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    Louis Marin

    La description de l'imageIn: Communications, 15, 1970. pp. 186-209.

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    Marin Louis. La description de l'image. In: Communications, 15, 1970. pp. 186-209.

    doi : 10.3406/comm.1970.1222

    http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/comm_0588-8018_1970_num_15_1_1222

    http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/author/auteur_comm_211http://dx.doi.org/10.3406/comm.1970.1222http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/comm_0588-8018_1970_num_15_1_1222http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/comm_0588-8018_1970_num_15_1_1222http://dx.doi.org/10.3406/comm.1970.1222http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/author/auteur_comm_211
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    Louis MarinLa description de l'image :

    propos d'un paysage de Poussin

    Dans une tude antrieure, nous avions cherch analyser les principes d'uneransposition intersmiotique propos de Poussin, par une tude des rapportsu rcit pictural et du rcit mythique chez ce peintre l. tant donn un rcitont nous possdons le ou les textes constituant le rfrent littraire du tableau,omment est-il transpos sur la toile? Est-il possible de dfinir des rglesgnrales de transmutation? Quels types de transformation ce transfert unensemble visuel impose-t-il l'ensemble linguistique, etc.?Problmatique.

    La question que nous voudrions ici poser est voisine et diffrente de ce problme : il ne s'agira pas d'analyser une transposition intersmiotique dj effectuepour en dgager les conditions gnrales, mais d'examiner dans son rapport autableau, le premier et le plus immdiat type de discours tenu sur lui, savoir lediscours descriptif : qu'est-ce qu'au niveau du langage, la description dans sonappartenance l'image peinte? Quel est le statut de ce dire spontan du tableauqui est la prime vocation de sens provoque par l'image et qui vise s'effectuerau ras de la surface picturale? Nous devrons nous interroger sur son apparenteinnocence, sur son illusoire immdiatet, pour dcouvrir en lui des investisse-sements multiples, culturels, sociaux, affectifs, qui, du mme coup, transformentl'objet dcrit. Perdant son statut d'objet, il devient ds lors texte sur lequel sedposent les lectures successives qui en dplacent les lments, en modifient lesrapports, crent des zones d'intense visibilit et d'autres aveugles et blanches,font apparatre ou effacent tel lment dans sa relation aux autres et dans sonpoids sur eux, par rapport eux. Ces lectures successives qui sont, au moinsjusqu' un certain degr, l'objet-texte pictural lui-mme, sont-elles infinies?ou question plus pertinente et plus prcise sont-elles, dans leur successionouverte, intermine , lies par une forme de cohrence? S'articulent-elles en unsystme qui ne serait point caractris par sa clture? S'il en est ainsi, ce systmene constituerait-il pas la structure du tableau, entendue comme l'ensemblearticul de ses lectures, et le sens du tableau n'est-il pas ce dplacement rgldu discours travers ses lectures? 2. Ds lors qu'en est-il du tableau, objet-texte

    1. Voir Actes du Colloque d'Urbino sur l'analyse du rcit, 1968 : Rcit pictural etrcit mythique chez Poussin .2. Cf. Jean-Louis Schefer, Scnographie d'un tableau, Paris, 1969.186

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    La description de Vintagedans ses lectures? En un sens il s'y vanouit puisqu'il n'est pas de surface picturale rimitive, vierge de tout regard-lecteur ne serait-ce que parce qu'elle estofferte la vue pour tre vue. II n'est pas de point de dpart la lecture dutableau qui serait le tableau avant toute lecture, car celui-ci est, de part en part,un legendum . En un autre, il s'y constitue : par les lectures, le tableau sedfinit comme amorces de sens mais pour lequel il n'est pas de point d'arrivequi serait le sens du tableau. Et cela pour une simple raison : le tableau n'est pasd'abord objet de connaissance, support et provocation d'une conceptualisation.Il est tre producteur de plaisir, mais dont les procs de production empruntent,pour s'y dissimuler, les voies des lectures, c'est--dire celles du sens en coursde constitution travers elles : plaisir de lire qui par l mme ne s'accomplitjamais, mais dsigne, dans cette satisfaction temporaire, la force dont le tableau-texte est la fois la trace et la matrice figurative = e dsir : trace ou marquelaisse par le geste crateur qui s'y signifie; figure qui se dplace et s'engendresuccessivement au cours des lectures : c'est la faon qu'a le dsir de se donner voir dans ses figures en ne s'y ralisant jamais. D'o l'impossibilit de jamaisclore la lecture du tableau parce qu'elle est celle d'un visible du dsir qui s'ydplace et dont elle ne peroit que les remous de surface, les traces, en lesvoquant. C'est cet entrelacement du lisible et du visible dans le tableau qui enproduit le sens ou les sens, dont nous voudrions suivre ou accomplir le tissage .Pour que l'analyse soit plus pure, et plus dgage de la problmatique que nousvoquions tout au dbut, nous avons choisi un tableau de Poussin dont on saitde faon peu prs certaine qu'il ne rsulte point d'une transposition inters-miotique au sens troit de l'expression voque plus haut1. Ce qui ne signifiepoint que la peinture (le tableau) n'y soit pas rcit, et mieux encore qu'il ne fassepas apparatre, dans le diagramme des lectures picturales qu'il permet et qu'ilexige, un rcit possible, inou, dont la caractristique serait d'tre une matrice narrative, productrice de rcits, diffrents et simultans dont la prolifration neserait que la face lisible de la Gestaltung visible du tableau. Autre faon ense dgageant du rtrcissement qu'impose la transposition d'un texte narratifdans un tableau de retrouver ce tissu de visible et de lisible que notre problmatique gnrale pose la base de la smiotique picturale. Le tableau pourraitalors apparatre comme un producteur de rcits relevant tous d'uns mme formematricielle que les lectures successives auront dessine la surface du tableau.Ce tableau se nomme Paysage avec un homme tu par un serpent2 . Le discoursdescriptif est un discours qui constate le tableau en ses parties et transpose enlangage ce qu i est crit sur la toile dans son apparence. C'est ce discours quenous voulons interroger propos de cette toile figurative qui appartient toutentire et jusque dans ses extrmes limites, l'idologie de la reprsentation.Dans ce discours, se nouent de faon primitive le langage et l'image, un pointd'insertion qui pourrait apparatre comme le point de dpart de tout mta-langage pictural. Le fait que ce point nous semble inassignable comporte degrandes consquences thoriques : toute description est d'emble lecture sousson double aspect de parcours visuel de la surface plastique selon l'ordre ou les

    1. Voir ce sujet, les critiques faites par Sir Anthony Blunt l'article de Guy deTervarent : Le vritable sujet du Paysage au Serpent de Poussin la National Galleryde Londres Gazette des Beaux Arts, 1952, II, p. 343 sq.2. Landscape with a man killed by a snake Sir A. Blunt, Critical catalogue,p. 143, Phaidon, Londres, 1966.187

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    Louis Marinordres des jalons qui y sont dposs et de dchiffrement mental et perceptif deces mmes signaux comme signes dans un discours1. Autrement dit, il nous paratdifficile de distinguer deux phases dans l'approche d'un tableau, l'une factuelle descriptive, l'autre signifiante , interprtative, qui serait construite sur lapremire dont elle recevrait ses limites objectives et ses conditions empiriquesde possibilit. La description est interprtation, mais cette affirmation ne lalivre pas la relativit et l'incertitude d'un propos saisi par ses contextes etdtermin par eux. La description est en ralit la premire lecture ou pluttce terme couvre l'ensemble ouvert des lectures possibles qui, dans leur pluralitconvergente sur le tableau, construisent le systme des diffrences constitutives dutexte du tableau. Si la description dsigne le systme ouvert des lectures, ellenomme galement la cohrence objective du texte dans son indpendance radicale l'gard de tout procs particulier d'interprtation : elle renvoie, si l'onveut, un constant surplus de sens, mais condition d'entendre, par surplus,l'ouverture du systme des lectures o le sens s'amorce dans sa pluralit.La description.

