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117 GOOD WORLD GOOD BOOM bureau,  Ward  Koeser,  le  maire  de Williston, se prépare à une longue jour- née entre les permis de construire à signer, un  projet  de  nouvel  aéroport,  les  repas avec  les  directeurs  de  compagnies… «Cette ruée dépasse tout ce qu’on pouvait imaginer… souffle-t-il.  Ça va beaucoup trop vite. » En  2007,  la  ville  comptait 15000 habitants. Combien aujourd’hui ? 25 000, 30 000 ? Ward Koeser n’est pas sûr. il gère comme  il peut sa ville-cham- pignon.  Et  les  compagnies  pétrolières manquent encore de bras.  Dans  une  amérique  en  récession,  elles proposent des salaires de 100 000 dollars par an. Les hommes en mal de job accou- rent  de  tout  le  pays,  des  jeunes  sans diplôme aux seniors avec des traites à rem- bourser. a Williston, le taux de chômage est  de  1%.  L’immobilier  explose :  une place de parking au milieu de nulle part se  négocie  1 500 dollars  par  mois,  une chambre meublée, 3000 dollars. Plus cher qu’à Manhattan.  « On construit pour trois personnes, il en arrive cinq ! Les compagnies louent tous les appartements, ça tire les prix à un niveau incroyable », déplore l’élu. a Watford,  qui  compte  officiellement 1 744 habitants, même le shérif vit dans un mobil-home, mais il paie 800 dollars « seulement » au lieu des 5 000 habituelle- ment demandés aux ouvriers !  « On doit augmenter les fonctionnaires et les loger pour 1. JACk DALRYMPLE, gOUVERNEUR DU DAkOTA DU NORD, à LA CONféRENCE «BAkkEN gOLD ». 2. LES POMPES ON ENVAhi LA RégiON. 3. LES CAMiONS TRANSPORTANT LES BARiLS AU PARE-ChOCS CONTRE PARE-ChOCS. 4. WARD kOESER, MAiRE DE WiLLiSTON. 2 4 moins cher. Sinon ils partent», explique Ward Koeser. Deux policiers de Watford ont même rendu leur insigne l’an dernier pour rejoindre l’oil business, au moment où  on  aurait  le  plus  besoin  d’eux.  Le boom apporte son lot de nuisances : bou- chons,  accidents,  vols,  prostitution… habitués aux relations de voisinage faciles, les locaux grincent des dents.  ils suppor- tent mal les camps de nomades.  « On les appelle les gipsy truckers », siffle un habi- tant de Watford. Les « routiers gitans ». Un milliard de dollars de royalties Le bassin de Bakken dort à 3 000 m de profondeur. Cette formation géologique de  520 000 km 2 (la  France  fait 543 965 km 2 ) s’étend sous une partie du Dakota du Nord, du Montana et de la Saskatchewan, au Canada. S’agissant de pétrole  de  schiste,  seules  les  nouvelles techniques de forage par  fracking (fractu- ration  hydraulique)  le  rendent exploitable.  Cette  technique  coûte  dix fois plus cher qu’un puits classique, mais permet  d’extraire  beaucoup  plus. Motivés par le cours mondial élevé du brut, les investisseurs ont lancé l’assaut. «Ce n’est pas le boom le plus spectaculaire de l’histoire de l’humanité. Mais il entre facilement dans mon top 10 », concède David  hobbs,  analyste  stratégique  en hydrocarbures. Qui y gagne ? Les com- pagnies pétrolières, bien sûr. L’Etat aussi, dont les caisses débordent, et les habi- tants :  le  nombre  de  millionnaires  a doublé  en  deux  ans.  Les  heureux  pro- priétaires  des  droits  minéraux  se  sont 116 GOOD WORLD GOOD BOOM DAKOTA DU NORD la ruée vers l’or noir Trois heures que la Subaru a quitté Bismarck, la  capitale  du  Dakota  du Nord, et roule plein ouest entre ciel et prairie.  Le  portable  ne  capte  plus  de réseau,  le  trafic  sur  l’interstate 94  est proche  du  zéro  absolu.  La  région  du Bakken, nouveau pays de l’or noir, n’est plus très loin.  ici, tout le monde n’a que ça  en  tête.  Les  habitants  eux-mêmes reconnaissent que  « le seul truc qui tient la comparaison, c’est la ruée vers l’or de 1848 ». Sur un panneau, à l’entrée de la ville d’alexander, en guise de bienvenue : les dix commandements de la Bible. Les premières pompes à pétrole apparaissent dans  les  champs.  Couleur  rouille,  elles répètent inlassablement leur mouvement de pompage. Puis c’est le derrick : cette plate-forme à tour de 40 m de haut qui soutient le dispositif de forage des puits.  