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1010736138
*TA 239
.
.
L E T T R E S
S U R LA R O U T E
G E N V E A MILAN.
^ # / y ^ ;
D E L ' I M P R I M E R I E
S>E J. J. P A S C I I O U J ,
Geneve.
f t
^-4^i [
L E T T R E S
SUR LA R O U T E
D E
GENVE A MILAN
P A R LE SIMPLON,
E C R I T E S E N l 8 0 Q . J-*R9*^
^m
- > - ~ /
A P A R I S.
Chez J. J. P A s c H o u D , Libraire , Rue des Petits-Atigiislins, u. 5.
A G E N V E ,
Mme maison de C o m m e r c e S & ^ J L G j
1 8 1 0 ,
/7
r ^ y
yff^yyi&a^:
t
AVERTISSEMENT.
V^ES Lettres dvoient accom-
pagner des gravures reprsentant
les sites les plus remarquables de
Genve Milan ; le plan de cette
collection ayant t chang, on
a cru qne la description des dif-
frens pays que la route traverse
pourroit avoir quelque intrt
dans un moment o les ouvrages
construits sur le Simplon at-
tirent un grand nombre de voya-
geurs. L'auteur regrette de ne
pas donner dplus grands dtails
sur ces travaux ; il ne lui a pas
ij" AVERTISSEMENT.
t possible de s'en procurer :
il a trouv dans les voyages de
M. de Saussure, et dans le Dic-
tionnaire del Suisse de M. Ebel,
des renseignemens dont il s'est
permis de faire usage.
LETTRES S U R L A R O U T E
D E G E N V E A MILAN.
LETTRE PREMIRE.
Genve.
M O N S I E U R ,
V o u s voulez connotre les dtails
du petit voyage que je viens d'a-
chever : la nouvelle route du Simplon
a droit, en effet, d'exciter la curiosit.
Je vous envoie mon journal ; il pourra
vous tre de quelque util i t, si vous
dsirez un jour de faire celte course.
Je ne m'arrterai point sur l'his-
toire de l'ancienne rpublique de
Genve, sur la forme de son gouver-
nement , sur les hommes distingus
qu'elle a produits; de pareils dtails
1
( 2 )
n'entrent pas clans la tche d'un
voyageur; ils sont d'ailleurs, je l 'es-
pre , assez connus pour que je ne
sois pas oblige de les rpter *.
La longue re'sidejice de Calvin dans
Genve , devenue la mtropole du
protestantisme ; les e'tablissemens
d'ducation qu'il y fonda, l'industrie
de ses habitans ont. acquis cette
ville une grande reputation ; les noms
de J . J . Rousseau , de Bonnet , de
de Saussure , et de bien d'autres sa-
vans sont connus de tout le monde,
La situation de Genve est remar-
quable; les trangers s'y rendent en
grand nombre ; les peintres et les
* C'est d'autant moins le moment cle
m'arrter sur ce sujet, qu'il va parotre une
Histoire de la ville de Genve, compose
par l'auteur de Y Histoire des Gaulois,
imprime chez J. J. Paschoud, Imp.-Lib,
Genve et Paris.
( 3 )
amateurs d'histoire naturelle y sont
attirs par les beaux sites et les pro-
ductions de tout genre du pavs qui
l 'entoure. Elle est situe surle Rhone,
au bord d'un lac qui inspira le gnie
de deux auteurs clbres, J. J . Rous-
seau dans son Hlo'se ,_ et Voltaire
dans son Eptre M.me Denis, quand
il vint habiter sa'retraite des Dlices.
Nous partmes de Genve le jour
d'une fte consacre la navigation,
que les habitans clbrent tous les
ans par une promenade sur l'eau *.
*-Par un usage antique, les corporations joyeuses qui s'exeroient , dans la belle saison, au tirage du mousquet, du canon ou de l'arc, toient prsides par des chefs ou rois, qui acquroient cette dignit, non par lection, ou par droit de succession , mais par leur adresse frapper le plus prs du but, dans un jour marqu qui ter-miuoit ha dure de chaque rgne. Il y
( 4 )
Dsirant en tre les te'moins, nous
nous embarqumes dans l'aprs-midi
pour aller coucher un village situ
une demi-lieue seulement de la
ville. Le teras toit tel qu'on pou-
voit le dsirer : la puret du c ie l ,
Ja limpidit des o n d e s , la beaut
des rivages auroient suffi pour former
un spectacle digne d'admiration.
Au-dessus de ces bords qui s'a-
vancent en promontoires, se creusent
en golfes, et sont partout couverts de
jolies maisons de campagne, nous
voyons s'iever d'un cte la longue
chane du Ju ra ; de l'autre, les rochers
avoit des rois de Varquebuse, du canon,
de la navigation, et des commandeurs de
l'arc. Leur rgne paisible ioit signal
par de fles annuelles, que les premiers
Magistrats honoroient de leur prsence, et
qui attiroient uu nombreux concours de
spectateurs.
( 5 )
brlans el arides de Salve , les pentes
cultive'es de Montoux, ]es forls et
les pturages des Voirons; les cimes
lointaines des Glaciers paroissoierit
couvertes de neige; on remarquait
les pics inaccessibles du Dru et dJAr-
gentire, le dme clatant du But
et le M o n t - B l a n c levant sa tte
au-dessus de cet amphitheatre de
montagnes.
A peine tions-nous sortis du por t ,
que nous dcouvrmes une barque
remplie d'une foule joyeuse qui "re-
venoit des ctes de Genthod , o l 'on
avoit tire' au blanc. Un repas foijt
gai avoit eu lieu aprs la distribution
des prix. Ce btiment loit suivi d'un
grand nombre de plus petits ; de
toutes parts il en arrivoit de nou-
veaux, et bientt une partie du lac
fut couverte de bateaux de toutes
grandeurs, peints de couleurs diffe-
( 6 )
rentes , orns de bandelettes bril-
lantes , remplis de femmes lgam-
menl mises. Les terrasses et les
maisons dn rivage e'toient garnies
de spectateurs. Les mouvemens des
diffrentes parties de cette flotte ne se
faisoienl pas sans occasionner quelque
dsordre : tandis que les quipages
se cherchent et se reconnoissent ,
les proues se choquent , les rames
se croisent; un btiment pesant vient
heurter un lger esquif, le repousse
violemment, le fait pencher , et le
conducteur de la nacelle parvient avec
peine la rtablir en quilibre.
Lorsque le soleil a disparu, que
les rivages commencent se cou-
vrir de tnbres , et les neiges des
montagnes.de cette teinte rose dont
elles se colorent au crpuscule, la
scne change; une musique douce
se fait entendre. A l'instant le bruit
http://montagnes.de
( 7 )
et les cris cessent ; on retire les f aines,
les bateaux demeurent immobiles 5
le calme de la soire, le son de la
musique} le bruit des flots qui viennent
se briser contre les proues , inspirent
tous les assistans une douce mlan-
colie , et font dsirer le silence et
le recueillement ceux tjui venoient
de se plaire au milieu des cris et du
tumulte.
Nous nous loignons regre t , et
dirigeons notre bateau vers la cte
de Cologny. La Hotte regagne en
triomphe la >ille : au milieu des t-^
nbres dans lesquelles elle s'enfonce,
nous distinguons la trace brillante
qu'elle a sillonne sur les eaux 3 tom>
-conp des serpentaux, des fuses
s'lvent dans les a irs , y clatent ,
retombent en une pluie de feu qui
vient couvrir les bateaux et s'teindre
dans les ondes ; les rb'ages sont clai-
( 8 )
res j des colonnes de feu se peignent
dans les flots cte de la lumire ple
et tremblante des e'toiles ; plusieurs
coups de canon se font entendre ;
la flotte est entree dans le por t .
La forme du lac de Genve est
peu prs celle d'un croissant. Sa
longueur , mesure sur la rive sep-
tentrionale, est de 18 lieues et | ;
mais cette mme distance , mesure'e
en ligne droite par-dessus le Chablais,
n'est cpie de i 5 lieues. Sa plus
grande largeur , qui est entre Rolle
et Thonon , est de 5 lieues et }.
Le Rhne , qui entre dans le lac prs
de Villeneuve , en sort Genve :
son embouchure , c'est un torrent
chariant des dbris de bois , des amas
de pierres, en harmonie avec le
pays sauvage qu'il vient de traverser
et les cabanes qui s'lvent sur ses
rives; Genve, c'est un beau fleuve
( 9 )
qui coule avec majest' au ped des
difices et des maisons de campagne.
Les montagnes qui bordent le lac
prsentent des aspects diffrens : du
cte' de la Suisse, les collines du
Pays-de-Vaud se couvrent de riches
vignobles, qui ont rpandu l'aisance
dans toute la contre; de jolies villes,
une multitude de villages paroissent
au milieu de ce pays bien cultiv.
Du cte de la Savoie , s'lvent des
montagnes plus varie'es , mais moins
fertiles ; des rochers immenses cou-
verts d'e'paisses forts semblent se
prcipiter dans le lac et viennent
rflchir dans les eaux leurs masses
noirtres , couronnes de pics inac-
cessibles. La na tu re , dans ces l iens ,
n'a point t change par les simples
et pauvres paysans qui les habitent.
On ne compte sur les bords de
la Savoie que deux villes : la pre-
( 1 0 )
mire est T h o n o n , ancienne capitale
du Chablais, maintenant la re'sidence
d'un des sous-pre'fets du Lman :
cette ville fut prise par les Bernois
en i 556 , et retourna, quelques annes
aprs, ses anciens matres. Les ha-
bitans de Thonon, sujets des Bernois,
furent protestans, et redevinrent ca-
tholiques sous le Duc de Savoie ; ils
eurent successivement pour pasteurs
Froment et Franois de Sales. La
place du chteau est dans une situation
remarquable ; on aperoit quelque
distance le couvent de Ripaille.
La grandeur de ce monastre et
la beaut' de son parc y attirent les
voyageurs : Ame'de'e V I I I y avoit
fonde' un prieure' d'Angustins. Ce
Prince , dgote' de la puissance et
du mon le , ayant rsolu de s'y r e -
tirer , fit biir auprs du couvent
un edifice surmopi de sept lours 3
( V )
renfermant sept appartemens : il con-
voqua Ripaille , le 7 novembre
1 4 5 4 , les tats du Duch' : leur d -
clara son p ro je t , et nomma son fils
Lieutenant-Gnral de ses provinces.
