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DE L'ART DE RACONTER DES HISTOIRES Jean-Clet Martin Collège international de Philosophie | « Rue Descartes » 2014/3 n° 82 | pages 104 à 107 ISSN 1144-0821 Article disponible en ligne à l'adresse : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- http://www.cairn.info/revue-rue-descartes-2014-3-page-104.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- !Pour citer cet article : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Jean-Clet Martin, « De l'art de raconter des histoires », Rue Descartes 2014/3 (n° 82), p. 104-107. DOI 10.3917/rdes.082.0104 -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour Collège international de Philosophie. © Collège international de Philosophie. Tous droits réservés pour tous pays. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie, sous quelque forme et de quelque manière que ce soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur en France. Il est précisé que son stockage dans une base de données est également interdit. Powered by TCPDF (www.tcpdf.org) Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 89.88.126.233 - 01/01/2016 14h00. © Collège international de Philosophie Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 89.88.126.233 - 01/01/2016 14h00. © Collège international de Philosophie

Martin, Jean-Clet - De l'Art de Raconter Des Histoires

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Jean-Clet Martin, De l'art de raconter des histoires

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DE L'ART DE RACONTER DES HISTOIRESJean-Clet Martin

Collège international de Philosophie | « Rue Descartes »

2014/3 n° 82 | pages 104 à 107 ISSN 1144-0821

Article disponible en ligne à l'adresse :--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------http://www.cairn.info/revue-rue-descartes-2014-3-page-104.htm--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

!Pour citer cet article :--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------Jean-Clet Martin, « De l'art de raconter des histoires », Rue Descartes 2014/3 (n° 82),p. 104-107.DOI 10.3917/rdes.082.0104--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

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La philosophie de Derrida vise un démantèlement des grilles de l’ontologie. Il en seraquestion dans le séminaire de 1964 réalisant une lecture de Sein und Zeit qui en pressentait leslimites  1. Il y va, en cette première approximation,  d’une saisie de l’Être dont Heideggerdisqualifie les images, les Weltbilder en ce qu’elles font déchoir les phénomènes en objets. Maispeut-on sortir d’un tel cinéma par une condamnation des images, des mythes, « des histoiresqu’on nous raconte » ?Heidegger dans un geste proche de Platon s’en prend aux images dont le schématisme concatènele plus faussement son monde. Des images plombées de ce genre – clichés dont l’ontologie serevêt – ne sont pas sans rapport avec des icônes mondaines gommant d’une certaine manièrel’autre qualité de l’image, son caractère indiciel, sa valeur de trace constamment évidée. Leséminaire de Derrida montre comment le rejet de l’image chez Heidegger – lui qui veut toucherenfin l’Être sans l’orientation d’aucun écran/étant  – comment donc ce rejet des figuresimageantes de l’ontologie fait appel à des images inaperçues. Or sur le chemin d’une destructionde «  l’image du monde », en sortant du clip des Weltbidern, on ne pourra pas ne pas croiserl’entreprise incontournable de Hegel. Il s’agit de sa plongée dans l’image au cœur de  LaPhénoménologie de l’Esprit. Un livre où, comme je l’avais annoncé pour ma part, il est question ducrime de l’ontologie au bénéfice de l’histoire. Un crime me poussant à lire le texte de Hegelen Une intrigue criminelle de la philosophie 2, à savoir son roman le plus sombre. De cette rencontre,Derrida exhume la promesse d’un problème que le séminaire ne cesse de tourner : « Pourquoil’entreprise hégélienne, si proche d’ailleurs de celle de Heidegger, est-elle encore enfermée dansle cercle de l’ontologie classique ? C’est une question qui ne nous laissera en paix tout au long deces réflexions » (p. 31).Un mince feuillet de papier les sépare, poreux, qui pourrait entraîner Heidegger sur unetraverse dont il se défend. «  Malgré des ressemblances troublantes la destruction

