Upload
doandung
View
247
Download
1
Embed Size (px)
Citation preview
1
PARTIE I : Apport Théorique
LACAN BIODYNAMIQUE
un Autre regard sur les psychoses
2
Introduction
Le présent travail est le fruit d’une rencontre entre les travaux de Jacques Lacan concernant le traitement psychanalytique des psychoses et la Psychologie Biodynamique. Exerçant depuis près de dix ans en milieu psychiatrique, je fus surpris de découvrir, dès mon entrée en formation, de nombreux liens existant entre les enseignements transmis par l’école biodynamique et la psychanalyse telle que nous l’appliquions en institution thérapeutique. Mon intention ici est de revenir sur les bases psychanalytiques du traitement des psychoses en suivant les textes de Freud puis l’enseignement de Lacan et d’en dégager certains aspects « biodynamiques ». Par-‐là, je souhaite mettre en avant quelques similitudes entre ces deux approches et souligner une logique de travail pertinente pour le thérapeute qui se confronte à cette problématique. Le point commun historique sur lequel je me suis basé pour avancer l’idée d’un « Lacan biodynamique » est l’œuvre de Freud : point de départ des avancées de Lacan et branche essentielle de développement pour la biodynamique. A partir d’une relecture du concept de pulsion – entre psyché et soma –, nous brosserons un tableau comparatif des logiques libidinales et transférentielles en jeu dans la névrose, puis dans les psychoses (schizophrénie et paranoïa). En mettant l’accent sur les destins de la libido, nous en percevrons les conséquences sur le lien social et nous pourrons en tirer diverses lignes de conduites – relatives au cadre de travail, à la présence et à l’intention thérapeutique – utiles au praticien biodynamique.
Freud et la pulsion : première théorie de la libido
L’appareil psychique et le schéma réflexe Un principe biologique fondamental stipule que la condition première pour voir
apparaître la vie est la séparation entre deux milieux : un externe et un interne (entre lesquels des échanges s’établiront). Cette première distinction est issue de la fermeture sur elle-‐même d’une couche cellulaire qui forme ainsi une membrane délimitant deux espaces. Ce postulat se retrouve clairement dans la conception freudienne de l’appareil psychique : le système nerveux, endosomatique, est séparé du monde extérieur. Dès l’aube de la psychanalyse, Freud1 conçoit un modèle d’appareil psychique calqué sur cette distinction biologique et le fonctionnement de l’arc réflexe. Il se compose de la sorte : une excitation extérieure (flèche supérieure du schéma 1) vient percuter le système nerveux (S.N.) de la personne et en réponse immédiate à la tension interne ainsi générée, une action « réflexe », une décharge motrice (flèche inférieure) est émise vers l’extérieur afin d’en supprimer la source. Le schéma réflexe illustre l’interaction du monde extérieur sur le système nerveux et la réponse motrice qui s’ensuit :
1 FREUD S., Lettres à Wilhelm Fliess (1887–1904). Edition complète, trad. Kahn F. et Robert F., Paris, PUF, 2006.
3
Schéma 1
Ce schéma réflexe est l’occasion pour Freud de poser une distinction élémentaire entre le monde interne et le monde externe ; c’est un postulat de base qui délimite deux espaces, mais aussi deux réalités. Ainsi l’homme a affaire à une réalité externe de laquelle il tire satisfactions et frustrations, et à une réalité interne non exempte de stimulations elle-‐même, nous allons le voir.
Avant la pulsion : le schéma sexuel Dans le Manuscrit G (1895)2, Freud développe son schéma sexuel afin de rendre
compte de l’intrication somato-‐psychique. Suivons-‐le pas à pas. Premièrement, l’individu est soumis à une tension sexuelle émanant de ses organes internes (entendons bien que sexuel ne signifie pas ici spécifiquement génital, mais renvoie à la recherche d’une satisfaction en générale, soit à la diminution de la tension interne en particulier). Cette tension vient alors s’attacher à un groupe psychique (des représentations) qui conditionnera une réaction spécifique en direction d’un objet situé dans le monde extérieur. Si cet objet répond favorablement à la sollicitation de l’individu, il lui apportera une sensation agréable et ainsi réduira la tension somatique originaire de l’organe en question ; la satisfaction est obtenue, le système somato-‐psychique s’apaise et l’individu ressent un confort interne, un plaisir : de la volupté. Le schéma sexuel illustre la boucle somato-psycho-motrice suivante :
2 FREUD S., Lettres à Wilhelm Fliess (1887–1904). Edition complète, trad. Kahn F. et Robert F., Paris, PUF, 2006.
4
Schéma 2 :
Tension somatique (issue de S.N.) -> Représentation psychique -> Décharge motrice vers l’objet -> Sensation agréable de l’objet -> Volupté (flèche en pointillés)
On remarquera ici que la tension part directement de l’intérieur de l’organisme et que le système nerveux (S.N.) du schéma réflexe qui prenait toute la place interne s’estompe en partie en laissant la place à un espace psychique. Deux régions internes sont alors distinguées : l’une somatique (Σ), l’autre psychique (Ψ). Observons également que la sensation somatique agréable obtenue de la rencontre avec l’objet va se traduire psychiquement par la volupté. On a là une représentation de l’interaction existant entre le système somato-‐psychique et son environnement. Freud souligne d’emblée que, la plupart du temps, le monde extérieur frustre l’individu. La rencontre avec l’objet n’est pas gratifiante ou ne s’opère simplement pas, ce qui cause une grande souffrance. Par la suite, afin d’éviter ce déplaisir, le Moi va mettre en place des mécanismes de défense ciblant les représentations ou les affects nocifs. Pour mieux saisir cela, développons le concept clé qui articule cette interaction somato-‐psychique : la pulsion.
La pulsion : entre psyché et soma Selon Freud, à l’intérieur du corps, la vie des organes se caractérise par une force
dynamique constante, un mouvement ininterrompu allant des profondeurs somatiques vers la surface psychique. Voilà posée la distinction entre les deux espaces internes : le soma (Σ) et la psyché (Ψ). Pour rendre compte de cette force biologique qui pousse et du lien intime qui unit le corporel au psychique, Freud crée le concept de pulsion : qui est un concept limite entre le psychique et le somatique3 nous dit-‐il. D’après lui, la pulsion se manifeste à nous sous les espèces de la représentation et de l’affect. Ce sont – suivant sa définition – les deux modalités d’appréhension de la pulsion que nous ayons. D’un côté, le corporel se trouve représenté dans le psychique par la
3 FREUD S. (1915), « Pulsions et destins des pulsions », Métapsychologie, trad. Laplanche J. et Pontalis J.-‐B., Paris, Gallimard, 1999 :11-‐43.
5
représentation ; de l’autre côté, ce même corporel se manifeste sous forme d’affect à inscrire sur un continuum sensitif allant du plaisir au déplaisir. Les deux versants de la pulsions sont par là représentés dans le Moi et subiront un destin qui leur est propre suivant les circonstances : le refoulement pour la représentation si elle est jugée inconciliable avec les exigences de la réalité et du Surmoi ; l’affect, quant à lui, empruntera la voie de la conversion somatique, de la substitution à un autre groupement psychique ou de la transformation en angoisse. Pour mieux saisir ce passage, rappelons que les concepts essentiels de représentation et d’affect que Freud utilise, sont issus de la tradition philosophique et notamment des travaux de Spinoza.
La représentation et l’affect chez Spinoza Dans son Éthique4., Spinoza envisage la représentation – qu’il appelle une idée –
comme un mode de pensée qui représente quelque chose. C’est-‐à-‐dire que l’idée est ici une pensée qui renvoie à un objet extérieur : elle représente l’objet sur la scène psychique, par la pensée. Par exemple, l’idée d’un triangle, renvoie au triangle que l’on perçoit. L’affect, par contre, est envisagé comme un mode de pensée qui ne représente rien. Deleuze5 donne les exemples de l’amour, de l’angoisse ou de l’espoir pour nous faire comprendre qu’on peut bien se faire une idée de ce que sont l’amour, l’angoisse ou l’espoir, mais qu’en tant que tel, ils ne représentent rien : ils n’ont pas leur pendant dans la réalité extérieure. L’idée de la chose aimée ne correspond pas à l’amour en tant que tel. Spinoza va beaucoup plus loin et nous indique que les idées ont elles-‐mêmes un degré de réalité ou de perfection. C’est-‐à-‐dire que l’idée est elle-‐même une chose à part entière : elle possède une réalité formelle, dite intrinsèque. Elle se compose donc d’une réalité objective (son caractère extrinsèque, représentatif : le rapport de l’idée à ce qu’elle représente) et d’une réalité formelle (la chose qu’est l’idée en elle-‐même) qui peut varier en intensité selon l’objet auquel elle renvoie. Ainsi, l’idée de Dieu aura un degré de réalité ou de perfection infiniment plus grand que l’idée d’une grenouille, nous précise Deleuze. De la sorte, chaque fois que nous percevons quelque chose dans le monde extérieur, cette chose vient se représenter en nous sous forme d’idée à laquelle s’attache un degré de perfection. Au fur et à mesure que les idées s’affirment en moi et se succèdent, une variation d’affect l’accompagne : certaines idées m’évoqueront de la joie, d’autres de la tristesse (passions fondamentales de Spinoza que Freud traduira en plaisir et déplaisir). Cette variation affective va déterminer ma puissance d’agir ou ma force d’exister, selon les termes de Spinoza ; c’est-‐à-‐dire que lorsque je passe d’une idée à haut degré de perfection qui m’apporte de la joie, à une idée qui cause en moi de la tristesse, je perds ma puissance d’agir. Pour lui, l’affect constitue cette variation continue de la force d’exister (ou de la puissance d’agir) en tant qu’elle est déterminée par les idées qu’on a. Autrement dit, quand on est heureux, on s’active et on fait des choses, alors que quand on est triste, on aurait tendance à ne rien faire… A l’extrême, nous retrouvons ici les deux pôles de la maniaco-‐dépression : le maniaque, très content (trop content) s’agite en tout sens, alors que le déprimé (trop triste) ne sort plus de son lit. Représentation et
4 SPINOZA B. (1677), Éthique, trad. Pautrat B., Paris, Seuil, 1998. 5 DELEUZE G., Spinoza (1978-1981), Les cours de Gilles Deleuze, inédit.
6
affect sont liés en une entité qui va conditionner le comportement de l’individu ; Freud en explorera les modalités pathologiques au travers de leurs formes déliées. Ces développements de Spinoza, mettant l’accent sur les effets corporels du signifiant –où ma force d’exister dépend des idées qui me traversent et des états affectifs qui y sont associés – préfigurent déjà les aménagements de certains aliénistes du XXème siècle (dont Lacan) qui focaliseront leur attention sur les effets thérapeutiques de l’ambiance du dispositif soignant et de la relation intersubjective.
Conflit pulsionnel et psychopathologie Ainsi, pour Freud, représentation et affect constituent les deux modalités par
lesquelles un lien intime s’opère entre le corps et la psyché, via la pulsion. Toutefois, il nous fait part, dès 1894, dans son article sur Les psychonévroses de défense6, d’un conflit psychique majeur originaire de la névrose. En effet, il arrive qu’un événement se présente au Moi chargé d’une représentation trop forte pour qu’un travail de pensée puisse l’assimiler et qu’elle soit associée d’un affect tellement pénible qu’il vaille mieux l’effacer de la mémoire, le rejeter. Le Moi va « oublier » l’événement en transformant la représentation forte en une représentation faible et en lui arrachant l’affect dont elle est affublée. En d’autres mots, la représentation se dissocie de l’affect, ou plus exactement, elle se dissocie de la somme d’excitation dont elle est chargée. Car pour Freud, l’affect est avant tout un quantum d’affect7 : une quantité énergétique issue du corporel qui, liée à la représentation, peut alors s’exprimer sous forme de sentiment. Une fois la dissociation établie, la somme d’excitation arrachée sera orientée vers une autre utilisation. Le Moi s’en trouve apaisé. Dans l’hystérie, l’excitation est renvoyée dans le corps par un mécanisme de conversion. La représentation est devenue inoffensive car l’affect perturbateur qui y était associé (sa valeur énergétique) se trouve renvoyé dans l’innervation corporelle où il formera un symptôme. Dans la névrose obsessionnelle, la conversion n’est pas possible et l’affect reste dans le domaine psychique : il ne passe pas dans le corps, mais va aller se lier à une autre représentation, moins dérangeante. Il en résulte que la première représentation perd de sa force, ce qui apaise le Moi, mais en revanche, la nouvelle représentation se trouve affublée d’une charge affective dont la force est incompréhensible pour le Moi. L’affect a ici été déplacé ou transposé d’une représentation à une autre. Les obsessions et les phobies découlent de ce mécanisme de déplacement affectif d’une représentation à une autre. Concernant la psychose, Freud est plus prudent et tâtonne. Il postule à cette époque l’existence d’un mécanisme de défense plus énergique qui consiste à rejeter (verwift) la représentation insupportable et son affect ; faisant comme si la représentation n’avait jamais existé et n’était pas parvenue au Moi. Au moment où cela s’accomplit, la personne est en état de psychose hallucinatoire car en rejetant la représentation à laquelle est 6 FREUD S. (1894), « Les psychonévroses de défense », Névrose, psychoses et perversion, trad. Laplanche J., Paris, PUF, 1978 : 1-‐14.
7 Cet intérêt pour l’aspect énergétique de la pulsion constitue le point de vue économique de Freud. L’aspect topique concerne les tribulations de la représentation qui passe du système Ics au système Pcs/Cs (et inversement), alors que le point de vue dynamique s’attache aux manifestations de décharge motrice de l’affect. Freud considèrera que la description d’un phénomène clinique tenant compte de ces trois points de vue prendra le nom d’analyse métapsychologie de la situation.
7
attaché un fragment de la réalité, le Moi rejette aussi cette partie de la réalité. Il en résulte une grande confusion. Un peu plus tard, il envisage l’hallucination comme un symptôme du retour du refoulé8, puis affine en 19119 son idée du rejet qui servira de base aux travaux de Lacan et à sa théorisation de la forclusion (Verwerfung) comme mécanisme de défense inaugural des psychoses. En étudiant le cas Schreber, Freud décode le processus paranoïaque et en définit le mode opératoire : « ce qui a été aboli au-‐dedans revient du dehors. » Lacan reprendra ce passage en y ajoutant sa lecture linguistique : « ce qui est forclot de l’ordre symbolique fait retour dans le réel. » Autrement dit, l’événement qui n’arrive pas à s’inscrire au niveau du système psychique (via une représentation) fait retour dans le corps et envahit la réalité psychique du sujet sous forme d’énergie déliée et chaotique – créant hallucinations et passages à l’acte sacrificiel (décharge motrice) comme tentative de guérison.
