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édito Sterren Bohelay 01/02 Jeunes et alcool : un cocktail d’usages Gaëlle Hybord /Denis Manigan 03/06 Ivresses adolescentes : de l'approche normative aux approches expérientielles Julien Chambon 07/09 L’alcool rend-il violent ? Pr Laurent Begue 10/12 La réduction du risque alcool en Europe Dominique Meunier/Sterenn Bohelay13/15 En Suisse : alcool et intervention précoce Jean-Félix Savary/Christophe Mani/Guy Musy/Nathalie Arbellay 16/19 Les Consultations Jeunes Consommateurs : un outil au service d’une stratégie d’intervention précoce Emma Tarlevé 20/22 Le dialogue et l’information, sans modération Interview croisé 23/25 À Montpellier, Le Zinc encourage les parents à venir au bar Interview 26/29 L’Ippsa soutient le développement du repérage en milieu scolaire Fatima Hadj-Slimane/Dr Dorothée Lecallier/Dr Philippe Michaud 30/31 « Binge Drinking » : une œuvre d’art au service de la prévention de la consommation excessive d’alcool chez les jeunes ANPAA 32/34 À Toulouse, le programme Axe Sud mobilise pour la sécurité routière Martine Lacoste/David Mourgues 35/38 Esquisse anthropo-sociologique de la fête Ahmed Nordine Touil 39/41 À Besançon, une recherche-action pour intervenir en milieu festif Lilian Babé 42/45 Spiritek connaît la musique Interview 46/48 Rassemblements multisons : en Bretagne, l’union fait la force Interview 48/52 Évaluation dommages/bénéfices de neuf produits ou comportements addictifs Catherine Bourgain/Bruno Falissard/Amandine Luquiens/Amine Benyamina/Laurent Karila/Lisa Blecha/Michel Reynaud 53/65 Alcool et jeunes univers, usages, pratiques ctal 11 CAHIERS THÉMATIQUES DE LA FÉDÉRATION ADDICTION JUIL. 12 6

Mise en page 1 - federationaddiction.fr · « Binge Drinking » : une œuvre d’art au service de la prévention de la consommation excessive d’alcool chez les jeunes ANPAA 32/34

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éditoSterren Bohelay 01/02

Jeunes et alcool : un cocktail d’usages Gaëlle Hybord /Denis Manigan 03/06

Ivresses adolescentes : de l'approche normative aux approchesexpérientielles Julien Chambon 07/09

L’alcool rend-il violent ? Pr Laurent Begue 10/12

La réduction du risque alcool en Europe Dominique Meunier/Sterenn Bohelay13/15

En Suisse : alcool et intervention précoce Jean-Félix Savary/Christophe Mani/GuyMusy/Nathalie Arbellay 16/19

Les Consultations Jeunes Consommateurs : un outil au service d’unestratégie d’intervention précoce Emma Tarlevé 20/22

Le dialogue et l’information, sans modération Interview croisé 23/25

À Montpellier, Le Zinc encourage les parents à venir au bar Interview 26/29

L’Ippsa soutient le développement du repérage en milieu scolaire FatimaHadj-Slimane/Dr Dorothée Lecallier/Dr Philippe Michaud 30/31

« Binge Drinking » : une œuvre d’art au service de la prévention de laconsommation excessive d’alcool chez les jeunes ANPAA 32/34

À Toulouse, le programme Axe Sud mobilise pour la sécurité routièreMartine Lacoste/David Mourgues 35/38

Esquisse anthropo-sociologique de la fête Ahmed Nordine Touil 39/41

À Besançon, une recherche-action pour intervenir en milieu festifLilian Babé 42/45

Spiritek connaît la musique Interview 46/48

Rassemblements multisons : en Bretagne, l’union fait la force Interview 48/52

Évaluation dommages/bénéfices de neuf produits ou comportementsaddictifs Catherine Bourgain/Bruno Falissard/Amandine Luquiens/Amine Benyamina/LaurentKarila/Lisa Blecha/Michel Reynaud 53/65

Alcool et jeunesunivers, usages, pratiques

ctal11CAHIERS THÉMATIQUES DE LA FÉDÉRATION ADDICTION JUIL. 12 6€

Réduire les risques...aujourd’hui: « aller vers » d’autres possibles !

édito / Sterenn Bohelay 1

Plusieurs décennies de guerre à la drogue : un magistral constat d’échec, certes, maisaussi, par contraste, une démonstration éclatante de la pertinence des politiques deprévention et de réduction des risques. Et, dans ce dernier champ, un challenge :comment réussir la transition vers un usage raisonné, apaisé des pratiques festives et des consommations qui y sont liées ? Quelle convergence d’intérêt trouver entreusagers et intervenants de prévention ?Ces dernières années ont été marquées par plusieurs mouvements parallèles : des bilans d’action bien mitigés, nous montrant les limites d’une posture ascendante,distanciée de l’autre et de son quotidien, les limites de la loi, l’acceptation d’unprincipe de réalité qui a amené à la levée d’un déni. Face à cette réalité, les acteurs de terrain, forts de leur intuition et dotés d’un certain pragmatisme, ont développé une approche ancrée dans la proximité.L’espace festif, lieu voué à la recherche du plaisir, est dédié le plus souvent à célébrerun événement ou une personne. Les consommations de substances qui y sontassociées ont une finalité récréative, et un objectif de sociabilité. L’article proposé par Michel Reynaud p.53 nous montre bien que la perception des bénéfices parl’usager est prépondérante dans le rapport à sa consommation.Dans un monde où tout va plus vite, la fête peut se vivre comme un espace à part, oùle temps est comme suspendu. Certains comportements à risque sont peut-être lereflet de cette accélération des choses. C’est aussi un lieu où l’on tente de se libérerde la pression sociale, un lieu propice à la création des liens sociaux ou qui participe àen re-créer lorsque l’on en manque. La fête vise également à combler l’ennui et le videcomme si le sentiment d’exister passait par le besoin de se remplir.Notre société, en multipliant les objets de désir, nous sollicite sans cesse. On comprend, par-là, la fonction, le succès de ces lieux « d’épanchement » que sont les espaces festifs. L’adolescent et/ou le jeune adulte se sent constamment dans le « collimateur social ».Il est considéré comme un simple consommateur, sans possibilité de voir prise encompte l’étape décisive que constitue l’entrée dans le monde adulte : momentd’apprentissage où il se doit d’acquérir les moyens de gérer ses éprouvés, contrôlerses désirs... grâce notamment aux références proposées par les adultes. Ne lui restepour communiquer que le passage à l’acte.Dans ces contextes, l’alcool reste le produit le plus consommé. Là encore, alors que les stratégies « marketing » des industriels ciblent depuis plusieurs années les jeunes(via les premix, les soirées parrainées, etc.), on leur conseille de « consommer avecmodération ». Injonction paradoxale ! Sans compter qu’il nous faut, nous, adultes,

numéro11 juillet 12Prix de vente : 6€

Directeur de la publication Jean-Pierre CouteronCoordinateur du numéro Sterenn BohelayComité de rédaction Michel Astesano,Dr Jean-Michel Delile, Dr Patrick Fouilland,Martine Landié, Nathalie Latour, Marie VillezRédactrice en chef Cécile BettendorffJournaliste Nathalie CastetzConception graphique Carole PeclersImpression 3000 ex. Imprimerie La Petite Presse

Fédération Addiction9 rue des Bluets 75011 Pariscontact 01 43 43 72 38www.federationaddiction.fr

Sterenn Bohelay, Éducatrice, Centre Rimbaud,Coordinatrice Collectif FMR/CJC Montbrison

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ctal

2 édito / Sterenn Bohelay

questionner notre propre rapport à l’usage, qui reste, souvent, encore ambigu. On mesure bien le chemin à parcourir pour acquérir une quelconque légitimité à lesaccompagner. Face à un contexte où règles de droit et comportements des personnessont situés dans des champs différents, notre positionnement est alors celui d’un tierssignifiant à l’autre qu’il existe. Proposer un point de vue sur la « fête moins risquée »,c’est reconnaître les « fêtards » et le droit au plaisir qui les réunit, tout en prenant encompte les risques qui y sont associés.Il est certain que les consommations de substances génèrent des prises de risques(accidents de la route, comportements violents, rapports non protégés, échecscolaire...) qu’il nous appartient d’accompagner pour les réduire. Nous n’y parviendronspas en stigmatisant le jeune, en le réduisant à sa conduite ou à sa consommation maisen lui donnant les outils lui permettant de se construire, de développer son espritcritique, sa capacité à choisir, à « prendre soin » de lui et de ses semblables. Pour ce faire, les intervenants ne sauraient s’abstenir de coordonner leurs actions.Intervenir en milieu festif, c’est avoir l’opportunité de multiplier les rencontres. Il faut donc chercher à diversifier les collaborations, favorisant ainsi un cheminementavec la communauté, des actions avec et sur l’environnement, le système et sesréseaux et donc se démarquer du risque de culpabilisation.L’intervention ne sera préventive que dans la mesure où elle sera transmission etformation et si elle s’appuie sur les ressources et compétences de l’Autre, pour qu’ilpuisse « domestiquer » ses désirs et ses forces, qui peuvent devenir les leviers d’unchangement de comportement. Nous devons aller dans le sens d’une co-construction, nous obliger nous-mêmes àpenser différemment de l’éternel postulat simpliste : « la drogue c’est mal !L’abstinence c’est bien ! ». La condition, préalable et primordiale, de notre réussite, tient à l’élaboration d’unlangage commun, fondé sur l’expérience humaine du plaisir plutôt que sur ladiabolisation de la drogue.Faisons le pari que nous ne savons pas… ce qui nous permettra d’être dans une quête,partageable et universelle, et de prendre l’espace festif, dans toute sa diversité,comme un lieu privilégié de rencontre et d’accompagnement.Il est primordial de faire des alliances avec l’ensemble des dispositifs, à même devaloriser nos spécificités pour engager un travail intracommunautaire et créer ainsi despasserelles (avec le monde de la culture, de l’entreprise, etc.). Ceci afin de permettre à chacun de trouver une réponse en fonction de ses urgences, de ses désirs, de sespossibles ! •

« Aussi le problème n’est- il pas de savoir si notre théorie de l’univers a une quelconque influence sur les choses,

mais si, au bout du compte, elle n’est pas la seule chose qui en ait. » Chesterton

Jeunes et alcool : un cocktail d’usages

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Comment parler des consommations d’alcool quipourraient être problématiques chez des jeunes,quand les adultes eux-mêmes ont une relationambigüe à ce produit ? D’un côté le plaisir de «l’apéro»,la fierté de la culture œnologique française… et del’autre côté, des messages hygiénistes et sécuritairesdélivrés auprès des adolescents.Globalement, notre jeunesse va bien et possède desressources que nous ne percevons pas toujours. Lesadultes se font peu de souci, à tort ou à raison, d’uneconsommation de leurs jeunes qui serait identique àla leur. En revanche, certains comportements «extraordinaires » méritent une autre attention. Pourcomprendre, décrypter et replacer une légitimité decommentaires responsables, nous allons évoquercertaines consommations et leur contexte.Ce que nous allons décrire maintenant n’a pas uneambition scientifique : certains de ces tableaux nesont peut-être que des épiphénomènes. D’autresrelèvent d’une mode passagère. Mais il nous semblenécessaire de porter une réflexion les concernant.

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Gaëlle Hybord, psychologue clinicienne, Centre Hospitalier Albertville-Moûtiers (73)Denis Manigan, éducateur et chargé de prévention au Csapa Le Pélican de Chambéry (73)

Jeunes et alcool : un cocktail d’usages / Gaëlle Hybord, Denis Manigan 5

Comment donner à nos jeunes une estime d’eux-mêmessuffisante pour qu’ils n’aient plus à « prouver » ?Nous remarquons également un phénomèneparticulier : la mise en ligne de vidéos d’ivresse, deconcours, de vomissements… Ceci nous interpelle àdouble titre. D’une part, se pose la question de la valeur retenuepar les jeunes aujourd’hui : tenir l’alcool ou ne pas lesupporter?D’autre part, comment comprendre cette exhibition?S’agit-il d’un questionnement en attente de positionset de commentaires des adultes, signifiant «monalcoolisation est un message, tu ne me dis rien, alorsje te re-questionne par ce film déposé devant tout lemonde» ?• Le binge-drinkingLa « biture express », nouvelle façon de boire ?Certains adolescents boivent sans doute autant queles générations précédentes mais parfois plus vite,plus tôt dans le temps de la fête et avec unerecherche délibérée d’ivresse.L’adulte ne doit pas rester sidéré par ce qui paraît «absurde». Comment redonner du sens à ce quisemble insensé ? Les pistes de réflexion sontnombreuses et beaucoup d’écrits les évoquent.S’agit-il de ce culte de la performance qui nousconduit à « tout faire, toujours plus » ? Le bingedrinking est-il à mettre en lien avec le fonctionnementde notre société de consommation : le plaisirimmédiat ? David Le Breton 7 y voit pour sa part unsimulacre de rite de passage pour devenir adulte,mais condamné à être répété en raison d’undésaccord ou d’une cécité sociale ou familiale.Les adultes ne communiqueraient-ils pas un malaise(que seul l’alcool massivement ingéré calmerait) enétant trop anxieux et pessimistes dans leur lecture de l’avenir ?Ce phénomène questionne la recherche de repèressociaux et familiaux, mais aussi la recherche delimites à l’intérieur de soi-même, dans ce temps demutation corporelle et psychique qu’est l’adolescence.Cette manière de s’anesthésier jusqu’à l’inconscience,cette auto-exclusion ne dévoile-t-elle pas desfragilités identitaires ?

Informer sur le mécanisme neurologique d’un « trounoir », aider à réagir face à un coma, aider à s’enprotéger, travailler sur la réduction des risques liésaux déplacements sont des pistes réalistes deprévention.

De nouvelles façons de faire la fête…La fête est nécessaire. Elle protège l’équilibre desindividus et des groupes sociaux : nous devons « fairela fête » et continuer de la faire. Les pratiquescependant évoluent et rompent avec celles des« anciens ». Ainsi, de plus en plus de déplacements routiersmarquent le rythme d’une soirée : l’insatisfaction dulieu choisi entraîne un zapping, un passage d’un lieude fête à un autre, une «non inscription» dans letemps structuré de la fête. La prise de risque de cettecirculation est réelle. La répétition et le rapprochementdes temps de fête déqualifient leur sens : les jeudisdes étudiants s’instituent et banalisent les excès.Les modes d’organisation eux-mêmes évoluent.L’information par SMS, internet et/ou réseauxsociaux facilite des regroupements festifs quasispontanés. Les municipalités, les services d’ordre etde sécurité ne peuvent anticiper et sont débordés parla rapidité des rassemblements sans aucun contactavec des responsables organisateurs. Les « apérosgéants » redonnent évidemment du lien social maisl’apparente anarchie trouble les habitudes etdemande des réajustements. Certaines consommationsse font parfois en dehors du regard et des cadresprévus. Par souci d’économie ou pour éviter lescontraintes, les jeunes boivent en dehors des bars,sur les parkings des boîtes… La « bienveillance » oule contrôle des professionnels ne s’exercent plus. Nostalgie, relecture idéalisée du passé… les adultesregrettent-ils les consommations collectives etintergénérationnelles des «après concert d’harmonie»ou des bals populaires ?• Les défisL’être humain a besoin de se jauger, de s’estimer parrapport aux autres, et tout particulièrement àl’adolescence. Une question préoccupe enpermanence les jeunes : « qu’est- ce que je vaux ? »Les défis se réalisent évidemment autour de l’alcoolmais aujourd’hui, la barre est haute. La diffusion parinternet ou par certaines émissions de télévision deséquences de paris obligent à faire plus ou mieux.

Notons par ailleurs que la gamme de produitsalcoolisés offerte sur le marché est très variée,attractive et peu chère. C’est donc un produit faciled’accès et disponible en abondance.

Des risques différents selon l’âge• Ivresses brutales et inattendues chez despublics très jeunes Une naïveté et une méconnaissance des effets del’alcool mettent certains pré-adolescents (11 à 13ans) dans des situations d’ivresses importantes, voirede coma éthylique. Ce qui est remarquable, c’est lasurprise du jeune, après-coup, vis-à-vis de l’efficacitéet de la puissance du produit. L’intention n’était pasdélibérée de perdre autant le contrôle et de seretrouver dans cet état…Cette consommation peut relever d’une reproductionde celle perçue de l’adulte, sans avoir intégré ledanger potentiel et les effets réels de l’alcool. Cetusage se fait en groupe, autour d’un évènement oud’un temps d’ennui, en dehors du regard des adultes.Il semble important de rappeler aux parents lanécessité de communiquer sur les caractéristiquesparticulières et enivrantes de l’alcool, et d’envisageréventuellement des stratégies éducatives à l’usage.Par conséquent, cela impose, pour l’adulte,d’expliciter ses propres usages, car il transmet defaçon implicite et silencieuse une manière deconsommer à son adolescent.Se pose la question de « l’apprendre à boire» :découvrir le goût, les effets, jusqu’où ? Dans quellescirconstances ? Dans quelles occasions ? À quel âge?• Trous noirs, coma éthylique : risquesbanalisés ?Bien que plus expérimentés en matière deconsommation, les adolescents, âgés de 16 à 21 anssont aussi confrontés à plusieurs risques immédiatsliés à l’absorption d’alcool : pertes de mémoireconcernant des évènements vécus pendantl’alcoolisation, perte de contrôle total pouvantentraîner des violences, prises de risques (dans tousles domaines), coma éthylique, conduite automobileinsouciante… Ces risques sont repérés par lesjeunes, mais ils en sous-estiment les conséquenceset les intègrent comme faisant partie du programmefestif.

Consommation d’alcool : contexte général

L’enquête ESCAPAD 20111montre que les expéri-mentations d’alcool poursuivent une diminution. À l’inverse, les usages réguliers, les comportementsd’alcoolisation ponctuelle importante ou les ivressesrégulières augmentent. L’étude HBSC 2010 2, pour sapart, atteste d’une expérimentation élevée d’alcool àl’âge de 11 ans : 6 jeunes sur 10 (57,7%) sontconcernés. À l’âge de 13 ans, le pourcentage passe à71,7 ; à 15 ans, il s’élève à 85,8%. Quant à l’enquêteEspad, la plus récente 3, elle montre que l’usagerécent d’alcool est en hausse par rapport à 2007:67% des 15-16 ans ont consommé de l’alcool dansles 30 jours précédant l’enquête, contre 64% en2007. 44% des adolescents interrogés ont connu unépisode d’alcoolisation ponctuelle importante aucours des 30 derniers jours.Par ailleurs, comme nous l’indique le travail deChristophe Moreau (IREB 2010) 4, 80 à 90 %d’adolescents font la fête pour renforcer leur viesociale, sans souhaiter la perte totale du contrôle desoi. Seule une minorité utilise l’alcool pour un oublide soi. Rappelons toutefois que les principalescaractéristiques attendues d’une fête réussie sont :l’amusement/le rire, les amis et l’ivresse alcoolique,à égalité avec la musique.Même si elles nous paraissent évidentes, souvenons-nous des vertus attendues de l’alcool : désinhibition,euphorie. Il peut être aussi utilisé pour son efficacitéanxiolytique ou anesthésiante.L’alcool renvoie également à des traditions culturelles.En France, le vin, par exemple, possède unenracinement sacré le plaçant au cœur du ritecommémorant la communication avec Dieu. Cettecoutume culturelle du « boire en France » resteextrêmement ancrée dans les esprits des Françaiscomme en témoignent Véronique Nahoum-Grappe,dans son ouvrage « la culture de l’ivresse » 5, etl’enquête menée par Thierry Morel et Marie-XavièreAubertin 6.Enfin, l’alcool reste associé à la notion de virilité :pour les hommes principalement, il estsymboliquement lié à l’accession à une identitésociale.

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Les ivresses adolescentes, et plus généralement lesalcoolisations massives des jeunes adultes, défraientrégulièrement la chronique, et on sent depuisquelques années sourdre dans l’opinion publique unegrande préoccupation à leur propos. Le constat estfédérateur : nos adolescents consommeraient demanière beaucoup plus intense et beaucoup plusmassive que leurs aînés (nous-mêmes !), etcommenceraient à le faire de plus en plus tôt… Les données à notre disposition semblent effectivementconfirmer des changements dans les modesd’alcoolisation des jeunes Français, ainsi qu’unrajeunissement des primo-usagers. Cependant, au-delà de la réalité sociologique et des conséquencessanitaires de ces nouvelles façons de boire, il noussemble intéressant de questionner l’émotion qu’ellessoulèvent au sein de la population, qui, observant sa

Ivresses adolescentes: de l'approche normativeaux approches expérientielles

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• Les week- end d’intégration des grandes écolesLe rite est nécessaire. Il faut en accepter l’idée en lesouhaitant ni violent, ni dégradant pour ceux qui lesubissent. À trop vouloir le dénoncer, il a lieu endehors des regards et hors limite, et l’alcool coule…Là aussi, une non-acceptation par le corps social del’épreuve de passage perturbe le changement destatut attendu.Les excès que l’on nous rapporte sont parfoisédifiants : vomissements, dégradations, violences.Les présidents des bureaux d’étudiants noussollicitent pour « prévenir », mais la réponse doitavoir une dimension plus collective, plus sociale.Nous sommes donc à l’épreuve d’accepter unminimum de risques pour ne pas en subir en excès. • Les skins partyDu nom d’une série télévisée, l’idée de la «skinparty » est de tout s’autoriser durant un temps festif :sexe, alcool, drogues… no limits. Un programmedéjà connu mais qui doit nous interroger. Peut-oncomparer ce phénomène avec celui des personnesqui, sous régime alimentaire aux contraintesdifficiles, craquent par lassitude ou dépit ? Y a-t-ilune volonté de prendre des risques de façontotalement délibérée quand trop de contraintesfatiguent ? S’agit-il de comportements ordaliquespour trouver un sens à la vie ?

Pour approfondir le sujet et acquérir des outilsadaptés à la problématique, la FédérationAddiction propose les 3 et 4 décembre 2012 uneformation intitulée Quelles prévention desconduites à risques et des addictions chez lespublics jeunes ?Quelle place de la prévention dans cette périodede l’adolescence et de vie scolaire : que leur dire?Comment travailler avec la communautééducative? Quels sont les besoins des parents?Quelles sont les différentes stratégies préventivesà envisager dans les moments de fête?Témoignages et analyses rythmeront leséchanges autour de ces questions. Les aspectspsychologiques, psychosociaux et éducatifsseront traités et permettront de mieuxcomprendre les mécanismes de l’adolescenceentre tiraillements, loyautés et tentations. Plus d’informations sur www.federationaddiction.fr, rubrique Formations

1 OFDT, Inserm, « Les drogues à 17 ans. Premiers résultats del’enquête ESCAPAD 2011 », Tendances, n°79, février 2011 -www.ofdt.fr 2 OFDT, Inserm, « Alcool, tabac et cannabis durant les “annéescollèges” », Tendances, n°80, avril 2012 - www.ofdt.fr 3 OFDT, Premiers résultats du volet français de l’enquêteEuropean School Survey Project en Alcohol and Other Drugs(ESPAD) 2011, 31 mai 2012 - www.ofdt.fr4 Moreau Christophe, « Les jeunes et la fête : la régulation par leregard de l’autre et la diffusion culturelle », Recherche etalcoologie, n°41, IREB, juillet 2011 - www.ireb.com5 Nahoum-Grappe Véronique, La culture de l’ivresse. Essai dephénoménologie historique, Quai Voltaire Histoire, 19916 Aubertin Marie-Xavière, Morel Thierry, Chronique ordinaired’une alcoolisation festive. Les 16-21 ans. NO-NOS LIMIT(ES),Haut Commissaire à la jeunesse, EPE IDF, 2010 - www.injep.fr 7 Le Breton David, Jeunesse à risque. Rite et passage, PresseUniversitaire de Laval, 2005

ConclusionNous n’avons pas évoqué les consommationssolitaires pathologiques qui relèvent d’un savoir-fairespécifique ; nous nous sommes concentrés sur lescomportements collectifs nécessitant des approchesnouvelles de prévention. Les pratiques festives actuelles, toujours enmouvement, nécessitent en miroir, des adaptationscréatives et originales. Associer les jeunes pourconstruire des messages adaptés et des actionspertinentes est évidemment nécessaire. Aidons-les àne pas subir les subtiles stratégies commerciales enrenforçant leurs ressources critiques. Redonnonségalement aux parents l’attention nécessaire faceaux besoins de leurs adolescents. Enfin, donnons-nous, entre professionnels, des temps d’échanges etde construction autour de la prévention des conduitesà risques et des addictions chez les jeunes.•

6 Jeunes et alcool : un cocktail d’usages / Gaëlle Hybord, Denis Manigan

Julien Chambon, Chargé de projet PEC, AidesAlcool, Lyon (69)

jeunesse alcoolisée, oscille entre désarroi,incompréhension et incrédulité. En adoptant ce pointde vue décalé, nous avons quelque chance deparvenir à cerner, voire, qui sait, à dépasser certainsdes obstacles cognitifs et culturels qui vont àl’encontre d’une appréhension et d’une gestionsereine et efficace de ce phénomène.

Notre représentation culturelle de l’alcool a toujoursoscillé entre alcoolophilie et alcoolophobie 1 : nousadorons cet alcool bienfaisant que nous investissonsd’un fort pouvoir symbolique et qui agrémente lagrande majorité de nos rites sociaux, et dans lemême temps nous détestons ce produit néfaste quiconduit à des dépendances et/ou à des comportementsd’usages nocifs ou déviants. Ainsi, en France, il estinterdit de ne pas boire, mais il est aussi interdit dene pas boire « comme il faut ». C’est ce rapportnormatif – somme toute assez flou et relatif – quinous permet d’établir une distinction entre desreprésentations adverses laissant à voir d’une part,un produit quasiment miraculeux, et d’autre part, unesubstance toxique, dangereuse et mortelle. Le débatautour du binge-drinking s’inscrit en plein dans ceparadoxe culturel fondamental. Ainsi, si l’on prêteattention au discours que l’on porte socialement surles ivresses adolescentes, on peut voir que ce n’estpas tant la question de l’alcoolisation en elle-mêmequi pose problème, mais bien plutôt le détournementdes normes de consommation socialementpréconisées… Que nos adolescents boivent,pourquoi pas, si tout au moins ils boivent commenous 2… Mais qu’ils préfèrent une ivresse intense àune innocente ébriété, qu’ils dépouillent l’acte deboire des oripeaux culturels dont on le pare

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traditionnellement 3, et l’on se retrouve vite confrontéde nouveau à notre alcoolophobie… Et peu importe que les alcoolisations massives etintenses fassent somme toute partie intégrante denos traditions populaires 4: nous ne pouvons nousempêcher de voir dans les ivresses adolescentes unmauvais usage d’un produit dangereux et toxique,justement parce qu’elles ne respectent pas lesusages, ou coutumes. Tout se passe comme si c’étaiten fait le comportement d’usage, et non la substanceelle-même, qui faisait la drogue. On peut percevoir,derrière cette façon de voir, nos réticences à définireffectivement l’alcool comme une drogue, toutsimplement parce que nous avons généralement decette notion une vision totalement fantasmatique, quine nous permet pas de faire le lien avec nos propresexpériences d’alcoolisation. Face à ce paradoxecognitif et culturel, n’est-il pas au fond plus simpled’évacuer le problème en affirmant que ce qui posequestion ce n’est pas tant que « notre » alcool soiteffectivement une drogue, mais bien plutôt le fait quenos jeunes l’utilisent en tant que telle… ?

