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DANIEL BERTAUX NOUVELLES PI~RSPECTIVES SUR ,LA MOBILITI~ SOCIALE EN FRANCE Les travaux ,fran~ais sur la mobil.it~ sociale sont rares, et malgr~ quelques exceptions, ils ont ~t~ effectu~s jusqu'ici principalement par des d~mographes, non par des sociologues. On pourrait d'ailleurs s la m~me remarque h propos des travaux sur la stratification. Inversement, il existe en France une certaine richesse tMorique qui permettrait des contributions originales ~ ces questions. L'influence de plusieurs vari~t~s de marxismes et, plus r~cemment, de structura- lismes, a consti,tu~ certains ,il6ts de r~sistance contre 'la vague mondiale de 1' "empirisme abstrait". Aujourd'hui plus que jamais les courants tes 101us divers se corffrontent, ~pportant beaucoup de richesse dans beaucoup de confusion. C'est ~ partir de cette situation s.timulante que nous devons travailler. Dans cet article, apr~s avoir rapidement recti~fid l'image fausse que l'on se fait g6ndralement h l'6tranger de la ,mobilit6 sociate en France, j'essaierai d'aborder la construction d'une probl~matique pour l'6tude de la "mobilit6 sociale" (en ~ait, de Ia distribution sociale; voir ci-dessous). J'attaquerai cette question centrale ~ partir de plusieurs approches: celle de l'empiriste, celle du m&hodologue, celle du tMoricien, voire celte de l'.bi.'storien. Dans les limites impos6es je serai forc~ment tr~s bref, au d6triment de la coMrence de l'ensemble. L'article ressemblera donc in~vitablement un ehantier de construction (et de d6molition ...); c'est ~ une br~ve visite de ce chantier que je convie maintenant le lecteur * * Le pr~ser~t arficIe est une version l~g~rement modifi~e d'une cor;nmunica- tion pr~senr sous le m ~ e titre au VII Congr~s Mondial de Sociologie (Vama, Bulgarie) en Septembre 1970, dans la s6ance du "Comit~ de Recherche permanenr sur la stratification et la mobil~tE" consacr~e ~ la mobilit~ sooiale.

Nouvelles perspectives sur la mobilité sociale en france

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Page 1: Nouvelles perspectives sur la mobilité sociale en france

DANIEL BERTAUX

NOUVELLES PI~RSPECTIVES SUR ,LA MOBILITI~ SOCIALE EN FRANCE

Les travaux ,fran~ais sur la mobil.it~ sociale sont rares, et malgr~ quelques exceptions, ils ont ~t~ effectu~s jusqu'ici principalement par des d~mographes, non par des sociologues. On pourrait d'ailleurs s la m~me remarque h propos des travaux sur la stratification.

Inversement, il existe en France une certaine richesse tMorique qui permettrait des contributions originales ~ ces questions. L'influence de plusieurs vari~t~s de marxismes et, plus r~cemment, de structura- lismes, a consti, tu~ certains ,il6ts de r~sistance contre 'la vague mondiale de 1' "empirisme abstrait". Aujourd'hui plus que jamais les courants tes 101us divers se corffrontent, ~pportant beaucoup de richesse dans beaucoup de confusion. C'est ~ partir de cette situation s.timulante que nous devons travailler.

Dans cet article, apr~s avoir rapidement recti~fid l'image fausse que l'on se fait g6ndralement h l'6tranger de la ,mobilit6 sociate en France, j'essaierai d'aborder la construction d'une probl~matique pour l'6tude de la "mobilit6 sociale" (en ~ait, de Ia distribution sociale; voir ci-dessous). J'attaquerai cette question centrale ~ partir de plusieurs approches: celle de l'empiriste, celle du m&hodologue, celle du tMoricien, voire celte de l'.bi.'storien.

Dans les limites impos6es je serai forc~ment tr~s bref, au d6triment de la coMrence de l'ensemble. L'article ressemblera donc in~vitablement

un ehantier de construction (et de d6molition ...); c'est ~ une br~ve visite de ce chantier que je convie maintenant le lecteur *

* Le pr~ser~t arficIe est une version l~g~rement modifi~e d'une cor;nmunica- tion pr~senr sous le m ~ e titre au VII Congr~s Mondial de Sociologie (Vama, Bulgarie) en Septembre 1970, dans la s6ance du "Comit~ de Recherche permanenr sur la stratification et la mobil~tE" consacr~e ~ la mobilit~ sooiale.

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88 DanM Bertaux

I. L'empirisme abstrait et ses 6garements

Rectification pr&lable.

Jusqu'id, l'ainsimomm6e "mobilit6 sociale el1 France" dtai~: connue l'6tranger ~ travers les r6sultats d 'une enqu~te effectu6e en 1948 par

Marcel Brdsard, r6sultats r6interpr6tds et di,ffus6s en hngue anglaise par Natalie R oge r 1.

Or, ces r6su.ltats sont tr6s probablement ~aux. En effet, l'6chantil- Ion de l'enqu6te compol~tait un ,biais ~mportant, qui semble 6tre restd tongtemps inaper~u: son pourcentage d'ouvriers, 24%o, est tr~s *in~6- rieur ~ la part de cette cat~gorie da~as la structure socio-professionneHe ~ran~aise, soit 40% ~ Y6poque (tableau 1).

TABLEAU 1. COMPARAISON DE LA STRUCTURE DE L'16.CHANTILLON BR]~SARD ~ LA STRUCTURE SOCIO-PROFESSIONELLE.

Catdgories u'dlis~es Reeensement Ec ,hantillon llecensement Recensement par M. Brdsard de 1946 Brdsard 1954 1962

I.ndustriels professions lilMrales 1,5 3,9 1,4 1,3 Fonctionn~ires I Cadres 2,5 4,6 3,0 4,2 Commer~ants Artisans 11 15,0 11,0 9,6 Cultivateurs 22 25,8 18,6 14,7 Fonctionnaires II Employ~s 10 17,0 13,4 15,3 Ouvriers Manoeuvres 40 23,6 41,7 45,4

Ouvriers ~gricoles 10 9,8 7,9 5,8 Autres (Arm~e, etc.) 3 - - 3,0 3,7

TOTAL 100 99,7 100,0 100,0

Ces biais sur l'6chantillon sont 4videmment la cause d'importantes erreurs sur les estimations des "courants de mobilit6" 2. Plus pr6cisd-

! ~i. BI~SAltI~, Mobilit3 sociale et taille de [amille, "Population", V (1950), pp. 533-566; enquire effecm~e par t'Instimt National d'Emdes D6mograpt~iques. N. ROGOFF, Social Stratification in France and the United States, "American Jour- nal of Sociology", LVIII (1953), pp. 347-357.

2 L'intemion de M. Br$sard n'~tait lses de faire de la sociogral~hie: il cher-

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La mobilit8 socMe en France 89

men, t, la sous-repr6sentation des ouvriers a entrain6 une sous-estim~tion du nombre d'ouvriers ills d'ouvriers, doric: une surestimation relative des "non-manuels" fils d'ouvriers (=mobi l i t6 "ascendante"), et une sous-estimation du nombre d'ouvri.ers ,fils de "non-manuels" ( = m o b i - l[t6 "descendante" ).

O n peut s 'amuser ~ ~econstituer, fi par t i r ,des sept catdgories socio- professionnelles utilis6es par M. Br~sard, le tableau fi 3)<3 eat6gories calcul6 par N. Rogoff et qui ~ut ensuite largement diffus6 (au point qu 'on a ,pu en re t rouver les pourcentages sous ']a p lume de grands zociologues franqais ...); et fi ~la comparer au tableau obtenu fi par t i r d 'un 6cantillon "redressd" (cf. ,tableaux 2a et 2b).

tABLEAU 2a. MOBILITI~, D'APRF.S L'ENQU]STE BR16.SARD (CALCULS

DE N. ROGOFF)

TABLEAU 2b. RESULTATS DES MEMES CALCULS APRES REDRES-

SEMENT DE L'ECHANTILLON

Position

Origine

N-m

M

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72,5 18,0

34,8 54,7

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Position

Origine

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100 (795)

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100 (3.025)

N-m: "Non-manuels" (dont artisans ...)

M : "Manuels'~ ' " " (c est-a-di,re en fait, les ouvriers)

A : "Agriculture" (Pay~ans riches, moins riches, pau~res, et ouvriers agricoles ...)

chait ~ pr&iser ,la relation entre taille de la famille et chances d'ascension sociate; c'est pourquoi le bills stir l'6chantillon le gSnait moins q~ae oeux qtfi par la suice ont voutu ut~ser .l'enqu&e ~i des fins sociographiques. Tel a 6t6 le cas, apr~s N. Ro- goff, de S. Lipset et de ses diff6rents collaborateurs, lorsqu'ils se sont alypliqu6s

6tabbr des comparaisons imern~tionales dor~t la signification sociologique reste, aujourd'hui encore, plus que douteuse.

On se ,ouviendra peut-&re clue la th~se centrale de "Social mobility in indus- trial societies" ~tait que cor162 aux id6es revues, .'la mobilit6 aux Etats-Unis n'6tait gu~re plus forte que dans cert~ins pays d'Europe. Les r6suttsts de r6centes enqu&es (INSEE pour la France, Lopreato pour l'Imlie) ont montr~ que cette th~se s'appuyait sur des r~sulta, ts erron6s (respecfivemen.t, Br~sard et Livi), rbv6- lant ainsi qu'~t une question th&xiquemen, douteuse (ear quelte valeur explicative la "nation', cette abstraction, peut-elle avoir?) S. M. Lipset et R. Ben6ix avnient donn~ ~.me l~ponse eml~iriquon,~t fausse.

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90 Daniel Bertaux

Les diff6rences s'av~rent consid6rables. CeI~ n'a d'aiUeurs pas gran- de importance, car 6tant donnds les presupposes qui pr6sident ~ la cons- truction de ces tableaux et les categories utilis6es, qui sont 6minemment criticables, l'ensemble de ces calculs ,ne pr6sente gu~re de signification sociologique 3.

Nouvelles sources de "donn~es empiriques".

Depuis l'enqu6te de M. Br~sard, au moins deux enqu&es nationales de mobilit~ ont ~t~ effectu6es en France sur des 6chantillons bien cons- traits. Toutes deux ont ~t6 r~alis6es ,par ~l'Insti.tut National de la Sta- fistique et des Etudes Economiques (I.N.S.E.E.); comme cette institu- tion est celle qui effectue les recensements nafionaux, et que ses fonc- tionnaires ont tous une solide formation de statisticiens, on peut avoir con~iance en la "representativit6" de ses enqu~tes au niveau descriptff.

La premiere de ces deux enqu6tes remon, te ~ 1953; il est cu,rieux qu'elle ait 6t6 aussi peu cit6e. La seconde, r6alis6e eta 1964, est beau- coup plus complete; elle porte slMcif.iquement sur la mobilit6 profes- sionnel'le et sociale en France et construe une ,source tr6s fiche de renseignements. R6a~is6e ~ ,partir d'u,n ~chanti.1ton de 27.000 personr~es dont la repr6sentativit~ a 6t6 6tablie de ~a~on minutieuse, e11e est, du point de vue sociographique, sup6rieure aux travaux du rhyme genre sur de nombreux points (par exemple, le questionnaire est plus d6tai116 que c~ui de l'enqu~te de Blau, Duncan et Tyree; les non-r6ponses ont 6t6 astucieusement corrig6es, etc.); seule l'excellente enqu&e sociologique effectu6e en 1967 en Tch6coslovaquie par P. Machonin et son ~quipe nous para~t de facture meilleure 4.

Les tableaux 3 et 3 his donnent une id6e des r~sultats empiriques obtenus; ils ,mont,rent ce qu'a ~t~ la "mobilit~ sociale" des l~res aux ~ils pour la g~n~ration des Fran~ais n~s entre 'les deux guerres mondiales (les hornmes de plus de 45 ans 5 la date de t'enqu~te son exclus du ta- bleau; c'est pourquoi on ne saurai, t faire une comparaison directe entre les tableaux 2a et 3).

3 De tr~s nombreuses critiques ont dtd ada-ess6es aux tableaux de mobit/.td; on en rappelera quelquesmnes ci-dessous. J ' ~ examind les ambiguitds de la catd- gorisafion en "'Manuels / Non-maauels / Agriculture" dans le cours d'un article pr~- c6den.t: D. BERTAUX, Sur l'analyse des tables de mobilit~ sociale, "Revue Fr .an~aise de Sociologie', X (1969), pp. 448-490; notamment pp. 467-8.

4 Enqu&es INS~E: L'enqu~te par sondage sur l'emploi de Juin 1953, "Bul- leti, n mer~suel de stafistique', suppl6ment ~-,imestriel, 1954, pp. 32-42; enqu&e 1964: M. P~D~gm et al.: La mobilit~ pro/essionneUe en France, "Erodes et conjoncture', 1966; La mobilit~ sociale en France, id., 1967; pp. 3-109; P. B~.~tr, 0. D. DUNCAN .and A. Tr American Occupational Structure, New York, J. Wiley and Sons, 1967; P. MAcaoNm et al., Ceskoslovenks ~polesnoct (La soci~td tcb~coslovaque), Bratislava, Epocha, 1970; et autres publications /t ,l~arattre.

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La mobilit~ sociale en France 91

I1 es,t clair que le ph~nomhne principal qui caractdrise la "mobilit4 sociale" en Erance, c'est ... l'immobilitC Trois fils d'ouvriers sur quatre sont eux-m4mes ouvriers; quatre fils d'ouvriers agricoles sur cinq sont eux-m4mes ouvriers agricoles ou ouvriers d'.industrie (pratiquement au- cun n'est devenu agriculteur exploitant ...); par contre, pratiquement aucun enfant de p~re cadre St~l~rieur, profession lib~rale, d'industriel ou de gros commerqant n'est devenu ouvrier.

Telle est la r6ponse des chiffres, et m4me si, ~tablie sans l'aide d'une th~orie expl~icite, ell e n'a pour nous aucune signification socio- logique, du moins a-t-elle ,le m6rite de projeter sur les considerations id~ologiques du discours quotidien la lumi6re crue de la ~r6alit6.