De la psychiatrie classique à Jacques Lacan
Pour mieux saisir les développements de Lacan et les aspects « biodynamiques » de son orientation dans le traitement des psychoses, revenons sur les fondements de la psychiatrie en Europe et en France, principalement. Leurs évolutions ont servi de base à ses travaux dans les années 50 et ont conditionné son approche.
Retour sur les fondements de la Clinique La psychiatrie émerge au XIXème siècle sous l’influence française de Pinel qui
libère les aliénés de leurs chaines et soutient le fait que l’on puisse les comprendre et les soigner. Il élabore la première classification des maladies mentales et jette les fondements de l’approche « clinique » en attachant une importance cruciale aux phénomènes observés auprès des patients. Fin XIXème, en Allemagne, Kraepelin10 établit une synthèse évolutive des formes de psychoses menant à la démence précoce. Son approche met en évidence l’action dégénérative qu’entraine la psychose sur le système nerveux ; la notion de démence soulignant l’affaiblissement global, progressif et irréversible des facultés intellectuelles. Cette notion a donc un caractère purement négatif, visant une destruction définitive des facultés mentales dans leur ensemble ; ici, la psychose s’allie à l’idée d’incurabilité.
De la démence précoce à la schizophrénie Vers 1911 en Suisse, Bleuler, inspiré par les découvertes freudiennes, remplace le
terme de démence précoce par celui de schizophrénie. Il met en évidence la dissociation comme symptôme fondamental de la déchéance psychique du sujet. Pour lui, la schizophrénie s’origine d’un trouble organique (encore inconnu et mystérieux) qui se traduit sur le plan psychologique par un relâchement des associations et un trouble de l’idéation ; cela signifie que, pour le sujet, « l’image symbolique peut être mise à la place
8 FREUD S. (1896), « Nouvelles remarques sur les psychonévroses de défense », Névrose, psychoses et perversion, trad. Laplanche J., Paris, PUF, 1978 : 61-‐81.
9 FREUD S. (1911), « Remarques psychanalytiques sur l’autobiographie d’un cas de paranoïa : Dementia Paranoides. (Le président Schreber) », Cinq psychanalyses, trad. Bonaparte M. et Loewenstein R., Paris, PUF, 2001 : 263-‐324.
10 KRAEPELIN E. (1900), Introduction à la psychiatrie clinique, trad. Devaux A. et Merklen P., Paris, Vigot Frères, 1907.
8
de la chose symbolisée » – en d’autres termes, le mot équivaut à la chose, la représentation interne et l’objet externe ne sont pas différenciés. Bleuler insiste également – et c’est là une avancée majeure de la clinique psychiatrique – sur les troubles de l’affectivité vécus par les patients. Avec Jung11, il met en évidence l’impact des complexes psychiques sur le vécu du temps présent et la participation du sujet aux dynamiques relationnelles. Cette notion rend compte d’un parasitage du passé sur le présent. Le complexe psychique témoigne de la réapparition dans le présent d’une charge affective passée, détachée de sa représentation originelle et à présent « vagabonde », cherchant à se rallier à un nouveau groupe psychique. De la sorte, le sujet peut être plongé dans des activités apparemment incohérentes du point de vue actuel (par exemple, cette patiente qui répète compulsivement des gestes de frottement des mains), mais tout à fait cohérentes du point de vue historique (en fait, ces frottements correspondent aux gestes d’un cordonnier qui coud des chaussures ; ce dernier était le bien-‐aimé de la patiente dont elle fut séparé brutalement et de qui elle reproduit les gestes emblématiques). Ces troubles de l’affectivité auront une influence immédiate sur le système de pensée du malade qui ne cherchera plus à s’adapter à la réalité, mais restera figé dans son imaginaire, prostré dans sa citadelle intérieure, dans un état que Bleuler qualifiera d’autistique.
De l’élan vital en psychiatrie En 1927, Minkowski12 – qui est passé pendant ses études de psychiatrie chez
Bleuler à Zurich – reprend ses conceptions sur la schizophrénie et y ajoute sa lecture de la philosophie de Bergson sur l’élan vital13. Selon lui, le processus essentiel de la schizophrénie est une perte de contact vital avec la réalité (Lacan parlera d’un désordre provoqué au joint le plus intime du sentiment de la vie…14). Bleuler avait déjà mit l’accent sur l’attitude du malade à l’égard de l’ambiance et en avait fait un critère diagnostic ; reprenant à son compte la distinction de Kretschmer (1926) entre la syntonie (attitude du sujet qui vibre avec l’ambiance) et la schizoïdie (attitude de rupture avec l’ambiance), il proposait au clinicien de se laisser toucher par l’ambiance émanant des patients afin d’affiner leur diagnostic : une sensation de froid éprouvée en présence d’un sujet qui désinvestit la réalité signait la schizophrénie. Minkowski cherchera à désintellectualiser les conceptions de l’aliénation mentale et à recentrer son attention sur les sensations et sentiments que lui fournissent ses expériences vécues avec les patients. Pour lui, c’est dans la rencontre que la connaissance de l’autre advient ; c’est en se laissant sentir ce que l’autre me fait et génère en moi comme affects que je peux me faire une idée de ce qu’il vit et de son mode d’existence. Il décrit sa démarche ainsi : « Nous cherchons à atteindre, au travers de ce qui est mort, ce qui vit et vibre encore. »
11 JUNG C.-‐G. (1928), L’homme à la découverte de son âme, trad. Cahen R., Paris, Albin Michel, 1987.
12 MINKOWSKI E. (1927), La schizophrénie. Psychopathologie des schizoïdes et des schizophrènes, Paris, PBP, 2006.
13 BERGSON H. (1907), L’évolution créatrice, Paris, PUF, 2009. 14 LACAN J. (1956), « D’une question préliminaire à tout traitement possible de la psychose », Écrits, Paris, Seuil, 1966 : 531-‐584.
9
De la biologie et de l’affect Ainsi, nous en arrivons à un point où, partie de conceptions
anatomopathologiques, puis biologiques, la psychiatrie s’est intéressée à l’aspect relationnel et aux enjeux affectifs présents dans les troubles qu’elle observe. Depuis Descartes (XVIIème), nous avions pris l’habitude de surtout considérer l’homme comme « être pensant » et d’ainsi n’envisager la folie que comme une « perte de la raison » (accent mis sur le plan mental). Dès 1855, Moreau de Tours souligne des similitudes entre la folie et le rêve, et ouvre la voie à deux courants d’interprétation : l’un, rationaliste, qui insiste davantage sur les similitudes sémiologiques entre folie et rêve, et accentue l’idée d’une origine toxi-‐infectieuse des troubles mentaux ; et un autre, qui tend vers une psychologie affective, inspiré ensuite par les travaux de Freud, liant représentation psychique et contenu affectif en un complexe psychique. Cette évolution mena à une meilleure compréhension des phénomènes incohérents et aberrants des aliénés et ouvrit la voie à de nouvelles modalités de traitements ; mettant l’accent sur l’importance de l’ambiance des lieux et son impact sur la guérison, ainsi que sur les effets apaisant du contact et de la relation de confiance entre soignant et soigné. La clinique sous transfert était née. La psychiatrie entra à ce moment dans son erre psychothérapeutique.
La psychose selon Lacan Lacan est largement inspiré par les travaux de Minkowski et de Bleuler qu’il va
intégrer à la doctrine freudienne en y ajoutant les apports récents de la linguistique structurale. En 1956, dans son Séminaire15 sur les psychoses, il dégage un concept clé qui en bouleverse l’abord : la forclusion du Nom-du-Père. Par-‐là, Lacan redéfinit la psychose comme un phénomène inhérent à la condition de l’être parlant, à son inscription dans les registres symbolique et langagier. Il jette ici les bases d’une approche innovante de la maladie mentale. Partant du principe que l’être humain baigne dans le langage avant même sa conception (puisqu’il est déjà parlé par ses futurs parents avant même d’être conçu), il met l’accent très tôt sur les importants dérèglements que la parole occasionne sur le corps et pointe les modifications comportementales « contre nature » qui en découlent ; l’homme mettant en danger sa vie afin de réaliser sa satisfaction pulsionnelle. En suivant Freud pas à pas, Lacan en dégage une vision de la psychopathologie mettant l’accent sur les troubles de la libido et ses conséquences corporelles, relationnelles et sociales. Nous allons voir quelles modalités de traitement des psychoses découlent de cette interprétation.
Le transfert de libido dans la névrose et la psychose
La névrose Un des concepts fondamentaux de la psychanalyse est celui de pulsion. Nous
venons d’en parler et d’insister à ce sujet sur l’articulation qui s’en dégage entre le corps et le langage. On a souvent tendance à oublier ou à mésestimer le rôle vital qu’à pour le petit d’homme l’environnement sonore dans lequel il baigne. Bion16 et son équipe ont longuement investigué cet aspect et sont arrivés à la conclusion suivante : le développement « normal » de l’appareil psychique dépend étroitement de la capacité
15 LACAN J. (1955-‐1956), Les psychoses, Le Séminaire, Livre III, Paris, Seuil, 1981. 16 BION W.R. (1962), Aux sources de l’expérience, trad. Robert F., Paris, PUF, 2010.
10
qu’à la mère (ou son substitut) de donner du sens au vécu corporel de l’enfant. Bion s’est rendu compte que la mère prêtait littéralement sa capacité à penser au bébé afin de lui permettre d’intégrer à l’ordre symbolique ce qu’il vit ; de transcrire ses éprouvés sensoriels en symboles. Cette opération s’effectue lorsque la mère nomme le monde à l’enfant, lorsqu’elle nomme pour lui – c’est-‐à-‐dire qu’elle interprète – ses ressentis, ses sensations. Il compare ce processus de nomination (qu’il a appelé fonction-alpha) à un appareil digestif : le mot énoncé va permettre de digérer l’expérience émotionnelle vécue et d’intégrer sa charge énergétique à l’ensemble symbolique : de lui donner du sens. Dans le cas où ce processus ne se passe pas, l’enfant est assailli par une masse d’informations qu’il ne peut pas traiter (Bion parle ici d’éléments-bêta) et est alors submergé par une réalité qui n’a pas de sens pour lui. La psychose découle, selon Bion, de l’invasion de l’appareil psychique par ces éléments-bêta non symbolisés. Lacan énonçait ce procédé en d’autres termes : selon lui, une insondable décision de l’être17réside au fondement de la psychose et suppose que le sujet choisit en quelque sorte d’enter ou pas dans le registre symbolique. C’est-‐à-‐dire qu’il consent (ou pas) à se laisser mortifier par le langage et à perdre une partie de sa satisfaction réelle, immédiate, au profit de celle dispensée par la représentation. Dans le cas où le sujet consent à transférer une partie de sa jouissance dans l’ordre symbolique (que Lacan appelle le grand Autre avec un A majuscule), il s’instaure une dialectique entre lui et l’Autre qui le mènera à aller rechercher sans fin une substance de satisfaction, un objet, dans le monde. Cette quête est entreprise par l’énergie du désir qui se décline subjectivement et vise une infinité d’objets. La logique libidinal en œuvre dans la névrose est de cet ordre : le sujet a perdu une partie de lui-‐même (une partie de sa satisfaction auto-‐érotique) en la transférant dans l’ordre symbolique. Il souffre de cette perte et part dans le monde afin de retrouver ce qui lui manque de plus intime, mais n’y arrive jamais. Nous pouvons nous représenter cette opération de transfert de la libido ainsi :
Schéma 3 :
Le sujet (S) perd une partie de son être de jouissance (-) qui est transférée au registre de l’Autre (A) sous la forme d’une inconnue (x) : objet du désir toujours évanescent car d’ordre psychique
(fantasmatique) et non matériel.
Par cette opération, le mot acquiert un statut particulier : il réalise le meurtre de la chose. C’est-‐à-‐dire, en paraphrasant Bleuler, que « l’image symbolique ne peut pas être mise à la place de la chose symbolisée » : le signifiant « arbre » (représenté sur la scène
17 LACAN J. (1946), « Propos sur la causalité psychique », Écrits, Paris, Seuil, 1966 : 151-‐193.
11
psychique) revoie à l’objet « arbre » (présent dans la réalité externe) mais ne correspond pas à l’objet en tant que tel. Ce drame inaugural – qui négative une partie de l’être – introduit pourtant le sujet à des perspectives heureuses : en se soumettant à l’ordre symbolique, il entre dans les discours qui sont le ciment des relations humaines. Un discours, c’est une suite de mots (une articulation signifiante) qui forment un sens et qui, lorsqu’il est partagé avec les autres, crée du lien social. Au fond, on pourrait dire que le discours, c’est le lien social. Sans une communauté de sens et de signification, issue d’un ordre établi entre les mots, nous ne nous comprendrions tout simplement pas. C’est tout le tragique de la psychose qui se spécifie d’une désarticulation de la chaine signifiante et donc d’une désagrégation du lien social.
La schizophrénie L’étude des psychoses en psychanalyse se divise en deux grandes catégories liées
aux particularités libidinales qui les caractérisent. La modalité la plus dramatique de déchirure du lien social se rencontre dans la schizophrénie où le sujet s’est radicalement coupé de l’Autre. Le transfert de libido dans le champ symbolique ne s’est pas opéré et laisse le sujet en proie à une forme d’auto-‐érotisme morbide. C’est dans ce cadre que Bleuler évoquait l’aspect autistique de ses patients. En effet, nous rencontrons ici toutes les modalités de décrochage de la réalité, de désinvestissement du monde, de l’autre et du corps. Le sujet se laisse aller pourrait-‐on dire : il ne veut rien, il ne désire rien, le monde est pour lui sans intérêt, il n’a rien à aller y chercher car il possède déjà l’objet de sa satisfaction, faute de l’avoir perdu. Le petit x, l’objet recherché par le névrosé est ici dans la poche du psychotique dira Lacan. Le schéma suivant en rend compte :
Schéma 4 :
La libido tourne en rond du côté du sujet, à l’intérieur de lui-‐même. La dimension de l’Autre (et donc du monde extérieur) est totalement désinvestie.