    Du tableau de Poussin Paysage avec un homme tu par un serpent , il existeplusieurs descriptions que nous allons donc examiner attentivement dans leursdiffrences. Elles sont quantitativement diverses depuis la plus courte qui, endonnant le sujet du tableau dans son titre, est une sorte de dfinition-description,usqu' la plus longue trouve dans les Dialogues des Morts de Fnelon avecl'entretien fictif entre Lonard de Vinci et Poussin, en passant par trois textesde Flibien des 6e et 8e Entretiens sur la Vie des plus excellens Peintres 2 et lalgende d'une gravure de ce tableau excute par Baudet et que l'on trouveradans le recueil Wildenstein 8. La premire opration consistera mettre enperspective ces textes, perspective convergente en un point de fuite qu'estle tableau mme et dont l'ordre ou la disposition sera celui de la rductioncroissante.Or on constate que du texte de Fnlon au titre du tableau donn par A. Blunt,se maintient invariante une certaine structure d'opposition : celle du paysageet de l'histoire (ou encore de la description et du rcit) qui constitue une sorte descheme gnral des lectures, mais que notre lecture dans son systme devra,peut-tre interroger et par l mme transgresser; paysage , le terme dfinit,une fois rfr une dimension culturelle historique dtermine, la sphred'appartenance du tableau un genre , situ dans une hirarchie elle-mmesujette varier historiquement : le genre paysage dont il est possible de donner,au moins en premire approximation, les rgles qui en circonscrivent les limiteset le lexique qui en fournit les lments 4. Mais en mme temps le sujet du tableaudonn dans son titre comme paysage appartenance au genre est prcis

    1. Voir P. Francastel, la Figure et le Lieu, Paris, 1968. Cf. galement le dveloppement sur la notion de lecture picturale dans notre tude c lments pour unesmiologie picturale , in Les sciences humaines et l'uvre d'art, Bruxelles, 1969.2. Cf. les appendices cette tude.3. < Les graveurs de Poussin au xvii* sicle > par Georges Wildenstein. Gazettedes Beaux Arts II, p. 73 sq .4. Cf. par exemple E. M. Gombbich, Norm and Form, Londres, Phaidon, 1966,p. 107 sq.

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    La description de V imagepar un sujet second, un sujet l'intrieur du sujet qui dfinit une sous-classede paysages, justement nomme paysages avec sujet : ici, un homme tu parun serpent , anecdote, vnement ou rcit qui renvoie un autre genre lui-mmedfini, historiquement et esthtiquement, dans ses variations, comme histoire,sans que l'on puisse pour l'instant dcider quel sous-genre ou espce d'histoirese rattache celle de l'homme tu par un serpent : mythologique, historique,d'actualit, de genre1. Notons en outre que l'histoire dans son opposition aupaysage est rduite quelques marques essentielles qui la constituent dans saspcificit, l'homme, la mort, le serpent. L'histoire n'est donc pas raconte dansle titre, mais seulement son moment central, pivot , la mort d'un homme parun serpent : articulation de deux genres dans le titre ou superposition de deux codes eux-mmes susceptibles de varier c'est--dire d'tre restructurs,rorganiss diffremment dans des priodes postrieures, genres qu i circonscriventn code de deuxime degr, o sont latentes des articulations plus fineset plus complexes. Mais en mme temps apparat une ouverture de sens caractrise par les oppositions binaires paysage vs histoire ; nature vs homme sur le plan du contenu, ou description vs rcit , figurativit vs discursivit sur le plan de l'expression. On remarquera enfin que l'histoire avec ses marquesservira individualiser le tableau dans une srie de sujets, liste qui constitueun vritable champ paradigmatique o fonctionne un procs de commutation :1. Paysage avec un homme tu par un serpent.2. Paysage avec un homme poursuivi par un serpent.3. Paysage avec deux femmes (nymphes) et un serpent.4. Paysage avec une femme se lavant les pieds.5. Paysage avec un homme se lavant les pieds.6. Paysage avec un enfant buvant.

    7. etc.Sans doute, cette liste est-elle construite par A. Blunt dans un catalogue raisonn; mais le choix des termes du titre est effectu par cet historien, selonun certain nombre de rgles logiques qui s'apparentent celles que donne Leibnizpour la construction de la dfinition nominale qui n'est autre chose qu'uneenumeration des marques suffisantes afin d'arriver cette notion distinctepareille celle que les essayeurs ont de l'or, laquelle leur permet de distinguerl'objet ou tous les autres corps par des signes distinctifs et des moyens de contrlesuffisants 2. Ce rapprochement avec Leibniz, et surtout l'exemple qu i dans lesMditations sur la connaissance... l'illustre, est significatif : le titre se dit d'untableau et d'un livre, mais aussi d'une monnaie. Il tablit un droit en inscrivantdans la matire traite, une marque, celle que l'ouvrier met au chef de chaquepice de sa fabrique ; il est aussi le degr de fin de l'or et de l'argent monnays *.Le titre du tableau est ainsi la dfinition nominale du tableau par enumerationde ses marques, c'est--dire par description. Par lui, le tableau est catalogu ousaisi dans ses gnralits, expression d'un ou plusieurs codes en chevauchement,lment d'une srie au sein de laquelle il acquiert sa valeur propre, sa diffrencequi le titre, ou qui le monnaye , titre qui est son nom, plus et bien autrementque la signature du peintre qui, le plus souvent, s'y dissimule. Si A. Blunt,

    1. Voir Sir Anthony Blunt, Poussin, p. 290 t sq pour une rfrence l'actualitcontemporaine de Poussin.2. Leibniz, Opuscules philosophiques choisis, trad. P. Schrecker, Paris, Vrin, 1969, p. 103. Dfinitions tires du dictionnaire Littr sous titre.