Ces donn6es ont 6t4 beaucoup plus longuement comment6es ail- leurs s. En fait, une partie au moins de ces commentaires ~ y compris des miens - - est rendue caduque par le ,fait que leurs auteurs ont cru

.la "repr6sentativit~" de ces donn6es; or, si l'~chantil.lon est incon- testablement reprdsentatif, par contre ~l'instrument lui-mSme qu'est .la ,table de mobil, it~ donne une image fausse de .la r6alit~ du ph6nomhne; il te mutile en n'en pr4sentant qu'une vision statique, alors qu'il s'agit, comme on v a l e volt, d'un ph6nomhne fondamentalement temporel.

Vers un empirisme concret: l'analyse longitudinale.

Au VII Congr~s Mondial de Sociologie (Varna, Septembre 1970), une des communications les plus int~ressantes :sur h mobilit6 sociale a 6t6 ~ mon avis celle de MM. Girod et Fricker 6. Ces auteu,rs montrent en effet qu'une con~figuration tr~s courante de "mobilit6 en cours de carrib re" est ,la ,suivante: "chute" par rapport au p~re, ,p~is lente remont~e qui en quelque sorte "ram~ne" l'individu vers son point de d6p~rt (ni, veau social 6quivalent ~ celui de son p~re). Ce type de "mobilit6" en cours de carri~re m~rite donc le nom de "comte-mobilitY" que MM. Girod et Fricker lui donnent: ils ajoutent qu'elle constituerait plus de la moitid de la mobilit6 totale observ6e dans ~le canton de Gen~ve.

Voil~ qui projette une .lumi~re nouvel.le sur les in~vitables "tables de mobilitY". Consid6rons en effet Fun des exemples cit6s: un ills d'artisan qui .travaille dix ans comme ouvrier avant de reprendre l'6chop- pe de son p~re. II aura connu au com:s de sa vie une certaine mobilit6 pro[essionneUe mais ,pas de mobilit~ sociale, puisqu~il a toujours ap- partenu au m6me m~lieu 7. La m6me configuration se ~re~rouve dans

5 M. PRADERIE, Op. cir.; D. BERTAUX, Op. cit., et L'h3r3diN sociale en France, "Economic el: Statistique' , IX (1970), pp. 37-47.

6 R. GIROD, avec l a collaboration de Y. FRICKER, Mobilit3 s3quentielle, "Re- vue Franqaise de Sociologie', XlI (1971).

7 I1 est clair que cette notion d'"appartenance fi un milieu social" devrair

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94 Daniel Bertaux

d'autres contextes: par exemple, un ills de cadre sup6rieur qu{ com- mence sa carri6re comme employ4 ou cadre ,moyen, un ills d'industriel qui commence comme ingdnieur, etc. Dans tous ces cas, "la mobilit4 pro]essionnelle est donc (...) le signe d'un renforcement de l'enracine- ment dans le milieu d'origine, donc le contraire d 'un fair de mobilit~ sociale". Notons alors qtle la "mesure" d'une telle trajectoire ~u moyen d'une table de mobilit6 p6re/fils aboufit fatalement ~ un r&ultat ,faux: notre .fils d'artisan par exemple 4tant compt6 soit comme "mobile de- scendant" (ouvrier fils d'artisan) soit comme "immobile" (artisan ills d'art, isan) alors qu'en fair il aura 4t6 mobile professionne}lemen.t, .et so- cialement immobile.

,Comment MM. Girod et Fricker sont-ils arriv& a cette "d&ouver- te", qui remet en question toutes les savantes analyses effectu6es avant eux sin: les tables de mobilit4? Tout simplemem en &udiant de pr& quelques centaines de biographies professionnelles; autrement dit, en se d6tacham de l'empirisme "abstrait", et en cherchant ~ rest.ituer, en une description aussi proche que po.ssi~ble de .la "r4alit6", ,la na, ture con- cr~te des processus sociaux r~els. Or, s'agissant de "mobilitY', la di. mension temporelle du processus est la plus importante; comment s'6tonner ,que les tables de mobilitG qui la laissaient hos de le.ur champ de perception, n'aient pu donner du ph6nomhne rdel qu'une image profond6ment fauss~e?

Les prochai.nes ann6es vont sans doute voir un d4veloppement rapide des &udes longitudinales de carrihres et de biographies. Ce sera lh .un grand progr6s s. Gepend~nt l'analyse longitudinale n'est pas Ia pa- nac6e: comme pour toute technique, il y a cent fa~ons de s'en servir - - des bonnes et ,des moins bonnes. Les m4mes problhmes @is,t4molo- giques, qtti, parce qu'ils n'ont 4t6 ni abord~s ni :(6videmment) r&olus, ont laiss6 la sodologie :sans d6fense contretes r61es sociaux, indignes d'une discipline scientifique, que les "syst~mes sociaux" voulaient lui faire jouer, et lui ont f~it jouer effectivement, les m~mes problhmes sont toujours IL Tam qu'on partira des ",individus" ~ et l'analyse

&~re 9r6cis6e, c'est-~-dire &udi6e daws ses d&ails c0ncrets et pens6e tMoriquement par rapport ~ une th6orie de la structure sociate -- qui reste ~ faire.

s Comme .premier exem,ple des ces recherches, voir: J. BAL/aq, H. BI~OWmNG, E. JELIN and L. LITZLER, A Computerized Approach to the Processing and Anal- ysis o/ Life Histories Obtained in Sample Surveys, "Behavioral Science", XIV (1969), pp. 105-114.

J'ai commenc~ ~ Paris une recherche qui consiste ~ reconstituer urt petit hombre de biographies avecla coll~bor~tion acti~re des sujets; nous redaerchons ensemble, non seulemertt h d~eri.re ce qui s'est ,pass6 d~a'ls leur vie, mais ~ expliquer pouCquoi cel~ s'est pass6 ainsi, en mettant en .relation le maximum de "faits" possi- bles, taat 6v6nements individuels que d&erminafions socia.les. I1 s'agit donc d'une approche diff~rente de celle uti 'lJ~e pa~ Bal~n et al.

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La mobi[itd sociaIe en France 95

Iongkudinale se ,pr4te h merveRle ~ ce gerrre d'erreur - - au ,lieu de consid6rer chaque 4tre ,humain comme un ensemble de rapports sociaux, de chercher ses .rapports aux "structures", tant qu'on n'aura pas 61a- bor~ une th4orie de ce que sont ces structures et de ce qu'est len.r histoire, et tant qu'on ne se sera pas aper~u que settle une science sociale intggrde ~ et non une s6rie de pseudo-sciences d~sint~gr6es telles que la "so~iologie", l'"~conomie", la "science potitique" etc. - - peut per- mettre d'61aborer la th~orie des structures et de leur devenir, on con- tinuera ~ .faire de l'em, pirisme abstra.it.

Mais soyons pr~ffmatiques. Pour d6velopper :nos recherches dans la bonne direction, ,nous sommes souvent obliges de nous servir des instruments tr~s imparfaits qui sont ~ notre disposition. En ce qui con- cerne la mobili, t4 sociale, ces instruments sont, pour quelques ann~es encore, les tables de mobilit& Et puisque nous connaissons celle qui met en relation l'origine sociale et la position profess.ionnelle des Fran- qais n~s aprbs 1918, demandons-nous s.i nous pouvons en tirer quelque chose d'int6ressant.

II. L'utilisation d'une table de mobilit6

Explicitation critique de postulats dScouIant de l'utilisation des tables.

Auqune technique n'est neutre. Toute technique v4hicu'le avec elle ses propres postulats, souvent ~ ~'6tat implicite, et ses conditions d'em- ploi correct. Les ignorer, c'est se condamner ~ des erreurs grossi~res. Seule une critique acCrUe et imaginative peut mettre en lumi~re quelques- uns an moins des postulats contenus dans une ~techrfique donn&.

Ma, is .inversement, .rejeter les techniques parce qu'elies sont criti- cables, c'est croire naivement que la "science" ne se construit qu'avec des mat6riaux parfaits, c'est se r4f~rer ~ une image abstraite d'une science abstraite, et se condamner de facto ~ ne jamais approcher le concret.

En r~sum6, aucune technique n'est ,parfaite; mais la plupart peuvent n6anmoins 4t.re ufilis&s avec profit, ~ condition de connaitre au mieux, pour chacune d'elles, les postulats et conditions particuli~res que son emploi suppose. C'est pourquoi la critique "6pist~mologique", loin de conduire au rejet des ,techniques, constitue au contraire Ia condition de 1cur emploi.

Les tables de mobilit6 donnent des ph6nom~nes rSels une image non seulement tr~s ~ppauvrie, mais plus encore, une image en pattie fausse. C'est ce que les nombreuses critiques qui leur ont 8t~ adress&s

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96 Daniel Bertaux

on, t commenc6 ~i d6montrer. Une excel Iente synth~se de ces critiques vient d'&re publide rdcemment, et je ne peux mieux faire qu'y renvoyer le lecteur 9

Toutefois la critique des tables de mobilitd n'a pas 6t6 assez ra- dicale; ere ~a'a pas toujours su remonter jusqu'~ la racine des mukiples ddfauts des tables, fi savoir les postu~lats que leur construction .m~me force ~t accepter.

En effet, on cons:id~re g6n6ralement run tableau de mobilir com- me ~rdsttltant du croisement de deux "variables" mesur6es sur les m4mes "unit4s": origine ,soeiale et position professionnelle (ou sociale) sont les deux variables, et les unit6s sont tes "individus". Or, cette .far de voir contient d6j~ urge orientation implidte quant ~ h nature du phd- nomkne 6tudi6, et nous emp4che de t'envisager sous d'autres points de rue: car elle nous entratne h consid4rer comme allant de soi trois postu- lats (au moins),qu'il conviendrai~t au contraire de discuter. Les voici, tels du moins que j'ai pu les appr6hender:

I. "La seule variable causate int6ressante est l'ofigine :sociale". De l'acceptation implicite de ce postulat d6cou'le ta tentation de consi- d6rer ,tout ce qui ne semble pas s'expliquer directement par l'origine so- ciale, c'est-h-dire .tousles "mouvements", comme l'effet du basard, re- baptis6 du nora noble de "processus stochastique" (ou pire, "~acteurs biologiques"); de ,I~ les modkles stochast~ques de mobilitY, qui sont autant de constructions baroques fond~es sur 1'abandon du principe qui est pr6cis6ment au fondement de Ia science, ~e postutat ddterministe.

II. "Le ph6nom~ne social 6tudi6 dolt s'observer au niveau des individus, unit6 d'analyse choisie" (alors qu'on pourrait adopter le point de rue des structures, cf. ci-dessous).

III. "On peut comprendre l'ensemble du ,processus de mobilit~ soci~le, qui se d~roule 6videmment dans le temps, ~ partir de ta photo- graphie ~ plat (,fort floue, d'aiI~eurs) qu'en constitue un tableau de mo- hi.lit6"; avec ce ~posmlat on s'6vite ta ,peine d'avoir A 6tudi.er l'histoire, cel.le des stru~u.res (,histoire sociale) et celle des kndividus (biographies).

A ces .trois postutats (et il y en a certainement d'autres) on peut opposer d'autres mani~res de voi~ les choses.

Sur le premier postulat, selon lequel la seule variable causale in- tdressante sereit l'origi, ne sociale, je rl'insiste pas: d'abord, �94 sociale ne se laisse pas r&tuire ~ cet indicateur qu'est la profession du

9 K. U. MAYER arid W. ~0LLER, Role, Status and Careers: Some Comments about Mobility Analysis and New Data on Intergenerational Mobility in West Germany, workir~g 13alxr pr6sent4 au ~r Congr~s Mondial de Sociolo#e, Varna (]Mlgarie), Sept. 1970; dans ce num6ro, avec te dtre Progress in Social Mobility Research?, pp. 141.177.

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La mobilit~ socide en France 97

p~re, mais agit imssi sous d'autres formes; de plus d'au,tres d6termina- tions agissent sur tes trajectoires professionnelles des "particules hu- maines dans te cha, mp social". J'ai ddj~ laiss~ deviner ce clue je pense des gens qui croient pouvoir enfermer l'effet de routes ces "autres d~- terminations" dans un grand sac marqu6 HASARD. Mais ce qu'il ~aut pr6ciser, c'est que le te rmed '" autres d~terminations" est "misleading": il ne s'agit pas enef, fet, comme ont ,tent~ de le faire Blau et Duncan par exemple, d',aligner au d6part plusieurs variables 9ou'r voir laquelle court le plus rite. En effet, cela oblige fi ~aire l'hypoth~se de lin6arit~, c'est-fi-dire de l'absence d'interaction (au sens statistr de ce ~erme) entre les variables "ind@endantes"; or tout, de la r~flexion thdorique aux r~sultats d'enqu&es dassiques et ~ nos ~tudes de biographies, tend

montrer que '1'interaction ,(.influence d'une "variable" sur .la .relation entre deux autres variables) est un pMnombne omnipr6sent. C'est ce qu'on exprime parfois sous les termes encore vagues de "totalitd con- cr~te" ou d'"efficacit~ proprement structurale des variables". Ce que nous essayons de fa.ire ~ ~travers l'6tude de biographies, c'est, fi force d'analyser et de d6m~ler ces "totalitds concretes" que constituent ,les histoires ,de vie, ,de xetrouver des variables plus pures, plus abstraites, plus autonomes (sans ~fets d'interaction si possible) et beaucoup moins nombreuses, qui "ezprimeraient des d&erminatrions r~elles"~~ mais nous sommes encore loin du but.

L'existence de ce premier postulat a souvent ~t6 per~ue mais on a rarement essay6 de le d6passer. I1 faut signaler ~ cet ~gard t'effo,rt r6cent et fiche de promesses de R. Boudon, qui en :introdu[sant une variable interm6diai.re, soit l'6ducation, entre ,les deux variabMs initiales, a pu montrer - - ~ un niveau purement togique - - q u ' e l l e pouvait ten- (ire compte de certains mouvements qui restent perqus comme stochasti- ques si l'on s'en tient aux deux variables initiales ~t.

