le respect de ce délai s’avère toujours essentiel

dans la consolidation de la nouvelle culture judiciaire, mais l’élément de souplesse et l’importance

du dialogue en matière de protocole de l’instance sont aussi présents dans la pensée du législateur à

cette étape des procédures. D’autres aspects de la situation se modifient. Par exemple, l’article

traitant de proportionnalité dans le Code de 2003 est dirigé principalement vers la procédure civile.

Or, le rapport du Comité, qui rejoint probablement l’intention initiale du législateur, a toujours

prévu d’étendre cette obligation à la preuve civile. Le nouveau Code remanié va donc tenir compte

de cette réalité et inclure spécifiquement cette mesure dans l’un de ses articles. Toujours en

approfondissant les tendances mises en place en 2001, le Code de 2016 contient plusieurs articles

concernant les modes privés de prévention et de règlement des différends1063. Outre une section du

Code qui leur est complètement consacrée1064, l’idée du règlement amiable inspire plusieurs articles.

Ceux-ci varient des plus évidents, comme la possibilité de se prévaloir de la conciliation judiciaire,

jusqu’à d’autres, moins immédiatement présents à l’esprit, mais qui reposent sur la communication

des parties, comme la divulgation de la preuve ou la préparation et la modification du protocole de

l’instance. Les principes directeurs de la conciliation et de la coopération, tous deux profondément

reliés aux stratégies de communication encouragées à la fin du XXe siècle, sont donc largement

présents dans la structure du Code. De plus, l’importance de la liberté des parties continue d’être

affirmée dans ce contexte, que cela soit dans le cadre des PRD eux-mêmes que dans l’application de

certains articles du Code. En effet, si le respect des principes directeurs est obligatoire durant un

mode de PRD, les parties disposent d’une grande liberté pour établir les règles qui les régiront dans

le cadre de celui-ci. Même le livre du Code concernant la médiation est d’application optionnelle,

1060 Loi instituant le nouveau Code de procédure civile, L.Q. 2014, c. 1; PL 28, Loi instituant le nouveau Code de

procédure civile, 1re sess., 40e lég., Québec, 2013; Avant-projet de loi : Loi instituant le nouveau Code de procédure

civile, 2e sess., 39e lég., 29 septembre 2011. 1061 Art. 173 N.C.p.c.; art. 173, PL 28, Loi instituant le nouveau Code de procédure civile, 1re sess., 40e lég., Québec,

2013. La comparaison des deux articles montre que la rédaction du premier alinéa a été modifiée pour mieux préciser les

dates possibles pour le début de la computation des délais, selon les circonstances. 1062 Art. 148 N.C.p.c. 1063 L’abréviation «PRD» sera utilisée ci-après. 1064 Art. 1 à 7 C.p.c.

Page 248: L'évolution et la structuration des principes directeurs

238

sauf lorsqu’il est nécessaire de compléter le fonctionnement établi par les parties, en cas de situation

imprévue par exemple1065.

Ces mêmes articles initiaux établissent une nouvelle caractéristique du Code de 2016. Celui-ci, en

plus de poursuivre l’augmentation du pouvoir des juges entamée précédemment, a aussi pour

mission d’élargir la portée du Code lui-même. En effet, les Codes antérieurs à 2016 définissent la

procédure civile dans son rapport avec le droit judiciaire et régissent alors le comportement des

acteurs du monde judiciaire en lien avec les procès ou les arbitrages, principalement. Les

discussions, médiations et autres négociations qui entourent les instances sous les anciens codes

sont majoritairement «privées» et laissées à l’initiative des parties et de leurs représentants, à moins

que le recours à ces modes d’échanges soit inscrit dans la démarche judiciaire, comme dans le cas

où l’intervenant en matière de conciliation dans le cadre d’un programme de médiation offert par le

tribunal, entre autres. À l’inverse, le nouveau texte incorpore ces initiatives dans la sphère

d’influence du Code de procédure civile. Celui-ci peut désormais énoncer des «normes» qui

définissent partiellement des comportements attendus de ceux qui se livrent à la conciliation ou à la

médiation privée comme usagers ou personne-ressource. Cela revient aussi à reconnaître au tribunal

une possibilité d’intervenir en cas de bris des règles applicables. Dans l’ensemble, l’adoption du

nouveau Code vient altérer les frontières de la définition du terme «procédure civile» pour englober

des réalités autrefois perçues comme appartenant à une sphère privée. Ceci peut avoir des liens avec

la perception exprimée par une partie des spécialistes voulant que la «justice participative», à savoir

l’usage de modes de prévention et de règlement des différends, appartienne non seulement à l’offre

de justice d’une société, mais participe pour les citoyens à une forme d’accès à la justice1066. En

effet, cette réflexion ne s’étend pas uniquement aux moyens de règlement des différends intégrés au

déroulement de l’instance, comme la conciliation judiciaire. Globalement, sans avoir réalisé une

analyse approfondie du sujet qui mériterait d’être étudié séparément, il faut tenir compte d’un

apparent élargissement de la définition des termes. S’agit-il d’une modification qui perdurera et

marque la reconnaissance de balises plus sociales et moins judiciaires ou étatiques du concept de

«la justice» et de ses contours? Est-ce plutôt une perception passagère qui accompagne le

développement d’une réflexion, voire d’un encouragement, à l’adoption de nouvelles méthodes de

gestion des conflits?

1065 Art. 6 C.p.c. 1066 Voir par exemple J.-F. Roberge, La justice participative : Changer le milieu juridique par une culture intégrative de

règlement des différends, Cowansville, Yvon Blais, 2011, p. 2 [J.-F. Roberge, La justice participative]; Barreau du

Québec, Mémoire du Barreau du Québec 2011, p. 15. Pour une perspective qui s’éloigne de cette approche, voir S.

Guillemard, Mémoire présenté à la Commission des Institutions de l’Assemblée Nationale du Québec (dispositions

relatives à la médiation), S.l., s.n., 2011, p. 13-16 et 19 [ci-après S. Guillemard, Mémoire à la Commission des

institutions].

Page 249: L'évolution et la structuration des principes directeurs

239

1.2.2. L’insertion d’une disposition préliminaire au Code de procédure civile

Nous avons souligné précédemment que l’insertion d’une disposition préliminaire constituait une

innovation dans le Code, tant sur le plan de la structure de celui-ci qu’à titre d’innovation dans la

compréhension de «l’esprit» du Code. Il est bon d’examiner davantage ce phénomène et ses

répercussions.

D’une part, sans être généralisée, l’utilisation d’un outil de cette nature n’est pas inusitée en droit

occidental moderne1067. L’analyse générale de la valeur symbolique et de la valeur pratique,

puisqu’elle reste une «règle du droit positif», d’une telle disposition introductive montre qu’elle sert

souvent à affirmer les principes généraux qui sous-tendent la codification ou, dans le cas qui nous

occupe, sa réforme1068. Les principes généraux ainsi énoncés sont prisés pour le peu de sensibilité

qu’ils manifestent souvent à l’emprise du temps. Le recours à cette technique rejoint donc une

volonté de pérennité, tout en étant pédagogique afin d’orienter l’interprétation1069. Ces dispositions

sont utilisées par les tribunaux et considérées comme ayant aussi un pouvoir contraignant sur

l’application des autres articles d’une loi1070. Transposée dans le contexte, l’approche est

manifestement de nature à favoriser la reconnaissance et l’établissement d’une nouvelle culture

judiciaire, c’est-à-dire l’application du Code issu de la réforme, et cela même en l’absence d’une

difficulté d’interprétation. Cet outil législatif corrobore l’intention du législateur de s’appuyer sur

des principes et des valeurs pour vivifier l’interprétation et préciser l’orientation de ce texte de loi.

Comme le rappelle le professeur Bisson, une codification traduit notamment une intention de

déterminer une exposition ordonnée du droit et une pensée de son interprétation1071. Il ajoute qu’il

est toujours de mise de s’interroger dans ce cas sur l’opportunité d’imposer certaines notions qui

encadrent et gouvernent le sens de «l’œuvre codificatrice»1072. Cela peut se traduire par une

disposition préliminaire, une partie générale ou des processus similaires connus sous divers noms,

mais qui évoquent la même idée.

Annoncée dès 20011073, la Disposition préliminaire est rédigée et adoptée lors de la seconde phase

de la révision1074. Son énoncé final présente des ressemblances avec celui de la Disposition

1067 R. Cabrillac, supra note 14, p. 245. Cette idée se déduit aussi des propos tenus dans A.-F. Bisson, «La Disposition

préliminaire du Code civil du Québec», supra note 848, p. 542. 1068 R. Cabrillac, supra note 14, p. 244-245. 1069 Id., p. 245. 1070 Par analogie, voir Doré c. Verdun (Ville), [1997] 2 R.C.S. 862, 1997 CanLII 315 (CSC), par. 15-16 (j. Gonthier). 1071 A.-F. Bisson, «La Disposition préliminaire du Code civil du Québec», supra note 848, p. 541-542. 1072 Ibid. 1073 Comité de révision de la procédure civile, Une nouvelle culture judiciaire, supra note 7, p. 35. 1074 Ibid.

Page 250: L'évolution et la structuration des principes directeurs

240

préliminaire du Code civil. D’ailleurs, la recherche de cohérence entre les deux textes est évidente.

Sa rédaction en parties distinctes et divisées exprime aussi clairement que les auteurs ont su tirer

parti des possibilités d’un tel texte, qui est considéré dans sa dimension «technique», ou spécialisée,

d’article interprétatif. Le premier alinéa de la Disposition préliminaire rappelle le rôle principal du

Code de procédure civile1075. Cette section codifie un état de fait déjà reconnu en jurisprudence1076.

Elle établit, d’une part, les principes de la justice civile et, d’autre part, elle régit la procédure

applicable devant les tribunaux et dans l’exécution des jugements, ainsi que celle qui prévaut quant

aux modes de prévention et de règlement de différends. Selon le texte, ce rôle est joué avec le Code

civil1077 et en harmonie avec la Charte des droits et libertés de la personne1078, ainsi qu’avec les

principes généraux du droit. Le nouveau Code est à présent reconnu comme un lieu d’expression de

principes, par exemple en ce qui a trait à l’affirmation de l’importance de la justice civile privée et

aussi de principes de conciliation et de gestion de l’instance. Ils sont susceptibles d’influencer la

façon dont les droits individuels seront appliqués et défendus devant les tribunaux, donc de

s’intégrer à l’occasion à l’interprétation du domaine du Code civil. Cette influence ne sera

probablement pas nouvelle, même si le nombre de principes directeurs croît. Comme la définition

donnée l’a déjà souligné, les «principes directeurs» ont une nature spécialisée1079 qui les lie

fortement à la branche de droit dont ils sont issus, qu’ils soient intégrés dans le Code de procédure

civile implicitement ou explicitement tout en appartenant plus largement à l’univers du droit

procédural. De fait, les principes directeurs ne se résument pas à la règle qui les exprime et les rend

applicables, puisqu’ils peuvent être implicites, ou parfois traduire une expression d’un principe

général, etc.

Le deuxième alinéa1080 de la Disposition préliminaire affirme les buts du Code de procédure civile.

Il rappelle d’une part le but direct de tout code procédural, à savoir de permettre le règlement des

1075 «Le Code de procédure civile établit les principes de la justice civile et régit, avec le Code civil et en harmonie avec la

Charte des droits et libertés de la personne (chapitre C-12) et les principes généraux du droit, la procédure applicable aux

modes privés de prévention et de règlement des différends lorsque celle-ci n’est pas autrement fixée par les parties, la

procédure applicable devant les tribunaux de l’ordre judiciaire de même que la procédure d’exécution des jugements et de

vente du bien d’autrui.» (Disposition préliminaire, al. 1, N.C.p.c.) 1076 Voir Lac d'Amiante du Québec Ltée c. 2858-0702 Québec Inc., 2001 CSC 51, [2001] 2 R.C.S. 743, par. 40, j. LeBel. 1077 Ceci illustre une évolution : la disposition préliminaire de l’Avant-projet de loi, où la mention du Code civil venait

après celle de la Charte et après l’expression «en harmonie». (Avant-projet de loi : Loi instituant le nouveau Code de

procédure civile, 2e sess., 39e lég., 29 septembre 2011). Le législateur semble insister particulièrement sur la connexité

entre les deux Codes dans la nouvelle version. 1078 En principe, bien que le nouvel alinéa ne le précise pas davantage que le texte de la disposition préliminaire du Code

civil, la Charte canadienne des droits s’applique également dans ce contexte, si la cause le justifie. Voir Globe and Mail c.

Canada (P.G.), 2010 CSC 41, [2010] 2 R.C.S. 592, par. 27 et 29 (j. LeBel). 1079 Revoir l’explication donnée dans l’introduction, principalement en page 8. 1080 «Le Code vise à permettre, dans l’intérêt public, la prévention et le règlement des différends et des litiges, par des

procédés adéquats, efficients, empreints d’esprit de justice et favorisant la participation des personnes. Il vise également à

assurer l’accessibilité, la qualité et la célérité de la justice civile, l’application juste, simple, proportionnée et économique

de la procédure et l’exercice des droits des parties dans un esprit de coopération et d’équilibre, ainsi que le respect des

Page 251: L'évolution et la structuration des principes directeurs

241

différends. Cet alinéa contient ensuite quelques énoncés de valeurs qui viennent caractériser les

moyens employés pour l’atteinte de ce but. Ces valeurs reprennent des thèmes centraux et

fédérateurs de la réforme. Premièrement, il est question de l’aspect purement pratique de la

procédure civile, comme le choix judicieux des moyens, la célérité, etc. Deuxièmement, certaines

de ces valeurs exercent leur influence directement sur les acteurs de la justice civile et leur action.

Enfin, les dernières sont des valeurs liées à la représentation de la justice et du système des

tribunaux comme un environnement accessible, simple, axé autant que possible sur le justiciable.

Cette représentation cherche à traduire la perception des acteurs d’un système influencé par les

idées actuelles en matière de justice en érigeant en valeur des sujets comme la décentralisation, la

participation. Une partie des préoccupations s’attachent à la méthode ou au fonctionnement des

tribunaux, inspirées par l’idée de la prestation d’un service et la qualité de l’expérience du

justiciable qui doit effectivement utiliser ce service. Notons aussi que les valeurs ainsi évoquées ont

une double origine. Plusieurs traduisent la perception des acteurs du système judiciaire et des

justiciables au moment de son adoption. D’autres, au contraire, tendent à encourager le

développement d’une image du système judiciaire tel qu’il devrait être en vertu de nouvelles

approches. Cette image ne repose pas sur une perception directe et quantifiable en termes de

difficultés réelles ou d’application lors de l’adoption de la mesure. Cette représentation de l’univers

de la justice est orientée dans le sens d’un changement des perceptions.

La nouvelle disposition rejoint ainsi le discours récent de membres de la communauté juridique sur

la nécessité du changement culturel. En effet, le système judiciaire, voire la justice, a longtemps été

représenté comme «un univers» nécessitant une approche respectueuse et une certaine révérence1081.

L’emploi d’expressions liées à la dignité des juges et du système judiciaire, l’importance de la

sérénité des débats, le recours même à des formes rituelles1082 en témoignent. La communauté

juridique souhaite désormais créer une impression de proximité entre l’appareil judiciaire et les

justiciables par diverses mesures1083, tout en essayant d’en abolir les arêtes les plus visibles1084, mais

personnes qui apportent leur concours à la justice.» (Disposition préliminaire, al. 2, N.C.p.c.) Cet alinéa regroupe les

second et troisième alinéas de la disposition préliminaire de l’Avant-projet de loi de 2011. Si le troisième alinéa n’a connu

aucune modification au moment de cette fusion, son prédécesseur a été modifié. La philosophie ne se modifie pas d’une

façon perceptible : le remaniement n’affecte le sens que très peu et les préceptes exposés continuent d’être les mêmes,

comme la prévention et le règlement des différends, l’emploi de procédés efficaces et adéquats, la valorisation de la

participation des personnes et l’importance de l’esprit de justice. 1081 Voir par exemple l’article du juge Bruneau sur le délibéré des juges où il fait l’éloge d’une décision rendue après une

sage réflexion et où, sans refuser la célérité dans le délibéré, il souhaite tempérer la situation pour une justice bien rendue,

A.-A. Bruneau, «Du délibéré des juges», supra note 416, p. 205-209, notamment. 1082 Parmi celles-ci, citons l’habitude de se lever à l’entrée de la Cour –ou du juge. Art. 34 R.p.c.(C.S.). 1083 Ceci est d’ailleurs compatible avec les objectifs de la révision qui maintiennent les justiciables au centre des

préoccupations du système judiciaire, notamment dans les questions de proportionnalité, de célérité, d’équilibre entre les

parties, etc. Voir Comité de révision de la procédure civile, Une nouvelle culture judiciaire, supra note 7, p. 31.

Page 252: L'évolution et la structuration des principes directeurs

242

en conservant cette image de respectabilité. Bien que louable, cette attitude nécessite un travail

extrêmement délicat pour parvenir à un équilibre viable pour tous et efficace pour la réussite sociale

du système judiciaire. Un parallèle s’établit entre cette attitude et celle qui réclame un

assouplissement de la procédure civile. Nous avons vu que certains changements s’effectuent et

qu’il est parfois nécessaire de disposer de plus de règles pour définir les principes et les aspects

obligatoires, afin que les assises de la justice ne soient pas modifiées. De plus, ces règles n’émanent

pas uniquement du législateur, le pouvoir de régir la procédure se reporte sur plusieurs acteurs, d’où

l’importance de le baliser, ce que font ces principes et valeurs. D’autre part, il faudra à terme

canaliser et valider les adaptations proposées dans chaque cas, justement pour s’assurer de leur

conformité à la justice, aux principes de la procédure, etc. Cela est d’autant plus vrai si, comme

nous l’avons suggéré, la définition retenue socialement de la justice était en mutation. Ce rôle

reviendrait aux juges dans la logique de la procédure civile actuelle. En modifiant le rôle du Code

de procédure civile selon l’idéal d’une procédure civile plus souple et moins contraignante1085, le

rôle de balise qu’il jouait doit se transférer en partie aux juges, dont la situation est privilégiée par

une action précise et adaptée aux différents dossiers.

Le dernier alinéa de la Disposition préliminaire inscrit clairement le Code de procédure civile dans

la mouvance de la tradition civiliste1086. Cette prise de position est importante, surtout dans le cadre

d’un texte issu d’un droit véritablement mixte1087. En sciences sociales, la «tradition» fait

d’ordinaire référence par exemple à une idée d’ensemble de doctrines, de coutumes, ou à la

1084 Les qualificatifs de «Votre Seigneurie» ou «Votre Honneur», autrefois employés pour s’adresser aux juges, ne sont

plus de mise, remplacés par un simple «Monsieur le juge» ou «Madame le/la juge». Voir aussi D. Jutras, «Culture et droit

processuel : le cas du Québec», supra note 699, p. 283, où il est notamment question de «désacralisation» de la justice. J.-

G. Belley y fait également allusion explicitement : J.-G. Belley, «Une justice de la seconde modernité», supra note 4, p.

342. 1085 Québec, Mémoire sur l’Avant-projet de loi instituant le nouveau code de procédure civile présenté le 19 décembre

2011 dans le cadre de la consultation générale et auditions publiques tenues par la Commission des institutions, mémoire

présenté à la Commission des institutions l’Assemblée nationale, Québec, décembre 2011, p. 11. Voir aussi les notes

explicatives accompagnant le nouveau Code. Celui-ci est présenté comme plus simple, la procédure y est plus souple,

permettant entre autres aux parties de négocier pour établir le protocole de l’instance (art. 148 et 151 N.C.p.c.), etc.

Certains peuvent cependant objecter que l’examen de ce protocole par le tribunal (art. 150 al. 1 N.C.p.c.) et l’impossibilité

de le modifier sans l’accord du tribunal dans plusieurs cas (art. 150 al. 2 N.C.p.c.), par exemple, perpétuent l’aspect

contraignant de la procédure civile. De fait, l’aspect contraignant d’une telle législation peut sans doute être adouci, mais

pas entièrement supprimé. Des aspirations telles que la célérité et l’efficacité de la procédure civile reposent aussi sur des

balises qui limitent et encadrent la progression de l’instance : ces règles doivent avoir une portée obligatoire sous peine

d’être sans effet. La perception d’une diminution de l’aspect contraignant des règles ne peut être que partielle et serait

démentie dans le cas d’autres règles. 1086 «Enfin, le Code s’interprète et s’applique comme un ensemble, dans le respect de la tradition civiliste. Les règles qu’il

énonce s’interprètent à la lumière de ses dispositions particulières ou de celles de la loi et, dans les matières qui font

l’objet de ses dispositions, il supplée au silence des autres lois si le contexte le permet.» (Disposition préliminaire, al. 3,

N.C.p.c.) 1087 Il est enrichissant de considérer un article s’intéressant aux racines civiliste de la procédure civile québécoise, voir par

exemple S. A.-L. Hountohotegbè, «De l’ombre à la lumière : l’hypothèse de la renaissance de la filiation romano-

germanique de la procédure civile québécoise», (2015) R.D. McGill 215.

Page 253: L'évolution et la structuration des principes directeurs

243

transmission d’un trait culturel1088. Mais la tradition ne doit pas se réduire à la conservation et à la

transmission des acquis, car elle intègre progressivement de nouveaux éléments1089. En cela, la

proposition du professeur H. Patrick Glenn qui décrit la tradition juridique en insistant, entre autres

caractéristiques, sur la capture de l’information, la transmission de l’information et la possibilité de

changement, peut avoir un intérêt manifeste dans l’étude de l’évolution de la procédure civile1090.

Elle rejoint ainsi l’impression d’enracinement dans l’histoire et le temps, tout en exprimant le

dynamisme et la multiplicité des sources qui semblent caractériser l’institution qu’est la procédure

civile et qui se construit à travers l’observation de certains de ses principes directeurs. Lorsque le

droit est considéré comme un fait de la culture, ou un élément fondateur de la société, ces

indications deviennent pertinentes. La tradition en matière de droit civil au Québec a des traits

particuliers, notamment dans la partie du droit explorée dans cette thèse. Il s’agit d’un droit civil

codifié, mais cette seule caractéristique est une description incomplète. Le droit de la procédure et

de la preuve, même codifié, ne s’affranchit pas totalement des liens qu’il entretient avec le droit de

tradition britannique qui a participé à son développement1091, même s’il ne s’agit pas d’une relation

de «dépendance» à un droit qui serait un «ascendant». L’importance de cette double influence est

soulignée régulièrement1092 et son application a été relevée de façon convaincante dans les sections

précédentes. Dans le cadre d’un arrêt, le juge LeBel a déclaré, à propos de cette situation, mais sans

faire référence au texte du futur Code, que :

Si la mixité du droit de la procédure et de la preuve au Québec, et en particulier la

source de common law de diverses règles d’exclusion de la preuve, est dûment

reconnue, il est difficile d’admettre que les principes juridiques de common law ne

sauraient jouer aucun rôle résiduel dans l’évolution de cet aspect du droit québécois.

Après tout, le Québec est une province de droit mixte. Si une règle juridique découle

en définitive de la common law, il demeure logique de recourir à celle-ci dans

l’interprétation et l’élaboration de cette même règle en droit civil. Même si une règle a

1088 Cela se vérifie dans les définitions du langage courant (par exemple : Le Petit Larousse Illustré 2008, sub verbo

«tradition»; Le nouveau Petit Robert de la langue française, 2007, sub verbo «tradition»). La tradition, cependant, peut

être perçue de multiples façons et remplir diverses fonctions, allant de la survivance de la mémoire et de l’héritage à la

manipulation, alors que l’authenticité de son contenu est parfois contestée. Voir G. Balandier, «Tradition et modernité»

dans S. Mesure et P. Savidan, Dictionnaire des sciences humaines, Paris, P.U.F., 2006, p. 1172-1175 et J.-F. Dortier (dir.),

supra note 1487, p. 823-824. 1089 R. Alleau et J. Pepin, «Tradition», dans Encyclopaedia Universalis, vol. 22, Paris, Encyclopaedia Universalis

Editeurs, 1995, p. 826-827. 1090 Voir par exemple H.P. Glenn, «La tradition juridique nationale», R.I.D.C. 2-2003, 263, 271-277 ou H.P.Glenn, Legal

Traditions of the World, 4e éd., Oxford, Oxford University Press, 2010, p. 13-30. 1091 Globe and Mail c. Canada (P.G.), 2010 CSC 41, [2010] 2 R.C.S. 592, par. 27, 30 et 31 (j. LeBel). D. Jutras souligne

même l’existence d’un large apport du droit anglais dans le domaine de la procédure, D. Jutras, «Culture et droit

processuel : le cas du Québec», supra note 699, p. 277 (note 9). 1092 D. Jutras, «Culture et droit processuel : le cas du Québec», supra note 699, p. 276-277; J.-M. Brisson, La formation

d’un droit mixte, supra note 12, p. 137-138. La jurisprudence le souligne également : Globe and Mail c. Canada (P.G.),

2010 CSC 41, [2010] 2 R.C.S. 592, par. 40-45 (j. LeBel); Vidéotron Ltée c. Industries Microlec Produits Électroniques

Inc., [1992] 2 R.C.S. 1065, 1080-1081 (j. Gonthier); S. Guillemard, «Présentation de l’exemple de l’hybridation réussie :

le C.p.c. du Québec», supra note 13, p. 25-28.

Page 254: L'évolution et la structuration des principes directeurs

244

été transplantée et adaptée dans le contexte du droit civil, l’examen de son évolution

dans le système de common law du Canada reste pertinent et intéressant pour établir

l’interprétation correcte de la règle en question dans le contexte du système de droit

civil. […] Cette conclusion doit cependant reposer sur le principe fondamental selon

lequel l’interprétation et l’élaboration d’une telle règle doivent rester conformes aux

principes généraux énoncés dans le C.c.Q. et dans la Charte québécoise1093.

Cette intégration formelle au Code peut servir d’argument supplémentaire étayant l’exigence

voulant qu’une règle de procédure, même issue de la common law, se fonde dans le Code. Elle doit

dès lors fonctionner dans le contexte du droit civil québécois. La référence au système d’origine de

cette règle, si elle est utile pour la compréhension de la règle, ne peut pas en régir seule l’application

à long terme. Le processus d’emprunt doit idéalement se doubler d’un processus d’intégration au

système de réception. Ceci est particulièrement considéré dans le cas où la règle est choisie par le

système de réception, ou qu’elle est d’origine exogène, entre autres. La règle évolue et s’applique

désormais dans le cadre du droit québécois, elle appartient à un texte qui est présenté comme un

texte de droit civil dans sa définition même. Cependant, à l’inverse, elle ne peut pas être oubliée ou

négligée. La tradition du droit civil québécois est une tradition unique et spécifique qui reflète le

visage et l’évolution du Québec et de son système judiciaire, elle n’est pas un emprunt à un système

juridique étranger. Bien qu’ayant choisi un fonctionnement basé sur un code et réintégré plusieurs

règles du droit français de l’Ordonnance de 1667, il est impossible de réduire la tradition à ce Code

ou au système qui a inspiré la codification. En matière de procédure et preuve, notre droit

n’équivaut pas au droit français. Sa tradition conserve tout l’apport de la tradition anglaise qui a

participé à le façonner1094.

Cette thèse illustre d’ailleurs en partie le visage unique et la méthode de formation particulière de la

procédure civile québécoise. L’étude du changement culturel ou de l’acculturation s’intéresse entre

autres aux modifications qui se produisent par diverses formes de «contacts» ou d’interactions entre

des cultures, ce qui est loin de se réduire à l’assimilation, ainsi que l’expriment les spécialistes1095.

Dans ce contexte, le développement de la procédure civile québécoise offre des pistes de réflexion,

car ces contacts ont été nombreux et parfois volontaires. La procédure civile québécoise est

reconnue en tant que droit mixte, entourée d’une pensée et d’un discours qui s’intéressent à sa

préservation à titre d’élément culturel autant que pratique, mais qui dénote aussi l’intégration

planifiée (réussie ou non) de formes procédurales empruntées. Elle a ainsi reçu nombre d’influences

1093 Globe and Mail c. Canada (P.G.), 2010 CSC 41, [2010] 2 R.C.S. 592, par. 45 (j. LeBel). 1094 Par exemple, comme le décrit avec pertinence D. Jutras, les représentations du «procès et des institutions de justice

civile» des juristes québécois dénotent un rattachement culturel à la tradition de common law : D. Jutras, «Culture et droit

processuel : le cas du Québec», supra note 699, p. 276-277 et 285-286. 1095 D.L. Sam, «Acculturation : Conceptual Background and Core Components», dans D.L. Sam et J.W. Berry, The

Cambridge Handbook of Acculturation Psychology, New York/Cambridge, Cambridge University Press, 2006, p. 11-12.

Page 255: L'évolution et la structuration des principes directeurs

245

provenant de cultures juridiques externes, comme le droit britannique, américain, français, canadien

ou autre. Ceux-ci, dès 1867 selon les limites de notre étude, ont participé à son développement au

même titre que sa maturation interne. Cependant, des modifications à portée culturelle se sont aussi

amorcées dans la procédure civile, par emprunt ou autrement. Il s’agit en soi d’une illustration de

l’évolution d’une institution sociale dans une situation de changement culturel à long terme, un

changement à la fois spontané et résultant de stratégies culturelles et utilitaires évidentes. Celles-ci

ne sont pas obsolètes quand il s’agit de comprendre et d’interpréter les règles qui en résultent.

Ainsi, à la fin du XIXe siècle, le système d’injonction d’origine britannique adopté dans le Code de

1867 est remplacé par des formes d’injonctions semblables à celles du droit américain1096. Au même

moment, les commissaires chargés de la révision de la procédure civile consultent l’Ordonnance de

1667 et des sources civilistes telles que les auteurs Bellot et Seligman1097, mais se tournent aussi

vers le droit britannique1098, et les divers Codes de procédure qui existent1099 : le Code français, le

Code belge, le Code de New-York, le Code de la Louisiane et celui de la Californie sont cités.

Enfin, les règles de pratique issues du Québec, de l’Ontario et de la Nouvelle-Écosse sont mises à

contribution1100. De même, des causes décidées au Québec sont aussi considérées1101. Ce

phénomène d’emprunt qui tire sa substance des droits voisins, en termes de géographie ou de

parenté d’esprit, n’est pas limité au XIXe siècle. Les «actions collectives» qui désignent désormais

les anciens «recours collectifs», par exemple, sont notables à cet égard. Le terme «actions

1096 Après avoir examiné le fonctionnement des systèmes d’injonctions de la Grande-Bretagne, de l’Ontario, de New

York, de la Californie et de la Louisiane, les commissaires proposent de modifier le système d’injonction déjà existant en

prenant modèle sur celui de la Californie. (Quatrième rapport de la commission chargée de reviser et de modifier le Code

de procédure civile du Bas-Canada, supra note 7, p. lxxvi.). 1097 Par exemple, au sujet de l’examen des parties, les arguments de Seligman sont cités en entier pour soutenir la décision

de les permettre dans tous les cas. Premier rapport de la commission chargée de reviser et de modifier le Code de

procédure civile du Bas-Canada, supra note 7, p. 8; au sujet de l’exécution provisoire en cas d’urgence, tant Bellot que

Seligman sont mis à contribution, Quatrième rapport de la commission chargée de reviser et de modifier le Code de

procédure civile du Bas-Canada, supra note 7, p. xxxi-xxxii. 1098 Dans le cas du procès devant jury, notamment, les commissaires ont recours aux règles anglaises, Premier Rapport de

la Commission chargée de la revision et de la modification du Code de procédure civile du Bas-Canada, supra note 7, p.

23-24. 1099 Ainsi, en matière d’exception déclinatoire, les commissaires adoptent les articles du Code français et de la «Loi sur la

procédure civile» de Genève, alors que le Code français fournit également la règle concernant la litispendance. Premier

Rapport de la Commission chargée de la revision et de la modification du Code de procédure civile du Bas-Canada,

supra note 7, p. 15. La loi new-yorkaise est utilisée notamment en ce qui a trait à la règle concernant la transcription

sténographique (Id., p. 21). 1100 Entre autres, la pratique ontarienne est considérée lors de la discussion sur la possibilité de réserver certains jugements

à la Cour de Révision (Premier Rapport de la Commission chargée de la revision et de la modification du Code de

procédure civile du Bas-Canada, supra note 7, p. 23-24). Quant aux règles de pratique québécoises, les commissaires

affirment les avoir examinées. Ils exposent qu’ils ont considéré leur application ou leur possible disparition, sans doute

selon les cas, notamment lors de la préparation des articles déclaratoires et d’interprétation situés au début du Code,

Quatrième rapport de la commission chargée de reviser et de modifier le Code de procédure civile du Bas-Canada, supra

note 7, p. vii. 1101 Voir par exemple sur la question de la cession de biens et sur l’application du remède d’emprisonnement pour cession

frauduleuse, Deuxième rapport de la commission chargée de reviser et de modifier le Code de procédure civile du Bas-

Canada, supra note 7, p. lix.

Page 256: L'évolution et la structuration des principes directeurs

246

collectives» appartient à la terminologie française –dont le Code semble privilégier le terme «action

de groupe» (art. 626-2 C.p.c.f.)– et entre dans le Code québécois en 2016. Le moyen tel qu’il est

appliqué au Québec a été adopté quelques décennies plus tôt et s’inspire davantage du

fonctionnement des «class actions» nord-américaines, issues elles-mêmes du droit britannique1102.

Le droit procédural du Québec s’est construit en maintenant sa spécificité de droit civiliste, mais il a

aussi su s’inspirer et s’enrichir par l’emprunt collatéral ou exogène. Il est bon de noter enfin la

diversité des sources consultées, qui ne se limitent pas aux droits français et britannique, et

montrent que la réflexion sur l’emprunt s’est détachée très tôt de la lignée des droits «fondateurs»,

probablement selon nous sous l’impulsion du pragmatisme et de l’efficacité qui caractérisent la

pensée procédurale1103.

Une référence à la tradition ne peut pas nier une part de l’histoire, fût-elle sociale, judiciaire ou

juridique. Elle doit nécessairement correspondre au droit québécois, un droit en lui-même, un droit

à part entière, ancré dans une tradition de codification, issu du droit civil et enrichi par des apports

issus d’autres droits, notamment britannique. En d’autres termes, la «tradition civiliste», au Québec,

se doit d’être regardée comme une «tradition civiliste québécoise». De même, la fin du troisième

alinéa de la Disposition préliminaire précise la nécessité d’une interprétation des règles énoncées à

la lumière de l’ensemble. En indiquant que «le Code s’interprète et s’applique comme un ensemble,

dans le respect de la tradition civiliste», le législateur tente de baliser partiellement le discours sur la

future interprétation du Code. Divers impératifs tels que la cohérence du fonctionnement général

des textes, la reconnaissance de certaines valeurs et de principes directeurs applicables dans tous les

domaines ou la primauté de la règle codifiée sur l’interprétation de common law doivent

évidemment être respectées. Un élément incompatible, qui heurte ou entrave la cohésion du texte ou

son application, ne devrait pas être retenu à la légère. S’il doit être retenu pour éviter un résultat

injuste, son usage devrait être fait de manière à ce que cette atteinte soit minimale et ponctuelle.

Une compatibilité avec les buts et les principes directeurs, qui semblent devoir orienter le Code et

primer sur les règles très spécifiques, est une première étape cruciale dans cette réflexion. Il

deviendra tout aussi nécessaire de considérer, par exemple, le contenu existant du droit judiciaire

dans le système civiliste québécois. La procédure civile codifiée offre peut-être déjà un moyen

d’interpréter l’article ou de régler le point et celui-ci doit être préféré, dans ce contexte, à un

emprunt extérieur. Ceci peut se faire sans toutefois rejeter d’emblée la possibilité d’utiliser les

précédents issus d’autres droits s’ils s’avèrent pertinents. Enfin, le troisième alinéa définit le Code

1102 Voir à ce sujet l’étude de P.-C. Lafond, «Le recours collectif : entre la commodité procédurale et la justice sociale»,

(1998-99) 29 R.D.U.S. 3, 3-19. 1103 Au sujet du concept d’efficacité et de son importance en procédure civile, voir notamment S. Amrani-Mekki, supra

note 4, 254-257; N. Andrews, supra note 4, 103-104. Elle a un impact sur le développement des principes directeurs.

Page 257: L'évolution et la structuration des principes directeurs

247

de procédure civile comme une référence supplétive en cas de silence des autres lois. En effet,

quelques lois particulières imposent une procédure à suivre pour les matières qu’elles régissent. Si

une situation en matière de procédure n’a pas été prévue, cet alinéa réaffirme qu’elle sera résolue en

suivant les règles du Code, en tenant compte des adaptations rendues nécessaires par le contexte. Le

statut de loi prééminente en matière procédurale détenu par le Code et qui rejoint sa nature de texte

«codifié» se trouve réitéré et réaffirmé. À l’instar du Code civil, nous pouvons dire qu’il incarne le

«droit commun» en matière procédurale. La primauté de son rôle est formellement protégée

d’entrée de jeu, même s’il ne devient pas l’égal du Code civil, qui énonce le droit commun. En ce

sens, le dernier paragraphe rejoint les premiers mots de la Disposition préliminaire en répétant que

le Code de procédure civile «établit les principes de la justice civile». Cette formulation rappelle

celle du Code civil et le rôle complémentaire accordé au Code de procédure civile1104 dans ces

circonstances.

La Disposition préliminaire suggérée en 2011 a suscité initialement des réactions partagées. La

Chambre des notaires du Québec appuie l’insertion d’une disposition préliminaire au Code, jugeant

que ce type de texte «a le mérite d’être non seulement une disposition interprétative, mais

également une disposition qui, d’entrée de jeu, établit les nouveaux paradigmes du code»1105. Le

comité québécois de l’Association du Barreau canadien souligne pour sa part qu’il y aurait nécessité

de reformuler quelques-unes des phrases, tout en saluant prudemment l’intérêt d’une telle

disposition. S’il approuve le rappel de l’insertion du Code à la tradition civiliste, ou au système

juridique civiliste où le Code civil est le «réservoir de concepts», il précise qu’«il faudra s’assurer

que, dans les matières explicitement visées par le Code civil, le nouveau Code en suive l’esprit et la

lettre, qu’il s’en fasse le complément et le prolongement, plutôt que d’y voir une source potentielle

de contradictions»1106. La divergence s’exprime donc non pas au point de vue de la présence d’une

disposition préliminaire en soi, un outil de codification légitime, mais sur son contenu et surtout sur

la nature même de la procédure civile. Il semble que la conception de celle-ci crée des incertitudes

chez certains lorsqu’elle tend à se définir comme une matière qui contient des règles appartenant au

droit substantif, ou traduisant l’existence de principes. Pourtant, l’étude réalisée à propos des

1104 Par analogie, voir les remarques de la Cour suprême sur la disposition préliminaire du Code civil. Doré c. Verdun

(Ville), [1997] 2 R.C.S. 862, par. 15-16; Fédération des producteurs acéricoles du Québec c. Regroupement pour la

commercialisation des produits de l'érable inc., 2006 CSC 50, [2006] 2 R.C.S. 591, par. 29; Prud'homme c. Prud'homme,

2002 CSC 85, [2002] 4 R.C.S. 663, par. 29-30 (j. L’Heureux-Dubé et LeBel); A.-F. Bisson, «La Disposition préliminaire

du Code civil du Québec», supra note 848, p. 551. 1105 Chambre des notaires du Québec, Mémoire sur l’Avant-projet de loi instituant le nouveau code de procédure civile

présenté le 19 décembre 2011 dans le cadre de la consultation générale et auditions publiques tenues par la Commission

des institutions, mémoire présenté à la Commission des institutions l’Assemblée nationale, Québec, décembre 2011, p. 13. 1106 Association du Barreau Canadien, division du Québec, Mémoire relatif à l’Avant-projet de loi instituant le nouveau

Code de procédure civile, mémoire présenté à la Commission des institutions de l’Assemblée nationale, Québec, 2011, p.

5 [ci-après A.B.C., division du Québec, Mémoire relatif à l’Avant-projet de loi, 2011].

Page 258: L'évolution et la structuration des principes directeurs

248

décennies antérieures révèle que la présence de principes dans le Code de procédure civile est une

technique qui a déjà été utilisée. De plus, le recours aux principes dans l’interprétation et

l’application de la procédure civile a été le fait de nombreux avocats et juges.

Dans l’ensemble, l’insertion de principes, généralement dits directeurs, dans le Code de procédure

civile est cohérente avec la montée du discours développé depuis plusieurs années sur la procédure

civile. Ces principes directeurs ont pour vocation d’orienter l’esprit de la procédure civile au

Québec. En effet, l’influence des principes s’illustre directement ou indirectement dans tous les

domaines de la procédure civile, se diffusant dans toute la réflexion sur notre conception de celle-ci

et du Code, ainsi que dans les discours produits en conséquence. L’examen de l’évolution des

principes directeurs et de leur place dans le Code aux côtés des valeurs tend à démontrer que la

perception de la procédure civile en tant que partie intégrante du droit civil, voire surtout de la

«culture juridique», est en croissance1107. Les principes directeurs procéduraux, malgré leur rôle

visant à orienter le fonctionnement d’une branche du droit, plongent aussi leurs racines dans le droit

substantif1108, comme l’étude l’a illustré. Les principes et règles qui forment la procédure civile

portent une forte empreinte culturelle1109. Devant la reconnaissance des liens entre droit substantif et

procédure civile dans le cadre du Code, la légitimité d’une démarche qui veut placer d’autres

principes dans la structure même du texte apparaît1110. La tentative d’utiliser autrement les principes

directeurs en augmentant leur visibilité dans le Code, ou de leur confier un rôle de balises, de

moyens d’orientation et de contrôle d’une application au jour le jour du Code, est beaucoup plus

consciente et affirmée. La Disposition préliminaire entre ainsi dans une logique d’existence

particulière qui fait d’elle l’un des véritables piliers de la réforme. Elle est appelée à durer et à

s’imposer au-delà des modifications qui pourraient être apportées à des articles plus spécifiques et à

trouver sa mesure d’influence persuasive dans le cadre de tous les procès.

1.2.3. La procédure souple et l’encadrement nécessaire au déroulement de l’instance

Une réflexion orientée sur un cas d’espèce : l’utilisation de «protocoles»

Parallèlement aux actions prises pour approfondir l’application et l’esprit de la réforme, la tentative

d’assouplir le processus fait toujours partie de la réflexion, c’est-à-dire que la référence à

1107 Comité de révision de la procédure civile, Une nouvelle culture judiciaire, supra note 7, p. 35 1108 Ceci nous semble se produire particulièrement en ce qui concerne les principes directeurs du contradictoire, de la

conciliation et du contrôle de leur dossier par les parties, qui sont au cœur de la conception du système juridique –sans

même parler du système judiciaire– du Québec contemporain. 1109 Au sujet de l’aspect culturel de la procédure civile, voir entre autres D. Jutras, «Culture et droit processuel : le cas du

Québec», supra note 699, p. 275-278. 1110 L’analyse de J.-G. Belley sur les bases du droit procédural de l’avenir enrichit la réflexion sur cette question : J.-G.

Belley, «Une justice de la seconde modernité», supra note 4, p. 361-362.

Page 259: L'évolution et la structuration des principes directeurs

249

l’amélioration de l’accès par la transformation systémique continue d’être pertinente. Le travail

effectué sur les différents projets de rédaction du Code remanié le prouve. Cette approche s’insère

dans d’autres essais de modification de la procédure civile, signe de la détermination de préparer un

Code unifié et cohérent avec ses nouvelles orientations. Par exemple, le parti-pris de réduction des

délais dans la phase préliminaire du procès en tant que telle indique une propension générale à agir

dès les premiers stades de l’instance. Différentes avenues peuvent être envisagées pour réaliser ceci.

Celle qui a fait naître un consensus et a été adoptée par le Code est celle du protocole de l’instance,

qu’il est intéressant de comparer à un autre outil qui n’a qu’une existence ténue dans le droit du

Québec actuellement, soit le protocole préjudiciaire.

L’une des idées maîtresses de la réforme de la procédure civile tend à amener les parties à organiser

rapidement le déroulement de leur instance en recourant au protocole de l’instance, qui inclut entre

autres l’établissement d’un calendrier de l’évolution de leur dossier et de leurs échanges. Une fois

négocié entre les parties, ce protocole appartient de plein droit à la sphère d’influence de deux

principes directeurs, soit celui de la proportionnalité et celui de la coopération des parties1111. Ce

second principe directeur entre en jeu même si le Code définit une partie du contenu de l’entente en

indiquant des aspects qu’il doit obligatoirement couvrir. Les aspects que les parties peuvent

négocier touchent notamment la pertinence d’une tentative de conciliation, les moyens de

contestation préliminaires, les mesures de sauvegarde, les délais pour constituer et communiquer la

preuve. Les parties proposent aussi une évaluation du temps et des coûts nécessaires à l’évolution

du dossier, tout en fixant les échéances de manière à tenir compte du délai de préparation imposé

par le Code1112. Une fois accepté par les parties et le tribunal, ce protocole doit être respecté1113. Le

protocole permet de régler certains aspects d’une telle entreprise. Il appartient principalement aux

stratégies de gestion proportionnelle de la cause que les parties doivent adopter. Cette stratégie

particulière est placée également sous la supervision du tribunal, qui veille théoriquement sur son

contenu et pratiquement sur son application, ce qui fait partie de son rôle en matière de gestion.

L’origine de ces délais prend donc une autre forme, devient plus personnalisée, plus souple, même

si ces délais sont adaptés entre les parties selon leurs besoins et parfois déterminés par les

prescriptions de la loi, notamment pour le délai de rigueur. Au lieu d’émaner uniquement du

1111 Art. 148 N.C.p.c. 1112 Art. 148 N.C.p.c.; art. 148, PL 28, Loi instituant le nouveau Code de procédure civile, 1re sess., 40e lég., Québec,

2013; art. 144 de l’Avant-projet de loi : Loi instituant le nouveau Code de procédure civile, 2e sess., 39e lég., 29

septembre 2011. Bien que la rédaction de l’article dans le projet de loi soit un peu modifiée en comparaison de celle de

l’avant-projet de loi, notamment en étant divisée autrement, l’idée générale reste la même. L’article a été de nouveau

modifié avant l’adoption du projet de loi : il précise désormais la façon d’exprimer les mesures prises quant à l’obligation

des parties de considérer le recours aux moyens privés de résolution des différends, principalement. Comme nous l’avons

mentionné précédemment, il permet aussi de modifier certains délais prévus par le Code. 1113 Art. 150 N.C.p.c.

Page 260: L'évolution et la structuration des principes directeurs

250

pouvoir étatique ou judiciaire du législateur ou du juge, l’organisation de l’instance inclut désormais

la participation des parties. Cela n’affecte pas l’aspect contraignant des mesures législatives, car

elles doivent mener à une mise en état du dossier qui respecte le principe directeur de

proportionnalité. Les délais doivent être respectés et, s’ils ne peuvent l’être, il faut avoir recours à

des formalités préétablies pour les faire prolonger, que ce soit l’accord de l’autre partie ou

l’autorisation du tribunal1114. Cette orientation de la coopération des parties à travers l’outil que

représente le protocole de l’instance se rapproche conceptuellement de l’idée exprimée par le Code

pour rappeler aux plaideurs potentiels l’existence des modes alternatifs de résolution des conflits

qu’ils doivent considérer avant d’entreprendre une démarche judiciarisée.

Un autre type de protocole a été discuté dans les premières décennies du XXIe siècle et est

désormais mentionné –à une reprise– dans le nouveau Code1115. Ce «protocole préjudiciaire»

permet d’améliorer et d’accélérer la préparation d’une cause1116. Il se présente théoriquement

comme une démarche de coopération entre les parties avant le début de l’instance et qui encadre les

communications préjudiciaires entre celles-ci pour faciliter l’échange de l’information pertinente et

la détermination des points sur lesquels elles s’opposent réellement1117. Comme le souligne le juge

Gagnon, le «procédé donne préséance à la recherche de solutions équitables plutôt qu’à un

processus basé sur l’adversité»1118. Dans ce contexte, les protocoles préjudiciaires favorisent parfois

un règlement à l’amiable, selon le magistrat1119. Dans le nouveau Code, il faut comprendre que le

processus de règlement a déjà été tenté, puisque c’est la séance de règlement à l’amiable qui se

transforme en négociation du protocole préjudiciaire. Toujours selon le juge Gagnon, les protocoles

préjudiciaires permettent, si le conflit se judiciarise, de mettre le dossier en état avant d’entamer les

démarches judiciarisées, et ainsi d’accélérer la gestion d’instance1120. L’adoption d’un protocole

1114 Art. 84 et 150 al. 2 N.C.p.c., par exemple. 1115 Art. 2 al. 1 N.C.p.c. 1116 Voir la directive de pratique du ministère de la Justice britannique au sujet des protocoles préjudiciaires :

justice.gov.uk/courts/procedure-rules/civil/rules/pd_pre-action_conduct, art. 1. Voir aussi G. Gagnon, «Le «Pre-Action

Protocol» fait-il partie de la solution? Réflexion sur la procédure civile», Cour du Québec, mars 2009, p. [1], en ligne :

tribunaux.qc.ca/c-quebec/CommuniquesDocumentation/Pre_Action_Protocol_Internet.pdf. 1117 G. Gagnon, «Développements récents et tendances nouvelles en procédure civile», dans Barreau du Québec, Service

de la formation continue, Développements récents et tendances en procédure civile, Cowansville, Yvon Blais, 2010, 3, 6-

8; Barreau du Québec, Guide des meilleures pratiques, Montréal, le Barreau, 2012, p. 12, en ligne :

barreau.qc.ca/fr/publications/avocats/meilleures-pratiques/. 1118 G. Gagnon, «Développements récents et tendances nouvelles en procédure civile», supra note 1117, p. 11. 1119 G. Gagnon, «Le «Pre-Action Protocol» fait-il partie de la solution? Réflexion sur la procédure civile», supra note

1116 p. [4]; G. Gagnon, «Développements récents et tendances nouvelles en procédure civile», supra supra note 1117, p.

12; Barreau du Québec, Guide des meilleures pratiques, supra note 1117, p. 12. 1120 G. Gagnon, «Le «Pre-Action Protocol» fait-il partie de la solution? Réflexion sur la procédure civile», supra note

1116 p. [4]; G. Gagnon, «Développements récents et tendances nouvelles en procédure civile», supra supra note 1117, p.

12; Barreau du Québec, Guide des meilleures pratiques, supra note 1117, p. 12.

Page 261: L'évolution et la structuration des principes directeurs

251

préjudiciaire dans les types de dossiers qui le permettent a été prônée également lors de la révision

de la procédure civile britannique :

[i]n this part, I draw attention to some of the more noteworthy procedural changes

which I am putting forward. One of the most significant, the introduction of pre-trials

protocols (chapter 10), lies outside the scope of the formal rules of procedure, which in

the main apply only to proceedings in court. The protocols would extend back to the

pre-action stage something of the discipline I am seeking for formally litigated

proceedings. They will render less distinct the difference between pre-action activity

directed to case disposal and that which takes place after proceedings have begun1121.

Cette suggestion, proche des caractéristiques de la réforme québécoise, permet de s’interroger sur le

rôle que pourrait jouer le protocole préjudiciaire. En effet, cet encadrement des étapes préliminaires

à l’introduction de l’action peut être utilisé pour prévenir des difficultés et délais ultérieurs. Déjà,

l’avant-projet de loi, qui tentait justement d’éviter ces dérapages, précisait qu’il pourrait être

employé1122. Le Barreau du Québec, en réponse, suggère même que : «[l]’avis de négociation

pourrait être accompagné d’un protocole préjudiciaire dans lequel les parties peuvent convenir des

conditions et des modalités de leurs échanges, notamment en ce qui concerne leurs moyens ainsi

que leur preuve»1123. L’analyse de Lord Woolf peut s’appliquer partiellement au droit québécois,

car si le protocole préjudiciaire devait être supervisé par le tribunal, l’influence de la fonction

judiciaire s’étendrait un peu plus dans la sphère qui précède l’introduction de l’action, bien que son

contenu reste sous la responsabilité des parties. Par contre, la portée du Code se trouve modifiée, ce

qui accentuerait la définition ou l’image de la procédure civile élargie proposée par la réforme.

Cependant, ni le gouvernement québécois ni le Barreau du Québec n’ont encore adopté une forme

de protocole préjudiciaire définie, contrairement à ce que l’on peut observer en Grande-

Bretagne1124. La jurisprudence québécoise ne fournit pas encore, pour l’instant, d’exemples

concernant l’élaboration d’un protocole préjudiciaire. Dans l’ensemble, la possibilité théorique de

réglementer les étapes préjudiciaires de la cause par des articles du Code suscite des

1121 Lord Woolf, supra note 884, p. 104. 1122 Art. 20 Avant-projet de loi : Loi instituant le nouveau Code de procédure civile, 2e sess., 39e lég., 29 septembre 2011.

Le projet de loi no 28 (PL 28, Loi instituant le nouveau Code de procédure civile, 1re sess., 40e lég., Québec, 2013)

propose aussi de l’utiliser, art. 2. La proposition a été retenue dans la loi adoptée en 2014 : art. 2 N.C.p.c. 1123 Barreau du Québec, Mémoire du Barreau du Québec 2011, supra note 1056, p. 15. 1124 De nombreux protocoles préjudiciaires particuliers ont été développés dans le droit britannique. Ceux-ci ont été

présentés ponctuellement par le gouvernement de manière législative depuis 1999, et sont applicables dans des domaines

aussi variés que la diffamation, la négligence professionnelle, les dommages personnels et la construction, par exemple.

Une liste de ces sujets, ainsi qu’une explication précise de ce que contient un protocole préjudiciaire est disponible sur le

site justice.gov.uk/courts/procedure-rules/civil/rules/pd_pre-action_conduct; des exemples de protocoles préjudiciaires

peuvent être consultés. Voir, en matière de dommages personnels : justice.gov.uk/courts/procedure-

rules/civil/protocol/prot_pic… Considérer aussi les réflexions d’auteurs québécois : G. Gagnon, «Développements récents

et tendances nouvelles en procédure civile», supra note 1117, p. 6-8. Voir aussi, approuvant ce texte, les remarques de

Jean-François Roberge : J.-F. Roberge, «Commentaires de Jean-François Roberge» dans L. Chamberland (dir.), Le grand

collectif, Code de procédure civile, commentaires et annotations, vol. 1, Montréal, Yvon Blais, 2015, p. 13-15.

Page 262: L'évolution et la structuration des principes directeurs

252

questionnements et des réactions d’appui ou de réflexion, compte tenu de ses caractéristiques, de

ses apports et de ses conséquences potentiels1125. Pour l’instant, l’article ne fait qu’inciter les parties

à prendre des mesures avant la judiciarisation du conflit pour régler celui-ci plus rapidement et,

advenant un échec, minimiser les coûts et délais judiciaires est conservée1126. Nous avons vu que

cela peut s’insérer dans la philosophie du nouveau Code et, à long terme, apparaître comme un outil

intéressant pour assurer son implantation. Du côté des parties, l’intérêt pour l’implication directe est

vivace et trouve à s’exprimer dans les PRD et aussi dans le moyen procédural que peut être un

protocole préjudiciaire1127. Il n’est donc pas conceptuellement impossible que cet outil soit un jour

recommandé et considéré porteur de l’esprit de la réforme.

Dans le contexte actuel, cette avenue n’a pas été traitée directement dans l’avant-projet de loi de

2011. Celui-ci se borne à suggérer que cette méthode puisse être utilisée par les parties : «[e]lles

peuvent aussi, même avant l’introduction de l’instance, coopérer pour préparer celle-ci en

convenant d’un protocole préjudiciaire»1128. En revanche, l’article proposé dans le projet de loi de

2013 et adopté par la suite a modifié un peu la situation. Il précise que, dans le cas d’un recours à un

mode de prévention ou de règlement à l’amiable des différends qui échoue, les parties «sont alors

tenues […] de coopérer activement […] dans l’élaboration et l’application d’un protocole

préjudiciaire»1129. Cette méthode, tout d’abord présentée comme appartenant à la sphère

d’intervention discrétionnaire des parties, reçoit un encadrement un peu plus contraignant. Celui-ci

ne s’exerce pas initialement sur le choix effectué par des parties, car ces dernières demeurent libres

de mener leur dossier à leur gré et de recourir ou non à ce procédé qu’est le processus privé de

règlement du différend. Cependant, avec la naissance d’une obligation à un stade ultérieur, le

nouveau texte du Code peut modifier la façon dont elles doivent aborder cet outil procédural, si

elles l’utilisent.

1125 Pour les questionnements, voir S. Guillemard, Mémoire à la Commission des institutions, supra note 1066, p. 16-17 et

19, notamment; S. Guillemard, «Médiation, justice et droit : un mélange hétéroclite», (2012) 53 C. de D. 189, 222. Pour

l’appui, considérer G. Gagnon, «Développements récents et tendances nouvelles en procédure civile», supra note 1117. 1126 G. Gagnon, «Développements récents et tendances nouvelles en procédure civile», supra note 1117, p. 10-11. La

divulgation et la coopération à une étape de la cause où le conflit n’est pas encore judiciarisé, mais où il peut être réglé, à

un moment où avocats et parties ont l’entier contrôle de leur dossier, illustrent cette réalité. À propos des principes

applicables aux modes privés de prévention et de règlement des différends, voir par exemple J.-F. Roberge,

«Commentaires de Jean-François Roberge», supra note 1124, p. 13. 1127 Cette attitude est généralisée dans le contexte de la solution des conflits et litiges, notamment en médiation privée et

aussi en conciliation judiciaire. Voir par exemple L. Otis, «La transformation de notre rapport au droit par la médiation

judiciaire», supra note 1, p. 14. Considérer les propos de J.-F. Roberge, La justice participative, supra note 1066, p. 29-

30. 1128 Art. 20, Avant-projet de loi : Loi instituant le nouveau Code de procédure civile, 2e sess., 39e lég., 29 septembre 2011. 1129 Art. 2 N.C.p.c.; art. 2, PL 28, Loi instituant le nouveau Code de procédure civile, 1re sess., 40e lég., Québec, 2013.

L’article 2 N.C.p.c. ajoute au texte précédent en précisant que les parties sont aussi tenues de partager les coûts.

Page 263: L'évolution et la structuration des principes directeurs

253

Analysés conjointement, le protocole préjudiciaire et le protocole de l’instance présentent deux

aspects notables. Dans un premier temps, ils démontrent l’intérêt pour les mesures d’administration

rigoureuses qui tendent à aménager le temps et les ressources financières disponibles pour atteindre

un résultat considéré satisfaisant dans la philosophie de la réforme de la procédure civile. Celui-ci

se traduit par un déroulement de l’instance rapide et une réponse de qualité à la difficulté des

parties. Ils illustrent donc le principe directeur de la proportionnalité. Dans un second temps, ils

permettent aux parties, en négociant ces détails, de s’impliquer davantage dans la solution de leur

litige, et donc de devenir des architectes à part entière de la résolution de leur conflit. Ceux-ci

s’ancrent dans une expression moderne de la gestion des dossiers par les parties et surtout de leur

coopération. Simultanément, la supervision judiciaire s’accroît sur quelques-uns de ces nouveaux

outils destinés à faciliter la progression de l’instance, alors que l’encadrement offert par le Code est

plutôt orienté vers les grandes lignes. Il s’agit d’une approche stratégique relativement récente,

d’une méthode plus actuelle de fonctionnement qui puise à même une conception modifiée des

principes directeurs de la procédure civile et une redéfinition des fonctions du juge et des parties.

Notons cependant à cet égard que les tribunaux de première instance ont, par des directives et des

règlements, créé des modèles de protocole de l’instance rendus obligatoires pour les plaideurs1130.

Ceci a pour effet d’orienter la portion d’indétermination, et par contrecoup de souplesse, laissée par

le législateur et qui faisait appel à la créativité des parties et à la considération de leurs besoins.