Ame'de, au milieu d'une cour
choisie, dans une retraite dlicieuse,
dlivr de l'tiquette gnante de la
cour , sans perdre la dignit conve-
nable son rang, jouissoit de toutes
les douceurs de Ja vie d'ermite ,
sans en connotre les austrits.
On s'occupoit alors runir les
glises grecque et latine ; un concile
avoit t assembl pour cet objet
Blc le pape Eugne I V , aprs en
avoir reconnu l 'autorit, avoit voulu
le dissoudre, et lui avoit oppos un
autre concile assembl Ferrare :
les pres runis Ble , irrits contre
Eugne I V , le dposent et nomment
Amde pour le remplacer- vingt-
( i s )
cinq prlats , la tte desquels le
cardinal d'Arles et yEneas Sylvius
( depuis Pie I I ) , se rendent R i -
paille pour annoncer au Duc son
lection.
L e prince apprend avec chagrin le
choix du concile, et ne cde qu'avec
regret aux sollicitations du cardinal
et de sa suite : Ripaille ne peut bientt
plus contenir les ambassadeurs et les
prlats qui viennent de toutes parts
pour reconnoitre le nouveau pape.
Ame'de'e, qui prend le nom de Felix V ,
forc de rentrer dans le tourbillon
des affaires , quitte sa retraite chrie
en versant quelques larmes , et se
rend Ble , o il est solennellement
reconnu; il demeure trois ans dans
cette ville, pendant lesquels il cre
25 cardinaux, et donne un grand
nombre de bulles. Eugne I V meurt .
Nicolas V le remplace -} alors Fl ix ,
( 1 5 )
Jas de combattre pour un rang qu'il
n'avoit point ambitionne', dsireux
de donner la paix la chrt ient,
abdique publiquement dans l'glise
de Lausanne , et obtient de son com-
ptiteur les conditions les plus h o -
norables; il revient Ripaille, dcor
de la pourpre romaine, regrettant
peut-tre d'avoir quitt la robe d'er-
m i t e , sous laquelle il avoit trouv le
bonheur ; il consacre le reste de sa
vie l'exercice des vertus, et meurt
dans son vch de Genve, en i 4 5 l .
A un quart de lieue de T h o n o n ,
on traverse la Drance , sur un pont
fort long et fort troit. On avoit
pens en construire un nouveau
dans un lieu o le lit de la rivire
est moins tendu 5 mais ce projet
devant changer la direction de la
route, et lui faire abandonner la ville
de Thonon , n'a pas t mis excu-
( i4 J tion. Aprs la Drawee, la rou te , qui
jusqu'alors avoit t assez monotone,
change t o u t - - c o u p . Des collines
charges d'arbres s'e'lvent la droite
du voyageur , et de beaux noyers
forment au-dessus de sa tte d'e'pais
berceaux de verdure.
L'on arrive bientt la source
d'Amphion *. Ces eaux avoient au--
* Voici l'analyse de cette eau, faite par
M. le professeur Tingry.
112 -j livres d'eau d'Amphion la lem~
pralure de 90 , ont donn 252 pouces cubes
d'air, dont un tiers est d'acide carbonique. Gros. Grains.
Acide carbonique concret. . . . . 0 4 4^
f e r i
Carbonate de chaux 1 S
Carbonate de magnsie i 5
Carbonate de soude o
Sulfate de chaux 54
Muriate de chaux ' J2
Alumine dissoluble ? . . 8
Alumine indissoluble siliceuse. . . . y.
Matire extracta-bitunamEuse. . . . 1
( i ) trefos plus de rputation qu'elles
n'en ont aujourd'hui ; on se rendoit
en foule Evian, qui devenoit un
se'jour fort anime' : plus un remde
est agrable, plus il est efficace; aussi
la .salubrit des eaux a-t-elle diminu
avec l'affluence de ceux qui venoient
les prendre . Ampliion n'est pas ce-
pendant tout--faitabandonn. Quel-
ques habitans de Genve et de la
Savoie s'y rendent encore dans ies
mois de juillet et d'aot ; on a lev
Ces eaux sont bonnes pour gurir les maux d'estomac, les affections nerveuses etc. I l faut les prendre immdiatement leur sortie , l'acide carbonique se dgageant promptement et abandonnant le fer qui se prcipite. On trouve dans la Aille d'Evian des eaux minrales d'un autre genre ; con-nues sous le nom d'eau Cacht. Elles sont alcalines : on les prend en boisson pour les affections de la vessie-
' ( ! 6 )
cte du petit btiment qui couvre
la fontaine, un joK salon o fies
malades se retirent quand il p l eu t ,
et o les habitans des deux villes
voisines, plus attire's par le son d'un
violon que par le murmure d e
l'onde ferrugineuse, se rendent les
dimanches et les jours de fte. Les
equipages qui remplissent le chemin,
les femmes lgamment mises, r -
pandues dans la promenade , forment
un spectacle brillant. Plus d'un voya-
geur descendant du Simp]on a d
tre agrablement surpris de trouver
au milieu des bois un bal auquel
il pouvoit prendre part. Les bateaux,
attires par la musique, s'approchent
en silence , et s'arrtent sous les
murs du btiment. L'appareil de ces
ftes ne contraste point avec la situa-
tion champtre d'Amphion : l'on y
voit rgner la plus grande simplicit,
( 1 7 )
et la mme source, qui le matin a
rtabli la sant' des malades, rend
le soir aux danseurs, leur lgret
et leurs forces.
Evian n'est remarquable que par
sa position. Au sortir de cette vi l le ,
commence la nouvelle r o u t e , large
partout de 24 p i eds , situe'e entre
le lac et les collines de Sa in t -Pau l .
Ces bo rds , qu'embellisent de'j la
fracheur des ondes et l 'ombre des
bois de chtaigniers qui dominent
le chemin, sont encore remarquables
par le mouvement et la vie qui les
animent. L'on rencontre , peu de
distance les uns des autres, les villages
de Grande-Rive, Petite-Rive et
la Tour-Ronde , habits par des p -
cheurs et par leurs nombreuses fa-
milles. Les filets dont ces pcheurs
se servent couvrent le rivage, et de
lorjgues corces, dont on fabrique
t i 8 ) ties cordes, sont suspendues aux
arbres de la route. Des bois , lancs
des sommile's voisines , sont rassem-
bls en tas sur la grve, et y at-
tendent les bateaux qui doivent les
porter sur la rive oppose'e.
Les diffrens travaux du chemin l'a-
niment encore. Des ingnieurs places
de distance en distance dirigent de
nombreux ouvriers. Ici l'on jette un
pont sur un ruisseau ; l on lve un
mur pour soutenir les terres profon-
dment coupes : le bruit du ciseau
se fait partout entendre.
A l 'embouchure de ce to r ren t ,
qui dans son cours fait mouvoir la
scie ou tourner la roue d'un moulin,
un pcheur a retir son bateau qu'il
place ainsi peu de distance de sa
maison et de l'enclos qu'il cultive.
Pendant la chaleur de la journe ,
assis dans sa nacel le , il s'occupe r -
( > 9 )
parer ses filets, ou s'endort l 'ombr
des saules et des noyers qui ornent
son petit por t ; mais ds que le jour
commence tomber , et que les de r -
niers rayons du soleil dorent la surface
du lac , il appareille et jette ses filets
quelque distance du rivage. C'est
] qu'il passe la nuit entire, attendant
en sdence sa proie ; il dcouvre de
loin la lampe qui claire sa famille,
et entend le murmure des flots qui
viennent mouiller les murs qui la
renferment. Au moment o tout
r ena t , quand l'aurore vient rougir
le ciel , et lorsque le mouvement
du rivage annonce le commencement
du j o u r , le pcheur , fatigue' , retire
ses filets et regagne sa demeure.
Nous abandonnmes la roule pour
gravir les montagnes qui la domi-
nent. Le silence et la solitude des
sombres forts de chtaigniers qui
( a o ) les couvrent , contrastoient avec la
gat des rives que nous venions de
quitter. Peu peu ces lieux s'ani-
mrent et nous prsentrent des
tableaux intressans. On entendoit
le frmissement des arbres dont on
secouoit les frui ts , la cloche d'un
troupeau nous altiroit vers un p*-
turage la voix d'un prtre qui ins-
truisons des villageois nous conduisit
prs d'une chapelle : deux ou trois
paysans toient prosterns sur les
marches de l'difice. Du cimetire ,
orn de petites croix et de bou -
quets de fleurs ; on dcouvroit le
lac dans sa plus grande tendue. La
fume d'une mtairie s'levoit dans
le lointain ; le clocher d'un village
dominoit sur les arbres et sur les
hautes treilles qui en droboient les
habitations nos yeux. Une tour
demi ruine nous conduit dans la
( s i )
cour d'un vieux chteau : cet e'difice
retrace les noms les plus illustres
et les tems de la chevalerie pendant
lesquels il fut construit. A ces anciens
souvenirs se joint le tableau in te -
ressant des murs champtres. A u
travers de cette vote cpii sert d 'en-
tre 'e, et laquelle furent autrefois
attaches des portes eno rmes , on
dcouvre les travaux de la campagne ;
les boeufs viennent dposer la charrue
ct du puits rustique- des pigeons
voltigent sur les tours ; la courge
s'lve jusque sur les crnaux , et
les troupeaux paissent l 'herbe qui
crot entre les pierres.
A quelque distance, le spectacle
redevient sauvage. On entend le bruit
d'une cascade ; un torrent se p r -
cipite dans un fond rempli de brous-
sailles. Des objets nouveaux et mille
sensations diffrentes nous atlendoient
encore.
( M )
Ces montagnes sont fertiles ; elles
produisent beaucoup de fruits, et on
en tire des laitages dlicats ; aussi le
terrein y est-il fort cher. L'ambition
des pcheurs est d'y acqurir quelque
propr i t , et les habitans aise's de
la contre'e qui ne s'occupent pas de
commerce , et dont la fortune n'est
point expose des vicissitudes, ne
veulent pas vendre des terres qu i ,
sans exiger des frais ou de grands
travaux, leur procurent en abondance
les choses ncessaires la vie.