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    Louis Marinabandonnant les excellentes raisons qui le font ainsi dnommer ou titrer cetableau, avait par exemple repris le vieux titre parfois donn de Paysage avecCadmos ou avec Cadmos et le serpent, la toile serait alors entre dans la srie Paysage avec Hercule et Cacus, Paysage avec Orion, avec Orphe, avec Poly-phme, etc. et aurait ainsi acquis une autre valeur, en tant saisie dans unautre rseau diffrentiel de substitution : Paysage avec sujet mythologique,avec rcit de fondations de cit ; d'o une autre ouverture de sens voisine decelle que nous avons explore.Les trois textes descriptifs de Flibien, celui de Fnelon et la lgende de lagravure de Baudet reprennent la structure oppositive Paysage vs histoire ,mais font apparatre par rapport la dfinition-description du titre, deux nouvelles diffrences : tous les textes dveloppent le rcit, racontent l'histoire, exposent 'vnement qui se droule sur le devant du tableau . Aucun, l'exceptiondu grand texte de Fnelon et d'une notation du 8e Entretien de Flibien n'insistesur le paysage, ne le marque de faon caractristique x. C'est l une amorce d'unnouveau dpart de sens, d'une nouvelle codification possible du tableau. Si lepaysage, dans des descriptions plus tendues du tableau, n'est consign dans letexte que sous le terme gnrique de paysage , alors que le rcit-sujet estprcis par la notation de nouveaux pisodes, cela ne signifie-t-il pas que le discours en langage a une affinit immdiate avec les actions et le drame, c'est--direavec une succession d'vnements dont les hommes sont les protagonistes. Lapossibilit de tenir un discours, de parler de quelque chose en gnral ne sefonde- t-elle pas sur une succession temporelle d'instants ou de moments; enrevanche la prennit de la nature dans le paysage, son immutabilit, plus encoresa pleine et immdiate visibilit ne dfient-elles, dans leur simultanit, la chanedes paroles, fussent-elles, non de narration, mais de description. Autrement dit,quand il s'agit de parler brivement et prcisment d'un tableau, de le dcriredans ce qu'il a de caractristique par rapport aux autres tableaux d'une srie,c'est le rcit-sujet que l'on raconte et non le paysage que l'on dcrit : facilitsignifiante marque dans le catalogue raisonn par l'invariant Paysage etpar le caractre variant avec un homme... deux femmes... un enfant... etc.. Au fond, le rcit racont, c'est ce qui permet de distinguer un tableau d'un autre,et quelle que soit la prcision dans la description du paysage, le langage noiedans la gnralit abstraite la singularit du visible, tel qu'il est donn dansses figures .D'o cette nouvelle opposition d'un paysage dfini dans sa gnralit abstraitede dcor et d'un rcit dcrit dans sa spcificit concrte de drame : oppositiondont la signifiance n'apparat qu'au niveau de la forme de l'expression (quantitde mots prononcs pour l'une ou l'autre des rubriques : paysage, histoire), maisdont les consquences sur le plan du contenu apparaissent rapidement. N'est-cepas la disparition du sujet-rcit dans la nature morte ou dans le paysage pur quicondamne le discours sur la peinture l'analyse verbale, potique, de l'impressionisuelle, sensorielle, nouvelle forme de transposition intersmiotique dontil serait sans doute fructueux d'tudier les procs et notamment les mtaphores.Ainsi les Goncourt parlant de Chardin... Avec 'opposition du dcor et du drame,nous sommes introduits sur la scne thtrale, et c'est cette nouvelle codification

    1. Cette notation est trs brve et strotype < la situation du lieu en est merveilleuse.190

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    La description de l'imagedont l'inflexion de l'opposition Paysage vs histoire nous indique le dpart :dcor immobile, inchang, toujours visible, qui entoure et limite le lieu de lascne sur laquelle se donnent voir successivement pisodes et pripties dudrame. D'emble, les discours descriptifs lisent le tableau comme une reprsentationhtrale par laquelle un drame se reprsente dans un lieu dont toute lafonction est de l'offrir la vue, dans la diachronie de ses moments : la Nature dslors se dfinit fonctionnellement comme le dcor de l'action humaine, et l'homme,comme l'acteur d'un drame qui le met en scne. Et si le thtre constitue unniveau de codification du tableau, il conviendra alors et ceci apparat, de faontrs remarquable, dans le texte de Fnelon de distinguer entre le sol ( l'aire1 )sur lequel se droule l'histoire et qui est proprement la scne immobile commesupport local de visibilit, comme plate-forme de reprsentation et la dcoration qu i en est la fois le fond et les bas-cts, o l'homme n'apparat plus dansson action, mais qui reprsente les environs du lieu o l'action du pome dramatique est arrive 2 . Il y aura ainsi deux Natures, l'une qui est le sol, le locusstandi et representandi de l'action humaine, l'autre qui est son environnementdont l'homme est exclu, car elle est pur dcor. Comme l'indiquera Fnelon avecfinesse, il est des accidents du sol qui constituent, dans ce tableau, une priptieou un accident de l'action : gologie ou gographie qui est en mme temps topo-logie ou topique du discours dramatique dans sa course travers la surface dutableau. Et c'est peut-tre ce que nous signifie, de faon moins strotype qu'ilpouvait sembler, Flibien lorsqu'il parlait d'une situation du lieu : il y a lelieu qui est l'espace mme de la reprsentation et il y a sa situation qui est latopique de ce lieu la scne proprement parler.Ainsi l'absence de marques du paysage s'opposant, dans la description, aucaractre marqu de l'action-rcit nous a conduit l'ouverture d'un nouveaucode, celui de la reprsentation thtrale o se construit de prime abord unenouvelle opposition : Paysage vs Histoire ; Nature vs Action humaine ; Dcor vs Scne que l'on peut exprimer plus prcisment dans le schmasuivant :

    Nature Action humaineI I I I-Dcor 1 i Scne 1 Acteurs

    (Environnement, lieu) (Situation-sol- aire j

    schma qui fait apparatre la valeur minente de la scne, moyen terme complexeentre l'action humaine (le rcit, l'histoire) et la Nature-dcor (le paysage dcrit). Lasignifiance de cette opposition non marqu vs marqu est reprise par Fnelonsous la forme d'une opposition entre marques.

    1. Le mot est de l'abb cTAubignac dans la Pratique du thtre, Paris, 1657, p. 101,Ed. P. Martino, Alger, 1927.2. D'Aubignac, op. cit., id.

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    Illustrationnonautoris

    eladiffusion

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    Louis Marinsion ; ce sont les dimensions de la surface du tableau ou les zones spatialessur lesquelles s'inscrivent les figures articules par le discours descriptif : ainsi le devant vs le fond vs le lointain qui correspondent aux bandes infrieures,mdianes et suprieures de la surface du tableau; et d'autre part la gauche vs ladroite du tableau dtermines, dans le texte de Fnelon, par rapport laposition du spectateur faisant face la toile. La conversion des termes de ladescription que nous venons d'oprer mrite une remarque : ceux-ci, en effet,sont pris dans l'idologie de la reprsentation que notre propre discours analytique doit la fois conserver le tableau est reprsentation et le systme leplus gnral qui en relie les signes est celui de la reprsentation et dfaireen reconduisant les termes idologiss leur idologie, en les faisant apparatrecomme traduisant cette idologie : devant, fond, lointain renvoient un espacede reprsentation dployant une profondeur illusionniste dans le cadre dutableau; gauche et droite ne se dfinissent que par rapport au regard souveraindu spectateur vers l'il duquel refluent les apparences perspectives. L'histoirese dploie, pour la description de Fnelon, sur le devant de la scne exactement ur le proscenium de ce thtre ou dans le bas du tableau en cetendroit du thtre ou les Histrions viennent parler et agir... x. Le fond est lazone intermdiaire de l'environnement, le lieu o personnages et uvres humainessont intgrs au dcor et le lointain, dcor pur : opposition et correspondance trois termes o l'on retrouve l'organisation binaire dont nous sommes partis,le devant rserv au drame-rcit, le fond et le lointain, l'environnementscnique paysage-dcor dcrit. Quant la gauche et la droite, elles marquent,dans la description, comme des zones d'alternance de mouvement et de repos duregard dans son parcours de la surface : il est significatif en effet que le regard deFnelon spectateur amorce son discours gauche et en bas avec le rocher, lasource, le mort et le serpent, pour aller droite vers l'homme qui s'avancevers la fontaine et accder ensuite dans un retour gauche la femme effraye :le mme mouvement de balayage zigzaguant de la gauche la droite et de bas enhaut se poursuit dans le dcor , mais acclr, comme si le regard devait lepercevoir sous forme d'une totalit naturelle enveloppant la scne par un environnement simultan. La gauche et la droite dfinissent dans le mme mouvementles ples du regard sur la surface du tableau et les polarisations du discoursdescriptif dans son texte, lieux d'articulation du parcours et du discours conjoints.Mais elles font galement apparatre dans le jeu des figures du tableau, un je du regard, la fois anonyme et constamment prsent comme absent dans lareprsentation : c'est ce je qui littralement et visuellement articule les figuresdu tableau par le parcours de son regard, quel que soit l'ordre de ce parcourset bien que cet ordre, dplac d'un texte descriptif l'autre, soit en lui mmesignifiant. Fnelon lie, dans le mouvement uni de sa description, les dimensionsde la reprsentation thtrale (devant-fond-lointain ou proscenium-dcorintermdiaire-dcor pur) et l'ordre d'entre des figures (gauche-droite) quidtermine leur orientation les unes par rapport aux autres. En effet les figuresentrent en scne dans un certain ordre variable, selon les parcours-discours.Fnelon ds lors, comme tout spectateur de tableau, est ce metteur en scnequi entre dans le tableau, par ses figures, prsent mais agissant par son absence,ds que le tableau est vu, ds qu'il est tableau. Ainsi les mises en scne du spec-

