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Pauvreté et exclusion Rapports Tony Atkinson Jacques Freyssinet Michel Glaude Claude Seibel Annexes préparées par l’INSEE et Laurent Caussat

Pauvreté et exclusion - CAEd’analyser les problèmes économiques du pays et d’exposer les différentes options envisageables. » Lionel Jospin, Premier Ministre Discours d’ouverture

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Pauvretéet exclusion

Rapports

Tony AtkinsonJacques Freyssinet

Michel GlaudeClaude Seibel

Annexes préparées par

l’INSEE et Laurent Caussat

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La Documentation française. Paris, 1998 - ISBN :2-11-004046-7« En application de la loi du 11 mars 1957 (article 41) et du Code de la propriété intelectuelle du 1er juillet 1992,toute reproduction partielle ou totale à usage collectif de la présente publication est strictement interdite sansl’autorisation expresse de l’éditeur.Il est rappelé à cet gard que l’usage abusif et collectif de la photocopie met en danger l’équilibre économiquedes circuits du livre. »

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La création du Conseil d’Analyse Économique « répond à la nécessitépour un gouvernement trop souvent confronté à l’urgence, de pouvoir seréférer à une structure de réflexion qui lui permette d’éclairer ses choixdans le domaine économique. J’ai souhaité aussi créer un lien entre deuxmondes qui trop souvent s’ignorent, celui de la décision économique publi-que et celui de la réflexion économique, universitaire ou non.

J’ai pris soin de composer ce Conseil de façon à tenir compte de toutesles sensibilités. Le Conseil d’Analyse Économique est pluraliste. C’estlà un de ses atouts principaux, auquel je suis très attaché. Il doit être unlieu de confrontations sans a priori et les personnes qui le composentdoivent pouvoir s’exprimer en toute indépendance. Cette indépendance– je le sais – vous y tenez, mais surtout je la souhaite moi-même.

Ces délibérations n’aboutiront pas toujours à des conclusions parta-gées par tous les membres ; l’essentiel à mes yeux est que tous les avispuissent s’exprimer, sans qu’il y ait nécessairement consensus.

...

La mission de ce Conseil est essentielle : il s’agit, par vos débats,d’analyser les problèmes économiques du pays et d’exposer les différentesoptions envisageables. »

Lionel Jospin, Premier MinistreDiscours d’ouverture de la séance d’installation duConseil d’Analyse économique, le 24 juillet 1997.Salle du Conseil, Hôtel de Matignon.

3PAUVRETÉ ET EXCLUSION

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Sommaire

Introduction ................................................................................................. 7

La pauvreté et l’exclusion sociale en Europe ........................................... 11Tony Atkinson

La pauvreté, sa mesure et son évolution ................................................... 37Michel Glaude

L’indemnisation du chômage en Europe.Entre l’activation des dépenses pour l’emploiet la garantie de minima sociaux............................................................... 69Jacques Freyssinet

Le chômage de longue durée et les politiques d’emploi .......................... 93Claude Seibel

Annexe 1. Les minima sociaux en France............................................... 113Laurent Caussat

Annexe 2. Les emplois précaires sont-ils un marchepiedvers les emplois stables en France ? ....................................................... 125Laurence Bloch et Marc-Antoine Estrade

Résumé .................................................................................................... 133

Summary.................................................................................................. 137

5PAUVRETÉ ET EXCLUSION

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Introduction

La séance du jeudi 19 février du Conseil d’Analyse Économique a étéconsacrée au thème «.Pauvreté et exclusion.», en présence du PremierMinistre.

«.L’Europe est un continent riche, mais une fraction importante de sescitoyens est pauvre.». C’est par ce constat que Tony Atkinson introduit sonrapport sur la pauvreté et l’exclusion sociale en Europe. Encore convient-ilde noter, comme le fait l’auteur, que le taux de pauvreté en Europe est, enmoyenne, deux fois plus faible qu’aux États-Unis et, qu’à l’exception duRoyaume-Uni, l’augmentation des taux de pauvreté européens a été faibleau cours des deux dernières décennies, comparativement à celle du chô-mage, traduisant en cela le rôle de l’État-providence dans la réduction desinégalités. La mesure de la pauvreté est précisément l’objet du rapport deMichel Glaude. Il souligne la diversité des approches et le caractère relatifdes mesures de la pauvreté. Si celles-ci rendent bien compte des change-ments qui ont affecté la structure de la pauvreté en France, le phénomène del’exclusion demeure, en revanche, mal appréhendé dans les statistiques.

Les liens entre pauvreté et chômage sont au cœur des quatre rapports.Celui de Jacques Freyssinet traite plus particulièrement des politiquesd’indemnisation du chômage menées dans les pays européens et de leur rôledans l’évolution de la pauvreté. Analysant les liens entre la générosité del’indemnisation du chômage et la désincitation à l’activité, il tend à écarterl’idée que cette générosité serait un frein significatif à la reprise d’emploi.Le rapport de Claude Seibel analyse plus particulièrement la réponse despolitiques d’emplois au chômage de longue durée et souligne le rôle despolitiques «.d’intéressement.» dans la démarche de retour à l’emploi.

Sans prétendre résumer le contenu des quatre rapports, on peut dégagertrois pistes de ces réflexions.

7PAUVRETÉ ET EXCLUSION

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1) L’État providence est indispensable pour réduire la pauvreté et il estcompatible avec un haut niveau de développement. En Europe, les transfertset impôts résultant de l’État providence contribuent fortement à la réductionde la pauvreté. Ces transferts, et notamment les minima sociaux, ont permisd’éviter que la montée du chômage au cours des vingt dernières annéesn’engendre une hausse parallèle de la pauvreté. En outre, c’est en Europedu Nord où l’État providence est en général le plus développé que les tauxde pauvreté sont les plus faibles, la France se situant dans la moyenneeuropéenne. En d’autres termes, les sociétés les plus développées sont engénéral les moins inégalitaires.

2) La réduction du chômage est une condition nécessaire mais nonsuffisante de la lutte contre la pauvreté et l’exclusion. Alors qu’il y a vingtans, la pauvreté en France caractérisait les ménages âgés et trouvait sonorigine dans la faiblesse relative des pensions de retraite, la période récenteest caractérisée par une pauvreté liée au chômage. La lutte contre le chômageest donc une condition nécessaire à la réduction la pauvreté. Mais, commele montre l’exemple du Royaume-Uni ou des États-Unis, certaines formesde lutte contre le chômage peuvent aggraver la pauvreté. Les politiques deflexibilité menées au Royaume-Uni dans les années quatre-vingt ont certesréduit le chômage, mais en engendrant la pauvreté, soit par la créationd’emplois peu rémunérés («.travailleurs pauvres.» mentionnés dans le rap-port de Tony Atkinson), soit par l’exclusion du marché du travail et l’attri-bution d’allocations sous conditions de ressources.

En outre, pour lutter simultanément contre le chômage et la pauvreté, ilfaut accompagner les créations d’emplois par une politique ciblée en faveurdes publics les plus fragiles. C’est le cas notamment du chômage de trèslongue durée, analysé par Claude Seibel, mais aussi des travailleurs sansdiplômes pour lesquels le passage par l’emploi précaire ne garantit pasl’insertion par le marché du travail, comme l’illustre l’étude de l’INSEEpubliée en annexe 2.

3) Les allocations ciblées sous condition de ressources sont certes lafaçon la moins coûteuse de lutter contre l’extrême pauvreté, mais ellescréent des situations de trappes de pauvreté (ou de trappes à chômage).Pour éviter à la fois la pauvreté au travail et la pauvreté liée au chômage, ilfaut simultanément combiner un salaire minimum, des minima sociaux etun processus de transition de l’assistance à l’emploi qui soit suffisammentrémunérateur pour que l’emploi reste une valeur fondamentale de la société.Les mécanismes d’intéressement qui reposent sur le maintien transitoire desminima sociaux lors du retour à l’emploi sont une réponse à ces «.trappes àchômage.», mais ils doivent être simples pour que l’avantage monétairerésultant du retour à l’emploi soit clairement perçu. L’alternative queconstitue une allocation universelle – sans aucune condition de ressources

8 CONSEIL D’ANALYSE ÉCONOMIQUE

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ou d’activité –, a également été évoquée, notamment dans le rapport de TonyAtkinson. La discussion a montré que le sujet était controversé.

Deux annexes complètent les rapports. Celle de Laurent Caussat présentele système français des minima sociaux et résume les diagnostics récemmentpubliés. L’annexe 2, établie par l’INSEE, analyse le rôle de l’emploi précairedans la transition entre le chômage et l’emploi stable.

Pierre-Alain Muet

Conseiller auprès du Premier Ministre,

Professeur à l’École polytechnique

9PAUVRETÉ ET EXCLUSION

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La pauvreté et l’exclusion socialeen Europe

Tony Atkinson

Professeur à l’Université d’Oxford

La pauvreté monétaire en Europe

L’Europe est un continent riche, mais une fraction importante de sescitoyens est pauvre. Selon l’indicateur de pauvreté «.monétaire.» que retientla Commission de l’Union européenne – la proportion de personnes quidisposent d’un revenu inférieur à la moitié du revenu moyen dans chaqueÉtat membre –, 50 millions d’Européens vivaient dans la pauvreté à la findes années quatre-vingt, soit 15.% de la population. Bien que cet indicateurne soit pas exempt de critiques, il traduit concrètement la définition adoptéepar le Conseil des ministres du 19 décembre 1984 : «.personnes dont lesressources matérielles, culturelles et sociales sont si faibles qu’elles sontexclues des modes de vie minimaux acceptables dans l’État membre où ellesvivent.».

Ce chiffre de 50 millions de personnes pauvres a frappé les esprits : lePrésident Delors l’utilisait fréquemment pour justifier une extension desprérogatives de la Commission en matière sociale. Pourtant les progrès dela lutte contre la pauvreté en Europe sont lents, et malgré les initiativesnationales prises dans ce domaine, il ne semble pas que le nombre depersonnes pauvres ait diminué au cours des années quatre-vingt-dix. Uneétude récente d’Eurostat (1997) (voir aussi Chambaz (1997)) indique que57 millions d’Européens disposaient de ressources inférieures aux seuils depauvreté nationaux en 1993. Toutefois, il s’agit de résultats provisoires quirisquent d’être prochainement modifiés. On se référera donc de préférencedans le présent rapport aux données d’Eurostat disponibles à la fin de ladécennie quatre-vingt (Hagenaars, de Vos et Zaidi (1994)), qui retiennentdes indicateurs de la pauvreté monétaire basés sur les dépenses des ménages.

11PAUVRETÉ ET EXCLUSION

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À titre incident, on doit remarquer que les mises à jour tardives des donnéesstatistiques sur la pauvreté constituent un obstacle à l’efficacité des politi-ques de lutte contre la pauvreté, ce qui milite en faveur d’un accroissementdes moyens consacrés à l’investigation statistique des revenus des ménagesà l’échelon européen. Souvent anciennes, les données disponibles sont deplus imparfaites : en particulier elles ne portent que sur les ménages «.ordi-naires.», à l’exclusion des personnes sans domicile fixe ou résidant eninstitution.; de même, les pays membres les plus défavorisés sont souventabsents des données statistiques.

La position relative des douze pays membres de l’Union européenne auregard de la pauvreté monétaire à la fin des années quatre-vingt, mesuréepar la part de la population dont les ressources sont inférieures à la moitiédu revenu moyen de leur pays, est représentée sur le graphique 1. La Francese situe dans une position moyenne, entre d’une part le Benelux, le Dane-mark et l’Allemagne, et d’autre part, les pays d’Europe du Sud et l’Irlande.Si l’Europe du Sud connaît des taux de pauvreté sensiblement plus élevésque la moyenne européenne, la pauvreté n’est pas pour autant seulementl’affaire des pays les moins développés de l’Union européenne. Ainsi lesdeux tiers des 50 millions de personnes pauvres résident en France (8millions), en Italie (12 millions), dans la partie occidentale de l’Allemagne(7 millions) et au Royaume-Uni (8 millions).

Note : La donnée relative à l'Allemagne s'entend de la partie occidentale de ce pays.Source : Hagenaars et alii (1994).

1. Proportion de personnes pauvres en Europeà la fin des années quatre-vingt

Danemark

Pays-Bas

Belgique

Allemagne

Luxembourg

France

Royaume-Uni

Irlande

Espagne

Grèce

Italie

Portugal

0 5 10 15 20 25%

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L’incidence de l’âge

Autant que le nombre de personnes pauvres, ce sont leurs caractéristiquessocio-économiques qui intéressent l’économiste et le décideur public. Legraphique 2 décrit les taux de pauvreté par grandes classes d’âge dans quatredes principaux pays européens (France, Italie, partie occidentale de l’Alle-magne, Royaume-Uni), en utilisant les résultats de Hagenaars et alii (1994).Les taux de pauvreté par classe d’âge sont rapportés au taux de pauvretéglobal : une valeur de 1,5 pour une classe d’âge donnée signifie ainsi que letaux pauvreté est supérieur de 50.% dans cette classe d’âge au taux depauvreté global.

La relation entre âge et pauvreté suit une courbe en «.U.», les taux depauvreté étant sensiblement plus élevés que la moyenne nationale parmi lesjeunes (sauf en Italie), et supérieurs au double de la moyenne nationale parmiles personnes âgées de 75 ans ou plus. Mais, comme l’indique le tableau 1,une proportion importante de personnes pauvres (60.% environ en Italie,50.% en France) appartient aux classes d’âge actif (17 à 64 ans). On peutdonc conclure que la pauvreté n’affecte pas seulement les plus jeunes et lesplus vieux, mais l’ensemble des classes d’âge. En réalité, elle imprègnel’ensemble des sociétés européennes.

Note : Les données relatives à l'Allemagne s'entendent de la partie occidentale de ce pays. Source : Hagenaars et alii (1994).

Âge

3

2,5

2

1,5

1

0,5

00 - 16 17 - 44 45 - 64 65 - 74 75 et +

FranceAllemagneItalieRoyaume-Uni

2. Pauvreté relative selon l'âge

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1. Part des jeunes et des personnes âgéesparmi les personnes pauvres

(%)

0 à 16 ans 65 ans et plus

France 26,3 22,7

Allemagne (partie occidentale) 24,1 26,7

Italie 19,6 21,9

Royaume-Uni 28,9 29,1

Source : Hagenaars et alii (1994).

La pauvreté et la taille de la famille

Une seconde courbe en «.U.» peut être observée dans la relation entrepauvreté et taille de la famille (voir graphique 3). Les personnes isoléesd’une part, et les familles nombreuses d’autre part, connaissent des taux depauvreté plus élevés que la moyenne. Toutefois, les familles nombreuses neforment qu’une proportion réduite de l’ensemble des ménages dans laplupart des pays européens, et en conséquence elles ne pèsent que faiblementdans l’ensemble des ménages pauvres (tableau 2).

Note : Les données relatives à l'Allemagne s'entendent de la partie occidentale de ce pays.Source : Hagenaars et alii (1994).

3. Pauvreté relative selon la taille de la famille

1 2 3 4 5 et +

Nombre de personnes composant le ménage

1,8

1,6

1,4

1,2

1

0,8

0,6

0,4

0,2

0

FranceAllemagneItalieRoyaume-Uni

14 CONSEIL D’ANALYSE ÉCONOMIQUE

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2. Part des personnes isolées et des familles nombreusesparmi les ménages pauvres

(%)

Personnes isolées Ménages decinq personnes ou plus

France 40,2 15,5Allemagne (partie occidentale) 45,0 6,5Italie 28,4 13,6Royaume Uni 32,2 9,0

Source : Hagenaars et alii (1994).

À nouveau, la pauvreté n’apparaît pas limitée à quelques groupes sociauxisolés et se diffuse au contraire dans l’ensemble de la société. Certes,certaines catégories paraissent particulièrement exposées – les famillesmonoparentales, les couples avec quatre enfants ou plus, ou les personnesisolées âgées de 65 ans et plus –, mais au total ces catégories représententmoins de la moitié des ménages pauvres. Par exemple, 36,9.% des couplesavec quatre enfants ou plus sont en situation de pauvreté, mais au totall’ensemble formé des catégories les plus exposées au risque de pauvreté nereprésente que 40.% des ménages pauvres.

Lorsque l’on examine les liens entre pauvreté et taille de la famille, ondoit en premier lieu s’interroger sur la sensibilité des mesures statistiquesdu niveau de vie et de la pauvreté aux modes de prise en compte des besoinsdes ménages selon leur taille. Faut-il ne prendre en compte que le revenudes ménages en ignorant leur taille, ou à l’inverse faut-il considérer qu’unménage comptant cinq personnes doit disposer d’un revenu cinq fois supé-rieur à celui d’une personne isolée pour atteindre un niveau de vie identi-que.? La question ici posée est celle du système «.d’échelles d’équivalence.»à retenir pour appréhender l’évolution des besoins selon la taille des ména-ges, en tenant compte des «.économies d’échelle.» que procure l’agrandis-sement de la famille.(1). Les données utilisées dans le présent rapportreposent sur une échelle d’équivalence qui compte une part pour le premieradulte du ménage, 0,5 part pour chaque autre adulte, et 0,3 part pour chacundes enfants. En second lieu, l’analyse du niveau de vie des ménages selonleur taille conduit à s’interroger sur les changements qui peuvent intervenirdans la composition familiale en réponse à des modifications dans l’envi-

15PAUVRETÉ ET EXCLUSION

(1) Comme l’observent de Vos et Zaidi (1995), le choix d’une échelle d’équivalence ou d’uneautre «.entraîne des changements considérables dans la composition des ménages pauvres...La prévalence de la pauvreté parmi des catégories particulières comme les personnes âgéesisolées ou les ménages avec enfants est particulièrement sensible au choix d’une échelled’équivalence.».

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ronnement économique et social. Depuis la fin de la dernière guerre mon-diale, la progression générale des revenus a permis à un nombre croissantde jeunes de quitter plus précocement le domicile de leurs parents, et afavorisé le maintien à domicile d’un proportion plus élevée de personnesâgées. Mais, en cas de récession, on observe à l’inverse une tendance desjeunes sans emploi à rester au domicile de leurs parents, et si ces derniersdisposent d’un revenu supérieur au seuil de pauvreté, le chômage de l’enfantne se traduira pas par son entrée dans la pauvreté.

La pauvreté et le nombre d’apporteurs de ressources

L’appréciation que l’on peut porter sur la pauvreté dans un ménagedépend enfin évidemment du nombre d’apporteurs de ressources au sein dece ménage. Sur le plan statistique, lorsque l’on retient de simples mesuresmonétaires de la pauvreté, on ignore le plus souvent les activités informelles,voire illégales, et de ce fait on sous-estime le nombre d’apporteurs deressources. En gardant cette remarque présente à l’esprit, on constatecependant (voir graphique 4) que les taux de pauvreté sont constammentplus faibles parmi les ménages comportant deux apporteurs de ressources.À l’inverse, à l’exception de la Belgique, les ménages sans aucun apporteurde ressources sont plus fréquemment en situation de pauvreté. Ceci invite àanalyser de façon détaillée les relations entre chômage et pauvreté.