Il est d’ailleurs à ce titre assez surprenant deconstater comment le discours sur le binge-drinkings’est tout naturellement greffé sur celui qui prévalaitjusqu’alors quant aux méfaits de « La Drogue » parmila jeunesse. On y retrouve les mêmes constats etmessages alarmistes à propos d’une génération enperte de repères, qui fuit la réalité, qui se « défonce »et se détruit, la même impuissance et la mêmeincompréhension de la part d’une population adultedépassée. Cette similitude dans les registres est loin de n’être qu’anecdotique. Les deux notionspermettent en effet tout à la fois de traiter de la peurpanique et de l’incompréhension des adultes faceaux nouvelles pratiques de la jeunesse, et del’exorciser en postulant qu’elle est le fait d’un objet «extérieur», inconnu et donc incontrôlable. Au fond,cette distinction que nous faisons ainsi entrel’alcoolisation de notre jeunesse et nos propresexpériences d’alcoolisation, ne présenterait-elle pasl’intérêt inconscient de nous éviter de remettrefondamentalement en question notre rapport culturelà l’alcool 5 ?

98 Ivresses adolescentes : l’apport de l’approche expérientielle / Julien Chambon

Cette façon que nous avons de présenter et depercevoir les choses est d’autant plus dommageableque, d’un point de vue strictement anthropologique,les alcoolisations de la jeunesse contemporaine sonttout autant légitimes que celles des générationsprécédentes. Sur le fond, les valeurs qu’elles portentsont d’ailleurs très similaires à celles que nousattribuons traditionnellement à l’alcool dans notreculture (hédonisme, altération de soi, convivialité,affirmation culturelle et identitaire) 6. La différenceentre ces nouvelles formes d’alcoolisation et lesnôtres est essentiellement contextuelle : nous avonstout simplement affaire à des adolescents qui ontgrandi dans une société addictogène 7, autrement ditqui baignent depuis leur plus jeune âge dans uneculture de l’intensité et de l’immédiateté, et quicherchent en conséquence à expérimenter des étatséthyliques plus intenses et plus rapides. Commentpourrait-il en être autrement dans notre sociétéd’hyperconsommation 8 ? Le constat s’imposed’ailleurs à tous, et contribue à alimenter notredésarroi : après tout, nous ne sommes qu’un infimerouage d’une machine qui fait boire / broie nosenfants… Mais là où nous avons tendance à faire un peu trop facilement aveu d’impuissance, neconviendrait-il pas plutôt de prendre acte de nospropres insuffisances ? Ne pourrions-nous pas, ainsi,mettre en regard notre difficulté à remettreobjectivement en question nos propresreprésentations collectives, à nous confronter sansdouleur à nos paradoxes culturels, à assumer plussereinement la réalité et la relativité de nos propresexpériences d’alcoolisation 9, et la difficulté de nosadolescents à se poser des limites et à remettre enquestion leurs propres alcoolisations ? D’ailleurscomment pourrions-nous blâmer nos adolescents dene pas garder le contrôle si nous-mêmes ne sommespas en mesure de leur proposer un cadre deréférences acceptable et cohérent ? Ne serait-il pasgrand temps de renouer le dialogue en confrontantnos expertises et nos difficultés respectives ?

Face à la réalité du binge-drinking, et plusglobalement à celle des conduites addictives, il noussemble donc urgent d’élaborer et de diffuser lesbases d’un langage commun nous permettant dedépassionner le débat, de « mettre à plat » les

représentations individuelles et collectives, dequestionner objectivement la place de l’alcool et desdrogues dans notre société, dans nos fêtes et dansnos vies. Ce langage commun, pour être valide etaccepté de tous, doit pouvoir faire écho auxexpériences de chacun, et nous rendre compréhensiblescelles des autres, quelles que soient leurs origines etleurs façons de faire. Ce n’est qu’à ce prix que nousparviendrons à nous mettre collectivement d’accordsur la nature réelle du problème, et que nouspourrons envisager des réponses adaptées auxréalités, aux attentes, aux besoins et auxinterrogations des uns et des autres. Dans cettelogique expérientielle, l’éducation préventive nesaurait se limiter, comme c’est aujourd’hui le cas, àreposer sur des pédagogies essentiellementinformatives et normatives, voire moralisantes, visanten tout cas l’exemplarité 10 et le risque zéro. Ces approches-là s’avèrent fondamentalementinsatisfaisantes, car en focalisant sur lescaractéristiques et sur la dangerosité du produit,elles ne tiennent absolument pas compte de laréalité des expériences des individus, del’environnement socio-culturel dans lequel ilsévoluent, et encore moins des bénéfices qu’ilspeuvent tirer de leur alcoolisation 11. Elles contribuentpar ailleurs à entretenir la confusion quant à lanature même du problème, en postulant qu’il estessentiellement d’ordre quantitatif et/ou qualitatif, là où il s’avère fondamentalement complexe etmultidimensionnel.

Intervenir dans le sens d’une approche expérientielleauprès des adolescents adeptes du binge-drinking,c’est au contraire viser à réintroduire de la logique,du sens, et de la rationalité dans les expériencesd’alcoolisation. Les objectifs sont multiples : • faciliter une meilleure compréhension des enjeuxindividuels, collectifs et culturels que sous-tendentles pratiques d’alcoolisation ;• analyser les effets de l’alcoolisation sur lepsychisme et les ressentis, et les corréler aux effetsrecherchés ;• reconnaître la relativité des expériences enfonction des individus, des contextes, et des modesd’alcoolisation ;• réfléchir collectivement et individuellement auxconséquences négatives et positives desalcoolisations;

• favoriser la connaissance de soi, de son rapport auplaisir, à la souffrance, à son mode de vie ;• et, last but not least, questionner le degré desatisfaction et d’insatisfaction de chacun, et samotivation au changement. Il doit cependant être bien entendu que ce travailauprès des jeunes les plus concernés, ne seraitd’aucune utilité s’il n’était pas inscrit dans uneapproche globale et systémique. Autrement dit, ils’agit avant tout de prendre conscience que cetteréalité de l’alcoolisation de nos jeunes est aussi – etavant tout – la nôtre, qu’il s’agit de questions intimesqui nous concernent et qui nous intéressent tous, etqui méritent en tant que telles toute notre attention,tous nos soins, et toute notre bienveillance.•

1 Jeannin J.-P. (2003), Gérer le risque alcool au travail,Chronique Sociale.2 Les adolescents français se voient offrir des verres d’alcooldans les réunions familiales.3 Boire à la bouteille et non pas dans le verre adéquat,évoquer les effets du produit plutôt que son goût, sa texture,privilégier un rythme de consommation personnel plutôt qu’unrythme collectif (tournées), etc.4 Cf notre tradition de ferias, carnavals, fêtes votives…5 Binge-drinking, biture-express : notre recours à desnéologismes barbares (notez les allitérations, le choc desconsonnes…) pour qualifier ces nouvelles pratiques neparticiperait-il pas de cette tentative maladroite d’exclusionculturelle ? D’ailleurs, malgré leur succès dans l’opinionpublique, ces termes sont globalement inconnus des jeunesles plus concernés…6 Des revendications qui sont d’ailleurs bien éloignées ducynisme, du nihilisme et de la désespérance que nous leurattribuons si facilement.7 Morela., Couteron J.-P., Fouilland P. (2010), L'Aide-mémoired'addictologie en 46 notions, Dunod.8 Lipovetsky G. (2006), Le bonheur paradoxal, Gallimard.9 Et plus globalement de nos expériences de plaisir au senslarge…10 Par exemple à travers des témoignages d’anciens « déviants »rentrés dans le droit chemin.11 Ce qui exclut par exemple de se limiter aux aspectsnégatifs, notamment d’un point de vue médical, d’uneconsommation donnée, selon le principe que l’on ne boit pasde l’alcool pour faire un cancer ou un coma éthylique.

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Elle accorde à la situation de consommation un poidsimportant dans l’orientation des conduites, mais apeu à dire sur les riches significations rituelles etsociales revêtues par l’alcool à travers le globe, dontle rôle dans la canalisation et la manifestation deseffets de l’ébriété est pourtant déterminant.

Le rôle des croyances culturelles dans le lienalcool-violence

Dans une étude portant sur plusieurs dizaines desociétés traditionnelles différentes, l’anthropologueJames Shaefer a conclu qu’à travers tous lescontextes culturels étudiés, l’ébriété masculine étaitune constante, mais que dans seulement la moitiédes cultures des bagarres s’ensuivaient. Par exemple,les membres de la tribu bolivienne des Camba fontl’expérience d’une alcoolisation extrême deux foispar mois, sans qu’aucune forme de violence verbaleou physique n’y soit consécutivement observée. Al’inverse, dans une société traditionnelle de Finlandeoù de telles beuveries régulières étaient égalementorganisées, les violences graves étaient fréquentes.Ces deux exemples soulignent que les effetscomportementaux qu’induisent les ivresses sonttoujours inscrites dans des systèmes normatifs etsont irréductibles au prisme psychopharmacologique.Les significations sociales et les effets imputés àl’alcool se développent dès le plus jeune âge : on ademandé à des enfants américains âgés de 8 ansquelles seraient les conséquences s’ilsconsommaient de l’alcool (par rapport à une boissoncontrôle, le thé glacé). Ceux-ci ont répondu quel’alcool les conduirait davantage à blesserverbalement les autres et à se bagarrer. Chez lesadultes, la consommation d’alcool est communémentassortie d’anticipations quant à ses effets. Parexemple, le simple fait de croire que l’on aconsommé une boisson alcoolisée conduit lesconsommateurs à se trouver plus séduisants (Bègueet al., sous presse). Les croyances selon lesquellesl’alcool rend agressif contribuent à moduler larelation entre les consommations et les violencesauto-reportées. Selon une enquête française, laconsommation d’alcool est liée au nombre decomportements violents auto-reportés uniquementpour les personnes qui pensaient que l’alcool lesrendaient agressives. Cet effet persistait lorsque l’oncontrôlait leurs prédispositions agressives (Subra &Bègue, 2009). Dans une autre étude, il a été montré

Les effets de l’alcool sur le fonctionnementcognitif

Selon la perspective dite de la « perturbationcognitive », les propriétés pharmacologiques del’alcool affectent les processus cognitifs contrôlés entouchant les fonctions cognitives exécutives, dont onconnaît par ailleurs l’implication dans les conduitesagressives (Giancola, 2004). L’un des effets bienconnu de l’alcool est d’altérer les capacités detraitement de l’information. Lorsque l’individu estalcoolisé, les informations périphériques,perceptivement éloignées ou complexes, sontsoumises à des distorsions ou sont purement etsimplement ignorées (par exemple, les conséquencesà long terme de l’action) tandis que les informationsles plus saillantes de la situation immédiate (parexemple l’intimité sociale, le désir sexuel, oul’irritation) influencent de manière excessive lecomportement et les émotions. Ainsi, l’effet del’alcool sur les capacités cognitives permetd’expliquer pourquoi l’alcool augmente le biaisd’intentionnalité, qui est une tendance générale àconsidérer qu’un acte donné, notamment lorsque sacausalité est ambigüe, est intentionnel plutôtqu’accidentel (Bègue et al., 2010). Une simplebousculade sera donc jugée plus hostile lorsque l’ona bu que si l’on est à jeûn.Après une consommation d’alcool, l’interprétation dela situation qui s’offre à l’individu est appauvrie. Cedernier accorde un poids excessif aux informationsles plus centrales : c’est la myopie alcoolique(Giancola & Corman, 2007). Selon la théorie du mêmenom, l’effet de l’alcool sur le comportement seraitparticulièrement sensible dans des situations où ilexiste ordinairement un conflit entre des informationsqui initient un comportement (par exemple uneprovocation) et celles qui l’inhibent (par exemple lapeur des conséquences d’une bagarre). La myopiealcoolique conduit à minimiser les informationsinhibitrices au bénéfice des informationsinstigatrices. Les conduites dites « désinhibées »résultent donc de l’interaction entre l’altération descapacités cognitives de l’individu et la présenced’indices particuliers qui influencent le comportementdans une situation donnée. La perspective insistantsur les perturbations cognitives liées à l’alcool restenéanmoins insuffisante pour expliquer tous lesphénomènes comportementaux associés à ce produit.

Les études épidémiologiques nous montrent quel’alcool constitue la substance psychotrope la plusfortement liée au comportement agressif. Dans uneétude agrégeant plus de 9300 cas issus de 11 paysdifférents, il a été constaté que 62% des auteurs deviolence grave avaient bu au moment de commettreleurs actes ou peu de temps avant. En toute rigueur,le fait que l’alcool soit fréquemment impliqué dansles épisodes agressifs du côté de l’auteur mais ausside celui de la victime (Bègue et al., 2012) nedémontre évidemment pas qu’il soit causalement oudirectement responsable des actes agressifs. Il sepourrait également que la tendance à boire del’alcool et celle à l’agression résultent conjointementde diverses variables individuelles ou situationnelles.Par exemple, la qualité des liens sociaux est reliéechez les adolescents à la réalisation d’actes deviolences et à l’utilisation excessive d’alcool (Bègue

L’alcool rend-ilviolent ?

Pr Laurent Begue, spécialiste en psychologie sociale,Université de Grenoble (38)

L’alcool rend-il violent ? / Pr Laurent Begue 11

& Roché, 2008). Parmi les variables individuelles, onpourra mentionner l’imitation de consommationsexcessives et de violence observées dansl’environnement familial, ou encore le faible contrôlepar l’individu de ses impulsions. Il faut ajouter quede nombreuses situations sont génératrices d’un lienentre alcool et agression. Tout d’abord, laconsommation d’alcool se déroule souvent dans descontextes où plusieurs facteurs liés à la violenceapparaissent conjointement : les lieux sont bondés,et les normes de conduite conventionnelle peucontraignantes. Parmi certains groupes, laconsommation excessive est elle-même souventinitiée comme un aspect d’un style de vie déviant. Enplus de ces corrélats situationnels, la violence dansles bars résulte fréquemment d’une tentativemanquée d’obtenir encore de l’alcool. En outre, lesbouteilles et les verres qui le contiennent sont parfoisutilisés comme des armes : selon une étude, uneutilisation agressive des bouteilles ou des verresétait observée dans 19% des incidents violents dansles bars. Enfin, il semble que les forces de l’ordredétectent plus fréquemment les auteurs de violencequi sont ivres que les autres.

Les méta-analyses réalisées sur les étudesexpérimentales concluent à un effet causal del’alcool sur les conduites agressives des hommes etdes femmes (Bègue & Subra, 2008). Cet effet estbiphasique : l’agression est généralement constatéedans la phase ascendante de l’alcoolémie, tandis quedurant la phase qui suit le pic d’alcoolémie, un effetsédatif est dominant. L’alcool ne constitue pas,toutefois, une cause nécessaire, ni une causesuffisante pour déclencher une agression. Dans lesrecherches expérimentales, lorsque des sujetsalcoolisés ne sont pas provoqués, il est rare qu’ils semontrent agressifs. L’absence d’agression sousl’influence de l’alcool lorsqu’il n’y a pas d’instigationlimite donc certaines explicationsneuropharmacologiques qui indiquent que l’alcoolseul « désinhiberait » par la libération de dopamine,la diminution de sérotonine, ou en interagissant avecd’autres neurotransmetteurs. ... / ...

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différentes, provoquant 2,3 millions de décèsprécoces dans le monde dont 195 000 en Europe.Depuis les années 70 et en conséquence desdifférentes mesures de santé publique appliquées, onconstate que la consommation des pays d’Europe del'ouest et du sud tend à diminuer, tandis que celledes pays d’Europe centrale ou de l’est augmentedepuis leur adhésion.Dans le même temps, les études et recherches sur laconsommation d’alcool et ses conséquences se sontaméliorées depuis une trentaine d’années. Des analyses et des rapports de référence sontrégulièrement publiés par l’OMS ou la CommissionEuropéenne notamment et de nouveaux indicateurssont en cours d’élaboration, comme les modes deconsommation selon les groupes, la santé et l’impactsocial ou encore les impacts sur l’économie et ledéveloppement.Aujourd’hui, nous savons que la prévention du risquealcool fonctionne lorsque qu’elle combine des mesurespolitiques, des actions de sensibilisation etd’accompagnement, l’évaluation périodique des stratégies mises en œuvre, la coopération entreles acteurs, les échanges de pratique... Mais cettecombinaison nécessite que les situations territorialessoient étudiées et fassent l’objet de diagnosticsprécis, car de nombreuses disparités existent entreles pays, les villes, les quartiers, les publics, lespolitiques mises en œuvre, etc.

Les différentes approches de la consommationd’alcoolAlfred Uhl, Coordinateur du département «Rechercheet prévention des addictions» au sein de l’InstitutAnton Porksch de Vienne, a apporté un éclairageculturel sur les usages d’alcool et la place desactions de prévention. Un certain nombre de constatscomme «l’alcool est dangereux pour les jeunes», « l’alcool favorise la violence», ou encore «si l’alcooln’était pas accessible, il n’y aurait plus de problèmes »,induisent que la solution au problème est simple.

Le 18 octobre 2011, le Centre d’Études parlementairesde Bruxelles a organisé un colloque sur le thème desstratégies de réduction des risques alcool en Europe.28 participants venus de 12 pays européens et de laSuisse étaient présents. Ces professionnels étaientprincipalement issus d’universités, d’instituts derecherche en santé ou spécialisés (en santé mentale,cancer, foie), de l’industrie alcoolière, de Ministères(finances, santé publique, affaires sociales), del’industrie pharmaceutique et de quelques (rares)associations. Cette journée a été marquée parl’absence de professionnels de terrain au sein desparticipants ; à l’inverse, beaucoup de représentantsd’industries alcoolières étaient présents, avec desdiscours rodés, malgré une posture ambigüe entre «marketing adapté à la prévention» et objectifs devente toujours plus élevés. Autre point d’étonnement:le choix hétéroclite des invités, qui rendait flou le lienentre les différentes interventions. La place manifestelaissée au secteur privé (alcooliers, cliniques privées)laissait dubitatif.

Quelques chiffres européensMaria Renström, Directrice au sein du Ministère dela santé et des affaires sociales de Suède, a introduitla journée en rappelant qu’en Europe, la consommationd’alcool est deux fois plus élevée que dans le restedu monde. Son usage est à l’origine de 60 maladies

que le simple fait de croire que l’on a consommé del’alcool, ou d’être exposé à des mots liés à l’alcool demanière subliminale augmentait les conduitesd’agression après une provocation (Bègue et al., 2009;Subra et al., 2010). On a également observé quel’effet de l’alcool était modulé par la personnalité duconsommateur : l’alcool a ainsi un effet plus néfastesur les personnes ayant une tendance générale àl’agression, et notamment celles qui ont un niveauélevé à des mesures psychométriques d’irritabilité,d’attitudes favorables à la violence, de ruminationshostiles, de conflit marital, de narcissisme et derecherche de sensation ainsi que celles qui ont unbas niveau à des mesures standardisées deconscience de soi, d’auto-contrôle, d’empathie et defonctionnement exécutif (Giancola et al., 2012).

L’origine des croyances concernant l’ébriété estmultiple. On peut supposer qu’en plus de l’expériencepersonnelle, les modèles jouent un rôle important.L’association entre agression et alcool estparfaitement reflétée dans les médias populaires.David Mc Intosh et ses collègues (1999) ont codé etanalysé les comportements de 832 personnagesbuveurs ou non buveurs d’alcool apparaissant dans100 films tirés aléatoirement parmi les plus grandssuccès en salle entre 1940 et 1990. Par rapport à desnon-consommateurs, les personnages qui buvaientde l’alcool étaient beaucoup plus souvent agressifs.•

BibiographieBègue, L., Perez-Diaz, C., Subra, B., Ceaux, E., Arvers, P.,Bricout, V., Roché, S., & Swendsen, J. (2012). The role ofalcohol in female victimization : findings from a frenchrepresentative sample. Substance Use and Misuse, 47, 1-11.Bègue, L., Bushman, B., Zerhouni, O., Subra, B., & Ourabah, M.(2012). “'Beauty is in the Eye of the Beer Holder' : People WhoThink They are Drunk also Think They are Attractive". BritishJournal of Psychology, in pressBègue, L. & Subra, B. (2008). “Alcohol and Aggression:Perspectives on Controlled and Uncontrolled SocialInformation Processing”. Social and Personality PsychologyCompass, 2, 511-538.Bègue, L., Subra, B., Arvers, P., Muller, D., Bricout, V. &Zorman, M. (2009). “A Message in a Bottle: ExtrapharmacologicalEffects of Alcohol on Aggression”. Journal of ExperimentalSocial Psychology, 45, 137-142. Bègue, L., & Roché, S. (2009). “Multidimensional SocialControl Variables as Predictors of Drunkenness among FrenchAdolescents”. Journal of Adolescence, 32, 171-191. Bègue, L. (2010). L’agression humaine. Paris : Dunod.Bègue, L., Bushman, B., Giancola, P., Subra, B., Rosset, E.(2010). “There is No Such Thing as an Accident,’ EspeciallyWhen People are Drunk”. Personality and Social PsychologyBulletin, 36, 1301–1304. Bushman, B., & Cooper, H. (1990). “Effects of alcohol onhuman aggression: an integrative research review”.Psychological Bulletin, 107, 3, 341-354.Giancola, P., Parrott, D., Silvia, P., DeWall, C., Bègue, L. Subra,B., Duke, A & Bushman, B.A. (2011). “The Disguise of Sobriety :Unveiled by Alcohol in Persons with an AggressivePersonality”. Journal of Personality, 80, 163-185.Giancola, P.R. (2004). “Executive functioning and alcohol-related aggression”. Journal of Abnormal Psychology, 113,541–555.Giancola, P.R., & Corman, M.D. (2007). “Alcohol andaggression : a test of the attention-allocation model”.Psychological Science, 18, 649-655.McIntosh, D. (1999). Nondrinkers in films from 1940 to 1989.Journal of Applied Social Psychology, 29, 6, 1191-1199.Subra, B., Muller, D., Bègue, L., Bushman, B.J., & Delmas, F.(2010). “Automatic Effects of Alcohol and Aggressive Cues onAggressive Thoughts and Behaviors”. Personality and SocialPsychology Bulletin, 36, 1052-1057.Subra, B. & Bègue, L. (2009). « Le rôle des attentes dans larelation alcool-agression ». Alcoologie et Addictologie, 31, 5-11.

Psychologie du bien et du malÉditions Odile Jacob, 2011 Le dernier ouvrage de LaurentBègue aborde les questions del’éthique, de la justice, de la moraleet des normes, qui éclairent lanotion d’agressivité. Règlesmorales sous-tendant nosconduites, développement de la

conscience morale et de l’empathie, poids desconvictions, ce livre rassemble exemples et étudesscientifiques récentes sur la façon dont les notions debien et de mal se forment en chacun de nous. Au sommaire Le moi moral - La police des normes -Morale humaine et animalité - Très sociaux, donc trèsmoraux ? - L'apprentissage des normes - Éthiquemimétique - Morale dans les limites de la simple raison -Émotions et rationalisations morales - La moralisationdes victimes - Le théâtre moral - Situations immorales -Succomber à la tentation

12 L’alcool rend-il violent ? / Pr Laurent Begue

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La réduction durisque alcool en EuropeDominique Meunier, Responsable de projet, Fédération AddictionSterenn Bohelay, Educatrice, Centre Rimbaud, Coordinatrice Collectif FMR/ CJC Montbrison

Les travaux de Pittman en 1967 mettent en évidencedifférents types de cultures : celles qui favorisentl’abstinence, les cultures ambivalentes, permissives,voire ultra permissives. Ainsi, les pays d’Europe duNord, sous l’influence protestante, ont davantageune culture ambivalente (toute consommationd’alcool est mise en doute, les mesures d’interdictionsont favorisées). Du fait de l’influence catholique, lespays d’Europe du sud sont quant à eux, plutôt deculture permissive. En matière de politiques publiques, il existeglobalement deux approches : l’approchepopulationnelle et l’approche individuelle.

L’approche populationnelle :• vise à réduire globalement les consommations etdonc les problèmes qui en découlent• agit sur les prix, sur les horaires des lieux d’achatou ceux des lieux de sorties…• est une approche contrôlante, répressive etpaternaliste• affirme que l’alcool est le problème central

L’approche individuelle, pour sa part :• vise à réduire les problèmes liés à l’alcool et doncla consommation d’alcool• utilise l’information, l’éducation, la prévention desrisques et dommages, l’accompagnement dans la

sociales ainsi que sur leur parcours professionnel.Puis un diagnostic de type psychiatrique a été mené,abordant notamment les conduites addictives. Concernant le diagnostic « santé mentale etaddiction » : • 70% des personnes interviewées sont alcoolodépendantes ; un peu moins de 50% consommentdes substances psychoactives • 45% présentent un stress post-traumatique• un peu plus de 20% sont psychotiques ; 17% ontdes troubles de la personnalité significatifsConcernant les évènements négatifs traversés durantleur enfance : • 45% se sont sentis ignorés par leur famille• 43% ont été victimes de violence psychologique• 35% ont subi des violences physiques• 15% ont été abusés sexuellement• 40% se sont sentis négligés au sein de leur foyer• 15% ont souffert de malnutritionDu point de vue des relations familiales et sociales : • 47% n’étaient pas proches de leur père dans leurenfance et 45% ne le sont toujours pas actuellement• 31% n’étaient pas proches de leur mère dans leurenfance et 31% ne le sont toujours pas actuellement• 37% ne sont pas proches de leur(s) frère(s) et /ousœur(s)• plus de 28% d’entre eux, considèrent qu’ils n’ontaucun ami proche (désaffiliation sociale)Concernant les antécédents familiaux en matièred’usage abusif d’alcool, pour 34% d’entre eux le pèreest concerné ; pour 22%, il s’agit de la mère. Au Royaume-Uni, on estime que 20% de lapopulation générale est potentiellement en situationde précarité. Ce sont globalement des travailleurspauvres, des familles recomposées, des étudiants.Entre 2 et 3% de la population générale se trouvedans une situation de très grande précarité. Ces personnes rencontrent diverses problématiques :des troubles psychiatriques importants, de gravesproblèmes de santé, un usage important desubstances psychoactives (notamment les jeunes),une déscolarisation, sans emploi, sans qualification,sans savoir de base.

ConclusionBeaucoup de constats, de chiffres ou d’études ontété mis en valeur, qui présentaient leur intérêt, maispeu d’innovations, de créativité en matière d’outils etde postures d’accompagnement. Seul Alfred Uhl

La réduction du risque alcool en Europe / Dominique Meunier, Sterenn Bohelay 15

durée, la gestion des consommations…• vise l’autonomie et l’émancipation du sujet• affirme que les facteurs déclenchant l’abusd’alcool (anxiété, troubles de l’humeur, dépression,autres addictions,…) sont au centreDifférents rapports de référence publiés depuis 35ans tendent à montrer qu’en matière de politiquespubliques concernant la consommation d’alcool, lecontrôle et la restriction sont des outils effectifs etpeu chers, alors que la prévention et les thérapiessont inefficaces et coûteuses. Faut-il pour autantarrêter toute action de prévention ? Un équilibre estplutôt à trouver entre ces formes de réponses,qu’elles soient répressives ou préventives et enfonction des besoins des publics (voir le tableau ci-dessous).

