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La ruée vers l'or noir du Dakota du Nord
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GooD Boom
bureau, Ward Koeser, le maire deWilliston, se prépare à une longue jour-née entre les permis de construire à signer,un projet de nouvel aéroport, les repasavec les directeurs de compagnies…«Cette ruée dépasse tout ce qu’on pouvaitimaginer… souffle-t-il. Ça va beaucouptrop vite. » En 2007, la ville comptait15000 habitants. Combien aujourd’hui ?25000, 30000 ? Ward Koeser n’est passûr. il gère comme il peut sa ville-cham-pignon. Et les compagnies pétrolièresmanquent encore de bras. Dans une amérique en récession, ellesproposent des salaires de 100000 dollarspar an. les hommes en mal de job accou-rent de tout le pays, des jeunes sansdiplôme aux seniors avec des traites à rem-bourser. a Williston, le taux de chômageest de 1%. l’immobilier explose : uneplace de parking au milieu de nulle partse négocie 1500 dollars par mois, unechambre meublée, 3000 dollars. plus cherqu’à manhattan. «On construit pour troispersonnes, il en arrive cinq ! Les compagnieslouent tous les appartements, ça tire les prixà un niveau incroyable », déplore l’élu. aWatford, qui compte officiellement1744 habitants, même le shérif vit dansun mobil-home, mais il paie 800 dollars« seulement» au lieu des 5000 habituelle-ment demandés aux ouvriers ! «On doitaugmenter les fonctionnaires et les loger pour
1. JACk DALrympLE, goUvErNEUr
DU DAkoTA DU NorD, à LA CoNférENCE «BAkkEN goLD».
2. LEs pompEs oN ENvAhi LA régioN.3. LEs CAmioNs TrANsporTANT LEs BAriLs
AU pArE-ChoCs CoNTrE pArE-ChoCs.4. WArD koEsEr, mAirE DE WiLLisToN.
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moins cher. Sinon ils partent », expliqueWard Koeser. Deux policiers de Watfordont même rendu leur insigne l’an dernierpour rejoindre l’oil business, au momentoù on aurait le plus besoin d’eux. leboom apporte son lot de nuisances : bou-chons, accidents, vols, prostitution…habitués aux relations de voisinage faciles,les locaux grincent des dents. ils suppor-tent mal les camps de nomades. «On lesappelle les gipsy truckers», siffle un habi-tant de Watford. les « routiers gitans ».
Un milliard de dollars de royalties le bassin de Bakken dort à 3 000 m deprofondeur. Cette formation géologiquede 520000 km2 (la France fait543965 km2) s’étend sous une partie duDakota du nord, du montana et de lasaskatchewan, au Canada. s’agissant depétrole de schiste, seules les nouvellestechniques de forage par fracking (fractu-ration hydraulique) le rendentexploitable. Cette technique coûte dixfois plus cher qu’un puits classique, maispermet d’extraire beaucoup plus.motivés par le cours mondial élevé dubrut, les investisseurs ont lancé l’assaut.«Ce n’est pas le boom le plus spectaculairede l’histoire de l’humanité. Mais il entrefacilement dans mon top 10 », concèdeDavid hobbs, analyste stratégique enhydrocarbures. Qui y gagne ? les com-pagnies pétrolières, bien sûr. l’Etat aussi,dont les caisses débordent, et les habi-tants : le nombre de millionnaires adoublé en deux ans. les heureux pro-priétaires des droits minéraux se sont
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DAKOTA DU NORD
la ruée vers l’or noir
Trois heures que la Subaru a quittéBismarck, la capitale du Dakota dunord, et roule plein ouest entre ciel etprairie. le portable ne capte plus deréseau, le trafic sur l’interstate 94 estproche du zéro absolu. la région duBakken, nouveau pays de l’or noir, n’estplus très loin. ici, tout le monde n’a queça en tête. les habitants eux-mêmesreconnaissent que « le seul truc qui tient lacomparaison, c’est la ruée vers l’or de1848». sur un panneau, à l’entrée de laville d’alexander, en guise de bienvenue :les dix commandements de la Bible. lespremières pompes à pétrole apparaissentdans les champs. Couleur rouille, ellesrépètent inlassablement leur mouvementde pompage. puis c’est le derrick : cetteplate-forme à tour de 40 m de haut quisoutient le dispositif de forage des puits. aujourd’hui, il y en a 200 dans le Bakken(contre 30 en 2009), et il faut au moins100 personnes à plein temps pour en fairetourner un seul. a l’approche de la villede Williston, on compte toujours plus depompes et de derricks. les camions-citernes engorgent maintenant la route etklaxonnent à tout-va. les routiers sontpressés, ils sont payés au baril. Entre despelleteuses Caterpillar et des maisonspréfabriquées, un bar karaoké proposedes pintes de bière à 2 dollars. Dans lesvilles du Bakken, le taux de testostérone
a fortement augmenté en deux ans. lesmobil-homes et les caravanes pullulent :ce sont les man-camps où dorment lesouvriers. pour loger ses employés, lafirme halliburton a été jusqu’à importerle village olympique de Vancouver aucœur de cet oil country.