M6me en s'en tenant aux deux variables inifiales, mais en introdui- sant l'hypoth~se de mobi~iit6 .structurelte (qui elle aussi repose sur un postulat discuta~ble ...) et en Ia poussant dans tou,tes ses cons6quences logiques, on parvient ~ rendre compte de certains "mouvements" qui

premiere rue paraissent de l'orctre du "stochastique" ~. Mais ce faisant, on ,t.ravaille toujours a l'imdrieur de la logique d~coutant du premier postulat.

10 Ou, si l 'on trouve ce lmagage par Crop rdaliste: qui "auraient un pouvoir expl, iclil:if beaucou'p ,plus ~ort'.

11 R. BotmoN, Essai sur la mobilitd sociale en Utopie, "Quality and Quan- tity", IV (1970); vok aussi R. BOnbON, Eldments pour une th~orie ]ormeUe de la mobilit~ sociale, dans ce nm'n~ro, ,pp. 39-85.

12 (if. notamment D. BE~TAUX, Sur l'analyse ..., op. tit.

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98 Daniel Bertaux

La n~gat ion du second postulat nous invite ~t un changement de perspective encore plus radical. 1,1 s'agit en effet d'opposer au point de vue qui part des "individus" ~e point de vue "hyper-structuraliste', se- Ion lequel les "individus" ne sont ,que des "supports de structures"; torsque des indi.'vidus agissent, pensent, parlent, ce sont en fair des "structures" qui agissent, qui 9ensent, qui patient ~ .~ravers eux. Point de vue tr~s int&essant, au niveau duquel on peut apercevoir une con- vergence inat,tendue entre Parsons, qui en ~ait une interpretation id~a- liste (ce sont des "valeurs" qui constitueraient le .fondement des struc- tures), et les "struct.uralistes marxist es" franCais, Althusser etc, qui en font une ,interpretation matdrialiste ,(reals peu-dialectique car r6ifiant les structures). Je la'ai pas la place de d6tail,ler: disoas que j'ai essay4 d'"op~rationnaliser" partiellement ce point de vue en 6tudiant dans le d4tail la "mobilit6 structurelle" produite en France par ,l'6volution su,r une g6n6ration de ,la structure socio~professionnel.le 13. Mais ce point de vue d@asse de beaucoup le concept de mobilitd structurelle: il conduit

penser le "choix du m&ier" comme le choix par ~e ,m&ier (ce sont tes m6tiers qui nous choisissent); h Jnterpr6ter ,les soi-~sants "aspira- r subjectives des jeunes comme la cons6quence directe du fair qui'ils sont aspirds objectivement par les structures etc. Selon cette perspective, l'unit6 d'analyse n'est plus 1'"individu" mais la position dans une structure particuli,~re (e. g. la structure socio-professJonnel'le, entendue non comme une classification mais comme un ensemble de postes ou positions reli~es entre eux par des rapports). La pr6sence d'un "individu" dans une case du tableau ne serait plus que le simple signe de l'existence d'un rapport entre deux positions dans deux structures diff~rentes.

Etant donn4e la p r~va'lence absotue, ~ l'heure actuelle, de la perspec- tive "individual~sante", et les d6formations qu'elle entraine au niveau de ta repr4sentation des ph6nom~nes r6els et surtout de teur compr6hen- sion, ~1 est n~cessa.ire de d~velopper la perspective structuraliste. J'es- saierai de commencer ce travail ci-dessous au cours de la discussion r mais ce qu'il ~audrait arriver ~ fai, re, c'est ~ ,la rendre o1~- ratoire, ce qui est difficile pour te moment (les travaux empiriques sont encore con~us malheureusement dans une perspective plui6t indi~idua- lisante).

Par ailleurs il ne faudrait pas oublier que si ,les "structu,ralistes" a.ffirment clue leur perspective est la perspective .soientifique, d'autres y ont vu une nouvelle id~ologie aussi adapt~ ~l ,la nouvelle forme du ca- pitalisme (capitalisme d'oligopoles et d'Etat, routinis6 et "bureaucrati-

13 "Sur l'anaIyse ... ', op. cit.

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La mobilit~ sociale en France 99

s6"), que l'id6ologie "individualisante" 6tait adapt6e au capitalisme liberal et concurrentiel 1,. Cette id6e int4ressante ,ne doit pas 6~e con- sid6r6e comme une invite ~ rejeter la perspective stmctu.raliste, qui se- loll moi repr4sente pr6cis6ment la direction clans laquelle il faut avan- cer; mais ~ pr6parer d6j~ son d6passement.

Le troisi~me postulat, qui revient a supposer qu'on peut faire de la bonne sociologie sans faire de l'histoire, est celui de la grande majo- tit6 ,des .empiristes d'aujourd'hui; il n'en est pas moins st6riJJsant pour autant. Geci est particulihrement visible en mobilit4 sociale, off il s'agit de l~rocessus ,longs, h l'&helle d'une vie humaine. Or, on sait que les tableaux de mobilit6 ne reflhten.t que trhs impaffaitement 1'~tat de la structure socio-professionnelle au temps des p~res, et pas du tout l'&at

d e la distribution de .l'6ducation, etc., en ce temps i~. D'autre part, ils amhnent a postuler que .la hi4rarchie des categories sociales est rest4e la ,rn4me d'une g4n6ration h l'autre; on verra ci-dessous les erreurs que cela entralne.

Plus profond6ment, c'est probablement une erreur de croire que l'on peut saisir des "structures" sans se pr6occuper de leur gen~se et de leurs contradictions "internes, qui ne se rdvblent qu'au cours de crises, luttes, etc. qui sont le pain quotidien des historiens mais do nt nous autres "sociologues" ne savons que faire. En quoi une perspective puremeat "sociologique", c'est-~-dire ,non-historique, mutile-t-elle le r6el? Telle est la question 6pist6mologique. Mais plut6t que d'en chercher la r6ponse, ne vant-il pas mieux essayer dhs maintenant d'adopter 'la pers- pective historique? C. Wright Mil~s avait longuement ,insist6 en ce sens; mais A .]/re les productions .sociologiques actuelles, il semble qu'il n'ait guhre 6t6 entendu jusqu'id.

Finalement, si .l'on ajou,te aux nombreuses critiques ~mtes aux tables de mobiiit6 d'un point de vue technique ou m6thodologique, les critiques 6pist6mologiques d~velopp6es ci-dessus, ces tables apparais- sent comme un instrument gravement d6fectueux. Va-t-on le rejeter? Au contraire: c'est pr6cis6ment maintenant que 1'on connat~t leurs d4- fauts, que .l'on peut les util, iser en connaissance de cause.

Le paradoxe n'est qu'apparent. Cependant i] ne 16gitime pas non plus n'importe quel emploi des tables. Est-il besoin de rappeler que la science consiste en la recherche de d&erminations, a exprimer sot~s for- me de th~orie? Ce prindpe g6n6ral nous guidera dans l'emploi des ta- bles (ou d'ailleurs de ,tour antre "instrument): dl dolt toujours avoir une vis6e th6orique.

14 Voir sur ce sujet le tr~s int6ressant article d'H. LEFEVgE, Les paradoxes d'Althusser, "L'homme et la sod6t6" (1%9), pp. 5-37.

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Tous ces .pr&eptes de "bonne m~rhodologie" ne seraient .par ail- ,leurs que des discours pompeux et rides si je n'essayais de .les mettre en pratique; au ~ecteur de juger si ~Ie travail empitique r6pond aux standards m6thodologiques proclam6s ...

La comparaison ~ la '~mobilit~ par[aite" et sa signification.

~Les nombreuses m6thodes .propos6es pour traiter les tables de mobi.lit6 ont ~t6 pass&s en revue par V. Capecchi dans un article tr~s bien document615. La .plupart sont de type statistique et n'ont pas d'au- .tre ambition que de restit~er sous forme de module stochastique l'image fiddle des ph6nom~nes de surface; c'est po~rquoi elles n'ont gu~re d'int~r~t du ,point de rue eh6orique. En effet, alors qu'elles sere- blent se satisfaire de "descriptions exactes', et que teur ambition su- preme est la "prediction", qu'elles .prennent souvent pour l'expl~ication, le .point de rue th6orique s'attache ~ saisir les ddterminations qui on.t produit ~es ph~nom~nes de surface.

Deux .m6thodes toutefois semblent pouvoir donner h'eu ~ des z6- sultats int6ressants de ce point de "cue: ce sont, ~a m6thode de com- .paraison ~ la "mobilit6 .parfaite', et 'la ~n6thode bas6e sur la distinction entre mobRit6 st~ucturelle et circulation.

La "com.paraison ~ la mobilit6 parfaite" est utile ~ condition qu'on lui restitue son v6ritable .sens: non pas, comparaison ~ un module ~d6al de soci~t6 utopique, mais *out simplemen*, comparaison des diff6rents flux ~r6e~s entre eux, comparaison qui ne peut s'effectuer directement pu~sque ces flux relient des cat6gories d'arriv6e et de d6pa~:t de tailles t r~s diff&entes, et qui dolt donc 6tre pr&6d6e d'une "normMisation" de ces flux; il faut rapporter 'leurs intensit6s observ6es aux tailles des deux cat6gories qu'ils relient, et ~a "comparaison ~ la mobilit6 .paxfaite" ne fait .pas auere chose. Conf6rer un autre sens ~ cette op6ration techni- que est s'aventurer dans les eaux troub16es de ~a phi]osophie sociale.

Fs sur .les donn6es de t'enqu&e INSEE, ~ .partir des dix cat6gories statistiques disponibles (categories non sociologiques, et ce- pendant ~bien meikleures que celles de certains sociologues: vo~r l'h~t~- rog6n6it6 de la cat6gorie ".proprietors" chez Blau et Duncan, par exem- ple), cette olMration donne un r~sultat fort int6ressam. On retrouve la configuration observ6e dans toutes les autres enqu6tes: les flux les .plus ~orts (en valeur relative, donc) sont ceux qui relient une cat6gorie

eUe-m&ne, .puis aux cat6gories voi.s'mes, avec une .pr~f6rence pour la cat6gorie situ6e "juste au-dessus"; et .plus deux cat6gories sont "distan-

is V. CAPuCCm, Probl~mes m~thodologiques clans la mesure de la mobilit6 sociale, "Atcki.'~es Europ6ennes de Sociologie', VIII (1967), pp. 285-318.

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11)2 Daniel Bertaux

tes", plus te flux qui .les relie est faible, voire totalement nul. La r6gu- taritd de cette configuration est assez e:~traordinaire (Tableau 4).

Peut-on donner une ,interpr6tation th~ocique de ce "fai t '? Abso- lument pas. I1 s'agit en effet d'un 'qait" pr6construit, c'est-~-dire, tir6 d'un mode d'observation purement empirique, ,he comportant d'hypoth~- ses explicites ni sur la structure sociale, ,ni sur les d6terminations de la mobilit6. Si on prend un ~tant soit peu au s6rieux l'6pistdmologie, on ne 9eut se permettre de tirer des "conclusion th~oriques" d'un tel "fait".

Qu'en ~aire alors? Le ranger darts la catdgorie des "faits i,nexpli- qu6s' ; sources d'inmitioas thdoriques, ils montent aussi la garde concre toute thdorie qui ne les expliquerait pas. Ai.nsi la structure des flux de mobilit6 en France, si proche de l'immobilitS, emp~che de soutenir la "th~orie" d'une "soci&6 ~galitaire"; d'autre part, le biais des flux vers "le haut" nous ,sugg~rera plus loin une hypoth~se (i.e., il ex~s,te, der- riere la structure des cat6gories sociales, qui se d~forme ,lentement vers "'le haut", .une structure plus profonde, qt~i el{e est invariable: c'est ta ".structure de V.". Vol,r ci-dessous). Mais en aucun cas no~as n'avons le droit de nous appuyer sur ce "fait" pour dlaborer tout un discours descritivo-explicativoqd6ologique sur la "mobilit6 sociale', en France ou ailleurs.

La notion de mobilit~ structurelle.

Cette notion - - on n'ose pas encore l'appoler un concept - - est tr~s int&essante, car elle pose d'embl6e de dffficiles probl~mes sociologiques.

On sait que la notion de mobilit~ structurelle correspond ~ l'id6e que la :structure socio-professionnelle a ses lois d'4volution 9ropres, et se .transforme d'une g~n6ration ~ l'autre sous l'effet de ,ses lois, for- qant ainsi ~les enfants d'une cat6gorie en "r6gression" ~ chercher des places dans d'aut,res cat6gories; d'o~ une certaine mobilit6 "structurel- le", A distinguer de ,la mobilit6 r4sultant d'&hanges de places entre ca- t6gories, ou "circulation".

Darts un pr&4dent article j'ai essay~ de pousser cette distinction j.usqu'au bout de sa propre logique 16. I1 m'a sembl6 qu'on n'avait pas suffisamment accord6 d'attention au fair que ,les ph6nom~nes de mo- bilit6 forment ,un ensemble: les 6tudier cat6gorie par cat6gorie, c'est se rendre aveugle aux relations entre flux de mobilitL Or ces relations sorrt importantes.

Prenons le cas des .fils d'agriculteurs exploitants (paysans propridtai-

16 D. BERTAUX~ Sur l'analyse...., pp. ciL

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La mobil#d sociale en France 103

res de leurs terres, fermiers et m~tayers, mais non ouvriers agricoles). Aujourd'hui en France it y a environ 12% d'agriculteu.rs; et ce hombre diminue rapidement.

L'enqu~te montre que dans 1a g~n&ation consid~r~e, un fils d'agri- culteur ,sur deux est rest~ agriculteur; l'autre a quitt6 la terre. Or cette sortie massive correspond ~ une contraction tr~s forte de la cat6gorie: il y avait deux lois 91us d'agriculteurs en France dans .la g~n6r~tion pr~c&tente 17. La "mobil~t6" des fi'Is d'agriculteurs est donc cypiquement de la mobilit6 s~ructurelle.