(%)

Ensemble

1 apporteur de ressources

Note : Les données relatives à l'Allemagne s'entendent de la partie occidentale de ce pays.Source : Hagenaars et alii (1994).

4. Proportion de ménages pauvres selon le nombre d'apporteurs de ressources

Aucun apporteur de ressources

2 apporteurs de ressources

50

40

30

20

10

0Danemark Pays-Bas Belgique Allemagne France Irlande Royaume-

UniEspagne Italie Portugal

16 CONSEIL D’ANALYSE ÉCONOMIQUE

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Chômage, pauvreté et exclusion sociale

Comme l’indique le graphique 5, les taux de pauvreté sont sensiblementplus élevés parmi les ménages dans lesquels la personne de référence est auchômage. D’une façon générale, on peut estimer que le taux de pauvreté desménages dont la personne de référence occupe un emploi est de l’ordre duquart du taux de pauvreté national moyen. On note cependant quelquesdifférences : ainsi, au Danemark, le taux de pauvreté des ménages affectéspar le chômage reste inférieur au taux de pauvreté moyen, et il n’est quelégèrement supérieur à cette moyenne en Allemagne.; à l’opposé, en France,au Royaume-Uni, en Irlande, aux Pays-Bas et en Belgique, le taux depauvreté des ménages dont la personne de référence est au chômage est ledouble du taux de pauvreté des ménages dont la personne occupe un emploi.

Ces données de base accréditent l’hypothèse que la hausse du chômageen Europe est à l’origine d’une augmentation significative de la pauvreté, àl’instar de l’évolution observée aux États-Unis. Dans ce pays, des testsstatistiques réalisés sur la période 1959-1983 (Blank et Blinder, 1986)montrent qu’une augmentation d’un point du taux de chômage des hommesjeunes se traduit par une augmentation également d’un point du taux depauvreté.

Actif occupé

Chômeur

Note : Seuls sont repris sur ce graphique les pays dans lesquels au moins 3 % des ménages ont une personne de référence au chômage ; les données relatives à l'Allemagne s'entendent de la partie occidentale de ce pays.Source : Hagenaars et alii (1994).

5

4

3

2

1

0Irlande Belgique Espagne Royaume-

UniPays-Bas Allemagne France Danemark

5. Pauvreté relative selon le statut d'emploi de la personne de référence

17PAUVRETÉ ET EXCLUSION

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Une telle évolution a-t-elle été observée en Europe.? Pour répondre àcette question, il convient de se référer aux études réalisées dans lesdifférents États membres, tant par les instituts statistiques gouvernementauxque par des équipes universitaires. En France, ces études sont réalisées parl’INSEE, au moyen de deux sources statistiques qui sont produites tous lescinq ans environ : les enquêtes sur les revenus fiscaux des ménages, et lesenquêtes sur les budgets des familles.(2). En Grande-Bretagne, le Départe-ment de la Sécurité sociale réalise régulièrement des études sur les ménagesdisposant d’un revenu inférieur à la moyenne (Département de la Sécuritésociale, 1997). Bien que ces études ne soient pas directement comparablesentre elles, elles permettent de décrire les changements intervenus dans lesdivers pays.

Considérons l’évolution du taux de pauvreté et du taux de chômage auRoyaume-Uni depuis 1975 (voir graphique 6). Le fait marquant est la forteprogression de la pauvreté depuis la décennie soixante-dix. Ainsi, la propor-tion de personnes vivant dans des ménages à bas revenus a plus que doubléau cours des cabinets successifs de Mme Thatcher : de 8.% environ à la findes années soixante-dix à 20.% au début de la décennie quatre-vingt-dix.

(%)

Proportion de ménages pauvres

Taux de chômage

Sources : OCDE (1997) et Department of Social Security (1992, 1993, 1994, 1995, 1996, 1997).

6. Taux de pauvreté et taux de chômage au Royaume-Uni

25

20

15

10

5

0

197

5

197

6

197

7

197

8

197

9

198

0

198

1

198

2

198

3

198

4

198

5

198

6

198

7

198

8

198

9

199

0

199

1

199

2

199

3

199

4

199

5

18 CONSEIL D’ANALYSE ÉCONOMIQUE

(2) Pour les estimations tirées de l’enquête sur les revenus fiscaux des ménages, voir INSEE(1995).; pour celles tirées des enquêtes sur les budgets des familles, voir INSEE (1996).

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Pendant la plus grande partie de cette période, le chômage a égalementprogressé, mais selon un rythme différent de celui de la pauvreté. Alors quele chômage a progressé jusqu’au milieu des années quatre-vingt, la pauvretén’a réellement commencé à augmenter qu’après cette période, et pourjustifier un lien de causalité entre chômage et pauvreté, il faudrait admettreun délai de réaction de cinq ans qui paraît tout à fait excessif. Ceci suggèreque d’autres facteurs ont affecté l’évolution de la pauvreté, notamment ladiminution importante de la générosité du système de protection sociale aumilieu des années quatre-vingt.

Les relations entre chômage et pauvreté ont été moins nettes dans lesautres pays européens. Le cas de l’Italie, pays pour lequel on dispose dedonnées annuelles sur la pauvreté, est décrit par le graphique 7 : au coursdes années quatre-vingt, chômage et pauvreté y ont évolué de façon sensi-blement parallèle, mais en 1988 la pauvreté revient soudainement à sonniveau de 1980 alors même que le taux de chômage se maintient à un niveauélevé. Ainsi, même dans un pays comme l’Italie dont la couverture publiquedu chômage est réputée peu étendue, la corrélation positive entre taux depauvreté et taux de chômage ne s’applique pas à l’ensemble de la périodeconsidérée. Dans la partie occidentale de l’Allemagne, pays à tradition dehaut niveau de protection sociale, et pour lequel on dispose de donnéesannuelles du moins pour les années les plus récentes (voir graphique 8),l’évolution de la pauvreté semble suivre celle du chômage avec un décalaged’un an environ. Toutefois, si l’on considère les tendances sur longue période,le taux de chômage est passé de 1.% en 1973 à 8.% en 1995, alors que dans lemême temps le taux de pauvreté progressait de seulement trois points.

(%)

Taux de chômage

Proportion de ménages pauvres

Sources : OCDE (1997) et Commissione di indagine sulla povertà e sull'emarginazione (1996, 1996a).

7. Taux de pauvreté et taux de chômageen Italie

1980

1981

1982

1983

1984

1985

1986

1987

1988

1989

1990

1991

1992

1993

1994

1995

16

14

12

10

8

6

4

2

0

19PAUVRETÉ ET EXCLUSION

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L’examen des tendances du chômage et de la pauvreté dans différentspays européens ne fait donc ressortir qu’un lien assez lâche entre pauvretéet chômage, ce que confirment les études qui utilisent les données harmo-nisées du Luxembourg Income Study (LIS). Ainsi, Smeeding (1997) cons-truit un «.score.» des évolutions de la pauvreté à l’aide duquel il conclut que«.les tendances de la pauvreté au cours des années quatre-vingt ont été dansl’ensemble plates, à l’exception des États-Unis et du Royaume-Uni.».

Au total, le problème de la pauvreté en Europe, quoique persistant, nesemble pas lié mécaniquement et uniquement à celui du chômage.

L’exclusion sociale

Cette conclusion ne doit pas conduire à négliger le chômage et sesconséquences en termes de bien-être. Il convient au contraire de garder enmémoire l’interpellation récente de Sen (1997), qui souligne le risque d’unecertaine complaisance des Européens à l’égard de l’évolution du chômage,et oppose les perceptions d’un côté à l’autre de l’Atlantique : «.les valeursde la société américaine autorisent l’indifférence à l’égard des pauvres, cequi est impensable chez les Européens de l’Ouest élevés dans la culture del’État providence. Mais ces mêmes valeurs américaines ne s’accommode-raient jamais des taux de chômage à deux chiffres que connaissent nombrede pays européens.».

(%)

Proportion de ménages pauvres

Taux de chômage

Note : Les données s'entendent de la partie occidentale de l'Allemagne.Sources : OCDE (1997), Becker (1996), Hauser (1996), Hauser et Becker (1997).

8. Taux de pauvreté et taux de chômageen Allemagne

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10

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6

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20 CONSEIL D’ANALYSE ÉCONOMIQUE

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Ce qui en réalité rend le chômage insupportable aux yeux des Européens,ce n’est pas tant qu’il engendre la pauvreté, mais qu’il peut conduire àl’exclusion sociale. Ainsi, le Livre blanc de la Commission de l’Unioneuropéenne – Croissance, compétitivité, emploi, publié en 1994 – défendait-il la nécessité de la création d’emplois pour préserver «.l’avenir de nosenfants, qui doivent pouvoir trouver des motifs d’espoir et d’action dans laperspective de participer à l’activité économique et sociale.».

Claire dans ses principes, cette affirmation prête à discussion quant auxvoies par lesquelles la création d’emplois peut par elle-même mettre fin àl’exclusion sociale, notamment lorsqu’elle est obtenue au moyen de la flexibi-lité «.à l’américaine.» du marché du travail. Ceci amène à préciser la notiond’exclusion sociale. Ses origines mêmes sont incertaines : on attribue généra-lement le terme à René Lenoir, en raison du succès de son livre Les exclus(1974), mais Paugam (1996) observe que la notion d’exclusion sociale étaitdéjà présente dans des écrits des années soixante, tels ceux de Pierre Massé etJules Klanfer (1965). Il a commencé à être utilisé récemment dans les débatsanglo-saxons, sans que sa signification ait été précisément définie. Sans douteest-ce d’ailleurs le flou qui entoure cette notion qui explique son succès, et sil’on en croit une synthèse de la littérature sociologique «.un seul point faitl’accord des observateurs : l’impossibilité de définir les exclus à l’aide d’uncritère unique. À l’issue de la lecture d’un nombre considérable d’enquêtes etd’articles se dégage un sentiment de profonde confusion parmi les experts.»(Weinberg et Ruano-Borbalan, (1993).; Silver, (1995)).

On peut toutefois dégager trois éléments qui reviennent régulièrementdans les débats sur la définition de l’exclusion. Le premier d’entre eux portesur son caractère relatif : les individus sont «.exclus.» d’une société donnée,d’un territoire et d’une période déterminées. Bien qu’intuitive, cette idée derelativité a pourtant été critiquée. Ainsi, un ancien ministre britanniqueconservateur a-t-il pu déclarer : «.Une personne qui dispose d’un niveau devie comparable à celui d’un noble du Moyen Âge ne peut être regardéecomme pauvre sous le seul prétexte qu’elle a eu l’infortune de naître à unepériode au cours de laquelle la grande majorité de la population dispose duniveau de vie des rois du Moyen Âge.» (Joseph et Sumption, 1979).

Cependant, autant on peut concevoir une approche «.absolue.» de lapauvreté, autant cette approche est dépourvue de sens pour l’analyse del’exclusion sociale. Connaître la trajectoire individuelle qu’une personnedonnée a suivie ne suffit pas à déterminer si elle est ou non exclue. Engénéral, les individus tombent dans l’exclusion à cause d’événements quiinterviennent dans un autre secteur de la société, et en conséquence toutedéfinition de l’exclusion doit prendre en compte le fonctionnement de lasociété toute entière. Au surplus, l’exclusion concerne plus souvent desgroupes que des individus, ce que les économistes tendent à oublier en neconsidérant que les individus ou les ménages isolés : par exemple, les

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enquêtes par sondage auprès des ménages ne tiennent pas compte du faitque des personnes répondantes peuvent habiter dans la même rue ou le mêmequartier, alors qu’à l’inverse les institutions financières privées n’hésitentpas à utiliser le code postal pour «.noter.» les personnes en termes de capacitéd’endettement, faisant ainsi toucher du doigt le caractère plus souventcollectif qu’individuel de l’exclusion.

Un deuxième élément de discussion autour de l’exclusion concerne lesmécanismes de l’exclusion. L’exclusion implique une action conduite parun ou plusieurs agents. Ainsi, des personnes peuvent s’exclure elles-mêmesen se mettant à l’écart de l’économie, comme elles peuvent être exclues parexemple par une décision des banques de rejeter une demande de crédit oupar le refus d’un assureur de couvrir leur habitation. Un individu peut refuserun emploi et préférer vivre de transferts sociaux, mais il peut également êtreexclu du fait des stratégies des autres travailleurs («.insiders.»), des syndi-cats, des employeurs ou des pouvoirs publics.(3). Lorsque l’on essaie dequalifier la situation d’une personne au regard de l’exclusion, il faut doncnon seulement mesurer des phénomènes objectifs, mais également s’effor-cer d’apprécier son degré de responsabilité par rapport à cette situation :a-t-elle la capacité de changer le cours de son existence et ainsi de résisterau processus d’exclusion.?

Le troisième élément concerne la dynamique de l’exclusion. Des person-nes sont exclues non seulement parce qu’à un moment donné elles n’ont pasd’emploi ni de revenu, mais plus généralement parce qu’elles n’ont que defaibles perspectives d’avenir, pour elles-mêmes ou pour leurs enfants.L’exclusion sociale peut se transmettre de génération en génération, et parconséquent il faut aller au-delà de la position sociale observée à un momentdonné pour évaluer convenablement l’exclusion sociale. En d’autres termes,l’exclusion sociale se mesure non seulement à l’aboutissement ex post d’unetrajectoire sociale, mais aussi à l’ensemble d’anticipations ex ante que peutfaire une personne, ce qui suggère de disposer pour les études sur l’exclusiond’indicateurs d’anticipation de la position future sur le marché du travail oudu revenu futur.

Cette discussion ne permet évidemment pas de construire des indicateursd’exclusion sociale aussi précis que ceux du chômage et de la pauvreté. Ellea toutefois permis d’identifier les questions centrales qui doivent êtreadressées aux politiques publiques.

22 CONSEIL D’ANALYSE ÉCONOMIQUE

(3) Les processus par lesquels les travailleurs peuvent être exclus selon les différentesthéories du marché du travail sont présentés dans Cahuc et Zylberberg (1996) et Gazier(1996).

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Les politiques nationales de lutte contre la pauvretéet la flexibilité du marché du travail :le cas des économies anglo-saxonnes

Examinons à présent les conséquences des politiques nationales de luttecontre le chômage sur la pauvreté et l’exclusion sociale. À supposer quel’Europe réussisse à juguler le chômage, parviendra-t-elle à vaincre lapauvreté et l’exclusion.? À cet égard, les politiques menées dans les paysanglo-saxons dans le sens d’une plus grande flexibilité du marché du travailméritent un examen particulier, ce d’autant plus que leur mise en œuvre enEurope est recommandée par le Fonds monétaire international et d’autresorganisations internationales.

Pour cette discussion, les théories macro-économiques du chômage sontutiles mais insuffisantes, dans la mesure où elles sont indifférentes àl’hétérogénéité des travailleurs selon la qualification, laquelle joue bienévidemment un rôle essentiel dans l’analyse de la pauvreté et de l’exclusionsociale. Même lorsque le salaire moyen est supérieur au seuil de pauvreté,la société peut comporter un nombre important d’actifs pauvres, car une plusgrande flexibilité du marché du travail peut détériorer la position destravailleurs les moins rémunérés. Les modèles avec un «.travailleur repré-sentatif.» ne permettent pas d’éclairer la question de l’exclusion sociale, saufà considérer tous les chômeurs comme exclus, ce qui serait purementconventionnel.

Considérons un modèle alternatif d’appariement individuel des tra-vailleurs aux emplois offerts par les employeurs. À l’issue de la négociationqui détermine les salaires, le travailleur est embauché si :

la valeur de la production supplémentaire (1) due au travailleur (2) est supérieureau salaire de réservation du travailleur (3)+ le coût de création de l’emploi (4) x le taux de «.turnover.» de la main d’œuvre (5)+ le taux d’actualisation (6) / le pouvoir relatif de négociation de l’employeur (7).

Dans cette formule, le salaire de réservation, qui est en théorie le salaireau-delà duquel le demandeur d’emploi accepte l’emploi offert, est en généralestimé à la valeur de l’indemnisation du chômage, laquelle dépend du tauxde remplacement offert par le système de protection sociale. En présenced’un salaire minimum, l’employeur n’a plus aucun pouvoir de négociation,et le deuxième membre de la formule devient pour un travailleur rémunéréau minimum :

le salaire minimum (8)+ le coût de création de l’emploi (4) x le taux de «.turnover.» de la main d’œuvre (5)+ le taux d’actualisation (6).

23PAUVRETÉ ET EXCLUSION

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Les politiques de lutte contre le chômage se distinguent en ce qu’ellesjouent différemment sur les huit paramètres des formules précédentes. Bienque l’impact de ces politiques sur le chômage soit incertain, on ne contesterapas qu’elles se traduisent bien par une baisse.(4), mais on mettra essentielle-ment l’accent sur la contribution positive ou négative de ces politiques à laréduction de la pauvreté et de l’exclusion sociale.

Améliorer « .l’employabilité .» des demandeurs d’emploi

Considérons en premier lieu la politique «.d’employabilité.» («.Welfareto Work.»), à laquelle, au Royaume-Uni, le premier budget du nouveauchancelier de l’Échiquier, Gordon Brown, a accordé une nette priorité,même si ce type de mesures avait déjà été mis en œuvre par les précédentsgouvernements conservateurs et dans d’autres pays. Le pilier de cettepolitique réside dans l’amélioration de la productivité des personnes auchômage et dans la réduction des coûts de création d’emploi (éléments (2)et (4) des formules précédentes). Ainsi, les programmes qui offrent unepremière expérience professionnelle aux jeunes, ou qui améliorent leurformation, ont un impact clairement positif en termes de réduction de lapauvreté et de l’exclusion sociale en même temps qu’elles diminuent lechômage. L’élimination des «.frictions.» sur le marché du travail, du fait ducaractère non instantané de l’adéquation des demandeurs d’emploi auxemplois offerts exerce des effets identiques. Ces mesures semblent bienadaptées à la nature relative de l’exclusion, en ce qu’elles s’efforcent dedoter les demandeurs d’emploi des qualifications et de l’expérience desactifs occupés. Elles confortent les individus et élargissent le champ de leursopportunités, et par là même leur ouvrent des perspectives pour l’avenir.

Ces mesures soulèvent néanmoins deux problèmes. D’une part, elles sontsans doute nécessaires mais non suffisantes : si l’on reprend les formulesprécédentes, la valeur de la production potentielle (élément (1) du membrede gauche de la relation) relève du côté «.demande.» de l’économie. Dèslors, il faut compléter l’évaluation de l’efficacité micro-économique desmesures par des considérations macro-économiques : une insuffisance de lademande globale peut en effet laisser inemployées les qualifications nou-vellement acquises. D’autre part, les politiques d’amélioration de «.l’em-ployabilité.» des personnes à la recherche d’un emploi mettent l’accent surle côté «.offre.» du marché du travail – sauf lorsqu’elles comportent dessubventions aux employeurs – et négligent la question des comportementsd’embauche des firmes. D’une façon générale, dans les représentations desmécanismes de l’exclusion sociale, l’attention se porte plus fréquemmentsur les comportements des travailleurs que sur ceux des employeurs.

