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ETUDES SUR L'HISTOIRE ET SUR L'ART DE BYZANCE MELANGES CHARLES DIEHL DEUXIEME VOLUME ART N. IORGA RAPPORTS ITALO.ORIENTAUX DANS L'ART DU MOVEN AGE PARIS LIBRAIRIE ERNEST LEROUX ' A", 1 r 1.4.` IF.

MELANGES CHARLES DIEHL...L'Italie meridionale et la Sicile, qui sont des provinces byzantines, mises a part, on ne peut visiter le Musee de Venise ou celui de Sienne sans se demander

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ETUDES SUR L'HISTOIRE ET SUR L'ART DE BYZANCE

MELANGESCHARLES DIEHL

DEUXIEME VOLUME

ART

N. IORGA

RAPPORTS ITALO.ORIENTAUX

DANS L'ART DU MOVEN AGE

PARISLIBRAIRIE ERNEST LEROUX

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Rapports italo=orientaux dans l'art du Moyen Age (1)

.I1 existe un probleme, dont je poserai d'abord les elements et dont j'essaieraiensuite de donner une solution, celle qui me parait satisfaisante. Dans ce domaine,les solutions sont tout a fait individuelles ; celles qui ont ete presentees, l'ont eteau point de vue de l'art seul. Or, la litterature, la science, sont de tres belles et grandeschoses qui ne s'expliquent pas toujours par elles-memes, et le role de l'historien, qui esttoujours un importun dans° le domaine de l'art, comme dans le domaine de la litte-rature, est de fournir certains elements qui peuvent servir a resoudre le probleme.

Le probleme est tres simple en lui-meme.Dans les choses de Byzance, on rencontre des inspirations ou des elements de

technique, que l'on retrouve dans l'art occidental ; des elements occidentaux serencontrent aussi, des une époque assez reculee du Moyen Age, dans l'art byzantin.On se demande : viennent ces influences? Est-ce l'Italie qui doit le plus auxinfluences de Byzance, ou bien est-ce Byzance qui a ete totalement transformee,en recevant de l'etranger un art qu'elle n'avait pas encore ?

Byzance a-t-elle recu cette inspiration, cette vie nouvelle, cette jeunesse inat-tendue, cette spontaneite qui provoquent une admiration si naturelle ? Est-ce l'Italiequi est redevable en premiere ligne aux Byzantins, ou bien sont-ce les Byzantins qui,s'ils n'avaient rien recu de l'Italie, auraient continue a vivre suivant les anciennestraditions d'un art suppose, bien a tort, immuable ? Depuis longtemps, les histo-riens des choses byzantines M. Diehl le premier ne partagent pas l'opinion suivantlaquelle Byzance n'aurait pas evolue. Byzance est, en effet, une chose si complexeet qui .devait tant changer par le seul jeu naturel des elements qui la composent,qu'il serait impossible que l'art byzantin, la litterature byzantine, la pens& byzantine,disons meme la religion de Byzance, qui etait la chose essentielle la-bas, fussent restersans changement.

L'Italie meridionale et la Sicile, qui sont des provinces byzantines, mises a part,on ne peut visiter le Musee de Venise ou celui de Sienne sans se demander a chaqueinstant si, par hasard, des icones byzantines ne sont pas melees aux tableaux italiens.Il y a dans Giovanni Bellini lui-meme 'des elements qui viennent' visiblement deByzance, alors que, a _Sienne, tout ce qui appartient aux xme et xive siecles, est stric-tement relic a Byzance.

(1) Extrait d'une conference dorm& a la Sorbonne, en mars 1928.

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Pour les personnel qui ne connaissent pas les relations, si delicates, existant entreces deux arts, la confusion est done a chaque moment possible.

Mais, a Byzance et dans les pays qu'on pourrait appeler « sous-byzantins » (cetteexpression n'a rien de pejoratif et signifie seulement que l'art, dans ces pays, a touj oursete doming par des formes dont la composition a ete signalee d'abord dans les limitesde la capitale byzantine), on a rencontre, depuis quelque temps, toute une serie defaits artistiques qui ne peuvent pas s'expliquer sans une influence italienne.