Mais oh sont-i~Is all6s? Deux sur trois sont devenus ouvriers. Or c'est autant de places d'ouvriers que les ills d'ouvriers n'ont pas "eues" d remplir, donc c'est une possibilit6 (virtuelle jusqu ' ic i )de mobilit6 (structureHe) pour autant de fils d'ouvriers. En .fait cette possibilit6 n'a pu 8tre saisie car il y a eu, parall~lement, expansion de la cat~gorie des ouvriers, et cette expansion a absorb6 les ills d'ouvriers virtuellement excSdentaires. Pourtant il est possible de retrouver des signes d'un tel processus de "mobilit6 en chaine" ~ l'intdrieur de la cat6gorie des ou- vriers: les fils de paysans (et aujourd'hui, les ills de paysans alg6riens, portugais, espagnols, etc.) y ont pris les places de manoeuvres, et ,les fils d'ouvriers ont pu de ce ~ait "monter" quelque peu (monrOe tr~s Jargement illusoire bien entendu).

I1 y a beaucoup d'autres exemples de ce type, et ils sont d'auta.nt plus observables que l'on descend dans le d6tail des catSgories. Autre- ment dit, la mobilit~ s,tructurelle peut ~tre rue (il y a d'autres ,possibili- t~s, cf. article cit~) comme une mobilit6 "en escalier': la contraction d'~une cat6gorie expulsant les fils vers une cat6gorie voisine, et l'arriv~e de ces .fils dans la cat~gorie voisine expulsant h son tour des .fils de cette cat~gorie (si elle n'est pas en expansion) vers une autre cat6gorie, etc. Cette id6e n'est d'ailleurs 9as nouveHe; c'est peut-8tre .l'essai d'applica- tion ?~ des donn6es empiriques qui est nouveau. J'ai trouv~ ainsi que plus de la moiti~ de la mobilit8 en France ~tait de 1a mobilit6 structurelle, et qu'une bonne part de ce que d'autres auteurs comptent comme de la circulation est, en fait, bel et bien de ~a mobilit6 structurelle selon leur propre d~finition (~ condition d'en pousser la logique jusqu'au bout): cas de Jackson et Crockett, Broom et Jones ~, etc.

17 Les ph6nom6nes de f6condit~ diff6rerttielle, etc. viennent compliquer le tableau clans les d~tails.

is E. F. JACKSON and H. J. CROCKETT, Jr., Occupational Mobility in the United States, "American Sociological Review", XXIX, 1964; pp. 5-15. L. BROOM and F. L. JONES, Father-to-Son Mobility: Australia in Comparative Perspective, "American Sociological Review", LXXIV (,1969). Si par exemple 1'6volution de ~la structure des emplois m~ne A u.ne diminution du nombre d'emplois darts .l'agricul- lure et ~ une augmenta.tion du nombre d'emplois de bureau, il n'en r~sulte .pas far-

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104 Daniel Bertaux

La d&omposition de la "mobilitd totale", ddcrite sur ,le tableau 3, en mobi.litd strueturelle et circulation, est don.nde sur tes tableaux 5 et 6. Parrni ,/es diverses configurations possibles de mobititd structurelle, j'ai choisi cdle qu:i se rapprochait le plus du r "en escdier"; elle est, faut-il le dire, .tout ~ fait en accord avec les donndes empiriques issues de l'enqu~te.

TABLEAU 5. CONFIGURATION POSSIBLE DE MOBILITI~ STRUCTURELLE

CORRESPONDANT AUX FLUX OBSERVt~S EMPIRIQUEMENT.

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* I: Industriels. Gr.,m.c.: Gros et moyens co,mmer~ants. C. sup.: Cadres sup4riettrs. Pr..llb.: Profession~ libdrales.

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La mobilitd sociale en France 105

TABLEAU 6. CONFIGURATION POSSIBLE DE CIRCULATION (CORRESPON- DANT A LA MOBILIT16. STRUCTURELLE DECRITE PAR LE TABLEAU 5).

0~5 0,8 0,7

* I: Industriels. C. sup.: cadres sep6rieurs. Gr.m.c.: gros et moyens commer~ants. Pr. lib.: professions lib6rales.

N.B. - On remaequera notammeat que les flux ascendant longs sont 6cluilibr6s par des cascades de flux descendants courts.

Les transformations de la structure socio-pro/essionnelle /rancaise depuis 1789 et leur 'rytbme ralenti: bre/ essai d'explication bistorique.

L'id6e m6me de mobi~it4 ,structt~relle est A analyser, si on veut en faire un concept scienti, fique; et cette analyse reste h faire. En deux roots, voyons les premieres difficul, t4s.

Parler de mobilit4 structurelle, c 'est ~aire le postulat quql existe une dynamique sociale qui produit notamment des d4formatiorts de la

c&nent que les fiis de travailleurs de .l'agricuhure occuperont pr6cis4ment les nou- veaux emplois; ]'ajustement "peut se faire ,par une cascade de relais; et c'est ainsi que le d6placement de 1.000 emplois peut se traduire pa~ plusieurs milliers de mouvements qui sont tous, er~ ~ait, de la mobil~t6 structurelle. Pour plus de d6tai'/s concerna,nt l'exempIe fran~ais, voir D. B~RTAUX, L'h~r~dit~ sociale en Fran- ce, op. cit,

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106 Daniel Bertaux

"structure socio-professionnelle", selon des d6terminations agiss,ant un niveau sod~tal, c'est-h-di're ~ un tout au ,tee niveau que les d6termina- tions agissant au niveau des "individus" (que ces d6terminations "indi- viduelles" soient de nature "objective": origine sociale, etc. ou de na- ture "subjective": valeurs, irrformations disponibles, etc. Au demeurant cette dichotomie est suspecte).

A part quelques statisticiens psychosociologisants, quelques inof- fensifs faiseurs de modules, et quelques id~ologues humanistes attard~s, plus personne ne croit aujourd'hui qu'fl n'existe pas de ddterminations au n, iveau ,soci&al; en fair, ,notre travai.1 de sociologues consiste prdci- sdmen.t ~ les percevoir et h les &udier. Les d~saccords commencent quand on se demande de quelle nature sont ces ddterm,inations: ~sont-elles d'or- dre "culturel", comme voudraient nous le fa,ire croire les sociologues

�9 �9 ~ ) neo-webenens. Ou bien, d'ordre "technologique", comme ,le ,soutien- nent d'autres sociologues, souvent proches d'ailleurs des premiers, qui compensent Jeur id&lisme pa,r un matdrialisme technologique assez peu dialectique? Sont-el,~es d'ordre &onomique, ou c'est ddj~ mieux - - trouver au n, iveau de ta production mat6rielle, qui est un tout plus riche en d&erminations que la ~seule 6conomie? Ou sont-elles, en dernier res- sort, .politiques, socia'les, voi.re mili.taires (luttes de classes et guerres)? Que pouvons-nous en dire, non pas en gdndral, ,mais sur 'le probl~me spddfique des d~terminations qui reconduisent en la ,modifiant ta "struc- ture socio40rofessionnelle" ?

C'est 6videmment une question tr~s dif, ficile, et j'en suis r~duit ici aux .premiers pas. Prenons le seul phdnom~ne de l'exode .rural: comment peut-on l'expliquer ?

L'explication la ,plus souvent entendue et lue est d'ordre techno- logico-dconomique. Les progr~s de l'industrie auraient permis une aug- mentat.ion rapide de ~a productivit~ agricole, grace aux engrais chirni- ques, ~ Ja m~carfisation, ~ la sdlection d'esp~ces plus rentables, etc. Comme la productivit~ croissait beaucoup plus ri te que '~a "consomma- tivltd" de ~la population, ,les fils de paysans ont ,pu, ou ont dO, aller chercher du travail tt la ville. Explication qui ,se complete par une bonne dose de "culturel": la pdn~trat,ion des "valeurs urb~nes" h la campa- gne, la destruction des valeurs rurales qui s'en ,sulvit, auraient art,Jr6 ~es jeunes vers ,les villes.

Or, ii y a bien eu exode rural dans tousles pays s'industrialisant; mais ce ph6nombne s'est produit de fa~on diff6rente en Angleterre et en France, aux Etats-Urris et en URSS. Line e~plication thdorique du phdnom~ne devrait expliquer aussi ces dfff6rences; et c'est ici, je crois, que ,l'explica,tion technologico-&onomico-cu~turelle devient ~nsuffisante; la prise en r de~ lutte~ sociales, politiques et milit~ires de-

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La mobilit~ sociaIe en France 107

vient n6cessaire, non seulement pour "combler les lacunes" de l'autre type d'explication, mais en fait, pour s'y subsfituer 19

Car si ]'on essaye de dessiner ~es grands traits de l'h.istoire de la F~rance depuis deux cents ans en partant de la "]utte des classes", cela donne ?~ peu pros ceci. Pour s'emparer du ~pouvoir politique que d~te- naient le roi et la ,noblesse (s'appuyant sur le clerg~ et ]es hau.teurs de l'arm~e), ]a ,bourgeoisie financi,Sre et rnarchande dut s'appuyer sur d'au- tres cat6gories (petit bourgeoisie des villes, et au moment de la R6vc~lu- tion franqaise, paysannerie); une lois ]e pouvoir pris, pour le consolider et s~per celui des nobles, elle cr~a une petite bourgeoisie rurale fort nombreuse en distribuant ]es terres de l'Eg]ise et (en partie) des aaobles aux paysans les moins pauvres. Cette masse de petits paysans propriO- taires allait donner ~ la France son visage particulier dans les deux sib- cles d venir: exode rural beaucoup plus lent qu'ailleurs, industrialisation ]ente, partis poli,t~ques du centre forts, id~ologie nationale fortement empreinte d'" 6galitarisme petit-bourgeois", etc. Quand la grande bour- geoisie vou.lut liquider ]a petite paysannerie qui freinait l'industrialisa- tion (vers 1860 et seq.) parce qu'elle n'avait plus besoin d'elle contre la noblesse enfin ddsarm6e, elle ,s'aperqu.t qu'un nouvel ennemi se dressait en face d'elle: le prol6tariat ,industriel des vil]es. Dans la Commune de 1870, artisans et our, tiers s'opposbrent violemment ~ la classe do- minante. Quelques ann6es plus tard, la grande bourgeoisie devait con- c&:ler ]e suffrage universel. D~s ]ors, elle dut partager le pouvoir poli- tique avec des catfigo,ries urbai.nes "moyennes", et conserver une masse paysanne ~lectoralement nombreuse et politiquement conservat,rice: c'es.t l?l ]e sens des "tarifs M61ine" qui ont 9rot6g~ l'agriculture ,franqaise de- puis 1880 contre les ~mportations. En France les campagnes ont presque toujours rot6 pour ]es gouvernements.

Je ne garantis pas la qualit~ scient.ifique de cet,te esquisse terrible- ment sch6matique de l'histoire sociale de la France contemporaine 20 Ce que je veux montrer en donnant ce sch6ma, c'est que cette fagon de voir 'la mobilit6 structurel.le ]u,i donne un sens compl&ement diffC rent que celui confer6 par u.ne perspective purement .technolo.gico-~co-

19 C'est une question essentiel,le, peut-Stre la ,seu,le quest,ion des "sciences so- dales", et pourmnt une question que ta ph~part des "chercheurs" qu'ils soient ~ce- nomistes, sociologues, historiens ou mattes, h6sitent ~ se ,poser; que fa[t-il fa.ire des corffl~ts? Sont-ils d~terminants ou d~terminbs ("sur-dbtermin~s" est ]e terme ~t la mode h P~ris)? Remettent-ils en cause ~e concept m&ne de d6terminatiori clans son acception de "loi"? En tous cas, on ne peut rien comprendl, e fi la forme par- ticul.ibre qu',a cormu 1'exode rural en France si on ne les prend pas en comt3ce,

20 Elle se base notamment sur des ouvrages ,tels que: N, POULANTZAS, Pou- voir politique et classes sociales, Paris, Maspero, 1968, 398 p.; notamment Ch. II-4, "Sur les modules de 1a r~volution bourgeoise"; B. MOORE, Les origines sociaIes d~ la dictaturt et de la dgmocratie, tr. ft. Paris, Masper% 1969; etc~

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108 Daniel Bertaux

nomique h la Colin Clark. FAle ;ait apparai`tre l'6volution de la s`tmctu- re socio-profess,ionnelle comme un processus qui, tout en &ant contraint effectivement par les d6terminismes technologiques et 6conomiques, 6volue selon sa dynamique propre qui est celle de la lutte des classes et des ~aafions (el. ~es ".relations internationa~es" 6conomiques, polifiques, militaires, et les ph~nom~nes de migrations)21.

Naturellement Jes theses exprim6es ,ici devraient dtre soumises ?~ v6rification. La premiere chose h ~aire serait ,peut-~tre de comparer l'dvo- lution de ,la s`trueture ,soci~professionnelle de la France avec celle d'au- .tres pays "indu'stria'lis6s". Nia~heureusement, i~l .n'y a, en France, des recensements clue depuis 1856, et il a fallu attendre 1896 ~pour qu'ils soient effectu~s avec une rigueur satis~aisante. Encore les modes de re- cueil des statistiques ont-il's ,beaucoup vari6 d'un recensement ~ l'autre, et avcc eux ~les laomenclatu.res et les d6finifions des cat6gories. Aussi lorsque Yon veut :reconstimer l'6volu.tion de ~a st ruot.ure .socio-pro~es- sionnelle ~ran~se, se heurte-t-on h de grandes d'.ffficu~t6s qui ont d6j~ rebutd plus d'un chercheur 22.

La m&hocle que j'ai ut~s~e consiste ~ repr6seater graph[quement les effectifs dorm,s par les recensements; elle a l e m6rite de s ap- par~ta-e 'les incoh6rences entre diff6rents recensements, mais est 6vi- demment impu, issante ~t les corriger. Je me suis risqu6 n6aamoins h des estimations; on trouvera tous ces r6stdtats sur les ,tableaux 7, 8, 9 et 10; ils doivent &re consid6rds comme provisoires. Je les donne ici pour information, car il semble que les publications de ce t3~pe soient, pour la France, ~ort ~ares.

