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Blog-notes... A. Vandevelde: Donner et aider Portrait Rencontre avec François Yarga Outil Voir au-delà des croyances limitantes π7 janvier 2013 COOPÉRATION AU DÉVELOPPEMENT ET RELATIONS HUMAINES Créer de l’espace pour agir

n'GO n°7 janvier 2013

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Pour commencer l’année en beauté, nous vous avons concocté un n’GO rempli d’exemples à suivre et de bonnes idées ! Le dossier synthétise le sommet Africités qui a eu lieu à Dakar en décembre 2012. Cinq mille maires y ont parlé de développement à partir des territoires... Un concept à découvrir ! Le portrait est consacré à François Yarga. A travers son projet de micro-crédit, il promeut l’entreprenariat durable. Par sa personnalité, il symbolise une forme de renouveau. Les croyances limitantes, ça vous dit quelque chose ? L’outil en fait le tour et présente les solutions à votre portée pour les assouplir. Après le profil ‘dominant’, la soumission est décortiquée dans le Comment faire pour. Une première approche éclairante sur un profil de personnalité difficile à déceler. Enfin, Antoon Vandevelde nous offre son regard sur les concepts du donner et du recevoir, à la frontière entre l’économie, la philosophie et l’éthique.

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Blog-notes...A. Vandevelde :

Donner et aider

PortraitRencontre

avec François Yarga

OutilVoir au-delà

des croyances limitantes

π7janvier 2013

COOPÉR ATION AU DÉV ELOPPEMENT ET R EL ATIONS HUM A INES

Créer de l’espacepour agir

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Combien de fois n’avons-nous pas pensé que seul notre supérieur hiérarchique, ou que notre bourgmestre ou que nos ministres sont seuls capables de régler le problème ? Et nous, de nous mettre en position d’attente ? Attente qui peut s’avérer longue, d’ailleurs. Et si, au lieu de diriger nos énergies à critiquer l’autorité, elles étaient utilisées à la prise d’initiatives ? Car les autorités n’ont pas le monopole des bonnes idées. François Yarga, Moussa Mara, Eva Ravaloriaka nous montrent l’exemple. Ils ont choisi de concevoir l’autorité différemment et de faire confiance aux personnes qu’ils servent ou qu’ils appuient. Ils ont choisi de mobiliser les motivations existantes au bénéfice du territoire, ce lieu de vie délimité géographiquement dans lequel s’ancre le développement local. Par contre, la portée de ce qu’ils ont compris et osé dépasse de loin les frontières terri-toriales ! Bonne lecture…

Miguel De ClerckDirecteur Echos Communication

Retrouvez Echos Communication sur Internet www.echoscommunication.org

| éditoradar P.3

portrait P.8 François Yarga

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Territoire et mentaliténouvelle clé du développement ?

dossier P.14

Du respectcomment faire pour… gérer la soumission P.22

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outils P.27 Changeons de

lunettes !

Abonnez-vous gratuitement au magazine en cliquant ici.

blog-notes P.32 Antoon Vandevelde

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Quelle bonheur d’être un dandy : se différencier de la masse par une élégance excentrique que peu osent afficher...rien de tel ! Le Congo, où le style est une religion, se distingue dans cet art alliant classe et provoc’. La Sape (Société des ambianceurs et des personnes élégantes) est un mouvement fait de contra-dictions et de paradoxes. Pour être un Sapeur, il suffit d’allier élégance et grandes marques tout en adoptant un certain nombre de comportements. Le photographe italien, Daniele Tamagni, pose une réflexion cri-tique sur ces gentlemens, « qui considèrent l’élégance comme leur raison d’existence. La Sape juxtapose des symboles de l’ex-cès et de la consommation au beau milieu d’une pauvreté ur-baine bien visible. Cette identité culturelle est à la fois universelle et unique. » (photo : Daniele Tamagni)

La photo du mois

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Trash is BachCateura, Paraguay. Sa petite communauté, sa nature vivifiante, sa montagne de déchets ! Le tableau était trop beau… Et pourtant, avec un peu d’imagination et de créativité, les habitants s’accommodent plutôt bien de ce relief désolé. On y

recycle un maximum pour se faire un peu d’argent. Et ce n’est pas tout... En se promenant le long des habitations, de douces mélodies viennent caresser les oreilles. Un vieux bidon d’essence fait résonner une suite de Bach, des violons composés de fourchettes et autres pièces de métal entame la Petite musique de nuit de Mozart... « The world send us garbage, we

send back music ». Une véritable métamorphose : des détritus pour créer de nobles instruments et des enfants de recycleurs en tournée internationale avec l’orchestre local… Il suffit parfois de changer quelques notes pour écrire une toute nouvelle partition !

Voir la vidéo…

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D’après une étude de la Har-vard Business School, les managers qui répètent inlas-sablement les mêmes mes-sages en utilisant différents médias, obtiennent de meil-leurs résultats et plus rapide-ment que leurs collègues qui se contentent d’un passage. À première vue, la stratégie qui consiste à répéter deux,

trois, voire quatre fois un même message, en face à face, puis par mail, puis par SMS semble une perte de temps. Et pourtant elle se révèle très efficace. Ce n’est d’ailleurs pas tant la clarté du message ou des instructions qui compte que leur répétition. L’étude montre que ce sont les managers qui n’ont pas de

pouvoir hiérarchique direct sur l’équipe avec laquelle ils travaillent qui utilisent le plus cette technique de redondance. « Ces managers impliquent les autres en don-nant un sens partagé aux problèmes rencontrés et en faisant comprendre que les membres de l’équipe sont par-tie intégrante de la solution. »

explique Tsedal Neeley, un des auteurs de l’étude. Au final, ils parviennent à mobiliser plus rapidement l’équipe que les managers qui ont un pouvoir direct sur cette dernière.

Ah si c’était si simple ! Demander une fois et une seule qu’une chose soit faite pour qu’elle le soit. La réalité est tout autre.

| Bis repetitam

Plus d’info : It’s Not Nagging: The Power of Persistent, Redundant Communication

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Gérer le burnout« D’après mon expérience, la ‘rupture’ arrive quand un évènement sans la moindre importance se produit et que vous réalisez que c’en est juste trop. Je déjeunais simplement avec une collègue en Irak. À un moment, sa fourchette est tombée par terre

et elle s’est mise à pleurer. Il était pourtant très facile de la remplacer mais, à ce moment, la question ‘pourquoi rien ne peut jamais être simple ici’ domine. »

Personne n’est à l’abris du burnout. Ceux qui travaillent dans la coopération au développement et dans l’aide urgente n’y échappent pas. Alessandra Pigni analyse

le phénomène dans ce contexte précis. Au-delà de l’explication du pourquoi, elle offre également sa piste privilégiée pour en sortir : la pleine conscience. À lire ou à conseiller...