    1. Cf. d'AuBiGNAC, Op. cit., p. 240.194

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    Louis Marinpar son objet, le tableau, qui lui-mme n'est pourtant signifiant que par la lecturedescriptive qui en est faite. D'o cette espce de paradoxe de la lecture engnral et de la lecture descriptive de tableau en particulier; le tableau prcdetoujours la lecture qui pourtant le constitue comme tableau dans sa signifiance.Mais cette premire remarque en provoque une autre plus fondamentale : comment le discours peut-il dire une histoire peinte sans tre ncessairement infidleau reprsent du tableau? D'o une troisime question : comment une histoirepeut-elle tre peinte, c'est--dire transpose dans un tableau? Analysons lepremier tableau dans le rcit et nous apercevons que la construction en abymese poursuit jusqu'au vertige puisque Fnelon amorce dans ce tableautin , unrcit Un homme tait venu puiser de cette eau... il est saisi par un serpentmonstrueux... il est dj mort... sa chair est dj livide , rcit marqu par lechangement des temps au long de son droulement et par l'adverbe dj .Sur le tableau, dj, avant que l'homme soit venu puiser l'eau, il tait mort.Autrement dit, le tableau reprsente un homme mort, tu par un serpent etc'est ce que doit dire le discours de description, mais il ne peut le dire que si,dans cette constatation, il ouvre une squence qui n'est plus sur le tableau,mais dans le discours, grce laquelle le personnage du tableau commence samtamorphose en figure et devient signifiant. Le mme procd se rpte dansles deux autres tableautins squences de l'action. Dans les trois cas, le rcitouvert dans le tableau se clt sur une marque, (de la mort, de l'horreur ou de lafrayeur), signe-symptme inscrit dans le tableau mme, qu i y renvoie le rcitet l'y fait disparatre. Par cette marque qui est la seule chose vraiment dcritedans le tableau, le discours-rcit trouve son ancrage dans la spatialit reprsentative, y entre et y disparat. D'o la valeur de ces marques ou signes figuratifs : non seulement ils ont une fonction de symptmes de mort, d'horreur oude frayeur et sont pris dans une codification rhtorique et psychophysiologiquedont la thorie des affeti est l'expression; mais ils sont aussi une conditionde signifiance des personnages et i ce qu'ils permettent au discours-rcit de seprofrer, d'entrer dans le tableau et par l de transformer les personnages enfigures, d'articuler des relations dans la surface plastique. Le tableau par euxdevient texte en absorbant le discours.Aussi dans ce type de peinture dite reprsentative , que l'unit de l'espacede reprsentation notamment caractrise, il n'y a pas proprement parler dercit pictural : c'est peut-tre ce que Poussin voulait dire dans la formule apparemment claire et cependant nigmatique : lisez l'histoire et le tableau 1. Latemporalit qui entre dans le tableau n'est pas successive et linaire. Elle estcelle d'un gonflement du moment reprsent par le discours, par l'histoire quiy entre, grce aux marques dposes sur la surface plastique, dans les personnagesreprsents ou dans les choses. La temporalit propre au tableau y est signalepar cette oscillation du discours descriptif qui ne dcrit que pour s'ouvrir surun rcit et ne raconte que pour se clore sur un dcrit; temporalit dont leparcours de lecture dans la vision globale constitue la manifestation la plusapparente et dont l'enchanement dterministe des affects est dans le tableaude Poussin la reprsentation et l'illusion : en effet, le tableau ne reprsentejamais qu'un vnement unique pris comme moment inscable du temps. Dansle reprsent du tableau lui-mme, la succession n'est qu'une apparence, celle

    1. Correspondance de Poussin, Lettre Chante.'ou, 28 avril 1639, p. 21, d.Ch. Jouanny, Paris, rdition 1968.196

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    La description de Vintageque donne la diversit des effets psychophysiologiques simultans d'un mmevnement qui reste identique lui-mme dans l'instant de sa reprsentation.Cette diversit n'est pas dispersion pure et incohrente : elle est signale parcertains signes extrieurs reprsentables disposs selon un certain ordre dansVespace du tableau et arrangs dans cet ordre spatial selon la reprsentationdiffrentielle de leur intensit, de leur force. L'ordre spatial des marques (desaffects) et dans cet ordre mme, la rpartition des intensits reprsentes cre, parle parcours de lecture impliqu dans la vision globale et unitaire du tableau,une sorte d'illusion reprsentative de dure, de successivit. Ce sont bien lesmarques qu i portent cette illusion en tant que signes ou symptmes, mais, enoutre, elles vont articuler dans la surface plastique le discours proprementnarratif-descriptif par lequel le tableau se mtamorphose en texte et les personnages, en figures relationnelles. Il faudrait prciser, la fois thoriquementet historiquement, cette illusion reprsentative du temps et montrer qu'ellerelve de l'idologie gnrale de la reprsentation. Au xvne sicle notamment letemps est pens dans l'espace, parce que le temps se rduit sa reprsentation KOn notera les diffrences existant entre les divers textes des rcits de la scnecentrale : dans trois d'entre eux, celle-ci comporte trois squences. Dans lestrois autres, le rcit s'articule en une seule squence (catalogue), en deux (Flibien),ou en quatre (lgende de la gravure de Baudet). D'autre part l'ordre des sauencesvarie d'un texte l'autre. Le tableau ci-dessous fait apparatre ces variations :

    1

    2

    3

    4

    Fnelon(Fen)

    l'homme tupar leserpent

    l'hommequi s'avanceet s'arrteeffrayla femmesurprise etapeure

    Flibien II(Fil)

    le corps mortentour d'unserpent

    l'homme quifuit avec lafrayeur surle visagela femmetonne devoir courir

    Flibien III(FUI)un hommequi s'approche d'unefontainedemeureeffray

    un corps mortenvironnd'un serpent

    une femmeassise toutepouvante

    Flibien I(FI)un hommemort entour'unserpent

    un hommeeffray quis'enfuit

    Catalogue(C)

    un hommetu par unserpent

    Lgende(L)un hommemort lecorps envelopp d'unserpentun hommefuit regardstroublscheveuxhrisssune femmeassisepouvantedes pcheurstournent latte vers elle

    1. Voir par exemple la thorie cartsienne de la dduction dans les Regulae ou certaines analyses de l'inexprim dans la Logique de Port Royal.197

