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Ghassan Tuéni Pater dolorosus Dans ce monde proche-oriental où les vérités sont si dan- gereuses à dire, Ghassan Tuéni est un homme libre. Citoyen et journaliste engagé, il a pourtant payé au prix fort cette passion de servir la vérité : son fils Gebran, qui marchait brillamment sur ses traces, a été odieusement assassiné dans un de ces attentats qui ont ensanglanté l’histoire ré- cente du Liban. P. 6 Henri Gougaud Albin Michel Numéro 25 – automne 2009 LIRE PAGE 16 Proche-Orient : le nouveau document choc de Charles Enderlin P. 4 Tareq Oubrou Penser l’islam occidental P. 5 Daniel Cohen : une introduction lumineuse (mais inquiète) à l’économie P. 12 Henri Gougaud est un conteur inlassable. Sa mémoire recèle des trésors d’humanité venus du monde entier, ses tiroirs regorgent de la sagesse que les siècles ont accumulée dans les récits populaires. Mais ce qui fait son succès, ce n’est pas seulement cette grande richesse, c’est la formidable bonté dont il fait preuve pour l’offrir, à son tour, à ses lecteurs, et qui s’illustre à nouveau avec cet ouvrage, où il a mis au point un dispositif d’une généreuse ingéniosité. I ls sont des centaines de milliers, hommes et femmes en mal de relations authen- tiques et vivifiantes avec leurs proches, a avoir été un jour touchés par ses livres, et guéris de ce qui constitue la vraie maladie du siècle : l’incommunicabilité. Oui, les ouvrages de Jacques Salomé mériteraient presque d’être remboursés par la Sécurité sociale, tellement ils ont aidé de personnes blessées à sortir de la dé- pression ou de la misère affective. Or, para- doxalement, ce « jardinier des relations hu- maines », comme il aime à se définir, avait toujours été très discret sur lui-même. Archéo- logue de nos histoires intimes, il ne s’était jamais ouvert publiquement sur ses origines, sa jeu- nesse, son parcours intellectuel et spirituel. Que cachent donc ce visage perpétuellement jeune, ce sourire éclatant, ce regard malicieux ? Quels rouages secrets dissimule cette façade d’homme qui a réussi, non seulement matériel- lement, mais humainement ? Le grand commu- nicant et chantre de la confidence ne s’était pas vraiment livré, sinon au travers de quelques anecdotes personnelles disséminées au gré de la plume, et que son écriture avait l’art de faire disparaî- tre au profit du message universel. Et soudain, voici qu’il ouvre grandes les vannes et nous invite au jar- din secret de son enfance insoupçonnée. Je viens de toutes mes enfances est un récit surprenant. Bou- leversant même, sans jamais être triste, bien que le malheur y soit omniprésent. Tellement omniprésent qu’à l’école primaire, lorsque le petit Toulousain dut faire une rédaction dans laquelle il fallait décrire un jour où le malheur l’avait frappé, il commença naturellement ainsi : « Le malheur ne nous a jamais frappés, il est plutôt gentil car il nous connaît bien, il est chez nous depuis toujours… » Jacques Salomé, confessions d’enfance © Emmanuel Robert-Espalieu SUITE PAGE 2

Numéro 25 – automne 2009 Henri Gougaud Jacques Salomé ......Jacques, plâtré de la nuque aux ta-lons durant des années, à pénétrer un autre enchantement, celui des livres

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Page 1: Numéro 25 – automne 2009 Henri Gougaud Jacques Salomé ......Jacques, plâtré de la nuque aux ta-lons durant des années, à pénétrer un autre enchantement, celui des livres

Ghassan TuéniPater dolorosusDans ce monde proche-oriental où les vérités sont si dan-gereuses à dire, Ghassan Tuéni est un homme libre. Citoyenet journaliste engagé, il a pourtant payé au prix fort cettepassion de servir la vérité : son fils Gebran, qui marchaitbrillamment sur ses traces, a été odieusement assassinédans un de ces attentats qui ont ensanglanté l’histoire ré-cente du Liban. P. 6

Henri Gougaud

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Numéro 25 – automne 2009

LIRE PAGE 16

Proche-Orient :le nouveau document chocde Charles Enderlin P. 4

Tareq OubrouPenser l’islamoccidental P. 5

Daniel Cohen :une introduction lumineuse(mais inquiète) à l’économie P. 12

Henri Gougaud est unconteur inlassable. Samémoire recèle des trésorsd’humanité venus dumonde entier, ses tiroirsregorgent de la sagesseque les siècles ontaccumulée dans les récitspopulaires. Mais ce qui faitson succès, ce n’est passeulement cette granderichesse, c’est laformidable bonté dont il faitpreuve pour l’offrir, à sontour, à ses lecteurs, et quis’illustre à nouveau aveccet ouvrage, où il a mis aupoint un dispositif d’unegénéreuse ingéniosité.

Ils sont des centaines de milliers, hommeset femmes en mal de relations authen-tiques et vivifiantes avec leurs proches, aavoir été un jour touchés par ses livres, etguéris de ce qui constitue la vraie maladie

du siècle : l’incommunicabilité. Oui, les ouvragesde Jacques Salomé mériteraient presque d’êtreremboursés par la Sécurité sociale, tellement ilsont aidé de personnes blessées à sortir de la dé-pression ou de la misère affective. Or, para-doxalement, ce « jardinier des relations hu-maines », comme il aime à se définir, avaittoujours été très discret sur lui-même. Archéo-logue de nos histoires intimes, il ne s’était jamaisouvert publiquement sur ses origines, sa jeu-nesse, son parcours intellectuel et spirituel. Quecachent donc ce visage perpétuellement jeune,ce sourire éclatant, ce regard malicieux ? Quelsrouages secrets dissimule cette façaded’homme qui a réussi, non seulement matériel-lement, mais humainement ? Le grand commu-nicant et chantre de la confidence ne s’était pasvraiment livré, sinon au travers de quelquesanecdotes personnelles disséminées au gré de la plume, et que son écriture avait l’art de faire disparaî-tre au profit du message universel. Et soudain, voici qu’il ouvre grandes les vannes et nous invite au jar-din secret de son enfance insoupçonnée. Je viens de toutes mes enfances est un récit surprenant. Bou-leversant même, sans jamais être triste, bien que le malheur y soit omniprésent. Tellement omniprésentqu’à l’école primaire, lorsque le petit Toulousain dut faire une rédaction dans laquelle il fallait décrire un jouroù le malheur l’avait frappé, il commença naturellement ainsi : « Le malheur ne nous a jamais frappés, ilest plutôt gentil car il nous connaît bien, il est chez nous depuis toujours… »

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2 L’Homme en Question ■ AUTOMNE 2009

Le site internet des éditions Albin Michela été récemment rénové : à l’adressewww.albin-michel.fr vous pourrez trou-ver toutes informations concernant lesnouveautés de la maison, mais aussi

tous les titres disponibles au catalogue, par auteurs,par titres ou par secteurs : littérature française, lit-térature étrangère, essais et documents, scienceshumaines, spiritualités, psychologie, développe-ment personnel, pratique, beaux-livres, jeunesse…il y en a pour tous les goûts, toutes les bourses,tous les âges. Vous pourrez visionner les inter-views d’auteurs de la rentrée littéraire, ou enregis-trer au format Pdf le présent numéro du journalL’Homme en Question ainsi que les précédents, ouencore vous renseigner sur les ouvrages à paraître.Au secteur Spiritualités est attribuée une page spéciale,directement accessible par l’adresse http://spiritua-lites.albin-michel.fr/, qui est animée par des espacestels que « La pensée du jour » (pour s’enrichir quoti-diennement d’une parole de sagesse), « Les maîtresspirituels » (portrait d’un sage ou d’un mystique), « Ren-contres et signatures » (où sont recensées les inter-ventions de nos auteurs)… Au catalogue de tous lestitres sont associées des biographies d’auteurs qu’aufil du temps nous rendrons de plus en plus élaborées.

Une longue liste de liens vous renvoie en un clic surles sites personnels de nos auteurs, et sur ceux de cen-tres de rencontres spirituelles, instituts de recherches,revues et associations amies. Enfin, un lien est fait avecle blog de votre serviteur, intitulé « Spiritualité et hu-manisme » (et accessible également à l’adresse :http://jeanmouttapa.blog.lemonde.fr/), où sont ras-semblés entre autres mes articles et conférences surle dialogue entre les cultures et les religions.Voici donc venu le temps de la communication élec-tronique dans l’univers des idées et de la spiritua-lité. Mieux : l’électronique devient aussi un supportde lecture à part entière, et de nombreux ouvragesde sciences humaines et de spiritualités d’AlbinMichel, numérisés dans le cadre de la campagnelancée par la Bibliothèque nationale, sont consul-tables sur le site www.gallica.fr. Il est même pos-sible de les télécharger sur le site de la librairie nu-mérique Numilog : www.numilog.com. On le sait,l’internet n’est pas sans poser de multiples ques-tions sociétales que nos hommes et partis politiquesferaient bien de mettre à l’ordre du jour de leurs tra-vaux, mais lorsqu’il est ainsi au service de la re-cherche et de la création, on peut dire que nous vi-vons une époque formidable ! ■