Alcool, pauvreté, précaritéLe Dr Adrian Bonner, directeur de l’institut d’étudesen alcoologie de l’université du Kent (Royaume Uni),s’est intéressé aux parcours individuels despersonnes ayant vécu à la rue. Pour ce public, l’alcoolest un élément du processus progressif d’exclusionsociale.Un travail a été mené auprès de 967 SDF, à l’aide«d’interviews-diagnostic » réalisés entre janvier 2006et avril 2009, sur 7 territoires géographiques duRoyaume Uni. Les personnes ont été interrogées surleur éducation et leur scolarité, leurs relations

semblait porter un discours pluridisciplinaire etindividualisé. On note également peu de réflexion defond sur la notion de « réduction des risques liés àl’alcool », et l’absence de débat autour de la notiond’abstinence. La réaffirmation de la nécessité d’uneapproche multidimensionnelle vient se heurter à ladiversité des politiques nationales des Etatsmembres et aux enjeux économiques prédominants. Ce colloque a réaffirmé indirectement la placeparticulière de la France dans la réduction desrisques alcool, une approche qu’elle développe plusque ses voisins. •

Quel impact ?

Impact faibleReste chers dans les restaurants (dimension sociale importante)

Elles n’existent pas dans tous les pays (hétérogénéité) N’est donc pas un réel levier.

Se retrouver, se rencontrer est plus important que l’alcool.Les groupes trouvent des lieux de socialisation.

Contreproductif et non réaliste (recours aux ainés)

Stabilise les monopoles

Pertinent surtout dans les zones difficiles

Utile mais n’est pas la panacée

Centrale dans l’éducation et la promotion de la santé. S’appuie sur l’information, le renforcement des compétences, l’autonomisation,…

Sont à diversifier. Absolument nécessaires

Impacts mesurés des différents outilsQuels leviers d’action ?

Les prix

Les licences autorisant le débit de boissons

Les horaires des lieux d’achat ou des lieux de sorties

L’âge autorisé

Interdire la publicité

Les pairs, la communauté

Intervention brève

La prévention

Les traitements

Alcool et jeunes : quelle législation en France ? Code de la santé publique* Article L3323-2 - La publicité en faveur des boissons alcooliquesest interdite dans les publications destinées à la jeunesse.* Article L3323-5 - Il est interdit de remettre, distribuer ou envoyerà des mineurs des documents ou objets nommant ou représentantune boisson alcoolique.* Article L3335-1 - Les établissements scolaires sont des édificesprotégés autour desquels la création de débits de boissons peutêtre interdite.* Article L3342-1 - La vente ou l’offre à titre gratuit de boissonsalcooliques à des mineurs est interdite dans les débits deboissons et tous commerces ou lieux publics. La personne quidélivre la boisson peut exiger du client qu’il établisse la preuve desa majorité.* Article L3342-3 - Il est interdit de recevoir dans un débit deboissons un mineur de moins de 16 ans non accompagné d’unepersonne majeure.* Article L3353-4 - Toute personne faisant boire un mineur jusqu’àl’ivresse encourt une peine de prison et une amende et peut êtredéchue de l’autorité parentale.Code du Tourisme* Article D314-1 - L’heure limite de fermeture des discothèquesétant fixée à 7 heures du matin, la vente de boissons alcooliquesn’est plus autorisée pendant l’heure et demie précédant lafermeture.Circulaires de l’Education nationale* Circulaire du 1er décembre 2003 relative à la santé des élèves* Circulaire du 20 septembre 1999 relative à la campagne de luttecontre la consommation excessive d’alcool auprès des lycéens* Circulaire du 1er juillet 1998 sur la prévention des conduites àrisques et les comités d’éducation à la santé et à la citoyenneté* Circulaire du 31 mai 1996 sur les jeunes et l’alcool* Circulaire du 3 septembre 1981 stipulant qu’aucune boissonalcoolique ne peut être servie à l’intérieur d’un établissementscolaireSource : Service Documentation de l’Anpaa, Alcool - Mémento législatif, octobre2011, www.anpaa.asso.fr

nécessaire d’apporter soutien ou prise en charge. Lemodèle proposé repose sur 4 types d’interventionsspécifiques, indiquées dans le schéma ci-dessous 7 :

La prise en charge doit rester l’exception ultime. La responsabilité du développement des jeunes separtage avec l’ensemble de la communauté. C'estdans ce quotidien partagé que l’on peut observer,être attentif, comprendre la situation dans lequel setrouve le jeune. C’est cette attitude de vigilance quiva aider à détecter des situations de fragilité ou desouffrance. C’est au quotidien que se construit lecontact, que se noue le lien de confiance qui vapermettre de porter une attention soutenue à l’enfantou au jeune. Il est d’autant plus nécessaire de sedonner du temps, de ne pas se montrer intrusif pourréussir à établir progressivement une relation aveclui.

Les écueils à prendre en considération

• Développer un concept se basant uniquementsur la notion de repérage au détriment de lapromotion de l'environnement.

L’Intervention précoce comporte le risque d’oublierles facteurs sociaux et environnementaux. On peutvite en faire abstraction pour ne désigner que despersonnes et des comportements. Qu’en est-il, parexemple, de la désoccupation de nombreux jeunes,des ruptures dans une trajectoire de formation ouencore de la difficulté d’accès à la formation ? Il nesuffit à l'évidence pas de repérer les jeunes en vuede les orienter, mais il est bien sûr nécessaire defavoriser un travail structurel au niveau du contexteéconomique qui ne génère pas suffisamment

L’intervention précoce, un champ de tension

Le concept d’Intervention précoce en offre une belleillustration. Intervenir plus tôt, afin de venir ensoutien à des situations avant qu’elles ne deviennenttrop complexes, voilà un bon projet, autour duqueltous les professionnels peuvent se rallier. Vraiment ?

À y regarder de plus près, ce n’est pas si évident. Lesparties prenantes sont nombreuses et portent despréoccupations fort différentes (coûts du ramassagedes déchets, tranquillité des riverains, concurrenceentre distribution et restauration, etc.). Derrière cesmots magiques se cachent aussi des compréhensionsdifférentes de la question.

Intervenir, mais pour quoi faire ? Ce n’est pas lamême chose d’intervenir pour « nettoyer l’espacepublic », pour limiter la délinquance, pour prévenirdes dépendances futures ou pour agir dans unelogique de promotion sociale.

La proposition de l’INSERM sur le dépistage de ladélinquance à partir de 36 mois, reprise par legouvernement de M. Fillon, est là pour nous lerappeler 5. Les appréciations divergent fortement surce qu’il convient de faire et à partir de quand. Ainsi,l’intervention précoce auprès des jeunes nous obligeà bien clarifier ces questions. Le bagage accumulédans les différents domaines des politiques addiction(notamment sur les drogues illégales) nous permet demettre en lumière des écueils que nous devons éviter.En Suisse aussi, l’intervention précoce souffre de cescontradictions. Identifier est une chose. Cela ne ditrien sur ce qui sera fait par la suite. Que cherche-t-onà faire en « individualisant » les problématiques deconsommation de substance ? Veut-on venir en aideà une souffrance exprimée ou tombe-t-on dans unetentation de « neutralisation » des problèmessociaux ?

Le concept d'intervention précoce

Pour tenter d’encadrer la mise en œuvre du conceptd’intervention précoce et d’éviter les dangersindiqués ci-dessus, le GREA a réalisé un travailcollectif de conceptualisation de cette démarche 6.L’intervention précoce a pour objectifs de mettre enplace, dans une communauté, les meilleuresconditions pour favoriser la santé et le bien être,comme de repérer dans les meilleurs délais desjeunes en situation de vulnérabilité auquel il est

En Suisse : alcool et intervention précoce / Jean-Félix Savary, Christophe Mani, Guy Musy, Nathalie Arbellay 17En Suisse: alcoolet intervention précoce La question de l’alcool chez les jeunes est aujourd’hui

devenue très présente dans l’espace politique suisse.Pour la première fois de son histoire, en 2008, laSuisse s’est dotée d’un plan d’action en matièred’alcool, avec le Programme National Alcool.Parallèlement, le Parlement est saisi d’une révisionlégislative de la loi sur l’alcool 1. Dans les deux cas,les mineurs se retrouvent tout particulièrementciblés, à la fois dans le discours et dans les mesuresproposées. Cette priorité paraît justifiée de primeabord, au vu de l’impact des consommations dejeunesse sur leurs trajectoires futures.

Il est important cependant de ne pas être dupe. Les adultes « responsables » restent les plus grosconsommateurs et c’est aussi à cette population,dans laquelle se recrutent les dépendants, qu’il fauts’adresser. L’ouverture du débat sur la gestion desexternalités 2 de la consommation d’alcool des jeunesne répond pas aux seules préoccupations desspécialistes de l’addiction. Dans le pays du « propreen ordre », le problème se pose d’abord et avant toutsous l’angle de l’occupation de l’espace public. Il s’agit de rendre nos rues plus calmes, plus propres,plus sûres et moins bruyantes. La consommation entant que telle, ses conséquences sur l’individu et sonentourage ne viennent qu’ensuite, et encore, faut-ilqu’elle soit présente !

Dans une société anxiogène et vieillissante, ilconvient de se demander si nous ne sommes pas en train de reporter nos peurs sur la jeunesse afind’éviter de nous questionner sur notre consommation« adulte » d’alcool. D’un autre côté, cependant, lesproblèmes d’alcoolisation aigüe des jeunes sont enaugmentation 3. Aujourd’hui, six mineurs arriventchaque jour en urgence dans un hôpital suisse pour« intoxication alcoolique » 4. Ils étaient cinq il n’y aque quelques années, et la courbe continue demonter. Les externalités de la consommation d’alcoolprennent également de l’ampleur et sont devenuesbeaucoup plus visibles. En tant que professionnelsdes addictions, c’est à nous qu’il revient de gérer ces tensions.

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De gauche à droite et de haut en bas :Jean-Félix Savary, Secrétaire général, Grea (Groupe Romandd’Études des Addictions)Christophe Mani, Directeur opérationnel, FASe (Fondation genevoise pour l'Animation socioculturelle)Guy Musy, Coordinateur de région, FASeNathalie Arbellay, Collaboratrice scientifique, Grea

« Notre jeunesse est mal élevée, elle se moque de l’auto-rité et n’a aucune espèce de respect pour les anciens. Nos enfants d’aujourd’hui ne se lèvent pas quand un vieillard entre dans une pièce, ils répondent à leurs parents et bavardent au lieu de travailler. Ils sont tous simplement mauvais.» Socrate, 440 av. JC

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En Suisse : alcool et intervention précoce / Jean-Félix Savary, Christophe Mani, Guy Musy, Nathalie Arbellay 19

un peu systématique à celui d’addiction, doit s’ancrerdans une conception large de la santé. Les comportements des individus prennent du sensen s’inscrivant dans des significations qui sontforcément collectives. Agir sur la personne seule niecette réalité pourtant bien connue dans le champ desaddictions.

Bien encadrée dans sa mise en œuvre, orientée surles besoins de personnes en situation de vulnérabilité,l’intervention précoce est porteuse d’espoir. Nousdevons donc nous atteler à la construction dedispositifs efficients destinés à venir en aide à desjeunes en situation de vulnérabilité et à utiliser demanière adéquate la méthodologie de l'interventionprécoce. Par contre, nous devons tout mettre enœuvre pour que le dispositif ne se retourne pascontre le jeune par les effets pervers qu’il peutproduire.•

n'est pas question ici de remettre en question lespartenariats, mais on constate que, sur le terrain, ilest parfois difficile d'en gérer les tenants et lesaboutissants.

En conclusion

Les professionnels peuvent se trouver pris dans desinterrogations éthiques, qui mettent en évidence desquestionnements d’ailleurs plus larges sur les limitesdes interventions, en particulier dans le travail deproximité avec des populations déjà stigmatisées.C’est pourquoi, il est fondamental que des règles decollaboration très claires soient établies entre lesdifférentes composantes du réseau professionnel. On fera tout particulièrement attention à la protectiondes données et au respect du principe d’opportunité(n’agir qu’en cas de nécessité avérée).

Les intervenants en addictions et leurs partenairesdoivent donc se positionner clairement vis-à-vis depossibles mandats venus du politique, par rapportaux champs et aux limites d'intervention desprofessionnels. Les institutions ont un rôled'accompagnement pour aider les collaborateurs àrenforcer leurs concepts d'intervention et pour lesaider à ne pas tomber dans les écueils qu'ils peuventrencontrer sur leur terrain professionnel, notammentliés aux attentes des multiples partenaires et auxdangers de stigmatisation. Cela nécessite création ou renforcement de canaux de communicationinstitutionnels, formation continue et travail depratiques réflexives.

Le concept d’intervention précoce est une opportunitépolitique que l’on peut saisir. Il nous donne denouveaux moyens d’intervention pour renforcer laprévention, notamment chez les jeunes. Sur leterrain, il ne doit jamais être appliqué « à la lettre »,dans une logique d’identification, d’enregistrementdes « cas » et de singularisation des comportements.Son utilité réside dans sa capacité à développer lapromotion de la santé et un environnement favorableau développement de tous. La consommation desubstances ne peut jamais être seulement uneproblématique individuelle. Toute la société estconcernée par les mécanismes de l’addiction. Le concept de maladie, que l’on associe de manière

• Risque d'étiquetage des situations devulnérabilité et risque de stigmatisation à longterme

Le risque d'étiquetage peut devenir un effet perversde l'intervention précoce. Il requiert donc toute notreattention. Les conséquences de l’étiquetage d'unjeune, comme étiquetage d'un groupe de population,voire même d'un quartier tout entier, peuvent êtrelourdes sur le long terme. À une plus large échelle, ilpeut exister un côté stigmatisant simplement dans lefait de désigner une population cible. Ainsi, d'uneintention très louable au départ, la situation pourraitse retourner contre les personnes, si toutes lesgaranties ne sont pas prises en insufflant unedémarche de ce type. C'est particulièrement vrai auniveau des interventions collectives.

Pour éviter cet écueil, il est important de ne pasenfermer les intervenants dans un devoir d’identifierceux qui ne vont pas bien, afin de démontrer à lacommunauté et aux financeurs leur utilité. Au quelcas, ce seul regard sur une réalité peut en lui-mêmerenforcer l'effet stigmatisant vis-à-vis despopulations abordées.

• Échange d’informations sensibles sur dessituations à l'intérieur d'une commune,quartier, dans le cadre du travail en réseau

Quelles informations échanger, avec qui et comment ?Le travail de réseau comporte certes de nombreuxavantages, dont celui de coordonner collectivementles actions et de proposer des interventionsconcertées. Mais il est nécessaire de poser deslimites et un cadre. La déontologie professionnelledoit présider à ce travail d'échange d'information. Les informations échangées le sont-elles toujoursdans l'intérêt du ou des jeunes ?

La transmission d’informations entre adultes estcertes fondamentale, notamment lorsqu’un jeune esten réelle situation de danger. Mais est-ce que toutesituation de ce type doit par définition faire partiedes informations qui sont apportées dans un réseau ?Est-ce qu’il est utile pour le jeune et pour sa familleque chacun soit au courant de la situation ? Lapossession d'informations données par d'autres peutdevenir délicate à gérer, notamment parce qu’ellepeut influencer le regard qui est porté sur le jeune. Il

d'emplois ou génère l'impression pour le jeune de nepas avoir sa place dans le système social existant.

Se focaliser sur une notion de « dépistage » desjeunes en situation de vulnérabilité comporteégalement le risque de sur-professionnaliser l’espacesocial. Dans un contexte sécuritaire, les regroupementsde jeunes deviennent une problématique en soi qu’ils’agit de traiter le plus rapidement possible. Lesjeunes ont aussi besoin d’espaces libres, de lieuxd’expressions, de faire des choses d’une manièreautonome sans le regard ou le contrôle de l’adulte. Le risque de professionnaliser l’espace social est deglisser vers un formatage des codes sociaux et lecontrôle social au détriment du bien-être des jeunes.

L’objectif de l’intervention précoce est d’apporter lebon soutien au bon moment pour éviter la rupture.Cela nécessite de centrer la démarche sur les réelsbesoins des jeunes, et non seulement sur lesprescriptions des autorités ou les inquiétudes desadultes.

• Pression du politique et du contexte local

Agir sur l'environnement prend du temps. Pourtant,les autorités demandent souvent aux intervenantsd'agir rapidement, voire dans l'urgence, pour faireface aux problèmes posés par les jeunes et faire queles résultats soient immédiatement visibles. Politiquesécuritaire aidant, le fantasme, voire l’attenteconcrète de certains représentants des autorités,peut être que l’intervention précoce devienne uneméthode de recensement de tous les jeunes qui « dérangent» dans un quartier ou une commune. Le risque existe qu’un outil résolument tourné versl’aide aux personnes en difficulté devienne un outiltrès intrusif de contrôle social.

Mais la réalité de terrain est parfois bien plus subtile.Les intervenants se trouvent souvent dans unesituation de tension qui rend leur positionnementdifficile. Pression non verbale, pression exercée plusou moins directement par les autorités, par lesservices communaux ou pression qu'ils se mettentenvers eux-mêmes par souci de bien faire. Leur souciest d'apporter des réponses aux attentes de leursinterlocuteurs.

1 Cette loi date de 1932.2 Les externalités sont les conséquences sociales desaddictions (sur la famille, l’espace et l’ordre public, etc.), en opposition aux conséquences sur la personne addict elle-même (impact sur la santé par exemple).3 Wicki M. ; Gmel, G. (2009) Alkohol IntoxikationenJugendlicher und junger Erwachsener. Ein Update derSekundäranalyse der Daten Schweizer Spitäler bis 2007.Lausanne. SFA.4 Addiction Suisse, étude sur les hospitalisations5 www.pasde0deconduite.org6 Brochure disponible gratuitement sur le sitewww.interventionprecoce.ch7 Intervention précoce, accompagner les jeunes en situationde vulnérabilité, GREA, 2010

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Les CJC : un outil au service d’une stratégie d’intervention précoce / Emma Tarlevé 2120

Consultations Jeunes Consommateurs des’intéresser « aux façons de ne pas entrer dansl’addiction » avant de se centrer sur « les façonsd’en sortir ». Puisqu’une grande partie des usagersmettent à profit leurs capacités d’autocontrôle pourlimiter les risques et ne pas devenir « malades », il va s’agir de minimiser davantage ce risque enproposant à chacun les moyens d’éviter lescomportements addictifs. Pour remplir cet objectif,les professionnels déterminent une gradation desréponses allant de la simple délivrance demessages généraux, jusqu’à l’orientation vers ledispositif spécialisé en passant par des conseilsprodigués durant une courte période. Cettestratégie s’élabore là où les jeunes se trouvent,dans les institutions ou dispositifs dont ils relèvent(éducation nationale, centres de formation,missions locales, PAEJ, MDA, Clubs de prévention,foyers etc.) à proximité des lieux qu’ils fréquentent,dans les espaces où ils sont en situation deconsommation. Le développement des possibilités de rencontrehors les murs, notamment en milieu festif, permetde créer des passerelles entre les actions deréduction des risques pendant les situations deconsommation et un temps de rencontre a posterioridans une dimension de soin. Ces actions dans lescontextes de consommations sont des occasions dedéstigmatiser les centres de soins ou ConsultationsJeunes Consommateurs et les suivis qui peuvent yêtre proposés.

Renforcer les compétences des acteurs depremier recours

Les professionnels en contact avec les jeunes(éducation nationale, foyers, missions locales,PAEJ, MDA etc…) expriment leur difficulté à lesorienter vers la Consultation. Même s’ilss’impliquent dans le repérage et l’orientation vers ledispositif spécialisé en addictologie, des obstaclessubsistent : la distance géographique, et le délaientre l’acceptation du principe du rendez-vous et lerendez-vous lui-même, compliquent la rencontre.Sur un territoire, la Consultation Jeunes Consommateursconstitue pour les institutions une ressource et unappui, qu’elles peuvent solliciter sur les conduitesaddictives chez les jeunes. Dotée d’une expertise, la

probablement dès que le jeune adulte trouverad’autres objets à investir. Il est donc important toutà la fois de ne pas « pathologiser » a priori cetteexpérimentation et de ne pas en minimiser lesconséquences sur la santé et sur la vie quotidiennede l’usager. Entre la prévention, qui intervient enamont de l’usage pour tenter de l’éviter ou d’enamoindrir les conséquences, le soin à ceux quisouffrent d’une dépendance à un ou plusieursproduit(s) psychotrope(s), et la réduction desrisques, autant de missions du CSAPA qu’il fautrendre cohérentes, la Consultation JeunesConsommateurs développe une stratégied’Intervention Précoce visant à raccourcir le délaientre les premiers signes d’une possible pathologieet la mise en œuvre de réponses adaptées. En sesituant à la croisée des chemins de la prévention etdu soin, la CJC permet, à un moment où cela estencore possible, d’influer sur le parcours, et d’éviterle passage par une addiction ou d’accélérer l’entréedans une prise en charge adaptée.

« Aller vers »

À l’adolescence, les usages, les conduites, peuvents’accompagner d’un déni ou d’une faible perceptiondu risque. Les jeunes ne s’identifient pas à l’imagede l’usager dépendant (« je ne suis pas un toxico »ou « je ne suis pas un alcoolique ») qui vient dans lescentres de soins, ne se reconnaissent donc pascomme des personnes ayant besoin d’une quelconqueprise en charge. Par conséquent, ils ne se rendentque très rarement de manière spontanée dans leslieux d’accueils spécialisés en addictologie. Lesjeunes qui se présentent à la Consultation JeunesConsommateurs ont le plus souvent été repéréscomme ayant une consommation ou un comportementproblématique, du point de vue de leur famille, desprofessionnels qui les entourent ou dans le cadred’une infraction à la loi : « je veux que tu veuilleschanger et je veux que tu demandes de l’aide pourun problème que je te dis que tu as ». Cependant, afin d’agir dès les premiers stades de laconsommation, avant même l’orientation judiciaireou la dégradation d’une situation dans la famille oudans une institution, il est nécessaire d’inverser lespriorités et, dans certaines situations, de privilégierla prévention ou l’intervention précoce et non,comme c’est souvent le cas, la répression ou lesoin. Il revient alors aux professionnels des

La CJC, un centre ressource sur la questiondes addictions chez les jeunes

Les Consultations Jeunes Consommateurs ont étécréées en 2004 pour répondre à la nécessitéd’adapter l’accueil et la clinique au regard de larareté des demandes d’aide exprimées par lesjeunes, et de répondre à l’inquiétude des parentsconcernant la consommation et le comportement deleur enfant. Rattachées depuis 2008 aux CSAPA etaux consultations hospitalières, les CJC deviennentun outil au service d’une stratégie qui vise àanticiper les risques de l’expérience addictive enagissant dès les premiers stades de la consommation(usage à usage nocif). Par ailleurs, centrées sur lecannabis à leur création, elles doivent désormaisrépondre aux mêmes besoins pour l’ensemble duchamp de l’addictologie, notamment au regard de la précocité des premières consommations d’alcool. Cette intégration dans l’organisation globale duCSAPA ou de la consultation hospitalière, qui lapérennise, pose la question de la stratégie pour endéfendre la spécificité. Il était donc nécessaire derendre plus visible cette mission en consolidant lespratiques professionnelles et en positionnant lesCJC comme centres ressources sur la question desaddictions chez les jeunes. Au regard de cet enjeu,la Direction Générale de la Santé et la MissionInterministérielle de Lutte contre la Drogue et laToxicomanie ont mandaté la Fédération Addictionpour mener pendant un an une réflexion collectivesur les pratiques professionnelles dans les CJC. La mobilisation de l’ensemble du réseau via lequestionnaire exploratoire (121 retours), lors desrencontres locales (165 personnes rencontrées) etdes journées régionales (344 participants) a permisde travailler à l’élaboration d’une identité communeen déterminant la spécificité d’un accueil et d’uneprise en charge adaptés au public jeune.Si l’étude a montré une diversité, voire unehétérogénéité des pratiques, les professionnels sesont accordés sur la nécessité de créer les conditionsqui facilitent la rencontre avec les jeunes consommateurset d’améliorer leur prise en charge.En effet, l’expérimentation de substancespsychoactives est un passage extrêmementfréquent à l’adolescence et reste une conduitespécifique en ce qu’elle recèle d’expérience, dedésir d’appartenance ou de processusd’identification qui s’atténuera et s’éteindra

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Emma Tarlevé, Chargée de projet, Fédération Addiction

Interview croisé / Le dialogue et l'information, sans modération 23

François Richard. Les jeunes qui viennent nousvoir en consultation – entre vingt et trente parsemaine en moyenne, âgés de 15 à 25 ans – sont leplus souvent adressés par des parents inquiets,principalement de la consommation de cannabis deleur enfant, un peu moins de leur consommationd’alcool. Les jeunes nous sont aussi adressés parles établissements scolaires et spécialisés, suite àdes comportements problématiques liés à l’alcool,et par les différentes structures auprès desquellesnous menons des actions de prévention tout au longde l’année. Enfin, certains jeunes, mais c’est plusrare, viennent d’eux-mêmes.

Actal. Quels objectifs visez-vous durant cetentretien ? Vous inscrivez-vous dans unedémarche d’offre de soins, une approcheéducative ?

Georges Brousse. Nous visons à poser laproblématique addictologique et à évaluer lapossibilité ou non d’une problématique psychiatriquesous-jacente. Nous les questionnons pour connaîtrele contexte de cette consommation d’alcool etsavoir s’il s’agit d’une ivresse ponctuelle ourépétée, d’un environnement festif avec descamarades ou d’une réponse à une problématiquepersonnelle de consommation dans un but derenforcement négatif, ou encore s’il y a desconsommations associées – tabac, cannabis,héroïne, cocaïne… Toute intoxication éthyliqueaigüe est au minimum un usage à risque, mais ilfaut savoir repérer des situations moins fréquentesd’abus ou de dépendance. Ensuite, nous cherchonspar des questions sondes à décrypter avec eux unepathologie psychiatrique sous-jacente, à connaîtreses relations avec autrui, sa situation scolaire, enfindes antécédents familiaux, pour nous orienter versun diagnostic. Il faut durant cette rencontre avoir undiscours de clarté et de vérité, et éviter de semettre en position de moralisateur, comme danscelle de « copain ».

François Richard. Nous cherchons, sans juger niprendre une position normative, à faire uneévaluation complète, à avoir une vision globale dela situation du jeune, de ses relations familiales,sociales, amicales, de ses activités. Sans forcément

Actal. Dans quel cadre recevez-vous lesjeunes ? En situation de crise, dans des casd’ivresse répétée ?