Aprs la T o u r - R o n d e , on trouve
les villages de Meillerie et de Saint-
Gingoulph. L , les travaux de la
route deviennent remarquables; c'est
du l a c , au-dessus duquel elle est
leve de 52 pieds, qu'on peut le
mieux la juger ; on la voit suivre
les flancs de la montagne , travers
les forts et les rochers coups quel-
( a 3 ) quefois la hauteur de 35 mtres;
des ponts sont places sur les torrens;
de belles chausses soutiennent les
terres. A quelques minutes de Saint-
Gingoulph, on a laiss subsister du
ct du lac un rocher qui s'lve
tout couronn de verdure , et qui
retrace les obstacles que la nature
opposoit la construction du chemin.
Les ouvertures ont fait dcouvrir dans
ce lieu des ptrifications. De pareils
travaux me semblent bien prcieux
pour les gologues; ils leur rvlent
des secrets que la nature cachoit
dans son sein. Les diffrentes couches
des rochers , leur inclinaison , leur
structure , leur couleur se distinguent
avec facilit , et forment des murs
en mosaques que les l ichens, la
mousse et les fraisiers, couvriront
peu peu d'un tapis de verdure.
En gnral, on ne peut trop ad-
( s 4 ) mirer le soin avec lequel on a song
aux moindres dtails de la rou te .
L e cours des ruisseaux qui descendent
en grand nombre des sommits est
dirig par des canaux ou des aqueducs
construits avec lgance ; des murs
en talus contiennent le lac ; des
bornes sont places dans les endroits
escarps : autrefois les voitures e t
les chevaux mme ne pouvoient a r -
river que jusqu' la T o u r - R o n d e .
On voit serpenter encore le petit
sentier qui servoit aux bcherons et
aux pcheurs , habitans de ces l ieux:
tantt il est aux pieds du voyageur
ctoyant la grve; tantt au-dessus
de sa tte , au milieu des bois.
La route de Genve la T o u r -
Ronde avoit t construite par Charles
manuel I I I > dans l'esprance de
faire renatre le commerce et l'ai-
sance dans cette partie du Cbablais,
qui
( 5 )
qui avoit beaucoup souffert des
guerres du X V I . c sicle; ce prince
vouloit la continuer et e'iablir une
communication avec l'Italie par le
grand Saint-Bernard mais les "V a-
laisans s'y opposrent.
Prs de Meillerie, les montagnes,
couvertes de houx et de sapins , se
rapprochent de la roule ; le lac, d'une
immense profondeur , vient battre
les rochers pic dans lesquels elfe
est taille. Rousseau a rendu ces
lieux clbres en y plaant l'asile
d'un amant malheureux ; e t , de
mme que des admirateurs de la
poe'sie ancienne vont re'cilcr l'UHade
sur les rives de la Troade , ou par-
courent le Lalium en rvant Ene'e,
Turnus et Lavinie , arrtons-nous,
Monsieur , un moment Meillerie,
et e'coutons la description qu'eu fait
Saint-Preux.
2
( 2 6 )
Le sjour o je suis est triste et
horrible ; il en est-plus conforme
l'tat de mon a m e , et je n'en
habiterois pas si patiemment un
plus agrable : une file de rochers
slriles borde la cte et environne
mon habitation, que l'hiver rend
encore, plus affreuse
on n'aperoit plus de verdure ;
l 'herbe est jaune et fltrie , les
arbres sont dpouills; le schard
et la froide bise entassent les neiges
et les glaces.
Aprs une absence de plusieurs
annes, Saint-Preux revint Meillerie
avec cette Julie qui n'toit plus pour
lui ce qu'elle avoit t autrefois ;
il revint y chercher les monumens
d'un amour dont il se crpyoit guri,
et dont il regret toit les lourmens :
s'ilvoyoit aujourd'hui ces lieux, qu'ils'
lui parotroient changs ! il n'y re--
( 27 )
trouveroit plus aucun souvenir, et de
celle qu'il avoit tant aime , cl des
jours consacre's penser elle. Les
arbres et les rochers sur lesquels il
avoit grave' le nom de Julie sont
tombs sous les coups de la hache
et du ciseau ; le torrent qui se d^
bordoit est couvert d'un pont ; le
bruit des voi tures , la vue de b-
timens plus rguliers que les simples
cabanes de Meillerie, l'eflarouche-
roient et lui feroient mconnoti-e
les rives dont la situation sauvage
convenoit si bien sa douleur.
On entre dans le Valais au village
de Saint-Girjgoulph , dont la moiti
seulement apparlicnl celle Rpu-
blique. L'autre partie est encore
la Fiance. Du port de celte viJIe
partent la plupart de ces pelits b-
timens qui viennent embellir la vaste
tendue du lac. Des baleaux remplis
( 2 8 )
de poissons , des barques charges
de bois, de chaux, de rochers coupe's
Meillerie, se rendent presque tous
les jours Genve ou dans les villes
de Suisse. A peu de dislance de Sainl-
(ringoulph, on fail remarquer comme
une chose rare des forls de noyers.
La largeur du lac , prs du village
de Boveret , diminue d'une manire
sensible, el les bords opposes, qui
jusqu'alors nous avoient le' demi
cachs par la vapeur , paroissent dis-
tinctement. Nous dcouvrons la ville
de Vevay, le chteau de Chillon, les
valles et. les torrens qui sillonnent
les montagnes du Canton-de-Vaud,
La montagne du Boveret s'croula
l'anne 565. Voici ce qu'en dit Marius,
vque de Lausanne.
La montagne fort leve du Bo-
ve re t , situe dans le Valais, s'e-
croula avec tant d'imptuosit ,
( * 9 j
>) qu'elle engloutit un chteau et
plusieurs Alliages avec tous leurs
habitans, et imprima un"tel mou-
Yemeni au l ac , que l'ayant fait
sortir de ses rives, il dtruisit d'an-
ciens villages, avec les hommes
et les troupeaux ; il entrana plu-
sieurs temples , avec ceux qui
)) servoient aux autels- dmolit un
p o n t Genve , abattit des mou-
lins, et e'tant entre' dans la ville,
)> fil prir plusieurs personnes.
Grgoire de Tours ajoute qu'aprs
l ' boulement , trente moines s'tant
rent!us dans le lieu o e'loit situ
le chteau, se mirent creuser la
t e r re , dans l'esprance d'y trouver
des trsors, mais qu'ils furent bientt
engloutis par une seconde chute de
la montagne. La cote offre encore
des marques d'croulement. La pente
en est rapide , et les rochers qui
( 3 )
la composent n'ont pas de continuit
rgulire , comme on en remarque
plus Join , droite et gauche.
La nouvelle roule n'est acheve
que jusqu'au Boveret en ia cont inue,
et nous vmes plusieurs ouvriers qui y
travailloient. On emploie surtout des
Pimontois , qui sont intelligens et
peu sensibles la fatigue et la dou-
leur. On nous raconta qu'un ouvrier
avoit t jete' assez avant dans le l ac ,
par Feilet d'une mine qui clata t rop
tt. On courut son secours, ne dou-
tant pas de le retrouver mort ou
couvert de blessures 5 il n'loit qu '-
tourdi et un peu froiss ; il ne voulut
point aller l 'hpital, se secoua,
but un grand verre d'eau-de-vie ,
et se remit tout de suite au travail,
comme s'il ne lui ft rien arriv.
Je termine ici ma lettre, Monsieur.
En suivant les bords du lac, nous
( Si )
.'.vous dj fait quelques pas dans le
Valais j dans peu de jours, erictoyant
le Rhne , nous parviendrons au pied
du Simplon,
L E T T R E I L
J\_ quelque distance du overet,
la valle se trouve extrmement res-
serre entre le Rhne et la mon-
tagne. Un chteau, nomm la porte
de Ce, au travers duquel la route
passe sur un pont levis, ferme le pays.
Cette situation est remarquable ;
nous mettons pied terre pour en
mieux juger : notre voilure ctoie
ces immenses rochers, qui s'lvent
pic ; elle s'enfonce sous la vote
qu'elle fait retentir du bruit des
chanes qui soutiennent le pont. Nous
ous croyons transports clans ces
( 5 2 ) tents du moyen g e , lorsque les
Valaisans posoient les premiers fon-
demens de leur libert ; mais la d -
gradation, le silence, l 'abandon de
ce btiment nous rappellent bientt
tobt Je tems qui a d s'couler ds lors.
Prs de ce fort est un bac pour
traverser le Rhne ; des jeunes gens
qui vent chercher du travail hors de
leur pays se prsentent sur la rive
oppose ; deux bateliers s'efforcent
de couper le courant du fleuve, en
se laissant driver ; on aborde , et la
troupe continue tranquillement sa
route. Un berger fort g, qui garde
prs de l des troupeaux , nous ap-
prend qu'on entre t ient , pour toute
garnison, un soldat et un concierge
dans Je fort de Ce : j'aiirois aim
entendre de la bouche de ce vieillard,
au pied de ces crnaux, quelques
rcits de l'obscure histoire de cette
( 35 ) COnlree, que les habilans tie res lieux-
se seroient transmis de pre en fils.'
De l'antre cot de l porte de Ce,
la valle s'largit ; l'on voit s'tendre'
de grandes prairies couvertes d'arbres
fruitiers, parsemes d'habitations et
de jardins bien cultivs, que sparent
delgres claies de sapin ; des paysans,
des femmes , des cnfans rpandus
dans ces prairies et comme l 'ombre
de ces fortifications que leurs anctres
avoicot leves pour les dfendre,
s'occnpoient de la seconde rcolte
des foins- dans le fond da paysage i des bateaux qui remonloientle fleuve,
dont on ne pouvoi dcouvrir le cours,
i'aisoient apercevoir leurs voiles blan-
ches, etsembloient pntrer auniiiieu
des forts de a live oppose
Tout nous annonce un pays non-1
veau ; les habitations que nous ren--
controns sont entoures d'une yaleri o *
( 3 4 ) tie bois ; le toit qui se prolonge ext-
rieurement est construit de planches
minces , charges de grosses pierres 5
sous la saillie qu i l fo rme, l'habitant
de la maison range sa provision de
bois , en mnageant des ouvertures
pour les petites fentres de son loge-
men t ; il se procure ainsi iin nouveau
rempart contre le froid. Les granges
sont e'ieve'es sur des pieux termins
par des pierres plates et saillantes,
afin d'empcher les rats et les souris
d'y pntrer ; ces cabanes, cons-
truites en bois de mlze , d'une
couleur rougetre , sont parsemes
et l dans les prairies, et s'-
lvent une assez grande hauteur ,
sur la pente des montagnes.
