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80 - CĂŽte dâOpale Magazine CĂŽte dâOpale Magazine - 81
Ă la dĂ©couverte de lâimaginaire de...
Jean-Christophe Vervoitte ean-Christophe Vervoitte ean-Christophe Vervoitte Corniste
âLâImaginaire est Ă lâImagination Ce que le RĂ©el est Ă la Perception.â
par Jean-Marie ANDRĂ
UNE APPROCHE ĂMERVEILLĂE ET PLEINE DE VĂNĂRATION
Telle fut pour son pĂšre mĂ©lomane (version homozygote!) lâapproche de la musique en gĂ©nĂ©ral et en particulier celle de Richard Wagner et du pianiste Wilhelm Kempf. Pour celui-ci,son pĂšre avoua un jour que pour jouer du piano comme Kempf il aurait vendu sa maison. Pour celui-lĂ , il emmĂšnera sa famille en BaviĂšre, visiter les chĂąteaux du Roi Louis II et Bayreuth. Le saxophone baryton lui a permis ensuite dâinstrumentaliser le cheminement musical de son fi ls Jean-Christophe. PrĂ©nom, choisi par hasard (?) mais qui par ailleurs est celui du hĂ©ros musicien et allemand du roman Ă©ponyme de Romain Rolland ayant eu son heure de gloire au dĂ©but du siĂšcle dernier et que vous pourrez trouver en collection de poche.
JE VEUX ĂTRE MUSICIEN
La marche des pĂšlerins du TannhĂ€user de Richard Wagner le fera TannhĂ€user de Richard Wagner le fera TannhĂ€userplonger Ă lâĂąge de 12 ans avec passion dans la musique et le cor dâharmonie mais aussi avec une sainte horreur du solfĂšge. Bien que nĂ© Ă Lens, plus du tout charbon, pas encore Louvre mais toujours Racing, câest Pernes en Artois qui a accueilli ses premiers Ă©mois du cor. Ă 14 ans, au Conservatoire de Douai, il prononça ses vĆux avec un âje veux ĂȘtre musicienââ dĂ©fi nitif. Ă 18 ans, ce fut le Conservatoire de Paris, rue de Madrid. Ă 21 ans il en sortira avec un premier prix de cor dâharmonie et de musique de chambre. AprĂšs concours il sera cor solo de lâorchestre du Capitole de Toulouse puis participera Ă un stage de musique de chambre dans le cadre de lâAcadĂ©mie Mozart de Prague. Les yeux de Jean-Christophe Vervoitte, Ă cette seule Ă©vocation, deviennent Ă©cran sur lequel dĂ©fi le le diaporama de la forĂȘt tchĂšque, ses Ă©tangs, son chĂąteau du XVIIIĂšme siĂšcle, son jardin Ă la française, ses escaliers de marbre, ses tapisseries, ses lustres, ses meubles, ses pianos et Sviatoslav Richter, ce gĂ©ant que fut le pianiste russe de la seconde partie du XXĂšme siĂšcle.
ââNOUS VOUS RECEVONS DANS LâENSEMBLE INTERCONTEMPORAINââ OU LE CHEMIN DâUN GĂANT A LâAUTRE
Le hasard a fait quâaprĂšs Sviatoslav Richter, Jean Christophe Vervoitte a rencontrĂ© cet autre gĂ©ant de la musique contemporaine et de la musique tout court, Pierre Boulez, crĂ©ateur en 1974 de lâInstitut de Recherche et Coordination Acoustique/Musique (lâIRCAM), crĂ©ateur aussi en 1976 de lâEnsemble Inter Contemporain (lâEIC). Pour cela, il lui fallut passer par la âcase concoursââ et jouer 50 minutes devant lâEIC le premier jour et devant Pierre Boulez le second. Ce fut la partie du cor dâharmonie dâun concerto de piano de Mozart mais sans le piano, le Trio de György Ligeti, une piĂšce dâArnold Schoenberg et de Peter Maxwell Davies. Un musicien Ă©ternel et des auteurs contemporains qui le sont devenus ou en voie de lâĂȘtre. AprĂšs dĂ©libĂ©ration, la porte sâest ouverte sur ce mythe vivant de la musique quâest Pierre Boulez, compositeur, chef dâorchestre gĂ©nial, lecteur impĂ©nitent, Ă©crivain, thĂ©oricien lumineux de la musique, visionnaire de la future Philharmonie de Paris et ses 2500 places. Puis le mythe a parlĂ©: ââMonsieur nous vous recevons dans lâEnsemble Intercontemporainââ. âĂ 23 ans je ne savais pas pourquoi jâĂ©tais entrĂ© dans cet ensemble mais 18 ans plus tard, je sais pourquoi jây suis restĂ©ââ ajoute Jean-Christophe Vervoitte. LâEIC dont le chef actuel est Susanna MĂ€lkki, regroupe 31 solistes de dix nationalitĂ©s diffĂ©rentes. La gĂ©nĂ©ration 76 a maintenant dĂ©passĂ© la quarantaine et la gĂ©nĂ©ration rĂ©cente la vingtaine. LâexpĂ©rience des plus anciens a donc tout loisir de se combiner avec lâenthousiasme des plus jeunes.
