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JUILLET 2015

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JUILLET 2015

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SOMMAIRE

Chiffres clés 4

Le service public de l’énergie, un lointain souvenir ? 6

Optimisation fiscale, dividendes et subventions p ubliques 8

Contre la transition énergétique ? 10

La sûreté nucléaire en question 12

Social et santé 16

EDF, acteur mondial de la pollution de l’air 18

Une énergie plus « verte »aux dépens des populations ? 20

RAPPORT PUBLIÉ PAR L’OBSERVATOIRE DES MULTINATIONALES.

AUTANT QUE POSSIBLE, CE RAPPORT MENTIONNE LA POSITION D'EDF SUR LE FAIT EN QUESTION ET SA RÉPONSE AUX CRITIQUES QUI LUI SONT ADRESSÉES.

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EDF: LE VÉRITABLE BILAN ANNUEL CONTRE RAPPORT I 3

Le fondateur d’EDF, Marcel Paul, ministre de la Production industrielle à la Libération, n’en reviendrait pas. Lui-même ancien électricien, le résistantet député communiste du Limousin a joué un rôle crucial dans la création

du service public nationalisé de l’énergie. Soixante-dix ans plus tard, il auraitbien du mal à reconnaître l’entreprise – encore formellement publique, puisquel’État en détient toujours 84% – et les valeurs qu’elle incarne.

Qu’il s’agisse de fiscalité, de droits des travailleurs ou d’environnement, quelleentreprise illustre mieux qu’EDF la schizophrénie de l’État actionnaire ? Le groupene cesse, par exemple, de réclamer une hausse des tarifs de l’électricité alors queceux-ci ont déjà explosé depuis dix ans et que cinq millions de Français viventen situation de précarité énergétique. Des critiques similaires émergent au Royau me-Uni, où l’entreprise est très présente. Faut-il préciser qu’EDF a dégagéun confortable bénéfice de plus de 13 milliards d’euros en quatre ans, dont 60%a été reversé à ses actionnaires, en l’occurrence l’État. Depuis vingt ans, EDF s’estlancée dans des acquisitions à l’étranger – pas toujours avec succès –, au risquede négliger les besoins d’investissements en France. Au passage, elle a égalementimplanté quelques filiales dans des pays considérés comme des paradis fiscaux.

En France, EDF s’oppose à la volonté de l’État de réduire la part de l’énergienucléaire dans la production d’électricité et de fermer la plus vieille centralenucléaire en activité, celle de Fessenheim en Alsace. Le Président FrançoisHollande, élu en 2012, s’est engagé à ce que cette part soit réduite à 50% d’ici 2025,alors que l’électricité d’origine nucléaire pèse aujourd’hui 88% dans le « mixénergétique » d’EDF. L’entreprise a déployé de multiples efforts pour tenter d’éviterque cet objectif soit inscrit dans la loi. Le service public de l’énergie n’obéirait-ilplus à la souveraineté démocratique ? La sûreté des centrales nucléaires etl’échéance de leur vieillissement n’est elle pas également une question cruciale,qui devrait être soumise à un réel débat de fond, informé et transparent ?

Côté climat, cette schizophrénie est encore plus flagrante. EDF est le 19e plusgros émetteur de CO2 au monde. Alors que l’actuel gouvernement s’est engagéen faveur d’une transition énergétique, « son » entreprise publique ne produit enFrance et dans le monde que 10% d’énergies renouvelables et s’oppose à toutobjectif officiel d’efficacité énergétique. Et encore, certains projets d’énergie« verte » développés par EDF dans le monde, notamment les grands barrages,sont chaudement contestés. Si l’on retire l’énergie hydraulique, la part des énergiesrenouvelables dans la production d’électricité du groupe en France tombe à unmisérable 0,1%. Cette bien piètre performance n’a pas empêché EDF d’être choisiecomme l’un des sponsors officiels de la conférence sur le climat, fin 2015.

EDF a massivement développé la sous-traitance, en particulier pour l’entretien etles interventions au sein des centrales nucléaires françaises. Ces plus de 20 000« nomades du nucléaire » – presque autant que les agents d’EDFdans les centrales –sont les grands oubliés des débats sur l’énergie atomique. Précaires, régulièrementexposés à la radioactivité, ils ne bénéficient pas d’un statut et d’un suivi médicaldigne des risques qu’ils prennent et du rôle qu’ils jouent. La question de la santéau travail et de la reconnaissance des maladies professionnelles reste un pointnoir du bilan social du groupe. Il serait peut-être temps que les grands principesfondateurs d’un véritable service public de l’énergie soient remis au goût du jour,soixante-dix ans après sa création. n

SCHIZOPHRÉNIE D’ÉTAT

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4I CONTRE RAPPORT EDF: LE VÉRITABLE BILAN ANNUEL

CHIFFRES CLÉS

2011201220132014

CHIFFRE D’AFFAIRES

RÉSULTAT NET PART DE GROUPE

DIVIDENDES

72 874 M€

3 701 M€

2 329 M€

2 327 M€

2 309 M€

2 125 M€

3 517 M€

3 316 M€

3 010 M€

71 916 M€

72 729 M€

65 307 M€

FINANCES

SOCIAL

158 161L’EFFECTIF PHYSIQUE

EN 2014, DONT 132 107 EN FRANCE (83,5%).

148 025L’EFFECTIF D’EDF EN ÉQUIVALENT TEMPS PLEIN EN 2014, EN BAISSE DE 4,4% PAR RAPPORT À 2013.

45,2 %La part du chiffre d’affaires d’EDF hors de France en 2014.

28,7 %Le pourcentage de femmes cadres au sein du groupe EDF. Le pourcentage global de femmes dans l’effectif est de 26,2%.

LE NOMBRE D’ACCIDENTS MORTELS DANS LE GROUPE EN 2014. 11 CONCERNENT DES SOUS-TRAITANTS.

TARIFS

L’augmentation du prix moyen de l’électricité en France depuis 2006 selon les chiffres d’Eurostat (de 0,1194 à 0,1585 euro par KWh pour un ménage de taille moyenne). Selon le rapport 2015 du médiateur de l'énergie, les tarifs réglementés de l'électricité ont augmenté d'entre 49 et 56% en moyenne depuis 2007 en France.[1]

32,7 %

La hausse du prix de l’électricité en France selon Eurostat, entre le second semestre 2013 et le second semestre 2014.[1]

10,2 %

4

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EDF: LE VÉRITABLE BILAN ANNUEL CONTRE RAPPORT I 5

L’évaluation par l’ONG Transparency international du niveau de transparence d’EDF. EDF obtient une note honorable en termes de transparence organisationnelle, mais une mauvaise note sur sa politique

anti-corruption et un zéro pointé en ce qui concerne le reporting pays par pays.[8]

MIX ENERGÉTIQUE

1

402 632 €Le package total de Henri Proglio au titre de 2014.[2]

La rémunération brutemoyenne d’un salarié EDF en 2014.

50 167€

SALAIRES

77 %NUCLÉAIRE

88%NUCLÉAIRE

7 %CHARBON

2%CHARBON

6 %GAZ

0,2%GAZ

8 %BARRAGES

9,8%BARRAGES

2 %ÉNERGIES

RENOUVELABLES

0,1%ÉNERGIES RENOUVELABLES

PRODUCTION D’ÉLECTRICITÉ

DANS LE MONDE EN 2014PRODUCTION D’ÉLECTRICITÉ

EN FRANCE EN 2014

CLIMAT

16,1%La part d’EDF dans les émissions déclarées de la France en 2012 [derniers chiffres disponibles], ce qui fait d’EDF la 2e entreprise française la plus polluante derrière ArcelorMittal.[3]

19e Le rang d’EDF au classement des plus gros émetteurs mondiaux de gaz à effet de serre, avec plus de 80 millions de tonnes émises.[5]

TRANSPARENCE

ENTRE 2 500 000 € ET 2 999 999 € Les dépenses de lobbying d’EDF à Bruxelles en 2014, à quoi s’ajoutent entre 600 000 € et 699 999 € pour sa filiale ERDF.[6]

ENTRE 250 000 € ET 300 000 € Les dépenses d’EDF en lobbying au Parlement français pour 2013, à quoi s’ajoutent entre 100 000 et 150 000 € pour sa filiale RTE.[7]

3,8/10

Les émissions annuelles de CO2 des 16 centrales à charbon d’EDF.[4]

Sources : Les chiffres sont tirés du Document de référence 2014 d’EDF sauf : [1] Eurostat. [2] La Tribune/Facta: http://www.latribune.fr/economie/france/re-munerations-des-dirigeants-du-cac-40-hausse-de-10-en-2014-472331.html. [3] Mediapart. http://www.mediapart.fr/journal/france/180114/climat-media-part-dresse-la-liste-des-dix-plus-gros-pollueurs-en-france [4] Amis de la terre, Oxfam, Oxford University, SSEE, Strand Assets Programme. http://oxfa-mfrance.org/rapports/changement-climatique/emissions-etat-charbon-edf-engie [5] Thomson Reuters. http://site.thomsonreuters.com/corporate/pdf/glo-bal-500-greenhouse-gases-performance-trends-2010-2013.pdf [6] Registre de transparence de l’Union européenne. [7] Tableau des représentants d'intérêts de l'Assemblée nationale. [8] Transparency international : http://www.transparency.org/whatwedo/publication/transparen-cy_in_corporate_reporting_assessing_worlds_largest_companies_2014.

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6I CONTRE RAPPORT EDF: LE VÉRITABLE BILAN ANNUEL

LE SERVICE PUBLIC DE L’ÉNERGIE, UN LOINTAIN SOUVENIR ?Encore largement perçue comme une entreprise publique en France, EDF est désormais une sociétéde droit privé, poursuivant des objectifs de rentabilité économique. Elle conserve cependant uneposition privilégiée en tant qu’opérateur historique et principal maître d’œuvre de la politiqueénergétique française. Rien n’illustre mieux cette ambiguïté que les débats récurrents sur l’augmentationdes tarifs de l’électricité. EDF tente également d’étendre ses activités au niveau international, maisa dû revoir la plupart de ses ambitions. Sauf en Grande-Bretagne, où elle est devenue un acteur clédu secteur de l’énergie, là aussi objet de vives critiques.