Produire davantage que le Texas En mai dernier, une conférence intitulée«Bakken Gold, le meilleur est encore àvenir » a réuni hommes politiques, lob-byistes et compagnies pétrolières au palaisdes congrès de Bismarck. le gouverneurde l’Etat, Jack Dalrymple, et le régulateuren chef de l’industrie, lynn helms, entreautres, se sont succédé au micro. ils savou-rent et voient loin, et ont annoncé40 000 puits en exploitation d’ici à 2020et un objectif clair : dépasser le texas etdevenir les premiers producteurs du pays,«pour le Dakota du Nord, pour l’indépen-dance énergétique de la nation».une vieillechimère réalisable d’ici cinq ou huit ans siles choses suivent leur cours : le Dakotadu nord dépasse déjà l’Equateur, membrede l’opep. De bon matin, dans son
Cela fait au moins un demi-siècleque les Etats-Unis n’ont pasconnu un tel boom. Les plainesdésertes du Dakota du Nord se couvrent de puits et de derricks, et voient affluerune main-d’œuvre avide de salaires mirobolants.
Par Maxime Robinphotos : Dave Arntsonillustrations : Zoé
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partagé, en 2009, 1 milliard de dollars deroyalties. En 2012, ce sera encore biendavantage. Beaucoup de ces chèquess’envolent hors de l’Etat, vers de lointainshéritiers qui ont fui depuis longtemps cedésert humain, mais, selon les estima-tions, la moitié de cet argent reste toutde même au Dakota du nord. ici, le fer-mier qui possède une terre ne détient pasforcément les droits minéraux du sous-sol. Jusqu’à 16 personnes peuvent separtager les droits d’un seul acre. maiscombien leur rapporte le pétrole ? selonplusieurs sources, les droits minérauxdémarreraient à 500 dollars et grimpe-raient jusqu’à 80 000 dollars par moisselon le contrat signé, la qualité du puitset le cours du brut. le président del’association nationale des détenteurs deroyalties (naro), Jerry simmons, a cal-culé qu’« ici, environ 67 000 personnespossèdent des droits minéraux. » uncontrat bien ficelé leur assure 20 % duprix du baril pompé dans leur sol.pourtant, on ne croise pas de grosses voi-tures allemandes ni de limousines sur lesroutes. on ne voit pas non plus degrosses maisons qui en jettent, mais descaravanes et des bêtes à cornes qui pais-sent dans des enclos immenses. où val’argent ? « Les habitants ne le montrentpas. Ils l’envoient à la banque ou le cachentsous le matelas », explique nathanConway, directeur d’exploitation pour la
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Le Dakota du Nord en chiffres
Population : environ 684 000 habitants, 3e Etat le moins peuplé des Etats-Unis.Taux de chômage : 3% en mai 2012 (le plus bas des Etats-Unis).Rang : 2e état producteur de pétrole des Etats-Unis (10% de la productionnationale totale), après le Texas et devant l’Alaska. Nombre de puits et derricks :7000 en activité. Production : 575000 barils de bruts par jour (près de 91,5 millions de litres).Salaire annuel moyen à Williston en 2011 : 71000 $ (environ 56000 €)contre 31000 $ (24500 €) en 2006.Taxe : 1,2 milliard de dollars (environ950 millions d’euros) de taxespétrolières récoltées par l’Etat en 2011.
