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Michel Launey Université Paris VII et IRD-Guyane [email protected] Perspectives pour l’observation réfléchie conjointe du bushinenge tongo et du français dans le cycle 3 de l’enseignement primaire et dans l’enseignement secondaire

Michel Launey Université Paris VII et IRD-Guyane [email protected] Perspectives pour lobservation réfléchie conjointe du bushinenge tongo et du français

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Michel LauneyUniversité Paris VII

et [email protected]

Perspectives pour l’observation réfléchie conjointe

du bushinenge tongo et du françaisdans le cycle 3 de l’enseignement primaire

et dans l’enseignement secondaire

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• Dans l’esclavage et le marronnage se créent des langues…

• … chacune étant – comme toute langue – à la fois

- instrument de communication- véhicule d’une culture- élément de reconnaissance identitaire- construction intellectuelle permettant de produire du sens

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• Les créoles, des langues exceptionnelles…• 1. Naissance datable au moins approximativement

(Les autres : pas de naissance observable)• 2. Langues du contact et non de la transmission continue• 3. MAIS (spécificité des langues créoles) :• - Contact inégalitaire et brutal (esclavage)• = Le lexique de la langue de colonisation passe…• … mais pas la grammaire• > En 1 ou 2 générations, des êtres humains, réduits en

esclavage, reconstituent une grammaire!

• Les créoles, des langues comme les autres• 1. L1 (= langue première, langue maternelle), c.-à-d. première

expérience du langage pour certains êtres humains• 2. Soumises à la variation et l’évolution

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La L1 et l’école

• - Entraver le développement de la L1 est entraver le développement du langage…

• - > Si la langue de scolarisation est ≠ de la L1… … l’école devrait autant que possible soutenir la L1 (et donc aider les enfants à se construire comme bilingues)…… Ce qui se heurte à la tradition monolingue de l’école française

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La tradition monolingue de l’école française- Occultation (avec perspective d’éradication) des autres langues- Interdiction symbolique (même comme raccourci pédagogique)- Difficultés particulières pour les élèves allophones

(souffrances, inhibition, retard scolaire…)- Extinction progressive en France métropolitaine des

allophones monolingues …- … on oublie ceux d’Outre-mer!

- - en Guyane (Amérindiens, Bushinenge)(aussi: dans le Pacifique, et à Mayotte)

Q.: Que faire d’intelligent à l’école avec leurs langues?

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Langues régionales, langues maternelles

Langue régionale: « Pratiquée traditionnellement sur un territoire d’un Etat par des ressortissants de cet Etat »

(Charte Européenne des langues régionales et minoritaires, 1992)

Les élèves peuvent être- monolingues francophones(la langue régionale s’enseigne comme L2)- bilingues français-langue régionale(soutien à un bilinguisme existant)- monolingues en langue régionale(aider à la construction du bilinguisme)

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Guyane : les ILM, une présence scolaire réfléchie de la L1

• < 1998 : Médiateurs culturels et bilingues, puis (2007) : ILM (Intervenants en Langue Maternelle)

• Langues : amérindiennes + bushinenge + hmong• (nbx. enfants monolingues + classes plutôt « homogènes »)

• Les ILM• Assurent des activités « de langage » dans les petites classes• - incitation à la verbalisation (sur des références connues)• - sensibilisation phonétique et grammaticale (comptines…)• - écoute de contes et récits (langage riche)• - enrichissement du vocabulaire…

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• Effets positifs (v. travaux du groupe ECOLPOM)- Sécurisation des enfants (l’école moins étrangère)- Meilleure implication des parents- Transition facilitée au français L2- Amélioration des performances scolaires- Possibilité d’extension aux langues de migrants comme

alternative aux dispositifs CLIN/CLA- + : un groupe professionnel très soudé- + : une utilité sociale de plus en plus reconnue

• • Plusieurs points faibles :• Nombre insuffisant – statut professionnel longtemps

incertain – « binômes » pas toujours opérationnels…• Et : que faire dans les « grandes » classes ?

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Suggestion pour les grandes classes (primaire cycle 3 + secondaire)

• « Observation réfléchie de la langue » (programmes 2002)• « Etude de la langue française » (programmes 2007)• (< 8 ans : développement des capacités métalinguistiques )• Transformer en :• « Observation réfléchie conjointe (français + L1) »• ou même : français + langue locale (= même si pas L1 de tous)• • Permet :

- rééquilibrage du statut des deux langues(> rééquilibrage du statut des locuteurs, intérêt réciproque…)- raccourcis pédagogiques (y compris pour d’autres langues)- développement des capacités métalinguistiques- rétroaction dans les deux sens (constantes translinguistiques)

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Observation et connaissance (1)

(En relation avec les programmes d’histoire)• Intégrer dans l’histoire de l’esclavage et du

marronnage l’histoire de la genèse des langues créoles

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Observation et connaissance (2)• (En relation avec les programmes de LVE - anglais)• Faire découvrir les régularités de correspondances

phonétiques• entre l’anglais (langue de superstrat) et le bushinenge tongo• (a) Surtout : restructuration syllabique /(C)V(n)/

- développement d’une voyelle finale « écho »big > bigi ; back > baka ; dead > dede ; foot > futu ; boat > boto…(NB. mais man > man : pas besoin de voyelle finale)- développement d’une voyelle intérieure