Encore ,une lois j'6viterai de commenter longuement ces tableaux: ils n'ont .gutre de signification par eux-m~mes. En effet, ce n'est que par comparaison avec les courbes retraqant .l'~volu`tion des structures socio-professionnelles d'autres pays (notammenr Grande-Bretagne et Etats.Unis) qu'on verrait apparaltre des diff6rences saisissantes clans le rythme de l'industrialisation et de l '"exode rural". Mais le grand tra- va~l, qui consisterair ~ r&abtir les chiffres exacts, di.ff6renci6s par rd- gion, et ventil6s ,selon des cat6gories sociologiquement significafives, reste entihrement ~ ~aire.

21 Ce~te dyrmmique prenant notam,ment ~ mais pas seulement -- la forme " ~ e " de r de "valeurs"; ~1 ne s'agi.t donc pas de refuser aux "valeurs" le statue de "causes" ou 91u't6t de forces ayant u~ae action r~eUe, mais de momrer qu'elles ne sont que des m6c[iations, qu'une des mul:tiples formes sous lesquelles s'aomalise une dynami.que plus g6n~rale.

22 Les deux 6tudes que j'~i util~s6es son't: J. C. TOUTAm, La population de la France de 1700 d I959, "Cahiers de I'I.S.E.A.", su, ppl. n. 133 (.1963); Mine CAnEN, Evolution de la population active en France depuis cent ans d'aprbs les ddnombrements qainquennaux, "Etudes et corqoncture" (1953), pp. 230-288. Ces deux travaux contiennent tm grand hombre de renseignements tr~s in, t6ressants et le lemur est pri6 de s'y reporter pour in.forraafions compl6mentaires.

Page 23: Nouvelles perspectives sur la mobilité sociale en france

La mobilitd socia[e en France I09

TABLEAU 7. FRANCE: POPULATIONS TOTALE, RURALE, URBAINE

(D'APRES LES RECENSEMENTS ET TOUTAIN, OP. CIT.)

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Page 24: Nouvelles perspectives sur la mobilité sociale en france

110 Daniel Bertaux

Natur nous laissons ici /es prineipales questions sans r~- ponse. Mais ~ vaut mieux qu'il en soit ainsi, plut6t que de 'laisser croire que les hypo~zhbses exprim6es plus haut ont 6t6 cor~firm6es par les donn6es - - ce dont nous ne savons rien. Revenons donc, pour le mo- men,t, A une autre question, ?~ savoi*r: commen.t peut-on penser tla6ofi- quement les ph6nombnes de "mobilit6 soeiale" et leurs d~terminations?

TABLEAU 8. POPULATION ACTIVE TOTALE

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La mobilitd socia[e en France 111

TABLEAU 9 . POPULATION ACTIVE AGRICOLE - (D'APRES TOUTAIN) OP.

CIT., ET NOS ESTIMATIONS).

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Page 26: Nouvelles perspectives sur la mobilité sociale en france

112 Daniel Bertaux

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Page 27: Nouvelles perspectives sur la mobilité sociale en france

La mobilitd socia[e en France 115

III. Essai d'approche tMorique

La "distribution sociale" ou " anthropodistribution".

Etant donn~ que 1'immobilitd sociale est au moins aussi courante que la mobilit~ sociale, et qu'il es.t au demeurant absolument impossible de les s~parer de faqon objective puisque leu.r ddfinition d@end int& gralement des categories choisies, il va.ut mieux censid&er d'embl6e le proces,sus d'ensemble de "distribution des &res humains dans la structure sociale", ou en abr~g& "distribution sociale" (ou encore "an- th, ropodistribution", terme peu ~16gant mais explicite).

Ce processus est constitu~ d 'un ensemble de pMnom~nes se d& ronXant dans le temps. On ne peut &re stir ~ priori qu'il const,itue un objet de science: seules les ddterminations sent de tels objets, alers que les pMnombnes concrets, r~sultant de la combinaison de multiples d& terminations, ne sent que des objets de sociographie. Mais, il faut bien commencer.

Ce processus es,t int&essant en ce qu'il constitue le processus de reproduction de la "structure sociale" (terme a pr~ciser; voir ci-dessous). M4me au niveau des ,tableaux .de mobilitd, ces instruments si rudimen- taires d'expression de ,la r&lit6, on ,peut l'.apercevoir: en effet, on peut considdrer ces ,tableaux comme l'approximatio,n ,d'une mise .en relation entre deux ",structures sociales", celte existant au .temps des p~res et celle existant au temps de ills 23. Les 616ments mis en relation seraient les positions sociales; et chaque &re hu.main .serait t.e :simple signe de l'existence d'une relation .entre une position dans une :structure et une position dans l'autre. De ce point de vue qui est "celui .des structures" on ddcouvre une perslSective saisissante, car on commence ~ en.trevoir comment "la .structure sociale" se reproduit d'une gdn6ration ~ l'autre en s~leetionnant et en =aspirant .ses supports.

Mais ce point de vue est un peu pr4matur4. II con.sid~re en effet cemme &ablis les statuts thdoriqu.es .de la "structure sociale" d'une part, de la "relation phre-fils" (ou phre-filte) de l'autre. Or, il s'agit au con- traire de cherche:r la signification de ces relations trop 4videntes pour n'4tre pas ,suspectes.

Parentd biologique et parentd sociologique.

La relation p~re-fils semble avoir une existence biologique extr& mement concrete: la parent8 g~nStique. Or, il faut la sociologiser; et ce

23 I1 s'agit d'une approximation grossihre: voir les ph6nom6nes de nuptialit6 et f&ondit6 dfff6renr d'6talement .des ages, etc. (par exemple in Blau et Duncan, op. cir., ch. 2).

Page 28: Nouvelles perspectives sur la mobilité sociale en france

114 Daniel Bertauw

faisant, on s'aperqoit qu'il n'y a pas correspondance directe entre reIa- tions biologiques et relations sociologiquement sign~ficatives.

En effet, la relation l~re/fils est une .relation h r~ins~rer darts le syst~me des relations de parent3, d~finie sociologiquement. Ce syst~me se d&eloppe concr&ement h partir du ,syst~me des relations de ,pa,rent~ biologique mais ne lui est pas r&l=uctible. L'ethnographie l'a montr~ de mille s Pour nous en ten,it aux soci&& dites "d&elopp&s", ci- tons les exemples concrets des .rapports cr6& par l'adopfion ou te parrai- nage, rapports sociologiques mais non biologiques; ou h l'inverse, des rapports de conception adu'l.t&i~ae ou ",de l~re inconnu", rapports (en- tre le p~re ,biologique et l'enfant) biologiques mais ~on "sociologiques". Finalement on volt que la seule relation biologique ayant une signifi- cation directement sociologique est la relation m~re/enfant; tandis que te r61e biologique de p~re apparalt ridiculement ~nsignffiant face au r61e de "~p~re sociologique", c'est-h-dire de chef de ]amille: c'est dans cette derni~re ,institution que se trouve la cl~ de l'interpr&ation sociolo- gique de la :relation p~re/fils, et plus g~n4ralement de ~'ensemble des relations de parent~ qu'elle d~finit socialement en.tre ses di.ff~rents "r61es". Encore une remarque: tandis que la relation biologique est "&ernelle' , la relation de parent6 ddfinie par l'institution famille est historique; et pour bien la comprendre it faut replacer la famille dans le "syst~me social" ~ chaque ~txsque.

Structure sociale et thdories de la streti/ication.

Contrairement ~ la relation sociologique p~re/f,i.ls, qui s'&ablit h partir d 'un rapport concret, celui de filiation biologique, le concept de "structure sociale" ne semble pas renvoyer de prime abord A un syst~me de rapports concrets 24

1,1 peut &re entendu en (au moins)deux sens diff6ren~ts: soit, comme l'ensemble des raHoorts de classes, compris comme rapports pro- fonds et d&erminants (c'est l'a,pproche de type marxiste); soit comme ensemble de "relations de strati]ication" (de .toutes natures, mais toujours au niveau des ph~nom~nes) entre diff6ren.tes strates.

24 I1 s'agit t~ d'une illusion propre ~t ia d~finition mbme de h sociologie -- dont j'ai &~ victirne clans une arersion artt6rieure de ce texte. I1 n'y a en effet riea de plus concret que les rapports sociaux de production et de distribution; ils s'exprianerrt dans notre activit6 quotidienne, dont ils r~glent les mohadres d&ai,ls, et dans les .produ~irs que chacurt r~oi.t en 6change de cette activir Mais il s'agit 1A de ph6nom~nes que les "sociologues" laissem aux "&onomistes" le soia d'&ud~er - - ce que ces derniers se gardent bien de faire au demeurant. Seuls les anthropologues, lorsqu'iis prennem en compte simukan&nent tousles aspects de la vie sociale, ,peuvent donner au concept de ~ structure sodale ~ la pleine signi- fication qu'il requiert.

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La mobiIitd socide en France I I5

I.i est 6videmment impossible de parler de "distribution sociale" sans parler de "~strati~ication". Or, les diff6rentes th6ories de la strati- fication sont trhs controversSes. Par exemple, a la th6orie de Davis- Moore et autres, qui volt en la quali/ication (professionnelle) le fonde- men.t de la :stratification (sociale), s'oppose la th6orie "conflictuelle" (Wesolowski, Dahrendorf, etc.) qui voit ce fondement dans la relation de pouvoir/non pouvoir. ,Les approches "multidimensionnelles" du type "class-status.power" sont insatisfaisa~ntes en ce qu'elles se refusent chercher l'unit~ profonde des ph6nomhnes de stratification, unit6 que Weber voyait sans doute, contrairement a ses .r6cup6rateurs, dans le pouvoir.

Quant aux soi-disants "th6ories" qui se fondent sur l'"6chelle de prestige des professions", et qui de ce fait transforment un ph6nom6ne emp~rique int6ressant (la stabilit6 de cette 6chelle) mais d'ordre culture/ ou "id6ologique" en une base pour l'expl~cation, je n'en parlerai mSme pas 25.

La s~:abitit6 de l'6chelle de prestige des professions, et le fair qu'el- le ressemble ~fort ~t aane 6chelle de qualifications, est parfois ~utilis6e pour justifier la th6orie de Davis-Moore. A ce sujet on 9eut faire remarquer que la "qualification" pourrait bien ~tre 1'inoffensive peau de mouton sous laquelle se dissimulent les rapports de pouvoir, dont les oreiltes de loup se monrrent pourtant aux points essentiels (que 'l'&helle de pre- stige des professions se garde bien d'Sclairer): en effet, un examen objectif r6v~le que les postes ou les "rSles" les plus charg6s de pouvoir ne n6cessitent aucune qualification (professionaelle) p~rticuli6re: quelle qualification est requise pour occuper les postes de chef de l'Etat ou de ministre, de repr6sentant du 9ouvoir ex6cutif ou de "repr6sentant du peuple"? et exige-t-on aucune qualification pour devenir le support d'une immense fortune, voire mSme pour f~ire pattie de son Conseil d'adminisvration? Et cependant, ces places occupent sans conteste le haut des "hi6rarchies', qu'elles soient de pouvoir, de prestige, ou de

23 Au cours d'tme des sdances du Congr~s de Varna, Mr. P. Duncan-Jones faisait remarquer clue la soi-6isa~,t "6chelle de prestige des professions" pou~ait bien n'&re en far qu'une 6helle des diff6renees cb'ances de vie (life chances) offertes par ,les diff6rentes professions. I1 me ~emble que cette remarque est tl~S pertinente. Elle modifie ~videmmerrt la perspective; car les chances de vie de telle ou telle profession, 1) sont, contrairement au "prestige", des caract~res objectifs de cette profession; 2) r~sultent, non pas d'un consensus quelconque comme le ".prestige", mais bien de rapports de force r6els. On se rdjouit de voir certains so- ciologues nord-am6ricains commencer A remettre en question, bien fimidement en- core, les fondements de la 6oi-disant li.tt6rature sur la stratification et notamment les pseudo-concepts de ",prestige" et de "status'. Voir J. PEASE, W. FORM et J. H. RYTINA, Ideological Currents in American Stratification Literature, "The American Sociologist", V (1970), pp. 127-137.

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I l~ Daniel Bertaux

revenu; elles sont donc Ies plus significatives pour comprendre Ia struc- ture sociale. Que dire alors d'une "tMorie" qui ~es laisserait en dehors de son champ?

J'ai essay4 de retro~aver les 414ments d'une th6orie .de la stratifica- tion chez Marx 26. S'il y en a une, die est en tous cas implicite. En ef- let, dans la partie de son oeuvre ("Le Capital") qui se veut analyse scien.tifique, c'est-fi-dire explicite et co.mpl~te, Marx n'dtudie pas une "formation sociale r4elle" (par exemple l'Angleterre du XIXe si~cle) mais bien, un mode de production, le "mode de ,production capitaliste", qui est un objet tMorique constmit, don.t il cherche fi expliciter ta lo- gique; et qui plus est, il n'en dtudie que l'aspect de la production, c'est- fi-dire les d4terminafions "&onomiques"; et il ne prend en consid4ration les ddterminations politiques, id4olog[ques, sociales, que dans la seule mesure off eltes interviennent dans la production 27. Or les d4terminations des pMnom~nes r&ts de stratification ne sont pas seulement cdles de la production, m~me si celles-ci sont dominantes, comme il est vraisem- Nable. Et d'autre part, route formation sociale r4etle contient en son sein plusieurs modes de production, non pas juxtapo.s4s mais qui s'in- terp4n~trent et ne sont pas observables fi t'dtat put. Au demeurant, Iorsque Marx ent.reprend l'4tude de formations sociales =r6elles (dans ses ouvrages .historiques sur la France, etc.) il est bien oblig4 de tenir comp,te de tou.tes les d6terminations et de leurs rapports; mais alo.rs son analyse de classes est le rdsultat de principes encore fi l'4tat implicite dans son cerveau, qu'il n'a jamais explicitds ~s

Chercher les ddterminations de la stratification.

Nous nous trouvons doric ,sans tMorie de la stratification, voire presque sans concepts thdoriques pour la penser. Et eependant ii est clair qu'au ,niveau de l'observafion concrete on peut constater de tr~s nombreuses diff4rences entre les ~tres (les ainsi nommSes "in4galit4s sociales'); et i.l est non moins clair que ces dfff4rences ne r&ulten, t pas du .h~sard. Qu.elles sent .dcmc les d6termi:nations qui ,les produisent et les reproduisent constamment? Voil~l ce qui devrait 8tre l'o,bjet d'une th4orie de la stratification.