Nous traversons les beaux villages
de Vouvri et de Monthey, et nous
prenons une ide des moeurs du
pays : les femmes portent de petits
( 5 5 )
chapeaux , qu'elles ornent de rubans,
de pices de brocari et de dentelles;
cette coiffure est jolie lorsqu'elle
est encore dans sa fracheur : je
crois que la mode du jour est de
garnir ces cliapeanx de rubans roses ,
et de les doubler de taffetas de la
mme couleur : j'aurois aim donner
des details plus tendus cl plus prcis
snr les parures du Valais, mais je
sais que les hommes ont rarement
les lalens ncessaires pout traiter
une matire si dlicate , et qu'en
dpit de mes recherches , la lecture
de ce que j'avance ici pourroit faire
sourire de piti une jeune habitante
de Saint-Maurice ou de la capitale.
Nous rencontrons des cretins en
assez grand nombre ; on les voit or-
dinairement devant leurs por tes , ex-
poss au soleil, et couchs au milieu
de la boue dar.s une entire inaction 3
( 5 6 )
les signes extrieurs de leur diffor-
mit sont ds goitres normes, un
tein olivtre, des traits pats : on
remarque parmi eux diffrera degrs
d'abrutissement ; quelques-uns peu-
vent tre employs aux travaux les
plus simples de la campagne, mais
un grand nombre sont incapables de
toute occupation. Lorsque nous nous
adressions e u x , nous n'obtenions
pour toute rponse que des inflexions
de voix semblables aux cris d'un aui-
nial; un sourire affreux, qui contrasloit
avec ce que nous prouvions, venoit
se peindre sur le visage de ces pauvres
cratures. La vue de ces t r e s , que
leur figure plaoil parmi les hommes,
mais qui semblent avoir t rejets
dans la classe des animaux , inspire
de la tristesse et une sorte d'effroi.
Tous le s trangers qui ont travers
le Valais se sont crus obligs d'in-
( 5 7 )
venter un systme pour expliquer les
causes de cette dgradation. M. de
Saussure , qui a fait de profondes
recherches sur ce sujet, donne pour
cause au cretinisme la chaleur et la
stagnation de l'air du fond de lavalle.
L 'on avoit avanc que les Valaisans
voyoient avec plaisir leurs enfans dans
un tat qui les rendoit incapables de
commettre des fautes et leur assuroit
le bonheur cleste: ce prjug scroit
louchant et bien digne de ce peuple
ignorant et vertueux; mais les in-
formations que j'ai prises m'ont con-
vaincu qu'il n'existe point ; ce qui
a pu accrditer cette ide , ce sont
les soins que l'on accorde ces tres
dnus de toute ressource; les Va-
laisans sont trop simples et trop ac-
coutums un pareil spectacle pour
en rougir et pour chercher le dis-
simuler 3 au res te , l'on observe que
( 5 8 )
le nombre des cretins diminue sen-
siblement, par la prcaution que
prennent les habitons aise's, d'envoyer
leurs femmes accoucher sur la mon-
tagne, et d'y faire lever leurs enfans
jusqu' l'ge de dix douze ans.
L'eutre'e de Saint-Maurice a de
grands rapports avec celle de la porte
de Ce. La dent de la Morcle et la dent
du Midi re'tre'cissent le passage , et
semblent vouloir fermer le pays une
seconde fois. Le beau pont qui est
jet sur les bases de ces deux mon-
, tagnes, appartient au "V alais et au
Canton-de-Vaud, et re'unit ces deux
tals ; il est long d'environ 200 pieds,
et n'a qu'une seule arche ; au milieu
est une petite chapelle , dans laquelle
les \a la isans disent la messe ; ce
sont eux qui sont chargs des r -
parations du p o n t , et qui reoivent
le page ; il est remarquer que
file:///alaisans
( 3 g ) ce passage troit e'toit Jle seu l , avant
la construction de la nouvelle route ,
qui ft ouvert aux voitures, et qu'en
fermant une po r t e , onleurdefendoi t
l'enlre'e de tout le Valais. Quelques
historiens croient que ce pont et le
chteau qui le domine sont l'ouvrage
de Jules-Csar, qui, lors de la guerre
des Gaules , voulut s'assurer des pas-
sages des Alpes*; d'autres en attribuent
la construction Jusle de Sillinen ,
vque de Sion, en i 4 8 a , qui releva
les monumensqui avoient e'tdtruits
dans une guerre pre 'cedente, et fit
rebtir les villes de Martigni et de
Saint-Maurice. Sillinen est connu par
l'alliance qu'il contracta avec Sigis-
mond , archiduc d 'Autr iche, contre
Charles de Bourgogne ; il eut pour
successeur le clbre Schinner.
? Simler de Yalesia.
( 4o )
Saint-Maurice est domine par de
hauts rochers qui surplombent ; les
arbres qui y croissent forment des
berceaux au-dessus de la premire
rue. C'est prs de cette ville que lut
massacre la lgion Thhe'enne : l'au-
dienliche' de ce fait a e'i conteste;
l'on a dit que la valle de Sainte-
Maurice toil trop troite pour COIF
tenir la lois une lgion compose de
plus de 6000 hommes et l'arme de
Maximien, qui massacra cette lgion ;
mais il faut observer que les rochers
s'cartent beaucoup peu de distance
de la ville, et que la valle devient
fort large : d'ailleurs 3a fondation d'un
couvent ddi St. Maurice, dans e
lieu o il pri t , la vnration qu'on
accorde cemar ty r , le changement
de nom de la vil le, qui se nommoit
autrefois Agctunum, l 'ordre de St.
Maurice et de Lazare , cr par les
( 4 i )
Dtics de Savoie, sont des monumens
qui s'accordent avec les historiens sur
cet vnement *.
Simler , crivain du X V I . sicle,
le raconte avec dtail dans un crit
envoy l'abb de Saint-Maurice.
Les soldats qui conrposoient la lgion
Thbenne avoient r ecu le baptme
de Zabda , vqne de Jrusalem 3 et
les instructions de Marcelin , vque
de R o m e , lors de leur passage dans
cette ville , avoient affermi leur
croyance. Etant arrivs Agaunum,
et apprenant qu'ils toient destins
poursuivre les chrtiens , ils refu-
srent d'obir; la nouvelle de leur
Maximien , qui loit
* Simleri Valesi descriptio. Guillhnani
Helvetia. Suiseri Chronolngia Helvetica.
S. Enchre^ passio S. Mauritii, Baldesano. de Rivaz. etc. etc.
( 4 , ) Martigni , se livra la plus violente
colre, fit dcimer lale'gion, et renou-
vela ses ordres ; ce supplice n'ayant
point pouvante les soldats, le prince
les fit dcimer une seconde fois , et
ordonna ceux rpie le sort avoit con-
servs d'obir ; ces hommes valeu-
reux, fortifies par les exhortations des
prtres rpiiles accompagnoient, et par
celles du Snateur Candide, entours
des corps sanglans de leurs compa-
gnons , rpondirent l 'Empereur :
Maximien, nous sommes tes soldats,
> mais nous respectons Dieu plus que
. toi j il nous a donn la vie, et nous
ne tenons de toi cpie le prix de nos
peines; nous savons combattre des
j) ennemis, et non plonger nos mains
dans le sang des hommes vertueux ;
y> si l'on n'exige pas de nous un si
5) horrible a t tenta t , nous voil prts
ob i r , comme nous l'avons fait
( 4 5 )
J> jusqu' prsent, mais nous sommes
chrtiens , et nous ne pouvons
gorger nos frres.
Maximien, dsesprant de vaincre
leur gnreuse rsistance, les fit en-
tourer et massacrer par son arme :
le courage de ces martyrs est d'au-
tant plus digne de la cause pour
laquelle ils prissoient, qu'ils surent
rsister aux ordres injustes de leur
chef , sans le braver, et recevoir la
mort sans se plaindre.
Sur les rocs pic qui dominent
la ville de Saint-Maurice , on voit
une glise et un petit btiment habite'
par un ermi te , qui cultive un jardin
de quelques toises , plac sur une
saillie du rocher ct de sa demeure.
Cette retraite rappelle celle des ana-
chortes de la Thcbade , q u i , s-
pars du monde entier, passoient leur
vie dans la mditation et la prire.
( 4 4 )
Le pays qui s'tend entre Saint-
Maurice et Martigni, est sterile ; des
ronces couvrent presque toute la
valle. La belle cascade de Fissevache
embellit ces lieux sauvages; la Sa-
lanche qui la forme sort d'un profond
sillon qu'elle a creus dans la mon-
tagne, et tombe perpendiculairement
d'une hauteur de 270 000 p i eds ;
l 'onde, en se brisant dans sa chu te ,
se transforme en une gaze brillante
qui voile le rocher : on ne peut trop
admirer les beaux effets que l'eau
produit dans le paysage, et la diver-
sit' des aspects sous lesquels elle se
prsente; tandis que la Salanche, r -
duite en poussire, revt cent formes
diffrentes, se confond avec l'air ,
brille de l'clat de la nacre , et r -
flchit les nuances de l'arc-en-ciel,
les ondes noires du Trient sortent
peu de distance d'une crevasse
( 4 5 )
profonde , forme par une rupture
des rochers ; ce t o r r en t , dans son
cours triste et- uniforme , semble
regretter l'obscurit' de la montagne,
et craindre d'attirer les regards.
Le Rhne , dont nous suivons les
r ives , charie une grande quantit
de bois ; ses bords et ses les en
sont couverts : on nous apprend
que ce bois vient de Sion , et qu'on
le fait descendre jusqu' Villeneuve;
l'on remonte le fleuve dans vyi petit
bateau , pour dgager les pices
arrte'es dans leur rou le ; il est d -
fendu aux habitans des environs de
se les approprier.
I l y a une grande diffrence pour
la temprature entre les deux rives
du Rhne ; nous en pmes juger dans
un voyage que nous fmes en Valais
au commencement du pinlems.
Sur la ; rive, gauche , l'on voyoit
( 4 6 )
les sapins et les mlzes ; la ve'ge'-
lation ne se ressentoit point encore
de la presence des beaux jours ; seu-
lement quelques plantes alpines, les
primevres roses , fleurissoienl par
touffes au milieu des rochers ; sur
la rive droite, croissoient les chnes;
l 'herbe paisse des prairies e'toit
e'maille'e de violettes et d'ane'mones;
les arbres fruitiers e'toient couverts
de fleurs ; l'on entendoit bourdonner
les abeilles ; tous les papilloas du
printems volligeoient autour de nous ,
et de grands lzards verts s'e'tendoient
au soleil sur les rochers.