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    La description de Vintagele schma irradiant obtenu dans l'analyse globale du rcit (description). Ainsi lepersonnage de droite devenu figure se trouve cartel en une double relation,celle au serpent et au mort, et celle la femme. Ces relations, contradictoirespuisque l'une implique l'immobilit et l'autre la fuite, sont marques dans letableau par le regard vers le mort et le mouvement vers la femme et traduitespar Flibien dans la notation psychophysiologique com plexe d'une fuite bloque,d'une course vritable, mais arrte, synthse expressive de la formule prendreses jambes son cou et tre clou sur place. Quant (Fen), il choisit les deuxpremires squences a l'homme s'avance vers... il demeure immobile... . Ilobtient le mme rsultat que (Fm) : synthse de mouvement et d'immobilit,mais la figure du tableau est autrement articule; elle perd sa relation lafemme pour ne conserver qu'une relation simple, mais rciproque, de la gaucheet de la droite. L'homme va de droite gauche (il s'avance vers la fontaine) :c'est un lieu qui l'attire, marqu par une source d'eau claire et pure . Il aperoitla scne effrayante; d'o son immobilit dans le dsquilibre de la marche(effet gauche-droite : la puissance d'effroi de la mort de l'homme touff par leserpent, bloque sa marche). (Fm) prend le personnage dans l'tat o le laissela figure de (Fen) et le remet en marche vers la femme : il dplace la figure de laposition (Fen) dans une position nouvelle (Fra) : Tel est donc sur un exemple,minutieusement, fastidieusement analys, le transit de la figure dans la reprsentation.On le remarquera : rien n'a boug dans le tableau. Point n'a t besoin, commedans certains films pdagogiques, d'animer le personnage du tableau pourle mtamorphoser en figure. Le simple jeu des lectures a suffi : de l'vnementd'horreur (un homme envelopp par un serpent) saisi par le regard scned'effroi la fuite, gesticulation dynamique vers la femme qui tend les bras qui accueille son pouvante dans un cri, la simple superposition de cinq lectures(textes) livre un dpart de sens s1 dans un dplacement de la figure. Celle-ciest glissement d'une relation double dans une autre, rarticulation d'un rseau derelations, sans qu'une orientation particulire de ce glissement soit privilgie.La lecture peut se faire l'inverse : la tension vers l'accueil de la femme estbloque par la vision de l'treinte mortelle. C'est la mme amorce de sens, maisavec une nuance ngative qui ne se trouve pas dans la position prcdente :sens double qui est ses deux variantes complmentaires, dualit qu i est le sens etnon variation sur un thme cach. Telle est, disons-le au passage, la polysmiede la figure.Elle n'est point comme dans l'exprience de Koulechov la marque de l'isolement de la figure par rapport au champ smantique qui, en la surdterminant ,la rduit ou la fait disparatre. Au contraire, puisque c'est dans le champ smantique que l'lment devient figure pour immdiatement s'y dplacer commefigure. La polysmie de la figure, c'est la figure elle-mme, en tant qu'elle accdeau sens. C'est l'ouverture du sens comme figure dans sa labilit sur lareprsentation, par elle f.Il faut encore revenir cet exemple; la lecture de (Fn), (Fm) ou de (Fen),

    1. Nous empruntons cette expression remarquable Roland Barthes.2. Sur la notion de champ smantique en peinture, voir M. Walus, la notion dechamp smantique et son application la thorie de l'art , in Sciences de l'Art, 1966,numro spcial.

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    Louis Marinon sent trs bien que le personnage de l'homme de droite pose un problme :il fuit et ne fuit pas. D'o l'cho de critiques que rvle le texte de Flibien ce n'est pas une grimace de fuite , mais une sorte de mouvement au ralenti dont (Fen), (Fn), et (Fni) nous donnent une explication psychophysiologiquequi manifeste l'articulation du personnage en figure : mouvement au ralentiparce que complexe compos de deux forces, une d'inertie ou d'immobilit,l'autre, cintique. Mais l'explication en tant que telle comme pure manifestation est par elle-mme intressante, car, si l'on sort du tableau lui-mme,si on dpasse l'analyse de la simple description, elle signale l'interfrence de deuxcodes stylistiques : le premier qu i inspire Poussin et qu'exhibe Fnlon lafin du dialogue, est le code formel et stylistique du bas-relief antique1. D'ol'aspect sculptural, frapp dans la pierre, du personnage qui fuit; d'o aussidans sa fuite, son immobilit, immobilit gnante au nom du deuxime codenaturaliste de la reprsentation. Une faon de rsoudre en ce point particulierle conflit entre les deux codes, consiste justifier le premier par une explicationtire du second. Le personnage effray par la scne de mort est statufi parson effroi : qu'il s'agisse d'un mouvement ptrifi dans un de ses instants (solution Fen) ou de l'instant premier d'un mouvement de fuite dans une attitude defascination horrifie (solution Fm). L'interfrence des deux codes stylistiques commentaire qui, dans* son explicitation, est transcendant au discours descriptif est reprise, retrouve, rarticule dans le discours descriptif lui-mme,c'est--dire dans et sur le tableau, en tant qu'il est objet lu et vu . C'est l uneaffirmation importante et d'une porte gnrale qu i lie deux orientations mthodologiques inverses et qu'il faut cependant faire tenir ensemble : il n'est de lecturesque du tableau : ce tableau en est l'origine et la fin. Elles se dveloppent surlui, en lui et le constituent comme objet signifiant, son sens tant la rcapitulation interminable de ses lectures. Mais d'autre part ces lectures renvoientextrieurement au tableau, aux autres tableaux, la peinture, la culture dontla peinture est un des systmes signifiants, systme dans lequel le tableau sersorbe et disparat. Les lectures de Fnlon ou de Flibien mettent en jeu descodes de lecture de la peinture en gnral. Et cependant, en tant que descriptionspures, nous les superposons sur la surface de ce tableau qu'elles articulent enfigures dplaces, amorces du sens de ce tableau et qu i lu i est propre. Les effets de la peur .

    On peut reprendre sur un autre niveau l'analyse des variantes entre les textesdescriptifs : il s'agit de leur investissement smantique essentiel qu'un ancientitre du tableau donnait en toute clart : les effets de la peur. Dans cinq textessur six, et encore le sixime en livre-t-il le point de dpart causal (C), nous avonsaffaire une chane d'affects caractrise par deux traits : i la dcroissance oul'amortissement d'une force motionnelle, transmise par les regards de personnagen personnage, et dclenchant les mouvements, 2 l'ambivalence de l'actifet du passif dans la ou les squences intermdiaires. Soit les schmas explicatifssuivants :

    1. Sachez que ce n'est ni dans vos livres, ni dans les tableaux du sicle pass queje me suis instruit; c'est dans les bas reliefs antiques o vous avez tudi aussi bien quemoi , dit Poussin Lonard de Vinci la fin du dialogue de Fnlon. Voir, sur ce point,A. Blunt, Poussin, p. 102 et gq.200

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    La description de V image2. F en. Fe IL Fe III 1. Fe IEffrayant Effray Effrayant * effray..(1) Effrayant * tonn.. .indiffrent(2) (3) (4)3. L Effrayant -* Effray (3) (4) (5)(1) Effrayant * tonnetonnant attentif... indiffrent

    II est remarquable que cet espace motionnel-affectif recoupe la fois lequadrillage spatial de la surface du tableau selon les catgories gauche-centre-droite et devant-fond-lointain, et l'opposition gnrale du rcit (de l'histoire)et du dcor (de la Nature). Ainsi pour prendre (L) qui est la description la pluscomplte.(2) (3) (4) (5)gauche droite (centre) gauche lointain (dcor)devant devant fond 2e plan fond 3e planHistoire