24 CONSEIL D’ANALYSE ÉCONOMIQUE

(4) Une synthèse des politiques de lutte contre le chômage au Royaume-Uni peut être trouvéedans Gardiner (1997).

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La flexibilité du marché du travail et la réduction de la tailledu système de protection sociale

Un second groupe de politiques de lutte contre le chômage est constitué desmesures visant à réduire les salaires de réservation (élément (3) de la premièreversion du membre de droite de la formule). Une explication immédiate de ladifférence de taux de chômage entre l’Europe et les États-Unis réside en effetdans le fait qu’en Europe les systèmes de protection sociale et les salairesminima contribuent à limiter la flexibilité à la baisse des salaires, entraînant unebaisse de la demande de travail peu qualifié, tandis qu’aux États-Unis l’emploides travailleurs peu qualifiés a pu être préservé au prix d’une baisse de leurssalaires. Ceci conduit certains courants d’opinion en Europe à préconiser uneréduction de la générosité des systèmes de protection sociale et une diminutiondes salaires minima (élément (8) de la seconde version du membre de droite dela formule). Les salaires résultant de la négociation pourraient aussi être réduitspar des mesures visant à augmenter le pouvoir de négociation des employeurs(élément (7)).

Au regard de ses effets sur la pauvreté ou l’exclusion sociale, une tellepolitique pourrait au mieux proposer un arbitrage entre un risque de pauvretéaccru pour certains groupes et une amélioration de l’emploi pour d’autres.En termes de pauvreté, une réduction des transferts sociaux détériore lasituation de ceux qui n’ont aucune chance de trouver un emploi, et lesnouveaux embauchés reçoivent des salaires inférieurs à ceux des personnesprécédemment occupées, ce qui va augmenter le risque de pauvreté auxquelsont exposées les personnes actives. L’expérience américaine permet d’éva-luer les conséquences de cette stratégie (voir graphique 9). En 1995, le tauxde chômage aux États-Unis a retrouvé son niveau de 1972 (5,5.%), maisentre ces deux dates la pauvreté a augmenté de façon importante.(5). Selonune étude de Blank (1993), l’impact de l’emploi sur la réduction de lapauvreté s’est affaibli : de 1983 à 1989, les États-Unis ont connu une périodede croissance, au cours de laquelle le taux de chômage est passé de 9,5 à5,2.% (OCDE, 1995), mais dans le même temps le taux de pauvreté a connuune baisse qui n’a pas compensé la hausse enregistrée lors de la récessionprécédente. Toujours selon l’étude de Blank, l’explication de cette évolutionréside dans un changement de la sensibilité des revenus des ménages pauvresà l’environnement macro-économique : alors qu’au cours de la croissancedes années soixante, les individus défavorisés ont bénéficié de la croissancedes salaires, ils ont été exposés dans la décennie quatre-vingt à une baissede leurs salaires réels, et au total on a assisté à un élargissement de l’éventaildes salaires.

25PAUVRETÉ ET EXCLUSION

(5) Notons que la mesure officielle de la pauvreté aux États-Unis repose sur un seuil qui estrevalorisé en fonction de l’évolution des prix, alors qu’en Europe, le seuil de pauvreté évoluecomme les revenus moyens.

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Pour revenir plus directement à l’exclusion sociale, quel est l’impact despolitiques d’emploi «.à l’américaine.» sur les trois éléments (relativité,mécanismes, dynamique) qui la caractérisent.? Dans la mesure où cespolitiques accusent un écart entre la rémunération des emplois existants etcelle des emplois nouvellement créés, elles accentuent le caractère relatif del’exclusion. Dès lors, si la croissance de l’emploi a pour contrepartie unedétérioration relative des revenus les plus faibles, elle risque de laisserpersister la pauvreté et l’exclusion sociale. Toutefois, il est permis de penserque les nouveaux emplois, certes faiblement rémunérés, améliorent lesperspectives futures, ce qui, dans la dimension dynamique de l’exclusionsociale, constituerait un point positif. Pour valider une telle hypothèse, ilfaudrait déterminer si ces nouveaux emplois constituent une étape versl’emploi stable ou s’ils ne sont qu’une interruption provisoire dans destrajectoires professionnelles caractérisées par le chômage récurrent : cecisuggère une amélioration de la connaissance des dynamiques individuellessur le marché du travail. Enfin, quant à la dimension des mécanismes del’exclusion sociale, le fait de retrouver un emploi réduit la dépendance àl’égard des transferts publics, mais d’un autre côté il n’est pas sûr que toutépisode de retour à l’emploi restaure automatiquement les capacités d’au-tonomie personnelle des individus. O’Brien (1986), citant une étude deBakke (1933) sur la crise des années trente aux États-Unis, note que «.laperte d’emploi n’explique pas à elle seule le désœuvrement et la dégradation

9. Taux de pauvreté et taux de chômageaux Etats-Unis

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6

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1972 1974 1976 1978 1980 1982 1984 1986 1988 1990 1992 1994

(%)

Proportion de ménages

Taux de chômage

Sources : OCDE (1997), Committee of Ways and Means (1992) et US Bureau of the Census (1996).

26 CONSEIL D’ANALYSE ÉCONOMIQUE

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du moral des chômeurs. Ces attitudes trouvent aussi leur origine dans lepassé professionnel des chômeurs au cours duquel ils ont progressivementacquis l’impression qu’ils perdaient le contrôle de leurs vies.». En définitive,c’est moins la diminution statistique du chômage que la qualité des nou-veaux emplois qui est cruciale pour la réduction de la pauvreté.

Le rôle des employeurs

Or les comportements des employeurs sont déterminants sur la naturedes emplois créés, ce que la théorie économique contemporaine a tendanceà sous-estimer. Il est impossible de négliger les comportements d’embauchedes employeurs dans l’analyse du chômage européen. On doit ainsi se poserles questions suivantes : comment les entreprises déterminent-elles les fluxde création et de destruction d’emplois.? Certaines personnes sont-ellesexclues du marché du travail du fait des politiques d’embauche des firmes.?Si, par exemple, les employeurs considèrent que la durée moyenne deprésence d’un salarié dans l’entreprise est appelée à se réduire et ajustentleur emploi sur la base d’un taux de «.turnover.» élevé (élément (5) dumembre de droite des formules précédentes), ils doivent réduire leur de-mande d’emploi. De plus, la demande d’emploi des entreprises doit égale-ment être moins dynamique si les employeurs ont des stratégies davantage«.court termistes.» que dans le passé, ce qui se traduit par une augmentationdu taux d’actualisation des profits futurs (élément (8) du membre de droitedes formules). La discussion sur l’horizon de la planification des firmes nedoit pas être limitée à l’analyse des comportements d’investissement et auxmarchés des capitaux, mais elle s’applique également au marché du travail.

Les politiques nationales de luttecontre la pauvreté et les « .trappes à chômage .»

Retournons à présent à l’approche micro-économique de la pauvreté etdes politiques visant à sa réduction, en examinant le rôle du système deprotection sociale. L’analyse conduite dans la partie précédente résumait laprotection sociale à un seul indicateur, le taux de remplacement offert parle système d’indemnisation du chômage, représentatif du salaire de réser-vation. Mais en réalité, le salaire de réservation dépend de bien d’autresaspects de la protection sociale, en particulier d’aspects institutionnels etnotamment de l’équilibre entre assurance sociale et assistance.

Les «.trappes à chômage .» et les limites des prestationssous condition de ressources

L’un des traits majeurs de la politique sociale menée au Royaume-Unipar les gouvernements conservateurs réside dans le développement desprestations sociales versées sous condition de ressources. Dans le cas des

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prestations d’indemnisation du chômage, ceci s’est traduit par une limitationà six mois de la période de versement des prestations d’assurance chômageet un resserrement des conditions de durée antérieure de cotisation. De cefait, la grande majorité des chômeurs, dans une proportion d’environ 80.%,bénéficie aujourd’hui de prestations soumises à condition de ressources,alors que la proportion correspondante en France n’est que de 30.%. Si l’onrapproche les minima sociaux français et britanniques (voir graphique 10),on constate que le nombre d’allocataires est nettement supérieur auRoyaume-Uni relativement à la France. Ceci est vrai en particulier dusous-ensemble formé des prestations de solidarité versées aux chômeurs(allocation de solidarité spécifique, ASS) et du revenu minimum d’insertion(RMI), alors même que le nombre de demandeurs d’emploi est supérieur de20.% en France.

Ce développement des prestations sociales sous condition de ressourcesau Royaume-Uni a renforcé les «.trappes à chômage.», en raison de l’appli-cation des conditions de ressources à l’ensemble du revenu du ménage. Parexemple, dans un couple, le retour à l’emploi d’un des deux membres se

API TotalRMI + ASS Min. Vieillesse Min. Inv. + AAH

6 000

5 000

4 000

3 000

2 000

1 000

0

(milliers)

France

Royaume-Uni

Note : Les bénéficiaires des minima sociaux en France et au Royaume-Uni ont été répartis approximativement en quatre catégories correspondant à la législation française : les bénéficiaires du revenu minimum d'insertion (RMI) et de l'Allocation de solidarité spécifique (ASS) ; les bénéficiaires de l'Allocation de parent isolé (API) ; les bénéficiaires du minimum vieillesse ; les bénéficiaires du minimum invalidité et de l'Allocation aux adultes handicapés (AAH).ggggggggggggggggggggggg Sources : CSERC (1997) et Department of Social Security (1997a).

10. Bénéficiaires des minima sociaux en France et au Royaume-Uni

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traduit par une baisse des prestations perçues par le ménage. Evans (1996)a ainsi calculé l’effet sur le revenu familial de l’accès à un emploi à tempspartiel faiblement qualifié de l’épouse d’un demandeur d’emploi selon quele couple vit à Paris ou à Londres. Si ce couple n’a pas d’enfant, le passageà l’emploi de l’épouse n’apporte aucun gain à Londres, alors que le revenunet est amélioré de 18.% à Paris. Si ce couple a deux enfants, les gainsrespectifs sont de 9.% à Londres et de 18.% à Paris.

L’expression «.trappe à chômage.» désigne les situations dans lesquellesle fait pour un chômeur d’accepter un emploi ne se traduit pas par un gainde revenu net, et donc dans lesquelles la reprise d’emploi n’entraîne pasautomatiquement la sortie de la pauvreté. Le fait que les «.trappes.» ont pourorigine l’application des conditions de ressources au revenu global desménages aboutit à une forte discrimination entre les ménages qui comptentdes personnes qui occupent un emploi et ceux au sein desquels il n’y a aucunactif occupé. Une évolution marquante au Royaume-Uni réside dans lacroissance de la proportion de familles qui n’ont aucun revenu tiré du travail,et ce au cours de la période même pendant laquelle le chômage a baissé. Unetelle évolution est particulièrement importante pour la compréhension del’exclusion sociale si l’on analyse les ménages comme des réseaux au seindesquels s’échangent des expériences professionnelles : ne pas avoir dansson «.ménage-réseau.» de personne occupant un emploi constitue sans nuldoute un handicap pour l’accès à l’emploi.

Les prestations liées à l’emploi

La présence de «.trappes à chômage.» dans les dispositifs sociaux, enparticulier dans l’indemnisation du chômage a suscité un regain d’intérêt enfaveur des avantages sociaux réservés aux personnes qui ont un emploi.Ainsi, les États-Unis ont mis en place «.l’Earned Income Tax Credit.»(EITC), qui consiste en un crédit d’impôt remboursable s’appliquant àl’impôt fédéral sur le revenu payé par les ménages à faible revenu. Lemontant du crédit augmente d’abord avec les gains, puis atteint un maximumà partir duquel il décroît pour finir par s’annuler. Certes, les bénéficiairessupportent des taux marginaux d’imposition implicite élevés à partir dumoment où le crédit d’impôt décroît, mais cet effet négatif est dominé parl’impact positif sur l’activité de la partie croissante du crédit (Scholz, 1996).

Cette stratégie vise donc à séparer les prestations liées à l’emploi decelles liées à l’inactivité : si elle permet d’améliorer les incitations à l’acti-vité, elle a cependant pour inconvénient de rendre le système de transfertssociaux plus complexe, et donc de perturber les comportements de recherched’emploi. Par exemple, un certain délai peut s’écouler avant que le créditd’impôt ne s’applique, et de ce fait l’incitation à la reprise d’activité peut setrouver diminuée, notamment si la personne a une probabilité réduite detrouver un emploi stable. Par ailleurs, le bénéfice du crédit d’impôt est

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réservé aux personnes qui occupent un emploi rémunéré, et ne concerne pasles personnes qui se dédient à des activités bénévoles, lesquelles, bien quen’offrant pas une solution immédiate à la pauvreté, peuvent améliorer lesperspectives futures. En particulier, le temps consacré par un inactif àl’éducation de ses enfants ou aux soins à des ascendants ayant perdu leurautonomie n’ouvre pas droit aux prestations sociales réservées aux person-nes occupant un emploi.

Le «.revenu de citoyenneté .»

Les limites des dispositifs tels que l’EITC aux États-Unis ont conduit àexaminer une solution alternative : le «.revenu de citoyenneté.», dénomméaussi parfois «.allocation universelle.», qui, dans sa version la plus générale,consiste à remplacer toutes les prestations sociales existantes par un transfertunique versé à tous les individus sans condition de ressources ni d’aucuneautre sorte. Ce transfert se substituerait également à toutes les réductionsd’impôt, et de ce fait il réaliserait une fusion de l’impôt sur le revenu et destransferts sociaux, l’impôt sur le revenu devant cependant rester collectéséparément. Les premières versions de ce dispositif l’associaient à un impôtsur le revenu qui deviendrait simplement linéaire, mais une forme pluscomplexe maintenant une certaine progressivité du barème de l’impôt surle revenu est également concevable.

Cette présentation, on l’a dit, est la plus radicale : on peut la nuancer enenvisageant une version du «.revenu de citoyenneté.» qui compléteraitl’assurance sociale sans s’y substituer en totalité. Ce dispositif a égalementété critiqué en raison de son excessive inconditionnalité, et parce qu’il risquede réduire les efforts individuels que déploient les individus pour trouverles emplois adéquats à leurs qualifications, et par là même engendrer unenouvelle forme de dépendance. En pratique, l’inconditionnalité du «.revenucitoyen.» pourrait être atténuée, et on a vu émerger des propositions de«.revenu de citoyenneté.» lié à l’activité. On peut ainsi imaginer de réserverce revenu aux personnes occupant un emploi, salarié ou non salarié, à cellesqui sont absentes du travail pour cause de maladie, invalidité, chômage,retraite, aux individus suivant des programmes de formation, et enfin à ceuxqui se consacrent à l’éducation des enfants ou à l’aide aux personnes âgéesou handicapées. Les conditions d’ouverture du droit à ce transfert ne serésument donc pas à l’exercice d’une activité rémunérée, et au contraireexpriment une conception élargie de la participation à la vie sociale. Certes,de nombreuses difficultés restent à résoudre pour parvenir à la mise en œuvrede ce «.revenu de citoyenneté.» conditionnel ; en particulier, on peut antici-per que des personnes vont modifier leurs comportements pour remplir lesconditions. Mais comme ces changements de comportement vont dans lesens de l’insertion dans la société, ils sont assurément admissibles : pourlutter contre l’exclusion sociale, mieux vaut accorder le bénéfice du «.revenu

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de citoyenneté.» à un inactif qui prend un emploi à temps partiel que de créerun dispositif réservé aux inactifs.

Les politiques de lutte contre la pauvretéà l’échelon européen

Il est bien connu que l’Union européenne ne dispose que de prérogativeslimitées dans le domaine de la lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale,et il n’existe pas à l’heure actuelle de volonté commune des États nationauxd’aller vers une extension de ces prérogatives, comme en témoigne l’enli-sement des précédents programmes européens contre la pauvreté. Pourtant,l’Union européenne pourrait jouer un rôle important dans la surveillance del’évolution de la pauvreté et de l’exclusion sociale et dans la mise enévidence de l’impact de ces questions sur les autres politiques. On rappellenotamment qu’il serait souhaitable que l’Europe consacre davantage deressources à la production de données régulières sur la pauvreté.

Des critères de performance dans la lutte contre la pauvreté

La surveillance de l’évolution de la pauvreté peut être tout d’abordorganisée au niveau des résultats globaux. On pourrait ainsi envisager lamise en place d’un pendant social aux critères de Maastricht. Pour participerà la première phase de l’Union économique et monétaire, les États membresdoivent satisfaire aux critères de convergence inscrits dans le Traité :stabilité des taux de change, stabilité des prix, convergence des taux d’inté-rêt, maintien du déficit et de la dette des administrations publiques en deçàde certaines limites. Ces critères ont également été déclinés au niveaunational : ainsi, au Royaume-Uni, le gouvernement a affiché une nouvellestratégie macro-économique au lendemain de la sortie de la livre du Systèmemonétaire européen en octobre 1992, basée sur un objectif explicite d’infla-tion, que le nouveau gouvernement travailliste a reprise à son compte.

Par analogie avec les critères macro-économiques, l’auteur du présentrapport a suggéré dans le passé que le Royaume-Uni prenne des engage-ments du même ordre dans le domaine de la pauvreté (Atkinson, 1996). Ilserait souhaitable de fixer un objectif de réduction de la pauvreté, et de suivrel’avancement vers cet objectif à l’aide d’un rapport périodique. Cetteproposition n’a pas été retenue par le gouvernement du Royaume-Uni.Toutefois, le gouvernement irlandais a adopté en 1997, en application desrésolutions du sommet social des Nations unies à Copenhague en 1995, un«.Plan national contre la pauvreté.», comportant un objectif explicite deréduction de la pauvreté : au cours des années 1997 à 2007, ce plan devrapermettre une réduction d’un tiers du nombre de personnes en grandepauvreté. La tentative du gouvernement irlandais pourrait être relayée parla fixation d’un objectif de lutte contre la pauvreté à l’échelon européen.

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Une instance d’évaluation de l’impact des programmescommunautaires sur la pauvreté

La surveillance de l’évolution de la pauvreté peut aussi être assurée à desniveaux plus fins. L’Union européenne met en œuvre un grand nombre depolitiques, qui sont susceptibles d’avoir des conséquences sur la pauvreté etl’exclusion dans les États membres. Il paraît nécessaire de mettre en placeune instance chargée d’évaluer l’impact sur la pauvreté de ces différentespolitiques. Une telle instance devrait être transversale aux diverses direc-tions générales de la Commission, à l’image de l’Unité sur l’exclusionsociale au Royaume-Uni qui est une structure interministérielle.