Vis--vis de Martigni l'on voit les
villages de Branson et de Fou i l ly ,
situes dans la partie la plus chaude
de tout le Valais ; les vignobles de
Branson sont fort estimes ; on m'a
assure qu'on en vendoit souvent la
toise carre i 8 f r a n q s , et q u e , dans
( 4 7 ) ,
les bonnes annes, ils rendoient l'in-
trt de cette somme au 5 p . r ^.
La ville de Martigni est situe
la runion des routes de F i ance ,
d ' I tal ie , de Chamouni, et l 'entre
de la grande valle du Rhne : ce
fleuve, qui prend sa source dans
la montagne de la Fourche , l 'ex-
trmit du Valais, et dont le cours,
jusqu' son entre dans le lac de
Genve , dtermine l 'tendue de ce
pays , repouss par la montagne de
la Forcla , a t oblig de se tourner
vers le Nord.
Nous allmes voir , Mart igni ,
M. le prieur Murith , qui nous
montra avec beaucoup de complai-
sance un beau cabinet de min-
ralogie : ce savant ecclsiastique
connol fond l'histoire naturelle du
Valais ; il vient de publier un ouvrage
qui sera fort utile aux botanistes ; '
( 4 8 )
dans cet ouvrage il leur sert de guide
dans toutes les valles qui contiennent
des plantes rares, et anime ces courses
scientifiques par une description ra-
pide des lieux qu'il visite.
La Rpublique du Valais a environ
200 lieues carres de surface ; elle
se compose de la grande valle du
R h n e , et de plusieurs autres valles
latrales et moins considrables; on
en compte treize qui s'tendent du
ct du midi , et trois du ct du
nord , sans parler de plusieurs autres
fort petites ou inhabites. La valle
du Rhne est la plus grande de
toute la Suisse : depuis les mont
de la Fourche , o elle commence ,
jusqu'au lac de Genve, o elle se
te rmine , on compte 56 lieues. C'est
aussi une des plus profondes , car
le bas est peu lev au-dessus de
la mer , tandis que le Mon t -Rose ,
le
- ( 9 )
]e Mont-Cervin cl les autres sora-
mile's qui dominent ce pays sont
du nombre des montagnes Jes plus
leves de l 'ancien continent; aussi
le Yalais , situe sous une latitude
tempe're'e , runit-il les productions
des climats brlans, et celles des
climats glacs : dans les mois d'e'te',
les rayons du soleil, rflchis et con-
centrs par ces hautes montagnes ,
y produisent une chaleur extraor-
dinaire , y font germer l'alos et
la figue d ' Inde , y mrissent le raisin,
qui produit un vin trs-fort ; tandis
que, sur la cime de ces mmes mon-
tagnes , croissent le griipi et le ro-
dodendron. Le voyageur accabl ,
que Je souffle d'aucun vent ne vient
raffrachir , ctoie lentement ces r o -
chers brlans : fatigu par des troupes
d'insectes qui voltigent autour de
lu i , tourdi des cris monotones de
3
( 5o )
la cigale , il se croii sous le soleil
des pays mridionaux.
Ce pays est. aussi le sjour des
nuages, auire's parles pics levs : ces
nues , arrtes sur le Valais , y s-
journent long-tems, et se rpandent
enfin en torrens de pluie ; les mon-
tagnes versent toutes leurs eaux dans
le fond de la valle, o une grande
partie demeure stagnante dans les
marais qui bordent le Rhne ; elle
est ensuite pompe par le soleil , et
re tombe de nouveau.
Cet air br lant , ces vapeurs ma-
rcageuses , ces brouillards presque
constans qui psent sur le Valais , et
y forment une atmosphre pesante et
malsaine, sont probablement la cause,
non-seulement des goitres et du cre-
tinisme , mais encore d e l mollesse
et de l'inertie qu'on trouve gnra-
lement chez tous les habilans du
( 5 i )
fond de la valle, et qui disparoissent
dans des lieux plus levs.
La fertilit du Valais varie beau-
coup : prs de Martigni, les rochers
qui s'lvent pic ne prsentent
aucune place la culture ; des marais
occupent une partie du bas de la
valle ; sur les bords de la rivire,
des troupes de chevaux paissent en
libert ; la nu i t , ils se retirent sur
les terrains secs ; lorsque le pro-
pritaire veut s'en servir, il envoie
leur recherche un homme cheval,
qu i , muni d'une longue corde , la
jette adroitement autour du cou
de l'animal qu'il veut ramener.
En voyant des paysans couper des
joncs, qui nous sembloient de loin
des pis de b l , et faire fuir devant
eux des oiseaux de toute espce, nous
nous somm.es rappels la charmante
description de M. Chateaubriand.
http://somm.es
( 5a ) Les marais , toul nuisibles qu'ils
semblent,ontcependant de grandes
utilits ; leur limon et les cendres
de leurs herbes fournissent des
s engrais aux laboureurs.^ leurs r o -
seaux donnent le feu et le toit
de pauvres familles , frle cou-
y> verture , en harmonie avec la vie
y> de l 'homme et qui ne dure pas
plus que nos jours! .. En
automne , ces marais sont plantes
y> de joncs dessches, qui donnent
, la sle'rilil mme , Fair des plus
opulentes moissons; l e v e n t , g l i s -
saut sur ces roseaux, incline tour
tour leur cime ; l'une s'abaisse,
tandis que l'autre se relve ; puis
soudain toute la fort venant se
courber la fois, on dcouvre, ou
); le butor d o r e , ou le hron blanc,
qui se lient immobile sur une
longue pale, comme sur un pieu.
( 5 5 )
Le pays change ensuite ; de beaux
pturages remplacent les marais ;
des vignes soutenues par de petits
murs s'lvent en terrasses les unes
au-dessus ds an t res , et tapissent
le bas des montagnes tournes vers
e midi; sur celles opposes au nord,
ds champs viennent se mler la
verdure des bois et des prairies.
Des villages, des glises et des ora-
toires remarquables par leur blan-
cheur , dcorent les cimes qui com-
maudent Sion.
Cette ville, situe'e six lieues de
Martigni , est la capitale du Valais,
et la rsidence d'un vque ; elle
est fort ancienne , et son nom toit
connu du tems de Jules-Csar et
d'Auguste. Sion, dans le sicle der-
nier , a t successivement ravag J O
par les e aux , le feu et la guerre 5
la grande rue est forme de maisons
( 5 4 )
neuves, bties avec got , mais qui
contrastent tristement avec les ma-
sures qui les entourent : deux vieux
chteaux levs sur deux collines
dominent celte ville le plus eleve' se
nomme Tourbi l lon; c'est l que s'as-
sembloit autrefois le conseil d'e'tat, et
qu'on conronnoit l 'vque, qui faisoit
sa re'sidcnce dans un chteau situe'
peu de distance des deux autres ;
un magasin poudre ayant saute',
mit le feu Tourbil lon, prs duquel
il toit plac : il ne reste plus de
cet difice que quelques murailles
crneles, et des sureaux croissent
dans la place que les appartemens
occupoient autrefois ; la vue de
Tourbillon est fort tendue ; on suit
le cours du Rhne depuis Martigni
L e u c k , et l'on peu t , d'un seul
coup-d'il, prendre une ide de
tout le pays.
( 5 5 )
Stir des rochers d'un accs difficile
qui dominent le fleuve , on voit les
ruines des deux chteaux, de Seon et
de Montorges. En 1075, Antoine de
T h n r n fit prcipiter du haut du ch-
teau de Seon , Gradeius, vque de
Sion , ainsi que son chapelain , pen-
dant que ces deux ecclsiastiques r -
citoient leurs prires du matin : de
T h u r n avoit eu des dmles avec
Gradeius, et il s'empara du chteau
dans le moment oii l 'vque n'avoit
aucune troupe pour le de'fendre; les
Valaisans, irrites de sa mor t , prirent
les armes pour le venger, attaqurent
son meurtr ier , qui avoit re'uni quel-
ques amis auprs de lu i , le dfirent,
le turent dans le comba t , et d -
vastrent ses biens *. Quarante ans
aprs, les Valaisans, assigeant dans ce
mme chteau leur e'vque Guichard,
* Simler. Liv. II.
( 5 6 ) lui accordrent, la sollicitation des
cantons allies, la permission d'en
sortir avec sa famille , et mirent
e feu Seon.
La seconde colline, nomme Va-
Jre , prsente un amas de btimens
sans rgle et sans got , des debris
de fortifications recouverts de che'-
tives habitations, entremles d'ar-
bres , et le tout domine' par une
vieille glise gothique, qui s'lve
au milieu de ces ruines et des rochers
qui les soutiennent ; on y voit les
restes de la demeure de T h o d o r e ,
premier vque de Sion. Les cha-
noines de la ville faisoient autrefois
leur rsidence dans ce lieu- il est
maintenant habit par quelques pau-
vres familles qui y trouvent des loge-
mens bas prix.
Nous apermes , auprs de
Valre, deux femmes qui s'avan-
( 5 y ) oient lentement ; l'habit de drap
grossier qui les couvrait jusques sur
la t t e , et un chapelet pendant
leur ceinture, nous apprirent qu'elles
toient religieuses; elles nous dirent
qu'elles s'appeloient les surs de la
Solitude Chrtienne 3 elles descen-
doient tous les malins dans un hpital
de la ville, pour y enseigner les eu-
fans, et revenoient passer la nuit
dans cette habitation, bien conforme
au nom qu'elles s'toient donne-
quelques autres surs e'toient r -
pandues sur la colline ; elles s'occu-
poient des travaux de la campagne ;
nous les quit tmes, frappes de leur
air de calme et de douceur.
Xous avions e't voir dans la ville
un couvent de capucins qui nous
avoit fait une impression d'un autre
genre ; on nous avoit mont re , dans
le rfectoire, une horloge qui faisoil
( 5 8 )
cheminer dix-huit aiguilles, toutes
ayant, un mouvement different ; l 'une
marquoit le lever et le coucher du
soleil ; l'autre le depart et l'arrive
des couriers; plusieurs, l 'poque des
principales ftes; celui qui l'a cons-
truite est fort adroi t , ); nous dit
le pre gardien, mais je ne lui
permets plus de perdre son tems
de pareilles choses; il y a trop
faire dans le couvent. Ainsi
celui qui avoit su , dans sa retrai te ,
tirer parti des talens que lui avoit
donnes la nature , toit arrach
ses gots pour s'occuper des travaux
les plus grossiers , ct de l 'homme
ignorant, et pour mendier son pa in ,
tandis qu'il et pu le gagner h o -
norablement par son travail.