    On remarquera en consquence qu'un lment dans (Fen), (Fe II), Fe III)joue la limite de ces diffrents espaces smantiques (affectif ou littraire )et expressif, c'est le personnage de la femme genoux au centre du tableau audeuxime plan. Elle est le point final marqu de la chane motionnelle et dumme coup, la limite de la scne et du dcor, de l'histoire et du paysage. Cetlment est ainsi l'articulation de plusieurs topiques du tableau.Mais dans le texte (L), ce seront les pcheurs. Cette variante fait apparatreun nouvel exemple de dplacement de figure dans le tableau : la femme dans sarelation avec les personnages qu i la prcdent dans les espaces typiques, devientfigure et se dplace dans (L) vers une relation avec les pcheurs qui tournentla tte vers elle . Pcheurs de droite ou de gauche? Le texte (L) ne dit rien deplus. Nous tranchons cette ambigut dans notre propre lecture, en faveur des pcheurs (?) de gauche qu i jouent la mourre. Mais une analyse diagrammati-que des textes doit maintenir cette ambigut dont le rsultat est d'intgrer unlment du dcor la scne. Ds lors, la relation ambigu de la femme auxpcheurs ( droite, gauche?) constitue un lment essentiel de la lecture puisquecette relation est aux frontires de trois topiques figuratives.Le deuxime trait de la chane des affects est l'ambivalence des lmentssquentiels intermdiaires : la fois actifs et passifs (effrayant et effray, tonnant et tonn)... On pourrait les considrer dans la narrativit de ce rcit pictural, comme des termes complexes, permettant le renversement d'un termeactif-sujet dans un terme neutre, ni sujet, ni objet, ni actif, ni passif, bref dansle dcor, dans le paysage. Mais si nous faisons jouer cette ambivalence sur ledplacement de la figure centrale de la femme, figure doublement articule (i) et (2) et (4) et (5), nous tendons au paradoxe, car le sujet-actif, c'est lamort (et le serpent), et le terme neutre o s'amortit l'affect et o s'accomplitla transformation du positif, c'est le vivant (au travail ou au jeu). Il y auraitdonc une-"positivit de la mort et une neutralit de la vie. Autrement dit, la viesous le double aspect du travail et du jeu aurait quelque chose voir avec la

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    Louis Marinmort. Ce quelque chose, c'est l'analyse de la figure de la femme qu i peut, sinonnous l'apprendre, du moins en gnrant de nombreuses relations entre les autresfigures, nous dcouvrir une pluralit de sens qu i est le sens.Afin de prparer l'analyse de cette figure dans toute sa richesse signifiante,il convient de faire ici deux remarques :1. Notre analyse-lecture diagrammatique des textes descriptifs s'est toutentire dploye dans le syntagme du tableau, qu'il s'agisse de la surface reprsentante , de l'espace de reprsentation, ou de l'investissement smantiquedans le reprsent. Or il faut souligner, par les marques qui en existentdans le tableau et dans les textes, l'existence, ces diffrents niveaux syntag-matiques, de ruptures de contiguts, au niveau de la surface plastique, djarticule en relations signifiantes. Prenons pour exemple l'indication mme quenous donne Fnlon, et que nous avons dj voque lorsqu'il dcrit ce cheminsur le bord duquel parat une femme qu i voit l'homme effray, mais qu i ne sauraitvoir l'homme mort parce qu'elle est dans un enfoncement et que le terrain fait uneespce de rideau entre elle et la fontaine . Remarque descriptive essentielle carelle nous a permis d'apercevoir comment des lments du dcor entraient en tantqu'accidents du so l comme lments de la scne pour y jouer un rle. Ce rletant de dfinir, de faon linaire, la chane affective, du mort entrelac par leserpent la femme ou aux pcheurs, c'est donc un lment signifiant qui permetl'articulation d'une relation figurative. Or il est remarquable que cet lment sedfinisse comme une rupture dans l'espace reprsent (et non dans l'espacereprsentant qui est parfaitement continu et o se manifeste dans la surfaceplastique, l'unit du tableau en tant que tel, ou dans l'espace plastique galementcontinu comme le montre l'incertitude de la notion de fond), rupture au niveaudes regards et des sols dont l'index est dans le texte de Fnlon, la difficultde nommer cette rupture : un enfoncement , une espce de rideau , lmentdu dcor qui devient lment de la scne en la fragmentant, en constituant unedouble scne en dnivellation, en dcrochement : la premire qui porte l'eaunocturne peine claire par la tche lumineuse centrale lumire de la rampe le mort entrelac par le serpent, et l'homme effray qui s'avance, demeure etfuit; la seconde surleve o apparat, genoux, la femme, les bras ouverts ettendus, qu i crie; sur la premire, l'homme effray voit la scne d'horreur,mais ne voit pas la femme, il court vers elle; sur la seconde, la femme tonnevoit l'homme effray, elle l'accueille, mais ne voit pas la scne d'horreur .Cette double ngation dans les regards reprend la rupture de la scne, des sols,rupture des contiguts dans l'espace reprsent. Mais il s'en ajoute une autrequi affecte les personnages reprsents et par l contribue dessiner une figure.Dans le texte de la lgende (L), c'est par ses cris que la femme attire l'attentiondes pcheurs, alors qu'elle leur tourne le dos, en ne regardant que l'homme quicourt vers elle, sans pouvoir la rejoindre, puisqu'il est spar d'elle par le remblaide terre. Ces ruptures dans la contigut du reprsent, qui la travaillent enprofondeur, en la respectant en apparence contribuent l'articulation desfigures du tableau, mais sur un autre mode : ce sont des relations d'interdictionqui se trouvent poses entre les personnages dans l'espace. L'accident du terrain,l'attitude faciale de la femme lui interdisent de voir la scne d'horreur ou lespcheurs, et ces interdits contribuent sa signifiance figurative : interdits positifs qu i dfinissent de nouvelles relations dans lesquelles se dplace la femmecomme figure.2. Notre deuxime remarque porte sur un autre type de relations qu i appa-202