aujourd’hui, il y en  a 200 dans le Bakken (contre 30 en 2009), et il faut au moins 100 personnes à plein temps pour en faire tourner un seul. a l’approche de la ville de Williston, on compte toujours plus de pompes  et  de  derricks.  Les  camions- citernes engorgent maintenant la route et klaxonnent à tout-va. Les routiers sont pressés, ils sont payés au baril. Entre des pelleteuses  Caterpillar  et  des  maisons préfabriquées,  un  bar  karaoké  propose des pintes de bière à 2 dollars. Dans les villes du Bakken, le taux de testostérone a fortement augmenté en deux ans. Les mobil-homes et les caravanes pullulent : ce  sont  les  man-camps où  dorment  les ouvriers.  Pour  loger  ses  employés,  la firme halliburton a été jusqu’à importer le  village  olympique  de  Vancouver  au cœur de cet oil country. Produire davantage que le Texas En mai dernier, une conférence intitulée « Bakken Gold, le meilleur est encore à venir » a réuni hommes politiques, lob- byistes et compagnies pétrolières au palais des congrès de Bismarck. Le gouverneur de l’Etat, Jack Dalrymple, et le régulateur en chef de l’industrie, Lynn helms, entre autres, se sont succédé au micro.  ils savou- rent  et  voient  loin,  et  ont  annoncé 40 000 puits en exploitation d’ici à 2020 et un objectif clair : dépasser le Texas et devenir les premiers producteurs du pays, «pour le Dakota du Nord, pour l’indépen- dance énergétique de la nation ». Une vieille chimère réalisable d’ici cinq ou huit ans si les choses suivent leur cours : le Dakota du Nord dépasse déjà l’Equateur, membre de  l’Opep.  De  bon  matin,  dans  son Cela fait au moins un demi-siècle que les Etats-Unis n’ont pas connu un tel boom. Les plaines désertes du Dakota du Nord se couvrent de puits et de derricks, et voient affluer une main-d’œuvre avide de salaires mirobolants. Par Maxime Robin PhOTOS : Dave Arntson iLLUSTRaTiONS : Zoé 1 partagé, en 2009, 1 milliard de dollars de royalties. En 2012, ce sera encore bien davantage.  Beaucoup  de  ces  chèques s’envolent hors de l’Etat, vers de lointains héritiers qui ont fui depuis longtemps ce désert  humain,  mais,  selon  les  estima- tions, la moitié de cet argent reste tout de même au Dakota du Nord. ici, le fer- mier qui possède une terre ne détient pas forcément les droits minéraux du sous- sol.  Jusqu’à  16 personnes  peuvent  se partager les droits d’un seul acre. Mais combien leur rapporte le pétrole ? Selon plusieurs  sources,  les  droits  minéraux démarreraient à 500 dollars et grimpe- raient  jusqu’à  80 000 dollars  par  mois selon le contrat signé, la qualité du puits et  le  cours  du  brut.  Le  président  de l’association nationale des détenteurs de royalties (NaRO), Jerry Simmons,  a cal- culé  qu’« ici, environ 67 000 personnes possèdent des droits minéraux. » Un contrat bien ficelé leur assure 20 % du prix  du  baril  pompé  dans  leur  sol. Pourtant, on ne croise pas de grosses voi- tures allemandes ni de limousines sur les routes.  On  ne  voit  pas  non  plus  de grosses maisons qui en jettent, mais des caravanes et des bêtes à cornes qui pais- sent dans des enclos immenses. Où va l’argent ?  « Les habitants ne le montrent pas. Ils l’envoient à la banque ou le cachent sous le matelas », explique  Nathan Conway, directeur d’exploitation pour la 3 Le Dakota du Nord en chiffres Population : environ 684 000 habitants, 3 e Etat le moins peuplé des Etats-Unis. Taux de chômage : 3 % en mai 2012 (le plus bas des Etats-Unis). Rang : 2 e état producteur de pétrole des Etats-Unis (10 % de la production nationale totale), après le Texas et devant l’Alaska. Nombre de puits et derricks : 7 000 en activité. Production : 575 000 barils de bruts par jour (près de 91,5 millions de litres). Salaire annuel moyen à Williston en 2011 : 71 000 $ (environ 56 000 €) contre 31 000 $ (24 500 €) en 2006. Taxe : 1,2 milliard de dollars (environ 950 millions d’euros) de taxes pétrolières récoltées par l’Etat en 2011. « Cette ruée dépasse tout ce qu’on pouvait imaginer. Ça va beaucoup trop vite. »