Cependant, puisque l’accroissement de la fonction judiciaire en matière de gestion d’instance est

aussi un trait de la réforme, il est intéressant de voir que celui-ci s’exprime ici. La souplesse des

règles procédurales codifiées a suscité une nouvelle forme d’encadrement reposant sur le rôle du

juge. Les magistrats exercent cette compétence à plusieurs niveaux, y compris en créant des règles

auxquelles les parties ne peuvent pas déroger. L’utilisation du protocole de l’instance standard

élaboré par le tribunal devient strictement obligatoire, selon l’interprétation jurisprudentielle1131.

L’importance accordée à l’encadrement et à la célérité est bien illustrée par le développement de cet

outil judiciaire et son application. De la même façon, s’il y avait adoption d’un protocole

préjudiciaire comme préalable à la préparation des causes, cela aurait-il pour conséquence

d’entraîner un encadrement du dialogue des parties avant l’instance par un outil procédural, même

négocié entre elles? Cette idée d’encadrement du processus plus souple développé par le Code ou

de parties de la cause qui échappent jusqu’ici au pouvoir de la procédure civile est intéressante. Elle

peut présenter une mesure de l’importance prise par le principe directeur de la proportionnalité des

1130 Voir Cour supérieure du Québec, Directive concernant la gestion de l’instance, Code de procédure civile (chapitre C-

25.01, articles 63, 148, 150, 173 et 174 C.p.c.), art. 1. 1131 Voir par exemple Ferme Choquette, s.e.n.c. c. Financement agricole Canada, 2016 QCCS 2141 (CanLII)

Page 264: L'évolution et la structuration des principes directeurs

254

procédures dans la conception du processus de dialogue entre les parties, tant dans le cadre formel

du système judiciaire que dans le cadre informel des négociations extrajudiciaires. Elle montre aussi

l’élargissement des conceptions concernant les limites du droit judiciaire. Elle est, enfin, l’une des

multiples formes que peut prendre la réponse concertée aux attentes en matière de gestion et de

proportionnalité exprimées par le Code et la société.

Une réflexion orientée sur un cas d’espèce : l’expertise

Par ailleurs, le phénomène des protocoles illustre certaines méthodes et réflexions actuelles que les

tenants de la réforme identifient comme des avenues susceptibles de changer et de faciliter

l’évolution de l’instance. Il en va de même de la question de l’expertise, dont l’usage s’accroît dans

les procès civils de la fin du XXe siècle1132. Cette réalité est susceptible d’entraîner des coûts

importants et d’allonger le temps nécessaire à la mise en état du dossier. Par conséquent, la réforme

de la procédure civile québécoise traitera de ce sujet. De nouveau, les suggestions concernant les

mesures envisagées pour restreindre ces coûts financiers et temporels mettent à jour des réactions

ambivalentes. En effet, la principale suggestion avancée consiste à limiter le nombre d’experts par

matière, en application d’un principe directeur de la proportionnalité. La formulation de cette limite

impose l’obligation de ne présenter qu’un expert par matière par partie, à moins que le tribunal n’en

autorise davantage dans un cas où le dossier est particulièrement complexe ou important, ou encore

s’il fait appel à des connaissances en évolution1133. Le nouveau Code prévoit aussi la possibilité pour

les parties de recourir à un expert commun1134. Le recours à celui-ci est expressément formulé de

manière optionnelle1135. L’évaluation de la nécessité de procéder à des expertises et l’explication du

choix de ne pas procéder par expertise commune font partie des informations que les parties ont à

fournir dans le cadre du protocole de l’instance1136. Le tribunal peut agir pour estimer le coût, la

pertinence et fixer les modalités de l’expertise. Il peut apprécier, en lien avec la proportionnalité et

les besoins du dossier, la décision de procéder par expertises séparées ou uniques1137.

1132 Voir par exemple les affirmations du rapport de l’A.B.C., Rapport du Groupe de travail sur les systèmes de justice

civile, supra note 953, p. 50. 1133 Art. 232 N.C.p.c. 1134 Art. 232 N.C.p.c. 1135 Art. 148 al. 2 (4°), 158 al. 1 (2°), 232 al. 2 et 233 C.p.c. À moins que, pour des raisons de proportionnalité, le

tribunal ne soit amené à exiger l’expertise commune, celle-ci n’est pas rendue obligatoire par le Code dans l’instance

judiciaire ordinaire. 1136 Art. 148 (4°) N.C.p.c. À titre d’illustration, une seconde expertise sur un même sujet et qui n’était pas prévu au

protocole de l’instance a été rejetée par les tribunaux : voir à cet égard le rejet de la demande de permission pour appeler

par le juge Parent dans Construction canadienne 2000 inc. c. Doré, 2017 QCCA 681 (CanLII), par. 10 à 14. 1137 Art. 158 (2°) N.C.p.c.

Page 265: L'évolution et la structuration des principes directeurs

255

Issues des suggestions du rapport Woolf, la limite d’un expert par matière sauf en cas de besoin et

l’expertise unique commune ont un but similaire1138. La seconde rencontre cependant une forte

résistance conceptuelle, au Québec comme en Grande-Bretagne1139. Il semble cependant que des

acteurs du système judiciaire considèrent la mesure de l’expertise commune ou conjointe avec une

certaine faveur1140. Le Barreau du Québec l’aurait trouvée intéressante dans des domaines comme le

recouvrement des petites créances1141. De même, l’idée d’un recours volontaire à cette mesure par

les parties retient l’attention des auteurs1142. Par analogie, Lord Woolf lui-même, dans son rapport

final, indique qu’il n’offre pas de réponse applicable uniformément à tous les dossiers quant à

l’expertise commune1143. La majorité de ceux qui ont écrit sur le sujet se réfère implicitement ou

explicitement à des notions que nous avons associées à deux principes directeurs, soit le principe du

contradictoire et celui de la maîtrise de son dossier par la partie, pour soutenir leur position1144.

En effet, l’adoption de l’expertise commune obligatoire, voire de la désigner comme une norme

privilégiée, heurte certains réflexes issus de ces anciens principes toujours centraux à notre

procédure civile1145. L’impression que la partie ne contrôle pas ses procédures ou que la version des

faits de chacun n’est pas entendue de manière pleine et entière est exprimée lorsqu’il est question de

rendre l’expertise commune. Ce phénomène de méfiance, voire de rejet, face à l’expertise commune

dans certaines circonstances peut s’expliquer en partie par une forme de résistance à un changement

1138 «The basic premise of my new approach is that the expert's function is to assist the court. There should be no expert

evidence at all unless it will help the court, and no more than one expert in any one specialty unless this is necessary for

some real purpose», Lord Woolf, supra note 884, c. 13, no 11. Voir aussi p. 140-143, à propos de ce que certains

nomment le «single joint expert». 1139 Id., p. 140. Comité de révision de la procédure civile, Une nouvelle culture judiciaire, supra note 7, p. 150-151.

Ministère de la Justice du Québec, Rapport d’évaluation de la Loi portant réforme du Code de procédure civile, supra

note 1021, p. 41. Barreau du Québec, Commentaires sur le "Rapport d’évaluation de la Loi portant réforme du Code de

procédure civile", supra note 1029, p. 23-25. 1140 Comité de révision de la procédure civile, Une nouvelle culture judiciaire, supra note 7, p. 151. Voir aussi, sur

l’intérêt de l’expertise conjointe dans certains dossiers judiciaires, A. Wery, «Les réformes judiciaires canadiennes : de

fausses prémisses qui ont la vie dure», dans P. Noreau (dir.), Révolutionner la justice : Constats, mutations et perspectives

(Les journées Maximilien-Caron 2009), Montréal, Thémis, 2009, p. 120-122. 1141 Ministère de la Justice du Québec, Rapport d’évaluation de la Loi portant réforme du Code de procédure civile, supra

note 1021, p. 42. 1142 Ibid. Sous-comité Magistrature-Justice-Barreau sur les expertises, Rapport du sous-comité Magistrature-Justice-

Barreau sur les expertises, S.l., s.n., 2007, p. 37, en ligne : barreau.qc.ca/pdf/medias/positions/2007/200707-

expertises.pdf. 1143 Lord Woolf, supra note 884, p. 139 : «I do not recommend a uniform solution, such as a court-appointed expert, for

all cases. My overall objective is to try, from the start, to foster an approach to expert evidence which emphasises the

expert’s duty to help the court impartially on matters within his expertise, and encourage a more focused use of expert

evidence by a variety of means. We should avoid mounting a contest between opposing experts where justice (in the widest

sense) can be achieved between the parties without it. The key to achieving this is flexibility : above the fast track, there is

no single answer that would apply to all cases». 1144 Barreau du Québec, Commentaires sur le "Rapport d’évaluation de la Loi portant réforme du Code de procédure

civile", supra note 1029, p. 24. Voir aussi le texte de D. Ferrand, «Les “Principes” relatifs à la procédure civile

transnationale sont-ils autosuffisants? – De la nécessité ou non de les assortir de “Règles” dans le projet

ALI/UNIDROIT», 2001 Rev. dr. unif., N.S. vol. VI, 4, 995, 998-1000. Ces principes font partie de la vingtaine de

principes établis par UNIDROIT. 1145 Voir Barreau du Québec, Mémoire du Barreau du Québec 2011, supra note 1056, p. 26-27 et 51, notamment.

Page 266: L'évolution et la structuration des principes directeurs

256

culturel. Celui-ci pourrait être perçu comme trop important par certains membres de la communauté

juridique. Il entraînerait non seulement un changement des pratiques, mais aussi une approche

philosophique différente.

Cependant, le compromis de l’expertise commune optionnelle peut avoir des conséquences à long

terme. L’usage de cette forme d’expertise par un processus volontaire durant une période donnée est

peut-être le prélude à de nouvelles approches plus strictes en la matière dans le futur. Cette stratégie

ne serait pas nouvelle en matière procédurale. Le recours au volontariat n’est pas inconnu en

procédure civile, nous l’avons constaté en matière de processus amiable de résolution des conflits.

Dans certains cas, l’implantation d’une mesure assortie d’une approche volontaire a pu avoir

d’autres impacts. Nous pouvons suggérer de faire une analogie avec l’ancien article 393 C.p.c.

(1897) permettant de réduire le nombre d’experts. L’implantation de mesures reposant sur le

volontariat en matière de procédure civile pourrait parfois s’intégrer dans une stratégie de

modification de la culture judiciaire à plus long terme. Elle offrirait alors la possibilité au législateur

de suggérer dans la loi des formes d’action en matière de promotion de la proportionnalité, en

matière de procédure ou de choix des moyens de preuve. Cependant, ces suggestions ne heurtent

pas directement le respect bien ancré de principes plus anciens, ou la représentation que s’en font

les acteurs du système judiciaire, puisque ceux qui s’y conforment le font volontairement.

Il est évident qu’une telle approche ne promeut pas l’avènement rapide d’un changement culturel,

comme semblent le souhaiter certains tenants de la réforme. Cependant, la rapidité de ce

changement n’est qu’un aspect à considérer. En effet, il faut se garder de ne voir dans celui-ci que

sa phase transitionnelle et ses effets à court terme. La profondeur de l’implantation des nouvelles

mesures et de nouveaux moyens, le développement durable de nouvelles mentalités sont des

facteurs tout aussi importants. En matière de gestion du système judiciaire, la situation se comprend

souvent dans une perspective plus immédiate et au regard des bénéfices actuels. Au niveau de

l’étude du changement culturel tel que la propose cette thèse, la question temporelle doit être

envisagée différemment. Le processus peut être lent.

De plus, pour en revenir de plus près à notre exemple, le seul respect d’une règle qui est assortie

d’une sanction ne suffit pas pour attester que la règle est intégrée à long terme et que la mentalité

des acteurs a réellement changé. Ceux-ci peuvent avoir modifié leur comportement sur ce point tout

en conservant ou même reportant ailleurs les comportements qui transgressent les attentes liées à

cette règle. Dans ce cas, il faudrait envisager la possibilité que ces personnes hypothétiques

Page 267: L'évolution et la structuration des principes directeurs

257

adhèrent au respect de la règle en rejetant son esprit. Il devient impossible d’avancer avec une

certitude scientifique que les mentalités ou la culture ont réellement été modifiées.

Toutefois, il est bon de se souvenir que la diminution du nombre d’experts selon les mesures du

Code de 1897, après une phase de volontariat, a été adoptée par le législateur en 1966 et semble

s’être intégrée à la culture judiciaire, les praticiens et juges étant rassurés sur les conséquences

d’une telle option1146. Par analogie, il est plausible qu’une intégration progressive de l’expertise

commune à la culture dominante en matière procédurale intervienne1147, après une période de

transition. Cette promotion de l’expertise commune par le volontariat vient appuyer des méthodes

de sanction, comme les sanctions économiques liées aux abus en matière d’expertises et qui

s’appuient sur le tarif des expertises1148. L’application du tarif rejoint l’utilisation des pouvoirs

conférés aux tribunaux dans le domaine des frais et dépens liés à l’expertise1149, un phénomène

tributaire de la discrétion judiciaire et qui se rapproche des sanctions traditionnelles à cet égard.

Cette méthode de sanctions financière souvent employée présente une certaine efficacité, comme l’a

écrit le Comité de révision1150. Cette réaction s’observe en parallèle avec des remarques prônant une

1146 Selon l’article 393 C.p.c. (1897), les parties doivent avoir recours à un groupe de trois experts en tout temps, sauf si

les parties consentent à ne faire appel qu’à un seul expert. En 1966, au contraire, la norme est établie à un expert, en

réservant au tribunal la possibilité de faire appel à un groupe de trois experts si les circonstances l’exigent (art. 414-415

C.p.c. (1966)). 1147 Il est intéressant de noter que le professeur Guillaume Rousseau propose une analyse du phénomène qui aboutit à une

conclusion similaire quant au résultat probable. G. Rousseau, «L’accès à la justice, les procédures judiciaires et le

nouveau Code de procédure civile : conceptions, moyens et premier bilan», dans L. Lalonde et S. Bernatchez (dir.), Le

nouveau Code de procédure civile du Québec «Approche différente» et «accès à la justice civile»?, Sherbrooke, Les

Éditions Revue de Droit/Université de Sherbrooke, 2014, p. 69. 1148 Tarif des honoraires judiciaires des avocats, R.R.Q., c. B-1, r. 22. En réalité, le tarif donne peu d’information sur les

expertises en tant que telles. Il a été abrogé lors de l’entrée en vigueur du nouveau Code et remplacé (Tarif des frais

judiciaires en matière civile, R.L.R.Q. c. T-16, r. 10). 1149 Voir les considérations du juge Robert dans Massinon c. Ghys, 1998 CanLII 12845 (QC CA), J.E. 98-1195. Déom c.

Loranger, 2007 QCCS 2639 (CanLII), par. 96 (j. Journet), Tremblay c. Caisse populaire Desjardins de la Malbaie, 2003

CanLII 38377 (QC CS), par. 12 (j. Blondin), Ordre des comptables généraux licenciés du Québec c. Québec (P.G.), 2005

CanLII 6727 (QC CS), par. 30 (j. Gascon) ou, à titre d’illustration, Maison Simons inc. c. Lizotte, 2010 QCCA 2126

(CanLII), par. 40-46 (j. Thibault). Voir également Barreau du Québec, Guide des meilleures pratiques, supra note 1117,

p. 24. Pour un aperçu de la diversité des opinions sur le sujet, voir Dion c. Desjardins sécurité financière, 2004 CanLII

13285 (QC CS). 1150 Comité de révision de la procédure civile, Une nouvelle culture judiciaire, supra note 7, p. 151. Ces frais doivent être

raisonnables, nécessaires et prouvés : Ordre des comptables généraux licenciés du Québec c. Québec (P.G.), 2005 CanLII

6727 (QC CS), par. 28 (j. Gascon). À propos de l’interprétation de l’article 12 du Tarif des honoraires judiciaires des

avocats (R.R.Q., c. B-1, r. 22. Voir Michaud c. Équipements ESF inc., 2010 QCCA 2350 (CanLII), par. 95 et 98 (j.

Thibault) et Massinon c. Ghys, 1998 CanLII 12845 (QC CA), J.E. 98-1195 (j. Robert); Hydro-Québec c. Moteurs

électriques Dupras inc., [1999] R.J.Q. 228, 237 (C.S.), Mica Canada inc. c. Général Accident, compagnie d'assurances

du Canada, [1997] R.J.Q. 2752, 2784-2785 (C.S.) (j. Lemelin) et le résumé de la cause Gadoua c. Beaudoin, [1999]

A.J.D.Q. 2639. Les ressemblances avec le principe directeur de de la proportionnalité sont relevées : voir par exemple

Ordre des comptables généraux licenciés du Québec c. Québec (P.G.), 2005 CanLII 6727 (QC CS), par. 29-30 (j.

Gascon); Y.L. c. Yv.V., 2010 QCCA 808 (CanLII), par. 43-44 (j. Thibault). L’influence de l’article 4.2 C.p.c. est illustrée

dans ce domaine, notamment grâce à l’application de l’article 477 al. 2 C.p.c. sur le pouvoir d’intervention des juges :

Godbout c. Bolduc, 2007 QCCS 726 (CanLII), par. 121 (j. Allard); Roy c. Municipalité régionale de comté Robert Cliche,

2005 CanLII 45361 (QC CS), par. 36 (j. Alain); Gravel c. Édifices Gosselin et Fiset enr., 2007 QCCS 5116 (CanLII).

Pour d’autres exemples de l’utilisation de l’article 4.2 C.p.c. en matière de frais, voir par exemple Tartaglino c.

Tartaglino, 2011 QCCS 2072 (CanLII), par. 124-125 (j. Chaput).

Page 268: L'évolution et la structuration des principes directeurs

258

plus grande proportionnalité des procédures ou des moyens de preuve1151 qui entraînent les auteurs

de ces textes à vouloir éradiquer la possibilité d’abus en cette matière. Dans les faits, il faut rappeler

qu’une partie de la communauté juridique accepte un expert unique ou commun dans le cas où les

parties y consentent1152. Les tribunaux judiciaires de première instance semblent aussi encourager

cette mesure tout en vérifiant sa pertinence1153.

Cette réflexion conditionnée par deux exemples concrets issus des moyens procéduraux touchés par

la réforme du XXIe siècle nous conduira bientôt à nous intéresser directement à la définition et à la

reconnaissance des principes directeurs de la procédure civile à la même époque. Ceux-ci traduisent

en effet les cohérences et les ruptures dans la réflexion sur le Code, les répercussions des

modifications liées à la pensée procédurale contemporaine et influencent la compréhension et

l’interprétation futures du nouveau Code.

1151 Sous-comité Magistrature-Justice-Barreau sur les expertises, supra note 1142; Voir Barreau du Québec, Mémoire du

Barreau du Québec 2011, supra note 1056, p. 26-27. Le Comité de révision de la procédure civile, pour sa part, a identifié

l’impact de la preuve sur les coûts du procès civil et proposé des moyens pour les réduire, ce qui rejoint implicitement

l’application de la proportionnalité en cette matière, voir Comité de révision de la procédure civile, Une nouvelle culture

judiciaire, supra note 7, p. 12, 28-29, 103, 141, etc. 1152 Ministère de la Justice du Québec, Rapport d’évaluation de la Loi portant réforme du Code de procédure civile, supra

note 1021, p. 42; Barreau du Québec, Commentaires sur le "Rapport d’évaluation de la Loi portant réforme du Code de

procédure civile", supra note 1029, p. 24; Barreau du Québec, Mémoire du Barreau du Québec 2011, supra note 1056, p.

26-27. D’autres partagent cette opinion. Voir par exemple l’analyse du juge A. Wéry sur l’expertise : bien qu’appuyant le

recours à l’expert commun comme avenue de solution dans les cas où il est applicable, il répugne à l’imposer sans nuance

et sans exception, préconisant aussi une approche basée sur l’encouragement et le volontariat. Document reproduit dans :

Sous-comité Magistrature-Justice-Barreau sur les expertises, supra note 1142, p. 56-57. À titre informatif, voir la décision

de la Cour du Québec encourageant l’expertise commune et l’importance de la proportionnalité dans la réflexion

présentée : Parent c. Richer, 2016 QCCQ 2468 (CanLII), par. 9-40 (j. Breault). 1153 Voir par exemple Droit de la famille — 173226, 2017 QCCS 6247 (CanLII) et Houle c. Entreprises Martin Forest

inc. (Groupe Durasec), 2016 QCCQ 19482 (CanLII). Ces deux causes illustrent les nuances considérées par les tribunaux

et les arguments économiques et judiciaires qui peuvent influencer la réflexion des magistrats.

Page 269: L'évolution et la structuration des principes directeurs

259

Chapitre 2. La réforme de la procédure civile et les

principes directeurs de la procédure civile

La réforme procédurale du XXIe siècle ne concerne pas que l’adhésion explicite à des valeurs plus

articulées dans le Code ou la reconnaissance de nouveaux principes directeurs par leur codification.

Elle touche aussi les principes directeurs déjà reconnus, voire codifiés.

2.1. Les principes directeurs anciens et leur expression nouvelle

Les principes directeurs dont les stades de développement sont les plus avancés et dont la présence

est attestée depuis le plus longtemps en procédure civile ont vu leur expression et leur étendue se

modifier sous l’impulsion de la nouvelle philosophie procédurale.

2.1.1. Le remaniement du principe «cardinal» et ses effets : le principe directeur de la

contradiction

Les changements apportés par la réforme du Code au XXIe siècle n’ont donc pas épargné le principe

directeur dit jusque-là du contradictoire. Puisque ce principe était déjà nommé et codifié, les

possibilités d’évolution étaient limitées. Dans les circonstances, il pouvait être modifié dans son

expression, il pouvait voir son influence fluctuer en étant amplifiée ou diminuée, il pouvait enfin

cesser de faire partie du groupe des principes directeurs nommés et codifiés. En considérant les

changements directs affectant l’article qui codifie le principe, nous verrons que ceux-ci ont une

portée relative dans les circonstances.

Durant la première phase de la réforme, l’article 5 C.p.c. codifiant l’expression du principe en

procédure civile n’est pas directement affecté par un changement et reste identique à ce qu’il est

depuis 1966. À l’occasion de la seconde phase de la réforme, la formulation du principe est

modifiée, comme l’est son identification. Il est désormais identifié comme «le principe directeur de

la contradiction». Ce changement n’est pas, en soi, marquant pour sa définition. Nous avons vu

qu’il a porté, et qu’il continue de porter, des noms différents depuis 1867. Certains de ces noms sont

utilisés simultanément durant une même période. Cette fois, au contraire, au lieu d’être dégagé par

la jurisprudence et la doctrine, le nom est déterminé par les rédacteurs du Code et inscrit dans la

structure du texte.

Les raisons d’un tel changement de nom n’ont pas été explicitées. Cependant, diverses hypothèses

peuvent être avancées. D’une part, la réforme a pour but avoué de diminuer l’aspect contradictoire

Page 270: L'évolution et la structuration des principes directeurs

260

de la procédure civile ainsi que de favoriser l’apaisement de la procédure civile, les échanges entre

les parties et les PRD. La similitude d’expression a peut-être encouragé le choix d’un autre terme

pour imposer une distinction. En effet, il n’est pas question de diminuer l’importance de la maxime

audi alteram partem dans le processus judiciaire. D’autre part, le Code de procédure civile français

utilise le terme de contradiction pour désigner cette notion1154. L’emprunt du terme à ce Code est

possible, dans l’optique où celui-ci a été utilisé à titre d’inspiration lors de la préparation du

nouveau Code, comme nous l’avons évoqué précédemment. D’autres possibilités peuvent être

envisagées, mais compte tenu de l’absence de portée de ce choix pour notre thèse, il n’est pas

nécessaire d’en discuter davantage dans le cadre de cette étude.

Il est plus révélateur de s’interroger sur la mutation du principe qui transparaît dans sa définition.

Cette règle dont la rédaction commençait à devenir historique se transforme. Le principe de la

contradiction présente de nouvelles caractéristiques, une expression plus moderne1155. L’étendue du

principe directeur est définie avec précision dans l’article 17 N.C.p.c. Que prévoit-il exactement?

Tout d’abord, le législateur prévoit que ce principe directeur doit être respecté en tout temps, tant

par le tribunal que par les parties. Le tribunal est tenu d’en assurer le respect, ce qui prouve

suffisamment l’importance qui lui est accordée. Sur ce plan, la rédaction de l’article a été modifiée,

sans s’éloigner toutefois des idées centrales véhiculées auparavant. Des précisions sur le pouvoir

des tribunaux et l’application de la règle ont cependant été ajoutées. Ainsi, le principe de la

contradiction demeure l’héritier du titre de «principe cardinal» conféré à la maxime audi alteram

partem par la Cour suprême. Cette nouvelle expression de la règle réitère indirectement cette réalité.

La jurisprudence a aussi rappelé que ce principe est primordial et soutient «le droit d’être entendu

dans notre univers procédural» 1156.

L’alinéa 2 in fine de cet article 17 présente par contre une nouvelle exigence. Selon celle-ci, les

tribunaux «ne peuvent fonder leur décision sur des moyens que les parties n’ont pas été à même de

débattre». Cette phrase finale vient imposer une obligation spécifique au tribunal qui entend une

cause. Elle est complétée par l’article 323 du nouveau Code. Celui-ci précise que cette obligation

existe aussi pendant le délibéré et qu’elle porte tout autant sur «une règle de droit ou un principe»

qui aurait dû être «discuté» pour lui permettre de «trancher le litige». Rappelons que l’obligation du

1154 Art. 14 à 17 C.p.c.f. 1155 Art. 17 N.C.p.c. : «Le tribunal ne peut se prononcer sur une demande ou, s’il agit d’office, prendre une mesure qui

touche les droits d’une partie sans que celle-ci ait été entendue ou dûment appelée.

Dans toute affaire contentieuse, les tribunaux doivent, même d’office, respecter le principe de la contradiction et veiller à

le faire observer jusqu’à jugement et pendant l’exécution. Ils ne peuvent fonder leur décision sur des moyens que les

parties n’ont pas été à même de débattre.» 1156 St.C. c. S.R., 2017 QCCA 765 (CanLII), par. 21 (j. Parent).

Page 271: L'évolution et la structuration des principes directeurs

261

tribunal d’entendre les parties sur tous les points qui lui paraissent déterminants existait déjà avant

la codification de celle-ci1157, mais il apparaît symptomatique de la pensée qui sous-tend la réforme

que celle-ci soit désormais exprimée explicitement. Cette obligation a plusieurs implications qui

touchent les actions que devra poser le magistrat, par exemple suspendre le délibéré pour entendre

les parties sur un moyen non soulevé durant l’instance, ou plus généralement inviter les parties à lui

«soumettre leurs prétentions»1158.

Le corollaire de cette obligation s’avèrera être, pour le tribunal, d’offrir aux parties un délai

raisonnable pour préparer une réponse contenant leurs arguments sur le sujet1159. Compte tenu des

obligations de célérité intrinsèques au principe de la proportionnalité, ce délai peut être limité, mais

il doit être suffisant. Il est à prévoir que ce corollaire sera soulevé et discuté, ainsi que les modalités

définissant un «délai raisonnable» dans ces circonstances, dans la jurisprudence1160. Dans

l’ensemble, donc, les changements directs apportés par la réforme au principe de la contradiction

ont une portée limitée à l’échelle historique. Cependant, l’influence de la modification du Code se

fait aussi ressentir indirectement sur la compréhension et l’étendue accordée par les tribunaux et les

parties au principe directeur de la contradiction. Depuis 2003, il doit composer avec l’inclusion au

Code de principes directeurs tels que la proportionnalité des procédures et des preuves ou de la

coopération et de la conciliation. Cet arrimage nécessite parfois des adaptations.

Le principe directeur traduit par la maxime audi alteram partem participe à construire la

représentation qu’ont certains acteurs du système judiciaire. L’influence du principe directeur de la

proportionnalité vient modifier l’image du principe directeur «cardinal», pourtant reconnu depuis

plusieurs décennies. Ainsi, les parties vont désormais devoir repenser leur usage de la procédure et

de la preuve civile en vue d’obtenir l’exposé complet de leurs prétentions tout en maintenant un

esprit d’économie. En effet, dans l’administration de la preuve, la possibilité d’être entendue

1157 Par exemple, l’art. 292 C.p.c. (1966) permet au juge de signaler une lacune dans la preuve et d’autoriser la partie à la

combler. Voir par exemple Droit de la famille - 871, [1990] R.J.Q. 2107, 2108 (C.A.), 1990 CanLII 3140 (QC CA) (j.

Monet). 1158 Art. 323 N.C.p.c. Cela était d’ailleurs recommandé par le comité de révision de la procédure civile, Comité de

révision de la procédure civile, Une nouvelle culture judiciaire, supra note 7, p. 155. 1159 Par analogie, dans une cause portant sur une demande d’éviction selon la Loi sur la faillite et l’insolvabilité, un juge

de la Cour supérieure utilise notamment les principes de la contradiction et du débat loyal, en «superposition» à la loi

selon ses propres termes, pour justifier une remise permettant aux parties de «présenter leur preuve et arguments». 9280-

7536 Québec inc. (Syndic de), 2016 QCCS 1261 (CanLII), par. 8 (j. Granosik). 1160 En effet, l’obligation pour le juge d’avertir la partie d’une sanction qu’il entend lui imposer et de lui donner l’occasion

de présenter des arguments à ce sujet est reconnue en jurisprudence. Beaudoin c. Kyres, 2013 QCCA 289, par. 6;

Michalakopoulos c. Sam Levy & Associés inc., [2009] R.J.Q. 625, 2009 QCCA 427, par. 20, 71 et 72 (j. Dalphond), par.

98 et 99 et 130 à 148 (j. Giroux, dissident). Dans ce dernier arrêt, il apparaît que la longueur du délai entre l’avertissement

et le prononcé de la sanction, de même que la possibilité de bénéficier ou non d’un ajournement pour préparer les

arguments, influencent la perception qu’expriment des juges du respect du principe audi alteram partem et conduisent à

des résultats divergents.

Page 272: L'évolution et la structuration des principes directeurs

262

pleinement doit être donnée à la partie. Cela ne permet pas à celle-ci de faire une preuve exorbitante

dont la pertinence et l’influence sur la détermination de la solution du litige sont minimes1161.

Depuis 2003, les choix des moyens de preuve doivent s’inspirer également du principe de la

proportionnalité. Les membres du Comité, le législateur et les tribunaux ne considèrent pas que

cette exigence vienne entraver le respect du principe directeur de la contradiction. Une juge de la

Cour d’appel traduit son importance en l’identifiant à «l'un des pivots de l'ordre judiciaire»1162. La

protection des «personnes qui pourraient autrement être condamnées dans un procès auquel elles

n'ont pas été appelées»1163 ainsi que celle de «la nature et l'intégrité mêmes de notre processus

judiciaire»1164 encouragent le respect de ce principe. Il apparaît cependant que, durant la première

phase de la réforme tout au moins, une perception de concurrence entre les deux principes

directeurs s’est manifestée chez certains membres de la communauté juridique. En 2006, un rapport

constate que plusieurs avocats «se sentent professionnellement obligés de présenter non seulement

la meilleure preuve, mais aussi la preuve la plus forte et la plus complète possible au profit de la

partie qu’ils représentent, et le tribunal intervient rarement pour limiter la preuve des parties.

Autrement dit, à ce jour, la plupart des intervenants judiciaires éprouvent, certains des craintes,

d’autres des réticences, à appliquer la règle de la proportionnalité en matière de preuve»1165. Ces

réactions de la part d’une partie des membres de la communauté juridique prouvent l’importance

toujours vivace du principe directeur de la contradiction et l’existence d’une période de transition

dans la réflexion culturelle concernant son application. Si l’image traditionnelle de la règle audi

alteram partem doit évoluer de manière progressive pour intégrer de nouveaux paramètres, elle n’en

perd pas pour autant sa place centrale dans la définition du système judiciaire. L’arrivée de

nouveaux principes directeurs ne signifie pas que les anciens principes directeurs prennent une

valeur moindre ou que leur poids dans l’application de la loi et la définition de la structure du

système judiciaire diminue. Aucun des articles du Code, non plus que la rédaction de la section qui

place ceux-ci sur un même plan, ne réclame un changement d’une telle ampleur. La structure même

du Code incite plutôt à la recherche d’un équilibre entre ces principes directeurs, notamment entre

1161 Voir notamment Bourse de Montréal c. Scotia McLeod inc., [1991] R.D.J. 626, 629 (C.A.). Voir aussi : Eurobloq inc.

c. Matériaux de construction Oldcastle Canada inc., 2013 QCCA 509 (CanLII), par. 10 (j. St-Pierre, juge unique). Dans

le rejet de cette requête pour permission d’en appeler, la juge Marie St-Pierre déclare : «L'argument du droit à une défense

pleine et entière, interprété comme signifiant le droit à l'enquête royale ou à l'excursion de pêche, doit être écarté du revers

de la main. La simple lecture des articles 6 et 7 du Code civil du Québec et des articles 4.1 à 4.3 du Code de procédure

civile suffit pour s'en convaincre. Certes, les parties sont maîtres de leur dossier, mais cette maîtrise loge à l'enseigne de la

bonne foi, de l'absence d'abus et d'intention de nuire, et d'un usage raisonné et raisonnable des ressources judiciaires

permettant un accès à la justice dans le respect de la règle de la proportionnalité.» Cela s’applique même quant à

l’autorisation du recours collectif : Lorrain c. Petro-Canada, 2013 QCCA 332 (CanLII), par. 87 (j. Morin). 1162 Gestion Bon Conseil inc. c. Guèvremont, 2006 QCCA 109 (CanLII), par. 198 (j. Bich). 1163 Ibid. 1164 Ibid. 1165 Ministère de la Justice du Québec, Rapport d’évaluation de la Loi portant réforme du Code de procédure civile, supra

note 1021, p. 41.

Page 273: L'évolution et la structuration des principes directeurs

263

ceux de la contradiction et de la proportionnalité. La similarité philosophique ou celle des buts

poursuivis est l’un des moyens de constater ces rapprochements et ces complémentarités.

Il en va ainsi avec les principes tels que la coopération ou la conciliation, qui s’appuient sur les

valeurs de communication entre les parties. Jusqu’à un certain point, le principe directeur de la

contradiction a toujours encouragé une relative forme de communication entre les parties1166.

L’obligation de signifier ou de notifier un acte de procédure aux parties est ainsi rappelée à

plusieurs reprises au cours des époques et elle est héritée par le Code de 1966, continue d’y être

exprimée après sa modification en 2003 et encore aujourd’hui, de même qu’elle est réitérée à

plusieurs reprises par la jurisprudence1167. La reconnaissance par le Code de principes directeurs

s’appuyant sur des valeurs similaires ou des buts procéduraux communs augmente la possibilité

d’intégration de nouveaux principes directeurs, facilite l’adaptation nécessaire des principes

directeurs déjà existants et permet d’atteindre, théoriquement, une compréhension harmonieuse de

ce qu’est le droit procédural chez les acteurs du système judiciaire. En d’autres termes, les frictions

ou les analogies qui modifient ou confortent la perception du principe directeur de la contradiction

sont des indices de l’implantation d’une pensée originale en matière de procédure civile et de

l’insertion de ce principe dans celui-ci. À long terme, lorsque le Code de 2016 aura été appliqué et

interprété durant une période suffisamment étendue pour être révélatrice, il sera possible de faire un

bilan et de parler d’un trait d’une culture judiciaire partagée par une majorité de personnes appelées

à collaborer au fonctionnement du système judiciaire, d’auteurs, d’analystes ou d’acteurs à part

entière de son application.

2.1.2. Les principes directeurs de la maîtrise du dossier par les parties et de la maîtrise

de l’instance par le juge : une improbable réconciliation ?

Au XXIe siècle, les autorités qui étudient la procédure civile et établissent soit le projet ou le texte

final du Code souhaitent affirmer le rôle des parties et du tribunal d’une manière plus précise. La

codification et la formulation de l’expression de ces deux principes directeurs sert ce but.

1166 Voir par exemple les paroles du juge qui réfère explicitement à la communication à propos de la signification dans la

décision Racine c. Boucher, 2002 CanLII 31772 (QC CS), par. 9 (j. Boily). 1167 Dans le cadre du Code de la fin du XXe siècle, la signification est exigée à plusieurs reprises, d’abord de manière

générale (78 C.p.c.), puis de manière spécifique (voir par exemple les articles119.2, 128, 206, 224, 280, 398.3, 399, 402.1

C.p.c.), remplacés notamment par les articles 109 à 140 N.C.p.c. Voir, en matière jurisprudentielle, Société

d'investissements l'Excellence inc. c. Rhéaume, 2008 QCCS 3083 (CanLII), par. 104; Déom c. Loranger, 2007 QCCS

2639 (CanLII), par. 84-86 (j. Journet); 3766063 Canada Inc. c. Vallières, 2003 CanLII 13362 (QC CS). Voir aussi Jekkel

c. Bureau de décision et de révision en valeurs mobilières, 2008 QCCS 2808 (CanLII) : dans ce cas, bien que la

signification soit considérée insuffisante, la Cour, pour diverses considérations issues de la procédure, des pouvoirs des

parties et de la proportionnalité décide de considérer la requête introductive d’instance comme valable malgré tout.

Page 274: L'évolution et la structuration des principes directeurs

264

La maîtrise de leur dossier par les parties dans le Code de 2003 : vers le statut de principe directeur codifié

Le contenu de ce principe reconnaissant le rôle des parties dans la direction de leur dossier,

implicitement connu depuis plusieurs décennies, n’est pas spécifiquement modifié par sa

codification. Nous avons pu constater que la rédaction d’un article ne signifie pas réduire le principe

directeur au seul contenu de la règle énoncée dans le texte. Mais nous avons vu aussi que cette

énonciation peut avoir des répercussions sur les limites ou l’interprétation proposée dans

l’application du principe, que ce soit pour élargir, restreindre ou confirmer sa portée. L’introduction

du nouvel article 4.1 C.p.c. qui résume ce principe lors de la première phase de la réforme fixe

législativement son statut de principe directeur du Code. Il accède donc au stade de principe codifié.

Malgré tout, l’article n’attribue pas de nom précis au principe. Au contraire, il reprend l’expression

selon laquelle les parties sont «maîtres de leur dossier»1168. Ce principe directeur ne nécessite pas

une définition plus large que le vocable sous lequel il est connu, car cette expression résume

clairement sa portée1169. Comme c’était le cas avec la maxime audi alteram partem, la référence est

suffisamment claire et largement admise pour répondre au critère de détermination du nom.

Formellement, même le Code de 2016 ne prévoit pas de nom précis pour ce principe1170,

contrairement à ce qui se produit pour le principe directeur de la contradiction, par exemple. De

nouveau, cependant, la référence à la maîtrise de leur dossier par les parties est centrale à l’article et

a été reprise par la doctrine et la jurisprudence. Puisque, selon les critères définis dans l’introduction

de la thèse, l’application constante d’une expression ou d’un vocable constitue une des manières de

cristalliser le nom d’un principe directeur, nous sommes cependant fondée à considérer que ce

principe directeur appartient à la catégorie des principes «nommés».

L’article 4.1 C.p.c. conserve en grande partie la définition connue de la maîtrise de leur dossier par

les parties. Il s’appuie sur leur rôle prédominant dans la conduite de leur dossier, bien qu’elles

soient tenues de respecter les règles de procédure et les délais prévus, et d’éviter les abus en matière

procédurale. Au moment de l’interprétation et de l’application, la difficulté réside dans le maintien

d’un équilibre entre cette maîtrise de leur dossier par les parties, leur autogestion et l’intervention

du juge. En présentant la «responsabilisation» des parties comme l’une des bases de la réflexion

menant à un changement de culture judiciaire1171, les membres du comité invitent à reconsidérer

cette question. Leur but ne tend pas à retirer aux parties cette faculté qui leur est reconnue par le

1168 Art. 4.1 al. 1 C.p.c. (2003). 1169 Comme nous l’avons indiqué en début de thèse, l’adoption d’un terme ou d’un vocable pour désigner un principe

directeur appartient à l’évolution des principes et fait de lui ce que nous avons défini comme un principe «nommé», sans

égard à son statut de principe codifié ou non codifié. 1170 Art. 19 N.C.p.c. 1171 Comité de révision de la procédure civile, Une nouvelle culture judiciaire, supra note 7, p. 32.

Page 275: L'évolution et la structuration des principes directeurs

265

Code et qui est particulièrement valorisée à la fin du XXe siècle de s’investir dans la résolution de

leur conflit. En matière de prévention et de règlement des différends, ceci a parfois été qualifié de

«besoin»1172. Il les invite plutôt à concevoir autrement leur responsabilité dans ce domaine et à

évaluer plus largement leurs décisions procédurales. Elles doivent s’assurer de faire des choix sur

des bases juridiques et économiques saines. Le but n’est pas d’éroder le contrôle qu’elles ont sur

leur dossier, mais de leur rappeler qu’elles exercent celui-ci dans un contexte particulier qui doit

être pris en considération. La partie est susceptible de devoir réévaluer ses décisions procédurales si

celles-ci contreviennent à un certain nombre de critères, comme la bonne foi, la proportionnalité,

etc. L’identification de balises allant dans ce sens accompagne donc la codification de la règle, tant

dans la jurisprudence que dans la loi. Celles-ci poursuivent la définition du cadre d’application du

principe directeur qui existait de manière implicite antérieurement.

La question de l’interrelation entre le principe de la maîtrise de leur dossier par les parties et

d’autres principes directeurs devient plus visible après l’adoption de l’article 4.1 C.p.c. Par

exemple, il est possible d’argumenter qu’il jouit d’une connexité réelle avec le principe directeur de

la contradiction, conceptuellement et à cause d’une ancienneté comparable. Ceci peut encourager

chez certains auteurs le développement d’une perception voulant que le principe directeur de la

maîtrise de son dossier par la partie soit un complément du principe directeur du contradictoire. Or,

les deux principes directeurs entretiennent des liens serrés, mais selon nous, ils ne sont pas en

adéquation. Le principe selon lequel une partie doit être entendue ou appelée avant que le jugement

soit rendu n’équivaut pas, pour cette partie, au droit de contrôler elle-même son dossier. Le premier

fait référence à un droit fondamental, celui d’être partie à la cause que possède toute personne

choisissant ou devant être impliquée dans une cause civile, ainsi que les modalités que cela

comporte. Le second fait référence aux choix, notamment de recours, que peut faire la partie et aux

actions qu’elle peut poser dans le cadre de la progression de sa cause. La perception de leur

distinction peut être parfois diffuse, particulièrement lors du choix des moyens de preuve. En effet,

si un moyen de preuve très onéreux était écarté pour cette raison dans le cadre d’un procès, les

parties et leurs représentants pourraient être tentés de soulever l’argument voulant que la partie ne

soit pas entendue complètement dans ces circonstances. Or, cet argument ne serait valable que s’il

n’existait effectivement aucun autre moyen de présenter cette preuve ou d’étayer les prétentions de

la partie et, logiquement, ce moyen deviendrait alors proportionnel malgré son coût. Ainsi, les deux

principes restent distincts. Le principe directeur du contrôle de leur dossier par les parties peut

devenir une des avenues d’expression du principe du contradictoire, puisqu’il participe à la

1172 J.-F. Roberge, La justice participative, supra note 1066, p. 29.

Page 276: L'évolution et la structuration des principes directeurs

266

réalisation de l’objectif d’assurer aux parties une audition pleine et entière. Pourtant, dans le

discours développé par les tribunaux par exemple, il ne partage pas de manière expresse la

qualification de principe «fondamental» attribuée à la règle audi alteram partem.

Dans le vocabulaire du Code depuis 2003, dans celui des juges et selon les critères définis dans le

cadre de cette thèse, le contrôle de leur dossier par les parties reste un principe désigné comme

«directeur». Depuis le début de la période étudiée par cette thèse, celui-ci complète l’action du

principe de la contradiction. Il encadre cette exigence du système judiciaire selon laquelle la

progression de l’instance doit dépendre des parties elles-mêmes. Cette caractéristique rappelle

d’ailleurs le système britannique, décrit notamment en 1974 comme reposant, du moins jusqu’au

procès, sur l’initiative des parties1173. L’influence de la reconnaissance législative du principe

directeur par le Code ne modifie pas cet état de fait.

L’adoption d’une formulation du principe sous forme de règle ne doit pas amoindrir la portée de

celui-ci. Par exemple, la régulation de la progression du dossier n’illustre pas non plus l’expression

complète, unique, réductrice, du principe directeur du contrôle de leur dossier par les parties, bien

qu’elle y soit liée. En effet, le temps de progression de chaque instance dépend de nombreux

facteurs. Ainsi, celle-ci est encadrée par une série de règles fixant certains délais1174. Pourtant, s’il

s’agit d’une composante de son dossier sur laquelle une partie peut agir jusqu’à un certain point,

cette partie doit exercer une influence sur de nombreux autres facteurs pour être en contrôle de son

dossier. Tous les choix de gestion, de procédure ou de preuve faits par elle et son procureur y

participent. Le principe directeur du contrôle de leur dossier par les parties, bien qu’essentiel, peut

se moduler de façon très particulière lors de son application quotidienne, ce qui permet au

législateur d’imposer des restrictions directes à son étendue. L’article 4.1 C.p.c. s’interprète dans le

respect des règles de procédure, dans le respect des délais prévus au Code, à la condition expresse

de ne pas nuire à autrui, et il doit aussi permettre d’éviter tout excès ou déraison qui irait à

l’encontre de la bonne foi. Implicitement, il impose une imputabilité à la partie qui a des affinités

idéologiques avec les valeurs de la révision du Code. Tout en permettant la sanction des

1173 Justice (British Section of the International Commission of Jurists), Going to Law : A Critique of the English Civil

Procedure, Londres, Stevens & Sons, 1974, p. 22-24 et 42. Selon l’étude, ce fait entraînerait les difficultés suivantes :

«excessive delay», «late investigation of the facts and danger of surprise at trial», «lack of discipline in the conduct of

proceedings», «late or unfair settlements», etc. (p. 22). 1174 Même si ces délais pouvaient fournir un cadre indicatif, le déroulement de l’instance n’est pas toujours prévisible : la

complexité réclamant un prolongement d’un délai, les jours disponibles pour l’audition, la longueur d’un contre-

interrogatoire ou celle du délibéré ne sont que quelques incidents qui peuvent rendre moins prévisible la progression d’un

dossier. L’expérience des règles de procédure britannique de 1998 montre qu’il a été nécessaire d’user de solutions

diverses qui permettent d’accélérer les étapes de la procédure durant l’instance : par exemple à travers l’adoption du fast-

track et du multi-track. Lord Woolf, supra note 884; N. Andrews, «English Civil Procedure : Three Aspects of the Long

Revolution», Conference Paper, Centro di studi e ricerche di diritto comparato e stranieron, Saggi, conferenze e seminari

44, Roma, 2001, p. 8-11.

Page 277: L'évolution et la structuration des principes directeurs

267

comportements ne respectant pas divers principes comme la proportionnalité, il rejoint aussi l’idée

d’implication accrue des justiciables dans l’évolution de leur dossier et dans la détermination des

solutions.

La maîtrise de l’instance par le juge dans le Code de 2003 : une reconnaissance ou une révolution ?

En 2003, le principe directeur de la maîtrise de l’instance par le juge est intégré au Code par

quelques-uns des nouveaux articles adoptés. Il s’agit de la reconnaissance d’un principe directeur

déjà présent dans la réflexion sur la procédure civile. Le texte révisé du Code confère donc au

principe directeur la caractéristique d’être codifié. Le contenu de l’article, le texte du document de

révision et le discours entourant l’adoption du Code ne définissent pas en détail le contenu du

principe. Ils ne lui confèrent pas non plus un nom de manière explicite, bien que la répétition de

l’expression «maîtrise de l’instance par le juge» suffise, selon nos critères, à son identification. En

revanche, l’intérêt de la situation porte davantage sur une autre facette de cette réalité.

Jusqu’à la fin du XXe siècle, nous avons vu que l’importance accordée au principe directeur de la

maîtrise de leur dossier par les parties semblait dominer celle du principe directeur de la maîtrise de

l’instance par le juge. Cependant, la philosophie du nouveau Code s’appuie en large partie sur

l’exercice de la fonction judiciaire. Lors de la préparation de la réforme, le Comité a recommandé

qu’un plus grand rôle d’intervention soit reconnu aux juges, notamment dans le cadre de la gestion

d’instance1175. Ceci a des répercussions sur l’évaluation de l’importance reconnue au principe

directeur. Le pouvoir d’intervention reconnu au juge par le Code en 2003 lui confère de facto un

devoir, la responsabilité d’agir directement dans la gestion de l’instance. Son rôle dans la

surveillance du déroulement de la cause devient plus prononcé. Il lui permet, dans certaines

circonstances, de considérer les décisions des parties en matière de proportionnalité et de procédure

et d’en évaluer la conformité aux règles en matière d’économie et de célérité, notamment. Par

conséquent, tant l’article 4.1 que l’article 4.2 C.p.c. confirment le rôle du tribunal dans la gestion de

l’instance et dans le respect du principe directeur de la proportionnalité et le dote de plusieurs

pouvoirs1176. L’intervention judiciaire dans le déroulement de l’instance est encouragée dès le début

de l’instance si elle s’avère souhaitable, donc plus hâtivement qu’avant la première phase de la

réforme, conformément aux suggestions du Comité1177. Dans l’ensemble, contrairement à ce qui

s’est produit dans le cas du principe de la maîtrise de leur dossier par les parties, la suggestion de

1175 Comité de révision de la procédure civile, Une nouvelle culture judiciaire, supra note 7, p. 32-33. 1176 Art. 151.6 C.p.c. Il peut notamment exercer ses pouvoirs au moment de la présentation de la demande. Parmi ceux-ci,

il peut «décider des moyens propres à simplifier ou accélérer la procédure et à abréger l’audition […]», art. 151.6 (5°)

C.p.c. 1177 Comité de révision de la procédure civile, Une nouvelle culture judiciaire, supra note 7, p. 32-33.

Page 278: L'évolution et la structuration des principes directeurs

268

codifier ce principe s’accompagne d’une augmentation de l’importance qui lui était accordée

auparavant et de l’ampleur de son application. Ceci a pu être ressenti par une partie de la

communauté juridique comme une conséquence de la «nouvelle culture judiciaire» qui tranchait

avec les façons de faire antérieure. Ainsi, malgré l’existence du principe au préalable, sa

codification devait entraîner une période d’adaptation, au moins en ce qui a trait aux perceptions.

En revanche, il est clair que cette augmentation répond aussi aux attentes ministérielles. Lors de

l’évaluation de l’application du Code révisé, le rapport expose les avantages de l’intervention plus

rapide d’un juge dans la gestion de l’instance1178. Tout en soulignant des difficultés d’application

qui limitent les résultats perçus, le rapport ne remet pas en cause l’idée qui sous-tend les mesures en

question1179. Il apparaît ainsi que la pensée procédurale est modifiée. Alors qu’elle s’articulait

auparavant autour de l’image d’un magistrat qui, malgré ses pouvoirs d’action et l’accroissement

relatif de son implication en matière procédurale, se maintenait souvent en retrait, elle veut

maintenant s’appuyer sur l’image inverse. Le rôle du Code à titre d’agent principal de maintien de

l’équilibre de la cause semble diminuer. Une partie de ce rôle est transmise au juge, plus présent et

plus capable de nuancer l’application des règles aux besoins des parties telles qu’elles se présentent

devant le magistrat. L’interventionnisme caractérise la redéfinition de la fonction judiciaire et, à ce

titre, celle du principe directeur de la maîtrise de l’instance par le juge. En étant désigné comme

l’un des piliers de la réforme et de la nouvelle façon d’appliquer la procédure civile, cet

interventionnisme accroît substantiellement l’importance accordée au principe directeur de la

maîtrise de l’instance par le juge. Philosophiquement, celui-ci ne doit pourtant pas sa montée en

importance à l’affaiblissement du principe directeur de la maîtrise de leur dossier par les parties.

Cette constatation contraste avec l’analyse proposée par plusieurs observateurs du déroulement des

litiges1180. En ce sens, l’esprit de la codification de 2003 implique que toute modification du rapport

de force entre les deux principes directeurs et toute interprétation de leur interrelation doit être

considérée dans une optique où ceux-ci présentent une importance similaire. Tous deux doivent

cohabiter en tant que principes ayant désormais des poids comparables.

Par ailleurs, le nouveau principe directeur de la proportionnalité s’allie nécessairement à un

comportement «actif» du juge dans la gestion de la cause. Le rôle du juge en matière de respect du

1178 Ministère de la Justice du Québec, Rapport d’évaluation de la Loi portant réforme du Code de procédure civile, supra

note 1021, p. 34. 1179 Id., p. 33-34. 1180 Voir par exemple les constatations d’auteurs qui, après quelques années d’application de la première phase de la

réforme, mentionnent que «[l]e message est clair : faute de s’autoréguler eux-mêmes, les avocats font de plus en plus face

à une perte de contrôle de leurs dossiers en faveur du tribunal», C. Briand et D. Cloutier, «Bonne foi et proportionnalité :

les nouvelles balises fondamentales de l’exercice des droits civils», dans Barreau du Québec, Service de la formation

continue, Développements récents et tendances en procédure civile, vol. 320, Cowansville, Yvon Blais, 2010, p. 200.

Page 279: L'évolution et la structuration des principes directeurs

269

principe directeur est affirmé conjointement avec le rôle des parties sur cette même question. La

rédaction des articles inscrits au Code en 2003 indique une relation de complémentarité. Celle-ci

impose à chacun des acteurs une vigilance et un engagement concernant la proportionnalité afin

d’atteindre la réduction des délais et des frais à l’avantage des parties et du système. La

responsabilité est donc conjointe. Ainsi, l’intensité de l’intervention du juge semble parfois devoir

être modulée en fonction du comportement initial des parties. Son activité s’étend au-delà des

responsabilités et de l’intervention dans la gestion. Son rôle comporte aussi un aspect qui peut être

qualifié de supplétif à la décision et aux actes posés par les parties : le tribunal veille au bon

déroulement de l’instance et intervient pour en assurer la saine gestion1181. Une intervention active

deviendra peut-être nécessaire si la gestion de leur dossier par les parties n’est pas saine.

Le juge de la Cour supérieure «possède un grand pouvoir discrétionnaire» en ce qui a trait à la

gestion d’instance et la Cour d’appel considère que ce pouvoir est nécessaire pour assurer la

progression expéditive des causes1182. Le juge surveille l’instance et, entre autres, il doit cerner les

débats, s’assurer qu’ils sont centrés sur les questions importantes1183. Dans l’ensemble, il peut éviter

autant que possible qu’un débat procédural ait lieu au détriment des débats sur le fond1184. Il peut

également intervenir pour empêcher un acte inutile ou contraire aux intérêts de la justice1185. La

préservation de l’équilibre existant entre les parties dans le discours de la Cour d’appel est liée au

respect du «contrat judiciaire»1186 et veut éviter la création de situations susceptibles de porter

préjudice à la partie adverse1187.

1181 Art. 4.1 al. 2 C.p.c. 1182 Hickey c. Maltais, 2007 QCCA 703, par.3 (j. Pelletier, juge unique). Voir aussi Parmalat Canada inc. c. Puremed

Canada inc., 2012 QCCA 833 (CanLII), par. 24-29 (j. St-Pierre, juge unique). 1183 Mocreebec Council of the Cree Nation c. Québec (P.G.), 2012 QCCS 1835 (CanLII), par. 35-42 (j. Gagnon); Canada

(P.G.) c. Brault, 2006 QCCS 999 (CanLII), par. 19 (j. Hébert). 1184 Voir par exemple Bal Global Finance Canada Corporation c. Aliments Breton (Canada) inc., 2007 QCCS 5834

(CanLII), par. 34; Canada (P.G.) c. Brault, 2006 QCCS 999 (CanLII), par. 19 (j. Hébert). Voir aussi Occéan c. Société de

l'assurance automobile du Québec, 2011 QCCS 1564 (CanLII), par. 76 (j. Savard). 1185 À titre d’illustration, consulter 9055-8305 Québec inc. c. Aliments Martel inc., 2005 QCCA 952 (CanLII) ou Cliff

Mining Company c. Royal Bank of Canada, 2007 QCCA 1461 (CanLII). 1186 9055-8305 Québec inc. c. Aliments Martel inc., 2005 QCCA 952 (CanLII); Cliff Mining Company c. Royal Bank of

Canada, 2007 QCCA 1461 (CanLII). Le terme «contrat judiciaire» tel qu’il est employé dans ces arrêts rejoint une théorie

selon laquelle, par analogie avec la théorie contractuelle, est désigné ainsi un lien d’instance créé entre les parties par

l’échange de leurs procédures, notamment. «Les parties étant maîtres du procès, elles seraient alors liées par ce contrat et

par la méthode qu’elles ont choisie pour la conduite du procès», H. Reid, Dictionnaire de droit québécois et canadien, 4e

éd., supra note 57, p. 147. Modifier la nature de l’action à la veille du procès après l’avoir maintenue sur une voie durant

des années peut être perçu comme une modification à ce contrat judiciaire. Voir aussi S. Guillemard, «La réforme du

Code de procédure civile du Québec : quelques réflexions sur le contrat judiciaire», (2004) 45 C. de D. 133. Voir

implicitement, Raymond Chabot Fafard Gagnon inc. c. Latouche, 1997 CanLII 10539 (QC CA), entre autres. 1187 Voir par exemple 9055-8305 Québec inc. c. Aliments Martel inc., 2005 QCCA 952 (CanLII); Cliff Mining Company

c. Royal Bank of Canada, 2007 QCCA 1461 (CanLII). De même, lorsque l’amendement pour l’ajout de parties a entre

autres pour résultat de rendre le dossier plus complexe et d’allonger les délais de l’instance, le juge doit prendre ces

éléments en considération avant de permettre une telle modification : Mocreebec Council of the Cree Nation c. Québec

(P.G.), 2012 QCCS 1835 (CanLII), par. 35-42 (j. Gagnon).

Page 280: L'évolution et la structuration des principes directeurs

270

Dans l’ensemble, le principe directeur de la maîtrise de leur dossier par les parties tel qu’il est

codifié en 2003 n’est pas le résultat exact d’une parfaite continuité avec son expression implicite

antérieure. Toutefois, il ne constitue pas non plus une révolution par rapport à son développement

durant les époques précédentes, puisque nous avons vu qu’il subissait déjà une transformation

déterminée par les modifications de la pensée procédurale au XXe siècle. Les membres du Comité et

le législateur ont orienté son essor dans une direction particulière qui leur semblait de nature à servir

les intérêts d’une nouvelle façon de faire de la procédure.

Les principes dans l’environnement de la deuxième partie de la réforme : entre continuité et innovation ?

La seconde phase de la réforme est adoptée et interprétée comme appuyant et amplifiant le

mouvement amorcé précédemment dans la codification de ces deux principes. Ainsi, le principe de

la maîtrise de leur dossier par les parties est de nouveau affirmé dans le texte du Code de 2016, à

l’article 19 N.C.p.c. Par contre, son expression est modifiée. La maîtrise de leur dossier par les

parties est reconnue explicitement. Le texte est rédigé d’une manière qui accentue particulièrement

que les premiers acteurs de la constitution de leur dossier, puis de son évolution en matière

judiciaire, sont les parties. Celles-ci doivent assurer l’introduction de la cause au tribunal et les

différentes étapes de la constitution de la preuve, le choix, la préparation et le dépôt des actes de

procédure nécessaires au moment opportun, etc. Cela est en lien avec l’intention énoncée

notamment dans la Disposition préliminaire de favoriser l’implication des parties dans l’évolution

de leur dossier. Le Code offre aussi aux parties et aux avocats des indications qui balisent le

principe. Malgré la latitude reconnue sur le contrôle de leurs dossiers, les décisions en matière

procédurale des parties sont assujetties au respect des «principes, des objectifs et des règles de la

procédure et des délais établis», ce qui prouve la continuité de la réflexion sur ce sujet. Cela

rappelle également que les autres principes directeurs, tel celui de la proportionnalité, interagissent

avec lui.