Le Livre blanc de la Commission de 1994 (Croissance, compétitivité,emploi) suggère une application concrète de cette recommandation. Ilproposait un plan d’action visant à promouvoir les technologies de l’infor-mation, les réseaux transeuropéens de transport et d’énergie, l’éducation etla formation, ainsi que l’allégement des charges sociales sur les bas salaires.Pour chacune de ces actions, il serait souhaitable de considérer son impactnon seulement sur la croissance, mais aussi sur la situation personnelle desindividus et des ménages. À cet égard, il conviendrait d’apporter desréponses aux questions suivantes : la diffusion des technologies de l’infor-mation a-t-elle ouvert des perspectives nouvelles à ceux qui se sont margi-nalisés à l’issue de leur parcours scolaire traditionnel.? ou au contraire, lesdifficultés des ménages pauvres à équiper les enfants de matériel informa-tique renforcent-t-elles leur risque d’exclusion.?

Développer les expériences

On peut enfin assigner à la Commission de l’Union européenne le rôlede développer l’expérimentation de mesures de politique sociale. Dans lesdiscussions entre économistes sur les politiques d’amélioration de «.l’em-ployabilité.» des personnes fragiles, les lacunes de la connaissance despropriétés des diverses formes d’intervention publique sur le marché dutravail ont été soulignées (Gardiner, 1997). Aux États-Unis, les expériencesréalisées au moyen d’échantillons aléatoires d’individus auxquels sontproposés diverses variantes de politique sociale, sont aujourd’hui d’usagecourant.

De telles expériences seraient certainement utiles en Europe, et c’estévidemment à l’Union européenne qu’il reviendrait de promouvoir leur miseen œuvre. Pour être réellement efficaces, ces expériences devraient être«.contrôlées.», de façon à observer convenablement l’impact d’une politiquesur l’échantillon qui en bénéficie, par rapport aux comportements d’un autreéchantillon qui n’en bénéficie pas, le tirage aléatoire des deux échantillonsgarantissant qu’ils ont tous deux des caractéristiques identiques. Ellesdevraient être également réalisées dans plusieurs pays, de façon à éliminerl’effet des caractéristiques spécifiques à chaque pays. Par exemple, une telle

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expérimentation pourrait porter sur le «.revenu de citoyenneté.» condition-nel comme alternative aux minima sociaux existants, qui serait proposé auxhabitants d’un échantillon de villes dans différents pays, dont on mesureraitles comportements d’offre de travail et autres sur une période de trois ans.Un tel protocole permettrait d’une part d’identifier l’impact en termes deréinsertion sociale du nouveau dispositif, et d’autre part d’évaluer lesdifficultés de sa gestion.

Quels que soient les avantages de cette démarche expérimentale, ilconvient d’en souligner cependant les difficultés sur le plan légal et éthique.Ces difficultés sont le plus souvent contournées en offrant aux personnessélectionnées la faculté de refuser l’expérience. De plus, le coût de cesméthodes est élevé, mais toutefois moindre que le coût d’une politiquesociale qui échoue à atteindre ses objectifs.

Remarques finales

En conclusion de ce rapport, on soulignera simplement que si l’attentiony a été portée principalement sur l’exclusion du marché du travail, cela nesignifie pas que l’on ait volontairement négligé d’autres aspects de l’exclu-sion, comme l’exclusion du logement, de l’éducation, du crédit ou de lasanté. Plus généralement, il existe aussi des formes d’exclusion de laconsommation que la tarification des services publics peut permettre decombattre, comme Claude Henry (1997) l’avait exposé devant le Conseild’analyse économique.

Traduit de l’anglais par Laurent Caussat

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La pauvreté, sa mesureet son évolution

Michel Glaude

Directeur des Statistiques Démographiqueset Sociales à l’INSEE

«.Alors que tout un chacun est persuadé de pouvoir reconnaître unpauvre dans la rue quand il le croise, le statisticien semble incapable de lesdénombrer.!.».

C’est par ce constat contradictoire que H. Herpin et D. Verger introduisentle numéro spécial que Économie et statistique vient de publier sur la pauvreté,fruit d’un travail collectif associant statisticiens, sociologues et économisteset qui fournit une grande partie de la trame de cette présentation.

Compte tenu de l’importance des conventions retenues pour «.mesu-rer.» la pauvreté, nous rappellerons tout d’abord les difficultés et lesenjeux d’une telle mesure. Puis des résultats statistiques seront présentésdans une deuxième partie sur le niveau et l’évolution de la pauvreté enFrance et en Europe. Une dernière partie sera consacrée à une meilleurecompréhension des phénomènes économiques et sociaux à l’origine deces constats statistiques.

Un phénomène complexe à appréhender,nécessitant différentes approches

Une définition européenne a été adoptée au Conseil européen de décem-bre 1984. Sont considérées comme pauvres «.les personnes dont les ressour-ces (matérielles, culturelles et sociales) sont si faibles qu’elles sont excluesdes modes de vie minimaux acceptables dans l’État membre où elles

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vivent.». Bien que cette définition ne soit guère directement opérationnelle,on notera qu’il y est fait référence à une pluralité de ressources (et non auseul revenu monétaire), qui ne permettent pas d’atteindre un minimum entermes de conditions de vie définies au niveau de chaque État (et non auniveau communautaire).

Un examen approfondi des travaux des économistes et des sociologuespour mesurer la pauvreté conduit les auteurs du dossier de Économie etstatistique à retenir plusieurs approches :

– une pauvreté «.monétaire.» caractérisée par une insuffisance de reve-nus, approche privilégiée dans la plupart des travaux et notamment dans lescomparaisons internationales.;

– une pauvreté «.d’existence.» caractérisée par l’absence de biensd’usage ordinaire ou de consommations de base.;

– une pauvreté «.subjective.» reposant sur la propre perception qu’ontles ménages de l’aisance dans laquelle ils vivent ou de l’écart entre leurrevenu et le minimum nécessaire.;

– on peut enfin compter les pauvres comme ceux qui perçoivent une aidedont un des objectifs est de lutter contre la pauvreté, c’est l’approche«.administrative.».

Avant de proposer des mesures chiffrées dans le cas français et sansentrer dans un luxe de réflexions conceptuelles, il est nécessaire de présenterles hypothèses et conventions qui sous-tendent ces travaux.

La définition de la pauvretéest essentiellement conventionnelle

Quelle que soit l’approche retenue, son opérationnalisation repose surdes conventions. Il s’agit en effet d’isoler une population pauvre au sein dela population totale, alors qu’aucune rupture n’apparaît dans les distributionsdes caractéristiques observées.

Prenons l’exemple du seuil monétaire, fixé dans un certain nombre detravaux de l’INSEE à la moitié du revenu médian par unité de consommation.

• Le coefficient de 50.% appliqué à la médiane des niveaux de vie estarbitraire. D’autres seuils (40 ou 60.%) sont d’ailleurs utilisés, qui bien sûrfont notablement varier le nombre de pauvres.

• Au lieu de se référer à la médiane des niveaux de vie, il serait possibled’utiliser la moyenne, comme dans d’autres pays européens. La médiane estpréférable d’un point de vue technique (robustesse des résultats par rapportaux valeurs extrêmes de la distribution). Elle renvoie à la comparaison avecle niveau de vie des classes moyennes alors que la moyenne est aussi sensibleaux niveaux de vie élevés.

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• Plusieurs échelles d’équivalence (nombre d’unités de consommationassociées à chaque ménage) peuvent être choisies pour calculer les revenuspar unité de consommation (cf. encadré).

• Enfin, quelle définition du revenu retenir.? Faut-il inclure les revenusen nature (loyers fictifs, services publics individualisables, production do-mestique...), les aides et transferts entre ménages (importants dans le cas desétudiants)....? Et surtout sur quelle période de temps faut-il observer lerevenu.? Un mois, une année ou quelques années (pour lisser les aléas destrajectoires individuelles).?

Dans l’approche par les conditions de vie, l’arbitraire est tout aussi, sinonplus, grand. Pour définir le «.manque de bien-être matériel et social perçucomme défavorable par la majorité.» les tenants de cette approche recom-mandent de choisir des items correspondant à une pratique répandue dansplus de la moitié de la population et jugée de plus indispensable par plus dela moitié des gens (Lollivier et Verger (1997)). Malgré ces contrôles par «.lafréquence.» et le «.consensus.», une telle conception n’est pas à l’abri de lacritique du paternalisme, où une majorité déciderait ce qui est bien pourl’ensemble et quel est le mode de vie normal, voire de la critique del’ethnocentrisme, où le chercheur se trompe sur l’universalité de son pointde vue.

Dans une certaine mesure, le recours aux réponses directes des ména-ges comme indicateur de leur bien être, approche subjective, permet deréduire l’hétérogénéité des situations individuelles et la diversité desbesoins et des préférences. De plus, la comparaison de la réponse à laquestion sur «.le revenu minimum dont un ménage comme le vôtredevrait disposer pour vivre.» avec le revenu de chaque ménage interviewéfournit une évaluation directe du nombre des ménages pauvres. Malheu-reusement, cette approche et les éventuelles sophistications proposéespar les universitaires de Leyde (pour déterminer le seuil de pauvreté, onne retient que les évaluations proposées par les ménages dont les ressour-ces sont au voisinage de ce seuil, en ignorant les seuils plus élevésspontanément proposés par les «.riches.») fournit des taux de pauvretéde l’ordre d’un tiers de la population des pays européens, qui sontdifficilement compatibles avec l’opinion commune.

Les auteurs sont alors obligés de paramétrer leur système et donc d’yintroduire une dose d’arbitraire. Plus fondamentalement cette approche, ditesubjective, est aussi limitée non seulement parce qu’on ne ferait guèreconfiance aux «.riches.» pour définir le minimum nécessaire, mais parcequ’il peut être tout aussi dangereux de recourir aux réponses de «.pauvres.»qui pour de multiples raisons peuvent parfaitement se contenter de leur sort(phénomène dit des «.préférences accommodantes.»).

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La pauvreté est devenue une notion relative

Au siècle dernier, les réflexions sur le seuil de pauvreté portaient sur lanotion de minimum vital pour ne pas sombrer dans la misère, voire la mort.Ce niveau absolu était déterminé à l’aide d’enquêtes nutritionnelles etvalorisé au prix du marché local pour définir des seuils absolus de subsis-tance. C’est toujours la voie suivie aux États-Unis pour calculer différentsseuils officiels de pauvreté et les actualiser. Cependant, l’approche retenueaux États-Unis n’est pas totalement absolue. En effet, le coût de la rationalimentaire minimale est étendu à l’ensemble du budget en utilisant la partde l’alimentation observée dans le budget des différents types de famille,part qui dépend des habitudes de consommation. Le pouvoir d’achat associéau seuil varie donc au cours du temps. Ainsi, même les méthodologies quicherchent à déterminer des seuils absolus comportent une part non négli-geable d’approche «.relative.».

Le choix de l’échelle d’équivalence

Une échelle d’équivalence appréhende deux éléments. D’une part,l’importance des économies d’échelle que les ménages de grande tailleréalisent en partageant les biens collectifs tels que l’équipement dulogement. D’autre part, l’importance des besoins d’un enfant parrapport aux besoins d’un adulte. La question se pose donc de savoirquel poids il convient d’attribuer à l’adulte ou à l’enfant supplémen-taire.

Depuis plusieurs décennies, les statisticiens utilisaient l’échelled’Oxford (1 unité de consommation pour le premier adulte, 0,7 unitéde consommation pour chaque adulte supplémentaire, 0,5 unité deconsommation pour chaque enfant). Cette échelle était issue desbesoins nutritionnels, évalués aux dires d’experts durant la SecondeGuerre mondiale.

Aujourd’hui, une nouvelle échelle se généralise, où l’adulte sup-plémentaire ne compte plus que pour 0,5 et l’enfant pour 0,3. Cetteéchelle peut être justifiée par l’observation de la structure de laconsommation, ou par des questions d’opinion au sujet de l’aisancefinancière. De ce point de vue, un nouveau travail réalisé à l’INSEEpermet, avec certaines conventions, d’estimer que si la personne seulecompte pour une unité de consommation, chaque adulte supplémen-taire comptera pour 0,5 et chaque enfant de moins de 14 ans pour 0,3(Hourriez et Olier, 1997).

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Aujourd’hui, les autres définitions mentionnées pour les pays développéssont en général relatives, qu’il s’agisse de l’approche monétaire, par lesconditions de vie ou subjective. Un seuil relatif évolue au rythme du niveaude vie du pays. Le taux de pauvreté se ramène alors à un indicateurd’inégalité. Si la distribution relative des revenus ne change pas, le taux depauvreté n’évoluera pas non plus. De même, les comparaisons dans l’espace,avec un seuil de pauvreté relatif à chaque zone géographique, mesurentplutôt des degrés différents d’inégalité au sein de chaque pays ou région etnon des différences de niveaux (voir infra pour les conséquences sur lescomparaisons européennes). C’est plus le partage du gâteau qui compte quela taille de celui-ci.!

Cette référence aux modes et conditions de vie ayant cours dans l’envi-ronnement des ménages étudiés est fondée sur la notion de communauténationale ou locale. Elle est aussi confortée par les études liant la satisfactionou le bien-être aux évolutions des niveaux de vie, au moins en partie. Lechoix d’un seuil relatif s’inspire de la thèse selon laquelle la croissanceéconomique étendrait parallèlement les besoins et n’améliorerait guère lebien-être ressenti par les ménages. Cette thèse peut être testée au moyen dequestions d’opinion. Interrogés dans une enquête par sondage sur le revenuminimum qu’ils estiment nécessaire pour subvenir à leurs besoins, lesménages indiquent un montant qui s’accroît en fonction de leur revenu.L’élasticité-revenu de ce «.revenu minimum nécessaire.» est toutefois infé-rieure à l’unité. Elle serait de l’ordre de 0,6 à 0,8 qu’elle soit estiméelongitudinalement (Kilpatrick, 1973) ou transversalement (Gardes et Loisy,1997). Autrement dit, au vu de ces résultats, si le revenu augmente de 1.%,le «.revenu minimum nécessaire.» augmente de 0,6 à 0,8.%. La croissanceéconomique s’accompagne donc bien d’un accroissement des besoins (cequi justifie l’approche relative), mais cet accroissement des besoins semblemoins rapide que celui du revenu (ce qui signifie qu’une approche purementrelative n’est pas totalement justifiée et qu’il faudrait se tourner vers uneapproche intermédiaire entre l’absolu et le relatif).

Sans remettre en question la pertinence de l’approche relative de lapauvreté, ceci invite à la compléter par des éléments de mesure d’unepauvreté absolue non au sens d’un minimum nutritionnel mais plutôt dansl’optique d’un seuil de «.grande pauvreté.» ou d’exclusion. Différentséléments pourraient être rassemblés :

– étude des situations de rupture conduisant à la perte du logement.;– évaluations d’experts sur le minimum nécessaire pour survivre dans

différentes situations sociales plus ou moins transitoires, ou sur le minimumde confort domestique.;

– opinions de la population, non sur leur propre situation, mais sur leurdisponibilité à financer des transferts monétaires en direction des ménagespauvres...

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Trois approches de la pauvreté

Les trois approches de la pauvreté (monétaire, par les conditions de vie,ou subjective) ont été mises en œuvre simultanément sur les données des7.300 ménages du Panel européen enquêtés en octobre 1994. Si l’on isoleau bas de chaque échelle environ la même proportion (10.%) de ménagespauvres, on obtient trois populations dont le recouvrement est très partiel.Un peu moins de 2.% des ménages cumulent les trois formes de pauvreté,mais 25.% des ménages présentent au moins un des trois aspects étudiés etenviron 8.% cumulent au moins deux dimensions (Lollivier et Verger,1997).

Cette concordance très partielle que l’on retrouve dans d’autres études(sur l’Irlande et par exemple sur la Slovaquie (Fall et alii , 1997) pourraitêtre le signe d’une forte multidimensionnalité du phénomène de pauvretéoù chaque aspect renverrait à une logique d’inégalités particulières. Maiselle n’est probablement que le signe d’une approche insatisfaisante parchaque critère d’une même variable latente. L’étude dynamique des troisformes de pauvreté est actuellement en cours. Les premiers résultats suggè-rent que la faible corrélation apparente entre les trois formes de pauvretérésulte en partie d’erreurs de mesure aléatoires sur les revenus, les conditionsde vie, ou le bien-être subjectif.

Les ménages qui présentent simultanément les trois «.symptômes.»(2.%), surreprésentent les sans diplôme, ceux qui ont dû arrêter leurs étudespour des raisons financières, les familles monoparentales ou les hommesseuls faiblement insérés sur le marché du travail, ceux qui ont connu lechômage, les étrangers (surtout Africains), ceux qui souffrent de handicapsde santé et ceux qui n’ont pas ou très peu de patrimoine. On a bien là lescaractéristiques d’une population réellement défavorisée.

En revanche, si les ménages qui cumulent au moins deux formes depauvreté (8.%) ont à peu près les mêmes caractéristiques, les ménages neprésentant qu’une forme de pauvreté (25.%) semblent plus proches d’unesituation de «.fragilité.» que de pauvreté. L’analyse des caractéristiques desménages ne présentant qu’une seule dimension de pauvreté sans cumul nesemble pas révéler de dimension structurante, mais témoigne plutôt desimperfections de telle ou telle approche (faiblesse du revenu déclaré par lesindépendants, bien-être subjectif des personnes âgées...).(1) ou d’erreurs demesure.

Bien que le croisement avec les populations bénéficiaires des politiquespubliques n’ait pu être fait systématiquement, il semble que compte tenu des

(1) S’il y a multidimensionnalité, ce serait plutôt entre un indicateur concernant le domainerevenus-patrimoine et le domaine de la santé, comme cela ressortait déjà de l’exploitation desenquêtes «.Situations défavorisées.» de 1987.

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critères d’éligibilité, les pauvres reconnus par la société soient plus prochesde l’approche monétaire (voir annexe 1).

Différents cercles concentriques :la fragilité, les bas revenus et la grande pauvreté .?

Peut-être le principal mérite de ces approches multidimensionnellesest-il plus de nous faire mieux réfléchir à l’extension des phénomènes depauvreté. Compte tenu des résultats présentés (sans nier leur arbitraire), ilconviendrait de fixer trois seuils.

• Le premier, comportant un quart de la population, pourrait être lié àune certaine insatisfaction des conditions d’existence, voire une certainefragilité.

• Le deuxième, plus directement centré sur les ressources, reprendraitla définition monétaire et isolerait clairement les bas revenus.

• Le troisième, essayerait de cerner le noyau dur de la pauvreté, ainsique les exclus sur lesquels la statistique actuelle est peu prolixe et quimériterait des investigations spécifiques (voir les travaux du groupe duCNIS sur les sans abri).

La pauvreté monétaire en France et en Europe

Un ménage sur dix est « .pauvre .» en France

Retenons dans un premier temps, une définition purement monétaire dela pauvreté qui consiste à considérer comme pauvre tout ménage dont lerevenu, par unité de consommation, est inférieur à la moitié du revenumédian par unité de consommation. Ce seuil correspond, pour 1994, àenviron 3.800 francs par mois pour une personne seule, 5.650 francs pourun couple (comptant pour 1,5 unité de consommation), à 6.800 francs pourun couple avec un enfant (1,8 unité de consommation), 7.900 francs pourun couple avec deux enfants (2,1 unités de consommation)... Notons que leniveau du seuil peut varier d’une source à l’autre. Par exemple, selon le paneleuropéen en 1993, il se situe pour une personne seule à 3.200 francsseulement, car pour cette source les revenus du patrimoine n’ont pas étérecalés sur la comptabilité nationale si bien que le revenu médian (et doncle seuil) est sous-estimé.