En savoir plus…

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L e Fuuta-Tooro est une entité aujourd’hui à cheval sur deux républiques : la Mauritanie et le Sénégal. Autrefois, cette entité portait le nom évocateur de Nia-

mandiru qui veut dire Terre d’abondance. Les Fuutanke sont connus aujourd’hui sous le vocable de Toucouleur une défor-mation de Tekrour, du nom d’un ancien royaume auquel ils appartenaient. Eux-mêmes se nomment Haalpulaar. Le terme proviendrait de Koly Tenguella, le prince peulh qui les délivra de la domination du roi du Djolof. Ainsi pour exiger qu’ils conservent leur langue, gage de leur iden-tité, Koli Tenguella aurait dit à ses com-patriotes : « haal Pulaar », ce qui signifie “parle pulaar”. Les Haalpulaar sont donc une population de langue peulh dispersée dans toute l’Afrique de l’ouest.De type patriarcal, la société haalpulaar est très fortement hiérarchisée. Elle est divisée en douze castes réparties en trois classes : les nobles, les artisans et les esclaves.Les Haalpulaar sont très attachés à leurs usages et coutumes. Très libres, autrefois

redoutables guerriers, ils ne se soumettent pas. Ils disent pour refuser le joug : « un petit oiseau a été pris, qu’on lui tresse un nid. Si on ne sait ni ce qui lui plaît ni ce qui lui est utile pour le lui faire, il vaut mieux le laisser libre de s’envoler. »Ceci pour dire que lorsqu’on a soumis des gens à son autorité, si l’on ne sait comment satisfaire ni leurs désirs, ni leurs besoins, il faut les laisser libres de se conformer à leurs usages. Le concept de développement tel qu’il a été introduit en Afrique par la coopéra-tion internationale portait en lui-même des germes d’instabilité. Les développeurs voulant maîtriser leur champ d’action in-troduisent des concepts, des démarches qui prennent peu compte de la compréhen-sion que les bénéficiaires ont du développe-ment. À ce propos, les Haalpulaar disent : « ce qui empêche l’oreille de grandir, c’est qu’elle doit entendre tous les jours ce qu’elle n’avait jamais entendu. » Cela signifie qu’on ne peut acquérir de l’expérience et de la sagesse si chaque jour apporte des règle-ments nouveaux qui modifient les usages.

Les Haalpulaar : dans le doute, s’abstenir…

Chaque mois, retrouvez une analyse linguistique d’Odile

Tendeng sur l’interprétation qui est faite du mot “développement” dans

une langue africaine.

“Développement”

en halpulaarBamtaare est le terme haalpulaar pour signifier le développement. Comme Ubuntu, Bamtaare re-couvre plusieurs choses à la fois qui décrivent les aspirations humaines. Bamtaare combine plusieurs signi-fications : épanouissement, amélio-ration des conditions sociales de tous, renaissance, progrès, déve-loppement. Bamtaare traduit aussi un mouvement d’ensemble, l’action d’avancer ensemble.C’est la recherche par une commu-nauté fortement enracinée dans sa solidarité, d’un bien-être social har-monieux où chacun des membres, du plus riche au plus pauvre, peut trouver une place pour sa réalisa-tion personnelle.

| au mot près

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Les mots du développement Les Haalpulaar 7n’GO janvier 2013

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“Nous devons nous lever sans attendre l’aide”

8portrait n’GO janvier 2013

Directeur de Microfinance & Solidarité Taan Yama

François Yarga

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| bio

1975Naît à Koala au Burkina Faso

1995Participe au programme ZANU de formation sur l’étude du mi-lieu, les tech-niques d’alpha-bétisation et l’élaboration de projets

1996Devient ani-mateur com-munautaire de développe-ment à Nagré

1997Crée l’Asso-ciation Base Fandima pour le reboise-ment et lance le premier centre d’al-phabétisation pour adultes

2000Démarre l’activité du micro-crédit

2004Obtient l’agré-ment pour l’association Microfinance & Solidarité Taan Yama

2007Obtient la licence profes-sionnelle en management local et déve-loppement de projets à l’Institut Afri-cain pour le management

2008Démarre le projet micro-épargne

2010Conclut un partenariat avec Entre-preneurs du Monde pour le projet de micro-crédit et de micro-épargne

François Yarga lance son cri comme un appel à l’Afrique : « nos populations doivent se lever, prendre leur destin en main, agir. Rien ne sert d’attendre l’aide extérieure. Les forces sont en nous ». Posé, il vous explique ensuite combien l’aide extérieure peut pourrir un projet lorsqu’elle arrive trop tôt, renforçant les mécanismes de dépendance plutôt que l’autonomisation.

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C ’est l’une des caractéristiques essentielles de François Yar­ga : sa foi inébranlable en cha­cun, en la force du groupe, de l’équipe. « Lorsqu’on dépend

de l’aide pour initier un projet, on ne fait rien tant qu’elle n’est pas là. Cela n’a aucun sens. Les urgences sont là : économiques, sociales, environnementales. Encore at­tendre ne fait qu’empirer les choses ». Pour autant, l’homme n’est pas sectaire, toute aide est la bienvenue. Mais elle ne peut s’envisager que lorsque la population s’est prouvé qu’elle pouvait mener à bien ses propres projets en comptant d’abord sur ses propres forces. Lorsque la population a passé cette phase, alors seulement, elle s’acharne à trouver les ressources néces­saires pour faire aboutir les choses.Ce crédo, François Yarga l’a développé à travers ses différentes actions sur le ter­rain. Son parcours, il le commence à l’âge de vingt ans avec le projet Zanu. Plus de 1 000 jeunes Burkinabè sont invités à suivre des formations sur l’étude du mi­lieu, sur les techniques d’alphabétisation et sur la gestion de projets afin de devenir animateur communautaire dans les cam­pagnes. Séduit par cette idée, François Yarga se lance. Deux ans plus tard, il lance

“On ne peut pas attendre que les systèmes bougent. Les aléas climatiques sont déjà présents !”

Marie Forget, Microfinance So-ciale pour Entrepre-neurs du Monde au Burkina Faso« C’est un vrai plaisir pour moi de travailler avec François et de l’appuyer dans la consolidation d’ABF. Il a non seulement de grandes qualités profession-nelles notamment pour motiver et accompagner son équipe mais également des qualités hu-maines qui font de lui un homme sage. François se décrit souvent comme un africain de la nou-velle génération et souhaite, tout en conservant la sienne, apprendre des autres cultures. La force de son engagement en-vers les communautés de base et son humilité m’impressionnent souvent. Il aime dire que dans la vie, la vraie richesse se trouve dans l’échange et le partage avec l’autre. »

| témoignage

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l’association Base Fandima dont l’objet est le reboisement et l’ouverture du premier centre d’alphabétisation pour adultes. Il n’a que 22 ans. Avec des moyens extrêmement réduits, l’association plante 1 000 arbres en 1998, 2 000 en 1999, puis grâce à un financement accordé par Tree Aid, elle passe à 30 000 plants par an à partir de l’an 2000. Depuis, ce sont plus de 300 000 arbres qui ont été plantés dans la région. Non sans mal car les tabous sont légions : « la légende vou­lait que celui qui plantait un baobab devait mourir peu de temps après. Il nous a fallu montrer l’exemple, prouver que ces tabous n’étaient que superstitions ». La sensibilisa­tion s’effectue en collaboration avec l’imam de Nagré, El Hadji Guitanga Issaka, et les plus jeunes qui peu à peu transforment les mentalités. « Le changement de mentalité nécessaire est très progressif. Il ne faut pas heurter la population dans ses croyances, il faut lui démontrer patiemment une autre réalité. Et recommencer encore et encore… ». Il nous invite à observer le pay­sage actuel qu’il nous fait comparer aux photos prises à l’époque. L’évolution est saisissante : l’image sahélienne classique a cédé le pas à un couvert arboré infiniment plus dense. En parallèle, durant toutes ces

Le principe de la micro-épargne est de permettre à la population de former un petit stock de capital pour la mise en œuvre d’un projet d’augmentation de revenus. La faiblesse du système est liée au fait que l’association Microfinance & Solidarité Taan Yama ne peut prélever un montant, si minime soit-il, pour financer les frais de fonctionnement. Ceux-ci doivent être pris en charge par un soutien public ou via des ONG étrangères. La force du système vient de ce que les gens s’approprient leur devenir à travers des objectifs qu’ils définissent eux-mêmes.

| La micro-épargne

“Un bon leader doit pouvoir quitter son association sans crainte qu’elle s’écroule après son départ !”

années, il met en place sa succession, tou­jours avec l’imam du village qui devien­dra lui­même arboriculteur. Aujourd’hui, épaulée par l’imam et les conseils régu­liers de François, une équipe de jeunes se démène pour poursuivre l’action. En 2000, à partir de la ville de Fada, Fran­çois Yarga lance une activité de microcré­dit en créant de toutes pièces l’association Microfinance & Solidarité Taan Yama. Le