26 D. BERTAUX, Fragments d'une thdorie des catdgories sociales chez Marx, ron~. du Centre d'Etudes Sociologiques; Avril 1970.

27 Rappelons que le crit~re central de son analyse des classes dans le mode de production c~pitaliste e~t ~a propri4t6 / non propri&4 des moyens de production. C'est d4j~, notoa~s-le, un crit~re pol.i~ico-&zonomiq~ae et pas seulement &onomique.

z8 Vo{r ,la .tentative r4cente, et tr~s im4ress~nte, de N. POULANTZAS pour les explieAter, Pouvoir politique et classes sociales, op. tit., et une appli~,~fion au phd- nom~ne socio-historique du faseisme: N. POULANTZAS, Fascisme et dictature, Paris, Maspero, 1970. Le type d'~pproche utilis~ est dans la ligne des t.ravaux d'Althusser.

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La mobilit~ sociale en France 117

Pour ma part, je ne connais pas encore ces d4terminations. L'hypo- thhse qui ,pour le moment me parait la plus vraisemblable est qu'il ex.i.sterait un rapport prcffond entre ,des positions sociales, rapport de quelque chose qui ne serait pas le pouvoir mais quelque chose d'ap- prochant, en plus abstrait (et donc plus g4n4ral); appelons-le ici "rapport de V. ". C'est ce rapport qui, par combinaison avec d'autres .systhmes de rapports historiquement d4termin4s, s'exprimerait sous des formes dif- f&entes (semi-abstra.ites) selon les ~o~mation:s sociales; et qui, par com- binaison ~ce niveau avec d'autres syst6mes de relations, produirait les ph4nom6nes de stratification observables concr&ement: diff4rences de pouvoir, de revenu, de pres.tige, de chances de vie, etc. 29

Quoi quql en soit, nous pouvons ~aire l'hypoth6se qu'il existe un "syst6me des rapports de V." qui apparait sous diff4rentes /ormes: syst~me,s de rapports un peu moins abs,traits tels que rapports de pro- duction, rapports de pouvoir, de partage du revenu global, d'irtflue,nce spirituelle, de p artage du vemps-non-sodalement-contraint, etc.; lesquels systhmes de ~rapports s'entrecroisent au niveau des institutions, puis finalement (sous cos nouvel.les formes beaucoup plus nombreuses) au niveau du concret pour constituer pour chaque groupe social, pour cha- que micro-milieu et pour chaque dtre humain une "totalitd concrhte", totalit4 v4cue et donc rdinte~pr4t6e chaque lois ,(au niveau des rapports de sons) par ceux qui la vivent; la stabilit6 de l'dchelle de prestige des professions, pour reprendre cet exemple, exprimant seulement la fagon dont se reflhte dans los esprits (soumis par ailleurs h 4'influence du systh- me dominant de valeurs et de repr4sentations) l'unitd profonde, ,par delh los diff4rences, de tous ces systhmes de rapports.

Les avatars des ~tres humains dans les structures: recrutement, ~date- ment, transformation.

Etudier scientifiquement :los ph4nomhnes d6si.gn& sous le nom trompeur de "mobRit4 sociale" rev.iendra~t donc h prendre pour obiet apparent @oncret) d'4tude "le processus de distribution des 4tres hu- mains dans la ~structure de V.", et pour objet r4el les multiples d&er- minations qui produisent ce processus.

29 Et aussi peut-4tre des diff6rences radicales quant fi la possibilit6 de con- tr61er et de donner un sens fi sa propre vie, ce qu'i renverra,it, au niveau so- ci4ta'l, ~t la distribution du temps-non-socialernent-contraint. Pour no,as l~miter aux soci4t6s dites "d4velopp4es" (c'est-fi-dire ~ cel,les qui pr6pa.rent la troisi6rne guerr~ mondi~e) it semble qu'a c6t4 du rapport aux moyens de production, forme "moderne" du rapport de V. n4cessai,re ~ la compr6hension des rapports entre car si.tu&s dans la sphere de 1~ production mat6rielle, le crit~re inwoduit ici soit utile pour comprendre la situation des cat4gories dites moyennes (salari6s surtout) qui sont situ4es endehors de cette sph6re.

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118 Daniel Bertaux

Line des dif. f i c u M s les plus sSrieuses vient ~videmment de ce que les 616ments de la s t ructure de V., ou d 'a i l leurs de tou.te ~mtre s t ructure de s t ra t i f icat ion ,soeiologiquement d6finie, ne sont pas des ~tres hu- mains mais des "pos tes" ou des "places" ou des "rOles", quel que soit le nora qu 'on leur donne; e t qu'~ un moment donn8 un m~me ~tre humain occupe sim.ultan~ment plusieurs places, une dans chaque syst~me (conceptuel) de re la t ions de s trat i f icat ion 30; .tandis que dans le temps, une na~me place clans un syst~me donn~ sera forcSment occup~e par dif- f~rents ~tres humains.

Or , s ' i l exi.ste r~ellement ~ne s t ructure de V. on voi t que chaque &re .huma;in, chaque micro-milieu, v oire chaque groupe socia~l, s 'y trou.ve "dclatd" en plusieurs morceaux; e t l ' on peut s ' a t t endre ~ ce qu ' i l cher- che (c 'est l 'hypoth~se ~u demeuran t contes table d'.un ~)rineipe de recher- che d '&lui l ibre s~ ~ se " regrouper" en s'alignar~t autant qu ' i l te peu t sue son morceau le plus ~lev~; on re t ro~ve I~ la p~n~trante ,hyporh~se d e G . Lens.ki sur la " " " . "status-crystalhsat~on 32 ,D'autre par t , chaque struc-

3o Et non pas, plusie~s r61es clans autant d'institutions, comme on le croit g~n~ralement (cf. par exemple R. DAHRENDORF, Homo Sociologicus): les institu- tions ne sont pas ~ un niveau assez ~bstrait, il n'est que trop clair que les "d~- f6rentes places dans diffSre~tes ,'mstitu~ions" e,2primer~t bien souvent une et m&ne chose, la posi.tion clans les rapports de V. don, n~e essentiellement par la place dans la structure soeio~professiotmelle.

31 Hypoth&e apparemment considdr6e par L. Goldmann, dans J. PIAGET et al., Logique et connaissance scienti/ique, Paris, Gallima~, ,1967. Comme la d8 de l'explication de la dynamique soeiale, par analogie avec la r6gulation prop~'e aux systbmes biologiques. Hypoth~se au demeurant fort fonctionnaliste. Quant au "il" qui semble un sujet conseient de sa situation r~elle, alors que nous savons ce qu',i.l en est en g~nSral, je propose une faqon de tourner cette difficuR6: supposons que le sujet sache reconnaitre ce qui n'est pas bon pour son "Squi~ibre', tou~: en ~tant parfaicemen.t ~ncap~ble de donner ses crit~res de jugement (volt l'ana- log[e avec les r~gles de gramm~re g~n~rative ~tudi~es p~,r Ghomsky); et qu'il ~limine done, darts toutes les "occasions" g~n~r6es par la vie sociale, ce qui l~i est n6faste sans beaueoup se tromper (hypoth~se "darwi,niste'). Le r~sul~at res- semble fort ~ 1'action d'un sujet conscien~ avanvant de fagm plus ou moins erra- fique vers un but d6term,in~. Cette perspective d'un sujet "passim" mais sachant reccmnattre son int6r~t au passage me paralt avoi.r tree forte valeur explicative; elle permet ~notamment de comprendre pourquoi les positions de pouvoir peuvent &re occup6es par des f~bles d'esprit sans que cela mecte le "syst~me" en danger - - et en m&ne temps ~pourquoi le ~pouvoir" prend ,le plus souvent la forme n6ga- tive du veto.

32 Vu au nivean des inflividus, tous ces efforts semblent a, ller darts le sens d'un alignemen~c de tous les au~res systbmes sur le sysc~me des rapports de V. et doric vers la recherche d'un "6quilibre social" parffi~ement stable du ~pe d6erit darts l'ouvrage de HUXLEY / 2 meilleur des mondes. Mais vu au niveau des grou- pes sociaux, qui prime, ces efforts peuvem se t~adui:re sous la forme de lu~tes de classes: voir bourgeoisie comte noblesse, et peut-6tre managers et r contre grands bourgeois. Enfin, ee genre d'analyse purement sociologique, en rant qu'eUe rejecte hors de son champ la lobque d6termmante de l'6conomique et du mi~taire, en tam q~'elle toume le dos ~ l'histoire, ne 9et~t ~,bsolument ,pas rendre compte ~ elle settle des pMnom~nes so0iaux r6els. I1 ne s'agit que d'un

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La mobi~it3 sociale en France 119

ture, ou plutbt, plus concr&ement, chaque institution, agissant pour le compte des structures, cherchera ~ recruter pou,r ses diff4rentes places des categories .sp~cifiques de personnes poss~dant d4jh, au moins ~ l'6tat d'embryon, tes caract6ristiques requises (puis une fois choisie ,la victime, tout un ~systhme de normes et de sanctions s'attachera ~ la transformer en ~an "pu,r produit des structures", garanti 100~ - - ce que j'ai appeld ail,leurs un "zombie" 33.

Une difficult~ ~suppl~mentaire v,ient de ce qu'il existe de multiples syst~mes secondaires de relations de "stratification", ,tels que ceux d~- rivant du sexe, de l'age, de la race, de 'la nationalitG etc.: naturellement, ces systhmes fon.d4s sur des caracthres biologiques ou pseudo-biologi- ques sont r6interpr~t~s diff6remment dans chaqaae formation sociale particuli6re, conform6ment ~ sa logique profonde, et c'est la r~interpr~- ration sociale qui compte en tant que d&ermination sociologique (par exemple, &.re une ,femme ou un adolescent ou un 4tre de race blanche, prend des significations trhs diff&entes au Br~sil, aux Etats-Unis et en France, ~ la campagne et ~ la ville, en milieu ouvrier et en mi_fieu fonc- fionnaire, etc.).

La famille n'est plus la seule institution distributrice.

Ainsi, dans le mei.Heur des cas, ce qu'ont fait implicitement tes en- qu4tes de "mobilit4 sociale", c'est la mise en ,relation de deux syst~mes de rapports, ~ savoir: les rapports de V. d'une part, et leu,rs mul~tiples formes, et la parentd d'autre part, afin de savoir comment le second contribue ~ reproduire concr&ement le premier.

Cependant, la pa.rent4 est loin d'4tre le .seul syst~me de ,rapports d&erminants en la ,matihre; on pourrait m~me dire quql Pest de moins en moins. Les temps ont chang6 depuis tes @oques ,antique et ,f60d~e off le ,recrutement des 4tres humains clans les cat4gories socia.les se ,faisait directement par transmission h6r&ti,'taire (castes et ordres); aujourd'hui, dans les .formations sociales dites "d4velopp6es" se sont ~labor4es d'au- tres m6can.ismes de recrutement 34.

essai de clarification &ns un ordre de faits (tes faits sociologiques) provisoirement autonom,isds et done mutil~s.

33 Sur ,la transformation en zombies, aussi appel~s "adu.ltes responsables', voir not ,arnment D. LAINo, La politique de l'expdrience, trad. fr. chez Stock 1969. Par ailleurs, l'approche uti,lis~e dans toute cette section souffre d'&re trop struc- turaliste: elle passe sous silence les r6sistances et luttes individuelles et sociales /Lce processus dit de *,sociotisation'. Voir notamment /lce sujet C. BAUDELOT et R. ESTABLET, L'~cole capitaliste en France, Paris, Maspero, 1971.

34 La formule ascription / achievement n'est ,pas satisfaisante en ce qu'eUe laisse croire sans aucune d6monstrafion que l'"acbievemen.t" est �94 fair de t'~indi - vidu'. I1 y a toujours "ascription", du moins en France, mais selon des m6cani-

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120 Daniel Bertaux

A mesure qua la parent~, ou plutht la "/amille', qui int6gre sous forme d"msti.tution, et reproduit constamment, le syst~me des rapports de parent6, perd ,son importance sociale, il est probable que d'autres institutions reprennent en charge ses diff6rents r61es: ainsi en est-~l 6vi- demment de l'6cole, mais aussi peut-4tre de la "so,us-culture adolescen- te", des moyens d'inculcation massive ("mass-media"), etc.

Du point de rue qui nous int~resse, le processus de distribution des dtres humains dans les rapports de V. (et, naturellement, par eux), la fam~e est ~ replacer dans ~a s~rie des ~nstituvions de "distribution sociale': soit peut-dtre la s6rie famille-6cole-micro milieu d'intercon-

naissance 35-grandes organisations; de m6me que du point de vue de l'inculcation des valeurs ella est ~ replacer dans 'la s4rie famille-6glise- 6cole-mass media-(et "institutions de la sous-cult~e adolescen- te"?) et que du point de rue de la r~pression des "~tendances anti-socia- les" (c'est-h-dire, de la r4volte pulsionnel,le contre ~les convraintes d6ri- rant d 'un ordre social particul, ier) elle est ~ replacer dans ta s6rie ha- mille-6co,le-appareil policier et judiciaire-arm~e (pour les garcons), voire,-famille ~ nouveau sous ~la fozme conjugale: la famille conjuga- te e t l e s unit6s de p,roduct, ion mtervenant d~ns toutes les fins de s6ries, c'est-~-dire au ,moment du passage ~t la "vie d'adulte", ce processus de transformation d6fin,itive des 4tres humains en :supports de structu~res. C'est seulement en replaqant ,l'instimtion famil'Ie dans des sdries que l 'on pout saisir le ph6nom6ne par tequel la d6sagr6gation continue de la fam,il~e (particuldhrement rapide ~ l 'heure actuelle en France) se fait paral, l~lement ~ un trans[ert de ses divers r61es ou "~fonctions" ~ l'~cole d'abord, puis de plus en plus aux grandes organisations, aux mass-me- dia, h l'appareil policier et judiciaire, voire ~ d'autres irr.sfitutions.