Comme à l’article 4.1 C.p.c., le principe directeur de la maîtrise de leur dossier par les parties

connaît une limite dans l’existence de son compagnon, le principe directeur consacrant la maîtrise

de l’instance par le juge. Son énoncé est un peu modifié. Le nouveau Code établit explicitement le

rôle des tribunaux d’assurer la saine gestion et le bon déroulement des instances1188, donc de la

progression. Le résultat de ces différentes précisions du Code est que le second principe directeur

est désormais explicitement présenté comme un «devoir» du tribunal1189. Il lui incombait déjà, mais

1188 Art. 19 al. 1 N.C.p.c. 1189 Art. 19 al. 1 N.C.p.c.

Page 281: L'évolution et la structuration des principes directeurs

271

le texte antérieur du Code ne le mentionnait pas en ces termes. Le changement au Code apporte un

renforcement à cette orientation. Le magistrat est reconnu comme un acteur principal de l’évolution

de l’instance et du dossier, comme les parties. Son rôle, bien que différent du leur, provient

d’intérêts connexes et vise un but similaire. Le texte du nouveau Code insère le devoir conféré aux

juges dans la mission des tribunaux d’assurer la saine gestion de l’instance1190, tout en rappelant que

les juges sont tenus de se soumettre au principe directeur de la proportionnalité et de le faire

respecter dans le cadre des instances1191 . Dans les faits, comme le principe directeur de la maîtrise

de leur dossier par les parties et peut-être davantage que celui-ci puisque la philosophie en est

similaire, le principe directeur de la maîtrise de l’instance par le juge cohabite avec celui de la

proportionnalité. Ceci est d’ailleurs le cas lors de l’application de l’ensemble des principes

directeurs, entre autres1192.

La cohabitation relativement harmonieuse entre le principe directeur de la maîtrise de l’instance par

le juge et de la proportionnalité définit une limite qui s’exerce sur la liberté des parties de traiter leur

dossier à leur guise dans un contexte de saine gestion de celle-ci. En effet, ce principe réitère le

cœur de la règle édictée dans l’ancien article 4.2 C.p.c., soit l’obligation des parties de circonscrire

leurs procédures à «ce qui est nécessaire pour résoudre le litige»1193. Le nouveau Code impose

d’autres obligations aux parties, notamment en ce qui a trait à la bonne foi, et à l’interdiction d’agir

pour nuire à autrui ou de manière excessive ou déraisonnable1194. Dans ce dernier cas, la sanction

est celle que l’on applique à l’abus de procédure1195, voire une condamnation aux frais1196. Le Code

rappelle aussi que les parties peuvent mettre fin au litige à tout moment, si elles le jugent à propos,

et en ayant recours à toute méthode de règlement à l’amiable, y compris la conciliation judiciaire, si

elles le souhaitent1197. Ceci rapproche explicitement le règlement à l’amiable des litiges d’une

conception «proportionnelle» de la gestion du conflit judiciarisé. Dans l’ensemble, les nouveaux

articles conservent et regroupent de nombreuses expressions des pouvoirs et devoirs conférés aux

parties et aux juges dans l’ancien Code1198.

1190 Art. 9 al. 2 N.C.p.c; art. 9 al. 2 PL 28, Loi instituant le nouveau Code de procédure civile, 1re sess., 40e lég., Québec,

2013. Le texte a évolué en comparaison de l’Avant-projet de loi, qui rappelait cette même obligation à l’article 9 al. 3. 1191 Art. 18 al. 2 N.C.p.c. 1192 Ils sont tenus d’agir en matière de proportionnalité «en accord avec les principes et les objectifs de la procédure»,

selon l’article 9 al. 2 N.C.p.c. 1193 Art. 19 al. 1 N.C.p.c. 1194 Art. 19 al. 2 N.C.p.c. 1195 Art. 51 al. 2 N.C.p.c. 1196 Voir à cet égard les pouvoirs conférés au tribunal aux articles 341 et surtout 342 N.C.p.c. 1197 Art. 19 al. 3 N.C.p.c. 1198 Outre les articles 4.1 et 4.2 C.p.c., les pouvoirs spécifiquement conférés dans le cadre des articles 151.6 (5°) ou 54.1 et

suiv. C.p.c. sont implicitement intégrés par ces dispositions.

Page 282: L'évolution et la structuration des principes directeurs

272

Malgré la difficulté de tracer une limite claire et invariable d’une telle répartition des responsabilités

au quotidien, l’idée d’un effort collectif du juge et des parties en matière procédurale est préservée.

La rhétorique du Code autant que celle des commentaires officiels qui accompagnent son

adoption1199 envisagent l’intervention accrue du juge sur ce plan sous un éclairage positif.

D’ailleurs, la décision d’intégrer l’énoncé des deux principes directeurs dans le même article, et

même en scindant l’expression de l’un par l’insertion de l’autre, appuie cette idée de

complémentarité que veut véhiculer le Code. Elle rend d’ailleurs légitime la décision d’appuyer

l’augmentation de l’influence judiciaire dans le processus. Rompant avec une représentation

partagée par une partie de la communauté juridique depuis des décennies et qui oppose les effets de

ces deux principes directeurs à cet égard, le Code tente de jouer le rôle qui lui a été attribué

d’influencer la culture judiciaire. Néanmoins, la modification réelle ne se produira probablement

pas du seul fait de l’existence du Code. L’interprétation de l’article, la transmission des perceptions

et plusieurs autres facteurs sont susceptibles de la faciliter ou de la retarder.

La nouvelle orientation concernant le rôle plus interventionniste des juges répond certes aux

impératifs de la plus récente réforme, où responsabilisation, implication, bonne foi et dialogue sont

des mots clés. Il ne faut pourtant pas oublier qu’elle rejoint également le souhait exprimé par les

commissaires dès la présentation du projet de Code en 19641200. Il apparaît en effet théoriquement

productif de combiner les efforts du juge, des représentants que sont par exemple les avocats, et des

parties pour faire progresser les causes. La procédure civile est une branche du droit où le

pragmatisme semble avoir acquis ses lettres de noblesse. Dans cette optique, la réforme actuelle du

Code tend à imposer le respect d’une coopération entre juge et parties, le premier gérant l’instance

et les secondes leur dossier selon des orientations similaires et complémentaires, en mettant en

valeur les rôles respectifs de chacun, et en leur laissant une marge de manœuvre dans leur sphère

d’influence1201. Le législateur veut ainsi encourager l’économie et la célérité accrues de l’instance,

sans pour autant annihiler toute retenue chez le juge et toute liberté de choix chez les parties.

L’importance et la complémentarité des deux principes directeurs sont ainsi affirmées.

1199 Voir par exemple Commentaires de la ministre de la Justice, Code de procédure civile, chapitre C-25.01, Montréal,

SOQUIJ/Wilson & Lafleur, 2015, p. 19. 1200 Projet-Draft, Code de procédure civile, 1964, supra note 697, p. VIa. 1201 Il ne s’agit pas d’une idée nouvelle, comme nous l’avons constaté. L’idée d’une coopération entre le juge et les autres

acteurs de l’instance est acceptée, bien que peut-être dans des optiques différentes, depuis longtemps et appartient aux

éléments descriptifs du travail des avocats dans plusieurs contextes, voir par exemple Barreau du Québec, Mémoire du

Barreau du Québec 2011, supra note 1056, p. 21-22).

Page 283: L'évolution et la structuration des principes directeurs

273

2.2. Les nouveaux principes directeurs dans le contexte de la codification

La révision de la procédure civile contribue non seulement à repenser les principes déjà codifiés,

mais aussi à introduire des principes dont la présence sera considérée comme nouvelle, notamment

la conciliation et la proportionnalité.

2.2.1. Le principe directeur de la conciliation : une nouvelle expression ?

L’expression du principe, 2003 -2016

En marge de l’instance, mais dans une continuité d’esprit, le législateur a jugé bon de codifier un

principe directeur dont nous avons souligné la survivance au stade de principe innommé depuis

1920 jusqu’au dernier quart du XXe siècle. L’introduction de mesures de conciliation dans les

dernières décennies du XXe siècle, comme nous l’avons vu, a encouragé le développement d’un

environnement favorable à l’adoption d’un tel principe. Sa reconnaissance à titre de principe codifié

et nommé se produit en 2003, mais après un cheminement qui diffère de celui d’autres exemples

évoqués. D’ailleurs, même à la fin du XXe siècle, il semblait présenter plusieurs caractéristiques le

rapprochant davantage d’une valeur que d’un principe complètement développé1202. Sans être un

principe récent, ses manifestations, son degré d’acceptation dans la communauté juridique et sa

formulation paraissaient encore en évolution. Nous avons vu notamment comment la justice

négociée a pris de l’ampleur à cette époque1203.

La première codification du principe directeur innommé de la conciliation ne définit pas

systématiquement celui-ci. Implicitement, il lui confère une étendue plus large que celle qu’il

possédait, bien qu’il semble initialement se limiter à son expression dans le cadre des procédures

judiciaires. Le rapport du comité qui prépare la réforme souligne l’importance de reconnaître

davantage le rôle croissant que tient le juge en tant que conciliateur, en redéfinissant la fonction

judiciaire1204. La règle qui exprime ce principe directeur dans le Code révisé de 2003 impose une

obligation précise au juge et au tribunal de favoriser en tout temps la conciliation en matière

familiale et dans les dossiers entendus selon la procédure relative aux petites créances, selon

1202 Par contre, la conciliation existe dans certaines lois ou dans des règlements particuliers, par exemple en droit du

travail (voir entre autres art. 54-57 Code du travail, R.L.R.Q., c. C-27, ou art. 71-87 Code canadien du travail, L.R.C.

1985, c. L-2). Elle se retrouve aussi en matière professionnelle : art. 88, Code des professions, R.L.R.Q., c. 26 ou art. 75.2,

Loi sur le Barreau, R.L.R.Q. c. B-1. L’application de la procédure de conciliation est discutée dans un arrêt de 1992. Le

Cour indique que cette procédure est «dérogatoire à la règle générale». Le Règlement sur la procédure de conciliation et

d’arbitrage des avocats doit être «interprété strictement», d’autant plus que la procédure ne résulte pas d’une décision

commune, mais d’une seule partie. De plus, elle prive l’autre partie «de son accès au tribunal de droit commun», puisque

la «sentence arbitrale» est définitive et sans appel. Tomaz-Younge c. Miller, (1992) 49 Q.A.C. 234, 235 et 236-237 (C.A.)

(j. Chevalier). 1203 Voir la section 2.2.1, en page 183 et suivantes. 1204 Comité de révision de la procédure civile, Une nouvelle culture judiciaire, supra note 7, p. 41.

Page 284: L'évolution et la structuration des principes directeurs

274

l’article 4.3 C.p.c. et les articles respectifs concernant ces deux matières. Ici, le Code reconnaît un

acquis philosophique, puisque le juge possédait déjà un tel pouvoir1205. L’intégration de la

médiation en matière familiale se poursuit depuis quelque temps et, au moment d’un nouvel ajout

au droit familial en 2003, l’obligation faite aux magistrats est rappelée à deux reprises dans le Code

civil1206. D’ailleurs, le vocabulaire utilisé à cette occasion introduit au Code civil, concernant la

«mission» de conciliation du tribunal, préfigure celui qui sera employé à partir de la réforme des

années 2000 pour désigner le devoir général de conciliation des juges et qui perdure dans le

nouveau Code1207. En matière de petites créances, le recours aux modes de prévention et de

règlement des différends est accru lors de la révision du Code en 2002 et des ajouts réalisés

encouragent la participation des parties à une médiation1208.

Dans les autres matières visées par le Code, le tribunal est tenu de favoriser la conciliation entre les

parties qui y consentent. Ainsi, la responsabilité de la conciliation telle qu’elle est présentée à

l’article 4.3 C.p.c. est articulée principalement dans sa relation avec la fonction judiciaire, mais elle

repose davantage sur les parties. Selon les termes de l’article, tribunaux et juges «peuvent» tenter

cette conciliation entre les parties. Il s’agit donc de l’expression d’un pouvoir et non d’un devoir.

De même, le tribunal peut, au moment du dépôt de la demande, «inviter les parties à une conférence

de règlement à l'amiable ou à recourir à la médiation»1209. Le document préparatoire de la révision

fait une large place à l’idée d’une conférence de règlement à l’amiable présidée par le juge et

décidée par les parties et le Code aménage son fonctionnement1210. La conciliation, dans ce

contexte, signifie donc l’aménagement d’un espace de dialogue en retrait de l’environnement du

procès afin de permettre à deux parties de tenter de rapprocher leurs positions divergentes au sujet

du litige, avec l’aide d’un tiers qui se trouve être un juge. La conférence de règlement à l’amiable,

l’une des expressions de son intégration accrue à la procédure civile, est introduite dans le Code1211.

Par contre, la conciliation ainsi créée est intégrée dans le cheminement judiciaire du litige,

1205 Art. 978 et 844.3 C.p.c. 1206 Loi instituant l’union civile et établissant de nouvelles règles de filiation, L.Q. 2002, c. 6, art. 27. À propos de l’union

civile, l’article 521.9 C.c.Q. assujettit à une obligation de «favoris[er] la conciliation des parties» les décisions rendues

dans les différends des parties quant à leurs droits et devoirs. Lors de la dissolution de l’union civile, l’obligation du

tribunal de favoriser la conciliation entre les conjoints est de nouveau affirmée (art. 521.17 C.c.Q.). 1207 Art. 4.3 C.p.c., art. 9 N.C.p.c. 1208 Art. 975 C.p.c. et 973 C.p.c. tel que modifié en 2002 (Loi portant réforme du Code de procédure civile, L.Q. 2002, c.

7.) 1209 Art. 151.6 (5°) C.p.c. 1210 Comité de révision de la procédure civile, Une nouvelle culture judiciaire, supra note 7, p. 37, 78-81 et 83-85,

notamment. Ceci se traduit au Code par la mention que le tribunal peut inviter les parties à une conférence de règlement à

l’amiable (art. 151.6 (5°) C.p.c.). Les détails de son fonctionnement sont présentés aux articles 151.14 et suivants C.p.c.

en première instance et 508.1 C.p.c. en appel. 1211 Art. 151.16 C.p.c.

Page 285: L'évolution et la structuration des principes directeurs

275

puisqu’elle dépend des tribunaux et est perçue comme un service public qu’ils rendent. Cet aspect

est de plus en plus affirmé par la suite.

En comparaison, dans le Code de 2016, quelques modifications sont apportées à l’expression du

principe directeur. L’un des aspects les plus porteurs des modifications en matière de conciliation

s’avère être la reconnaissance de celle-ci comme partie de la mission des tribunaux. Le texte de la

nouvelle loi précise que ce rôle s’exerce «si la loi leur en fait devoir, si les parties le demandent ou

y consentent, si les circonstances s’y prêtent ou s’il est tenu une conférence de règlement à

l’amiable»1212. Si le législateur s’en était tenu à cette précision, ceci aurait modifié très légèrement,

mais sans grande conséquence, le libellé de l’ancien article 4.3 C.p.c. Par contre, le législateur a

aussi choisi d’affirmer expressément la mission de conciliation du juge et l’élargir. En effet, il ne

réserve plus cette indication aux matières familiales et aux petites créances. Elle s’applique donc à

toutes les matières. La reformulation des articles rappelle ainsi que la présidence d’une conférence

de règlement à l’amiable entre dans la «mission de conciliation du juge»1213. L’exclusion de l’article

principal concernant la conciliation du titre consacré aux principes directeurs en faveur de la

«mission du tribunal» est aussi un trait du nouveau Code1214.

La précision du vocabulaire, qui la distingue des autres principes directeurs définis par ce seul

terme, demande réflexion. En pratique, les conséquences de cette décision sont faibles. La

conciliation continue d’être ouverte aux parties en tout temps et le juge a la responsabilité de les y

inviter si les conditions s’y prêtent. Elle continue de participer à l’interprétation du Code et de la

fonction judiciaire, à l’instar des «principes directeurs» désignés par ce terme. Sur le plan

philosophique, la distinction commande une autre réflexion. En effet, peut-on encore parler de la

conciliation comme d’un principe directeur? Le Code ne la désigne plus expressément comme telle.

À l’aune de la définition du principe directeur développée dans notre thèse, cependant, la réponse

affirmative ne fait aucun doute. L’ambiguïté ne doit pas modifier nos paramètres d’analyse. À titre

comparatif, le principe directeur du contradictoire a été codifié longtemps avant qu’une section

l’identifiant expressément comme un «principe» soit inscrite dans la loi. Or, dans le cas de la

1212 Art. 9 al. 2 N.C.p.c. Le projet de loi de 2013 et l’avant-projet de loi de 2011 réaffirment tous deux cette même réalité :

art. 9 al. 2, PL 28, Loi instituant le nouveau Code de procédure civile, 1re sess., 40e lég., Québec, 2013; art. 9, Avant-projet

de loi : Loi instituant le nouveau Code de procédure civile, 2e sess., 39e lég., 29 septembre 2011. 1213 Art. 161 N.C.p.c. 1214 Par contre, à la fin du XIXe siècle et au début du siècle suivant, plusieurs magistrats considéraient leur rôle de juge

comme une «mission» exercée dans le cadre social, dans une optique culturellement un peu différente. Voir par exemple

le discours de certains magistrats qui en font foi implicitement : A.-A. Bruneau, «Du délibéré des juges», supra note 416,

p. 205; ANQ, Centre de Québec, Fonds François-Xavier Lemieux, P 145/1, 3 A 003 02-03-001 B-01, 1960-01-126/1, doc.

155 (lettre de L.-A. Cannon à F.-X. Lemieux, 26 octobre 1927); T. Rinfret, «Réponse», supra note 640, p. 347 et P.-G.

Roy, Les juges de la Province de Québec, supra note 230, frontispice (citation).

Page 286: L'évolution et la structuration des principes directeurs

276

conciliation, le contenu de l’article 4.3 C.p.c. est repris dans le nouveau Code, bien qu’un peu

modifié.

À la lecture du nouveau texte, une évidence doit être soulignée. Contrairement à cette thèse, le

nouveau Code ne caractérise pas, ne définit pas les traits des principes directeurs qu’il codifie. Sa

rédaction montre qu’il a l’intention de les poser, non d’expliquer comment ils sont reconnus et

composés ou comment et en quoi ils se distinguent de valeurs, par exemple. La conciliation n’est

pas inscrite comme telle dans la section des principes dits «directeurs», ce qui peut créer une forme

d’ambiguïté intellectuelle. Implicitement, comme nous le constatons, la conciliation conserve le rôle

et les traits essentiels d’un principe directeur similaire à celui que nous avons défini. Elle en

conserve les caractéristiques en tout ce qui concerne son application et sa présentation. D’une part,

la Disposition préliminaire y fait une allusion, sans la nommer, dans son deuxième alinéa, ce qui

indique que les valeurs qui la sous-tendent sont reconnues, mais ne l’identifie pas expressément

comme un principe directeur. D’autre part, certains suggéreront peut-être qu’une mention faite au

troisième alinéa de l’article 19 N.C.p.c. écarte cette ambiguïté, mais cet article décrit davantage le

principe directeur de la maîtrise de son dossier par la partie et les divers moyens d’y parvenir qu’il

ne définit le principe directeur de la conciliation. L’interprétation qu’en donneront les tribunaux à

long terme tranchera cette question, mais d’ici là, il peut sembler que sa reconnaissance explicite à

titre de principe directeur codifié par le texte de loi connaît un changement d’expression et peut

paraître moins claire qu’elle ne semblait l’être en 2003. Cette modification est intéressante dans le

cadre de son évolution à titre de principe directeur. Enfin, elle est incluse dans la mission du

tribunal1215. Le concept de «mission», nouveau dans ce contexte, altère sa définition. Le principe

directeur de la conciliation a déjà connu une évolution particulière et il semble qu’il pourrait se

différencier encore d’un schéma linéaire depuis l’entrée en vigueur du Code. Comme nous l’avons

indiqué dès l’abord, le statut d’un principe n’est jamais immuable, et ses formes d’expression ne le

sont pas davantage.

D’un autre côté, la rédaction du Code adopté en 2014 pose un dilemme terminologique dans le

cadre même de la thèse. Le législateur a présenté la conciliation comme une mission et l’a placée à

part, en exergue, pourrait-on dire. Ceci doit-il influencer notre lecture de la situation? Notre

définition «scientifique» du principe directeur ne nous y oblige pas. La conciliation reste identifiée

et inscrite à plusieurs reprises dans le Code et en oriente l’interprétation et le fonctionnement, ce qui

répond à suffisamment de critères proposés dans notre définition pour qu’elle soit considérée

comme un principe directeur innommé ou latent. Il n’est pas nécessaire de prévoir, dans le cadre de

1215 Art. 9 al. 2 N.C.p.c.

Page 287: L'évolution et la structuration des principes directeurs

277

la thèse, l’existence d’une nouvelle catégorie de principes directeurs qui reçoivent une appellation

liée à la «mission». La conciliation devrait continuer d’être considérée, selon la catégorisation

proposée, comme un principe directeur codifié et nommé1216. La décision du législateur de lui

confier, temporairement ou de manière permanente, un statut particulier ou de l’identifier comme

une «mission» ne lui retire aucune des qualités que nous avons identifiées comme essentielles à la

nature d’un tel principe. Il sera intéressant de voir si ce statut distinctif ou cette désignation

particulière se maintiendront dans les révisions subséquentes dans l’hypothèse où l’acceptation de

cet important pilier de la révision du début du XXIe siècle atteindrait les objectifs qui lui sont fixés.

Ceux-ci sont entre autres de diminuer l’aspect contradictoire de la procédure civile et d’encourager

le règlement des différends et des litiges en misant sur plusieurs méthodes, judiciaires et non

judiciaires. Cependant, l’atteinte de ces objectifs restera à mesurer dans les décennies futures. Cette

thèse a permis de mettre en lumière l’imprévisibilité potentielle de la réponse et des conséquences

d’une révision. Elle a aussi souligné –et le cas de la conciliation en est l’exemple parfait– que

l’évolution des principes n’est pas linéaire et doit être appuyée sur la reconnaissance et la pertinence

des principes directeurs. Ceci ne cesse pas d’être valable une fois le principe directeur codifié. Au

contraire, il s’agit d’une étape dans sa réception par la société –ou le monde judiciaire, plus

spécifiquement– dans une situation marquée par le changement culturel. Son évolution donc peut se

poursuivre, se marquer d’une reconnaissance accrue ou au contraire perdre en intérêt, voire être

modifiée par une hiérarchisation différente des principes directeurs. Telle est la prérogative des

commissions de révision et des rédacteurs du Code1217. Le législateur, par ailleurs, peut identifier

des notions sous diverses étiquettes qui ne rejoignent pas la définition proposée dans cette thèse

même si les principes directeurs désignés répondent aux critères établis pour que la thèse les

considère comme tels. En outre, l’analyse proposée dans cette thèse porte à croire que, si nous

évitons une interprétation trop stricte de la structure et de la lettre du texte, il est évident qu’un Code

pourrait contenir des principes directeurs qui ne sont pas spécifiquement inscrits dans la section

particulière identifiée à ce propos.

1216 D’ailleurs, il est intéressant de considérer l’exposé de Loïc Cadiet sur le cas français : «[…] les auteurs du Code de

procédure civile de 1975 ont recueilli leur projet d’une justice amiable en permettant l’introduction de l’instance par

requête conjointe (art. 57), en prévoyant la possibilité pour le juge de statuer en amiable composition (art. 12, al. 4) et,

surtout, en hissant la conciliation judiciaire au rang des principes directeurs de l’instance, l’article 21 proclamant

clairement qu’ "Il entre dans la mission du juge de concilier les parties".» (L. Cadiet, «Les tendances contemporaines de la

procédure civile en France», dans M. Puech (dir.), De code en code : Mélanges en l’honneur du doyen Georges

Wiederkehr, Paris, Dalloz, 2009, p. 71.) Dans le Code français, cet article 21 est compris dans le chapitre intitulé «Les

principes directeurs du procès», ce qui dissipe toute ambiguïté. Cependant, l’analogie persiste, surtout compte tenu de la

similitude entre l’article 4.3 in fine et l’article 21 C.p.c.f. 1217 Notons aussi que l’idée maîtresse identifiée par la révision de 1966 exprimée à l’article 2 du Code de l’époque est

désormais identifiée comme une «règle d’interprétation et d’application du Code», signe que cette idée conserve son

importance, mais que d’autres priorités, liées à la situation actuelle, sont identifiées et mises en place dans le Code.

Page 288: L'évolution et la structuration des principes directeurs

278

Cette distinction quant au classement réservé au principe directeur de la conciliation ne modifie pas

toutes ses caractéristiques. Ainsi, la possibilité de recommander la conciliation aux parties est

réitérée. Le nouveau Code précise que l’invitation qui peut être faite aux parties de participer «soit à

une conférence de gestion, soit à une conférence de règlement à l’amiable ou à recourir elles-mêmes

à la médiation» peut être suggérée par le tribunal à titre de mesure de gestion, et ce, même d’office,

dans le Code de 20031218. L’affirmation de la responsabilité des parties en matière de conciliation et

de choix à cet égard perdure dans le texte qui lui succède1219. Ceci sous-entend que le principe

directeur de la conciliation ne se limite pas à l’assistance que peut donner le magistrat dans le cadre

de l’instance, mais qu’elle vise le comportement des parties et doit influencer autant leur manière de

penser que d’agir dans le dossier. En effet, l’importance de l’expression d’une attitude conciliatrice

dans le cadre de l’évolution de l’instance est implicitement présente dans le Code. Elle s’inscrit

ainsi dans l’élaboration de la nouvelle culture judiciaire encouragée par le législateur. Par exemple,

lors de l’établissement du protocole de l’instance, les parties doivent énoncer «la considération

qu’elles ont portée à recourir aux modes privés de prévention et de règlement des différends» et

indiquer s’il leur semble opportun de s’engager dans une conférence de règlement à l’amiable1220.

De même, si une conférence de gestion a lieu, le tribunal peut prendre des mesures pour encadrer un

recours à la conférence de règlement à l’amiable ou, selon le cas, à des modes privés de prévention

et de règlement des différends1221. Ces mentions lient donc plus particulièrement la présence du

principe directeur dans la vie judiciaire à certains moments-clés de l’évolution de l’instance et des

relations entre les parties.

Le principe directeur et son intégration parmi les règles codifiées

L’importance prise par la conciliation dans le nouveau Code et dans le droit judiciaire, à titre de

principe directeur et autrement, a encouragé notamment la considération d’autres méthodes de

prévention et de résolution des différends. Cela rejoint les discours qui promeuvent la prise de

conscience d’une «offre de justice» plus large dans le cadre social1222. Des processus de prévention

et de règlement des différends bénéficient aussi d’une reconnaissance partielle ou accrue, selon le

cas, depuis l’adoption du nouveau Code, puisque des règles les régissent. Ces règles sont nourries

par l’idée de concilier les parties et de les amener à adopter une attitude favorisant la conciliation.

Par exemple, dans le cas de certains «modes privés de prévention et de résolution des différends»,

1218 Art. 158 (1°) N.C.p.c. 1219 Art. 19 N.C.p.c. 1220 Art. 148 al. 1 N.C.p.c. et art. 148 al. 2 (2°) N.C.p.c. 1221 Art. 158 al. 1 (1°) N.C.p.c. 1222 Une expression de ce discours est illustrée par exemple dans l’arrêt de la Cour suprême Hryniak c. Mauldin, 2014

CSC 7; [2014] 1 R.C.S. 87. Bien qu’issu de la Cour d’appel de l’Ontario, l’arrêt est pertinent pour l’étude de la

proportionnalité au Québec également.

Page 289: L'évolution et la structuration des principes directeurs

279

comme la médiation, des articles spécifiques proposent des balises et des comportements qui

peuvent compléter ou suppléer aux décisions des parties1223. Une forme d’encadrement est donc

offerte à ces modes de prévention et règlement des différends, qu’ils soient entrepris avant ou

durant l’instance, mais toujours dans un esprit de conciliation. Implicitement, ceci rejoint

l’encouragement donné aux parties de développer une attitude qui permette la conciliation

éventuelle. De plus, dans le cadre de l’instance elle-même, les tribunaux et les juges peuvent, sans

s’impliquer directement dans la conciliation, la favoriser en permettant la suspension de l’instance

pour permettre l’utilisation d’un moyen de prévention et règlement des différends en cours

d’instance, si les circonstances sont remplies1224. Cela fait partie du changement culturel que le

législateur, entre autres, tente d’implanter et qui doit toucher le comportement des parties comme du

magistrat. Il s’agit en effet d’un exemple de réception de la règle. La conciliation exprime

concrètement l’insertion du concept de résolution amiable des conflits dans la conception du

système judiciaire civil et du rôle que le législateur lui confère, particulièrement en ce qui a trait à

son accentuation et son rapprochement explicite d’avec le principe directeur de la proportionnalité.

Elle illustre aussi l’élargissement de la portée de la réforme qui crée un encadrement relatif d’une

discussion entre les parties1225.

Dans le cas des modes de règlement des conflits dont l’emploi précède l’introduction de l’action,

des auteurs ont exprimé leurs doutes quant à la sagesse d’inclure dans le Code des articles

prévoyant leur encadrement –et à plus forte raison dans les premiers articles du Code. Ces doutes

s’appuient notamment sur l’appartenance de ces moyens à une sphère où, historiquement, le

pouvoir judiciaire ne s’aventure que très peu. Il faut cependant tenir compte du fait que ces articles

ne paraissent pas avoir pour but de mettre a priori l’usage de ces méthodes sous l’empire du

tribunal. Les règles proposées semblent avoir plutôt une fonction de prévention et d’éducation.

D’une part, elles ont pour but de rappeler l’assujettissement de ces processus à certains principes

directeurs et à des comportements et des valeurs essentielles du système judiciaire, voire à des

principes généraux du droit qui, comme l’introduction l’a posé, s’appliquent aussi au système

judiciaire –par exemple la bonne foi1226. Ces derniers s’appliquent d’office à certaines formes de

négociation1227 en matière juridique, ce qui peut inclure un règlement à l’amiable qui, pour n’être

1223 Art. 605-619 N.C.p.c. L’arbitrage reçoit aussi une telle attention, art. 620 et suiv. N.C.p.c. 1224 Art. 156 N.C.p.c. 1225 Par analogie, voir la discussion concernant l’intérêt pour le protocole préjudiciaire et les modes privés de résolution

des différends, par exemple en page 253. 1226 Celle-ci est mentionnée à l’article 2 N.C.p.c., par exemple. 1227 Il est intéressant de considérer les articles 2631 et suivants C.c.Q. à propos des transactions possibles ou proscrites en

droit québécois, qui s’appliquent justement à la transaction qui mène à un contrat «terminant un procès» (2631 C.c.Q.) et

qui peuvent s’appliquer à l’entente à l’amiable entre les parties «si les circonstances s’y prêtent et que la volonté des

parties à cet égard est manifeste» (art. 613 C.p.c.).

Page 290: L'évolution et la structuration des principes directeurs

280

pas judiciarisé, se rapporte malgré tout à la justice et à son application. Il est alors justifié de répéter

l’expression de cette réalité dans le Code où les règles traduisant une partie de ces principes sont

énoncées. D’autre part, cette insertion des méthodes de prévention et règlement des différends dans

le Code veut visiblement prévenir un abus possible dans le cadre de ces processus, et surtout assurer

un recours à une partie qui en serait lésée. Ces règles ont aussi un rôle supplétif1228. La décision

commune d’utiliser une méthode de résolution des conflits et de choisir un tiers, médiateur ou autre,

est une entente entre les parties et celles-ci sont libres de l’aménager à leur gré1229. L’objectif du

Code de 2016 est moins d’en régler l’application durant la négociation que de rappeler aux parties

qu’elles sont responsables du respect de certains principes de justice civile1230. Une transaction étant

un contrat, une contravention à l’une ou l’autre de ces règles pourrait engendrer la responsabilité,

sauf dans les cas où elle est limitée1231.

Par ailleurs, la codification de ce nouveau principe directeur et de ses incidences ouvre-t-elle la

porte à un questionnement sur la nature du Code et sa portée? À tout le moins, il possible de déceler

chez une partie de la communauté juridique une résistance à l’idée d’inclure des articles sur la

prévention ou le règlement des différends appliqués dans un contexte préjudiciaire dans le Code1232.

Les mémoires accompagnant l’étude de l’avant-projet de loi dans la décennie 2010 l’ont montré. De

nombreux membres de la communauté juridique, tout en étant favorables en théorie à la question de

la résolution des conflits par d’autres méthodes, souhaitent restreindre, soit les avenues de

règlement possibles, soit leur encadrement par le Code. L’Association du Barreau canadien remet

en question l’idée voulant que le Code régisse cette partie du dossier qui précède la demande

introductive d’instance1233, car il ne s’agit pas de son rôle traditionnel. Elle avance également l’idée

que les parties devraient pouvoir recourir aux moyens alternatifs déjà prévus et existants et

s’inquiète de voir que ces mêmes parties sont obligées, d’après les termes des commentaires, de

considérer les modes privés de résolution des différends1234. Ces remarques n’ont pas entraîné de

modification lors de la rédaction du projet de loi ou par la suite. Les articles adoptés proposent un

encadrement général du processus, qui aurait pour but de rester flexible et adaptable, afin de

1228 Voir notamment 6 N.C.p.c. Elles rejoignent en cela la philosophie des règles énoncées sur les conventions d’arbitrage

: le Code civil prévoit que, «sous réserve des dispositions de la loi auxquelles on ne peut déroger, la procédure d’arbitrage

est réglée par le contrat ou, à défaut, par le Code de procédure civile» (art. 2643 C.c.Q.). Voir également l’article 940

C.p.c., qui précise que les «dispositions du présent Titre s’appliquent à un arbitrage lorsque les parties n’ont pas fait de

stipulations contraires», tout en rappelant que certaines dispositions du Code sur les arbitrages sont malgré tout

impératives. 1229 Art. 1 al. 1, 2 et 6 N.C.p.c. 1230 Art. 1, 2 et 3 N.C.p.c 1231 Voir par exemple, dans le cas du tiers, l’article 3 N.C.p.c. 1232 Voir par exemple S. Guillemard, Mémoire à la Commission des institutions, supra note 1066, p. 4. 1233 A.B.C., division du Québec, Mémoire relatif à l’Avant-projet de loi, 2011, supra note 1106, p. 8-9. 1234 Id., p. 9.

Page 291: L'évolution et la structuration des principes directeurs

281

respecter le droit des parties de déterminer le mode de résolution de leur conflit et la procédure qui

s’y applique1235. La procédure codifiée dans le cadre de l’arbitrage ou de la médiation est

supplétive1236. Cependant, la question de base conserve sa pertinence. Est-ce le propre d’un Code de

contenir de telles indications, notamment pour la phase préjudiciaire? Pourtant, la réponse en est

peut-être moins pratique que philosophique. Il est tout à fait possible d’adhérer à une réflexion

voulant que le Code doive demeurer une forme législative relativement fixe et conforme à un

modèle dont la forme remonte aux Romains1237. Il ne manque cependant pas d’exemples de

variations parfois importantes dans le processus de formation des codes et dans la définition de leur

contenu obligatoire1238. Si la conciliation apparaît comme une réponse potentielle à la recherche de

célérité et d’apaisement valorisée par la société et le législateur, la tradition de rédaction doit-elle

conserver une forme de primauté sur l’expérimentation législative qu’est la codification de

principes ayant une telle envergure et l’élargissement de la portée du Code? Il n’est pas certain que

cette tentative génère les résultats escomptés, à l’instar de nombreuses tentatives législatives de

changement avant elle. Il est possible que les diminutions importantes de temps et de coûts liées aux

procédures ne se matérialisent pas ou que les conséquences réelles échappent un jour au contrôle et

aux prévisions de ceux qui en sont les auteurs. Il est aussi possible que nos attentes sociales face à la

célérité et à l’apaisement soient démesurées ou faussées par un mode de pensée où tout doit être

produit de plus en plus rapidement et sans le moindre heurt. Dans cette optique, il convient peut-être

de replacer l’expérience tentée au début du XXIe en matière de codification dans son contexte. Le

recours explicite aux principes et l’élargissement de la portée du Code peuvent légitimement être

tentés. Le droit est une donnée créée par la société humaine, la société et le législateur peuvent donc

définir le contenu et la forme des lois pour tenter d’atteindre son expression. La tendance à

l’ingérence dans la sphère privée du règlement des conflits que les parties ne souhaitent pas

judiciariser doit peut-être être abordée avec circonspection, mais les balises actuelles tendent à

maintenir les garanties du respect de la liberté individuelle. Par conséquent, les risques susceptibles

de diminuer l’importance donnée à la conciliation et ses répercussions proviennent moins, selon

nous, de l’élargissement du Code que des glissements de l’interprétation et de la dogmatique de

ceux qui veulent l’imposer. Ainsi, le danger inhérent à l’expérience repose moins dans l’outil

proposé, le Code lui-même, que dans l’emploi qui peut être fait de l’outil en question.

L’autre résultat de l’importance accrue conférée à la conciliation par sa codification se traduit par

l’attention prêtée à la conférence de règlement à l’amiable. En 2003, la section du Code consacrée à

1235 Art. 6 N.C.p.c. 1236 Notamment les articles 605 à 619 N.C.p.c. (médiation), etc. 1237 Voir par exemple R. Cabrillac, supra note 14, p. 15. 1238 R. Cabrillac, supra note 14.

Page 292: L'évolution et la structuration des principes directeurs

282

la conférence de règlement à l’amiable traduit des valeurs similaires à celles qui inspirent le

principe directeur de la conciliation, notamment en matière de volontariat ou de présence d’un

tiers1239. Le fonctionnement structurel d’une conférence de règlement à l’amiable repose en partie

sur le travail du juge à titre de conciliateur, mais les rôles des parties sont primordiaux et même les

avocats, à la demande des clients, peuvent s’impliquer activement dans le processus en tant que

conseillers1240. D’ailleurs, l’implication judiciaire dans ce domaine a initialement fait naître

plusieurs opinions quant à la définition, à l’exercice et la reconnaissance du rôle des magistrats à

titre de conciliateur, entre autres1241. La Cour d’appel s’est exprimée sur le sujet en 2006 en

expliquant que le juge qui préside une conférence de règlement à l’amiable reste un juge et exerce

sa fonction judiciaire1242. La Cour précise que la conférence de règlement à l’amiable, bien qu’étant

une «étape de la procédure […] particulière puisqu'elle peut conduire à un règlement du conflit»1243,

est encore considérée comme une «partie intégrante du processus judiciaire»1244. Le juge poursuit :

Cette fonction de juge-conciliateur ou juge-médiateur fait partie intégrante des

systèmes judiciaires en Amérique du Nord depuis plusieurs décennies, comme j'aurai

l'occasion de l'examiner plus loin. Le rôle du juge ne se limite pas à entendre un débat

contradictoire. Il prend une part active à la bonne marche du dossier par la gestion de

l'instance (art. 151.1 et suiv. C.p.c.) et la gestion des rôles d'audience. Le juge exerce

ses fonctions non seulement dans une salle d'audience, mais également dans une salle

de conférence, dans son bureau, etc. […]1245

La conférence de règlement à l’amiable trouve ici la reconnaissance de sa légitimité. D’ailleurs,

malgré l’influence du discours de la réforme sur cet arrêt, il est important de souligner que les faits

ont eu lieu avant l’implantation de la première phase de la réforme et s’appuyaient donc sur des

règlements du tribunal. La reconnaissance du principe directeur montre là un enracinement relatif.

L’inquiétude de certains membres de la communauté juridique quant à la rédaction des premiers

articles du Code adopté en 2014 a aussi été soulevée lors des audiences publiques sur l’avant-projet

1239 Art. 151.14 à 151.23 C.p.c. 1240 Les juges ne se prononçant pas sur les forces et faiblesses en droit du dossier dans un tel contexte, les avocats des

parties assument, entre autres rôles, celui de conseiller à cet égard. Au sujet du rôle de l’avocat, voir : J.-F. Roberge, La

justice participative, supra note 1066, p. 72-73. 1241 Voir les exemples d’opinions proposés par J.-F. Roberge, «La conférence de règlement à l’amiable : les enjeux du

raisonnement judiciaire et du raisonnement de résolution de problème», (2005) 3 R.P.R.D. 1, 27, 36-42, S. Courteau,

supra note 833, p. 56-63; L. Otis, «La conciliation judiciaire à la Cour d’appel du Québec», (2003) 1 R.P.R.D. 2, 1, 9-14.

S. Guillemard, «Médiation, justice et droit : un mélange hétéroclite», supra note 1125, p. 204-210; G. Legault,

«Comprendre l’émergence de la conciliation judiciaire par la transformation de la fonction de juger», (2006) 4 R.P.R.D. 3,

3, 8-11. Il est bon de souligner que certains de ces articles ont été publiés avant l’arrêt de principe de la Cour d’appel dans

le dossier Kosko c. Bijimine, 2006 QCCA 671 (CanLII). 1242 Kosko c. Bijimine, 2006 QCCA 671 : parmi les critères retenus pour en venir à cette conclusion, la Cour précise

l’assignation de ce rôle par le juge en chef, le fait que la Cour est saisie du litige et que le débat judiciaire est engagé. 1243 Kosko c. Bijimine, 2006 QCCA 671, par. 29 (j. Rochon). 1244 Ibid. 1245 Id., par. 30 (j. Rochon).

Page 293: L'évolution et la structuration des principes directeurs

283

de loi. L’article 7, par exemple, a été modifié1246 afin de répondre à de telles préoccupations1247. Il

précise bien la coexistence non exclusive, sauf en cas d’arbitrage, du recours aux moyens de

prévention et de règlement des différends et du recours aux tribunaux, et établit des modalités

régissant l’exercice de ces droits. Tant les modes privés de prévention et de règlement des

différends et la conférence de règlement à l’amiable apparaissent comme des piliers connexes de la

nouvelle pensée judiciaire.

Dans le Code de 2016, la définition de cette conférence est même plus détaillée que l’idée de

conciliation et fournit des pistes pour la compréhension du principe directeur. La conférence est

présentée comme ayant pour but «d’aider les parties à communiquer en vue de mieux comprendre

et évaluer leurs besoins, intérêts et positions et à explorer des solutions pouvant conduire à une

entente mutuellement satisfaisante pour régler le litige»1248. La réflexion sur la conciliation durant

l’étude des différents projets de loi entre 2011 et 2014 n’a pas entraîné une révolution dans sa

compréhension1249. Les différences avec la définition proposée dans le texte de l’article 4.3 C.p.c.

sont si minimes qu’elles tendent plutôt à accréditer la thèse de la continuité dans la définition du

concept de règlement à l’amiable en matière de conflit judiciarisé, de sa méthode, et du principe

directeur les sous-tendant. La conférence de règlement à l’amiable semble implantée dans le

système judiciaire et cette possibilité, ouverte aux parties dans tous les types de causes et

relativement utilisée1250, élargit l’offre de justice sur l’ensemble de la période. Elle concrétise aussi

1246 L’article 7 N.C.p.c. indique que : «La participation à un mode privé de prévention et de règlement des différends autre

que l’arbitrage n’emporte pas la renonciation au droit d’agir en justice. Cependant, les parties peuvent, eu égard à leur

différend, s’engager à ne pas exercer ce droit pendant le processus, sauf si cela s’avère nécessaire à la préservation de

leurs droits.

Elles peuvent convenir de renoncer à la prescription acquise et au bénéfice du temps écoulé pour celle commencée ou

convenir, dans un écrit qu’elles signent, de suspendre la prescription pour la durée de la procédure, sans toutefois que cette

suspension n’excède six mois».

Si le projet de loi 28 proposait déjà cette formulation (sauf que le délai de suspension maximal était de deux mois et non

de six mois : art. 7, PL 28, Loi instituant le nouveau Code de procédure civile, 1re sess., 40e lég., Québec, 2013), l’avant-

projet de loi de 2011 spécifiait simplement que : «Les parties peuvent s’adresser aux tribunaux si elles ne réussissent pas à

régler leur différend par la voie privée, sous réserve des dispositions particulières à l’arbitrage». (Avant-projet de loi : Loi

instituant le nouveau Code de procédure civile, 2e sess., 39e lég., 29 septembre 2011, art 7). 1247 Certains, en effet, s’inquiétaient de voir le droit d’ester en justice subordonné en apparence à la considération d’une

méthode alternative de résolution des conflits, ou de voir les justiciables perdre des droits durant le processus, voir A.B.C.,

division du Québec, Mémoire relatif à l’Avant-projet de loi, 2011, supra note 1106, p. 8-9. 1248 Art. 162 N.C.p.c. 1249 Art. 162 N.C.p.c.; art. 162, PL 28, Loi instituant le nouveau Code de procédure civile, 1re sess., 40e lég., Québec,

2013, reprenant l’art. 158 Avant-projet de loi : Loi instituant le nouveau Code de procédure civile, 2e sess., 39e lég., 29

septembre 2011 avec quelques altérations. Pour une étude philosophique sur la relation entre positivisme juridique et

conférence de règlement à l’amiable, consulter L. Lalonde, «La conférence de règlement à l’amiable dans le nouveau

Code de procédure civile du Québec : les deux faces de Janus», dans L. Lalonde, L. et S. Bernatchez (dir.), Le nouveau

Code de procédure civile du Québec «Approche différente» et «accès à la justice civile»?, Sherbrooke, Les Éditions

Revue de Droit/Université de Sherbrooke, 2014, p. 263-337. 1250 En effet, les rapports évoquant l’expérience de la conférence de règlement à l’amiable auprès des justiciables (par

exemple J.-F. Roberge, Rapport de recherche sur l’expérience des justiciables et avocat à la Cour supérieure du Québec

et à la Cour du Québec, Faculté de droit, Université de Sherbrooke, 1er décembre 2014 (tribunaux.qc.ca/c-

superieure/pdf/rech_exp_justiciables_cs_cq.pdf) ou P. Noreau, Les conférences de conciliation judiciaire et de gestion

Page 294: L'évolution et la structuration des principes directeurs

284

les valeurs de dialogue, de communication et d’approche active en matière de règlement des conflits

et d’implication dans le dossier chères à la société de son époque et encouragées dès 2001 en

prévision de la réforme1251. En théorie, si la conférence fait appel aux techniques de médiation

proposées par les spécialistes, les parties peuvent également y trouver une forme d’apaisement,

conséquence plus proche des valeurs inspirant le principe de la conciliation. Les parties doivent

pouvoir y exposer non seulement leurs difficultés «juridiques», mais aussi leurs difficultés

relationnelles ou affectives. Selon la documentation colligée, ces difficultés ou besoins, pourtant

centraux au litige, ne se traduisent pas facilement dans le contexte judiciaire et nécessitent une

approche souple et attentive afin d’apparaître au grand jour1252. Ainsi, l’évolution du principe

directeur de la conciliation et des différentes formes de ses manifestations emprunte un chemin qui

est semé de questionnements et de réorientations.

Faut-il en conclure que les bases atypiques sur lesquelles est fondée la reconnaissance du principe

directeur ont eu une influence particulière sur l’efficacité du nouveau principe directeur? Ces bases

s’appuient en effet sur une reconnaissance réelle, mais moindre, par la société de l’existence du

principe en soi, mais s’inspirent largement de valeurs et d’exemples étrangers. En Europe,

notamment en Grande-Bretagne, l’idée de coopération est prééminente pour assurer le

fonctionnement de la révision de la procédure civile1253. Le Code de procédure civile français

précise aussi l’importance de la coopération1254. Il est intéressant de noter que le principe directeur

judiciaire, Cour du Québec, Projet pilote de Longueuil 2009, Faculté de droit, Université de Montréal/Observatoire du

droit à la justice/ CRDP, 3 juin 2010) font état d’un fort taux de satisfaction des justiciables et des avocats face à ce

procédé et de l’accélération du processus de règlement qui semble résulter pour ceux qui s’en prévalent. Cependant, ces

rapports ne proposent pas de statistiques précises observées à long terme quant au taux d’utilisation de ce service offert

par les juges de première instance. Cependant, il semble régulièrement utilisé en matière civile, comme l’indiquent

plusieurs sources. Considérer, par exemple, Cour supérieure du Québec, Rapport d’activités 2010-2014 : Une cour au

service des citoyens, Montréal, Bureau de la juge en chef, Cour supérieure, 2015, aux pages 16 et 17, en ligne :

tribunaux.qc.ca, entre autres, ou Cour du Québec, Rapport public 2015, Québec, Bureau de la juge en chef, Cour du

Québec, 2016, par exemple à la page 28, en ligne : tribunaux.qc.ca. 1251 Comité de révision de la procédure civile, Une nouvelle culture judiciaire, supra note 7, p. 32. Voir par exemple les

explications du nouveau rôle de l’avocat dans J. Macfarlane, The New Lawyer : How Settlement Is Transforming the

Practice of Law, Vancouver/Toronto, UBC Press, 2008, p. 96-100. Voir aussi, quant aux formes de discours sur la

conciliation et la conférence de règlement à l’amiable, J.-F. Roberge, «La conférence de règlement à l’amiable : les enjeux

du raisonnement judiciaire et du raisonnement de résolution de problème», supra note 1241, p. 35-42; J.-F. Roberge, La

justice participative, supra note 1066, p. 73; S. Guillemard, «Médiation, justice et droit : un mélange hétéroclite», supra

note 1125, p. 194-196. 1252 Voir notamment J.-F. Roberge, «La conférence de règlement à l’amiable : les enjeux du raisonnement judiciaire et du

raisonnement de résolution de problème», supra note 1241, p. 27-29. 1253 A. Zuckerman, Zuckerman on Civil Procedure, supra note 15, no. 1.104-1.105, p. 42-43. Dans le droit britannique, il

est reconnu que cette coopération doit exister avant même le début de l’instance : «[…] the duty to cooperate starts before

commencing proceedings as it governs compliance with the pre-action protocols. The aim of the pre-action protocols is to

reverse the former culture of litigation warfare. […]». 1254 En France, il est précisé que «[l]es parties doivent se faire connaître mutuellement en temps utile les moyens de fait

sur lesquels elles fondent leurs prétentions, les éléments de preuve qu'elles produisent et les moyens de droit qu'elles

invoquent, afin que chacune soit à même d'organiser sa défense» (C.p.c.f., art. 15. Il est intéressant de noter que cet article

appartient à la section traitant de la contradiction. (Voir www.legifrance.gouv.fr).) De même, elles «[…] sont tenues

Page 295: L'évolution et la structuration des principes directeurs

285

de la coopération a été adopté dans le cadre de la seconde phase de la réforme québécoise et de

souligner ses liens avec le principe directeur de la conciliation, avec lequel il partage des notions et

une philosophie commune1255. Concrètement, l’adoption d’un tel principe directeur apparaît donc

comme une stratégie visant à promouvoir le changement culturel souhaité. La présence fluctuante

de la conciliation dans la pensée judiciaire québécoise peut à la fois aider et retarder celui-ci. Dans

l’ensemble, cependant, les oppositions et la résistance visent plutôt les modalités des moyens

procéduraux qui le traduisent, donc les méthodes proposées, que le principe directeur ou sa

reconnaissance. Ceux-ci semblent rejoindre les réflexions judiciaires québécoises observables. Ce

sont surtout les actes et les gestes, la forme physique du dialogue entre les parties qui suscitent des

réticences et non l’attitude ou le nouveau climat proposé. L’évolution de ce principe directeur dans

les prochaines décennies dira s’il survivra et prospérera. Nous pourrons ainsi examiner l’échéancier

d’implantation du changement culturel prévu et valider les critères et les caractéristiques qui

paraîtront influencer celui-ci.

2.2.2. Le principe directeur de la proportionnalité : emprunt ou reconnaissance ?

Le principe directeur de la proportionnalité est aussi considéré comme un «nouveau» principe. Cette

affirmation doit être expliquée. Lors de la rédaction du rapport du Comité de révision de la

procédure civile, celui-ci propose expressément d’inclure dans le Code un nouveau principe

directeur, nommément la proportionnalité des procédures1256. Cette affirmation tend à décrire ce

principe directeur comme n’étant pas encore intégré au Code. La référence au droit britannique,

dont nous avons parlé, accentue cette impression1257. Nous avons établi que des comportements et

des réflexions en matière de procédure s’apparentaient déjà au principe directeur en question.

D’ailleurs, la règle de la proportionnalité est présentée à quelques reprises comme l’aboutissement

d’une tendance reconnue dans la philosophie du Code de procédure civile de 1966. Ainsi, comme le

souligne un juge de la Cour supérieure à la veille de l’entrée en vigueur de la première phase de la

révision : «[l]e Tribunal a le devoir de maintenir une proportionnalité entre les procédures et la

finalité recherchée. Le nouvel article 4.2 du C.p.c., qui sera en vigueur le 1er janvier prochain,

l'énonce clairement. Il ne s'agit pas nécessairement d'un principe nouveau, car il est reconnu depuis

d'apporter leur concours aux mesures d'instruction sauf au juge à tirer toute conséquence d'une abstention ou d'un refus».

C.p.c.f., art. 11, al. 1. Cet article appartient à la section sur les preuves. 1255 Art. 20 N.C.p.c. 1256 Comité de révision de la procédure civile, Une nouvelle culture judiciaire, supra note 7, p. 38. 1257 Voir la section 2.2.2., notamment aux pages 197 et suivantes.

Page 296: L'évolution et la structuration des principes directeurs

286

longtemps que la procédure doit être la servante de la justice»1258. Que retenir de ces perceptions au

moment de l’entrée en vigueur du Code remanié, en 2003?

De manière générale, le contenu du principe directeur connaît alors une modification, autant qu’une

forme de cristallisation. L’annonce de l’insertion de l’idée de proportionnalité dans le Code de

procédure civile suscite des commentaires. Ceux-ci laissent penser que les avocats et les juges,

notamment, envisagent favorablement la stratégie de codification. Par ailleurs, si la consolidation

des bases d’une intervention judiciaire à travers le recours à une règle codifiée suggérée sourit à

certains, elle n’est pas nécessairement saluée comme une innovation dans le discours de l’époque.

La perception de la présence des valeurs d’économie et de célérité dans la réflexion antérieure

concernant plusieurs règles particulières déjà codifiées fait probablement naître ce sentiment. Cela

se traduit par exemple lorsque l’application de la proportionnalité ou des articles qui le décrivent

emprunte aux valeurs d’equity ou est rattaché à l’existence des pouvoirs inhérents de la Cour

supérieure1259.

L’énoncé du principe directeur et son évolution : de 2003 à 2014

L’article 4.2 C.p.c. tel que rédigé dans le Code de 2003 énonce que la proportionnalité consiste à

«s’assurer que les actes de procédure choisis sont, eu égard aux coûts et au temps exigés,

proportionnés à la nature et à la finalité de la demande et à la complexité du litige». S’appuyant sur

ce texte, les membres de la communauté juridique, et particulièrement les cours, vont rapidement

exposer leur compréhension du principe directeur. En résumé, celui-ci oblige les parties à respecter

un équilibre entre l’atteinte du résultat équitable et les conséquences en fait de temps et de coûts

pour atteindre ce résultat, alors que les tribunaux doivent les superviser pour intervenir si elles

manquent à cette obligation1260. Bien qu’elle ne soit pas strictement énoncée dans le texte de

l’article, l’idée de mesurer cet équilibre en lien avec les ressources globales de la justice est

considérée par divers auteurs1261. La portée de l’article s’étend à plusieurs sujets, permettant de

gérer plusieurs difficultés allant de «l’exagération» à «l’abus» en matière de procédure1262, elle peut

servir notamment à évaluer la recevabilité d’actes procéduraux ou à induire la réduction des coûts,

1258 Painchaud-Cleary c. Pap, 2002 CanLII 7545 (QC CS), par. 31 (j. Lefebvre). 1259 Voir par exemple C. Briand et D. Cloutier, supra note 1180, p. 168 et 174-175, entre autres. 1260 Voir à ce sujet l’exposé présenté dans Gervais-Tétrault (Succession de) c. Tétrault, 2007 QCCS 3037, par. 55-84 (j.

Morneau). 1261 P.-C. Lafond, L’accès à la justice civile au Québec : Portrait général, supra note 839, p. 291-293; C. Piché, «La

proportionnalité procédurale : une perspective comparative», (2009-2010) 40 R.D.U.S. 551, 556-557 et 592-596. 1262 L’abus peut aussi être considéré, mais l’abus contient une connotation d’«usage mauvais, excessif ou injuste» qui

emporte une part de blâme (Paquette c. Laurier, 2011 QCCA 1228 (CanLII), par. 31 (j. Thibault)) qui va plus loin qu’un

usage exagéré, mais de bonne foi, de la procédure civile.

Page 297: L'évolution et la structuration des principes directeurs

287

etc.1263. D’ailleurs, une corrélation s’établit entre proportionnalité et pouvoir de gestion du tribunal,

qui rejoint même la compréhension du pouvoir d’intervention d’une cour d’appel en matière de

procédure civile. «Une cour d'appel est toujours réticente à réviser l'exercice de la discrétion du

premier juge d'autant plus qu'elle est maintenant encadrée par les dispositions du Code de

procédure civile qui accorde au juge une plus large marge de manœuvre notamment quant à la

proportionnalité des procédures (4.1 et 4.2 C.p.c.)»1264, note la Cour d’appel en matière de frais

d’expertise.

La définition proposée par le Code de 2003 encourage les acteurs du système judiciaire, notamment

les parties et les magistrats, à prendre en compte plusieurs critères au moment de faire des choix

procéduraux. L’un d’entre eux est l’existence d’autres recours, qui peut être examiné par le juge

parmi les critères envisagés à l’étape de la recevabilité d’une demande en matière de jugement

déclaratoire, par exemple1265. Généralement, face à plus d’un recours équivalents sur le plan

juridique, le justiciable est tenu d’employer un recours proportionnel à la question en litige. Dans la

jurisprudence, même en l’absence de mention de la question de la proportionnalité, il a toujours été

entendu que l’existence d’autres recours au moment du choix de déposer une «requête» en jugement

déclaratoire, ou la possibilité d’utiliser d’autres recours subséquents, ne doit pas limiter l’utilisation

de celui-ci s’il est approprié1266. Il est possible de considérer que le choix du jugement déclaratoire,

s’il respecte la pertinence, l’utilité et la proportionnalité interne du dossier, ne devrait pas être rejeté

même si d’autres procédures sont admissibles1267. En théorie, l’exigence est donc de choisir un

1263 Par exemple, le coût des expertises peut être considéré et réduit s’il est excessif au regard du principe de la

proportionnalité, voir notamment Y.L. c. Yv.V., 2010 QCCA 808 (CanLII), par. 43-46 (j. Thibault). De même, l’examen

des permissions d’appeler à la Cour d’appel intègre la question de la proportionnalité au moment de décider si le recours

doit être autorisé : Moko c. Ebay Canada Ltd., 2012 QCCA 2052 (CanLII), par. 20 (j. Kasirer, juge unique), Syndicat des

employées et employés de métiers d'Hydro-Québec, section locale 1500 SCFP (FTQ) c. St-Onge, 2009 QCCA 422

(CanLII), par. 8-10 (j. Giroux, juge unique); Société en commandite Les bois de Pierrefonds c. Domaine de parc

Cloverdale, 2007 QCCA 292 (CanLII), par. 13-14 (j. Dalphond, juge unique), entre autres. 1264 Dubois c. Robert, 2010 QCCA 775 (CanLII), par. 170 (j. Forget). Il est intéressant de préciser que dans ce cas, après

ces paroles, la Cour d’appel considère qu’il y a matière à intervention et modifie la décision du premier juge concernant

les frais d’experts. 1265 Voir par exemple Domtar inc. c. Produits Kruger ltée, [2010] R.J.Q 2312, 2010 QCCA 1934 (CanLII), par. 45 (j.