Georges Brousse. Notre unité d’urgencepsychiatrique et addictologique est insérée au cœurd’un service d’urgences médicales qui reçoit de 140 à 150 patients par jour pour divers problèmes,médicaux et chirurgicaux. Les jeunes que nousvoyons dans ce cadre ont été hospitalisés pour des manifestations somatiques ou psycho-comportementales liées à l’intolérance à l’alcool ou à des intoxications éthyliques aigües : troublesdu comportement sur la voie publique, manifestationssomatiques secondaires telles que coma éthyliqueou perte de connaissance. D’autres viennent suite àun accident de la route ou à une rixe en sortie deboîte de nuit. Nous les voyons le matin, après queles urgentistes ont pris en charge les troublessomatiques, après les soins et l’élimination del’alcool. Nous prenons alors le relais.

CJC a pour mission de soutenir la communautéadulte qui entoure le jeune. Un soutien aux équipes,dans leur pratique quotidienne, par des séancesd’analyse de situations problématiques par exemple,rend possible la construction de réponses cohérentes.Par ailleurs, la formation au repérage et à l’interventionbrève apporte aux professionnels des compétencespour aborder la question des conduites addictivesavec les jeunes ainsi que pour faciliter l’orientationvers la Consultation quand cela est nécessaire.

La pratique clinique dans les CJC s’inspire de ce quiest au cœur de l’addictologie : alliance thérapeutique,approche motivationnelle, intégration desapproches psychodynamiques, cognitivo-comportementales, travail avec les compétencesdes familles et les systèmes qu’elles composent.Les dispositifs les plus organisés (et dotés) ont pudévelopper des savoir-faire innovants enintervention précoce avec les dispositifs deprévention spécialisée, le milieu scolaire ou enmilieux festifs, des soirées étudiantes aux freepartys, des apéros géants aux nombreux festivals etautres tecknivals.•

Pour aller plus loin, télécharger le « guide CJC » surnotre site internet : www.federationaddiction.fr

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22 Les CJC : un outil au service d’une stratégie d’intervention précoce / Emma Tarlevé

Le dialogue etl'information,sans modération

Georges Brousse, responsable des urgences psychiatriques et addictologue, CHU de Clermont-Ferrand (63)François Richard, éducateur à la Consultation Jeunes Consommateurs Caan’Abus, Bordeaux (33)

L’un reçoit les jeunes en urgencehospitalière, l’autre en consultationjeunes consommateurs. Les deuxcherchent à évaluer, échanger,orienter. Entretien avec GeorgesBrousse, responsable desurgences psychiatriques etaddictologue au CHU de Clermont-Ferrand, et François Richard,éducateur à la Consultation JeunesConsommateurs Caan’Abus, àBordeaux.

Interview croisé / Le dialogue et l'information, sans modération 25

d’alcoolisation aigüe. Si ces ivresses sont répétées,il peut y avoir une problématique psychiatrique. Le plus inquiétant est le mésusager invisible, quiconsomme régulièrement, maîtrise sa consommationd’alcool et que l’on ne voit pas aux urgences. Pourles plus jeunes, de moins de 18 ans qui sont endehors de ces modalités de consommation, laproblématique se renverse, le plus souvent liée àdes pathologies psychiatriques sous-jacentes, desproblématiques de mal être et de dysfonctionnementfamilial.

François Richard. Les consommations sontessentiellement festives et liées à la problématiqueadolescente avec le goût de l’expérimentation, letest des limites, la mise en danger. L’alcoolisationexcessive peut aussi être liée à des difficultéspersonnelles et relationnelles avec l’environnementfamilial, amical, ou à des échecs scolaires. Lesalcoolisations massives semblent avoir augmenté etl'âge des premières ivresses diminue ; nous voyonsaussi de plus en plus d'ivresses chez les jeunesfilles.•

risques encourus et tous types de réponses enfonction de l’évaluation effectuée durant l’entretien,et le jeune repartira, autant que possible,accompagné. Si une problématique liée à desaddictions a été évaluée, on conseille un rendez-vous avec un centre de consultation, au Csapa ouavec le médecin traitant, ce qui n’est pas facile carcela arrive souvent le week-end ; si on évalue unepathologie psychiatrique associée, ce qui arrivedans 10 % des cas, on met en place un suivi vers uncentre de consultation pour jeunes et on propose derepasser dans la semaine dans notre service deconsultation ambulatoire. Quand les jeunes sont vuspar un membre de notre équipe qui leur propose derevenir les voir, quand le contact s’est bien passé, letaux de retour est de 90 à 95 %.

François Richard. Nous proposons habituellementde rencontrer le jeune sur trois entretiens. Si l’alcoolisation n’a été qu’un accident deconsommation, l’information suffira. Mais si lebesoin d’un travail plus long apparaît, alors nous lesuivons, bien entendu, le temps qu'il faut. En cas dedifficultés plus importantes, comme une comorbiditépsychiatrique par exemple, nous orientons le jeunevers une prise en charge médicalisée. Caan’Abusest géré par trois structures : l'Association Nationale dePrévention en Alcoologie et Addictologie (ANPAA),le Csapa (centre de soins d'accompagnement et deprévention en addictologie) de l’hôpital CharlesPerrens, et le Comité d'Étude et d'Information surles Drogues et les addictions (CEID). Nous l’orientons vers un médecin de ces structures.Plus régulièrement, nous accompagnons le jeunedans une réflexion sur ses consommations, sur lesrisques liés à la consommation du produit, commentles limiter, et sur ce qui peut être compliqué dans sa vie. Nous pouvons accompagner l'entourageégalement et proposer, en cas de situations complexes,des thérapies familiales avec les parents.

Quelles situations rencontrez-vous le plussouvent ?

Georges Brousse. Il s’agit majoritairement del’usage festif par des jeunes de 18-25 ans dessoirées étudiantes du jeudi et des soirées duvendredi et samedi soir avec une période courte

attaquer d’emblée la question des consommations,nous évaluons peu à peu la place de la consommationdans la vie du jeune, si elle est occasionnelle ou sielle s'inscrit dans un fonctionnement plus généralde mal-être. Nous essayons aussi dans la mesuredu possible de rencontrer les parents ou l'entouragequi fait la demande de prise en charge. Notreobjectif est de créer une alliance thérapeutique avec le jeune, base d'une relation constructive. Pourcela, toute l’équipe de Caan’Abus – animatrice,éducateurs, médecin, psychologues – a été forméeà l’entretien motivationnel et à l’addictologie. Il fautqu’en partant de chez nous le jeune y ait trouvé soncompte, ait envie de revenir et s’approprie le désirde changement.

Quelles difficultés rencontrez-vous durant cetentretien ?

Georges Brousse. C’est de rendre compte d’unegravité liée à l’intoxication éthylique aigüe, où lejeune aurait pu se mettre en danger. Pour un serviced’urgence, il est important mais parfois difficile dene pas être stigmatisant. À ne pas oublierégalement : même si cela rend compte d’unedifficulté à gérer l’alcool, celui qui, dans une bandede copains qui s’alcoolisent, arrive aux urgences,n’est pas forcément celui du groupe qui est le plusen difficulté avec l’alcool. Il faut trouver le bontempo, introduire un discours de reconnaissancemédicale qu’une ivresse aigüe est un fait toxique etun événement médical qui nécessite une rencontreavec un professionnel de santé, être ni dans lecatastrophisme ni dans la banalisation.

François Richard. Le jeune a rarement consciencedu danger de l’alcoolisation et estime normal de seprendre une cuite. Il vient aussi en traînant despieds, persuadé que l’on va lui faire la morale. Le sujet n’est pas tabou mais banalisé : pour lui,l’alcool est un plaisir, une solution avant d’être unproblème.

Quel suivi proposez-vous après cette premièrerencontre ?

Georges Brousse. Dans 60 % des cas, nousdonnons l’information classique sur l’ivresse, lesmodalités de consommation du binge drinking, les

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L’alcoolisme adolescent, en finir avec le déniFrédérique Gardien, Éditions L’Harmattan, 2007Agir préventivement sur le risque alcool auquels’exposent de nombreux adolescents nécessite quesoient préalablement définis les dangers qu’ilsencourent. Il ne saurait dans ces conditions êtrecohérent de pointer ce jeune public comme la cibleprivilégiée des acteurs de prévention, quandl’installation de l’alcoolisme est réfutée comme unrisque potentiel. Dans ce contexte, il conviendra de neparler que de politique de réduction des risques.L’alcoolisme, processus particulièrement captieux,s’installe bien avant que ne se déclarent d’éventuellesalcoolopathies. S’il n’est pas admis aujourd’hui que lesalcoolisations à l’adolescence participent pourcertaines à l’installation de cette pathologie, c’est bienparce que les représentations de l’alcoolisme et de lapersonne alcoolique nécessiteraient un véritable ethonnête questionnement. Ce travail de recherchepropose aux adolescents et aux adultes, parents ouprofessionnels, une réflexion sur le rapport que tout unchacun entretient vis-à-vis de l’alcool autrement qu’entermes de rituels de passage ou d’expériences festives.Il invite également à s’interroger sur les raisons quilaissent à penser que les cuites des adolescentsseraient comme un passage obligé.

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Interview / À Montpellier, le Zinc encourage les parents à venir au bar 27

de faciliter le dialogue et le débat. En retrait del’espace collectif, un bureau spécifiquement dédiépermet de répondre à des demandes plus complexespar des entretiens individuels, avec ou sans rendez-vous. En 2011, le public est constitué majoritairementde jeunes de 15 à 18 ans (77%) mais également deprofessionnels (15%) et de parents (8%). Lesquestions portent essentiellement sur le cannabis,l’alcool, les jeux vidéo ou Internet, mais aussi sur lasexualité ou les tensions de genre.

Ce n’est pas toujours facile pour des parentsde pousser une porte pour parler desconsommations d’alcool ou de drogues de sonadolescent.

Nathalie Guez. Ce lieu n’est pas identifié commeun lieu de soins, c’est donc plus facile de pousser laporte. Ils peuvent entrer de façon spontanée pour yprendre une brochure, un flyer, visiter une expositionet découvrir les services. Autant «d’outils» pourengager l’échange sans aborder nécessairement lesproblématiques de façon frontale. Si les entréessont souvent spontanées, les parents sont surtoutorientés par les partenaires (établissementsscolaires, médecins, Protection judiciaire de lajeunesse, etc.).

Pierre Brousse. Les parents entrent quelquefoissans leur adolescent, avec l’intention de le fairevenir. Dans un second temps, nous pouvonsaccueillir toute la famille, les parents, la fratrie. De leur côté, les enfants font souvent des effortsimportants pour amener leurs parents ici. Ils onténormément de choses à dire mais se sont heurtésà un moment donné à un assèchement du dialogueet tentent de s’appuyer sur nous pour restaurer ce lien.

Quelle est la demande des parents fréquentantle Zinc : de l’information sur le produit, desconseils, un soutien ?

Julia Garau. Quand ils nous sollicitent, les parentssont dans une situation de crise, d’urgence et entout cas de grande inquiétude. Cela peut être

Actal. Quels sont les principes du Zinc ?

Nathalie Guez. Le Zinc a été créé en 2010 par leCsapa AMT (Accueil-Marginalité-Toxicomanie) Arcen Ciel, avec le soutien de la Région et duDépartement. Le but de cet espace ressourced’information et de conseil est d’être un lieud’accueil ouvert à des jeunes et leurs parents, danslequel nous pouvons mettre en œuvre une certaineconception de la prévention : créer des conditionsde rencontre, instaurer du lien, générer des

questionnements, favoriser l’échange et la mise àdistance de pratiques à risques collectives etindividuelles. Cette philosophie de travail s’opposeaux approches technicistes et standardisées,consistant à délivrer un message de vérité absoluecensé faire changer aussitôt un comportement. Cet ancien bar situé en centre-ville est un lieuagréable, convivial. Il met à disposition, en accèslibre, de la documentation multi-supports dont unfonds multimédia. La dimension événementielle estégalement un ressort fort dans le développement del’accessibilité au public. C’est pourquoi le Zincpropose des expositions permanentes, des ateliersthématiques et des animations ludiques dans le but

À Montpellier, LeZinc encourageles parents àvenir au bar

Le Zinc et son équipe . De gauche à droite au fond : Pierre Brousse, éducateur spécialisé Nathalie Guez, chef de service Julia Garau, éducatrice spécialisée Laetitia Boyer, animatrice adjointe de prévention

Avant tout, « dédramatiser ». Le Zinc, unancien bar ouvert au cœur de Montpellierpar l'association AMT (Accueil-Marginalité-Toxicomanie) Arc en Ciel,accueille jeunes et parents pour répondreaux questions des jeunes mais aussisoutenir leurs proches. Entretien avecNathalie Guez, responsable du secteurPrévention de l’association, Julia Garau et Pierre Brousse, éducateurs spécialisés.

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Interview / À Montpellier, le Zinc encourage les parents à venir au bar 29

Quel rôle les parents peuvent-ils jouer, selonvous, dans la démarche thérapeutique ?

Julia Garau. Le rôle des parents est important : ilssont souvent à l’origine de la rencontre et parfois lemoteur de l’accompagnement de leur enfant. Leurdémarche, leur préoccupation et la mise au travailqu’ils vont effectuer en même temps que leur enfantenvoient un signal fort. Ils abordent ensemble lesdifficultés.L’enfant n’est plus le seul responsable des conflitsau sein de la famille : chacun se questionne et leproduit, le comportement, deviennent alorssecondaires. Le cannabis, l’alcool ou le jeu vidéo nesont plus érigés comme la cause de tous lesmaux.•

ou le différer en proposant un rendez-vous.Notre rôle est de remettre de la parole et du lienquand les parents ne voient plus l’enfant, ne voientplus que le produit et le comportement. Et ilsfinissent par dire : « c’est vrai, cela fait longtempsque je ne l’avais pas regardé(e) » ou « que je ne luiavais pas dit quelque chose de positif ». De soncôté, l’enfant/l’adolescent voit aussi son parentparler avec un autre, et cela change la vision etl’image négative qu’il pouvait en avoir. Ces discussions avec un tiers changent le regardque l’un peut poser sur l’autre.

Quel suivi assurez-vous à ce premier accueil ?

Julia Garau. Après le premier accueil au Zinc,parallèlement aux suivis des adolescents, nousproposons aux parents un accompagnementindividuel. Ces entretiens, tout en préservantl’espace de chacun, permettent de maintenir unemise au travail conjointe à celle de leur enfant. Ilsabordent la question des liens intrafamiliaux, deleurs projections contrariées, de leurs difficultés àvoir leurs enfants grandir. Parents et adolescentsressentent des souffrances à se « séparer », àajuster leur positionnement. Le Zinc est un « entre-deux » : une passerelle entre accueil informel etapprofondissement des questions, un sas entreprévention et soins.

Nathalie Guez. C’est pourquoi il est essentiel, à partir du Zinc, de renforcer le partenariat deproximité, afin de faciliter l’accès aux services quenous proposons, mais également pour assurer uneorientation efficace vers des dispositifs spécialisésplus adaptés, en fonction des situations rencontrées.Ainsi, nous travaillons très en lien avec le planningfamilial, le réseau Violences intrafamiliales, l’Unitépour Grands adolescents de l’unité psychiatrique auCHU de Montpellier, les associations du secteurmédico-social, le Refuge ou les dispositifsd’insertion et de formation…

provoqué par un comportement qui se répète etgénère de nombreux conflits ou par un événementextérieur quand, par exemple, ils ont découvert ducannabis à la maison, s’ils sont alertés par l’écoleou lors d’une interpellation. Il y a un ras-le-bol et lademande des parents est : « aidez-nous à l’aider »,c’est-à-dire à arrêter sa consommation. Ils sontparfois tentés de régler le problème seuls, au seindu milieu familial, mais se trouvent souventdépassés. Ils n’en peuvent plus et ont besoin quequelqu’un les aide à prendre de la distance etprenne le relais.

Pierre Brousse. Une maman est arrivée un jour,les yeux rougis, avec son fils qui débutait uneconsommation de cannabis et nous disant : « je vousl’amène pour voir s’il est sauvable ». Les deuxétaient dans une forme de surdité partagée. Quandl’enfant trouve le parent sourd et insupportable etque le parent trouve l’enfant sourd et insupportable,chacun s’enferme dans des représentations et desconflits. Il n’y a plus d’air ni d’espace.

Nathalie Guez.Même très informés, les parentssont le plus souvent très angoissés. L’informationtelle qu’elle est médiatisée vient même parfoispolluer leur perception et n’est pas un rempartcontre l’angoisse, voire crée davantage d’anxiétécar le discours ambiant reste idéologique etmanichéen.

Quel rôle avez-vous et quel soutien apportez-vous aux parents ?

Pierre Brousse. Dans ce lieu, l’accueil n’est nidans la diabolisation ni dans l’indifférence. Nouscherchons d’abord à dédramatiser, à «désintoxiquer»la relation et à redonner du temps aux personnes.Avec cette maman, par exemple, nous avons pris uncafé, consulté des documents, regardé les affiches,discuté de façon plus sereine, afin de mettre un peude calme et de retrouver une petite forme dedialogue. Le Zinc est comme un sas de décompressionet ce dialogue autour d’un tiers – une affiche, uneexpo – permet une « re-rencontre ». On peut ensuiteen rester là, « glisser» vers un entretien individuel

L’avis des parents : l’enquête de l’Apel*En novembre 2011, l’Apel a publié les résultats d’un sondageeffectué avec Opinionway auprès de 557 parents d’élèvesscolarisés. En voici les principaux résultats.• 83% s’inquiètent de la consommation d’alcool chez les jeunes• 74% estiment que la consommation des filles a augmenté

• 59% estiment que la consommation des garçons a augmenté• En revanche, seuls 14% estiment que la consommation de leur enfant a augmenté parrapport à la leur au même âge; 58% pensent qu’elle a stagné et 27% qu’elle a diminué. Les parents projettent donc leurs peurs sur les autres et pensent que leur foyer est protégédu phénomène.• Pour 40% des parents, le plus inquiétant, c’est que les jeunes consomment de plus en plussouvent de manière excessive; pour 28% d’entre eux, c’est qu’ils consomment de l’alcoolde plus en plus jeunes. • 56% des parents pensent que c’est « l’état d’esprit général » qui favorise la consommationd’alcool ; 35% accusent le manque de contrôle des sorties et des fréquentations des jeunes.• 90% se disent à l’aise pour parler des dangers de l’alcool avec leurs enfants• Face à un enfant qui boit en cachette, 31% des parents déclarent n’être pas assez informéspour faire face à la situation ; 43% se sentiraient coupables, 34% seuls et démunis.

* Association des Parents d’Elèves de l’Enseignement Libre, www.apel.fr

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L’Ippsa soutient le développement du repérage en milieu scolaire / F. Hadj-Slimane, Dr D. Lecallier et P. Michaud 31

jeunes avec lesquels un repérage plus approfondiserait nécessaire. Une autre option, testéeactuellement dans un lycée professionnel desHauts-de-Seine avec le soutien de l’infirmièrescolaire formée au repérage et à l’interventionmotivationnelle, serait la mise en place de bornesinteractives de prévention. La borne permet aujeune de remplir de façon anonyme le questionnaireDEP-Ado et de recevoir immédiatement des conseilsde réduction du risque personnalisés en fonction deces réponses, avec l’invitation d’en discuter avecl’infirmière scolaire.

La communauté de pratiques est un forumaccessible par internet, une réunion virtuelle ouverteen permanence aux personnels ÉN ou CSAPA qui sesont mobilisés pour les formations. Créée parl’IPPSA pour maintenir le lien entre les intervenantsformés lors de cette année scolaire, elle favorisel’échange d’expériences, d’outils et de réflexionssur les pratiques professionnelles des infirmières etmédecins scolaires et des intervenants de CSAPA etpour soutenir l’effort de repérage et d’interventionen prévention secondaire. Elle est actuellement trèssouvent utilisée par ses bénéficiaires.

Au total, la démarche initiale de diffusion de laDEP-Ado est devenue avec le temps une démarcheglobale qui part du repérage en milieu scolaire pourconduire vers une approche partagée desinterventions par paliers, fondée sur la collaborationentre premier et deuxième recours. L’appui de laFédération addiction à la démarche de diffusion dela prévention secondaire en milieu scolaire àl’occasion des derniers développements permet àl’IPPSA et la Fédération d’aborder aujourd’huiensemble la réflexion sur les moyens de réduire lesrisques des consommations de SPA chez les plusjeunes.•

Consultez le site de l’Ippsa : www.ippsa.fr

Les enseignements de ces recherches-actions ontété multiples et ont permis de dégager de nouvellespistes pour affiner les pratiques.

Quatre axes nous ont semblé à approfondir :• le soutien à la pratique d’interventionmotivationnelle,• le renforcement des liens entre structuresspécialisées et milieu scolaire,• la mise en place de moyens de repérage adaptés,• et la création d’une communauté de pratiques.

Pour soutenir la pratique de l’interventionmotivationnelle, les supervisions sont efficacespour la persistance et l’amélioration des acquis deformation. Mais organisées par un organismeextérieur à l’ÉN, elles restent coûteuses en tempset difficiles à organiser. L’IPPSA travailleaujourd’hui au transfert de compétences versl’éducation nationale en encourageant la formationde formateurs infirmières et médecins scolaires,pour permettre une dynamique « endogène »d’apprentissage et d’intervision.

Un repérage précoce en santé scolaire et uneorientation vers une consultation spécialiséen’entraînent pas mécaniquement une augmentationdu flux de consultants en CJCSPA, mais provoquentune augmentation de la demande des jeunes denouvelles rencontres avec infirmière ou médecinscolaire. Renforcer les relations entre milieuscolaire et consultation spécialisée est doncessentiel pour assurer une cohérence de soin et uneprise en charge adaptée à chaque niveau de risque.Nous avons fait de plus en plus de place lors de nosformations aux intervenants de CSAPA, jusqu’àcette dernière année les intégrer commeparticipants au même titre que les personnels desanté scolaire, dans une approche de formationcollaborative. Partageant ensemble trois jours deformation, les deux niveaux de recours développentdes interactions, des références communes quidonnent une nouvelle dimension à leur coopération.

Le repérage précoce bien assimilé lors de laformation et de l’étude semble s’étioler avec letemps alors même qu’il est jugé indispensable parles professionnels. Un pré-repérage par laconsommation de tabac permettrait de cibler les

Depuis 2005, l’IPPSA (Institut de promotion de laprévention secondaire en addictologie) s’engageaux côtés des professionnels de santé pour lessoutenir dans leur mission de prévention secondaireauprès des consommateurs à risque de substancespsycho-actives (SPA). Beaucoup d’intervenants de santé devraient selonleurs missions favoriser le changement des modesde consommation dangereux, afin que les personnesqu’ils aident adoptent des comportements plusfavorables à leur santé : les médecins généralistesauprès de leur patientèle (adultes, jeunes, seniors),les sages-femmes auprès des femmes enceintes, lesmédecins du travail auprès des salariés, les gériatreset les autres aidants auprès des personnes âgées…Mais il semble souvent difficile de passer de cettemission reconnue à l’action. C’est pourquoi l’IPPSAa mis en place différents partenariats pour valider

L’Ippsa soutient ledéveloppement du repérage en milieu scolaire

Fatima Hadj-Slimane, Attachée de rechercheclinique et psychologue clinicienneDr Dorothée Lecallier, Chargée de recherche etmédecin alcoologueDr Philippe Michaud, Directeur de recherche etmédecin addictologueIPPSA (Institut de promotion de la préventionsecondaire en addictologie) (92)

et populariser des moyens de repérage et d’interventionauprès de chaque type de population, en veillant àce qu’ils soient adaptés à chaque contexted’intervention. Le repérage précoce se doit d’êtreintégré dans la routine des pratiques professionnellesen étant effectué par un intervenant légitime etayant les compétences adéquates pour repérer de façon fiable et intervenir efficacement auprès du sujet.Pour agir le plus tôt possible sur les parcoursconduisant aux consommations problématiques, il est nécessaire de s’intéresser à la populationjeune ; l’IPPSA s’est donc naturellement rapprochédes personnels de santé scolaire, médecins etinfirmières de l’Éducation nationale (ÉN) qui restentles intervenants de première ligne bien identifiéspar les jeunes scolarisés – qui constituentl’immense majorité des 13-18 ans.• L’étude Roc-Ado (Repérer, Orienter, Conseiller lesjeunes consommateurs à risque de SPA, dont onpeut trouver le rapport sur le site de l’IPPSA) testaitl’intérêt d’un repérage précoce systématique, avecle questionnaire DEP-Ado, par les personnels desanté scolaire formés à son utilisation mais aussi àl’intervention motivationnelle. • L’étude PAPRICA (Projet d’accompagnement despersonnels de santé scolaire au repérage et àl’intervention auprès des consommateurs de SPAadolescents) s’attachait à évaluer l’intérêt dessupervisions dans l’intégration des interventionsmotivationnelles dans la pratique professionnelle. • La recherche-action FORM-Ado s’intéresse elleau renforcement des collaborations entreconsultations jeunes consommateurs de SPA(CJCSPA) et santé scolaire par une formationcommune et la création d’une communauté depratiques.

d’interpellation par d’autres moyens que ceux de laraison ». Nous avons rencontré le médiateur Artconnexionqui nous a proposé de travailler avec un vidéaste etscénographe, Pierrick Sorin, dont les œuvres ont étéprésentées à Paris (Fondation Cartier, CentreGeorges Pompidou, le 104), Londres (Tate Gallery),New York (Guggenheim), Tokyo (Museum ofPhotography)… Nous avons eu le loisir de connaîtreet d'apprécier sa démarche artistique qu'il a lui-même formulée ainsi : « ce pourrait être oppressant,mais présenté sur un mode burlesque, c'estsupportable».

L'œuvre est un dispositif à "trois facettes". Les deuxparois latérales sont constituées de trois écranssuperposés qui diffusent des images animées dansun effet de continuité d'un écran à l'autre. Deschutes de liquide s'enchaînent remplissant peu àpeu les écrans. Certains liquides véhiculent despetits corps humains à la dérive… Les imagesintègrent des messages de prévention et deréduction des risques. La paroi frontale, quant àelle, est percée d'une fenêtre qui donne vue sur unemise en scène miniature, réalisée selon latechnique du "théâtre optique". Dans un vrai décorpalpable apparaissent de petits personnages filmés,et grâce à une programmation informatique, lespersonnages virtuels pourront agir sur des objetsréels suivant un scénario. L'histoire est comico-tragique, elle fait se succéder le rire et la mort. Elle se présente comme un rêve qui tourne aucauchemar.

Selon Alain Rigaud, « en nous sollicitant par le jeude ses images et ses installations délirantes, parles effets magiques de ses vidéos et par sesthéâtres optiques, Pierrick Sorin nous interroge surnotre perception de la réalité, il nous touche par sonhumour caustique aussi pince-sans-rire quepoétique. Le burlesque apprivoise l'angoisse en larendant sensible au lieu de l'écarter par le déni ».

Nous avons travaillé autour d’un projet répondantau besoin d’adapter les actions de prévention del’A.N.P.A.A. et de ses partenaires aux nouveauxcomportements et aux nouvelles addictions. AvecBinge Drinking, Pierrick Sorin réussit à nous montrer

soin et d'accompagnement des personnes endifficulté, en s’intéressant aussi bien aux problèmesmédicaux et psychologiques qu’aux dimensionssociales. Elle défend depuis longtemps une politiquede prévention globale organisée en mesuresgénérales et en actions locales dirigées vers lapopulation toute entière et vers des publicsparticuliers. Face aux moyens énormes mobiliséspar les producteurs d’alcool, en particulier lemarketing dirigé spécifiquement vers les jeunes,une actualisation et une adaptation des actions deprévention est nécessaire en permanence, pouranticiper et/ou répondre aux nouvelles formesd’usages de substances et aux nouvelles addictions.