La question des tarifs de l’électri citéet du gaz est devenue un révélateurdes ambiguïtés de la position d’EDF,

à la fois société commerciale et entreprisedétenue à 84% par l’État, assurant un ser -vice collectif essentiel et des missionsde service public. Chaque année, quasirituellement, les dirigeants d’EDF deman-dent à l’État d’augmenter de manière si -gnificative les tarifs de l’électricité afinde permettre à l’entreprise de faire faceà ses coûts. En novembre 2011, HenriProglio, alors PDG d'EDF, réclamait unehausse de 22 à 34% des prix de l'électricitéen France, étalée sur 10 ans. En 2015, lenouveau PDG Jean-Bernard Lévy de -mande à son tour un « rattrapage ta ri-faire». Pourtant, le prix de l’électricité adéjà augmenté de 32,7% depuis 2006 selonEurostat (de 0,1194 à 0,1585 euro par KWh

pour un ménage de taille moyenne). Selonle rapport 2015 du médiateur de l'énergie,les tarifs réglementés de l'électricité ontaugmenté d'entre 49 et 56% en moyennedepuis 2007 en France.

Le rapport 2014 du médiateur de l’éner -gie illustre bien les conséquences decette politique de libéralisation pourles usagers. Il y tire la sonnette d’alar -me sur la hausse des prix, d’autant queles réponses officielles sont mal adap-tées. Le médiateur si gn a le éga lementune augmentation significative des liti -ges entre usagers et fournisseurs et dé -nonce les méthodes brutales de cesderniers. Selon les associations spécia -lisées, près de 5 millions de Françaisvivent dans une si tuation de précaritééner gétique, avec de nombreuses consé -

quences négatives pour leur santé.

Une commission parlementaire s’estpenchée sur la question de la gouver-nance d’EDF. Dans son rapport publié enmars 2015, elle souligne la confusion quirègne entre le rôle d’actionnaire de l’Étatet la responsabilité qui lui incombe entant que puissance publique. La com-mission préconise de revenir à un con-trôle direct de l’État pour les activitésd’EDF qui revêtent «un intérêt essentielpour la nation ». En ce qui concerne lesta rifs de l’électricité, la commissionrecommande un moindre intervention-nisme de l’État, mais un plus grand rôlepour la Commission de régulation del’énergie (CRE), l’autorité administrativeen charge de l’encadrement du marchéénergétique en France. n

PRESSIONS POUR AUGMENTER LES TARIFS EN FRANCE

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EDF: LE VÉRITABLE BILAN ANNUEL CONTRE RAPPORT I 7

EN GRANDE-BRETAGNE, EDF AU CENTRE DES CRITIQUES

Depuis le rachat de British Energyen 2008, EDF occupe une positionéminente sur le marché britan-

nique du gaz et de l’électricité, à la foispour la production (avec notammentdes centrales nucléaires et au charbon)et la distribution.

L’entreprise française est accusée deformer un oligopole, les « Big Six », avecses principaux concurrents : deuxgroupes britanniques, deux grou pes alle-mands et un groupe espagnol. Ces firmess’entendraient en vue de maintenir destarifs élevés et d’étouffer la concurrence.Globalement, les Big Six, qui contrôlent92% du marché de détail britannique,ont augmenté leurs prix de 24% pourl’électricité et de 27% pour le gaz entre2009 et 2013, tandis que le nombre deplaintes d’usagers était multiplié parcinq. Les profits réalisés par les Big Sixont augmenté au même rythme, de 233millions de livres (323,5 millions d’euros)en 2009 à 1,1 milliard de livres (1,5 mil-liards d’euros) en 2012. Fin 2012, EDF a

augmenté ses tarifs de 11% d’un coup,alors même qu’elle affichait un profitannuel de 1,6 milliard d’euros. 4,5 millionsde Britanniques sont désormais touchéspar la précari té énergétique.

Les dirigeants d’EDF en Grande-Bretagneont expliqué ces augmentations de fac-tures par l’accumulation des taxes«vertes». Mais lorsque le gouvernementbritannique les supprime partiellementfin 2013, une étude réali sée par l’oppo-sition travailliste montre que la majoritédes géants de l’énergie (dont EDF) nerépercute la mesure que très partielle-ment sur ses tarifs, empochant la dif-férence.

En juin 2014, le régulateur britanniquecritique de nouveau les « Big Six », quin’ont pas baissé leurs tarifs alors que leprix de gros de l’électricité atteint sonniveau le plus bas depuis des années.EDF est également condamnée à payerun peu plus de 3 millions de livresd’amen de en août 2014 par ce même

régulateur pour ses lacunes dans la ges-tion de la relation aux usagers.

La question de la hausse des tarifs del’énergie et du rôle joué par les « Big Six»est au centre du débat politique auRoyau me-Uni. Le leader de l’oppositiontravailliste a promis, lors de la campagneélectorale de 2015, un gel des tarifs dugaz et de l’électricité. Même l’Égliseanglicane s’en est mêlée. La Commissionbritannique de la concurrence a annoncéen mars 2014 une enquête approfondiesur les pratiques des grands distribu-teurs. L’enquête devrait rendre ses con-clusions en 2016. En réponse aux contro -verses, certains des « Big Six » ontannoncé des baisses modestes de leurstarifs pour 2015. n

UN GROUPE PUBLICTRÈS « LIBÉRALISÉ »Pour les Français, EDF reste avanttout une entreprise publique,détenue à 84% par l’État. Le groupes’est toutefois lancé – pas toujoursavec succès – dans des acquisitionsau niveau international, y comprisen profitant de la privatisation d’en-treprises publ i ques d’autres pays.C’est particulièrement le cas auniveau européen, même si le groupea dû se retirer de plusieurs marchés.Aujourd’hui, outre la France, EDFfournit de l’électricité ou du gaz auxparticuliers en Grande-Bretagne,en Hongrie et en Belgique, en plusde ses activités de production etde transport.Si elle reste au moins en apparencesous le contrôle de l'État français,EDF est à sa manière emblématiquedes grands groupes énergétiquesqui ont émergé dans le cadre despolitiques de privatisation et de lalibéralisation du secteur en Europe. Libéralisation qui a coïncidé avecune hausse généralisée des tarifsde l’électricité et du gaz et une pertede contrôle des gouvernementssur les politiques éner gétiques. Ilsdoivent désormais né gocier avecde grandes firmes privées – mêmelorsqu’elles leur appartiennent ! –et satisfaire leurs exigences finan-cières pour pou voir atteindre leursobjectifs de politique énergétique,qu’il s’agisse de transition vers lesénergies renouvelables ou de sécu-rité d’approvisionnement. Ou, dansle cas d’EDF, de la réduction de lapart du nucléaire en France.

EDF CHERCHE À PROFITER DES PRIVATISATIONS GRECQUESDans le cadre du programme d’aus térité qui lui est imposé par ses créanciers,la Grèce devait procéder à un vaste programme de privatisation de sesentreprises publiques. DEI, la compagnie publique d’électricité grecque, estconcernée. En première ligne des candidats à la reprise, EDF. Son PDG d’alors,Henri Proglio, n’a pas hésité à suggérer qu’elle était la mieux placée pourracheter DEI en tant qu’entreprise publique habituée à avoir des syndicatspuissants en son sein.L’intérêt d’EDF semblait principalement motivé par les actifs et le savoir-faire de DEI dans le domaine de l’extraction de lignite (charbon brun), l’unedes plus polluantes des énergies fossiles. Ces actifs lui auraient permis decontinuer à s’étendre dans les Balkans. Cette privatisation est au point mortsuite à la mobilisation des travailleurs concernés, puis du changement degouvernement en Grèce.

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8I CONTRE RAPPORT EDF: LE VÉRITABLE BILAN ANNUEL

OPTIMISATION FISCALE, DIVIDENDES ET SUBVENTIONS PUBLIQUESEn se transformant en entreprise privée et en s’internationalisant, EDF est aussi devenue une firmedavantage guidée par les considérations financières. Au risque de s’adonner à des pratiques fiscalescontestables ou de mener une politique de distribution de dividendes contraire aux intérêts à longterme des citoyens, des élus et des usagers.

De manière plutôt paradoxale pourun groupe dont l’État fran çaisdétient 84%, EDF s’est re trouvée

ces dernières années au centre deplusieurs affaires d’«optimisation fiscaleagressive ». En décembre 2014, lesmédias français révèlent l’existence defiliales de réassurance d’EDF dans desterritoires considérés comme des para-dis fiscaux, comme les Ber mudes, leLuxembourg et l’Irlande. Selon ces jour -nalistes, ces filiales permettent augroupe d’éco no miser sur ses impôts enFrance. EDF a démenti, expliquant que seulesces juridictions offrent des conditionsjuridiques adéquates pour ses besoins

spécifiques d’assurance. Le gouverne-ment a demandé des explications.

Auparavant, des journalistes belges etnéerlandais avaientdéjà retrouvé la tracede filiales d’EDF quisemblent établies dansleurs pays pour desraisons fiscales. C’estle cas notamment de holdings finan-cières à Amsterdam, créées au momentdu ra chat de centrales à charbon polo -naises. Le pas sage par les Pays-Bas per -met à EDF de ne pas payer d’impositionsupplémentaire sur les dividendes rever-sés par ses filiales en Pologne, alors

qu’ils auraient été taxés à 5% en France.En Belgique, une filiale appelée EDFInvestment Group aurait été créée en2007 sous la forme d’une boîte postale,

juste au moment de lamise en place du sys-tème des « intérêtsnotionnels », un mé -canisme fiscal parti -cu lièrement avanta -

geux pour les mul tinatio na les. Selonles calculs du magazine Capital, enplaçant près de 12 milliards d'euros dansdes filiales belges, EDF aurait économisé89 millions d'euros d'impôts en Franceen 2013 et 2014 grâce à ces intérêtsnotionnels.n

SOUPÇONS D’ÉVASION FISCALE

LE PAS SAGE PAR LES PAYS-BAS PER MET À EDF DE NE PAS PAYER

D’IMPOSITION SUPPLÉMENTAIRE.

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EDF: LE VÉRITABLE BILAN ANNUEL CONTRE RAPPORT I 9

L’ÉTAT ACTIONNAIRE PRIVILÉGIE LE COURT TERMEEDF est la principale source de dividen-des de l’État français, qui en détient 84%.Elle a ainsi contribué pour 2 milliardsd’euros au budget de l’État en 2014. Lesentreprises dont l’État fran çais est action-naire figurent régulièrement parmi lesprincipaux dis tributeurs de dividendesdu CAC40. L’année précédente, EDF adéjà versé 64% de ses profits sous formede dividendes. Une situation qui com-mence à inquiéter la Cour des comptes,laquelle tire la sonnette d’alarme dansson rapport sur le budget 2014 de laFrance : «Le niveau élevé des taux dedistribution soulève le risque pour l’Étatde privilégier un rendement à court termede ses participations au détriment, poten-tiellement, des intérêts de long termedes entreprises et des siens. »

LES PRIVATISATIONS BRITANNIQUESENRICHISSENT L’ÉTAT FRANÇAISDepuis les années 1980, la Grande-Bre-tagne s’est engagée dans une vaste poli-tique de privatisation de ses entrepriseset services publics, à un niveau bienplus poussé que chez ses voisinseuropéens, depuis le rail et l’électricitéjusqu’aux services postaux, en passantpar la gestion des prisons et de certainesfonctions gouvernementales.Cette politique de privatisations tousazimuts fait le bonheur de nombreusesentreprises étrangères, y compris desentreprises publiques. C’est particulière-ment le cas des entreprises françaises.EDF et la SNCF, en particulier, sont lea -ders en Grande-Bretagne dans leurssecteurs d’activités respectifs, l’énergie(production et distribution) et le trans-port ferroviaire. Le quotidien britanniqueThe Indepen dent a calculé que les acti -vités britanniques d’EDF ont rapportépas moins de 616,2 millions de livressterling (850 millions d’euros) en divi-dendes à l’État français au cours desdeux dernières années.