Ce versant de la psychose nous donne à voir des sujets hallucinés par le trop de présence à eux-‐mêmes dont ils témoignent : la libido, présente en trop grande quantité, pas refoulée18, va investir les organes des sens et causer leur dérèglement par rapport à la réalité de notre plan d’existence. L’œil voit trop, l’oreille entend trop, les organes internes sont trop vivants et semblent vivre leur existence propre en marge du sujet ; ils ont chacun leur vie et ne s’assemblent pas en une unité, il ne font pas « corps ». Ainsi 18 Je rappelle que pour être « refoulée » (Verdrängt), l’énergie de la pulsion doit être représentée par le signifiant et donc en passer par l’Autre. Rejetée de l’ordre symbolique, elle est dite « forclose » (Verwift).
12
l’individu est assailli par sa propre énergie sans savoir quoi en faire ; elle s’épuise en tout sens, en toute incohérence. On peut se représenter le destin de cette libido comme l’énergie produite par un moteur à explosion qui, au lieu de s’engouffrer dans les canaux structurés de la machine automobile qui la conduit à faire tourner les roules du véhicule (comme dans la névrose où la libido est orientée vers l’Autre), s’éparpille dans tous les sens car rien ne la dirige. Le prototype d’une vie pareille se retrouve dans les tableaux cliniques de la grande désinsertion, de la marginalisation, l’autisme, etc. La circularité de ce système libidinal entraine une confusion majeure dans les registres du langage et de la parole ; ici, le mot est la chose. Le signifiant ne renvoie plus à un objet externe qu’il représente symboliquement sur la scène psychique, mais il est lui-‐même la chose en question (ce que Bleuler énonçait ainsi : « l’image symbolique peut être mise à la place de la chose symbolisée »). Cette exclusion du domaine symbolique plongera le sujet dans un monde chaotique au sein duquel tout signifiant s’articulera à tout autre signifiant, sans distinction ni loi grammaticale. Ainsi chaque mot pourra tout dire, tout signifier, tout définir et en même temps, ne rien vouloir dire… A ce stade, le niveau d’angoisse de l’être est maximal.
La paranoïa Ce versant de la psychose est caractérisé par un moins grand isolement du sujet
et un intérêt plus grand pour le monde qui l’entoure. On remarque aussi une importante propension à l’identification chez ces patients. Remarquons tout de suite que dans ce cas, la flèche du transfert s’est inversée par rapport à la névrose : ce n’est plus ici le sujet qui oriente sa libido vers l’Autre, mais c’est l’Autre qui s’intéresse au sujet. Nous pouvons représenter cet état de fait ainsi :
Schéma 5 :
Le sujet n’est pas séparé de l’être d’objet qu’il est pour l’Autre, le petit x reste de son côté. Et l’Autre s’y intéresse ; la réalité s’incurve autour du sujet. Tout le concerne.
Dans la paranoïa, le sujet souffre de la certitude délirante que toute la réalité s’intéresse à lui et veut jouir de lui (la plupart du temps, jouir sexuellement de son corps ou lui faire du mal – versants amoureux ou mortifère de la persécution). Il se sent alors surveillé par l’Autre, en proie à ses sarcasmes ou à ses messages d’amour. Il se voit à la télévision ou répond à la speakerine qui apparaît à l’écran pensant qu’elle lui parle, il croit lire des articles le concernant dans les journaux, ou encore imagine recevoir des messages en observant le vol des avions ou la forme des nuages. Voici quelques exemples des réponses que donne l’Autre au sujet non séparé de sa dimension d’objet. De
13
Clérambault19 évoque également l’automatisme mental présent dans de pareilles structures ; le sujet peut alors entendre une voix qui commente ses actes. Le rapport du sujet aux signifiants n’est pas ici le même que précédemment. En effet, dans la paranoïa, tous les signifiants semblent converger dans une seule direction, vers une seule définition, vers un seul sens. C’est ainsi que l’on observe cliniquement tous les phénomènes interprétatifs que nous venons d’évoquer : la réalité s’intéresse au sujet, tout le vise (tous les signifiants – télévision, journaux, avion, nuages,… – ne pointent qu’un seul signifiant en définitive – l’être du sujet lui-‐même). D’autre part, et contrairement à la structure précédente, une partie de la réalité est investie, malgré tout, par la libido. Le sujet s’insère dans une forme de lien social par l’intermédiaire d’une identification. On peut dire dans un tel cas que l’habit fait le moine. Pour un de mes anciens patients, être un homme signifiait porter un costume trois pièces et une cravate ; ainsi, je le retrouvais tous les jours habillé de la sorte comme s’il se rendait au bureau ; sauf qu’ici, il ne franchissait pas les portes de l’institution psychiatrique et se contentait de passer sa journée dans l’entrée en buvant du café. Un jour d’été, alors qu’il se promenait avec un groupe de patients dans la forêt et que la température avoisinait les trente degrés, une intervenante le voit suffoquer tant sa cravate lui serre la gorge et qu’il a chaud. Elle lui propose de l’enlever, mais là-‐dessus il s’énerve et s’esclaffe : « si je l’enlève, j’étouffe ! » Cette identification est ici pour lui un repère essentiel qui le maintient et le stabilise ; aucune modification ne peut y être apportée sans risque d’effondrement. Son costume le rend homme, s’il l’enlève, que restera-‐t-‐il de lui ? Cet exemple met l’accent sur l’importance de la dimension imaginaire dans le traitement de la psychose perçue comme carence de l’ordre symbolique.
La psychologie biodynamique
Avant de poursuivre les développements lacaniens relatifs au traitement des psychoses, précisons les spécificités de l’approche biodynamique – développée par Gerda Boyesen20 – afin de mieux saisir ses points communs et ses divergences avec ce courant psychanalytique. La « technique Gerda Boyesen »21 se caractérise par l’articulation des trois registres du corporel, de l’organique et du psychique. Arrêtons-‐nous sur chacun de ces points pour en dégager la cohérence d’ensemble et la philosophie pratique.
Le corporel : l’énergie de vie contactée par les massages Le toucher du corps par le massage, utilisé en thérapie biodynamique, est issu
historiquement des kinésithérapies scandinaves et des techniques acquises par Gerda auprès d’Aadel Bülow-‐Hansen à Oslo. Dans la mesure où le patient accepte de se laisser toucher, les massages lui permettront de contacter plus profondément son énergie de vie et faciliteront son expansion. Il en tirera un regain de sensations et une meilleure perception corporelle. Le thérapeute, par son intention de travail et le niveau de contact auquel il accédera, remobilisera cette 19 DE CLERAMBAULT G. (1913-‐1923), L’érotomanie, Paris, Les empêcheurs de penser en rond, 2002.
20 BOYESEN G. (1985), Entre psyché et soma. Introduction à la psychologie biodynamique, trad. Gérôme P., Paris, Payot, 1997.
21 HELLER M., Psychothérapies corporelles. Fondements et méthodes, Bruxelles, De Boeck, 2008.
14
énergie vitale enkystée dans les tissus et encouragera sa libération. De ce fait, le patient entera en relation avec son être profond et une dimension plus authentique de lui-‐même ; dimension originellement camouflée par une cuirasse tissulaire ou musculaire – véritable inscription physique de la névrose dans le corps. Une grande variété de massages a ainsi été développée afin de s’adapter au besoin thérapeutique de la personne. On retrouve des massages visant le relâchement global du corps, la fortification des muscles, la mise en place de limites plus nettes, la modification de la posture,…22
L’organique : l’impulsion intérieure contactée par la végétothérapie L’intérêt accordé en biodynamique à la dimension végétative de l’être s’origine
des travaux de Reich23 et de la rencontre avec Ola Raknes qui a permis à Gerda Boyesen d’expérimenter, au cours de sa thérapie avec lui, l’importance de la respiration et des mouvements de pulsation du corps. Elle développa par la suite sa propre interprétation de la végétothérapie, visant à accroître les mécanismes de régulation et d’autoguérison de l’organisme. Sa méthode se caractérise par une attitude thérapeutique qui se dégage de tout programme préétabli et laisse la place au développement des impulsions internes du patient. Le thérapeute accompagne ce dernier dans la direction indiquée par le corps, sans rien attendre de lui ni induire au préalable. L’accent est ici placé sur l’accueil inconditionnel et le suivi des manifestations spontanées de l’organisme. Le thérapeute est minimaliste dans ses actions, comme le souligne François Lewin24 ; il guide le patient vers sa profondeur, en assurant une fonction de soutien et en offrant un espace sécurisé. Sa présence bienveillante et sans jugement amène le client à plus d’intériorité, à se connecter à ses sensations organiques et à oser manifester ses impulsions végétatives. Dans ce travail spécifique, une place importante est laissée à l’inattendu, à la surprise et à la nouveauté, comme agents permettant l’expression de la dynamique profonde de l’être.
Le psychique : l’affect et la représentation contactés par la relation Inspirée par son expérience en psychologie clinique et les découvertes de Freud
sur l’inconscient, puis par celles de Jung et de Pearls, Gerda Boyesen met en place une approche de la relation soucieuse des effets de la parole et du transfert sur l’évolution du processus thérapeutique. Tenant compte du développement psychosexuel de l’individu et des dynamiques psychiques qui en découlent, elle va également intégrer à son approche divers outils permettant le dialogue entre le conscient et l’inconscient, en vue d’augmenter les capacités d’intégration et de régulation des matériaux psychiques drainés par le travail. En thérapie, une place importante est accordée à l’expression verbale du symptôme et à la qualité d’enracinement de la parole ; à la façon dont celle-‐ci est chevillée au corps ou au contraire déconnectée de sa dimension organique et vivante. La parole est ici considérée comme un outil de fixation et d’intégration essentiel de l’expérience. Cet aspect de localisation de l’énergie pulsionnelle dans la représentation (le signifiant selon 22 LEWIN F. avec GABLIER M., La psychologie biodynamique. Une thérapie qui donne la parole au corps, Paris, Le courrier du livre, 2013.
23 REICH W. (1933), L’analyse caractérielle, trad. Kamnitzer P., Paris, Payot, 2010. 24 LEWIN F. avec GABLIER M., La psychologie biodynamique. Une thérapie qui donne la parole au corps, Paris, Le courrier du livre, 2013.
15
Lacan) – de symbolisation – sera particulièrement développé et investi par les analystes confrontés au traitement des psychoses, comme nous le verrons plus loin. Le transfert, perçu comme une forme de projection sur la personne du thérapeute de prototypes relationnels infantiles, est pris en compte et traité afin de permettre son dépassement et une réactualisation de la relation dans le présent. Les figures parentales – ainsi que les différents archétypes du Père et de la Mère (par exemple) – pourront être contactées et transformées par des visualisations en rêve éveillé dirigé (RED), mais aussi par le dessin, l’exploration des rêves, la danse, etc. Toutes ces techniques visant l’intégration de l’inconscient au conscient par la mise en forme de contenus affectifs et sensitifs.
Le traitement biodynamique des névroses Par son approche respectueuse de la dynamique individuelle et des rythmes propres à chacun, la psychologie biodynamique va permettre une fonte progressive des systèmes de protection corporels et psycho-‐affectifs mis en place par les patients pour protéger leur être profond des attaques et nuisances venues de leur environnement toxique. La théorie de la névrose incorporée, inspirée à Gerda Boyesen par les travaux de Reich25, servira de socle à cette orientation de travail qui cherchera la libération du potentiel créateur et vivant de l’individu. L’interaction et la synergie des différents niveaux d’intervention (physique, organique et psychique) entraineront le corps dans un processus de changement important qui modifiera sa structure physique tout autant que la personnalité secondaire qu’il se sera construite en réaction à son histoire de vie. Il en découle l’éclosion d’un nouvel être, purgé de sa névrose et connecté au noyau sain de sa personnalité primaire ; libre de jouir en toute spontanéité de son énergie de vie.
Exemple clinique Olivier est un jeune homme de trente ans lorsqu’il vient me voir. Il est pilote
automobile et souffre de vertiges depuis quelques mois. Il n’a aucune idée d’où ils peuvent provenir et ce d’autant plus que toute la batterie d’examens cliniques qu’il a effectuée n’a rien pu déceler de physique à son mal. Au fil des séances, il commence à faire le lien entre l’état de tension chronique dans lequel se trouve son corps (tensions qu’il contacte lors des massages) et le stress qu’il vit au travail ; son métier à risque l’excite et l’angoisse en même temps. Par ailleurs, il commence aussi à oser exprimer le malaise qu’il vit dans son couple ; face à sa compagne, il ne se respecte plus et s’accommode à ses désirs au prix d’un excès de fatigue. Au fur et à mesure que son corps se détend et qu’il sent les courants libidinaux circuler en lui (moments qu’il vit comme une grande joie et un calme profond), il se réapproprie la responsabilité de ses actes et prends conscience du rôle qu’il joue dans le maintien de son malaise. Il observe que lorsqu’il se respecte, lorsqu’il respecte ses propres rythmes et se repose quand son corps le lui demande, ses vertiges disparaissent totalement. Par contre, quand il ne s’écoute plus, les symptômes reviennent. La thérapie biodynamique ne vient pas ici supprimer le symptôme invalidant ou chercher à le modifier, mais vise à faire émerger le noyau vivant et sain de la personne ; noyau porteur de forces d’autoguérison et d’autorégulation. Olivier, en reprenant contact avec son corps et en expérimentant le calme intérieur qui émerge en lui lorsqu’il respecte ses propres rythmes, a pu, petit à petit, aménager son quotidien autour d’un
25 REICH W. (1933), L’analyse caractérielle, trad. Kamnitzer P., Paris, Payot, 2010.
16
nouveau repère lié à ses sensations intérieures de bien-‐être. Il reprend par là la responsabilité des choix qu'il pose et exerce consciemment sa liberté de respecter ou pas son énergie profonde. Une alternative s’est ainsi ouverte pour lui dans le traitement de cette information.