Jean Mouttapa

EN EFFET, JACQUES SALOMÉ A EU UNE

ENFANCE, OSONS LE MOT, MISÉREUSE.Né en 1935 à l’Assistance publiqued’une « fille-mère », comme l’on disaità l’époque, qui ne l’abandonna pas etrefusa ainsi de réitérer le geste de sapropre mère, il grandit dans les bas-fonds de Toulouse, là où « la pau-vreté a une odeur ». La vraie pau-vreté, celle qui autorise l’épicier à voushumilier publiquement parce que « lesSalomé n’ont jamais de quoi payer ».Celle, aussi, qui force les siens à pui-ser au fond d’eux-mêmes un cou-rage, une fierté, une noblesse, tellecelle de sa mère qui, cachant seslarmes, travaillait jour et nuit commefemme de ménage pour que ses en-fants puissent, un jour, « devenirquelqu’un ».Celle, encore, qui nourrit des mélan-colies sourdes et des angoisses tues.Leur premier logement, à sa mère età lui, est un petit appartement avec

quatre fenêtres et une porte vitrée quiferme mal. « Je rêve quelquefois, écritJacques Salomé, encore aujourd’hui,que cette porte sans clé peut laisserentrer n’importe qui et ce risque metient sur le qui-vive, m’agite, me tour-mente. […] Dans ces rêves je cherchefrénétiquement, sans jamais le trouver,le moyen de bloquer la porte, d’em-pêcher l’imprévisible de pénétrer danscet appartement, que je vois avec lesmêmes meubles de mon enfance,mais toujours désert. J’en suis le seulgardien ou habitant. »

MAIS, COMME ON L’A DIT, CE N’EST PAS

LE RÉCIT D’UNE ENFANCE TRISTE. Celle-ci, d’après l’impression qui se dégagedu récit, serait plutôt l’apanage des« enfants sages », ceux qu’on entre-voit tout endimanchés à la messe. Lequotidien des « enfants terribles » quesont Jacques et ses deux comparses,Bébert et Marcel, est au contrairejoyeux et plein de vie, fait de grosmensonges ciselés à la perfection, de

jeux d’eaux, de chamailleries entrefrères, de chahuts dans l’église, devols dans le tronc dédié à saint An-toine de Padoue – puisque, de toutefaçon, cet argent est destiné aux pau-vres, et que les plus pauvres, ce sonteux ! –, d’émois prépubères devant lagravure du sein dénudé de sainteBlandine au martyre, perle iconogra-phique d’un volume bien vite rebap-tisé « La vie des seins »… Il se dégagede ce récit d’enfance dessiné partouches impressionnistes un parfum

de Petit Nicolas, avec cette mêmeénergie de l’enfance baignée ducharme désuet de l’après-guerre.Jusqu’au jour où la maladie tomberacomme un couperet sur ce mondeenchanté, et obligera le jeuneJacques, plâtré de la nuque aux ta-lons durant des années, à pénétrer unautre enchantement, celui des livres.Une réelle grâce d’écriture rend la lec-ture de ce témoignage toujours cap-tivante. Les sentiments que JacquesSalomé nous offre en partage sontles siens, bien sûr, ancrés dans unevie très singulière, mais ils touchent àun fond universel qui nous émeut etnous interroge. ■

Je me souviens de toutesmes enfances…Jacques Salomé320 pages, 19 €■ Du même auteur :Pourquoi est-il si difficiled’être heureux ?240 pages, 16 €

SUITE DE LA PAGE UNE

Éditorial4 ■ Vesko Branev

■ Trois questions à…

Charles Enderlin

5 ■ Profession imâm

■ L’islam au bureau

6 ■ Portrait : Ghassan Tuéni

8 ■ Christianisme

9 ■ Leçons d’humanité

■ La mort, et après ?

■ Agenda

10 ■ La presse en parle…

Odon Vallet

■ L’Abbé Pierre

■ Sœur Emmanuelle

11 ■ La paix en héritage

pour nos enfants

12 ■ Économie

13 ■ Éducation

14 ■ Histoire

15 ■ Orient

16 ■ Henri Gougaud

Sommaire

Page 3: Numéro 25 – automne 2009 Henri Gougaud Jacques Salomé ......Jacques, plâtré de la nuque aux ta-lons durant des années, à pénétrer un autre enchantement, celui des livres

3L’Homme en Question ■ AUTOMNE 2009

Dans l’émerveillementde l’enfance, la na-ture et les objets

prennent la forme des rêves, ilsse prêtent aux jeux de transforma-tions infinies, telle la mie de pain quel’on façonne comme un nouveaujouet. Mais parfois l’âge adulte fait ou-blier la magie. Marie Rouanet nous in-vite ici à la retrouver, intacte, si vi-vante : « Oubliés, donnés, jetés, lestrésors sont dévalués. Jusqu’au jouroù, dans la vitrine d’un musée, dansune brocante, dans un tiroir, noustombons sur un noyau d’abricotcreusé en sifflet, sur un petit per-sonnage en mie de pain. Alors la joiefranchit le temps et réjouit le cœuravec un sourire éclatant. »Ces Trésors d’enfance, c’est une listeespiègle et joviale des perles d’en-fance. De ces émerveillements à fairedes guirlandes de lilas, une spiraled’écorce d’orange, ou à froisser lepapier d’argent d’un chocolat en-robé, pour ensuite le lisser soigneu-sement, à moins qu’on ne l’entor-tille, pour s’en faire une bague. Pours’approprier le monde, l’enfance arecours à toutes ces petites sorcel-

leries, et ici la romancière sorcièreexcelle à nous en redonner le goût.« Une sorcière comme personne,s’exclame même l’écrivain PhilippeDelerm, qui tamise ici dans le limond’enfance des pépites éblouis-santes. » ■

Boîte à souvenirs,boîte à merveillesCURIOSITÉ

Dans l’agitation de la ville, la nou-velle pourtant ne suscite guèred’émotion. Naples vit avec les

miracles et les saints dans une proxi-mité rituelle, et ne s’étonne plus de laprésence de rédempteurs. C’est d’ail-leurs l’un d’eux qui donne son nom auroman : San Gennaro (saint Janvier),dont le sang se liquéfie miraculeuse-ment lors des fêtes que les Napolitainslui consacrent.

LE ROMANCIER SÁNDOR MÁRAI EX-CELLE UNE FOIS de plus à orchestrerles faux-semblants et faire se mou-voir ses personnages dans un halode mystère. L’étranger, on ne connaîtpas son nom, c’est une ombre quipasse. Un jour, il est retrouvé mort aupied d’une falaise. Accident ou sui-cide ? L’enquête qui suit, faite deshypothèses de chacun sur cet évé-nement, est un kaléidoscope fasci-nant. Qui était-il, cet étranger ? Unréfugié au statut instable et fragile ?Un fou ? Un homme qui attirait à luiles autres, leurs confidences et leurs

espérances ? Un saint qui voulaitsauver le monde ? Dans ce romanaiguisé, les différents portraits sereflètent et s’éclairent mutuellement.Portrait de cet homme, de Naples,de ses habitants, de ses étrangers, etde l’auteur lui-même, qui dévoile icitout autant les tourments de son exilque les motifs de son écriture. ■

Naples et ses saints,Márai et ses doubles

ROMAN

Dans un Naples fourmillant, une nouvelle se répand. Un étranger

est arrivé il y a peu dans le quartier du Pausilippe, ce serait

un sauveur, un saint venu apporter avec lui un message divin.

L’hymne aux nuits sans sommeilNOCTURNE

Un coquelicot n’est pas un coquelicot.

Un osselet n’est pas un osselet.

La philosophe et romancière

Catherine Clément a exploré

de nombreux continents. Ceux

de la mémoire, de la littérature,

de la pensée structuraliste, de

l’Inde. Et ses découvertes sont

toujours riches.

Dans ces pérégrinations,

il est une terre qu’elle n’a pas

quittée, c’est celle de la nuit.

Catherine Clément aime vivre lanuit, terre de sa créativité, de seslectures, de ses angoisses, et de

ses joies. Son vibrant éloge fait appelà toutes les références littéraires, his-toriques, scientifiques et mytholo-giques, anciennes ou modernes, quipeuvent nourrir sa riche méditation.

ELLE S’ADRESSE À LA NUIT COMME À UNE

AMIE FAMILIÈRE, une compagne douceet terrible à la fois, un espace-tempsoù coexistent la lumière et l’obscurité

et les infinis labyrinthes de l’âme. Lanuit est son diamant noir, dont elle ex-plore ici toutes les facettes. Tout le ta-lent de Catherine Clément pour dire lemonde trouve sa vraie mesure – et sadémesure – dans ce texte horsnormes, vrai bijou ciselé avec amour. ■

Éloge de la nuitCatherine Clément168 pages, 14 €

Sándor MáraiLe Miracle de San Gennaro400 pages, 20,90 €

Trésors d’enfanceMarie Rouanet176 pages, 12,90 €

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4 L’Homme en Question ■ AUTOMNE 2009

Vivre la vied’un autre

TÉMOIGNAGE

Charles EnderlinDans un nouveau document choc, Charles Enderlin, correspondant permanent de France 2à Jérusalem, établit les responsabilités d’Israël et des États-Unis dans l’ascension de l’islamradical au Proche-Orient. Des sources inédites et exceptionnelles.

Pourquoi faut-il remonter à la guerrede Six Jours pour comprendre le« grand aveuglement » israélien ?C’est le grand tournant dansl’histoire de la région. Lévi Eshkol,Premier ministre en 1967, avaitdéclaré : « Nous avons une belledote en territoires mais nousn’aimons pas la mariée. » Lesgouvernements israélienssuccessifs se sont laissé aveuglerpar la possibilité d’annexer desterritoires et n’ont pas réalisé que,ce faisant, ils entraient dans uneunion contre nature avec le peuplepalestinien. La conquête deJérusalem-Est avec le Haram al-Charif – le troisième lieu saint del’islam et aussi le mont du Templedu judaïsme – marque l’essor dumouvement messianique en Israëlet de l’islam radical chez lesPalestiniens. Progressivement, leconflit est devenu religieux. De cepoint de vue, la guerre de Six joursaura eu des conséquencescatastrophiques pour leProche-Orient.