Pour presenter ces faits, je suivrai un certain ordre chronologique, celui desdecouvertes qui ont ete faites sur ces terres de Byzance ou dans les pays soumisl'influence byzantine.

D'abord, dans l'art serbe, tout ne vient pas de Byzance. L'art serbe lui-meme estun art tres complexe, et j'ai cru pouvoir dire que tout art n'appartient pas, stricte-ment parlant, a la nation a laquelle it appartient par le territoire ou par la dominationpolitique. L'art existe par lui-meme. Nous avons l'habitude de dire : « !art bulgare »,

« art serbe », « art roumain », et 11 arrive, pour la Macedoine, par exemple, qu'unmeme monument passe, selon la nationalite de l'auteur qui l'etudie, d'un domaine poli-tique dans un autre. Ainsi telle eglise, du cote du lac d'Ochrida, appartiendra a l'artgrec, si c'est un Grec qui traite la question. Elle appartiendra a l'art bulgare, si c'est,au contraire, un Bulgare qui s'en occupe. Cette eglise, qui se trouve maintenant en terri-

toire serbe, fera sans doute partie de la longue et glorieuse tradition de l'art serbe.Cependant les ceuvres d'art ne se preoccupent pas des annexions et des desannexions ;elles ne viennent pas par la conquete, elles ne s'en vont pas avec la defaite. On dit :

un art serbe. D'accord, c'est une fawn de distribuer la matiere, une methode detravail, une facilite d'exposition, mais it est bien certain qu'il n'y a pas eu une seuleSerbie, mais bien trois au Moyen Age : Serbie latine, adriatique, catholique, qui asubi l'influence italienne ; Serbie de l'interieur, purement byzantine ; Serbie du cotedu Danube, se manifestant surtout a la fin du xive et au commencement du xve siècle.

Dans cette Serbie, on pourrait mettre toute la Bosnie et l'Herzegovine qui furentinfluencees par les choses d'au dela de la Drave et de la Save, par les courantsvenant de Hongrie. Par ce fait, l'art serbe ne peut etre homogene.

On peut, bien entendu, se glorifier et les Roumains le font comme les autres

de ce qui se trouve sur la terre de l'Etat national, mais it faut avoir aussi le couragede reconnaitre que bien des choses ne peuvent etre comprises dans les limites etroites

d'un Etat.Dans cet art serbe qui ne peut etre homogene parce qu'il n'y a pas eu, au Moyen

Age, une seule monarchic serbe, des elements appartiennent evidemment a l'Occident.Tres souvent, du cote de l'Albanie et de la Serbie adriatique, on a non seulement du

style qui n'est pas byzantin, mais en meme temps des elements d'iconographie, meme

des scenes qui figurent dans l'art occidental. Aux xne, xine et xive siecles, l'influence

venant de l'Occident s'est exercee d'une maniere continue sur cette terre serbe.

Parmi les architectes, les uns sont originaires, visiblement, des vines du littoral,

qui parlaient au Moyen Age le serbe, mais aussi l'italien, ainsi qu'une autre langue,

que nous avons presque vu disparaitre, cette langue romane de l'Adriatique, qui

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dans l'ile de Veglia, est morte sur les levres du dernier qui l'a parlee, vers 188o

D'autres artistes sont, sans doute, des Grecs ou des Slaves ; mais it est tres polssblequ'un Italien travaille a la fawn des Orientaux, et it est tres possible qu'un Grectravaille a la fawn des Italiens, d'apres l'initiation de chacun, d'apres les maitresqu'il a eus, d'apres le caractere de l'eglise, d'apres la personne qui a commands letravail.

Ainsi, un cas, extremement interessant, se rencontre dans l'art roumain : la belleeglise episcopale d'Arge§, dont les fresques sont du xIVe siècle.

Parmi ces fresques, remplacees maintenant par d'autres, dues a la « reparation »faite par Leconte du Noiiy, le caractere iconographique oriental, qui ne fait pas dedoute, est mele a des fawns appartenant a un autre style, manifestement occidental.Or, celui qui a travaille etait un Saxon de Transylvanie. Ce Saxon etait habitue,par exemple, a representer saint Georges d'une autre maniere que les Orientaux.Il l'a represents avec un casque et une epee appuyee sur les deux bras. Il lui a donneun aspect qui ne rappelle en rien l'humilite des saints byzantins. Cependant, au pointde vue iconographique, cette oeuvre appartient a l'art de l'Orient, puisque le prince levoulait. Il suffisait de donner des modeles a un artiste stranger pour qu'il se pliatau caractere de l'eglise et aux traditions du pays.