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La ruée vers l'or noir du Dakota du Nord

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GooD Boom

bureau,  Ward  Koeser,  le  maire  deWilliston, se prépare à une longue jour-née entre les permis de construire à signer,un projet de nouvel  aéroport,  les  repasavec  les  directeurs  de  compagnies…«Cette ruée dépasse tout ce qu’on pouvaitimaginer… souffle-t-il. Ça va beaucouptrop vite. » En  2007,  la  ville  comptait15000 habitants. Combien aujourd’hui ?25000, 30000 ? Ward Koeser n’est passûr. il gère comme il peut sa ville-cham-pignon.  Et  les  compagnies  pétrolièresmanquent encore de bras. Dans  une  amérique  en  récession,  ellesproposent des salaires de 100000 dollarspar an. les hommes en mal de job accou-rent  de  tout  le  pays,  des  jeunes  sansdiplôme aux seniors avec des traites à rem-bourser. a Williston, le taux de chômageest  de  1%.  l’immobilier  explose :  uneplace de parking au milieu de nulle partse  négocie  1500 dollars  par  mois,  unechambre meublée, 3000 dollars. plus cherqu’à manhattan. «On construit pour troispersonnes, il en arrive cinq ! Les compagnieslouent tous les appartements, ça tire les prixà un niveau incroyable », déplore l’élu. aWatford,  qui  compte  officiellement1744 habitants, même le shérif vit dansun mobil-home, mais il paie 800 dollars« seulement» au lieu des 5000 habituelle-ment demandés aux ouvriers ! «On doitaugmenter les fonctionnaires et les loger pour

1. JACk DALrympLE, goUvErNEUr

DU DAkoTA DU NorD, à LA CoNférENCE «BAkkEN goLD».

2. LEs pompEs oN ENvAhi LA régioN.3. LEs CAmioNs TrANsporTANT LEs BAriLs

AU pArE-ChoCs CoNTrE pArE-ChoCs.4. WArD koEsEr, mAirE DE WiLLisToN.

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moins cher. Sinon ils partent », expliqueWard Koeser. Deux policiers de Watfordont même rendu leur insigne l’an dernierpour rejoindre l’oil business, au momentoù  on  aurait  le  plus  besoin  d’eux.  leboom apporte son lot de nuisances : bou-chons,  accidents,  vols,  prostitution…habitués aux relations de voisinage faciles,les locaux grincent des dents. ils suppor-tent mal les camps de nomades. «On lesappelle les gipsy truckers», siffle un habi-tant de Watford. les « routiers gitans ».