Au regard de cette définition, les pauvres représentent environ un ménagesur dix en France au milieu des années quatre-vingt-dix (10,4.% des ména-ges en 1994 selon l’enquête sur les budgets familiaux). Soit au total 2,4 mil-lions de ménages, comptant 5,5 millions de personnes parmi lesquelles ondénombre 1,1 million d’enfants de moins de 14 ans.

Compte tenu du caractère conventionnel de ce seuil, on complète géné-ralement cette statistique globale par différents indicateurs d’intensité de la

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pauvreté comme par exemple l’écart entre le revenu moyen des pauvres etle seuil de pauvreté (voir d’autres indices plus synthétiques comme l’indicede Foster dans Hourriez et Legris, 1997). Toujours selon l’enquête sur lesbudgets familiaux de 1994, le revenu moyen des ménages pauvres s’établis-sait à 2.700 francs par mois et par unité de consommation, soit 72.% du seuilde pauvreté.

Une grande variété de situations

Une fois définis, certes arbitrairement, les ménages pauvres ne se laissentpas décrire simplement, et le premier caractère qui les définit est la grandehétérogénéité des situations. Classons-les selon l’occupation professionnellede leur personne de référence au moment de l’enquête. Les 2,4 millions deménages pauvres sont alors partagés en deux groupes d’égale importance selonque la personne de référence est inactive ou appartient à la population active.

Au sein des actifs, les ménages les plus touchés par la pauvreté sont ceuxdont la personne de référence est au chômage. Ils sont près de 40.% à sesituer au-dessous du seuil de pauvreté et représentent plus de 500.000ménages pauvres. Les ménages dont le chef est sur un contrat temporaire ouà temps partiel présentent des risques de pauvreté importants (plus de 20.%)et fournissent plus de 300.000 ménages pauvres (voir tableau 1).

1. Nombre de ménages pauvres selon l’occupationde la personne de référence en 1994

Catégories définies selonl’occupation de la personne

de référence

Nombre deménages dans lapopulation totale

Proportion deménages pauvres(taux de pauvreté

(en %)

Nombrede ménages

pauvres

Ensemble 23 156 000 10,4 2 408 000

Personne de référence activeChômeurs 1 328 000 39,1 519 000 Salariés peu stables 1 480 000 21,5 319 000 Salariés stables à plein temps 9 880 000 2,1 211 000 Indépendants 1 672 000 12,1 203 000

Personnede référence inactiveAnciens salariés 5 933 000 5,2 311 000 Anciens indépendants 1 312 000 16,1 211 000 Etudiants 363 000 83,4 302 000 Autres inactifs dont :Femmes moins de 60 ans 252 000 44,0 111 000 Hommes moins de 60 ans 250 000 28,8 72 000 Plus de 60 ans 685 000 21,8 149 000

Source : Enquête Budget de famille 1995, INSEE.

44 CONSEIL D’ANALYSE ÉCONOMIQUE

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Du côté des inactifs, si plus de 500.000 ménages pauvres sont desménages de retraités (composés pour la moitié d’une personne seule), lerisque de pauvreté y est pourtant deux fois plus faible qu’en moyenne. Enrevanche, le taux de pauvreté des femmes inactives de moins de 60 ans (pourune large part des familles monoparentales) s’élève à 44.%.

Les limites de l’approche monétaire

Le croisement de l’approche monétaire avec d’autres indicateurs deniveau de vie va nous permettre d’asseoir plus solidement ce premierdiagnostic.

Au vu du patrimoine médian, du niveau moyen de consommation, de sastructure (part des biens de «.nécessité.») et de la proportion de ménageséprouvant des difficultés à boucler leur budget, observés sur chaque caté-gorie de ménages pauvres, on peut faire trois constatations (voir tableau 2).

2. Patrimoine, aides financières reçues, consommationet situation financière des différentes catégories de pauvres

Cat

égor

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l’occ

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finan

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es(e

n %

)Ensembledes ménages pauvres 49 000 11 600 56 56 39

Ménages pauvres dont la personne de référence est active

Chômeurs 29 000 9 900 53 63 64Salariés peu stables 41 000 13 600 53 56 46Salariés stablesà plein temps

49 000 3 700 68 58 40

Indépendants 552 000 1 600 56 56 26

Ménages pauvres dont la personne de référence est inactive

Anciens salariés 92 000 2 200 46 63 31Anciens indépendants 236 000 400 47 61 22Etudiants 18 000 45 200 68 39 7autres inactifs dont :Femmes moins de 60 ans 44 000 11 000 60 56 60Hommes moins de 60 ans 69 000 2 700 56 55 63Plus de 60 ans 150 000 5 300 46 65 35Ensemble des ménages(pauvres ou non)

462 000 4 800 100 48 14

Source : Enquête Budget de famille 1995, INSEE.

45PAUVRETÉ ET EXCLUSION

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• Les ménages d’étudiants à bas revenu peuvent difficilement êtrequalifiés de «.pauvres.», d’autant plus qu’ils perçoivent souvent des aidesnon négligeables de leur famille (3.700 francs par mois en moyenne, sanscompter les aides en nature, comme le logement...). En fait, les véritablessituations de pauvreté chez les étudiants concernent plutôt ceux qui, issusde milieux modestes, vivent encore chez leurs parents ou en foyer ourésidence universitaire (Herpin et Verger, 1997).

• Les ménages d’indépendants pauvres en revenu sont souvent à la têted’un patrimoine professionnel important, leur faible revenu annuel peutcorrespondre à des déficits transitoires et ils sont peu nombreux à éprouverdes difficultés à boucler leur budget. Là aussi, l’hétérogénéité interne decette catégorie est forte.

• En revanche, les autres indicateurs de niveau de vie confirment lasituation très difficile des ménages dont le chef est au chômage ou ensous-emploi qui ne reçoivent que rarement des aides du reste de leur famille.De même, la situation des inactifs pauvres de moins de 60 ans (femmes à latête d’une famille monoparentale, chômeurs découragés ou handicapés)apparaît critique.

Une stabilité globale du taux de pauvreté relativeau cours des dix dernières années

Après une baisse régulière et prolongée des inégalités de revenu et enparticulier du taux de pauvreté au cours des années soixante-dix et jusqu’aumilieu des années quatre-vingt, le taux de pauvreté s’est stabilisé au coursdes dix dernières années aux alentours de 10.% (de ménages pauvres) selonl’enquête sur les budgets familiaux, et quelques points de moins selonl’enquête sur les revenus fiscaux (voir graphique 1).

1. Évolution du taux de la pauvreté (*) de 1975 à 1984

6

8

10

12

14

1975 1979 1984 1989 1994

(%)

Budgets des familles (revenus corrigés)

Budgets des familles (revenus déclarés)

Revenus fiscaux

(*) Proportion de ménages ordinaires dont le revenu par unité de consommation se situe sous un seuil de pauvreté égal à la demi-médiane des niveaux de vie. Source : INSEE, enquêtes revenus fiscaux (revenu disponible) et Budget de famille (revenu déclaré). L'échelle d'équivalence est l'échelle dite modifiée (0,35 uc pour chaque individu supplémentaire).

46 CONSEIL D’ANALYSE ÉCONOMIQUE

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Cette stabilité du taux de pauvreté résulte en partie de l’approche relativequi a été retenue et correspond à un seuil de pauvreté dont le pouvoir d’achata cru régulièrement d’environ 1 point par an. L’augmentation du seuil depauvreté (liée à celle du niveau de vie médian) a été moins rapide que celledu niveau de vie moyen. Celui-ci s’est accru de quelques 1,4.% par an durantla même période, compte tenu d’une progression plus sensible des hautsrevenus.(2).

De plus en plus de chômeurs pauvres

Cette stabilité apparente marque des évolutions profondes allant en senscontraire. Depuis dix ans, la pauvreté s’est considérablement rajeunie, elleest devenu plus urbaine, elle concerne davantage les salariés et de plus enplus les familles monoparentales.

Mais c’est surtout le doublement du nombre de ménages pauvres dont lapersonne de référence est au chômage, qui caractérise la période récente, de250.000 ménages en 1984 à plus de 500.000 en 1994 (voir tableau 3).

La progression numérique du chômage n’en est pas la seule cause, car lerisque de pauvreté s’est accru pour les ménages dont la personne deréférence est au chômage (de 32.% en 1984 à 39.% en 1994), compte tenudes évolutions de la structure du chômage, de la démographie et desconditions d’indemnisation. Ainsi, les personnes au chômage sont au-jourd’hui plus souvent à la tête d’un ménage qu’il y a dix ans, le chômagede l’homme semble aller de plus en plus souvent de pair avec le chômagede la femme et une fraction croissante des chômeurs ne vit pas en couple.

Les nouvelles formes d’emploi (contrats à durée déterminée, tempspartiel...) sont aussi à l’origine d’une croissance du nombre de ménagespauvres, compte tenu de l’importance des transitions entre ce type d’em-ploi et le chômage, même si, notamment chez les jeunes, ces situationsconstituent souvent une étape vers une insertion professionnelle plussatisfaisante.

À l’inverse, le nombre de ménages retraités situés sous le seuil depauvreté s’est considérablement réduit, malgré une croissance soutenue dunombre de retraités. Au fur et à mesure du renouvellement des générations,leur risque de pauvreté a été divisé par deux sur la période, compte tenu del’augmentation substantielle de leur niveau de vie moyen (même si lagénération des plus de 85 ans reste encore défavorisée).

(2) Notons que l’évolution du niveau de vie moyen (revenu par unité de consommation) tientcompte des évolutions démographiques. Elle s’avère un peu moins rapide que la croissancedu revenu disponible par habitant, car la taille moyenne des ménages diminue et ceux-ciréalisent de moins en moins d’économies d’échelle.

47PAUVRETÉ ET EXCLUSION

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3. Évolution de la pauvreté de 1984 à 1994

En 1984

Catégories Nombre deménages dans lapopulation totale

Proportion deménages pauvres

(en %)

Nombre deménages pauvres

Ensemble 20 322 550 10,3 2 100 378

Personne de référence active :

Chômeurs 786 894 32,4 254 569 Salariés 11 184 270 3,1 341 086 Indépendants 1 483 811 19,8 293 848

Personne de référence inactive :

Retraités 5 654 453 14,0 788 955 Etudiants et autres inactifs 1 213 123 34,8 421 921

En 1994

Catégories Nombre deménages dans lapopulation totale

Proportion deménages pauvres

(en %)

Nombre deménages pauvres

Ensemble 23 155 880 10,4 2 408 046

Personne de référence active :

Chômeurs 1 328 346 39,1 519 438 Salariés 11 360 160 4,7 529 836 Indépendants 1 672 199 12,1 202 567

Personne de référence inactive :

Retraités 7 245 832 7,2 521 853 Etudiants et autres inactifs 1 549 344 40,9 634 353

Source : Enquête Budget de famille, INSEE.

Une dégradation de la situation monétaire des jeunes ménages...

Si la situation financière des ménages dont la personne de référence aplus de 60 ans s’améliore assez sensiblement au cours des quinze dernièresannées, la situation des ménages de moins de 30 ans se dégrade entre 1989et 1994, après une amélioration de 1979 à 1984 et une stagnation de 1984 à1989. Ainsi les jeunes générations nées après 1970 semblent bénéficier, àâge équivalent, d’un niveau de vie moyen inférieur à celui de leurs aînés etqui plus est d’une inégalité interne plus forte.

Si la baisse de la demande de travail non qualifié qui se répercute enpriorité sur les flux et les salaires d’embauche est une des causes possiblesde cette dégradation de la situation des jeunes ménages, il faut noter quecelle-ci affecte l’ensemble des jeunes (y compris sans doute les plus diplô-més) par un effet d’escalier ou de file d’attente. Les jeunes les mieux formésaccepteraient faute de mieux des postes moins qualifiés dans une situationdégradée du marché du travail (Lollivier, à paraître).

48 CONSEIL D’ANALYSE ÉCONOMIQUE

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... que compensent les transferts privés entre générations

Les aides de toute nature provenant des parents, et même des grandsparents (dont la situation s’est améliorée et dont les besoins, à générationdonnée, ne sont pas infiniment extensibles) réduisent de moitié le taux depauvreté observé en 1994 pour les jeunes ménages (voir graphique 2).Compte tenu de ces transferts, il apparaît que la situation des jeunes ménagesne diffère plus sensiblement de celle de leurs aînés (30-59 ans) au regard deleur consommation (ce qui est cohérent avec la théorie du cycle de vie),comme de la proportion de ceux qui déclarent «.arriver difficilement.» àboucler leur budget (17.%).

L’approche multidimensionnelle corrobore la stabilité globaledes différentes formes de pauvreté de 1987 à 1994

L’approche multidimensionnelle des inégalités effectuée sur la base desenquêtes sur les «.situations défavorisées.» de 1987 et 1994 a consisté àdéfinir une batterie de dix-neuf indicateurs de pauvreté couvrant septdomaines : ressources, patrimoine, état de santé, relations avec autrui,insertion culturelle, conditions de travail et de logement.

0

5

10

15

20

25

- de 25 ans 25 - 34 ans 35 - 44 ans 45 - 54 ans 55 - 64 ans 65 - 74 ans 75 ans et +

R1

R2

R3

Taux de pauvreté en 1994

R1 = revenu non compris les aides financières de la famille.R2 = revenu y compris les sommes d'argent versées par la famille (optique du panel européen).R3 = revenu y compris les aides de la famille en espèces ou en nature.Source : Enquête Budget de famille 1994, revenus du patrimoine corrigés, INSEE.

2. Les aides financières réduisent le taux de pauvreté chez les jeunes ménages

49PAUVRETÉ ET EXCLUSION

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De 1987 à 1994, le nombre moyen de handicaps (ou de situations depauvreté) cumulés par chaque individu n’a pas varié (3,7 pour une notemaximale de 19). De même, la distribution du nombre de handicaps estrestée très stable. Un peu moins de 20.% de la population adulte est affectéde zéro ou d’un seul handicap, et 4.% en cumule neuf ou plus (sur dix-neufau total) (Glaude, 1996).

L’hypothèse d’une tendance au cumul des situations de pauvreté se vérifieen 1994 comme en 1987. La présence d’un handicap donné accroît la probabilitéde présence des autres (pour dix-sept des dix-neuf indicateurs). En particulier,les situations de pauvreté dans le domaine du logement, des ressources et dupatrimoine sont celles qui génèrent le plus souvent des situations de pauvretépour d’autres indicateurs et ce, plus fréquemment en 1994 qu’en 1987.

La construction des 19 indicateursmultidimensionnels de pauvreté

Largement déterminés par des analyses de données comme résumant,au mieux, l’information issue de nombreuses questions, ces indicateursvont des plus simples (occupation du logement comme locataire, duréeélevée du travail) aux plus synthétiques (le degré de précarité des ressour-ces est un score faisant référence à une dizaine d’éléments associés à uneirrégularité de perception des ressources, à une incertitude sur les revenusfuturs ou aux difficultés à faire face à diverses échéances budgétaires).L’insertion culturelle combine douze variables élémentaires caractérisantl’usage et la maîtrise de la langue française et les pratiques culturelles desenquêtés, mais aussi les remarques de l’enquêteur sur les difficultés decompréhension lors du passage du questionnaire... De même, l’indicateursur la pauvreté visible de l’immeuble repose sur l’opinion de l’enquêteuravant d’entrer dans l’immeuble. Dans nombre de cas, ces indicateurs neconcernent pas seulement la situation actuelle de la personne, maisveulent appréhender une situation structurelle (la pénibilité du travail estmesurée sur l’ensemble des situations d’emplois, la forte usure au travailconcerne la durée relative de la vie active, la précarité du travail recenseles actifs chômeurs ou ayant connu le chômage...). Enfin, dans la majoritédes cas, c’est la situation perçue par l’individu qui est recueillie (lamorbidité repose sur une liste d’affections déclarée par l’enquêté).

On notera que cet exercice mélange approche relative et approcheabsolue des «.handicaps.» ou «.indicateurs de pauvreté.». Faible niveaude vie, confort du logement, faible suivi de la santé, patrimoine sontproches d’indicateurs «.absolus.», alors que la pénibilité du travail,l’insertion culturelle, la précarité des ressources, la pauvreté de l’immeu-ble, la morbidité se rapprochent d’indicateurs plus «.relatifs.»...

50 CONSEIL D’ANALYSE ÉCONOMIQUE

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Une amélioration dans les domaines du logement,des ressources et de l’insertion culturelle

En 1994, 6,1.% des adultes (vivant dans un domicile privé) vivaient dansun logement dont a priori les enquêteurs classaient les habitants commepauvres ou très pauvres. Ils étaient 10,2.% dans ce cas en 1987. De même,en 1994, 6,4.% des adultes vivaient dans un logement dépourvu de certainsbiens durables, contre 10,9.% en 1987. Globalement, les conditions delogement (y compris le pourcentage de propriétaires).(3) des Français s’amé-liorent régulièrement, réduisant ainsi la part de ceux qui présentent unhandicap dans ce domaine (voir tableau 4). Les ménages pauvres sont deplus en plus souvent locataires et dépensent de plus en plus pour leurlogement (voir annexe 2).

La reprise de la croissance du revenu disponible par tête sur la période1988-1993 (par rapport aux années 1979-1987) et l’instauration du RMI en1988 expliquent la diminution entre 1987 et 1994 du pourcentage des adultesappartenant à un ménage dont le niveau de vie est inférieur à 2.650(francs 1987) par unité de consommation. De même, l’indicateur de préca-rité des ressources cumulant inégalité des revenus, incertitude sur les reve-nus futurs et difficultés à faire face à des dépenses imprévues décroît de 16,8à 12,3.% sur la période. Seul l’indicateur enregistrant une part des presta-tions institutionnelles (hors retraites) dans le revenu supérieure à 25.% croîtde 1987 à 1994.

Outre les domaines des conditions de logement et des ressources, plu-sieurs autres indicateurs de pauvreté relative s’améliorent : essentiellementl’insertion culturelle (usage et maîtrise de la langue française, pratiquesculturelles...) et l’usure au travail (part de la période d’activité profession-nelle sur l’ensemble de la vie active).(4).

Une dégradation dans le domaine de l’emploiet des conditions de travail

En revanche, tous les indicateurs des conditions de travail témoignentd’une dégradation sur la période étudiée.

La précarité du travail appréciée par le nombre de chômeurs au sein duménage ou de personnes ayant connu le chômage a crû sensiblement entre1987 et 1994. De même, le pourcentage d’individus ayant connu desconditions de travail pénibles sur l’ensemble de leur vie professionnelle etle nombre de ceux qui déclarent une durée élevée du travail hebdomadaire

(3) Même si on a constaté un ralentissement de l’accession à la propriété depuis 1988.(4) La pertinence de cet indicateur, issu d’une étude statistique de l’état de santé, pourapprécier les évolutions temporelles est limitée. Son amélioration est en effet largement dueà la progression de la scolarité et à la montée du chômage.