À vous lire, on est frappé parle manque de préparation desgouvernements israéliens successifset des services de renseignement àprendre la mesure de la montée de

l’islam radical dans la région. Quelleest la part d’aveuglement, quelle estla part de double jeu des autorités ?Jusqu’à la découverte d’une cached’armes dans le jardin du cheikhAhmed Yassine, en 1984, sonassociation, ancêtre du Hamas,n’était pas dans le collimateur desservices israéliens, qui agissaientselon le principe : « Cela ne tire passur nous, donc cela ne nousintéresse pas. » Seuls quelquesrares responsables avaient, mais envain, tiré la sonnette d’alarme.À l’exception de deux ou troisuniversitaires, personne nes’intéressait aux écrits des Frèresmusulmans. Les sermons dans lesmosquées de Gaza n’étaient traduitsque très rarement et, en général,même pas analysés. Avant ledéclenchement de la premièreintifada, en décembre 1987, et unmois avant la création du Hamas,des experts israéliens ont mêmerédigé un rapport interne concluantque les islamistes n’étaient pasdangereux. Hommes politiques etexperts militaires ont toujours eu dumal à comprendre le radicalismereligieux. Les renseignementsmilitaires israéliens n’ont créé undépartement consacré à l’analysedu Djihad global qu’après le11 septembre 2001.Lorsqu’il est arrivé au pouvoir en2001, Ariel Sharon savait, lui, de quoiil retournait. Premier ministre, il a

pris trois décisions fondamentales,qui ont changé l’équation du conflit.Affaiblir Yasser Arafat et sonAutorité autonome, ce qui aautomatiquement renforcé lesennemis du Fatah et de l’OLP. Il adécidé, par ailleurs, l’évacuation deGaza, en dépit des avertissementsde ses experts qui craignaient laprise de contrôle du territoire par lesislamistes. Enfin, Sharon etl’administration Bush ont autorisé laparticipation du Hamas aux électionslégislatives palestiniennes. Cela,contre l’avis des renseignementsmilitaires, qui prévoyaient la victoiredes candidats du Hamas. DovWeisglass, le conseiller de Sharon,a expliqué que le retrait était destinéà geler le processus de paix…

Vous avez bénéficié, pour écrirece livre, de sources exceptionnelles,de témoignages de hauts cadresde l’armée, de responsablesdes services de renseignement,et vous produisez des documentsspectaculaires et inédits.Pourquoi les languesse délient-elles aujourd’hui ?Afin que la vérité sorte enfin. C’estune histoire qui leur tient à cœur etqui n’a jamais été racontée. Ils sonten colère, frustrés de ne pas avoirété entendus à l’époque par leschefs de l’armée et par lesgouvernements successifs. Poureux, il était important que jecomprenne bien la chaîne desévénements, des décisions, deserreurs et des fautes politiques quiont conduit au renforcement de laMoujama al-Islami, puis à lacréation du Hamas. Certainsvoulaient également démentir larumeur qui circule en Israël selonlaquelle Tsahal aurait créé leHamas ; c’est faux. En fait, lesdirigeants israéliens ont toutsimplement laissé faire… ■

Le Grand AveuglementCharles Enderlin384 pages, 20,90 €

Trois questions à ■ ■ ■

À la manière du héros du film

La Vie des autres, Vesko

Branev a découvert l’épais

dossier que la Stasi avait

constitué sur lui : des

centaines de rapports d’une

minutie absurde qui témoignent

d’une surveillance totale, et

l’amènent ici à relire sa vie.

Berlin, 1957. Le Mur ne divise pasencore les deux parties de laville. Vesko Bra-

nev, étudiant bulgare, estvenu à Berlin Est étudierle cinéma pour réaliser lerêve de sa vie : devenircinéaste. Le soir, il va àBerlin Ouest, où il s’enivrede liberté. Un jour, il estapproché par un agentdu KGB qui lui demande d’espionnerau profit de l’URSS. Pris de panique,il fuit à l’Ouest, où il est rattrapé par laStasi, rapatrié à Sofia et emprisonnédurant quelques semaines. Après salibération, il reprend une vie « normale ».En apparence seulement : il estdésormais l’objet d’une surveillanceconstante.

DANS CETTE AUTOBIOGRAPHIE SCRUPU-LEUSE d’une vie ordinaire sous le ré-gime communiste, c’est finalement lerécit de la destruction de l’intimité d’unhomme qui nous est livré. Comme lesouligne dans une admirable préfacele philosophe Tzvetan Todorov : « Il aété dépossédé de la vie qu’il voulaitmener, il a dû se contenter à la placed’un simulacre. » Car la peur s’infiltreau quotidien, empêche toute sincé-rité même dans les contacts les plusprivés et, il réalisera finalement que cesystème totalitaire l’a amené à ne vivreque la vie d’un autre. ■

L’Homme surveilléVesko Branev448 pages, 22,50 €

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5L’Homme en Question ■ AUTOMNE 2009

Quand vous êtes de plus,comme l’est Tareq Oubrou,un lecteur assidu de Foucault

et de Derrida, passionné de physiquequantique, vous êtes vite considérécomme définitivement inclassable,donc suspect. Dépositaire de la doc-trine musulmane traditionnelle, aussibien en matière de foi que de pra-tique, il est sous les feux croisés desintellectuels « éclairés », qui lui re-prochent son inscription dans le lé-galisme, et d’autre part des préten-dus salafistes, qui réprouvent sarigueur intellectuelle, signe à leursyeux de compromission.

ENVERS ET CONTRE TOUS, TareqOu-brou a fait ce pari impossible, auquelil consacre toute sa vie : défendre unislam ancré dans la réalité du mondemoderne et du quotidien descroyants, plutôt que de prêcher unislam « réformé » mais sans croyantsou un islam fantasmé des premierstemps, qui désocialise et renferme surune communauté imaginaire, commele revendiquent les wahhabites. Il éla-bore depuis de longues années cequ’il appelle une « sharia de mino-rité » : un islam fondé dans la traditioncanonique musulmane, qui s’occupede permis et d’interdit mais – c’est

essentiel – pas exclusivement, et sur-tout qui s’exprime en fonction de laréalité de la communauté musulmanefrançaise, car elle vit dans une Répu-blique démocratique, laïque, toléranteet plurielle. La sharia, sans renoncer àelle-même, doit le prendre en compte.Dans Profession imâm, Tareq Oubrous’exprime librement sur cette ques-tion, comme sur tous les sujets qui in-terpellent, tels que le voile. Il apportedes réponses tranchées qui témoi-gnent d’une évolution de son discoursdepuis son précédent ouvrage. Ildresse un bilan sans angélisme del’évolution de l’islam en France depuis

Heureux comme un imâm en France ?ISLAM

Être imâm dans la France d’aujourd’hui n’est pas une sinécure. D’un côté, les médias vous tiennent

pour le porte-parole de l’islam – voire de l’islamisme – mondial, vous sommant de donner votre avis

sur les Talibans ou Ahmadinejad, sans jamais vouloir vous écouter parler de l’islam français. De

l’autre, les fidèles musulmans vous demandent de jouer les infirmiers, les psychologues, les juges

de paix – mais ne vous avisez pas de leur demander un salaire décent.

Posez la question à des collègues,à des dirigeants de société, à desdirecteurs des ressources hu-

maines : vous obtiendrez des réponsesvagues et contradictoires, oscillantentre l’intransigeance la plus affirmée –

au nom de la souveraine laïcité – et lelaisser-faire le plus total – par peur d’êtreaccusé de discrimination. Paradoxale-ment, alors que la question de la visi-bilité des pratiques et des identités re-ligieuses revient régulièrement, depuis

près de trente ans, sur le devant de lascène médiatique et politique, le plusgrand flou règne dans les esprits sur sesconséquences concrètes au quotidiendès lors que l’on sort de la sphère del’État. Car les entreprises, elles, ne sontpas soumises au principe de neutralité.

POUR NOUS AIDER À Y VOIR CLAIR,Dounia et Lylia Bouzar ont mené unevaste enquête de terrain, afin de mesurerl’éventail des pratiques et des pro-blèmes. Elles confrontent la réalité avecles normes juridiques ainsi que les re-commandations de la Halde (Haute Au-torité de Lutte contre les Discriminationset pour l’Égalité). Ce faisant, elles met-tent en lumière plusieurs phénomènessignificatifs. Tout d’abord, entreprisescomme salariés maîtrisent peu les limitesde leurs droits et obligations. Ensuite, lessituations qui débouchent sur desconflits sont plus souvent dues à des

problèmes relationnels globaux qu’à desquestions de pure pratique religieuse.Les auteurs expliquent que ce n’est pasle religieux en tant que religieux qu’ilconvient de prendre en compte – unebarbe « sacrée » n’est ni plus ni moinsacceptable qu’une barbe « profane »–, mais des critères objectifs liés aumonde du travail : hygiène, sécurité, or-ganisation, aptitudes… En dépassion-nant le débat, les auteurs nous four-nissent un outil précieux pour faire faceà ces questions sensibles. ■

L’islam en entreprisesENQUÊTE

Peut-on porter un voile ou exiger de la nourriture halâl, voire un local de prières, sur son lieu de

travail ? La réponse est évidemment négative s’il s’agit d’un établissement public, tout le monde

est au courant, mais… s’il s’agit d’une entreprise privée ?

Profession imâmTareq OubrouEntretiens avec C. Baylocqet M. Privot256 pages, 16 €

Allah a-t-il sa placedans l’entreprise ?Dounia et Lylia Bouzar224 pages, 15 €

trente ans, discute des mérites com-parés des approches française etanglo-saxonne en matière gestion dureligieux, et dessine des perspectivesd’avenir. ■

Page 6: Numéro 25 – automne 2009 Henri Gougaud Jacques Salomé ......Jacques, plâtré de la nuque aux ta-lons durant des années, à pénétrer un autre enchantement, celui des livres

Au soir d’une vie faite d’amours et de combats multiples dans un Liban depuis silongtemps martyrisé et déchiré, un grand homme de presse a choisi de parler. Nonpour dévoiler les dessous d’une histoire politique dont il fut pourtant l’un desacteurs majeurs, mais pour mettre son cœur à nu. Le cœur de Ghassan Tuéni, déjàrecru de deuils, a été définitivement terrassé par le dernier, celui de son fils Gebranassassiné en 2005. Seule la foi lui a permis de survivre, dans l’unique but de prônerpartout la fin de la haine et le pardon.

Pater dolorosus

6

Manifestationde protestationdes journalistes,place desMartyrs, aprèsl’assassinatde Samir Kassir(2005).