Le traitement biodynamique des psychoses Gerda Boyesen envisage la psychose comme la conséquence d’un processus
énergétique et physique ; selon elle, le psychotique souffre car son organisme est bloqué dans sa tentative de libération des anciens conflits et refoulements. L’absence ou l’état de fermeture chronique du psychopéristaltisme ne permet pas à l’organisme d’intégrer la « pression fluidique » qu’il subit. Ce fluide énergétique va alors traverser les différentes couches tissulaires (endoderme, mésoderme, ectoderme) et atteindre le cerveau. A ce niveau ses propriétés vont irriter les nerfs sensoriels et moteurs, ce qui provoquera les différents symptômes de la psychose. La « nervosité » apparaissant chez les patients serait due à un accroissement de la pression fluidique dans le corps ; ce fluide, notamment le sang, chargé des résidus métaboliques et des émotions refoulées, ne retrouvera sa pression « normale » que lorsque le psychopéristaltisme sera à nouveau ouvert et jouera son rôle de digestion émotionnelle (permettant ainsi aux cycles émotionnels réprimés de s’achever, de se boucler). Elle considère donc la maladie mentale comme l’expression d’un organisme trop plein de refoulé qui tente de tout éliminer en un seul coup. De la sorte, comme l’organisme ne parvient pas à tout éliminer tout seul, le thérapeute orientera son action vers l’intégration du matériel refoulé : c’est-‐à-‐dire d’aider chacune des couches refoulées à passer de l’état de provocation à un état d’harmonisation et d’intégration.
Parallèles entre le traitement psychanalytique des psychoses selon Lacan et la Psychologie Biodynamique
Dans la suite directe des travaux de Freud, Lacan va mettre l’accent sur la causalité psychique des troubles mentaux et réinterpréter les destins de la libido en y intégrant les apports de la linguistique structurale. Le Sujet (de l’inconscient) sera dès lors envisagé dans son rapport à l’Autre (du langage et de la parole) et la psychopathologie s’imprégnera de cette nouvelle vision théorique. Les logiques libidinales – schématisant l’orientation de l’énergie pulsionnelle issue des profondeurs du Ça – présentées ci-‐dessus ont été décrites séparément par souci didactique, alors que la réalité clinique nous offre la plupart du temps des tableaux mixtes. L’art du thérapeute sera de saisir la dynamique de son patient et d’orienter son action en conséquence. Lacan propose, au fil de son travail, de grandes lignes de conduite nous permettant de devenir un interlocuteur valable pour le sujet psychotique et d’ainsi nouer avec lui une relation de confiance – base essentielle de tout traitement. Esquissons un tableau comparatif entre ce qu’il nous suggère et de l’approche biodynamique, dans le but d’en saisir les points communs. Nous évoquerons quelques-‐unes de leurs divergences dans la conclusion. Notons d’emblée que dans cette approche analytique, aucune place n’est laissée aux massages ni à la végétothérapie comme nous venons de l’évoquer en ce qui concerne la biodynamique. L’essentiel des interventions se situent dans la sphère relationnelle ; engageant la parole et le corps du thérapeute.
17
Le traitement de l’Autre Sous cette dénomination, issue des travaux d’Alfredo Zenoni26 et de l’Ecole
lacanienne, nous retrouvons une série de propositions et d’aménagements de la relation favorisant la prise de contact et l’apprivoisement du sujet, compte tenu des spécificités transférentielles dont nous venons de parler.
1. Une présence vidée de volonté propre D’emblée, Lacan insiste sur ceci : ce n’est pas sur le sujet qu’il faut polariser nos
interventions, mais sur son Autre – dans la mesure où la condition du sujet dépend de ce qui se déroule en l’Autre27. Le sujet psychotique est en souffrance de l’Autre, il en est assailli, il est submergé par lui, et mis au travail à chaque instant pour s’en dégager. Son espace psychique en est saturé, et il y répond par la schize : il se coupe de l’Autre, du langage articulé, du sens, mais aussi de son espace corporel et de son temps, ainsi que des espaces et des temps de rencontre interpersonnelle. Le drame de la psychose, c’est la solitude extrême qu’elle engendre, l’isolement impensable, le retranchement inouï qu’elle occasionne. Ainsi, dans l’idée de commencer à renouer une forme de lien social qui ne soit pas intrusif ou perçu sur le mode de l’abandon, du « laissé tomber », le thérapeute est invité à incarner une forme de présence en creux, c’est-‐à-‐dire vidée de toute intention soignante, de toute volonté de guérison, de tout impératif ou projet pour le sujet. De la sorte, il vide l’Autre de sa volonté de jouissance – à entendre comme un impératif surmoïque. Il amoindrit la flèche du transfert allant de l’Autre (A) vers le sujet (S), comme nous l’avons montré sur le schéma de la structure paranoïaque (schéma 5). Ce premier point entre en résonance avec ce que François Lewin28 synthétise de la présence du thérapeute biodynamique qu’il caractérise d’accueillante et sans jugement. Celle-‐ci permettant l’émergence de la profondeur de l’être du sujet.
2. S’abstenir de toute interprétation Dans le même ordre d’idées, afin de décompléter l’Autre et d’établir un transfert
positif avec le sujet, il est nécessaire de sortir de toute forme d’interprétation ; c’est-‐à-‐dire de se décaler d’une position de savoir face au patient. Ici, ce n’est pas le thérapeute qui sait mieux que lui ce dont il souffre et ce dont il a besoin pour aller mieux, comme on peut le trouver dans d’autres pratiques médicales ou thérapeutiques ; une place est laissée à l’élaboration subjective et à son expression. Cette position dans la relation rend possible le contact, puis la manifestation d’une dimension plus profonde et essentielle de la personne. D’avoir affaire à un autre qui s’abstient de tout commentaire rend possible une forme d’expression de soi sans risque et sans menace. Elle ouvre un grand espace de liberté pour le sujet, habitué à recevoir des injonctions et des commentaires inappropriés ou invasifs.
26 ZENONI A., L’autre pratique clinique. Psychanalyse et institution thérapeutique, Bruxelles, Erès,
2009. 27 LACAN J. (1956), « D’une question préliminaire à tout traitement possible de la psychose », Écrits, Paris, Seuil, 1966 : 531-‐584.
28 LEWIN F. avec GABLIER M., La psychologie biodynamique. Une thérapie qui donne la parole au corps, Paris, Le courrier du livre, 2013.
18
En biodynamique, oublier son savoir – à entendre comme : « savoir qu’on ne sait pas » – va permettre au thérapeute de suivre l’énergie profonde du patient et de l’accompagner dans une voie singulière, en dehors de toute programmation établie. Se mettre à l’écoute de l’organisme, de ses mouvements involontaires, végétatifs, ainsi que de ses propres ressentis et de ceux de son patient, nécessitera de la part du thérapeute une ouverture au présent – une disponibilité à la nouveauté et à la surprise de l’instant – issue d’une mise à l’écart du supposé savoir.
3. Suivre le rythme du patient Ecorner l’Autre de sa volonté de jouissance nécessite également de n’imposer
aucun rythme au patient. Par-‐là, il pourra – à sa convenance – laisser émerger ses propres impulsions et suivre la dynamique qui est la sienne, sans entrave. En institution ou en séance, il est toujours possible de proposer l’une ou l’autre voie, l’une ou l’autre activité, l’un ou l’autre rythme, mais la nuance entre imposer et proposer se charge ici d’un sens tout particulier – tant la voie du passage à l’acte s’impose comme réponse aux injonctions du Surmoi. En biodynamique, le respect du rythme individuel est central dans la pratique ; nécessaire à l’émergence de la personnalité profonde et à la juste intégration du matériel psychique inconscient réactualisé. Ainsi, la confrontation trop rapide à une problématique inconsciente inassimilable dans l’actuel par le patient ne fera qu’ajouter du trauma et de l’incohérence dans son espace psychique, ralentissant le processus thérapeutique au lieu de le faire progresser vers son point de résolution.
4. Aménager l’environnement La psychiatrie classique déjà, comme nous l’avons vu avec Kretschmer qui
attachait une importance décisive aux vécus de syntonie (état d’harmonie entre le sujet et son environnement), s’intéressait à l’impact de l’ambiance sur le développement et l’évolution des patients. Avec Lacan, l’Autre, c’est aussi l’environnement. Ainsi, accorder de l’importance à l’ambiance de travail et au cadre qui accueille le sujet est un élément essentiel du traitement. Nous avons à créer un environnement soutenant, chaleureux et apaisant afin que la personne puisse se détendre, baisser la garde et commencer à s’orienter vers les autres sans suspicion. De la même manière, en biodynamique, l’accueil dans un espace protégé et soutenant, est primordial à la mise en place du cadre thérapeutique.
5. Créer une relation de confiance Le traitement de l’Autre va amener le sujet à se décaler d’une position où il
considère son interlocuteur comme une menace à une autre où il consent à l’élire comme lieu d’adresse. Cette modification de point de vue peut prendre des années. Car pour passer d’un point de persécution et de méfiance extrême à un point d’apaisement et de confiance en l’autre, le sujet aura dû faire l’expérience – à de nombreuses reprises – de la sincérité, du respect et de clarté d’intention de son interlocuteur. La création d’une relation de confiance est la base de tout travail et de toute alliance thérapeutique ; que cela soit en psychanalyse ou en biodynamique.
Se laisser instruire par le sujet Le positionnement que nous décrivons là amènera petit à petit le patient à
baisser sa garde et à commencer à investir de nouveaux objets libidinaux dans la réalité
19
extérieure. En effet, à mesure que l’environnement va devenir plus cohérent, plus stable et non agressif, non invasif, le sujet va commencer à « oser » se diriger vers lui et nouer de nouvelles formes de relation avec les autres et le monde. Ces premiers autres seront d’abord les intervenants qui l’encadrent en institution ou le suivent en privé, puis, nous pouvons espérer que cette dynamique s’étende à un public plus large. Pour cela, une attention particulière sera portée à ses réalisations : à ses centres d’intérêts, à ses hobbies ou productions artistiques. Ainsi, le patient sera accompagné dans l’exploration du monde par le thérapeute et suivi dans ses expérimentations. On observe souvent des patients qui se découvrent une passion pour un sport ou un art lors de leur séjour institutionnel. Accorder de l’importance à ces investissements – aussi minimes puissent-‐t-‐ils paraître – nous semble pertinent dans l’accompagnement. De la même manière, être attentif à ce que le sujet nous montre ou nous enseigne de ses savoir-‐faire (en cuisine, en jardinage, aux échecs, en escalade, en informatique,…) lui donne la possibilité de partager avec l’autre ce dont il est dépositaire et, en adressant sa parole, de devenir un peu plus acteur de sa vie ; de subjectiver sa place dans le monde et de retrouver sa dignité d’être humain – au contact des autres, et plus tout seul exclu de la scène du monde. Cet intérêt pragmatique, qui cherche à cerner la dynamique vitale de l’individu dans ses réalisations et passions, rejoint une fois de plus une philosophie de l’écoute et de la présence attentive aux manifestations de la vie telle que nous la retrouvons en biodynamique. Le cas clinique suivant, de cette patiente suicidaire accueillie dans une communauté psychiatrique bruxelloise pendant deux ans, illustre ce paradigme d’intervention. Lors de son séjour, la patiente qui avait pris l’habitude de s’ouvrir les veines avec des tessons de bouteille participe à un atelier de sculpture. Elle y fait une heureuse rencontre ; se nouant d’amitié avec la sculptrice, elle investit massivement l’activité et commence à produire des sculptures constituées des mêmes tessons de bouteilles qui lui servaient à s’automutiler. Petit à petit, la patiente cesse ses scarifications et poursuit son activité créatrice avec les tessons de bouteille. De fil en aiguille, diverses expositions sont organisées par l’institution, la patiente y montre ses œuvres et commence à être connue dans le milieu bruxellois. Elle s’identifie à « l’artiste » qui expose ses productions et se stabilise ainsi dans une nouvelle forme de lien social, à l’abri du passage à l’acte. Dans ce cas, la réorientation de la libido dans les voies de la création artistique ont permis à cette dame de cesser son traitement mortifère de la pulsion et ont favorisé la restauration du lien social – via le soutien d’une identification imaginaire stabilisante.
Incarner une fonction de « contenance » Comme nous l’avons montré plus haut, la dérégulation libidinale engendrée par la
non inscription du sujet dans l’ordre symbolique (issue de la forclusion du Nom-‐du-‐Père29) cause une multitude de troubles touchant au vécu du corps propre et aux comportements : troubles de la « motivation », absence de désir, passages à l’acte auto-‐ et hétéro-‐agressifs, persécution amoureuse ou mortifère,… Face aux conséquences parfois dramatiques d’une telle position d’existence et aux actes sacrificiels entrepris par le sujet pour se départir d’un Autre trop présent, le thérapeute pourra incarner une fonction de « contenance » afin de limiter les débordements d’énergie pulsionnelle ou leur explosion désorientée. En effet, une des caractéristiques 29 MALEVAL J.-‐C., La forclusion du Nom-du-Père. Le concept et sa clinique, Paris, Seuil, 2000.
20
de la structure psychotique est de ne pas pouvoir se servir du discours établi comme moyen de canalisation, d’orientation et de localisation de l’énergie pulsionnelle. Lacan a montré que les éprouvés sensoriels et affectifs de l’individu n’arrivaient pas à se traduire et à s’inscrire dans l’ordre symbolique, faute d’un opérateur de traduction essentiel – qu’il a appelé le Nom-du-père30. Cette carence cause une souffrance inimaginable, plongeant le sujet dans un monde difficilement partageable avec les autres car intransmissible par le langage articulé : Innommable, disait Beckett31. Et le poète témoigne de cette dérégulation et de ces conséquences étranges : « C’était un après-midi au mois d’octobre, une belle après-midi d’octobre. J’étais assis sur la marche, dans la cours, je regardais la lumière, sur le mur. J’étais au soleil, le mur était au soleil. J’étais le soleil, inutile d’ajouter, et le mur, et la marche, et la cours, et le moment de l’année, et le moment de la journée, et j’en passe. »32 Parfois pourtant, le vécu de porosité des limites propres et de fusion dans l’Autre ne trouve pas une voie de traitement aussi paisible que celle décrite par Beckett dans ce passage de Watt, mais s’épuise dans les registres du passage à l’acte ou des délires hallucinatoires. A ces moments, la fonction de « contenance » du thérapeute prendra tout son sens. En posant des limites claires visant à réfréner l’excès et le déferlement de jouissance mortifère, il permettra au patient de se soutenir de sa parole comme d’un point d’arrêt. Par exemple en maintenant un « Non ! » face aux actes de mutilation du sujet ou en se référant au règlement institutionnel qui interdit les actes de violence entre patients. Incapable de poser sa limite lui-‐même, le sujet pourra s’appuyer sur la parole et la présence de l’autre pour y arriver. De là, une nouvelle orientation de l’énergie sera possible ; en espérant qu’elle s’inscrive davantage dans le registre du lien social.