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tout est envisagé avec professionnalisme, même si les moyens sont encore une fois très réduits, à peine 2 millions 900 mille CFA (±4 420,00 €) prêtés par la banque BACB. Le miracle a lieu, la population réagit positivement et le premier prêt bancaire est intégralement remboursé en quatre mois. La recette ? François Yarga connaît les pièges du microcrédit et re­doute les mécanismes de surendettement : « il n’était pas question de faire du micro­crédit classique et notamment de financer des biens de consommation durable. Le micro­crédit se devait de valoriser la crois­sance économique. Nous voulions que les gens investissent dans leur futur avec par exemple des achats d’outils, de stocks ou le développement de nouvelles activités. Malgré la grande pauvreté de la popula­tion, cela a fonctionné. » Avec solennité, il nous montre les comptes de l’association en 2012. Une colonne attire notre atten­tion, celle des retards de remboursement qui indique un beau zéro. « La population qui travaille avec nous a compris la règle du jeu », dit­il simplement avec un grand sourire. « Elle se prend en main. »En 2008, démarre le projet de la micro­épargne. Sur deux des marchés de Fada, une guérite abrite un délégué de l’associa­tion qui récolte l’épargne des marchands et des marchandes. Parfois rien… 200 CFA tout au plus, à peine 30 cents d’euro. Mais encore une fois la population joue le jeu : elle accepte le principe du contrat : l’épargne ne peut être retirée qu’à partir du moment où un montant fixé à l’avance est atteint, montant qui doit servir, encore

“Ma fierté est de voir partager par d’autres cette conviction que chaque individu a en lui les ressources pour aller plus loin”

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une fois, à de la création de reve­nus : achat d’un établi, d’outils, de stocks plus importants, de nouvelles denrées… Les béné­ficiaires sont ravi(e)s : « Si nous gardons l’argent en poche nous ne parvenons pas à l’économiser. Il nous brûle les poches » rigole l’une d’elles. « Avec la micro­épargne, j’ai pu agrandir mon établi et acheter plus de stock, mon revenu journalier a doublé » poursuit­elle. Un autre nous ex­plique qu’il était seulement dis­tributeur de viande, mais que depuis l’achat de son établi et des outils, il peut désormais faire lui­même la découpe et augmenter sa marge. Peu à peu, le virus de la micro­épargne se répand sur les marchés, grâce à la confiance qu’inspirent François et ses délé­gués. C’est l’une des grandes vertus de François Yarga : sa capacité à transmettre une éthique forte à son équipe. Avec des résultats qui montrent une véritable ap­

propriation. Chacun fait sienne une valeur clé : la confiance, l’honnêteté – « Si tu n’es pas honnête pourquoi les marchands te feraient-ils confiance ? », la justice, le respect – « Si tu n’a pas de respect pour toi­même com­ment peux­tu respecter l’autre ? » – et taquine le chef qui choisit de « mettre son temps et son éner­gie au service de l’œuvre ». Alors qu’il est connu et apprécié pour sa douceur, sa politesse et le respect constant qu’il a pour les autres – surtout les plus dému­nis –, cette notion particulière, presqu’occidentale de la “perte de temps” est pour lui inconce­vable. Il y a tant d’urgences, tant de choses à faire. Rien d’éton­nant si pour lui le travail c’est ici, maintenant et tout le temps.

PIERRE BIÉLANDE

Moyenga Abdoulaye, premier adjoint au maire de la commune de Fada N’gourma« Des hommes tels que François sont indispensables pour le développement, il en faudrait beaucoup plus, capables de motiver, d’encadrer des associations telles que Microfinance & Solidarité Taan Yama. Ce que je crains le plus ? Le voir partir vers Ouagadougou. Ce qu’il installe doit murir avec notre collaboration. Cette manière de collaborer avec la population doit en inspirer d’autres. Si Ouagadougou a besoin d’hommes comme François, nous en avons besoin bien plus encore. »

| témoignages

Tankoano Souampa Christophe Stanislas, coordinnateur du Programme ADELE« François Yarga croit en ce qu’il entreprend. Il cherche constamment le meilleur en interrogeant les acquis, les forces et faiblesses. Il aime également innover et l’évolution de sa conception de la micro-finance du début à ce jour en témoigne. Il est tenace et parfois titille. Sa faiblesse est de n’avoir pas, notamment pour des raisons financières, recruté des collaborateurs capables de nourrir la contradiction en interne. Par contre, il cherche conseil et sait intégrer les critiques à ses actions. Sa force est d’être parti des besoins réels des producteurs et productrices afin de bâtir avec eux un projet et une vision. »

“Ce que vous faites pour moi sans moi, vous le faites contre moi”

— Mahatma Gandhi. L’une des phrases préférées de François Yarga

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Territoire et mentaliténouvelle clé du développement ?

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Le développement fait aujourd’hui plus que

jamais face aux limites de l’approche Top-

Down. L’appropriation reste toujours le chaînon

manquant. C’est l’occasion pour de nouveaux courants

d’émerger, à l’instar de celui basé sur le territoire.

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E va Monique Ravaloriaka est là, souriante, affairée aussi. Elle est venue de Manjakandriana, une commune malgache si-tuée à 45 km d’Antananarivo.

« C’est l’occasion d’apprendre, de rencon-trer d’autres maires, de voir comment d’autres pouvoirs locaux règlent les pro-blèmes d’accès à la propriété, comment ils opèrent pour sensibiliser les populations aux droits des femmes… » s’emballe-t-elle. Maire d’une commune de 25 000 habi-tants, elle n’est pas la seule malgache. Elle est accompagnée d’Esther Razazarivola, laquelle dirige une association de quartier qui lutte contre la violence foncière à Madagascar. Debout aux aurores,

dossier

Eva Ravalioraka, le changement de mentalité au quotidien « Au départ, personne ne croyait en moi ! ». Alors, elle empoigne son méga-phone devant une assistance… parse-mée ! Peu à peu, son discours convainc. Elle sera élue. Depuis, tout change à Manjakandriana, une commune mal-gache. Des dizaines de maisons sortent du sol, des escaliers désenclavent les collines, des routes apparaissent, des écoles, des centres de santé, un marché public. Le tout avec un budget annuel de 10 000 euros par an. Mais son grand œuvre est sa lutte pour les démunis et, surtout, les femmes. Car dans cette société patriarcale, les femmes sont régulièrement battues. Bon nombre ne sont pas protégées par un statut légal

dès lors que le mariage coutumier n’est pas reconnu par la loi. Alors elle aide. Pour l’acquisition d’un acte d’état civil, elle organise des mariages collectifs. Elle joue la carte de la conciliation pour les conflits en tout genre. Avec des résultats saisissants : une baisse de 90 % des recours devant les tribunaux. Son leitmotiv : le collectif et l’accompagne-ment : « même si le parcours n’a pas été simple, l’ONG Gender linker n’a pas baissé les bras. D’autres associations et défenseurs des droits de l’homme se sont joints à nous. Ce qui a entraîné d’autres maires, d’autres responsables à faire de même. Résultat, aujourd’hui notre action s’étend. »

Début décembre 2012 à Dakar fut organisé le som-met Africités à l’initiative du CGLUA. Ce sixième sommet des maires a plus que jamais axé ses travaux sur les com-plémentarités entre niveaux de pouvoir, avec un accent porté sur les changements requis à la base.

Petit bout de femme débor-dant d’énergie. Rien que sa cam-pagne illustre la détermination d’Eva Ravaliora-ka. Contre l’avis de tous, elle, une femme !