Bich); Syndicat des copropriétaires LeVerre-Bourg c. Delarosbil, 2012 QCCS 1750 (CanLII). D. Ferland et B. Emery,

Précis, 4e éd., supra note 22, p. 670. 1266 Corporation municipale de Contrecoeur c. Soreli inc., [1990] R.D.J. 313, 317-319 (C.A.) (j. Dussault), cité avec

approbation dans Entretien Précal inc. c. Comité paritaire de l’entretien d’édifices publics, région de Montréal, 2004

CanLII 48531 (QC CS), par. 23-27 (j. Gascon); Coastal Contacts Inc. c. Ordre des optométristes du Québec, 2011 QCCA

1820 (CanLII), par. 33-36 (j. Chamberland). 1267 Par contre, s’il existe d’autres recours, par exemple un recours devant un tribunal d’arbitrage prévu par la loi, ceux-ci

doivent être épuisés avant que la Cour supérieure soit sollicitée par le biais d’une requête en jugement déclaratoire. Il

existe en effet des recours en arbitrage créés par la loi, par exemple par le Code du travail qui crée un tribunal d’arbitrage

et définit son fonctionnement. Ces recours s’imposent aux parties avant tout autre recours et excluent en principe un

recours judiciaire subséquent. Dans des cas particuliers, il est possible de saisir les tribunaux judiciaires malgré l’existence

d’un forum arbitral, s’il y a par exemple excès de compétence d’un comité d’arbitrage. Par ailleurs, une convention

d’arbitrage décidée librement entre les parties exclut par sa nature même le recours au tribunal (2638 C.p.c.). Voir par

exemple Terrasses Zarolega Inc. c. R.I.O, [1981] 1 R.C.S. 94, 102-103 et 106-107 (j. Chouinard). Voir aussi, à propos du

Page 298: L'évolution et la structuration des principes directeurs

288

moyen procédural ou une forme d’action qui soient proportionnels, sans aller jusqu’à l’obligation

du choix le plus proportionnel. En effet, la question des balises de l’application de la

proportionnalité peut se poser à l’époque. En toute logique, l’appréciation du rôle des parties en

matière de proportionnalité serait-elle, en réalité, de choisir le recours perçu comme le plus efficace

au moindre coût? La proportionnalité peut cependant s’apprécier différemment selon les besoins et

les circonstances de chaque dossier1268.

Les changements apportés par le Code de 2016 poursuivent le mouvement entamé en 2003. Tout en

conservant l’idée générale du texte initial, l’article 18 du nouveau Code de procédure civile affirme

à nouveau l’obligation de respecter le principe directeur de la proportionnalité, tant pour les parties

que pour les juges1269. En revanche, la formulation du texte de l’article a été remaniée par rapport au

texte adopté en 2003. Les ajouts précisent entre autres les balises de l’application du principe de

proportionnalité tel qu’il est alors compris. Au-delà des seuls actes de procédure, l’ensemble des

démarches et des choix des parties est désormais expressément soumis au principe directeur en

question, nommément le choix des moyens de preuve et le choix d’avoir recours à la défense écrite

ou orale. De plus, la définition de la nature de la proportionnalité est raffinée. Sa formulation

exprime clairement qu’elle se décline en fonction de la nature de l’affaire et de la demande.

L’avant-projet de loi précisait qu’elle tenait aussi compte «de la bonne marche de l’ensemble des

affaires qui sont soumises au tribunal et de l’intérêt général de la justice»1270, donc de l’ensemble

des dossiers de la Cour. Cette formule a été remplacée par l’obligation de respecter la «bonne

administration de la justice» dans le texte du projet de loi. Cette formulation moins explicite et plus

diplomatique reprend un vocabulaire connu et rassurant et a été conservée lors de l’adoption de la

loi en 2014. En revanche, elle pourrait théoriquement élargir la possibilité d’interprétation du

principe directeur et il est probable qu’elle sera interprétée comme désignant la même réalité que

celle que décrivait l’avant-projet de loi. En cela, le texte rejoint la prise de position de la Cour

suprême qui affirme que l’objectif principal reste une procédure «équitable qui aboutit au règlement

caractère obligatoire de l’arbitrage des griefs en droit du travail, R. P. Gagnon et Langlois Kronström Desjardins,

s.e.n.c.r.l. (Y. Bernard, A. Sasseville, B. Cliche et J.-G. Villeneuve (dir.)), Le droit du travail au Québec, 7e éd.,

Cowansville, Yvon Blais, 2013, p. 695-696. 1268 Voir par exemple Hryniak c. Mauldin, [2014] 1 RCS 87, 2014 CSC 7 (CanLII), par. 33 (j. Karakatsanis) ou Marcotte

c. Longueuil (Ville), 2009 CSC 43, [2009] 3 R.C.S. 65, par. 43 (j. LeBel). 1269 18 N.C.p.c. : «Les parties à une instance doivent respecter le principe de proportionnalité et s’assurer que leurs

démarches, les actes de procédure, y compris le choix de contester oralement ou par écrit, et les moyens de preuve choisis

sont, eu égard aux coûts et au temps exigé, proportionnés à la nature et à la complexité de l’affaire et à la finalité de la

demande.

Les juges doivent faire de même dans la gestion de chacune des instances qui leur sont confiées, et ce, quelle que soit

l’étape à laquelle ils interviennent. Les mesures et les actes qu’ils ordonnent ou autorisent doivent l’être dans le respect de

ce principe, tout en tenant compte de la bonne administration de la justice.» 1270 Art. 18, Avant-projet de loi : Loi instituant le nouveau Code de procédure civile, 2e sess., 39e lég., 29 septembre 2011.

Page 299: L'évolution et la structuration des principes directeurs

289

juste des litiges» et qui doit être «accessible»1271. La Cour ajoute que dans cette optique, il peut

exister «un certain tiraillement entre l’accessibilité et la fonction de recherche de la vérité», mais

que l’effort de proportionnalité est nécessaire à l’atteinte d’un résultat «juste et équitable»1272. Dans

ce contexte, à nouveau, les justiciables et les magistrats conservent donc une marge de manœuvre

dans le choix des moyens considérés proportionnels, s’il en existe plus d’un. La proportionnalité des

choix en matière de procédure et de preuve nécessite donc de pouvoir être démontrée.

La responsabilité des acteurs et l’implantation du principe dans le Code

La répartition des obligations en matière de proportionnalité illustre l’évolution de la réflexion sur

les responsabilités des différents acteurs. Le texte de l’article 18 N.C.p.c. fait reposer la

compréhension du principe directeur sur la conception d’une double vigilance des acteurs dont les

rôles sont définis comme complémentaires. D’une part, la partie est toujours responsable de veiller

à la proportionnalité en regard de sa propre cause. D’autre part, les juges ont un pouvoir de

surveillance sur la gestion de cette cause. Tant selon le texte de l’article 4.2 C.p.c. que celui de

l’article 18 du nouveau Code, ils doivent intervenir si la proportionnalité n’est pas respectée par les

parties dans leur instance particulière. Au-delà d’une intervention a posteriori, ils peuvent aussi agir

plus tôt, puisqu’ils ont le pouvoir de suggérer une amélioration aux moyens proposés par les parties.

En cette matière, l’article semble d’ailleurs codifier une jurisprudence en développement. Certaines

circonstances de l’évaluation de la proportionnalité en matière de procédure et de choix de moyens

de preuve peuvent bénéficier de l’expertise du tribunal ou du magistrat, notamment lorsqu’elle

prend en compte le poids relatif des besoins de l’ensemble des causes du système judiciaire. Bien

que cette évaluation soit éminemment concrète, il peut se révéler difficile pour les justiciables de

faire cet exercice sans assistance dans des circonstances particulières. Il s’agit d’ailleurs aussi d’une

application du principe directeur de la maîtrise de l’instance par le juge1273. Ce second principe

s’applique dans le respect de la règle de la proportionnalité1274. Dans ce contexte, tant la

complémentarité entre les fonctions des parties et des magistrats que celle des principes directeurs

entre eux servent la tentative d’implanter la philosophie du nouveau Code.

Le principe directeur de la proportionnalité s’affirme d’autant plus comme l’un des piliers des deux

phases de la réforme du début du XXIe siècle. Signe supplémentaire de cette prééminence, la

Disposition préliminaire rédigée pour le nouveau Code fait référence à ce principe directeur1275. De

1271 Hryniak c. Mauldin, 2014 CSC 7; [2014] 1 R.C.S. 87, par. 28 (j. Karakatsanis). 1272 Id., par. 29. 1273 Art. 19 N.C.p.c. 1274 Cette obligation spécifique ne dispense pas du respect des autres principes directeurs (art. 17-24 N.C.p.c. et

Disposition préliminaire). 1275 Disposition préliminaire, al. 3 N.C.p.c.

Page 300: L'évolution et la structuration des principes directeurs

290

même, le nouveau Code exigera le respect de la proportionnalité dès les étapes initiales et

optionnelles du recours aux modes privés de prévention et de règlement des différends, tant de la

part des parties que de ceux qui les assistent dans cette démarche1276. À nouveau, il est possible de

déduire de l’article 2 N.C.p.c. que cette demande touche l’ensemble des acteurs impliqués dans les

PRD, bien que la sanction de cette obligation en matière judiciaire soit imprécise. Le texte du

nouveau Code contient donc une quadruple mention du principe directeur, signe évident de

l’importance qu’elle a acquise dans la rédaction du Code.

Les stratégies visant à implanter le principe directeur ont aussi été multiples depuis 2003.

L’expansion de la place donnée à la réflexion sur la proportionnalité et à l’application du principe

directeur qui l’énonce en procédure civile passe par de nombreux canaux. Par exemple, depuis

l’application de la révision de 2003, par les règles de pratique et leurs successeurs, les règlements

des tribunaux, ceux-ci prennent aussi des mesures pour encadrer la gestion des dossiers1277, et pour

assurer de manière générale «la bonne exécution de la procédure civile»1278. Les tribunaux appuient

ainsi l’implantation du principe directeur de la proportionnalité dans les habitudes des plaideurs1279.

Les tribunaux peuvent aussi «intervenir de manière ciblée»1280 et autrement que par des règlements,

car le Code «leur confère le pouvoir de rendre des ordonnances adaptées au contexte particulier des

causes dont ils sont saisis»1281. Par ailleurs, le développement progressif d’une pratique respectant à

la fois les principes directeurs de la procédure, notamment la proportionnalité, et les normes

énoncées par le Code, les règles de pratique et les autres directives et avis, est encouragé depuis

2003. Des outils existent pour promouvoir celle-ci1282. De plus, les Cours émettent des avis pour

encadrer l’application de plusieurs règles. Ces «avis aux membres du Barreau» ne peuvent pas

modifier les règles de pratique ou les règles du Code1283, mais ils sont utilisés pour indiquer

certaines balises, par exemple en matière de tarification1284, de documents contenus dans le dossier

ou de déroulement de l’audience1285. D’autres stratégies basées en partie sur la discussion ou

1276 Art. 2, al. 2 N.C.p.c. Voir par exemple, à cet égard, l’art. 3.11.3 du Code d’éthique des médiateurs et l’art. 2 du Code

de déontologie de l’IMAQ, tous deux disponibles sur le site de l’IMAQ (http://imaq.org/code-dethique-et-deontologie/) 1277 Les cours continueront d’adopter des règlements de procédure sous le nouveau Code grâce aux règlements des

tribunaux, art. 63-65 N.C.p.c. 1278 Société Radio-Canada c. Canada (P.G.), 2011 CSC 2, [2011] 1 R.C.S. 19, par. 14, 22-23 (j. LeBel). 1279 Ce pouvoir de faire des règlements peut être utilisé pour modifier les habitudes en lien avec plusieurs principes

directeurs. 1280 Globe and Mail c. Canada (P.G.), 2010 CSC 41 (CanLII), [2010] 2 R.C.S. 592, par. 30 (j. LeBel). 1281 Ibid. 1282 Barreau du Québec, Guide des meilleures pratiques, supra note 1117. 1283 Placements Arden Inc. (Les) c. Bratt Fremeth Star s.e.n.c., 2003 CanLII 13309 (QC CS), par. 6-7 (j. Denis) 1284 Elles sont appliquées par les greffiers lors de la révision des mémoires de frais. Voir Berthelette c. Autonum Presto

locations inc., 2013 QCCA 253 (CanLII), par 11-13 (Me J. Devroede, greffière) ou la proposition du juge Y.-M.

Morissette à titre de juge unique saisi d’une requête en révision, Horic c. Renaud, 2006 QCCA 442 (CanLII), par. 21. 1285 Il existe par exemple des avis exigeant certains actes de procédure : ainsi, à la division de Montréal, un avis de 2012

rend obligatoire la production d’une «Déclaration commune de dossier complet» dans tous les dossiers devant être

Page 301: L'évolution et la structuration des principes directeurs

291

l’information sont employées1286. Enfin, il a été reconnu également qu’une directive du ministère de

la Justice, liée aux règles de pratique de la Cour, pouvait avoir une incidence normative et participer

à l’encadrement des procès depuis 20161287. Cette énumération incomplète tend à illustrer l’ampleur

des moyens mis en œuvre pour assurer l’implantation du principe directeur de la proportionnalité

dans la réflexion et la pratique du système judiciaire.

D’ailleurs, la mise en œuvre du principe directeur et son interprétation ont aussi occupé une part

non négligeable du temps et de l’expertise des tribunaux depuis 2003. L’interprétation de plusieurs

articles et règles de procédure implique maintenant le principe directeur de la proportionnalité, par

exemple dans l’évaluation des critères d’ouverture d’un recours collectif, ancienne incarnation de

l’action collective1288. Cette question, tout particulièrement, a été l’un des vecteurs par lesquels il a

été possible d’observer la multiplicité des réactions à l’implantation du principe directeur de la

proportionnalité dans la procédure civile québécoise. La nature même de la procédure, présentée

dès son adoption comme une mesure qui permet l’accès à la justice et perçue comme permettant la

gestion plus efficace de ces types de demandes, a pesé sur l’interprétation de son rapport à la

proportionnalité. Il est maintenant entendu que le principe directeur doit être évalué dans le cadre de

l’autorisation d’exercer cette action, comme il le serait dans le cadre de tout acte soumis par une

partie ou autorisé par le tribunal1289. L’avenue proportionnelle est déterminée en référence à chaque

entendus au mérite en matières familiales (tribunaux.qc.ca/c-

superieure/avis/pdf/decl_comm_dos_complet_mat_fam_16avril2012.pdf). D’autres avis concernent la gestion de la salle

d’audience, tel un avis conjoint des juges en chef des trois cours, en 2013, établissant des lignes directrices concernant

l’utilisation de matériel électronique dans les salles d’audience (tribunaux.qc.ca/c-

superieure/avis/pdf/util_techno15042013.pdf). 1286 Pensons à certains documents et formations offertes, aux différentes possibilités d’échanges entre avocats et

magistrats, etc. 1287 Société Radio-Canada c. Canada (P.G.), 2011 CSC 2, [2011] 1 R.C.S. 19, par. 58-63. Lorsqu’une directive émane

plutôt du juge en chef de chacune des cours, elle ne peut être que de nature «purement administrative» selon le Code de

2016, voir art. 63 al. 2 C.p.c. 1288 Cette question a d’ailleurs fait l’objet de nombreuses discussions, voir notamment Voir à ce sujet : C. Chatelain et V.

de l’Étoile, «Les 4.2 critères pour autoriser l’exercice d’un recours collectif», Barreau du Québec, Service de la formation

continue, Développements récents en recours collectifs, Cowansville, Yvon Blais, vol. 327, 2010, 207, 209-210; Y.

Lauzon et E. McDevitt David, «Les recours collectifs en nullité et l’article 4.2 C.p.c. Commentaire portant sur l’arrêt

Marcotte c. Longueuil (Ville), dans Association du Barreau canadien, Actes de la formation juridique permanente 2010,

vol. 7, Cinquième colloque sur les recours collectifs, Cowansville, Yvon Blais, 2010, 125, 136; E. McDevitt David, «La

règle de proportionnalité de l’article 4.2 C.p.c. en matière de recours collectif. Premières interprétations

jurisprudentielles», dans Barreau du Québec, Service de la formation continue, Développements récents en recours

collectifs, Cowansville, Yvon Blais, vol. 278, 2007, 315, 328-334; Voir par exemple Bouchard c. Agropur Coopérative,

[2006] R.J.Q. 2349 (C.A.), 2006 QCCA 1342, par. 37-48 (j. Pelletier); Nadon c. Ville d'Anjou, [1994] R.J.Q. 1823, 1827-

1828 (C.A.) (j. Rousseau-Houle); Lorrain c. Petro-Canada, 2013 QCCA 332 (CanLII), par. 87 (j. Morin). P.-C. Lafond,

L’accès à la justice civile au Québec : Portrait général, supra note 839, p. 152-153; Harmegnies c. Toyota Canada inc.,

2008 QCCA 380 (CanLII), par. 20 et 22 (j. Baudouin). La Cour suprême s’est prononcée dans Marcotte c. Longueuil

(Ville), 2009 CSC 43, [2009] 3 R.C.S. 65, par. 63-67 et 80 à 85. 1289 Le recours collectif est défini par un juge comme «un véhicule procédural ordinaire, dont l'examen des critères relatifs

à sa réception repose sur une interprétation large et libérale», Carrier c. Québec (P.G.), 2011 QCCA 1231 (CanLII), par.

31 (j. Gagnon). L’interprétation large et libérale des règles du recours collectif a été plus d’une fois mentionnée par les

tribunaux, voir par exemple : Tonnelier c. Québec (P.G.), 2012 QCCA 1654 (CanLII), par. 56 (j. Dufresne); Harmegnies

c. Toyota Canada inc., 2008 QCCA 380 (CanLII), par. 28 et 29 (j. Baudouin); Bisaillon c. Université Concordia, 2006

Page 302: L'évolution et la structuration des principes directeurs

292

instance particulière, elle n’est pas automatiquement liée à un type d’acte procédural ou à l’emploi

d’une stratégie procédurale particulière. Comme l’expose un auteur, ce principe directeur s’applique

tout au long de l’instance, et le juge s’implique activement à la gestion du recours, ce qui lui laisse,

par exemple, la possibilité d’intervenir pour aider les parties si le besoin s’en fait sentir1290.

Le Code de 2016 conserve la philosophie qui a accompagné le développement du moyen procédural

désigné maintenant sous le terme «action collective». Les règles relatives aux actions collectives

reprennent généralement les critères d’autorisation prévus dans le Code antérieur1291. Par

conséquent, aucune mention n’est faite d’un critère spécifiquement basé sur la proportionnalité, ce

qui permet de considérer que l’interprétation donnée avant 2014 et qui écarte l’idée d’un

«cinquième critère» est volontairement maintenue. L’action collective reste soumise au principe

directeur de la proportionnalité dans son expression générale et applicable à l’ensemble des actions,

des actes de procédures et des moyens utilisés, ordonnés ou permis. Le nouveau Code prévoit

d’ailleurs que le «juge en chef désigne un juge pour assurer la gestion particulière de l’instance et

entendre toute la procédure relative à cette action collective, à moins qu’il n’en décide

autrement»1292. L’ajout de la précision concernant la gestion particulière, qui n’était pas

expressément prévue dans les mesures relatives au recours collectif précédemment1293, insiste sur

l’importance de la proportionnalité dans le déroulement entier de l’action collective. En effet, le

principe de la proportionnalité se nourrit de notions telles que l’adéquation des coûts, l’efficacité ou

la célérité, qui sont toutes considérées dans la gestion particulière. Cela n’exclut pas la réalité d’un

encadrement par les juges et d’application de mesures faites pour promouvoir un déroulement plus

proportionnel du recours collectif avant 2003, mais la référence à la gestion d’instance est

contemporaine de l’adoption d’une réflexion et d’une philosophie plus globales concernant la

procédure civile1294. Elle passe d’abord par le vocabulaire général de l’instance, pour être

expressément mentionnée dans le cadre du livre de l’action collective en 2016.

CSC 19 (CanLII), [2006] 1 R.C.S. 666, par. 16 (j. LeBel); Hollick c. Toronto (Ville), 2001 CSC 68 (CanLII), [2001] 3

R.C.S. 158, par. 15 (j.e.c. McLachlin). Ce dernier jugement soutient une position similaire pour le droit canadien de

common law. 1290 P.-C. Lafond, Le recours collectif, le rôle du juge et sa conception de la justice, supra note 4, p. 274-275. Voir aussi

l’illustration donnée dans l’argument majoritaire dans Marcotte c. Longueuil (Ville), 2009 CSC 43, [2009] 3 R.C.S. 65,

par. 43 (j. LeBel). 1291 Voir notamment les articles 574 et 575 N.C.p.c. 1292 Art. 572 N.C.p.c. 1293 Voir notamment les articles 1001 et 1004 C.p.c. En effet, les articles cités prévoient l’intervention d’un juge dans le

déroulement du recours collectif dès 1978, mais ne mentionnent pas nommément la «gestion d’instance». 1294 C’est en référence aux articles généraux relatifs au déroulement des instances et mis en vigueur en 2003 (aux articles

151.11 et 151.13 C.p.c.), que le terme «gestion particulière de l’instance» entre dans le vocabulaire codifié du recours

collectif au début du XXIe siècle. Dans les faits, l’intervention de la Cour supérieure et de ses juges, déjà engagés à

encadrer le recours collectif, s’inscrivait dans l’évolution de l’instance, mais le vocabulaire codifié n’avait pas adopté le

terme de «gestion particulière» et l’intégration de plus en plus marquée de la précision à ce sujet peut être datée.

Page 303: L'évolution et la structuration des principes directeurs

293

Dans un ordre d’idées similaire, mais selon une stratégie différente, les mesures à prendre en

présence de procédures frivoles, manifestement mal fondées et abusives, ou les manœuvres

dilatoires ont souvent été laissées à la discrétion des parties et des tribunaux1295. Depuis 2003, le

développement de ces mesures s’effectue dans le cadre de la réflexion sur la proportionnalité et la

recherche d’efficacité dans tout acte de procédure. En 2009, le besoin d’une révision des règles du

Code de procédure civile en ces matières se traduit par l’adoption d’une loi qui modifie et détaille

davantage les prescriptions législatives à leur sujet1296. Elle a pour but d’éviter l’utilisation abusive

des tribunaux de diverses façons, comme la multiplication des procédures pour épuiser les

ressources de leurs adversaires1297, dans l’esprit de thèmes centraux du discours sur la justice au

début du XXIe siècle, notamment l’accès aux tribunaux, l’administration de la justice ou la gestion

des ressources judiciaires. Les nouvelles mesures appellent à la célérité et à la bonne foi des

parties1298 dans leur cheminement procédural, tout en s’appuyant plus explicitement sur les

nouveaux principes directeurs et sur l’intervention judiciaire. Ces règles effectuent une réforme du

système de gestion déjà établi dans une optique de souplesse et de modulation des sanctions selon la

gravité de la situation qui est garanti par l’exercice du pouvoir judiciaire. Ainsi, l’importance du

respect de la proportionnalité prend des formes qui peuvent en permettre la sanction. Il se traduit

aussi par une réitération, dans le nouveau Code, du pouvoir discrétionnaire du tribunal d’attribuer

1295 Dans l’arrêt Yorke c. Paskell-Mede, par exemple, le juge déclare que les demandeurs sont des «plaideurs vexatoires»

et impose des conditions à leurs futurs usages des tribunaux. Comme aucune disposition législative ne prévoit ce cas, il

s’autorise des pouvoirs inhérents de la Cour, notamment sous 46 C.p.c. Yorke c. Paskell-Mede, [1996] R.J.Q. 1964, 1969-

1970 (j. Lagacé) (C.S.). Voir aussi l’exemple de Cité de Pont Viau c. Gauthier Mfg. Ltd., [1978] 2 R.C.S. 516, 521 (j.

Pratte), où le juge parle de l’exercice de la discrétion dans le cadre de l’article 523 C.p.c. (appel) en mentionnant les

poursuites futiles et vexatoires. L’article 46 C.p.c. a aussi joué un rôle à cet égard, voir Jolicoeur c. Bouthillier, 2004

CanLII 35498 (QC CS), par. 30 (j. Nadeau). 1296 Notons qu’une annonce de l’adoption de la loi, en 2009, par exemple, a été faite entièrement à propos du rôle de cette

loi dans le cadre des poursuites-bâillons et sans que le Code de procédure civile ne soit même mentionné (voir : radio-

canada.ca/nouvelles/437423/loi-anti-slapp-baillon, consulté le 2019-02-27). Voir également un rapport sur les poursuites

bâillons, dont la phrase d’ouverture expose le lien entre les médias et la dénonciation de ce type de procédures : Comité

d’étude, Les poursuites stratégiques contre la mobilisation publique : les poursuites-bâillons (SLAPP), Rapport du comité

au ministre de la Justice, Montréal, s.n., 2007, disponible au :

justice.gouv.qc.ca/francais/publications/rapports/pdf/slapp.pdf (consulté le 2013-05-14). Voir aussi Québec, Assemblée

nationale, Journal des débats, 38e lég., 1re sess., vol. 40, no. 107 (28 octobre 2008), (M. Dupuis). 1297 Québec, Assemblée nationale, Journal des débats, 38e lég., 1re sess., vol. 40, no. 107, (28 octobre 2008), (M. Dupuis).

Ce comportement est notamment abordé dans Comité d’étude, Les poursuites stratégiques contre la mobilisation publique

: les poursuites-bâillons (SLAPP), Rapport du comité au ministre de la Justice, supra note 1296, p. 5-7. Voir par exemple

les notes explicatives et les considérants de la loi : Loi modifiant le Code de procédure civile pour prévenir l’utilisation

abusive des tribunaux et favoriser le respect de la liberté d’expression et la participation des citoyens aux débats publics,

L.Q. 2009, c. 12. Cosoltec inc. c. Structure Laferté inc., 2010 QCCA 1600, par. 26-27, 29, 32 (j. Rochon) présente un

résumé des pouvoirs du juge dans ce contexte. Voir aussi S. Guillemard, «Les poursuites-bâillons et la quérulence : deux

phénomènes encadrés par le Code de procédure civile du Québec», Recueil Dalloz, 26 novembre 2015, no 41, 2389, 2390-

2392. 1298 Loi modifiant le Code de procédure civile pour prévenir l’utilisation abusive des tribunaux et favoriser le respect de

la liberté d’expression et la participation des citoyens aux débats publics, L.Q. 2009, c. 12, art. 2 et 3; Beaudoin c. Kyres,

2013 QCCA 289, par. 2-5 (Can LII). Ces mesures deviennent les articles 54.1 et suivants du Code remanié en 2003.

Page 304: L'évolution et la structuration des principes directeurs

294

des «frais de justice» à une partie au regard de son comportement procédural1299. Ces possibilités de

sanction introduites de manière plus explicite dans la seconde phase de la réforme viennent

confirmer l’importance du principe directeur dans le système judiciaire.

La proportionnalité : origines, reconnaissance et résistance

Le changement de culture, qui heurte habitudes et parfois présupposés philosophiques, rencontre

certaines résistances. L’une des influences de la proportionnalité suscitant une telle réaction chez

plusieurs plaideurs touche, comme nous l’avons évoqué, à leur maîtrise de leur dossier et du choix

des moyens de preuve et des moyens procéduraux1300. En effet, le législateur exige qu’une décision

prise dans ce cadre soit envisagée à la lumière de l’économie du temps et des coûts afin de faire

évoluer l’instance de la manière la plus efficace possible. Le questionnement sur le rôle des parties

et des juges persiste durant une partie de la période. L’interrogation concernant la capacité du juge

d’agir d’office pour s’assurer du respect de la proportionnalité1301 montre l’évolution d’une

réflexion à cet égard. En commentant l’arrêt Marcotte, la Cour suprême a d’ailleurs affirmé que cet

arrêt «a confirmé l’importance du principe de la proportionnalité dans la procédure civile et comme

source du pouvoir d’intervention des tribunaux dans la gestion d’une instance»1302. Dans le même

ordre d’idées, le nouveau Code prévoit que les tribunaux ont pour «mission d’assurer la saine

gestion des instances en accord avec les principes et les objectifs de la procédure»1303. Ceci appuie

l’idée d’une attitude plus interventionniste du juge.

1299 Selon la règle générale du Code, les frais de justice sont «dus à la partie qui a eu gain de cause, à moins que le tribunal

n’en décide autrement», art. 340 N.C.p.c., que l’on peut comparer à l’ancien article sur les dépens (477 C.p.c.) pour établir

les différences de rédaction. Les articles 340 à 342 N.C.p.c. indiquent les nombreux cas où les frais de justice sont répartis

autrement. L’article 341 N.C.p.c., qui permet la sanction pour le manquement au respect du principe directeur de la

proportionnalité, de manquement aux engagements, etc., et l’article 342 N.C.p.c. qui permet d’imposer une sanction pour

les «manquements importants constatés dans le déroulement de l’instance», expression qui pourrait être interprétée

comme englobant des comportements qui font aussi entorse à la proportionnalité, sont à retenir particulièrement. Par

analogie, nous pouvons aussi prendre en considération les sanctions particulières à l’abus de procédure (art. 54 N.C.p.c.). 1300 Ainsi, dans le rapport d’évaluation publié en 2006, il est précisé que «[t]ant les juges que les représentants du Barreau

nous ont souligné que la règle de la proportionnalité n’est pas encore bien intégrée dans la culture judiciaire des avocats.

Ces derniers, habitués à utiliser tout l’arsenal possible pour bien représenter leur client, ont de la difficulté avec cette

nouvelle philosophie et avec le changement de mentalité et de pratique qu’ils se doivent, dorénavant, d’opérer». La crainte

de l’avocat d’engager sa responsabilité professionnelle en faisant de tels choix serait donc l’un des facteurs prédominants

du malaise qui a suivi les premières années d’application du Code révisé. Il a été suggéré de clarifier le contenu de la règle

énoncée à l’article 4.2 C.p.c., en précisant notamment qu’elle devrait aussi s’appliquer à la preuve. Ministère de la Justice

du Québec, Rapport d’évaluation de la Loi portant réforme du Code de procédure civile, supra note 1021, p. 64. 1301 Voir à ce sujet la discussion dans L. Chamberland, «La règle de proportionnalité : à la recherche de l’équilibre entre

les parties?» dans Barreau du Québec, Service de la formation continue du Barreau du Québec, La réforme du Code de

procédure civile, trois ans plus tard, Cowansville, Yvon Blais, 2006, 1, 9-10. 1302 Vivendi Canada Inc. c. Dell’Aniello, 2014 CSC 1, [2014] 1 R.C.S. 3, par. 66 (j. LeBel et Wagner pour la Cour).

L’idée d’une «source d’un pouvoir d’intervention», toujours dans le contexte de l’affaire Marcotte c. Longueuil (Ville),

avait aussi été relevée auparavant, voir notamment C. Piché, «La proportionnalité procédurale : une perspective

comparative», supra note 1261, p. 570. 1303 Art. 9 N.C.p.c.

Page 305: L'évolution et la structuration des principes directeurs

295

Il est parfois souligné que le titre du rapport présenté par le comité chargé de la révision de la

procédure réfère à l’adoption d’une nouvelle culture judiciaire1304 en lien avec l’augmentation

progressive de l’influence de la proportionnalité dans l’esprit du Code. L’application des articles 4.1

al. 2 et 4.2 C.p.c. et plus tard celle des modifications apportées en 2016 sont souvent

complémentaires dans la jurisprudence du XXIe siècle. Nous avons vu que l’implantation de l’idée

de proportionnalité s’est appuyée sur l’intervention accrue du juge en matière de gestion,

intervention plus importante et plus hâtive1305, et le rôle complémentaire ou supplétif qu’il peut

devoir jouer si les parties négligent de respecter la proportionnalité ou font des choix inadéquats.

L’intégration du principe directeur de la proportionnalité au Code amène à considérer les influences

socioculturelles qui l’imprègnent. Dans l’ensemble, il apparaît que le principe de la proportionnalité

utilisé dans la révision de la procédure civile québécoise présente des traits communs avec le

principe existant particulièrement en Angleterre. La filiation avec l’«overriding objective» de la

réforme de Lord Woolf est affirmée à plusieurs reprises1306. Peut-on en déduire que la

proportionnalité est un emprunt au droit étranger importé dans notre droit par nécessité? Il est

impossible de faire abstraction de l’existence des valeurs de célérité et d’économie et de

l’importance de la recherche de l’efficacité qui le sous-tendent. Elles sont depuis longtemps

affirmées par les auteurs et les tribunaux québécois. L’utilisation de l’expérience étrangère pour

aider à définir et nommer le principe ne contredit pas la possibilité d’observer des préoccupations

similaires dans le droit civil du Québec. La reconnaissance du principe directeur de la

proportionnalité découle de plusieurs facteurs, dont la décision de promouvoir l’accessibilité à la

justice, la simplification des procédures et une approche plus proactive, particulièrement en ce qui

concerne les juges, de la limitation des coûts et du temps investis dans les procédures judiciaires en

regard des bénéfices produits.

1304 Voir, à titre d’illustration, Etiah H. Entreprises inc. c. Société de l'assurance automobile du Québec, 2011 QCCA

1682 (CanLII). Comité de révision de la procédure civile, Une nouvelle culture judiciaire, supra note 7. 1305 Art. 151.6-151.7 et 151.11-151.13 C.p.c., art. 153-156 N.C.p.c. Ces mesures se trouvaient également aux articles 154-

157 du projet de loi de 2013 (PL 28, Loi instituant le nouveau Code de procédure civile, 1re sess., 40e lég., Québec, 2013).

Seul l’article 157 du projet de loi (à présent 156 N.C.p.c.) a été modifié dans le processus d’adoption de la loi, pour

préciser certains aspects. 1306 Y.-M. Morissette, «Gestion d’instance, proportionnalité et preuve civile : état provisoire des questions», supra note

1050, p. 388-389; Barreau du Québec, Mémoire du Barreau du Québec 2011, supra note 1056, p. 9. La filiation avec les

réformes proposées par Lord Woolf au Royaume-Uni est d’ailleurs considérée comme une des inspirations de la nouvelle

procédure civile même dans d’autres contextes que la seule introduction du principe directeur de la proportionnalité :

Ministère de la Justice du Québec, Rapport d’évaluation de la Loi portant réforme du Code de procédure civile, supra

note 1021, p. 42. Voir aussi, sur l’influence britannique, Comité de révision de la procédure civile, Une nouvelle culture

judiciaire, supra note 7, p. 28; C. Piché, «La proportionnalité procédurale : une perspective comparative», supra note

1261, p. 559.

Page 306: L'évolution et la structuration des principes directeurs

296

Pourtant, la modification de la culture judiciaire par une plus grande promotion de ces aspects est

indéniable. Ces préoccupations cessent d’être des facteurs parmi d’autres et deviennent des facteurs

centraux. La façon d’effectuer et de sanctionner les choix procéduraux s’en trouve altérée. Il serait

pourtant complexe de soutenir l’hypothèse que cette réalité engendre une rupture complète avec la

pratique antérieure. L’application du principe de la proportionnalité s’appuie sur des valeurs

reconnues depuis longtemps. L’une des difficultés est l’acceptation de cette composante de la

proportionnalité qui concerne la prise en considération des ressources du système judiciaire –ou de

la Cour– dans l’établissement de ce qui est proportionnel1307.

L’«overriding objective» défini par la procédure britannique comprend expressément cette prise en

compte1308. Dans l’énumération qui accompagne cette mise en garde, Lord Woolf signale bien

l’importance de considérer les ressources générales du système judiciaire. Cependant, il faut

comprendre, comme la présentation de ce texte permet de l’établir, qu’il s’agit bien d’un critère à

soupeser parmi d’autres, sans lui accorder une préséance. Il ne s’agit pas non plus d’un aspect

devant être développé dans une optique économique rigide.

Au Québec, à l’inverse, la rédaction de l’article 4.2 C.p.c. ne contient pas de telle mention expresse.

Nous avons souligné que les nouveaux articles 18 et 19 N.C.p.c. sont moins explicites que la règle

britannique, même si la mention «en tenant compte de la bonne administration de la justice» est

maintenant incluse dans le premier et peut être interprétée dans un esprit similaire. La difficulté

conceptuelle provient sans doute d’une façon de penser la procédure civile qui n’est pas

incompatible, à notre avis, avec l’adoption du principe directeur de la proportionnalité.

La conception du système contradictoire reposant sur une grande autonomie des parties élaborée

dans la seconde moitié du XIXe siècle et les premières décennies du XXe siècle a peut-être eu une

influence sur ce point. Les limites du budget de la justice comme les embûches et les subtilités liées

à sa gestion par les instances étatiques et les juges en chef composent une problématique connue.

Cependant, il arrive assez fréquemment que l’attention portée aux coûts dans le cadre d’une cause

soit principalement réclamée au nom de l’économie des ressources investies par les parties, qui sont

limitées, plutôt qu’en prenant appui sur la possibilité de réaliser des économies dans le système

judiciaire lui-même. Des exemples à cet égard ont pourtant été relevés dans des décennies plus

anciennes et l’impact de cette justification s’est largement amplifié depuis la révision du Code en

1307 Voir par exemple Marcotte c. Longueuil (Ville), 2009 CSC 43, [2009] 3 R.C.S. 65; Barreau du Québec, Mémoire du

Barreau du Québec 2011, supra note 1056, p. 18. 1308 Voir la «Procedural Rule 1.1 (e)», notamment à justice.gov.uk/courts/procedure-rules/civil/rules/part01 (consulté le

2013-05-23). Le texte de cette règle est rapporté textuellement ci-dessus, en page 197.

Page 307: L'évolution et la structuration des principes directeurs

297

2003. Il est possible que cela soit une convention du discours, une façon de mettre les parties au

cœur du débat, qui traduit une ancienne idée de manière nouvelle. Cela peut aussi traduire le fait

que la «justice» est de plus en plus définie comme un droit des parties. Au contraire, sa perception à

titre de fonction sociale de l’État peut décliner dans certaines sphères, particulièrement si nous

rapprochons ce discours de celui qui promeut la justice dite «privée» par les processus de

prévention et de règlement des différends comme un équivalent de la justice «étatique» et que les

parties utilisent ou non, à leur convenance.1309 Le poids relatif des composantes de la perception de

la justice s’altère peut-être dans notre réflexion sur la procédure civile depuis quelques décennies.

Quoi qu’il en soit, des avocats dénoncent cette nouvelle tendance en matière de proportionnalité

comme modifiant leurs habitudes.

Dans ce contexte, le changement culturel aurait des affinités avec un mécanisme d’acculturation,

soit l’introduction d’une influence étrangère et modification subséquente du système de réception.

Par contre, elle ne provient pas nécessairement d’un emprunt à un système étranger, mais de

décisions de gestion et de rédaction québécoises qui modifient le système dont elles sont issues. La

réforme britannique a été qualifiée d'inspiration et a incontestablement été un appui pour l’adoption

du principe directeur de la proportionnalité, mais celui-ci n’a pas été emprunté entièrement à un

système juridique et transféré dans le nôtre. Par ailleurs, le contact entre les cultures est ici recréé

d’une manière un peu artificielle : il s’agit surtout d’un choix conscient et non d’une manifestation

spontanée. La proportionnalité définie par le Code aurait plutôt des origines diverses, parmi

lesquelles l’influence britannique a été importante au moment de la codification d’une règle

reconnaissant le principe et d’autres règles contenant des moyens de mise en œuvre depuis le début

du XXIe siècle.

Dans les faits, le discours des acteurs du XXIe siècle québécois semble traduire une double

approche de la proportionnalité, ce qui tend à démontrer que la définition donnée de cette règle par

les praticiens et les juges n’est pas univoque. La proportionnalité est-elle uniquement une

responsabilité pour le justiciable et le juge en fonction de la cause jugée, ou doit-elle prendre en

compte aussi l’ensemble du système judiciaire et de ses ressources? Dans le premier cas, l’approche

proposée par certains est parfaitement adéquate. En effet, si le moyen procédural demandé est en soi

justifiable par rapport à la cause, et respecte la proportionnalité intrinsèque du litige quant à la

somme en jeu et au temps du procès, alors l’utilisation de ce moyen est acceptable. Cette attitude se

1309 Voir notamment, à l’égard de la diminution de la soumission envers l’autorité conférée à l’État, la critique de cette

autorité et son remplacement par un dialogue entre les citoyens et cette autorité, entre autres, les propos de J.-G. Belley,

dans J.-G. Belley, «Une justice de la seconde modernité», supra note 4, p. 333-334, 343-346 et 356-359.

Page 308: L'évolution et la structuration des principes directeurs

298

trouve être celle de la minorité dans le cas de l’affaire Marcotte1310 en matière d’action collective,

par exemple. Cette approche peut se décliner d’une manière assez similaire dans le cadre d’autres

moyens procéduraux et en matière de preuve. Dans le second cas, d’autres praticiens et auteurs

soutiennent que si l’appréciation de l’enveloppe globale de temps et de moyens financiers

disponibles dans le système judiciaire intervient à l’intérieur de l’évaluation de chaque cause

individuelle, alors la proportionnalité intrinsèque du litige n’est plus suffisante pour justifier

certains choix. Il faut tenter, autant que possible, d’avoir recours, non à un moyen de procédure ou

de preuve proportionnel, mais au meilleur moyen de procédure ou de preuve envisagé sous l’angle

de la proportionnalité dans le cadre du dossier. Ces avenues méritent d’être explorées même si elles

ne font pas l’unanimité et d’autres approches pourraient peut-être être recensées.

Une telle coexistence d’interprétations depuis quelques décennies peut naître de différentes

circonstances, comme nous l’avons vu d’ailleurs au cours de la thèse, y compris de celle d’un

enracinement progressif d’une nouvelle façon de faire dans une optique culturelle. Cette réflexion

peut amener à considérer l’approche de la majorité dans le cadre de l’affaire Marcotte, par

exemple1311. D’une part, cette majorité considère qu’en l’instance, un moyen plus proportionnel que

le recours collectif doit être utilisé, mais refuse de considérer qu’il faille imposer au demandeur de

faire la démonstration que le recours collectif est le moyen le plus proportionnel pour que celui-ci

lui soit ouvert. Les contours de l’obligation qui naît du principe directeur de la proportionnalité sont

donc à la fois subtils et obligés de se moduler aux circonstances, afin d’éviter que se développe une

approche trop rigide qui cause une paralysie de la souplesse procédurale que la réforme semble

vouloir instaurer.

La préparation de la seconde phase de la révision du XXIe siècle rend potentiellement les

divergences dans la réflexion sur ce principe directeur plus apparentes. Sur le plan du discours, cet

aspect de la règle de la proportionnalité des procédures qu’est la prise en compte des ressources du

système judiciaire dans une instance individuelle, suscite une opposition évidente de la part d’une

partie des membres de la communauté juridique1312 au moment de la préparation du nouveau Code.

Pourtant, cet aspect de la proportionnalité n’est pas nouveau au Québec. De même, il a été proposé

en 2006 de codifier la règle appliquant la proportionnalité aussi à la preuve civile, et il a été suggéré

1310 Marcotte c. Longueuil (Ville), 2009 CSC 43, [2009] 3 R.C.S. 65. 1311 Sans se référer à la réponse donnée dans quelque cause que ce soit, il faut cependant souligner qu’en certaines

matières, ce meilleur moyen procédural peut être le recours collectif (l’action collective dans le Code actuel). 1312 Barreau du Québec, Mémoire du Barreau du Québec 2011, supra note 1056, p. 18.

Page 309: L'évolution et la structuration des principes directeurs

299

que «cette règle devrait aussi valoir pour peser l’incidence d’un dossier dans l’ensemble des affaires

soumises à la cour, et cela avec le souci de favoriser un accès égal à la justice pour tous»1313.

Le rapport envisage favorablement de tenir compte davantage de l’ensemble des ressources du

système judiciaire1314. La précision proposée dans l’avant-projet de loi de 2011 s’inscrivait dans ce

contexte1315. Face à cette possibilité, certains commentaires sont sans équivoque. Ainsi :

[l]e Barreau estime qu’il est effectivement nécessaire de tenir compte du principe de la

proportionnalité dans les mesures de gestion d’instance quand l’intérêt des parties

l’exige. Toutefois, ces mesures ne doivent pas dépendre des budgets, ressources et

finances publiques. Le législateur doit éviter d’introduire, dans l’évaluation d’un

dossier, le critère d’une contrainte de nature administrative et politique afin de protéger

la séparation des pouvoirs. Chaque dossier implique un justiciable qui cherche à faire

trancher son litige par le juge. Les tribunaux ne doivent pas réduire les dossiers à des

statistiques de performance ou à des données économiques. Le juge ne doit pas exercer

ses fonctions en rationnant la justice en fonction des coûts, alors que d’autres solutions

sont possibles1316.

Dans son discours en matière de proportionnalité, le Barreau du Québec s’oppose à sa

reconnaissance comme principe dominant unique et tente d’appuyer cette affirmation sur une

référence implicite à certaines valeurs, tout en rappelant l’existence d’autres principes directeurs. Il

réitère par ailleurs régulièrement l’importance d’un second principe directeur, soit celui de la

maîtrise de leur dossier par les parties. L’application conjointe des articles 4.1 et 4.2 C.p.c. en

jurisprudence incite déjà les parties à se montrer responsables dans leurs choix procéduraux.

Comme le souligne la Cour supérieure, la constance des décisions procédurales est importante. Les

changements de stratégies sont possibles, mais ils ont des répercussions sur les coûts et les délais de

la cause. Ainsi, le respect des principes directeurs permet souvent un encadrement plus serré de la

procédure par la Cour. Une partie ne peut s’attendre à pouvoir modifier de façon répétitive et sans

justification valable ses options procédurales au fil du déroulement de l’instance, car cette attitude

entraîne potentiellement des répercussions sur les coûts ou les délais1317. L’interaction entre les deux

1313 Ministère de la Justice du Québec, Rapport d’évaluation de la Loi portant réforme du Code de procédure civile, supra

note 1021, p. 64. 1314 Id., p. 38. 1315 Art. 18, Avant-projet de loi : Loi instituant le nouveau Code de procédure civile, 2e sess., 39e lég., 29 septembre 2011,

où l’alinéa 2 prévoit que : «Les juges doivent faire de même dans la gestion de chacune des instances qui leur sont

confiées, qu’il s’agisse de leur déroulement, de leur instruction ou de leur exécution, à l’égard des mesures et des actes

qu’ils ordonnent ou autorisent, tout en tenant compte de la bonne marche de l’ensemble des affaires qui sont soumises au

tribunal et de l’intérêt général de la justice» (je souligne). 1316 Barreau du Québec, Mémoire du Barreau du Québec 2011, supra note 1056, p. 18. 1317 La Cour supérieure, en vertu du respect des articles 4.1 et 4.2 C.p.c., a déjà mis en garde un procureur à l’effet qu’elle

ne permet pas de changements stratégiques selon les étapes de la cause quand la partie a bénéficié de la possibilité de faire

un choix réfléchi sur sa stratégie : Chrétien c. Paquet, 2011 QCCS 2428 (CanLII), par. 45-47 (j. Pronovost). Le juge

refuse, dans ce cas, qu’un des cinq codéfendeurs, à la demande de leur procureur commun et au nom des quatre autres

personnes, doive se constituer un nouveau procureur : la multiplication du nombre de procureurs au dossier lui apparaît

Page 310: L'évolution et la structuration des principes directeurs

300

principes directeurs, et l’interprétation de ceux-ci dans une situation d’application concurrente sont

nécessaires à une compréhension juste de l’importance de tous les critères inclus dans la définition

de ces deux principes directeurs dans le contexte juridique actuel. La mouvance du contenu de la

majorité des principes directeurs a été affirmée et démontrée abondamment, et elle trouve ici une

illustration supplémentaire. Cette redéfinition périodique du contenu et de l’interprétation des

principes directeurs pour adapter la procédure à la modernité est l’un des mécanismes de souplesse

et d’adaptabilité de la stratégie actuelle en matière de procédure.

Dans le cadre de l’avant-projet de loi, cette interprétation de la jonction entre la gestion de

l’instance par le juge et la maîtrise de leur dossier par les parties continue d’alimenter la réflexion

sur le contenu du principe directeur de la proportionnalité. L’analyse a permis de remarquer que le

Barreau du Québec tend à présenter sous une lumière défavorable une partie de la nouvelle

définition de la gestion d’instance telle que présentée par l’article 18 de l’avant-projet de loi et

reprise dans une forme remaniée dans les textes subséquents en 2013 et 2014. Cet article est, en

effet, l’occasion d’une modification notable de la définition des composantes de la proportionnalité,

comme nous l’avons vu. Il précise que le juge doit tenir compte de «la bonne marche de l’ensemble

des affaires» soumises au tribunal et de l’intérêt de la justice en général lorsqu’il considère son rôle

en matière de gestion d’instance1318. Rappelant principalement que la gestion d’instance touche les

droits des justiciables, et que la contrainte liée aux impératifs économiques peut avoir des

conséquences néfastes, le Barreau souhaite l’abolition de la partie de l’article 18 de l’avant-projet

de loi1319 qui oblige à considérer ce point.

L’Association du Barreau canadien s’est aussi montrée critique à propos de l’étendue des pouvoirs

du juge définis par l’avant-projet de loi en ce qui a trait à la gestion de l’instance au stade

préliminaire1320. Elle semble décrire comme «excessive» une telle participation du juge sans qu’il

existe un droit d’appel, puisque celui-ci ne peut s’exercer que sur permission d’un juge de la Cour

d’appel «si la mesure ou la décision paraît déraisonnable au regard des principes directeurs de la

procédure»1321, une mesure conservée par le nouveau Code1322. Les conceptions du contrôle de

l’instance par le juge et du contrôle de son dossier par la partie se rejoignent, formant une zone où

les deux principes peuvent s’appliquer. Cette conjonction nécessite une interprétation et fait naître

contraire aux principes de la nouvelle procédure civile (par. 40-41). Les codéfendeurs avaient annoncé qu’il n’y avait pas

de divergences entre eux, il considère qu’ils doivent s’en tenir à cette stratégie. 1318 Ces parties de l’article ont été amendées. 1319 Barreau du Québec, Mémoire du Barreau du Québec 2011, supra note 1056, p. 18. 1320 A.B.C., division du Québec, Mémoire relatif à l’Avant-projet de loi, 2011, supra note 1106, p. 15. 1321 Art. 32, Avant-projet de loi : Loi instituant le nouveau Code de procédure civile, 2e sess., 39e lég., 29 septembre 2011. 1322 Art. 32 N.C.p.c. et art. 32, PL 28, Loi instituant le nouveau Code de procédure civile, 1re sess., 40e lég., Québec, 2013.

Page 311: L'évolution et la structuration des principes directeurs

301

des incertitudes, manifestes dans le discours de l’Association du Barreau canadien et du Barreau du

Québec. De fait, la modification de la procédure civile est appelée à entraîner des changements dans

sa compréhension et dans son application. La proportionnalité est au cœur de ce débat. Ces

changements influencent l’étendue de l’intervention du juge à un stade préliminaire, ce qui modifie

plusieurs aspects de base de la préparation de l’instance : le contrôle de la procédure, des expertises,

des interrogatoires et de la participation des tiers1323.

Si nous analysons la prise en compte des ressources du système judiciaire dans un contexte

historique, la nouveauté de l’approche réside dans la façon dont la proportionnalité devient

obligatoire en tout temps, dans la façon dont son respect est susceptible de devoir être démontré,

voire corrigé ou sanctionné, et dans la modification qu’elle impose d’une certaine conception des

principes directeurs du contradictoire et du contrôle de leur dossier par les parties. Le projet

d’article ne prévoit pas spécifiquement que le justiciable y perde l’occasion de faire valoir ses

arguments. Il affirme plutôt que l’avocat et le juge sont tenus de s’assurer que ces arguments sont

présentés de la façon la plus responsable possible. Cette obligation est cohérente avec un

fonctionnement rapide et économique du système judiciaire1324.

La recommandation faite aux juges de tenir compte de «la bonne marche des affaires» ne confère

pas aux magistrats de première instance la liberté absolue d’interrompre ou d’empêcher l’utilisation

d’un moyen de procédure ou de preuve coûteux en fait de temps ou de ressources financières, s’il

est justifié1325. Le juge qui applique la proportionnalité est tenu de hiérarchiser les critères de son

1323 A.B.C., division du Québec, Mémoire relatif à l’Avant-projet de loi, 2011, supra note 1106, p. 15. 1324 Dans certains cas, les tribunaux comme les justiciables s’inquiètent des conséquences d’une utilisation excessive de

moyens procéduraux dans le cadre d’un litige. La question des poursuites-bâillons, déjà évoquée brièvement (voir en page

293) et qui a donné lieu à un rapport et à un exercice législatif, en est un exemple. De même, les causes qui demeurent

longtemps inscrites devant les tribunaux suscitent des commentaires. Dans Y.S. Bruyère Construction ltée c. Hull (Ville),

1992 CanLII 3892 (QC CA), la Cour d’appel commente, par exemple : «ATTENDU que quelques mois après que le juge

en chef du Canada ait, devant le Barreau canadien, attiré l'attention du monde juridique sur le caractère inacceptable des

délais dans l’administration de la justice aussi bien civile que pénale et à l'heure où notre propre Cour, en raison de

circonstances sur lesquelles elle n'a aucun contrôle, voit ses délais d'attente dans quelque 30% des pourvois atteindre 30

mois, les contribuables et les justiciables seront heureux et surtout rassurés d'apprendre que notre Cour a été saisie

aujourd'hui, le 28 janvier 1992, d'un pourvoi dans une affaire où l'action a été instituée 15 ans et 1 mois auparavant et que

justice va finalement pouvoir être rendue […]». Dans un autre cas célèbre, la saga judiciaire connue sous le nom de

«l’affaire Castor Holdings», le procès s’est étendu sur plus de douze ans, suscitant les commentaires tant des tribunaux

(Wightman c. Widdrington (Succession de), 2007 QCCA 1687 (CanLII), par. 71-74) que de la presse (voir par exemple B.

Myles, «Castor Holdings épuise la justice», Le Devoir, 8 décembre 2007, consulté sur

ledevoir.com/societe/justice/167819/castor-holdings-epuise-la-justice). 1325 Le cas de l’action collective est intéressant. En 2014, la Cour suprême démontre que ce n’est pas sur la seule base de

la proportionnalité qu’un juge refusera la permission d’exercer un recours collectif (désormais une action collective) si les

quatre critères pour l’autoriser sont remplis : Vivendi Canada Inc. c. Dell’Aniello, 2014 CSC 1 (CanLII), [2014] 1 R.C.S.

3, par. 66 (j. LeBel et Wagner). Dans d’autres contextes que l’action collective, il existe des exemples où une partie peut

être sanctionnée pour n’avoir pas utilisé un moyen procédural adéquat et disponible, moins coûteux sur les plans

financiers et temporels, sur la base de l’abus (art. 54.1 C.p.c., notamment). Voir à titre d’illustration de cette situation

l’arrêt Charland c. Lessard, [2015] QCCA 14 (CanLII), par. 182-199 et 202-207 (j. Émond). Il est intéressant de noter

Page 312: L'évolution et la structuration des principes directeurs

302

intervention. S’il est appelé à prendre en considération les ressources du système judiciaire, il

devrait être clairement établi et compris que son premier devoir est de trancher le litige qui lui est

soumis au meilleur avantage des parties et dans le respect de leurs droits. Ce point posé, la prise en

compte de l’ensemble des affaires et de la disponibilité des ressources appartient selon nous aux

facteurs qui composent l’intérêt de la justice. La rédaction proposée par l’avant-projet de loi aurait

peut-être clarifié ce point1326.

Ainsi, tant la définition que l’application du principe de la proportionnalité s’enracinent au cœur

d’une réflexion actuelle sur la procédure civile. Cette définition se précise, puisqu’elle prévoit que

le respect de la proportionnalité s’insère dans le choix des moyens de preuve autant que de

procédure. Toutefois, des traces d’une compréhension fluctuante apparaissent dans l’évolution de

son énoncé, notamment avec les modifications apportées en 2013 et 2014 concernant l’obligation de

considérer l’économie du système judiciaire et de l’ensemble des causes sur la proportionnalité1327.

Il est possible d’argumenter que le changement n’affectera pas le fond de la question et que l’article

énonce cette obligation de manière implicite. Notre thèse postule, en effet, que la formule référant à

la bonne administration de la justice intègre entre autres critères une évaluation des ressources du

système judiciaire. Nous avons pu constater que l’explication du concept telle qu’énoncée par

l’étude de Lord Woolf est éclairante. De plus, selon la jurisprudence de la dernière décennie1328, la

définition de la proportionnalité dans le cadre d'une saine administration de la justice doit prendre

en considération les ressources disponibles du système judiciaire. Ces ressources n’étant pas

illimitées, il est concevable que la répartition de celles-ci sur l’ensemble des causes doive être

considérée. La reformulation peut ouvrir la porte à de nouveaux échanges sur la question de la

dualité d’interprétation possible des composantes véritables du principe de la proportionnalité.

Cependant, puisqu’elle définit l’application d’un principe directeur, cette même formulation est de

nature à permettre l’interprétation et l’évolution subséquentes du contenu de ce principe. Ainsi, le

principe directeur de la proportionnalité, qui s’applique en matière de procédure civile et de preuve,

est susceptible de s’adapter le cas échéant à des changements de sens.

aussi qu’au paragraphe 207, le principe du contradictoire (désormais dit «de la contradiction») trouve une application

implicite. 1326 Du moins, les paroles de certains participants au processus laissent penser que cette partie de l’article réfère très

explicitement à une vision particulière de la proportionnalité. Bien qu’il ne souscrive pas, à l’époque, au contenu de cette

précision, c’est ce que révèlent les remarques du Barreau du Québec, par exemple (Barreau du Québec, Mémoire du

Barreau du Québec 2011, supra note 1056, p. 18). 1327 Art. 18 N.C.p.c. 1328 En matière de recours collectif, voir Marcotte c. Longueuil (Ville), 2009 CSC 43, [2009] 3 R.C.S. 65, par 42-43 (j. Le

Bel). Dans divers domaines, voir aussi Corporation Sun Media c. Gesca ltée, 2012 QCCA 682 (CanLII), par. 8 (j. Bich,

juge unique); Gravel c. White, 2012 QCCA 824 (CanLII), par. 8-10 (j. St-Pierre, juge unique); General Motors du

Canada ltée c. Billette, 2009 QCCA 2476 (CanLII), par. 45-46 (j. Dalphond, juge unique), notamment. Ceci montre une

adhésion importante à cette idée chez les juges.

Page 313: L'évolution et la structuration des principes directeurs

303

Dans l’ensemble, le principe directeur de la proportionnalité n’est pas étranger au droit procédural

québécois, malgré les références et les emprunts à d’autres structures et à d’autres droits. Il n’est pas

non plus rejeté par la communauté juridique québécoise après sa codification, mais la définition de

son contenu et de ses balises évolue encore. Cette réflexion menée collectivement suscite des

discours parfois contradictoires. Ceux-ci ne signifient pas que l’implantation du nouveau principe

directeur est en péril, mais qu’il s’intègre à la «culture judiciaire» autrement et plus lentement que

certains ne l’anticipaient1329. Cependant, en évoquant les valeurs de célérité et d’économie, il est

nécessaire de rappeler l’importance accordée à présent à la recherche d’efficacité dans le cadre de la

nouvelle approche de la procédure civile. Cette recherche est constatée de tout temps, mais l’usage

d’un principe directeur pour aider à l’atteindre constitue une avenue législative nouvelle. Celle-ci

n’est pas mesurée quantitativement dans le cadre de la thèse, mais l’importance d’une perception

d’efficacité –ou d’inefficacité– est telle chez les différents acteurs qu’elle ne peut être passée sous

silence. L’importance du rôle des valeurs comme facteur d’implantation ne peut pas être sous-

estimée, particulièrement dans le cas du principe directeur de la proportionnalité. Globalement, le

développement de ces moyens procéduraux illustre quelques-unes des transformations culturelles

vécues en matière de procédure civile. L’introduction du principe de la proportionnalité dans le

Code modifie la perception des acteurs du système judiciaire, car elle conduit les magistrats et les

parties à considérer davantage, dans leurs décisions, l’administration de la justice et le rôle de la

procédure civile.