51PAUVRETÉ ET EXCLUSION

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ont également progressé sur la période. L’augmentation de la pénibilité dutravail que l’on retrouve dans l’analyse des enquêtes spécifiques sur lesconditions de travail peut paraître contradictoire avec les nombreuses amé-liorations de l’organisation et des processus de travail dues au progrèstechnologique. La référence à des conditions de travail ressenties par lesindividus (et non objectivement mesurées) et vraisemblablement évaluéesen référence à l’évolution d’un «.confort.» domestique qui, lui, a fortementprogressé explique peut-être ces divergences.

4. Les situations de pauvreté de 1987 et 1994

Pourcentage d’adultes affectéspar ce handicap

Indicateur de pauvreté ou de handicap 1987 1994

Domaine des ressources Faible niveau de vie Pourcentage élevé de prestations institutionnelles Précarité des ressources

21,8

10,216,8

16,1

13,212,3

Domaine des conditions de travail Travail pénible Durée élevée du travail Précarité du travail

25,614,216,4

27,115,622,2

Domaine de la sociabilité Vivre seul dans un logement Pas d’enfant vivant Faible fréquentation d’« autres parents » Peu de relations extrafamiliales

13,729,715,522,1

13,928,6 8,121,3

Domaine de logement Occupation du logement comme locataire Faible confort de logement Pauvreté visible de l’immeuble

21,910,910,2

21,1 6,4 6,1

Domaine de la santé Faible suivi de la santé Forte usure au travail Mortalité élevée

11,117,723,0

9,911,531,0

Domaine de l’insertion culturelle Faible insertion culturelle 25,4 20,1

Domaine du patrimoine Faible patrimoine mobilier Faible patrimoine immobilier

24,535,7

37,334,3

Source : Enquêtes « Situations défavorisées » de 1986/87 et de 1993/94.Champ : Population des adultes vivant dans un logement privé.

52 CONSEIL D’ANALYSE ÉCONOMIQUE

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Le domaine de l’état de santé témoigne d’une évolution complexe (horsl’usure au travail). Le suivi de la santé s’améliore (les recours au médecin sontplus fréquents), mais la «.morbidité élevée.» progresse. Là aussi, ce résultat,cohérent avec les données issues des enquêtes décennales de santé, mesure unemorbidité déclarée par les individus et renvoie tout autant à l’impact des progrèsmédicaux qu’à l’évolution sociale des critères de bien-être.

La France occupe une position médianeen termes de pauvreté dans l’Europe des Douze

Selon les résultats de l’enquête européenne «.Panel communautaire desménages.», près de 12.% des ménages de l’Union européenne vivent, en1993, en dessous d’un seuil de pauvreté défini pour chaque pays par la moitiédu niveau de vie médian de la population nationale. Ce taux s’étend de moinsde 5.% au Danemark à près de 20.% au Portugal. Dans cet éventail, la Franceoccupe une position moyenne avec 11.% de ménages pauvres dans ungroupe de pays du Nord de l’Europe, rassemblant la Belgique, les Pays-Baset l’Allemagne.

Les pays du Sud en revanche, se caractérisent par des taux de pauvretésupérieurs à la moyenne communautaire (Portugal, Grèce et Italie). L’Es-pagne avec 11,5.% de ménages pauvres se situe entre ces deux groupes. Laposition du Royaume-Uni dépend fortement du seuil retenu pour qualifierla pauvreté. Avec un seuil élevé fixé à 60 ou 50.% du niveau de vie médian,il s’intègre aux pays où la pauvreté est forte. Quand on abaisse ce seuil à40.% pour s’intéresser à une pauvreté plus profonde, il rejoint la France dansle groupe des pays intermédiaires (voir graphique 3).

Les enfants sont surreprésentés dans la population pauvre, près de 14.%des enfants de moins de 16 ans de la communauté vivent dans un ménagepauvre, contre 11,6.% de l’ensemble de la population. Avec 7,3.% d’enfantsvivant dans un ménage pauvre, la France se détache nettement des autrespays européens où la proportion d’enfants «.pauvres.» dépasse les 10.%, hormisle Danemark où il n’est que de 3,1.%.! Plusieurs raisons peuvent expliquer lamoindre pauvreté enfantine française : l’importance des prestations familiales,un nombre plus réduit de familles monoparentales (en particulier par rapportau Royaume-Uni) et le développement de l’activité féminine.

En évolution au cours des 10 ou 15 dernières années, il semble que lesdisparités de revenu disponible aient augmenté dans de nombreux pays del’OCDE sauf en Allemagne, au Danemark et en France (OCDE, 1997). Plusgénéralement, malgré une plus forte mise à contribution des systèmesredistributifs, l’accroissement de l’éventail des revenus primaires, dû auxévolutions du marché du travail, s’est fait sentir sur les revenus disponibles.En termes de taux de pauvreté, le diagnostic est moins univoque, les tauxde pauvreté ayant diminué ou stagné dans la moitié des pays étudiés, dontla France.

53PAUVRETÉ ET EXCLUSION

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En Europe continentale, les pays les plus richessont aussi les moins inégalitaires

Les seuils de pauvreté, estimés indépendamment dans chaque paysconformément à la recommandation du Conseil européen de 1984, varienttoutefois fortement entre pays. À l’exception du Luxembourg où il estparticulièrement élevé (près de 6.000 francs mensuels par unité de consom-mation en 1993), les seuils s’échelonnent de 1.700 francs au Portugal à3.600 francs en Allemagne. (Le seuil français s’élève à 3.200 francs avecles données du panel). Ces différences rapportées à l’éventail des taux depauvreté dessinent les contours d’une Europe bi-polaire où les pays duSud cumulent une plus forte proportion de pauvres et des seuils depauvreté plus bas au contraire des pays de l’Europe continentale et duNord (voir graphique 4).

Si l’on considère l’Europe non plus comme la juxtaposition de pays avecleurs propres références, mais comme un seul espace à référence unique,l’image de la pauvreté en Europe change profondément et les contrastesdeviennent encore plus forts. D’un côté, une Europe du Nord avec des tauxde pauvreté réduits et de l’autre, les pays du Sud où la proportion de«.pauvres.» atteint 44.% au Portugal et 36.% en Grèce.! La France avec 10.%de ménages pauvres, conserverait une position médiane.

3. Taux de pauvreté en 1993 dans l'Europe des Douze

0

5

10

15

20

25

(%)

40 % médiane 50 % médiane 60 % médiane

Source : Eurostat, panel communautaire des ménages, vague 1, 1994.

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54 CONSEIL D’ANALYSE ÉCONOMIQUE

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Entre ces deux extrêmes, référence communautaire ou référence natio-nale, le statisticien peut exhiber un continuum de résultats en combinant etpondérant plus ou moins l’importance de chaque zone de référence. Au-delàde ces calculs mécaniques, c’est la pondération implicite que les utilisateurs(gouvernements ou opinions publiques) retiendront qui renseignera surl’état et la conception de l’intégration européenne.

Notons que cette question de zone de référence à prendre en compte poureffectuer des «.mises en équivalence.» peut se poser de manière identiquedans chaque pays (au niveau régional ou local), mais que la plus grandelégitimité de la référence nationale la rend moins sensible.

Des constats statistiques aux politiques publiqueset aux comportements privés

Le développement conjoint des solidarités privéeset publiques

La stabilité du taux de pauvreté de 1984 à 1994 qui ressort des donnéesstatistiques peut surprendre, voire choquer, de nombreux observateurs de la«.réalité sociale.» et contraste avec de nombreux indicateurs élémentairesqui se dégradent régulièrement (chômage, demandes de secours, nombred’allocataires de différents minima sociaux, sans abri...). Avant de mieuxdécrire comment l’effet combiné des solidarités publiques et privées a puéviter que le développement des inégalités sur le marché du travail, entre

4. Taux de pauvreté et niveau de vie dans l'Europe des Douze

10

15

20

25

3000 4000 5000 6000 7000 8000

Niveaux de vie médians (en francs)

Taux de pauvreté (%)

P GR

EIRL

I RU

EUR12

F

PB

DK

ALLB

Note : Les taux de pauvreté sont les proportions de ménages qui disposent d’un niveau de vie inférieur à 60 % du niveau de vie médian du pays considéré.Source : Panel communautaire des ménages, vague 1, 1994.

55PAUVRETÉ ET EXCLUSION

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ceux qui ont un emploi et ceux qui n’en ont pas, ne se transmettent aussibrutalement sur les niveaux de vie, assurons-nous d’abord de la qualité dudiagnostic présenté.

Certes, la qualité des données statistiques sur les revenus et les conditionsde vie des ménages est loin d’être parfaite. Ainsi, par construction, lastatistique sur les «.ménages-logements.» ignore les sans-abri et les collec-tivités (hôpitaux, foyers, prisons...). Cet argument tout à fait pertinent si l’onétudie «.la grande pauvreté.» ou le premier centile de la population.(5), nesemble toutefois pas peser suffisamment quand on s’intéresse au premierdécile de la population, et ne saurait invalider la qualité des résultatsprésentés.

Il est donc nécessaire de bien faire la différence entre les ressources oules revenus primaires que les individus tirent de leur activité professionnelledont l’éventail s’accroît avec l’extension du chômage et du sous-emploi.(6)

et les niveaux de vie qui s’établissent au sein d’un ménage par cumul desdifférentes ressources et des transferts redistributifs, c’est-à-dire après queles solidarités publiques et privées ont opéré. Cette mise à contribution desaides semble s’être développée fortement depuis dix ou quinze années. Ducôté public on ne saurait ignorer la mise en place du RMI en 1988, dont lenombre de bénéficiaires est en croissance régulière. Un bilan global del’évolution de l’ensemble des minimas sociaux figure dans le rapport duCSERC (Minima sociaux, CSERC, 1997). De même, on a déjà mentionnél’importance des transferts privés, en particulier ceux qui descendent lesgénérations.

Des aides privées plus complémentairesque substitutives des aides publiques

Le caractère plus ou moins redistributif des aides privées et leur complé-mentarité ou substitution par rapport aux aides publiques sont deux ques-tions essentielles sur lesquelles différents travaux récents apportent deséléments de réponse.

À première vue les aides privées paraissent redistributives dans la mesureoù elles s’adressent souvent à des ménages dont le revenu instantané estfaible. En fait, il est vraisemblable que les bénéficiaires de ces aides soientdes ménages plutôt favorisés dont le revenu est temporairement faible (parexemple, des jeunes diplômés en phase d’insertion sur le marché du travail).Par ailleurs les aides privées renforcent les inégalités selon le milieu sociald’origine. Les enfants d’ouvriers ou d’employés, qui sont plus défavorisés

(5) Une meilleure connaissance des sans-abri et des exclus du logement a été entreprise sousl’égide du Conseil national de l’information statistique (CNIS).(6) Notons toutefois que l’éventail des salaires nets des temps complets ne s’est quelégèrement ouvert au cours des années quatre-vingt-dix.

56 CONSEIL D’ANALYSE ÉCONOMIQUE

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économiquement que la moyenne, reçoivent moins d’aide que les autres(De Barry et Hourriez, 1996).

Une analyse plus fine permet de mieux identifier les logiques sociales àl’œuvre (Paugam et Zoyem, 1997). Chez les ménages d’origine aisée, lesoutien familial d’autant plus fort que les personnes aidées «.s’éloignent.»du milieu social d’origine, permet de compenser les régressions du statutsocial. Inversement, parmi les ménages d’origine ouvrière, la proportion despersonnes aidées ainsi que le montant des aides, augmente selon le niveaude l’ascension sociale, accompagnant l’émancipation sociale.

Toutefois, même modeste, le soutien familial permet une améliorationmarginale du revenu des plus démunis. L’effet des aides familiales permet ainsià un quart des ménages dont le revenu par unité de consommation était inférieurà 2.300 francs par mois en 1994 de franchir ce seuil et à 10.% des ménages dontle revenu par unité de consommation était inférieur à 3.300 francs.

Mais l’effet des aides publiques, sous condition de ressources, apparaîtnettement plus spectaculaire. Avec les mêmes seuils de niveau de vie, maiscette fois avant les aides publiques sous condition de ressources, ce sont lesdeux tiers des ménages situés sous la barre des 2.300 francs mensuels et plusde 40.% de ceux qui sont sous la barre des 3.300 francs par mois quifranchissent ces seuils.!

Un examen détaillé des données longitudinales d’allocataires du RMIaccrédite plutôt la thèse de la complémentarité entre aide publique et aideprivée que celle de la substitution en particulier pour les allocataires fémi-nines à la tête d’une famille monoparentale, même si ce soutien se réduit ets’érode au fil du temps (Paugam et Zoyem, 1997).

Les risques potentiels d’une société à deux vitesses

La corrélation de la sollicitation efficace des solidarités publiques etprivées, pour rassurante qu’elle puisse être, ne saurait masquer les risquesqu’elle comporte :

– pour ceux qui en sont exclus, soit par rupture des liens familiaux, soitparce qu’ils ne «.souhaitent.» pas bénéficier des aides et secours publics (parcomplexité ou effet de stigmatisation).;

– pour l’équilibre financier des systèmes de solidarité, et particulière-ment du système de protection sociale.;

– et plus généralement pour le fonctionnement de la société qui nesaurait reposer sur une coupure entre ceux qui participent à l’activitéproductrice et ceux qui en dépendent, avec tous les effets pervers qui peuventy être associés (déqualification des chômeurs de longue durée, désincitationau travail, trappe à pauvreté [ou plutôt à inactivité...]).

C’est peut-être plus la perception confuse de l’ensemble de ces risqueset les anticipations négatives qui s’en dégagent, quant à leur propre avenir

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ou celui de leurs enfants, qui nourrissent les appréhensions d’une grandepartie de la population, qu’un diagnostic objectif et somme toute mesuré deleurs niveaux et conditions de vie actuels.

Les dynamiques individuelles

Au-delà du constat quantitatif et macro-économique sur les situations depauvreté et leur évolution au cours des 20 dernières années, l’analysedynamique des situations individuelles est cruciale pour établir un diagnos-tic sérieux sur l’exclusion et l’isolement social. On a assez répété qu’un tauxde pauvreté instantané de 10.% n’a pas le même sens et ne présente pas lemême degré de gravité, s’il s’avère que ce ne sont pas les mêmes ménagesqui se situent sous ce seuil chaque année ou, si au contraire, il s’agit toujoursdes mêmes laissés pour compte.

Malheureusement, ce type d’analyse nécessite des données longitudina-les ou données de panel qui sont encore trop peu fréquentes en France et sesrésultats sont particulièrement sensibles à la qualité des données de base.

Un taux annuel de sortie de la pauvretéqui varie d’un tiers à un demi

Ainsi, d’après l’enquête de conjoncture auprès des ménages, environ unménage pauvre sur deux ne l’est plus l’année suivante, et un ménage pauvresur deux ne l’était pas l’année précédente. Plus précisément, dans une largemajorité de cas, entrer (ou sortir) de la pauvreté correspond à une perte (ouun gain) de niveau de vie supérieur à 25.%, faisant suite à des discontinuitésdans la vie professionnelle ou familiale des ménages. Les inégalités entreménages pauvres et non-pauvres se font en France comme aux États-Unisplus persistantes lorsque la conjoncture économique faiblit (Maurin etChambaz, 1996).

En revanche, la durabilité de la situation de pauvreté apparaît plus élevéed’après l’exploitation du panel européen, dont la qualité des données col-lectées sur les ressources est sans doute meilleure, générant ainsi moins defausses entrées-sorties.

D’après une exploitation provisoire des deux premières vagues du paneleuropéen, ce n’est qu’un ménage pauvre sur trois qui ne serait plus pauvrel’année suivante. Ainsi, sur un échantillon de ménages présents dans le panelen 1994 et 1995, le taux d’entrée dans la pauvreté serait de 5.% (5.% desménages non-pauvres en 1994 sont devenus pauvres en 1995) tandis que letaux de sortie serait de 37.% (37.% des ménages pauvres en 1994 ne leseraient plus en 1995).

Ces données globales, encore provisoires et fragiles compte tenu deserreurs de mesure, correspondent assez bien à ce que l’on peut observer dansd’autres pays européens (Pays-Bas, Norvège...).

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Une analyse plus fine semble montrer que le taux de sortie de la pauvretéest légèrement plus faible en milieu de cycle de vie (45 ans) et que le tauxd’entrée est minimal de 55 à 75 ans.

De plus, ces transitions observées sur deux années ne renseignent pas surla récurrence de la pauvreté (sortie suivie d’une nouvelle entrée), récurrencequi en Norvège, par exemple, conduit bien à identifier sur moyen terme(7-8 ans) un noyau dur de pauvres, certes minoritaire mais quasi permanent.De telles analyses ne seront disponibles en France que dans quelquesannées...

Les effets des politiques sectorielles (emploi, logement, famille,santé...) en termes de pauvreté

Compte tenu de l’hétérogénéité déjà relevée des populations pauvres, lesdynamiques des trajectoires individuelles n’obéissent pas aux mêmes déter-minants et ne relèvent pas des mêmes politiques publiques. Ainsi, la situa-tion des étudiants pauvres, éminemment transitoire et discutable,bénéficiant plus ou moins d’aides familiales et qui débouche normalementsur des espérances positives en termes d’emploi et de niveau de vie, nenécessite pas le même type d’intervention publique que la situation des petitsindépendants pauvres dont l’activité peut être soumise à des aléas conjonc-turels, ni que celle des personnes âgées démunies menacées par un handicapou une incapacité qui s’aggrave.

Mais c’est essentiellement à l’articulation entre pauvreté et insertion surle marché du travail que se situent, comme on l’a déjà souligné, les enjeuxles plus importants. De ce point de vue, l’étude du devenir des différentsbénéficiaires des politiques de l’emploi est aussi à mener sous l’angle de lapauvreté.

Enfin, les processus dynamiques associés à la perte du logement néces-sitent également des études spécifiques compte tenu du caractère central etstructurant associé à la disposition d’un logement personnel. Sur ce point,l’exploitation du panel de RMIstes, lancé à la fin de l’année dernière parl’INSEE, le SESI, le CGP et la DARES, devait livrer des conclusionsessentielles... mais à venir.

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Annexe 1

Seuils de pauvreté et minimas sociauxÉtude de quelques cas-types

Le tableau suivant compare au seuil de pauvreté le revenu monétairedisponible pour un ménage dans différents cas-types.