«Cette ruée dépasse toutce qu’on pouvait imaginer.Ça va beaucoup trop vite. »
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Ward Williston oil Company. le terri-toire est profondément conservateur. aBismarck, l’unique « gratte-ciel » est hautde 16 étages, et c’est le Capitole. leDakota du nord n’est pas un Etat bling-bling. « Ici, vous ne croiserez pas depéquenauds qui veulent refaire leur vieavec yachts et manteaux de vison », souritDennis Johnson, procureur à Watforddepuis trente ans. une affaire de menta-lité, donc. «Certains se construisent unenouvelle maison, s’achètent un tracteur, c’estfréquent, admet le procureur. Mais guèreplus. Les rares familles qui détiennentbeaucoup de droits minéraux étaient déjàtrès riches avant ce boom. »
Vingt hommes pour une femme les travailleurs migrants, eux, n’ont pas depudeur à dire combien le boom leur rap-porte. les plaques d’immatriculation despick-up indiquent qu’ils viennent de tousles Etats-unis. Joe martin, 52 ans, a pla-qué son commerce de joaillerie de Fargo, àla frontière avec le minnesota, pour deve-nir routier. il travaille douze heures parnuit pour 134000 dollars par an. ilhéberge son fils Jeff pour un job d’été :laveur de camions. Jeff devrait toucher19000 dollars en quatre mois, qui lui per-mettront de financer ses études. mais àpart travailler, dormir ou chasser le faisan,on s’ennuie vite au Dakota du nord. sans
parler de l’hiver, qui peut être glacial. lestravailleurs fuient la région dès qu’ils lepeuvent pour rejoindre leur famille ou par-tir au soleil. une situation que regrettentles élus. «Ils n’amènent pas leur famille et nes’intègrent pas à la communauté, ils ne vontpas à l’église, soupire Dennis Johnson. Ici,le ratio démographique est de vingt hommespour une femme.»Dans la salle d’attente dela gare de Williston, Josh newmannattend le premier train. a 21 ans, il gagne13000 dollars par mois sur les derricks. «Jebosse quatorze heures par jour, 28 jours desuite. Ensuite je pars deux semaines. C’est lerythme. J’aime bien partir dans les îles, auxBahamas…» après deux ans de ce régime,Josh a déjà acheté trois maisons enarizona. «Je suis jeune, je n’ai pas de copine.
A 27 ans, j’arrête. Je ferai le tour du monde,je démarrerai de bonnes études. »Josh le sait comme tout le monde ici : leboom ne durera pas. «Ça pourrait durerdix ans, peut-être vingt…», suppose l’ana-lyste David hobbs. «Même le meilleur desgéologues ne sait pas où la nappe s’arrête etcombien de temps on l’exploitera », recon-naît nathan Conway. En tout cas, leDakota du nord ne maîtrise pas son des-tin. l’interdiction du fracking par leCongrès stopperait net le boom. «En unenuit, plus rien ! » frémit un routier. autremenace : un cours mondial du brut sousla barre des 60 dollars. le dernier boom,dans les années 80, avait mal fini. les rueslaissées en plan ne menaient nulle part,Williston était plombée par une dette de
No fracking : no boom
pour «fracker» un puits, il faut :8 millions de litres d’eau (soit troispiscines olympiques), 1500 tonnes de sable, des produits chimiques commel’alcool isopropylique, le méthanol,l’éthylène glycol (utilisé dans le liquide de refroidissement des voitures) et d’autres substances parfoiscancérigènes en très grande quantité.Cette mixture devient un déchet. Le Dakota la réinjecte dans le sol, dansdes puits nommés «saltwater disposal»(collecteur de saumure). En 2005, le Congrès a décidé que le frackingpasserait outre les critères du safeWater Drinking Act (loi sur l’eau potable),accélérant son développement, et,actuellement, l’Environmental protectionAgency (EpA) n’est pas autorisée à contrôler la qualité de l’eau autour des puits. Des opposants au frackingexistent au Dakota du Nord, mais ils sontminoritaires. Les industriels et beaucoupd’habitants assurent que les forages sonttrop profonds pour agir sur la qualité de l’eau potable… Le 1er avril dernier, les régulateurs locaux ont légèrementdurci leurs exigences. Les exploitantsdoivent désormais déclarer les solvantsutilisés et stocker les millions de mètrescubes d’«eaux sales» dans des conteneurs : avant, ils étaient laissésà l’air libre. La france, quant à elle, a étéle premier pays au monde à interdire le fracking, en juin 2011.