2.3. L’interaction entre les principes directeurs : le développement d’une

structure ?

La présence accrue de principes directeurs dans le Code et la réflexion sur ses impacts

L’intégration accrue de principes directeurs dans le Code depuis 2003 nécessite une réflexion sur

l’impact d’une telle décision sur le texte adopté. Cette décision impose sur celui-ci une influence

contraignante que ses prédécesseurs ressentaient différemment aux périodes antérieures. En effet, la

majorité des notions aujourd’hui désignées comme des principes directeurs codifiés étaient exclues

de la codification formelle. La décision de codifier des principes directeurs a aussi entraîné celle de

modifier la présentation du Code afin de les regrouper, de même que le développement d’un

vocabulaire à l’intérieur du Code et dans les textes juridiques pour désigner ceux-ci.

1329 Ainsi, trois ans après l’entrée en vigueur de la première phase de la réforme, le rapport d’évaluation mentionnait que

«[t]ant les juges que les représentants du Barreau nous ont souligné que la règle de la proportionnalité n’est pas encore

bien intégrée dans la culture judiciaire des avocats» (Ministère de la Justice du Québec, Rapport d’évaluation de la Loi

portant réforme du Code de procédure civile, supra note 1021, p. 64).

Page 314: L'évolution et la structuration des principes directeurs

304

La codification de principes directeurs en 2003 étant réalisée dans la foulée d’une révision partielle

du Code, l’insertion des principes est faite dans un esprit de regroupement autant que de

reconnaissance. Ils sont placés parmi les articles généraux. En choisissant de les placer initialement

aux articles 4.1, 4.2 et 4.3 C.p.c., il apparaît d’une part que les liens de proximité qu’ils doivent

entretenir avec le principe directeur du contradictoire codifié à l’article 5 C.p.c. sont pris en

considération. Quant à proposer qu’ils précèdent celui-ci dans un esprit de hiérarchisation, la

question demeure sans réponse puisqu’aucune explication donnée par le ministre à l’époque ne peut

l’attester1330. Il faut en effet considérer que la «première phase» de la réforme ne constitue pas une

recodification et a toujours été adoptée dans l’intention de précéder une «seconde phase». De plus,

l’idée que ces principes directeurs devancent le principe directeur basé sur la règle audi alteram

partem, si fondamentale à la conception de notre système judiciaire, demanderait assurément une

explication nette. Par ailleurs, l'article 4 C.p.c. étant un article voué à présenter les définitions de

certains termes, il est aussi logique que ces articles contenant une description des principes

directeurs y soient associés, du moins dans un premier temps. Dans le même ordre d’idée, si cette

hypothèse était adoptée, il faudrait alors s’interroger sur l’ordre de présentation des nouveaux

principes. En effet, la proportionnalité, pilier de la première phase de la révision et de l’ensemble de

la réforme, est codifiée à l’article 4.2 C.p.c., après les principes directeurs de la maîtrise de leur

dossier par les parties et de la maîtrise de l’instance par le juge. Cette partie des liens entre les

principes directeurs est donc restée indéfinie suite à la première phase de la réforme.

Par ailleurs, dans la période qui suit l’adoption de la révision de 2003, les travaux de certains

auteurs ont suggéré que les articles 4.1 al. 1 C.p.c. et 4.2 C.p.c. pourraient s’affronter, ce qui aurait

nui à l’adoption par le système judiciaire d’une véritable ligne directrice ferme dans le domaine de

la proportionnalité1331. Le raisonnement est intéressant. Les parties doivent en venir à plus de

concision et de célérité, mais la formule du Code alors en vigueur n’offrirait pas une motivation

suffisante pour amorcer un véritable changement culturel1332. La question a dû se poser, comme l’a

proposé, par exemple, la professeure Piché : serait-il avantageux d’abroger l’article 4.1 al. 1 C.p.c.

qui consacre la maîtrise de leur dossier par les parties, ce qui donnerait plus de pouvoir au juge pour

promouvoir la réalisation de la proportionnalité dans l’application du droit judiciaire? La

professeure Piché a assorti cette suggestion d’une proposition de modification du Code de

1330Voir par exemple Commentaires de la ministre de la Justice, Code de procédure civile, chapitre C-25.01, Montréal,

SOQUIJ/Wilson & Lafleur, 2015. 1331 Voir par exemple C. Piché, «La proportionnalité procédurale : une perspective comparative», supra note 1261, p. 591-

592. Voir aussi l’exposé synthétique de la possibilité d’opposition des articles 4.1 et 4.2 C.p.c. dans Charland c. Lessard,

2015 QCCA 14 (CanLII), par. 168 à 182 (j. Émond). 1332 Id., p. 591.

Page 315: L'évolution et la structuration des principes directeurs

305

déontologie des avocats qui seraient tenus de respecter la proportionnalité1333. Elle note aussi que,

dans un tel contexte, les parties qui souhaitent une plus grande maîtrise de leur dossier

conserveraient l’option d’envisager un mode alternatif de résolution du différend1334.

Cette approche a ses mérites. Par exemple, elle encourage une audition rapide des causes et renforce

le principe de la maîtrise de l’instance par le juge tout en favorisant indirectement les règlements à

l’amiable. Elle présente également quelques inconvénients au plan conceptuel comme au plan

pratique. Il n’est pas nécessaire de revenir sur la question du lien entre maîtrise de son dossier par

une partie et responsabilité dans les décisions qui y sont prises et qu’elle accepte, demande ou

autorise. En matière d’étude des principes directeurs, cette approche confère au principe de la

proportionnalité une place prééminente dans l’articulation des principes procéduraux, en premier

lieu. La professeure Piché rappelle que la hiérarchisation des principes n’est pas en cause dans son

analyse. Il devient inévitable de devoir considérer cet aspect des choses dans le cadre de notre thèse,

qui porte sur le développement de ces principes directeurs.

Les questionnements sur la justice dite «expéditive» dès les années 1970 ont d’ailleurs amené divers

auteurs à s’interroger sur ce point essentiel1335 : la recherche de l’efficacité dans le règlement des

litiges doit-elle primer sur ce que l’on nomme couramment la justice? L’idée d’une procédure

alternative qui permettrait de faire progresser des causes de moins grande valeur dans un cadre

procédural plus léger est considérée, ce qui indique que le principe de proportionnalité est entré

dans une phase de définition structurée selon une pensée moderne1336. Dans le contexte des années

2003 à 2015, la question conserve sa pertinence. Le principe directeur de la proportionnalité a-t-il

ou devrait-il avoir préséance sur les autres principes directeurs inscrits au Code?

La réponse donnée par les tribunaux est claire. L’efficacité de la procédure est essentielle au

fonctionnement du système judiciaire1337, mais le droit d’être entendu, et pleinement entendu, doit

1333 Id., p. 596. Le nouveau Code de déontologie des avocats (c. B-1, r. 3.1) prévoit que les honoraires des avocats doivent

être «justifiés par les circonstances et proportionnés aux services professionnels rendus» (art. 102) et que la profession

doit être exercée sans abuser de son statut dans un but d’enrichissement (art. 7), mais ne précise pas directement une

obligation de respecter la proportionnalité. Les articles 18 et 19 N.C.p.c. ainsi que la Disposition préliminaire restent les

principales protections de ce principe directeur. 1334 Id., p. 592. 1335 S. Shetreet, supra note 889, p. 28 et 35. 1336 G.D. Watson, supra note 892, p. 134. D’ailleurs, l’adoption d’une procédure allégée qui est applicable au niveau des

petites créances au Québec (art. 953-982 C.p.c.), entre autres, illustre un aspect du phénomène. 1337 Voir par exemple Hryniak c. Mauldin, 2014 CSC 7, [2014] 1 R.C.S. 87, par. 28-33 et 58 (j. Karakatsanis). Au nom de

la Cour, la juge Karakatsanis rappelle l’importance de la proportionnalité dans le système judiciaire du XXIe siècle. Elle

ajoute que la proportionnalité « se mesure à l’aune du procès complet » (par. 58), donc en regard de toutes les

caractéristiques du dossier.

Page 316: L'évolution et la structuration des principes directeurs

306

être respecté en tout temps1338. L’équilibre à établir entre les deux principes est nécessaire, mais le

second ne peut être sacrifié au premier. Malgré toute son importance, il est difficile d’envisager que

ce principe de proportionnalité doive être prééminent face à tous les autres. En effet, le but ultime

du système judiciaire est de rendre la justice, de trancher des litiges ou d’apporter des solutions à

ceux-ci. Ainsi, un tel principe est utile et essentiel et nous avons souligné sa portée économique et

sociale. Cependant, à lui seul, il ne peut pas assurer la réalisation de l’objectif réel du système, ou

d’ailleurs de chaque litige individuel.

Ceci nous ramène à la question de la hiérarchisation des principes en regard de la place

prépondérante ou non de l’un ou l’autre des principes directeurs par rapport aux autres est

soulevée1339. Le Code adopté par la loi de 2014 change effectivement la situation, s’il y en avait

une, par rapport à l’ordre de présentation des principes directeurs. Le nouveau Code classe la

contradiction et la proportionnalité dans cet ordre et en tête de chapitre (art. 17 et 18 N.C.p.c.), ce

qui pourrait indiquer l’importance de ces deux principes directeurs. L’idée d’étayer l’hypothèse

d’une hiérarchisation entre les deux principes basée sur l’ordre des articles du Code est attrayante.

Cette fois, la rédaction comprend la «recodification» et la refonte du Code. Mais cela suffit-il pour

attester que le législateur prend position sur la hiérarchisation des principes? Le discours officiel du

ministère de la Justice a jusqu’ici refusé de créer cette hiérarchisation. Quant à l’influence du

nouveau Code de procédure civile français sur la rédaction de ces sections, elle est évidemment

perceptible. Mais la question reste sans réponse de savoir si elle a été adoptée pour favoriser

l’insertion des principes directeurs dans le Code d’une manière ordonnée, ou si elle a été, a

posteriori, trouvée adaptée à la nouvelle réalité et qu’elle a été par conséquent utilisée. Il faut

cependant retenir que la codification a mené à l’adoption d’un plan plus détaillé dans la première

partie du Code et a imposé des regroupements de notions différents de ceux qui étaient proposés

jusqu’ici. Le législateur n’a pourtant pas conféré expressément une prépondérance à l’un ou l’autre

de ces principes directeurs : ils sont désignés à ce titre, mais aucun ne prédomine pour l’instant. De

plus, l’inversion réalisée entre le classement au moment de l’adoption de chacune des deux phases

de la réforme ne permet pas d’identifier une volonté claire de faire prédominer l’un ou l’autre.

L’extrait de la définition de la mission des tribunaux dans le nouveau Code tend à confirmer que

cette réalité perdure. Les principes et les objectifs de la procédure pris de manière globale sont

essentiels. Toute affirmation d’une dominance dans ce domaine relève de l’interprétation. Même si

l’ordre de présentation permet de formuler des hypothèses à cet égard, l’interprétation

1338 Droit de la famille – 12272, 2012 QCCA 322 (CanLII). Cette cause cite l’arrêt Kane c. Conseil d’administration de

l’Université de la Colombie-Britannique, [1980] 1 R.C.S. 1105, 1113 (j. Dickson), qui réfère aux règles de justice

naturelle et à l’obligation d’entendre équitablement les parties. 1339 Pour un survol de la question, voir par exemple L. Chamberland, supra note 1301, p. 10-12.

Page 317: L'évolution et la structuration des principes directeurs

307

jurisprudentielle et doctrinale, de même que les changements inévitables à la procédure civile dans

les prochaines décennies, pourraient les confirmer ou les infirmer. D’ailleurs, le recours aux valeurs

qui les sous-tendent dans la Disposition préliminaire peut aussi modifier cette perception.

En second lieu, il faut approcher prudemment la question soulevée en matière de hiérarchie, surtout

si le résultat vient en contradiction avec la perspective des avocats et des parties. Selon l’exemple

évoqué plus haut, l’adhésion au principe du contrôle de leur dossier par les parties est encore très

vivace dans le système judiciaire, comme nous l’avons vu. Il est possible que le changement

culturel vécu en matière judiciaire implique cette contradiction : nous avons remarqué que les

principes directeurs peuvent s’éclipser ou décliner. Une réforme du Code est un moment pour

amorcer ou traduire cette modification. Par contre, l’abolition complète, évoquée plus tôt, d’un

principe directeur tel que la maîtrise de leurs dossiers par les parties créerait une réaction

probablement vive et celle-ci n’est pas de nature à promouvoir l’adhésion aux valeurs qui seraient

proposées pour le remplacer. Tout au long de l’étude, il a été démontré que le fait de s’enraciner

dans les principes existants en 1867 n’empêche ni l’évolution ni le changement dans la conception

de la procédure civile1340. Les concepts évoluent et recouvrent de nouvelles réalités sans que le

vocabulaire, élément stabilisateur et parfois perçu comme «réconfortant» dans un tel contexte, ne

subisse nécessairement un changement brutal. D’ailleurs, sur un plan procédural, l’importance du

contrôle de leur dossier par les parties en matière de preuve est explicitement rappelée par la Cour

suprême en 2014 concernant la divulgation de la preuve lors de la «phase exploratoire»1341. Les

juges rappellent aussi que, «[s]ous réserve des objectifs parallèles de proportionnalité et d’efficacité,

[…] la recherche de la vérité demeure le principe cardinal de la conduite de l’instance civile»1342 et

que celle-ci dépend en grande partie de la preuve établie par les parties1343. Cette importance se

manifeste aussi à d’autres moments de l’évolution de l’instance qui ne sont pas mentionnés dans

l’article. Nous avons en effet souligné que le nouveau Code codifie toujours ce principe directeur,

reconnaissant ainsi sa pertinence dans l’application comme dans l’esprit de la procédure civile. Son

évolution se poursuit dans une optique de conjugaison entre divers impératifs et principes

directeurs : principes directeurs de la maîtrise de leur dossier par les parties et de la maîtrise de

l’instance par le juge, impératifs généraux de la procédure civile d’encadrer les instances pour faire

apparaître le droit, la vérité ou permettre aux parties d’obtenir un jugement, etc. Ainsi, la

1340 Voir aussi le texte de C. Piché, «La proportionnalité procédurale : une perspective comparative», supra note 1261,

p. 559-560 et 568-570. 1341 Voir l’arrêt Pétrolière Impériale c. Jacques, 2014 CSC 66, [2014] 3 R.C.S., par. 24-29 (j. LeBel et Wagner). Cette

décision discute également de l’implication du juge dans le contrôle de cette divulgation et l’influence du principe

directeur de la proportionnalité dans cet aspect de la situation (par. 82-86, j. LeBel et Wagner). 1342 Id., par. 24-25 (j. LeBel et Wagner). 1343 Voir Id., par. 24-29 (j. LeBel et Wagner).

Page 318: L'évolution et la structuration des principes directeurs

308

hiérarchisation des principes directeurs, s’il doit en être créé une, doit tenir compte du fait que le

Code propose surtout une structure de principes essentiels et complémentaires qui doit conserver sa

souplesse et induire une réponse adaptée aux faits de chaque dossier. C’est, du moins, ce que nous

semble évoquer le Code et ce que nous avons tenté d’explorer dans les sections précédentes.

Empiriquement, nous constatons donc que plusieurs influences peuvent modeler la définition et

l’application d’un principe directeur à l’époque actuelle. Or, celles-ci ont une incidence sur les

comportements et les traits liés à l’adoption du principe directeur de la proportionnalité. Bien que,

compte tenu de la différence d’évolution des divers principes, ces remarques ne soient pas

applicables à tous les principes directeurs, elles mettent tout de même en lumière quelques aspects

du rapport actuel à un principe central de la révision procédurale du début du XXIe siècle.

Sur le fond, la décision d’appuyer le «changement de culture judiciaire» sur des principes directeurs

a obligé le législateur et, par la suite, la communauté juridique à préciser ceux-ci. En plus d’en

changer le plan, cette tentative modifie la substance du Code. Si, au XIXe siècle, le Code était perçu

comme un outil recelant des articles principalement de nature technique, la représentation du Code

au XXIe siècle s’est complexifiée et comprend maintenant des articles dont la règle, bien qu’ayant

une application technique, a une portée interprétative, voire philosophique. Ainsi, la perception du

Code comme outil de nature «technique» est aussi modifiée par l’insistance mise sur la présence de

principes dans sa structure même.

Ce phénomène, ou ce choix de stratégie, est-il symptomatique d’une époque où la pensée

axiologique est de plus en plus développée ? Autrement dit, en faisant cette réforme basée sur les

principes directeurs, comment la communauté juridique se positionne-t-elle par rapport à

l’évolution d’une réflexion sociale sur ces sujets ? La question n’appelle pas de réponse à ce stade ;

celle-ci émergera peut-être à long terme. Par contre, précédant de quelques décennies les décisions

prises à l’époque de la plus récente codification, il faut remarquer que les développements en

procédure civile depuis 1966 tendent à indiquer une modification de la perception de la nature du

système judiciaire. La figure d’autorité qu’il représentait, ou que représentait le juge, n’a plus la

même importance qu’autrefois, par exemple, bien que son rôle reste prééminent et s’accroisse dans

d’autres domaines. Nous avons aussi vu fluctuer l’autorité de la loi. Cette nouvelle perception est

compatible avec une diminution de l’importance de l’attention apportée à la forme par rapport au

fond et avec une approche toujours plus axée sur l’utilisateur que sur la structure judiciaire. En

Page 319: L'évolution et la structuration des principes directeurs

309

d’autres termes, l’esprit véhiculé par le Code de procédure civile1344 depuis 1966 et celui reconnu

dans la Disposition préliminaire1345 du Code civil de 1994 ne sont probablement pas étrangers aux

changements apportés par la reconnaissance accrue des principes directeurs. Ainsi, les incitations à

l’échange sont de plus en plus perceptibles, ce qui se traduit par l’insertion d’un principe directeur

de la coopération et de la faveur à nouveau croissante du principe directeur de la conciliation.

Malgré les divergences en ce qui a trait à certaines méthodes, le discours général démontre qu’il

existe un consensus largement partagé, non seulement à l’Assemblée nationale, mais aussi dans la

population, sur le principe même des ententes en matières familiales. La modification proposée par

l’ajout au Code de mesures favorisant la médiation ou la conciliation en matière familiale a donc

plus pour effet de reconnaître une situation de fait et d’élargir le rôle des tribunaux dans ce domaine

que d’instaurer un changement social. Ainsi, la modification de l’esprit et celle de la lettre tendent à

répondre à une attente ou à présenter des caractéristiques qui traduisent une façon de concevoir la

société ou à une nouvelle conception de ce que recouvre l’expression «la justice», comme nous en

avons évoqué la possibilité à propos de l’intégration partielle des modes privés de règlement des

différends dans l’univers de la procédure civile codifiée.

Par ailleurs, la codification de principes directeurs multiples fait naître une nouvelle forme

d’encadrement de la procédure civile. Si elle était auparavant définie de manière plus stricte par le

Code, elle prend des allures plus souples en s’inscrivant sur le plan des principes directeurs. Ceux-ci

composent une structure plus fluide, en ce sens qu’ils permettent théoriquement une approche qui

tient compte des valeurs et des caractéristiques individuelles des dossiers traités, des besoins des

justiciables et des acteurs du système judiciaire. Cette réalité favorise le développement basé sur le

dialogue et le discours entre les différents principes directeurs. Il a été mentionné que la

reformulation du principe directeur de la proportionnalité pour le Code de 20161346, par exemple, en

a précisé les caractéristiques, tout en rappelant l’importance et l’obligation des parties et du juge de

s’y soumettre dans tous les aspects procéduraux d’un dossier. Cependant, les conséquences de cette

redéfinition peuvent illustrer le fonctionnement interne de cette structure basée sur les principes

directeurs.

À titre d’exemple, depuis 2003, la perception du principe directeur de la proportionnalité dans ce

contexte peut à la fois se conjuguer et s’opposer au débat contradictoire. En effet, dans le contexte

1344 Un intéressant résumé de l’«esprit du Code» est proposé dans D. Ferland et B. Emery, Précis, 4e éd., supra note 22, p.

3-8. L’explication des auteurs est d’ailleurs applicable au nouveau Code, même si son intégration à la question des

principes directeurs a apporté quelques modifications, voir D. Ferland et B. Emery, Précis, 5e éd., supra note 22, p. 74-92. 1345 Voir A.-F. Bisson, «La Disposition préliminaire du Code civil du Québec», supra note 848, p. 542, 555-564. 1346 Art. 18 N.C.p.c.

Page 320: L'évolution et la structuration des principes directeurs

310

du débat contradictoire qui pourrait être qualifié de «pur», c’est-à-dire où seul l’aspect

contradictoire du débat devrait être assuré, chaque partie aurait théoriquement droit à tout l’arsenal

judiciaire existant pour faire valoir son point. Le principe directeur de la proportionnalité établi en

2003 vient tempérer cette possibilité. Les actes de procédure, ou «les armes», choisis doivent l’être

en fonction de l’importance et de la complexité du litige, ainsi que de la nature de la demande. Ceci

se décline notamment en regard de la valeur monétaire et en tenant compte de la distribution

équitable des ressources judiciaires. La conception moderne du débat contradictoire transparaît dans

un tel choix et réaffirme l’importance du principe directeur du contradictoire dans la procédure

civile actuelle1347. La proportionnalité, qui l’influence, est à présent appliquée en tenant aussi

compte de la bonne administration de la justice en général, et non uniquement du dossier.

L’adoption en 2009 d’un nouveau régime de gestion de telles questions absorbe les développements

imposés par la révision de 2003 et préfigure les développements à venir. Le Code de 2016

reformule plusieurs des règles de la procédure civile et amplifie l’influence du principe directeur de

la proportionnalité. Cela ne signifie pas que le principe directeur de la contradiction a perdu sa place

centrale dans le Code. Toutefois, les stratégies à employer pour réaliser l’objectif ainsi codifié

devront aussi tenir compte des autres principes.

L’influence d’autres principes pourrait d’ailleurs jouer un rôle dans l’adaptation potentielle du

principe directeur de la contradiction, comme elle l’a fait dans l’établissement des principes étudiés

et reconnus aujourd’hui. L’expression de la volonté des parties, par exemple, est encore centrale

dans notre compréhension de la procédure civile et du droit en général1348. Nous avons établi que la

définition et les contours des principes directeurs peuvent se modifier avec l’avènement de

conceptions nouvelles de la procédure civile. Le principe de la maîtrise de son dossier par la partie

en est une image, mais cette redéfinition existe dans d’autres domaines. Ainsi, le débat entre

l’abolition ou l’attachement à un principe comme celui de la contradiction est engagé. Pour ceux

qui réagissent à une certaine perception du principe en tant que tel et à son expression, il apparaît

comme un encouragement au maintien d’un «système adversarial». Ils se déclareraient néanmoins

tenants de la maxime audi alteram partem, affirmée à l’article 5 C.p.c. et, depuis 1975, dans la

Charte des droits et libertés de la personne1349. Il est nécessaire d’être prudent en maniant ces

concepts, car ils recouvrent des réalités multiples et mouvantes. Le principe directeur dont la

1347 Incidemment, l’application de l’idée de proportionnalité en droit judiciaire tend à «égaliser» le débat sans égard aux

ressources respectives des parties, en limitant les obstacles retardant l’obtention d’un jugement sur le fond du litige

lorsque la cause a moins de valeur. 1348 Par exemple, l’importance accordée à l’autonomie de la volonté des parties en matière de droit international, voir

GreCon Dimter inc. c. J.R. Normand inc., [2005] 2 R.C.S. 401, 2005 CSC 46 (CanLII), par. 18 à 38. 1349 Charte des droits et libertés de la personne, L.Q. 1975, c. 6, art. 23.

Page 321: L'évolution et la structuration des principes directeurs

311

définition est proposée dans cette étude se marie facilement à une conception de la procédure civile

influencée par la proportionnalité. Il peut trouver sa marge d’expression essentielle et fondamentale

à notre système judiciaire tout en s’harmonisant au développement d’une fonction judiciaire élargie

et à une culture judiciaire influencée par de nouvelles priorités.

L’interaction du principe directeur de la contradiction avec d’autres principes directeurs spécifiques

fait aussi évoluer la compréhension de la règle qui le traduit. Plusieurs de ces interactions existent

de longue date, comme c’est le cas avec le principe directeur de la maîtrise de leur dossier par les

parties. La perception de la relation entre le principe directeur du contradictoire et celui de la

maîtrise de leur dossier par les parties s’apparente souvent à celle d’une relation de

complémentarité. En effet, ces deux principes anciens sont issus de la même philosophie qui a

inspiré la codification de 1867, et qui mettait l’accent sur le libéralisme1350. L’obligation d’entendre

chacune des parties et celle de leur confier la maîtrise de leur dossier présentent des traits communs

avec ce courant de pensée, et leur parenté dans un tel contexte est évidente. L’effritement partiel de

cette idéologie1351, sous la pression de la montée des droits collectifs et de l’intervention accrue de

l’État, n’a pas suffi à retirer toute légitimité à ces principes directeurs procéduraux qui conservent,

nous l’avons vu, une pertinence intrinsèque. D’autres principes ont des effets différents. Il est

possible de considérer certaines approches actuelles, basées sur la conciliation, comme un moyen de

faire évoluer le système judiciaire en intégrant dans sa structure des valeurs différentes. L’idée de la

nouvelle culture judiciaire passe peut-être aussi par l’atténuation de caractéristiques trop tranchées

de l’ancien système, atténuation qui permettrait l’épanouissement d’un environnement différent de

règlement des conflits, judiciairement ou autrement.

Dans l’ensemble, pourtant, il est bon de faire deux mises en garde compte tenu de l’évolution des

principes directeurs étudiés. Premièrement, une décision d’introduire des éléments particuliers dans

une branche du droit afin de «changer» la culture judiciaire nécessite des ajustements lorsqu’elle est

prise dans le but de rompre avec le passé, comme c’est le cas dans la plus récente réforme du Code.

Au moment de sa mise en œuvre, elle ne doit pas être rendue inefficace par commodité ou pour s’en

tenir à des façons de faire anciennes qui méritent d’être réévaluées avant d’être conservées ou non.

Il est bon de remarquer que le discours concernant le changement culturel n’est pas nécessaire pour

1350 Au sujet de l’idéologie de l’ancien Code civil, considérer les remarques de P.-A. Crépeau, «Préface», dans Office de

révision du Code civil, Rapport sur le Code civil du Québec, volume I : Projet de Code civil, Québec, Éditeur officiel du

Québec, Bibliothèque nationale du Québec, 1978, p. XXVIII; J. Pineau, «La réforme d’un Code civil», dans S. Lortie., N.

Kasirer, J.-G. Belley, Du Code civil du Québec, Contribution à l’histoire immédiate d’une recodification réussie,

Montréal, Thémis, Université de Montréal, 2005, p. 235. 1351 Dès l’abord, les commissaires indiquent le changement culturel et économique à prendre en considération : P.-A.

Crépeau, supra note 1350, p. XXVI.

Page 322: L'évolution et la structuration des principes directeurs

312

que cette mise en garde soit juste. Les modifications apportées au Code en vertu de la réforme de

1966 résultaient aussi en un changement des façons de faire et ont rencontré ce type d’obstacle, sans

viser nommément à instaurer un «changement culturel». Par contre, nous avons vu que le

«changement culturel» peut être un effort d’une partie de la société, ou d’une autorité, pour

modifier une situation sociale donnée, ce qui serait le cas ici. Deuxièmement, un principe directeur

comme celui de la maîtrise de leur dossier par les parties ou celui de la contradiction ne peut pas

être évacué sans conséquence. Ces deux principes directeurs sont issus de la pensée libérale

présente dans le droit québécois, mais participent aussi à définir la responsabilité des juges dans le

déroulement de l’instance et surtout celle des parties dans leur cause. Dans le cadre de l’actuelle

révision, nous avons vu que cette dernière notion est cruciale. Le libre arbitre, même encadré ou

supervisé par les juges, est également à la base de l’imputabilité. Dans l’ensemble, ce n’est donc pas

nécessairement dans le choix entre un principe directeur ou un autre que se trouve la réponse à

l’évolution future de la procédure civile, mais dans l’établissement d’un équilibre bien compris

entre des principes directeurs qui peuvent parfois s’affronter pour finir par se compléter dans

certains domaines. La place des principes directeurs dans la procédure civile est, au-delà de leurs

rôles interprétatifs et de leurs autres rôles, de porter la réforme actuelle et ses valeurs, autant que

d’orienter l’évolution future de la procédure civile. Il faut donc lui conserver sa puissance et la

souplesse nécessaire pour qu’elle réponde à ce défi. Les principes directeurs doivent se moduler et

s’adapter les uns aux autres pour devenir complémentaires et permettre l’objectif premier de la

procédure civile, soit de permettre la solution des difficultés de nature juridique selon des méthodes

justes, équitables et efficaces.

L’ensemble du sujet entraîne une réflexion sur les effets de la codification ou de la non-codification

d’un principe directeur. L’absence du texte de la règle codifiant le principe du contrôle de leur

dossier par les parties, notamment, aurait-elle un effet sur l’existence du principe directeur lui-

même? Ce principe directeur a évolué dans la sphère des principes non codifiés jusqu’en 2003, ce

qui ne l’empêche pas d’avoir été particulièrement influent dans le développement de la procédure

civile et dans la structuration du Code de 1966. Un principe peut parfois, au fil du temps, se trouver

si éloigné de la réalité du droit qu’il n’est plus reconnu et n’a plus d’effet. Nous avons souligné

cette possibilité dès l’établissement de la définition du principe1352. Par contre, si la communauté

juridique continue de reconnaître le principe, et que celui-ci reflète une réalité intrinsèque du droit

judiciaire actuel, l’omission de la règle dans le Code de procédure civile n’entraîne pas

obligatoirement la fin de l’application du principe directeur en soi. La «culture judiciaire», à travers

1352 Voir à cet égard la discussion sur l’évolution du principe directeur dans l’introduction.

Page 323: L'évolution et la structuration des principes directeurs

313

ses façons de faire, ses discours, ses lois et ses réflexions, apparaît ainsi plus large que le Code lui-

même1353.

La règle codifiée est un moyen de reconnaissance d’un principe directeur. Celui-ci n’est pas réduit à

cette règle et son existence ne dépend pas nécessairement de celle-ci. Devant un tribunal, le texte

codifié a une valeur légale indiscutable. Néanmoins, avec l’introduction d’une «Disposition

préliminaire» faisant appel aux principes et aux valeurs, la communauté juridique est entrée dans

une nouvelle dimension de la procédure civile qui rend plus facile le recours à ces concepts même

s’ils ne sont pas codifiés. Pour avoir un effet sur un principe directeur qui est encore reconnu par la

communauté juridique, une décision raisonnée et prise par consensus de ne plus respecter un

principe directeur devrait être décrétée explicitement.

Ainsi, le Code peut servir et sert désormais de support à des règles exprimant des principes. Le

terme «principe directeur», jusque-là confiné à la doctrine et à la jurisprudence, est introduit dans le

code. Il est ainsi reconnu par le législateur et s’applique de plein droit. Selon notre classification,

tous les principes directeurs intégrés directement deviennent d’office des principes directeurs

codifiés. Ils sont même nommés en ce sens où un vocable faisant un consensus leur est attribué. Par

ailleurs, au regard du Code même, leur statut à titre de «principe» ne fait désormais plus aucun

doute. En revanche, il est toujours nécessaire de se référer à la doctrine et à la jurisprudence pour

établir la nature, l’étendue et l’articulation de ces différents principes directeurs entre eux, bien que

la nature centrale de leur rôle soit reconnue explicitement et participe à une nouvelle vision de la

procédure civile moderne.

1353 Voir la section suivante, page 315 et suivantes.

Page 324: L'évolution et la structuration des principes directeurs

314

Chapitre 3. Le Code réformé et l’aspiration à une

«nouvelle culture judiciaire»

Les résultats de recherche évoqués dans l’ensemble de la thèse ont montré à plusieurs reprises la

spécificité des réponses proposées dans le Code à l’environnement historique qui les a produites. Il

en va encore de même dans la réforme récente. La difficulté que fait naître un contexte socio-

économique différent pour le Code de procédure civile apparaît justement dans le conflit entre le

conservatisme et la modernisation de son contenu.

3.1. La procédure civile, le processus de recodification et ses conséquences

au XXIe siècle

En considérant la description de l’évolution et la structuration de notre système judiciaire, il

apparaît souvent que les modifications de la procédure civile naissent d’un besoin exprimé ou

implicite, ressenti par les acteurs de ce système. En revanche, ces modifications ont des causes et

des natures multiples. Par exemple, certains changements proviennent de la simple extrapolation,

soit l’application d’une mesure existante à un cas non prévu, mais qui semble adapté à l’utilisation

de ce moyen. D’autres nécessitent plutôt l’emprunt volontaire de méthodes ou de solutions à des

droits étrangers et l’intégration de ces méthodes ou solutions au droit québécois, avec les difficultés

qu’une telle opération implique. La réussite de ces divers types de changements dépend en grande

partie de leur conformité aux idées fondamentales qui définissent la procédure civile, c’est-à-dire

aux principes, plutôt qu’aux seules règles déjà établies. Elle est aussi tributaire de la réaction des

individus impliqués dans le système judiciaire à ces diverses manifestations de ce qui leur

apparaissait parfois comme un changement important –voire un changement culturel.

Comme cette thèse le soutient, le recours accru aux principes directeurs dans le cadre de la

procédure civile est un élément de la réponse choisie par les membres de la communauté juridique

québécoise pour reconnaître et intégrer la nécessaire transformation de la procédure civile.

L’évolution des principes directeurs de la procédure civile québécoise s’accélère au début du XXIe

siècle, tout comme les tensions internes du système judiciaire sont plus apparentes. L’évolution

actuelle des principes directeurs culmine avec la préparation de la seconde phase de la révision de la

procédure1354. Celle-ci est appelée à se poursuivre depuis la mise en application de la loi adoptée en

1354 Avant-projet de loi : Loi instituant le nouveau Code de procédure civile, 2e sess., 39e lég., 29 septembre 2011; PL 28,

Loi instituant le nouveau Code de procédure civile, 1re sess., 40e lég., Québec, 2013.

Page 325: L'évolution et la structuration des principes directeurs

315

février 20141355. Une fois concrétisée, la reconnaissance des principes directeurs ne signifie pas la

fin de leur influence. Au contraire, celle-ci s’intègre dans plusieurs autres aspects de la procédure

civile, notamment dans la compréhension de la fonction judiciaire. Comme le souligne la Cour

d’appel : «La procédure a changé. Autrefois les parties étaient seules maîtresses de leur dossier,

aujourd’hui le législateur fait devoir aux juges de s’y impliquer dès le début. Ce devoir

s’accompagne d’une discrétion accrue pour assurer la «proportionnalité» des moyens mis en œuvre.

Plusieurs y voient l’émergence d’une nouvelle culture judiciaire»1356. L’adoption dans la pratique

du droit de ces nouvelles méthodes se traduit par plusieurs faits. Elles peuvent avoir pour effet de

rassembler et d’unifier certains développements procéduraux antérieurs pour les orienter vers la

recherche des objectifs qu’elle propose1357.

La notion de «culture judiciaire» et la réforme, 2001 à 2016

À l’aube de la plus récente réforme de la procédure civile, celle-ci a été, ostensiblement et en

quelques mots, placée sous l’influence de l’implantation d’une «nouvelle culture judiciaire». Le

titre du rapport déposé en 2001 semblait convier à un projet ambitieux et attrayant de

renouvellement d’une «culture», ouvrant sur la possibilité d’en examiner et d’en redéfinir certains

paramètres à l’aune d’une réflexion contemporaine dans le contexte social québécois. Il est évident

que ce titre a frappé les esprits et que le concept d’une «nouvelle culture judiciaire» a souvent été

utilisé depuis pour décrire la réforme1358. À quoi la communauté juridique était-elle réellement

invitée ? En quoi consiste cette «nouvelle culture judiciaire» ? Qu’en est-il de celle-ci aujourd’hui ?

«Le Comité souhaite que la révision du Code de procédure civile permette le développement d’une

nouvelle culture judiciaire dans toute la communauté juridique», déclare le rapport, avant

d’encourager tous les membres de la communauté juridique à y apporter leur collaboration1359.

Quelques remarques s’imposent à la lecture de cette phrase. Dans un premier temps, malgré

l’impression prometteuse donnée par le titre du rapport, cette phrase prudente est l’une des rares

1355 Loi instituant le nouveau Code de procédure civile, L.Q. 2014, c. 1. 1356 Etiah H. Entreprises inc. c. Société de l'assurance automobile du Québec, 2011 QCCA 1682 (CanLII), par. 5. 1357 Cela peut être illustré par les modifications apportées depuis 2001 à l’application des mesures liées au jugement

déclaratoire en matière publique ou privée et les considérations qui s’y rattachent. Pour les suggestions voir Comité de

révision de la procédure civile, Une nouvelle culture judiciaire, supra note 7, p. 61. Pour les modifications, considérer les

articles 453 C.p.c., 141 et 142 N.C.p.c. et 259, 529 et 530 N.C.p.c., entre autres. Voir enfin Isle-Principia (USA) inc. c.

Guimond, 2010 QCCA 2133 (CanLII), par. 5. La similarité des recours est soulignée dans ce jugement et ailleurs : voir

aussi Entretien Précal inc. c. Comité paritaire de l’entretien d’édifices publics, région de Montréal, 2004 CanLII 48531

(QC CS), par. 33 (j. Gascon), par exemple. 1358 À titre d’exemple, voir la citation de la Cour d’appel mentionnée ci-dessus, p. 315. Voir, dans le même sens, Y.-M.

Morissette, «Gestion d’instance, proportionnalité et preuve civile : état provisoire des questions», supra note 1050, p. 387-

388. 1359 Comité de révision de la procédure civile, Une nouvelle culture judiciaire, supra note 7, p. 33.

Page 326: L'évolution et la structuration des principes directeurs

316

mentions du concept dans le rapport1360. De plus, elle ne prétend pas que la réforme proposée

amènera vraiment l’implantation d’une nouvelle culture judiciaire ou qu’elle constitue cette

nouvelle culture attendue. Il s’agit d’un souhait, non d’un engagement. La mesure était de mise dans

ce contexte, d’ailleurs, puisque plusieurs des propositions inspirées par exemple de la réforme

britannique –réalisée à partir du rapport de Lord Woolf datant de 1996– n’avaient pas

nécessairement subi ailleurs l’épreuve d’un long usage. Dans un second temps, il faut convenir que

le rapport du Comité ne définit pas ce que constitue une culture judiciaire, ne présente pas

explicitement ce que serait la «nouvelle» culture judiciaire comme un tout et ne décrit pas non plus

l’«ancienne» culture judiciaire. Au même titre que les rapports des autres réformes du Code, celui-

ci est un bilan des manières de faire en matière judiciaire, assorti de suggestions qui apportent des

changements à celles-ci. Les deux lois chapeautant les deux phases de la réforme visent

principalement à les instaurer. Qu’en conclure ? Ces «gestes», ces «manières de faire» que l’on

modifie sont-ils la «culture judiciaire» ? Le document initial fait aussi grand cas des «principes

directeurs» qui sous-tendent la réforme. Ceux-ci, nous l’avons vu, deviennent très présents dans le

Code. Sont-ils plutôt, ou aussi, des traits selon lesquels nous pourrions définir la «culture

judiciaire» ? Pourtant, nous avons relevé que ce document n’a pas proposé de définir officiellement

les principes directeurs ou leurs liens réels avec l’histoire procédurale, voire judiciaire, du

Québec1361. Il est vrai que, très souvent, les textes qui ne portent pas sur cette question présentent

l’évolution de la procédure civile de manière résumée. Les auteurs aspirent à établir une perspective

historique en soulignant principalement la mixité du droit judiciaire, l’influence de deux traditions

juridiques principales et en rappelant les grandes dates des réformes faites au Code et leurs

principaux apports pertinents. Tout en étant un choix approprié à une étude spécifique à un moyen

procédural, par exemple, un tel exposé explique peut-être des traits ou certaines balises d’une

«culture judiciaire» québécoise, mais il ne la définit pas –ou du moins, pas entièrement. Faut-il en

conclure que la «culture judiciaire» en tant que notion ou que concept opératoire n’a pas un contenu

donné, identifié et consciemment reconnu par l’ensemble de ceux qui la partage, ou que celui-ci soit

perçu de manière implicite pour la majorité des membres de la communauté juridique ?

L’utilisation du terme «culture» ouvre d’ailleurs la porte à de multiples interprétations. Il n’existe

pas une définition uniforme de la «culture» à la fin du XXe siècle et au début du XXIe siècle, bien

1360 Considérer à ce sujet les remarques précédentes en page 228. 1361 À cet égard, le comité déclare que, dans l’impossibilité de réaliser les études qu’il aurait souhaitées, il a néanmoins

«rencontré des sociologues ainsi qu’un historien du droit» pour entendre leurs points de vue (Comité de révision de la

procédure civile, Une nouvelle culture judiciaire, supra note 7, p. 4). Le contenu de l’une de ces consultations a d’ailleurs

donné naissance à un article prospectif d’un grand intérêt concernant les principes et la réforme de la procédure civile,

voir J.-G. Belley, «Une justice de la seconde modernité», supra note 4.

Page 327: L'évolution et la structuration des principes directeurs

317

que selon un auteur, dans un «sens étendu, qui renvoie aux modes de vie et de pensée», elle est

«largement admise»1362. Il n’en a pas été de même durant le XIXe et le XXe siècles, principalement

au niveau des sciences humaines et sociales1363. Comme le soulignait une auteure, «[l]e concept de

culture a depuis longtemps connu maintes définitions : les unes, dites anthropologiques, désignent

des faits de civilisation, de mentalités et de modes de vie ; les autres réfèrent aux œuvres et aux

représentations qui en émergent, mythes, religions, philosophies, arts et sciences»1364. Cette auteure

rappelait ensuite la tendance contemporaine des chercheurs à puiser de plus en plus dans ces deux

approches simultanément, alors que la première était autrefois considérée comme plus proche des

sciences sociales dans leur définition classique, la seconde étant plutôt présente dans les études

littéraires, philosophiques, etc. En effet, la pertinence des mythes et représentations dans le

développement social, par exemple, et par conséquent leur présence dans les études historiques,

anthropologiques ou sociologiques, n’est plus à démontrer. En ce sens, la remarque du juge

Morissette à propos de la nature sociologique de la culture, qui ne peut pas être réduite à un Code,

et dont la modification telle qu’elle est souhaitée nécessitera l’implication mobilisée et volontaire

des acteurs du monde judiciaire, rejoint cette réflexion1365. Dans le cadre de notre étude, nous avons

parfois fait référence, implicitement ou plus explicitement, aux représentations collectives, à la

structuration, aux mentalités, afin de rendre compte de la dimension «culturelle» de la procédure

civile intégrée dans nos questions de recherche. Quels liens pouvons-nous vraiment établir entre

«culture», «droit judiciaire» et «procédure civile» ?

Dans l’optique où la procédure civile et le droit judiciaire sont des émanations de la société

québécoise, marquées par son histoire, il est possible d’argumenter qu’ils font tous deux parties de

la culture québécoise. Nous avons pu constater ce fait bien avant l’époque contemporaine,

notamment devant l’attitude protectionniste face au droit civil de la fin du XIXe siècle et du début

du siècle suivant1366. Par ailleurs, le savoir-faire d’un groupe ou d’une société, la manière dont ils

exercent certaines tâches, leurs formes de regroupement ou de sociabilités ou encore les outils qu’ils

utilisent présentent aussi, aux yeux de plusieurs chercheurs, des aspects culturels1367. En tant

qu’outil destiné à appliquer la procédure civile, en tant que savoir-faire professionnel des juristes

1362 D. Cuche, supra note 73, p. 4. 1363 Id., p. 7-67. 1364 D. Lemieux, «Vingt-cinq ans de recherches sur la culture au Québec», dans D. Lemieux (dir.), Traité de la culture,

Québec, Éditions de l’IQRC/Presses de l’Université Laval, 2002, p. 5-6. 1365 Y.-M. Morissette, «Gestion d’instance, proportionnalité et preuve civile : état provisoire des questions», supra note

1050, p. 387-388 et 412-413. 1366 Voir le court développement en page 137. 1367 Voir par exemple, dans une approche très superficielle, les remarques de Denys Cuche sur les «cultures de classes» ou

la «culture d’entreprise», D. Cuche, D. Cuche, supra note 73, p. 76-81 et 100-107 ou d’Antoine Prost, A. Prost, A. Prost,

«Sociale et culturelle, indissociablement», supra note 127, p. 132-137.

Page 328: L'évolution et la structuration des principes directeurs

318

québécois ou de ceux qui s’adressent à «la justice», la procédure civile et surtout son Code peuvent

aussi être considérés comme des objets culturels. D’ailleurs, les moyens utilisés par toute société

pour régler ses conflits internes appartiennent à sa culture. Le système judiciaire et ses

composantes, y compris la procédure civile en elle-même, sont aussi une partie des «institutions

sociales» qui définissent une société et participent à son développement, y compris dans l’optique

culturelle. Des représentations collectives (de la «justice», du «juge», de l’«avocat(e)», entre

autres), autant qu’une influence sur les mentalités et réciproquement de ces mentalités sur

l’institution, peuvent en découler. Il n’est pas douteux que cette thèse ait pour objet un phénomène

«culturel», par-là même susceptible de subir un «changement culturel», dans une approche héritière

de la réflexion des sciences humaines et sociales. Dans le cadre de la thèse, nous avons choisi

d’utiliser cette approche plus «scientifique» qui fait de la procédure civile et du droit judiciaire des

objets de recherche culturels. Puisque le discours sur la «culture judiciaire» tend généralement à

considérer qu’il existe une véritable «culture judiciaire» distincte, nous avons jusqu’ici analysé

celui-ci dans ce sens, comme s’il traduisait réellement cette existence.

En revanche, le système judiciaire ou la procédure civile telle que définie par le Code, fondent-ils

en eux-mêmes «une culture» de nature «judiciaire» ? Y a-t-il réellement une «culture judiciaire»

québécoise ? Ce serait plausible, puisque des spécialistes reconnaissent l’existence des «cultures

savantes» ou des «cultures populaires», des «cultures de masse» ou de groupes, etc. Peut-être

l’utilisation du terme «culture judiciaire» subit-elle l’influence d’une tendance actuelle à subdiviser

«la culture» d’une société pour privilégier l’identification d’une multitude de cultures qui la

composent. Auquel cas, pourrait-on reconnaître que la «culture judiciaire» est complète en elle-

même, qu’elle constitue une culture incluse dans la culture juridique, plus vaste, ou dans la culture

québécoise ? Faudrait-il, également, la subdiviser selon les domaines de droit, les districts

judiciaires, voire les universités qui l’enseignent ou les cabinets qui la pratiquent, pour tenir compte

des nuances et des adaptations qui peuvent naître de l’apport de chacun ? La réflexion est vaste.

Lorsque les membres du Comité ont fait brièvement allusion à une «culture judiciaire», que

désignaient-ils ?

Le professeur Daniel Jutras a suggéré qu’il s’agissait principalement d’une «culture du contentieux,

[…] une culture bureaucratique et professionnelle, en marge des enjeux identitaires traditionnels du

droit québécois»1368. Celui-ci a défendu par ailleurs l’existence de plusieurs cultures «du droit

processuel» au Québec, principalement réparties entre trois strates, où culture politique, culture

1368 D. Jutras, «Culture et droit processuel : le cas du Québec», supra note 699, p. 276.

Page 329: L'évolution et la structuration des principes directeurs

319

professionnelle, culture normative composeraient la «culture juridique officielle»1369. Dans son

article, tiré d’ailleurs de son intervention auprès du Comité, le professeur Jean-Guy Belley discute

aussi des composantes modernes de la «culture juridique»1370. Soutenant que la justice qu’il définit

comme issue de «la première modernité» est en déclin, il propose de nouveaux fondements pour

une justice civile plus intégrée aux valeurs du XXIe siècle. Sa vision de la justice «de la première

modernité» s’appuie sur cinq traits principaux. Il décrit ainsi une justice liée à au procès

contradictoire devant un arbitre neutre, basée sur une représentation «professionnelle» de chaque

composante (avocats, juges, jury, …) et dont le fonctionnement s’appuie sur la spécialisation et la

«division du travail», et cette justice, qui émane principalement de l’État, se conçoit en marge de la

société, c’est-à-dire qu’elle se constitue dans un milieu particulier, incluant un «lieu», un «temps»,

un «rituel» particuliers1371. Quant à la justice de «la seconde modernité», celle-ci est présentée

comme s’appuyant sur une conception «sociétale et réflexive» de la justice et c’est pour l’implanter

que l’auteur propose des «principes» dont plusieurs ont servi de base à la rédaction de la

Disposition préliminaire, à certains des «principes directeurs» et à des articles d’application

générale dans le nouveau Code1372. En tant que réflexion inspiratrice, cette dernière approche a son

importance, même si la réflexion sur la «culture juridique» n’est pas reprise explicitement. Celle-ci,

de par le nom même que lui donnent les auteurs, pourrait être beaucoup plus vaste que la «culture

judiciaire» abordée par le rapport de 2001. Ainsi, ce serait plutôt vers le droit «du contentieux»,

vers l’application devant le tribunal et un peu vers l’acceptation plus large des méthodes de

prévention et de règlement des différends qu’il faudrait se tourner pour comprendre les allusions à

la «culture judiciaire» du rapport. C’est certainement aussi dans le domaine des méthodes liées au

contentieux, aux applications au jour le jour de la réforme, que nous recensons le plus de

résistances, comme nous l’avons constaté dans notre étude1373. Cela constitue-t-il une «nouvelle

culture judiciaire» ? Il serait difficile de l’affirmer. Le but premier reste de produire un Code, objet

culturel sans doute, composante essentielle dans la constitution d’une culture judiciaire en milieu

civiliste, certes, mais ce Code ne génère pas à lui seul «la» culture en question. Nos travaux

recoupent les affirmations du professeur Belley : le changement est déjà amorcé au moment où le

rapport est publié. Ce dernier vise à le soutenir, voire à l’orienter selon une vision définie par «le

législateur», afin de lui faire produire certains effets pratiques, tels que l’économie des coûts et la

1369 Id., p. 276-279. 1370 Voir les propos de J.-G. Belley, «Une justice de la seconde modernité», supra note 4, aux pages 347 à 349, entre

autres. Il utilise à plusieurs reprises le terme «culture juridique» et une seule fois l’expression «culture judiciaire» et son

argumentation, bien que centrée sur le système judiciaire, se base effectivement sur une étude touchant un domaine plus

vaste que le seul droit procédural. 1371 Ceci résume très brièvement les critères énoncés par le professeur Belley : Id., p. 336-337. 1372 Id., p. 354-368. 1373 Voir également les propos du professeur Jutras à cet égard (Id., p. 287-288 notamment).

Page 330: L'évolution et la structuration des principes directeurs

320

réduction des délais, aspirations de la majorité les réformateurs du système judiciaire. Il tente aussi

de l’intégrer dans une nouvelle approche terminologique et idéologique qui s’appuie sur des

«principes directeurs» et qui se veut mobilisatrice et contemporaine. Le juge Morissette a d’ailleurs

relevé que cette réforme nécessite de «rejoindre les acteurs et de les persuader qu’un changement de

mentalité est souhaitable»1374.

L’impossible bilan et les aléas de la transition

En matière culturelle, comment est donc envisagé le droit de la procédure civile pour nécessiter une

modification telle que celle qu’il a connue de 2001 à 2016 ? Au début du XXIe siècle, la définition

du droit de la procédure civile entraîne certains juges à exposer diverses considérations concernant

les usages pratiques et l’application du droit procédural. Ces énoncés ont des répercussions tant sur

la compréhension de l’application du droit que sur la définition de la fonction judiciaire. Les

explications du juge LeBel, de la Cour suprême, dans l’arrêt Lac d'Amiante Québec c. 2858-0702

Québec Inc. en 2001 en sont un exemple. Sa définition du Code de procédure civile est relativement

classique lorsqu’il indique que ce Code «contient l’ordonnancement législatif du droit

processuel»1375. Il explique cette notion en affirmant que le Code «édicte l’ensemble des principales

règles de procédure civile quant à la compétence des tribunaux, à l’institution des actions

judiciaires, à leur mise en état, à la conduite de l’audience, au jugement et à son exécution»1376. Le

juge développe des thèmes similaires près d’une décennie plus tard, rappelant que la procédure

civile «est composée principalement de dispositions adoptées par l’Assemblée nationale, et figurant

dans le C.p.c., et non de règles établies par les tribunaux»1377. Le Code, donc la loi, est présenté

comme la «principale source» du droit procédural1378. Il précise cependant que le phénomène de la

codification de la procédure civile «n’a pas pour autant détaché complètement celle-ci du modèle de

common law»1379, réalité illustrée par le fait que la «structure du système judiciaire demeure

pratiquement la même»1380 que dans l’ancien système inspiré de la common law et que les cours

supérieures sont protégées constitutionnellement1381. Il insiste surtout sur un aspect plusieurs fois

affirmé, mais parfois oublié : la procédure civile n’est pas entièrement comprise dans le Code1382.

Celui-ci «laisse place aux règles de pratique. Il permet également aux tribunaux d’intervenir de

1374 Y.-M. Morissette, «Gestion d’instance, proportionnalité et preuve civile : état provisoire des questions», supra note

1050, p. 387-388. 1375 Lac d'Amiante Québec c. 2858-0702 Québec Inc., 2001 CSC 51, [2001] 2 R.C.S. 743, par. 36 (j. LeBel). 1376 Ibid. 1377 Globe and Mail c. Canada (P.G.), 2010 CSC 41 (CanLII), [2010] 2 R.C.S. 592, par. 30 (j. LeBel). 1378 Ibid. 1379 Ibid. 1380 Ibid. 1381 Ibid. 1382 Ibid.

Page 331: L'évolution et la structuration des principes directeurs

321

manière ciblée et leur confère le pouvoir de rendre des ordonnances adaptées au contexte particulier

des causes dont ils sont saisis, notamment en vertu des art. 20 et 46 du C.p.c.»1383. Ce discours et

l’adhésion relativement importante de la communauté juridique à celui-ci permettent de considérer

que la conception générale du texte structurant de la procédure civile semble assez constante depuis

la codification mise en vigueur en 1866, une constatation révélatrice de la permanence de notre

représentation de la justice civile. En effet, si son fonctionnement et sa réalité en pratique ont

beaucoup changé, sa symbolique et le discours descriptif général de ses buts, eux, s’ancrent toujours

dans une image qui a, somme toute, peu varié. Ce phénomène est intéressant et révélateur.

Pourtant, dans les faits, la situation de la procédure civile et celle des tribunaux posent de nombreux

défis. Les auteurs québécois parlent de réactions critiques face au système judiciaire1384, voire de

«crise» de la justice civile1385 comme nous l’avons évoqué à l’échelle occidentale. Les aspects de

cette problématique sont ainsi pris en compte dans le développement proposé de la procédure civile.

En 2001, le rapport du comité de révision souligne que le droit relié à l’exécution des jugements,

entre autres, reflète une réalité sociale d’une époque révolue, où le contenu du patrimoine des

individus était très différent de celui du patrimoine de la majorité des citoyens d’aujourd’hui1386.

Dans un tel contexte, le projet de révision est empreint d’une idée de «modernisation» du Code,

traduisant l’espoir qu’il se conformera davantage aux besoins et aux réalités de notre époque. Ce

concept influence certains choix faits par le législateur et encourage l’utilisation de formes

1383 Ibid. 1384 J. Guilbaut, «Les moyens alternatifs de résolution de conflits en matière civile et commerciale dans une perspective de

réforme du Code de procédure civile», (1999) 40 C. de D. 75, 77; D. Jutras, «Culture et droit processuel : le cas du

Québec», supra note 699, p. 279-285; J.-G. Belley, «Une justice de la seconde modernité», supra note 4, p. 319-320;

Observatoire du droit à la justice, Mémoire de l’Observatoire du droit à la justice, Présenté à l’Assemblée nationale dans

le cadre de la consultation générale et des auditions publiques sur l’Avant-projet de loi instituant le nouveau Code de

procédure civile, mémoire présenté à la Commission des institutions de l’Assemblée nationale, Québec, 2011, p. 15-16 (à

propos de l’intérêt de modes privés de règlement amiable d’un différend, notamment). 1385 Voir par exemple P.-C. Lafond, L’accès à la justice civile au Québec : Portrait général, supra note 839, p. 7.

Considérer aussi la section de la médiation judiciaire du site internet de la Cour d’appel du Québec, où il est question

d’une «crise que traverse le système classique de justice civile» qui «trouve son origine dans de multiples facteurs qui

tiennent tantôt à la lourdeur du débat contradictoire devenu, à certains égards, dépassé, tantôt aux défaillances

institutionnelles du système lui-même» (tribunaux.qc.ca/c-appel/ModeAlt/Mediation/mediation.html, consulté le 2012-06-

15). D’autres auteurs se montrent un peu sceptiques à cette idée, percevant un mouvement d’insatisfaction permanent,

mais fluctuant : Y.-M. Morissette, «Gestion d’instance, proportionnalité et preuve civile : état provisoire des questions»,

(2009) 50 C. de D. 381, 384-385; C. Piché, «L’équité procédurale», dans P.-C. Lafond et B. Moore, L’équité au service

du consommateur, Cowansville, Yvon Blais, 2009, p. 75. Dans le cadre des journées Maximilien-Caron en 2009, Pierre

Noreau a proposé notamment un survol de quelques problèmes profonds du système judiciaire qui rejoint les réflexions

sur les causes de la «crise» de la justice. (P. Noreau, «Avenir de la justice : des problèmes anciens… aux solutions

prochaines», dans P. Noreau (dir.), Révolutionner la justice : Constats, mutations et perspectives (Les journées

Maximilien-Caron 2009), Montréal, Thémis, 2009, p. 3-6.) 1386 Comité de révision de la procédure civile, Une nouvelle culture judiciaire, supra note 7, p. 220-221. Voir aussi D.

Jutras, «Culture et droit processuel : le cas du Québec», supra note 699, p. 276-277; J.-M. Brisson, La formation d’un

droit mixte, supra note 12, p. 22. Des auteurs ont aussi souligné une inadéquation plus ou moins grande entre la réalité

contemporaine du droit et une partie de la réflexion à son sujet, voir par exemple J.-G. Belley, «Une justice de la seconde

modernité», supra note 4, p. 319-320, ou, implicitement, F. Ost, «Jupiter, Hercule, Hermès : trois modèles de juge», supra

note 60, p. 35.

Page 332: L'évolution et la structuration des principes directeurs

322

procédurales particulières. L’analyse permet de constater qu’il s’agit aussi d’un argument important

pour soutenir le discours entourant les changements proposés et leurs effets. Il a déjà été noté, par

contre, une tendance au conservatisme dans l’évolution du Code de 1966. De fait, l’impression que

le système judiciaire comprend des caractéristiques d’ancienneté transparaît souvent dans les études

critiques de la fin du XXe siècle et du début du XXIe siècle1387. Il est tout aussi révélateur de garder

à l’esprit cet enracinement dans la tradition juridique en matière de changement culturel.

Par ailleurs, il est bon de s’interroger sur la place réservée à l’«effet de codification» dans la

réflexion sur l’élaboration du nouveau Code. L’«effet de codification» est une notion qui rappelle

que la codification, en cristallisant les règles, leur donne une forme précise et impose des limites à

leur interprétation. Ainsi, l’intégration au Code définit l’environnement d’application d’une règle

empruntée. Celle-ci doit s’interpréter désormais dans le contexte du droit qui l’adopte, soit le

contexte du Code de procédure civile, voire du droit civil québécois1388. La reconnaissance

législative d’idées porteuses comme la diminution du formalisme ou, par ailleurs, des principes

directeurs, à travers leur énonciation par des règles codifiées a des impacts à la fois sur la façon

dont l’application de telles idées et de ces principes directeurs est faite et sur leur portée, de même

que sur l’emploi de ces règles spécifiques. Cette reconnaissance traduit ainsi une volonté législative.