Restaurer le lien social : nouvel orientation de l’élan vital Comme nous venons de le voir, une modification du traitement de la pulsion est
possible si les conditions d’accompagnement le permettent. A l’inverse, l’accentuation des passages à l’acte se retrouve fréquemment lorsque les intervenants, ne tenant pas compte de la dynamique transférentielle propre aux psychoses, renforcent les injonctions venant de l’Autre en imposant au sujet des voies de traitements dont il n’est pas l’initiateur et qui lui sont étrangères. S’inspirant de ces échecs thérapeutiques, la clinique psychanalytique a orienté son traitement sur le versant de l’Autre et a pu observer les effets de pacification subjectifs que nous avons évoqués. En réduisant les injonctions venant d’un Surmoi tyrannique, détenteur d’un savoir absolu, les intervenants ont créé un espace propice à la rencontre. Les patients ont pu commencer à instaurer une relation de confiance avec eux et laisser émerger de nouvelles formes d’investissement d’objet issues d’un contact plus profond et véritable avec leur propre élan vital ou force d’exister. Petit à petit, par l’intérêt qui leur a été porté, une nouvelle forme de lien social a pu s’établir pour eux ; les sortant d’une solitude délétère. Ce parcours est le fruit de l’évolution d’une partie de la psychiatrie qui a su se démarquer d’une conception purement mécaniciste de l’être humain et intégrer dans
30 LACAN J. (1955-‐1956), Les psychoses, Le Séminaire, Livre III, Paris, Seuil, 1981. 31 BECKETT S. (1953), L’innommable, Paris, Les Editions de Minuit, 1998. 32 BECKETT S. (1968), Watt, Paris, Les Editions de Minuit, 1998.
21
son approche les vues analytiques. En mettant l’accent sur les effets thérapeutiques de la relation, elle aura su combiner les versants pharmacologique (vecteur incontestable d’apaisement subjectif) et psychodynamique, encourageant un traitement de la pulsion moins dans les marges du lien social. L’expérience clinique nous montre que cette orientation de travail réduit le recours au passage à l’acte et favorise une forme de stabilisation du sujet psychotique ; apaisé par la rencontre d’un Autre pacifié.
Conclusion
Accords et désaccords Inspirée par la psychanalyse et les kinésithérapies scandinaves, comme le précise
Michel Heller33, la psychologie biodynamique a su développer une approche singulière du traitement des névroses en alliant méthodes corporelles, organismiques et psychiques. Ces trois domaines étant respectivement abordés par le biais des massages, de la végétothérapie et de la relation (de l’interaction). En cherchant à contacter le « noyau sain » de la personne – contrairement à d’autres approches qui focalisent leur attention sur les dysfonctionnements du corps et visent à éliminer les symptômes dérangeants –, la psychologie biodynamique ouvre un nouvel espace de rencontre avec soi et de connexion organique profond permettant aux forces d’auto-‐guérison biologiques de se déployer et de relancer la circulation libidinale. Ainsi, le corps s’en trouve régénéré et un état de « bien-‐être indépendant » en découle. En psychanalyse, et notamment en ce qui concerne le traitement des psychoses, une même attention est portée aux capacités créatrices du sujet, à l’expression de son « noyau sain » ; aux inventions qu’il met en place pour se sortir de sa détresse. Loin de chercher à éduquer le sujet afin de le remettre dans les « rails » de la société ou de le réinsérer dans un ordre social quel qu’il soit, l’approche lacanienne de la psychose s’intéresse particulièrement aux circuits libidinaux établis par le sujet et favorise la mise en place d’un lien social alternatif, porteur d’apaisement. Malgré les multiples différences et antinomies qui éloignent la psychologie biodynamique de cette forme de psychanalyse appliquée à la thérapeutique des psychoses34, j’en ai dégagé certaines similitudes quant à la position tenue par le thérapeute ; notamment l’intérêt qu’il porte aux manifestations singulières de l’élan vital de son patient et l’espace qu’il aménage au déploiement de l’être profond du sujet. Par cette attitude respectueuse du processus vivant, de la dynamique transférentielle et des investissements libidinaux en jeux, il va favoriser l’expression de l’être au travers d’une nouvelle forme de lien à l’autre, pacifiée et vectrice de confiance. Il en découlera un vécu de syntonie redonnant toute sa dignité au sujet et l’encourageant à sortir de son isolement pour oser vivre sa vie. Dans les deux approches, la constitution de cette relation de confiance – qui pourra déboucher sur une alliance thérapeutique – sert de base à tout travail thérapeutique
33 HELLER M., Psychothérapies corporelles. Fondements et méthodes, Bruxelles, De Boeck, 2008. 34 Notons au passage quelques différences propres à l’orientation psychanalytique : l’interdit du toucher, et donc l’absence de massage ; l’ignorance du procédé de végétothérapie issu des travaux de Reich (lui-‐même rejeté en masse par le milieu analytique) ; l’absence de considération de la notion « d’énergie » au sens du prana ou du ki telle que nous pouvons l’envisager en énergétique ; une lecture radicale des phénomènes psychiques sur le plan mental liée à la théorie du signifiant ; etc.
22
ultérieur. En biodynamique, elle sera nécessaire à l’exploration des zones d’ombre laissées en souffrance chez le patient et à leur dépassement en vue d’atteindre l’énergie saine du noyau. Face au sujet psychotique, elle nous permettra de devenir pour lui un interlocuteur valable et digne d’être le dépositaire de son histoire et de son récit de vie. N’oublions pas que dans le vide de la psychose, devenir un lieu d’adresse et un point d’arrimage sur lequel on puisse compter et vers lequel on puisse se tourner en cas de difficulté constitue déjà une avancée majeure sur le chemin du lien social. Une parole qui s’adresse n’est plus une parole errante au milieu du désert ; elle se localise, elle s’articule, elle permet la constitution d’une histoire et la mise en place des filaments subtils qui nous lient aux autres et au monde.
Accueillir et traiter la psychose Revenons, par souci de synthèse et de clarification, sur les différents temps du
processus inhérent au traitement des psychoses dégagés par Lacan et ses successeurs : 1. Accueillir le sujet nécessite de traiter l’Autre auquel il a affaire. Cette
opération initiale part du postulat selon lequel le sujet nous mette directement en position d’Autre, dès notre première rencontre ; nous sommes l’Autre du sujet, d’emblée. De là, en nous décalant de cette position (par l’adoption d’une forme de présence en creux, en vidant notre présence de volonté à son endroit), nous allons permettre au sujet de se décaler de la position d’objet qu’il incarne lui-‐même auprès de cet Autre. De la sorte, une réduction de la flèche du transfert persécuteur s’opère (Flèche en pointillés et point 1 du schéma 6).
2. Le sujet rencontre alors un autre Autre que celui auquel il a toujours eu affaire
(A’ et point 2) et va pouvoir met en place une nouvelle forme de lien social, basée sur la confiance et le respect de soi. Notre qualité de présence va permettre au sujet de se constituer un autre Autre, c’est-‐à-‐dire de se positionner différemment dans l’interlocution ; en réduisant par exemple le degré de méfiance initial dans lequel il se trouvait. Cette modification relationnelle lui donnera, d’une part, la possibilité de s’adresser aux autres avec moins d’angoisse, et d’autre part, le courage de réinvestir des objets du monde sans crainte d’effondrement ou d’anéantissement subjectif. Ainsi, une nouvelle organisation libidinale émerge de cette rencontre (Flèche d’investissement vers A’ et point 3).
3. Une nouvelle modalité de lien social se met en place : le sujet réinvestit le
monde et les autres, il déploie sa créativité et innove. Ses investissements sont l’expression de son élan vital retrouvé. Le nouvel Autre peut servir de balise au sujet ; point de repère essentiel dans l’existence autour duquel il pourra graviter puis s’éloigner et revenir selon les circonstances et son tempérament. La clinique analytique témoigne de cette forme de stabilisation. Certains patients ont ainsi élu un intervenant ou une institution comme point d’ancrage dans leur vie, et reviennent y trouver refuge en cas de coup dur ou, plus simplement, passent y donner des nouvelles quand tout va bien, et ce pendant des années, voire toute une vie.
L’ensemble de ce processus peut se représenter ainsi :
23
Schéma 6 :
1 : la flèche du transfert persécuteur s’amoindrit ; 2 : un autre Autre émerge dans la relation ; 3 : le sujet peut inventer une nouvelle forme de lien social et réinvestir le
monde à sa façon (expression de son élan vital).
Perspectives : vers un traitement des psychoses « biodynamique » Nous venons de voir que l’orientation proposée par Lacan quant au traitement
des psychoses s’organise autour d’une pratique de la parole et de la présence du thérapeute qui entre en résonnance avec la philosophie biodynamique ; le traitement de l’Autre en rend compte. Cette dimension langagière et relationnelle nous intéresse particulièrement car elle représente l’une des voies d’approche essentielle en biodynamique – liée à la rencontre et à la dynamique interactive qui s’installe entre les protagonistes de la relation ; toutefois, elle ne constitue pas l’exclusivité de notre pratique qui se spécifie d’un travail sur le corps. De nombreuses questions restent, à cet égard, en suspens. Comment intégrer le registre corporel aux cas de psychose que nous rencontrons ? Comment et pourquoi utiliser les massages et la végétothérapie ? Quels peuvent en être les effets sur les structures physique et psychique du patient ? Comment envisager, d’autre part, l’évolution du transfert une fois ce contact établit ? De plus, il est pratiquement évident qu’en cas de pathologie aussi lourde, un traitement médicamenteux est imposé au patient. Ce traitement va modifier son système énergétique et renforcer le sentiment de brouillage et d’opacité dans l’aura ; on peut constater un ralentissement de la pensée, une perte de sensation et une incapacité de perception des émotions (pour ne citer que quelques exemples). Il me semble que relancer le processus de digestion émotionnelle en ouvrant le psychopéristaltisme puisse constituer une pratique intéressante, mais l’opération peut s’avérer être un puits sans fond dans la mesure où de nouvelles prises de médicaments s’établissent entre les séances. Il me semble que des recherches dans le domaine s’imposent. Comment poursuivre le traitement biodynamique avec une prise de neuroleptiques, d’antidépresseurs ou de somnifères ? Quels en sont les effets ? Sommes-‐nous sans cesse en train de reproduire le même travail et de tenter de remplir un tonneau percé ? Quels sont aussi leurs effets sur le contact ? Quelle est cette qualité de contact qui s’établit lors des séances avec de tels patients ? Est-‐il possible ? Et si oui, à quel niveau ? Physique, émotionnel, psychique,… ?
24
Pour les patients moins conditionnés (ou prisonniers) par le système psychiatrique, des alternatives homéopathiques existent. Je n’ai personnellement rien pu expérimenter actuellement dans ce domaine, mais il me semble qu’une voie intéressante d’apaisement pour le patient et d’articulation avec notre travail puisse s’y trouver. A nous d’oser pousser ses portes avec quelques-‐uns… On peut imaginer qu’une pratique corporelle soit possible si le patient accepte de se laisser toucher. Gerda Boyesen évoque dans son ouvrage le suivi d’une patiente schizophrène qui semble trouver une forme d’apaisement au travers des massages « contenants » qu’elle lui procure. Toutefois, dégager de cette expérience une orientation de travail avec les sujets psychotiques me semble prématuré et nécessiterait un étayage supplémentaire sur d’autres expériences du même type. Les publications manquent radicalement dans ce domaine ; la littérature lacanienne étant actuellement la plus abondante sur le sujet – malheureusement, la question du corps n’y est abordée que sous l’angle du signifiant. J’espère que ce rapide survol de la littérature analytique relatif au traitement des psychoses selon Lacan aura pu insuffler l’envie à certains thérapeutes biodynamiques de poursuivre leur exploration de ce champ d’activité et de rendre compte à leur tour de leurs découvertes.
25
PARTIE II : Etude de cas
Vers un traitement « biodynamique » de la psychose en institution
26
Introduction
L’étude de cas que je propose est issue de ma pratique institutionnelle et illustre la partie théorique développée plus haut. Mon intention ici est de décrire le suivi d’une patiente psychotique rencontrée en institution et de faire saisir l’aspect « biodynamique » de ma position dans la relation : attitude sans jugement, assèchement d’un programme préétabli de soin, présence bienveillante et sécurisante, aménagement d’un cadre de travail respectueux de la dynamique du sujet. Nous verrons quels effets auront sur la patiente ces aménagements spécifiques et comment l’essence de la pratique biodynamique se diffuse ici, malgré l’absence de recours aux techniques de massage et de végétothérapie qui constituent pourtant deux des aspects les plus importants du travail enseigné par Gerda Boyesen35. J’ai travaillé ces trois dernières années au Service de Santé Mentale « Psy Chic » à La Louvière (Belgique) dans une unité de psychologues « mobiles » chargés d’aller à la rencontre d’un public défavorisé circulant en rue et en abri de jour. Cette unité d’intervention a été mise en place fin 2009 afin de répondre à une situation préoccupante : une série d’individus en grande précarité erraient dans le centre ville ou tournaient d’une institution à l’autre (hôpital, prison, foyer d’accueil,…) ; mettant en échec tous les plans de réinsertion ou de réadaptation au travail élaborés par les structures sociales de la ville. Ainsi deux psychologues ont été engagés pour rencontrer ces personnes, saisir leurs besoins, les écouter et les accompagner dans leur trajet de vie. C’est dans ce contexte que je rencontre Elise.
Présentation du cas
-‐ Lecture du corps Elise est une jeune femme de 27 ans lorsqu’elle se présente à moi pour la première fois. Elle m’est adressée par son compagnon, Loïc (30 ans), qui est un mendiant bien connu du centre ville. Elle est sans domicile fixe et dort à gauche et à droite quand elle n’est pas chez Loïc. Elise a le corps élancé. Elle est grande (près d’1m80), elle a le visage allongé et fin, des cheveux châtains clairs coupés au carré. Ses yeux sont globuleux et donnent l’impression de sortir de leurs orbites. Le haut de son corps et bien proportionné et plutôt mince, alors qu’à partir des hanches nous observons un évasement important : son bassin est large, sa zone pubienne est chargée d’énergie en stase, ses jambes ressemblent à des poteaux en forme de carotte (larges dans leur partie supérieure, plus minces dans la partie inférieure). Ses pieds rentrent vers l’intérieur, sa démarche est caduque, sa stabilité mal assurée ; elle semble prête à tomber à chaque pas. Ses muscles sont flasques, hypotoniques, ses membranes peu structurées et peu présentes ; elle s’affale dans le fauteuil face à moi, son corps m’apparaît comme une masse informe, un assemblage de pièces détachées molles, ternes, sans tonus.-‐ Histoire familiale Le drame d’Elise commence dès la plus tendre enfance. Elle me livre les détails les plus sordides de son histoire lors de notre premier entretien : abandonnée par son père à l’âge de 3 ans ; battue par sa mère et son beau-‐père ; violée par son oncle à 12 ans. Elle 35 Cf. Partie I : Parallèles entre le traitement psychanalytique des psychoses selon Lacan et la Psychologie Biodynamique – p.16.