Un milliard de dollars de royalties le bassin de Bakken dort à 3 000 m deprofondeur. Cette formation géologiquede  520000 km2 (la  France  fait543965 km2) s’étend sous une partie duDakota du nord, du montana et de lasaskatchewan, au Canada. s’agissant depétrole  de  schiste,  seules  les  nouvellestechniques de forage par fracking (fractu-ration  hydraulique)  le  rendentexploitable. Cette  technique  coûte dixfois plus cher qu’un puits classique, maispermet  d’extraire  beaucoup  plus.motivés par  le cours mondial élevé dubrut, les investisseurs ont lancé l’assaut.«Ce n’est pas le boom le plus spectaculairede l’histoire de l’humanité. Mais il entrefacilement dans mon top 10 », concèdeDavid  hobbs,  analyste  stratégique  enhydrocarbures. Qui y gagne ? les com-pagnies pétrolières, bien sûr. l’Etat aussi,dont  les caisses débordent, et  les habi-tants :  le  nombre  de  millionnaires  adoublé  en deux  ans.  les  heureux pro-priétaires  des  droits  minéraux  se  sont

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DAKOTA DU NORD

la ruée vers l’or noir

Trois heures que la Subaru a quittéBismarck, la  capitale  du  Dakota  dunord, et  roule plein ouest entre ciel etprairie.  le  portable  ne  capte  plus  deréseau,  le  trafic  sur  l’interstate 94  estproche  du  zéro  absolu.  la  région  duBakken, nouveau pays de l’or noir, n’estplus très loin. ici, tout le monde n’a queça  en  tête.  les  habitants  eux-mêmesreconnaissent que « le seul truc qui tient lacomparaison, c’est la ruée vers l’or de1848». sur un panneau, à l’entrée de laville d’alexander, en guise de bienvenue :les dix commandements de la Bible. lespremières pompes à pétrole apparaissentdans  les  champs. Couleur  rouille,  ellesrépètent inlassablement leur mouvementde pompage. puis c’est le derrick : cetteplate-forme à tour de 40 m de haut quisoutient le dispositif de forage des puits. aujourd’hui, il y en a 200 dans le Bakken(contre 30 en 2009), et il faut au moins100 personnes à plein temps pour en fairetourner un seul. a l’approche de la villede Williston, on compte toujours plus depompes  et  de  derricks.  les  camions-citernes engorgent maintenant la route etklaxonnent à tout-va. les routiers sontpressés, ils sont payés au baril. Entre despelleteuses  Caterpillar  et  des  maisonspréfabriquées, un bar karaoké proposedes pintes de bière à 2 dollars. Dans lesvilles du Bakken, le taux de testostérone

a fortement augmenté en deux ans. lesmobil-homes et les caravanes pullulent :ce  sont  les man-camps où dorment  lesouvriers.  pour  loger  ses  employés,  lafirme halliburton a été jusqu’à importerle  village  olympique  de  Vancouver  aucœur de cet oil country.

Produire davantage que le Texas En mai dernier, une conférence intitulée«Bakken Gold,  le meilleur est encore àvenir » a réuni hommes politiques,  lob-byistes et compagnies pétrolières au palaisdes congrès de Bismarck. le gouverneurde l’Etat, Jack Dalrymple, et le régulateuren chef de l’industrie, lynn helms, entreautres, se sont succédé au micro. ils savou-rent  et  voient  loin,  et  ont  annoncé40 000 puits en exploitation d’ici à 2020et un objectif clair : dépasser le texas etdevenir les premiers producteurs du pays,«pour le Dakota du Nord, pour l’indépen-dance énergétique de la nation».une vieillechimère réalisable d’ici cinq ou huit ans siles choses suivent leur cours : le Dakotadu nord dépasse déjà l’Equateur, membrede  l’opep.  De  bon  matin,  dans  son

Cela fait au moins un demi-siècleque les Etats-Unis n’ont pasconnu un tel boom. Les plainesdésertes du Dakota du Nord se couvrent de puits et de derricks, et voient affluerune main-d’œuvre avide de salaires mirobolants.