Hardelot. Douai. Paris. Grand, mince, sportif, regard de
poĂšte, Jean-Christophe Vervoitte est cor dâharmonie de LâEnsemble Intercontemporain de Paris en rĂ©sidence Ă la CitĂ© de la Musique de la Villette. Il est aussi professeur, depuis deux ans, au Conservatoire Ă Rayonnement RĂ©gional de Boulogne-Billancourt, accompagnateur au Conservatoire National SupĂ©rieur de Musique et de Danse de Paris tout en participant ponctuellement au Festival dâHardelot, aux reprĂ©sentations de lâOpĂ©ra Bastille et en particulier Ă la derniĂšre reprise de la lĂ©gendaire mise en scĂšne des Noces de Figaro de Mozart par Giorgio Strehler ou au cycle des symphonies de Beethoven donnĂ© par Emmanuel Krivine Ă la tĂȘte de la Chambre Philharmonique. InterprĂšte de la musique contemporaine avant tout, Jean Christophe Vervoitte reste permĂ©able Ă toutes les musiques et Ă leur essence commune, lâĂ©motion. Cette permĂ©abilitĂ© lui a permis dâouvrir toutes grandes les portes de la tradition, de la crĂ©ation et de la transmission.
UN COR EN HARMONIE AVEC DEUX DO... JEAN-CHRISTOPHE VERVOITTE ET PIERRE BOULEZ.
© LES PHOTOS DE LâARTISTE ET BIEN DâAUTRES SUR http://leregard2james.canalblog.com
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JâENTRE DANS UN RĂVE!
Contrat Ă peine signĂ©, il se retrouve quelques jours plus tard Ă Manhattan. New-York lui apparaĂźt comme la ville debout de Louis-Ferdinand CĂ©line. Ses taxis jaunes, ses fumĂ©es sortant des grilles des chaussĂ©es, le fl ux sonore continu des voitures, du vrombissement des avions, hachĂ© par le mugissement inexorablement rĂ©pĂ©titif des sirĂšnes lâont plongĂ©, lui lâinterprĂšte de la musique dite contemporaine, plus dans Ionisation la musique dâEdgar Varese que dans celle du dernier mouvement de la Symphonie du Nouveau Monde dâAnton Dvorak! Puis ce fut le choc de la grande salle du Carnegie Hall et de son acoustique avec lâinterprĂ©tation dâExplosion fi xe de Pierre Boulez. Le rĂȘve continuera lâannĂ©e suivante avec un concert de lâEIC Ă la Scala de Milan, puis au Festival de Salzbourg avec la rencontre de Luciano Berio, puis avec celle de Karlheinz Stockhausen en Allemagne, celle dâElliot Carter, le compositeur amĂ©ricain devenu centenaire lors du festival dâAldeburgh, le bĂ©bĂ© anglais de Benjamin Britten. Il y a eu les crĂ©ations mondiales en 2006 dâune Ćuvre de Marc Monnet pour cor, aprĂšs celle de Bruno Montovani avec la cantatrice Barbara Hendricks. Auparavant il y avait eu cette rencontre Ă Hambourg en 2002 avec ce monument de la crĂ©ation contemporaine que fut György Ligeti. Il Ă©tait connu du grand public depuis que Stanley Kubrick avait utilisĂ© la musique dâAtmosphĂšres et de son Requiem en 1968 pour 2001 OdyssĂ©e de lâespace. Il avait rĂ©itĂ©rĂ© avec son Lontanoen 1980 pour Shining et avec son Musica Ricercata en 1999 pour Eyes wide shut. Avant dâinterprĂ©ter en concert son Trio pour piano, violon et cor, Jean Christophe Vervoitte et ses partenaires lui rendirent , Jean Christophe Vervoitte et ses partenaires lui rendirent ,visite. Dans le salon, ils se sont frayĂ© un chemin entre des murets de partitions jusquâau piano. Son couvercle Ă©tait recouvert dâune strate dâune cinquantaine de centimĂštres de partitions. Le maĂźtre sâest assis, a soulevĂ© le couvercle du clavier et a dit au pianiste abasourdi âJouez-moi du jazz sâil vous plaĂźt.ââ Ensuite il leur fi t entendre ses microsillons de bossa-nova et de Baden-Powell. Il ne leur suggĂ©ra quâun seul conseil : ma musique est comme âle combat du tigre et du lionââ. Lâentretien avait dĂ©marrĂ© Ă 10 heures, il sâest achevĂ© Ă 18 heures.