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    La description de Vintageraissent dans le texte descriptif de Fnlon, mais qui ne peuvent pas ne pas trenotes dans toute description attentive : il s'agit des relations de similarit lafois formelles et sans doute smantiques entre un certain nombre d'lments dutableau. Certes, ces relations ne peuvent se justifier ou se dcrire dans le syn-tagme pictural : elles ne peuvent tre portes par l'articulation en contigutdes figures; et cependant elles jouent et ne peuvent jouer que dans le syntagme,car il n'est de tableau que dans la totale prsence de tous les lments le composantt dans l'unit de sa surface limite par son cadre. Les squences du rcit sont au nombre de trois polarises, au moins dans (Fen) (F II), et (F III) par lemort touff par le serpent, l'homme effray, la femme tonne; triangle figuratif dessin dans le tableau mme avec au sommet la femme et les deux hommesmort et vivant sa base. Or ce triangle se rpte deux fois, sur un mode rduit,d'une part cause de la distance, l'enfoncement dans l'espace de reprsentation,d'autre part, parce qu'il rime en cho avec le triangle central quiconstitue le sujet: rappel du sujet dans le dcor pour Fnlon, amorce d'interprtation du dcor dans le sujet pour la lgende de la gravure. Il se rpte avecles trois pcheurs de la droite du tableau l'un se penche en avant et sembleprt tomber en tirant un filet, les deux autres, penchs en arrire, ramentavec effort et avec les trois joueurs de mourre l'un pense un nombre poursurprendre son compagnon, l'autre qui parat attentif de peur d'tre surpris ,le troisime qui n'est pas dcrit par Fnlon, l'est dans la lgende, puisque tendu plat ventre, appuy sur le coude, il dtourne la tte du jeu, en direction dela femme qui lui tourne le dos. Ces deux triangles figuratifs, en cho avec lepremier, s'opposent lui et s'opposent entre eux tout en s' voquant par la disposition arithmtique et gestuelle des personnages. Au drame sur le devants'opposent la paix, la tranquillit au fond, comme au travail droite s'opposele jeu gauche, comme les activits rythmes rptitives, les gestes de travailet du jeu s'opposent la chane linaire des affects dclenche par l'accidentmortel. Ainsi le groupe des trois figures de la scne dramatique est repris mtaphoriquement (mais quels sont les effets de sens de cette mtaphore?) par les scnes en dcor du travail et du jeu-loisir, scnes secondaires qui doublentdans le dcor dans la nature le drame qu i se passe sur la scne et lui donnentdes rsonances signifiantes toujours nouvelles, d'autant que les lments deces triangles sont en correspondance diversifie d'un groupe l'autre : ainsi lepcheur qui tire le filet semble tomber dans l'eau; le mort est tomb dans l'eau,pris par le filet du serpent; un des joueurs tendu plat ventre se dtournedu jeu; le mort tendu plat ventre se dtourne de la vie... ou encore le mortest dans l'eau l'homme effray et la femme tonne sur terre les joueurssont sur terre le pcheur sur l'eau etc..Les similarits apparaissent ds lors se multiplier et, en se multipliant, multiplier es sens, ou tout au moins les amorces de sens, travaillant sans cesse lesfigures pour les faire et les dfaire, les dplacer travers le tableau en multipliant leurs relations. Peut-tre ne sont elles pas dterminables exhaustivement?Et sans doute est-ce une des fonctions de la mtaphore que de multiplier lessens en multipliant les ambiguts *. Ainsi, dans ce premier reprage descriptifne portant que sur la moiti infrieure du tableau apparaissent dj un codeactionnel, travail-jeu-mort, avec ses sous-codes philosophique et mythique,

    1. Cf. ce sujet E. Kris en collaboration avec A. Kaplan, Aesthetic ambiguities ,in Psychoanalytic explorations in art, New York, 1952.203

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    Louis Marinun code sexuel homme-femme-serpent, un code gologique eau-terre, un codenumrique, 3, un code zoologique, serpent. Nous l'analyserons attentivementailleurs.Mais la lecture diagrammatique du tableau doit, en ce point de son discours,oprer dans le tableau le recouvrement des contiguts par les similarits quela description indique. Les similarits sont sur le tableau, articulant autrement les figures en effectuant leur transit dans sa surface. Elles ne constituentpas l'arrire plan ou l'arrire monde du tableau, un sens second et cach,un niveau smantique secret qu'il s'agirait de dcouvrir comme l'essence dutableau. L'intgration des similarits dans les contiguts que la lecture danssa discursivit fait intervenir aprs coup est dj faite d'emble dans la totalitdu tableau lu et vu. On peut apercevoir galement que cette intgration dfinitla potique du tableau, en tant qu'elle est construite par l'analyse descriptive : la fonction potique projette le principe d'quivalence de l'axe de slectionsur l'axe de combinaison 1 . Ainsi pour les dimensions de la surface (gauche-droite /devant-fond-bas-haut), on obtiendrait le tableau suivant :

    Terre

    Eau

    gaucheles trois joueursde mourre

    l'homme mort entrelac ar le serpent

    droiteles trois pcheursau travaill'homme effrayeffrayant

    eau

    terre

    hautbas

    Dans x, lieu central entre la gauche et la droite, le haut et le bas, dfini commeune deuxime scne, intermdiaire et dcroche entre la scne et le dcor et lesscnes qui y sont intgres, s'articule la figure de la femme qu i est bien, lafois par sa position et sa fonction, un nud de sens, une matrice figurative,source fconde de relations en cette partie de la toile a. La femme est sourced'articulation, la fois dans l'espace reprsentant, dans l'espace reprsentet dans le texte de reprsentation : elle est situe exactement l'intersectionde la ligne verticale mdiane du tableau et de la ligne horizontale, en son tiers infrieur. Elle occupe le deuxime plan du tableau, deuxime scne entre le fond-dcor et le devant de la reprsentation. Elle occupe par l une position intermdiaire dans toutes les directions de l'espace plastique et de la surface dereprsentation. Enfin dans le texte descriptif ou texte de reprsentation, elleest le terme et la fin du rcit, sa figure de rsolution, mais aussi le point o ledcor s'articule au rcit : lieu figuratif o le rcit s'achve et o s'ouvre l'espacede description. Enfin sur le plan des investissements smantiques, de la chanedes affects, la variante (L) nous met sur le chemin d'une lecture de la figure qu idcolle du signifi psychologique en tant qu'il est reprsent par les personnages,pour retrouver la description pure, manifestement signifiante : terme de l'amor-

    1. R. Jakobson, Essais de linguistique gnrale, Ed . de Minuit, Paris, 1963, p. 220.2. Il faut rapprocher cette analyse de celles faites au chapitre vi de l'Interprtationdes Rves de Freud : le travail du rve, P.U.F., Paris, 1967, p. 241 sq.

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    Louis Marinl'un pousse sur la gaffe, l'autre, sur la rame, avec des gestes dont l'inversionest efficace.x enfin met en rapport les quatre ples dans toutes les directions souhaitables:figure matricielle d'change des figures, centre de transit figuratif o se nouentet s'voquent les unes les autres, les relations diverses : soit les combinaisonssuivantes a/Ax, b/B1; a/bx, A/B2; a/Bx, A/b8 dont il conviendrait alrsde poursuivre les prolifrations signifiantes : il ne saurait tre question dansles limites de ce texte de le faire, ni mme d'en commencer l'inventaire, dansson ouverture, d'autant qu'il s'agit seulement de la moiti infrieure du tableauet qu' titre d'hypothse, nous pourrions en apercevoir le redoublement dplacdans la partie suprieure : s'y opposent en effet les figures du chteau cleste , gauche, et de la ville, droite, par del un grand miroir d'eau o la reprsentation e reprsente elle-mme dans son reflet. Qu'il nous suffise d'indiquerle caractre signifiant de cette prolifration figurative : chaque figure A, B, a, b,se trouve engage par x dans un certain nombre de relations o elle trouve sens :elle recueille le sens et lui donne une figure, x est matrice figurative qu i n'a pasde sens en soi, comme les autres figures, mais elle recueille en les figurant, lesmultiples sens flottants dans les relations nombreuses que fait apparatre lereprsentant dans son espace de visibilit. Le problme est ici de fixer les senspar le discours descriptif dans sa rptition. C'est la mise en relation rgle desquatre figures a, A, b, B, par x (combinaison, syntagmatique) dans l'espacereprsentant-reprsent qu i doit nous permettre d'extraire le terme convenabledu champ smantique et constituer toutes les fois une lecture signifiante. Chacunedes lectures est-elle ncessaire et comme exigible dans le discours descriptif?Il ne le semble pas. Par cet aveu, nous retrouvons cette prolifration figurativequ'il est difficile d'arrter, mais qu i se concentre en x, centre de transit, lieud'change : il s'agit d'une travailleuse (lavandire?) en instance de loisir, lafois immobile et gesticulante, personnage en tat de repos pathtique face celui qui lui reprsente la mort qu'elle ne voit pas : c'est la seule femme du tableauentre le divertissement du jeu et cet autre jeu qu'est la mort comme enlacementde l'homme par le serpent etc..Il est bien certain que les indications prcdentes excdent l'analyse du discoursdescriptif, dans ses variantes, non sans y rvler quelques repres. Elles nevisaient qu' une interrogation sur la polyvalence signifiante que le tableaurecle dans sa description ritre et qui n'est, peut-tre, que la lecture du tableaupar un spectateur en tat de dlectation , pour parler comme Poussin, unspectateur qu i lit les figures de son propre dsir dans celles que le dsir dupeintre, en reprsentant, trace et dplace dans la surface du tableau.