(« épenthèse »)stone > siton, snake > sineki…

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• • (b) (annexe) : observer la palatalisation [si] > [ʃi]

dans une partie des usages – discuter la notion de variantes de langue – comparer les structures syllabiques [sa], [se], [so], [su], [ʃi] (mais non *[ʃa], *[ʃe], *[ʃo], *[ʃu], *[si ]) avec les syllabes toutes acceptables du français

• réfléchir sur la palatalisation dans d’autres langues (évolution de certaines consonnes devant voyelles d’avant (stt. [i], parfois [e])

- port. brésilien dia [dʒia], tia [tʃia]- français t prononcé [s] dans mots en –tie, -tion;

c prononcé [s] devant i, e…

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• (c) (annexe): une présentation de l’écriture d’Afaka (syllabaire) peut constituer une activité à la fois ludique et métalinguistique…

• (d) Réaménagements vocaliques• dog [dg] > dagu ; cut [kʌt] > koti

• (e) Pertes ou modifications de consonnes• house > osu ; hand > ana ; mouth [mauθ] >

mofu• ripe > lepi

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(e) Effets particuliers de la disparition de /l/ ou /r/ : abaissement mélodique (apparition d’un ton bas) anglais sranan tongo ndyuka feel (res)sentir firi fíì free libre fri fìí dear cher diri díì three trois dri dìí (ou néerl. drie) En fin de mot : apparition d’une voyelle longue (stt. ndyuka) water > wataa / wata ; gutter > gotoo / goto

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Observation et connaissance (3)

• Différences et équivalences des stratégies grammaticales :

• - langue flexionnelle (français)• morphologie : genre et nombre (noms,

adjectifs) + conjugaison• - langue isolante (bushinenge tongo et autres

créoles)• pas de morphologie :

les notions grammaticales exprimées par des mots séparés

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• (a1) Prise de conscience de l’absence de genre grammatical

• (pas de variation de l’adjectif, des déterminants, des pronoms…)

• a e wooko il/elle travaille

• (a2) Prise de conscience du marquage du pluriel• (comparer la forme graphique et phonique du fr.)• a gaan osu la grande maison [la grãd mezõ]• den gaan osu les grandes maisons [le grãd mezõ]

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(b) Les formes des personnesJe te vois, tu me vois Mi e si yu, yu e si mi Mo ka wè to, to ka wè mo

… avec moi, avec toi … anga mi, anga yu ké mo, ké to ma maison, mon livre mi osu, mi buku mo kaz, mo liv

sujet COD COI toniques 1 sg je me me moi 2 sg tu te te toi 3 sg M il le lui lui 3 sg F elle la lui elle 1 pl nous nous nous nous 2 pl vous vous vous vous 3 pl M ils les leur eux 3 pl F elles les leur elles

Observer :

(1) Les deux « elle(s) et les deux « lui » du français (2) La variation maximale à la 3e personne en français…

… et même en b. tongo A e si mi il me voit / Mi e si en Je le vois

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(c) Conjugaison

A nyan Il a mangé (il mangea) A e nyan Il mange, il est en train de manger A be nyan Il avait mangé A o nyan Il mangera A be e nyan Il mangeait, il était en train de manger A be o nyan Il aurait mangé

Annexe 1 : observer le parallélisme absolu avec le créole guyanais (e = ka ; be = té ; o = ké ; be e = té ka ; be o = té ké)

Annexe 2 : observer le parallélisme entre be o et le conditionnel français en –r-ait (combinaison futur + passé)

Annexe 3 (pour les plus grands) : information sur l’origine des « particules »

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Observation et connaissance (4)

(pour les plus grands…) le statut de l’adjectif• Français : le verbe être « copule »: Il est sale• B.t. pas de copule : A tyobo• Analyse n° 1 : A (ø) tyobo• 3e p (copule ø) sale• Analyse n° 2 : A tyobo• 3e p. être-sale• Cf. A e tyobo Il devient sale, il se salit• (comparer A nyan / a e nyan /// a tyobo / a e

tyobo)

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Perspectives élargies :• (a) Travail analogue sur le saamaka (NB.

superstrat portugais)• (b) Extension des langues de « contrepoint »

(cf. déjà vu : anglais, créole guyanais, portugais… + néerlandais, éventuellement autres : chinois…)

• (c) > on débouche sur une optique d’éveil aux langues

• (prise en compte et exploitation pédagogique du plurilinguisme)

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Effets attendus :• - incitation à la réflexion métalinguistique par comparaison des

grammaires (avec facilitation de l’apprentissage d’une L3)• - revalorisation des langues isolantes (= sans morphologie)

longtemps considérées comme défectueuses (« racisme linguistique » contre le chinois au XIXe siècle, contre les créoles au XXe siècle)

• - bien-être identitaire (« estime de soi » linguistique : ma langue est aussi intéressante, riche, complexe que n’importe quelle autre)

• - rééquilibrage apaisé entre L1 et L2 qui ne sont plus dans une relation de concurrence antagonique, mais comme deux façons également plausibles de construire du sens

• - conscience de ce que ce couple L1-L2 n’est qu’un petit échantillon de la diversité linguistique (avec la diversité culturelle qui lui est associée) > ouverture sur le monde (cf. éveil aux langues)