En effet, l’introduction ou la modification d’une règle dans un code peut répondre à une décision

stratégique, car la nature du texte, comme celle de la règle, peut participer à la construction du

changement de culture espéré et l’orienter. Cependant, des interrogations peuvent naître. À titre

d’exemple, les articles faisant traditionnellement référence aux pouvoirs inhérents de la cour

montrent l’intérêt de conserver la possibilité de recourir aux anciennes racines d’un texte codifié.

Leur application s’est progressivement enrichie en référence avec le droit d’origine britannique où

ces pouvoirs ont leurs racines. La révision prévoit-elle qu’à l’avenir, ces pouvoirs seront limités par

le Code, malgré les exemples montrant que ces pouvoirs n’ont pas tous été codifiés dans le passé –

et ne l’ont pas été dans leur entièreté? Qu’advient-il alors de la possibilité d’évolution du droit

judiciaire, de la fonction judiciaire? Doit-elle se limiter uniquement au Code, puisque l’univers

civiliste ne se limite pas au Code?

Et si telle est bien l’interprétation choisie, par analogie, qu’en est-il des principes directeurs

codifiés? La règle codifiée, dont nous avons considéré qu’elle était un outil permettant de traduire le

1387 J.-G. Belley, «Une justice de la seconde modernité», supra note 4, p. 319-320. 1388 La référence au droit d’origine peut être enrichissante et permettre de vivifier l’interprétation de la règle si le besoin

s’en fait sentir, mais nous avons souligné que la règle ou le principe intégré au Code doit être interprété prioritairement en

lien avec son environnement adoptif et dans le sens de celui-ci. Cependant, la seule existence d’un Code n’empêchait pas

de nouveaux emprunts à d’autres systèmes juridiques. Il est intéressant de comparer ceci, notamment, avec les effets de la

codification sur les règles en 1867 ou la Disposition préliminaire et ses possibles incidences dans ce contexte.

Page 333: L'évolution et la structuration des principes directeurs

323

principe dans une forme qui le rende applicable, ne détaille pas toutes les facettes de celui-ci, car le

principe directeur est généralement plus large que la règle. Nous avons pu nous convaincre que la

codification ne rend pas le principe directeur statique. Il continue d’évoluer et son application

comme sa pertinence se modifie1389. Est-ce à dire que le mode d’expression de la règle peut entraver

l’application et l’évolution du principe directeur? Est-ce à dire également qu’un principe

embryonnaire, latent ou innommé, n’étant de toute évidence pas codifié, n’a pas de pertinence? Il

semble qu’à cet égard, l’usage de l’expression «tradition civiliste» dans la Disposition préliminaire,

entendue comme la «tradition civiliste québécoise» plutôt que «Code de procédure civile», doit

indiquer une forme de souplesse. Si celle-ci s’applique envers l’évolution des principes directeurs,

est-il impossible de soutenir que l’usage du même sens et d’une certaine souplesse puisse aussi

bénéficier aux cas ou aux règles nécessitant un recours à la common law –un recours contrôlé,

assorti peut-être des limites dont une partie été esquissée ici à titre de réflexion? Ces

questionnements ne sont que des exemples de ceux qui peuvent naître de l’observation du processus

de recodification du début du XXIe siècle. De toute évidence, les implications de la codification des

principes directeurs sont loin d’être toutes déterminées et la culture judiciaire demeure pour

l’instant dans une situation de transition. Cela explique peut-être en partie l’expression fragmentée

qu’elle offre parfois aux acteurs du système judiciaire. L’interprétation du Code dans les prochaines

années apportera sans doute une contribution importante à un tel débat.

L’adoption d’un Code de procédure civile entièrement réformé est trop récente pour qu’il soit

possible de tirer des conclusions définitives sur son impact culturel en procédure civile. Il apparaît

que la première phase de la réforme a permis l’implantation de nouvelles façons de faire,

notamment rattachées au principe directeur de la proportionnalité, qui tentent d’assurer la

réalisation des attentes qui entouraient le projet de réforme de 20011390. De la même façon, il semble

1389 Il nous a semblé avantageux de considérer à titre comparatif les réflexions du professeur Patrick Morvan sur «la

consécration manquée» de la codification de certains principes en droit privé français, surtout lorsque le contenu

jurisprudentiel en est retiré. Dans cette section, l’auteur se réfère notamment à la consécration des principes du

contradictoire et de la publicité des débats, dans les années 1970, qui ont nécessité des réflexions et modifications aux lois

initiales avant d’en arriver à une consécration réussie. Il conclut : «[l]e parcours d’un règlement qui prétend consacrer un

principe et bouleverser la portée que lui confère la jurisprudence est semé d’embûches. Le pouvoir règlementaire n’est pas

souverain à l’intérieur même de la sphère de compétence que la Constitution lui attribue. Il ne peut faire fi de la

conception que le juge adopte du principe concerné et doit respecter ses traits jurisprudentiels majeurs. À défaut, il expose

ses règles à une ineffectivité orchestrée par le juge judiciaire ou une nullité prononcée par le juge administratif. Ces deux

gardiens de la légalité lui feront de conserve manquer sa tentative de consécration.

La marge de liberté du droit écrit exerçant une action de consécration sur les principes est étroite. Cette impression se

vérifie d’autant plus que la loi se heurte elle-même à l’impossibilité d’abroger des principes.»

P. Morvan, supra note 74, p. 732-733 (références omises). Il s’agit évidemment d’un contexte civiliste français où les

principes sont établis par la Cour de cassation. L’évolution des principes directeurs n’est pas identique en droit français et

québécois, mais la jurisprudence et la doctrine jouent un rôle dans sa montée, sa reconnaissance et son application. 1390 Ministère de la Justice du Québec, Rapport d’évaluation de la Loi portant réforme du Code de procédure civile, supra

note 1021, voir par exemple les pages 25-26 concernant le délai de rigueur et la conférence de gestion.

Page 334: L'évolution et la structuration des principes directeurs

324

que l’usage de la conférence de règlement à l’amiable génère auprès des usagers un haut degré de

satisfaction1391. Par contre, à tort ou à raison, la perception populaire du système judiciaire comme

un lieu d’accès difficile, principalement en raison des coûts engendrés, persiste1392. Une telle

perception est-elle de nature à aider ou entraver l’évolution du Code réformé ? Cela reste à évaluer

à long terme. Aura-t-elle une incidence sur le jugement porté sur la réforme et sur le bilan qui en

sera fait un jour ? Il est probable que, dans ce cas particulier, le chercheur ayant observé l’évolution

du système judiciaire sur une longue période puisse anticiper que oui, sans pouvoir dire exactement

dans quelle mesure. En effet, même réformé, le Code est autant héritier de son passé que porteur

d’une certaine forme de réflexion sur les besoins immédiats de la société et d’une conception de

l’avenir qui doit aussi jouer de prudence.

3.2. La procédure civile et le changement culturel, de l’image à la réalité

Le changement culturel en procédure civile et la fonction judiciaire

La fonction judiciaire a été étendue dès 1966, bien que son contenu n’ait pas été bouleversé par

l’adoption de ce Code. L’évolution jurisprudentielle progressive a eu le même effet. Les pouvoirs

du juge se sont accrus et ont parfois acquis une portée plus large1393. La représentation développée

de la fonction judiciaire et du rôle des tribunaux intègre donc parfois une nouvelle notion, comme

en matière de jugement déclaratoire. Par contre, l’évolution de ce recours étant récente et en

l’absence d’un changement philosophique profond en 2003, le rôle du juge à ce moment est surtout

cristallisé. Les modifications instaurées en 2003 ont en effet élargi en général la fonction judiciaire

du juge de première instance, mais dans un esprit de continuité. Le travail d’analyse du juge devient

plus complexe. Celui-ci doit inclure des considérations délicates et subtiles sur l’application des

divers principes directeurs : ceux de l’absence de formalisme indu en matière de procédure civile,

de la proportionnalité, du droit des parties d’être entendues, du droit d’être maîtresses de leur

dossier tout en étant aussi responsables de leurs choix procéduraux. Le Code de 2016, pour sa part,

produit un effet de cristallisation semblable à celui de son prédécesseur en ce qui a trait au rôle du

juge. L’évolution du Code de procédure civile, dans le cas du jugement déclaratoire par

1391 J.-F. Roberge, Rapport de recherche sur l’expérience des justiciables et avocat à la Cour supérieure du Québec et à

la Cour du Québec, supra note 1250, p. 8. 1392 Voir par exemple P. Noreau et P. Craig, «Ouvrons les portes du système de justice civil», dans La Presse, 28 juin

2018 (plus.lapresse.ca/screens/17b36264-d581-4f8e-8729-9835870765ba__7C___0.html, consulté le 2019-03-01). 1393 C’est le cas en matière de jugement déclaratoire, voir les remarques en page 170.

Page 335: L'évolution et la structuration des principes directeurs

325

exemple1394, a contribué à remanier quelque peu la définition de la fonction judiciaire et a donné

aux magistrats la possibilité d’adapter l’exercice de celle-ci.

Ceux-ci exerçaient déjà un rôle dans l’aménagement de leur pouvoir et l’ont poursuivi. Outre les

exigences du Code et l’influence des principes directeurs, les juges aménagent aussi leurs fonctions

et l’application de leurs pouvoirs à travers les règles de pratique1395 et appelées depuis 2016

règlements, applicables à l’ensemble des juges des divers tribunaux judiciaires. Certains de ces

pouvoirs touchent à la gestion des instances et se conforment à la fonction traditionnelle du juge,

qu’ils viennent préciser. À titre d’exemple, ce règlement confère explicitement au juge le pouvoir

d’accorder ou non la permission de consulter un dossier médical ou un rapport d’expert1396, des

pouvoirs quant au traitement des dossiers inactifs1397. L’autonomie du juge lors de l’audition des

instances et dans la reconnaissance de plusieurs de ses pouvoirs liés à cette instance est aussi

affirmée1398. Le règlement a également été utilisé pour reconnaître des pouvoirs particuliers au juge.

Parmi ceux-ci, comme nous l’avons vu précédemment, des modifications y sont apportées pour

prévoir et baliser les pouvoirs du juge en matière de quérulence en 20031399.

De même, l’utilisation de la jurisprudence comme espace discursif confère aux magistrats la

possibilité de seconder les intentions de réforme exprimées dans le Code de procédure civile –ou de

les infléchir progressivement, dans certains cas. Un tel pouvoir ne s’exerce pas sans contrôle.

Comme le signale un magistrat de la Cour d’appel, les juges «peuvent être tentés de vouloir se

servir des nouvelles dispositions et des pouvoirs qu’elles leur confèrent, souvent à fort contenu

discrétionnaire, pour faire avancer les choses plus vite et même forcer un changement de culture

juridique»1400. La Cour d’appel a rappelé à plus d’une reprise que le juge de première instance ne

peut pas s’inspirer des articles 4.1, 4.2 et 4.3 C.p.c. pour mettre de côté la procédure civile codifiée,

ajoutant parfois que la perception que justice est rendue reste un facteur important à prendre en

1394 En effet, dans le Code de 2016, les critères d’analyse à appliquer sont modifiés, mais cela ne change pas le rôle

conféré au magistrat, voir art. 9 al. 1 et 142 N.C.p.c., en particulier. 1395 Règlement de procédure civile, R.L.R.Q., c. C-25, r. 11 (ci-après R.p.c.(C.S.)). 1396 Art. 3 R.p.c.(C.S.) : considérer le nouvel article 16 R.C.s.(m.c.). 1397 Art. 16 R.p.c.(C.S.) et voir à cet égard art.30 R.C.s.(m.c.), dont le libellé paraît un peu plus restrictif. 1398 Art. 25 R.p.c.(C.S.). Comparer avec l’article 29 R.C.s.(m.c.), mais celui-ci est lié à l’article 174 N.C.p.c. et traite de

«mentions inexactes à la déclaration de dossier en état». Considérer également l’art. 26 R.p.c.(C.S.) et les articles 26 et 27

R.C.s.(m.c.). 1399 Art. 84 et suiv. R.p.c.(C.S.) et art. 68 à 75 R.C.s.(m.c.). 1400 Cosoltec inc. c. Structure Laferté inc., 2010 QCCA 1600 (CanLII), par. 53 (j. Dalphond). Il est intéressant dans ce

contexte de considérer les remarques de Séverine Menétrey concernant le «changement dans la continuité» proposé par le

nouveau Code et son interprétation à l’effet que ce changement se fera nécessairement à un rythme plus lent que prévu : S.

Menétrey, «Vous avez dit «procédure civile»?», dans S. Guillemard (dir.), Le Code de procédure civile : quelles

nouveautés?, Montréal, Yvon Blais/Les Cahiers de droit, 2016, p. 342-343.

Page 336: L'évolution et la structuration des principes directeurs

326

compte1401. La discussion sur le rôle créateur des juges qui s’exerce à travers les règles de

pratique1402 présente une relative analogie avec ce questionnement1403. De telles réflexions sont

nécessaires : l’apport des juges de la Cour supérieure à l’évolution procédurale peut emprunter

certains canaux, mais doit être maintenu dans les limites de sa fonction et du cadre où elle s’exerce.

La Cour suprême l’a rappelé en indiquant la distinction entre le rôle relativement passif du juge et le

rôle actif des parties dans la «recherche de la vérité»1404. Les parties doivent obtenir et présenter la

preuve, le magistrat exerçant plutôt des pouvoirs lui permettant de «contrôler le processus de

communication de la preuve, d’en établir les modalités et d’en fixer les limites»1405.

L’élargissement de la fonction judiciaire n’est pas uniquement dû à un phénomène d’entraînement,

et n’est pas qu’un corollaire de l’évolution procédurale. La conscience de ces changements et la

réflexion faite par les acteurs du système judiciaire apportent des éléments pertinents à l’explication

du phénomène qui affecte l’ensemble du monde juridique et de la société. Il s’agit d’un «choix»,

même s’il s’effectue à travers des questionnements et des remises en cause de postulats connus. Ce

choix rationnel tend à promouvoir les buts souvent évoqués que sont l’efficacité et la souplesse en

matière judiciaire. Ainsi, le rôle élargi des juges est une composante incontournable de la

compréhension et de la mise en œuvre du droit judiciaire québécois contemporain. Par exemple,

dans la foulée de la réforme de la procédure civile au XXIe siècle, la stratégie du législateur pour

intervenir en matière de procédures frivoles ou abusives s’est portée sur un accroissement des

pouvoirs et de l’influence des juges, notamment des juges de première instance1406. Leur contact

direct avec le dossier leur assure une position privilégiée pour considérer l’équilibre entre les droits

1401 À titre d’illustration, considérer Droit de la famille — 12272, 2012 QCCA 322 (CanLII), par. 28-35; A.M. c. P.B.,

2006 QCCA 1515 (CanLII), par. 2. 1402 Lac d'Amiante Québec c. 2858-0702 Québec Inc., 2001 CSC 51, [2001] 2 R.C.S. 743, par. 37-39 (j. LeBel). 1403 Il en va de même, jusqu’à la fin du XXe siècle, de la question de l’équilibre entre l’intervention plus marquée du juge

et la reconnaissance du principe que les parties sont maîtresses de leur dossier, voir Droit de la famille – 871, [1990]

R.J.Q. 2107, 2108. Le juge Monet y mentionne que : «[e]n définitive, les parties n'ont pas été entendues sur un point

déterminant, ce qui m'apparaît contraire à une forme d'équilibre que l'expérience, voire la tradition identifie aux fonctions

de juge dans notre système judiciaire tel que je le conçois.

Le lien juridique d'instance est celui des parties. L'instruction est conduite par les parties. Les moyens de fait et de droit

sont avancés par les parties. C'est sur les prétentions respectives des parties que le juge du procès doit statuer. Certes, de

nos jours le juge joue un rôle actif et exerce de vastes pouvoirs que reflètent, par exemple, les art. 292 et 463 C. Pr. Civ.

Néanmoins, la prudence commande à celui qui a pour mission de juger de s'assurer que les parties aient l'occasion d'être

entendues sur un point qui, d'une part, lui paraît déterminant et, d'autre part, ne ressort pas du contrat judiciaire.» 1404 Pétrolière Impériale c. Jacques, 2014 CSC 66, [2014] 3 R.C.S. 287, par. 25 (j. LeBel et Wagner) : «Même si les

pouvoirs d’intervention du juge dans la conduite de l’instance civile sont devenus de plus en plus importants, en règle

générale, ce dernier ne participe pas activement à la recherche de la vérité (L. Ducharme et C.-M. Panaccio,

L’administration de la preuve, 4e éd., Montréal, Wilson & Lafleur, 2010, p. 7; Technologie Labtronix Inc. c. Technologie

Micro Contrôle Inc., [1998] R.J.Q. 2312, 2325 (C.A.), 1998 CanLII 13050 (QC CA)). En effet, dans un système

accusatoire et contradictoire, la délicate tâche de faire apparaître la vérité revient d’abord et avant tout aux parties (voir

art. 2803 C.c.Q.; art. 76 et 77 C.p.c.).» 1405 Pétrolière Impériale c. Jacques, 2014 CSC 66, [2014] 3 R.C.S. 287, par. 82 (j. LeBel et Wagner). Les juges rappellent

que le principe directeur de la proportionnalité s’applique au juge lorsqu’il définit les modalités de communication de la

preuve, par exemple (par. 85). 1406 Voir précédemment, en page 325.

Page 337: L'évolution et la structuration des principes directeurs

327

et les obligations de chaque partie, et pour mesurer la valeur réelle des prétentions exprimées par

chacune.

Par ailleurs, les juges disposent aussi de pouvoirs qui découlent du seul exercice de leur fonction au

sein des tribunaux. La Cour suprême, sous la plume du juge LeBel, a retenu que les pouvoirs des

magistrats qui découlent de l’exercice des pouvoirs nécessaires au déroulement de l’instance

conféré par le Code permettent de régler des situations que la loi ou les règles de pratique n’ont pas

prévues, ou de prendre des décisions de gestion rendues nécessaires par des dossiers particuliers1407.

La Cour rappelle l’importance des limites de ces pouvoirs dans un contexte de droit codifié, comme

nous l’avons vu précédemment à propose de l’arrêt Lac d’Amiante1408.

Depuis, l’interprétation de ces pouvoirs codifiés a tenu compte de ce jugement1409. Mais le jugement

Lac d’Amiante engendre aussi des conséquences notables quant à la définition de la fonction

judiciaire et de ses attributs. Il déclare tout d’abord que le pouvoir créateur du juge québécois est

strictement limité par l’existence et le contenu du Code de procédure civile1410. C’est dans le cadre

de celui-ci et des principes généraux qui le sous-tendent, de même que dans le respect des principes

généraux du droit civil et des valeurs exprimées par les Chartes1411, que le juge peut trouver une

«marge d’interprétation et de développement du droit»1412. Le juge LeBel ajoute, incidemment, que

«l’intelligence et la créativité de l’interprétation judiciaire» peuvent «souvent assurer la flexibilité et

l’adaptabilité de la procédure»1413. Cette appréciation, qui reconnaît le pouvoir créateur qui

appartient néanmoins au juge1414, est en accord avec le développement du discours judiciaire en

matière de procédure civile, et vient participer à la définition jurisprudentielle des éléments de la

fonction judiciaire. Le nouvel article 49 N.C.p.c. reprend l’essentiel du contenu de l’article

précédent et garde une grande similitude d’esprit avec celui-ci. Il s’agit donc d’un aspect de la

fonction judiciaire appelé à se perpétuer dans l’avenir, avec l’interprétation qui lui est attachée.

1407 Lac d'Amiante Québec c. 2858-0702 Québec Inc., 2001 CSC 51, [2001] 2 R.C.S. 743, par. 37 (j. LeBel); Globe and

Mail c. Canada (P.G.), 2010 CSC 41, [2010] 2 R.C.S. 592, par. 30 (j. LeBel). 1408 Lac d'Amiante Québec c. 2858-0702 Québec Inc., 2001 CSC 51, [2001] 2 R.C.S. 743, par. 37 (j. LeBel), voir la

citation reproduite en page 208 1409 Cette caractéristique du Code y est toujours affirmée : comparer le texte des articles 20 et 46 C.p.c. avec le nouvel

article 25 N.C.p.c. et la Disposition préliminaire. La réflexion sur ces articles et leur interprétation s’est poursuivie. Pour

un exemple intéressant en matière d’interprétation, et qui considère le possible élargissement de l’application des articles

20 et 46 C.p.c. (en conjonction avec l’article 2 C.p.c.), voir les opinions divergentes dans Droit de la famille — 0910,

[2009] R.J.Q. 17, 2009 QCCA 3 (CanLII), par. 13-17 (j. Morin) et 56-65 (j. Duval Hesler, dissidente). Dans l’ensemble,

pourtant, la nature dite «interstitielle» du pouvoir des juges est à présent acceptée par la majorité. 1410 Lac d'Amiante Québec c. 2858-0702 Québec Inc., 2001 CSC 51, [2001] 2 R.C.S. 743, par. 38-39 (j. LeBel). 1411 Id., par. 39-40 (j. LeBel). Voir aussi les remarques du juge dans Globe and Mail c. Canada (P.G.), 2010 CSC 41,

[2010] 2 R.C.S. 592, par. 27, 28 et 31 (j. LeBel). 1412 Lac d'Amiante Québec c. 2858-0702 Québec Inc., 2001 CSC 51, [2001] 2 R.C.S. 743, par. 39 (j. LeBel). 1413 Ibid. 1414 Voir à cet égard les réflexions proposées par le juge LeBel : L. LeBel, «La loi et le droit : la nature de la fonction

créatrice du juge dans le système de droit québécois», (2015) 56 C. de D. 87.

Page 338: L'évolution et la structuration des principes directeurs

328

Dans l’ensemble, il faut cependant nuancer la perception de cette nouvelle vision de la fonction

judiciaire. L’expression du pouvoir accru du magistrat dans le cadre de la «nouvelle procédure

judiciaire» a moins inquiété les acteurs du système judiciaire que l’élargissement du pouvoir

d’intervention du juge, qui lui est étroitement lié. Le pouvoir d’agir d’office reconnu au juge

s’insère aussi parmi les éléments importants de la révision procédurale du XXIe siècle. Il a été

parfois perçu comme modifiant le savoir-faire et les habitudes des praticiens. Ceci en fait également

un facteur de changement culturel. Le nouveau Code précise fréquemment le pouvoir du tribunal

d’agir d’office1415. Plusieurs de ces manifestations concernent la gestion de l’instance et se

rattachent donc à plus d’un des principes directeurs. Ces mesures plongent parfois leurs racines

dans des articles antérieurs à la réforme du XXIe siècle, souvent accompagnées de modifications

lors des deux phases de l’exercice, mais plusieurs sont issues des nouveautés apportées en 2003 et

2016 sous l’effet de la pensée qui entoure le nouveau Code et son esprit. De plus, outre les pouvoirs

spécifiquement énumérés, étant donné le devoir du tribunal de veiller au respect de la

proportionnalité dans les instances qui lui sont confiées, il apparaît que le juge devra bénéficier

d’une certaine latitude lui permettant d’intervenir dans ce domaine. Nous avons vu que le pouvoir

des parties quant à la maîtrise de leur dossier est énoncé sous réserve du devoir des tribunaux

d’assurer une saine gestion de l’instance1416 et que ceci a pour effet d’entraîner les deux principes à

se baliser mutuellement –ou, idéalement, à s’équilibrer.

Cependant, nous l’avons souligné également, la tendance à opposer ces deux principes est réelle et

une tendance similaire se dessine en ce qui a trait au pouvoir d’intervention du juge. De nombreux

acteurs du système judiciaire reconnaissent la nature essentielle de la coopération entre les parties,

dont l’importance à titre de valeur dans le cadre du dialogue a été soulignée1417. Pourtant, l’idée de

dialogue et de complémentarité des rôles entre un juge plus actif et des parties maîtresses de leur

dossier connaît initialement moins de succès. Le rôle plus actif proposé au juge de première

instance dans le déroulement de l’instance et dans sa planification suscite des réserves chez

1415 Pour établir la liste de ces pouvoirs, considérer principalement, mais non exclusivement, les articles 26, 35, 48, 49, 50,

51, 60, 70, 79, 90, 152, 153, 157, 158, 160, 167, 172, 176, 179, 208, 211, 234, 240, 284, 296, 324, 338, 425, 452, 468,

474, 524 et 588 N.C.p.c. 1416 Art. 18 et 19 N.C.p.c. 1417 La «justice participative» est essentiellement décrite par certains auteurs et orateurs comme une «justice

consensuelle», Commission du droit du Canada, La transformation des rapports humains par la justice participative,

Ottawa, La Commission, 2003, p. xix-xx, en ligne : publications.gc.ca/collections/Collection/JL2-22-2003F.pdf. Ce

rapport propose notamment douze «principes» pour l’élaboration des processus participatifs (p. xxiv-xxvi) en matière de

justice qui recoupent en large part les valeurs proposées dans d’autres sources québécoises et mettent l’accent sur ce qui

peut être résumé comme le consensualisme, la collaboration, la communication respectueuse, l’approche discursive et

créative, entre autres. Par ailleurs, la coopération est attendue de tous pour la bonne administration de la justice : les

avocats sont par exemple tenus de coopérer avec les acteurs du système judiciaire, ce qui inclut les confrères, les

magistrats, etc. Voir art. 113 al. 1, Code de déontologie des avocats, R.L.R.Q. ch. B-1, r. 3.1. Il s’agit d’une responsabilité

à concilier avec ses obligations envers ses clients, comme la confidentialité (art. 20 du même texte).

Page 339: L'évolution et la structuration des principes directeurs

329

plusieurs juristes, et cette tendance existe depuis longtemps1418. La capacité du magistrat d’agir en

tiers suffisamment détaché du droit et impartial, que l’on perçoit alors comme s’opposant à son

pouvoir d’intervenir d’office, est au cœur de discussions sur des thèmes similaires. Alors que

certains reconnaissent comme un pouvoir de gestion efficace l’implication du juge dans la

conférence de règlement à l’amiable, par exemple, d’autres y voient une négation de cette valeur

fondamentale qu’est la coopération des parties. Des balises existent pourtant afin d’encadrer

l’exercice de tels pouvoirs, notamment l’existence du principe directeur de la contradiction,

l’impossibilité pour un juge de juger ultra petita sauf en quelques matières précises et surtout le fait

que les parties sont les premières responsables de la bonne gestion de l’instance1419. Mais l’effet de

son pouvoir d’intervention s’ajoutant aux rôles reconnus au juge, notamment celui qui lui confère la

«mission» de «favoriser la conciliation»1420, a repoussé partiellement les balises anciennes de leurs

pouvoirs et créé une situation inédite qui peut être perçue comme un changement culturel qui aurait

séparé la «nouvelle culture» de celle qui prévalait auparavant.

Malgré ces balises, il est apparu à des praticiens que l’élargissement de la fonction judiciaire en

matière de gestion s’écartait trop des rôles traditionnels du juge et empiétait sur les fonctions des

avocats et des parties. La critique du Barreau du Québec sur la mesure proposée illustre clairement

la compréhension qui peut naître de l’élargissement de la fonction judiciaire et une compréhension

différente de la portée de la révision. Pour les auteurs du mémoire, l’augmentation du pouvoir

d’agir d’office du juge donne à sa fonction une dimension si interventionniste qu’elle en devient

contre-productive : les parties n’ont plus la maîtrise de leur dossier, le lien de coopération entre

celles-ci et le juge est rompu, entre autres1421. Ainsi, les auteurs du mémoire remettent en question

certains des objectifs exprimés dès 2001 concernant la révision de la procédure civile1422 et le choix

de la réaliser en accroissant les pouvoirs des juges1423.

1418 A.M. Watt, dans son exposé sur la conférence préparatoire, soulève certains problèmes à propos de la participation des

juges à un tel exercice. (A.M. Watt, «Articles 382 à 447», supra note 753, p. 52-54). S. Guillemard soulève aussi quelques

points sur l’intervention des juges dans les modes de prévention et règlement des différends, qui, selon elle, devraient

autant que possible demeurer dans la sphère privée (Voir S. Guillemard, «Médiation, justice et droit : un mélange

hétéroclite», supra note 1125, p. 204-206). Voir aussi Québec, Assemblée nationale, Commission des institutions,

«Consultation générale et auditions publiques sur l'avant-projet de loi instituant le nouveau Code de procédure civile»,

Journal des débats de la Commission des institutions, 39e lég., 2e sess., Vol. 42, n° 61 (31 janvier 2012), p. 1-60, où Me

André Bois traduit ainsi la préoccupation de certains membres de la communauté juridique à de tels égards. 1419 Art. 10 et 19 al. 1 N.C.p.c. 1420 Art. 9 al. 2 N.C.p.c. 1421 Barreau du Québec, Mémoire du Barreau du Québec 2011, supra note 1056, p. 21-22. 1422 En effet, à plusieurs reprises dans le document préparatoire à la révision, les membres du comité ont exprimé que des

pouvoirs d’agir d’office devaient être maintenus ou ajoutés aux pouvoirs des juges. Voir par exemple Comité de révision

de la procédure civile, Une nouvelle culture judiciaire, supra note 7, p. 133, 152-153, 193, 207 et 210. 1423 L’article 19 N.C.p.c. codifie l’expression de ces deux principes et les rôles complémentaires des parties et des juges.

Page 340: L'évolution et la structuration des principes directeurs

330

Depuis l’adoption des nouveaux articles traduisant les principes directeurs, donc depuis 2003, le

chercheur peut aussi constater qu’à l’occasion, l’intervention judiciaire d’office s’accompagne

d’une justification par les nouvelles règles entrées en vigueur en 2003. Le devoir confié au juge

d’intervenir pour s’assurer de la gestion proportionnelle de l’instance confirme la possibilité d’agir

d’office avec un but ultime de rendre plus rapide et plus simple le débat entre les parties. Certains

juges ont même suggéré que l’article 4.2 C.p.c. s’ajoute aux pouvoirs généraux de l’article 46

C.p.c.1424, dans une application prudente1425. Des auteurs ont réfuté ce principe1426. Cependant, il

semble que l’intervention d’office va donc plus loin que la prise en considération de l’article 4.2

C.p.c. lors de la justification de l’usage qui est fait d’un pouvoir discrétionnaire1427. En effet, si les

articles 4.1 et 4.2 ne créent pas directement de nouveaux droits procéduraux1428, ils influencent,

voire parfois étendent, les pouvoirs discrétionnaires du juge de la Cour supérieure. Des arrêts et

textes font même état «du devoir de proaction du juge»1429 dans l’application du principe de la

proportionnalité. Que tout ceci se fasse en étroite collaboration avec les parties pénètre peu à peu

dans la réflexion.

Par ailleurs, ce phénomène est aussi amplifié et rejoint par d’autres réalités contemporaines. Les

auteurs de doctrine ou certains juges dans le cadre de leurs jugements rappellent que l’intervention

judiciaire tend à favoriser les discussions et la conciliation entre les parties, mais que ce rôle doit

aussi être bien défini dans le cadre de l’évolution de l’instance. En 2004, un juge de la Cour

supérieure de Montréal traduit sa représentation du rôle de juge-facilitateur dans le cadre de

négociations en matières familiales en expliquant que : «[…] The presiding judge in a settlement

conference concerning corollary measures in divorce matters does not have a duty to attempt to

reconcile the parties; she is there to facilitate dialogue between the parties and to help them

1424 Autorité des marchés financiers c. Lacroix, 2007 QCCS 1300 (CanLII), par. 188 (j. Mongeon); Droit de la famille -

072348, 2007 QCCS 4538 (CanLII), par. 55 (j. Morneau); Gervais-Tétrault (Succession de) c. Tétrault, 2007 QCCS 3037

(CanLII), par. 60 et 76 (j. Morneau). 1425 Lomaga c. Héma-Québec, 2007 QCCS 2303 (CanLII), par. 34-37 (j. Lemelin). 1426 «[…] ils n'ont pas d'existence propre, ni ne sont au sens strict, pour et par eux-mêmes, sources de pouvoirs pour le

tribunal. Ils n'ont donc un impact que dans la mesure où leur application se greffe à celle d'une autre disposition du Code

de procédure civile», C. Briand et D. Cloutier, supra note 1180, p. 179. 1427 Kyriacou c. Tradition Fine Home Products Inc., 2004 CanLII 7608 (QC CS) (j. Tellier); L. Chamberland, supra note

1301, p. 9-10. 1428 Marcotte c. Longueuil (Ville de), 2009 CSC 43, [2009] 3 R.C.S. 65, par. 42-43 (j. LeBel) et par. 65-67 (j. Deschamps)

trahissent tous deux une conception selon laquelle le principe de la proportionnalité de 4.2 C.p.c. accorde des pouvoirs aux

tribunaux, mais ne fonde pas de nouveau droit dans le contexte de cette affaire. 1429 Corbeil c. Gatineau (Ville de), [2009] R.J.Q. 455, 2009 QCCQ 10 (CanLII). L’arrêt Hryniak mentionne l’obligation

de gestion active du processus judiciaire, Hryniak c. Mauldin, 2014 CSC 7; [2014] 1 R.C.S. 87, par. 32 (j. Karakatsanis).

La Cour d’appel du Québec cite cet arrêt dans le cadre d’un exposé sur le pouvoir conféré aux juges en matière de

proportionnalité et de gestion des dossiers et de l’instance, Uashaunnuat (Innus de Uashat et de Mani-Utenam) c. Québec

(P.G.), 2014 QCCA 2193 (CanLII), par. 51 à 70, citation au par. 65. Voir aussi R. Pidgeon, «La gestion d’instance – Le

point de vue d’un magistrat», dans S. Guillemard (dir.), Le Code de procédure civile : quelles nouveautés?, Québec, Yvon

Blais/Les Cahiers de droit, 2016, p. 318-319.

Page 341: L'évolution et la structuration des principes directeurs

331

negotiate mutually satisfactory solutions». En opposant ce rôle à celui qui est traditionnellement

représenté comme le rôle de décideur, il ajoute que : «[u]nlike a judge presiding in a courtroom or

acting in chambers, the judge-facilitator has no power to impose a solution on the parties. Her sole

function is to help the parties resolve consensually the matters in dispute. A judge-facilitator, by her

presence, tries to inject civility into the communications between the parties and to induce a

principled analysis of outstanding differences»1430. Le juge affirme également sa conception du

procès civil dans le cadre du même jugement. Comme il le souligne1431 : «[p]arties involved in

marital disputes want their conflicts resolved, but not necessarily tried. Trials are all about

discovering ''truth'' and vindicating ''rights''».

Ces affirmations permettent de comparer et d’assimiler deux représentations liées au système

judiciaire. La première est celle du juge agissant comme conciliateur dans un contexte particulier,

celui des causes matrimoniales. À cet instant, le juge acquiert des pouvoirs, comme celui d’interagir

directement et de manière suivie avec les parties. Simultanément, il en abandonne d’autres,

principalement celui de trancher le litige. Son rôle n’est pas de décider ni d’être persuasif. Il doit

plutôt faciliter et clarifier le dialogue. La seconde représentation est celle du juge-décideur. Pour la

décrire, le magistrat propose dans un premier temps une vision «classique» de l’instance, liée à la

découverte de la vérité et à l’établissement du droit. Dans un second temps, il associe cette vision

du procès à l’image d’un juge qui préside, un juge capable d’imposer une conclusion, un juge qui,

s’il est à l’écoute, n’a pas alors pour but de concilier les parties. Leur dialogue est alors perçu dans

une dynamique de concurrence, de controverse plutôt que d’échange. Celui-ci a été effectué dans le

cadre de la conférence de règlement à l’amiable et l’entente à laquelle elles sont parvenues pose à

présent problème. Comme l’auteur du jugement l’indique dès l’abord, le juge ne considère pas

l’article 4.3 C.p.c. dans le cadre de ce jugement, estimant qu’il ne s’applique pas à la situation1432.

Cependant, même l’image encore marquée d’antagonisme que présentent les idées de concurrence

ou de controverse cède lentement dans certaines circonstances, sous la pression d’une nouvelle

conception de la manière de rendre justice. Julie Macfarlane souligne la montée d’un nouveau

courant dans la conception de la fonction de l’avocat qu’elle nomme «advocacy as conflict

resolution»1433, qui émerge des pratiques nouvelles en matière judiciaire. En s’impliquant de

diverses façons, le juge se trouve obligé de modifier la teneur de son interaction avec avocats et

parties. Le professeur Georges Bollard dans un texte sur le juge français contemporain parle de

1430 R.B. c. C.C.W., [2004] R.J.Q. 1554, par. 21 et 24 (j. Guthrie). 1431 Id., par. 24 (j. Guthrie). 1432 Id., par. 21 (j. Guthrie). Il ne considère pas non plus les articles 814.3, 815.2 ou 279 C.p.c., comme il le précise. 1433 J. Macfarlane, supra note 1251, p. 108-117.

Page 342: L'évolution et la structuration des principes directeurs

332

«l’œuvre commune de justice»1434 et fait ressortir l’importance du dialogue entre le juge et les

parties dans la mise en état du dossier1435. Il y a, ou il devrait y avoir, collaboration entre le juge et

les parties pour définir la cause et son cadre. Cette définition influence directement le travail et la

décision finale, surtout dans un monde judiciaire fonctionnant à l’heure de la proportionnalité des

actes de procédure et des moyens de preuve et où les parties semblent souhaiter prendre davantage

part à la résolution de leur difficulté légale. En France toujours, des constatations semblables à

celles du Québec sont observables, et la représentation du juge emprunte des images similaires,

malgré les différences inhérentes aux deux systèmes judiciaires.

Dans notre société libérale, soucieuse d’efficacité et portée au dynamisme, le juge est

appelé à sortir de son attitude passive.

Par un travail conscient de collaboration et de concertation avec les parties et leurs

conseils, c’est le juge lui-même qui pétrit et façonne la matière dont, demain, il tirera la

solution du différend1436.

Cette conception est peut-être utopique dans bien des cas. Cependant, en examinant le phénomène

de l’interventionnisme accru du juge dans le droit procédural, il est possible d’argumenter que

celui-ci peut s’accompagner du développement d’une forme de dialogue qui confère une certaine

note collaborative à la justice rendue. L’évolution de la fonction judiciaire intègre bien une part de

ces idées. La conciliation, d’ailleurs, donne aussi un relief particulier à l’importance de la

communication dans la fonction judiciaire. Cette conciliation est présentée comme une «mission»

du juge en France et dans les travaux effectués pour modifier le Code de procédure civile du

Québec dans les premières décennies du XXIe siècle. Cela implique que le juge, en tout temps, est

appelé à garder cette hypothèse à l’esprit. S’il constate la possibilité d’une entente, il est de son

devoir d’agir en conséquence, sans pour autant cesser d’être impartial et sans entraver la liberté des

parties.

En réalité, ceci se rapproche peut-être de la situation que François Ost décrit à propos du juge

modelé à la ressemblance du dieu Hermès. Celui-ci représente le magistrat dont le rôle repose sur la

communication. Ce nouveau type de juge se dessine, correspondant davantage à l’époque

«postmoderne», sur un plan juridique1437. Il s’agit d’une figure d’échange, de communication, de

1434 G. Bollard, «L’arbitraire du juge», dans Le juge entre deux millénaires : Mélanges offerts à Pierre Drai, Paris, Dalloz,

2000, 225, 238. 1435 Id., p. 238-240. 1436 P. Drai, «Le délibéré et l’imagination du juge», dans Nouveaux juges, nouveaux pouvoirs? Mélanges en l’honneur de

Roger Perrot, Paris, Dalloz, 1996, 107, 117. 1437 F. Ost, «Jupiter, Hercule, Hermès : trois modèles de juge», supra note 60, p. 35.

Page 343: L'évolution et la structuration des principes directeurs

333

médiation aussi, celui qui établit un dialogue entre de multiples points1438. Ceux-ci peuvent inclure,

très simplement, la mise en relation des lois entre elles, ou de principes directeurs dans l’univers

plus restreint du Code, et celui de la mise en relation entre les lois et les interprètes. En revanche, la

communication proposée par François Ost s’applique aussi –et parfois surtout– à des niveaux plus

complexes. L’environnement favorable au développement du juge de ce modèle est présenté

comme saturé d’informations, composé d’une multitude d’acteurs juridiques, où les fonctions sont

imbriquées, où les niveaux de pouvoirs sont nombreux et où l’État s’implique largement, allant

jusqu’à vouloir «conduire le changement social»1439. La théorie de François Ost montre ainsi des

caractéristiques de la société qui accompagnent la transition vers le droit d’Hermès1440.

Dans l’ensemble, le droit judiciaire et l’univers de la procédure civile du Québec actuel témoignent

de rationalités nombreuses, de la multiplication des acteurs intéressés ou impliqués dans la

définition et le fonctionnement du système judiciaire, de l’insertion accrue de l’État dans cette

sphère et de sa tentative de contrôler le changement culturel, entre autres, c’est-à-dire de traits

compatibles avec l’avènement d’un juge de type Hermès selon la théorie de François Ost. Le rôle

du juge québécois du XXIe siècle en matière communicationnelle doit donc être considéré. En effet,

le rôle de plus en plus actif du juge, notamment en matière de supervision du déroulement de la

procédure avec la montée des préoccupations quant à cette valeur qu’est l’économie (que ce soit

l’économie des ressources judiciaires ou celle des ressources des parties) et la diminution de

l’aspect formaliste de la procédure civile issue du Code nécessite justement des habiletés

communicationnelles. Et cela ne se dément pas dans le contexte du principe directeur de la

proportionnalité, qui est venu englober cette préoccupation déjà présente et tend depuis à l’incarner.

Ce simple critère, basé sur deux questions économiques, demande la combinaison d’informations

contrôlées par les parties avec celles dont dispose plus facilement le magistrat. Elle invite par le fait

même à une forme de coopération entre eux. L’implication accrue, tant des magistrats que des

parties, dans l’évolution des litiges ou la conciliation judiciaire est un phénomène qui vient

augmenter les besoins d’échanges entre parties et juges, et confirmer que ce dernier devra jouer un

rôle de premier plan dans l’aménagement d’un espace discursif.

Le juge québécois de la période 1966 à 2016 s’éloigne progressivement de l’image élaborée au

début du XXe siècle, où sa représentation oscillait entre les caractéristiques prêtées par les auteurs à

Jupiter et à Hercule. Ses caractéristiques n’empruntent plus uniquement à ces deux seuls modèles.

1438 Id., p. 35-36. 1439 Id., p. 47-50. 1440 Id., p. 51-53.

Page 344: L'évolution et la structuration des principes directeurs

334

Ce juge doit se baser de plus en plus sur la communication. Il est à présent impliqué, à sa façon,

dans le déroulement de l’instance et, sans perdre sa faculté de la superviser, il lui est permis d’y

agir, même d’office, dans certaines circonstances. Il est aussi l’un des piliers d’une justice plus

souple, une justice qui tente de s’adapter non seulement à la société actuelle, mais aussi de tenir

compte des besoins particuliers des instances : établissement d’échéanciers par les parties,

possibilité de gestion particulière, etc. Cette justice plus éclatée se décrit de moins en moins avec les

adjectifs référant au monolithe que serait une justice ou une loi sacrée du modèle jupitérien. Ceci

demeure vrai malgré la revendication de l’État, par le biais du nouveau Code, d’une voix plus

importante dans l’orientation du changement culturel, au point de vouloir le définir et le provoquer.

Ces nouvelles caractéristiques du système judiciaire réclament des adaptations à la fonction

judiciaire. Les changements proposés par le nouveau Code contribueront au fur et à mesure de son

enracinement à l’avènement du nouveau juge : Hermès, Mercure, le messager, l’être de dialogue et

de réalités diversifiées.

En effet, peut-on dire que le juge québécois est aujourd’hui entièrement décrit par cette image? De

manière caractéristique, il semble que non. Encore une fois, la métamorphose est incomplète et les

modèles se chevauchent. Si les attributs du juge jupitérien sont désormais sous-représentés dans la

création de l’image du magistrat contemporain, le juge québécois actuel possède aussi des traits

empruntés au juge herculéen de François Ost, bien qu’il ait désormais aussi des traits qui le

rattachent à Hermès1441. Le nouveau Code de procédure civile tend à promouvoir cette dernière

approche, mais nous avons vu qu’il met encore à profit l’apport des traits d’Hercule. Le juge est

l’individu aux tâches multiples qui se trouve présent aux diverses étapes de l’instance1442 et s’y

implique. Il est le juge qui tranche, certes, mais aussi celui qui conseille, prévient, adapte ses

décisions aux besoins1443, et plus encore. Sans confier au juge actuel le rôle d’Hermès, être

d’échange et de dialogue, spécialiste de la multiplicité des normes comme des acteurs et des

niveaux de pouvoirs1444, les trois dernières décennies du XXe siècle voient la mise en place de

plusieurs situations qui préfigurent son avènement. Celui-ci n’est pas complété par l’introduction de

la réforme procédurale du début du XXIe siècle, mais le juge, pour rester encore défini en partie par

le modèle herculéen, n’en a pas moins davantage de traits communs avec Hermès qu’un demi-siècle

1441 D’ailleurs, Pierre-Claude Lafond, par exemple, constate lui aussi le développement de plusieurs traits liés à un modèle

de «juge-entraîneur» dans la fonction judiciaire exercée dans le cadre des recours collectifs, même si elle conserve, par

exemple, une forte composante d’«adjudication». Ceci pourrait rejoindre notre hypothèse de la modification généralisée,

bien que graduelle, de la fonction judiciaire durant la période. Voir P.-C. Lafond, Le recours collectif, le rôle du juge et sa

conception de la justice, supra note 4, p. 273-277. 1442 F. Ost, «Jupiter, Hercule, Hermès : trois modèles de juge», supra note 60, p. 40. 1443 Id., p. 41. 1444 Id., p. 47-52, notamment.

Page 345: L'évolution et la structuration des principes directeurs

335

plus tôt. D’ailleurs, cette multiplicité de traits empruntés à plus d’un modèle de juge n’est pas

déplacée pour décrire le juge de la période 1966 à 2016. La représentation du juge dans la

communauté juridique esquissée par les réformes procédurales des dernières décennies nous a déjà

permis d’apercevoir un décalage dans les perceptions. Celui-ci traduisait notamment la présence

simultanée de plus d’une image du juge dans la société ou la communauté juridique. Par contre, ce

juge moins jupitérien qu’autrefois et qui tient à la fois d’Hercule et d’Hermès, qui détient également

une somme de pouvoirs d’intervention importante, n’a pas encore été entièrement intégré dans la

«culture judiciaire» du début du XXIe siècle. Le décalage entre la réalité et la perception s’illustre

en partie par les incertitudes qui entourent l’exercice de sa fonction. Il transparaît aussi dans la

représentation de celle-ci qui est proposée dans le discours dont nous avons esquissé brièvement les

contours dans le cadre de la thèse.

Le processus d’élargissement de l’univers du Code, entre pratique et critique

En 2001, le rapport du comité de révision conserve et même amplifie la préoccupation du service

rendu à la collectivité, tant dans sa qualité que dans son économie. L’importance accordée au

principe de la proportionnalité, soit l’idée de rendre la justice dans des délais et à des coûts

raisonnables sur le plan des ressources financières et humaines1445 des parties et des tribunaux,

prend alors tout son sens. L’idée du juge rendant un «service public», déjà présente dans le discours

antérieur, continue d’alimenter le discours actuel sur les juges1446. L’élargissement de la fonction

judiciaire pour mieux servir le justiciable explique aussi en partie l’attribution de nouveaux

pouvoirs, ou de nouvelles sphères d’influence. Comme le rappelle un auteur à propos du jugement

déclaratoire, «[l]a raison d’être des tribunaux a toujours été de trancher un litige concret impliquant

des prétentions divergentes de la part des parties. […] A cette existence première, le législateur a

voulu donner une vocation additionnelle au tribunal en en faisant également un instrument de

justice préventive. […]»1447. Il ajoute : «[l]e génie des tribunaux n’était plus seulement de corriger

une situation, mais de rendre un véritable service judiciaire»1448. Cette notion se répète dans la

compréhension du système judiciaire actuel, particulièrement lorsqu’il est question des nouveaux

éléments qui s’y intègrent. Dans le cadre d’un jugement rendu en 2010, le juge Pierre Dalphond de

la Cour d’appel propose une réflexion sur les méthodes alternatives de résolution des conflits. Il

1445 Comité de révision de la procédure civile, Une nouvelle culture judiciaire, supra note 7, p. 32-33. Rappelons en effet

que les coûts considérés comprennent non seulement les coûts émotionnels et financiers supportés par les parties, mais

aussi les coûts imposés au système judiciaire. Il est aussi question des ressources humaines nécessaires à la progression

d’un dossier au tribunal, voir à cet égard Miron c. Procréa Biosciences inc., 2002 CanLII 62144 (QC CA), par. 6; Giroux

c. Langlois, 2011 QCCS 1782 (CanLII), par. 16-18 (j. Tessier-Couture); Verreault Navigation inc. c. Dragage Verreault

inc., 2007 QCCS 1410 (CanLII), par. 19-10 (j. Soldevila); D. Ferland et B. Emery, Précis, 4e éd., supra note 22, p. 415. 1446 Voir par exemple Marcotte c. Longueuil (Ville), 2009 CSC 43, [2009] 3 R.C.S. 65, par. 43 (j. LeBel). 1447 C. Ferron, supra note 853, p. 378-379. 1448 Id., p. 379.

Page 346: L'évolution et la structuration des principes directeurs

336

note tout d’abord que, depuis la fin des années 1970, le discours juridique s’attarde davantage aux

questions de la modernisation de la résolution des conflits, de l’encouragement à «pratiquer le droit

différemment», de considérer les tribunaux comme un service public dont il faut tenir compte des

ressources limitées, et de la prise de conscience que le recours aux tribunaux est une voie de

résolution parmi d’autres1449. Il s’interroge ensuite sur les conséquences réelles de ces changements,

non sur l’esprit de la procédure civile, mais sur la réalité des cours. Il souligne ainsi l’augmentation

du nombre de jugements rendus «non sur le fond des dossiers, mais sur des incidents d’application

des nouvelles dispositions […]» et indique qu’«[à] l’occasion, on peut s’inquiéter du temps, des

ressources judiciaires et de l’argent des justiciables investis»1450 dans ce contexte. Il ajoute : «[…] à

la lecture de certains jugements portés en appel, je me demande parfois si nous n’avons pas oublié

que ces nouvelles dispositions s’incorporent dans un ensemble, le Code de procédure civile, dont la

finalité n’a pas changé, soit faire prévaloir le droit, et qu’elles doivent s’interpréter en

conséquence»1451. Une telle description est révélatrice de la transition vécue en matière de

procédure civile. Ces considérations rejoignent aussi un questionnement plus général sur la

procédure civile et l’orientation réelle de la «nouvelle culture judiciaire», tout en amorçant une

réflexion inévitable sur l’état actuel de celles-ci qu’il n’appartient pas à cette thèse de compléter.

D’une part, le contenu de notre thèse propose une analyse qui offre une perspective historique d’un

processus inachevé, puisqu’elle est rédigée dans un contexte de transition. Il est inévitable que

l’évolution de la procédure civile soit appelée à se poursuivre par la suite. Le succès ou l’échec de

la plus récente réforme de la procédure civile et son effet sur la «culture judiciaire» se mesureront à

long terme, de même que l’orientation que prendront les futures modifications. Il existe d’autre part

une résistance au changement, comparable à celle qui s’est manifestée lors d’autres changements

majeurs en matière de procédure et dont nous avons pu remarquer les effets1452.

Aujourd’hui, la représentation du juge actif et «engagé» dans le règlement rapide, proportionnel et

juste des causes est illustrée notamment par l’augmentation du pouvoir d’intervention judiciaire

dans la foulée de l’adoption des articles 54.1 et suivants du Code en 2009. La perception de la

fonction judiciaire en tant que force active et déterminante dans le cas de l’abus de procédure ou des

procédures futiles ou vexatoires s’est affermie1453, que l’on tend à rapprocher des devoirs et

1449 Cosoltec inc. c. Structure Laferté inc., 2010 QCCA 1600 (CanLII), par. 49 (j. Dalphond). 1450 Ibid., par. 50 (j. Dalphond). 1451 Id., par. 51 (j. Dalphond), soulignements omis. 1452 Voir par exemple les réactions au changement culturel au moment de la réforme du Code, en page 233. 1453 Bellemare c. Québec (Directeur général des élections), 2010 QCCS 3399 (CanLII), par. 33 (j. Alain) [Bellemare c.

Québec (D.G.E.)]. Bien que la Cour d’appel ait invalidé en partie ce jugement (Bellemare c. Québec (D.G.E.), 2010

QCCA 1560 (CanLII)), ces remarques sur la fonction judiciaire demeurent pertinentes. Dans un même ordre d’idée, voir

Page 347: L'évolution et la structuration des principes directeurs

337

pouvoirs issus d’une part des deux principes directeurs que sont la proportionnalité et le contrôle de

l’instance par le juge et, d’autre part, de son rôle interventionniste en matière de gestion1454. La

réflexion sur le rôle décisionnel du juge a fait naître une réflexion secondaire intéressante. Jusqu’où

peut s’étendre le pouvoir du tribunal en cette matière lorsqu’il doit prendre en compte les impacts

sociaux, politiques ou économiques d’une décision ou d’un jugement? Ceci semble s’être appuyé

sur la distinction déjà ancienne entre «décider» et «légiférer», cette dernière fonction étant hors de

la compétence du tribunal1455. Cela signifie aussi, comme le rappelle un arrêt déjà évoqué de la Cour

d’appel, que le magistrat ne peut refuser d’accorder ce que la loi prévoit, malgré ses réticences

personnelles, sociales ou politiques1456.

Cet aspect des choses risque de susciter la réflexion sous l’empire du Code de 2016. Celui-ci a en

effet entrepris de limiter les pouvoirs inhérents en matière d’outrage au tribunal, notamment en

établissant des sanctions applicables dont l’énumération est restrictive1457. La loi doit être

considérée comme la source des interventions dans ce domaine. Mais une intervention judiciaire

moins balisée, par ailleurs, conserve sa pertinence dans de nombreux domaines.

Ces dernières pages traduisent également l’existence d’une relative différenciation des rôles du juge

selon les circonstances et le degré d’avancement de l’instance. Les pouvoirs dont celui-ci dispose

sont exprimés dans un ordre établi, impliquant une idée de classement par leur exclusivité aux

circonstances. Par contre, cette conception est éminemment pratique, puisqu’elle reflète

probablement le sentiment de ceux qui la vivent. Certains de leurs pouvoirs ou de leurs outils

varient. Leur compétence consiste en partie à déterminer la nature de l’intervention et à la moduler

selon ces circonstances et les besoins des parties. Cette fragmentation ne remet pas en cause la

notion voulant que chacun de ces rôles soit compris dans la «fonction judiciaire». Elle implique

seulement l’idée qu’ils ne sont pas toujours conjoints, qu’ils ne se recoupent pas de façon parfaite

dans leur application. Ceci n’est pas strictement en désaccord avec la vision de la fonction judiciaire

qui prévaut depuis 1966, mais découle de la grande latitude qui est progressivement reconnue au

juge. Elle rend également la définition de sa fonction plus complexe, plus fluide, et plus dépendante

Droit de la famille – 092186, 2009 QCCA 1712 (CanLII), par. 24 (j. Dalphond), qui s’appuie sur l’arrêt Ashmore c. Corp

of Lloyd's, [1992] All E.R. 486, 488 (Lord Roskill). 1454 Id., par. 35 (j. Alain). 1455 Voir à ce sujet Commonwealth Plywood Cie Ltée c. Conseil Central des Laurentides (C.S.N.), [1978] C.S. 563, 598-

599 (j. Greenberg). Le juge exprime clairement son opinion que la Cour supérieure aurait théoriquement le pouvoir de

rendre une ordonnance telle que celle qui lui est demandée en vertu de son pouvoir inhérent de contrôler l’outrage au

tribunal. Les raisons de son abstention rejoignent surtout sa conception de ce que doit être le rôle du tribunal en lien avec

les autres branches du gouvernement, et la mission qu’il est appelé à remplir dans un contexte social, deux autres facteurs

essentiels de sa représentation. 1456 Voir à ce sujet le développement en page 209 : C.T.C.U.M. c. Syndicat du transport de Montréal (C.S.N.), [1977]

C.A. 476, 489 (j. Kaufman). 1457 Art. 62 N.C.p.c.

Page 348: L'évolution et la structuration des principes directeurs

338

non d’une image monolithique du système judiciaire, mais de celle qui naît d’une combinaison de

celle-ci avec l’image du juge être de dialogue et engagé dans la prestation d’un service plus axé sur

les besoins des justiciables.

Par ailleurs, l’adoption d’une «nouvelle culture judiciaire» n’atteint pas uniquement l’aspect

pratique, «vécu», de l’expérience judiciaire ou les valeurs qui le sous-tendent. Elle s’étend aussi à la

place du monde judiciaire dans la société. L’un des reproches adressés aux systèmes judiciaires

occidentaux issus de la tradition du droit britannique à l’aube du XXIe siècle vise leur nature

«accusatoire et contradictoire», que certains décrivent par l’anglicisme «adversariale». En étudiant

ce phénomène, une auteure a proposé un sommaire des principales critiques qui sont présentées à

l’encontre du système «adversarial». Elle identifie notamment l’encouragement à une attitude

antagoniste, les coûts et les délais associés à un procès qui est mené par des avocats qui s’attachent

trop à rendre le conflit litigieux, la difficulté de concilier le résultat classique d’une partie gagnante

et d’une partie perdante avec la montée de causes complexes impliquant des parties multiples, des

enjeux multiples ou des questions sociales1458. Elle rappelle également que plusieurs s’inquiètent de

la possibilité d’établir véritablement les faits d’un litige dans un tel contexte1459. Ces critiques liées

au système de common law peuvent avoir un écho dans l’analyse de la situation procédurale

québécoise.

La réflexion sur la structure du droit procédural est fondamentale à l’étude de l’évolution des

principes directeurs et des articles mêmes de la loi. La montée de certains de ces principes peut être

perçue comme appartenant à un courant qui tend à modifier ou adapter les caractéristiques du droit

judiciaire à une réalité sociale et juridique différente de celle qui a présidé à sa cristallisation dans le

Code de 1867. Le principe directeur de la conciliation en est un exemple. Les possibilités de

règlement à l’amiable avant ou en cours d’instance sont de plus en plus mises en lumière dans le

Code, dans la doctrine et dans le discours sur son usage par les praticiens. Quant à la modification

des articles, elle peut s’illustrer par l’adoption de diverses mesures procédurales qui réduisent

progressivement les tendances antagonistes du système et promeuvent une meilleure

communication entre les parties. La conciliation des rapports d’experts, la communication des

pièces et des informations, la conférence préparatoire, entre autres, en témoignent. Il en va de même

de l’examen préalable, qualifié notamment d’«atténuation à la conception purement sportive du

1458 C. Menkel-Meadow, «Is Adversarial System Really Dead? Dilemmas of Legal Ethics and Legal Institutions and Roles

Evolve», (2004) 57 Current Legal Problems 85, 99. 1459 Id., p. 99-100.

Page 349: L'évolution et la structuration des principes directeurs

339

procès accusatoire et contradictoire»1460. Une telle évaluation de la nature contradictoire de la

procédure civile rejoint celle d’autres auteurs.

Julie Macfarlane souligne, par exemple, l’image stéréotypée qui est généralement celle de l’avocat

dans la culture populaire et qui repose notamment sur la culture «adversariale», tant dans ses

aspects jugés positifs que négatifs1461. Elle rappelle que celle-ci rejoint un système de croyances et

de valeurs et participe ainsi à la définition de l’identité professionnelle des avocats1462. Après avoir

présenté les changements à la nature de la pratique, elle argumente que «the central role of an

advocate in a system of conflict resolution is to assist the client in continuously reassessing what he

needs and wants in light of what is possible and what the costs may be, and then to advance that

goal»1463. Ce rôle n’est plus celui du duelliste, mais s’appuie largement sur les qualités de

négociateur, donc sur un élargissement de la panoplie des qualités et outils nécessaires à la pratique

du droit dans la société contemporaine1464.