Logique de la /amille: la transmission directe de la position clans les rapports de V.

Pour ce qui de la s6rie des "ir~sti, tu~ions de distribution socinle" famiUe - (et micro milieu d'interconn~issances) - ~cole - grandes organi-

smes de distribution plus complexes qua la simple reconduction de la position sociale du p6re au fils.

35 j,appefle "micro-milieu d'imerconnaissa'nce', concept provisoire, l'ensem- ble des relations in~erperson.nelles r6elles et potentielles d'une personne ~ un in- stant .dorm6. Par exemple, si A connatt B, et ,B cormait C, sans qua A et C se connai.ssent, n6anmoins si Ae t C vienneu~ ~ p~n4trer one .m&ne sph6re locale de la vie sociale ils seront vraisen~bla,blemene m'nen~s h faire connaiss ,ante du fait de leur connexion com~nune avec B. Or, cey0te ,poss~bilit6 objective, non seuleme~.t se r6v~le au moment opportun (et notammerlt quat~d A cherche un emploi) mais r6agit, ava.nt ra~me de s'~tre r~v616e, sv2 le comportememt de A; elte fm~c donc objectivemen, t ~pmrtie des d6termi~ations d~l type "relations i.n,terpersormeUes" et dolt &re compt6e dans le micro milieu.

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La mobilitd sociaIe en France 121

sations, on constatera que leurs critkres de distribution sont cliff,rents. Pour la famine, ce crit~re est dvidemment l'origine sociale, c'est-

h-dire que ~a famille agit en tam que support du grou,pe social r6el; elle tend ?t redistribuer les &res .humains en reconduisant purement et sim- plement les e~ants h ,la ,place de teurs parents dans la structure de V. On m'opposera un "fait empirique" ~ savoir que beaucoup de familles tentent de "pousser" leurs enfants; ~ quoi je r6pondrai par un autre "fait empirique", qui est que si effectivement, nombre de familles, des classes moyennes notamment, le font, lh n'est pas la loi g6ndra]e; celle- ci semble &re plut6t que toute famille s'efforce d'emp~cher ses enfants de "tomber plus has": et cela est suffisant, au niveau de l'ensembIe, pour emp&her ~ la/ois descentes et mont6es.

Ii s'agit bien, notons-le, de recoflduire la place des parents dans la structure de V., et non leur catSgorie sociale particu~libre ~. Ainsi, la place d'une cat6gorie sociale donn~e peut 4voluer le long de la :structure de V., en g6ndral en glissant vers le "has": ainsi, &re ins tituteur en France aura eu des "significations", c'est-~-dire ici des valeurs de V., dif- fdrentes et ddcroissantes en 1880, 1910, 1940 et 1970. Mais aussi, tout instituteur cherchera-t~il ~ ce que son fils fasse "au moins un peu mieux"que lui, c':est-h-dire, en fait, qu'il se maintienne. Le cas des insti- tuteurs est d'ailleurs particulier (puisqu'ils sont, en mSme temps qu'une cat~gorie sociale, une catdgorie de supports d'une des institutions de distribution :soeiafe); mais la mSme observation peut &re faite pour d'autres catdgories. Par exemple: il semble que ,]es pefits commer~ants franCais, aujourd'hui en pleine d6route 6conomi,que, cherchent ~ ~aire entrer ~eurs enfants "dans l'administration". Au total il semble que chaque g4ndration monte une marche sur un escalier roulant vers ~a descente.

Logique spdci]ique ;~ l'~cole: la mSritocratie.

L'dcole, quant ~ die, procbde salon une ~ogique diffdrente. Certes, son principal r61e en tant qu'institution distributrice est-il encore d'ex- pliciter et de saneionner par le dip16me un certain rang social acquis par ]a naissance, c'est-~-dire de reprendre le r61e de la famil,le sous une nou- velle forme: ainsi que l'ont montr6 toutes les 6tudes de soeiologie de l'dducation en France, c'est ~t cela que l'dcole frangaise passe le plus clair de son temps 37. Mais je ferai l'hypoth~:se qu'i'l y a une sp6cificitd

36 ,Sur cette id4e voir P. BOURDIEU, Condition de classe et position de classe, "Archives E ~ n e s de S(~ologie", VII (1966), ,pp. 1-23.

37 Voir notammen,t le dernier o.uvrage de P. Bou~mEU et J. C. PASSERON, La Reproduction, Paris, Editions de Mmuit, 1970 et surtout C. BAUDEI, OT et R. ]~STABLET, Op. cit.

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de l'&ole en trot qu'insfitution de distribution .sociale, a savoir: en plu~s de l'origine soeiale, elle prend en compte te "m6rite scolaire'.

Certes, cet aspect si &ident n'est souvent qu'un leurre: le "m& rite scolaire" n'est bien trop souvent que le d~guisement de l'imm&ite social. Et cependant il y a quelque chose en plus; il y a une logique s6- lective propre h t'institution, au rnoins h l'&.at embryonnaire. On pour- rait ,imaginer des sod&6s "m~ritocratiques" oh l'6g&it~ des chances au d6part serait ,plus ou moins r6alis&, tandis que les "in~galit&" l'arriv& (en fair, l'exploitafion) seraient maintenues. I1 est d'ai_lleurs clair que cette skuafion serait g~n6ra.trice d'un conf.fit perma.nent entre la ",famille" (socialement situ&) et l'&ole: le groupe socialement do- minant essay~t d'infl&hir l'&ole ~ son profit en y faisant enseigner et reconnakre comme crit~re de "m6rite scalaire" sa propre sous-euhure; tandis que l'&ole se d6fendrait en essayant de soustraire .le plus pos- sible les erffants ~ la famille en multipliant 'tes institutions para-scolaires; la lutte &ant &idemment surd&ermin& ,par les conditions g~n~rales et tes luttes sociales au niveau des rapports de V.

Vers une nouvelle logique?

Mais ne volt-on pas poindre ~ l'horizon de cette fin de ~i~cle une troisi~me logique, celle des grandes organisations? Certes, nous ne sa- vons ,pas grand-chose sur les chemins qui conduisent les adolescents de la sortie de l'&ole ~ l'entr6e dans le monde du travail; et il semble qu'outre te dipl6me, ies relations personnelles (le .micro-mi~eu), done encore une Iois ~ travers elles l'appartenance de classe, y jouent un r61e important. Et cependant, certains signes avant-coureurs ,sont ~ &.udier de pr&.

Que signifient en effet les i.nnombrables "services de psychologie" plac& A 1'orifice d'entr& des grandes organisations? Que signffie l'utili- sation quotidienne qu'ils ,font des tests psychologiques, voire psychana- tytiques? Est-ce seulement une ,nouveHe invention destiv~& ~ masquer sous une d6froq~e renouvel& l'6ternelle action de t',ppartenance de dasse - - ou bien, estw.e en m~me temps l'embryon d'autre chose qui pourrait s'appeler la "s61ection caraot6rieUe"? Si cela &ait, comment expliquer le .passage de la distribu~on selon l'origi, ne sociale tl la distri- bution selon le m6rite scolaire, puis ~ la distribution selon la "structu- re de la personnalit6"? Comment relier cette &olution ~ l'&olution des st~ctures &onomiques et politiques? Et quel type de .soci&~ r& su, lteraP; de ce nouveau processus de .reproduction de la structure so- ciate? Autant de questions clue devr~it reformuler et &udier une vOi- table th6orie de ,la "distribution sociale'.

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L'unit~ des processus.

Finalement, ~aire la th4orie du "processus de distribution sociale", c'est par-del~t les multiples formes concretes de ses manifestations, ~aire la ,th4orie de son unit~. Pour arriver ~ y voir clair, nous n'avons plus besoin de modules stochastiques ou d'4tudes micro-ponctuelles. Ce dont nous avons besoin, au contraire, c'est de retrouver d'une part 1'unit~ sous-jacente aux diff&entes formes de stra6fication (~la m4thode pour ce faire &ant sans doute de remonter au processus de diff4ren,tiation des 416ments le long des diverses dimen.sions apparentes de ~a stratifi- cation, processus g~n4tique d6nt la logique e.st une logique de rapports, et 1'unit4 recherchSe 4tant ~t trouver au niveau de ces diff4rents syst6- mes de rapports); d'autre part, 1'unit6 sous-jacente aux d~ff4rents m6ca- nismes de distribution des ~tres humains dans ces diverses dimensions (un~it6 ~ rechercher probablement dans le fait qui'ils contribuent ~ re- produi~e sous des ;ormes diff4rentes la m~me structure); enfm, de re- trouver ,l'unit4 de ces deux ordres de d6terminations, unitd que 1'on pressent ~orsqu'on r6a.h'se que le processus de distribution sociale re- produit une structure tout en /onctionnant ~ i'int&ieur de cette structu- re, et qu'il est par cons6quent vraisemblable que sa structure propre r6ponde ~ la structure de l'ensemble.

Non pas d'ailleurs qu'elle n'en soit qu'une "copie conforme": on peut penser au contra,ire que l'4volution ,historique constante des/ormes des rapports de V. r4agit sur 1cur processus de reproduction, soit que certaines parties du processus &ant devenues anachrorriques par suite de leur situation relativement protdgde soient brutalement "remises h jour" (voir par exemple les rdcentes r4formes du syst6me d'enseignement s soit clue d'autres parties, en avance sur leur temps, par suite de ,1'influence d'"id6es avanc4es", commencent ~t f~roduil:e de s lo- cafisde et encore oppositionnelle l 'embryon de nouveaux rapports so- ciaux.

IV. Distribution "4conomique" et distribution "sociale"

Pour ,terminer je voudrais essayer d'61ever la perstx~cfive d'un degr$ suppldmentaire.

Nous avons vu que la "mobi,[it4 sociale" devait s'6tudier au sein de l'ensemble "mobilit6 + immobilit6", ou "distribution sociale", qui lui conf6re une signification l~lus g6n6rale. Nous avons vu aussi que la distribution sociale prenait u.n sens encore plus g4ndral ~ 9artir du mo- ment oh on la rattachait au "m4tabolisme" de la structure sociale, dont e11e cons,tituerait le processus de reproduction.

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Mai.s ce processus .de reproduction se limite-t-il ~ la distr ibution sociale? Dans un texte cdl~bre d '~conomie palit ique, Marx a ,montr4 que po.ur la sphere .des produits, on ne pouvai t dissocier .production, distr ibution et consommation.

Les rapports qui unis.sent ces trois moments d 'un ,mdme proc&s d 'ensemble sont nombreux et ~orment un .tout complexe, off chacun est ?~ son tour .ddtermin6 et ddterminant, voire ~ la lois ndgation et repro- duction des autres moments de t 'ensemble 38.

Au cours de ce manuseri t remarquable, Marx touche plusieurs lois ,la quest ion de la distr ibution des ~tres humains sans toutes la

traiter de mani~re sp~cffique 39. Or .il es,t possible, et fort intdressant, de transposer la ddmonstrat ion que Marx s ,pour la sphere de la pro- duction-distr ibution-consommation des produits , h la sphere de la pro- duction-distr ibution-consommation ,des ~tres humains.

Certes il ne s 'agit 1~ pour le moment , que de l 'application rndcani- que d'u.n ensemble de concepts "dconomiques" ~ u n autre domaine au- q u d ils ne sauraient sans doute ~tre greffds .sans donner lieu ~ des con- tresens. L 'op6rat ion analogi.que qui est tentde ici ne consti tue donc aucu- nement une ddmonstrat ion; elle ne pout ~tre qu '" iddologique" puis- qu' i l s 'agit d 'une premiere tentative heuristique qui ,n':a pas 6td sou.mise

la critique. Je cons i&re cependant que los rdsultats obtenus sont suf- f i samment int6ressants pour ~tre exposds et discutds.

Voyons d'abo.rd la product ion ,des ~tres humains. Qui les produi t biologiquem.ent? Concr&ement , dira-t-on, ce sont les .femmes. Mais pas les "in.divi,dus" du sexe *dminin: les femmes en tant qu 'agents et sap- ports .d'une ~nstitution particuli~re, la .famille - - ou plut6t, ta familte de telle ou telle classe sociale. C'est sans doute cette insti tution qui pro- dui,t en .rdalitd .les ~tres humain,s; fl me paral t difficile d 'expliquer autre- ment los variations gdndrales de f~conditd (?a un m~me moment dans tou- tes les classes sociales, ou dans .tous los pays d ' un certain type), et aussi les ,ph6nom~nes .de ,fdcondit6 diffdrentielle salon les cat4gories soeiales. I1

38 "Nous ne concluerons pas pou, r autant que ta production, h distribution, l'dchange et la consommation ,soar ~dentiques, mais que chacun d'eux est l'616ment d'un tout et repr~eme ta diversit6 au seirt de l'tmk6". Introduction d la critique de l'Economie politique (1857).

39 Par exemple: "Darts l'acception la plus .bal~ale, la distribution est rdpar- ti'tion des prod~ts; ddfmie de la sorte, elle est la plus 61oignde de h production et en est .Four ainsi dire ~nd6pendan.te. ~M~is, avant d'&re distribution des pro- dints, elle est 1) distribution des insmaments de la production, et 2) ce qui est le prolongement du rapport prdcddent, distribution des membres de la socidt~ en.tre les diverses branches de la production, autremen* dit soumission des hadividus des rapports de production d&errmnds". Voir aussi: "L'indi.vidu n'a ni capital ni propridt6 fonci~re de 9at sa naissance: en ven~,nt au monde, il est vou6 au travail s~lari~ par la distribuvion sociale'.

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faut consid6rer en effet que la famille de ~elle o,u teIle catdgorie sociale est elle-m4me contr61de par l'ensem~le de la formation sociale, notam- ment dans son rythme de production d'enfants. Preuve en est que plus la f&ondit4 devient contr61able, plus les puissances sociales institution- nelles s'en m~lent: les gouvernements, l'Eglise, voire ,les partis 9olitiques, etc. 40. La fdcondit6 ,(i.e., la production biologique d'4tres humains), un des ph6nomhnes les moins bien connus ~ l'heure actuelte, est un pM- nombne social et non le r6sultat du tibre-arbitre des individus ou des m6nages.