Par Maxime Robinphotos : Dave Arntsonillustrations : Zoé

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partagé, en 2009, 1 milliard de dollars deroyalties. En 2012, ce sera encore biendavantage.  Beaucoup  de  ces  chèquess’envolent hors de l’Etat, vers de lointainshéritiers qui ont fui depuis longtemps cedésert  humain, mais,  selon  les  estima-tions, la moitié de cet argent reste toutde même au Dakota du nord. ici, le fer-mier qui possède une terre ne détient pasforcément les droits minéraux du sous-sol.  Jusqu’à  16 personnes  peuvent  separtager les droits d’un seul acre. maiscombien leur rapporte le pétrole ? selonplusieurs  sources,  les  droits  minérauxdémarreraient à 500 dollars et grimpe-raient  jusqu’à  80 000 dollars  par  moisselon le contrat signé, la qualité du puitset  le  cours  du  brut.  le  président  del’association nationale des détenteurs deroyalties (naro), Jerry simmons, a cal-culé  qu’« ici, environ 67 000 personnespossèdent des droits minéraux. » uncontrat bien ficelé leur assure 20 % duprix  du  baril  pompé  dans  leur  sol.pourtant, on ne croise pas de grosses voi-tures allemandes ni de limousines sur lesroutes.  on  ne  voit  pas  non  plus  degrosses maisons qui en jettent, mais descaravanes et des bêtes à cornes qui pais-sent dans des enclos  immenses. où val’argent ? « Les habitants ne le montrentpas. Ils l’envoient à la banque ou le cachentsous le matelas », explique  nathanConway, directeur d’exploitation pour la

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Le Dakota du Nord en chiffres

Population : environ 684 000 habitants, 3e Etat le moins peuplé des Etats-Unis.Taux de chômage : 3% en mai 2012 (le plus bas des Etats-Unis).Rang : 2e état producteur de pétrole des Etats-Unis (10% de la productionnationale totale), après le Texas et devant l’Alaska. Nombre de puits et derricks :7000 en activité. Production : 575000 barils de bruts par jour (près de 91,5 millions de litres).Salaire annuel moyen à Williston en 2011 : 71000 $ (environ 56000 €)contre 31000 $ (24500 €) en 2006.Taxe : 1,2 milliard de dollars (environ950 millions d’euros) de taxespétrolières récoltées par l’Etat en 2011.

«Cette ruée dépasse toutce qu’on pouvait imaginer.Ça va beaucoup trop vite. »

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Ward Williston oil Company. le terri-toire est profondément conservateur. aBismarck, l’unique « gratte-ciel » est hautde  16 étages,  et  c’est  le  Capitole.  leDakota du nord n’est pas un Etat bling-bling.  « Ici, vous ne croiserez pas depéquenauds qui veulent refaire leur vieavec yachts et manteaux de vison », souritDennis  Johnson,  procureur  à Watforddepuis trente ans. une affaire de menta-lité, donc. «Certains se construisent unenouvelle maison, s’achètent un tracteur, c’estfréquent, admet le procureur. Mais guèreplus. Les rares familles qui détiennentbeaucoup de droits minéraux étaient déjàtrès riches avant ce boom. »