Le juge Gonthier, de la Cour suprême, a aussi discuté du rôle de l’avocat dans la perspective du

système judiciaire actuel. En s’appuyant sur divers textes, il attire l’attention sur le fait que, dans

l’imaginaire collectif, «l’avocat incarne donc d’abord et avant tout ce plaideur qui défend les droits

de son client dans le cadre d’un procès»1465. Il ajoute que cette fonction n’est pourtant ni la première

ni la plus importante, avant de faire la liste des divers rôles dévolus à l’avocat, dont celui de

conseiller qui tente «d’éviter l’affrontement ultime que constitue le procès. Il sera appelé à jouer un

rôle de modérateur, de négociateur et de conciliateur»1466. Ceci illustre donc que la conception

même de la fonction de l’avocat est profondément modifiée avant la mise en œuvre de la première

phase de la révision de la procédure civile. L’atténuation du modèle contradictoire est réelle et

perceptible. Le décalage souligné par le juge entre la représentation collective sociale du rôle de

l’avocat et la représentation collective de la communauté juridique démontre que les

transformations du système judiciaire n’ont pas encore permis l’établissement d’une nouvelle image

des praticiens, qu’ils soient juges ou avocats, dans l’esprit de l’ensemble des justiciables.

Cependant, l’ampleur de l’adhésion à cette perception n’a pas été mesurée dans le cadre de l’étude

de la professeure Macfarlane ni dans le cadre du jugement. Aucune conclusion définitive ne peut

être tirée de ces remarques. Il s’agit cependant d’une piste de réflexion.

1460 J.-C. Royer et S. Lavallée, La preuve civile, 4e éd., Cowansville, Yvon Blais, 2008, no 600, p.463. 1461 J. Macfarlane, supra note 1251, p. 26-28. 1462 Id., p. 28-34. 1463 Id., p. 96. 1464 Id., p. 96 et suiv. 1465 Fortin c. Chrétien, 2001 CSC 45, [2001] 2 R.C.S. 500, par. 51 (j. Gonthier). 1466 Id., par. 53 (j. Gonthier).

Page 350: L'évolution et la structuration des principes directeurs

340

Ceci explique bien que l’aspect réellement controversé du système contradictoire est la latitude

donnée aux parties et l’usage qu’elles en font dans le cadre de l’évolution de leur dossier et de

l’instance, et non l’idée que ces parties doivent être entendues avant qu’une décision ne soit prise

sur le fond de leur litige.

Cette réalité démontre-t-elle que la société québécoise et le monde juridique sont prêts à abandonner

le système dit «adversarial» pour choisir une nouvelle forme de fonctionnement? Certains auteurs

évoquent la possibilité de réduire considérablement le principe directeur du contrôle de leur dossier

par les parties1467. Pourtant, à l’occasion de la consultation sur l’avant-projet de loi sur la

modification du Code de procédure civile, le Barreau du Québec mentionne qu’il «considère […]

fondamental de préserver le principe de la maîtrise du dossier par les parties, le meilleur élément de

notre système contradictoire, en se fixant comme objectif l’approche participative et la négociation

dans la planification stratégique d’un dossier»1468. La différence de compréhension est flagrante.

Elle illustre combien les opinions actuelles sur notre système judiciaire sont nombreuses et

éclectiques. Ces mots montrent aussi que l’unanimité est loin d’être faite sur la nature de la révision

proposée de la procédure civile et sur ses bases. Si la majorité s’entend pour reconnaître les

principes directeurs existants du Code de procédure civile, leur contenu et l’usage qui doit en être

fait, de même que le but qui doit leur être assigné, ne suscitent pas le même consensus.

De fait, il devient enrichissant, dans ce contexte, de considérer les hypothèses examinées lors d’une

conférence par Carrie Menkel-Meadow lorsqu’elle proposait, en deux temps, que «[…]the ʺdemise

of the adversary system of trialʺ is a continuing development of our Anglo-American legal

system»1469 et que nous pourrions nous trouver «[…] in an evolutionary moment of transition,

moving away from some common practices and institutions[…]»1470. L’auteure ne propose pas de

modèle vers lequel évoluer1471. Elle expose plutôt quelques aspects1472 de ce que semblent

rechercher les membres de la communauté juridique dans un système de justice qui reflète nos

aspirations en tant que société et en tant que groupe professionnel. Les données tendent à démontrer

que l’évolution des principes directeurs du système judiciaire adopté ici est faite d’une redéfinition

plus ou moins rapide de leur contenu. De ce fait, la période de transition qui existe actuellement

s’apparente davantage à une prise de conscience et à une intention d’induire un changement plus

1467 C. Piché, «La proportionnalité procédurale : une perspective comparative», supra note 1261, p. 591-592. 1468 Barreau du Québec, Mémoire du Barreau du Québec 2011, supra note 1056, p. 34. 1469 C. Menkel-Meadow, supra note 1458, p. 87. Il est intéressant de noter que Hazel Genn considérait également en 1997

la possibilité que le système judiciaire entre dans une période de transition où serait reconsidéré ce qui constitue un

système de justice civile approprié pour le futur. Voir H. Genn, supra note 886, p. 157. 1470 C. Menkel-Meadow, supra note 1458, p. 87. 1471 Id., p. 87 et 114-115. 1472 Id., p. 114-115.

Page 351: L'évolution et la structuration des principes directeurs

341

rapide dans le cadre de la révision du Code de procédure civile incarnée par le rapport du comité de

révision de la procédure civile de 2001. Toutefois, plusieurs des innovations proposées n’en sont

pas exactement, si nous considérons qu’elles sont liées profondément aux valeurs et aux

expériences mises en place dans les décennies précédentes. Cette réalité en soi n’est pas un obstacle

au changement ou à la transition, si nous acceptons que notre définition du «changement culturel»

tienne parfois davantage d’une transformation que d’une rupture.

Page 352: L'évolution et la structuration des principes directeurs

342

Conclusion

Cette thèse a été entreprise dans le but d’étudier l’évolution des «principes directeurs» gouvernant

la procédure civile du Québec et son esprit au XXIe siècle, afin d’explorer la possibilité d’établir à

la fois leur présence et d’attester de leur essor antérieurement à cette époque. Nous avons choisi de

limiter notre étude à la procédure québécoise codifiée et de cibler la période allant du milieu du

XIXe siècle à 2016, principalement. Nous avons aussi choisi de restreindre notre étude à cinq

«principes» qui sont identifiés depuis 2003 comme des principes directeurs de la procédure civile.

La recherche a aussi permis de poser quelques jalons en matière de théorie des principes directeurs

de la procédure civile québécoise, et de dégager quelques informations sur leur nature et leur

développement. Enfin, elle a relevé, selon les époques, certaines données éclairant les mécanismes

de structuration et de modification de la procédure civile québécoise au fil du temps.

Dès l’abord, nous avons posé que cette thèse n’établirait pas l’origine des principes directeurs et ne

chercherait pas à rédiger leur histoire détaillée. Cette thèse ne repose pas non plus sur une approche

liée aux différentes théories des principes. Elle s’intéresse plutôt à l’expérience vécue des acteurs

québécois dans une perspective historique et comme la relate leur discours, rapporté dans diverses

sources. Cette approche s’est donc fondée sur une recherche des traces laissées par ces principes

dans la jurisprudence, la doctrine et la publication juridique en général en matière de procédure

civile durant la période couverte. Elle s’éloigne par conséquent de l’interrogation sur l’adhésion des

acteurs et des auteurs à des écoles philosophiques ou de pensées structurées en matière reposant sur

les textes d’Aristote ou d’autres auteurs concernant la question des principes. Ce faisant, pour

emprunter une analogie au monde de la peinture, elle peut sembler plus «impressionniste» dans ses

résultats. Pourtant, son apport réside entre autres dans sa complémentarité avec des études basées

sur les théories des principes afin de participer à reconstruire les multiples facettes de la spécificité

de la démarche québécoise. La présente thèse s’est surtout attachée à considérer les principes

directeurs en procédure civile dans leur progression et leur émergence, en privilégiant des aspects

comme leur définition, les moyens par lesquels la procédure civile les traduit ou y réfère, le niveau

d’adhésion qu’ils suscitent dans la communauté juridique québécoise, la perception de leur origine

et de leur réception... Pour ce faire, nous avons adopté une approche des «principes directeurs»

basée sur des indices concrets et nous avons défini ceux-ci, à l’aide de travaux d’une sélection

restreinte d’auteurs, justement dans une optique de les représenter matériellement.

Grâce à cette recherche, certaines continuités ou discontinuités ont été soulignées. De même,

l’importance de certains choix qui ont eu un impact sur l’évolution des principes directeurs a été

Page 353: L'évolution et la structuration des principes directeurs

343

relevée. Ceci a pour but de proposer une hypothèse révisée et circonstanciée expliquant la manière

dont le développement de ces principes directeurs et l’accroissement de leur importance dans la

théorie de la procédure civile québécoise se sont produits.

La thèse a donc expérimenté la classification de l’évolution des principes directeurs selon des «états

de développement» ou des étapes de reconnaissance des principes selon leur influence, leur

visibilité et leur intégration formelle à la structure du Code. Ceux-ci ont permis de représenter

l’évolution et la structuration des principes directeurs selon quelques jalons préétablis. Tout

d’abord, il apparaît que l’évolution des principes directeurs n’est pas linéaire et qu’il n’existe pas un

schéma unique de développement de ceux-ci. En effet, tous les principes directeurs ne connaîtront

pas nécessairement les cinq stades de développement que nous avons établis pour les besoins de la

recherche. Par ailleurs, ces états de développement ne sont pas nécessairement progressifs. Un

principe directeur peut être à la fois un principe «nommé» et un principe «codifié». Si la

cristallisation du nom se produit au moment de la codification, le principe directeur sera considéré

avoir accédé simultanément aux deux états, comme nous en avons vu des exemples. De plus,

l’assise des principes directeurs nommés et codifiés se partage entre reconnaissance judiciaire et

codification. Les principes directeurs connaissent ainsi une double évolution, à la fois formelle et

informelle. En effet, comme les explications précédentes l’ont mis en lumière, ils se développent de

façon individuelle et progressive, jusqu’à atteindre un stade où ils sont reconnus par une autorité en

matière procédurale. De ce fait, des traces de leur existence se révèlent avant et après leur

reconnaissance dans diverses sources. Ces traces permettent de comprendre, d’attester et d’illustrer

leur développement et celui de leur influence. De même, lors de l’application de cette théorie aux

événements, la sensibilité de l’analyste et celle des auteurs des textes étudiés influencent le

fonctionnement de cet outil de travail. Enfin, chacune de ces catégories de principes est évidemment

construite, ce qui signifie qu’un principe directeur peut évoluer vers une définition plus précise et

une plus grande reconnaissance sans pourtant changer de catégorie de classification dans

l’immédiat. Plusieurs de ces considérations rejoignent et confirment l’hypothèse de départ. De ce

fait, elles nous aident à mieux saisir l’importance du temps dans la structuration d’un principe

directeur. L’ancienneté d’un principe qualifié de «directeur» n’est pas à l’origine d’une forme de

déroulement particulier, même si le fait d’être consacré à une époque antérieure oriente certains

aspects de ce cheminement. De plus, comme nous le soutenons, elle a pu influencer de manière

déterminante les facteurs de reconnaissance et d’adhésion aux principes. Nous pourrions postuler

que l’apport de l’ancienneté dans la définition du schéma d’évolution est moindre que l’impact

Page 354: L'évolution et la structuration des principes directeurs

344

qu’elle exerce sur la représentation que se font les acteurs du principe, de la procédure civile et du

système judiciaire plus largement.

Ainsi, certains principes auxquels les membres de la communauté juridique adhèrent déjà dès l’aube

de la période étudiée par la thèse ont connu des cheminements différents. Le principe directeur du

contradictoire accède à la codification dès 1866. Le principe directeur de la maîtrise de leur dossier

par les parties est implicitement appliqué par l’ensemble de la communauté juridique tout au long

de la période, mais n’atteint l’état de principe codifié qu’en 2003. De plus, les principes perçus

comme plus récents et codifiés lors de la révision de 2003 témoignent d’une disparité tout aussi

marquée. La proportionnalité repose sur des aspects de la procédure civile qui ont été recherchés de

tout temps : la célérité, l’efficacité, les coûts raisonnables. Cependant, il a fallu l’intervention du

législateur pour condenser ces idées dans le cadre d’un principe directeur, dont l’application est

encore en redéfinition devant les tribunaux et dont l’importance dans la pensée procédurale

augmente avec la seconde phase de la réforme récente. Le principe directeur de la maîtrise de

l’instance par le juge présente des traits évolutifs qui lui sont propres. Dans ce cas, l’évolution prend

surtout l’aspect d’une amplification de la sphère d’influence des magistrats, amplification parfois

demandée par la communauté juridique et souvent née d’une volonté des législateurs. L’implication

même minimale du juge dans l’instance a toujours été reconnue. Grâce à l’étude de la conciliation,

enfin, la thèse a pu aborder le cas d’un principe directeur resté très voisin des valeurs qui le sous-

tendent. Si celles-ci ont été reconnues au début du XXe siècle, elles ont été délaissées du moins

explicitement avant de recouvrer la faveur de la communauté juridique et de la société à la fin du

XXe siècle. Le législateur a choisi de codifier ce principe directeur en 2003, comme l’ont aussi

recommandé les membres du comité préparant la révision du Code. La portée de ce principe

directeur est amplifiée dans le Code de 2016, malgré la réticence de certains membres de la

communauté juridique quant aux modalités selon lesquelles il s’exprime. Ces cinq «principes

directeurs» présentent donc des schémas d’évolution distincts.

Pourtant, ils présentent également de nombreuses caractéristiques communes qui viennent enrichir

notre compréhension de la théorie des principes directeurs procéduraux. Par exemple, le rapport

entre principes directeurs et valeurs est essentiel. Tous les principes directeurs reposent sur un

contenu axiologique qui doit atteindre un certain seuil de reconnaissance et d’acceptation dans la

communauté juridique et au sein de la population. Ainsi, le principe directeur forme nécessairement

un lien entre la procédure qu’il oriente et la société. Il fait partie des mécanismes qui permettent le

fonctionnement intégré du système judiciaire à un moment précis de l’évolution sociale. La limite

entre principe directeur et valeur peut parfois paraître ténue. Le cas de la Disposition préliminaire

Page 355: L'évolution et la structuration des principes directeurs

345

du nouveau Code l’illustre bien. Sans utiliser le mot «valeur», elle s’en inspire cependant pour

décrire le système de justice civile que la procédure civile et le Code doivent participer à établir.

Les principes directeurs sont appelés à se nourrir de ces valeurs, dont certaines sont intrinsèquement

incluses dans la définition de l’un ou l’autre des principes. Cette proximité avec les valeurs apparaît

notamment dans le cadre du principe directeur de la conciliation. La controverse entourant son

développement depuis 2001 et que cette thèse a illustrée montre bien que l’évolution de ce principe

directeur n’a pas atteint son apogée, et que son individualisation parmi les valeurs qui sous-tendent

le Code n’est pas interprétée uniformément par tous.

En revanche, même si le cheminement d’évolution de divers principes s’avère être unique, les

considérer à titre de groupe peut permettre de faire apparaître un second schéma, cette fois plus

général et relativement similaire qui fait d’eux de tels principes. Premièrement, ils appartiennent de

plein droit et parfois même de manière presque exclusive à l’univers de la procédure. Le contrôle de

l’instance par le juge et le contrôle de leur dossier par les parties sont dans ce cas. La conciliation

telle qu’elle est utilisée dans le Code apparaît aussi être principalement définie dans ce contexte. Le

principe de la proportionnalité, applicable tant au niveau des procédures que du choix des moyens

de contestation et de preuve, rejoint des valeurs et des notions existantes dans d’autres branches du

droit, mais ils ont un fort lien avec le droit judiciaire. Le principe du contradictoire ou de la

contradiction présente quelques différences sur ce point, car il est aussi –et peut-être avant tout– un

principe général, un principe qui est à la base de notre définition collective du système judiciaire et,

plus largement, du «droit québécois». Nous avons vu cependant que, dans le cadre du Code, son

expression est limitée à son application dans l’univers procédural sans le réduire à celui-ci et, par ce

biais, il peut aussi être considéré au même titre que les autres principes directeurs réunis dans ce

groupe. Tous ces principes ont été définis comme ayant, par nature, une forte composante

spécialisée qui leur permet d’intégrer facilement le cadre d’une branche du droit pour s’y limiter, et

qui participe au fonctionnement de celle-ci tout en orientant son interprétation. De plus, ils

expriment et assurent la présence de valeurs essentielles à l’ensemble du droit : l’égalité devant la

loi, la possibilité de faire valoir ses arguments ou d’accéder à l’information nécessaire au

déroulement du processus, la justice, la célérité, l’économie des ressources, la coopération, etc.

Cependant, ils sont destinés à encadrer seulement un aspect particulier de ce droit du Québec1473.

1473 Il serait ainsi possible de trouver des mentions de «proportionnalité» dans d’autres branches du droit. Bien que

s’inspirant de valeurs et d’idées similaires, elles ne s’adressent pas à l’application du droit judiciaire. La

«proportionnalité» dans une autre branche du droit ne serait probablement pas définie exactement de la même façon qu’en

droit judiciaire, car cette définition tiendrait compte de l’ensemble des caractéristiques de la branche du droit dans laquelle

elle a vocation à s’appliquer. C’est ce que traduit l’expression «technique» ou «spécialisée» ajoutée dans ce contexte, en

accord avec la définition des principes directeurs établie en introduction et à l’aide de recherches doctrinales. Voir, à titre

Page 356: L'évolution et la structuration des principes directeurs

346

Dans le cas du principe directeur procédural, il s’agit de la pratique du droit devant les tribunaux

judiciaires. Leur application s’effectue souvent par l’entremise de plusieurs règles de nature

spécialisée ou spécifique réparties à travers le Code de procédure civile. Ces règles existent parfois

en l’absence ou au-delà d’une règle qui vient codifier la reconnaissance d’un principe procédural à

titre de principe directeur.

Deuxièmement, le principe directeur du Code de procédure civile au XXIe siècle est reconnu par

des spécialistes du domaine de la procédure civile et du droit, c’est-à-dire des professeurs de droit,

des juges, des avocats, des notaires, etc., qui l’identifient. Par la suite, il est codifié, autre empreinte

d’une forme d’autorité sur la définition d’un principe directeur. Ceci n’empêche pas de concevoir

que le principe directeur peut traverser divers états d’existence et de reconnaissance avant d’être

codifié et d’avoir un impact avant ce moment. Il peut bénéficier d’un développement préalable ou

contemporain dans la vie judiciaire. Les principes directeurs retenus existent donc dans le discours

des magistrats et des autres membres de la communauté juridique et orientent leur action. Ils y

apparaissent quelquefois à l’état de principe implicite ou innommé comme ce fut longtemps le cas

de la proportionnalité. Ils existent aussi à l’état de principes nommés, voire codifiés, comme les

principes du contradictoire et de la maîtrise de leur dossier par les parties. Les juges et les avocats

peuvent donc adhérer à ces principes avant et après leur codification. Ces principes sont scrutés et

analysés par des membres de la communauté juridique à l’occasion des révisions de la procédure

civile et le législateur choisit de les inclure dans le Code. Il s’agit de l’une des caractéristiques de la

formation la plus répandue des principes directeurs actuels, même si, comme nous l’avons vu, il est

techniquement possible d’importer un principe directeur, en tout ou en partie, ou de le présenter

comme tel, c’est-à-dire d’utiliser ou d’amplifier la stratégie d’emprunt sélectif à des fins de

modification de la culture judiciaire. Dans une telle hypothèse, l’un des enjeux problématiques

serait celui de la réception et, principalement, de l’adhésion progressive ou non de la communauté

juridique à l’égard de ce principe directeur emprunté et implanté. En effet, cette adhésion semble

souvent se construire au fil du temps, notamment avant la codification du principe directeur, d’où

l’importance de la question évoquée précédemment de l’ancienneté. Or, cette adhésion serait

requise pour lui faire produire des résultats à court terme.

Troisièmement, ces principes directeurs ont tous une vocation d’organisation de la procédure civile.

Ils traduisent l’existence d’une stratégie d’encadrement en matière de procédure civile qui se

transforme. À l’époque où la procédure civile québécoise est interprétée plus strictement, l’analyse

d’exemple, N. Belley, «L’émergence d’un principe de proportionnalité» (1997) 38 C. de D. 245, un article qui n’est pas

rédigé en lien avec la procédure civile ou le droit judiciaire.

Page 357: L'évolution et la structuration des principes directeurs

347

révèle l’existence d’un grand nombre de valeurs et de principes directeurs innommés ou latents. Le

recours aux principes directeurs s’accentue en conjonction avec l’avènement et l’application

progressive de la philosophie tendant à la diminution du formalisme. Le législateur doit fournir un

cadre d’orientation pour conserver une approche cohérente des préceptes de la loi, alors que les

règles de la procédure civile sont appliquées plus souplement par les intermédiaires que sont les

juges. Ce cadre, moins rigide que des règles impératives, est formé d’un recours à ce qui est parfois

désigné comme «l’esprit de la loi». Par contre, cet esprit doit être suffisamment défini, afin qu’il

puisse être compris et utilisé efficacement dans le cadre très concret d’une instance. Les principes

directeurs codifiés jouent ce rôle à notre époque. La prise en considération de la nature de leur

influence depuis la révision de 2003 permet de l’affirmer. Leur présence accrue dans le Code et

l’ampleur de l’attention que leur a donnée le législateur sont stratégiques. L’existence de

«principes» n’est pas un phénomène nouveau, mais le recours aux «principes directeurs» dans le

cadre de la loi se fait plus conscient dans une optique de création d’une structure d’encadrement. Ils

sont reconnus comme le principe dit du contradictoire a été reconnu dès 1867. Cette reconnaissance

reste marquée par le souci d’affirmer ce qu’était le droit de l’époque et ce que la communauté

voulait en conserver, bien que cela s’exprime un peu différemment dans le contexte actuel, En ce

sens, il y a toujours aussi un aspect pragmatique à la codification d’un principe «directeur». Par

contre, dans la structure du Code du XXIe siècle et sa préparation, l’observateur peut déceler une

volonté particulière de tirer parti des avantages que peuvent apporter ces principes directeurs en

matière de contrôle au quotidien et de leurs possibilités dans ce domaine. Cette tendance s’est

accentuée depuis 1867 et davantage encore depuis le milieu du XXe siècle. Elle a atteint, à notre

stade de développement actuel, une nouvelle forme d’expression. Leur usage paraît plus orienté en

fonction d’un but «judiciaire» et beaucoup plus systématique. En étant énoncés sous la forme de

règles codifiées, les principes deviennent opérationnels et peuvent être employés avec une légitimité

accrue aux yeux de la communauté juridique dans un contexte de droit civil.

La reconnaissance proposée par la codification n’est pas la fin de l’évolution d’un principe, comme

cette thèse permet de s’en convaincre. Au cours de son existence, tant dans un environnement

codifié que non codifié, le principe directeur est sujet à l’interprétation des spécialistes du droit et

des tribunaux. Son influence et sa définition y subissent des modifications parfois sensibles. Le cas

du principe du contradictoire, désormais le principe directeur «de la contradiction», le démontre

clairement. Surtout au milieu du XXe siècle, sa faveur dans le contexte d’un système judiciaire

mettant en scène deux parties adverses –parfois présenté comme «accusatoire et contradictoire» ou,

par dérivation du terme anglais, «adversarial»– est indéniable. Elle s’explique par la protection

Page 358: L'évolution et la structuration des principes directeurs

348

qu’elle accorde à des valeurs qui ne se traduisent pas directement par des règles explicites de la

procédure civile, telles qu’une forme d’égalité entre les parties ou une équité dans l’audition. En

bref, elle rejoint tout un aspect de la justice qui est nécessaire pour que, selon l’expression, justice

soit rendue et paraisse être rendue. Ce principe directeur est longtemps perçu comme un rempart

contre des comportements qui ne respectent pas la bonne foi entre les parties. Sa définition, la

reconnaissance de son étendue et de son contenu s’est élargie, englobant des aspects et des

situations imprévus en 1867. La perception classique du principe directeur du contradictoire s’est

aussi altérée au début du XXIe siècle. Elle subit l’influence de la montée de nouvelles valeurs et de

nouveaux principes, d’une tentative sociale de diminuer l’aspect contradictoire («adversarial») de la

procédure civile pour favoriser une approche fondée sur le dialogue des parties, l’échange, la

coopération des acteurs du système judiciaire pour trouver une solution aux litiges. Cette perception

doit être réorientée pour tenir compte d’un milieu différent de celui dans lequel le principe a été

énoncé initialement. Pouvons-nous pour autant imaginer la disparition de ce principe directeur? Il

est très délicat de s’aventurer à prédire un choix aussi radical. La bonne foi demeure une valeur

essentielle à la réussite d’un dialogue et d’une coopération, elle est d’ailleurs mentionnée au Code

civil et au Code de procédure civile1474. La notion même d’échange nécessite justement que toutes

les parties soient en mesure de faire valoir leur réclamation, leur point de vue et, sans doute, leurs

pistes de solution. Le principe directeur de la contradiction conserve une pertinence certaine, tant

dans son contenu que dans la philosophie qu’il défend. Il est cependant appelé à s’appliquer dans un

contexte discursif différent, selon des paramètres modifiés pour rejoindre la pratique judiciaire

actuelle. Une réorientation est donc à anticiper en ce qui concerne le principe de la contradiction,

mais une disparition ne semble pas devoir se produire dans un avenir prévisible. D’ailleurs, son

apport symbolique lui conserve une place particulière dans notre société, tant par sa nature partagée

de principe directeur et de principe général que par le rôle et l’emprise qu’il a exercés et qu'il

continue d’exercer sur notre réalité juridique et notre conception du système judiciaire –l’obligation

d’entendre les parties qui portent le fardeau de présenter la preuve de leurs prétentions à un juge

neutre est fondamentale à notre représentation comme au fonctionnement du système judiciaire et

de chaque cause en elle-même. Non seulement sa disparition à titre de principe «directeur» n’est pas

envisagée, mais sa place de principe «cardinal» lui est conservée et ne peut être confiée à aucun

autre des principes directeurs actuellement codifiés.

La recherche effectuée indique un certain nombre de constatations similaires, en excluant

évidemment l’aspect cardinal, à propos du principe directeur prévoyant la maîtrise de leur dossier

1474 Art. 7 C.c.Q.; art. 4.1 al. 1 C.p.c. et art. 19 al. 2 N.C.p.c.

Page 359: L'évolution et la structuration des principes directeurs

349

par les parties. Sa disparition n’est pas à envisager, mais il est en période d’adaptation. La

conception et l’application du principe doivent impérativement se modifier pour tenir compte du

changement de la procédure civile, plus axée sur la proportionnalité, le dialogue et la conciliation,

qui est parfois désignée comme une nouvelle culture judiciaire. Par contre, l’importance de

l’implication du justiciable dans la solution du litige a été rappelée à plusieurs reprises par le

législateur et les comités présidant aux exercices de révision de la procédure codifiée, notamment

au début des années 1960 et en 2001. Dans ce dernier cas, il est aussi question de «responsabiliser»

les parties face à leurs choix procéduraux. Il est donc nécessaire de leur laisser une marge de

manœuvre dans la gestion de leur dossier, tout en rappelant que l’intervention judiciaire peut être

plus rapide, plus complète et s’effectuer à toutes les étapes de l’instance, tant pour faciliter le

déroulement de l’instance et assister les parties qu’en cas de dérapage. Ainsi, à moins d’une

modification complète de l’idée d’implication et de responsabilisation des justiciables, le principe

directeur de la maîtrise de leur dossier par les parties reste pertinent, bien que sa toute-puissance

soit amoindrie au profit d’autres principes directeurs conformes à la nouvelle conception de la

procédure civile québécoise. Ces deux exemples prouvent que la codification d’un principe

directeur n’équivaut en rien à la fin de son évolution. De même, ceux qui sont volontiers qualifiés

aujourd’hui de «nouveaux principes» sont appelés à connaître de telles modulations, tant à court

qu’à long terme, sous la pression des changements sociaux, philosophiques et judiciaires des

décennies à venir.

Outre la théorie des principes directeurs procéduraux qu’elle applique pour la vérifier, notre thèse

présente un aperçu des changements apportés à la procédure civile québécoise et à sa structure. La

codification entrée en vigueur en 1867 est loin d’avoir mis fin à l’adaptation de nos outils

procéduraux. Par imitation, par interprétation, par extension, par emprunt, les membres de la

communauté juridique québécoise ont tenté de moderniser la procédure civile et d’y développer ou

d’y intégrer des types de procédures fonctionnelles pour répondre à un contexte judiciaire et social

changeant, tout en adaptant ces outils à un contexte de droit codifié. L’idée d’un droit mixte à la

base de notre procédure civile est essentielle à sa compréhension. Par la suite, entre la codification

et la nécessité de la modernisation, la procédure civile québécoise a continué de ressentir diverses

influences, tant internes qu’externes. La démonstration proposée illustre que plusieurs de ces

influences transitent par l'usage pratique devant les tribunaux ou la doctrine avant d’être intégrées

dans l’environnement du Code de procédure civile. La question de l’origine des emprunts qui sous-

tendent la «nouvelle culture judiciaire» peut aussi être envisagée à cet égard, surtout lorsque la

réalité ou le discours met en cause une tentative de changement culturel. Nous avons vu que, tour à

Page 360: L'évolution et la structuration des principes directeurs

350

tour, le discours attribue l’origine de telle ou telle règle à un système judiciaire étranger. Nous

avons souligné que, depuis 1867, l’emprunt devient de plus en plus un choix ciblé et non une règle

reçue d’un droit «parent» par influence. Toutefois, nous avons aussi remarqué que, dans plusieurs

cas relatifs aux principes directeurs, le droit procédural québécois ne recevait ces emprunts que par

analogie. Des réflexions, des règles et d’autres phénomènes montraient la présence latente ou

innommée des principes directeurs que l’on voulait y implanter. L’emprunt plus ciblé de moyens

procéduraux qui ont influencé la réflexion sur les principes directeurs en développement vient aussi

constituer un apport intéressant. Il y a donc, dans une certaine mesure, une modification culturelle

issue d’une réflexion externe, même si elle est probablement moindre que celle qui est présentée par

une partie des textes disponibles. Il faut alors considérer la présence de règles internes qui

rejoignent ou contredisent ces emprunts pour comprendre le succès ou l’échec de leur implantation.

Il devient ainsi possible de remarquer qu’une relative connexité avec des règles ou une philosophie

interne est généralement garante d’une meilleure ou, à tout le moins, d’une plus rapide implantation

et d’un accueil plus favorable de telles modifications sur le plan culturel.

Par contre, ces phénomènes ne doivent pas non plus faire oublier une facette du changement

culturel procédural du XXIe siècle québécois : celui-ci est d’abord issu d’une pensée proposée par

une partie de la communauté, voire par une élite, car l’idée de considérer la procédure civile comme

une matière culturelle et une matière culturelle à modifier n’était pas nécessairement partagée par

tous avant l’actuelle réforme –et même depuis. La procédure civile possède une facette pratique si

importante qu’elle est généralement considérée dans sa dimension appliquée plus que dans sa

dimension réflexive. Cela, en soi, était une approche particulière qui a augmenté l’impression de

changement. Le changement proposé peut aussi et ensuite être perçu comme une tentative de

changement culturel ayant un effet de rupture, menaçant de supprimer la culture existant

précédemment. Cette tentative serait alors imposée par une autorité sur une structure, c’est-à-dire

par le législateur au système judiciaire. Que ce dernier ait réclamé des changements n’est pas remis

en cause, mais avait-il envisagé le type de changement qui lui a été imposé? La question est

intéressante. Il ressort de textes cités au cours de la thèse que le paradigme social en matière de

justice était en mutation depuis quelques décennies, notamment à la fin du XXe siècle, et que les

suggestions pour faire apparaître ces réalités en procédure civile émanent en partie des orientations

et des discours contemporains de leur élaboration. Par ailleurs, ce changement comporte aussi une

part d’idéal, il décrit un système judiciaire qui n’existe pas encore et qu’il s’agit de faire advenir. La

«rupture» qui peut être éprouvée par rapport au système connu, rassurant, traditionnel existe aussi à

cet égard. Elle est ressentie comme telle par plusieurs, car tous les acteurs n’avaient pas conscience

Page 361: L'évolution et la structuration des principes directeurs

351

des conséquences de changements d’orientation qui s’accumulaient progressivement et de manière

parfois imperceptible depuis 1966. La question de la réaction au changement culturel que représente

une procédure civile dominée par des principes directeurs qui la redéfinissent et qui modifient

l’utilisation du système judiciaire, que nous avons pu faire valoir, prend appui sur tous ces aspects.

En effet, que les apports ainsi faits et intégrés au Code de procédure civile tendent à modifier la

procédure civile québécoise et que leur origine soit endogène ou exogène, ces apports s’intègrent

aussi à une structure existante, celle du droit codifié. Comme le précisent de nombreux textes, le

Code de procédure civile est toujours la loi principale applicable sur le sujet. Cela entraîne certaines

conséquences. La codification d’un moyen procédural lui confère une reconnaissance et l’intègre à

un environnement civiliste. Il doit trouver sa marge d’action dans les limites définies par cet

environnement, soit l’ensemble des règles du Code. De même, les principes directeurs codifiés, s’ils

importent dans leur définition des éléments issus de droits étrangers, sont tenus de s’intégrer à la

structure du Code et doivent être utilisés et appliqués en harmonie avec l’interprétation donnée à

celui-ci, même si leur statut privilégié leur offre une influence sur les autres règles qui n’est pas

conférée à un simple moyen procédural. Dans cette optique, il faut retenir que les origines des

différentes composantes de la procédure civile ont une influence sur l’évolution de celle-ci.

Cependant, leur évolution et leur avenir s’établissent dans le cadre d’un droit codifié, donc dans un

environnement juridique qui a fait le choix d’un fonctionnement civiliste. La primauté de la règle

écrite dans le texte de loi persiste. Les apports de common law, l’influence des principes ou d’autres

justifications pour présenter des solutions empruntées à d’autres droits qui offrent des solutions à

des problématiques procédurales sont attrayants. Aussi ingénieuses soient-elles, ces solutions

doivent cependant correspondre au droit judiciaire québécois tel qu’il est structuré au XXIe siècle. Il

ne s’agit pas de refuser systématiquement les emprunts. Nous avons vu que la procédure civile du

Québec, d’origine mixte, a plus d’une fois utilisé avec profit une telle méthode pour modifier ses

règles et son esprit, pour s’adapter. L’emprunt comme l’acculturation peuvent être utilisés de

manière positive et dynamique, à l’avantage de la culture judiciaire dans le cadre du changement

relatif à celle-ci. Les tribunaux ont notamment rappelé que les éléments ainsi choisis doivent

s’intégrer au droit procédural codifié et s’interpréter harmonieusement avec lui1475. Il faut ajouter

l’importance d’utiliser ces méthodes avec lucidité, c’est-à-dire de tenir compte des effets qu’elles

peuvent engendrer et de composer de manière constructive avec ceux-ci, tant dans nos choix que

dans nos attentes à titre de communauté juridique ou de société.

1475 Voir notamment l’enseignement de l’arrêt Lac d'Amiante Québec c. 2858-0702 Québec Inc., 2001 CSC 51, [2001] 2

R.C.S. 743) discuté dans les sections précédentes.

Page 362: L'évolution et la structuration des principes directeurs

352

Plusieurs textes, notamment à propos du pouvoir d’agir d’office du juge, démontrent que la

«nouvelle culture judiciaire», bien qu’acceptée théoriquement de manière générale, n’est pas encore

une culture homogène. La hiérarchisation des principes directeurs, même si elle n’est pas

spécifiquement définie par le Code, semble différer au sein même du discours considéré. D’une

manière similaire, nous avons souligné que la représentation de la fonction judiciaire acceptée par

des groupes ou des individus s’avère parfois en décalage avec celle que tente de promouvoir le texte

du nouveau Code. Cette fonction judiciaire s’est élargie durant les dernières décennies du XXe

siècle et les premières du XXIe siècle. Par contre, les deux phases de la révision du Code ont permis

au législateur de reconnaître cet état de fait, de le traduire dans le texte législatif, mais aussi de tirer

profit de ces modifications et de les approfondir. Ce faisant, pour certains auteurs et acteurs, il a

créé une perception de rupture, dénaturant l’institution telle qu’ils la comprenaient. La critique et la

tentative d’infléchir autrement le développement de la fonction judiciaire proviennent justement de

la survivance de traits culturels plus anciens qui se sont juxtaposés avec les nouveaux traits culturels

préconisés. Cette attitude de protection peut appartenir à une pensée de groupe. Les avocats se sont

donné pour mission de représenter les justiciables, de se constituer en tant que groupe et de

promouvoir et défendre le système judiciaire depuis bien des décennies. De plus, les discours qui

tendent à maintenir un ordre social établi peuvent parfois paraître rassurants et solides devant le

risque que paraît représenter une nouvelle façon d’agir. Ces discours ne sont pas sans force

persuasive et peuvent imposer des changements ou un ralentissement à une réforme.

Il est aussi intéressant de remarquer que les différentes caractéristiques du nouveau Code sont

susceptibles de produire des résultats imprévus. Mentionnons par exemple la nécessité de dissocier

la notion d’accès à la justice de l’usage d’un moyen procédural en particulier, que l’opinion

majoritaire de la Cour suprême a mise en évidence notamment en matière d’action collective,

comme nous l’avons vu1476. Cette forme d’adhésion aux valeurs qui sous-tendent les plus récentes

réformes de la procédure civile est tentante. Si elle se vérifie souvent, il n’est pourtant pas possible

d’affirmer que l’esprit dans lequel est adopté ce moyen procédural signifie qu’il sera le plus

proportionnel, le plus efficient et le plus adéquat en toutes circonstances. D’autres applications des

valeurs et des principes de la réforme peuvent être considérées sous un angle qui les fait paraître

ambivalents. Une directive de la Cour supérieure concernant la gestion de l’instance, qui prévoit

«l'utilisation obligatoire des formulaires de protocole de l’instance en matière civile de même qu'en

matière familiale ainsi que les formulaires de la demande d'inscription pour instruction et jugement

en matière civile de même qu'en matière familiale tels qu'ils apparaissent sur le site Internet de la

1476 P.-C. Lafond, Le recours collectif, le rôle du juge et sa conception de la justice, supra note 4, p. 274-275; Marcotte c.

Longueuil (Ville), 2009 CSC 43, [2009] 3 R.C.S. 65, par. 43 (j. LeBel), voir ci-dessus en page 291.

Page 363: L'évolution et la structuration des principes directeurs

353

Cour supérieure du Québec1477», peut illustrer cette situation. En ajoutant cette obligation, le

tribunal a pour but de faciliter le repérage des cas problématiques et d’accélérer la gestion des

dossiers, ce qui est une expression du principe de la proportionnalité. En revanche, en limitant les

parties à un formulaire, le tribunal limite-t-il la souplesse de l’instrument qu’est le protocole de

l’instance, dont l’esprit est justement d’être plus adapté aux besoins multiples des justiciables?

N’est-ce pas, d’une manière atténuée et très distante, se reposer sur des formes préétablies afin de

gagner en efficacité? Dans le contexte de cette thèse, il est impossible de ne pas reconnaître dans

une telle approche un raisonnement par ailleurs économiquement sain, mais que nous avons pu

identifier auparavant et qui a déjà encouragé, parmi d’autres facteurs, une dérive vers le formalisme

il y a plus d’un siècle. Bien sûr, les conditions philosophiques, judiciaires et économiques qui

prévalent dans le système judiciaire aujourd’hui diffèrent de celles de l’époque. Il ne s’agit pas de

prétendre que des mesures actuelles rappelant par certains traits des règles d’autrefois mèneront

fatalement à un renouveau du formalisme. En revanche, il est intéressant de noter que, comme lors

de la première codification, l’adhésion aux nouvelles règles établies et à l’esprit de celles-ci, et la

volonté de produire une structure judiciaire qui sache traiter les dossiers avec efficacité, peuvent

conjointement mener à une tentative de systématisation du processus par des outils pratiques et

procéduraux.

La présence de réactions diverses et parfois contradictoires entre elles dans l’univers de la révision

permet de comprendre à la fois l’importance et la vitalité de la réflexion sur la procédure civile. La

discussion concernant à la fois les méthodes à suivre et la nature de la redéfinition des fonctions des

différents acteurs du système judiciaire peut aussi devenir un facteur aidant ultimement à la

compréhension et à l’implantation des changements proposés.

Dans l’ensemble, nous avons pu constater, au moins implicitement, que la structure d’encadrement

de la procédure civile québécoise se modifie. De plus en plus, elle tend à se détacher

idéologiquement du formalisme utilisé sévèrement, pour adopter une approche plus souple de

l’encadrement de l’application des règles. Le recours aux principes directeurs dans la préparation et

la rédaction du Code peut aussi être considéré comme un phénomène relié à cette tendance, bien

que l’usage de la procédure civile reste défini majoritairement par le Code de procédure civile et les

règlements, ainsi que d’autres formes de règles moins étudiées dans le cadre de la thèse, par

exemple les directives, avis et modèles, notamment. Tant dans l’usage de la procédure civile elle-

1477 Cour supérieure du Québec, Directive concernant la gestion de l’instance (Code de procédure civile (chapitre C-

25.01, articles 63, 148, 150, 173 et 174 C.p.c.)), en vigueur depuis le 1er janvier 2016, consultée sur internet à :

tribunaux.qc.ca/c-superieure/avis/pdf/NCPC-directive-gestion-instance-mtl.pdf (consultée le 2019-03-03).

Page 364: L'évolution et la structuration des principes directeurs

354

même que dans l’évolution de la fonction judiciaire, cette recherche expose, en filigrane, l’influence

déterminante du choix fait au milieu du XIXe siècle de codifier le droit civil québécois. La

philosophie «libérale» qui repose sur l’opposition de deux parties imprègne l’esprit du premier

Code et son apport perdure au-delà des révisions de 1897 et 1966. Cette philosophie et la simple

réalité de l’application d’un droit codifié influencent tout le développement en matière judiciaire

depuis 150 ans. La procédure civile actuelle amorce une divergence progressive vis-à-vis d'une

partie de cette tradition. Ce facteur participe à l’explication de la nécessité de reconnaître une place

accrue à de «nouveaux» principes directeurs, ainsi que la redéfinition corrélative des «anciens»

principes et, de la même façon, de la perception du Code, de la procédure civile et, comme nous

l’avons exprimé brièvement, du système judiciaire et de la fonction du juge.

Ainsi, il est révélateur de considérer les divers rôles selon lesquels est définie la fonction judiciaire

du juge de première instance au Québec. Ce magistrat, au début du XXIe siècle, est à la fois

auditeur, décideur, interprète, gestionnaire ou administrateur, intervenant, superviseur et créateur.

Or, il semble que tous ces rôles composaient déjà la fonction judiciaire en 1866. La différence

notable entre cette époque et le début du XXIe siècle apparaît plutôt dans une répartition différente

de l’équilibre entre ces rôles dans l’exercice de la fonction judiciaire. Le juge à la rencontre duquel

nous pouvons aller grâce aux textes issus du XIXe siècle exerce principalement les rôles d’auditeur

et de décideur. L’importance accordée à la maîtrise de leur dossier par les parties entraîne une

conception de la fonction judiciaire qui subordonne l’exercice de plusieurs de ses autres rôles à une

demande directe de l’une ou l’autre des parties. Cette réalité perdure dans le droit judiciaire de la fin

du XXe siècle et du début du XXIe siècle, mais l’usage d’office de ces pouvoirs est mieux accepté

et, finalement, recommandé dans certains cas. Ainsi, le juge, désormais tenu d’exercer la

proportionnalité dans ses ordonnances et autorisations, peut et doit également intervenir pour

maintenir la proportionnalité dans les actes de procédure choisis par une partie ainsi que dans les

moyens de contestation ou de preuve qu’elle emploie, une situation qui aurait semblé peu

susceptible de se produire en 1867.

Par ailleurs, la protection de l’intégrité du système judiciaire prend un caractère nouveau avec

l’avènement d’une philosophie moins formaliste. L’importance de ce choix dans le développement

et dans l’identification de principes directeurs susceptibles d’encadrer l’application de la procédure

civile a été évoquée à plusieurs reprises. Le magistrat impliqué au dossier détient le pouvoir

d’articuler les différentes manifestations de l’influence de ces principes directeurs et de la

diminution du formalisme. Le législateur a identifié en lui l’intermédiaire nécessaire au succès d’un

assouplissement procédural adapté aux besoins des diverses instances. Cette option du législateur se

Page 365: L'évolution et la structuration des principes directeurs

355

caractérise par sa cohérence. L’implication d’un magistrat dans l’instance, à titre de tiers pouvant

décider, correspond à une réalité reconnue et réclamée par les parties. Il apparaît à la fois efficace et

judicieux d’utiliser ce tiers pour améliorer ou moderniser l’intervention de nature à créer

l’environnement propice à la résolution du conflit. La fonction judiciaire y gagne quelques

responsabilités nouvelles qui participent à sa redéfinition. Ces réalités contribuent à la justification

de certaines interventions du juge et son attitude dans l’ensemble plus active dans le cadre des

instances présentées devant lui.

Cette réalité d’un changement du rôle comme de l’attitude du juge de la Cour supérieure, qui

devient plus interventionniste, rappelle également un aspect primordial de l’étude de l’évolution de

sa fonction judiciaire : la perception. Les sources exploitées ont révélé, dans l’ensemble de la thèse,

l’existence de diverses perceptions entretenues par les acteurs de l’instance face à la procédure

civile, au système judiciaire et à la fonction judiciaire. Or, à l’instar de ce que mentionne François

Ost à propos des modèles de juge qu’il propose1478, ces perceptions ne correspondent pas toujours

aux faits observables en matière procédurale. La définition du juge de première instance et

notamment à titre d’observateur silencieux, détaché et impartial du débat juridique entièrement

mené devant lui par les parties a souvent été proposée dans le discours des divers membres de la

communauté juridique. Elle est corrélative de l’idée de formalisme procédural. Ces deux

impressions sont-elles pour autant entièrement véridiques à toutes les époques?

La codification de 1867 a certainement retiré quelques pouvoirs aux juges de la Cour supérieure.

Celui de se rendre sur les lieux sert facilement d’illustration à cet égard. Le tribunal ne peut plus

décider de se déplacer et de constater par lui-même, il dépend du rapport des témoins ou, parfois,

d’un tiers officiellement dépêché sur place. La procédure civile elle-même a pris simultanément un

aspect plus rigide: certaines façons de faire ont été privilégiées par les commissaires chargés de la

codification. Elles étaient ainsi proposées pour devenir la pratique uniforme des cours. Le respect de

ces règles, en contrastant avec l’incertitude qui avait pu exister auparavant, semblait de nature à

augmenter l’efficacité et la célérité du processus judiciaire, tout en assurant la complète neutralité

du juge-arbitre.

Pourtant, même dans les années suivant l’adoption du Code de 1867, il apparaît que les

aménagements jurisprudentiels à la procédure civile et l’intervention du juge dans l’instance

existent –à un degré moindre. Dès la révision de la codification entre 1893 et 1896 et encore plus

souvent par la suite, les références à l’amoindrissement du formalisme et à l’assouplissement de la

1478 F. Ost, «Jupiter, Hercule, Hermès : trois modèles de juge», supra note 60, p. 34-35.

Page 366: L'évolution et la structuration des principes directeurs

356

procédure sont nombreuses. Par ailleurs, les modifications du Code de procédure civile se

traduisent par certaines atteintes au formalisme, ou encore par un accroissement des pouvoirs du

juge, par une tempérance dans la rigidité des balises qui encadrent sa fonction, par un recours de

plus en plus large à sa discrétion. Cependant, les textes rédigés après la révision de 1966 proposent

encore l’image d’un juge-arbitre ou d’un juge-sphinx et d’une procédure civile rigide pour décrire la

réalité des soixante premières années du XXe siècle. Ces perceptions sont instructives, parce

qu’elles replacent le discours des acteurs dans leur contexte. La prise de conscience de deux

réalités, l’assouplissement du formalisme et de l’accroissement de l’implication du juge qui prend

une attitude plus active durant le déroulement des instances civiles en Cour supérieure, se construit

aussi dans une relation d’opposition avec les phénomènes existant antérieurement. Cette dichotomie

influence potentiellement la description de ces phénomènes anciens. L’évolution de la fonction

judiciaire et de la philosophie moins formaliste pourrait ainsi être présentée avec un décalage. Les

discours sur la procédure civile des premières décennies du XXe siècle l’expriment. Plusieurs des

idées mises en pratique lors de la révision de 1966 s’enracinent dans la réflexion qui se développe

alors parmi une partie de la communauté juridique du Québec. De même, la reconnaissance de

certains principes directeurs en 2003 ne marque pas le début de l’existence ou la matérialisation de

ces principes, mais constitue un stade de développement dans un cheminement amorcé depuis

plusieurs années.

Culturellement, les perceptions traduites dans certains discours sont essentielles parce qu’elles

témoignent des représentations à la fois du système judiciaire idéal et du système judiciaire tel qu’il

est expérimenté par ses acteurs. Au moment d’aborder un changement profond et essentiel comme

celui que propose le document de révision de la procédure civile de 2001, l’apport des

représentations se révèle crucial puisqu’il participe au processus de définition de la culture

judiciaire. Il en va de même de la perception de la fonction judiciaire. Le décalage «faits-

représentations» s’avère dans l’ensemble léger et suggère surtout qu’il faut aborder prudemment les

descriptions proposées par les acteurs et les valider. Par contre, la validation soulève aussi la

problématique de la nature des sources utilisées. Nous avons mentionné les lacunes qu’elles peuvent

contenir. De plus, il est important de comprendre qu’une partie du discours judiciaire, notamment

au XIXe siècle, est influencé par certaines formes de rédaction. Par exemple, il faut tenir compte du

contexte de l’instance où le témoin ne donne que les informations sur lesquelles l’avocat ou le juge

le questionne, où le sténographe rapporte les informations dans une forme préétablie, où le juge doit

respecter certains paramètres dans la présentation de son opinion et les quelques cas où un résumé

seul a pu être consulté, etc. Ainsi, la réalité présentée dans ce discours est nécessairement orientée, à

Page 367: L'évolution et la structuration des principes directeurs

357

la fois par ces formes et par le but ultime que celles-ci poursuivent1479. Ce but n’est pas historique :

l’objectif continue d’être la détermination de la solution nécessaire à un litige ou à un différend.

L’apport de ce discours à la connaissance du droit s’avère énorme, son potentiel dans le contexte

historique également, dans la mesure où il est abordé avec la circonspection qui s’impose. La

doctrine et les commentaires des parlementaires ou des commissaires à l’égard de lois fournissent

un échantillon de comparaison intéressant, car ces textes apportent des constatations différentes,

bien qu’ils nécessitent également des appréciations prudentes dues à leur environnement de

production et de présentation. Dans l’ensemble, envisagées dans une optique culturelle, toutes ces

formes discursives trahissent une appréciation de l’évolution procédurale et de l’image de la

fonction judiciaire parfois cohérente et parfois en rupture avec les faits et l’idéal social du système

judiciaire.

Dans les faits, il semble que le discours des dernières décennies tente en réalité de réconcilier les

représentations du juge selon la nouvelle procédure avec les représentations anciennes déjà

évoquées, notamment en ce qui a trait au degré et à la nature de son intervention par rapport au rôle

de décideur et aux caractéristiques que celui-ci implique traditionnellement. Dans ses limites et dans

ses caractéristiques institutionnelles, dans ses exigences personnelles comme dans ses évolutions,

dans la fragmentation de ses rôles comme dans leur nécessaire complémentarité au sein de sa

fonction ou dans sa relation d’interdépendance avec le système judiciaire, l’image des juges

conserve un fort lien avec la traditionnelle représentation qui existe depuis 150 ans, mais présente

aussi des traits de modernité qui ne peuvent être négligés1480. Le temps du juge sphinx est révolu

dans le discours descriptif de notre époque, mais il en reste une exigence de neutralité et

d’impartialité qui doit s’accommoder de nouveaux concepts. L’apparente continuité dans la

représentation dont témoignent plusieurs écrits recèle pourtant plusieurs modifications : un

changement notable des pouvoirs et des devoirs des juges, un élargissement de leur action, entre

autres. Le discours des juges traduit leur conscience de la situation. L’ouvrage de l'auteure Julie

Macfarlane illustre la modification du rôle des tribunaux et, grâce à une étude sur la perception des

1479 Voir notamment C. Verhoeven, «Court Files» dans M. Dobson et B. Ziemann (éd.), Reading Primary Sources : The

Interpretation of Texts from Nineteenth- and Twentieth-century history, London/New York, Routledge, coll. Routledge

Guides to Using Historical Sources, 2009, p. 91-92. Pour un exemple des réserves de l’historien devant de telles

formulations, voir le traitement prudent proposé du contenu des archives judiciaires issues de procès en violation des

obligations pécuniaires du mariage intentées par des épouses de la classe ouvrière au XIXe siècle. La formalisation et la

recherche d’objectifs précis influencent le discours. B. Bradbury, Familles ouvrières à Montréal : Âge, genre et survie

quotidienne pendant la phase d’industrialisation, Montréal, Boréal, 1995, p. 255-257. 1480 Dans ce contexte, il est intéressant de considérer et de comparer les représentations concernant le juge qui s’expriment

dans quelques arrêts des dernières décennies. Ainsi, le juge LeBel dans Lac d'Amiante Québec c. 2858-0702 Québec Inc.,

2001 CSC 51, [2001] 2 R.C.S. 743, la juge Deschamps dans Marcotte c. Longueuil (Ville), 2009 CSC 43, [2009] 3 R.C.S.

65, le juge Major dans Colombie-Britannique c. Impérial Tobacco Canada Ltd., 2005 CSC 49, [2005] 2 R.C.S. 473 et le

juge Gonthier dans (Re) Therrien, 2001 CSC 35, [2001] 2 R.C.S. 3 témoignent tous de la perception de la fonction

judiciaire dans un contexte mouvant.

Page 368: L'évolution et la structuration des principes directeurs

358

juges de leur rôle, que l’importance accordée aux aptitudes en communication s’accroît parmi les

réponses de ceux-ci pour décrire les habiletés qu’ils doivent maîtriser1481. Ceci montre qu’aux yeux

de ces magistrats eux-mêmes, ou d’une partie d’entre eux, la fonction judiciaire s’approfondit dans

certains domaines, fait appel à des habiletés plus nombreuses pour répondre aux facettes multiples

de l’offre de justice actuelle. Ainsi, le discours des juges sur la fonction de juger doit s’analyser de

deux façons. D’une part, il témoigne d’une relative persistance, un enracinement dans une tradition

qui se traduit par un vocabulaire et une imagerie relativement durables. D’autre part, ce recours à

l’idée de continuité peut également dissimuler des modifications ou des altérations de sens et des

ajouts conséquents qui sont perçus, acceptés et exprimés comme des adaptations nécessaires, alors

qu’ils traduisent une forme d’évolution. Le changement est ainsi présenté en excluant l’idée d’une

rupture radicale. Cette discussion introduit une réflexion importante sur l’aspect discursif de

l’image de la fonction judiciaire. Comme les praticiens, les juges ont souvent recours aux

expressions consacrées pour définir cette fonction1482. Celles-ci correspondent-elles à la réalité?

Elles évoquent en tout cas un idéal que les auditeurs ou les lecteurs des jugements peuvent

comprendre et auquel ils peuvent adhérer. L’usage possible de l’image consacrée du juge invite à

une certaine prudence. Le contenu d’un jugement partagé peut tenir de l’argumentaire. La

formulation sert l’opinion exprimée et soutenue1483. Cela influence le discours subséquent sur la

prédominance des principes et sur les facettes de la fonction judiciaire que son auteur choisit de

mettre en lumière. Les distinctions et dichotomies présentes dans le discours qui décrit les

1481 J. Macfarlane, supra note 1251, p. 232-235. Une partie des juges interrogés, par exemple, auraient manifesté leur

intérêt à développer des habiletés en matière de conférence de règlement («conferencing settlement skills»). Elle indique

qu’une autre partie semble moins intéressée par l’acquisition d’habiletés dans ce domaine. Elle note que cette dualité

rejoint la double tendance remarquée par l’auteure chez les avocats également. 1482 Cela se vérifie particulièrement dans la première période d’étude de la thèse (1867 à 1966). L’ouvrage de Pierre-

Georges Roy sur les juges de la province de Québec permet de faire une recension des termes utilisés pour décrire les

qualités des magistrats. Voir, tout d’abord, la citation choisie pour servir de frontispice, rapportée en note à la page 149.

Lorsque les textes présentés par l’auteur font état de la carrière de juge ou citent des articles de journaux à cet égard, des

points se répètent souvent : l’insistance mise à souligner la science juridique, la conscience, le travail, la rectitude ou

l’impartialité, entre autres, l’atteste (P.-G. Roy, Les juges de la Province de Québec, supra note 230 : voir par exemple les

pages des juges Andrews (p. 7), H. Archambault (p. 13), Badgley (p. 31), Beaudry (p. 37), Bossé (p. 67), Buchanan (p.

89), Cimon (p. 123), Gagné (p. 227), Mathieu (p. 353), McDougall (p. 363), J.-T. Taschereau (p. 529) et Tessier (p. 541)).

Quelques allusions à la courtoisie, au caractère aimable, à l’urbanité et la bienveillance, au tact, traduisent probablement

des idées similaires (considérer les cas des juges Dunlop (p. 193), McDougall (p. 363), Meredith (p. 373), L.-P. Roy (p.

483) et Tessier (p. 541), notamment). Pierre-Basile Mignault fait aussi, dans l’éloge funèbre de son collègue le juge

Brodeur, un portrait du «bon juge» dont l’image, qui n’oublie ni l’écoute ni la générosité, est saisissante : P.-B. Mignault,

«Le juge Brodeur», supra note 233, p. 245-247. Voir également M. Nantel, «Le rôle de la magistrature», supra note 677. 1483 Il est intéressant de considérer l’exemple de l’arrêt en matière d’injonction en droit du travail Syndicat des Employés

du Transport de Montréal (CSN) c. Québec (P.G.), [1970] R.C.S. 713. Par sa référence à une image consacrée et destinée

à en appeler aux représentations de la fonction judiciaire de ses contemporains, le discours élaboré par le juge Pigeon,

dissident (voir principalement les pages 723-724) met en valeur le rôle du juge auditeur qui doit appliquer le principe

directeur de la contradiction pour juger. De son côté. Le juge Fauteux, majoritaire (principalement aux pages 719-720), au

nom de l’urgence et de la protection du public, propose une interprétation stricte du texte de loi tout en mettant l’accent

sur deux rôles joués par le juge de la Cour supérieure : mettre en application le droit et assurer la protection des

justiciables. Or, dans l’absolu, ces deux facettes de la fonction judiciaires sont fondamentales et ne s’excluent pas

mutuellement.

Page 369: L'évolution et la structuration des principes directeurs

359

représentations de la fonction judiciaire peuvent aussi traduire la nature incomplète du changement

de mentalités à l’égard des rôles du juge et des innovations procédurales et la présence de

phénomènes déjà évoqués qui peuvent accompagner une période de transition.

Par ailleurs, l’approche de certains concepts, qui traduisent des événements du droit judiciaire,

révèle les divergences de perception et d’intégration de ceux-ci. Le contenu et la définition des

concepts utilisés peuvent donc varier selon les auteurs ou les personnes impliquées dans une

instance. Il devient instructif de considérer un échantillon représentatif de questions dans cette

perspective. Pourquoi une divergence de langage existe-t-elle entre les auteurs du dernier quart du

XXe siècle afin de savoir si, par exemple, la conciliation fait ou non partie de la fonction judiciaire?