Proposée depuis 1993 par la Fondation de France,l’action Les nouveaux commanditaires vise à mettreen relation un commanditaire (commune, hôpital,association…) et un artiste autour d’un projetsocial. L’un des objectifs de cette action est derenouveler les modalités de production artistiqueautour d’enjeux tels que donner une valeur d’usageà l’art en l’ancrant dans des enjeux qui concernentdirectement les citoyens. Pour nous, cetteopportunité a été l’occasion d’innover dans nosmodes d’intervention.

Nous avons organisé des colloques afin de réfléchiret faire réfléchir à ce qu’est l’alcool, la fête etl'ivresse, à ce que nous y cherchons et à ce qu’ilssignifient pour chacun d'entre nous. Afin de nousfaire réfléchir également à leurs places et fonctionsdans notre société, aux risques qui leur sontintrinsèquement liés et aux stratégies de préventionà mobiliser, à commencer par les actions de réductiondes risques et de prévention des dommages. Maiscomment aller au-delà ? Comment interpeller etimpliquer, dans une démarche de prévention deproximité, aussi bien les jeunes adeptes de la fêteque les adultes qui les entourent, la communauté etles autorités ?

Ayant eu connaissance par l'un de nos bénévoles duprogramme Les nouveaux commanditaires, nousavons trouvé pertinente et saisi l'idée de nousappuyer sur une œuvre d'art. Car, comme l’a rappeléAlain Rigaud, Président de notre association, lors del’inauguration de Binge Drinking, « l’art est unlangage universel qui, au-delà de sa fonctionesthétique, porte une fonction sociétale

“Binge Drinking”: une œuvre d’art au service de la prévention / Anpaa 33

Si la consommation d’alcool a diminué globalementdepuis 40 ans, cette diminution s’accompagne d’unchangement des modes de consommation. Les boissons alcooliques passent de l’univers desrepas à celui des loisirs, et s'installent aujourd'huide plus en plus dans l'univers festif. Les modes deconsommation des jeunes en particulier diffèrent deceux de leurs aînés. Les jeunes consomment del’alcool moins souvent mais, quand ils en boivent,les quantités sont plus importantes et les conduisentplus souvent à l’ivresse. Les jeunes se distinguentégalement des adultes par la nature des boissonsalcooliques qu’ils consomment : alors que le vin estla boisson la plus consommée dans la populationfrançaise, il l’est peu parmi les 15-25 ans. À l’inverse, la bière, les prémix et les alcools fortssont les plus consommés.

L’Association Nationale de Prévention enAlcoologie et Addictologie (A.N.P.A.A.) met enœuvre une politique de prévention, interventionsprécoces, réduction des risques et des dommagesinduits par les conduites addictives ainsi que de

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ANPAA, coordination par Élodie Crochet, Chargée de missionprévention au siège national (75)

Groupe d’étudiants de l’université de Haute-Alsace devant Binge drinking Binge drinking, détail © Pierrick Sorin, 2011

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le passage de la fête, du rêve et de l'enthousiasmeà la défonce, au cauchemar et à la chute. Le burlesque les apprivoise mais nous les rendprésents et visibles sans qu'une actualité toujoursnouvelle les emporte aussitôt.

Avec Binge Drinking, notre objectif est d’intervenirdans les milieux universitaires, lycéens et festifs en créant un évènement artistique itinérant etinteractif pour mieux interroger les jeunes sur leurrelation à l’alcool, en particulier quand ils font lafête. Il s’agit également pour nous, par le bais decette exposition, de mobiliser les acteurs locauxpour interpeller l’opinion publique sur laproblématique de la consommation excessived’alcool, en recherchant systématiquement unimpact médiatique local.

Binge Drinking a pu être réalisée grâce au soutienfinancier de la Fondation de France, de l’InstitutNational de Prévention et d’Éducation pour laSanté, du Théâtre de la Cité Internationale et par laMédiation-Production d’Artconnexion. Le lancementde l’œuvre a été assuré par un partenariat avec laCité internationale universitaire de Paris, via sonprogramme Art campus, qui permet la diffusiond’œuvres d’art dans des sites universitairesfrançais.

La circulation de Binge Drinking a démarré en avril2011 avec son exposition à la Cité internationaleuniversitaire de Paris. Elle a ensuite été exposée auforum de la prévention que nous avons organisé àParis, à l’université de Haute Alsace, au théâtrenational de Toulouse, à l’université de Lille III et àl’université de Reims.

34 “Binge Drinking”: une œuvre d’art au service de la prévention / Anpaa

Martine Lacoste, Directrice Générale Association Clémence Isaure à Toulouse (31), Vice-Présidente de la Fédération AddictionDavid Mourgues, Anthropologue-coordinateur du programme Axe Sud (31)

Pour chacune des expositions, une inauguration aété organisée et les équipes locales de préventionA.N.P.A.A. ont mené des actions de préventionautour de l’œuvre. Ainsi, pour les six expositions qui ont déjà eu lieu, plus de 400 personnes ont pudécouvrir Binge Drinking lors de son inauguration,35 actions d’accompagnement ont été menées,environ 700 étudiants en ont bénéficié, et unevingtaine d’articles de presse se sont fait le relaisde cette action.

À la rentrée universitaire prochaine, Binge Drinkingsera exposée à l’université de Rennes I et Rennes II,puis, durant les deux années à venir, elle circuleradans toutes les régions de France avec l’appui denos délégations régionales et départementales oud’autres promoteurs ou partenaires, dans les sitesétudiants, festifs ou culturels. Binge Drinking vacontinuer à vivre, à voyager et à évoluer, grâce auregard de ceux qui la découvriront, serontinterpellés et se l’approprieront.•

Les jeunes de 15-24 ans représentent 12,3 % de lapopulation française, mais 34,9 % des blessés et26,6 % des tués sur la route. Les usages d’alcoolsont majoritaires dans les accidents mortels danstoutes les classes d’âges.Pour comprendre ce phénomène, et l’enrayer, laPréfecture de Haute-Garonne a confié en 2001 àl’Association Clémence-Isaure, spécialiste depuis1987 du soin, puis de la Réduction Des Risques(RDR) et des addictions, une mission visant à mieuxcomprendre ces phénomènes et la répétitiond’accidents. Clémence Isaure a initié une réflexion pour comprendred’abord pourquoi, au contraire du recul sensibleenregistré dans les tranches d’âge supérieures, lesaccidents de la circulation et leurs conséquencesétaient en augmentation chez les plus jeunesusagers du réseau routier. Une étude analytique et statistique conduite parMartine Lacoste, directrice, Jean-François Barthes,sociologue, Serge Laye, psychologue, et JacquelineRalisson, alcoologue, a permis d’établir une corrélationsans conteste entre difficultés sociales, usages desubstances psycho-actives et accidents : pour latranche d’âge des 15-24 ans, les jeunes sansqualification ou peu diplômés (intérimaires,ouvriers) sont sur-représentés.

À l’issue de ce travail de recherche, cinq pistes deréflexions innovantes ont été abordées :• Les messages et les campagnes de prévention(campagnes de communication sécurité routière…)ne sont pas adaptés aux jeunes de 15-24 ans etaux cibles résistantes.• L’accident résulte souvent d’une construction etd’influences croisées de l’environnementsocial (influences familiales, amicales, milieuxprofessionnels...).• L’accident s’inscrit dans un contexte social, despratiques et des représentations, comme l’évolutiondes pratiques festives et des prises de risques, parexemple.

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L’association Clémence Isaure a été créée à Toulouse en 1987,sous la Présidence du Pr Claude Olievenstein. L’association estmaintenant présidée par le Dr Marc Valleur, médecin chef del’hôpital Marmottan à Paris. L’association Clémence Isaure a pourmétier de prendre en charge, d’aider et d’accompagner, tant dupoint de vue de leur santé que de leur parcours social, lespersonnes dont le présent est compromis par une addiction, ainsique la lutte contre les exclusions (drogue, alcool, jeu…).Son histoire, ses actions (CSAPA, prévention et soin des addictions,RDR, réinsertion sociale), ainsi que des précisions sur le programmeAxe Sud sont consultables sur : www.clemence-isaure.orgPour tout contact direct : 05 61 61 65 50

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À l’aide d’une méthode interactive, ces dernierssont invités à repérer et à prendre conscience desdifférents facteurs psycho-sociaux qui influencentleurs comportements et leurs prises de risques.Enfin, nous leur proposons d’imaginer pour eux-mêmes des moyens pour réduire ces influences,reprendre du contrôle pour réduire les risques. Ilssont invités ensuite à remplir – de façon anonyme –un questionnaire d’évaluation qui renvoie auxsituations mises en scène dans les courts-métragesdiffusés. Au regard des réponses rendues après visionnagedes courts-métrages, il apparait nettement que, sicertains facteurs d’influence étaient clairementidentifiés (la prise de substances, la fête, les amis),d’autres situations ne leur paraissaient pas denature à influer sur leur comportement (le milieuprofessionnel, l’influence familiale, le rapport deséduction garçon-fille). En revanche, après avoir misen lumière l’incidence de ces facteurs subjectifs, 84 % des personnes interrogées les jugentdésormais « repérables », et 70 % d’entre euxconsidèrent qu’il leur est possible de « changerd’attitude » afin de réduire la prise de risques.

Associer enseignants et professionnels pourune « culture » de la prévention

S’il est évidemment impossible de quantifierl’efficience du dispositif Axe Sud en termes de « vies sauvées », il est en revanche manifeste qu’ilest mobilisateur. En effet, rien ne pourrait exister siles adultes autour n’étaient pas acquis à lanécessité et aux constats du programme. En ce quiconcerne nos publics, les premiers d’entre eux sontbien sûr les professeurs et les personnelsd’encadrement des établissements, mais aussi les artisans, maîtres de stage, en direction desquelsle programme Axe Sud propose une formation-sensibilisation permettant aux personnes quiaccompagnent ces jeunes de repérer, intervenir et

orienter les sujets à risques.On constate, notamment dans les lycées, que lesenseignants sont demandeurs de ce typed’intervention. De cette motivation résulte une forteimplication qui participe à la construction d’undiscours partagé au sein de l’établissement et, plusencore, d’une « culture commune » où la réductiondes risques routiers est prise en compte de façonglobale, et intégrée dans la vie scolaire et socialedes élèves.Pour étoffer les effets de l’incidence « culturecommune », Axe Sud élargit ses actions à la sphèredes professionnels qui, avec les enseignants,partagent le temps des apprentis, notamment. C’est ainsi que nous impliquons les organisationsprofessionnelles (syndicats, chambresprofessionnelles….) de tous les secteurs ouverts à l’apprentissage (bâtiment, hôtellerie, industrie,transport et logistique...).D’année en année, le programme Axe Sud évolue.Clémence Isaure en assure actuellement lamodélisation dans le but d’intervenir auprès d’unplus grand nombre de personnes. Pour aller dans cesens, nous avons également constitué des modulesde formation à destination des acteurs de lasécurité routière et de formateurs qui pourraientdevenir des intervenants Axe Sud. Nous sommes engagés dans un élargissement de lasensibilisation des maîtres d’apprentissage afind’agir en cohérence avec les entreprises et lemonde du travail ; par ailleurs nous poursuivons desactions de sensibilisation en direction des parents.

Ni incantation, ni répression

Par nature, Clémence Isaure ne pouvait présenterun programme figé. Historiquement, l’associationest engagée dans le soin et la Réduction DesRisques auprès de personnes en situation d’addiction.La question de la sécurité routière nous est apparuea priori saugrenue. Cependant, la RDR nousenseigne qu’il est déterminant de réfléchir avec lespopulations concernées sur le pourquoi et lecomment des usages de substances psycho-activeset des prises de risques. Cette approcheconditionne le choix des propositions que nousdevons faire, qui se révèlent dès lors qu’elles sontdiscutées et comprises, beaucoup plus efficientes

études », supposés devenir un jour des dominantssociaux. Ce phénomène de séduction, qu’il soitexprimé à l’adresse du groupe ou d’un membre enparticulier, constitue un facteur de risque qu’AxeSud contribue à révéler : passer du statut de « celuiqui n’a pas réussi » à « celui dont on a besoin de lacompétence » (le permis et la voiture) amèneparfois à des comportements de valorisation (« virilisation ») où se mêlent fête, fatigue, alcool,vitesse… et toutes les expressions qui traduisentun besoin d’exister aux yeux d’un monde où on aune place peu valorisée.Il convient donc de distinguer le risque objectif etle risque subjectif, le « risque pour exister » : ce dernier a été décrit dès 1981 par le Docteur MarcValleur, qui oppose le concept d’ordalie à la penséehabituelle d’autodestruction dans la plupart desaddictions toxicomaniaques.Ce constat chiffré, élargi aux personnes incarcéréespour des délits routiers, s’impose de la même façon.Là encore apparaît un lien évident entre déclassementsocial et accidents : 40 % d’entre eux sont chômeurs,26 % ouvriers, 20 % intérimaires, 6 % artisans.Le poids de l’histoire familiale est tout aussidéterminant : en effet, certaines familles concentrentdes accidents. La famille influence les représentationsde l’usage des substances psycho-actives commecelles de la conduite routière. Ainsi, le lien a étéétabli entre les conduites à risques des parents etcelles des enfants.

Un programme interactif

Ces profils accidentogènes nous ont permisd’orienter nos interventions en visant des publicssur-impliqués dans le risque routier et l’accidentalité,avec l’objectif de susciter une prise de consciencequant à la part de l’influence psycho-socialeconcernant les conduites à risques sur la route (« risques subjectifs »), incluant bien sûr laconsommation d’alcool et la prise de substancespsycho-actives (« risques objectifs »).Nous avons choisi un programme interactif, enmettant en lumière les multiples influences psycho-sociales qui poussent à adopter des conduites àrisques. Des films, dont le scénario inclut la plupartdes contextes ou comportements à risques quenous voulons mettre en évidence, sont diffusés auxgroupes d’élèves (ou de détenus).

• Les jeunes ouvriers, peu diplômés, intérimaires,sans qualification, sont sur-représentés dans lesaccidents et les décès sur la route, qui opèrentcomme un discriminant social.• La conduite automobile participe à laconstruction identitaire. L’expérience du risquepeut conduire, soit à la responsabilisation, soit audéni et à la répétition des accidents.

Clémence Isaure a ensuite traduit ces conclusionsde recherche en stratégie de prévention, destinéenon seulement à la tranche d’âge visée, maiségalement à l’attention de détenus incarcérés pourdes délits routiers, ainsi qu’auprès du Tribunal degrande instance (TGI) de Saint-Gaudens pour desinterventions auprès de personnes appelées à êtrejugées (pré-sentenciel) pour des délits routiers. Un programme d’actions en direction des jeunesde15-24 ans a été élaboré et adapté auxcondamnés et prévenus. La mise en œuvre et ledéveloppement du programme se sont étalés de2006 à aujourd’hui ; près de 1200 questionnaireset entretiens sont effectués chaque annéeauprès des publics concernés. Les résultats en ontété analysés, étudiés, et les questionnaires eux-mêmes reconsidérés afin d’en affiner la pertinence.Ce programme a pour but d’aider les personnesconcernées à prendre conscience de tous lesfacteurs psycho-sociaux qui peuvent agir commedéterminants vers un comportement à risque. Lepublic cible a été massivement localisé dans lesLycées professionnels et les Centres de formationd’apprentis (CFA).

Poids du social, poids familial : des enjeuxdéterminants

Très vite est apparue la collusion entre faible niveauéconomique ou culturel et profil accidentogène. Ce lien trouve son origine dans un besoin dereprésentation sociale. Il s’agit de jeunes quitravaillent tôt (apprentis, manutentionnaires,ouvriers, intérimaires), qui accèdent plusrapidement que les étudiants à l’autonomiefinancière et qui, par ailleurs, ont des besoinsimportants en matière de déplacements. Ainsi etpar exemple, le fait de posséder « la premièrevoiture » dans un groupe de pairs est un facteurvalorisant aux yeux de « ceux qui font de meilleures

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À Toulouse, le programme Axe Sud mobilise pour la sécurité routière / Martine Lacoste, David Mourgues 37

Formation En 2012-2013, leprogramme « Axe Sud » fera l’objetd’une session de formation àdestination des professionnels.

38 À Toulouse, le programme Axe Sud mobilise pour la sécurité routière / Martine Lacoste, David Mourgues

être-ensemble. Elle permet dans son sens premierd’échapper au poids des contraintes (familiales,sociales, professionnelles, etc.) ou dans d’autrescirconstances, de souligner, par les jeux dusymbolique, des circonstances particulières. À ce titre, elle apparaît comme une parenthèse, unespace intermédiaire ou transitionnel qui permetune requalification de l’environnement, des espaceset des rôles du (et dans le) quotidien. Ces « réjouissances collectives » qui prennent desfigures diverses invitent tout un chacun à prendreplace dans une forme de voyage plus ou moinscodifié pour chacun des membres qui la constitue et la fait vivre. Cela suppose de considérer qu’il y a un sens et uneorganisation à chaque instant festif, quel qu’il soit.Et même si, comme l’affirme Roger Caillois dansL’Homme et le sacré 1, la fonction de toute fête estde rétablir de façon ponctuelle le chaos originel afinde rejouer un ordre collectif et social qui tend às’affaiblir, il demeure malgré tout un ordre dans cedésordre que la fête paraît générer. Des fêtesinitiatiques à celles qui marquent un événement, dela fête des voisins aux fêtes de villages, de la fêtede Noël à celle de la musique, des anniversaires aumariage, du baptême à la circoncision, de la raveparty aux concerts, du carnaval aux célébrationsdiverses, qu’y-a-t-il de commun à ces rassemblementsautour ou par des « festivités » ? La fête traduit peut-être, sur le registre dessymboles, la quête affective, la quête du vivreensemble ou du partage. Derrière cette dimensiondu rassemblement et de l’être ensemble, desgrands rendez-vous aux fêtes intimistes, il sembleque ce soit la quête de soi et de l’autre par saprésence et sa proximité qui se décompose et serecompose ici.Dans une société devenue, il est convenu de le dire,individualiste, égocentriste, c’est bien dans le « faire corps » avec l’autre, avec les autres, par lepartage des sentiments, des sensations, desexpériences, du plaisir ou de la douleur quel’individu renoue avec quelque chose d’originel,d’essentiel : se dissoudre quelques instants, seréinventer par l’autre et avec lui. Cependant, on nefestoie pas de la même manière, avec la mêmeintensité et dans les mêmes conditions dans

que les messages incantatoires et répressifs quipeuvent, pour cette cible-là, rajouter même au goûtdu risque.Enfin, la clinique nous enseigne que la recherche duplaisir dans les situations à risque est un moteurpuissant de transgression pour un public frustré parl’image sociale qu’il renvoie. C’est pourquoi nousavons accepté cette mission en 2001, car elle sesitue au carrefour du soin, de la prévention et de laRéduction Des Risques.•

Esquisse anthropo-sociologique de la fête / Ahmed Nordine Touil 39

L’une des difficultés que rencontre le sociologuepour traiter l’objet « fête » est liée à la polysémie du vocable. En effet, comment saisir le terme et sesusages, quand ce dernier est attaché à autant demoments, d’évènements (ou de non-évènementsd’ailleurs) ? Néanmoins, on peut d’ores et déjàconsidérer que des éléments permanents permettentd’appréhender quelques principes constitutifs del’objet « fête ». La fête en tant que pratique ou expérience collectivejoue quelque chose dans un ensemble et dans un

La mission Mobilité Nocturne et Prévention de Voiture & coVoiture & co, association à but non lucratif fondée en 1998, intégrée au groupe SOSen 2007, développe des services et des actions de sensibilisation pour favoriserune mobilité durable, responsable et solidaire. La prévention en matière de sécuritéroutière fait partie de ses préoccupations. Voiture & co mène plus de 150 actions par an, auprès des jeunes de 18 à 30 ans,afin de prévenir les risques liés à la consommation d'alcool et de psychotropes etde diminuer le nombre de jeunes tués ou blessés sur les routes. Sept salariés et300 bénévoles interviennent à Paris, Lille et Marseille.L’association réalise des opérations de sensibilisation aux risques de lasurconsommation d’alcool et de psychotropes, à l’aide notamment de Simalc, unlogiciel qui établit la courbe du taux d’alcoolémie, et de lunettes simulant la visionprovoquée par un taux à 0,8g/L. L’association a également mis en place un système de covoiturage sécurisé pourles retours de soirées festives. Pour 5€ par an, les passagers intéressés peuventêtre ramenés chez eux à toute heure de la nuit, pendant un an, sur toutes lessoirées desservies par l’association. L’association propose aux conducteurs quis’engagent à rester sobre et à ramener un passager Voiture & co unremboursement de 50% de l’entrée, deux boissons sans alcool et des lots. En fin desoirée, les conducteurs sobres sont testés avant de récupérer leurs clés et lespassagers. Enfin, Voiture & co forme les associations étudiantes à la sensibilisation et à laprévention santé et sécurité routière pour faire essaimer les bonnes pratiques surl’ensemble du territoire français.Plus d’informations : www.voitureandco.com

Esquisse anthropo-

sociologique de la fête

Ahmed Nordine Touil, sociologue, Ireis Rhône-Alpes (69)

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Esquisse anthropo-sociologique de la fête / Ahmed Nordine Touil 41

La fête ne remplit hélas pas toujours ses promesses.Combien de fêtards ayant projeté tant d’attendusdans cette dernière la quittent déçus, non sanss’être promis de se rattraper à la prochaine. Car lafête s’inscrit aussi dans la répétition. Ce temps horsle temps parce qu’il apparaît comme insaisissable,arraché au rythme lancinant des quotidiens, tentede laisser une trace forte ou légère, parfoisévanescente, aux femmes et aux hommes qui lapartagent. « Dans les villes, les hommes seprennent à stabiliser l’acte de la fête, à l’arracherau périssable, puisque toute fête est périssable,puisqu’elle n’appartient pas à l’ordre du temps » 3.

Au fond, la fête nous ramène « au pari fait surl’imprévisible, au don du rien, fait au rien … » 3.•

juridique, « ces rassemblements festifs favorisentéminemment la naissance et la contagion d’uneexaltation qui se dépense en cris et en gestes, quiincite à s’abandonner sans contrôle aux pulsions lesplus irréfléchies. Même aujourd’hui, où cependantles fêtes appauvries ressortent si peu sur le fond degrisaille que constitue la monotonie de la viecourante et y apparaissent dispersées, émiettées,presque enlisées, on distingue encore en ellesquelques misérables vestiges du déchaînementcollectif qui caractérise les anciennes frairies » 1.

En définitif, la fête est attachée au collectif, à ladimension du plaisir, de l’exception, à la re-conjugaison des normes. A cela s’indexent desprocessus groupaux que René Kaës, Didier Anzieuou Freud ont abondamment décrits. Quels quesoient les groupes, des foules passagères oùs’agrègent des anonymes de manière éphémère auxgroupes conventionnels organisés, les mécanismesqui les animent sont identiques. Du sentiment de puissance à l’expression d’instincts ou decomportements que la personne contrôlehabituellement, les individus sont pris dans le jeudes incitations et excitations collectives. La fêterend en effet possible « la libre satisfaction despulsions » 7. La fête génère également ce que DidierAnzieu appelle « l’illusion groupale » 8 qu’il décritcomme un état psychique collectif où les individusformant un groupe sont euphoriques car ils sesentent bien ensemble. Jean Duvignaud traduitd’une autre manière ce processus : « tout paraît sepasser comme si l’effervescence qui commande à lavie interne des groupes, la révolution permanentequi modifie sans cesse les structures sociales, lesbrise et cherche à en constituer de nouvelles, laliberté créatrice en lutte contre les contraintessociales se concentrait en cérémonies extatiques,où le possédé s’élevait par la simulation à lareprésentation des rôles imaginaires dont lescadres formels lui sont fournis et imposés par saculture, anticipait par là sur sa condition en révélantdans sa plénitude la fonction symbolique del’homme » 3.

spectacle et mise en scène. Donner à voir. Àentendre. À toucher. Bon à danser et à manger. Bon à jouir : apparition commune dont se repaît lavie collective, et qui est comme le mirage dessonges » 3.

Elle est de toute manière du côté de l’excès contenuou contenant. Comme le souligne Olivier Douville, « il n’est pas de fête qui ne débute par un excès, parla monstration d’un hors-limite. Et pas de fête quin’objecte à la localisation hiérarchisée des corps etdes objets » 4. Loin de réduire la fête à l’excès, aurisque ou à « l’inconduite » comme le décrit GeorgesDevereux, il s’agit de souligner ici le paradoxeconstitué par le caractère transgressif/autorisé dela fête.

Sur un autre aspect, les fêtes renvoient à lareprésentation du rapport culture/nature, à lasacralisation, à la commémoration 5. Elless’attachent au parcours de vie des individus(naissance, mariage, mort), de leur histoire ou decelle propre à leur groupe (commémoration d’unévénement, d’un personnage faisant référence,etc.), étant présentes tant dans les mondes duprofane que dans ceux du sacré. Elles peuvent êtreconstitutives d’une forme de rituels, de rites depassage, destinés à rendre compte du changementde statut chez un individu par exemple. MarcelMauss 6, n’appelle-t-il pas « dates critiques » cetespace où le passage, la transition s’opéraitsocialement par le biais d’une fête, quelle qu’ensoit la forme et les modalités ?Certaines formes de fêtes, moins codifiées,semblent prendre une place fondamentale dans leparcours d’un individu où les rites symboliques sesont délités, quand ils n’ont pas disparu. Denombreuses « free parties » se tiennent chaqueannée en France, réunissant parfois des milliers depersonnes. Un phénomène d'une importance telleque les pouvoirs publics et associations diverses lesont progressivement investies. N’y trouve-t-on pasaujourd’hui pêle-mêle, ou à leur périphérie, desprofessionnels ou bénévoles de la santé, de laprévention des risques, de la sécurité, pour ne citerqu’eux ? Malgré leurs configurations «hors le cadre»,malgré le caractère parfois transgressif de cesdernières – ne serait-ce que du point de vue

chacune d’entre elles. Ce n’est donc pas tant la fêtemais bien ce qu’elle permet de jouer ou de rejouerqui donne son sens et son caractère à cettedernière.

Quelles que soient les figures que prend celle-ci, lafête n’échappe pas aux enjeux qu’elle transcende.D’aucuns diront que pour faire la fête, il faut qu’elleengendre la dimension du risque : risque de sedévoiler, de se révéler, de se perdre peut-être.Tomber les masques ou plus encore, en endosserd’autres, permettre la levée d’affects et d’émotionscontenus et bridés dans les quotidiens, exulter et semettre à nu, telles sont les injonctions masquées dumoment festif. Est-ce à dire qu’il n’y a pas de fêtesans risques, sans conduites risquées ? Peut-être.La dimension ordalique au sens où la décrit David leBreton 2 (aller solliciter symboliquement la mortpour savoir si la vie a du sens) ne doit cependantpas être occultée, notamment chez les jeunes. Lafête autorise le défi, cette forme de corps à corpsavec le monde qui permet aux jeunes de tester leurlégitimité d’exister. Ces jeux symboliques avec lamort afin de parvenir paradoxalement à uneintensité de vivre, sont pour nombre de jeunes quiles pratiquent des tentatives de remise au monde,des quêtes effrénées d’un sens à donner à leur êtreau monde. La fête ne permet-elle pas d’inviter dessignifiants majeurs pour donner à l’épreuvepersonnelle dans le collectif une plus-value desens?