CONTROVERSE AUTOURD’UNE TRANSACTION EN ALLEMAGNEEn 2012, le Land allemand du Bade-Wurtemberg rachète à EDF ses partsdans l’entreprise énergétique EnBWpour 4,7 milliards d’euros. Quelquesmois plus tard, les nouvelles autoritésdu Land, tout juste élues, déclarent quel’ancien président du Bade-Wurtemberga accepté, pour des raisons politiques,de payer EDF bien trop cher. Ellesdemandent le remboursement d’environ800 millions d’euros. Les actionsdétenues par EDF ont été rachetées à

un prix supérieur de 18% à leur coursboursier. La transaction avait été super-visée par la filiale française de MorganStanley, dirigée par le frère jumeaud’Henri Proglio… Diverses procéduresjudiciaires sont en cours, dont un recoursen arbitrage devant la Chambre de com-merce internationale.

EDF ACCUSÉE DE PILLER ERDF, SA FILIALE RÉSEAUX EN FRANCEL’association française de consomma-teurs UFC-Que Choisir annonce en juin2014 avoir déposé un recours devant laCommission de régulation de l’énergie(CRE), accusant EDF d’organiser le pillagefinancier de sa filiale réseaux, ERDF.Les remontées excessives de trésorerieà la maison-mère entraîneraient, selonl’UFC-Que Choi sir, un sous-investisse-ment dans les réseaux français, avecpour conséquence une augmentationsensible de la durée des coupures d’élec-tricité. ERDF, dont l’activité relève à 100%du service public, reverse chaque annéeenviron 75% de son résultat net à EDF.

CHANTAGE AU « BLACK-OUT » POUR OBTENIR DES SUBVENTIONS PUBLIQUES?À l’instar de leurs homologues européens,les dirigeants d’EDF ne se privent pasde brandir occasionnellement la menacede risques de « black-outs » si les gou-vernements n’adoptent pas des mesuresfavorables à leur rentabilité. Ils ont obtenula création en France et au Royaume-Uni de « marchés de capacité », destinésà maintenir la viabilité économique decertaines centrales électriques afinqu’elles ne soient pas mises à l’arrêt,dans le but de pouvoir faire face à

d’éventuels pics de consommation. Lesprincipales bénéficiaires de ces aidessont les centrales existantes, nucléairesou fonctionnant au gaz, au fioul ou aucharbon.Outre-Manche, l’introduction des ma r -chés de capacité a assuré à EDF 356millions de livres de subventions (soitpresque un demi-milliard d’euros) pour« maintenir » sa capacité de productionsur la période 2018-2021. 180 millionsde livres servent spécifiquement à main-tenir en activité ses centrales au char-bon, dont la durée de vie a été prolongéebien qu’elles figurent parmi les plus pol-luantes d’Europe. En France, le dispositifentrera formellement en vigueur en2017.

DES ACTIVITÉS DE TRADING … DANS LE GAZ DE SCHISTEEDF Trading est chargée de l’achat et dela vente de charbon, de pétrole, de gaz,d’électricité et de crédits carbone pourle compte du groupe EDF, dont elle estfiliale à 100%. Elle mène aussi des opéra-tions de trading en son nom propre, etest spécialisée dans le fret du charbon,du pétrole et du gaz. Son chiffre d’affairespour 2014 s’élève à 856 millions d’euros(contre 787 millions d’euros en 2013),pour un profit net de 386 millions d’euros(373 millions en 2013), dont elle a reversé251 millions au groupe EDF sous formede dividendes. Cette filiale détientquelques actifs inattendus, y comprisdes puits de gaz de schiste aux États-Unis, par le biais d’une sous-filialeappelée EDF Trading Resources, laquellese présente comme une « compagnieindépendante d’exploration et de pro-duction de pétrole et de gaz naturel ».

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10 I CONTRE RAPPORT EDF: LE VÉRITABLE BILAN ANNUEL

CONTRE LA TRANSITION ÉNERGÉTIQUE?Le poids du nucléaire au sein d’EDF l’aveugle-t-elle sur les enjeux de la transition énergétique ? En France, l’entreprise est régulièrement accusée de ne pas suffisamment développer les énergiesrenouvelables, voire de freiner délibérément leur essor. Dans les faits, EDF bloque également les efforts d’économies d’énergie et d’efficacité énergétique : une réduction de la consommationd’électricité serait contradictoire avec ses intérêts financiers et avec un système énergétique basésur l’option nucléaire

Les émissions de CO2 d’EDF sontre lativement faibles en France(17 g/ kWh en moyenne en 2014),

grâce à l’énergie nucléaire et hy drau -lique. Il n’en va pas de même au niveaumondial (102 g/kWh). Selon une étudede Thomson Reuters, EDF figure en2013 au 19e rang des plus gros éme -tteurs mondiaux de gaz à effet de serre,avec plus de 80 millions de tonnesémises, en baisse de 1% par rapport à2010.

Les émissions globales cumulées dugroupe EDF varient en fonction desconditions météorologiques et de l’étatde fonctionnement de son parcnucléaire. En 2014, le groupe émet 64,3kilotonnes de carbone, contre un peu

plus de 79 kilotonnes en 2013. De 2012à 2013, ces émissions avaient augmenté.Les opérations du groupe émettentd’autres gaz à effet de serre comme leméthane (32 000 tonnes équivalent CO2en 2014) ou le protoxyde d’azote (274000tonnes équivalent CO2).

Sur le territoire français, EDF resteleader des émissions de CO2 aux côtésd’ArcelorMittal, avec 16,5 millions detonnes de carbone émises en 2012, prin-cipalement dans ses centrales élec-triques au charbon. Parallèlement, l’en-treprise bénéficie d’une surallocationde quotas « gratuits » d’émission de CO2dans le cadre du marché européen ducarbone, d’une valeur potentielle de 10à 15 millions d’euros. n

LE 19E PLUS GROS ÉMETTEUR DE GAZ À EFFET DE SERRE AU MONDE

CONFÉRENCE CLIMAT : UN SPONSOR CONTROVERSÉLa 21e Conférence des parties sur leclimat (COP21) doit se tenir à Paris endécembre 2015. Pour boucler le budgetde l’événement, le gouvernementfrançais a décidé de faire appel aumécénat du secteur privé. Les sponsorsfinalement annoncés fin mai 2015 ontsuscité l’indignation de nombreuxobservateurs, puisqu’ils incluent desentreprises françaises très investiesdans le charbon, comme EDF, BNPParibas et Engie. EDF s’est empresséede faire figurer le logo officiel de laCOP21 sur son site web.Les organisateurs de la COP21 se sontdéfendus en argumentant que cesentreprises avaient pris des engage-ments pour réduire leurs émissionsde gaz à effet de serre. EDF s’estengagée à réduire par deux d’ici 2016ses émissions de CO2 en France parrapport à 1990. Au niveau mondial,toutefois, EDF émet davantage de gazà effet de serre, et ne s’est fixé aucunobjectif de réduction globale de sesémissions. Son seul objectif est de« maintenir les émissions directes deCO2 dans la limite de 150 g/kWh ».

LA CHALEUR GASPILLÉE DES CENTRALES NUCLÉAIRES Le Commissariat à l’énergie atomique a publié début 2015 une étude suggérant quela chaleur produite par les 58 réacteurs nucléaires français est gaspillée, alors qu’ellepourrait assurer une grande partie des besoins en chauffage de la France. Plusieursobservateurs estiment qu’EDF bloque toute velléité de développer des transfertsde chaleur à partir de ses centrales, notamment parce que cela entraînerait uneréduction de la consommation d’électricité dans le pays. Cela se fait pourtant dansdes pays comme la Suisse ou en Europe de l’Est.

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EDF: LE VÉRITABLE BILAN ANNUEL CONTRE RAPPORT I 11

LINKY : « COMPTEUR INTELLIGENT »TRÈS CONTROVERSÉÀ travers la loi sur la transition énergé-tique, les députés français ont défini-tivement acté la généralisation, sur toutle territoire français, des « compteursintelligents » Linky. C’est ERDF, filialed’EDF, qui sera chargée de les installer.Ces compteurs sont pourtant très con-testés par certaines collectivités locales,en raison du coût de l’opération, et parles associations de consommateurs,qui craignent une hausse des facturespour les usagers. Le rayonnement élec-tromagnétique issu de ces compteurspose aussi question. Enfin, des inter-rogations persistent sur la sécurité desdonnées personnelles collectées ettransmises par ces appareils. Plusieursétudes sont venues mettre en doute lesbénéfices économiques et environ-nementaux de l’installation de comp-teurs intelligents, à part pour les grosconsommateurs d’électricité. Pour ces

raisons, l’Allemagne a décidé, malgréles directives européennes, de rendrela pose de compteurs intelligents facul -tative pour la plupart des usagers.

PLAINTE POUR « GREENWASHING »À FESSENHEIMPlusieurs associations écologistes ontdéposé plainte contre EDF en mai 2015,suite à la publication dans la presse alsa-cienne d’une publicité présentant la pro-duction électrique de l’entreprise dansla région comme « écologique » et « 100%sans CO2 », grâce en particulier à la cen-trale nucléaire de Fessenheim. Selonles associations, cet encart publicitaireest de nature à tromper les citoyens etles consommateurs, en passant soussilence le fait que la filière nucléaire estelle aussi émettrice de carbone (66 g deCO2/kWh en moyenne sur toute la filièreselon une étude), ainsi que les problèmesenvironnementaux causés par la cen-trale de Fessenheim.