Tout recemment, dans cette meme region de la Serbie, un savant russe, M. NicolasOkunev, l'un des meilleurs connaisseurs actuels, en matiere d'iconographie, vientde faire sur des fresques de Macedoine, a Nerez, des observations qu'il a publieesdans la revue Slavia. Nerez est une tres petite eglise, depuis longtemps abandonnee,mais qui a une superiorite sur les autres, celle d'être datee. Une des grandes lacunesde l'information artistique dans le domaine de Byzance, c'est que les monuments nepeuvent etre dates qu'avec une grande approximation. L'eglise de Nerez a ete batieen 1164, par un Alexis Comnene, fils de Theodora la Porphyrogenete, parente peut-etre de cet Isaac Comnene, qui s'improvisa, un peu plus tard, empereur byzantindans l'ile de Chypre.

Dan cette eglise, des images de saints, d'evangelisteS n'ont rien de la severite,on dirait presque de l'objectivite byzantine. On est en presence d'un art individuel,qui a su rendre les sentiments. Ici une ame humaine a cherche a s'exprimer dansun domaine of habituellement se repete la seule technique. L'art occidental est souventmouille de larmes, mais l'art byzantin n'a pas connu Iles pleurs. Telle Vierge, quiembrasse le Christ descendu de croix et qui appuie sa joue sur le visage du martyrdivin, rappelle tout a fait les madones italiennes.

M. Okunev va tin peu trop loin, lorsqu'il dit que l'Italie n'a rien donne a l'Orient,car, des le xIIe siècle, on trouve ici deja cette inspiration sentimentale, cet elementd'emotion qu'on ne rencontre pas ordinairement dans l'art byzantin classique.

Apres avoir dit que la fresque de Nerez montre que l'iconographie byzantinen'employait pas d'elements traditionnels, mais egalait les oeuvres des artistes italiensdu commencement de la Renaissance, M. Okunev s'exprime ainsi sur le sens de sadecouverte :

« En outre, notre image condamne la theorie, largement repandue, selon laquelle

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les Italiens auraient les premiers essaye d'introduire dans la peinture du Moyen Agel'expression, les sentiments de tendresse.

Et, un peu plus loin :

« Enfin, ces fresques apportent des donnees precieuses pour determiner l'originede plusieurs particularites de la peinture italienne du )(me et du xive siècle qu'onconsiderait, jusqu'a present, comme des creations independantes des artistes italiensde la premiere Renaissance. »

On pourrait faire les memes constatations dans d'autres domaines, ou l'on n'apas encore travaille. Ainsi dans l'ile de Chypre, ou l'administration anglaise fait degrands efforts pour conserver certains monuments mines, tandis que la populationne veut guere se soumettre a la reglementation officielle ayant pour but la sauvegardedes monuments.

Chypre forme déjà un chapitre tres important de l'histoire de l'art occidental. Leseglises de Famagouste et de Nicosie sont entrees, par les travaux si meritoires d'unEnlart, dans l'histoire de l'art occidental. Mais, a cote de ces magnifiques monumentsdont certains elements sont empruntes sans doute a l'art francais, surtout a celui de laChampagne, on trouve en Chypre d'autres monuments, influences par le cli'mat, par levoisinage de Byzance et par la race des artistes eux-memes. De nombreuses eglisesbyzantines n'ont pas ete encore etudiees. Une partie, la plus grande, a ete detruitepar la conquete la plus sauvage qui ait ete faite de cette ile, l'invasion sarrasine-egyptienne de 1426, qui a traverse le pays d'un bout a l'autre, renversant un grandnombre de ces petites chapelles, si interessantes. Mais, des 1846, de Mas Latrie,l'historien de File, y faisait son premier voyage et envoyait a la Commission desmonuments historiques, ces admirables rapports, perdus dans la vaste sepulture quis'appelle les « Archives des missions scientifiques ». Il y signalait ces eglises byzan-tines non etudiees.