LE COR DâHARMONIE ET LE SON
NĂ© lâannĂ©e de Waterloo en 1815, grĂące Ă un nouveau systĂšme Ă pistons, le cor dâharmonie a volĂ© comme âlâaigleâ de salles de concert
en salles de concert sans en connaĂźtre le destin tragique ! Pour Jean-Christophe Vervoitte, le cor dâharmonie reste un instrument ingrat, un instrument qui rĂ©siste, quâil faut amadouer avant dâen extraire du chaos sonore un son qui va sâĂ©teindre aussitĂŽt Ă©mis. DâoĂč le rĂȘve dâun son continu voire inĂ©puisable quâil a assouvi avec lâorgue. Cet instrument le fascine mĂȘme sâil est plus encombrant que son cor dâharmonie et mĂȘme sâil est diffi cile Ă maĂźtriser avec son âtout harmoniqueââ obtenu entre les âdeux infi nisââ des tuyaux dâun centimĂštre et ceux de dix mĂštres. Pour repousser les Ă©motions entre lui et le monde extĂ©rieur, il troque souvent le cuivre du cor et des tuyaux dâorgue pour le fer et le bois des clubs de golf. Il peut alors interprĂ©ter une autre musique, ĂŽ combien alĂ©atoire et ingrate, dans une recherche de lâinfi me et rare instant oĂč tout est parfait, la concentration, la position, le mouvement, le rythme, la distance et la prĂ©cision. Ă cet instant lâĂ©motion, Ă son comble, reste subtile et intense. Toutefois la magie du concert, avec son cĂ©rĂ©monial voire son rituel, reste pour lui premiĂšre. En sâexposant au regard des autres, jouer devient un geste intime, mais jouer reste fascinant car Ă la fois attirant et paralysant, au sein dâun orchestre qui, tel un âcorps hors du tempsââ, unit les musiciens vers un mĂȘme objectif rassembleur que chacun vivra sans voir sa personnalitĂ© laminĂ©e.
CRĂATION ET TRADITION
Pesante est la tradition car elle impose, au crĂ©ateur, Ă lâinterprĂšte et au public, un certain nombre de valeurs dont lâobjectivitĂ© nait de cette tradition. Mais ces valeurs qui vivent dans la longue durĂ©e, nâont de sens ou de poids que si lâon y adhĂšre. Cette subjectivitĂ© des valeurs rend donc nĂ©cessaire leur continuel renouvellement. Pour faire court une tradition nâest vivante et donc indispensable que si elle permet dâinnover dâautant quâaucune Ćuvre musicale, aucune Ćuvre dâart nâest apparue ex nihilo.
La crĂ©ation comme lâinterprĂ©tation peuvent relever de la dĂ©coration, de la mise en scĂšne sans apporter lâessentiel. Cet essentiel pour la musique comme pour toutes les formes dâart est de nous faire percevoir quelque chose que nous ne connaissons pas en un âmouvement de dĂ©couverte relevant dâune sorte dâĂ©blouissementâ. Pour la musique, ce sont les sons, la forme et la structure qui le permettront, en transformant en instants miraculeux les 3 Ă 4 questions, au sujet de lâamour, du plaisir et de la joie, de la mort et
du deuil que tout ĂȘtre humain se pose dans le temps qui lui reste avant de mourir. Câest dans sa passion de lâart ancien que Jean-Christophe Vervoitte a trouvĂ© toutes les racines lui ayant permis de dĂ©coder lâart contemporain. Câest cette absence de visibilitĂ© de ces racines qui pousse le public Ă le rejeter. âLa perception de lâart est intemporelle car lâart est prĂ©sent dans notre vie quotidienne. Plein de cette diversitĂ© lâart contemporain participe Ă la transmission de cet amour de la beautĂ© du mondeââ.
TRANSMISSION AUX ĂLĂVES
Pour Pierre Boulez, lâEIC nâest pas un simple âpick- upââ! Aux Ă©lĂšves du conservatoire, Jean-Christophe Vervoitte leur reformule ce que lâon fait machinalement avec lâexpĂ©rience et leur transmet le plaisir de faire de la musique par plaisir. Il a ainsi dirigĂ© plusieurs Master Classes au Carnegie Hall de New-York. Il a participĂ© Ă lâAcadĂ©mie du XXĂšme siĂšcle de la CitĂ© de la Musique. Il est, de plus, membre du jury du concours Tremplins organisĂ© par lâEIC et lâIRCAM, jury qui devra, en ce mois de DĂ©cembre, sĂ©lectionner 15 jeunes compositeurs en vue dâune future commande.