La fête est certes un exutoire des tensions, unterritoire d’expériences ; toutefois, se limiter àl’effet cathartique de la fête est réducteur. D’unpoint de vue ethnologique, on ne peut se cantonnerà cette figure car il ne s’agit pas d’un processussocial à proprement parler. Même si Roger Caillois 1

définit la fête comme un espace permettantl’exercice d’une violence nécessaire, utile,salvatrice, nous nuancerons notre propos enprécisant que dans la fête, la violence, doubléeparfois de révolte, est feinte ou incarnée davantagedu côté du symbolique : il s’agit davantage de sur-jouer que d’être. « Car l’événement est d’abord

1 Roger Caillois, L’homme et le sacré, Paris, Gallimard, 19502 David Le Breton, Passion du risque, Edition Métailié,Collection Suites, 2000 3 Jean Duvignaud, Le don du rien. Essai d’anthropologie de lafête, Ed. Stock, 19774 Olivier Douville, « Fêtes et contextes anthropologiques » - In :L'Esprit du temps/Adolescence, 2005/3, no 53, pp. 639-6485 Béatrice De Villaines, Guillaume D’Andlau, Les Fêtesretrouvées, Editions Casterman, 19976 Marcel Mauss, Essai sur le don. Forme et raison del'échange dans les sociétés archaïques, PUF, coll. « QuadrigeGrands textes », 20077 Sigmund Freud, Psychologie des foules et analyse du moi,Ed. Payot, Collection Petite Bibliothèque, 20128 Didier Anzieu, Le groupe et l’inconscient, Ed. Dunod, Paris,1984

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Dans de nombreuses villes françaises, notammentcelles avec une forte représentation étudiante,l’espace public est devenu progressivement unnouvel espace festif avec lequel il faut désormaiscompter. L’évolution de la consommation d’alcoolchez les jeunes ces dernières années, non entermes de quantité mais plutôt en termes derapidité de consommation avec les phénomènes d’« alcoolisation massive » ou de « biture express »,vient impacter cette nouvelle occupation del’espace urbain dans ses aspects négatifs(débordements, bruits, violences, insalubrité…),laissant parfois peu de place à l’aspect festifinitialement recherché dans ces rassemblements.Si certaines villes ont déjà pris des mesuresspécifiques et mis en place des actions concrètessur le terrain, à Besançon, la prise en compte decette problématique s’est articulée au sein du projetAction Recherche PREMIS (PREvention MédiationInsertion Santé), débuté courant 2011.

Genèse du projetAvec 117 559 habitants, dont 16 000 étudiantsuniversitaires, Besançon, capitale de la Franche-Comté et préfecture du Doubs, tire sa spécificité deson centre-ville historique. Ce dernier, théâtre desrassemblements étudiants, présente la particularitéde regrouper en trois secteurs principaux et dansune petite superficie la majeure partie des débits de boissons de la ville. Chaque secteur se trouvantà équidistance d’une grande place favorisant lesrassemblements.En 2010, la ville et ses acteurs constatent uneévolution rapide de ce phénomène avec un nombrecroissant de rassemblements débordant de plus enplus sur la voie publique, une multiplication dessoirées étudiantes, mais également un phénomèned’aspiration de ces soirées qui drainent de plus en

• la réduction des risques associés à laconsommation de substances psychoactives ;• la prise en charge médicale, psychologique,sociale et éducative. Elle comprend le diagnostic,les prestations de soins, l'accès aux droits sociauxet l'aide à l'insertion ou à la réinsertion.Le Collectif « Ensemble Limitons les risques »,rattaché depuis le 1er janvier 2012 au CSAPA Solea,repose principalement sur l’intervention debénévoles. Il effectue en moyenne une trentained’interventions par an sur les festivals officiels etles free party du département et de la région depuis2003. A ce titre, il a été sollicité par les quatreautres structures de l’ADDSEA précédemmentcitées pour sa connaissance du milieu festif et deses pratiques et la transférabilité de ses compétencesvers l’espace urbain dans une optique de réductiondes risques.Trajectoires Ressources 7 est le Centre deressources politiques de la ville Bourgogne Franche-Comté et a pour objectif d’accompagner lesdiverses associations dans leurs projets en leurfaisant bénéficier d’un soutien en termeméthodologique notamment.

Phase de rechercheL’objectif de ce groupe de travail était en premierlieu de cibler et de réunir les différents protagonistesconcernés par cette problématique afin de proposerune analyse de la situation qui puisse être partagéepar l’ensemble de ces acteurs. Cette analyse devaits’appuyer à la fois sur des éléments théoriques etbibliographiques sur les conduites à risques chezles jeunes et les alcoolisations massives, maiségalement sur le compte rendu d’expériences déjàmenées par ailleurs sur cette même question dansd’autres villes de France. En parallèle, quatre étudiants de seconde année deDUT Carrières Sociales option Gestion Urbaine,supervisés par Trajectoires Ressources, ont menédes entretiens exploratoires directement sur leterrain auprès des étudiants fréquentant le centre-ville de Besançon les jeudi soirs, ce qui a permis derecueillir également leur point de vue sur cettequestion.Deux de ces étudiants ont, par ailleurs, poursuivileurs travaux en faisant un stage de huit semainesau sein du Collectif «Ensemble Limitons lesrisques» sur le terrain.

À Besançon, une recherche-action pour intervenir en milieu festif / Lilian Babé 43

Lilian Babé, Coordinateur du Collectif « Ensemblelimitons les risques», Chef de service du CSAPASolea, Besançon (25)

plus d’étudiants mais également des jeunesd’autres villes dans un rayon de 60 km, des lycéensvoire des collégiens mais également un public pluslarge et parfois plus âgé. Ce constat s’accompagned’une amplification du nombre d’incivilités, dedégradations, de plaintes pour tapages nocturnes et de phénomènes individuels et parfois collectifsde violence urbaine relevés.L’ADDSEA (Association Départementale du Doubsde Sauvegarde de l’Enfance à l’Adulte), qui conduitalors une mission de tranquillité publique avec sonservice des « Correspondants de nuit » pour lecompte de la Ville de Besançon, décide de réunirquatre de ses structures concernées par cetteproblématique, qui se regrouperont au sein dePREMIS en 2011.

Principaux acteurs du projetLes correspondants de Nuit, service créé enjuillet 2007, a pour objectif d’assurer une veillesociale de nuit dans les divers quartiers deBesançon de 21h à 1h du matin, voire 2h les fins desemaines en centre-ville. De ce fait, ils sont lespremiers confrontés au phénomène desrassemblements festifs du jeudi soir où ils essayentde mettre en place un dialogue avec les jeunes etont un rôle pour l’aide aux personnes en dangers.Le service prévention spécialisée a pourobjectif de mener des actions socio-éducatives àdestination des jeunes en difficultés et de leursfamilles résidant principalement en quartierd’habitat social, via un travail en réseau avec denombreux partenaires.Le service insertion propose un accompagnementglobal de la personne qui associe l’insertion socialeet l’insertion professionnelle. À ce titre, il prend encharge un certain nombre de jeunes concernés parcette problématique.Le Csapa Solea (Centre de Soins, d’Accompagnementet de Prévention en Addictologie) s’adresse auxusagers de drogues, mais aussi aux personnessouffrant d’autres addictions. La structures’organise autour de trois missions principales :• l'accueil, l'information, l'évaluation médicale,psychologique et sociale et l'orientation de lapersonne ou de son entourage. Dans ce cadre, leCsapa peut mettre en place des consultations deproximité en vue d'assurer le repérage précoce desusages nocifs ; ... / ...

Ce travail a été complété par un repérage précis destemps forts et faibles de ces soirées et unecartographie des rassemblements indiquantégalement les déplacements de population durantces événements festifs.

La mise en commun et l’analyse des donnéesrecueillies ont été réalisées lors de deux séminairesen octobre 2011 et février 2012.Le premier séminaire a permis notamment demettre en contact direct les différents acteursconcernés par cette problématique (intervenants enaddictologie, mairie, préfecture, police, pompiers,associations étudiantes, service médicaluniversitaire, syndicats hôteliers, mutuelleétudiante…) afin qu’ils puissent échanger sur lesconstats qui pouvaient émerger en fonction de laplace de chacun. Le second, se basant sur l’état deslieux du premier, a, quant à lui, permis de dégagerdes propositions concrètes d’actions après untravail thématique autour de trois ateliers :• la fête, l’événement qui fait lien• la gestion de l’événement• alcoolisation et conduites à risques chez lesjeunesLa synthèse de ces travaux a été présentée en mars2012, lors d’un colloque organisé conjointement parla mairie et la préfecture sur « les jeunes, la fête etl’alcool » et validée, en quelque sorte, commefeuille de route pour les actions à venir et laprochaine rentrée étudiante.

Parmi les propositions d’action retenues :• navettes nocturnes gratuites• refonte de la charte des bars en charte de la vienocturne• jobs étudiants pour tenue de stand de prévention• intervention du Collectif « Ensemble Limitons desrisques » dans la formation des étudiants, l’appuilogistique sur le terrain, l’animation d’une équipemobile et d’une relaxe zone lors de ces événements• poste de coordinateur pour l’articulation desdifférents intervenants (voirie, police,correspondants de nuit, étudiants, Collectif….)

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Phase d’expérimentationAfin de vérifier la pertinence d’un certain nombre depropositions et notamment le choix d’orienter dès ledépart notre positionnement en terme de réductiondes risques, Le Collectif, avec le service desCorrespondants de nuit, la LMDE (mutuelle desétudiants) et le CSAPA Solea, a mis en place unesoirée d’expérimentation le 24 mai 2012 de 20h à3h du matin.Pour l’occasion, trois modes d’intervention ont étémis en place :• un stand fixe sur une place stratégique (étudiants+ bénévoles du collectif)• un camion aménagé avec trois points de rendez-vous (animatrice réduction des risques + bénévolesdu collectif)• 3 équipes de maraude (binômes correspondantsde nuit + 1 bénévole du collectif)L’information avait été diffusée au préalable parvoie de flyers distribués dans les bars et sur lescampus étudiants.Cette expérimentation a rencontré un vif succèstant auprès des riverains que des « fêtards » ducentre-ville puisqu’elle a permis de toucher environ300 personnes autour des différents points derencontre. Celles-ci ont perçu cette initiative commetrès positive, tant au niveau de la distribution dematériel (plaquettes de réductions de risques,préservatifs, bouchons d’oreille, éthylotests, kitRdR, eau, café,…) que des nombreux échanges surla consommation de produits et des conduites àrisques.Elle a permis également de conforter les constats et propositions mis en avant lors des différentesrencontres jalonnant la phase recherche.

Même si nous ne pourrons évaluer l’impact réel dece type d’intervention que dans une réponse plusglobale et dans une présence plus régulière queponctuelle, nous avons pu vérifier que l’approche«réduction des risques » que nous souhaitionsmettre en avant dès le départ était bien un élémentde réponse fondamental et adapté à la prise encompte de cette nouvelle occupation de l’espaceurbain comme espace festif à Besançon.Si des ajustements restent aujourd’hui à élaborer, ilapparait clair que cette expérimentation est, pourles différents protagonistes, la base incontournablede ce que nous devrons mettre en place demain enterme de présence sur le terrain.•

À Besançon, une recherche-action pour intervenir en milieu festif / Lilian Babé 45

Leplanb.info : prévention et réduction des risques sur le webEn Gironde, des étudiants, des associations étudiantes et des professionnels del’addiction ont créé un site d’information, www.leplanb.info. Objectifs : prévenir lesusages et réduire les risques en donnant des réponses concrètes sur les situationsà risques, les usages, la réglementation en vigueur.Le Bar du plan b permet d’évaluer sa consommation réelle d’alcool lors de soiréesentre amis.Les plans B liste les lieux ressources et des sites de référence sur les drogues.Les produits aborde les effets, les risques et la réglementation liés aux différentsproduits.Des entrées par situations de consommation abordent les questions spécifiquesaux soirées entre amis, sorties de fin de semaine, veilles d’examen…Un Plan BDE pour les Bureaux des Elèves ou associations étudiantes informe sur lalégislation à prendre en compte pour l’organisation des soirées et donne des pistespour intégrer la prévention aux événements.

Page d’accueil du site www.leplanb.info

Interview / Spiritek connaît la musique 4746

partenaires thématiques sur les stands, autour duretour à domicile sécurisé, des ISt et du Sida ouencore de la vie affective avec le Planning familialde Lille. Notre équipe de neuf permanents reçoitaussi le renfort d’une trentaine de bénévolesréguliers. Ces personnes rencontrées sur place ouqui nous contactent via notre page Facebooksuivent une formation dans nos locaux, trouventrapidement leur place, s’approprient parfaitementnotre message et adoptent notre philosophie du nonjugement et de la non moralisation.En Belgique, les intervenants ont recours auxjobistes, bénévoles rémunérés qui sont desconsommateurs ou d’ex-consommateurs.

Quel accueil recevez-vous des organisateurs ?

Christophe Wasselin. Des partenariats ont étéengagés depuis une quinzaine d’années avec desmegadancings belges. Dans un premier temps, ilpeut y avoir de la méfiance par rapport à la mise enplace d’actions de réduction des risques dans desétablissements déjà stigmatisés comme lieux deconsommation de produits licites et illicites. Il estaujourd’hui plus facile de contacter des gérants dediscothèques autour du nouveau label QualityNight, également développé au sein du programmeInterreg. Ce label félicite les établissements quirespectent certaines conditions d’accueil et depromotion de la santé, selon six critèresobligatoires : • offrir un accès gratuit à l’eau potable• proposer préservatifs et bouchons d’oreilles• relayer les alertes en cas de trafic• former une partie de son personnel (en dehorsdes heures de travail)• communiquer sur les conduites à risquesNeuf discothèques et deux salles de concert sontlabellisées à Lille, Tournai et Mons et nous sommesrégulièrement sollicités par des organisateursd’événements.

Quelle évolution constatez-vous dans lesmilieux festifs ?

Philippe Dupond et Christophe Wasselin. Il y aun retour en force de l’alcool, peut-être lié àl’interdit des autres produits, qui entraîne deschangements de comportements, plus agressifs.

En 2011, nous avons effectué 110 interventions autotal.

En quoi cette démarche d’outreach sedistingue-t-elle des actions de préventionclassique ?

Christophe Wasselin. Etre présent sur les lieux de vie et de consommation des jeunes permet decréer un contact et un échange avec ceux qui n’onthabituellement aucun lien avec des structuresd’aide traditionnelles accueillant les consommateursproblématiques. Cela nous permet de toucher, entemps réel, ces consommateurs « cachés » qui nesont pas suivis par ailleurs, de leur donner uneinformation objective et vérifiée sur les risquesencourus lors de sorties festives et de lesresponsabiliser par rapport à leurs actes. Cela nousoblige aussi à coller à la réalité du terrain festif,terrain très mouvant, pour rester en phase et évoluerau même rythme.

Philippe Dupond. Concrètement, nous installonsun stand traditionnel avec flyers et préservatifs,gratuits, dans un lieu stratégique, c’est-à-dire unlieu de passage mais isolé d’un niveau sonore tropimportant. Discuter d’abord des produits est unfacilitateur de dialogue et libère la parole : unediscussion s’amorce autour du produit, qui sert desoupape de sécurité, avant de parler de soi. Si l’échange se prolonge, l’entretien se poursuitailleurs, dans un lieu plus calme. Et si éventuellementle besoin se fait sentir, nous donnons une orientationde l’ordre du soin, avec par exemple un rendez-vousdans les locaux de Spiritek, si le jeune n’habite pasloin. Nous avons chaque fois entre deux et sixcontacts approfondis.

Quels partenariats avez-vous développés dansce mode d’intervention en milieux festifs ?

Christophe Wasselin. Nous travaillons avec denombreuses structures liées à la réduction derisques de Tournai, Valenciennes, Lille, et sommestoujours, dans les boîtes de nuit, en binôme avecune association belge, de deux à quatre personnesderrière le stand. Nous intervenons aussi avec des

Actal. Pouvez-vous rappeler le concept del’outreach et le contexte dans lequel vousl’avez mis en place ?

Philippe Dupond. Le principe de l’outreach est dene pas attendre que la personne prenne un rendez-vous et vienne dans nos locaux, mais de larencontrer dans son lieu de vie et de consommation.L’association Spriritek, créée en 1996 par desmusiciens, organisateurs de concerts et animateursde radio associative, a commencé à distribuer desflyers, lors des raves – alors autorisées –, ou dansles boîtes de nuit. Le but alors était de se faireaccepter pour simplement donner une informationet faire passer le message que la consommation dedrogues n’est pas indispensable pour écouter de lamusique techno. Aujourd’hui, nous intervenons dans les milieuxfestifs dans une démarche d’écoute et d’échanges,sans nous positionner comme donneurs de leçonsmais pour favoriser des entretiens individuels qui nesoient pas centrés sur la consommation mais sur lapersonne.

Christophe Wasselin. L’association Spiritekparticipe depuis 2002 au programme transfrontalierInterreg III puis Interreg IV qui comprend le projetfranco-wallon « plate-forme transfrontalière desusages de drogues et autres conduites à risque ».Nous travaillons avec le service de prévention de laville de Mons au renforcement des partenariatsavec diverses structures et au développement desinterventions en milieux festifs : c’est dans cecadre-là que nous intervenons en Belgique dans ces megadancings qui accueillent de 3 à 4 000personnes dont 80 % de Français, âgés en moyennede 22 ans, qui traversent chaque week-end lafrontière franco-belge. Nous intervenons également dans des festivalscomme, en juillet, le festival européen de musiquesalternatives de Dour, à 70 kilomètres de Lille, quireçoit en quatre jours environ 200 groupes et 140 000 personnes. Depuis peu, nous développonsle programme franco-flamand avec l’associationVitalsounds, dans la ville de Menen.

Spiritek connaîtla musique

Philippe Dupond et Christophe Wasselin, intervenants chez Spiritek, Lille (59)

Aller au-devant du public(outreach) et proposer le labelQuality Night aux établissementsnocturnes: l’association lilloiseSpiritek développe les actions deproximité dans les milieux festifsdans le cadre d’un programmeeuropéen Interreg. Explications de Philippe Dupond et ChristopheWasselin, intervenants chezSpiritek.

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Interview / En Bretagne, l’union fait la force 49

le gobage et l’inhalation à chaud ; de leur côté,familiers avec un public pratiquant l’injection, lesCaarud ont une autre connaissance de l’usager. Legroupe de travail comprend aussi des représentantsdu CIRDD Bretagne et du Centre Régional InformationJeunesse, qui apporte son expérience du dispositifde prévention rennaise « Prev'en Ville ». En juillet 2011, nous avons signé une convention departenariat pour formaliser cette démarche :L’Orange Bleue, Aides, Sid’Armor et Douar Nevezs’engagent à travailler en coopération et à partagerleurs infrastructures, moyens humains et matérielsdans le cadre d’intervention de prévention et deréduction des risques en milieux festifs en Bretagne.Chaque structure coordonne l’intervention«multisons » de son département de compétence.

De quelle façon cette coopération seconcrétise-t-elle sur le terrain ?

Sur chaque « multisons » sont présents lesintervenants de chaque structure, désormaisregroupés sur un stand commun, sous la bannièrede l’Orange Bleue que connaît bien le public. Le stand comprend les trois tentes de 20 mètrescarrés de l’Orange Bleue : l’une est destinée àl’information et à la distribution de matériel deprévention ; une autre est un « chill-out », un espacede repos; la dernière permet à l’équipe d’interventionde se reposer et de créer un espace à part pour ladistribution du matériel d’injection, à l’abri desregards des autres festivaliers. Les camping-cars del’association Douar Nevez ou Sidarmor peuventaussi être présents. On y prépare la nourriture pourtoute l’équipe, qui les utilise également pour sereposer. Le stand est généralement ouvert duvendredi soir au dimanche midi, ce qui demande unnombre important d’intervenants.

Actal. Quelle a été l’origine de cette démarchede coopération ?

Le collectif. Le projet est né suite à une étudemenée en 2008 par le Centre d’information régionalsur les drogues et les dépendances (CIRDD)Bretagne en milieux festifs. Cette analyse a faitressortir entre autres points le manque decoordination au niveau régional entre les différentsacteurs de la prévention et de la réduction desrisques : jusque-là, chacun intervenait sous unecasquette différente, avec des compétences et uneconnaissance des publics bien spécifiques. Sicertaines associations telles que l’Orange bleue etAides-Finistère se rencontraient déjà régulièrementet travaillaient ensemble, le but de cette initiativeétait d’aboutir à une connaissance exhaustive detoutes les actions menées sur le terrain. L’objectiffinal est de mutualiser les compétences et lesmoyens et de favoriser le partenariat en instaurantune culture commune d’intervention.

Comment avez-vous travaillé pour mettre enplace ce partenariat ?

Nous avons constitué un groupe de travailcomprenant la structure d’intervention en milieufestif l’Orange Bleue et trois Caarud : le Caarud duFinistère, Lover Pause, géré par l’AssociationAIDES, le Caarud du Morbihan, le Pare-A-ChuteS,géré par l’association Douar Nevez et le Caarud «LeBreak» géré par Sid-Armor pour les Côtes d’Armor.Chacune de ces structures a des compétences bienspécifiques. Par exemple, l’Orange Bleue estfamilière du public festif, consommateur d’alcoolmais aussi usager de drogues par d’autres modesd’administration que l’injection tels que le sniffing,

On constate aussi que cette consommationponctuelle et massive d’un public très jeunes’accompagne d’un manque d’informations sur lesrisques encourus : il reste un gros travail à faire. Par ailleurs, en France, les gros événements du typerave ou free party de 10 000 personnes ont disparuau profit de multiples petites soirées de 2 à 300personnes, où de gros risques sont pris, mais où laparanoïa et la méfiance, qui se sont développéesavec le durcissement de la loi, rendent l’accès plusdifficile. Là aussi, il reste beaucoup de travail àfaire.•

Rassemblements multisons: en Bretagne, l’union fait la force

Échanger les connaissances, partager les compétenceset mutualiser les moyens : en Bretagne, CAARUD etassociations de prévention et de réduction des risquesen milieu festif s’associent pour mieux intervenir lors desrassemblements « multisons ».

De gauche à droite, le collectif : Stéphanie Le Friec (déléguéed'actions, Aides Finistère - CAARUD Lover Pause), MaëlGuillamet (animateur d'actions, Aides Finistère - CAARUDLover Pause), Guillaume Jegousse (coordinateur/chargé deprojet, Douar Nevez - CAARUD Le Pare-A-ChuteS), GuillaumeGirard (coordinateur, Orange Bleue)

48 Interview / Spiritek connaît la musique

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Interview / En Bretagne, l’union fait la force 51

fêtes et qui dit fête dit souvent consommation deproduits. De plus, le phénomène des ivresses est enlien étroit avec la transmission de modèles culturelset familiaux par les adultes.

Quels sont les projets du collectif ?

Nous avons pour projet de mettre en place uneformation pour nous et d’autres bénévoles sur laréassurance, c’est-à-dire la prise en charge nonmédicalisée d’une personne qui fait un « bad trip »dans un état de stress suivant la consommationd’un produit. D’autre part, nous travaillons sur lamise en commun de nos outils et critèresd’évaluation. Une charte d’intervention enprévention et réduction des risques en milieuxfestifs dans le Morbihan a été rédigée afin quebénévoles et professionnels adoptent les mêmesprincipes éthiques d’intervention. Cette charte vadésormais être étudiée au niveau régional. À uneautre échelle territoriale, certains membres de cegroupe travaillent également sur la création d’uncollectif de prévention et de réduction des risquessur le département du Morbihan.•

les organisateurs changent. Il nous fallait égalementbatailler pour susciter l’adhésion du public: lesjeunes avaient des a priori négatifs par rapport à laprévention. Ils y voyaient un discours moralisateuranti fêtard alors que nous prônons la fête à moindrerisque et que nous sommes là pour être à l’écoute,entendre les demandes non formulées, créer laconfiance, conseiller plutôt que de moraliser, dansune attitude de non-jugement, et bien sûr favoriserla responsabilisation de la personne. Ce discoursest mieux entendu maintenant. Résultat, 20 à 25 %du public vient fréquenter l’espace de préventiondurant un week-end festif, chiffre en augmentation.

Quelle évolution constatez-vous dans cesévénements festifs ?

Il n’y a plus aujourd’hui de gros technivals quiaccueillaient 40 à 50 000 personnes et présentaientdavantage de situations à risques. La jauge s’estaujourd’hui réduite, plus facilement gérable, entre 3 000 et 11 000 personnes. Le public a aussi un peuvieilli, aux alentours des 20-30 ans, il consommedavantage de produits en même temps et toujoursbeaucoup d’alcool, qui reste le premier produitconsommé en milieux festifs, et de loin. L’héroïne,quasiment absente du milieu festif techno estaujourd’hui plus visible, et l’ecstasy n’est plus quetrès rarement rencontrée. Mais on constateégalement une meilleure appropriation des outils deprévention par les jeunes aujourd’hui, qui saventutiliser l’éthylotest ou le préservatif. Il y a une réelleculture de la prévention, meilleure que chez le publicdes festivals plus « familiaux » et généralistes telsque les fêtes de la musique dans les grandes villesou le festival des Vieilles Charrues : ce publicconnaît moins bien les produits et maîtrise moinsbien leur consommation.

La Bretagne se distingue très largement desautres régions françaises en termes d’ivressesrégulières et répétées chez les jeunes.Comment expliquez-vous ces comportementsà risques ?

La Bretagne se caractérise par le nombre élevé toutau long de l’année de ses festivals et ses événementssportifs et culturels ainsi que par une tolérancesociale historique face à l’alcool. C’est une terre de

Pour mutualiser nos compétences, nous créons deséquipes d’intervention mixtes, composées d’unedizaine de personnes bénévoles et salariées auxprofils différents: éducateurs, infirmiers, animateursde prévention, personnes issues de l’auto-support.Cela permet à chacun de nous d’observer les autresintervenants en situation et ainsi de partager lessavoir-faire. Par ailleurs, nous nous retrouvons deuxà trois fois par an afin d’échanger sur la manière detravailler, les projets à venir, l’évaluation et, àterme, sur une formation commune.

Pouvez-vous déjà évaluer les bénéfices decette initiative ?

Nous n’en sommes qu’à la première vraie saison decoopération, étant intervenus en 2011 sur quatreévénements : les multisons d'Ille et Vilaine, àGahard, en mai (4000 personnes), des Côtesd'Armor, à Seven Lehart (3000 personnes), duFinistère, à Riec sur Belon, en juin (10000personnes) et sur le Multisons du Morbihan, àSilfiac, début octobre (9000 personnes). Mais nousavons déjà pu en constater les premiers bénéfices.Le premier impact a été l’augmentation de lafréquentation du stand : le fait de proposer un seulmessage de prévention, dans un seul espacecommun avec un éventail de réponses différentes et adaptées améliore notre visibilité et renforcel’efficacité de notre action. Cela nous permet demieux orienter le public vers les services de soins et les usagers très éloignés pour la plupart desdispositifs sanitaires classiques vers les structuresde droit commun que sont les Caarud.