1. DENNis JohNsoN, proCUrEUr DE WATforD. 2. ET 3. LEs viLLEs sE DévELoppENT
DE mANièrE ANArChiqUE AUToUr DEs pUiTs.
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1. ET 3. CArAvANEs ET moBiL-homEss’ENTAssENT AUToUr DEs pUiTs DE péTroLE.
2. JoE mArTiN, roUTiEr à WATforD. 4. NAsir khAN, vENU TENTEr sA ChANCE.
5. LEs LogEmENTs soNT rArEs ET ChErs.
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28 millions de dollars. un ancien se sou-vient des autocollants collés sur lespick-up. «Ça disait : “le dernier qui partde Williston éteint la lumière”. »trente ansaprès, les locaux aimeraient contrôlerdavantage les événements. «S’il n’y avaitque 100 forages, la vie serait tranquille ettout le monde aurait du boulot. Mais200 derricks en même temps, c’est troptendu ! » estime un habitant. pour l’ins-tant, l’Etat et les pétroliers se dépêchentd’engranger avant que la musique ne s’ar-rête, et le Dakota du nord fait rêver
même les jeunes de la côte Est. nasir,26 ans, a passé deux jours dans le train,depuis le new Jersey, pour venir àWilliston : « J’avais entendu sur CNN qu’ily avait des jobs ici. » il a trouvé un travaildans l’heure, «bien mieux payé que dansles casinos d’Atlantic City ». pourtant, ilrepart au bout de deux jours, faute d’en-droit où dormir. «Un type sympa m’ahébergé la nuit dernière, sinon j’auraisdormi dans une église. » nasir repart enbus tenter sa chance à minot, une autreville du boom, jusqu’à ce qu’il trouve untoit et un job. «N’importe lequel. » n
industrie, gagnent plus de 200000 $ par an…TGL : A quels défis le Dakota du Nordfait-il face ?N. C. : Il a toujours été pris pour un Etatlow performer, alors le boom fait plaisir !Par contre, rien n’a été planifié pour faireface à ce surcroît d’activité. Le Dakotadu Nord a été pris par surprise ; l’histoirese répète. Il faut davantage de pipelinespour écouler le brut. Aujourd’hui, la moitié du pétrole sort du Dakota par le fret. Un wagon se loue très cher :4000 $ par mois, plus 1 $ par bariltransporté. Notre brut, compétitif à la base, se retrouve plus cher que le pétrole texan sur les marchés. TGL : Que pensez-vous de la nouvelleloi qui oblige les compagnies à stocker les eaux toxiques dufracking dans des cuves et à déclarerla liste des composants chimiquesutilisés, qui pénètrent les sols ?N. C. : Ça nous coûte entre 100000 et 200000 $ par puits. Les compagniespétrolières devraient faire seulement ce qu’elles font le mieux : produire.L’augmentation des coûts est nocivepour la compétitivité et pour l’emploi.Nous avons toujours eu affaire à un Etatoil-friendly, mais des groupes de pressionl’orientent vers davantage de régulation.Je le regrette. n
The Good Life : Comment fonctionneWard Williston ?Nathan Conway : Depuis notre premierpuits foré en 1952, nous possédionsdeux divisions différentes : une brancheprestataire de services et une brancheproduction. C’est rare. En mars 2011,nous avons revendu la branche serviceau Missouri Basin Well Service [le montant de la plus-value reste secret,NDLr]. On recapitalise, on investit dans la prospection et la production.Nous sous-traitons toutes les tâchesphysiques. TGL : Comment êtes-vous entré dans le business du pétrole ? N. C. : J’ai débuté comme contrôleur de puits, à 16 ans. J’ai ensuite démarré àWard Williston en 2001 comme assistantdu CEO, avant de devenir analyste en prospective et développement, puis chef des opérations en 2010. TGL : Quel est votre salaire ?N. C. : Je ne peux pas vous le dire.Disons que les dirigeants, dans cette
nathanConway 35 ans, directeur
des opérations au Dakota du Nordde la Ward Williston oil Company.
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L’Etat et les pétroliers se dépêchent d’engranger.