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elles planifient leur journée avec mi-nutie. Chaque seconde leur sera utile

pour apprendre, rencontrer mais aussi faire passer leur message. Très présente sur le terrain, Eva devient rapidement une cible pour les journalistes occidentaux pré-sents à Dakar. C’est que sous sa houlette, la vie de la population a bien changé dans sa commune. Les journalistes sont friands de ce genre de success story. Elle accumule interviews, passages radio, plateau télé. Elle n’est pas la seule.À Africités, qui s’est déroulé du 4 au 8 décembre 2012 à Dakar, 5 000 élus lo-caux africains se sont retrouvés dans une grande messe qui ressemble à un melting pot invraisemblable. On y discute déchet, eau, guerre au Mali, devenir de l’Afrique, gouvernance, genre. On évoque la manière dont le pouvoir central peut concrètement aider les pouvoirs locaux dans leur mis-sion. On se plaint d’ailleurs de l’absence de moyens promis par la décentralisation. On échange des tuyaux, le nom de fournis-seurs de service ; les couloirs bruissent de centaines de conversation. Les maires de communes anonymes y côtoient Nicéphore Soglo, ancien président du Bénin et ancien administrateur de la Banque

“Si tu as des démangeaisons, si tu as des ongles, gratte-toi !”

Be your own boss Prendre son destin en main

Mon père me disait toujours : “Si tu as des démangeaisons, si

tu as des ongles, alors gratte-toi !” Une allégorie pleine de bon sens. Si on n’attend pas pour se gratter pourquoi attendre que l’emploi vous tombe tout cuit dans le bec ? Au Cameroun, beaucoup trop de jeunes sont attentistes. Ils n’espèrent qu’une chose : une campagne de recrutement des pouvoirs publics. Aucun système ne peut se bâtir

sur cette base. » D’où l’idée de travailler sur un changement de mentalité à travers la musique. L’équipe a donc enregistré un morceau bien balancé qui passait au sommet Africités à Dakar : « Be your own boss ». Ce n’est cependant que la partie émergée d’un projet plus vaste qui veut promouvoir des Business shop et des Business coach pour accompagner les jeunes dans la création de leur propre emploi.

Elle est camerounaise, anglophone, bien connue du public car elle présente sa propre émission à la télévision. Avec son équipe, Rose Mbole Epie est à la base du projet Be your own boss, qui invite la jeunesse camerounaise à prendre son destin en main.

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Mondiale, affichant aujourd’hui sa fierté d’être maire de Cotonou : « c’est

dans nos villes que l’Afrique amorce sa transition. » On y croise Thabo Mbeki qui fait un passage éclair, Bertrand Delanoe, l’inévitable maire de Paris, le maire de Da-kar, Khalifa Sall ou Pedro Pires, l’ancien président du Cap-Vert. En trois jours les organisateurs font se dérouler une centaine d’ateliers en parallèle. Au point qu’on en vient à se poser la question du point com-mun à tout cela : les maires certes, mais encore ? « Le territoire » assène Gustavo Massiah en guise de réponse.

Le développement par les territoiresCette tête pensante de Cités et Gouver-nements Locaux Unis d’Afrique, l’orga-nisation en charge du sommet, a été pré-sident du CRID (Centre de recherche et d’information pour le développement) et est membre du Conseil international du Forum social mondial. « Quel que soit le niveau d’où l’on part, rien ne se passe en dehors d’un territoire, espace de vie des populations, développe-t-il. On y retrouve les dimensions humaine, culturelle, histo-

rique, sociale…(1) L’ancrage y est direct, tout comme le rapport avec l’autorité, le maire. Partir du territoire, c’est offrir davantage de proximité, de participation, de démocratie. Ce n’est certes pas une garantie car pour avoir du développe-ment local, il faut de la démocratie. Mais la démocratie part du niveau local, bien plus que de l’Etat central. Il est plus dif-ficile pour un maire de faire abstraction de l’avis de ses élus que pour un président d’être déconnecté des réalités de terrain. » C’est aussi à ce niveau qu’il observe l’im-pact le plus concret sur les conditions de vie des populations. C’est aussi à ce niveau que l’influence externe s’amenuit : « il sera toujours possible de tuer ou d’acheter un président, mais comment acheter 15 000 collectivités africaines ? » Le risque de cette approche est cependant d’isoler le niveau local des autres niveaux de pouvoir. « On ne peut pas faire l’impasse sur les interactions entre les différents niveaux de pouvoir. Il y a interdépendance. Nous identifions quatre autres niveaux avec les-quels le niveau local interagit. Le niveau régional tout d’abord qui permet de travailler sur des problématiques

“Si pour devenir président, il faut avoir été élu maire plutôt qu’avoir été colonel, nous aurons fait

un grand pas !” — Gustavo Massiah

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(1) Développement humain et dynamiques territoriales. T. Daghri et H. Zaoual, (sous la dir.), Horizon Pluriel/L’Harmattan, 2008.

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qu’on ne peut régler au niveau d’une commune : l’emploi ou l’environne-

ment avec la gestion de forêt par exemple. Le niveau national qui doit absolument se structurer, s’articuler autour d’un État capable d’initier des politiques mais aus-si et surtout de résister au pillage, aux influences extérieures. Et enfin les deux autres niveaux que sont l’Afrique des cinq sous-régions et le continent lui-même. Mais l’incidence avec le pouvoir local y est plus réduite. Idéalement ces différents niveaux de pouvoir devraient travailler ensemble vers des objectifs communs. », conclut-il.

L’échec du top-downPartir du territoire, n’est-ce pas là l’aveu d’un échec, celui qui consiste à vouloir ini-tier le changement par le haut, par l’État central ? « Tout à fait », constate José Tonato, architecte, urbaniste, mais aussi coordinateur scientifique des sessions d’Africités. Le constat est sévère : « le top-down ne fonctionne pas. À la base, nous avons certes un problème de système, mais aussi de représentation de ce qu’est une population. Les élites gouvernantes en Afrique voient la population comme des exécutants de leur décision, incapables de penser à leur futur. Ils considèrent le niveau local comme une caisse enregis-treuse des décisions prises en haut. Ils se plaignent de la passivité des populations, mais ils l’organisent et ça les arrange. Il ne faut dès lors guère s’étonner qu’il n’y ait pas d’appropriation. Comment pourrait-il y en avoir si, au départ,

“Trop d’élus considèrent la population comme des exécutants. Rien

d’étonnant à ce qu’il n’y ait pas d’appropriation”

Inauguration d’une académie des mairesLors du cinquième som-met Africités à Mar-rakech en 2009, les élus locaux avaient adopté une résolution appelant à la création d’une Académie africaine des collectivités locales. L’idée répondait au besoin de profession-nalisation des élus locaux et des administrations. Une étude de faisabilité sur ce projet a notam-ment identifié tous les

dispositifs de formation dédiés aux collectivités territoriales, en Afrique et hors Afrique. Cette recom-mandation a finalement abouti à l’inauguration de l’Académie africaine des collectivités locales par les autorités marocaines et par Jean-Pierre Elong Mbassi, secrétaire géné-ral de CGLU Afrique en novembre 2012. L’Académie en question

ne réinvente pas la roue et ne crée pas de nouvelles formations. Elle accrédite et labellise des organismes qui donneront les forma-tions. Elle met également en place une veille stra-tégique et travaille sur l’innovation pédagogique. L’Académie devrait démar-rer ses travaux à partir de l’exercice 2013.

dossier 18n’GO janvier 2013

José Tonato

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les populations et le niveau local ne sont pas associés à

l’élaboration, à la conception et à la mise en œuvre des projets ? ». Le che-min est cependant encore bien long puisque une bonne majorité des élus locaux sont d’anciens fonctionnaires, instituteurs, notables, retraités qui ont pour caractéristique commune de ne pas avoir été formé à la gestion d’une commune ou à la participation. « Cette culture de la gestion n’existe pas encore en Afrique francophone, elle est bien plus présente chez les anglophones. » enchaîne-t-il.