ET TRANSMISSION AU PUBLIC
Le public des concerts de musique classique de Bach Ă Ravel sây reconnaĂźt car il nây arrive pas âviergeââ. Il a, enfoui au fond de sa mĂ©moire sensorielle, ses propres repĂšres de la nostalgie avec le mode mineur, de la joie avec le mode majeur, du mouvement avec les danses populaires. Avec la musique contemporaine lâoreille a perdu ses repĂšres rythmiques, mĂ©lodiques et tonals. Elle est face Ă un chaos indĂ©terminĂ© qui nâest pas encore un discours. Dans ce chaos on retrouve pourtant les mĂȘmes Ă©chos de ârĂ©tention-anticipationââ dont Bach a truffĂ© sa musique en gĂ©nĂ©ral et la Messe en si en particulier. Le compositeur contemporain Henri Dutilleux parle de la mĂȘme chose avec ses âphĂ©nomĂšnes de prĂ©fi gurationââ qui vont sâancrer dans la mĂ©moire de lâauditeur. Ces premiers Ă©lĂ©ments dans lâindĂ©cision totale vont sâorganiser petit Ă petit en une phrase musicale continue qui est le premier Ă©lĂ©ment mĂ©lodique que lâon pourra chantonner. Des sons deviennent une phrase lyrique et lâinterconnexion de ces diffĂ©rentes phrases permet Ă lâoreilledâentendre la genĂšse dâun monde sonore en Ă©volution. Pour le spectateur il lui faut accepter de sây immerger et selon son degrĂ©
de permĂ©abilitĂ© ou dâimpermĂ©abilitĂ© dây entendre lâinexprimable. La majoritĂ© de ceux-ci, lors du dernier Festival dâ Hardelot, a peut-ĂȘtre partagĂ© ce point vue Ă lâĂ©coute miraculeuse dâAinsi la nuit, le quatuor Ă cordes dâHenri Dutilleux, interprĂ©tĂ© par le Quatuor Rosamonde. Elle aurait pu en dâautres lieux ressentir la mĂȘme chose avec le Kammerkonzert dâAlban Berg et la Gran Partita de Mozart, Ćuvres Kammerkonzert dâAlban Berg et la Gran Partita de Mozart, Ćuvres Kammerkonzertde structure voisine Ă un siĂšcle et demi de distance, interprĂ©tĂ©es par lâEIC. Mais il en va de la musique contemporaine comme de toute chose nouvelle. Ce que le dramaturge Heinrich Von Kleist suggĂ©rait dĂ©jĂ au dĂ©but du XIXĂšme siĂšcle avec son âRien ne devient rĂ©el tant quâon ne lâa pas ressentiââ. Rassurez-vous on nâen sort pas indemne, on en sort juste diffĂ©rent !
UNE MUSIQUE MAIS QUELLE MUSIQUE ?
Une musique mais quelle musique pour un musicien professionnel? Ce sera une lettre de Mozart Ă propos du cor et dâun opĂ©ra. Le 29 novembre 1780, ĂągĂ© de 24 ans, Mozart fi nissait de composer IdomĂ©nĂ©etout en en assurant les rĂ©pĂ©titions en vue de sa crĂ©ation Ă lâopĂ©ra de Munich en janvier 1781. Dans une lettre Ă son pĂšre, il sâinquiĂšte de lâair de La statue de Neptune, quâil trouve trop long. Il demande Ă son pĂšre de se reprĂ©senter la scĂšne avec une voix de basse devant ĂȘtre effrayante et âpĂ©nĂ©trer lâĂąmeâ. Il se demande comment cet effet peut paraĂźtre vrai si sa longueur permet aux auditeurs de se persuader âde son nĂ©ant et de son absence de vĂ©ritĂ©ââ. Il ajoute que si dans le Hamlet de Shakespeare le discours du spectre nâĂ©tait pas aussi Hamlet de Shakespeare le discours du spectre nâĂ©tait pas aussi Hamletlong, il nâen aurait Ă©tĂ© que meilleur ! Il propose dâaccompagner cette voix de 2 cors pas encore âdâharmonieâ et de 3 trombones qui seraient en coulisses avec le chanteur, lâorchestre Ă©tant silencieux. Lâintendant du thĂ©Ăątre, trouvant cette demande trop onĂ©reuse, la refusera et le soir de la premiĂšre ce fut la voix de Neptune qui tomba Ă lâeau. Mozart se vengera, plus tard et pour lâĂ©ternitĂ©, avec la scĂšne du Commandeur de son Don Giovanni !