Quelle perception ont de la prévention lesorganisateurs des festivals et le public ?

Au début des années 2000, l’Orange Bleue devaitbatailler pour installer un espace de prévention enmilieu festif et en défendre l’utilité. Aujourd’hui,c’est acquis et notre présence apporte une plus-value au public des musiques actuelles etalternatives. Et comme nous intervenons sur lemême type de fête, notre intervention estreconduite d’une année sur l’autre. Mais il fautnéanmoins toujours renouveler cette confiance car

La spécificité bretonne en matière de consommation d’alcool

Le CIRDD* de Bretagne a publié en juin 2011 une étude sur l’alcoolet les jeunes dans la région**, dont voici les principaux résultats.

• La consommation générale d’alcool est plus importante enBretagne que dans la moyenne nationale : plus d’ivressesponctuelles, répétées et régulières, deux fois plus d’ivressespubliques manifestes, une mortalité prématurée liée à laconsommation d’alcool plus importante, une influence de l’alcooldans l’accidentologie supérieure à la moyenne nationale.

• Selon l’enquête Escapad de 2008, les jeunes de 17 ans ont unusage régulier d’alcool similaire au niveau national (environ 9%). Lenombre d’ivresses répétées (≥ 3 fois dans l’année) et d’ivressesrégulières (≥ 10 fois dans l’année) est nettement supérieur à lamoyenne nationale. Même constat pour les épisodes répétésd’usage d’alcool ponctuel sévère (consommation de 5 verres enune seule occasion ≥ 3 fois dans le mois), dont le taux s’élevait en2008 à 26% en Bretagne contre 19,7% en France. Maiscontrairement à une situation nationale de stagnation ou de haussesuivant les cas, la consommation dans la région baisse depuis 2005.

• Entre 2001 et 2007, la tolérance des parents à la consommationd’alcool des jeunes a augmenté, alors qu’elle a baissé pour lesautres produits (enquête santé des jeunes scolarisés de l’ORSBretagne). Or l’interdiction parentale est un facteur de limitation dela consommation d’alcool par les jeunes.

• Le motif de consommation d’alcool le plus fréquemment annoncéest l’usage festif (80%). Ces consommations ont lieu à domicilemais avec des amis (56% des cas), dans des débits de boissons(42%) ou en discothèque (37%). Les consommations dans un but de« défonce », à visée anxiolytique ou comme stratégie d’ajustementface à l’adversité sont beaucoup plus rares.

• Selon certains historiens, l’alternance entre une sobriétéquotidienne et des ivresses événementielles est ancrée dansl’histoire locale. L’ivresse serait un rite de passage de l’enfance àl’âge adulte, et l’initiation se ferait dans le milieu familial. L’étuderevient en détails sur « la piste », une forme d’alcoolisationritualisée pour vivre une rupture avec le quotidien, qui seraitplanifiée et vécue comme un loisir comme un autre.

• D’autres facteurs locaux sont évoqués :- un grand nombre d’événements sportifs et culturels, de festivals- des traumatismes lors des guerres mondiales, la perte de lalangue, l’exode rural- une réussite scolaire particulièrement bonne dans la région, quiengendrerait le besoin de « relâcher la pression »

* Centre d’information régional sur les drogues et les dépendances** L’alcool et les jeunes en Bretagne, disponible surwww.federationaddiction.fr, page de l’Union Régionale de Bretagne

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Recherche 53

s’interrogent également sur le bien-fondé de laprohibition du cannabis3. Du point de vue addictologique,un changement de législation comme ladépénalisation de l’usage privé pourrait s’inscriredans le mouvement de réduction des risques amorcédepuis les années 90 autour de l’usage des opiacés,et étendu plus récemment à d’autres produits commeà l’alcool 5. Ce mouvement a pour but de favoriserl’accès aux soins des patients quel que soit leur projetvis-à-vis du produit, afin notamment de limiter lescomorbidités associées à l’usage de substances et ladé-socialisation. Plusieurs études ont été récemmentmenées pour comparer les risques associés àdifférents produits addictifs 6-10. Toutes mettent enévidence une mauvaise corrélation entre le statutlégal des produits et le niveau de dommages qu’ilscausent aux consommateurs et à la société.Une première lecture de ce résultat consiste àconsidérer que les politiques publiques ne sont pasfondées sur les données scientifiques actuelles en lamatière et que des efforts doivent être faits pour faireconnaître ces données aux politiques. Uneinterprétation complémentaire suggère que ces choixpolitiques ne reposent pas uniquement sur lesévaluations de risques mais qu’ils font la part belleaux bénéfices perçus pour les usagers et pour lasociété. Sous cette seconde lecture, seule uneévaluation des produits addictifs basée surl’estimation des dommages et des bénéfices estsusceptible d’être pertinente pour les décideurspolitiques.Mesurer les bénéfices n’est pas une chose aisée. Sides données existent pour certains bénéficeséconomiques et sociaux 11-14, les bénéfices de natureplus individuelle sont nécessairement subjectifs. Laculture, la religion, l’histoire personnelle, lespositionnements idéologiques 4, les expériences devie6 et la pression de certains lobbies organisés,contribuent fortement à modeler les perceptions queles individus peuvent avoir des bénéfices associésaux consommations. Pour autant, subjectivité n’estpas nécessairement synonyme d’impossibilité demesure. Définir les conditions permettant de recueillirdes mesures fiables et reproductibles des bénéficesconstitue un enjeu méthodologique important.Parler des bénéfices associés à la consommation dedrogues dont les effets délétères sont importantspeut paraître contre-intuitif voire choquant pour des

IntroductionLes scientifiques se sont à nouveau emparés depuispeu de la problématique de la législation des drogueset produits stupéfiants. En effet, le débat ayant lieuen France actuellement sur la possibilité d’unelégalisation ou dépénalisation de l’usage de cannabisfait écho à une réflexion scientifique internationaleplus large sur les législations de l’ensemble dessubstances addictives licites et illicites 2. En effet,plusieurs publications et rapports illustrent le manquede cohérence entre les législations des différentspays. D’autres s’interrogent sur le rationnel même deces lois, reposant plus sur des critères politiques,voire moraux, que sur des arguments scientifiques 3.La démarche actuelle de rassemblement desprofessionnels des addictions derrière une seule etmême discipline pour l’ensemble des produitsfavorise cette réflexion et la recherche d’unecohérence au-delà des substances. Celle-ci bouleverseles pratiques et bouscule les arguments politiquesrépressifs conservateurs sur l’usage de stupéfiants.Du point de vue économique, certains spécialistes

Aux urgences de Rennes

Le nombre de jeunes admis aux urgences pour intoxicationalcoolique augmente de façon préoccupante en Bretagne. Le CIRDD Bretagne et le CHU de Rennes ont mené une enquête* pour faire un état des lieux de la situation et améliorer leur action à destination de ce public.

L’étude a d’abord porté sur une évaluation quantitative de l’activitédes urgences, à partir des données du logiciel Rés’Urgences, sur 2008, 2009 et 2010. L’analyse des chiffres fait ressortir, entreautres, les caractéristiques suivantes :• parmi les patients de moins de 25 ans, une large majoritéd’hommes est accueillie • les âges qui concentrent le plus d’individus sont les 19, 20 et 21 ans• les admissions des moins de 25 ans ont lieu essentiellement entre22 heures et 8 h du matin et le week-end (du jeudi soir au lundimatin) • les admissions sont plus importantes en janvier, avril, mai et novembre• une très large majorité des patients présente un état de gravitépeu élevé

Un deuxième volet de l’enquête s’est focalisé sur les pratiques desprofessionnels rennais intervenant à l’hôpital, à partir d’entretiensauprès d’une cinquantaine d’entre eux. Ils ont permis de mettre enévidence, entre autres, l’important travail réalisé par les réseauxd'addictologie et d'alcoologie, une grande motivation des personnelset l’activité importante de prévention et de réduction des risques,effectuée par des adultes présents la nuit en centre-ville.

En revanche, un certain nombre de difficultés ont été mises enlumière. Parmi celles-ci :• le service d’accueil des urgences des plus de 16 ans est saturé ; le nombre de lits d’hospitalisation est insuffisant• la situation d’ivresse est complexe et souvent accompagnée deproblématiques connexes, ce qui complique sa prise en charge • il manque une « culture commune » sur les questions d’alcoologieet de la formation pour les équipes urgentistes ; de nombreuxprofessionnels se sentent démunis face au phénomène• le travail des équipes de liaison manque de visibilité ; les acteursne se connaissent pas assez entre eux

* Prise en charge de l’alcoolisation aiguë des moins de 25 ans aux urgences,septembre 2011, disponible sur www.federationaddiction.fr, page de l’UnionRégionale de Bretagne

52 Interview / En Bretagne, l’union fait la force

Évaluation dommages/bénéfices de neuf produits ou comportements addictifsCatherine Bourgain1,2, Bruno Falissard1,2, AmandineLuquiens2,3 , Amine Benyamina 2,3 , Laurent Karila 2,3 ,Lisa Blecha 2,3 et Michel Reynaud1,2,3

1 INSERM, UMR 669, F-75005, Paris, France2 Université Paris Sud and université Paris Descartes,UMR 669, F-94817 Villejuif, France3 Hôpital Paul Brousse, F-94817 Villejuif, France

Pour la version anglaise de l’article, voir labibliographie 1

Recherche / Évaluation dommages/bénéfices de neuf produits ou comportements addictifs 55

tiellement accrue pour tenir compte de la plus grandehétérogénéité attendue dans l’évaluation desbénéfices. Considérant que le consensus sur lesbénéfices n’était pas possible, nous n’avons parailleurs pas cherché à dégager des évaluationsconsensuelles en réunissant tous les experts (phasedite de consensus).Notre approche repose avant tout sur la définition decritères précis pour mesurer les dommages et lesbénéfices. Six critères ont ainsi été construits pourcouvrir tout le spectre des dommages potentiellementgénérés par la consommation des produits. Trois deces critères visent les dommages pour l’usager(« dommages à l’usager »). Les trois autres visent lesdommages pour la société (« dommages pour lasociété »). De façon parallèle, six critères ont étéconstruits pour couvrir le spectre des bénéficespotentiellement associés à la consommation desproduits, trois pour les bénéfices individuels(« bénéfices pour l’usager ») et trois pour les bénéficessociétaux («bénéfices pour la société »). Le Tableau 1reproduit la description de chacun de ces douze items,tels que présentés aux experts.

Ces critères ont été définis en collaboration avec lescliniciens du département de psychiatrie etd’addictologie de l’Hôpital Paul Brousse de Villejuif,afin de garantir une bonne expertise sur chaque desneuf produits considérés. La grille de critère a ensuiteété approuvée par le comité exécutif de la FédérationFrançaise d’Addictologie (FFA), société savante quiréunit la plupart des professionnels français desaddictions. Ces critères ont été définis de sorte que chacund’entre eux constitue une catégorie jugée d’égaleimportance. Ainsi, le fait d’avoir construit six itemsde dommages, trois pour les dommages à l’usager ettrois pour les dommages à la société, permet ensommant les évaluations pour chacun d’entre eux,d’obtenir une évaluation globale des dommages quidonne autant d’importance à la dimension individuelleet à la dimension sociétale. Autrement dit, le poidsrespectivement associé à chacune des deux dimensionsest de 50%. Ce choix rejoint celui effectué par legroupe d’experts sollicités par Nutt et al, qui attribuaità l’issue d’une procédure de consensus, un poids de54.2% pour les dommages sociétaux et un poids de45.8% pour les dommages individuels.

professionnels de santé. Cependant le choix del’usage des produits ne peut se résumer à la prise encompte de leur dangerosité. Les effets positifs etnégatifs attendus de la consommation ont égalementété étudiés de façon indépendante pour le cannabis,la cocaïne et les psychostimulants, le GHB, et pourl’alcool 15-18. L’usage de substances est effectivementcorrélé aux effets attendus positifs de celles-ci. Desétudes s’intéressant à la fois à la dimension«dommages » et à la dimension «bénéfices» ont étémenées pour certains produits 6, 15-18, présentant desrésultats encourageants. L’étude présentée dans cetarticle reprend cette démarche en la généralisant. Elleconstitue, à notre connaissance, la première étudesystématique et comparative de plusieurs produits oucomportement addictifs, évalués à la fois sous l’angledes dommages et sous l’angle des bénéfices,considérés de façon individuelle et de façon sociétale.Comme les études menées par Nutt et al 2,7, notretravail repose sur les évaluations d’experts enproduits addictifs amenés à se prononcer de façonconcomitante sur plusieurs produits addictifs. Cesévaluations basées sur des critères précisémentdéfinis sont par ailleurs complétées par une mesurede la perception subjective globale que chaque experta de chaque produit. En croisant mesures précises desdommages et des bénéfices et perception globale,nos résultats éclairent de façon intéressante la façondont les experts interrogés forgent leur avis globalsur les produits.

Méthodes• Organisation de l’étudeNous nous sommes intéressés à 8 produits addictifsde consommation courante : l’alcool, le tabac, lecannabis, la cocaïne, l’héroïne, les amphétamines,l’ecstasy et les autres drogues de synthèse (toutessauf ecstasy et amphétamines). Un comportementaddictif courant, la pratique des jeux d’argent, aégalement été inclus dans notre analyse. Par soucide simplification, les jeux d’argent seront qualifiés de« produit addictif » dans la suite de cet article.Le plan de notre étude a été conçu en s’appuyant surles travaux de Nutt et al 2,7, modifiés pour permettreune évaluation conjointe des dommages et desbénéfices. Une procédure allégée a été mise au pointpour l’évaluation des dommages. La taille del’échantillon d’experts interrogés a été substan-

Dommages

Bénéfices

Bénéfices / Dommages individuels

Dommages sanitaires aigus On pensera à tousles effets immédiats, par exemple : dépressionrespiratoire, troubles cardio-vasculaires, overdose,comas éthyliques, accidents de la voie publique,troubles aigus du comportement, violence, troublespsychotiques aigus…

Dommage sanitaires chroniques Par exemple :cancers, troubles cardio-vasculaires chroniques,pathologies respiratoires, cirrhose, troublespsychotiques chroniques, troubles cognitifschroniques, états démentiels, hépatites, HIV.

Dépendance Cette dimension doit prendre encompte les éléments de dépendance physique etl’importance de la dépendance psychique etnotamment de la perte de contrôle, du craving etdes besoins compulsifs qu’elle entraîne.

Bénéfices hédoniques Il s’agit d’évaluerl’intensité du plaisir obtenu et l’importance dessensations intenses ou inhabituelles.

Bénéfices identitaires La consommation du produitpermet d’entrer dans des cadres et des codessociaux renforçant l’identité. Il convient d’évaluerleur potentiel de socialisation, lié à la valeurcollective et culturelle de leur usage.

Bénéfices auto thérapeutiques La consommationpermet le soulagement de tensions et desouffrances internes, notamment celles associéesà des émotions générées par la relation à autrui. Ony intègrera les éventuels effets positifs sur la santéde ces produits (French paradox, nicotine etneurone…).

Bénéfices / Dommages sociétaux

Coûts sanitaires et sociaux Ils comprennent parexemple : les coûts sanitaires directs liés à la priseen charge et à l’hospitalisation, les coûts sanitairesindirects liés à l’incapacité et aux arrêts de travailet les coûts liés à la prise en charge sociale et àl’invalidité. Les coûts sanitaires et sociaux sontassociés à la fréquence de consommation et à ladangerosité des produits.

Coûts légaux Ils peuvent être liés à la violence etaux comportements antisociaux qu’entraîne laconsommation de ces produits, liés à la lutte contrele trafic et l’économie souterraine des produitsillégaux, etc. Ces coûts peuvent aussi comprendreles frais de douanes, de police, de justice, ainsi queles coûts liés à l’incarcération.

Conséquences sociales des troubles ducomportement entraînés par la consommationde substances Il s’agit là d’évaluer : les désordressociaux liés aux dommages accidentels ouprovoqués à autrui, aux biens (violence familiale ousociale) ; les conséquences sur le fonctionnementfamilial, soit à cause des effets du produit, soit àcause des altérations des motivations desutilisateurs les éloignant de leur famille pour desactivités liées aux produits.

Bénéfices économiques Il s’agit d’évaluerl’importance économique (dans l’économie licite)que représentent la production, la vente, ladistribution, la commercialisation, la promotion etla consommation du produit. NB: ces bénéfices pourla société s’évaluent en tenant compte dupourcentage des consommateurs.

Bénéfices sociaux Il s’agit d’évaluer l’importanceque revêt la consommation du produit pour leséquilibres sociaux, en particulier l’importance desgroupes sociaux concourant à la production et à ladistribution. NB : ces bénéfices pour la sociétés’évaluent en tenant compte du pourcentage desconsommateurs.

Bénéfices culturels Il s’agit d’évaluer la placequ’a le produit dans les différentes cultures oumicro-cultures, sa valeur festive ou conviviale, soninscription dans les rituels sociaux. NB : cesbénéfices pour la société s’évaluent en tenantcompte du pourcentage des consommateurs.

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Tableau 1 : définition des critères d’évaluation utilisés dans l’étude.

produits. L’une d’elle vise spécifiquement la« dimension usager » : « Pensez-vous qu’il estpréférable de vivre en pouvant consommer leproduit ?», avec comme réponse possible « Oui, jepense qu’il est préférable de vivre en pouvantconsommer le produit » ou « Non, je pense qu’il estpréférable de vivre sans pouvoir consommer leproduit ». La seconde question vise, de façonsymétrique, la dimension sociétale : « Pensez-vousqu’il est préférable de vivre dans une société où leproduit peut être consommé ? », avec comme réponsepossible « Oui, je pense qu’il est préférable de vivredans une société où le produit peut être consommé »ou « Non, je pense qu’il est préférable de vivre dansune société où le produit ne peut pas être consommé».Ces questions avaient deux objectifs. D’une part, ellespermettent d’évaluer l’opinion subjective globale desexperts sur un produit, considéré sous l’angle del’usager ou sous l’angle de la société. D’autre part,en croisant ces opinions globales avec les évaluationspar critères, nous avons évalué sur la base du modèlestatistique présenté ci-dessous, l’importance que lesexperts associent implicitement à chacun des critèresau moment de former leur opinion globale sur lesproduits.

• Analyses des scores EVA et des opinionssubjectives globalesChaque critère retenu et chaque produit a étécaractérisé par la moyenne des scores EVA sur toutl’échantillon d’experts sollicités. L’homogénéité desmoyennes de scores EVA entre sous-groupesd’experts (homogénéité sur le sexe ou sur laprofession) est considéré comme un élément devalidation du choix de la moyenne comme indicateurrésumé.Pour chaque produit, nous avons calculé un scoreglobal de dommages en sommant simplement lesvaleurs moyennes des scores EVA pour les six critèresde dommages retenus. Comme nous l’avons déjàprécisé, cette mesure revient à attribuer une mêmeimportance à chacun des critères. De la même façon,nous avons calculé pour chaque produit un scoreglobal de bénéfices en attribuant une importanceégale à chacun des six critères de bénéfices retenus.Dans une première approximation, nous avons calculépour chaque produit une balance dommages/bénéfices en soustrayant le score global de bénéfices

L’échantillon d’experts sollicités pour notre enquêteest significativement plus important que les 15experts mobilisés par Nutt et al 2,7. Le recrutement aété effectué en mai 2010 au cours d’une conférencede la FFA réunissant les membres des conseilsd’administrations des associations membres de laFédération. Au total 48 experts (âge moyen = 48 ans,60% d’hommes, 77% de cliniciens) ont accepté departiciper à l’enquête.Deux semaines avant la conférence, tous lesparticipants ont reçu une liste d’articles parus dansdes journaux à fort facteur d’impact et de rapportsimportants concernant chacun des 9 produits. Laplupart de ces références étaient disponibles surnotre site Internet. Le questionnaire d’évaluation aété présenté oralement aux participants de laconférence. Il contenait, pour chacun des 12 critèresretenus pour les neuf produits, une échelle visuelleanalogique (EVA) graduée de 0 (« pas de dommages»ou « pas de bénéfices ») à 10 (« dommages extrêmeset fréquents» ou «bénéfices extrêmes »). La perspectivecomparatiste dans l’évaluation des produits a étérenforcée en considérant les critères l’un aprèsl’autre, chacun étant évalué simultanément pour lesneuf produits.Le questionnaire a été rempli de façon indépendantepar chacun des experts, sans phase de consensus. Lenombre d’experts ayant répondu à notrequestionnaire nous a en effet permis de mener desanalyses statistiques intéressantes. Mais l’absenced’une phase de consensus présente un désavantageimportant. Il n’est plus possible, comme dans letravail de Nutt et al, d’appliquer une procédure dutype analyse des processus de décision. Or, cetteprocédure permet de définir au consensus,l’importance que les experts attribuent à chaquecritère. Ainsi, pour les experts de Nutt et al, les coûtséconomiques constituent le critère le plus importantparmi les 16 critères évalués (poids relatif = 12.8)alors que les dommages à la communauté (effets surle déclin de la cohésion sociale et sur la réputationde la communauté) sont considérés comme le critèrede moindre importance (poids relatif = 3.21). Nousavons déjà souligné que cette question del’importance relative des critères a largement inspiréleur définition. Pour pousser plus loin l’investigationde cet aspect deux questions complémentaires ontété ajoutées au questionnaire, pour chacun des 9

vérifiant que pour chaque coefficient estimé β, leratio σ(β)/β est inférieur à 30. Enfin, pour garantir larobustesse des estimations, les opinions globales ontété analysées de façon conjointe pour les neufproduits.Trois modèles ont été successivement appliqués auxdeux séries de régressions. Sous le modèle le plusgénéral (Modèle 1), les six critères utilisés commevariables explicatives ont un effet indépendant surl’opinion. Une importance relative différente peutdonc être estimée pour chaque critère (un coefficientde régression par critère). Sous le modèleintermédiaire (Modèle 2), un coefficient de régressionunique est estimé pour tous les critères de dommageset un autre coefficient est estimé pour tous lescritères de bénéfices. Dommages et bénéficespeuvent donc avoir un effet différent sur l’opinion,mais tous les critères de bénéfices sont supposésavoir une même importance et tous les critères dedommages une même importance, potentiellementdifférente. Sous le modèle le plus simple (Modèle 3),un coefficient de régression unique est appliqué àtous les critères. Dans cette dernière situation, tousles critères de dommages et de bénéfices sontcontraints à avoir la même importance. Ce derniermodèle correspond exactement à la démarcheadoptée pour obtenir la balance dommages/bénéficesbrute présentée plus haut.Ces trois modèles permettent donc d’estimer despoids relatifs pour chacun des critères mais le Modèle1 contient plus de paramètres que le Modèle 2 qui encontient lui-même plus que le Modèle 3. Pouridentifier le modèle le plus parcimonieux, c’est-à-direle modèle qui a la meilleure capacité à expliquer lafaçon dont sont formées les opinions globales tout enminimisant le nombre de paramètres dans le modèle,nous avons utilisé le critère d’Akaike (AIC) 23. Il s’agitd’un critère adossé au maximum de vraisemblance,qui peut être calculé pour chaque modèle. Le modèlele plus parcimonieux sera alors celui qui présenterale critère AIC le plus faible. Ce critère a été retenucar il reste un moyen statistiquement valide pourcomparer des modèles lorsque les observationsutilisées dans la régression ne sont pasindépendantes. C’est en effet le cas de notre analyseoù les opinions sur les différents produits sontanalysées de façon conjointe.Pour finir, les estimations de poids relatifs obtenues

au score global de dommages. Avec cette balancebrute, dommages et bénéfices sont supposés avoir lamême importance. Une unité de dommages estconsidérée comme équivalente à une unité debénéfices.Pour tester la validité de cette hypothèse et pouraffiner l’estimation de la balance dommages/bénéfices, nous avons analysé les opinionssubjectives globales des experts. Ces dernières ontd’abord été caractérisées par la proportion de « oui »dans les réponses aux questions posées.Dans un second temps, nous avons construit unmodèle d’analyse statistique ad hoc, permettant decroiser cette information avec les évaluations parcritères. L’objectif principal de cette modélisationétait d’estimer l’importance que les experts accordentde façon implicite à chacun des critères évalués aumoment de former leur préférence générale sur unproduit.Nous avons donc construit un modèle statistique danslequel l’opinion globale est la variable à expliquer etles évaluations par critères sont les variablesexplicatives. Notre modèle suppose en outre que lesopinions globales peuvent être décrites commerésultant de la combinaison linéaire des scores EVAattribués aux critères de dommages et de bénéfices.Comme l’opinion est une variable binaire (oui/non),nous avons utilisé le cadre de la régression logistique.Avec ce modèle, le coefficient de régression estimépour une variable explicatrice représente directementson importance relative dans la construction del’opinion globale. Dommages et bénéfices sont missur une même échelle. Les estimations descoefficients de la régression correspondent aux poidsimplicitement appliqués par les experts aux critèresde dommages et de bénéfices.Comme les opinions globales des experts ont étécollectées de façon distincte pour les dimensions« usager » et « société », deux séries de régressionslogistiques ont été réalisées. Pour la première série,l’opinion globale du point de vue de l’usager estrégressée sur les trois critères de dommages pourl’usager et les trois critères de bénéfices pourl’usager. Pour la seconde série, l’opinion globale dupoint de vue de la société est régressée sur les troiscritères de dommages pour la société et les troiscritères de bénéfices pour la société. La validité dechaque modèle de régression est contrôlée en

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drogues de synthèse présentent des scores globauxde même importance, le tabac est caractérisé par desdommages sociétaux relativement plus importantsque les dommages pour l’usager. Les jeux d’argentconstituent une exception notable, avec desdommages pour l’usager et pour la société jugésfaibles. De façon fort intéressante, la corrélation entre cescore global de dommages et le score total proposépar l’étude de Nutt et al 7 est très élevée (r2=0.95). Cerésultat est d’autant plus stimulant que lesméthodologies utilisées dans les deux études sontassez différentes. Nous considérons que ce résultatcontribue à valider la pertinence de la grilled’évaluation proposée ainsi que la démarche adoptéedans notre étude. Par ailleurs, comme le signalaientNutt et al 6,7, ces résultats mettent en lumière unemauvaise corrélation entre le niveau de dommagesassociés aux produits et leur statut légal /illégal.Les corrélations entre les scores globaux dedommages et les opinions subjectives globales desexperts sur les produits du point de vue de l’usagerou de la société sont faibles (voir Tableau 2). Avec

avec le modèle le plus parcimonieux sont utiliséespour affiner la balance dommages/bénéficesassociée à chaque produit. Au lieu de simplementretrancher le score global de bénéfices au scoreglobal de dommages, la « balance globaledommages-bénéfices » est calculée en sommant lesscores EVA de dommages chacun pondéré par lepoids relatif qui lui est associé dans le modèle plusparcimonieux, et en y retranchant les scores EVA debénéfices chacun pondéré du poids relatif qui lui estassocié dans le même modèle.Toutes les analyses ont été réalisées avec le logicield’analyses statistiques R [24].