De ces l ieux , que nous venons
de voir habits par de pauvres fa-
milles et de timides religieuses, les
e'vcqnes de Sion commamloient au-
trefois lout Je pays, rduit sons
leur domination, aprs la lin des deux
royaumes de Bourgogne : princes du
Saint-Empire , dcores du titre de
prfets et comtes dn Valais, ils
jouissoienl d'un pouvoir illimite'. Dn
fond de ces chteaux , maintenant
dtruits, le clbre cardinal Schinncr
bonleversoil les affaires de l 'Europe ,
commtmirjuoit aux Suisses la liaine
qu'il avoit voue la Fiance , con-
servoit Maximilien Sforce son duch
de Milan, agrandissoit la rpublique
du ct du midi. Ce pr la t , n dans
le sein des montagnes , de parens
obscurs , acquit la plus grande in-
fluence dans les affaires de l'Europe j
ce fut lui qui persuada aux Suisses
d'abandonner les drapeaux de Fran-
cois I , et d'attaquer ce Prince a
Marignan. L'on sait que le champ
( 6 o ) de bataille, qui pendant deux jours
fut arrose' du sang des deux partis,
demeura enfin aux Franois.
Les Valaisans , fatigue's de la ty-
rannie des vques , se rvoltrent,
et ayant contracte une alliance avec
les cantons d 'Un , d 'Undenvald et
de Lucerne , obtinrent leur libert';
l'on mit de grandes bornes la
puissance des vques, qui , depuis
ce tems-l, a toujours t en di-
minuant , et enfin a t rduite au
maniement des flaires ecclsiasti-
ques par la nouvelle constitution ;
l 'vque n'occupe plus que la se-
conde place dans la dite , qui
s'assemble deux fois par an.
En traversant le Valais , on se
croit encore dans le moyen ge ;
il sembleroil que ce pays n'a pas
march de front avec le i(este de
l 'Europe , et que la civilisation et
(6i )
les lumires n'ont pti franchir encore
les hautes montagnes qui le sparent
du monde ; des chteaux places sui-
des monticules ; des villes bties
sur le flanc des montagnes ,' el d-
fendues par des tours ; des maisons
o l'on semble craindre la lumire
du jour , rappellent ces lems de la
fe'odalil o de petits princes tuient
en tat de guerre continuelle , et o
les peuples avoient toujours com-
battre pour dfendre leurs proprits
et leur vie.
Les bornes des diflerens dizains
du Valais sont fixes par des p o -
tences qui s'lvent sur des collines
ct des chemins; cet usage semble
venir des gouvernemens barbares ,
cjui rappeloient leur pouvoir par la
plus triste de leurs prrogatives.
Les habitaus du bas de la valle
sont indolens -} on lesprendroit plutt
( Gz ) pour des vassaux timides que pour
un peuple libre ; peu d'industrie ,
nul commerce; ils ne tirent point
de ce qui leur appartient tout le
parti possible: on voit rarement cbez
eux l'expression de la joie. Nous
traversmes, notre retour de Milan,
le Valais dans le tems des vendanges;
les pentes des montagnes eloient
couvertes d'hommes et de femmes
qui de'pouilloient les ceps; mais les
e'chos de la valle ne re'petoient
point ces chants et ces cris de joie
qui retentissent dans les vignobles
du reste de la Suisse; pendant la
re'colie des foins , les ouvriers gar-
doient le mme silence : ce qui em-
bellit le spectacle de la campagne,
c'est le sentiment du bonheur de
ceux qui l'habitent. Que trouverions-
nous d'agrable dans la vue de paysans
courbes pniblement, exposes la
( 6 5 )
rigueur des saisons, si le bruit flatteur
de leurs chants ne venoit nous ap-
prendre qu'ils sont heureux , maigre'
leur fatigue; tout ce qui les entoure
nous parot alors tre l'expression
de la joie. Les chansons naiionales
ont encore un charme de plus : le
ranz des vaches , entendu dans les
montagnes de Schwitz et d 'Under-
Walden ; les poe'sies d'Ossian, chantes
au nord de l 'Ecosse, en nous rappe-
lant les inclinations des habitans de
ces pays, nous retracent avec vivacit
les tems o ils ont v ecu, et prennent
dans la bouche de leurs descendans
un caractre imposant et religieux.
Le bourg de Sierre, trois lieues
de la capitale , est dans une situation
agrable ; on y voit une glise et
des blimens plus orne's que dans le
reste du Valais ; c'est le domicile
des gens les plus riches du pays , et
( 64 )
entr'autres de la noble famille de
Courten. De Sion Brigg , l'on
remarque le the'tre des batailles l i-
vre'es entre les Valaisans et les Fran- .
ois , dans la sanglante guerre q u e ,
pendant l'anne 1 7 9 8 , et pendant
l't de 1799 , le directoire fit aux
malheureux babitans de ces contres.
Les paysans du haut Valais dploy-
rent un grand courage ; la conriois-
sance qu'ils avoient de leur pays les
rendoit redoutables leurs ennemis;
mais ils furent enfin obligs de cder
la supriorit du nomine cl de
la discipline.
Les Franois profitrent, d i t -on,
d'un jour de fte o leurs adversaires,
croyant n'avoir rien craindre, se
livroient au vin avec excs 5 les vain-
queurs abusrent des droits de la
guerre. Ils devinrent les matres d'un
pays dsert et couvert de cendres-
(- 65 )
la misre du pays en vint au point
cpie les moissons qui n'avoient pas
e'te' b r les , manqurent de bras
pour lre recueillies ; les cantons
"voisins furent obliges d'envoyer des
secours considerables de vivres et de
vtemens , et de recevoir chez eux
un grand nombre d'orphelins aban-
donne^.
La F rance , aprs avoir e'te' pour
le Valais une cruelle ennemie, est
devenue sa protectrice et son allie
fidle : cte des lieux que les armes
du gouvernement prcdent avoient
arross de sang, elle fail construire
une belle route , qui se ra , pour
les Valaisans , d'une grande util i t,
et dont ils n'auroient pu supporter
la dpense , en abolissant les dis-
tinctions qui existoient entre le l iaut
cl le bas Valais, depuis que celui-ci
avoil t conquis par les dizains de
( 6 6 )
Brigg et de Sion sur Je duc de Savoie;
et en accordant tous les habitons
la liberie' et une galit de droits ,
la France a de'truit le germe des
haines et des jalousies qui divisoient
ce pays.
Les impts se rduisent quelques
droits sur le sel et sur l 'entre des
marchandises ; il est vrai que les
besoins de l'tat ne sont pas fort
tendus; il n'entretient aucune troupe
rgle dans l ' intrieur, et le trai-
tement des administrateurs est fort
peu considrable; le grand-baillif,
premier magistrat de la rpubl ique,
ne reoit que cent vingt louis par an,
les conseillers , une somme bien
infrieure.
Quand on rflchit aux suites de
la guerre du Valais, on seroit tent
de croire qii'elle a t faite dans le
but d'introduire , comme de force ,
la eivilisation et la cOnnissance des
arts dans ce pays sauvage : jusqu'a-
lors , les Valaisans , enferme's dans
leurs montagnes, ignores du monde,
dont ils dsiroient ne pas attirer
l 'attention; jaloux de leur obscurit,
de leur ignorance , de leur pauvret'
m m e , qu'ils croyoient ne'cessaire
leur bonheur , n'auroient souffert
aucun changement dans leur ma-
nire d'exister , et de'daignoient les
moyens d'attirerl 'abondance au milieu
d'eux; des officiers de retour des pays
les plus civilises, se htoient, en
rentrant dans leurs demeures , d 'ou-
blier ce qu'ils avoient vu , et re t rou-
voient avec joie ces murs simples
qui avoient entoure leurs berceaux :
unies leur sor t , les pouses fidles
qui avoient partage' avec eux le spec-
tacle du monde, de'posoient alors les
vtemens de grandes villes, pour
( 6 8 ) reprendre le simple corset et la m o -
deste coiffure de leurs compatriotes;
celui cp auroit voulu faire jouir
sa patrie des lumires qu'il y rap-
por toi t , ou l'blouir par l'imitation
des murs t rangres , auroit e'te'
regarde comme un citoyen indigne
de ce n o m , conjure' contre la libert
publique. Mais tout change; l'ancienne
tranquillit s'vanouit, des troubles
s'lvent dans l'intrieur, des trangers
pntrent main arme dans la valle,
les habilans sont obligs de se r -
pandre dans les pays voisins; la paix
renat ensuite ; une route superbe
s'lve au milieu de ces montagnes;
des voyageurs la parcourent en foule ;
lesValaisans, malgr eux, apprennent
connotre les hommes ; ils s'en-
richiront sans l'avoir dsir; leurs
maisons , dtruites par la guerre ,
seront rebties sur des plans plus
( % )
commodes et plus favorables la
sant ; leurs champs seront mieux
cultivs; ils apprendront changer
ce que leur sol fournit en abondance,
contre les produits de l'industrie des
pays trangers.
Aprs Sierre, de hauts monticules
de sable s'lvent en cnes dans la
valle le lit du fleuve se couvre
de pelites les verdoyantes formes
par des troncs d'arbres et des sapins
entrans par le courant. A notre
gauche, nous dcouvrons la ville de
Leuck , place sur les flancs de la
montagne, et fortifie par un antique
chteau qui appartenoit autrefois
l 'vque. L 'habi l lement , la figure
et le langage des habilans ne sont
pas moins remarquables que le pays
qu'ils habitent; ils parlent l'allemand
du moyen ge.
A T u r t m a n n , nous allmes voir
( 7 o ) ne cascade aussi belle que celle de
Pissevache , dans une situation plus
remarquable ; un sentier troit et
glissant conduit dans un fond garni
de hauts rochers qui semblent avoir
e'te' ainsi disposes pour former un
amphithtre , autour du torrent
qui se prcipite en grande niasse,
avec vin bruit majestueux.