LE « DOUBLE JEU » D’EDF DANS LE CONSEIL AUX COLLECTIVITÉSEDF, comme sa rivale Engie, ont con-sidérablement développé leurs activi -tés de « services énergétiques » aucours des dernières années. Il s’agitde conseiller des collectivités localesou d’autres organisations publiqueset privées, pour les aider à réduire àla fois leurs factures d’électricité etde gaz et leurs émissions de gaz àeffet de serre. En France, ce marchéreprésente plusieurs milliards d’euroset est largement dominé par les deuxgéants énergétiques nationaux. L’en-jeu est de taille, puisque les consom-mations d’énergie dans les bâtiments,chauffage ou autres, représentent lequart des émissions de gaz à effet deserre françaises. Mais peut-on vrai-ment à la fois vendre de l’énergie d’uncôté et se voir confier de l’autre l’essen-tiel de l’effort de réduction de nosconso mmations énergétiques ? Uneenquête de Mediapart a mis en lu -mière plusieurs exemples où les fi -liales d'EDF et d’Engie ont joué un rôletrouble, contribuant à réduire les objec-tifs d'économies d'énergie initiale-ment requis par les collectivités.Consé quence ? Malgré des objectifsofficiels très ambitieux dans ce do -maine, la consommation énergétiquedu bâti, logements ou bureaux, conti -nue à augmenter.

EDF produit de l’électricité à partir defioul. Le cas de l’île de Sein, en Bretagne,était au centre de ce débat. La disposi-tion a été supprimée de la version finalede la loi, suite aux pressions d’EDF. n

Obnubilée par la promotion dunucléaire, EDF a longtemps né -gligé l’enjeu de la transition

énergétique et du déve loppement desénergies renouvelables. Aujourd’hui en -core, la part des renouvelables dans laproduction électrique d’EDF en France(hors barrages) reste infime. La plupartde ses projets en la matière sont dé -veloppés à l’étranger.

Plus généralement, les choix énergé-tiques qui ont accompagné en Francele dé ve loppement du nuclé aire (no tam -ment la généralisation du chauf fageélectrique) apparaissent dé sormaiscomme une entrave à la transition.Quant à la mise en œuvre d’une politiqueambitieuse d’efficacité énergétique, ellereste largement ta boue. Conjuguée avecle développement des énergies renou-velables, elle pourrait remettre en causele besoin de maintenir le parc des cen-trales nucléaires d’EDF qui demeuresurdimensionné. L’Union française del’élec tricité, principal lobby patronal dusecteur, a clairement exprimé son oppo-sition à tout objectif d’efficacité énergé-tique dans la loi de transition énergé-tique française ainsi qu’au niveaueuropéen, argumentant qu’il était pos-sible de consommer toujours davantaged’électricité tout en la « décarbonant ».

Certains observateurs estiment aussique le monopole d’EDF et de sa filialeERDF empêche la floraison en Francede coopératives ou de régies munici-pales de distribution d’énergie verte,comme il en existe de plus de plus enAllemagne. Il est juridiquement interditde créer une nouvelle régie d’électricitéen France. Dans le cadre de la loi fran -çaise sur la transition énergétique, il acependant été envisagé d’autoriser lesîles de moins de 2000 habitants de sortirdu mo nopole d’EDF sur la fournitured’électricité, pour développer une poli-tique d’autosuffisance énergétiquegrâce aux renouvelables. Dans ces îles,

UN OBSTACLE À L’EFFICACITÉÉNERGÉTIQUE EN FRANCE ?

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12 I CONTRE RAPPORT EDF: LE VÉRITABLE BILAN ANNUEL

LA SÛRETÉ NUCLÉAIRE EN QUESTION

En France, au Royaume-Uni, aux États-Unis, et maintenant en Chine, EDF se singularise par le poidsdu nucléaire dans son mix énergétique. Son parc nucléaire est vieillissant et connaît des incidentschroniques dans un contexte où la culture de la sécurité semble s’affaiblir. En France, EDF a engagéune bataille politique pour obtenir, entre autres, un prolongement de la durée de vie de ses centrales.En Grande-Bretagne, elle a obtenu un soutien financier massif, et très critiqué, pour construire denouveaux réacteurs. On attend toujours de ce côté-ci de la Manche un débat public transparent surl’option nucléaire et son véritable coût.

EDF exploite en France 58 réacteursnucléaires répartis dans 19 cen-trales, et produisant 76% de l’élec-

tricité. Le gouvernement affiche depuis2012 le double objectif de réduire à 50%la part du nucléaire dans le mix énergé-tique français et de fermer Fessenheim,la plus ancienne des centrales nucléairessur le territoire national, mise en serviceen 1977. La direction d’EDF sembledécidée à s’opposer par tous les moyensà ces décisions prises par un État quiest pourtant son principal actionnaire,à hauteur de 84%. L’entreprise rechigneà accepter la fermeture de la centralede Fessenheim et a déclaré étudier desfermetures « alternatives ». Elle a échouéà faire retirer de la loi de transitionénergétique, adoptée en mai 2015, l’ob-jectif de réduction de la part du nucléaired’ici 2025. EDF a cependant obtenu quecette loi n’introduise pas de dispositionscontraignantes de nature à remettre encause sa position privilégiée dans ladéfinition de la politique énergétiquenationale.

À ces débats s’ajoute celui de la duréede vie des centrales. Onze réacteursnucléaires atteindront l’âge de 40 ans,leur durée de vie théorique, d’ici 2020. 37autres arriveront ou dépasseront ce seuild’ici 2030. EDF s’efforce depuis de nom-breuses années d’obtenir une prolonga-tion de la durée de vie de ces centralespour au moins dix années supplémen-taires. Les atermoiements des pouvoirspolitiques et l’absence d’un débat démo -cratique transparent laissent à penserque l’on se dirige vers cette solution. EDFa déjà commencé à s’organiser pourprocéder aux investissements néces-saires. La réponse dépendra en dernièreinstance de l’Autorité de sûreté nucléaire(ASN), qui rappelle régulièrement que la

prolongation n’est pas encore acquise,et qui ne rendra son avis sur le sujet qu’en2018. On ne connaît pas exactement lecoût de la mise à niveau des centralesen vue de la prolongation de leur durée

de vie. EDF l’estime à 55 milliards d’eurosd’ici 2025, mais selon un rapport com-mandé par Greenpeace, il pourrait êtrelargement supérieur, à moins de rognersur les exigences de sécurité. n

EDF S’OPPOSE À LA VOLONTÉ DE SON PRINCIPAL ACTIONNAIRE, L’ÉTAT, DE RÉDUIRE LA PART DU NUCLÉAIRE EN FRANCE

L’AUTORITÉ DE SÛRETÉ NUCLÉAIRE MENACÉE ?Plusieurs acteurs de la filière nucléaire française exigent un encadrement,voire une remise en cause, de l’Autorité de sûreté nucléaire, jugée trop indépen-dante et trop critique. Selon eux, les exigences de sécurité et de transparencede l’ASN seraient exorbitantes et aboutiraient à rendre les firmes nucléairesfrançaises moins compétitives que leurs concurrentes étrangères. L’Autoritépourrait être une victime collatérale du plan de sauvetage d’Areva. EDF auraiten effet posé pour condition à la reprise de l’activité réacteurs d’Areva la misesous contrôle de l’ASN.

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EDF CONTRE GREENPEACELes militants de l’organisation envi-ronnementaliste Greenpeace ont mul-tiplié les actions spectaculaires pourdénoncer le nucléaire et la dominationd’EDF sur la politique énergétiquefrançaise. Ils ont réussi à pénétrer dansplusieurs centrales nucléaires pour desactions de protestation, notammentdans celles de Fessenheim et de Gra -velines en mars 2014. Début mars, desmilitants qui s’étaient introduits dansla centrale du Tricastin (Drôme) enjuillet 2013 ont été condamnés à despeines de prison avec sursis. De soncôté, EDF menace occasionnellement

Greenpeace de poursuites pour réclamerdes dommages et intérêts substantiels. Suite à ces manifestations, les parlemen-taires français ont adopté en 2015 uneloi – qualifiée de loi anti-Greenpeace –durcissant considé ra ble ment les peinesencourues par les militants qui péné -treraient dans des centrales nucléaires.

UN COÛT DU NUCLÉAIRE LARGEMENTOPAQUE MAIS EN AUGMENTATIONUne commission d’enquête de l’Assem-blée nationale a tiré en juin 2014 la son-nette d’alarme sur les nombreusesincertitudes et zones d’ombre qui em -

pêchent d’évaluer le véritable coût dunucléaire pour la France. La commis-sion souligne en particulier l’absencede prise en compte adéquate des coûtsliés au démantèlement des centraleset à la gestion des déchets nucléaires,sans parler du risque d’accident.Quelques jours auparavant, la Cour descomptes avait rendu, à la demande desdé putés, un rapport concluant que leprix de l’électricité nucléaire a connuune forte hausse entre 2010 et 2013,passant de 49,6 € par méga wattheure(MWh) à 59,8 €/MWh. Alors même queles centrales étaient déjà amorties.

SÛRETÉ NUCLÉAIRE : ANOMALIES À RÉPÉTITION EN FRANCE

EDF: LE VÉRITABLE BILAN ANNUEL CONTRE RAPPORT I 13

Le vieillissement progressif du parcnucléaire français est illustré parla multiplication d’incidents de

sécurité – pour l’essentiel sans gravité.L’Autorité de sûreté du nucléaire a recen-sé en 2014 une centaine d’incidents deniveau 1, classé en « anomalie » sur uneéchelle de gravité qui en compte 7 (leplus haut niveau correspond à un acci-dent majeur type Fukushima ou Tcher -nobyl). Le dernier accident significatif,classé niveau 2, remonte à 2013, avecl’irradiation d’un travailleur sous-traitantsur le réacteur 4 de la centrale du Blayais(Gironde). Certains y voient les effetsconjugués d’une perte de la culture dela sûreté nucléaire, en partie liée au départen retraite des générations d’ingénieurset techniciens qui ont bâti les centrales,d’un manque d’investissements d’EDFdepuis les années 2000, à une époqueoù le groupe était focalisé sur les opéra-tions à l’étranger, et du recours massifà la sous-traitance, avec les « nomadesdu nucléaire» travaillant sur différentescen trales sans en maî triser l’historique.

En 2014, l’Autorité de sûreté nucléaire aainsi mis en demeure EDF de se mettreen conformité avec la réglementationrelative au stockage de rejets radioactifsliquides dans la centrale de Gravelines(Nord). L’ASN estime que ces réservoirs,d’une capacité totale de 11.000 m³, sontgravement dégradés et que leur main -tenance n’est pas adéquate, entraînantdes risques de rejets incontrôlés. Ellemet explicitement en cause le recourspar EDF à des sous-traitants laissés àeux-mêmes.

En février 2014, Mediapart révélait unproblème d’usure des gaines de com-bustibles concernant près de la moitié

des réacteurs nucléaires français, etfaisant l’objet d’un bras de fer entre EDFet l’ASN, cette dernière estimant insuf -fisantes les solutions proposées par EDF.