Élu ? Oui ! Maire ? Beaucoup moins !Comme beaucoup d’autres, José To-nato se désole de voir autant d’élus chercher le pouvoir pour le pouvoir ou pour l’argent qui profitera aux amis, à la famille, aux affidés. « Les élus locaux sont le fruit d’une histoire, ils sont les enfants d’un pouvoir cen-tral fort, ils en copient les habitudes, les pratiques. » Après avoir travaillé trois ans en tant que coach des admi-nistrations communales du Bénin, il relève les dysfonctionnements en cascade : « privilégier la famille, les amis lorsqu’on veut construire un bâtiment communal, surfacturer, user du foncier pour se remplir les poches… ». Constat partagé par Ami-

nata Traoré, ancienne ministre ma-lienne de la Culture et du Tourisme qui peste contre cette engeance : « La culture de ce type d’élus est toujours celle de l’achat des voix. Ils vont jusqu’à s’endetter pour financer leur campagne et acheter l’électorat. Au pouvoir, ils usent et abusent du foncier en vendant et revendant les mêmes terrains, deux, trois, quatre fois, en faisant construire à leur pro-fit des habitations qu’ils mettront en location. Ils créent de l’injustice, mais aussi de l’incertitude très peu propice au développement. » L’archi-tecte et l’ancienne ministre partagent une même analyse : « il faut oublier ce type d’élus. On ne pourra pas les faire changer, ils sont trop liés au système. Ils réfèrent avant tout au pouvoir po-litique central, à leur parti, à des partenaires extérieurs. Ce sont

Esther Vololona Razazarivola : la lutte contre les exactions foncières

« Imaginez, un paysan qui travaille depuis 30 ans sur sa terre peut être du jour au lendemain éjecté de cette terre car il ne possède pas le titre foncier ! ». En mars 2010, le projet de Lutte contre la violence foncière dans les zones enclavées voit le jour. Le groupe, piloté par Esther, est composite : des juristes qui mettent leur compétence au service de la population, un technicien du territoire ou encore Eloi le patriarche. Leur but : combattre les obs-tacles qui entravent l’obten-tion des titres fonciers. La loi malgache prévoit en effet que toute personne ayant valorisé

un terrain puisse en devenir propriétaire. Dès lors, l’asso-ciation aide la population à réunir les preuves de cette mise en valeur des terres. Le groupe de juristes organise ensuite le recours juridique, chose encore impensable hier pour les paysans confrontés à une justice dont les accoin-tances avec le pouvoir sont souvent trop réelles. Mais les effets sont là. Face à la jus-tice, l’administration com-munale est parfois obligée de reculer et de faire droit aux paysans…

Cinquante ans, mariée, mère de deux enfants, Esther Vololona Razazarivola a un jour décidé que trop, c’était trop. Face à la violence foncière liée aux pratiques douteuses d’élus locaux et à la complexité du droit foncier malgache, elle décide de se dresser avec son quartier.

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Esther Vololona Razazarivola

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ces derniers, avec leur cadre de référence très différent – faire

de l’argent –, qui les jugent, qui disent s’ils sont bons ou pas. Ces élus ne se sentent pas redevables aux popula-tions qui les ont élus. Il y a une crise de confiance trop forte entre eux et la population. Il faut laisser la place à du sang neuf. A une jeunesse qui voit les choses autrement, qui comprend qu’il est possible de devenir et de res-ter maire en se mettant réellement au service de la population ».

Émergence et maturitéPour tous nos interlocuteurs, la sortie vers le développement se situe dans l’émergence de nouveaux élus et dans la maturité politique de plus en plus grande des populations. Dans les régimes qui organisent des élections,

la population dispose d’une arme redoutable : son droit de vote. Au Bé-nin, 80 % des élus locaux n’ont pas été réélus en mars 2008. La sanction de l’inaction est donc possible. Elle de-vient petit à petit une réalité. « Dans ma commune, les femmes se sont regroupées. Un millier d’entre elles disent : “ça ne va plus !” et pèsent sur le débat politique. », s’enorgueil-lit Aminata Traoré, fière de l’engage-ment de ses sœurs. Pour autant, José Tonato souligne combien le chemin vers une éducation de la population à ses droits est encore long. « Pour l’essentiel, les populations ne savent même pas qu’elles peuvent venir au conseil communal. Et lorsqu’elles le savent, elles ne voient pas vraiment l’intérêt de participer au débat poli-tique. Le travail au champs leur apparaît plus prioritaire.

Moussa Mara : gouver-nance et transparence au service des élus

Cet expert comptable est passé à la politique en fai-sant de la gouvernance et de la transparence son cheval de bataille. Dès son acces-sion au mayorat, il publie sa déclaration de patrimoine alors que la loi ne l’y oblige pas. Un geste symbolique qui dérange. Mais il persiste : « Nous venons de mettre en place un document dénommé “la charte des usagers”, un guide qui recense l’ensemble des services fournis par la municipalité (état civil, assai-nissement, hygiène, éduca-tion, sécurité...) et indique pour chaque service le temps qu’il prend et le montant que devra acquitter le citoyen qui le sollicite. Ce document a été validé par l’ensemble

du personnel qui a décidé de l’appliquer entièrement. Il a été validé par la société civile qui a participé à son élabo-ration. Une vaste communi-cation a permis aux popula-tions de savoir ce qui l’attend à la mairie. Les habitants de la commune commencent ainsi à situer leurs droits et n’hésitent pas à réclamer aux agents municipaux leurs dus en terme de délais. On ne peut plus leur réclamer plus que ce qui est indiqué dans la charte. Plusieurs fois, des citoyens ont amené la contestation jusqu’à mon bureau où ils reprochaient à un agent de violer la charte, ce qui était exact. Ils ont ainsi obtenu leur droit sans aucun problème. »

Moussa Mara

Au Mali, on le voit comme un cas. « J’aimerais un maire comme lui dans ma commune. » glisse Aminata Traoré, l’ancienne ministre altermondialiste. Et pour cause, Moussa Mara, maire de la commune de Bamako IV ressemble à un OVNI.

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Cette éducation à la citoyenneté devrait dépendre du politique, mais

dans beaucoup d’endroits, ce dernier n’a aucun intérêt à éduquer la population. » Les ONG, les associations, les grands programmes onusiens ont-ils alors un sens ? « Sûrement, répond-il. Je connais une ONG au Bénin qui a fait le tour des communes pour faire connaître leurs droits aux populations, leur expliquer le fonctionnement du système. L’impact est réel. » En même temps, il faut favoriser l’émergence de ces nouveaux maires qui comme Moussa Mara, Eva Ravaloriaka, Christophe Megbedji ont fait le choix de se mettre au service de la population. Gus-tavo, José et les autres répondent en cœur : « ah si seulement nous savions comment faire émerger ce leadership ! » L’appel est lancé !

ÉRIC FRIPIAT

“Une nouvelle génération ose la

voie exigeante de la transparence”

Economie solidaire et développement local. Vers une démocratie de proximité.T. Daghri et H. Zaoual, Horizon Pluriel/L’Harmattan (2007).

Critique de la rai-son économique. Introduction à la théorie des sites.S. Latouche, F. Nohra, H.Zaoual, Préface de Angèle Kremer-Marietti, Collection Epistémo-logie et philosophie des sciences. L’Har-mattan (1999).

| aller + loin

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Du respect,encore du respect

Miroir bien réel des comportements dominants (voir n’GO n°6), les comportements de soumission génèrent des vécus difficiles. Anxiété, culpabilité, perfectionnisme, voire superstition rendent

difficile l’accès à l’assertivité. Rien de plus difficile pour une personne sujette à la soumission que de prendre sa place.