Le bourg de Vige, situe l 'entre
des valles de Sassetde Saint-Nicolas,
s'tend sur la rivire qui en descend;
deux glises d'une architecture r e -
marquable , dans la partie la plus
leve'e du village , se dessinent sur
les montagnes que domine le Mont-
Rose : nous nous arrtmes Vige un
dimanche; le son grave des cantiques
allemands relentissoit dans ces b-
limens gothiques , ornes de figures
bizarres; sur le cimetire s'levoient
des tas d'os et de crnes rangs
( 7 i )
avec soin; aprs le service divirrj
les femmes se retirent dans leurs de -
meures ; les h o m m e s , assis devant
leurs portes, jouissent en silence du
repos : nous nous crmes encore
dans le XV. c sicle.
Aprs Vige, on trouve de grandes
prairies marcageuses ; des bergers
et des bergres abandonnant leurs
t roupeaux, entrent dans les marais,
s'y enfoncent jusqu' la ceinture, en
retirent des paquets de chanvre ,
qu'on y fait r ou i r , les secouent ,
les replongent et vont les laver dans
un ruisseau : la vue d'un pareil travail
desabuseroit ceux qui croient trouver
encore dans les campagnes ces Tircis
et ces Chioe's, chantes par Gessner
et Fontenelle. Helas! s'il en existe
encore , ce n'est pas dans le Valais
qu'il les faut chercher.
Ko us atteignons le fond de la valle ;
( 7 2 )
elle s'largit son extrmit, et se
Couvre de verdure- la ville de Brigg
et ses tours surmontes d'normes
globes de fer-blanc, paraissent aux
pieds des Glaciers, au milieu des
prairies, des bois et des bosquets.
gauclie, le joli village de Nalers ,
le Rhne , qui l'arrose , descend des
sommits de la Fourche et des som-
bres valles de l'Axe ; droite on
aperoit dj les premiers travaux
du Simplon, le beau pont construit
sur la Sabine le chemin qui s'lve
insensiblement perce les sombres
forts de sapin.
Nous venons de traverser la valle
du R h n e , qui forme la partie la
plus importante du Valais : nous
avons donn Sion, Saint-Maurice
et Brigg le nom de ville : ceux qui
ne connoissentpas celles de la Suisse,
et qui sont accoutums entendre
parler
( 7 3 )
parler de la vie dissipe des villes
qu'on oppose la tranquillit des
campagnes, pourroient se faire une
ide'e bien fausse du Valais. Saint-
Maurice , Brigg, la capitale m m e ,
ne sont habite's que par un peuple
d'agriculteurs, ce qui ne peut tre
autrement dans un pays o il n'y
a pas de commerce ; le bruit des
chars rustiques y remplace celui des
voilures ; tous les matins, sur la grande
place , la trompe du berger se fait
entendre ; les habitans ouvrent leurs
etables, les troupeaux se rassemblent;
de notre auberge , nous les voyons
revenir le soir en grand nombre :
le bruit des cloches, les blemens,
l 'empressement de ces citadins, dont
l'affaire la plus importante est le soin
de leurs troupeaux, donnent la ca-
pitale l'aspect d'un village.
Le Valais renferme des valles qui,,
4
( 7 4 )
quoique moins connues que celles
d a R h n e , n'en sont que plus in-
tressantes; telles sont celles de Sass,
de Saint-JNieolas et d'Aniviers : les
hautes montagnes qui les forment
renferment des minraux prcieux;
les fleurs raies qui les tapissent y
attirent des insectes et des papillons
de toute espce : le spectacle d'une
nature sauvage y vient contraster avec
celui de l'industrie et du travail ;
l'on voit des pentes escarpes de ro -
chers , couvertes de champs et dp
prairies; des villages sont places dans
des lieux qui de loin semblent inac-
cessibles; de petits oratoires , des
glises s'lvent cte des Glaciers,
et l'on entend en mme teins le
son des cloches et le bruit effrayant
des avalanches. L'air vif et pur de
ces lieux levs rend aux habitans
toute leur nergie , et fait disparotre
( 75 )
ces maladies , cette langueur , cette
inertie re'pandues dans les valles
basses. Enfin le tableau de murs
simples ajoute l'intrt qu'inspirent
ces montagnes; les trangers sont
trop rares dans ces villages car tes ,
pour qu'il y ait des auberges ; mais
chaque habitant s'empresse de leur
offrir sa demeure ; le voyageur s'assied
une table frugale , entre le matre
et le domestique , et il a peine
faire accepter le prix de cette p r -
cieuse hospitalit. J . J . Rousseau a
trac un tableau trop intressant tie
ces contres, pour qu'il soit permis
dsormais de traiter avec dtad un
pareil sujet.
On est surpris d'apprendre qu'un
homme connu par son amour pour
la rformation , et distingu par ses
counoissances dans les langues an-
ciennes , soit sorti de ces montagnes.
( 7 6 )
Thomas Plater naquit en i 4 6 g ,
Grechen , dans le dizain de Vige ,
de parens trs-pauvres dans son
enfance , il gardoit des chvres ; son
troupeau s'e'tant un jour enfui , il
se mit le poursuivre, et marcha
une partie de la nuit sans pouvoir
l 'atteindre- exce'de' de fatigue, il se
eouclia sur l 'herbe et se livra au
sommeil ; son rveil, il s'aper-ut
qu'il dormoit sur le bord d'un pre'-
cipice, et qu'un pas de plus aurit
fini sa vie ; la se've'rite' de son matre
l'engagea quitter le Valais et
se joindre une socit d'e'tudians
ambulans : la qualit d'homme de
lettre n'e'ioit pas , ce qu'il parot,
aussi releve'e qu'elle l'est aujourd'hui ;
les e'ludians des universits d'Alle-
magne parconroient les diffrentes
villes en demandant l'aumne ; mais
craignant de rabaisser et leur pe r -
(11 )
sonne et leur e t a t , ils avoient
leurs ordres des.nfans qui excitoient
pour eux la charit' ties passans; c'est
pour l'humble condition de do-
mestique d'un mendiant que Plater
quitta son troupeau de chvres : il
ne recevoit de salaire qu'une che-
live nourr i tu re , et ne profit oit pas
mme du savoir de ceux qu'il faisoit
vivre ; las d'une association aussi
peu avantageuse , il qniue ses com-
pagnons et se rend en Alsace , o il
fait ses premires e'tudes : la rpud-
iation de Myconins Fallire Zurich;
il se lie avec Zwingle , et lui est
utile dans le grand ouvrage de la
reformation entrane par l 'amour
de l 'tude, le jeune Valaisan apprend
le grec et l 'hbreu , et consacre
l'achat d'une Bible hbraque une
couronne (environ 6 liv. de France),
seul bien que son pre lui laisse
( 7 8 )
en mourant ; forc de gagner son
pain par le travail, il apprend le
melier de cordier chez Collnus, qui
joignoit ce modeste tat au titre de
professeur de grec ; le matre et
l'apprenti travailloient toiit le j ou r ;
le soir ils lisoient Homre et So-
phocle. Plater se rend ensuite Bale ,
o il exerce sa nouvelle profession ,
et emploie quelques heures que lui
accorde le matre qu'il ser t , donner
des leons d'hbreu ; il arrivoit dans
la salle d'tude avec le tablier qu'il
portoit dans sa boutique : son amour
pour la reformation lui fait refuser
une place avantageuse que lui olfre
'vque de Sion ; il obtient enfin une
chaire de professeur de grec B le ,
tablit une librairie, fait imprimer
plusieurs bons ouvrages, el laisse ,
aprs lui deux fils qui se distingurent
comme mdecins.
( 79 )
existe des valles encore plus
sauvages que celles de Sass et de
Saint-Nicolas ; telle est celle qui
dbouche a quelque distance de
Leuck : un chemin entre des rochers
levs , long de six lieues , rendu
souvent impraticable par les pluies et
les neiges, conduit un village qui
ne communique avec la Suisse que
par un glacier frquent des seuls
chasseurs de chamois; aussi les habi-
tons de Lonza , qui trouvent chez
eux ce qui est ne'cessaire leur exis-
tence j mais qui n'ont point de su-
perflu porter leurs voisins, de^-
meurent-ils enferms et spars du
monde ent ier ; le langage, l'habil-
lement du voyageur qui pntre dans
ce pays perdu , excitent une surprise
gnrale, et il ressent le mme
tonnement qu'il voit se peindre sur
tous les "usages.
( 8 o )
X ' o n peut se faire une ide de la
simplicit des murs de cette peu -
plade ignore'e : les moindres com-
modits de la vie y sont trangres;
mais on n'y connot point non plus
les embarras qui naissent de la ci-
vilisation : les noms 'acte et de
contrat n 'ont jamais e'te' prononces
liez un peuple qui ne sait pas l i re ,
et des coches faites sur un morceau
de bois sont le seul titre que le
dbiteur donne contre lui son
crancier.
Une de ces valles, celle duMont -
Che\ i l le ,a t , le sicle passe', expose'e
- de cruels botdeversemens; les mon-
tagnes des Diablerets qui la dominent
s 'croulrent , couvrirent de leurs
de'bris la surface d'une lieue carre ,
engloutirent plusieurs personnes et-
un grand nombre de troupeaux
deux sommits menacent encore ces
(' 8-i )
malheureuses contres; aussi sont
elles inliabite'es : le theatre de Fbou-
leraent offre-le plus triste spectacle;
des rochers normes sont entasses
confusment : quelques' mlzes
croissent parmi les troncs briss et
les dbris des cabanes ; les ruisseaux
qui' arrosoienl jadis les prairies par-
semes d'habitations , arrts dans
leur cours , ont form des lacs au
milieu de ces ruines. Un berger qui
conduisoit des chvres dans ces lieux
nous montra la place o un paysan
avoit t sauv par un norme rocher
qui , demi soutenu par la montagne,
couvrit sa demeure sans l 'craser, et
rsista au poids des pierres et de la
.terre ; le malheureux , enseveli tout
vivant, se nourrissoit de fromage , et
se dsaltrait un petit ruisseau,
que le bouleversement de ces lieux
avoii conduit vers lui ; il travailoit
4*
sans relche se frayer un passage ;
au bout de trois mois, il revoit enfin
avec dlices la lumire du jour :
p l e , dcharn', t rop foible pour
soutenir l'clat du soleil , il gagne
lentement le village voisin ; on le
prend pour un spectre ; la frayeur
se rpand partout ; on se retranche
dans les maisons ; le prtre l 'inonde
d'eau bnite , et ce n'est qu'avec
bien de la peine que l'infortun o b -
tient d'tre compte parmi les vivans.