Rien qu'a Nicosie ou dans les environs, on a l'eglise de la Phaneromeni, l'eglisede Saint-Georges a Larnaca, l'eglise de la Tripiotissa, l'eglise de la Palingnotissa,l'eglise de la Palurgiotissa, la Sainte-Parasceve. Puis l'eglise de Saint-Mamant, cellede Saint-Panteleimon, les eglises dans la Mesoree, celle du cote de Karpas, dansl'ouest de file, etc. On s'est occupe plus tard de ces eglises, mais seulement en bloc, nonpour les etudier, mais pour signaler un domaine d'etudes reserve a l'avenir. M. Enlart,apres avoir visite l'ile de Chypre, etait arrive a cette conclusion sur les fresques quecontiennent presque touj ours ces eglises de 'village :

« Ces eglises byzantines pourraient preter a des conclusions interessantes pourl'histoire generale de l'art. Elles montrent, en effet, des le )(we siècle, le contact de l'artbyzantin et de l'art giottesque. » Et, un peu plus bas :

« Et on pourrait peut-titre, en Chypre mieux qu'ailleurs, arriver a determiner ceque l'un de ces arts a emprunte a l'autre, et a quelle époque ils ont commence a prendrecontact (I). »

On voit que le probleme se presentait, pour M. Enlart, en Chypre, de la meme

(I) L'art gothique et la Renaissance en Chypre, I, Paris, 1899, p. xx-xxi. Cf. le Rapport de 1846, p. 526 s.

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fawn qu'il s'est presente ensuite pour M. Okunev, lors de ses recherches dansl'eglise de Nerez.

Apres l'installation des Anglais en Chypre, M. Jeffery, qui a publie deux ouvragessur les monuments de cette ile, apres avoir declare n'existe pas de village sansune eglise grecque, en signale Pinteret en ces termes :

« Dans l'interieur obscur, une exposition de couleurs decoratives offrait a la pens&de ces paysans a demi-sauvages des idees surnaturelles qu'une époque ulterieureaurait a peine appreciees. Toute cette peinture decorative, dans des couleurs crues,primitives, etait, dans une certaine mesure, riche et pleine d'effets, grace a la lumiereexcessivement faible dans laquelle elle etait vue. »

Et, parlant des icones, it indique que certaines d'entre elles paraissent depasserle niveau technique ordinaire et pourraient appartenir au Moyen Age (I).

A cote de l'influence de l'art occidental, tres visible en Serbie, a cote de cet artbyzantin de Chypre, influence par l'art occidental des conquerants et des maitres defile pendant plusieurs siecles, les Lusignan, on a trouve, dans ces dernieres annees,tout un groupe d'eglises dont les peintures ou les mosaiques presentent visiblementun caractere qui n'est pas proprement byzantin, du moms au sens classique de ce mot.

En etudiant l'eglise de Daphni, en Grece continentale, les monuments de Misthra,et a Constantinople meme les mosaiques de l'ancien monastere de Chora (aujourd'huiKahrie-Djami), on a reconnu que la liberte des mouvements, la spontaneite desgestes, le caractere emu des figures, le regard qui vane d'une figure a l'autre, lespreoccupations de couleur et de groupement appartiennent a une renovation de l'artbyzantin. Alors de nouveau a propos de Daphni, de Misthra, et de la mosquee deKahrie, le probleme s'est pose : « viennent ces choses nouvelles ? Quel est lechemin suivi par l'inspiration occidentale qui se serait exercee sur cet art ? »

Enfin, lorsque, par le plus heureux des hasards, l'eglise princiere d'Arge§,condamnee a disparaitre, a rendu a la lumiere les anciennes fresques du )(we siècle,recouvertes par une peinture du xviie siècle et par une autre datant des premieresannees du xixe siècle, une nouvelle revelation s'est produite dans le domaine de lapeinture.

On a compare ces peintures, oeuvres de Grecs et de Slaves, comme le montrent lesinscriptions d'Arge§ et les mosaiques de Kahrie, et on est arrive a fixer les similitudesles plus etroites. A cette occasion aussi, le probleme des influences s'est pose denouveau.