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M iroir des personnes domi-nantes, les soumis ont pour fonction sociale de se mettre à leur service. Cela ne signifie pas qu’ils le font

de bonté de cœur. Ils n’ont simplement pas l’idée d’affronter la personne dominante et espèrent qu’en retour, leur loyauté ou leur fidélité leur vaudra récompense ou, à tout le moins, protection.

Nous l’expliquions dans notre numéro précédent, les comportements de dominance et de soumission dans la société humaine garantissent, tout comme dans les sociétés animales, une certaine stabilité sociale. Elle assure une exécution rapide des décisions en évitant une remise en cause perpétuelle de la hiérarchie.

1. Eviter de jugerBien souvent, le comportement du sou-

mis surtout lorsqu’il atteint le troisième stade paraît irrationnel : « mais pourquoi se sent-il coupable alors qu’il n’a rien à voir avec cette histoire ? » Le résultat est qu’on a tendance à lui dire « mais non, tu n’as rien à voir dans cette histoire », à l’in-fantiliser ou encore à dédramatiser. Cela ne l’aide en rien. Ce n’est pas le problème qui est en cause mais le ressenti. Pareil-lement, si une chose à faire peut vous paraître facile, c’est peut-être une mon-tagne pour un soumis. Inutile de lui dire : « mais si, tu en es capable… ». Ce n’est pas un problème de compétences mais bien de vécu interne. À éviter également, dominer ou dramatiser, ce qui ne ferait que renfor-cer la soumission.

2. Reconnaître le ressentiComme nous venons de l’expliquer,

ce n’est pas le problème rencontré ou le défi à réaliser qui est cause, la personne a très souvent les compétences requises pour régler la situation. Le problème est un vécu interne de culpabilité, de perfec-tionnisme, de crainte de la sanction. La première chose est donc de reconnaître le ressenti de la personne en s’intéressant au

vécu, aux émotions de cette dernière. Pas toujours simple car le comportement peut nous sembler tout à fait irrationnel ou dis-proportionné.

3. Le faire changer d’état grâce à des questions

Communiquer son état et l’expliciter a tendance à apaiser la personne en sou-mission. Tout en restant à la fois factuel et bienveillant, faites-le parler de son ressenti avec des questions du type : « je comprends que ce que tu penses te pose de vrais problèmes. » ; « Je ne connais pas toute la situation, pourrais-tu m’ex-pliquer ? » ; « Qu’est-ce qui te fait dire cela ? » ; « Qu’est-ce qui se passe ? ». Les territoires cérébraux en cause dans la sou-mission vont peu à peu céder le pas aux autres territoires cérébraux et atténuer progressivement le vécu de la personne, surtout si vous restez factuel et si, après l’avoir amener à décrire son vécu, vous l’amenez à relativiser. Par exemple, avec des questions comme « qu’en penserait ta meilleure amie, ton meilleur ami ? » pour peu que celle-ci ou celui-ci ne soit pas éga-lement dans des comportements de sou-mission, évidemment.

Les grandes règles : comment gérer la relation avec un soumis ?©

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Comme pour la dominance, les comportements de soumission

sont très difficiles à détecter lorsque leur intensité est faible. Le vécu de la soumission est lié à la crainte de la faute. Il cherche à bien faire. Tout le temps et en tout lieu. Il se croit incapable de résister au dominant et cherche à lui faire plaisir, notam-ment en évitant toute erreur suscep-tible de causer des dommages. Tous les perfectionnistes seraient-ils alors des soumis ? Loin s’en faut. Un per-fectionniste peut l’être parce qu’il ne supporte pas être pris en défaut – un dominant pourrait donc facilement l’être –, ou par l’amour des choses bien faites, ou parce qu’il lui serait impossible de ne pas être exhaustif ou nuancé à l’extrême. Les timides seraient-ils tout aussi soumis ? Pas nécessairement. Ce que d’aucuns in-terprètent comme de la timidité pour-rait n’être que de la réserve ou être lié à une réactivité forte par rapport aux personnes qui parlent pour ne rien

dire. Pas de soumission là-dedans. Le critère distinctif est bien la crainte irrationnelle de la faute.

Vers l’anxiété et la supersititionPlus la soumission s’installe plus le vécu d’anxiété augmente. L’idée de provoquer par négligence ou passi-vité des désagréments ou des ennuis dans le groupe angoisse le “soumis” au point qu’il fait tout pour l’éviter. Il se contentait d’être perfectionniste ; il passe ensuite au stade des vérifica-tions sans fin. Ce sentiment concerne des dommages tout à fait improbables : « la société va tomber en faillite parce que j’ai oublié d’envoyer le courrier hier… ». L’anxiété est alors chronique, mal définie, surgissant à la moindre occasion, même futile. Cet état de choses s’accompagne d’une servilité à l’égard des personnes dominantes. Le soumis va jusqu’à sacrifier son confort ou ce à quoi il a droit au profit de son supérieur hiérarchique.

Ce qu’en dit le LarousseSoumission• État de quelqu’un qui se met dans la dépendance, sous le pouvoir, la domination de quelqu’un d’autre.

Anxiété• Trouble émotionnel se traduisant par un sentiment indéfinissable d’insécurité.

| au mot près

“La soumission se caractérise par une crainte excessive de la faute”

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En phase trois, l’inconfort gran-dit encore d’un cran. Le réel

ne permet plus à la personne d’être rassurée. Même si tout va bien, elle se dit qu’il y a un prix à payer pour un bonheur perçu comme fragile. La personne craint une sanction, même pour les plus petites broutilles. Elle se sent fautive pour tout, y compris les erreurs des autres. La superstition est alors bien présente…

Panique en cas de promotionImaginons-le. Organisé, compétent, perfectionniste, obtenant d’excellents résultats… On ne soupçonnerait pas qu’il a un profil plutôt soumis. Une promotion plus tard, c’est le dérapage. Il stresse en permanence, perd en ef-ficacité, revérifie tout cinq fois, prend des anxiolytiques. Il ne se trouve pas “à la hauteur des exigences du poste”. Cette promotion qui implique de donner des ordres s’assimile à un passage brutal de l’état “soumis” à un état “dominant”. Or, le cerveau, dans son souci de maintenir une stabilité sociale, active alors un mécanisme de compensation qui, comme un élastique, pousse la personne

“Dans un état de soumission, quoi que je fasse, je ne serai pas à la hauteur”

LivrePersonnalités et PsychophysiopathologieJ. & F. Fradin. Éditions Publibook Université (2003-2006).

ArticlesHow interpersonal motives clarify the meaning of interpersonal behavior: A revised circumplex model. Personnal-ity and Social Psychology Review.(10, 67-86), Horowitz, L.M., Wilson, K.R., Turan, B. Zolotsev, P., Constantino, M.J. & Henderson, L. (2006). Personnality and Social Psychology Review.

The 1982 Interpersonal circle: A tax-onomy for complementarity in human transactions. (90, 185-214), Kiesler, D.J. (1983). Psychological Review.

Dominant-submissive behavior as models of mania and depression. (29, 715-737), Malatynska, E. & Knapp, R.J. (2005). Neuroscience & Behavioral Reviews.

| aller + loin

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vers une attitude de soumission qui compense exactement l’écart du sta-

tut enregistré par la promotion. Il sera en-core plus soumis qu’il ne l’était au départ avec un vécu de panique. L’objectif de ce mécanisme ? Lui permettre de retrou-ver subjectivement ce qu’il estime être sa place.

Dans un monde axé sur la performance, la concurrence, il est très tentant d’activer les ficelles qui mettent le soumis mal à l’aise puisqu’il va essayer d’anticiper toutes les erreurs possibles ou imaginaires. Mais c’est le faire glisser dans un vécu qui peut s’avérer très pénible et qui peut se révéler improductif à la longue. La collaboration avec une personne sujette à la soumission implique un seul grand devoir : le respect.