En mai 2014, EDF a déclaré une anomaliede tenue au séisme d’équipements deprotection dans 44 réacteurs français.L’entreprise a minimisé le problème enindiquant que ces anomalies seraientrésolues d’ici fin 2015 et n’affectaient pasla sûreté des centrales.

La centrale de Fessenheim (Haut-Rhin),au centre des débats sur la place dunucléaire en France, a connu des inci-dents significatifs les 28 février et 5 mars2015. Une fuite sur une tuyauterie aentraîné le déversement de 100 mètrescube d’eau dans la salle des machines,provoquant l’arrêt du réacteur nº1. Unesemaine plus tard, l’incident s’est répété,EDF s’étant contentée de changer letuyau sans enquêter sur les causes dusinistre. Déjà, en avril 2014, une inonda-tion avait provoqué un court-circuit etl’arrêt en urgence de ce même réacteur

nº1. Les associations écologistes ontporté plainte. Dans le cadre du débat surla fermeture programmée de Fessen-heim, EDF déclarait pourtant avoir investi300 millions d’euros dans la moderni-sation de cette centrale au cours desdernières années. L’augmentation desano malies concernant le fonctionnementdes deux réacteurs de Fessenheim posequestion : en 2014, il s’est produit autantd’incidents de niveau 1 – presque un parmois en moyenne – que lors des troisannées précédentes.

Dans la centrale de Cattenom (Mo selle),le 28 mai 2015, un incident a entraînéle déclenchement d’un Plan d’urgenceinterne (PUI). C’était la première fois enFrance qu’un PUI était déclenché. L’in-cident, qui a été rapidement maîtrisé,affectait des « fonctions fondamentalesde sûreté » du réacteur. Ses causes etses conséquences sur les équipementsde la centrale sont en cours d’examen.Trois jours après, la centrale de Cat-tenom organisait des « journées portesou vertes ». n

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14 I CONTRE RAPPORT EDF: LE VÉRITABLE BILAN ANNUEL

Alors qu’EDF et Areva présententvolontiers l’EPR comme le plussûr de tous les réacteurs nuclé -

aires au monde, cer-tains experts officielsmettent en doutecette version. Un rap-port de l’Institut deradioprotection et desûreté nucléaire(IRSN) publié en dé -cembre 2014 qua lifieles choix d’EDF surune pièce d’équi -pement de la centrale(la soupape de sûreté du pressu riseur,situé sur le cir cuit primaire char gé derefroidir le com bus tible radioactif) de«régression en termes de sûreté par rap-port à la conception des réacteurs duparc en exploitation ». Un autre rapport

de l’ISRN, quelques mois plus tôt, alertaitsur plusieurs problèmes mettant enquestion la résilience des moteurs diesel

de se cours, indispens-ables pour refroidir lacentrale en cas decoupure des lignes.

Début 2015, l’Autoritéde sûreté nucléairesignale une « anom-alie de fabrication» surla cuve du réacteur,qui la ren drait moinsré siliente que prévu et

compromettrait ainsi la sé curité de lacentrale.

De nouveaux tests sont prévus, dont lesrésultats seront connus dans quelquesmois. Selon Greenpeace, cette anomalie

est de nature à remettre totalement encause le projet, la cuve n’étant plus rem-plaçable une fois posée. Aux mieux, unéventuel remplacement de la cuveentraînera des délais et des surcoûtssupplémentaires.

Ces événements font suite à plusieursincidents de sécurité sur le chantier aucours des années précédentes, qui ontcontribué aux retards de l’EPR et à sesdépassements de budget. Fin 2013, parexemple, une chute de matériel aendommagé le dôme du réacteur, suiteapparemment à l‘utilisation dangereusepar EDF d’un pont portail. Le ministèredu Travail a dû intervenir pour qu’EDFremédie à la situation. Initialementestimé à 3,3 milliards d’euros, le coûtde l’EPR de Flamanville a déjà presquetriplé, atteignant les 9 milliards. n

EPR DE FLAMANVILLE : LE CHANTIER DE TOUS LES PROBLÈMES ?

EDF a été condamnée à deux re -prises, en juillet 2014 et en janvier2015, pour deux fuites d’acide sul-

furique dans la centrale de Chooz (Ar-dennes). La première avait entraîné ledéversement de plusieurs milliers delitres d’acide sulfurique dans la Meuseen décembre 2011. Récidive en juillet2013, pour une fuite de moindre im-portance. Dans les deux cas, la mau-vaise maintenance de la centrale et lafaiblesse des mesures de sécurité ontété mises en cause.

En septembre 2014, EDF a été con-damnée pour de nombreuses négli-gences à la centrale de Penly (Sei ne-Maritime), ayant mené à la découvertede tritium, une substance radioactive,dans les nappes phréatiques. Plusieurscentrales françaises d’EDF ont été affec -tées par ce type de fuites. Une autreplainte a été déposée à ce sujet en jan-vier 2014 par le réseau Sortir du nu-cléaire, concernant la centrale de Gra -velines (Nord).

En février 2015, le réseau Sortir du nu-cléaire a déposé plainte contre EDFauprès du Parquet de Bourges, suite àla publication d’un rapport de l’Autoritéde sûreté nucléaire sur le fonc tionne -ment de la centrale de Bellevil le-sur-Loi re (Cher). Les militants anti-nu-cléaires y ont identifié 34 infractionscomportant « un risque réel pour lesriverains, les travailleurs et l’environ-nement ». Ces infractions concernentaussi bien le droit du travail que la

gestion des matières et équipementsà risque ou les mesures de préventionde la pollution. Le réseau Sortir du nu-cléaire y voit « la conséquence de lacourse à la rentabilité généralisée chezEDF, qui semble conduire à relâcher larigueur sur la sûreté et à une gestiondésorganisée du site». L’instruction dela plainte est en cours.

Déjà en avril 2014, ce même réseau avaitdéposé plainte à Tours, suite cette foisà des problèmes constatés par l’ASNdans la centrale de Chinon (Indre-et-Loire). Là encore, les militants mettent

en cause des manquements graves àla sécurité, signes d’une « désorganisa-tion manifeste du travail ». Ils évoquentaussi des travailleurs sous-informés et« soumis à une irradiation élevée sansqu’une protection adéquate ne leur soitfournie ». L’instruction de la plainte esten cours.

L’un des avocats d’EDF a indiqué devantun tribunal que cette multiplication deprocédures risquait d’inciter l’entrepriseà se montrer moins transparente surles problèmes de sécurité de ses cen-trales à l’avenir. n

PLAINTES POUR POLLUTIONS ET MANQUEMENTS À LA SÉCURITÉ

UN RAPPORT DE L’IRSN PUBLIÉEN DÉCEMBRE 2014 QUALIFIE

LES CHOIX D’EDF SUR UNE PIÈCED’ÉQUI PEMENT DE LA CENTRALEDE « RÉGRESSION EN TERMESDE SÛRETÉ PAR RAPPORT

À LA CONCEPTION DES RÉACTEURS DU PARC

EN EXPLOITATION. ».

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EDF: LE VÉRITABLE BILAN ANNUEL CONTRE RAPPORT I 15

Après plusieurs mois de négocia-tions, EDF et le gouvernementbritannique ont annoncé fin 2013

un accord en vue de la construction, parl’entreprise française, de deux nouveauxréacteurs EPR au Royaume-Uni, à HinkleyPoint dans le Somerset, à l’horizon 2023.Un accord hautement symboliquepuisque il s’agirait des premiers réacteursnucléaires construits dans ce pays depuisprès de 20 ans. Le budget de ce projetimmense est estimé à 16 milliards delivres par EDF (22,5 mil liards d’euros), età 25 milliards de livres (35 milliards d’eu-ros) par la Commission européenne.

Les négociations achoppaient depuisplusieurs mois sur la fixation du « prixgaranti » à EDF par le gouvernementbritannique pour l’achat de l’électricitéproduite, qui sera finalement de 92,5livres par MWh (109 euros), pour unedurée de 35 ans. Un prix jugé excessifpar la plupart des observateurs : ilreprésente quasiment le double du prixdu MWh sur le marché en gros britan-nique. EDF demandait initialement unprix garanti de 150 livres. Au final, leretour sur investissement pour EDF etles autres investisseurs privés est estiméautour de 20% – bien davantage quedans les autres grands projets d’infra-structures bénéficiant de subventionspubliques. Une telle générosité a suscitébeaucoup de critiques outre-Man che etdans les instances européennes. Outrele soutien public ainsi apporté à uneénergie controversée, cet effort finan -cier du gouvernement britannique risquede tarir les financements disponibles

pour le développement des énergiesrenouvelables.

L’argument d’une menace sur la sécuritéénergétique du Royaume-Uni, du faitde la fermeture programmée deplusieurs centrales à charbon, sembleavoir convaincu le gouvernement bri-tannique. Mais plusieurs cas de conflitsd’intérêts ont été révélés, dont le faitqu’EDF a confié une mission de promo-tion du projet d’EPR à la femme du leadertravailliste Ed Miliband, la mise à dis-position d’employés d’EDF dans ledépartement chargé de superviser lapolitique énergétique britannique, ouencore le fait que le panel chargé d’exa -miner la sûreté de l’EPR comprenait aumoins deux membres touchant des pen-sions d’EDF.

Le coût énorme de l’opération pour lesusagers et les contribuables britanniques,

les difficultés de l’EPR en France et enFinlande et les plaintes déposées parcertains pays comme l’Autriche etd’autres acteurs devant les Cours de jus-tice européennes font toutefois peser unsérieux doute sur la viabilité du projet.Nombre d’observateurs pensent qu’il neverra jamais le jour.

Deux partenaires chinois (China GeneralNuclear Power Corp. and China NationalNuclear Corp) doivent faire partie dutour de table, à hauteur de 30-40%. EDFdétiendra 45% de la centrale et Areva,selon les plans initiaux, 10%. Les autresinvestisseurs ne sont pas encore connus.Du côté d’EDF, une décision finale d’in-vestissement est censée intervenirdepuis plusieurs mois. À plus longterme, EDF cherche à construire uneautre nouvelle centrale nucléaire enGrande-Bretagne, à Sizewell, là encoreavec des partenaires chinois. n

ROYAUME-UNI : UN PROJET PHARAONIQUE ET INCERTAIN

INQUIÉTUDES EN CHINE ?Contrairement aux deux chantiers EPRde Flamanville en France et d’Olkiluotoen Finlande, qui accumulent les pro -blèmes, les retards et les dépassementsbudgétaires, les deux réacteurs EPR encours de construction à Taishan, en Chine,sont présentés comme une réussite parEDF, qui conduit le projet en associationavec des partenaires chinois. Des respon-sables de l’Autorité de sûreté nucléairefrançaise ont cependant publiquementexprimé leur inquiétude quant à l’absencede supervision adéquate et au manquede transparence de leurs homologueschinois. Un rapport interne d’EDF réaliséen 2013 signalait déjà des problèmes demaintenance d’équipements cruciauxde ces réacteurs. Aussi bien EDF qu’Arevaont balayé ces inquiétudes d’un reversde main, affirmant que le régulateur chi-nois assurait parfaitement sa mission.