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14décembre 2005 : une immensefoule en pleurs, écartelée entre ledécouragement et la colère, aenvahi l’espace qui sépare laChambre des députés de Bey-routh et la cathédrale Saint-Georges qui se trouve juste en

face. Le député grec orthodoxe Gebran Tuéni, qui avaitrepris le flambeau paternel pour un Liban libre à la têtedu journal An Nahar, a été assassiné la veille avec deuxde ses compagnons, dans un attentat à la voiture piégée.Étant donné la méthode employée, la coutume funérairene pourra être appliquée, qui veut qu’avant d’enterrer ledéfunt on ouvre une dernière fois son cercueil et que leplus proche parent jette une poignée de terre sur son vi-sage. Ici, il n’y a plus de visage, il n’y a plus à proprementparler de corps. « Tout cela est absolument barbare », écritdouloureusement Ghassan en retraçant le récit de ce jourqui l’a terrassé. « Me voilà maintenant auprès du corpsde mon fils et je m’avise soudain, devant cette immenseassemblée amplifiée par les retransmissions télévisées,que je dois dire quelque chose… Je reste là quelques ins-tants, désorienté, impuissant, sans ressources. Puis je meretourne pour prendre la parole, ou plutôt pour la don-ner car je ne sais pas encore ce qui va sortir de mes lè-vres et je dis, d’une voix très basse et contre toute attente,que je n’appelle pas à la revanche, une revanche dont jen’ai pas les moyens, d’ailleurs, et à laquelle je ne crois pas.Je demande justice, évidemment, mais je demande aussipardon : “Enterrons les haines et les rancœurs”. Etj’ajoute que j’espère que cet assassinat sera le dernier dela série et que le Liban trouvera le chemin de la paix. J’aienvie de crier “Assez de sang !” Mais je ne pense pasl’avoir fait. La foule, elle, manifestement, l’a entendu. »

AINSI BASCULE, À QUATRE-VINGTS ANS, LA VIE DE GHASSAN

TUÉNI, considéré partout comme le patriarche de lapresse libanaise et arabe, ancien ministre et ancien dé-puté (qui a repris aujourd’hui le mandat de son fils), an-cien recteur d’université, celui qui avait fait adopter par leConseil de sécurité, lorsqu’il était ambassadeur du Libanauprès de l’ONU, la résolution 425 répondant à l’invasiond’Israël au Sud-Liban, celui qui s’était alors écrié face aumonde « Laissez vivre mon peuple ! »… et dont, au-jourd’hui, on n’a pas laissé vivre le fils bien-aimé. Toute savie, il n’aura cessé de lutter pour la paix civile et l’indé-

pendance de son pays, pour qu’il ne soit pas le perpé-tuel otage des volontés de puissance syrienne, israélienneet autres, pour qu’il ne soit plus ravagé régulièrement parce qu’il appelle des « guerres pour les autres ». Et voilàque cet homme politique réputé inflexible s’incline devantl’homme de foi qui l’habite, et qu’il se met à prôner le par-don. Pardon que certains ne lui pardonnent pas, car onconnaît les coupables, qui avaient déjà frappé un édito-rialiste d’An Nahar, et aussi l’ancien secrétaire général duparti communiste, et le ministre de la défense, et tantd’autres esprits libres. Ghassan Tuéni reconnaît le ca-ractère déroutant pour ses amis d’une telle attitude, il n’in-nocente pas la Syrie, mais c’est ainsi, la mort de son filsl’a éloigné à jamais de tout désir de vengeance.Elle l’a aussi poussé à écrire ce livre bouleversant d’hu-manité, où il est question de guerres, bien sûr, maisaussi de foi, d’art et de poésie, d’amour (conjugal, filial,paternel), et surtout de dialogue entre les cultures et lesreligions : en confessant « un seul Dieu dans plusieursmaisons », Ghassan Tuéni dit encore l’essentiel du Liban,ce pays aux dix-huit familles spirituelles. ■

« Laissez vivre mon peuple ! »

J’ai découvertl’année dernièreau Qatar, lors

de l’inauguration du muséed’art islamique de Dohaet de l’exposition quil’accompagnait, consacréeau dialogue des cultures,une œuvre singulière.

Il s’agit d’une Madone peintepar Gentile da Fabriano,un artiste italien duQuattrocento […] La Vierge,chose à peine croyable,portait sur ses vêtementsdes écritures coraniques […].La Madone de Fabriano n’apas été canonisée et sans

doute ne peut-elle entrerdans la famille des icônes.Sauf si sa redécouverte parle biais de cette expositionau Qatar permettaitdésormais de faire convergervers elle nos prières enfaveur d’une convivenceuniverselle. Je l’ai comparée

longuement aux icônesde la Vierge que je possèdeou à celles qui sont le plusconnues, commela Shaghoura, à Saydnaya.Dans toute l’histoiredes icônes, soumisesà d’importantes contraintesesthétiques par l’Église

orthodoxe, il existeseulement onze manièresde représenter la Vierge.La Vierge de Gentile daFabriano pourrait constituerune douzièmefiguration. ■

Ghassan Tuéni

La Madone du dialogue et du pardon

Enterrer la haineet la vengeanceGhassan Tuéni192 pages, 19 €

7L’Homme en Question ■ AUTOMNE 2009

Ghassan Tuéni en 1978, plaidant la cause du Liban aux Nations unies après l’invasion israélienne.

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8 L’Homme en Question ■ AUTOMNE 2009

S’ouvrir à la compassionSous la direction de Lytta BassetAvec : Carmen Burkhalter,Thierry Collaud, Michel-MaximeEgger, Marc Raphaël Guedj,Luciano Manicardi et Hervé Ott.192 pages, 6,50 €■ Du même auteur :La Joie imprenable624 pages, 12 €Ce lien qui ne meurt jamais224 pages, 16 €

« Je ne suis pas venu apporterla paix… »Maurice Bellet238 pages, 15 €

La compassion selonLytta Basset et ses amisÉTHIQUE

La compassion est-elle dépassée ? Dans notre imaginaire,

ce mot évoque parfois l’image désuète de la morale

bourgeoise qui se donne bonne conscience en soulageant

les pauvres tout en les maintenant dans leur condition.

En cela, elle semble s’opposerà l’idéal de justice sociale.Peut-on comprendre autre-

ment la compassion, valeur cardi-nale de bien des religions ? Enquoi se différencie-t-elle de l’amouret de la charité ? Comment ne pasla confondre avec cette empathiepassive pour le malheur du monde,qui s’étale chaque jour sur nosécrans de télévision, sans nous

Cette violenceabsolue qui nous guetteTHÉOLOGIE

Après le succès de Dieu, per-sonne ne l’a jamais vu, MauriceBellet reprend une nouvelle fois

en guise de titre une phrase paradoxaledu Nouveau Testament : en l’occur-rence, celle de Jésus, peu souventcitée, annonçant qu’il n’est pas venuapporter au monde le confort d’une« paix » conçue comme tranquillité,mais qu’au contraire son passagesur terre sera comme une « épée »,tranchant le nœud intérieur del’homme au prix d’un ébranlement fon-damental. Jésus, en effet, ne cherchepas tant à moraliser l’humanité qu’à

la transfigurer. Il s’oppose évidemmentaux violences ordinaires des hommes,et il en sera lui-même la victime. Maislà n’est pas l’essentiel aux yeux deMaurice Bellet : le Christ s’attaqueavant tout au noyau dur du nihilismequi œuvre en l’homme, ce qu’ilnomme la « violence absolue ».

ON PENSE ÉVIDEMMENT AUX TOTALI-TARISMES DU XXE SIÈCLE, qui ont atteintun degré d’horreur jusque là in-connu. Mais il faut aller plus loin, etreconnaître la violence absolue danstous ces pouvoirs qui se présententcomme travaillant au bien del’homme, qui arrivent à convaincrepar des discours de leur irréfutablebien-fondé du point de vue moral…et qui demeurent au fond des pou-voirs de destruction de l’humanité enl’homme. Telle fut l’Inquisition, qui tor-turait « pour le bien » de l’Église,celui des peuples, et même celui desvictimes ! Tels sont peut-être au-jourd’hui nos systèmes où la tech-nologie, théoriquement au servicede l’homme, de sa santé, de son

information, de sa mobilité, de sasécurité, etc., en arrivera bientôt àprendre totalement possession de savolonté. Comme toujours, Il nous meten garde contre la déshumanisationde l’homme, seule question qui luiimporte, au-delà de tout engagementproprement religieux – au contraireen montrant comment la religion a pudevenir elle-même violence absolueà travers ce qu’il avait appelé jadis le« dieu pervers ». ■

ouvrir pour autant les yeux sur la dé-tresse de nos voisins ? C’est pourrépondre à ces questions que lathéologienne protestante Lytta Bas-set a réuni des penseurs chrétiens,mais aussi juifs et bouddhistes.Elle nous invite ainsi à découvrir unecompassion non pas innée, maisacquise de haute lutte ; non paspassive, mais active et, pour toutdire, militante. ■

La prière,perle secrètedes chartreuxNathalie Nabert, doyen honoraire de lafaculté des lettres de l’Institutcatholique de Paris et fondatrice duCentre de recherches et d’études despiritualité cartusienne, nous offre ici un

trésor : uneanthologie de laprière pratiquée parl’ordre le plus discretqui soit, celui desChartreux. Murmuréedepuis des sièclesdans le secret dusilence et de lacellule, cette prière

est un don rare et précieux qui nousremet, à chaque instant de notre vie,face à Dieu, face à nous-mêmes,à la fidélité, à l’amour, à la confiance,à l’espérance.