PIERRE BIÉLANDE

Déclenchement✔✔ Imprévisible et fluctuant✔✔ Sur n’importe quel sujet (par opposi-tion à ceux qui réagissent toujours sur un sujet bien précis)

✔✔ Lorsqu’on le culpabilise✔✔ Lorsqu’on lui fait remarquer ses fautes, ses manquements

✔✔ Lorsqu’il ne se sent pas à la hauteur

Vécu interne de la personne

✔✔ Faible confiance en soi✔✔ Sensation d’infériorité par rapport à un plus “dominant”

✔✔ Perfectionnisme afin d’éviter d’être pris en faute

✔✔ Incapacité à dire “non” à un plus dominant

✔✔ Culpabilité✔✔ Fascination pour la force

Ces symptômes sont cumulés.

Les caractéristiques du soumis © F

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“Pour interagir avec une personnalité de ce type : évitez le jugement, restez bienveillant et factuel, invitez-la à expliquer ce qu’elle vit”

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On veut du changement ! Bon nombre d’ONG et d’associations en tout genre concentrent leurs efforts pour appor-ter des changements positifs. Mais qui dit changements dit résistances. On a beau discuter, écouter, analyser, sen-sibiliser ; il y a toujours un moment où ça coince. La faute à qui ? Dans cer-tains cas, à nos croyances…

Changeons de lunettes !Voir au-delà des croyances limitantes

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L e changement, c’est maintenant. Ou peut-être demain. En tout cas on y travaille… Mais que cela peut être compliqué ! D’autant qu’on ne perçoit pas toujours

ce qui cloche. L’équipe de l’Université de Paix a mis le doigt sur une des causes de ces blocages dans le processus de change-ment : les croyances limitantes. Alexandre Castanheira, formateur en gestion positive des conflits, définit pour nous le concept. « Une croyance est une sorte de vérité que je me donne et qui oriente mes actions et mon regard sur la réalité. C’est un filtre que l’on pose sur notre environnement

Identifier les croyancesPar une série d’exercices sensoriels, vi-suels, oraux, les participants prennent conscience de l’existence de croyances. Après cette prise de conscience, ils identi-fient leurs croyances principales.

Comprendre les mécanismes

Il est important de bien cerner l’impact que les croyances ont sur notre manière de penser et de faire les choses. Connaître les mécanismes de création et de renforce-ment des croyances constitue la deuxième étape.

Voir le caractère limitantPar une série d’exercices et de partage d’expérience, la caractère limitant des

croyances est mis en évidence. Chaque personne identifie ensuite ses propres croyances limitantes.

Assouplir les croyances limitantes

Il est possible de faire évoluer ses croyances, voire d’en créer de nouvelles. En prenant du recul par rapport à son iden-tité, à son environnement, en adaptant ses comportements, en renforçant certaines capacités, les croyances deviennent plus flexibles. Cela nécessite une attention sou-tenue, des actions quotidiennes et un plan sur le long terme.

Passer à l’actionParallèlement au travail cérébral, des ac-tions concrètes génèrent de nouvelles ex-périences qui font évoluer nos croyances.

| comment ça marche ?

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“Une croyance n’est pas seulement une pensée que l’esprit possède, c’est une idée qui possède l’esprit’’

— Elly Roselle

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et qui conditionne nos comportements et nos capacités. Ces croyances peuvent être limitantes car elles amènent un jugement. Elles nous freinent devant la nouveauté, même si on est séduit par les change-ments visés. »

Un mécanisme naturelLa formation de croyances est un proces-sus inné. Au cours de notre enfance et de l’adolescence, nous construisons petit à petit notre réalité. « Au fur et à mesure de l’expérience de vie, notre cognition géné-ralise et catégorise en permanence les événements pour pouvoir gérer la masse d’informations qui nous submerge. Cela nous permet de vivre, de nous protéger, de nous adapter. On crée en quelque sorte des règles d’interprétation du monde qui nous entoure. » Ces règles se fixent dans notre mode de pensée et tendent ensuite à se renforcer. « On veut toujours donner du sens aux choses. Mais nous sommes très sélectifs ; on cherche dans la réalité tous les éléments qui viennent confirmer nos croyances. Elles s’ancrent dès lors de plus en plus profondément. Le problème est que nous évoluons et que le contexte se modifie. À un moment, certaines croyances ne sont donc plus adaptées. »

– L’identification des croyances profondes permet de mettre en avant notre cohérence

interne, la manière dont chacun donne du sens aux choses d’un point de vue

personnel.

– Prendre le temps d’analyser l’instant présent (son environnement, sa

personnalité, etc.) apporte un sentiment de liberté et d’ouverture. On prend

conscience des phénomènes de pensée et de la distinction entre la réalité et ce que j’en

perçois.

– La pensée devient plus flexible. Le cerveau est entrainé à penser autrement,

à ne plus utiliser les autoroutes mais à se frayer son propre chemin. La capacité

d’adaptation est renforcée.

– La compréhension des mécanismes de la croyance permet de les faire évoluer et par

conséquent de nous améliorer.

| les points forts

– Le travail est basé en grande partie sur l’introspection. Cela prend donc du temps et coûte beaucoup d’énergie, aussi bien physiquement que mentalement.

– Il est presque impossible de réaliser le travail seul.

L’enrichissement mutuel, le reflet de l’autre est indispensable.

– Le passage à l’action peut être difficile. On peut se retrouver dans des situations où l’on se sent mal à l’aise ou avec un sentiment de peur.

| les limites

“95% des gens ont une vision négative du conflit”

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D’autre part, en fonction de la situation, la même croyance peut s’avérer soit utile soit limitante. « Prenons par exemple quelqu’un qui se méfie du monde exté-rieur. Dans certains cas, cela peut lui sauver la vie, dans d’autres cela inhibe l’action. Chaque croyance peut à un mo-ment donné avoir une portée bénéfique. Tout comme elle peut être paralysante. »

Changer de regard Prendre conscience de ses croyances li-mitantes est la première étape vers leur assouplissement. Il s’ensuit un travail de longue haleine pour créer un nouvel espace de liberté et de possibles. « À l’Université de Paix, nous travaillons principalement sur les changements qui favorisent la ges-tion de conflits. Le premier changement

de regard auquel on essaye d’arriver concerne la notion même de conflit. À peu de chose près, 95% des gens en ont une vision négative. De notre point de vue, un désaccord ou une opposition est neutre. C’est la manière de les gérer qui aura des conséquences agréables ou désa-gréables. Quand on creuse un peu, on se rend compte qu’on gère quotidiennement toute une série de conflits. Par exemple, rentrer dans le train aux heures de pointe ou s’organiser pour préparer le souper et mettre les enfants au lit. En prenant le temps d’analyser le concept de conflit, on découvre à la fois qu’on possède déjà beaucoup de ressources pour les gérer mais qu’aussi on augmente notre compré-hension. Cela met en évidence le caractère limitant de certaines croyances. »

Ana Matten, responsable de Comptines à Lambersart« On a eu la chance de faire la formation en équipe et cela a été super enrichissant. Cela a amené plus de complicité, de respect et de compréhension. On porte un autre regard sur les autres. Personne ne cherche plus à changer l’autre mais plutôt à trouver des solutions pour avancer ensemble. Plus généralement, le fait de connaitre les croyances limitantes incite à ne pas rester sur une première impression. La formation apporte vraiment une ouverture d’esprit. Et les formateurs sont exceptionnels et très à l’écoute. Via différents supports (écrit, vidéo ou jeux), ils font passer beaucoup de messages. La seule condition pour profiter pleinement de cette formation : être prêt à changer de lunettes ! »

| témoignage

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Alexandre Castanheira et l’équipe de l’Université de Paix