Il y a quelques mois a peine, on a encore trouve en Roumanie, cette fois du cote dela Moldavie, tout au Nord, une eglise riche en peintures. Les fresques sont toutes duxve siecle ; on pouvait facilement s'en rendre compte, car elles n'etaient recouvertesque par une legere fumee. Dans l'eglise de Popairci, l'un des faubourgs actuels de laville moldave de Boto§ani, les murs sont decor& d'une serie de saints dont le caracteregeneral est evidemment byzantin, mais la couleur n'est pas la couleur habituelle dela peinture moldave a cette époque. Cette couleur est ordinairement tres sombre,

(r Cf. A summary of the architectural monuments of Cyprus, Nicosie, 1907; A description of the historicits of Cyprus, Nicosie, 1918 ; J. Hackett, A history of the orthodox church of Cyprus, Londres, 1901.

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bleu fonce, violet, gris d'un effet triste, et elle contribue a assombrir les eglises,ordinairement mal eclairees. A Popau %i, au contraire, des couleurs fraiches,riantes, sereines, illuminent toute l'eglise. Lorsque j'ai revu cette eglise, apres lelavage des fresques, j'ai ete esthetiquement emu par cette lumiere. Il m'a sembleque tel saint n'appartenait pas au calendrier orthodoxe ; un catholique est venuprendre place parmi ses collegues de l'Eglise d'Orient, qui ne semblent pas scan-dalises de figurer a cote de cet intrus. De plus, dans certaines scenes, apparaissentdes elements d'inspiration qui ne viennent pas de Byzance (fig. 1-4).

FIG. I. - Fresques de Popauti.d'Arimathie.La Demarche de Joseph FIG. 2. - Fresques de Popauti.

La Descente de croix.

C'est surtout caracteristique pour l'histoire du Christ. Ordinairement, le Christest un peu perdu au milieu de ceux qui l'entourent ; it n'est pas mis en relief par ledessin, ni par la couleur. Ici, au contraire, le Christ a quelque chose de sentimental,de romantique dans la fawn de se presenter au milieu du groupe dont it fait partie.

A cote des saints, qui ne font pas les gestes traditionnels, les figures qui lesentourent portent des couvre-chefs empruntes a l'Occident et des chapeaux,semblables a celui de Louis XI. Parfois tout le groupe a quelque chose de nouveauet d'artificiel qu'on ne trouve pas habituellement dans l'iconographie byzantine. Dansla representation des synodes cecumeniques les figures de Constantin et d'Helenepourraient etre attribuees a un roi ou a une refine de France du Moyen Age.

Dans la scene du Christ ressuscitant Lazare, on est frappe par la figure du Christ,

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par ses draperies traitees librement, par le large geste qu'il fait pour prendre par lamain le mort sortant du tombeau. Ainsi cette tendresse 'dont parle M. Okunev,ne se rencontre pas seulement au xIIe siècle, dans l'eglise de Nerez; elle a passé, par unevoie qu'il s'agit de decouvrir, dans cette ceuvre du xve siècle.

Dans la representation de la Cene, on remarque aussi la variete des gestes etles memes elements d'une sentimentalite toute nouvelle.

Dans la scene du Christ amene devant le grand-pretre, les soldats viennent visible-ment d'une region de l'Italie. Le geste dugrand-pretre, qui se degage de touteresponsabilite, ne se rencontre dans au-cune des eglises caracteristiques de l'artmoldave ou byzantin a cette époque.

Dans la marche au supplice, le Christa une majeste que l'art byzantin n'a passouvent saisie. On observe aussi la diffe-rence fortement accusee entre le larronqui se tord sous le poids de la croix et leChrist empoigne par le soldat et quin'abandonne pas la serenite que devaitavoir le divin martyr. Dans la Descentede croix, on remarque le meme geste,signale par Okunev, de la Vierge quiappuie sa joue sur le visage du Christ ;

pres d'elle, une femme &eve les mains,se couvrant le visage de desespoir et d'in-dignation ; une autre a une expressionremarquable de douleur (fig. 2).

Dans la scene subsequente du Threne,oft les saintes Femmes pleurent sur lecorps du Sauveur, alors qu'un autreacteur &tend les mains dans un gestede consolation, la Vierge appuie encore son visage sur celui de son fils (fig. 3).