Pourrait-il être suggéré qu’il existe une divergence entre eux quant à la définition du concept de la

fonction judiciaire? L’argumentation du juge Rochon en faveur de la reconnaissance du rôle de

«médiateur judiciaire»1484 dans la fonction judiciaire en fournit un exemple. Ceux qui décrieraient le

rôle de conciliateur en le considérant comme un rôle externe au droit judiciaire proprement dit

adhèrent à une définition plus restrictive, plus classique, de la fonction judiciaire et utilisent ce

concept pour représenter le rôle du juge à l’audience dans le cadre de son image d’auditeur neutre et

d’adjudicateur. À l’inverse, ceux qui soutiennent à la fin du XXe siècle et au moment de la révision

du Code que la conciliation fait partie de la fonction judiciaire adoptent une approche différente.

Selon celle-ci, la fonction judiciaire représente l’ensemble des pouvoirs, des devoirs et des avenues

d’interventions ouverts au juge dans le cadre de la progression d’une instance pour assister les

parties, ce qui englobe aussi bien la conciliation que l’adjudication. Cette distinction linguistique

expliquerait en partie les raisons d’un apparent décalage entre auteurs dans le discours concernant

l’élargissement de la fonction du juge. Sur le plan strictement factuel, il est clair que la fonction du

juge a été changée à la suite des décisions prises à cet égard, tant devant les tribunaux que dans les

modifications du Code adoptées en 2002 et 2014. La dichotomie doit donc nécessairement être

tranchée avant qu’une discussion ne soit amorcée. Lors de l’adoption des deux phases du nouveau

Code, le législateur a fait un choix. Dans l’ensemble de la thèse, l’hypothèse a été examinée en

considérant la fonction judiciaire comme l’expression la plus large des multiples rôles des juges

durant l’instance. Ceci inscrit la pensée de la thèse dans la ligne du second courant. Celui-ci tend

actuellement à être le courant «privilégié» si nous prenons comme outil de référence le libellé du

Code de 1966 et du nouveau Code. Cette illustration affirme également l’aspect «culturel» d’une

1484 Kosko c. Bijimine, 2006 QCCA 671, par. 29-33 (j. Rochon). Au sujet de la mission de conciliation du juge telle

qu’elle est définie depuis 2003, voir des remarques précédentes, par exemple en pages 282 (pour la décision citée) ou 275

(plus généralement).

Page 370: L'évolution et la structuration des principes directeurs

360

telle prise de position quant à la définition de la fonction judiciaire de la part de tous les «auteurs»

impliqués.

Une certaine doctrine suggère que la procédure civile, ou le droit judiciaire à titre de branche du

droit, se trouve depuis quelque vingt années dans une phase de réorganisation ou de transition, à

l’échelle mondiale. L’étude s’étendant sur 150 ans d’existence du Code de procédure civile

québécois ne s’inscrit pas à contre-courant d’une telle perception. Par contre, elle offre des pistes de

réflexion. D’une part, il est impossible de prétendre que la procédure civile, la fonction judiciaire ou

la «culture» judiciaire aient souffert d’immobilisme. Au contraire, il s’agit d’un milieu où les

changements, les évolutions et les remises en question sont nombreux. Peut-être la perception des

problèmes, surtout dans une optique mondiale où la fréquentation des cours diminue, est-elle plus

aiguë, plus immédiate, et consécutivement la perception des changements est-elle ressentie de la

même façon. Cependant, comme cette étude le souligne, la situation de la procédure civile et du

système judiciaire n’a jamais été idyllique. La codification de 1866 et chacune des révisions

subséquentes, sans parler des ajouts ponctuels, répondaient à des difficultés parfois profondes et

structurelles. La «crise» de la fin du XXe siècle nécessite une considération sérieuse, et une mise en

perspective. Ainsi, le souhait exprimé de définir une «nouvelle culture judiciaire» tend plutôt à se

présenter comme une façon d’accélérer et d’infléchir l’évolution générale de la procédure judiciaire.

Il s’agit d’une tentative de lui faire produire d’abord les effets qui ont été recherchés depuis des

siècles : une procédure civile plus simple, plus rapide, moins coûteuse. Elle cherche également, sous

couvert de la valeur d’accessibilité, à axer cette procédure civile sur les besoins des justiciables et à

impliquer ceux-ci dans la solution de leurs litiges.

Par ailleurs, la stratégie adoptée diffère sur certains points des plans d’évolution proposés lors de

l’adoption des révisions précédentes du Code. La thèse a indiqué, implicitement, que les décisions

en matière de «modernisation» de la procédure civile n’étaient pas inévitables. Dès la codification

initiale, des suggestions mises de l’avant par les commissaires à la codification ont été rejetées au

moment de l’adoption du projet de loi. Plusieurs exemples ont permis d’exprimer l’existence de

nombreuses avenues de définition et de modification du droit judiciaire qui sont nées et perdurent

encore en 2019. Les choix faits par l’ensemble de la communauté juridique, retenus ou imposés par

les législateurs successifs au cours de l’histoire du Code, ont influencé cette évolution procédurale

et l’ont réorientée. Des méthodes, des approches, des formes procédurales ont été ajoutées, retirées,

modelées pour répondre à des besoins nouveaux et à des mentalités différentes. Le recours aux

principes directeurs change de nature et s’approfondit. Bien qu’il s’agisse d’une décision qui rompt

avec certaines perceptions plus anciennes du Code, ce recours aux principes directeurs constitue une

Page 371: L'évolution et la structuration des principes directeurs

361

évolution de la procédure civile cohérente compte tenu du développement de celle-ci. L’emprunt de

concepts aux droits britannique, américain ou français, se perçoit alors comme le complément d’un

courant existant, choisi et dynamique, caractéristique d’une procédure civile codifiée d’origine

mixte et au parcours individualisé et intégré à son environnement social. L’induction ou la

perception d’un changement culturel souhaitable ou non peut provenir d’une telle décision, mais

aussi d’une règle qui n’aurait pas de racines étrangères et qui serait imposée par une autorité

législative. Ces phénomènes ne peuvent pas se réduire uniquement à une tentative d’imposer un

schéma d’orientation étranger au développement d’une procédure civile qui peut être reconnue

comme «québécoise».

De même, il faut retenir que la réalité du changement s’inscrit toujours dans un cadre temporel.

L’émergence des courants ou des principes directeurs qui forment la base des modifications à la

compréhension de la procédure civile ou de la fonction judiciaire précède parfois de plusieurs

années leur reconnaissance formelle. Les choix effectués à un stade de développement de la

procédure civile entraînent des répercussions à long terme. L’ampleur prise par la question de la

diminution du formalisme l’illustre bien. D’une critique formulée par un groupe de praticiens et

d’auteurs dans la première moitié du XXe siècle, elle devient une orientation reconnue de la

procédure civile dans la seconde moitié du même siècle. L’approfondissement de cette conception

souple de la procédure civile participe au choix de certains principes directeurs dans le cadre de la

plus récente révision du Code de procédure civile.

Tant à travers le Code qu’à l’extérieur de celui-ci, les principes imprègnent la conception du

système judiciaire et mènent à de nouvelles approches et représentations. Le rôle des principes

directeurs de la procédure civile est réel, même avant leur identification formelle par la

communauté juridique. En effet, tant dans l’application de la loi que dans son interprétation, les

juges doivent se plier non seulement aux règles de la procédure, mais aussi à l’esprit qui les anime.

Par conséquent, le législateur et les juges doivent élargir leur réflexion et étendre leur action pour

répondre aux attentes qui découlent de cet esprit général de la procédure civile, quitte à nuancer ou

à renverser des états de fait qui paraissaient autrefois immuables et se révèlent un jour obsolètes.

L’action est à la fois directe et indirecte. Elle se traduit par des mesures concrètes, mais elle crée

aussi le besoin de changement en insufflant dans le droit procédural des influences externes

juridiques et non juridiques. De plus, l’action des principes directeurs définit l’orientation de tout le

système des règles et, de ce fait, devient un puissant élément de structure.

Page 372: L'évolution et la structuration des principes directeurs

362

Cette «nouvelle culture judiciaire» espérée par nombre de membres de la communauté juridique

appartient donc à un tout historique, social et judiciaire. Les phénomènes observés en matière de

structuration de la procédure civile, qui évolue dans un contexte d’utilisation, sont indissociables de

l’évolution des divers aspects composant la culture judiciaire, de leur interdépendance, et de leurs

racines. Les quelques constatations de traits recoupant des phénomènes décrits en matière de

changement culturel ont montré que la communauté juridique a toujours dû réagir aux

modifications en matière procédurale. Elle a relevé ces défis comme une structure vivante possédant

un rythme d’adaptation influencé par les réactions multiples, valables et saines de ses membres,

allant de l’avant-gardisme à la résistance, comme toute «société».

Notre exposé montre qu’historiquement et de nos jours, tant sur le plan judiciaire que législatif, la

procédure civile représente un sujet d’étude à la fois juridique et éminemment culturel. L’image

obtenue traduit aussi l’expression de l’implication de la procédure civile dans la culture juridique, et

plus largement dans la culture québécoise. La question de l’image d’un droit judiciaire figé,

désincarné, uniquement composé de règles sèches et immuables, est appelée à être posée. Elle

constitue une représentation qui s’éloigne de plus en plus de la réalité procédurale. De la même

façon, l’image d’un juge distant, passif, dont le seul et unique rôle serait d’assister à un duel

judiciaire et de trancher devrait être reconsidérée si elle perdurait. La procédure civile est, certes, un

domaine avant tout juridique. Le principal souci des recherches qui sous-tendent ce texte concerne

d’ailleurs la démonstration de l’évolution du droit, de ses effets en matière judiciaire, autant que les

avenues qu’elle emprunte et qui influencent l’application de nos lois et le futur de notre droit.

Pourtant, il apparaît indéniablement, en filigrane, que la procédure civile constitue aussi la méthode,

le savoir-faire du juriste et du juge. L’aspect culturel des techniques et méthodes, de manière

générale, est aussi une réalité de toute civilisation1485. Les règles, les résultats, l’évolution,

l’adaptation des outils de la procédure civile québécoise sont sujets à être scrutés culturellement

autant que peut l’être –et que l’est dans le cadre de certaines études historiques– le savoir-faire d’un

artisan.

Exclure le Code de procédure civile de son appartenance à un tout culturel que serait le droit

québécois est une impossibilité. Ne pas reconnaître l’apport que la procédure civile offre

nécessairement au droit s’avère tout aussi complexe. Dans ce contexte, la définition de principes

directeurs, dont ce texte souligne à plusieurs reprises la nature spécialisée, dont l’un des rôles

consiste à orienter une branche du droit, est en soi une méthode spécifique et légitime

1485 D. Jutras mentionne brièvement d’ailleurs cet aspect en discutant de «culture professionnelle» dans le cadre de

«Culture et droit processuel : le cas du Québec», supra note 699, p. 285-288.

Page 373: L'évolution et la structuration des principes directeurs

363

d’organisation du droit judiciaire. À ce niveau, en tant que partie d’un tout culturel qu’est le droit

québécois, la conception du rôle du Code de procédure civile à titre de réservoir de concepts

nécessaires à sa propre application, à son interprétation et à son évolution devient possible. Cette

possibilité, choisie par le législateur, peut être présentée comme cohérente avec l’évolution d’un des

courants importants du discours procédural au XXe siècle. L’apport historique et social dans la

conception de la procédure civile devient révélateur au moment de discuter des principes. Les

réalités du Québec aux différentes époques étudiées ont poussé la communauté juridique à

transformer les règles, à les adapter à la réalité existante, à les intégrer à un tout que nous souhaitons

harmonieux et appliqué avec cohésion : le Code de procédure civile.

Dans une réflexion sur la codification, Gérard Cornu a rappelé plusieurs aspects d’un tel exercice

dont la présente thèse a tiré profit. S’appuyant sur Portalis, il a soutenu qu’un code est construit en

utilisant certaines stratégies et que l’une d’entre elles veut qu’il faille «énoncer les principes, non les

détails et préférer, chaque fois que cela est possible, les formules souples»1486. Il propose que, par

ces formules souples, malléables, le droit codifié peut demeurer évolutif et faire face aux

adaptations futures. Car, comme il le rappelle, un code ne doit pas devenir une structure figée : son

rythme naturel est un rythme lent, mais un code se transforme. De manière générale, une véritable

évolution d’une manifestation culturelle ne se produira pas en quelques années. Souvent,

l’épanouissement d’une idée plonge ses racines dans une réflexion à plus long terme, comme la

thèse l’a illustré à l’occasion. Il peut être tentant d’accélérer un tel processus en introduisant une

rupture1487, bien que les résultats puissent en être la résistance et la polarisation. Ces résultats ne

sont pas en soi rares dans l’étude de l’histoire socioculturelle, et ils pourraient revêtir une grande

signification pour notre recherche1488. Ils peuvent participer à une appropriation des nouvelles

règles. Par contre, ils pourraient sembler indésirables dans l’optique pratique d’une transformation

volontaire de la culture judiciaire, dans le cas où le changement est souhaité ou attendu, ou perçu

comme tel. L’étude de ce changement doit prendre en compte l’importance des phénomènes de

1486 G. Cornu, «Codification contemporaine : valeurs et langage», dans Conseil de la langue française, Codification :

valeurs et langage, Actes du colloque international de droit civil comparé, Montréal, 1985, p. 38. 1487 La rupture, dans ce contexte, s’entendrait comme un changement grave et soudain dans l’état des choses (Le nouveau

Petit Robert, 2004, sub verbo «rupture».) Elle rejoint en cela un aspect fondamental du changement social ou culturel, soit

les manières et vitesses variables qui peuvent le caractériser (voir par exemple J.-F. Dortier (dir.), Le dictionnaire des

sciences humaines, Auxerre, Éditions Sciences Humaines, 2004, p. 80). Elle consisterait, dans le cadre du droit

procédural, en l’introduction de règles ou de manières de faire sans lien avec la pratique, qui est la culture de réception,

dans l’intention de modifier celle-ci. 1488 Comme l’affirme Georges Duby, «puisqu’une culture se définit aussi bien par ce qu’elle rejette que par ce qu’elle

vénère, autant que la fascination et les adhésions, doivent être observés les blocages, les exclusions, les refus […]», G.

Duby, supra note 120, p. 430.

Page 374: L'évolution et la structuration des principes directeurs

364

continuité et de réception1489. Les principes directeurs appartiennent à cette catégorie de mesures

qui, bien utilisées, ont pour vocation de permettre l’adaptation du Code de procédure civile du

Québec aux besoins des justiciables et des cours.

Notre étude s’intéresse à la possibilité de la permanence, de la prévalence sur une longue période

d’un trait culturel et des évolutions qu’il peut connaître. Ainsi, l’implantation progressive d’une

mesure, si elle peut apparaître comme apportant des bénéfices peu significatifs à court terme, peut

avoir un impact positif sur le véritable changement culturel à long terme en permettant une

meilleure insertion du trait culturel identifié. Or, dans le cadre de la réforme du XXIe siècle, il est

possible d’argumenter que l’idée du changement culturel a été en partie adoptée pour moderniser

l’esprit de la procédure civile, et qu’elle a été en partie instrumentalisée pour servir les intérêts

immédiats d’une modification du fonctionnement du système judiciaire. Étant donné sa véritable

nature, il est fort possible que le rythme de ce changement culturel ne se plie pas exactement aux

échéanciers orientés par une vision liée à la gestion et que les résultats qu’il produit soient mitigés à

court ou moyen terme, voire très différents de ceux qui étaient escomptés.

Cette thèse s’inscrit donc dans la théorie de la procédure civile québécoise, partie un peu abstraite

d’un champ de recherche lui-même souvent délaissé, probablement à cause de son apparence

technique. Cependant, elle rappelle que cette discipline vouée principalement à l’étude des diverses

formes procédurales constitue aussi une branche à part entière du droit civil québécois, où la

philosophie, les principes, les valeurs, la société, les individus, l’histoire, le temps trouvent le

moyen de s’inscrire et d’influencer les règles. La compréhension et le développement des nouvelles

règles de procédure, tout autant que le droit procédural des décennies à venir, doivent se construire

non seulement comme un ensemble juridiquement et judiciairement cohérent, mais selon un esprit

harmonieusement intégré à la fois à la société et à l’ensemble du droit civil québécois. Le choix de

maintenir ou de rompre avec ces nouvelles règles est appelé à être proposé à nouveau dans l’avenir,

comme il s’est présenté face à celles qui les ont précédés. Ce choix peut être éclairé par une

meilleure connaissance des évolutions de la pensée qui accompagnent les choix procéduraux

effectués depuis un siècle et demi. En participant, parmi d’autres ouvrages, à définir l’évolution de

cet esprit, cette thèse a l’ambition d’apporter une contribution à cette réflexion.

1489 Voir à cet égard les explications concernant la méthodologie en introduction. Voir aussi G. Duby, supra note 120, p.

430-431.

Page 375: L'évolution et la structuration des principes directeurs

Bibliographie

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Acte pour établir une cour ayant jurisdiction en appel et en matières criminelles, pour le Bas-

Canada, (1849) 12 Vic., c. 37.

Acte pour pourvoir à la codification des lois du Bas-Canada qui se rapportent aux matières civiles

et à la procédure, (1857) 20 Vic., c. 43.

Acte pour pourvoir à la décision sommaire des Petites Causes, dans le Bas-Canada, (1843) 7 Vic.,

c. 19.

Charte des droits et libertés de la personne, L.Q. 1975, c. 6.

Charte des droits et libertés de la personne, R.L.R.Q., c.-12.

Code des professions, R.L.R.Q., c.-26.

Code canadien du travail, L.R.C. 1985, c. L-2.

Code du travail, R.L.R.Q., c. C-27.

Loi amendant la loi concernant la conciliation, [1905] 5 Ed. VII, c. 31.

Loi amendant le Code civil, (1897) 60 Vic., c. 50.

Loi amendant le Code de procédure civile relativement aux procès par jury, (1908) 8 Ed. VII, c. 77.

Loi amendant le Code de procédure civile, relativement aux appels, (1922) 12 Geo. V, c. 97.

Loi amendant les Statuts refondus 1909, relativement à la conciliation, [1920] 10 Geo. V, c. 76.

Page 376: L'évolution et la structuration des principes directeurs

366

Loi assurant l’application de la réforme du droit de la famille et modifiant le Code de procédure

civile, L.Q. 1982, c. 17.

Loi concernant l’instruction des causes dans le district judiciaire de Montréal, (1950-51) 14-15

Geo. VI, c. 67.

Loi concernant la conciliation, [1899] 62 Vic., c. 54.

Loi concernant la revision et la modification du Code de procédure civile du Bas-Canada, (1894)

57 Vic., c. 9.

Loi concernant le Code de procédure civile de la province de Québec, (1897) 60 Vic., c. 48.

Loi concernant les responsabilités des accidents dont les ouvriers sont victimes dans leur travail, et

la répartition des dommages qui en résultent, (1909) 9 Ed. VII, c. 66.

Loi d’interprétation, R.L.R.Q., c. I-16.

Loi de la convention collective, S.R.Q. 1941, ch. 163.

Loi de la convention collective, (1940) 4 Geo. IV ch. 38.

Loi des liqueurs alcooliques, (1921) 11 Geo. V, c. 24.

Loi des liqueurs alcooliques, S.R.Q. 1925, c. 37.

Loi favorisant l’accès à la justice, L.Q. 1971, c. 86.

Loi instituant au Code de procédure civile la médiation préalable en matière familiale et modifiant

d’autres dispositions de ce code, L.Q. 1997, c. 42.

Loi instituant l’union civile et établissant de nouvelles règles de filiation, L.Q. 2002, c. 6.

Loi instituant la Commission des lésions professionnelles et modifiant diverses dispositions

législatives, L.Q. 1997, c. 27.

Loi instituant le nouveau Code de procédure civile, L.Q. 2014, c. 1.

Loi modifiant la Loi relative à l’extension des convention collectives de travail, (1936) 1 Ed. VIII

(2e sess.), c. 24.

Loi modifiant le Code civil et le Code de procédure civile en matière d’arbitrage, L.Q. 1986, c. 73.

Loi modifiant le Code de procédure civile concernant la médiation familiale, L.Q. 1993, c. 1.

Loi modifiant le Code de procédure civile en matière de délai d’inscription, L.Q. 2004, c. 14.

Loi modifiant le Code de procédure civile et d’autres dispositions législatives, L.Q. 1979, c. 37.

Loi modifiant le Code de procédure civile et d’autres dispositions législatives, L.Q. 1984, c. 26.

Loi modifiant le Code de procédure civile et diverses dispositions législatives, L.Q. 1993, c. 72.

Page 377: L'évolution et la structuration des principes directeurs

367

Loi modifiant le Code de procédure civile et la Charte des droits et libertés de la personne, L.Q.

1993, c. 30.

Loi modifiant le Code de procédure civile pour prévenir l’utilisation abusive des tribunaux et

favoriser le respect de la liberté d’expression et la participation des citoyens aux débats publics,

L.Q. 2009, c. 12.

Loi modifiant le Code de procédure civile relativement à l’examen préalable, (1926) 16 Geo. V., c.

65.

Loi modifiant le Code de procédure civile relativement à l’inscription en droit, (1929) 19 Geo. V, c.

81.

Loi modifiant le Code de procédure civile relativement à la Cour du banc du Roi en appel, (1925)

15 Geo. V, c. 85.

Loi modifiant le Code de procédure civile relativement à la radiation de l’ordre de délibérer,

(1924) 14 Geo. V, c. 81.

Loi modifiant le Code de procédure civile, (1938) 2 Geo. VI, c. 100.

Loi modifiant le Code de procédure civile, (1939) 3 Geo. VI, c. 96.

Loi modifiant le Code de procédure civile, (1944) 8 Geo. VI, c. 45.

Loi modifiant le Code de procédure civile, (1952-53) 1-2 Eliz. II, c. 18.

Loi modifiant le Code de procédure civile, (1953-54) 2-3 Eliz. II, c. 27.

Loi modifiant le Code de procédure civile, (1959-60) 8-9 Eliz. II, c. 99.

Loi modifiant le Code de procédure civile, L.Q. 1972, c. 70.

Loi modifiant le Code de procédure civile, L.Q. 1994, c. 28.

Loi modifiant le Code de procédure civile, L.Q. 1999, c. 46.

Loi modifiant le Code de procédure civile, la loi sur la Régie du logement, la loi sur les jurés et

d’autres dispositions législatives, L.Q. 1996, c. 5.

Loi modifiant le Code de procédure civile, le Code civil et d’autres dispositions législatives, L.Q.

1983, c. 28.

Loi modifiant les articles 162 et 205 du Code de procédure civile, (1925) 15 Geo. V, c. 82.

Loi portant réforme du Code de procédure civile, L.Q. 2002, c. 7.

Loi pour améliorer le Code de procédure civile, (1945) 9 Geo. VI, c. 69.

Loi relative à l’organisation et à la compétence des tribunaux de juridiction civile et à la

procédure, en certains cas, (1920) 10 Geo. V, c. 79.

Page 378: L'évolution et la structuration des principes directeurs

368

Loi sur l'application de la réforme du Code civil, L.Q. 1992, c. 57.

Loi sur le recours collectif, L.Q. 1978, c. 8.

Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles, L.Q. 1985, c. 6.

Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles, R.L.R.Q. c. A-3.001.

Loi sur les accidents du travail, L.R.Q. 1977, c. A-3.

Loi sur le Barreau, R.L.R.Q. c. B-1.

Loi sur les différends ouvriers de Québec, (1901) 1 Ed. VII, c. 31.

Magna Carta, 1297 c. 9, s. 29 (legislation.gov.uk/aep/Edw1cc1929/25/9/section/XXIX).

«Ordonnance de Louis XIV, roi de France et de Navarre, du mois d’avril 1667. Avec le procès

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fils, 1893, 616 p.

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Projets de loi

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septembre 2011.

PL 14, Loi modifiant le Code de procédure civile concernant la médiation familiale, 2e sess., 34e

lég., 9 mars 1993.

PL 28, Loi instituant le nouveau Code de procédure civile, 1re sess., 40e lég., Québec, 2013.

Règles de pratique et règlements des tribunaux

Code de déontologie des avocats, R.L.R.Q., ch. B-1, r. 3.1.

Directive de pratique du ministère de la Justice britannique au sujet des protocoles préjudiciaires :

justice.gov.uk/courts/procedure-rules/civil/rules/pd_pre-action_conduct, art. 1.

Règlement de la Cour supérieure du Québec en matière civile, RLRQ, c. C-25.01, r. 0.2.1.

Règlement de procédure civile, R.L.R.Q., c. C-25, r. 11.

Règlement de procédure civile, R.L.R.Q., c. C-25.01, r. 4.

Règlement de procédure civile, R.R.Q., 1981, c. C-25, r. 9.

Règlement sur la médiation familiale, Décret 1686-93, (1993) 52 G.O. II, p. 8648.

Règles de pratique de la Cour supérieure (1850).

Règles de pratique de la Cour supérieure (1854).

Règles de pratique pour la Cour supérieure, G.O.Q., 20 avril 1929, vol. 61, p. 1227.

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Civil Procedure Rules, Rules & Practice Directions, Royaume-Uni

(justice.gov.uk/courts/procedure-rules/civil/rules/part01).

Tarif des frais judiciaires en matière civile, R.L.R.Q. c. T-16, r. 10.

Tarif des honoraires judiciaires des avocats, R.R.Q., c. B-1, r. 22.

Autres

Code civil du Québec (1991, c. 64); Loi sur l’application de la réforme du Code civile (1992, c. 57)

– Entrée en vigueur, D. 712-93, (1993) G.O.Q II, 3589.

Code d’éthique des médiateurs, en ligne : http://imaq.org/code-dethique-et-deontologie/

Code de déontologie de l’IMAQ, en ligne : http://imaq.org/code-dethique-et-deontologie/

Commentaires de la ministre de la Justice, Code de procédure civile, chapitre C-25.01, Montréal,

SOQUIJ/Wilson & Lafleur, 2015, p.

Cour supérieure du Québec, Directive concernant la gestion de l’instance, NCPC-directive-gestion-

instance-mtl.pdf, en ligne : tribunaux.qc.ca (2016-06-08).

D712-93, Code civil du Québec, Loi sur l’application du Code civil (1992, c. 57), (1993) G.O.Q. II,

3589. 19 mai 1993.

Proclamation, (1867) Gaz. C., vol. 26, no 28, p. 2177-2178.

Proclamation, (1966) G.O.Q., p. 3259.

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2740478 Canada inc. c. 175809 Canada inc., 2000 CanLII 9254 (QC CA).

2947-6850 Québec inc. c. Prekas, 1993 CanLII 3595 (QC CA).

3766063 Canada Inc. c. Vallières, 2003 CanLII 13362 (QC CS).

9055-8305 Québec inc. c. Aliments Martel inc., 2005 QCCA 952 (CanLII).

9096-0105 Québec Inc. c. Construction Cogela Inc., [2004] R.J.Q 486, 2003 CanLII 546 (QC CS).

9280-7536 Québec inc. (Syndic de), 2016 QCCS 1261 (CanLII).

9312-1994 Québec inc. (Construction Yvan Boisvert inc.) c. SNC-Lavalin inc., 2016 QCCA 327

(CanLII).

A.J. Alexandor Furs Ltd. c. Sadowsky, [1947] B.R. 53.

A.M. c. P.B., 2006 QCCA 1515 (CanLII).

Abrath c. North Eastern Railway Co., (1886) 11 A.C. 247 (H.L.).

Page 381: L'évolution et la structuration des principes directeurs

371

Aliment Breton (Canada) inc. c. Bal Global Finance Canada Corporation, 2010 QCCA 1369

(CanLII).

Alliance des professeurs catholiques de Montréal (L’) c. Labour Relation Board of Quebec, [1953]

2 R.C.S. 140.

Aluminium Company of Canada Ltd. c. Syndicat national des employés de l'aluminerie d'Arvida

Inc., [1969] B.R. 802.

Amex Bank of Canada c. Ptack, 2004 CanLII 32385 (QC CA).

Ashmore c. Corp of Lloyd's, [1992] All E.R. 486.

Association des agents distributeurs des Messageries Dynamiques inc. c. Groupe Québécor inc.,

[1983] R.D.J. 422 (C.A.).

Atkinson c. Noad, (1864) 14 L.C.R. 159 (C.S.).

Aubin c. Morin, [1975] C.S. 185.

Audette c. O'Cain, (1908) 39 S.C.R. 103.

Autorité des marchés financiers c. Lacroix, 2007 QCCS 1300 (CanLII).

Baker c. Young, dans Pyke, G., Cases Argued and Determined in the Court of King's Bench for the

District of Quebec in the Province of Lower-Canada, in Hilary Term in the fiftieth year of the reign

of George III, Reported by Justice Pyke, Montréal, s.n., 1811, p. 22-23 et 26-35 (C.B.R.).

Bal Global Finance Canada Corporation c. Aliments Breton (Canada) inc., 2007 QCCS 5834

(CanLII).

Baril c. Bolduc, [1952] B.R. 611.

Barone c. Grand Trunk Railway Company of Canada (The) (1920), 22 R.P. 277 (C.B.R.).

Barone c. Grand Trunk Railway Company of Canada (The) (1920), 24 R.P. 65 (C.B.R.).

Barrie c. Boisvert, [1944] C.S. 78.

Beaudoin c. Kyres, 2013 QCCA 289 (Can LII).

Beaudry c. Barbeau, [1900] A.C. 569.

Beaudry c. Corporation de la Cité de Montréal (La), (1856) 6 L.C.R. 328 (C.B.R.).

Beaudry c. Mayor, Aldermen and Citizens of Montreal (The), (1858) 8 L.C.R. 104. (C.J.C.P.).

Beaudry c. Ouimet, (1864) 14 L.C.R. 449 (C.S.).

Bélanger c. Bélanger, [1958] R.C.S. 344.

Bélanger c. Théberge, (1904) 10 R. de J. 447 (C.S.).

Page 382: L'évolution et la structuration des principes directeurs

372

Béliveau St-Jacques c. Fédération des employées et employés de services publics inc., [1996] 2

R.C.S. 345.

Bell c. Knowlton, (1863) 13 L.C.R. 232 (C.S.).

Bell c. Leonard, (1857) 1 L.C.J. 17 (C.S.).

Bellavance c. Blais, [1976] R.P. 423 (C.A.).

Bellemare c. Québec (Directeur général des élections), 2010 QCCA 1560 (CanLII).

Bellemare c. Québec (Directeur général des élections), 2010 QCCS 3399 (CanLII).

Bengle c. Weir, (1929) 67 C.S. 289.

Berthelette c. Autonum Presto locations inc., 2013 QCCA 253 (CanLII).

Bisaillon c. Université Concordia, 2006 CSC 19 (CanLII), [2006] 1 R.C.S. 666.

Blais c. Parrot, [1946] R.P. 115 (C.S.).

Board of Education c. Rice, [1911] A.C. 179.

Boswell c. Kilborn, (1862) 12 L.C.R. 161 (C.J.C.P.).

Bouchard c. Agropur Coopérative, [2006] R.J.Q. 2349 (C.A.), 2006 QCCA 1342.

Bouliane c. Janin et Cie Ltée, [1958] R.P. 46 (C.S.).

Bourse de Montréal c. Scotia McLeod inc., [1991] R.D.J. 626 (C.A.).

Bowen c. Montréal (Ville de), [1979] 1 R.C.S. 511.

Brassard c. Société zoologique de Québec inc., 1995 CanLII 4710 (QC CA).

Breakey c. Corporation of the Township of Metgermette North, (1920) 61 R.C.S. 237.

Brodsky c. Archambault, [1944] C.S. 448.

Brouillard Dit Chatel c. R., [1985] 1 R.C.S. 39.

Brown c. Curé et marguilliers de l’œuvre et fabrique de Notre Dame de Montréal (Les), (1874-

1875) 6 L.R.P.C. 157 (C.J.C.P.).

Buisson c. Thibaudeau (1934), 38 R.P. 112 (C.S.).

Burnett c. Banque Royale du Canada, [1992] R.D.J. 261 (C.A.); 1991 CanLII 3337 (QC CA).

Byrne c. Fitzsimmons, (1860) 10 L.C.R. 383 (C.S.).

C.T.C.U.M. c. Syndicat du transport de Montréal (C.S.N.), [1977] C.A. 476.

Page 383: L'évolution et la structuration des principes directeurs

373

Caisse populaire de Saint-Jovite c. Legault, [1983] R.L. 549 (C.S.).

Camirand-Pineau c. Auger, [1968] C.S. 102.

Canada (Procureur général) c. Brault, 2006 QCCS 999 (CanLII).

Canada (Procureur général) c. Corporation des syndicats nationaux, 2014 CSC 49, [2014] 2

R.C.S. 477.

Canada (Procureure générale) c. Thouin, 2015 QCCA 2159 (CanLII).

Canadian Breweries (Limited) (The) c. Allard (1902), 4 R.P. 365 (C.S.).

Canadian Last Block Co. Ltd. c. Desmarteau, (1923) 34 B.R. 130.

Canadian Pacific Railway Co. (The) c. Richelieu and Ontario Navigation Co. (The), (1900) 9 B.R.

293.

Carignan c. Boudreau, (1931) 37 R.L.n.s. 234 (C.S.).

Carrier c. Québec (P.G.), 2011 QCCA 1231 (CanLII).

Cascades Conversion inc. c. Yergeau, 2006 QCCA 464 (CanLII).

Celanese Canada Inc. c. Murray Demolition Corp., 2006 CSC 36, [2006] 2 R.C.S. 189.

Chabot c. Sewell, (1851) 1 L.C.R. 436 (C.S.).

Charest c. Forget, (1941) 70 B.R. 401.

Charland c. Lessard, 2015 QCCA 14 (CanLII).

Chartrand c. Tremblay, [1958] R.C.S. 99.

Cheung c. Borsellino, 2005 QCCA 865 (CanLII).

Chrétien c. Crowley, (1882) 2 D.C.A. (Dorion) 385.

Chrétien c. Paquet, 2011 QCCS 2428 (CanLII).

Christin c. Lafontaine (1902), 5 R.P. 198 (C.S.).

Cie d'huile Penn Mass (La) c. Lemieux, [1950] R.P. 43 (C.S.).

Cintech Agroalimentaire, division inspection inc. c. Thibodeau, 2009 QCCA 1738 (CanLII).

Cité de Pont Viau c. Gauthier Mfg. Ltd., [1978] 2 R.C.S. 516.

Clarke c. Johnston, (1853) 3 L.C.R. 421 (C.B.R.).

Cliff Mining Company c. Royal Bank of Canada, 2007 QCCA 1461 (CanLII).

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374

Coastal Contacts Inc. c. Ordre des optométristes du Québec, 2011 QCCA 1820 (CanLII).

Coghlin c. Fonderie de Joliette (La), (1904) 34 R.C.S. 153.

Collard c. Commerce & Industry Insurance Company of Canada, [1989] R.D.J. 177 (C.A.).

Collin c. Charbonneau (1921), 23 R.P. 72 (C.S.).

Colombie-Britannique c. Impérial Tobacco Canada Ltd., 2005 CSC 49; [2005] 2 R.C.S. 473.

Commission des accidents du travail c. Rheault, [1952] B.R. 28.

Commission des écoles catholiques de Verdun c. Constructions D. Leblanc inc., [1990] R.D.J. 288

(C.A.).

Commission des liqueurs de Québec c. Jeffries, (1929) 46 B.R. 242.

Commission des liqueurs de Québec c. Thibaudeau, (1928) 44 B.R. 417.

Commission scolaire de la paroisse de Ste-Geneviève (La) c. Corporation du Collège de Notre-

Dame de la Côte-des-Neiges (La), (1914) 20 R.L.n.s. 433 (C.A.).

Commonwealth Plywood Cie Ltée c. Conseil Central des Laurentides (C.S.N.), [1978] C.S. 563.

Compagnie P.-T. Légaré c. Gignac, (1929) 46 B.R. 188.

Conbec Development Ltd. c. Place Pointe-Claire Ltd., [1972] C.S. 471.

Conseil Canadien des Églises c. Canada (M.E.I.), [1992] 1 R.C.S. 236.

Construction canadienne 2000 inc. c. Doré, 2017 QCCA 681 (CanLII).

Construction Gilles Paquette ltée c. Entreprises Végo ltée, [1997] 2 R.C.S. 299, 1997 CanLII 352

(CSC).

Construction Marzim inc. c. Cunningham, [1994] R.D.J. 238 (C.A.)

Corbeil c. Gatineau (Ville de), [2009] R.J.Q. 455, 2009 QCCQ 10 (CanLII).

Corporation des enseignants du Québec c. Québec (P.G.), [1973] C.S. 793.

Corporation Draperies Montréal Inc. c. Chicoutimi (Ville de), [1984] C.A. 586.

Corporation du village de la Malbaie c. Warren, (1924) 36 B.R. 70.

Corporation municipale de Contrecoeur c. Soreli inc., [1990] R.D.J. 313 (C.A.).

Corporation Sun Media c. Gesca ltée, 2012 QCCA 682 (CanLII).

Cosoltec inc. c. Structure Laferté inc., 2010 QCCA 1600 (CanLII).

Costello c. Greiss, 1994 CanLII 5301 (QC CA).

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375

Côté c. Corporation of the County of Drummond (The), [1924] R.C.S. 185.

Côté c. Côté, (1933) 39 R. de J. 57 (C.S.).

Coupal c. Bonneau (1865), (1867) 10 L.C.J. 177 (C.B.R.).

Cousineau c. Gagnon, (1914) 23 B.R. 309.

Couture c. Couture, (1904) 34 R.C.S. 716.

Crane Canada Inc. c. Sécurité nationale, cie d'assurance, [2005] R.J.Q. 56 (C.A.), 2004 CanLII

48772 (QC CA).

Cuthbert c. Barrett, (1851) 1 L.C.R. 212 (C.S.).

Danish International Student Committee (The) c. Smith, [1967] R.P. 225 (C.S.).

De Lottinville c. Cité de Québec (1936), 40 R.P. 92 (C.S.).

Deacon c. Demers, [1943] C.S. 155.

Del Guidice c. Honda Canada inc., [2007] R.J.Q. 1496, 2007 QCCA 922 (CanLII).

Demers c. Cité de Québec (1937), 40 R.P. 255 (C.S.).

Déom c. Loranger, 2007 QCCS 2639 (CanLII).

Després-Goudreault c. Les Fondations Étanches (BWN) Canada inc., [1991] R.J.Q. 1360 (C.S.).

Dessurault c. Morin (1929), 35 R.P. 173 (C.S.).

Diamond Taxicab Association, Limited c. Union Taxicab Company, Limited (1927), 30 R.P. 1

(C.S.).

Dion c. Desjardins sécurité financière, 2004 CanLII 13285 (QC CS).

Dion ès-qual. c. Dion ès-qual., (1910) 37 C.S. 84 (C.R.).

Dion ltée c. Banque Provinciale du Canada, (1939) 66 B.R. 344.

Domaine de la Rivière inc. c. Aluminium du Canada ltée, [1985] R.D.J. 30 (C.A.).

Domtar inc. c. Produits Kruger ltée, [2010] R.J.Q 2312, 2010 QCCA 1934 (CanLII).

Doré c. Verdun (Ville), [1997] 2 R.C.S. 862.

Dostaler c. Rodier (1921), 23 R.P. 229 (C.R.).

Driesen c. Métayer, [1991] R.D.J. 357 (C.A.).

Droit de la famille — 072348, 2007 QCCS 4538 (CanLII).

Page 386: L'évolution et la structuration des principes directeurs

376

Droit de la famille — 0910, [2009] R.J.Q. 17, 2009 QCCA 3 (CanLII).

Droit de la famille — 092186, 2009 QCCA 1712 (CanLII).

Droit de la famille — 10287, 2010 QCCA 292 (CanLII).

Droit de la famille — 12272, 2012 QCCA 322 (CanLII).

Droit de la famille — 173226, 2017 QCCS 6247 (CanLII).

Droit de la famille — 2722, [1997] R.J.Q. 2197.

Droit de la famille — 871, [1990] R.J.Q. 2107 (C.A.), 1990 CanLII 3140 (QC CA).

Drouin c. Centre d’achat Boisbriand Inc., [1991] R.D.J. 163 (C.A.), 1991 CanLII 3544 (QC CA).

Drouin c. Dubois, [1951] R.P. 305 (C.S.).

Drummond c. Holland, (1879) 23 L.C.J. 241 (C.S.).

Dubois c. Robert, 2010 QCCA 775 (CanLII).

Duckett c. Bayard (1903), 5 R.P. 281 (C.S.).

Dumont Express Limitée c. Kleinberg, [1960] R.C.S. 617.

Dunn c. Morris, (1925) 31 R.L.n.s. 316 (C.S.)

Duquet c. Sainte-Agathe-des-Monts (Ville de), [1977] 2 R.C.S. 1132.

Dussault c. Association internationale des débardeurs, local 375, [1942] B.R. 307.

Eastern Townships Bank c. Swan, (1899) 29 R.C.S. 193.

Entreprises Laroque inc. (Les) c. Bell Canada, [1990] R.D.J. 95 (C.A.).

Entretien Précal inc. c. Comité paritaire de l’entretien d’édifices publics, région de Montréal, 2004

CanLII 48531 (QC CS).

Ethier c. De Limbourg, (1919) 55 C.S. 179.

Etiah H. Entreprises inc. c. Société de l'assurance automobile du Québec, 2011 QCCA 1682

(CanLII).

Eurobloq inc. c. Matériaux de construction Oldcastle Canada inc., 2013 QCCA 509 (CanLII).

Evans c. Evans, (1889) 5 M.L.R.(S.C.) 414.

Ex Parte Gauthier, (1853) 3 L.C.R. 498 (C.S.).

Ex parte, Church, (1864) 14 L.C.R. 318 (C.S.).

Page 387: L'évolution et la structuration des principes directeurs

377

F.A. c. M.S., 2006 QCCA 216 (CanLII).

Fabrikant c. Swamy, 2010 QCCA 330 (CanLII).

Fédération des producteurs acéricoles du Québec c. Regroupement pour la commercialisation des

produits de l'érable inc., 2006 CSC 50, [2006] 2 R.C.S. 591.

Fefferman c. Bentley’s Cycles and Sports Ltd., [1969] B.R. 806.

Ferme Choquette, s.e.n.c. c. Financement agricole Canada, 2016 QCCS 2141 (CanLII).

Ferrel c. Saultry (1907), 8 R.P. 268 (C.B.R.).

Fontaine c. Payette, (1905) 36 R.C.S. 613.

Forget c. Baxter, [1900] A.C. 467.

Fortin c. Chrétien, 2001 CSC 45, [2001] 2 R.C.S. 500.

Fraternité des policiers de Lachute c. Dulude [1991] R.D.J. 159 (C.A.).

Fulton c. Hénault (1902), 5 R.P. 258 (C.S.).

G.G.(N.) c. E.A., 2006 QCCS 254.

Gadoua c. Beaudoin, [1999] A.J.D.Q. 2639.

Gagné c. Bonneau, dans Pyke, G., Cases Argued and Determined in the Court of King's Bench for

the District of Quebec in the Province of Lower-Canada, in Hilary Term in the fiftieth year of the

reign of George III, Reported by Justice Pyke, Montréal, s.n., 1811, p. 39.

Gagnon c. Desrochers (1924), 27 R.P. 408.

Gauthier c. Henchey, [1945] B.R. 418.

General Motors du Canada ltée c. Billette, 2009 QCCA 2476 (CanLII).

Gervais-Tétrault (Succession de) c. Tétrault, 2007 QCCS 3037 (CanLII).

Gestion Bon Conseil inc. c. Guèvremont, 2006 QCCA 109 (CanLII).

Giguère c. Glazier, [1964] B.R. 301.

Giguère c. Glazier, [1965] R.C.S. 393.

Giroux c. Hydro-Québec, 2003 CanLII 11338 (QC CA).

Giroux c. Langlois, 2011 QCCS 1782 (CanLII).

Giroux c. Roberge, (1921) 30 B.R. 294.

Globe and Mail c. Canada (P.G.), 2010 CSC 41, [2010] 2 R.C.S. 592.

Page 388: L'évolution et la structuration des principes directeurs

378

Godbout c. Bolduc, 2007 QCCS 726 (CanLII).

Gold c. Steinman (1926), 28 R.P. 440 (C.S.).

Grand Trunk Railway Company c. McAlpine, [1913] A.C. 838.

Gravel c. Édifices Gosselin et Fiset enr., 2007 QCCS 5116 (CanLII).

Gravel c. White, 2012 QCCA 824 (CanLII).

Great North Western Telegraph Co. c. Tremblay, (1920) 60 R.C.S. 597.

GreCon Dimter inc. c. J.R. Normand inc., [2005] 2 R.C.S. 401, 2005 CSC 46 (CanLII).

Greenberg c. Denis, [1985] R.D.J. 664 (C.A.).

Groupe Promutuel, fédération de sociétés mutuelles d'assurances générales c. Promutuel

Dorchester, société mutuelle d'assurances générales, 2006 QCCA 1501 (CanLII).

Guay c. Lafleur, [1965] R.C.S. 12.

Gyptek 98 Enr. c. Stylex 3D Inc., 2003 CanLII 19555 (QC CQ).

H. (N.) c. M. (R.), 1999 CanLII 12008 (QC CS).

Hamel c. Brunelle, [1977] 1 R.C.S. 147.

Hampstead (Ville) c. Jardins Tuileries Ltée (Les), [1992] R.D.J. 163, 1991 CanLII 3170 (QC CA).

Harewood c. Sir Mortimer B. Davis Jewish General Hospital, 1991 CanLII 3659 (QC CA).

Harmegnies c. Toyota Canada inc., 2008 QCCA 380 (CanLII).

Hébert c. School Commissioners of St-Félicien, (1922) 62 R.C.S. 174.

Henchey c. Gauthier, [1945] R.P. 106 (C.B.R.).

Hétu c. Butter and Cheese Association of Dixville (The) (1906), 8 R.P. 103 (C.S.).

Hickey c. Maltais, 2007 QCCA 703.

Hollick c. Toronto (Ville), 2001 CSC 68 (CanLII), [2001] 3 R.C.S. 158.

Horic c. Renaud, 2006 QCCA 442 (CanLII).

Houle c. Entreprises Martin Forest inc. (Groupe Durasec), 2016 QCCQ 19482 (CanLII).

Hryniak c. Mauldin, 2014 CSC 7, [2014] 1 R.C.S. 87.

Hydro-Québec c. Moteurs électriques Dupras inc., [1999] R.J.Q. 228 (C.S.).

Page 389: L'évolution et la structuration des principes directeurs

379

I.C. infrastructure Construction Ltée c. Armco Westeel Inc., [1990] R.D.J. 274 (C.A.), 1990 CanLII

3637 (QC CA).

Imperial Tobacco Canada Ltd. c. Conseil québécois sur le tabac et la santé, 2011 QCCA 1356

(CanLII).

In re Lachapelle, (1929) 67 R.J.Q. 365 (C.S.).

Industries Lassonde inc. c. Oasis d’Olivia inc., 2012 QCCA 593 (CanLII).

Infineon Technologies AG c. Option consommateurs, 2013 CSC 59, [2013] 3 R.C.S. 600.

Investissements Intergem inc. c. Ultramar Canada inc., 2006 QCCA 1470 (CanLII).

Isle-Principia (USA) inc. c. Guimond, 2010 QCCA 2133 (CanLII).

J.G. White Engineering Corporation (The) c. Canadian Car and Foundry Company Limited (1939),

43 R.P. 354 (C.S.).

Jekkel c. Bureau de décision et de révision en valeurs mobilières, 2008 QCCS 2808 (CanLII).

Jersey c. Rowell, (1863) 13 L.C.R. 172 (C.B.R.).

Jeunes canadiens pour une civilisation chrétienne c. Fondation du Théâtre du Nouveau-Monde,

[1979] C.A. 491.

Johnson c. Fleck, [1990] R.D.I. 369.

Jolicoeur c. Bouthillier, 2004 CanLII 35498 (QC CS).

Kane c. Conseil d’administration de l’Université de la Colombie-Britannique, [1980] 1 R.C.S.

1105.

Kent c. Communauté des Sœurs de Charité de la Providence (La), [1903] A.C. 220.

King c. Pinsoneault, (1875) 6 L.R.P.C. 245.

Komo Construction Inc. c. Commission des relations du travail du Québec, [1968] R.C.S. 172.

Kosko c. Bijimine, 2006 QCCA 671 (CanLII).

Krauss c. Michaud, (1917) 26 B.R. 504.

Kyriacou c. Tradition Fine Home Products Inc., 2004 CanLII 7608 (QC CS).

La métropolitaine c. L'industrielle, compagnie d'assurance-vie et autres, 1983 CanLII 2742 (QC

CA).

Labonté c. Southern Canada Power Company, Ltd. (1928), 31 R.P. 157 (C.S.).

Lac d'Amiante du Québec ltée c. 2858-0702 Québec inc., 1999 CanLII 13755 (QC CA).

Page 390: L'évolution et la structuration des principes directeurs

380

Lac d'Amiante Québec c. 2858-0702 Québec Inc., 2001 CSC 51, [2001] 2 R.C.S. 743.

Laflamme c. Drouin, [1973] C.A. 707.

Lafortune c. Dubois (1938), 41 R.P. 434 (C.S.).

Lamarche c. Lebrocq, (1851) 1 L.C.R. 215 (C.S.).

Lambe c. Armstrong, (1897) 27 R.C.S. 309.

Langlais c. Côté, 2003 CanLII 46422 (QC CS).

Lantier c. D'Aoust, (1860) 10 L.C.R. 497 (C.B.R.).

Lapointe c. Association de bienfaisance et de retraite de la police de Montréal, [1906] A.C. 535.

Larivière ès-qual. c. Boucher (1939), 43 R.P. 292 (C.S.).

Larose c. Emanuel, [1990] R.J.Q. 2074 (C.A.).

Laurier Saumur c. Québec (P.G.), [1964] R.C.S. 252.

Lavigne c. 6040993 Canada Inc., 2016 QCCA 1755 (CanLII).

Le Bahut Limitée c. Studio Cléopâtre Limitée, [1967] R.P. 365 (C.S.).

Leblanc c. Cour des sessions de la paix, (1941) 70 B.R. 381.

Leclerc c. Robitaille, [1952] R.L. 257 (C.B.R.).

Lecompte c. Besner, [1973] C.A. 24.

Lefebvre c. Legros, (1900) 6 R.L.n.s. 92 (C.cir.).

Lefeunteum c. Beaudoin, (1897) 28 R.C.S. 89.

Legault c. Gagné, [1988] R.D.J. 196 (C.A.).

Legendre c. 3093-9664 Québec inc., 2010 QCCS 2996 (CanLII).

Leiriao c. Val-Bélair (Ville), [1991] 3 R.C.S. 349.

Lemieux c. Thibault (1927), 30 R.P. 148 (C.S.).

Leprohon c. McDonald (1867), (1896) 18 R.J.R. 471 (C.S.) (résumé).

Lessard c. Brodeur, 2006 QCCA 7 (CanLII).

Lewis Bros. Ld. c. Groulx, (1937) 62 B.R. 448.

Lizotte c. Dubé, [1944] C.S. 361.

Page 391: L'évolution et la structuration des principes directeurs

381

Lomaga c. Héma-Québec, 2007 QCCS 2303 (CanLII).

Lord c. R., (1901) 31 R.C.S. 165.

Lorrain c. Petro-Canada, 2013 QCCA 332 (CanLII).

Lussier c. Cité de Montréal (La) (1919), 21 R.P. 277 (C.S.).

M.R. c. Mi.R., 2010 QCCA 1527 (CanLII).

Macpherson c. Greenwood, (1927) 65 C.S. 415.

Maillet c. Perras, (1940) 69 B.R. 183.

Maison Simons inc. c. Lizotte, 2010 QCCA 2126 (CanLII).

Manoir de Belmont inc. c. Schokbéton Québec inc., [1990] R.D.J. 277 (C.A.).

Marcotte c. Cour des Commissaire de St-Casimir (La), (1895) 7 C.S. 236.

Marcotte c. Longueuil (Ville), 2009 CSC 43 (CanLII), [2009] 3 R.C.S. 65.

Marcotte c. Société Coopérative Agricole de Ste-Rosalie, [1955] R.C.S. 294.

Marcoux c. Fortin (1929), 32 R.P. 60 (C.S.).

Marier c. Tétrault, 2008 QCCA 2108 (CanLII).

Marsh c. Montreal Tramways Co. (1922), 24 R.P. 195 (C.S.).

Martel c. Gagnon (1921), 23 R.P. 211 (C.cir.).

Martin c. Bertrand, [1946] R.L. 253 (C.S.).

Martin c. Martin (1937), 43 R.P. 159 (C.S.).

Massinon c. Ghys, 1998 CanLII 12845 (QC CA), J.E. 98-1195.

Mayor, Aldermen, and Citizens of the City of Montreal (The) c. Brown, (1877) 2 A.C. 168.

Mayrand c. St.Denis, (1928) 34 R.L.n.s. 380 (C.S.).

McGoey c. Leamy, (1897) 27 R.C.S. 545.

Ménard c. Ricard, [1974] C.A. 157.

Meunier c. St.-Jean (1905), 7 R.P. 62 (C.S.).

Mica Canada inc. c. Général Accident, compagnie d'assurances du Canada, [1997] R.J.Q. 2752

(C.S.).

Michalakopoulos c. Sam Levy & Associés inc., [2009] R.J.Q. 625, 2009 QCCA 427.

Page 392: L'évolution et la structuration des principes directeurs

382

Michaud c. Équipements ESF inc., 2010 QCCA 2350 (CanLII).

Miron c. Procréa Biosciences inc., 2002 CanLII 62144 (QC CA).

Mocreebec Council of the Cree Nation c. Québec (P.G.), 2012 QCCS 1835 (CanLII).

Modes Striva Inc. c. Banque Nationale du Canada, 2002 CanLII 34212 (QC CA).

Moko c. Ebay Canada Ltd., 2012 QCCA 2052 (CanLII).

Montana c. Développements du Saguenay, [1977] 1 R.C.S. 32.

Montrait c. Williams, (1878) 22 L.C.J. 19 (C.B.R.).

Montreal Light, Heat and Power Consolidated c. City of Outremont, [1932] A.C. 423.

Montreal Tramways Co. (The) c. Séguin, (1916) 52 R.C.S. 644.

Montreal Tramways Co. c. Brodeur, (1937) 62 B.R. 342.

Montreal Tramways Co. c. Campeau (1937), (1941) 70 B.R. 180.

Moore c. Rouleau, [1946] B.R. 573 (résumé).

Morrison c. Mayor, Aldermen, and Citizen of Montreal, (1877) 3 A.C. 148.

Nadon c. Ville d'Anjou, [1994] R.J.Q. 1823 (C.A.).

Nordheimer c. Duplessis (1866), (1896) 18 R.J.R. 141 (C.B.R.) (résumé).

North American Life Ass. Co. c. Lamothe (1905), 7 R.P. 177 (C.B.R.).

O’Connor c. Marin (1926), 29 R.P. 323 (C.S.).

Occéan c. Société de l'assurance automobile du Québec, 2011 QCCS 1564 (CanLII).

Omniglass Limited c. Groupe Cayouette Superseal inc., [1986] R.D.J. 52 (C.A.).

Ordre des comptables généraux licenciés du Québec c. Québec (P.G.), 2005 CanLII 6727 (QC CS).

Ouimet c. Fleury, (1910) 19 B.R. 301.

Painchaud c. Millen, (1930) 49 B.R. 565.

Painchaud c. Millen, (1930) 68 C.S. 487.

Painchaud-Cleary c. Pap, 2002 CanLII 7545 (QC CS).

Paquette c. Laurier, 2011 QCCA 1228 (CanLII).

Paquin c. Lefebvre-Paquin, [1978] C.S. 1182.

Page 393: L'évolution et la structuration des principes directeurs

383

Paramount Film Service Ltd. c. Payeur, [1961] R.P. 288 (C.S.).

Parent c. Richer, 2016 QCCQ 2468 (CanLII).

Parizeau c. Héritiers Meloche (Les) (1910), 12 R.P. 161 (C.S.).

Parmalat Canada inc. c. Puremed Canada inc., 2012 QCCA 833 (CanLII).

Patenaude c. Gingras (1926), 29 R.P. 219 (C.S.).

Paulin c. Trust général du Canada, [1986] R.D.J. 75 (C.A.).

Pelletier c. Larochelle, [1951] C.S. 181.

Perrault c. Vallières (1820), (1892) 2 R.J.R. 269 (C.B.R.) (résumé).

Pesco c. Belleville (1941), 45 R.P. 49 (C.S.).

Pétrolière Impériale c. Jacques, 2014 CSC 66, [2014] 3 R.C.S. 287.

Picard c. Warren, [1952] 2 R.C.S. 433.

Pichet c. Lemay (1913), 14 R.P. 282 (C.S.).

Placements Arden Inc. (Les) c. Bratt Fremeth Star s.e.n.c., 2003 CanLII 13309 (QC CS).

Placements Grandterre inc. c. 147616 Canada inc., 1990 CanLII 3299 (QC CA).

Plante c. Plante, [1944] R.P. 421 (C.S.).

Popovic c. Montréal (Ville de), 2008 QCCA 2371 (CanLII).

Porto Seguro Companhia De Seguros Gerais c. Belcan S.A., [1997] 3 R.C.S. 1278.

Potvin dit Montpetit c. Montreal Loan and Mortgage Co. (The) (1897), 1 R.P. 216 (C.S.).

Poulin c. Laliberté, [1953] B.R. 8.

Poulin c. Langlois, (1860) 10 L.C.R. 322 (C.cir.).

Prévost c. Laliberté (1931), 35 R.P. 72 (C.S.) (aussi rapporté à 29 R.P. 266).

Price c. Fraser, (1901) 31 R.C.S. 505.

Progress Furniture Manufacturers Limited c. Eastern Furniture Limited, [1960] R.C.S. 116.

Prud'homme c. Prud'homme, 2002 CSC 85, [2002] 4 R.C.S. 663.

Québec (Communauté urbaine) c. Services de santé du Québec, [1992] 1 R.C.S. 426.

Québec (Curateur public) c. Syndicat national des employés de l'hôpital St-Ferdinand, [1996] 3

R.C.S. 211.

Page 394: L'évolution et la structuration des principes directeurs

384

Québec (P.G.) c. Terrasses Zarolega inc., [1994] R.J.Q. 2874, 1994 CanLII 5288 (QC CA).

Quebec Central Railway Company (The) c. Dionne (1901), 4 R.P. 424 (C.B.R.)

Québec Labour Relations Board c. Pascal Hardware Company Ltd., [1965] B.R. 791.

R. c. Evrard, 2005 QCCA 420 (CanLII).

R. c. Oakes, [1986] 1 R.C.S. 103.

R. c. Randolph, [1966] R.C.S. 260.

R. c. Vermette, [1987] 1 R.C.S. 577.

R.B. c. C.C.W., [2004] R.J.Q. 1554 (C.S.).

Racine c. Boucher, 2002 CanLII 31772 (QC CS).

Raymond Chabot Fafard Gagnon inc. c. Latouche, 1997 CanLII 10539 (QC CA).

Ravenco inc. c. Les entreprises Hankin Ltée, [1987] R.D.J. 80 (C.A.).

(Re) Therrien, 2001 CSC 35, [2001] 2 R.C.S. 3.

Reford c. Stadium (Incorporé) (The) (1918), 20 R.P. 150 (C.S.).

Renaud c. Jonquière (Ville de), [1946] R.P. 182 (C.S.).

Renaud c. Lamothe, (1903) 32 R.C.S. 357.

Rhéaume c. Bourdon, (1886) 31 L.C.J. 170 (C.R.).

Robert c. Danis, (1861) 11 L.C.R. 74 (C.S.).

Robillard c. Commission Hydroélectrique de Québec, [1954] R.C.S. 695.

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Cartier, G.-E., discours sur l’organisation judiciaire du Bas-Canada, prononcé le 20 avril 1857 à

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