Vingt hommes pour une femme les travailleurs migrants, eux, n’ont pas depudeur à dire combien le boom leur rap-porte. les plaques d’immatriculation despick-up indiquent qu’ils viennent de tousles Etats-unis. Joe martin, 52 ans, a pla-qué son commerce de joaillerie de Fargo, àla frontière avec le minnesota, pour deve-nir  routier.  il  travaille douze heures parnuit  pour  134000 dollars  par  an.  ilhéberge  son fils  Jeff pour un  job d’été :laveur  de  camions.  Jeff  devrait  toucher19000 dollars en quatre mois, qui lui per-mettront de financer  ses  études. mais  àpart travailler, dormir ou chasser le faisan,on s’ennuie vite au Dakota du nord. sans

parler de l’hiver, qui peut être glacial. lestravailleurs  fuient  la  région dès qu’ils  lepeuvent pour rejoindre leur famille ou par-tir au soleil. une situation que regrettentles élus. «Ils n’amènent pas leur famille et nes’intègrent pas à la communauté, ils ne vontpas à l’église, soupire Dennis Johnson. Ici,le ratio démographique est de vingt hommespour une femme.»Dans la salle d’attente dela  gare  de  Williston,  Josh  newmannattend le premier train. a 21 ans, il gagne13000 dollars par mois sur les derricks. «Jebosse quatorze heures par jour, 28 jours desuite. Ensuite je pars deux semaines. C’est lerythme. J’aime bien partir dans les îles, auxBahamas…» après deux ans de ce régime,Josh  a  déjà  acheté  trois  maisons  enarizona. «Je suis jeune, je n’ai pas de copine.

A 27 ans, j’arrête. Je ferai le tour du monde,je démarrerai de bonnes études. »Josh le sait comme tout le monde ici : leboom ne durera pas. «Ça pourrait durerdix ans, peut-être vingt…», suppose l’ana-lyste David hobbs. «Même le meilleur desgéologues ne sait pas où la nappe s’arrête etcombien de temps on l’exploitera », recon-naît  nathan  Conway.  En  tout  cas,  leDakota du nord ne maîtrise pas son des-tin.  l’interdiction  du  fracking par  leCongrès stopperait net le boom. «En unenuit, plus rien ! » frémit un routier. autremenace : un cours mondial du brut sousla barre des 60 dollars. le dernier boom,dans les années 80, avait mal fini. les rueslaissées en plan ne menaient nulle part,Williston était plombée par une dette de

No fracking : no boom

pour «fracker» un puits, il faut :8 millions de litres d’eau (soit troispiscines olympiques), 1500 tonnes de sable, des produits chimiques commel’alcool isopropylique, le méthanol,l’éthylène glycol (utilisé dans le liquide de refroidissement des voitures) et d’autres substances parfoiscancérigènes en très grande quantité.Cette mixture devient un déchet. Le Dakota la réinjecte dans le sol, dansdes puits nommés «saltwater disposal»(collecteur de saumure). En 2005, le Congrès a décidé que le frackingpasserait outre les critères du safeWater Drinking Act (loi sur l’eau potable),accélérant son développement, et,actuellement, l’Environmental protectionAgency (EpA) n’est pas autorisée à contrôler la qualité de l’eau autour des puits. Des opposants au frackingexistent au Dakota du Nord, mais ils sontminoritaires. Les industriels et beaucoupd’habitants assurent que les forages sonttrop profonds pour agir sur la qualité de l’eau potable… Le 1er avril dernier, les régulateurs locaux ont légèrementdurci leurs exigences. Les exploitantsdoivent désormais déclarer les solvantsutilisés et stocker les millions de mètrescubes d’«eaux sales» dans des conteneurs : avant, ils étaient laissésà l’air libre. La france, quant à elle, a étéle premier pays au monde à interdire le fracking, en juin 2011.

1. DENNis JohNsoN, proCUrEUr DE WATforD. 2. ET 3. LEs viLLEs sE DévELoppENT

DE mANièrE ANArChiqUE AUToUr DEs pUiTs.

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1. ET 3. CArAvANEs ET moBiL-homEss’ENTAssENT AUToUr DEs pUiTs DE péTroLE.