La révélation par l’Autorité de sûreténucléaire d’une ano malie «très sérieuse»sur la cuve, fa briquée par Areva, du réac-teur EPR de Flamanville concerne aussipotentiellement les deux réacteurs EPRchinois.

EN GRANDE-BRETAGNE AUSSI, DES CENTRALES VIEILLISSANTESEDF gère quinze réacteurs nucléaires surhuit sites en Grande-Bretagne, dont elles’efforce également de prolonger la duréede vie au-delà des 40 ans. Des problèmesde fissures sur la cuve d’un réacteur dela centrale de Hunterston, en Écosse, ontété signalés en octobre 2014. Cette cen-trale, mise en service en 1976, devait fer-mer en 2011. Sa durée de vie a été pro-longée jusqu’en 2023. Les problèmes defissures et de perte de poids dans lesbriques formant la cuve du réacteur sontcommuns à toutes les centrales d’EDF

en Grande-Bretagne. Pour prolonger lavie de ses réacteurs, EDF a obtenu durégulateur britannique l’abaissement desnormes de sécurité relatives à ces briques.Quelques mois plus tôt, d’autres problèmesavaient entraîné la mise à l’arrêt pourplusieurs mois des centrales de Heyshamet Hartlepool.

DES CENTRALES PARMI LES PLUS VIEILLES DES ÉTATS-UNISEDF, à travers un partenariat avec Exelon,détient des parts dans trois centrales nu -cléaires (5 réacteurs) aux États-Unis :Nine Mile Point et Ginna dans l’État deNew York, sur les rives du lac Ontario, etCalvert Cliffs dans le Maryland. Les deuxpremières, mises en service respective-ment en 1969 et 1970, figurent parmi lesdoyennes en opération aux États-Unis.Sauf incident, elles sont autorisées àfonctionner jusqu’en 2029.

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16 I CONTRE RAPPORT EDF: LE VÉRITABLE BILAN ANNUEL

SOCIAL ET SANTÉ

Les salariés d’EDF sont réputés jouir de conditions d’emploi et d’avantages sociaux plus favorablesque beaucoup d’autres. Cette image publique, souvent entretenue pour des raisons idéologiques,cache une réalité bien différente sur le terrain. Dans les centrales nucléaires, les dépassements detemps de travail sont fréquents. Plusieurs milliers de sous-traitants y interviennent dans des conditionsprécaires, avec un suivi de leur exposition à la radioactivité très aléatoire. La question de la santé autravail et de la reconnaissance des maladies professionnelles (exposition aux radiations, mais aussiamiante) reste un point noir du bilan social du groupe.

RECOURS MASSIF À LA SOUS-TRAITANCE : LES NOMADES DU NUCLÉAIREEntre 20 000 et 25 000 sous-traitantstravaillent dans les centrales nucléairesd’EDF en France – presque autant qued’agents d’EDF. Il s’agit souvent de sous-traitance en cascade, de sorte queplusieurs entités juridiques s’interposententre le travailleur et le donneur d’ordrefinal, EDF. Ces sous-traitants ne béné-ficient pas du même statut ni du mêmesalaire que les employés d’EDF, et sontsouvent appelés pour les travaux lesplus dangereux ou les plus exposés auxrayonnements. Leur statut précairerend plus difficile la reconnaissanced’une maladie professionnelle ou l’en-gagement de la responsabilité de l’en-treprise donneuse d’ordre. Ils sont aussiplus vulnérables aux pressions dumana gement pour aller vite, quitte àpasser outre certaines consignes desécurité. Leur suivi médical est beau-coup plus réduit que pour les agentsEDF. Un pro blè me qui demeure encorelargement méconnu du grand public,alors que les sous-traitants jouent unrôle indispensable au fonctionnementdu parc nucléaire français.

DES « ACQUIS SOCIAUX » REMIS EN CAUSE EN FRANCELes « avantages sociaux » dont béné-ficieraient les employés d’EDF sontrégulièrement la cible de critiques dansles médias et de la part de la Cour descomptes. Sont notamment dénoncésdes salaires jugés excessifs, lesquelsconcernent aussi et surtout lesdirigeants et cadres supérieurs de l’en-treprise. La moitié des effectifs d’EDFperçoit un salaire mensuel brut inférieurà 4200 euros (bilan social 2012 EDF SA,hors ERDF et filiales). Également cri-tiquée, une durée du travail qui seraittrop basse, ce qui est en contradictionavec les constats de l’ASN dans les cen-

trales, par exemple, ou encore la pratiquedu « tarif agent » : le prix fortementréduit de l’électricité dont bénéficientles salariés d’EDF. Un avantage à rela-tiviser, puisqu’il ne représente qu’environ62 euros par personne et par mois(222mil lions d’euros pour 300 000 béné-ficiaires), et constitue un coût relative-ment modeste par rapport à d’autrespostes de dépense de l’entreprise,comme le versement de dividendes.

INQUIÉTUDES SUR LA SANTÉ DES SALARIÉSDepuis les années 2000, sur fond d’ex-pansion internationale, EDF a réduitses investissements dans le parc nu -cléaire français. Deux rapports, émanantl’un de l’Autorité de sûreté nucléaire etl’autre de l’inspecteur général pour lasûreté nucléaire et la radioprotectiondu groupe EDF, ont tiré la sonnetted’alarme début 2014 sur les consé -quences de ce sous-investissementpour la sûreté des centrales et la santédes salariés. Cela se traduit entre autrespar un allongement des travaux de

maintenance et une moindre disponi-bilité des réacteurs. Surtout, les salariésdes centrales françaises sont davantageexposés aux radiations que dans lesautres pays. Les accidents du travailsont également plus nombreux. La si -tuation risque encore de s’aggraver avecla mise en œuvre du « grand carénage»pour moderniser le parc nucléairefrançais.

CANCER PROFESSIONNEL : EDF REFUSE DE RECONNAÎTRE SA « FAUTE INEXCUSABLE »En 2013, pour la première fois, un tribunalfrançais a reconnu la « faute inexcu -sable» d’EDF suite au cancer du poumoncontracté par un employé de la centralenucléaire de Dampierre-en-Burly (Loiret),après des années d’exposition aux rayon -nements ionisants. EDF a fait appel decette décision, argumentant que lesalarié concerné n’avait pas été exposéà une dose radioactive supérieure auxlimites légales. La Cour d’appel d’Orléansa ordonné une nouvelle expertise médi-cale en 2014. On attend sa décision.

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EDF: LE VÉRITABLE BILAN ANNUEL CONTRE RAPPORT I 17

UN ALLONGEMENT DU TEMPS DE TRAVAIL AUX DÉPENS DE LA SÉCURITÉ DES CENTRALES ? LE CHANTIER DE L’EPR,

«LABORATOIRE EUROPÉEN DU TRAVAIL ILLÉGAL»Les travaux de construction du réac-teur EPR, dont EDF est maître d’ou-vrage, ont été confiés au groupe deBTP Bouygues, lequel a mis en placeun montage juridique complexe pourdiluer sa responsabilité juridique. Ila été fait appel à des sociétés offshorepour embaucher des milliers de tra-vailleurs détachés européens, béné-ficiant de droits moindres que dessalariés français. Ces pratiques ontfini par attirer l’attention de l’admi -nistration. Bouygues et deux sous-traitants ont été jugés en France enmars 2015. EDF n’a pas été mise encause dans cette affaire.

AMIANTE : LE «PRÉJUDICE D’ANXIÉTÉ» EN QUESTIONDes anciens employés d’EDF (et GDF)ont poursuivi leurs anciennes entre-prises pour obtenir réparation suiteà leur exposition présumée ou véri-fiée à l’amiante. De nouvelles procé-dures ont été initiées en 2014, mêmesi en 2015 un arrêt de la Cour de cas-sation a fortement réduit l’applicationdu «préjudice d’anxiété» lié à l’amian -te en cassant une condamnationd’EDF en appel.Sur l’île de la Réunion, un ancienemployé de la centrale du Port d’EDFa initié en 2014 des poursuites contrel’entreprise devant la justice prud’ hom - male pour «préjudice d’anxiété». Unancien employé d’EDF à Champagne-sur-Oise et Saint-Leu d’Esse rent pour-suit lui aussi son ancienne entreprisepour faute inexcusable. Dans les Lan-des, ce sont 99 salariés de la centraleEDF d’Arjuzanx qui ont demandé auxPrud’hommes de Mont-de-Marsande reconnaître leur « préjudice d’anx-iété », suite à leur exposition à l’ami-ante. Selon la CGT, l’amiante auraitfait 119 victimes, dont 35 décès, danscette centrale.

EDF a engagé avec les syndicatsfrançais des négociations sur letemps de travail. L’objectif affiché

de la direction estd’allonger le tempsde travail des cadrespour faire fa ce auxbesoins du «grandcarénage », le pro-gramme de mo der -nisation du parc nu cléaire français,dans le but d’en pro longer la vie.

Or l’Autorité de sûreté nucléaire a déjàdans le passé lancé l’alerte sur les nom-breux dépassements illégaux de tempsde travail dans les centrales nucléairesfrançaises, et sur les ris ques que cettesituation fait peser sur la sûreté desinstallations et la santé des salariés.En 2012, l’ASN indiquait que plus de lamoitié des personnels de Fessenheim

travaillait plus de 48 heures par se -maine, et signalait plusieurs centainesd’infractions potentielles au droit du

travail dans d’autrescentrales, notammentde nombreux cas de« lissages manifestespar omission et re ports»dans les relevés d’heu -res travaillées. Une réal-

ité à des an nées lumière de certainsdiscours relayés par les médias sur letemps de travail au sein d’EDF.

La proposition de la direction d’EDF d’in-troduire un système de «forfaits-jours»pour les cadres, semble sur tout constituerune tentative de régulariser une situationexistante jugée pourtant problématiquepar les syndicats et l’ASN. Les syndicatsd’EDF demandent un plan d’embaucheà la hauteur des besoins. n

L’Ordre des médecins et sa chambredisciplinaire de la région Centre, ontcondamné en janvier 2014 à une « peined’avertissement » le docteur DominiqueHuez, médecin du travail d’EDF sur lesite de la centrale nucléaire de Chinon.Sa faute ? Avoir accepté en urgenceen décembre 2011 de recevoir un ouvri-er, en état de stress avancé, travaillantpour un sous-traitant d’EDF, Orys, et

lui avoir rédigé un certificat médicaldécrivant son état de santé et établis-sant un lien avec ses conditions detravail. Inacceptable pour Orys, qui adéposé plainte auprès de l’Ordre. Selonla direction de l’entreprise, DominiqueHuez a employé « des mots ex trê -mement sévères, stigmatise l’entre-prise », et «se permet de donner sonavis tout à fait personnel». Bien que

médecin du travail depuis 30 ans etspécialiste de psychopathologie dutravail, il n’aurait apparemment pasdû, selon l’employeur, établir de lienentre l’état de santé dégradé de l’ouvrieret son activité professionnelle, encoremoins évoquer le vécu et le ressentidu salarié face à l’organisation du tra-vail, même si son état dépressif en estla conséquence.