Cent prières de chartreuxNathalie Nabert224 pages, 6,50 €

■ Trop tôt disparue, la romancièreChristiane Singer laisse derrière elle uneœuvre qui touche directement à l’âme.Trois de ses plus beaux textes sont cethiver réunis en coffret : Les Âges de lavie, sur la beauté de chaque étape de

l’existence ; Histoired’âme, récitinitiatique d’unefemme en quêted’elle-même ; et Unepassion : entre ciel etchair, sur l’amour foud’Héloïse pourAbélard.3 volumes, 20,50 €

■ À noter également la parution ducoffret Le Cycle de l’invisible quirassemble Milarepa, Monsieur Ibrahim etles fleurs du Coran, Oscar et la dame enrose, L’Enfant de Noé et Le sumo qui ne

pouvait pas grossir,histoires à la foissimples et profondes

où Éric-EmmanuelSchmitt tente de nous

faire toucher dudoigt la possibilitéd’un « ciel ».5 volumes, env. 50 €

COFFRETS

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9L’Homme en Question ■ AUTOMNE 2009

Agenda ■ ■ ■

Sujata Bajaj exposerases peintures récentesdu 3 décembre 2009au 30 janvier 2010.

■ Galerie Patrice Trigano4 bis, rue des Beaux-Arts75006 ParisTél. +33 (0)1 46 34 15 01Du mardi au samedi de 10 h à 13 het de 14 h 30 à 18 h 30

Fabienne Verdier exposerases nouvelles œuvresdu 23 octobre 2009au 9 janvier 2010.L’artiste sera présentele 7 novembre (après-midi).

■ Galerie Jaeger Bucher5 et 7, rue de Saintonge75003 ParisTél. +33 (0)1 42 72 60 42Du mardi au samedide 11 h 00 à 19 h 00

OCT. - JANV. 2010, PARIS

DÉC. - JANV. 2010, PARIS

Dans un volume au format semi-poche enfin réédité, Jean-YvesLeloup, prêtre orthodoxe, pré-

sente trois textes traditionnels et fon-damentaux illustrant l’art de mourirdans de grandes civilisations de l’hu-manité : Le Bardo-Thödol tibétain,l’Ars moriendi chrétien et le Livre desmorts égyptien.

DE SON CÔTÉ, LE MOINE BÉNÉDICTIN

ALLEMAND ANSELM GRÜN rappelleque la vie, la mort et la résurrectionsont indissociables. Faisant l’apolo-gie de l’espérance, l’auteur de L’Artde bien vieillir montre que laconscience de la fin est ce qui nousinvite à mettre à profit le temps quinous est imparti.Pourtant, si la mort est proche denous, la peur nous saisit dès quenous sommes confrontés directe-ment à un décès. Mais toute fuiteest illusoire. « La mort est une belleoccasion de se regarder dans lesyeux », écrit quant à lui StéphaneAllix dans un livre retraçant ce qui aété pour lui un véritable voyage ini-tiatique. Profondément bouleversépar la mort de son jeune frère, iln’aura de cesse de parcourir le

monde pour interroger des maîtresspirituels, tels le dalaï-lama et le kar-mapa à Dharamsala, des scienti-fiques et des médecins – qui appor-tent des indications précieuses surles Expériences de mort imminente(EMI) –, en passant par des médiumset chamanes amazoniens auprès dequi il fait lui-même des expérienceslimites. ■

La mort, et après ?…en trois livresAU-DELÀ

Nous savons que nous allons mourir et c’est ce qui nous rend

proprement humains. Notre finitude est ce que nous avons

irrémédiablement en commun mais nous avons des façons

très diverses de l’appréhender.

Se réconcilier avec la mortAnselm Grün176 pages, 13 €Les Livres des mortsJean-Yves Leloup512 pages, 15 €La mort n’est pasune terre étrangèreStéphane Allix304 pages, 21,50 €

C’est au cœur de l’expérience dechacun des auteurs et de leurexpertise que cet ouvrage poly-

phonique vient puiser des réponses.

FRAGILE, comme le remarque d’embléela psychanalyste Marie Balmary, c’estce qui est indiqué sur les cartons deverres : cela signale un danger, il fautfaire attention, ça peut casser. À manieravec précaution. Comme nous. Carchacun de nous se trouve fragile à unmoment de sa vie, qu’il s’agisse d’unepetite fêlure qui apparaît dans la cara-pace que l’on croyait pourtant bien so-lide, ou d’une grave rupture qui semblefaire tout voler en éclats, d’un dangerface auquel l’intégrité de l’être se trouvemenacée. La fragilité, c’est même unedes choses qui définit l’être humain. Lebébé qui vient de naître est, de tous lesautres mammifères, le plus fragile :c’est qu’il doit apprendre à seconstruire, à se solidifier, avec l’aide deses parents, des autres.

LES AUTRES, JUSTEMENT. À lire ce livre,il semble bien que ce soit la manièredont on peut ou non s’ouvrir à l’au-tre qui va déterminer ce que serapour nous la fragilité : une faiblesseou une richesse. Et les témoignagessont ici poignants. Ainsi celui de JeanVanier, fondateur de l’Arche, cetteassociation qui a permis de changerradicalement le regard sur les en-fants souffrant de handicap physiqueou mental, en les incluant dans unecommunauté, plutôt que de les lais-ser à leur solitude. Jean Vanier dit lalumière qui jaillit de cette relation avecle plus faible dès lors qu’on le re-garde comme une personne. XavierEmmanuelli, fondateur du Samu

social, montre très bien que, mêmedans l’extrême fragilisation, celle de lagrande pauvreté et de la grande dé-tresse, doivent subsister des sym-boles pour que l’humanité ressus-cite. Comme en écho à cette parole,la théologienne Lytta Basset revientsur la fragilisation qu’elle a elle-mêmetraversé lors du deuil de son enfant,et soutient cette conviction que, dufond de l’abîme, ce sont les autresqui l’ont ressuscitée : ils lui ont donnéà voir, par leurs gestes, une pro-messe de solidité.

AU FOND, LA FRAGILITÉ APPELLE

L’ATTENTION, LA DÉLICATESSE, LA

PRUDENCE : tel est le sens de cettealerte que l’on imprime sur les car-tons de verres. Attention, fragile,nous ne sommes que des êtres hu-mains. L’humanité renferme, pourpeu qu’elle accepte cette vertu d’at-tention, des trésors de délicatesse.Très solides. ■

Avons-nous encorele droit d’être Fragiles ?

SOCIÉTÉ

Les temps de crise ont sans doute cette vertu qu’ils posent

avec insistance certaines questions cruciales.

La fragilité en est une : fragilité des exclus, des handicapés,

des endeuillés… fragilités multiples de chacun de nous

qui sont abordés dans un passionnant livre collectif.

La fragilité, faiblesse ou richesse ?Sous la direction de Bernard Ugeux224 pages, 12 €

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10 L’Homme en Question ■ AUTOMNE 2009

La presseen parle ■ ■ ■

Les Enfants du miracleOdon Vallet160 pages, 14 €

fisance et le mépris de l’autre pous-sés jusqu’à l’absurdité. Scandalede la vie bafouée, du gaspillage, del’indifférence aux vieillards et auxpauvres, aux affamés, aux sans-tra-vail, aux exclus de toutes sortes…Tout cela est notre responsabilité etnotre problème, pas ceux de Dieu. »

CETTE PAROLE EST UNE DES PERLES

DE SAGESSE rassemblées dans lebeau recueil d’Albine Novarino, Pré-ceptes de vie de l’Abbé Pierre, àparaître en novembre. Ce volumeforme le complément idéal au livrede Pierre Lunel, l’ami et le confi-dent, et Laurent Desmard, le se-crétaire particulier : Il nous a tantaimés. Les dernières années del’Abbé Pierre racontées par sesintimes. Il paraît en même tempsque le livre du photographe ClaudeIverné écrit avec le même PierreLunel : Quelques pas avec l’AbbéPierre, recueil d’instants ordinairesqui tente de présenter un visagemoins connu de l’icône, dans sescirconstances les plus banales,voire intimes, de celui qui se disaitégal et tout aussi mortel que sesfrères humains. Ce livre et cet

album très émouvants et pudiquesnous font partager les derniersinstants du fondateur du mouve-ment d’Emmaüs, dont on célèbrecette année le soixantième anni-versaire. ■

Roland Barthes, en 1967, disaitde son visage qu’il « présenteclairement tous les signes de

l’apostolat : le regard bon, la coupefranciscaine, la barbe missionnaire,tout cela complété par la cana-dienne du prêtre-ouvrier et la cannedu pèlerin. Ainsi sont réunis leschiffres de la légende et ceux de lamodernité ».

SON DÉVOUEMENT SANS BORNES EN-VERS LES DÉMUNIS de plus en plusnombreux, sa parole libre voire ico-noclaste à propos de la nécessaireréforme de l’Église (sur l’ordinationde prêtres mariés, sur l’homopa-rentalité…) faisaient de lui le hérautsans relâche des idéaux de la Ré-sistance et du christianisme social.Il avait le don de parler de Dieu sanscatéchisme, de faire de la foi le sup-port universel d’un message desolidarité qui nous oblige tous,croyants ou non. À la question dumal comme objection à la foi, il ré-pondait ainsi :« Le mal, à mes yeux, c’est engrande partie de croire orgueilleu-sement qu’on se suffit à soi-même.C’est le sentiment de sa propre suf-

L’Abbé Pierre,un destin au service des autresENGAGEMENT

RÉCIT DE VIE

L’Abbé Pierre a incarné, dès la Résistance, une certaine idée de la France dans ses idéaux

les plus nobles. Les Français ne s’y trompaient pas, qui l’élisaient, année après année,

leur « personnalité préférée ».

Préceptes de viede l’Abbé PierreAlbine Novarino304 pages, 9 €

Quelques pasavec l’Abbé PierreClaude Iverné et Pierre Lunel144 pages, 21,90 €

Il nous a tant aimésPierre Lunelet Laurent Desmard240 pages, 15 €

Comment devient-on

sœur Emmanuelle ?

Suffit-il de voir son père

se noyer sous ses yeux

quand on n’a que six ans,

de connaître les affres

de la typhoïde

dans l’Istanbul

de l’entre-deux-guerres,

pour développer

cette sensibilité

extraordinaire

à la fragilité humaine ?