RésultatsLa figure 1 présente les neuf produits étudiés,ordonnés par leur score global de dommages. Lacontribution de chacun des 6 critères considérés estégalement précisée sur la figure. L’alcool apparaîtcomme le produit le plus à risque pour les critèresconcernant l’usager comme pour ceux concernant lasociété, suivi par l’héroïne et la cocaïne. Si le tabac,le cannabis, les amphétamines, l’ecstasy et les autres

plus favorables à la consommation des produitslorsqu’elle est considérée sous la perspectivesociétale que lorsqu’elle est considérée sous laperspective de l’usager.Ces résultats confirment que, même pour des experts,les scores de dommages globaux ne sont pas desvariables explicatives suffisantes pour prédire leuropinion subjective globale sur les produits. Ce résultatrenforce la pertinence de mesurer les bénéficesassociés aux produits.La Figure 2 présente les 9 produits ordonnés par leurscore global de bénéfices, avec la contribution

75% des experts préférant la possibilité de pouvoirconsommer le produit et 92% des experts préférantvivre dans une société où sa consommation estpossible, l’alcool est classé premier sur la base desopinions subjectives globales des experts, alorsmême qu’il correspond au produit associé auxdommages maximums. Au contraire, les jeux d’argentsont « le produit » avec le score global de dommagesle plus faible, mais seuls 22% des experts préfèrentpouvoir jouer et 52% préfèrent vivre dans une sociétéoù les jeux d’argent sont possibles. Notons aupassage que pour tous les produits, les experts sont

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Tableau 2 : opinions subjectives globales des experts sur les produits. Proportions d’experts préférant vivre et consommerle produit et proportion d’experts préférant vivre dans une société où le produit est consommé.

Préfère vivre et consommer le produit

Préfère vivre dans une société où le produit est consommé

Alcool Jeux argent Cannabis Tabac Amphétamines Ecstasy Drog. synth. Cocaïne Héroïne

75 % 29% 23% 13% 10% 8% 11% 8% 15%

82 % 58% 42% 38% 27% 24% 24% 22% 20%

Figure 2 : produits ordonnés par score global de bénéficesdécroissant. La contribution de chacun des six critères debénéfices au score global est indiquée. Les trois critères relatifsà l’usager sont en haut des colonnes. Les trois critères relatifs àla société sont en bas des colonnes.

Figure 1 : produits ordonnés par score global de dommagesdécroissant. La contribution de chacun des six critères dedommages au score global est indiquée. Les trois critèresrelatifs à l’usager sont en haut des colonnes. Les trois critèresrelatifs à la société sont en bas des colonnes.

es

des différents critères. Les résultats, présentés dansle Tableau 3 montrent que le modèle qui explique lemieux l’opinion globale des experts est le Modèle 2,qu’il s’agisse des opinions du point de vue de l’usager(AIC le plus faible des 3 modèles étudiés) ou du pointde vue de la société (AIC équivalent pour les Modèles1 et 2, mais le Modèle 2 est plus parcimonieux). Cerésultat signifie qu’utiliser la balance brutedommages/bénéfices n’est pas la meilleure façon deprédire l’opinion subjective globale des experts. Maisconsidérer que tous les critères de dommages ont unemême importance et que tous les critères debénéfices ont une même importance, permet deprédire de façon plus parcimonieuse l’opinionsubjective globale des experts sur les produits. LaFigure 4 présente les poids associés aux critères dedommages et de bénéfices estimés par les modèles1 et 2. Sur la base de ces résultats, nous estimonsqu’en moyenne les experts accordent dix fois plusd’importance aux critères de bénéfices qu’aux critèresde dommages pour former leur opinion subjectiveglobale sur les consommations envisagées sousl’angle des usagers. Bien que moins parcimonieux, leModèle 1 propose des estimations intéressantes de

relative des 6 critères mesurés. L’alcool apparaîtcomme un cas particulier très net avec les bénéficespour l’usager et pour la société les plus élevés, suividu tabac. Le cannabis est classé troisième avec unscore global de bénéfices supérieur à celui des jeuxd’argent.Dans une première approximation, les scores globauxde dommages et de bénéfices sont réunis pourévaluer la balance brute (les critères de dommagessont comptés positivement et les critères debénéfices sont comptés négativement). Avec cetteapproche, les jeux d’argent et le tabac sont les deuxseuls produits qui présentent une balance négative,correspondant à des bénéfices estimés supérieursaux risques. La balance pour le cannabis apparaît plusfavorable que celle de l’alcool, bien qu’elle soitpositive dans les deux cas (les dommages sontsupérieurs aux bénéfices). La balance est nettementpositive pour tous les autres produits (Figure 3)

Pour tester la robustesse de cette balance brute, nousavons appliqué la modélisation statistique mise aupoint pour l’étude, consistant à régresser les opinionssubjectives globales des experts sur les scores VAS

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Figure 3 : balance brute globale dommages / bénéfices

Figure 4 : estimation despondérations associées auxcritères de dommages etaux critères de bénéficespour la genèse de l’opinionsubjective globale desexperts, avec intervalles deconfiance. (a) Analyse del’opinion des experts dupoint de vue de l’usager et(b) du point de vue de lasociété. Estimationsobtenues avec le modèle 2bivarié – partie supérieurede (a) et (b) – et avec lemodèle 1 multivarié – partieinférieure de (a) et de (b)

Tableau 3 : comparaison des modèles reliant l’avis subjectif global des experts et les évaluations par critèresdes dommages et des bénéfices. Le critère d’Akaike (AIC) et le nombre de paramètres du modèle (n) sont présentés pourles trois modèles étudiés. Les opinions globales du point de vue de l’usager et de la société sont analysées séparément.

Pondérations appliquées aux critères de dommages et de bénéfices

Pondérations égales pour tous les critèresModèle Univarié 3

Pondérations égales pour critères de dom-mages / pondérations égales pour critères de

bénéfices - Modèle bivarié 2

Pondération différente pour chaque critère Modèle multivarié 1

Opinion subjective du point de vue de l’usager

Opinion subjective du point de vue de la société

n AIC n AIC

1 440 1 476

2 427 2 472

6 422 6 472

DiscussionLes résultats de cette analyse dommages/bénéficessont intéressants à plusieurs égards.Ils montrent, pour commencer, que l’alcool, l’héroïne,la cocaïne et le tabac sont les produits addictifsprovoquant les dommages les plus importants. Cerésultat confirme très largement celui obtenu par Nuttet al 7 pour les 7 produits communs aux deux études.La convergence de résultats obtenus avec desméthodologies différentes, mobilisant des groupesd’experts de deux pays (Royaume-Uni pour Nutt,France pour nous) contribue à asseoir leur légitimité.Elle permet également de valider les critèresd’évaluation définis pour la présente étude, ainsi quela méthode adoptée consistant à interroger unnombre non négligeable d’experts, de façonindépendante.Notre analyse permet par ailleurs de mettre enlumière l’importance de la perception des bénéficespour l’usager dans la genèse des opinions subjectivesglobales. Ce résultat est d’autant plus intéressant quela plupart des experts interrogés pour cette étudesont des cliniciens. Autrement dit, avoir uneconnaissance fine des dommages pour l’usager

l’importance relative des différents critères évalués.Les deux critères identifiés comme ayant l’effet leplus net sont les bénéfices identitaires et lesbénéfices auto-thérapeutiques.Les évaluations des critères de bénéfices ontégalement un impact plus important que lesévaluations de dommages sur les opinionssubjectives globales des experts en matière deconsommation, envisagée sous l’angle sociétal, maisles différences sont moins marquées (importance desbénéfices estimé à 1.67 fois l’importance desdommages). Trois critères semblent avoir un effetmoins net sur les opinions tels qu’estimés avec leModèle 1 : les conséquences sociétales, les coûtslégaux et les bénéfices économiques.

Pour finir, la Figure 5 présente la balance dommages/bénéfices globale, calculée en utilisant les estimationsde poids obtenues avec le Modèle 2. Avec cettedernière représentation, la corrélation avec le statutlégal est notable. Tous les produits légaux sont situéssur la partie droite de l’axe, tous les produits illégauxsur la partie gauche. Notons que le cannabis et lesjeux d’argent ont des profils très similaires.

économiques et sociaux) dépendent largement dustatut légal des produits. Aucune taxe ne peut êtreappliquée au commerce de produits illégaux. Mais lalégalité influence également l’évaluation desdommages sociétaux. La lutte contre les trafics etl’économie parallèle des substances illicites présenteun coût légal substantiel. Nos évaluations ainsi quenos résultats doivent donc être considérés pour cequ’ils sont - des évaluations et analyses contingentesau contexte légal français dans lequel ils s’inscrivent.Les résultats présentés dans cet article reposent surdes évaluations menées par des experts en addiction.Si leurs connaissances en matière de dommagespeuvent être considérées comme suffisammentexhaustives pour produire des données objectives, lasituation est nécessairement différente pour lesbénéfices. Le contact régulier avec des usagers desproduits, la position empathique qui est de rigueurdans leur pratique professionnelle et les expériencespersonnelles de consommation qui sont les leurs pourcertains produits, contribuent à informer leur point devue en matière de bénéfices, sans en faire pourautant des mesures objectives. Au mieux, leursévaluations reflètent directement la perception desbénéfices au sein de la communauté des expertsfrançais de l’addiction. En planifiant notre étude, nous avons fait l’hypothèseque la subjectivité inhérente à la mesure desbénéfices ne devait pas être une raison pour lesnégliger. Or, ce travail montre que la perception desbénéfices a une importance indéniable sur la genèsedes opinions, y compris chez les experts du risque.Nous pensons que ces résultats renforcent lapertinence de l’hypothèse posée. Encore une fois, ilne s’agit pas de considérer ces mesures comme desfaits objectifs. Nous savons que la perception desbénéfices est le résultat de processus complexesmêlant histoire personnelle, culture, expérience etefficacité de certains lobbies puissants. Mais, nouspensons que la compréhension fine des perceptionsen matière de bénéfices, au même titre que celle desdommages, permettra d’améliorer les politiquespubliques en matière d’addiction. Longtempsfocalisées en France sur certains produits et nedélivrant que des messages d’abstinence, les actionsde prévention menées sur le terrain se centrentaujourd’hui de plus en plus sur les comportements

n’empêche pas les experts de donner une importancedéterminante à leur perception des bénéfices. D’unpoint de vue évolutionniste, ce résultat n’a rien desurprenant25. Si la consommation de produits psychoactifsest une constante de toutes les cultures et toutes lesépoques, c’est bien parce qu’elle est source de plaisiret d’états émotionnels positifs, qu’elle stimule et peutposséder des propriétés thérapeutiques anti-stress,anti-douleur, ou encore atténuer les souffrances liéesaux désordres psychiatriques. Des donnéesneurobiologiques récentes soutiennent égalementcette interprétation26-29. De façon générale, lesproduits psychoactifs modifient et modulent le réseaumésocorticolimbique impliqué dans le plaisir, lamotivation et la régulation des émotions.Nos résultats confirment en outre la très mauvaisecorrélation entre le niveau de dommages associésaux produits et leur statut légal, déjà décrite pard’autres études 6,7. Notre approche dommages/bénéfices systématique permet toutefois d’apporterdes éléments nouveaux. Sur la base de notre balancepondérée globale dommages/bénéfices, les produitspeuvent être groupés en trois catégories : l’alcool etle tabac sont localisés à l’extrémité la plus favorablede l’échelle, les jeux d’argent et le cannabis sont aumilieu, tous les autres produits illégaux étantregroupés à l’autre extrémité de l’échelle. Cetterépartition souligne le statut particulier de l’alcool etdu tabac. Les dommages de l’alcool sont totalementsurpassés par les bénéfices associés à saconsommation. Une situation similaire bien quemoins nette est observée pour le tabac. À l’opposé,la perception des bénéfices associés à laconsommation d’héroïne, de cocaïne, d’ecstasy,d’amphétamines et des autres drogues de synthèse,est bien plus faible. L’effet tampon sur les dommagesne fonctionne plus. Le cannabis apparaît comme leproduit pour lequel le statut légal est le plusquestionnable dans notre étude. Avec des bénéficesassociés à la consommation élevés et des dommagesmodérés, le cannabis présente une balance pondéréedommages/bénéfices équivalente à celle des jeuxd’argent.Cette corrélation entre balance pondérée dommages/bénéfices et statut légal doit toutefois êtreconsidérée avec précaution. Par construction, lesbénéfices sociétaux (en particulier les bénéfices

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Figure 5 : balance globale pondérée dommages / bénéfices

Bibliographie

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d’abus, la prise en compte de l’ensemble desconduites d’addiction (mésusage de médicaments,jeu pathologique, anorexie et boulimie..), des facteursqui les favorise ou qui en protège. Elles ont égalementévolué dans le sens de la réduction des risques pourdiminuer les dommages sanitaires et sociauxprovoqués par ces conduites. Cette démarche deprévention soulève les questions essentielles de laconstruction de la personnalité, du bien-êtreindividuel et social, et toutes les interrogationsauxquelles sont confrontés les différents acteurs encharge de l’éducation, de l’accompagnement, de lascolarisation et de l’accueil des publics, notammentdes jeunes. L’information sur les dangers et le rappeldes interdits sont donc très insuffisants pour répondreà ces questions. Pour limiter le poids de l’idéologie etdes représentations subjectives, il conviendrait deprivilégier la réduction pragmatique des dommagesen s’appuyant sur des données scientifiquementétablies, en tenant compte de la balance entre lesplaisirs et les risques, les intérêts et les coûts. Enconséquence, ces résultats appellent la mise en placed’autres études parallèles pour étudier cesperceptions en matière de risques et de bénéfices enpopulation générale ou dans les populations cibléespar les campagnes de prévention. Les outilsméthodologiques développés pour cette étudepourront y contribuer activement.•

14 Aarons, G. A., Brown, S. A., Stice, E., Coe, M. T.(2001) Psychometric evaluation of the marijuana andstimulant effect expectancy questionnaires foradolescents, Addict Behav, 26, 219-36.15 Rohsenow, D. J., Sirota, A. D., Martin, R. A. , Monti,P. M. (2004) The Cocaine Effects Questionnaire forpatient populations: development and psychometricproperties, Addict Behav, 29, 537-53.16 Stein, L. A., Lebeau, R., Clair, M. et Al. (2011) A web-based study of gamma hydroxybutyrate (GHB):patterns, experiences, and functions of use, Am JAddict, 20, 30-9.17 Wipfli, H. and J.M. Samet, Global economic andhealth benefits of tobacco control: part 1. ClinPharmacol Ther, 2009. 86(3): p. 263-71.18 Wipfli, H. and J.M. Samet, Global economic andhealth benefits of tobacco control: part 2. ClinPharmacol Ther, 2009. 86(3): p. 272-80.19 Mukamal, K.J. and E.B. Rimm, Alcohol consumption:risks and benefits. Curr Atheroscler Rep, 2008. 10(6): p.536-43.20 Collins, D. and H. Lapsley, The social costs andbenefits of gambling: an introduction to the economicissues. J Gambl Stud, 2003. 19(2): p. 123-48.21 Akaike, H., A new look at the statistical modelidentification. IEEE Transactions on Automatic Control,1974. 19(6): p. 716–723.22 R Development Core Team, R: A language andenvironment for statistical computing. 2008, RFoundation for Statistical Computing: Vienna, Austria. .23 Durrant, R., et al., Drug use and addiction:evolutionary perspective. Aust N Z J Psychiatry, 2009.43(11): p. 1049-56.24 Schultz, W., Behavioral theories and theneurophysiology of reward. Annu. Rev. Psychol, 2006.57: p. 87-115.25 Wise, R.A., Dopamine, learning and motivation.Nature Rev. Neurosci., 2004. 5: p. 483-494.26 Kelley, A.E. and K.C. Berridge, The neuroscience ofnatural rewards: relevance to addictive drugs.J Neurosci, 2002. 22(9): p. 3306-11.27 Hyman, S.E., Addiction: a disease of learning andmemory. Am J Psychiatry, 2005. 162(8): p. 1414-1422.

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RemerciementsLes auteurs remercient tous les experts qui ontparticipé à l’étude, ainsi que le bureau de laFédération Française d’Addictologie et le Dr GisèleGilkes-Dumas pour son aide. Mme Nathalie Da Cunhaa apporté une aide précieuse dans la gestion desdonnées.Nous remercions également le journal Addiction, etla Society for the Study of Addiction and BlackwellPublishing pour nous avoir autorisés à traduire cetarticle publié antérieurement dans Addiction enversion anglaise. Addiction. 2011 Sep 29. doi: 10.1111/j.1360-0443.2011.03675.x.

• À la suite des cinq petits films pédagogiquesréalisés en partenariat avec la Mairie de Paris surles abus d’écran chez les adolescents, la Fédérationprépare une nouvelle série de trois films sur le thèmedes premières fêtes chez les adolescents.

• La Fédération Addiction a réalisé un DVDinteractif sur l’errance des jeunes dans lesvilles européennes et les consommations desubstances psychoactives, à l’issue d’un projeteuropéen de trois ans en partenariat avec septmunicipalités européennes. D’une charte politique àdes exemples très concrets, ce DVD est un outilpragmatique pour aborder et prendre collectivementen charge les situations. Pour le commander,contactez Dominique Meunier :[email protected]

• La Fédération a publié récemment deuxcommuniqués de presse sur la thématique : lepremier intitulé Prévention : beaucoup reste àfaire pour la réanimer !, paru en février, insistesur la nécessité d’une politique volontariste deprévention, dotée des moyens nécessaires à sesambitions. Le second, Adolescents : alcool,tabac, cannabis… Agir autrement, fait le lienentre les derniers chiffres fournis par l’enquêteEspad sur la consommation des jeunes et les limitesd’une politique des drogues majoritairementrépressive. Les communiqués sont consultables sur le site de la Fédération.

• Un groupe de travail sur l’intervention en milieufestif s’est réuni pendant plus d’un an pourcapitaliser les pratiques. Le fruit de leur réflexiondonnera lieu, en 2012, à la parution d’un «4 pages»,comme ceux sur la prévention, la réduction desrisques et le monde du travail.

• Jean-Michel Delile, est intervenu pour laFédération Addiction au colloque de la SFA(Société Française d’Alcoologie) du 23 mars 2012,sur la thématique du binge drinking.

Retrouvez toute l’information sur nos projets surwww.federationaddiction.fr

La Fédération en action

La Fédération en action 6766 Nos guides

À paraître Addictions : familles & entouragesLe guide « Addictions : familles & entourage » inaugurela nouvelle collection Repère(s de la Fédération, quivise à éclairer l’évolution des questions de société enlien avec les addictions et l’adaptation des pratiquesprofessionnelles. La famille est un acteur essentiel del’éducation et de la prévention. Face aux changementssociaux et culturels que connaît notre société, elle estaujourd’hui fragilisée dans ses fonctions éducatives etsocialisantes. En 2010, la Fédération Addiction adécidé de travailler, avec ses adhérents, à l’élaborationd’un guide destiné à accompagner la nécessaireévolution de leurs pratiques en direction des familles.Ce guide, à paraître en septembre prochain, apporte,dans une démarche prospective, quelques repèresillustrés par des exemples d’actions menées dans leréseau et par nos partenaires.

TSO : les pratiques professionnelles concernant les TSOQuinze ans après la mise sur le marché de la méthadoneet du subutex, qu’en est-il des pratiques professionnelleset de la façon dont les professionnels se sont emparés deces traitements dans l’accompagnement des usagers ?En 2009-2010, le réseau de la Fédération Addiction a lancéune réflexion nationale afin d’examiner la diversité despratiques, dans leur richesse mais aussi dans leurs écartsconceptuels inadaptés.Cette démarche participative a permis de produirecollectivement des principes sur lesquels lesprofessionnels peuvent s’appuyer pour questionner et faire évoluer leurs pratiques professionnelles de TSO.

Les guides Pratique(s et Repère(s sont vendus au prix de 5€l’exemplaire. Prévoir en plus, lorsque cela est nécessaire, lesfrais d’expédition. Pour recevoir un de ces guides, envoyez votre demande paremail en précisant le nombre d’exemplaires souhaités à :• [email protected] pour TSO• [email protected] pour Santé-Justice et/ou CJC• [email protected] pour Addictions: familles & entourageEn étant adhérent de la Fédération Addiction, vous receveztoutes les publications automatiquement et gratuitement parcourrier. Les guides sont téléchargeables gratuitement au formatPDF depuis le site internet www.federationaddiction.fr.

Santé-Justice : les soinsobligés en addictologieLes personnes présentant desconduites addictivesproblématiques sont confrontées à des enjeux situés à l’intersectiondu soin et de la sanction. Bienqu’amenés à coopérer dans lecadre des soins obligés, les

professionnels de la santé et ceux de la justice s’inscrivent dans des logiques d’interventions différentesqui constituent souvent un frein à une collaborationoptimale pourtant essentielle pour accompagner lespersonnes placées sous main de justice.Comment faire coïncider la logique judiciaire dont lamission est de protéger la société, garantir le vivre-ensemble, lutter contre la récidive, avec la logiquesoignante basée sur le volontariat, l’adaptation au rythmede l’usager ? Comment saisir l’opportunité de la« rencontre obligée» pour permettre à l’usager de trouverun intérêt à l’écoute et à l’accompagnement qui lui sontproposés et ce faisant, de dépasser la pression de lacontrainte ?Co-produit en 2009 par des professionnels de la santé etleurs partenaires justice, ce guide est constitué de fichesayant vocation à apporter des éléments d’informationsutiles à l’action.

CJC : les pratiques professionnelles dans les consultations jeunes consommateursDepuis leur lancement par les pouvoirs publics en 2004, les consultations jeunes consommateurs (CJC) proposentun accompagnement aux jeunes usagers de cannabis et d’autres substances psychoactives, ainsi qu'à leursfamilles. En 2011, la Fédération Addiction, mandatée par la Direction générale de la santé et la MILDT, a menéune réflexion sur les pratiques dans les Consultations Jeunes Consommateurs « avec et pour » les professionnelsdes CJC. Troisième production de la collection Pratique(s de la Fédération Addiction, cet ouvrage a pourvocation d’accompagner les structures dans l’évolution de leurs pratiques professionnelles à l’aide des«principes» construits collectivement. Des fiches thématiques abordent le fonctionnement des CJC, l’accueil,l’accompagnement du jeune consommateur et de son entourage et l’intervention précoce. Elles sont des supportspédagogiques destinés à faciliter l’appropriation des questionnements et des enjeux relatifs à l’accompagnementdes jeunes consommateurs.

Les guides Pratique(s et Repère(s

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À partir d’un tronc commun, comme « la formation de base en addictologie », le catalogue national proposedes thématiques modernisées chaque année. Le nombre de places pour chaque session est limité, ne tardezpas à vous inscrire aux sessions qui vous intéressent. Contact : Pauline Middleton, chargée de l’unité deformation et de l’événementiel : [email protected] Tous les détails de nos formations sur www.federationaddiction.fr, rubrique Formations nationales.

Programme 2e semestre 2012Des fondamentaux17, 18, 19, 20 et 21 septembre 2012 - Formation de base en addictologie24, 25, 26, 27 et 28 septembre 2012 - Formation RDR et usages de substances psychoactives3 et 4 octobre 2012 - L’Intervention Précoce : concepts, stratégies et pratiques21 et 22 novembre 2012 - Pratiques des TSO en CSAPADes publics et leurs besoins spécifiques24, 25 et 26 octobre 2012 - Phénomène des dépendances, du jeu de hasard et d’argent (gambling)et des jeux vidéo (gaming) : fondements théoriques et pistes d’intervention27, 28 et 29 novembre 2012 - Conduites addictives et risque psychosocial ? Intervenir en milieu professionnel3 et 4 décembre 2012 - Quelle prévention des conduites à risques et des addictions chez les publics jeunes ?12 et 13 décembre 2012 - Soins obligés : quelles questions ? Quelles pratiques ? 18 et 19 décembre 2012 - Histoire(s) de genre ou les femmes dans tous leurs «états»Des approches thérapeutiques17 octobre et 14 novembre, 5 décembre 2012 et 9 janvier 2013, 6 février et 20 mars 2013 - Atelier clinique : lepatient et son entourage familial17, 18 et 19 octobre 2012 - Les addictions au risque de la psychanalyseDes outils d’aide à l’accompagnement11 octobre 2012 - Initiation à l’outil ASI (Addiction Severity Index)Des outils au service du projet de la structure19 et 20 novembre 2012 - Démarche d’évaluation dans les CSAPA et CAARUD

Programme 2013 Dates et thématiques des sessions de formation 2013 sur notre site Internet.

Drogues : faut-il interdire ?Alain Morel et Jean-Pierre Couteron, Édition Dunod, octobre 2011

Faut-il interdire les drogues ? Et que faut-il interdire ? Ces questions sont au cœurdu débat sur les drogues et les addictions aujourd’hui. Ce qui est en débat n’est passeulement la révision des interdits mais celle de tout un modèle, d’un paradigme.Depuis nos conceptions de base jusqu’aux mots utilisés, c’est un changementglobal qu’il faut opérer, un changement de politique. Dans le contexte d’une sociétéqui ne cesse d’accroître les processus de dérégulation et d’addiction, si les enjeuxhumains d’éducation, de prévention et de soins ne sont pas préalablement posés, toutchangement de règle légale soulèvera beaucoup de peur et d’oppositions, mais

n’amènera, s’il se réalise, que de maigres progrès. À la fois professionnels des addictions mais aussicitoyens, les auteurs s’engagent dans ce débat public, en apportant leur expérience, en soulevant lesquestions de fond, en faisant des propositions, mais en se refusant de tomber dans tout simplisme.

gendaFormationsKusaOlivier Phan, Ekundayo Zinsou, Olivier Hazziza,Editions un K'Noë dans les Cloups, 2011

Le Manga peut-il avoir des missions de prévention ? C’est l’objectif que se donne Kusa : un conte dans un Japon médiéval fantasmé dontl’objectif est d’offrir aux professionnels du champ des addictions un outilde médiation pour aborder la consommation de drogues et en particulierdu cannabis chez les jeunes. Le conte, de par son langage allégorique etmétaphorique, est l’outil idéal pour traiter des sujets sensibles. Tout est dit de manière implicite laissant le choix au lecteur de se saisirde l’opportunité de se questionner… ou pas.Ce manga Kusa, qui signifie « herbe » en japonais, transporte le lecteurau temps des samouraïs. Un jeune Bushi, du nom d’Akio, va découvrir les épreuves de la vie. Face à celles-ci, il sera confronté à la question duchoix de s’aider chimiquement ou pas. Au travers d’épreuves initiatiques,

il accédera à la puissance de la connaissance, à la conscience de son corps et à la découverte deses émotions les plus intimes et les plus perturbantes. Il découvrira aussi le monde adulte avec sesforces et ses failles. À travers cette fable, le professionnel pourra engager de manière indirecte ledialogue avec l’adolescent non seulement sur la problématique du cannabis, mais aussi sur lesémotions, la découverte du corps...Une suite est prévue et traitera de la question du « binge drinking ». Sortie prévue fin 2012.Un guide de l’utilisateur est disponible gratuitement sur le site de la Mildt : www.drogues.gouv.frVous pouvez aussi consulter le site du manga : www.kusa-lemanga.frPour toute information complémentaire : [email protected]