2. JoE mArTiN, roUTiEr à WATforD. 4. NAsir khAN, vENU TENTEr sA ChANCE.

5. LEs LogEmENTs soNT rArEs ET ChErs.

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GooD Boom

28 millions de dollars. un ancien se sou-vient  des  autocollants  collés  sur  lespick-up. «Ça disait : “le dernier qui partde Williston éteint la lumière”. »trente ansaprès,  les  locaux  aimeraient  contrôlerdavantage les événements. «S’il n’y avaitque 100 forages, la vie serait tranquille ettout le monde aurait du boulot. Mais200 derricks en même temps, c’est troptendu ! » estime un habitant. pour l’ins-tant, l’Etat et les pétroliers se dépêchentd’engranger avant que la musique ne s’ar-rête,  et  le  Dakota  du  nord  fait  rêver

même  les  jeunes  de  la  côte Est. nasir,26 ans, a passé deux jours dans le train,depuis  le  new  Jersey,  pour  venir  àWilliston : « J’avais entendu sur CNN qu’ily avait des jobs ici. » il a trouvé un travaildans l’heure, «bien mieux payé que dansles casinos d’Atlantic City ». pourtant,  ilrepart au bout de deux jours, faute d’en-droit  où  dormir.  «Un type sympa m’ahébergé la nuit dernière, sinon j’auraisdormi dans une église. » nasir  repart enbus tenter sa chance à minot, une autreville du boom, jusqu’à ce qu’il trouve untoit et un job. «N’importe lequel. » n

industrie, gagnent plus de 200000 $ par an…TGL : A quels défis le Dakota du Nordfait-il face ?N. C. : Il a toujours été pris pour un Etatlow performer, alors le boom fait plaisir !Par contre, rien n’a été planifié pour faireface à ce surcroît d’activité. Le Dakotadu Nord a été pris par surprise ; l’histoirese répète. Il faut davantage de pipelinespour écouler le brut. Aujourd’hui, la moitié du pétrole sort du Dakota par le fret. Un wagon se loue très cher :4000 $ par mois, plus 1 $ par bariltransporté. Notre brut, compétitif à la base, se retrouve plus cher que le pétrole texan sur les marchés. TGL : Que pensez-vous de la nouvelleloi qui oblige les compagnies à stocker les eaux toxiques dufracking dans des cuves et à déclarerla liste des composants chimiquesutilisés, qui pénètrent les sols ?N. C. : Ça nous coûte entre 100000 et 200000 $ par puits. Les compagniespétrolières devraient faire seulement ce qu’elles font le mieux : produire.L’augmentation des coûts est nocivepour la compétitivité et pour l’emploi.Nous avons toujours eu affaire à un Etatoil-friendly, mais des groupes de pressionl’orientent vers davantage de régulation.Je le regrette. n

The Good Life : Comment fonctionneWard Williston ?Nathan Conway : Depuis notre premierpuits foré en 1952, nous possédionsdeux divisions différentes : une brancheprestataire de services et une brancheproduction. C’est rare. En mars 2011,nous avons revendu la branche serviceau Missouri Basin Well Service [le montant de la plus-value reste secret,NDLr]. On recapitalise, on investit dans la prospection et la production.Nous sous-traitons toutes les tâchesphysiques. TGL : Comment êtes-vous entré dans le business du pétrole ? N. C. : J’ai débuté comme contrôleur de puits, à 16 ans. J’ai ensuite démarré àWard Williston en 2001 comme assistantdu CEO, avant de devenir analyste en prospective et développement, puis chef des opérations en 2010. TGL : Quel est votre salaire ?N. C. : Je ne peux pas vous le dire.Disons que les dirigeants, dans cette

nathanConway 35 ans, directeur

des opérations au Dakota du Nordde la Ward Williston oil Company.

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L’Etat et les pétroliers se dépêchent d’engranger.