27
pointe ces événements comme la cause de son malaise actuel et de tous ses passages à l’acte ; depuis l’enfance, face à la frustration, elle casse tout. A l’école, c’était déjà une terreur : elle jetait les chaises en classe, menaçait de tuer ses camarades avec sa pair de ciseaux ou s’automutilait. La violence de ses passages à l’acte l’écarte rapidement du circuit scolaire habituel. Elle se retrouve en enseignement spécial (d’autant plus que les médecins lui ont diagnostiqué un retard mental léger) puis en institution psychiatrique pendant plusieurs années lui permettant de s’extraire du milieu familial mortifère. A sa majorité, elle se retrouve en rue ; une vie d’errance commence. Elle dort à gauche et à droite au gré de ses rencontres, passe d’un service hospitalier à l’autre, d’une structure d’hébergement à l’autre, et ce au travers de toute la Belgique. Un jour, elle rencontre Loïc dans une maison d’accueil, c’est l’amour fou dès le premier regard ; elle s’y accroche et ne le quitte plus. Selon leurs disputes, elle se retrouvera tantôt chez lui dans son appartement, tantôt en rue ou à l’hôpital.
-‐ Demande initiale Sa demande initiale est de se sentir mieux. Elle est épuisée par son style de vie et aimerait que toutes ses déambulations cessent. Elle aimerait se poser quelque part, avoir un appartement, avoir un revenu, ne plus faire de crises ou « péter les plombs » comme elle dit. D’emblée, toutes ses revendications m’interpellent, car ce qu’elle imagine là constitue un changement de vie énorme qui modifierait radicalement ses repères. Nous verrons d’ailleurs que chacun de ses arrêts ou de ses moments d’apparente stabilisation sont en fait les temps de gestation de ses prochaines crises.
Diagnostic biodynamique et reichien
Au sens biodynamique, je vois d’un côté une Princesse au petit pois hyper sensible, émotive, aux larmes à fleur de peau, mais aussi une Pierre complètement coupée d’elle-‐même, de l’autre et du monde, inatteignable par moments. Au sens reichien, je retrouve des aspects oraux importants dans ses demandes incessantes et des tendances schizoïdes manifestes, voire franchement schizophréniques. Elle ne me fait pas part d’hallucinations, mais évoque régulièrement la présence d’une ombre malfaisante dans sa chambre la nuit qui vient vers elle comme un visage masqué. La radicalité et la fréquence de ses passages à l’acte, qu’elle décrit comme survenant lors de moments d’absence dont elle ne se souvient plus, renvoie à une phénoménologie d’ordre psychotique.
Contrat
Le contrat passé ensemble est le suivant : elle souhaite venir me voir régulièrement pour me parler de ce qu’elle fait et me donner de ses nouvelles ; elle pourra venir toutes les 2 semaines ; la séance d’une heure n’est pas payante pour elle dans ce contexte car l’institution prend les frais en charge. Si elle a un problème entre deux séances, elle peut appeler le secrétariat afin d’avancer la séance ou l’annuler si nécessaire.
Projet thérapeutique
Face à une telle précarité subjective, à un niveau de symbolisation réduit au stricte minimum et à une histoire corporelle si dramatique, ma première intuition a été que le toucher ne serait pas utilisé dans ce travail. Je privilégierai la qualité de présence et
28
l’ancrage afin de lui donner un repère stable et d’incarner une présence bienveillante, qui ne lui veuille rien. J’utiliserai aussi quelques exercices de relaxation et d’attention au souffle pour lui permettre de décharger sa tension interne et se reposer. Ainsi, mon orientation première a été de vider ma présence de toute intention thérapeutique à son égard : de ne rien vouloir pour elle, je fis l’hypothèse que cela lui permettrait peut-‐être de commencer à percevoir et à sentir ce qu’elle voulait elle-‐même… Mon idée était de lui offrir un espace de parole où nous pourrions ensemble mettre des mots sur ce qui lui arrive, prendre le temps de clarifier et de digérer les événements récemment survenus, et petit à petit envisager l’avenir. J’espérais par-‐là lui apporter un point d’appui structurant sur lequel elle puisse s’appuyer et auquel elle puisse se référer en cas de panique et de crise avenir ; que le centre devienne un point d’ancrage pour elle, comme ont pu l’être certains établissements psychiatriques qui ont joué un rôle d’apaisement dans son histoire.
Phases du Processus
Nos rencontres sur 3 ans se déroulent en « dent de scie » : des périodes de fréquentation intensive du centre et de ma consultation alterneront avec des périodes de disparition totale ; je resterais sans nouvelles d’elle pendant trois ou quatre mois durant la dernière année, suivis d’un retour inattendu et des contacts quasi quotidiens.
L’apprivoisement Une première phase de travail se caractérise par « l’apprivoisement » du dispositif et de son thérapeute. Pendant un an Elise s’assure d’avoir une place auprès de moi et met en scène son existence par une série d’absences : nous avons fixé des rendez-‐vous réguliers, mais systématiquement, elle va les annuler et les reporter ou ne pas venir, sans me prévenir. Malgré ces absences, je reste disponible à la rencontre et attend qu’elle se présente. Cela semble la rassurer de savoir qu’elle peut toujours venir et reprendre rendez-‐vous. Nous nous voyons plus fréquemment pendant quelques mois, et la séance devient un lieu d’apaisement ; elle parle de ce qui lui arrive, puis se tait. Elle veut se reposer, ferme les yeux et respire. Je suis en face d’elle, je la guide dans une légère méditation à visée relaxante. Elle se sent bien, me dit que ses pensées se calment, que sa tête se vide. Elle est moins agitée et aimerait continuer à venir me voir car elle se sent mieux après les séances.
Un apaisement trompeur Un premier tournant important va se produire suite à cette phase d’apaisement. Elle envisage de se stabiliser, de se trouver un endroit fixe où habiter, de faire des démarches pour avoir ses droits d’allocation. Elle s’installe chez une amie et se met à l’abri des crises conjugales. Tout s’apaise dans se vie, mais l’apparent répit cache un piège. Et ce piège est bien connu du psychiatre qui bientôt l’accueillera dans son service de crise : il l’appelle l’allergie au bonheur. De nombreux patients souffrent de ça, me dira-‐t-‐il ; lorsque tout commence à aller bien dans leur vie, ils s’arrangent pour tout détruire, comme si un programme était à l’œuvre au fond d’eux et réagissait au bonheur, à l’insupportable bonheur qui réveille une énorme angoisse. Elise n’y échappe pas. Alors qu’apparemment elle se stabilise dans un mode de vie plus sain et paisible, voilà le raz-‐de-‐marée anxiogène qui la submerge. Elle « pète les plombs », sans raison apparente, casse des objets, crie, se jette à la rue et erre le long de la voie ferrée. Elle se fait hospitaliser volontairement en se rendant au service d’urgences.
29
Sortir de toute interprétation A partir de ce moment-‐là mon accompagnement se modifie. Je me rends compte que j’ai été dupe de ses projets, que j’ai voulu qu’ils aboutissent trop vite – ou qu’ils aboutissent tout court –, alors que l’enjeu pour elle ne se situait peut-‐être pas là. Je noue des rapports plus étroits avec les services psychiatriques qu’elle fréquente et découvre l’ampleur du réseau qu’elle a tissé au fil des ans. En fait, Elise a fait le tour de presque tous les hôpitaux psychiatriques de Belgique ; elle y est admise après un scénario qu’elle répète quand elle ne sait plus quoi faire : elle va dans le métro et menace de se jeter sur les rails ; les passants affolés appellent la police qui la conduit à l’hôpital.
Création d’un point d’ancrage « sur-‐mesure » Après 2 ans de suivi, nous rapports ont évolué. Lorsqu’elle est hospitalisée, elle donne mon nom et celui du service comme point de repère. Je suis « son » psychologue attitré et elle demande au médecin de me contacter pour assurer le suivi. Parallèlement, elle s’assure constamment que, malgré son hospitalisation, elle aura encore sa place au centre. Elle demande de reprendre rendez-‐vous dès sa sortie pour faire le point avec moi sur sa situation et son futur. Elle revient me voir, déverse ses plaintes, me parle de son quotidien. Je me garde de toute interprétation, de toute indication sur ce qu’elle devrait faire ou pas. Je reste présent à la relation, je respire pour bien me centrer et rester ancré face au chaos qu’elle déverse en séance. Son discours évolue, devient plus léger, elle s’abîme moins dans le drame de son histoire, tourne moins en rond dans le vide de son existence. Un jour pourtant, elle disparaît sans donner de nouvelles. J’apprendrai par son compagnon qu’elle est partie dans une ville voisine suite à une violente dispute qui l’a menée à l’hôpital et au sein duquel elle a rencontré un autre homme. Elle vit désormais avec lui. Toutefois, l’idylle ne dure pas et Elise revient plusieurs mois après à La Louvière. Elle s’est réinstallée chez Loïc, son couple ressoudé. Au bout de ce travail – qui s’arrêtera pour moi en juin 2013 alors que je quitte ce service – je constaterai qu’Elise a su nouer avec moi et l’institution une autre forme de lien que celui auquel elle s’est toujours confronté et la menait au passage à l’acte. Au lieu du ravage, elle put établir – avec le temps – une forme de lien social sécurisant, stable, qui lui assure un nouveau point d’ancrage dans l’existence et vers lequel elle peut se tourner en cas de difficulté. Elle ne manquera pas d’ailleurs de s’en servir ; inondant parfois le secrétariat d’appels et de messages sur notre répondeur. Elle demande le contact et nous pouvons y répondre, ou plutôt, nous nous faisons un devoir d’y répondre là où d’autres institutions et intervenants ont trop souvent jeté l’éponge et opté pour le rejet, faute de pouvoir supporter ce transfert éprouvant. Avant mon départ, nous avons préparé ensemble la suite de son suivi qui se déroulera avec mon collègue dans les mêmes locaux. Elle est triste que je parte car on se connaissait bien et elle avait confiance en moi, mais elle connaît aussi mon collègue et la transition s’opère sans difficulté. Pour clore nos échanges, elle m’offre une boîte de pralines qu’elle accepte que je partage avec toute l’équipe. Cette manœuvre de dilution du transfert me semble essentielle pour la suite du travail.
Supervisions
Lors du suivi, une supervision d’équipe toute les deux semaines avait lieu en présence du médecin psychiatre de notre service. J’ai pu élaborer mon vécu du transfert et du
30
conte-‐transfert et dégager des pistes de travail lorsque j’étais dans l’impasse. Suite à la première hospitalisation notamment, la supervision m’a permis de me rendre compte de mon investissement de la patiente et de l’insistance que je mettais à ce que son projet de vie aboutisse. La recherche d’une stabilisation de logement à tout prix ne m’en fit pas percevoir tout de suite les dangers qui s’y cachaient ni la possibilité d’une recrudescence d’angoisse. Il m’est apparu que sa recherche incessante de logement, ainsi que les innombrables démarches dans lesquelles elle s’est engagées constituent une modalité de traitement en elles-‐mêmes de la pulsion ; voie de canalisation de l’énergie libidinale non arrimée à l’ordre symbolique et de ce fait, non tempérée par les discours et le sens commun36.
Evolution du Transfert et du Contre-‐transfert
TRANSFERT : Les figures paternelles et masculines qu’elle a rencontrées dans sa vie ont été tellement ravageuses qu’elle s’est coupée de presque tout lien social et a entamé un long processus de marginalisation la menant en rue, délestée de tout bien, de toute source de revenu, de toute identité citoyenne. Les quelques repères qui stabilisèrent et jalonnèrent son parcours furent tenus par des psychiatres ; des hommes bienveillants qui ont su l’accompagner sans la brutaliser et la mettre à l’abri du ravage familial et de sa propre violence. En rencontrant ces psychiatres, je me suis rendu compte que je m’inscrivais dans la lignée de ces hommes élus par elle comme interlocuteur valable. Elise, après une période que j’ai caractérisée « d’apprivoisement », a investi massivement notre relation et un transfert positif en a découlé. J’ai craint un moment qu’il ne vire au transfert érotomaniaque assez fréquent dans la psychose lorsqu’elle commença a m’offrir des cadeaux : une carte de vœux pour Noël, des crêpes pour la Chandeleur,… Puis ce phénomène s’estompa lorsque je diluai le transfert sur l’institution ; plutôt que d’endosser seul le travail avec elle, je fis de plus en plus référence au service « Psy Chic » dans son ensemble et à mon inscription dans celui-‐ci. Elle n’avait plus alors affaire uniquement à « son » psychologue, Grégoire, mais à Grégoire appartenant à l’équipe de « Psy Chic » et à l’institution entière prise dans un réseau de soin plus vaste également. Cette opération arrêta l’afflux de cadeaux du jour au lendemain et donna de l’air à notre relation. Je pense que cette opération a pu la dégager d’une place où elle « devait » répondre à mes demandes ; combler un manque chez l’autre, ou se « donner » à lui – incarnant par-‐là une position d’objet de satisfaction pulsionnelle pour l’autre (comme nous l’expliquons dans la partie théorique). CONTRE-TRANSFERT : Elise s’inscrit dans la liste des patientes que je connais bien et que j’ai eues l’occasion de suivre en institution. Elle appartient au groupe de celles que j’ai envie de sauver. Par sa détresse, sa misère, ses allures touchantes et sensibles, elle su me prendre en pitié et me faire dépasser les limites autorisées par l’institution ou le cadre de travail en vigueur. Ainsi, je me suis retrouvé de nombreuses fois à tenir une position qui n’était pas la mienne et à faire des démarches ou à prendre du temps pour elle alors que cela ne m’était pas demandé. En faisant vibrer cette corde affective chez moi, j’encourageais un transfert exclusif à mon égard : elle devenait mon objet de soin privilégier – position d’existence qu’elle ne connaît que trop bien et dont elle ne s’extrait généralement que par le passage à l’acte. C’est en me décalant de cette position de « sauveur » à son endroit que je lui laissai enfin
36 Cf. Partie I : Le transfert de libido dans la névrose et la psychose – p.9.
31
la place pour déployer son potentiel, sa créativité et la possibilité d’élaborer ses propres solutions. Ce dégagement de ma part l’a replacée face à sa responsabilité de vivre et aux choix qu’elle posait dans sa vie. Désormais ce n’était plus l’autre qui choisissait pour elle ou lui imposait de faire telle ou telle chose, d’aller à tel ou tel endroit, mais c’est elle qui reprenait en main les cartes de sa destinée. On peut dire ici que l’intention que j’avais de la « sauver » et de l’aider à concrétiser ses démarches administratives (incarnée par les entorses que j’ai pu faire au règlement de travail et au dépassement de certaines limites institutionnelles) n’a eu pour effet que de l’éloigner un peu plus de sa dynamique personnelle et subjective. En asséchant cette volonté, une nouvelle place s’est ouverte pour elle et d’autres possibilités d’action ont pu émerger, issues cette fois de la singularité créatrice dont elle est porteuse et dont elle fut longtemps éloignée.