■ Dans un monde où le viceprospère, tout d’un coupapparaît un enseignantqui a une fortune colossale etqui ne fait que la donner.

Radio classiqueGuillaume Durand

■ Odon Vallet est un hommeengagé. Dans son livreLes Enfants du miracle sesuccèdent des portraits fortvivants de tout ceux qui ont vuleur destin basculer parla généreuse mutualisationd’un héritage et qui s’ensouviendront peut-êtredans l’exercice de leurs viesprofessionnelles.

Le MondeChristian Bonrepaux

■ Un livre qui « collectionneles histoires de réussitesformidables, de la misère“aux bancs des grandesécoles” ».

Le ParisienVincent Mongaillard

■ Une série de portraitsdes plus belles réussitesdepuis dix ans.

France InfoNicolas Poincaré

■ Un grand défenseurdu service public.

RMC InfoJean-Jacques Bourdin

■ Une fortune au servicede l’éducation.

La CroixOlivier Tallès

■ Un homme de cœuret de raison. France 3

Laurent Bignolas

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11L’Homme en Question ■ AUTOMNE 2009

celle qui était née Madeleine Cinquinune authentique amie spirituelle.Le fatum de ce bas monde aurait eneffet dû mener notre Bruxelloise denaissance vers une autre vie. Élevéedans une famille fort aisée, elle auraitpu exprimer sa charité chrétienned’une manière bien ordonnée, bour-geoise, sans abolir la distance qui laséparait des pauvres. Même aprèsavoir prononcé ses vœux en 1931, ausein de la congrégation Notre-Dame-de-Sion, elle aurait pu se contenterd’enseigner les lettres et la philosophieaux jeunes filles fortunées des lycéescatholiques d’Istanbul, de Tunis oud’Alexandrie. C’est d’ailleurs ce qu’ellefit jusqu’en 1971 : près de quaranteannées où elle se trouve dans un

Suffit-il d’avoir été frappée, petite,par l’image de l’enfant Jésusdans sa crèche de fortune, parmi

la paille, entre un âne et un bœuf, pourdésirer si intensément vouloir partagerle sort des pauvres ? Ou faut-il être re-lié, comme malgré soi, à une source su-périeure, un réservoir infini de bonté etd’énergie capable de vaincre tous lesobstacles, relation mystérieuse quel’on nommait jadis… la grâce ?

LA GRÂCE, OUI, c’est ce que l’on res-sent à la lecture de ce beau portrait :Sœur Emmanuelle, la chiffonnière duciel, coécrit par l’avocat Gilbert Col-lard, que l’on découvre pleinementengagé dans cette cause, et sœurSara, religieuse copte qui fut pour

les portes de ce monde qu’elle désiraittant rejoindre. L’aventure commençaitenfin… Elle nous est ici retracée, àl’occasion du premier anniversaire desa disparition. ■

Inoubliable chiffonnière du ciel

La paix en héritage pour nos enfantsHUMANITÉ

Sœur Emmanuelle,la chiffonnière du cielSœur Sara et Gilbert Collard224 pages, 7,50 €

Préceptes de paixdes Prix NobelBernard Baudouin224 pages, 7,50 €

Petits d’hommesPhotographiesde Pierre-Jean ReyPréface de JacquesHintzy, présidentde l’Unicef224 pages, env. 29 €

milieu si peu sensible à la pauvreté, cequi la mène parfois à la dépression.

C’EST DONC À SOIXANTE-TROIS ANS

qu’elle parvient enfin à s’arracher à cedestin et à partir vivre aux côtés despauvres. Mais, là encore, les résis-tances sont fortes. Même pour parta-ger le quotidien des lépreux, il fautl’assentiment tatillon des puissants :ministres, commissaires et autres bu-reaucrates. C’est justement lors d’uneentrevue décrochée avec le nonceapostolique d’Égypte qu’elle découvrele sort des chiffonniers du Caire. Cenonce, malgré les ors de la prélature,était conscient de cette misère auxportes de la ville et offrit à sœur Em-manuelle l’occasion de franchir enfin

Albert Schweitzer, Desmond Tutu…mais aussi Amnesty International, leHaut-Commissariat des Nationsunions pour les réfugiés ou encore Mé-decins sans frontières (MSF), autant defigures ou organisations récompensées

par un prix Nobel pour leurs efforts in-cessants en vue d’un monde meilleur.Les Préceptes de paix des Prix Nobelrecueillent les éclats de leur voix sal-vatrice, ainsi que de quarante-neuf au-tres Prix Nobel de la paix.

CET AVENIR SANS GUERRE, CE SONT NOS

ENFANTS QUI, ESPÉRONS-LE, LE CONNAÎ-TRONT UN JOUR. C’est pour eux qu’aété signée, il y a vingt ans, la Conven-tion internationale des droits de l’en-fant. À l’occasion de cet anniversaire,les Éditions Albin Michel s’associent àl’Unicef pour publier Petits d’hommes.Ce livre de photographies de Pierre-Jean Rey, accompagnés de textesd’Albert Jacquard, Michel Déon, AnnyDuperey, Bernard Giraudeau, VaclavHavel ou encore Boris Cyrulnik, fait lepoint sur la situation des enfants dansle monde : où en est-on de la nutri-tion, de la non-exploitation, de lasanté, de l’éducation, du respect…Les droits d’auteur sont intégralementreversés à l’Unicef France et la moitiédes bénéfices à l’association Petitsd’hommes de Pierre-Jean Rey. ■

La paix est peut-être la chose la plus difficile à atteindre en ce monde. Heureusement, des hommes et des femmes

cherchent à nous délivrer de la guerre de tous contre tous. Leur seule arme : la parole.

La parole : c’est elle qui nous faitproprement humains ; c’est elle,et elle seule, qui peut nous arra-

cher à la tragédie humaine. Aung SanSuu Kyi, Martin Luther King, NelsonMandela, Mère Teresa, Yitzhak Rabin,

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12 L’Homme en Question ■ AUTOMNE 2009

Parmi les dizaines de livres quisont parus depuis le début del’année sur la crise mondiale

et ses conséquences, celui de Daniel Cohen restera sûrementcomme une véritable œuvre depenseur, dépassant largementles circonstances qui l’ont faitnaître. L’auteur de La Prospé-rité du vice, en effet, ose ce quela plupart de ses pairs consi-dèrent comme une vaticinationinutile, voire comme une faute :il ose parler de morale ! Mieux :il ne se contente pas de traiter,à côté des problématiquestechniques, de questionsphilosophiques et moralesinduites par la crise, il réintègreces questions (qu’est-ce que lebonheur ? Sur quels axiomessont fondées nos valeurs ?Quelle est la vocation del’homme ?…) au cœur mêmede l’analyse économique. Ce faisant,il fait exactement le chemin inversede celui d’Adam Smith qui, auXVIIIe siècle, avait évacué la moralede son champ pour fonder lascience économique moderne(puisque, selon lui, les pires moti-vations privées devaient tôt ou tard,comme mécaniquement, contri-buer à l’intérêt général). L’introduc-

tion à l’économie que nous livre iciDaniel Cohen est profondément« inquiète », comme l’annonce son

sous-titre, car elle met le doigt sur« l’incertitude systémique » quisemble congénitale au capitalisme.Ce risque s’est déjà réalisé, lorsqueles nations européennes concur-rentes en sont venues littéralementà s’autodétruire au XXe siècle. LeXXIe siècle, qui voit la planète entières’occidentaliser et donc entrer dansl’ère d’un capitalisme exponentiel,

est-il condamné à un même destinapocalyptique ?On n’écartera pas ce risque majeur

par de simples mesures tech-niques destinées à freiner la« prospérité du vice ».

SUR CE POINT, LES PATRONS

CHRÉTIENS DONT MICHEL COOL

brosse le portrait dans Pour uncapitalisme au service del’homme rejoignent totalementDaniel Cohen. Car pour eux, siles régulations sont néces-saires, elles resteront contour-nables et contournées tantqu’une véritable prise deconscience n’aura pas eu lieudans l’ensemble de la société,y compris parmi ses élites éco-nomiques.« Prise de conscience », avez-vous dit ? Une telle affirmationpourrait prêter à sourire, tant

les exemples se sont multipliésces derniers temps de patronscyniques, autistes face à la souf-france sociale de leurs salariés, voirecarrément voyous. Raison de pluspour se plonger dans cette enquêteétonnante, où de petits ou moyensentrepreneurs et de très grands pa-trons nous parlent de solidarité enactes, de valeurs humaines, de« spiritualité de la responsabilité ». « Iln’est de richesse que d’hommes »,affirme l’un, « l’ennemi à abattre,c’est la peur », dit un autre en évo-quant les relations sociales au seinde l’entreprise, tandis qu’un troi-sième définit ainsi le métier de pa-tron : « faire du lien entre les per-sonnes par l’intermédiaire deschoses ». Décidément, l’Évangile,qui est le point commun de ceshommes et de ces femmes, nousdéconcertera toujours : il est ca -pable de convertir au désir de ser-vir ceux qui ont pour métier de diri-ger, et d’introduire la dimensionsociale et relationnelle au cœurmême de la vie d’entreprise – uneautre vision de l’économie. ■

Les vices du capitalismene sont-ils pas les nôtres ?ÉCONOMIE

La Prospérité du viceUne introduction (inquiète)à l’économieDaniel Cohen288 pages, 19 €

Pour un capitalismeau service de l’hommeParoles de patrons chrétiensMichel Cool224 pages, 15 €

Faut-il leurdonnerl’absolution ?