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heideggerienne n’est pas la réfutation “recollectante” de Hegel  » (p. 34). C’est que ladestruction de l’ontologie néantisée par Hegel est une Widerlegung, un parquet flottant qui sedépose et se repose, un repositionnement, un feuilletage qui fait l’essence de l’écriture dontHeidegger ne veut rien savoir, ne connaissant que la parole de l’Être. Il y a un combat de titansentre Heidegger et Hegel autour de « la métaphore ontique » : une occultation de l’être pardes histoires. Heidegger tient fermement la position : « ne me racontez pas d’histoires  ! »,tandis que Hegel ne fait que cela, raconter des histoires comme cela devait s’imposer à malecture de La Phénoménologie de l’Esprit. Heidegger, au nom de la poésie qui est celle de la voix(die Sage), refoule ce que le roman engage en qualité d’image, de  Weldbildung autant quede  Bildung dans l’ordre du  Bildungsroman. Clairement, «  il s’agit de rompre avec le romanphilosophique » (p. 57).Cette raideur de Heidegger n’est pas du tout celle de Hegel dont la plasticité sera romanesque etthéâtrale, au point de fonctionner par « scènes » et « tableaux » : « Hegel aurait en ce sens été undes plus grands raconteurs d’histoires, un des plus grands romanciers de la philosophie, le plusgrand sans doute » (p. 73). Le mot « raconteur » n’est ici posé que pour entrer en contraste avecle «  ne me racontez pas d’histoires ! », injonction du dépassement par Heidegger de lamétaphysique toujours grouillante d’images – et les romans, à la différence de la poésie, ne sedéclament pas. Pourtant si Heidegger ne veut plus d’histoires, l’Histoire de  l’Être est elleaussi  eine Geschichte, une histoire. En quoi l’accès à l’Être par Heidegger peut-il alors sedésolidariser des histoires et de la narration au moment où Heidegger ne cesse de tout illustrerpar cette curieuse « maison de l’être », de son « berger », de son « gardien » en déployantl’aventure fictionnante du Dasein qu’on ne peut suivre que dans le tracé des métaphores ?« Habiter » est une disposition à l’être dont nous avons oublié le sens propre sachant qu’il y aen tout nom quelque chose de commun, d’usé, un transport dont l’image ne nous parle plus.Nous sommes ainsi pris dans un déplacement, un saut originaire dont la métaphore a effacétoute trace puisque celle-ci consonne avec l’oubli du sens premier, introuvable. La métaphoreest placée au commencement du langage dans un transport impossible à suivre et à ravaler. Ilnous est définitivement «  inter-dit  » de dévêtir l’être dans l’articulation de son abri. Une« déportation » ontologique a eu lieu étouffant toute question sous l’évidence d’une réponsedonnée. Mais « le sens propre dont la métaphore tente de suivre le mouvement sans jamais lerejoindre ni le voir, ce sens propre n’a jamais été dit » (p. 106). Il ne peut se dire, ni s’indiquer,ni se désigner. Le sens le plus propre en apparence est déjà impropre, infigurable.

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Or, l’inauthenticité de la métaphore est indépassable de manière qui n’est pas accidentellemais essentielle au retrait même du sens de l’Être. Les métaphores sont comme des moulespréexistants auxquels manque tout modèle. Par le transport originaire, par le décalage de lamétaphore, le mot est définitivement délivré de son origine sensible et se met à dériver.Son itinéraire est l’histoire capricieuse qui pourrait bien être de nature grammaticale, dumoins littéraire comme c’est le cas du mot « être » analysé par Renan sans aucune chanced’y percevoir des traces d’onomatopée –  ce rapport étant fictionné en quelque détournarratif. « Le dehors n’y a aucune part », et on ne peut compter sur une littéralité de lalittérature (p. 115). Le sens de l’Être tel que Heidegger le traque n’a rien d’une originenaturelle, d’une ressemblance qui serait celle du moule eu égard à un modèle. Il estantérieur aux deux éléments de la littéralité, devant un vide que ne saurait combler aucunlexique, aucun dictionnaire ne justifiant ses mots. Et devant cette injusticiable, le sens del’Être est redevable d’une éternelle fiction que seule la métaphysique aura l’illusion deremplir. Or « dans le cas de l’être, la chose semble ne pas exister » (p. 118). Et ce n’est quepar ce constat d’inexistence, par ce néant dans l’être que se signe la plus grande proximitéd’avec le roman de Hegel.C’est par là qu’il me paraît possible d’expliquer l’intrusion brusque de cet autre grandfaiseur de fictions auquel j’ai pour ma part donné la réplique en une étude séminale, je veuxparler de Borges. L’être n’est pas comme une chose indemne. Il n’est que l’orientationincalculable d’une disposition que Heidegger nomme « Dasein », un être-là ouvert dans lafiction qui cherche, tente, lance des questions sans objets, traverse des mondes qui ne sontpas substantivés par l’ontologie. Dans ces ruines circulaires, « il ne s’agit pas seulement desubstituer une métaphore à une autre sans le savoir : cela, c’est ce qui s’est toujours produitau cours de l’histoire, de cette histoire universelle dont Borges dit qu’elle n’est peut-êtreque l’histoire de quelques métaphores ou l’histoire de diverses intonations de quelquesmétaphores » (p. 279). L’Histoire ne cesse de ravaler une métaphore par une autre qu’ellejuge plus éclairante en un progrès qui rend insensible l’utopie fictive qu’elle habite. Il s’agitalors de se replacer au plus près de la fiction quand la chose manque, quand le référent n’aaucun pouvoir de la remplir. Alors on pourrait bien dire avec Borges que la métaphysiqueest une fiction qui ne le sait pas. L’être ne devient une question que par la force d’habiterdans l’absence de toute référence quand ne restent que des histoires à raconter, deshistoires qui, au lieu de se substituer à la chose et de nous la montrer dans son origine et son

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Absolu, nous disent surtout qu’elle n’est pas, qu’elle manque, et que l’être doit désormaiss’écrire non pas comme une icône de Dieu mais bien mieux en le biffant d’une croix.

NOTES

1. J. Derrida, Heidegger : la question de l’Être et l’Histoire, Th. Dutoit (éd.), avec le

concours de M. Derrida, Paris, Éditions Galilée, 2013.

2. J.-C. Martin, Une intrigue criminelle de la philosophie. Lire la Phénoménologie de

l’Esprit de Hegel, Paris, Éditions Les Empêcheurs de penser en rond/La Découverte, 2009.

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