Bilan du travail
Ce n’est pas un hasard si Elise se fait rejeter de toute part (famille biologique, institutions de soin, services administratifs, hôtels de police,…). D’un côté, nous avons sans doute à l’œuvre un programme interne au sujet qui se répète et rejoue l’exclusion comme prototype de rapport à l’autre et tentative de guérison, mais aussi de l’autre une réelle incapacité des services à pendre en charge le transfert psychotique et son maniement délicat. On vient de voir comment, au sein du service de santé mentale – lieu plus spécialisé que les autres dans l’accueil d’un public marginalisé et désocialisé – les choses se sont mises en perspectives et nous ont donné du fil à retordre. Je pense qu’en osant soutenir ce transfert, en donnant une place à la spécificité du sujet, à sa singularité et à sa fantaisie, sa créativité, même et surtout si elle nous paraît incompréhensible, nous permettons l’apparition de remaniements importants de son rapport à lui-‐même, aux autres et au monde. Elise, par l’investissement qu’elle a placé en moi et sur le service, a su, petit à petit, nouer une forme de lien pacifié et trouver la confiance en l’autre nécessaire à la mise en place d’un point de repère dans son monde. Là où avant il n’y avait qu’errance, elle s’est servie de nous comme un élément liant à l’intérieur d’un réseau qu’elle nous a présenté en pièces détachées. A elle maintenant de poursuivre sa route avec cette nouvelle donne et d’en tirer bénéfice. Nous pouvons espérer que l’expérience de pacification qu’elle a réalisée avec nous, au sein de cette rencontre, puisse s’exporter en d’autres lieux et lui servir de modèle relationnel susceptible d’être reproduit avec d’autres intervenants ou d’autres interlocuteurs présents dans sa vie quotidienne. Nous soutenons que par ce type de rencontre, le recours au passage à l’acte comme solution de décharge pulsionnelle se trouve significativement réduit.
Conclusion
Au sortir de ce suivi, je me rends compte une fois de plus à quel point supporter le transfert est une tâche ardue qui demande beaucoup de clairvoyance, de réflexion et de travail d’élaboration afin d’arriver à traiter les énergies en présence et orienter le suivi dans le respect du processus et de l’élan vital de la personne. Elise m’a confronté à ma tendance de sauveur qui a ressurgi là où je ne m’y attendais pas. Je me suis laissé embarquer sur une voie de « normalisation » pensant répondre à sa demande d’aide. Elle m’a montré combien il était important de ne pas brusquer les choses, de ne pas aller plus vite que la musique, de ne pas se laisser aller à croire la première chose qu’elle me disait, mais à prendre le temps que tout son discours puisse se poser, s’intégrer.
32
Un travail important a aussi été fourni avec les équipes qui l’accompagnaient afin de les aider à supporter et à traverser les grands moments de doute, les rechutes, les impasses qui se sont présentées à nous tout au long du suivi. J’ai essayé, lors de réunions cliniques que j’ai mises en place, de leur faire suivre et comprendre le processus en cours et l’intérêt que nous avions à le respecter et à l’accompagner dans son rythme. Le travail de prise de conscience de mon propre processus et de mon contre-‐transfert s’est fait de pair avec celui des équipes et nous a amené à poursuivre ce suivi au-‐delà des stigmates initiaux qui nous incitaient plutôt à rejeter cette jeune femme passée experte en l’art de rendre l’autre impuissant. C’est avec de la patience, du respect, de l’écoute et l’aménagement d’une place singulière – « sur-‐mesure » – pour Elise que j’ai pu mener aussi loin que je l’ai pu cet accompagnement pour le moins confrontant.
Avranches, 28 janvier 2014
33
Bibliographie
ABRAHAM K. (1916), « Examen de l’étape prégénitale la plus précoce du développement de la libido », Développement de la libido. Œuvres complètes. Tome 2, trad. Barande I., Paris, PBP, 1977 : 231-‐254.
ABRAHAM K. (1924), « Esquisse d’une histoire du développement de la libido basée sur la psychanalyse des troubles mentaux », Développement de la libido. Œuvres complètes. Tome 2, trad. Barande I., Paris, PBP, 1977 : 255-‐313.
ABRAHAM K. (1925), « Etude psychanalytique de la formation du caractère », Développement de la libido. Œuvres complètes. Tome 2, trad. Barande I., Paris, PBP, 1977 : 314-‐350.
BAIO V., « La richesse d’une « pratique à plusieurs »», Les Feuillets du Courtil n°14, Tournai, Publication du Champ freudien en Belgique, 1997 : 105-‐118.
BECKETT S. (1953), L’innommable, Paris, Les Editions de Minuit, 1998. BECKETT S. (1968), Watt, Paris, Les Editions de Minuit, 1998. BERCHERIE P., Les fondements de la Clinique. Histoire et structure du Savoir psychiatrique, Paris, Seuil, 1980.
BERGSON H. (1907), L’évolution créatrice, Paris, PUF, 2009. BION W.R. (1962), Aux sources de l’expérience, trad. Robert F., Paris, PUF, 2010. BOYESEN G. (1985), Entre psyché et soma. Introduction à la psychologie biodynamique, trad. Gérôme P., Paris, Payot, 1997.
DE CLERAMBAULT G. (1913-‐1923), L’érotomanie, Paris, Les empêcheurs de penser en rond, 2002.
DELEUZE G., Spinoza (1978-1981), Les cours de Gilles Deleuze, inédit. DE SAUSSURE F. (1916), Cours de linguistique générale, Paris, Payot ,1980. DOR J., Introduction à la lecture de Lacan, Paris, Denoël, 1985. FENICHEL O., La théorie psychanalytique des névroses. Tome 1 et 2, trad. Fain M. et coll., Paris, PUF, 1979.
FERENCZI S. (1927-‐1933), Le traumatisme, trad. L’équipe du Coq Héron, Paris, PBP, 2010. FEYS J.-‐L., L’anthropopsychiatrie de Jacques Schotte, Paris, Hermann, 2009. FIERENS Ch., Logique de l’inconscient. Lacan ou la raison d’une clinique, Paris, L’Harmattan, 2007. FOUCAULT M. (1972), Histoire de la folie à l’âge classique, Gallimard, Paris, 1996. FOUCAULT M. (1975), Surveiller et punir, Gallimard, Paris, 2002. FREUD S., Lettres à Wilhelm Fliess (1887–1904). Edition complète, trad. Kahn F. et Robert F., Paris, PUF, 2006.
FREUD S. (1894), « Les psychonévroses de défense », Névrose, psychoses et perversion, trad. Laplanche J., Paris, PUF, 1978 : 1-‐14.
FREUD S. (1896), « Nouvelles remarques sur les psychonévroses de défense », Névrose, psychoses et perversion, trad. Laplanche J., Paris, PUF, 1978 : 61-‐81.
FREUD S. (1904), Cinq leçons sur la psychanalyse, trad. Le Lay Y., Paris, PBP, 1984. FREUD S. (1904-‐1918), La technique psychanalytique, trad. Berman A., Paris, PUF, 1981. FREUD S. (1905), Trois essais sur la théorie sexuelle, trad. Koeppel Ph., Paris, Gallimard, 1998. FREUD S. (1905), « Mes vues sur le rôle de la sexualité dans l’étiologie des névroses », Résultats, idées, problèmes I (1890–1920), trad. Laplanche J. et coll., Paris, PUF, 1998 : 113-‐122.
FREUD S. (1911), « Formulations sur les deux principes du cours des événements psychiques », Résultats, idées, problèmes I (1890–1920), trad. Laplanche J., Paris, PUF, 1998 : 135-‐143.
34
FREUD S. (1911), « Remarques psychanalytiques sur l’autobiographie d’un cas de paranoïa : Dementia Paranoides. (Le président Schreber) », Cinq psychanalyses, trad. Bonaparte M. et Loewenstein R., Paris, PUF, 2001 : 263-‐324.
FREUD S. (1914), « Pour introduire le narcissisme », La vie sexuelle, trad. Berger D., Laplanche J. et coll., Paris, PUF, 1989 : 81-‐105.
FREUD S. (1915), « Pulsions et destins des pulsions », Métapsychologie, trad. Laplanche J. et Pontalis J.-‐B., Paris, Gallimard, 1999 :11-‐43.
FREUD S. (1915), « Le refoulement », Métapsychologie, trad. Laplanche J. et Pontalis J.-‐B., Paris, Gallimard, 1999 : 45-‐63.
FREUD S. (1915), « L’inconscient », Métapsychologie, trad. Laplanche J. et Pontalis J.-‐B., Paris, Gallimard, 1999 :65-‐121.
FREUD S. (1915), « Deuil et mélancolie », Métapsychologie, trad. Laplanche J. et Pontalis J.-‐B., Paris, Gallimard, 1999 :145-‐171.
FREUD S. (1916), « Quelques types de caractère dégagés par le travail psychanalytique », L’inquiétante étrangeté et autres essais, trad. Bourguignon A. et coll., Paris, Gallimard, 1985 : 135-‐172.
FREUD S. (1919), « L’inquiétante étrangeté », L’inquiétante étrangeté et autres essais, trad. Féron B., Paris, Gallimard, 1985 : 209-‐264.
FREUD S. (1920), « Au-‐delà du principe de plaisir », Essais de psychanalyse, trad. Bourguignon A., Laplanche J., Pontalis J.-‐B. et coll., Paris, PBP, 1997 : 41-‐116.
FREUD S. (1923), « « Psychanalyse » et « Théorie de la libido » », Résultats, idées, problèmes II (1921 – 1938), trad. Altounian J. et coll., Paris, PUF, 1987 : 51-‐78.
FREUD S. (1923), « Le Moi et le Ça », Essais de psychanalyse, trad. Bourguignon A., Laplanche J., Pontalis J.-‐B. et coll., Paris, PBP, 1997 : 223-‐275.
FREUD S. (1924), « La perte de la réalité dans la névrose et dans la psychose », Névrose, psychoses et perversion, trad. Guérineau D., Paris, PUF, 1978 : 299-‐303.
FREUD S. (1925), « La négation », Résultats, idées, problèmes II (1921 – 1938), trad. Laplanche J., Paris, PUF, 1987 : 135-‐140.
FREUD S. (1925), « Note sur le « Bloc-‐notes magique » », Résultats, idées, problèmes II (1921–1938), trad. Laplanche J. et Pontalis J.-‐B., Paris, PUF, 1987 : 119-‐124.
FREUD S. (1938), « Le clivage du moi dans le processus de défense », Résultats, idées, problèmes II (1921–1938), trad. Pontalis J.-‐B., Paris, PUF, 1987 :283-‐286.
FREUD S. (1938), Abrégé de psychanalyse, trad. Berman A., Paris, PUF, 1978. FROMM E. (1966), La conception de l’homme chez Marx, trad. Matignon M., Paris, PBP, 2010. GUASCH G., Quand le corps parle. Pour une autre psychanalyse, Vannes, Sully, 2007. HELLER M., Psychothérapies corporelles. Fondements et méthodes, Bruxelles, De Boeck, 2008. JUNG C.-‐G. (1928), L’homme à la découverte de son âme, trad. Cahen R., Paris, Albin Michel, 1987. JUNG C.-‐G. (1929), Commentaire sur le Mystère de la Fleur d’Or, trad. Perrot E., Paris, Albin Michel, 1979.
JUNG C.-‐G. (1945), Psychologie du transfert, trad. Perrot E., Paris, Albin Michel, 1980. KRAEPELIN E. (1900), Introduction à la psychiatrie clinique, trad. Devaux A. et Merklen P., Paris, Vigot Frères, 1907.
LACADÉE Ph., L’éveil et l’exil. Enseignements psychanalytiques de la plus délicate des transitions : l’adolescence, Nantes, Cécile Defaut, 2007.
LACAN J. (1946), « Propos sur la causalité psychique », Écrits, Paris, Seuil, 1966 : 151-‐193. LACAN J. (1955-‐1956), Les psychoses, Le Séminaire, Livre III, Paris, Seuil, 1981. LACAN J. (1956), « D’une question préliminaire à tout traitement possible de la psychose », Écrits, Paris, Seuil, 1966 : 531-‐584.
35
LACAN J. (1959-‐1960), L’éthique de la psychanalyse, Le Séminaire, Livre VII, Paris, Seuil, 1986. LACAN J. (1962-‐1963), L’angoisse, Le Séminaire, Livre X, Paris, Seuil, 2004. LACAN J. (1964), Les quatre concepts fondamentaux de la psychanalyse, Le Séminaire, Livre XI, Paris, Seuil, 1973.
LACAN J. (1973), « L’étourdit », Scilicet 4, Paris, Seuil, 1973 : 5-‐52. LAURENT E., « Les traitements psychanalytiques des psychoses », Les feuillets du Courtil n° 21,
Tournai, Publication du Champ freudien en Belgique, 2003 : 7-‐25. LAING R.D., Le moi divisé. De la santé mentale à la folie, trad. Elesen C., Paris, Stock, 1972. LAPLANCHE J. et PONTALIS J.-‐B., Vocabulaire de la psychanalyse, Paris, PUF, 1998. LEWIN F. avec GABLIER M., La psychologie biodynamique. Une thérapie qui donne la parole au corps, Paris, Le courrier du livre, 2013.