Revenus mensuelspar ménageen francs

Seu

il de

pau

vret

é (1)

Un

SM

IC +

allo

catio

ns (2

)

Min

imum

-vie

illes

se (

3)

RM

I + a

lloca

tions

(4)

enfrancs

enfrancs

ratio enfrancs

ratio enfrancs

ratio

Personnes seules 3 800 5 200 1,37 3 200 0,85 3 200 0,86

Couples sans enfant 5 600 5 400 0,95 5 700 1,01 4 300 0,77

Couples avec 1 enfant 6 800 5 900 0,86 - 5 000 0,74

Couples avec 2 enfants 7 900 6 700 0,84 - 5 800 0,73

Couples avec 3 enfants 9 000 8 600 0,95 - 6 800 0,75

Familles monoparentalesavec 1 enfant

(4 900) 6 400 (1,31) - 4 500 (0,91)

Familles monoparentalesavec 2 enfants

(6 000) 7 700 (1,27) - 5 100 (0,84)

Familles monoparentalesavec 3 enfants

(7 200) 10 100 (1,41) - 6 100 (0,85)

(1) Seuil de pauvreté, défini comme la demi-médiane du revenu monétaire par unité de consommation(coefficients de 0,5 et 0,3, cf. encadré p. 40). Ce seuil, exprimé en francs par ménage, correspond à3.763 francs multipliés par le nombre d’unité de consommation du ménage.(2) Revenu monétaire dont dispose un ménage locataire dont la personne de référence touche un salaireégal au SMIC, les autres personnes étant sans emploi : somme de ce salaire, d’une allocation logement,et des prestations familiales.(3) Revenu monétaire dont dispose un ménage propriétaire (ou logé gratuit) au minimum-vieillesse : leminimum-vieillesse est la seule ressource.(4) Revenu monétaire dont dispose un ménage allocataire du RMI occupant un logement autonome dontil est locataire : somme du RMI et d’une allocation logement.

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Remarques :

• Les cas-types présentés ici ne sont que des exemples, et ne sauraientêtre représentatifs de toutes les personnes au SMIC, au minimum-vieillesse,ou au RMI.

• Le seuil de pauvreté est mis entre parenthèses pour les famillesmonoparentales, car il se peut que l’échelle d’équivalence retenue sous-estime les besoins de ces familles (voir l’article de Hourriez et Olier). Ilfaudrait alors relever le seuil pour ces familles, ce qui les ferait apparaîtrecomme plus pauvres.

Nous nous sommes fondés sur les calculs de cas-types présentés dans(ODAS, 1997). Les valeurs correspondent aux barèmes 1994 :

– SMIC net à 4.881 francs.;– minimum-vieillesse à 3.194 francs.;– RMI théorique à 2.298 francs.;– base mensuelle de calcul des allocations familiales à 2.054 francs.

Ménage au SMIC(colonne 2 du tableau)

Le salaire s’ajoute aux prestations familiales sous condition de ressour-ces et à une allocation logement. Les impôts directs que le ménage estsusceptible de payer (impôt sur le revenu et taxe d’habitation) ne sont pasdéduits, car on retient la même définition du revenu que dans l’enquête(cf. encadré p. 40).

Les prestations familiales sous condition de ressources sont, pour lescas-types retenus, la somme :

– des allocations familiales de base à partir du deuxième enfant (onsuppose ici que les enfants ont entre 3 et 10 ans, il n’y a donc ni majorationsni droit à l’APJE). Soit 657 francs pour deux enfants et 840 francs par enfantsupplémentaire.;

– du complément familial pour le troisième enfant : 855 francs.;– de l’allocation de soutien familial pour les familles monoparentales :

461 francs par enfant. Cette allocation vient en remplacement d’une pensionalimentaire (on suppose donc ici que le ménage n’en perçoit pas).

Le montant de l’allocation logement dépend du loyer payé et de la zoned’habitation. Il atteint son maximum pour un ménage qui paye le loyerplafond (ou davantage). Ce loyer plafond est un peu plus élevé en zone I(Ile-de-France) que dans la zone II (grandes villes) ou la zone III (petitesvilles). L’allocation logement maximale est donc versée aux habitants de lazone I dont le loyer atteint ou dépasse le plafond de la zone I. Cette allocationmaximale croît avec la taille du ménage (le barème étant légèrement plusfavorable aux familles monoparentales qu’aux couples à nombre d’enfant

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égal). Elle est de 362 francs pour une personne seule, contre 1.860 francspour une famille monoparentale avec trois enfants. On suppose ici que leménage touche 80.% de ce maximum (ce qui semble peu éloigné de lasituation moyenne des ménages les plus pauvres).

Par rapport au cas-type, un ménage au SMIC peut disposer d’un revenumonétaire plus ou moins élevé selon son allocation logement, et selon l’âgede ses enfants. Il peut bien sûr disposer d’autres ressources (revenus dupatrimoine, pension alimentaire, etc.).

Ménage au minimum-vieillesse(colonne 3 du tableau)

Le revenu est simplement le barème du minimum-vieillesse. Le barèmedu couple correspond à 1,8 fois celui de la personne seule.

Par rapport au cas-type, un ménage au minimum-vieillesse disposerait d’unrevenu plus élevé s’il était locataire. Il percevrait alors en plus une allocationlogement, comparable à celle d’un allocataire du RMI.

Ménage au RMI(colonne 4 du tableau)

Le RMI est une allocation différentielle qui complète les prestationsfamiliales pour atteindre un revenu monétaire hors logement égal au barèmethéorique du RMI. Ce barème croît avec la taille du ménage, selon uneéchelle proche de l’échelle utilisée dans l’article : 1 pour le premier adulte,0,5 pour le conjoint, 0,3 pour les enfants. Toutefois, les enfants comptentpour 0,4 à partir du troisième (au lieu de 0,3), et le premier enfant d’unefamille monoparentale compte pour 0,5 (au lieu de 0,3).

En plus du RMI, le ménage perçoit une allocation logement s’il occupeun logement autonome. L’allocation logement a été estimée à 80.% del’allocation maximale. Cette allocation maximale varie de 1.533 francs pourune personne seule à 2.182 francs pour une famille de trois enfants.

Enfin, un forfait logement de quelques centaines de francs est défalquédu RMI.

Par rapport au cas-type, un ménage indépendant au RMI peut percevoir plusou moins d’allocation logement. Notons que sur 10 allocataires du RMI,seulement 5 perçoivent une aide au logement. Les autres, qui n’en perçoiventpas, sont soit hébergés par leur famille (4 sur 10), soit sans logement (1 sur 10).Enfin, un allocataire du RMI qui reprend un emploi augmente son revenumonétaire grâce à un mécanisme d’intéressement.

62 CONSEIL D’ANALYSE ÉCONOMIQUE

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Annexe 2

Pauvreté et logement

Anne Laferrère et Daniel Leblanc

INSEE

L’hétérogénéité de la population pauvre se traduitpar une diversité de situations de logement

La population pauvre est hétérogène. Depuis le début des années quatre-vingt, sa composition a évolué, sous l’effet principal de l’augmentation desménages étudiants, de la disparition des agriculteurs, et de la baisse dunombre de retraités pauvres. Ces effets concourent tous à un rajeunissementde cette population. Le groupe le plus important (38.%) est constitué desfamilles d’actifs en difficulté sur le marché du travail.

La diversité des groupes qui composent la population pauvre, par leurposition dans le cycle de vie et leur situation par rapport au marché du travail,fait que les situations de logement rencontrées sont elles aussi hétérogènes.La propriété (31.%) est bien moins représentée que dans l’ensemble desménages, alors que le parc locatif, privé ou public, accueille 60.% desménages pauvres. 9.% sont logés gratuitement et 6.% sont en sous-location.La part du secteur locatif a augmenté corrélativement au rajeunissement dela population pauvre. Si l’on s’intéresse aux individus touchant des minimasociaux ou des revenus équivalents, 40.% n’ont pas de logement autonome.

Les ménages pauvres vivent dans des logements plus petits et moins bienéquipés que l’ensemble de la population. Mais les logements inconfortablesne sont pas toujours perçus comme insuffisants par leurs occupants : seulsun quart des ménages pauvres souhaitent changer de logement. Le logementapparaît comme le résultat d’arbitrages économiques complexes entre loca-lisation, type de parc et confort, un élément important de ces arbitrages étantles aides au logement.

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Le logement pèse de plus en plus lourddans le budget des ménages pauvres, malgré unfort effet solvabilisateur des aides à la personne

Le logement pèse de plus en plus lourd dans le budget des ménagespauvres, alors que sa part n’augmente pas depuis 10 ans dans l’ensemble dela population. L’augmentation est particulièrement forte pour les locataires.Cependant, une fois les aides déduites, la moitié des ménages pauvres n’ontpas de dépenses de loyers et charges ou de remboursement d’emprunt.

Les aides à la personne ont donc un effet solvabilisateur fort : ellesdivisent par deux le coût du logement pour les ménages pauvres. L’effortfinancier consacré au logement est nettement moins élevé dans le parc HLMque dans le parc privé.

Les ménages pauvres sont beaucoup plus que les autres confrontés à desproblèmes de liquidité : les retards de paiement de loyer sont très fréquentset se répètent dans le temps. Face à ces difficultés, les aides accordées parles réseaux institutionnels permettent souvent d’éviter les menaces d’expul-sion. L’expulsion du logement à proprement parler reste un évènement rare.

Disparition d’un parc privé et public à bas loyeret montée du HLM dans le logement des ménagespauvres

La disparition d’un «.parc social de fait.» à bas loyer géré par desbailleurs privés, liée à la réhabilitation et aux normes nouvelles de construc-tion, s’est accompagnée d’une hausse des plus bas loyers en HLM duenotamment à l’importance des réhabilitations dans ce parc. En 1984, leslogements dits «.à très bas loyers.» (des parcs public et privé) abritaient lamoitié des ménages pauvres.; en 1992, 20.% seulement.

Les vingt dernières années ont été marquées par la montée du secteurHLM dans le logement des ménages pauvres. Les HLM logeaient en 198415.% des ménages et 13.% des ménages pauvres : en 1996, ils logenttoujours 16.% des ménages, mais 24.% des ménages pauvres. Cette montéetient évidemment à la montée des générations d’âge intermédiaire dans lapopulation pauvre (les retraités et agriculteurs pauvres, souvent propriétai-res sont moins nombreux). Elle se traduit par une «.paupérisation.» dusecteur HLM. En 1973, 60.% des ménages logés en HLM avaient desrevenus supérieurs à la moyenne : en 1996, 33.% seulement.

Conséquence de cette modification de l’offre, les ménages à bas revenusoccupent aujourd’hui des logements plus chers, aussi bien en HLM que dansle secteur privé.

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Diversité des circuits de recherche de logement

L’assimilation entre parc à bas loyer et possibilité d’accès au logementpour les ménages pauvres est trompeuse, dans la mesure où les bas loyerstiennent d’abord à l’ancienneté d’occupation des logements : la libérationde tels logements s’accompagne souvent de remises aux normes entraînantdes hausses de loyer. Même lorsque cela n’est pas le cas, les ménagespauvres peuvent se trouver en concurrence avec d’autres ménages pourl’accès à ces logements.

Le secteur privé joue un rôle majeur dans l’accueil des nouveaux ména-ges pauvres.; ceux-ci passent également souvent par la sous-location ou lalocation de meublés.; les HLM n’arrivent qu’en troisième position, alors quele logement gratuit devient marginal.

Lors de leur recherche de logement, les bas revenus recourent fréquem-ment à des réseaux non institutionnels (famille, amis). Les organismes HLMne reçoivent qu’une part de la demande exprimée par ces populations.;notamment, les personnes seules ou les couples sans enfants pauvres passentsouvent par d’autres voies pour trouver un logement.

Une politique économique publique pourrait se donner le but de favoriserle fonctionnement du marché en diminuant les coûts de transaction, etd’intervenir là où le marché fait défaut, en évaluant les conséquences à longterme des interventions.

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Références bibliographiques

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Chambaz C. (1997), «.La pauvreté en France et en Europe.», INSEE Pre-mière, no 533, juillet.

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L’indemnisationdu chômage en Europe

Entre l’activation des dépensespour l’emploi et la garantie

de minima sociaux

Jacques FreyssinetProfesseur à l’Université de Paris et

Directeur de l’IRES

L’imbrication des logiques d’intervention

Les phénomènes de chômage, de pauvreté et d’exclusion sociale posent,dans les pays de l’Union européenne des questions analogues.

• Des difficultés et des controverses majeures portent non seulement surleur repérage statistique mais sur leur définition conceptuelle.

• Si les trois catégories sont distinctes, les chevauchements entre ellessont importants.; il résultent d’interactions dans la dynamique des trajectoi-res : le chômage de longue durée engendre la pauvreté, l’exclusion socialeréduit l’employabilité, etc.

• De ce fait, on observe une imbrication, et de multiples contradictions,entre les instruments d’action mobilisés : la production de normes, publi-ques ou conventionnelles, qui définissent des statuts, la politique, passive etactive, de l’emploi et enfin la politique sociale stricto sensu.

Notre point de départ est ici l’analyse de réformes de l’indemnisation duchômage intervenues dans les pays de l’Union européenne au cours de ladécennie quatre-vingt-dix.(1). Elles sont le produit de trois dynamiques

(1) Ce texte s’appuie sur une contribution préparée pour le prochain rapport La protectionsociale en Europe de la Commission européenne. Il couvre les modifications intervenuesjusqu’à la fin du 1er semestre 1997.

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distinctes : l’«.activation.» des politiques de l’emploi, la restructuration dessystèmes de protection sociale et l’effort de réduction des prélèvementsobligatoires et des déficits publics. D’une façon ou d’une autre, ces troismouvements se répercutent sur les modes de traitement de la pauvreté et del’exclusion sociale.

L’«.activation .» des politiques de l’emploi

Présente dès la décennie quatre-vingt, la préoccupation d’un redéploie-ment des ressources de la politique de l’emploi aux dépens des mesures dites«.passives.» et au profit des mesures dites «.actives.» a pris une forceparticulière dans la décennie quatre-vingt-dix. L’idée de base est qu’il est,aussi bien d’un point de vue économique que social, préférable de consacrerdes ressources à l’insertion professionnelle des chômeurs plutôt qu’ausimple maintien partiel de leurs revenus. Le principe est indiscutable maispeut avoir des formes de mise en œuvre contrastées. Pour simplifier, deuxsolutions extrêmes sont concevables.

Dans le premier cas, on suppose que l’indemnisation du chômage est,dans son principe, un facteur de désincitation au travail. La réduction de sonniveau et de sa durée constituerait alors un moyen direct «.d’activation deschômeurs.».; le durcissement des critères d’éligibilité ou des causes d’ex-clusion joue dans le même sens. L’objectif est d’accroître l’intérêt financier(ou la nécessité) d’accepter immédiatement tout emploi disponible.

Dans le second cas, on considère qu’un niveau et une durée suffisantsd’indemnisation sont une condition pour que le chômeur dispose des moyenset des délais nécessaires à la bonne qualité de «.job matching.» (l’apparie-ment des qualifications aux emplois offerts). L’objectif est de renforcer ceprocessus en mettant à la disposition des chômeurs des moyens additionnels(aide à la recherche d’emploi, formation, etc.).

En pratique, comme il le sera montré plus loin, les mesures prises dansles différents pays combinent les deux logiques mais dans des proportionsinégales. Elles impliquent des diagnostics différents sur les causes del’allongement des durées de chômage.

La restructuration des systèmes de protection sociale

Dans tous les pays les systèmes de protection sociale se sont constituésempiriquement par adjonction progressive de prestations couvrant des ris-ques ou des populations spécifiques. L’indemnisation du chômage au sensstrict du terme est assurée soit par un régime d’assurance, soit par un régimed’assistance.; dans certains pays les deux systèmes fonctionnent de manièrecomplémentaire. Sous la pression de la montée du chômage, d’autres typesde prestations ont été utilisés dans les faits pour assurer un revenu à destravailleurs involontairement privés d’emploi.

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Il s’agit, en premier lieu, de prestations spécifiques qui dans leur principeont une autre finalité, par exemple :

– mesures d’indemnisation pour des travailleurs partiellement ou tem-porairement privés d’emploi sans rupture formelle du contrat de travail.;

– indemnisation des travailleurs handicapés.;– cessations anticipées d’activité ou «.préretraites.».

Il s’agit, en second lieu, de prestations générales destinées à assurer unniveau minimum de satisfaction des besoins essentiels :

– soit, par reconnaissance d’un droit universel à un revenu minimum.;– soit, par attribution discrétionnaire de prestations d’aide sociale.

L’État doit arbitrer entre des objectifs contradictoires. Les prestationsspécifiques sont généralement plus coûteuses mais socialement mieux ac-ceptées. Elles offrent, de plus, l’avantage de réduire le volume officiel duchômage, indicateur politiquement très sensible. Les prestations généralessont moins coûteuses mais risquent d’alimenter des processus d’exclusionsociale difficilement réversibles (trappe de la pauvreté ou de la dépendance).

Au cours des dernières années, les États membres ont adopté de nom-breuses mesures qui visaient explicitement ou aboutissaient de fait à modi-fier la répartition des chômeurs entre ces différents dispositifs. Ellespouvaient être inspirées par une volonté de rationalisation et de moralisationdes systèmes de protection sociale ou, tout simplement, par un objectif deréduction des coûts.

Réduction des prélèvements obligatoireset des déficits publics

La décennie quatre-vingt-dix a vu se renforcer dans les économieseuropéennes une volonté politique de freiner, voire de renverser la tendanceà la croissance des prélèvements obligatoires et de modifier leur assiette.

En première analyse, l’indemnisation du chômage ne devrait pas cons-tituer un objectif principal des politiques de réduction des dépenses. En effet,selon les données fournies par Eurostat, le chapitre «.chômage et promotionde l’emploi.» représentait, en 1994, moins de 10.% des dépenses totales deprotection sociale, soit moins de 3.% du PIB en moyenne pour l’Unioneuropéenne. Mais il faut tenir compte du caractère fortement cyclique decette rubrique. En phase de récession, l’accroissement du nombre desbénéficiaires se conjugue avec la réduction des recettes lorsque celles-ci sontassises sur la masse salariale. Les régimes d’assurance se trouvent brutale-ment en déficit. Des mesures d’urgence ont donc été prises dans plusieurspays pour freiner les dépenses en réduisant les prestations. L’objectif étaitd’éviter soit une augmentation des cotisations, soit le recours à un finance-ment public additionnel.

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Les trois logiques ont été simultanément présentes dans les différentspays et il est difficile de mesurer leur poids respectif dans les choix qui ontété faits en matière de réforme de l’indemnisation du chômage. En pratique,ce sont toujours des compromis qui ont été adoptés et leur nature a variéselon la conjoncture économique et selon l’état des rapports de forcespolitiques et sociaux. Selon leur pondération, les répercussions ont étécontradictoires sur les sphères de la pauvreté et de l’exclusion sociale. Parexemple, au nom de la lutte contre l’exclusion, les politiques d’«.activation.»ont pu être étendues des chômeurs indemnisés aux bénéficiaires de l’assis-tance (Workfare). À l’inverse, pour réduire le «.chômage statistique.» ou dufait des restrictions apportées à l’assurance-chômage, des chômeurs ont ététransférés vers d’autres régimes de protection sociale, c’est-à-dire souventvers l’inactivité, réduisant ou supprimant ainsi les perspectives de réinser-tion professionnelle. Enfin, la pression globale sur le volume des dépensesa un lien évident avec les phénomènes de pauvreté.