Pour expliquer ce style tout nouveau, it faut se rappeler que la Moldavie duxve siècle s'etendait jusqu'a l'embouchure du Dniester et jusqu'au Bas-Danube,jusqu'a cette province de Bessarabie que le royaume de Roumanie a regagnee apres lagrande guerre. Or, sur ce Bas-Danube, it y avait une vine genoise, appelee aujourd'huila Vieille Chilia, situ& dans une ile du fleuve; la Chilia moldave est en face. Cettefondation dans une ile du Danube portait le nom, emprunte aux Grecs, de Licos-tomo (Lykostomon, « embouchure du Loup »). S'il y avait ces Genois a Chilia, laville, toutefois, n'avait aucune importance au point de vue de l'art ; c'etait ce queles Italiens appelaient, au Moyen Age, de deux termes latins, un caricatoriumfrumenti, c'est-à-dire qu'on y chargeait les hies qui venaient de la Bessarabie et desregions russes. Autrement importante etait une ville, situ& a l'embouchure du

FIG. 3. Fresques de Pupil*. Le Threne.

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Dniester et que les Roumains appelaient Cetatea Alba « la Cite blanche » ; elle etaitdu reste, pour les Byzantins « la cite noire », « Maurokastron », et de ce « Mauro-kastron » les Genois ont fait « Maocastro », puis « Moncastro », « la Cite du mont »quiproquo qui ne doit pas etonner au Moyen Age greco-latin, quand, en Asie Mineure,la cite de Saint-Jean-Baptiste, « "Aroc OeoX6yog » des Grecs est devenue pour les ItaliensAlto logo, le « lieu haut », la forteresse placee sur une hauteur.

FIG. 4. Fresques de Popauti. Saints.

Mais, a Cetatea Alba, Moncastro, subsistent de magnifiques murs, parfaitementconserves. C'est, sans doute, le plus beau chateau occidental qu'on puisse decouvrirdans toute cette region du sud-est europeen. Les murs, conserves presque dans leurintegrite, dominent toute l'embouchure du Dniester, le Liman, et on les apercoit desqu'on approche du rivage de la mer Noire. Les Moldaves ont refait l'enceinte, maistoujours a l'aide d'architectes italiens, comme ce Provana qui a ete employe parEtienne le Grand, prince de Moldavie, a Chilia (I). Moncastro etait une tres riche cite,

qui, en 1445, d'apres le temoignage d'un Bourguignon, de Wavrin, contenait beaucoup

(I) Voy. nos Studii istorice asupra Chiliei gi Gera iii-Albe (editionde l'Academie Roumaine), Bucarest, 1900.

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de Grecs, d'Armeniens et d'Italiens (I). Cette ville possedait aussi, sans doute, desartistes. Il y a presque quarante ans que j'ai trouve dans les Archives de Genes lespreuves evidentes de ces rapports etroits entre la Cour moldave de Suceava,l'ancienne capitale, et les villes genoises du Danube et de l'embouchure du Dniester,et meme entre la Moldavie et la grande cite genoise de Pera, qui forme aujourd'huiune partie de Constantinople. Les Genois apportaient du poivre, des apices, des etoffesd'Occident et meme ces precieuses etoffes d'Orient qui, pOur arriver en Moldavie,devaient passer par les mains de ces marchands de Pera ou d'une autre grande citede meme ordre, Caffa, en Crimee. Le prince de Moldavie, Etienne le Grand, a com-mand& lui-meme, a Genes une epee artistique, demandant qu'elle soit faite a la faconvellachesca : on lui repondit, de Genes, qu'on serait dispose a le servir ; mais on ignoremalheureusement ce qu'etait cette fawn valaque (2).

Rien n'etait plus naturel que d'employer pour des eglises moldaves de l'epoqued'ttienne le Grand les architectes et les masons de Moncastro. Il etait bien naturelqu'ils fussent accompagnes par des peintres. De meme, des architectes de Tran-sylvanie ont travaille pour la Moldavie. A cote de ces architectes, on rencontredes peintres, comme ceux qui ont orne l'eglise episcopale du xvie siècle commencant,a Arge.

Mais Moncastro ne formait qu'une partie de toute une couronne de villesitaliennes du nord de la mer Noire. La capitale en etait Caffa.