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Chacun ses croyancesPrendre en considération les croyances li-mitantes dans sa relation à l’autre favorise grandement la collaboration. « Lorsque deux personnes ont des croyances oppo-sées, il est essentiel qu’elles partagent leur perception de la réalité. Cela néces-site une grande capacité d’écoute et une bonne dose de flexibilité. Le but n’est pas de convaincre l’autre qu’il doit agir dif-féremment. Il faut trouver un terrain d’entente où chacun à de la place pour ses croyances et leur remise en question. Au final, la dynamique d’équipe, la relation entre collègues ou entre partenaires en sortent grandies. »

RENAUD DEWORST

Caroline Gavroy, formatrice et accom-pagnatrice en dévelop-pement personnel« Les croyances limitantes ont un grand impact sur le relationnel, sur la communication et sur la compréhension que l’on a des autres. La formation m’a apporté des outils pour identifier les croyances mais a aussi suscité une prise de conscience. J’ai travaillé pendant 7 ans au Congo en contact avec d’autres cultures et d’autres schémas de pensée. J’appelais ‘point de vue’ les différences que j’expérimentais. Mais le concept de croyance limitante me semble maintenant beaucoup plus pertinent. Ces croyances sont une manière de se positionner dans la vie. Elles constituent un ancrage fort qui ne peut être changé en un débat, elles font partie de l’identité individuelle… Avoir conscience de leur existence amène à une plus grande tolérance. »

| témoignage

Vous connaissez un outil intéressant dans un

contexte de développement ? Faites-le nous savoir !

| en savoir +

FormationL’Université de Paix, basée à Namur, propose une formation de deux jours. Elle peut avoir lieu dans leurs locaux ou partout en Belgique et en France. Pour plus d’info, visiter leur site Internet.http://www.universitedepaix.org/changeons-de-lunettes

LectureDu désir au plaisir de changerF. Kourilsky, Dunod, 4e édition (2008).

50 exercices pour penser positifP. Auriol & M.-O. Vervisch, Eyrolles (2011).

L’homme qui voulait être heureuxL.Gounelle, Pocket (2010).

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Page 32: n'GO n°7 janvier 2013

blog-notes

Antoon Vandevelde

| parole d’expert

Antoon Vandevelde est professeur et doyen à la Faculté de Philosophie de la KU Leuven. Il est également chercheur au Centre pour l’économie et l’éthique où il s’intéresse à la rencontre entre philosophie et économie.

Donner et aider

L’ aide au développement est devenu la coopération au développement. Sans aucun doute parce que l’on se rend compte que donner et aider

sont des actions très délicates. La réciprocité est la norme dans l’espace social. Des cadeaux qui ne peuvent être remboursés sont dévastateurs. On le voit en Belgique, les transferts entre le nord et le sud du pays ne suscitent pas la gratitude de ceux qui en bénéficient, mais plutôt de la rancune. On sent cette même rancune au niveau mondial. Au XVIe siècle, les pays arabes se situaient plus ou moins au même niveau de développement que l’Europe de l’Ouest. Aujourd’hui, des pays comme l’Egypte, la Tunisie et le Maroc ont soif de technologies, de techniques de management et d’investissements occidentaux. Parallèlement, des

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islamistes radicaux affrontent l’Occident et essayent désespérément de construire un sentiment d’estime de soi en faisant référence à un passé glorieux.

Autre exemple. Pendant la période coloniale, le Congo a été exploité. Les gens travaillaient dans les mines et les plantations pour un salaire dérisoire. Les matières premières étaient importées en Belgique d’où elles intégraient l’économie mondiale. Aujourd’hui, le problème du Congo est sa marginalisation dans l’économie mondiale. Les plantations et les mines ont disparu. Il ne subsiste que l’exploitation artisanale de richesses naturelles. Si le Congo – et une bonne partie de l’Afrique noire – devait disparaitre demain, le reste du monde le remarquerait à peine. La problématique du développement concerne plus l’exclusion que l’exploitation. Le jour où les industries indiennes ont commencé à racheter nos hauts fourneaux, ou quand les exportations chinoises sont venues concurrencer nos produits, en d’autres termes, le jour où les flux commerciaux et de capitaux sont devenus réciproques,

la Chine et l’Inde n’étaient plus considérées comme des pays en voie de développement. Elles ne veulent d’ailleurs plus de ce statut, quand bien même une bonne partie de leur population n’est pas ou peu intégrée dans les cercles de réciprocité de l’économie mondiale.

C’est la même logique au micro-niveau. Subsidier la consommation, en distribuant gratuitement du pain ou du riz par exemple, n’aide pas vraiment les gens en difficulté. Les organisations de microcrédit l’ont bien compris. En accordant des prêts remboursables, elles envoient un autre message : « Je te fais confiance. Tu peux le faire. » Et qui demande un crédit garde la tête haute, tandis que le mendiant la baisse.

Malheureusement, dans certaines situations, la réciprocité est impossible, ou du moins tout sauf évidente. L’aide urgente en est l’exemple le plus parlant. Lors d’une catastrophe, un tremblement de terre ou un tsunami, l’aide ne se fait pas attendre. La seule réciprocité qu’on peut y voir est très abstraite :

“Le développement ne peut en aucun cas se construire sur le modèle de l’aide urgente”

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nous savons qu’un jour on pourrait être dans le besoin, et qu’on accueillerait volontiers une aide extérieure. Nous aidons les autres comme nous voudrions être aidés. Les situations de crise ne sont que transitoires. Le but est de répondre aux besoins les plus criants. Le développement ne peut en aucun cas se construire sur le modèle de l’aide urgente.

Le cas des pays et des peuples qui sont constamment dans le besoin est encore plus problématique. Le Niger ou le Mali du Sahel sont surpeuplés et n’ont pas de ressources naturelles. Ils n’ont pas d’accès à la mer et se trouvent donc loin des débouchés vers l’économie des pays riches. Hormis le tourisme, il y a peu de possibilités. Ces pays du Sahel pourraient

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en partie résoudre les problèmes des pays grisonnants, au marché de l’emploi déséquilibré. Mais les pays riches ne veulent pas de cette solution. Il est difficile d’imaginer comment ces pays pourront survivre sans aides – sous forme de cadeaux plutôt que de prêt –, en tout cas dans les années à venir. C’est comme s’ils souffraient d’un lourd handicap ou d’une maladie chronique. Chaque société bien portante met en place des mécanismes pour accompagner les gens en difficulté. Pour le justifier, on invoque le fait qu’ils n’ont pas choisi de naître ou de se retrouver dans une telle situation. Ou à nouveau : « Nous aurions pu être à leur place, ou, en cas d’accident, cela pourrait nous arriver. » Les gens qui “se trouvent sous perfusion” en permanence se sentent souvent superflus. Pensez seulement aux personnes du troisième âge, nécessiteuses, dans les maisons de retraite. Elles peuvent dire : « Nous avons donné toute notre vie ». Et pourtant, la moitié d’entre elles souffre de problèmes existentiels.

Pour les économistes, il va de soi que l’homme cherche à maximiser son intérêt personnel. Dans certains contextes, cela s’avère plus ou moins juste. Mais d’une manière générale, chacun ressent au moins autant le besoin de signifier quelque chose pour quelqu’un, d’échapper au vide du non-sens, de pouvoir se donner. Cela explique qu’une société bien portante mène des politiques en faveur de l’emploi des jeunes et soutienne le secteur socio-économique. Dans la même logique, un ordre mondial bien portant ne peut permettre de laisser dépérir des milliers de gens dans des camps de réfugiés déguisés, d’où il est impossible de s’échapper. Dans ces conditions, organiser des possibilités de migration tient probablement du devoir éthique.

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“Chacun ressent le besoin de signifier quelque chose pour quelqu’un, de pouvoir se donner”

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