UN SOUS-TRAITANT D’EDF FAIT BLÂMER UN MÉDECIN DU TRAVAIL

EN 2012, L’ASN SIGNALAIT PLU SIEURS CENTAINES

D’INFRACTIONS POTENTIELLESAU DROIT DU TRAVAIL

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18 I CONTRE RAPPORT EDF: LE VÉRITABLE BILAN ANNUEL

EDF, ACTEUR MONDIAL DE LA POLLUTION DE L’AIR

Au-delà du nucléaire, EDF est aussi l’un des principaux consommateurs mondiaux de combustiblesfossiles, principalement du charbon. Elle possède en effet des activités dans le pétrole et le gaz, ycompris le gaz de schiste. Rien qu’avec ses seize centrales à charbon dans le monde, le groupe émetautant de gaz à effet de serre qu’un pays comme l’Autriche ou la Colombie. Le charbon, en plus de sonimpact climatique, a des conséquences sanitaires considérables pour les riverains des centrales.

Au niveau mondial, EDF gère seizecentrales électriques au charbon(11 en Europe et 5 en Chine), parmi

les quelles plusieurs centrales anciennesparticulièrement polluantes. En plus deson impact négatif sur le climat, l’ex-traction et la combustion de charbonsont associées à un grand nombre deproblèmes sociaux et environnemen-taux, notamment la pollution de l’air etla surconsommation d’eau.

Globalement, ces seize centrales émet-tent chaque année 69 millions de tonnesde CO2 dans l’atmosphère, « soit plusque les émissions de pays commel’Autriche ou la Colombie », selon unrapport d’Oxfam et des Amis de la terre.Ces deux ONG ont calculé qu’EDF etEngie (ex GDF-Suez), dont l’État françaisdétient respectivement 84 % et 33 % ducapital, détiennent pas moins de 46 cen-trales à charbon dans le monde, les -quelles rejettent chaque année 151 mil-

lions de tonnes de CO2 dans l’atmo -sphère. Elles dénoncent donc « l’hypo -crisie » de l’État français : « Alors queFrançois Hollande parcourt la planèteen multipliant les appels à action pourlutter contre le changement climatique,la France pollue allègrement à l’étrangervia ses en t re prises a capital public. »

EDF semble chercher à poursuivre ses

investissements dans le charbon, notam-ment à travers sa filiale italienne Edison.C’est ainsi qu’elle a lorgné sur l’entreprisepublique d’électricité grec que, un tempspromise à la privatisation, pour ses minesde lignite. En Croatie, Edison s’est portéecandidate à la cons truction de la nouvellecentrale à charbon de Plomin C, sanssuccès. Toujours à travers Edison, EDFenvisageait d’investir dans la centraleà charbon (lignite) de Kolubara B, en Ser-bie, un projet marqué par des affairesde corruption. La région minière où sesitue la centrale souffre déjà de la pol-lution de l’air et de l’eau. Les affaisse-ments de terrain y sont fré quents. Lorsde son AG 2015, le PDG d’EDF annonceque l’entreprise se retire définitivementde ce projet, après des années de cam-pagne de la société civile.

En Chine aussi, EDF envisage notammentde construire une nouvelle centralegéante dans la province du Guangxi en2016, conjointement avec China DatangCorporation. Malgré les efforts d’EDFpour présenter cette centrale comme«efficiente » et «propre», elle continueraà émettre bien plus de CO2 qu’une cen-trale au gaz, sans même parler d’uneoption basée sur les énergies renouve-lables (parc éolien ou photovoltaïque). n

DES INVESTISSEMENTS IMPORTANTS DANS LE CHARBON

EDF, « JUNIOR » PÉTROLIÈREEDF est surtout connue comme uneentreprise de production et de distri-bution d’électricité et de gaz. Elle détientaussi des activités d’exploration et deproduction d’hydrocarbures via des fili-ales. À travers EDF Trading, elle a acquisdes gisements de gaz de schiste auxÉtats-Unis. Via sa filiale italienne Edison,

elle exploite des gisements de pétroleet de gaz onshore ou offshore en Italie,en Grèce, au Royaume-Uni, en Norvège,en Israël et en Afrique du Nord (Algérie,Égypte), ainsi que dans le territoire dis-puté des îles Malouines. Edison détienten tout 127 concessions dans le monde,avec des réserves estimées à 283,5 mil-lions de barils équivalent pétrole.

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EDF: LE VÉRITABLE BILAN ANNUEL CONTRE RAPPORT I 19

En plus d’être une source majeurede gaz à effet de serre, le charbonest l’une des principales causes

de pollution de l’air en Europe et dansle monde. On estime à plus de 20 000le nombre annuel de décès prématurésen Europe du fait de la pollution engen-drée par les centrales électriques aucharbon.

Pour respecter les standards européensen vigueur, EDF s’est engagée dansun processus de modernisation de sescentrales à charbon en France. Lesautres seront fermées d’ici 2016. LaPologne, en revanche, a obtenu deBruxelles le droit d’exploiter ses cen-trales jus qu’en 2020 sans en réduireles émissions. EDF figure parmi lesprin cipaux bénéficiaires de cettemesure. Le groupe français exploiteen Pologne la grande centrale à char-bon de Rybnik (d’une capacité de1775MW, autant que Fessenheim) ainsique plusieurs stations de cogénérationélectricité et chaleur qui fonctionnenten grande partie au charbon.

Au Royaume-Uni, EDF exploite deuxcentrales électriques à charbon, WestBurton et Cottam, classées aux 14e et18e rangs des centrales à charbon lesplus polluantes d’Europe. Ces deuxcentrales vont elles aussi bénéficierd’une dérogation aux obligations eu-ropéennes de réduction de la pollution.EDF pourra les exploiter jusqu’en 2023.

L’Union européenne a récemmentlancé un processus de révision de sesnormes d’émissions industrielles etde qualité de l’air. Le projet de nou-velles normes a toutefois été jugé bientrop modeste par des organisationscomme Greenpeace, qui ont relevéque l’Europe affichait des objectifsmoins ambitieux que les États-Unisou la Chine dans ce domaine. Expli-cation ? Le groupe de travail chargéde proposer ces normes donnait unelarge place aux intérêts industriels, ycompris dans les délégations gou-vernementales. Les délégations de laGrande-Bretagne et de la Pologneincluaient des employés d’EDF. n

SOUTIEN DISCRET AU GAZ DE SCHISTEEn juillet 2014, EDF annonce un accordavec la firme Cheniere pour l’achat degaz produit aux États-Unis, en partieissu de gisements de gaz de schiste.Cheniere est en train de construire unterminal géant d’exportation de gaznaturel liquéfié dans cette perspective.L’annonce a été sévèrement critiquéede la part d’une entreprise appartenantà un État ayant interdit la fracturationhydraulique sur son propre territoire.Ce qui n’a pas empêché EDF d’acquérirdirectement des puits de gaz de schisteaux États-Unis via sa filiale EDF Trad-ing. Ces puits, détenus conjointementavec une entreprise charbonnière, sontsitués en Pennsylvanie, dans la for-mation de Marcellus. EDF Trading Re-sources possède également des puitsau Texas.

DU « CHARBON DE SANG » IMPORTÉ EN EUROPE ?Une partie du charbon brûlé dans lescentrales européennes d’EDF provientde Colombie, où il est extrait dans desconditions extrêmement problémati -ques. Une enquête menée par des ONGnéerlandaises a révélé des violationsde droits humains et le recours à desforces paramilitaires d’extrême-droitechez deux des principaux fournisseursdes centrales à charbon néerlandaises,Drummond et Prodeco (propriété deGlencore). Ces associations parlent de«charbon de sang», par ré férence aux«minerais de sang» extraits dans lazone de conflit de la RDC. Le charbonimporté de Colombie via les ports néer-landais alimente également des cen-trales au charbon en Allemagne, enFrance et en Italie. EDF a été citéecomme l’un des principaux acheteurseuropéens de charbon colombien (no-tamment celui de Drummond) pourses centrales anglaises.

UN PROJET DE GAZODUC TRÈS POLITIQUEEDF était, à hauteur de 15%, l’une desparties prenantes du projet de gazoducSouthstream, destiné à acheminer dugaz russe dans l’Union européenne vial’Europe du Sud. Ce projet très politiqueétait porté par le géant russe Gazprom,soutenu, par le Kremlin. Sur fond decrise ukrainienne, il a finalement étéabandonné sous la pression de la Com-mission européenne, car le contrôleabsolu souhaité par Gazprom était con-traire aux règles communautaires. EDFa revendu ses parts en décembre 2014.

EN POLOGNE ET AU ROYAUME-UNI, DES CENTRALES AU CHARBON TRÈS POLLUANTES

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UNE ÉNERGIE PLUS « VERTE » AUX DÉPENS DES POPULATIONS ?EDF s’est récemment lancée de manière plus résolue dans le secteur des énergies « vertes » ou « nouvelles ». Pour l’instant, les énergies renouvelables ne pèsent que 2% de l’électricité produite parEDF dans le monde. Cette part monte à 10% si l’on inclut l’énergie hydroélectrique. Mais les grandsbarrages hydroélectriques sont très critiqués non seulement pour leurs conséquences sociales etenvironnementales, mais parce que leurs bienfaits pour le climat paraissent douteux à cause de leursimportantes émissions de méthane. Au Brésil et au Mexique, les projets « verts » d’EDF provoquentdes conflits avec les populations indigènes locales. Et en France, le groupe semble vouloir freiner le développement du solaire.

En septembre 2014, EDF annonceavoir acquis 51% des parts du consor -tium responsable de la construction

et de l’opération du barrage de Sinop(400 MW) sur un affluent du Tapajós.Elle fait ainsi son entrée dans le secteurtrès controversé des méga barrages ama-zoniens

Le Tapajós est le dernier affluent del’Ama zone dont le bassin soit encorerelativement préservé. Gouvernementet industriels brésiliens envisagent d’yconstruire une douzaine de nouveauxgrands barrages, qui pourraient occa-sionner directement et indirectementla perte de presque un million d’hec -tares de forêt vierge abritant une bio-diversité inestimable. Souvent dé fen -dus comme une source d’énergie« ver te », les grands barrages de ce typesont sources de destruction sociale etenvironnementale et, en milieu tropical,ils occasionnent des émissions deméthane qui peuvent annuler leurs bien-faits allégués pour le climat.