Caffa a ate, vers la fin du xIIIe siècle, elevee sur un territoire pris a bail du Khandes Tatars, les maitres du pays. On appelait ce pays Gothia, parce que jadis, -auwe siècle, des Goths y etaient fixes, et Gazaria, parce que, au vine et au Ixe siècle,les Kazars y avaient en leur etablissement. Caffa a connu une époque de prosperiteinouie, oil elle devait avoir presque une centaine de mile habitants ; elle a subsistejusqu'a la conquete par les Turcs, en 1475. La garnison turque qui y fut fixee alorsa laisse tomber en ruine les eglises, les palais, de sorte que, sous cette 'dominationottomane, it n'est reste de la magnifique cite qu'une bourgade quelconque et unchâteau garde par des janissaires.

Lorsque Catherine II a occupe la Russie meridionale, elle a fait batir, a la placede Caffa, ruinee, la ville nouvelle de Theodose : Feodosia. Il y aurait des recherchesfaire, tout un travail de fouilles, et de ces fouilles surgiraient des anciennes eglises etdes anciens palais du xIIIe, du xwe et du xve siècle. On verrait alors, je crois, que c'esta Caffa qu'a ate trouve le type si original de ces tours moldaves sur double base poly=gonale, dans lesquelles se rencontrent des elements qui passerent, de Mesopotamieen Armenie, puis d'Armenie par Trebizonde dans cette Crimee qui etait en meme tempsgrecque, armenienne et italienne.

Voici tout un territoire, Caffa, Moncastro, avec des colonies qui allaient jusqu'auCaucase, et par Soldaia, on penetrait dans le fond meme de l'Asie, des l'anti-

(i) Voy. les editions de Mlle Dupont, dans la Collection de la Societe de l'Histoire de France ; celle de Hardydans les Roll Series et la notre, dans le Bulletin de la Commission historique de Roumanie (aussi tirage a part);cf. dans la derniere livraison notre etude sur les Chateaux historiques de Roumanie.

(2) Voy. nos Actes et fragments pour servir a l'histoire des Roumains, III, Bucarest, 1897. Cf. notre notedans les Comptes rendus de l'Academie des Inscriptions, annee 1928.

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quite romaine (I). Dans ce territoire, des Ita liens, des Grecs et des Orientaux, entreautres des Armeniens, vivaient ensemble. Il en etait de meme a Pera, dont les ancienneseglises catholiques, tres souvent refaites, n'ont jamais ete examinees au point de vuede l'histoire de l'art, afire de mettre a jour les restes des anciennes fresques, qui nedisparaissaient jamais completement. A Moncastro meme, une vieille eglise armenienneconserve des elements d'ornementation anciens. On constate, dans toutes ces regions,la cohabitation des Italiens, des Occidentaux et des differents elements orientauxcompris dans l'Empire de Byzance. Ce fait donne l'explication de l'influence bilateraleque nous avons longuement examinee. Ce n'est donc pas l'Italie qui a cree, dans lemonde oriental, un nouveau mouvement d'art, et ce n'est pas Byzance qui a regenerel'art occidental. Mais ceux auxquels on doit cette synthese qui appartient en memetemps a l'Italie et a l'Orient, c'etaient ces bourgeois des colonies de Crimee, de Pera,des Iles de l'Archipel, des villes de la Grece continentale qui ont ete latines sousplusieurs formes et pendant des siecles. Ce sont aussi ces bourgeois des Iles grecques,ces Cretois qui ont vecu pendant longtemps, bien que Grecs, sous la domination deVenise. Ce sont ces Chypriotes soumis tour a tour aux Lusignan francais et auxmarchands de Venise. Ce sont eux qui ont cree une synthese de l'art dans lequel itn'y a rien de byzantin qui ne soit en meme temps occidental et oil it n'y a rien d'occi-dental qui ne soit en meme temps influence par Byzance.