Il est te rus de s 'arrter, Monsieur;
je m'aperois que cette lettre de'passe
les bornes ordinaires : il resteroit
dire bien des choses interessantes
sur l'hospice du mont Saint-Bernard,
sur les bains de Le tick , et sur leur
situation pittoresque , etc. mais la
route ne m'y c induisoit pas, et je
ne dois pas me permettre de trop
longues digressions : vous trouverez
( 8 3 )
de plus grands details dans l'ouvrage
interessant de M. Eclasseriaux. Plu-
sieurs parties du Valais sont encore
peu connues : ce pays , d'une petite
tendue , renferme des curiosits
naturelles de tout genre ; l'histoire
de cette contre'e , le tableau de ses
productions et des murs de ses
habi ians , ne seroient pas indignes
de la plume d'un auteur exerce'. Des
voyageurs parcourent les mers ou
s'enfoncent dans des continens loi-
gnes , pour rapporter , au prix de
mille fatigues et de grands dangers,
des details sur des peuples qui nous
sont indiierens , et nous ngligeons
de faire des recherches sur une nation
qui nous avoisine et qui me'riieroit,
plus d'un titre de fixer notre at-*
tendon.
-
( 8 4 )
L E T T R E I I I .
- L ^ l o u s voic i , Monsieur , prts
monter le Simplon : on ne pouvoit
autrefois traverser cette montagne
qu' pied ou mulet; quelques annes
ont suffi pour la rendre praticable
aux voilures, par une penle douce
et un chemin plus uni qu'on n 'en
trouve souvent aux environs des
grandes villes.
De Glyss Domo d'Ossola, route
que l'on fait en quatorze ou quinze
heures , on compte vingt-deux ponts
et sept galeries taille'es dans le roc :
l'affluence des passagers qui traversent
le Simplon a dj fait renatre l'a-
bondance dans le dizain de Bi igg ,
qui avok plus souffert de la guerre
( 8 5 )
qvte les autres parties du Valais :
quoique les voyageurs aillent ordi-
nairement loger Brigg, la route
ne passe pas par cette ville ; elle
aboutit Glyss, village quelque
distance, devant une e'glise fort orne'e.
Cette e'glise fut enrichie par George
de Supersax , natif de Glyss , qui
joua un rle dans les guerres d'Italie,
et fut constamment oppose au car-
dinal Sehinner; celui-ci l'ayant attire
R o m e , le fit enfermer dans le
chteau Saint-Ange : Supersax , d -
livre par le roi de France , retourna
en Valais, o sa reputation et sa
fortune lui donnoient une grande
influence ; il fit exiler Schinner, mais
lui-mme , oblige' de quitter quelque
teins aprs sa patrie , se retira
Vevay, o il mourut. I l existe dans
une chapelle de l'e'glise de Glvss
une peinture o George de Supersax
( 8 6 ) est reprsente avec son pouse, ses
douze fils et ses onze filles : l 'ins-
cription qui y est jointe me parot
remarquable par sa simplicit'.
En l'honneur de Sainte Anne',
George de Supersax, soldat,
A fond celle chapelle l'an de grce i5io,;,
A lev un autel et l'a enrichi
En reconnoissance des \ingt-trois enfans
que son pouse Marguerite lui a donns.
Le premier ouvrage remarquable
est le beau pont sur la Sabine , u n
des plus grands de toute la rou te ;
il n'a qu'une seule a rche , faite en
bois, comme celle de tous les grands
ponts : c'est le mleze qu'on emploie
pour ces constructions; ce bois dure
beaucoup plus que le sapin : le pont
sur la Sabine est le seul qui soit
ouvert ; on l'a construit ainsi , afin
file:///ingt
( 8 7 )
de garantir de la pluie la charpente
de l'arche.
La r o u t e , en s'levant, laisse
sa gauche une chapelle place sur
le flanc de la montagne, et plusieurs
petits oratoires btis sur le chemin
qui y condui t ; ces chapelles sont
assez communes dans le Valais : l ,
lorsque le pays est afflige de quelque
flau, se dirigent de longues p ro -
cessions ; le laboureur vient y de -
mander de la pluie pour son champ;
le berger , la cessation du mal qui
attaque ses bestiaux : le temple o
se runissent tant de vux, s'lve
cte du champ dessch par la
chaleur , ait milieu du pturage dans
lequel les troupeaux languissent, non
loin de l'avalanche qui a lout renvers
sur son passage.
Le Valaisan est naturellement reli-
gieux. Des ermitages, d i t M . E c h a s -
( 8 3 )
seriax , ds ossuaires, des cha-
pelles tailles dans le roc et r -
y> pandues au p i ed , sur le flanG et
au sommet des mots , attestent
quel est le ge'nie de ce peuple :
on plante, dans cette contre, une
croix devant les normes dbris
de la montagne qui s'est croule;
on plante une croix devant le t o r -
rent qui menace de dvastation.
. . . . . . . . . . La maison du citoyen
est pauvre , l'glise du hameau est
y> toujours richement dcore etc.
I l est affligeant de penser que la
pit du Yalaisan est peut-tre due
au peu de liaison qui existe entre
son pays et le reste du monde ; et
lorsque nous accusions ce peuple
d'tre demeur bien en arrire poul-
ies lumires et la civilisation , ne
de\ions-uous , pas au contraire, le
fliciter de n'avoir pas suivi la triste
( 8 g ) marche des autres nations vers l'in-
diffrence des sentimens religieux !
Le passage du Simplon est situe
entre de hautes montagnes ; l'ancien
chemin, trace' dans le fond de la
valle, toit oblig de suivre les in-
galits du terrain, et descendoit pour
remonter ensuite 3 le nouveau , plac
sur les montagnes de la gauche , a
une inclinaison fort doiice ; dans
plusieurs part ies, elle n'est que de
deux pouces par toise , jamais plus
de sept ; quelquefois elle garde le mV
veau: nous nous levons doucement ,
tantt jouissant de la vue de la valle,
tantt cheminant l 'ombre d'paisses
forts; d'immenses sapins dracins
s'appuient dans leur chute sur les
cimes de le vus voisins, el les courbent
vers la terre ; la roule est partout
large de vingt-quatre pieds; du ct
de la monlagne , sont des canaux
( 9 ) irai reoivent l'eau qui en sort ; du
cle' du prcipice, l'on a construit
de jolies barrires de mlze, mais
comme on a t oblig de soutenir
la route par une chausse en plusieurs
endroi ts , on a lev alors le mur
au-dessus du chemin jusqu' hauteur
d'appui. Le terrain n'tant pas encore
assis, des avalanches de terre et de
pierres ont travers la route dans
diffrentes par t ies , et ont renverse'
ces petits murs- on les a remplacs
par des bornes plates, tailles en
lames tranchantes, afin qu'elles puis-
sent couper l'avalanche sans tre em-
portes par elle; on a eu soin de placer
de certains intervalles des perches
hautes de dix pieds, pour dsigner
le chemin, lorsque les neiges em-
pchent de le distinguer duprcipiee;
quelquefois ces perches elles-mmes
en sont entirement couvertes. A la
( 9 0 fin de l 'hiver, la route est expose
des degradations qui occasionnent de
grands frais j les terrains qui ne sont
pas soutenus par des arbres, et qui
sont coupes sous un angle de plus
de 45 degrs , sont sujets s'bouler 5
mais ces boulemens deviennent
moins considerables toutes les annes.
Pour conserver la lgre inclinaison
de la route , on a l oblig de lui
faire suivre de longs contours ; elle
se flchit selon toutes les sinuosits
de la montagne , et va chercher a
fond d'une valle le pont de Ganter:
quelques pas avant d'arriver ce
p o n t , on traverse la premire ga-
lerie ; c'est une des moins grandes;
elle est perce dans une partie de
la montagne forme de morceaux
de rochers unis ensemble par de la
terre glaise ; cette terre, quand il
a p lu , devient glissante ; les rochers
( 92 ) s'en dtachent ei rendent le passage
dangereux ; on nous montra un bloc
tombe' Je printems prcdent , lorsque
des ingnieurs loient peu de dis-
tance ; aussi est - on dtermin
retrancher cette galerie; le pont de
Ganter est situ jirs d'une gorge
o deux torrens se runissent, dans
un lieu expos de frquentes ava-
lanches ; le pont, construit avec beau-
coup d 'ar t , en est l'abri ; il a 7
mtres de largeur; les cules sont
loignes de i g mtres dans le bas ,
de 20 dans le haut ; son architecture
lgante fait un joli effet prs des
sapins qui l 'entourent.
D'aussi grands ouvrages ont tou-
jours droit de nous tonner , mais
ne doivent - ils pas surtout exciter
no lie admiration , dans les mon-
tagnes , dans ces lieux o les droits
d'habitation de l 'homme sont toujours
( 9 3 ) incertains : des avalanches de neige,
des dbris de rochers viennent
souvent couvrir ses travaux, quel-
quefois l'ensevelir lui-mme , et lui
apprendre que ce sol qu'il veut s'ap-
proprier se refuse son empire ;
l'hiver enfin lui redemande ce qu'il
croit avoir gagne' sur les neiges et
les frimais, et le chasse dans les
valles les plus .basses ; aussi n'ha-
bite-t-il point ces lieux comme un
propritaire, mais comme un usufrui-
tier qui d'un moment l'autre peut
tre dpouill de sa possession; il
n'y lve que de simples cabanes ;
de foibles barrires entourent ses
champs ; le plus souvent il se con-
tente de parcourir la montagne a\ec
ses troupeaux, et campe plutt qu'il
n'habite dans les lieux qu'il aban-
donnera au premier signal ; et c'est
ct de ces foibles ouvrages, qu'un
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instant peut dtruire , que l'on a
construit une route qui doit rsister
la fureur des orages et la dure'e
du tems ; elle semble se jouer des
obstacles , et dfier la nature ; elle
passe d'une montagne une au t r e ,
s'enfonce sous les rochers , comble
les prcipices, se replie sur elle-
mme dans des dtours gracieux et
arrondis, et conduit le voyageur par
une pente douce prs des Glaciers,
et au-dessus des nuages.
Nous nous arrtmes, pour faire
rafrachir nos chevaux, au chalet de
Berenzaal, situ peu de distance
du pont de Ganter : ce chalet est
habit par une famille de Saint-
Maurice ; le mari a une inspection
sur les ouvr