Les dirigeants des grandes entreprisesne sont pas les seuls à avoir été sur lasellette ces derniers mois, jugéssévèrement par l’opinion publique pourleur impéritie, leur imprudence ou leur« avidité » (greed). Les actionnaires,ayant eu leur part de responsabilitédans la catastrophe économique etfinancière, sont stigmatisés aussi pourn’avoir pas fait leur travail de contrôle,ou pire, pour avoir souvent poussé leursmandataires à la faute, à force d’exigerd’eux toujours plus, et toujours plus vite.Dans une collection présentée parRobert Solow, prix Nobel d’économie,Jean-Philippe Touffut a réuni douze desplus grands spécialistes du droit et de lagestion des entreprises pour constaterque le modèle de contrôle desentreprises centré sur l’actionnaire afondamentalement échoué. Chacunexamine la question sous l’angle qui estle sien (économique, juridique,historique), puis ils mettent ensembledans une table ronde leurs analyses àl’épreuve de la crise actuelle. Le constatest unanime : une sortie de crisedurable ne pourra faire l’impasse surune révision du cadre institutionnel desgrandes entreprises. ■

À quoi servent les actionnaires ?Sous la directionde Jean-Philippe Touffut288 pages, 24 €

ENTREPRISES

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13L’Homme en Question ■ AUTOMNE 2009

En 2005, une expertise de l’In-serm a mis le feu aux poudres :sous prétexte de prévention

du « trouble des conduites » chez lesenfants, allait-on vers la chasse auxfuturs délinquants dès l’école ma-ternelle ?

NOTRE REGARD SUR LES ENFANTS A CHANGÉ

à l’image de notre vocabulaire : les pe-tits costauds ou petits diables sont de-venus des hyperactifs intenables ou desenfants bandits. Le retour en force desidées déterministes qui prétendentque le devenir d’un enfant serait inscritdans son cerveau ou dans ses gènesest alarmant. Or, les recherches scien-tifiques, en particulier les techniquesd’imagerie cérébrale par IRM, montrentau contraire la grande plasticité du cer-veau humain où rien n’est jamais figé.À la lumière de ces progrès, SylvianeGiampino, psychanalyste et psycho-logue spécialisée en prévention et pe-tite enfance, et Catherine Vidal, neu-robiologiste et directrice de rechercheà l’institut Pasteur, se dressent contretoute idée de déterminisme biologiqueet de conditionnement. Car non, tout

n’est pas joué avant trois ans. « On n’estpas comme on naît », écrivent-ellesdans cet ouvrage détonant. Un enfantse transforme, évolue, se modifie. Il seconstruit en fonction de ses expé-riences, de ses interactions avec lesautres, parents et enfants, ainsi que deson vécu. De manière claire etconcrète, ces deux spécialistes ap-portent chacune un éclairage complé-mentaire et neuf pour comprendrevraiment les enfants aujourd’hui. ■

Contre l’étiquetagedes enfantsESSAI

Être parent, c’est être confrontéà ces questions éternelles :suis-je un bon parent ? L’édu-

cation que je donne à mon enfant luiapporte-t-elle des atouts suffisantspour faire face au monde ? Ne suis-je pas trop dur ou trop laxiste aveclui ? Mais il n’existe pas de formationpour devenir parent. Alors, commentêtre sûr que les actes, les décisionsseront bonnes pour notre enfant ?

ENTRE AUTORITARISME ET PERMISSI-VITÉ EXCESSIVE, Jean-Luc Aubert re-vient sur les bases d’une éducationréussie et apporte des réponses.Pas de recette miracle, mais des pi-liers sur lesquels se reposer, desbases sur lesquelles construire uneéducation solide. Fort d’une expé-rience de plus de vingt ans de psy-chologue scolaire, il dégage sept pi-liers fondamentaux nécessaires àl’enfant pour s’élever vers l’âgeadulte. Chacun de ces piliers, affec-tif, identitaire, d’appartenance, sco-laire, hédonique, culturel et socio-éducatif, sont décrits à partir desituations très concrètes.Jean-Luc Aubert insiste bien sur lefait que le parent parfait n’existe pas

(heureusement !) : « L’enfant seconstruit aussi à travers nos erreurs,nos mauvaises humeurs, nos éner-vements, car il est et il sera aussiconfronté à ces attitudes. » Tout estd’abord affaire de confiance. Et laforce de ce livre, c’est de redonnercette confiance aux parents, grâce àde précieux conseils au quotidienqui les aideront à donner les moyensà leur enfant de s’inscrire dans lasociété. ■

Des repères solidespour l’éducation

QUESTION DE PARENTS

Les vertus oubliées de l’obéissanceÉDUCATION

Non, les enfants turbulents ne sont pas nécessairement de

futurs délinquants. Tel est le cri de protestation de cet essai,

nourri à la fois d’études en neurosciences et en psychologie.

En effet, on a trop souvent ten-dance à confondre les deux.Or, cet essai intelligent et riche

s’emploie précisément à montrer lesdifférences cruciales et pourquoi l’oc-cultation de l’obéissance peut être dan-gereuse. Car, montre-t-il, l’obéissanceconstruit alors que la soumission

détruit. À l’aide d’exemples précis, lepédopsychiatre distingue donc auto-rité et autoritarisme, pouvoir etcontrainte, obéissance à l’autorité etsoumission à un pouvoir, par lacontrainte ou par la séduction. Il re-monte jusqu’aux origines de l’autorité :auctoritas vient du verbe augere qui

Nos enfantssous haute surveillanceSylviane Giampino et Catherine Vidal288 pages, 17 €

Les Sept Piliers de l’éducationJean-Luc Aubert208 pages, 13,90 €

Il est permis d’obéirDaniel Marcelli272 pages, 17 €

Aujourd’hui, on ne jure plus que par l’autorité. Mais c’est oublier

cette autre notion à laquelle Daniel Marcelli décide de rendre ses

lettres de noblesse : l’obéissance.

signifie augmenter. Là est bien l’enjeuprécisément : trouver la voie d’une édu-cation juste qui permette à l’enfantd’augmenter son potentiel, en un motde grandir. Et cela, c’est le contraire dudressage, de la soumission. Il s’agitdonc de poser l’obéissance commehorizon possible à l’enfant – non pasle seul, mais le meilleur – et de le gui-der pour qu’il le voie comme tel. ■

Page 14: Numéro 25 – automne 2009 Henri Gougaud Jacques Salomé ......Jacques, plâtré de la nuque aux ta-lons durant des années, à pénétrer un autre enchantement, celui des livres

14 L’Homme en Question ■ AUTOMNE 2009

Thomas Hobbes fut l’ennemi leplus résolu du républicanismeissu de l’Antiquité romaine

qui s’épanouit dans les cités-républiques de l’Italie de la Re-naissance. Quentin Skinner montrecomment les tentatives succes-sives que fit Hobbes pour traiter laquestion de la liberté humaine furentprofondément affectées par les re-vendications émises lors desguerres civiles anglaises par lesauteurs radicaux et parlementa-riens, que Hobbes perçut comme

des menaces graves pour la paix.Skinner montre ainsi que le Levia-than reflète une transformation ma-jeure dans la pensée morale deHobbes, en faisant des nécessitéspolitiques du temps présent le mo-teur et le but de la philosophie.

PUISSANT, ENGAGÉ, ACCESSIBLE ET

SOUVENT RÉJOUISSANT, ce nouveaulivre séduira tous les amateursd’histoire, de politique et de philo-sophie, tout en offrant une excel-lente introduction à l’œuvre de l’undes plus célèbres penseurs duXVIIe siècle.La publication de ce nouvel essaiest d’ailleurs l’occasion de relireun grand classique récemment ré-édité de Quentin Skinner : LesFondements de la pensée politiquemoderne. Dans cette célèbresomme, l’auteur propose à la foisune introduction aux divers cou-rants de pensée et une histoire desidéologies en suivant l’élaboration

progressive du vocabulaire de lapensée politique moderne, no-tamment en ce qui concerne leconcept clé d’« État ». ■

Hobbes et la conceptionrépublicaine de la libertéPHILOSOPHIE

L’auteur du Léviathan posait dès le début de bonnes questions sur les contradictions

de l’État moderne.

Carrefour des cultures depuisl’Antiquité jusqu’à nos jours,l’Iran n’a eu de cesse de ré-

élaborer en son creuset les apportsles plus divers pour leur donner unecoloration unique. Où, ailleurs qu’enIran, Sohrawardi aurait-il pu élaborerune philosophie illuministe dans la-quelle les philosophes païens de laGrèce et les mages zoroastrienssont les précurseurs légitimes deMuhammad ? Hafiz, Rumi, MollahSadra auraient-ils pu voir le jour

ailleurs que dans cette « patrie desphilosophes et des poètes », selonl’expression d’Henry Corbin qui in-troduit cette Âme de l’Iran ? Ce vo-lume classique, enfin réédité, réunitdes collaborations des plus éminentsreprésentants de l’iranologie françaisedu siècle dernier. ■

À la rencontre de l’Iran spirituelORIENT

On parle beaucoup de l’Iran ces derniers temps, souvent dans l’oubli total de ce qu’est

en profondeur l’Iran millénaire toujours vivant sous le joug de la République islamique :

cette Perse à l’identité si particulière qui a toujours perduré par-delà les conquêtes –

alexandrine, musulmane, mongole…

Nos ancêtresles VikingsSi les Vikings ont conquis des territoires,de l’Écosse à la Sicile, c’est seulementdans l’espace franc qu’ils ont réussi àmaintenir une présence durable, allantjusqu’à donner leur nom à la

Normandie. Pourexpliquer cephénomène, PierreBauduin montre queles Vikings y ontpratiqué unestratégied’intégration,notamment par le

biais d’alliances avec l’aristocratiefranque. En montrant que Francs etVikings étaient bien plus proches qu’onne le pense, il revisite une histoire quel’on croyait exclusivement faited’affrontements.

Le Monde franc et les Vikings.VIIIe-Xe sièclePierre Bauduin464 pages, 24 €

« L’Empereur,cette âmedu monde… »La geste napoléonienne, cette éphémèresynthèse romantique de la monarchieabsolue et de l’esprit des Lumières, amarqué durablement les imaginaireseuropéens. Mais elle a aussi légué à laFrance et à l’Europe, sur un plan plusconcret, un énorme et complexe héritage.Pour le meilleur – le Code civil,

l’émancipation desjuifs, ou encore… lesystème métrique. Etmalheureusementpour le pire :apparition de laguerre moderne dedestruction etd’occupation. Dans sa

somme définitive qu’est Le Grand Empire(1804-1815), l’académicien Jean Tulard,président de l’Institut Napoléon, revientsur une étape décisive de la douloureuseprogression vers l’État moderne.