    Louis Marincole Pratique des Hautes tudes, Paris.

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    Louis Marinrude et pre, qui fait fuir un bocage tendre et naissant, plac derrire. Ce bocage a unefracheur dlicieuse; on voudroit y tre. On s'imagine un t brlant, qui respecte cebois sacr. Il est plant le long d'une eau claire, et semble se mirer dedans. On voit d'unct un vert enfonc, de l'autre une eau pure, o l'on dcouvre le sombre azur d'unciel serein. Dans cette eau se prsentent divers objets qui amusent la vue, pour ladlasser de tout ce qu'elle a vu d'affreux. Sur le devant du tableau, les figures sonttoutes tragiques. Mais dans ce fond tout est paisible, doux et riant : ici on voit dejeunes gens qui se baignent et qui se jouent en nageant; l, des pcheurs dans un bateau :l'un se penche en avant, et semble prt tomber, c'est qu'il tire un filet; deux autres,penchs en arrire, rament avec effort. D'autres sont sur le bord de l'eau, et jouent la mourre * : il parot dans les visages que l'un pense un nombre pour surprendreson compagnon, qui parot tre attentif de peur d'tre surpris. D'autres se promnentau-del de cette eau sur un gazon frais et tendre. En les voyant dans un si beau lieu,peu s'en faut qu'on n'envie leur bonheur. On voit assez loin une femme qui va sur unne la ville voisine, et qui est suivie de deux hommes. Aussitt on s'imagine voir cesbonnes gens, qui, dans leur simplicit rustique, vont porter aux villes l'abondance deschamps qu'ils ont cultivs. Dans le mme coin gauche parot au-dessus du bocage unemontagne assez escarpe, sur laquelle est un chteau.Lon. Le ct gauche de votre tableau me donne de la curiosit de voir le ctdroit.Poussin. C'est un petit coteau qui vient en pente insensible jusques au bord de larivire. Sur cette pente on voit en confusion des arbrisseaux et des buissons sur unterrain inculte. Au-devant de ce coteau sont plants de grands arbres, entre lesquels onaperoit la campagne, l'eau et le ciel.Lon. Mais ce ciel, comment l'avez-vous fait?Poussin. II est d'un bel azur, ml de nuages clairs qui semblent tre d'or etd'argent.Lon. Vous l'avez fait ainsi, sans doute, pour avoir la libert de disposer votregr de la lumire, et pour la rpandre sur chaque objet selon vos desseins.Poussin. Je l'avoue; mais vous devez avouer aussi qu'il parot par l que jen'ignore point vos rgles que vous vantez tant.Lon. Qu'y a-t-il dans le milieu de ce tableau au-del de cette rivire?Poussin. Une ville dont j'ai dj parl. Elle est dans un enfoncement o elle seperd; un coteau plein de verdure en drobe une partie. On voit de vieilles tours, descrneaux, de grands difices, et une confusion de maisons dans une ombre trs-forte;ce qui relve certains endroits clairs par une certaine lumire douce et vive qui vientd'en haut. Au-dessus de cette ville parot ce que l'on voit presque toujours au-dessusdes villes dans un beau temps : c'est une fume qu i s'lve, et qui fait fuir les montagnes qui font le lointain. Ces montagnes, de figure bizarre, varient l'horizon, en sorteque les yeux sont contens.

    II. Flibien, Entretiens sur les vies et sur les ouvrages des plus excellens peintres ancienset modernes, Londres, Morties, 1705, t. IV, 8e Entretien, p. 119-120.Le paysage qui est dans le Cabinet de M. Moreau fait un effet contraire. La situationdu lieu en est merveilleuse, mais il y a sur le devant des figures qui expriment l'horreuret la crainte. Ce corps mort, est tendu au bord d'une fontaine, et entour d'un serpent;cet homme qui fuit avec la frayeur sur le visage; cette femme assise, et tonne de levoir courir et si pouvant, font des passions que peu d'autres Peintres ont su figureraussi dignement que lui. On voit que cet homme court vritablement, tant l'quilibrede son corps est bien dispos pour reprsenter une personne qui fuit de toute sa force ;et cependant il semble qu'il ne court pas aussi vite qu'il voudrait. Ce n'est point, comme1. Jeu fort commun en Italie, que deux personnes jouent ensemble, en se montrantles doigts en partie levs et en partie ferms, et devinant en mme temps le nombre deceux qui sont levs.

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  • 7/28/2019 Marin, La Description de l'Image 70

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    La description de l'imagedisait il y a quelques temps un de nos amis, de la seule grimace qu'il s'enfuit; ses jambeset tout son corps marquent du mouvement.

    III. Lgende de la gravure de Baudet, Georges Wildenstein, op. cit.:Paysage o l'on voit un jeune homme mort proche d'une fontaine, le corps enveloppd'un serpent d'une grandeur norme et d'un aspect effroyable. Il fait fuir un autrehomme, dont les regards troubls et les cheveux hrisss pouvantent une femme plusloigne, assise au bord du chemin. Ses cris font tourner la tte vers elle quelquespcheurs.IV . Flibien, op. cit., 6e Entretien, p. 160, t. III :Je ne crois pas qu'on puisse mieux reprsenter l'tat auquel on se trouve dans cetteoccasion que M. Poussin l'a fait dans un paysage qu'il peignit autrefois pour le sieur Poin-te l son ami. On y voit un homme qui voulant s'approcher d'une fontaine, demeuretout effray en apercevant un corps mort environn d'un serpent; et plus loin, une

    femme assise et toute pouvante, voyant avec quelle frayeur cet homme s'enfuit.On dcouvre dans la contenance de l'homme et sur les traits de son visage non seulement l'horreur qu'il a de voir ce corps mort tendu sur le bord de la fontaine, maisaussi la crainte qui l'a saisi la rencontre de cet affreux serpent dont il apprhendeun traitement semblable. Or quand la crainte du mal se joint l'aversion qu'on a pourun objet dsagrable, il est certain que l'expression en est bien plus forte. Car les sourcilss'lvent, les yeux et la bouche s'ouvrent plus grands, comme pour chercher un asileet demander du secours. Les cheveux se dressent la tte, le sang se retire du visage,le laisse ple et dfait, et tous les membres deviennent si impuissants qu'on a peine parler et courir : ce que l'on voit parfaitement bien reprsent dans ce tableau.V. Flibien, op. cit., 8e Entretien, t. IX, p. 51 :Ce fut encore dans le mme temps qu'il fit pour le mme Pointel deux grands paysagesdans l'un il y a un homme mort et entour d'un serpent, et un autre homme effrayqui s'enfuit. Ce tableau que M. du Plessis Rambouillet acheta aprs la mort du sieur Pointel, st prsentement dans le Cabinet de M. Moreau premier Valet de Garderobe duRoi, et doit tre regard comme un des plus beaux paysages que le Poussin ait faits.