Mais la production des ~tres humains ne se r6duit pas a la pro- duction biologique. En ~a.it, dhs la naissance, voire dhs la conception, l'"exp6rience vdcue" d'un ~t,re ,le ~forme et le transforme continuelle- ment. L'dducation, au sens large, peut 4tre consid&de comme un ef- fort de la part de "la sod6td" d'orienter cette "expdrience" vers la pro- duction d'un type d'&re qui lui convient. Tout processus d'6ducation (au sens large), en .tant qu'il transforme les &res qui y sont soumis, est 6videmment un processus de production, au sens de transformation d'un mat4rian brut ( t '&re)en quelque chose de diff&ent; et les diffdrentes institutions qui s'occupent co,ncrhtement d'dducation ~(au sens large) peu- vent donc &.re considdr6es comme des unitds de production d'btres humains: famille, 6cole, Eg,lises, armde, voire les mass media, sont dans ce cas. Les ent.reprises elles-m~mes, qui sont principalement des unit6s de consommation des &res humains (voir ci-desso.us), jouent aus- si un certain r61e de "formation", tant exp~idtement, en formant "sur le tas" ou dans des stages leurs agents, qu'implicitement, en tes obligeant

s'adapter a ,leur "structure". Jusqu',id ~ vrai dire, rien de bien nouveau: nous rejoignons l'id4e

gdndrale qui es,t a la base de la "planification de l'6ducation', de .l'"dco- nomie de l'dduca~ion", et autres iddologies similaires qui rdduisent les ~tres humains ~t de la ,force de travail qu'fl ,s'agit de former pour pou- voir mieux la consommer.

Cependant nous ddbordons implicitement cette idde: en effet, autant l'iddologie .rdgnant actuellement admet sans .difficult4 que le ",systhme" forme des ,travailleurs selon ses besoins, autant elle h6s.it.e encore ~ reconnaitre .que cette formation est totalitaire, en ce qu'elte prend en compte la totalitd des .aspects de l'.4tre. I1 n'existe pas en effet d'enseignement qui ne soit ?~ la lois techmque et "id~ologique" (c'est-

4o Avec d'ai.lleurs des efficacitds hautement variables ... Ils se heurtent en effet, non pas au libre arbitre des "individus", ma.is .aux d6terrnir~ations sociales (e.g., conditions ~conorniques g~n6rates, structure des int6r6ts objectifs de telle ou tel.le classe, m6canismes .sociaux de la transmission du patrimoine, voire "valeurs de classes" -- ? - - ) qui .son't 6videmment plus puissan.tes.

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~Mire, qm inctdque des valeurs - - ~forc6ment particu~'~res - - et des conceptions du monde erronEes ou au moins mutilEes). Toute forma- tion est sociale, et, qu'el]e ,soit scolaire ou profess~onnel.le, elle est en m6me temps tentative pour ~ormer des 6tres adaptEs aux structures au- tres que ,la structure professionnelle: structure du monde divisE en "nations' , struct.ure sociale de ,socidt~s div~s6es en "classes", structure politique de la .sociEtE clivis6e en "Etat" et "peuple", et du peuple di- vise en autant d'"individus-citoyens"; :structure du champ .iddologi- que, etc.: toute formation est en m~me temps socialisation, ou plut6t tentative de social.i:sation.

Car la production des &res ne s'effectue pas clans l'abstrait, mais toujours h l',int6rieur d'un "syst~me social" donnE. On peut certes, en restant ~ un niveau tr~s gEnEral (comme le fait Marx dans son Introduc- tion de 1857) dire que, si la ,production de biens est ,n6cessaire ~ la survie de l'esI~ce, la production d'dtres est cette survie m6me. Mais la ",production" est toujou.rs, en ~ait, une production particuli~re. Ainsi

l'intErieur d'tme ,smact~re capit~li.ste de l'6conomie, elle est - - si Yon en croir l'analyse de Marx dans le "Capical" - - production .non de .biens mais de marcbandises, Eventuellement sous forme de biens - - ce qui n'est Evidemment pas du tout la mSme chose.

Comment peut-on sp6cifier de la m~me mani~re la production d'&res humains en ~onction du syst~me .social? I1 est difficile de le S r e pour t'instant. Cependant on peut penser qu'il faut chercher du c6tE de la reproduction des rapports sociaux existants, sans ,laquel, le le syst~me ne saurait ,survivre, et pour laquelle ,la transformation continue des nou- veaux-n6s en supports de structures, h mesure que les vieux sortent du syst~me pour mou.rir, est l'opdration principale. Telle serait done l'hypo- ~h~se de ,fond: de m6me que, si un bien ne peut se transformer en marcbandise, le syst~me capi.taliste cessera de le produire (c'est en par- tie le cas des biens d'Equipement col,lectif), de m~me, si certains ~tres sont .tels qu'ils ne correspondent pas ~ ,la reproduction des rapports sociaux existants, le "sy.st~me', soit en cessera la production, ,soit tes Eliminera comme des "pi~ces manqu6es" apr~s avoir Eventuellement uti- lisE leur originali.tE ,pour se ,transformer dam .ses ]ormes extErieures, si 'la corrservation de sa structure profonde en face de conditions chan- geantes l'exige.

Est-ce a~nsi, en Etant ,transform6s en supports de .structures, clue les 6tres humains sont "consommEs"? I1 est vraiment tr~s di~fici'le, ce :mveau, d'Eviter le discours humaniste (qui est fort respectable, mais ne devrait pas avoir .sa place dam u,n texte ~t pr&ention ",scienti,fique" ). Ce que l 'on peut dire ,sans risques, c'est que ~la ~orce de travail des &res humains ~ tout au morns celle des travailleurs .salariEs ~ est

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c o n s o m m & , sous fo rme de consornmat ion p roduc t ive (i.e., consomma- t ion e n vue de la p r o d u c t i o n "6conomique" ) . I1 semble d ' a i l l eurs que

la ca,t6gorie des trava, i l leurs ".salari6s" soit t rop restr ict ive: aussi b ien les travaiUeu,rs had6pendants (paysans , ar t isnns, petit.s commerqants , pro- ~essions , l i ,b6rales)que los m6nag~res, d o n t le t ravai l n ' e s t pas r~tr ibu6, d @ e n s e n t l eur force de t ravai l en r u e de la " p r o d u c t i o n " - - au sens

large cet te lois . Mais il serait ,faux de s ' a r r6 te r lb. Sans &.re e n mesure de pr6ci-

ser ma pens6e ( o n t rouvera ci-joint e n n o t e u n p remier essai, i n d u s dans m a commun.ica.tion ~ Varna , qu i s o n n e ~ ]a fois s t ruc turo- fonc t ionna l i s te et "gauchis te" ..,)~1 je sens q u ' o n ne .pout se con ten t e r de dire: con-

41 "On peut donner un aperqu d'tme ligne de pens~e possible ~t partir de la notion de r6le. Le r61e d~fini sociologiq.uement correspond ~ une position clans une institution; il est constitu6 e~t6rieurement par un ensemble de comportements observables, e t e s t ins6p~rable des normes d6finissant ces comportements et de sanctions r6compensa.nt ou punissant los agents solon ~a conformit6 de ~eurs com- portements r6els A ceux .d6finis .par le r61e.

Mais le r61e suppose aussi, plus ou moins fortement, l'acceptation mentale par l'agent de son rble; et ceci d'autarrt plus que l 'on s'd~ve dans la 'hi6rarchie so- dale', et que les comportements demand~s, devenant de plus en plus complexes et vari&, &happent au contr61e .par des normes pr68~finies; ce sont alors los conduites, pri~ncipes g6n~rateurs or/on organ,isateu.rs de cornportements, qm sont

rendre conformes aux jnt~r~ts de l'~nstitution, ou plut6t des structures dont les institutions ne sont que les manifestations de surface, voire de l'organisation sociale qui donne leur coh6rence aux structures.

Nous en arrivons done ~ ta conception d'un type d'&re humain '100 % con- forme', darts ses comportemeats (et sos opinions), dans ses conduites (et ses atti- tudes), dans ses motivations profondes (et son id~ologie globale, sa repr6sentation du monde et de sol), ~ c e q u e l'organisation sociale attend de lui: c'est ce type d'&re clue j'appelle un zombie. II est le r~sulta, t d'un processus d'absorption par les 'structures' (niveau ,interm~diaire en.tre les tr~s nombreuses institutions et l 'unique organisation sociale); .il est c e q u e devient tout &re humain qui a 6td int6grMement cons~nmd.

L~ soci&~ moderne est done bien une 'soci&~ de consommation'; mais les objets de consommation nr sont pas ceux qu'on pense" (fin de citation).

On volt clairement le caract~re cr~s ambigu de cette formulation. Ii me semble cegendant qu'elle exprime, de faqon encore tr~s "id~logique", quelque chose de r~el, et effleure une question redou.table: l'homme ~ ou plut6t, chaque &re human ~ est-il autre chose qu'un ensemble de rapports soeiaux? Que reste-t-il de l'"homme", une fois d6pou,ill~ de tousles ~l~ments qui ne sont en lui que la mat~ri~lisation des "structures"? L'"humain", finalement, n e s e d~fim'Tait-il tyas, dans ~l'optique structuraliste, .par u,ne certaine ind~pendance, veire une certaine n6gativi.t6, ~ l'6gard des structures?

Nous voici en pleine ontologie. Le seul moyen d'en sortir "par devant" (c'est-h-di~re, si l 'on refuse la sortie qui co~siste h refuser puremen.t et simplement ces questions) est de se demander pourquoi ces quest.ions se 9osent aujourd'hui sous cetre .forme; quelles sont les conditions sociales qui on.t fait que ce genre de questions se pose plus ou moins consciemmen'c et de plus en plus souvent.

Line r6ponse possible: le d6vdoplxanen, actuel de menaces de conflits so- ciaux dans de nombreux secteurs (d6veloppement correspondant au cours sou.terrain de l'histoire) entralne son comraire, des.t-A-dire une emprise de plus en plus forte de l'organisation socia.le sur nos comportements etnos mentalit~s (ce que les n6o-

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sommation darts ,le travail mais libert~ au-delL Plus personne ne croit aujourd'hui fi la fameuse "civilisation des lo,isirs" dont on nous a tant re- battu ]es orei'lles; ce que quelques-uns ont ,toujours soutenu, fi savoir clue le "]o~sir" ,n'est que l'e,nvers du ,travail et ne .sau,raii pas plus en &re s6par6 clue le c6t~ pile du c6t4 face, est aujourd',ht~i reconnu comme exact. Alors? Ne .sommes-nous pas "consomm6s" aussi bien dans notre pratique de consommateurs qu'en tant que "producteurs", ainsi que dans no,s prat}ques politiques, dducat.ionnelles, voire affectives? L'expression: "le ,systhme se sert de nous pour se ,reproduire" .exprimerait-el~e un pro- cessu.s ~:6el?

Laissons ces questions qui nous entrainent vers ta philo,sophie socia- le; mais retenons l'id6e pfincipale, qui est que nous sommes produits pour 4tre consom,m6s dans, et par, un syst~me particulier. Mieux, nous sommes pro duits diffdrentiellement, pour ~tre consomm6s diff4remment dans telle ou tel,le r4gion du systhme social. Et c'est en fonction de cette perspective que l 'on peu.t donner mainten~nt a la distribution sociale son sens plein.

Dans la mesure en effet off l 'on entend encore s6parer (concep- tuellement) production, distribution et consommation des 8tres, la distri- bution apparatt comme le .lien n4cess#,re - - mais prat~quement d6ter- min6 par la production - - e n t r e production ,et consommation; e~e ne serait clue l'actualisation concr&e des poten~ialit4s :implant6es en nous par le processus social qui nous a produits. Mais a y regarder de plus prhs, on s'aperqoit que les principa~es u.nit6s de production des 4vres: famille (principale unit4 de consommation proprement dire de "biens et services"), 6c(~le, sont en m4me ,temps leurs pv~ncipa,les ~sti.tutions de dist,ribution; que les principales unit4s de consommation des 4tres, qui sont les unit& ,de production de biens et services, jouent aussi u,n certain r61e dans la distribution des &res (tant directement, par leurs services de recrutement, qu',indirectement, en influant ~sur ~a formation donn4e

1'6cole); que ~inalement, production, di.stribution et consommation des ~tres ,sont plus intimement l.i6es ,encore que ~ixsur les biens et services, et qu'i.1 y a une correspondence doubl6e d'une inversion entre ces deux prochs: la production des &res 4tant consommation de biens et services, tandi.s que leur co,nsommation se f~it dans la production de biens et

weber[ens a,ppeller~t du doux nora de "rationalisadon croissante" ou "d6senchante- ment ,d~ monde" ...). La perspective structurali.ste exprime tr~s bien cette emprise des "structures" mais "oublie" les menaces de confl.its. Elle condui~ donc facale- ment ~ son coatraire, le n.ihilisme ou r6volte violente, spontan6e et qu~si-indivi- duelle, contre .les structures. Une perspecti~re qui saurair prendre en cornpte les conflits en rn4me temps que les struotures permettrait de ~6pondre sur le plan de la connaissance - - et non plus sur celu.i des valeurs - - ~ux questions que nous posions plus haut.

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services; et les ~iens entre ces deux proc6s apparaissant les 91us 6troits au niveau de ~a distribution, qu'efle soit distribution d'instruments de production, .de produits ou d'4tres humains.

Ainsi, ~'analogie semble f~conde puisqu'elle rdv6]e &ux ensembles de rapports dont Pun est comme l'envers de l'autre; les rapports entre ces deux ensembles nous donnant probablement u.ne des cl~s de la compr6hension de ~a .structure sociale, .et en m~me tem,ps de notre probl6me plus modeste de distribution sociale.

N.B. - La pa~tie III de ce texte dolt beaucoup ~ l'influence de M. PIERRE BOURDIEU; la partie IV a 6t4 remani6e ~ ta su~r de plusieurs di,scussions, notam- ment ace<: MdVI. Jos~ AGUIRRE, CHRISTIAN BAUDELOT el: FRANGOIS LORRAIN. Je reste 6vide ,mrnent seul responsable des id6es expos6es ici.