Le Grand Empire (1804-1815)Jean Tulard288 pages, env. 16 €

HISTOIRE MODERNE

MOYEN ÂGE

L’Âme de l’IranHenry Corbin, René Grousset,Louis Massignon, Henri Massé,Jan Rypka…240 pages, 8 €

Hobbes et la conceptionrépublicaine de la libertéQuentin SkinnerTraduit de l’anglaispar Sylvie Taussig240 pages, 25 €■ Du même auteur :Les Fondements de la penséepolitique moderne928 pages, 25 €D

R

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D rainant la meilleure part desdeux, il est ce troisième souf-fle qui élève l’un et l’autre vers

une transformation créatrice, et leurpermet de se transcender. Cette idéed’un entre-deux évanescent qui in-suffle sa vie à la réalité duelle, secretde la rencontre féconde des opposés,est présente en filigrane dans toutel’œuvre de François Cheng. Lui-même,en tant que poète chinois et français,incarne cet échange incessant.

À L’INSTAR DES POÈTES ET DES ARTISTES

CHINOIS qui, de tout temps, ont exploréles interstices et les intervalles par les-quels s’exprime le Tao, il nous offraitil y a quelques années, dans Le Livredu Vide médian, l’essence de cette vi-sion du monde. Ce serait,nous avait-il annoncé,son « ultime œuvrepoétique ».

Mais la poésie peut-elle trouver unpoint final, quand elle est à ce pointfondée sur le mouvement même dela vie qui anime l’être ? Pour la repriseen poche de ce volume, l’académicienn’a donc pas résisté au désir d’aug-menter son œuvre de poèmes sup-

plémentaires, ainsi que d’un avant-propos revisité. Ces cent quatre

poèmes sont autant d’invita-tions à scruter « les innombra-bles entre qui ont lieu à tout ins-tant sous nos yeux », et à

nous éveiller au Vide médian,fait d’inattendus et d’inespérés,donc toujours neuf, qui transfigureles vivants. ■

François Cheng :éloge de l’entre-deuxPOÉSIE

La grande tradition chinoise n’est pas duelle, comme on le

croit souvent, mais ternaire : le Vide médian intervient chaque

fois que le Yin et le Yang sont en présence.

Il connut très tôt le succès : accueillidans la ville impériale d’Edo (futureTokyo) afin d’y enseigner son art,

il renonça rapidement à la vie urbainepour parcourir le Japon de long enlarge, s’imprégnant de la nature, sefondant en elle. Françoise Kerisel etFrédéric Clément conjuguent cet au-tomne leurs talents pour nous offrir unbeau livre illustré qui raconte l’histoirede ses voyages. Il déambule ainsidans le Japon du XVIIe siècle, avec sesamis, fous de poésie.

BASHÔ AIME LA PAIX, LES PINCEAUX, LA

NEIGE… et préfère les chemins vaga-bonds à la carrière de samouraï. Enchemin, il observe, écrit, capte labeauté de l’instant. Il ouvre des ate-liers de poésie où chacun, homme oufemme, jeune ou vieux, rit, s’instruit ets’initie aux haïkus.En regard des textes oniriques deFrançoise Kerisel, les peintures de

Frédéric Clément, qui a préparé sespropres couleurs et choisi ses pa-piers japonais, vibrent d’un souffletout oriental, estompant la frontièreentre classicisme et modernité. ■

L’art de vivrepoétique de BashôJAPON

Matsuo Bashô (1644-1694) est peut-être le plus grand maître

du haïku, ce poème japonais qui, en trois vers, saisit

la fugacité d’un instant, d’une impression, d’un sentiment.

Fondateur au Japon du Zen Sôtô,Dôgen Zenji (1200-1253) estreconnu comme l’un des plus

grands maîtres du zen. Entré à treizeans au monastère, il reçoit en Chine latransmission des derniers grandsmaîtres du ch’an (zen) avant de fon-der au Japon le monastère d’Eihei-ji,aujourd’hui encore le principal foyerde l’école Sôtô. Nul mieux queJacques Brosse ne pouvait rendreplus vivante la figure de maître Dôgen.Il en a par ailleurs traduit et présentéles œuvres majeures dans Polir la luneet labourer les nuages, complémentidéal de cette biographie. ■

Dôgen, l’âme dubouddhisme japonaisZEN

Le Livre du Vide médianFrançois ChengÉdition revue et augmentée240 pages, 7,50 €■ Du même auteur :Cinq méditationssur la beauté180 pages, 13 €L’un vers l’autre : en voyageavec Victor Segalen196 pages, 14,50 €Entre source et nuage.La poésie chinoise réinventée248 pages, 8 €

Bashô, le fou de poésieFrançoise Keriselet Frédéric Clément64 pages, 18 €

Maître Dôgen. Moine zen,philosophe et poèteJacques Brosse224 pages, 7,50 €

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Cette amitié, il s’agissait pour Henri Gougaud,avec ce nouveau livre, de nous la faire par-tager et de nous proposer d’engager aussi

une relation étroite avec cette sagesse ancestrale :« Tu peux toi aussi entrer dans le cercle des contesvivants, si tu le veux. C’est simple. Il n’y faut quedu désir, de l’innocence et de cette curiosité éveil-lée sans laquelle il n’est pas de vraie découverte pos-sible. Il y faut aussi juste ce qu’il faut de confiance,non pas pour me croire sur parole, mais pour te don-ner l’envie de vérifier par toi-même qu’il est, ici etlà, des contes qui n’attendent que ta visite, et quite connaissent assez bien pour te murmurer en se-cret des choses sûrement utiles à ta vie. »

C’EST LÀ EN EFFET QUE RÉSIDE L’INÉDIT DE CE RE-CUEIL DE CONTES. Ils ne sont pas ordonnés suivantun choix guidé par quelque raison, géographique,thématique ou historique. Non. Les contes se sontplacés librement dans le livre, attendant que lelecteur vienne les voir pour leur poser une ques-tion : « Le mode de consultation est aussi simpleque possible. Pose la main gauche sur le livre. For-mule ta question les yeux fermés, intérieurement,avec force. Prends un signet-Gunungan et tranchedans le vif. Le Gunungan est un objet sacré, c’estl’Arbre de Vie toujours présent dans les spectaclesde marionnettes indonésiennes. Il te désigneral’entrée du conte qui attendait ta visite. »Ainsi le lecteur est-il invité à un jeu de divination, ils’agit de tirer les contes, comme avec un jeu de ta-rots, on tire les cartes. Jouer, s’amuser à déchiffrer,donc, mais aussi savoir lire, dans le conte et en soi-même et se laisser interpeller, car la sagesse descontes, comme celle de la vie, est souvent para-doxale.

C’EST CE QU’ILLUSTRE TRÈS BIEN PAR EXEMPLE L’UN

DES CONTES INTITULÉ « CONSEIL ». Un novice vientprendre conseil auprès d’un abbé, car il ne setrouve pas heureux de l’enseignement de son maî-tre : « Je me sens, malgré mes efforts, mal accordéde cœur et d’âme au maître qui guide ma vie. Jesais que vous le connaissez. Sa foi, sa force et sa

sagesse sont indiscutables, et pourtant quelquechose grince entre nous. » L’abbé l’interroge donc :veux-tu que cet homme t’enseigne ? Le jeunenovice répond qu’il aimerait, oui, en effet. L’ermitelui conseille donc de rester avec son maître.

Quelque temps plus tard, le novice revient, avec lesmêmes doutes. L’ermite lui repose la question : « Quedésires-tu ? », le novice de lui répondre encore :« Qu’il m’instruise, et que j’en sois enfin heureux. »

LE NOVICE PERSISTE DONC ENCORE ET RETOURNE

AUPRÈS DE SON MAÎTRE, persuadé qu’il y a là pourlui une épreuve à franchir. Mais quelques semainesplus tard, l’abbé le voit revenir et le novice lui an-nonce qu’il a quitté son maître : « À la bonne heure,dit l’abbé. Qu’avais-tu besoin d’un conseil ? Fallait-il donc que tu en viennes à maudire ta propre viepour écouter enfin ton cœur ? Car c’est lui, lemeilleur des maîtres ! Sois fidèle à ce que tu senset, quoi qu’il t’arrive, jeune homme, tu n’iras jamaisde travers. »Et c’est sans doute également l’enseignementde ce recueil de plus d’une centaine de contes :parvenir, au-delà du dédale des questions, à savoirlire en soi-même et choisir ainsi, entre tous leschemins qui s’offrent, celui qui sera le bon. ■

Le conteur de bonne aventureCONTES

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ALBIN MICHEL, 22 rue Huyghens, 75014 Paris – Tél. : 01 42 79 10 00 – Fax : 01 43 27 21 58 – www.albin-michel.frRédaction : Jean Mouttapa, éditeur ; Julien Darmon ; Anne-Sophie Jouanneau – Maquette : Création/Réalisation, Caractère B.

Un conte n’est pas simplement une jolie histoire, c’est aussi une sagesse qui a mûri au fur et à mesure

qu’elle passait de conteur en conteur, au fil des âges. Un conte a beaucoup à dire, il peut même

être un conseiller, un compagnon de route, un veilleur. Et c’est bien cette conviction qui anime depuis

si longtemps Henri Gougaud : les contes sont des êtres vivants. « Le fait est que les contes ne manquent

pas de me répondre, quand je leur parle. Ils le font avec bonté. Ils m’apprennent des choses auxquelles

je n’avais jamais pensé. Bref, j’ai avec eux une relation assez heureuse et simple pour tenir à leur amitié. »

Le Livre des cheminsContes de bon conseil pour questions secrètesHenri Gougaud480 pages, 23 €

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