LOWEN A. (1976), La Bioénergie, trad. Fructus M., Poitiers, Tchou, 1978. LOWEN A. (1977), Le langage du corps, trad. Ouellet H., Poitiers, Tchou, 1977. LU TSOU, Le secret de la fleur d’or. Suivi du Livre de la Conscience et de la Vie, trad. Liou Tse Houa, Paris, Médicis, 2002.
MALEVAL J.-‐C., Logique du délire, Paris, Masson, 2002. MALEVAL J.-‐C., La forclusion du Nom-du-Père. Le concept et sa clinique, Paris, Seuil, 2000. MILLER J.-‐A., L’expérience du Réel dans la cure analytique, cours 1998-‐1999, inédit. MINKOWSKI E. (1927), La schizophrénie. Psychopathologie des schizoïdes et des schizophrènes, Paris, PBP, 2006.
MINKOWSKI E. (1966), Traité de psychopathologie, Paris, Les empêcheurs de penser en rond, 1999.
PEARLS F. (1973), Manuel de gestalt-thérapie, trad. Denis J.-‐P., Issy-‐les-‐Moulineaux, esf, 2005. PIERRAKOS J. (1986), Le noyau énergétique de l’être humain, trad. Mouton S., Paris, Sand, 1991. RAZAVET J.-‐C., De Freud à Lacan. Du roc de la castration au roc de la structure, Bruxelles, De Boeck, 2002.
REICH W. (1927), La fonction de l’orgasme, Paris, L’Arche, 1975. REICH W. (1932), L’irruption de la morale sexuelle, trad. Kamnitzer P., Paris, PBP, 2007. REICH W. (1933), L’analyse caractérielle, trad. Kamnitzer P., Paris, Payot, 2010. REICH W. (1949), L’éther, Dieu et le diable, trad. Kamnitzer P., Paris, PBP, 1999. REICH W. (1951), La superposition cosmique, trad. Kamnitzer P., Paris, PBP, 1999. REICH W., Reich parle de Freud, trad. Kamnitzer P., Paris, Payot, 1972. RIMBAUD A., Œuvre-Vie, Edition du centenaire établie par Alain Borer, Paris, Arléa, 1991. ROUDINESCO E. et PLON M., Dictionnaire de la psychanalyse, Paris, Fayard, 2000. SCHOPENHAUER A. (1818), Le monde comme volonté et comme représentation, trad. Burdeau A., Paris, PUF, 1998.
SPINOZA B. (1677), Éthique, trad. Pautrat B., Paris, Seuil, 1998. WINNICOTT D.W., Jeu et réalité, trad. Monod C. et Pontalis J.-‐B., Paris, Gallimard, 2002. WINNICOTT D.W. (1939-‐1971), « La crainte de l’effondrement », La crainte de l’effondrement et autres situations cliniques, trad. Kalmanovitch J. et Gribinski M., Paris, Gallimard, 1989 :205-‐216.
WINNICOTT D.W. (1939-‐1971), « Objets de « l’usage d’un objet » », La crainte de l’effondrement et autres situations cliniques, trad. Kalmanovitch J. et Gribinski M., Paris, Gallimard, 1989 : 231-‐242.
ZENONI A., L’autre pratique clinique. Psychanalyse et institution thérapeutique, Bruxelles, Erès, 2009.
36
Table des matières
PARTIE I : APPORT THEORIQUE................................................................................................................1 INTRODUCTION....................................................................................................................................................................2 FREUD ET LA PULSION : PREMIERE THEORIE DE LA LIBIDO ........................................................................................2
L’appareil psychique et le schéma réflexe .........................................................................................................................................2 Avant la pulsion : le schéma sexuel.......................................................................................................................................................3 La pulsion : entre psyché et soma...........................................................................................................................................................4 La représentation et l’affect chez Spinoza ..........................................................................................................................................5 Conflit pulsionnel et psychopathologie...............................................................................................................................................6
DE LA PSYCHIATRIE CLASSIQUE A JACQUES LACAN ......................................................................................................7 Retour sur les fondements de la Clinique ..........................................................................................................................................7 De la démence précoce à la schizophrénie ...........................................................................................................................................7 De l’élan vital en psychiatrie....................................................................................................................................................................8 De la biologie et de l’affect ........................................................................................................................................................................9 La psychose selon Lacan............................................................................................................................................................................9
LE TRANSFERT DE LIBIDO DANS LA NEVROSE ET LA PSYCHOSE .................................................................................9 La névrose..........................................................................................................................................................................9 La schizophrénie .......................................................................................................................................................... 11 La paranoïa.................................................................................................................................................................... 12
LA PSYCHOLOGIE BIODYNAMIQUE................................................................................................................................. 13 Le corporel : l’énergie de vie contactée par les massages........................................................................................................13 L’organique : l’impulsion intérieure contactée par la végétothérapie ...............................................................................14 Le psychique : l’affect et la représentation contactés par la relation..................................................................................14 Le traitement biodynamique des névroses ....................................................................................................................................15
Exemple clinique .................................................................................................................................................................................15 Le traitement biodynamique des psychoses .................................................................................................................................16
PARALLELES ENTRE LE TRAITEMENT PSYCHANALYTIQUE DES PSYCHOSES SELON LACAN ET LA PSYCHOLOGIE BIODYNAMIQUE................................................................................................................................................................ 16
Le traitement de l’Autre ..........................................................................................................................................................................17 1. Une présence vidée de volonté propre .................................................................................................................................17 2. S’abstenir de toute interprétation...........................................................................................................................................17 3. Suivre le rythme du patient .......................................................................................................................................................18 4. Aménager l’environnement .......................................................................................................................................................18 5. Créer une relation de confiance ...............................................................................................................................................18
Se laisser instruire par le sujet ............................................................................................................................................................18 Incarner une fonction de « contenance » ........................................................................................................................................19 Restaurer le lien social : nouvel orientation de l’élan vital .....................................................................................................20
CONCLUSION ..................................................................................................................................................................... 21 Accords et désaccords .............................................................................................................................................................................21 Accueillir et traiter la psychose ...........................................................................................................................................................22 Perspectives : vers un traitement des psychoses « biodynamique » ..................................................................................23
PARTIE II : ETUDE DE CAS ........................................................................................................................ 25 INTRODUCTION................................................................................................................................................................. 26 PRESENTATION DU CAS................................................................................................................................................... 26 - Lecture du corps........................................................................................................................................................ 26 - Demande initiale ....................................................................................................................................................... 27
37
DIAGNOSTIC BIODYNAMIQUE ET REICHIEN................................................................................................................. 27 CONTRAT........................................................................................................................................................................... 27 PROJET THERAPEUTIQUE ............................................................................................................................................... 27 PHASES DU PROCESSUS................................................................................................................................................... 28
L’apprivoisement.......................................................................................................................................................................................28 Un apaisement trompeur .......................................................................................................................................................................28 Sortir de toute interprétation...............................................................................................................................................................29 Création d’un point d’ancrage « sur-‐mesure » ..............................................................................................................................29
SUPERVISIONS .................................................................................................................................................................. 29 EVOLUTION DU TRANSFERT ET DU CONTRE-‐TRANSFERT........................................................................................ 30 BILAN DU TRAVAIL .......................................................................................................................................................... 31 CONCLUSION ..................................................................................................................................................................... 31 BIBLIOGRAPHIE ................................................................................................................................................................ 33
38
Résumé
« Vers un traitement biodynamique des psychoses »
Grégoire Rodembourg
Le suivi de patients psychotiques en institution ou en cabinet privé nécessite
l’accueil et le soutien d’une modalité transférentielle particulière. L’étude des travaux de Freud et de Lacan sur le sujet m’a amené à dégager une série de points communs entre le traitement psychanalytique des psychoses et l’approche biodynamique de Gerda Boyesen.
La partie théorique développe la conception freudienne de l’appareil psychique et la logique libidinale qui en découle ; à partir du schéma sexuel élaboré par Freud dans son Manuscrit G37 (1895), nous le suivrons dans son parcours jusqu’à la construction du concept de pulsion. Ensuite, nous verrons comment Lacan a repris à son compte les avancées freudiennes en les amalgamant à la théorie du signifiant issue de la linguistique saussurienne38. Il en dégage, à partir dans années 1950, une orientation de travail pour le suivi des patients en psychiatrie. Selon son approche, la psychose ne sera plus considérée comme une maladie issue d’un dysfonctionnement de la mécanique corporelle (neurochimique, anatomique ou chromosomique), mais tributaire d’une modalité d’être au monde spécifique de l’humain et liée à son inscription dans l’ordre symbolique. La théorisation du concept de forclusion du Nom-du-Père39 ouvre la voie à une nouvelle forme de prise en charge des patients, moins axée sur une volonté de rééducation et de réinsertion du sujet dans l’ordre social que sur le traitement de l’Autre auquel ce sujet a affaire : cet Autre étant à entendre comme le milieu au sein duquel évolue le patient, les institutions qui l’accompagnent ou encore les intervenants qui l’encadrent. Cette définition de la psychose, envisagée comme une modalité de défense face à un environnement toxique et ravageur, induira donc une forme d’accompagnement alternatif. Après avoir dégagé les modalités transférentielles spécifiques de la structure psychotique, nous en aborderons les possibilités de traitements. L’accent sera principalement porté sur la dynamique de l’accompagnement du sujet et la position de l’intervenant. En adoptant une qualité de présence vidée de volonté propre à l’égard du sujet, le thérapeute favorisera l’émergence de nouvelles possibilités d’être et de réalisation ; plus créatives, plus respectueuses de l’élan vital de son patient et de sa dynamique
37 FREUD S., Lettres à Wilhelm Fliess (1887–1904). Edition complète, trad. Kahn F. et Robert F., Paris, PUF, 2006.
38 DE SAUSSURE F. (1916), Cours de linguistique générale, Paris, Payot ,1980. 39 LACAN J. (1955-‐1956), Les psychoses, Le Séminaire, Livre III, Paris, Seuil, 1981.
39
personnelle. La clinique nous montre qu’une telle attitude permet au sujet psychotique de nouer une nouvelle forme de lien social avec l’autre et réduit significativement le recours au passage à l’acte sacrificiel comme tentative de guérison. Pour terminer, nous comparerons les approches psychanalytique et biodynamique afin d’en dégager quelques points communs relatifs à la position du thérapeute dans la relation, à l’aménagement du cadre de travail et à son intérêt pour la dynamique propre de son patient. La partie pratique rend compte d’une expérience clinique que j’ai eue l’occasion d’effectuer lors de mon travail en institution psychiatrique. Au sein du service de santé mentale « Psy Chic » (La Louvière, Belgique), j’ai suivi Eloïse pendant 3 ans. Nous retracerons son parcours, ses difficultés et les traitements « sauvages » qu’elle mettait en place pour se soustraire à l’impératif d’une pulsion mortifère non appareillée aux discours. Nous verrons comment la mise en place d’une nouvelle forme de lien social a eu pour elle un effet d’apaisement et a pu constituer une forme d’arrimage au langage susceptible de réduire (sporadiquement) son recours au passage à l’acte. Ce cas constituera pour nous une illustration de l’apport biodynamique dans le champ du traitement des psychoses mettant l’accent sur l’aspect relationnel du suivi.
40
Summary
« Towards a biodynamic psychosis treatment »
Grégoire Rodembourg
Monitoring psychotic patients either in institutions or in private practices
requires the adoption and the support of a particular transfer modality. Studying the works of both Freud and Lacan on this subject has brought to my attention a number of points in common between the psychoanalytic treatment of psychosis and Gerda Boyesen’s biodynamic approach.
The theoretical part develops the Freudian idea of the psychic apparatus and its consequent libido logic; taking the sexual pattern published by Freud in his Manuscrip G40 (1895) as a starting point, we follow the building process of the concept of pulsion. Afterwards we observe how Lacan adopts Freud’s assumptions to merge them with the theory of the signifier derived from Saussure’s work on linguistics41. From the 1950s, this new approach leads to an increase in monitoring of psychotic patients in psychiatry. Psychosis is no longer seen as an illness, and as such deriving from a malfunction of the body’s mechanics (neurochemical, anatomical or chromosomal) but rather as a result of a particular human way of being alive, linked to his inscription in the Symbolic Order. The theorisation of the concept of foreclosure of The Name-of-the-Father42 sets the scene for a new manner of handling patients, one which is less based on re-‐education and reintegration of the individual in society, and more on treating the Other which this individual is dealing with: this Other is to be intended as the setting the patient evolves in, as well as the institutions or social workers in charge of accompaniment and support. This definition of psychosis, seen as a defence mechanism against a toxic and aggressive environment, induces an alternative form of accompaniment. After having isolated the specific transfer modalities of the psychotic structure, we look at the different possible treatments. The focus will mainly be on the dynamics of accompaniment and on the position of the caseworker. By opting for a presence which is drained of all personal will in regards to the individual, the therapist can facilitate the insurgence of new possibilities of being and self realisation; more creative, more respectful of the patient’s vital force and personal dynamics. Clinical studies show how this attitude allows the psychotic individual to have a different type of social relationship with the other, significantly reducing the need to resort to a sacrificial act as a healing attempt.
40 FREUD S., Lettres à Wilhelm Fliess (1887–1904). Edition complète, trad. Kahn F. et Robert F., Paris, PUF, 2006.
41 DE SAUSSURE F. (1916), Cours de linguistique générale, Paris, Payot ,1980. 42 LACAN J. (1955-‐1956), Les psychoses, Le Séminaire, Livre III, Paris, Seuil, 1981.
41
Finally we will compare the psychoanalytic and biodynamic approaches pointing out similarities pertaining to the position of the therapist in the relationship, the fitting out of the work schedule and the interest for the patient’s own dynamics. The practical part is an account of my clinical experience in a psychiatric institution. Within the framework of the mental health service « Psy Chic » (La Louvière, Belgium), I followed Eloïse for three years. We retrace her journey, the difficulties and “savage” treatments she would put in place in order to escape the imperative of a mortifying pulsion, which had no match in words. We will then see how the set up of a new form of social interaction has had an appeasing effect on her, how it has enabled her to use language to (sporadically) reduce having to resort to action. This case will constitute an illustration of the biodynamic contribution in the field of psychosis treatment emphasizing the relationship side of the monitoring process.