Ecrire a nouveau l'histoire de ces colonies, et aussi celle de cette coloniegrecque de Venise, group& autour de la magnifique eglise de Saint-Georges-des-Grecs,qui contient tout un musee d'icones, ce serait non seulement ajouter un nouveauchapitre a l'histoire economique du Moyen Age, mais en meme temps elucider unchapitre de l'art du Moyen Age et mettre fin, par une solution qui peut reconcilier les

deux partis, a un debat qui a dure trop longtemps entre l'Orient et l'Occident.Tout recemment, dans la nouvelle revue grecque Moolvtx«, M. J. Sotiriou signalait

toute une serie de tres belles fresques, d'un caractere tout a fait nouveau, qui, jusqu'icitotalement inobservees, couvrent les murs des petits sanctuaires de Sainte-TheclaAvlonarion (en Eubee), de Sainte-Anne a Oxylithos et de Spiliais (dans la meme ile),

ainsi que ceux de la chapelle, construite en 1303, de Saint-Demetrius de Salonique.Reconnaissant qu'il est impossible de trouver un point de depart, une region gene-

ratrice, ne consentant pas a reconnaitre une ecole macedonienne en face d'une ecolecretoise, it croyait pouvoir, de son cote, fixer un courant italianisant que nousne serions guere tente d'admettre un courant de liberte, qui est evident, dans l'atti-tude des corps, dans la vivacite des mouvements, dans un certain caprice des grou-pements, courant auquel it donne le nom d' « hellenique » en l'accolant a celui, plutotcurieux d' « illusionniste » (illusionistisch) et un courant « revolutionnaire », bien diffi-

cile a separer du premier.Ces distinctions paraissent bien recherchees et tres artificielles, de meme que la

tentative de creer une « renaissance » artistique exclusivement grecque au )(we siecle.

Ce qui est incontestable, c'est la nouveaute et le large rayonnement de cet art vivant,

(r) Georges Cantacuzene, dans notre Revue historique du sud-est europeen, annee 1928, p. 38 s.

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RAPPORTS ITALO-ORIENTAUX DANS L'ART DU MOYEN AGE 69

plebeien, independant de l'ecole du palais, au xrve siècle, art qui, de ISienne a Arge§se dirige vers des horizons que fermera en Orient, moins l'orthodoxie enveloppanteque la decadence politique.

Mais a cote, dans le haut monde byzantin, on observe une stricte reserve a regardde cette « vulgarite » envahissante. L'icone, dorm& par Bessarion a la communautede Santa Maria della Carita, a Venise, et conservee a l'Academie des Beaux-Arts decette vile, en est une preuve. Arretons-nous un moment sur cette interessante oeuvred'art byzantin (I) (pl. II, III).

Elle represente la Mise en croix, autour de laquelle, l'interieur contient unecroix d'un travail de sculpture tres delicat, entre les figures de Constantin et d'Helene

est presentee en sept tableaux, separes par l'insertion de pierres precieuses et pardes tablettes d'argent, l'histoire de la Passion. Une inscription sur le support de ce

phylactere » est ainsi concue : Tbv xosp.orcpoaxuvryrOv GT [ocu]pl.x6v 'rimy apyUpy xooixel: i (?)

Oc8eAcpo0 filazaLos OuricTip 7r(xAcaatiytvcc owelptocc EVTE1.44V, Ainpov 7r-roctcrilecTo.w. On a voulu

voir dans ce D. « Demetrius, un des fils d'Andronic II » et fixer pour le travail del'argentier la date d'environ 1355, celui du peintre devant etre probablementanterieur.

Mais generalement, on recouvrait d'argent une pareille image sainte contenant lesreliques precieuses : bois de la croix, fragment de la tunique du Christ, aussitotapres la peinture.

Dans le groupement si varie, si mouvemente des figures, dans la figure centraleremarquable par le mouvement divergent des deux saints qui pleurent, et par l'atti-tude vivante jusqu'au comique des soldats aupres de la croix, dans les groupes quil'entourent, surtout dans celui de la Mise en croix et dans celui de la Descente, avec laVierge qui penche tendrement son visage sur celui de divin supplicie, it y a sans doutedes marques de cet esprit nouveau que cette etude cherche a mieux definir dans soncaractere meme et dans ses origins.

Bucarest.

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N. IORGA.

(1) Voy. In perantiquam sacram tabulam graecam insigni sodalitio Sanctae Mariae Caritatis Venetiarumab amplissimo cardinale Bessarione dono datam dissertatio, s. a. (exemplaire communiqué par M. le ConsulKaradcha).

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