EDF est membre (comme Engie) duGroupe d’études Tapajós (GET), offi-ciellement chargé de réaliser des étudesd’impacts et de faisabilité, mais dontles critiques estiment que le rôle estsurtout de placer les populations localesdevant le fait accompli.

Les indigènes Munduruku, l’une desprincipales tribus amazoniennes, ontdéclaré qu’ils s’opposeraient par tousles moyens à ces barrages. Un site sacrépour les indigènes, Sete Quedas, ad’ailleurs déjà été détruit. Résultat : legouvernement brésilien a fait appel àl’armée pour accompagner les expertsdes entreprises.

EDF envisage aussi de se porter candi-date à la construction du principalmégabarrage prévu dans le bassin, celuide São Luiz do Tapajós (8040 MW). Lesenchères pour ce barrage ont toutefoisété repoussées en raison de la contro-verse sur la reconnaissance des droitsdes indigènes.

En participant à ces projets très contro -versés, EDF concourt à la montée destensions entre le gouvernement bré -silien et les populations indigènes dupays, qui n’ont cessé de s’envenimerdepuis plusieurs années. Le Brésil s’estattiré les remontrances de la Cour inter-américaine des droits de l’homme pourl’absence de consultation des indigèneset de respect de leurs droits. Pour toute réponse, le Brésil a menacéde suspendre sa participation à cetteCour. Le leader indigène Raoni a lancéen 2014 un appel solennel ciblant ex pli -citement EDF, qui a obtenu le soutien deplu sieurs personnalités fran çaises.

Rappelons qu’EDF est déjà, en Amazonie,l’opérateur du barrage de Petit-Saut, enGuyane française (116 MW). Achevé en1994, ce barrage a entraîné une submer-sion disproportionnée de forêt vierge etest considéré aujourd’hui comme un casd’école des pro blèmes de qualité de l’eauet d’émis sions de méthane occasionnéspar les grands barrages tropicaux. n

EN AMAZONIE, EDF S’ATTIRE LES FOUDRES DES COMMUNAUTÉS INDIGÈNES

20I CONTRE RAPPORT EDF: LE VÉRITABLE BILAN ANNUEL

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EDF: LE VÉRITABLE BILAN ANNUEL CONTRE RAPPORT I 21

MEXIQUE : ACCAPAREMENT DE TERRES POUR DES CHAMPS D’ÉOLIENNES AU LAOS, POPULATIONS

DÉPLACÉES, POLLUTIONS DES EAUX ET ÉMISSIONS DE MÉTHANE Le barrage de Nam Theun 2, auLaos, l’un des seuls projets hy -dro électriques d’EDF au niveauinternational, est souvent pré -senté par l’entreprise comme unmodèle en matière de «dé velop-pement durable». Une pré tentionqui n’a jamais été acceptée parles populations locales et lesenvironnementa listes. Début 2015, une coalition d’ONGa célébré à sa manière l’anniver-saire de Nam Theun 2, lancé dixans plus tôt, en rappelant le passifsocial et environnemental de cetouvrage : 6300 indigènes dé -placés, plus de 100 000 personnesaffectées en aval, une chute dra-matique des captures de pois-sons, l'inondation de champs deriz et de terres agricoles, ainsique des problèmes dermato -logiques récurrents liés à la tur-bidité de l'eau. Loin de contri buerau déve loppement local, ce bar-rage exporte plus de 90% de l’élec-tricité qu’il génère en Thaïlande.En 2014, une étude du CNRS surNam Theun 2 est venue confirmerles craintes des environnemen-talistes : les barrages tropicaux,du fait de la décomposition de lavégétation dans les retenues d'eau,émettent des quantités bien plusimportantes que supposées demé thane, un gaz à effet de serreplus puissant que le CO2.La péninsule de Tehuantepec, dans

l’État d’Oaxaca au Mexique, est unerégion venteuse idéale pour la pro-

duction d’électricité d’origine éolien ne.Les multinationales de l’éner gie, notam-ment européennes, se sont ruées sur lapéninsule pour y implanter des champsgéants de milliers de turbines. L’électricitéproduite est vendue aux usines des entre-prises américaines et génèrent égale-ment des crédits carbone, très utilespour continuer à émettre des gaz à effetde serre ailleurs. EDF est partie prenantede plusieurs projets dans la zone.

Problème : la région est habitée par despopulations indigènes, et l’arrivée desmultinationales y a occasionné divisionset conflits. Il est aussi question de vio-lations des droits humains et d’« acca-parement des terres ». Certaines terrescommunautaires auraient été acquisesillégalement par les entreprises à despersonnes privées, d’autres auraient été

occupées sans consentement préalabledes populations in digènes concernées.Selon les oppo sants, la zone est main-tenant contrôlée par des policiers privés,accusés d’exactions. Certains témoinsévoquent des meurtres et des tortures.

Les éoliennes de la péninsule sont égale-ment accusées d’entraîner une impor-tante mortalité d’oiseaux et de chauve-souris, ainsi que de favoriser l’érosionet de polluer les sols et l’eau à cause del’huile qui s’en dégage.

EDF s’est défendue en indiquant qu’ellerespectait les procédures de consultationdes populations et réalisait des étudesd’impact environnemental. Mais lesdéclarations des dirigeants de l’entre-prise semblent ambiguës sur l’étenduede la consultation. L’ONG mexicainePODER estime de son côté qu’il n’existeaucun document public prouvant qu’uneconsultation a bien eu lieu. n

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22I CONTRE RAPPORT EDF: LE VÉRITABLE BILAN ANNUEL

PROJETS HYDROÉLECTRIQUES CRITIQUÉS AU MOZAMBIQUEOutre ses barrages au Brésil et en Asie,EDF cible également le continent afri -cain, avec des projets sur le Zambèze(Mphanda Nkuwa) ou au Cameroun.Dans les deux cas, l’énergie produitesemble destinée à alimenter les instal-lations des multinationales minières,et non à améliorer l’accès à l’électricitépour la population locale. Une coalitiond’ONG a adressé un courrier en avril2014 au PDG d’EDF pour lui demanderde ne pas investir dans le projet Mphan-da Nkuwa au Mozambique, en raisonde ses risques pour l’environnement etles populations locales.

UNE USINE DE BIOMASSE AUSSI POLLUANTE QU’UNE CENTRALE À CHARBON ?À Allendale, en Caroline du Sud (États-Unis), EDF Énergies nouvelles exploiteune centrale électrique fonctionnantavec la biomasse (déchets et matièresorganiques), d’une capacité de 17,5 MW.Selon une étude du Partnership for PolicyIntegrity, cette centrale est un exempletypique des problèmes associés à cer-taines centrales biomasse, considéréescomme «vertes» au même titre que les

renouvelables, et bénéficiant à ce titred’aides publiques et de conditions favo -rables. Selon cette étude, la centrale d’Al-lendale émet chaque année 236,153tonnes de CO2, 241tonnes d’oxyde d’azoteet 30 ton nes de dioxyde soufre – toutautant, ramenée à sa capacité, qu’unecentrale thermique moderne.

SOLAIRE : EDF SE DÉBARRASSED’UNE FILIALE INNOVANTE En février 2015, EDF décide soudaine-ment d’abandonner sa filiale Nexcis,une start-up considérée comme trèsprometteuse, qui s’apprête à lancer sonnouveau système de panneaux solairesintégrés à l’habitat. EDF y a pourtant

investi 35 millions d’euros. Et cette déci-sion abrupte risque de lais ser plusieursdizaines de salariés sur le carreau, siNexcis ne trouve pas de repreneur. Pourles salariés, EDF ne veut pas prendrede risque industriel en accompagnantla production et la mise sur le marchédes systèmes développés par Nexcis,et cherche à gagner de l’argent en ven-dant ses brevets et ses installations.L’ancien pionnier français du solaire,PhotoWat, racheté en 2012 sur l’insis-tance des pouvoirs publics, vivote luiaussi sous l’égide d’EDF, sans bénéficierdes investissements nécessaires pourfaire face à des concurrents mieuxsoutenus.

INQUIÉTUDES AUTOUR DES LIGNES À HAUTE TENSION Les lignes électriques à haute tension érigées sur tout le territoire français parRTE, filiale d’EDF, suscitent beaucoup de contestations. De la Manche à l’Aveyron,les riverains craignent les conséquences de ces lignes sur les paysages et surleur santé. Si les effets sanitaires des lignes à haute tension pour les hommesrestent débattus, divers rapports officiels recommandent une certaine prudence,et notamment de respecter une distance minimale de 100 mètres avec leshabitations. La construction de ces nouvelles lignes est justifiée par RTE par lebesoin d’une meilleure distribution de l’électricité du fait du développement desénergies renouvelables, ainsi que d’une sécurisation de l’approvisionnement parinterconnexion entre les réseaux de différents pays. Les opposants souhaitentque ces lignes soient enfouies, ce qui augmenterait, selon eux, leurs coûts deseulement 10%.

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Rapport publié par l’Observatoire des multinationales. Juillet 2015Licence Creative Commons BY-NC-ND

Rédaction : Olivier Petitjean, avec Ivan du RoyMise en pages : Guillaume Seyral et Nadia DjabaliRemerciements : Rachel Knaebel, Manon Aubry, Quentin Parrinello, Charlotte Mijeon, Thomas Noirot, Malika Peyrault, Stephen Thomas,Sophie Chapelle, Christian Poirier, Benjamin Cokelet.

Photos : Franek N, Bibendum 84, Môsieur J, Tillwe, B@rberousse, DECCgovuk, ~ Pil ~, Funky64, Gilles Ollivier GeO, Abode of chaos, Guy Gorek, Manu B, Macdc / CC BY-ND 2.0.

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L’Observatoire des multinationales est un média d’information et d’investigation sur les activités des grandes multinationales françaises,et plus généralement sur les enjeux de responsabilité des entrepriseset de démocratie économique.

L’Observatoire réalise et publie des enquêtes et des reportages surl’impact social et environnemental et le rôle politique des grandsgroupes français, aussi bien en France qu’a l’étranger. Il mène égalementun travail de veille plus large sur ces questions. Le site de l’Observatoiredes multinationales propose des tableaux de bord sur les grands groupesfrançais ainsi que des dossiers thématiques sur des sujets commel’énergie nucléaire, l’eau, les accords de commerce, le textile ou les paradis fiscaux.

L’Observatoire des multinationales est un projet de l’associationAlter-médias, qui publie également le site d’informations environ-nementales et sociales Basta ! (www.bastamag.net)

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