Examen des principales réformes

Pour les raisons qui viennent d’être analysées, les tendances dominantesdans les transformations de l’indemnisation du chômage au cours des annéesquatre-vingt-dix se dégagent clairement. Cependant, la récession économi-que du début de la décennie a engendré, à court terme, des tendancescontraires. D’une part, parce que la montée du chômage tend à provoquermécaniquement l’accroissement du poids des dépenses passives. D’autrepart, parce que des impératifs sociaux conduisent à adopter des mesuresd’urgence pour certaines catégories particulièrement défavorisées.; dansces cas, la solution la plus rapide est souvent d’assurer un revenuminimum. Les réformes intervenues au cours des dernières années tra-duisent ces tendances contradictoires.

L’indemnisation et la politique active de l’emploi

L’analyse sera limitée aux cas où il existe une articulation explicite entresystèmes d’indemnisation et dispositifs de politique active. Dans ce cadre,trois types de liaisons peuvent être distingués :

– les dispositifs de politique active sont mobilisés pour construire desprogrammes individualisés d’appui à la recherche d’emploi des chômeursindemnisés.;

– l’indemnisation du chômage est utilisée comme support financier del’accès à l’emploi.;

– l’indemnisation du chômage est transformée en une contrepartie d’untravail hors emploi (Workfare).

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L’indemnisation comme support de la recherche active d’emploi

Progressivement, l’accompagnement des chômeurs dans leur itinérairede recherche d’emploi a pris un contenu plus actif, voire plus contraignant.Sous cet aspect, les dernières années ont été marquées par une accélérationdu mouvement. D’une part, les prestations offertes par le service public del’emploi ont été diversifiées : apprentissage des techniques de recherched’emploi, remobilisation psychologique, bilans de compétence profession-nelle accompagnés du développement de l’offre de formation. D’autre part,le service public de l’emploi a tendu dans certains pays à imposer commecondition du maintien de l’indemnisation, pour tous les chômeurs ou pourcertaines catégories seulement, un engagement individuel par lequel lechômeur accepte de participer à des mesures de politique active de l’emploi.

L’exemple le plus systématique est fourni par le Royaume-Uni avecl’introduction de l’allocation du «.chercheur d’emploi.» (Jobseeker’s Allo-wance) qui accompagne la suppression de l’indemnisation du chômagestricto sensu. Tout chômeur sollicitant une indemnisation doit signer avecle service public de l’emploi (Job Center) un contrat de recherche d’emploi(Jobseeker’s Agreement) qui définit ses droits et ses obligations. Différentesétapes sont définies après 13 semaines, 6 mois, 12 mois, 18 mois et deuxans de chômage. Au cours de ces étapes, les dispositifs offerts au chercheurd’emploi se diversifient : techniques et moyens matériels pour la recherched’emploi, indemnités de frais de déplacement, bilans de compétences, stagesde remotivation, cycles de formation, expériences de travail, primes pourl’acceptation d’emplois à temps partiel et/ou à faibles salaires, travauxd’intérêt général pour les jeunes de moins de 25 ans avec un complémentd’indemnisation, travail à l’essai pour les chômeurs de plus de 6 mois.L’utilisation de ces dispositifs se réalise, au départ, sur une base volontairemais le service public de l’emploi peut la rendre obligatoire sous peine desuspension ou de suppression de l’indemnisation. Parallèlement, la défini-tion de l’emploi convenable qu’un chômeur est tenu d’accepter s’élargitprogressivement. Initialement l’emploi doit correspondre à la profession duchômeur avec un salaire voisin de son salaire antérieur. Après 13 semaines,le champ professionnel est élargi. Après 6 mois, le chômeur ne peut plusavoir d’exigences sur le niveau de salaire. Ainsi les mesures positives d’aideà la recherche et à la reprise d’emploi sont-elles rendues étroitement inter-dépendantes des menaces de suspension ou suppression de l’indemnisation.Au moment de l’introduction de la réforme, le gouvernement en escomptaitde substantielles économies.

L’indemnisation comme support de l’accès à un emploi

Dans presque tous les pays de l’Union européenne il existe, souvent delongue date, des dispositifs de subvention à l’emploi au bénéfice deschômeurs. Selon des techniques diverses (prise en charge partielle du

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salaire, primes, exonérations de charges sociales), les pouvoirs publicsréduisent le coût salarial en cas d’embauche de chômeurs. Selon les pays,ces mécanismes bénéficient aux employeurs du secteur marchand et/ou dusecteur non-marchand. L’obtention de tels emplois entraîne interruption del’indemnisation du chômage. Dans un objectif d’«.activation.» des dépensesd’indemnisation, une autre technique a été introduite qui consiste à utiliserles droits à indemnisation comme support financier de la reprise d’emploi.Deux modalités doivent être distinguées.

Dans le premier cas, l’employeur bénéficie d’une aide financière quicorrespond aux droits à indemnisation que possède le chômeur au momentde l’embauche. Tel est le cas, par exemple, en France, avec l’accord concluentre patronat et syndicats en 1994, et élargi en 1995, qui a créé lesconventions de coopération. Dans ce cadre une entreprise qui embauche unbénéficiaire de l’assurance chômage entré au chômage depuis plus de 8 moisreçoit du régime paritaire d’assurance chômage une aide à l’embauche. Cetteaide a un montant égal ou supérieur à la somme des prestations que lechômeur aurait reçues jusqu’à épuisement de ses droits.

Dans le second cas, les chômeurs qui acceptent un emploi faiblementrémunéré et/ou à temps partiel continuent à bénéficier d’une indemnisationspécifique. L’objectif est d’éviter le «.piège du chômage.» qui fonctionnelorsque les chômeurs indemnisés ne trouvent pas d’intérêt financier àaccepter de tels emplois. Divers pays de l’Union européenne ont adopté desmécanismes de ce type selon des modalités variées. Ainsi, en Belgique, unrégime avantageux d’indemnisation du «.chômage involontaire à tempspartiel.» a été supprimé en 1992 pour des raisons budgétaires. Il a étéremplacé par un système où un chômeur indemnisé qui accepte un emploià temps partiel reçoit, sous certaines conditions, une prestation additionnelletelle que son revenu total soit supérieur à l’indemnisation du chômage àplein temps. De plus ses droits à la protection sociale sont améliorés.

Bien qu’ils ne relèvent pas, à proprement parler, de l’activation desdépenses d’indemnisation, il faut souligner la création de mécanismes quitendent au même objectif : éviter le «.piège du chômage.», pour les chô-meurs indemnisés qui accepteraient un emploi faiblement rémunéré. EnIrlande, une allocation familiale supplémentaire (Family Income Supple-ment) a été créée en 1984 en faveur des travailleurs à bas salaires. Elle viseà éviter que les chômeurs ne soient désincités à accepter des emplois malrémunérés par la perte de l’allocation pour enfant à charge qui est inclusedans l’indemnisation du chômage. L’obtention de l’allocation suppose quel’un des deux parents travaille au minimum 19 heures par semaine.; sonmontant est dégressif en fonction du revenu. En 1996, le gouvernement adécidé l’expérimentation d’une extension de ce mécanisme aux personnesseules et aux couples sans enfant à charge.

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L’objectif de ces prestations est d’éviter le «.piège du chômage.»,c’est-à-dire la situation dans laquelle un chômeur n’a pas ou a peu d’intérêtfinancier à accepter un emploi à temps partiel et/ou faiblement rémunéré,compte tenu du niveau de l’indemnisation du chômage et des prestationscomplémentaires qui y sont attachées. Le risque existe cependant d’engen-drer à la place un «.piège de la pauvreté.». La prestation accordée auxtitulaires de bas salaires se réduit puis disparaît si leurs revenus augmentent.;lorsqu’on tient compte, de plus, de la fiscalité qui pèse sur les revenussalariaux, il peut être sans intérêt pour ces salariés d’accroître leur effort detravail. On mesure ici les effets pervers qui peuvent naître de la création destatuts intermédiaires entre le chômage total et l’emploi «.normal.» c’est-à-dire l’emploi régi par un contrat de travail qui assure le revenu de sontitulaire.

Vers le «.Workfare.».?

Au cours des dernières années, l’objectif d’«.activation.» de l’indemni-sation du chômage a pris une nouvelle dimension avec le débat qui s’estinstauré autour de la question du «.workfare.». Il trouve son origine dans leprincipe selon lequel tout individu auquel la société accorde des droits doitaccepter, en contrepartie, des obligations à l’égard de celle-ci. En matièred’indemnisation du chômage, deux traductions de ce principe sont possibles.

• Ou bien la société reconnaît le droit au travail.; l’obligation correspon-dante pour l’individu est d’accepter tout emploi convenable qui lui estproposé.; l’indemnisation est alors la conséquence d’une défaillance de lasociété dans la garantie du droit au travail.; sa seule contrepartie est ladisponibilité pour l’emploi.(2).

• Ou bien l’indemnisation est considérée comme l’une des prestationssociales assurant une garantie de revenu.; alors la société peut imposer àl’individu certains types d’activités en contrepartie de ce revenu et pendantla période où il le perçoit.

Le «.workfare.» correspond à cette seconde logique. Il peut être définidans un sens large et couvrir toutes les activités qui sont imposées auxchômeurs sous peine de suspension ou de suppression de l’indemnisation.Cette acception semble peu pertinente car elle couvrirait l’ensemble desdispositifs de politique active de l’emploi dès lors qu’il est rendu obligatoired’y participer : stages de formation professionnelle, emplois subventionnés,etc. Une définition plus étroite sera adoptée ici : elle correspond à l’obliga-tion de réaliser des tâches d’intérêt général tout en conservant le statut dechômeur indemnisé (ou le bénéfice d’une autre prestation d’assistance).

(2) Si l’on se plaçait dans une pure logique d’assurance, la seule contrepartie serait d’avoircotisé et de respecter les termes du contrat.

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Aux Pays-Bas, par exemple, la réforme du revenu minimum garantiintervenue en 1995 a introduit un dispositif nouveau dont la mise en œuvrerelève de la responsabilité des municipalités. Elles peuvent désormaisimposer aux allocataires de participer à des activités d’utilité sociale (entre-tien d’espaces verts, soutien aux malades isolés,...). Ces activités ne sont pasrémunérées mais leur refus peut entraîner une suspension ou une réductionde l’allocation. Vingt-cinq villes pilotes expérimentent ce programme.Jusqu’à présent, elles n’appliquent pas de sanctions en cas de refus maiscertaines ont introduit une incitation financière à la participation.

Ces programmes peuvent être considérés comme positifs pour leursparticipants : ils atténuent la rupture du lien social, ils permettent de conser-ver une activité, d’entretenir et, éventuellement, d’élargir des qualificationsou des compétences et ainsi de favoriser une reprise ultérieure d’emploi. Ilspeuvent aussi être considérés comme des mesures répressives rappelant dessouvenirs du XIXe siècle et comme des sources potentielles d’institutionna-lisation de formes d’emploi inférieures, amorces d’une marginalisationdifficilement réversible. Tout dépendra du contenu de ces activités, de leurmode d’organisation et de l’itinéraire ultérieur de ceux qui y participeront.Les expériences sont trop récentes pour qu’une évaluation fiable soit possi-ble mais leur apparition dans plusieurs pays constitue un phénomène signi-ficatif de l’évolution des conceptions du chômage.

L’examen de l’ensemble de ces mesures montre qu’il faut éviter d’adop-ter une vision simpliste du transfert des dépenses passives vers des dépensesactives. Si l’indemnisation est utilisée comme support de mesures actives,le coût de ces dernières s’ajoute à celui de l’indemnisation. À court terme,le coût global augmente. Une réduction de celui-ci ne peut être espérée qu’àmoyen terme, si les mesures actives entraînent une réduction du volume duchômage indemnisé grâce à la réduction de la durée moyenne des périodesde chômage.

Il est donc important de distinguer cette conception de l’activation,reposant sur des mesures positives d’aide à la recherche d’emploi et à l’accèsà l’emploi, d’une autre conception de l’«.activation des chômeurs.» qui viseà accélérer leur sortie de l’indemnisation en augmentant la pression quis’exerce sur eux (réduction des droits, intensification des contrôles, élargis-sement des cas de radiation). Dans ce cas, la réduction des dépenses passivespeut être immédiate, comme nous allons le voir au point suivant, mais rienne garantit l’amélioration durable du volume et de la qualité de l’insertionprofessionnelle.

La restriction des droits à indemnisation

Dans la majorité des pays de l’Union européenne, des mesures visant àréduire les droits à indemnisation ont été adoptées au cours des dernièresannées. Il est difficile de mesurer le poids respectif des deux principaux

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facteurs qui ont engendré cette évolution : la volonté de réduire le coûtglobal de l’indemnisation (contraintes financières), la volonté de luttercontre la désincitation au travail qu’engendrerait un régime d’indemnisationtrop laxiste ou trop généreux. L’ambiguïté est particulièrement forte lorsquedes dispositifs de politique active de l’emploi sont utilisés pour révéler lanon-disponibilité pour l’emploi ou l’absence de recherche active d’emploiet donc justifier la suspension ou suppression de l’indemnisation.

Conditions d’éligibilité, niveau et durée de l’indemnisation

La tendance dominante est clairement restrictive.

• Dans de nombreux pays les conditions d’éligibilité ont été durcies enallongeant la durée de travail antérieure requise (ou la durée de cotisationdans les régimes d’assurance) et en excluant certaines activités pour laconstitution ou la reconstitution des droits à indemnisation (par exemple,les périodes de passage dans des dispositifs de politique de l’emploi tels quela formation ou les emplois subventionnés).

• Les taux de remplacement ont été fréquemment réduits soit de manièreuniforme, soit en introduisant une dégressivité en fonction de la duréed’indemnisation.

• Les durées maximales d’indemnisation dans les régimes d’assuranceont été réduites dans divers pays, entraînant un passage plus rapide dans lesrégimes d’assistance chômage ou de revenu minimum garanti.

Un cas typique est celui de l’Espagne où la montée du chômage s’étaitd’abord accompagnée d’une sensible amélioration du niveau des prestationset du taux de couverture. Confronté à la croissance des coûts et à une fraudeimportante liée à l’existence d’un secteur informel, le gouvernement aadopté en 1992 une réforme drastique du système d’indemnisation. L’accèsà l’assurance chômage suppose désormais 12 mois de cotisations au lieude 6. Les durées d’indemnisation, qui sont fonction des durées de cotisation,sont réduites en général d’un tiers. Le niveau de l’indemnisation, qui étaitde 80.% d’un salaire de référence pendant les 6 premiers mois puis de 70.%ensuite, est ramené respectivement à 70 et 60.%. Ainsi, en trois ans, laréduction des dépenses d’indemnisation était estimée à 33.% malgré lacroissance du chômage (ce résultat résulte aussi d’un renforcement ducontrôle).

À ces restrictions des droits à indemnisation ouverts aux chômeurséligibles, s’est ajouté un durcissement des conditions de maintien de l’in-demnisation pour ceux qui en bénéficient.

Conditions de maintien de l’indemnisation

Dans le cadre des durées maximales auxquelles il a potentiellement droit,un chômeur doit prouver qu’il respecte en permanence les critères de

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recherche active d’emploi et de disponibilité pour l’emploi qui condition-nent le maintien de l’indemnisation. Dans presque tous les pays, on enregis-tre l’adoption de définitions plus restrictives dans ces deux domaines.

En ce qui concerne, en premier lieu, le contrôle de la recherche actived’emploi, son renforcement est étroitement imbriqué au développement età la diversification des mesures «.actives.» qui ont été évoquées précédem-ment. Ce sont principalement les refus, jugés non légitimes par les agentsdu service public de l’emploi, de répondre aux propositions de mesures«.actives.» qui engendrent des décisions de réduction, de suspension ou desuppression des droits à indemnisation.

Plusieurs pays ont aussi intensifié la lutte contre la fraude en créant ouen renforçant des services spécialisés dans cette fonction ou en améliorantl’interconnexion entre les fichiers des différents organismes qui intervien-nent dans le suivi des chômeurs, leur indemnisation ou la fourniture deprestations complémentaires. Il ne suffit pas de connaître le contenu destextes pour mesurer la sévérité du contrôle. Beaucoup dépend de la pratiquedes agents du service public de l’emploi qui sont en contact direct avec leschômeurs. Leur culture professionnelle et leur déontologie, la représentationqu’ils ont des causes du chômage, de la situation et des comportements deschômeurs conditionnent, dans une large mesure, leurs décisions. Ces phé-nomènes sont en général mal connus. Il ne semble pas douteux, en revanche,que les injonctions que ces agents reçoivent des pouvoirs publics aillent dansle sens d’un renforcement des contrôles et d’une application plus stricte descritères.

Le maintien de l’indemnisation est conditionné, en second lieu, à ladisponibilité du chômeur pour accepter tout emploi «.convenable.» qui luiest proposé. Dans la plupart des pays, on observe depuis le début de ladécennie une extension de la définition de l’emploi convenable c’est-à-direun rétrécissement des raisons pour lesquelles un chômeur peut légitimementrejeter une offre.

En Allemagne, par exemple, les chômeurs étaient classés par catégoriede qualification et pouvaient refuser une offre d’emploi ne correspondantpas à cette catégorie.; toutefois, ils subissaient des déclassements de caté-gorie avec l’allongement de leur durée de chômage. En vertu de la nouvelleloi de 1997 (AFRG), ces classifications ont disparu.; désormais une dimi-nution du salaire de 20.% dans les trois premiers mois et de 30.% dans lestrois mois suivants sera considérée comme admissible. Au bout de 6 mois,un emploi est acceptable si le salaire net atteint le montant de l’allocationde chômage.

L’ensemble de ces mesures conduit à une accélération certaine des fluxde sortie de l’indemnisation.

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L’articulation avec d’autres régimes d’indemnisation

Les fonctions de l’indemnisation du chômage sont liées à la structure dessystèmes de protection sociale. Plusieurs mécanismes existent en effet pourassurer un revenu de substitution à des travailleurs involontairement privésd’emploi. La frontière entre ces régimes est évolutive. À partir de 1973 etjusqu’à la fin de la décennie quatre-vingt, plusieurs pays avaient, explicite-ment ou implicitement, eu tendance à transférer une partie des chômeursvers des mécanismes de prise en charge distincts de l’indemnisation duchômage au sens strict (assurance ou assistance). Nous avons déjà mention-né le rôle joué par des régimes de revenu minimum garanti qui peuventaccueillir des chômeurs privés de droits à indemnisation ou ayant épuisé cesdroits. Il s’agit alors d’un statut inférieur à celui offert par l’assurance etégalement inférieur, ou au mieux égal, à celui offert par l’assistance chô-mage. En revanche, d’autres statuts sont plus favorables. Le choix d’y avoirrecours peut résulter de la volonté d’éviter ou d’atténuer des conflits sociaux,notamment en cas de menaces de licenciements collectifs, ou encore deréduire le volume du chômage tel qu’il est statistiquement mesuré.

Trois statuts alternatifs à celui du chômeur stricto sensu ont été utiliséspendant cette période : l’indemnisation du chômage partiel ou temporaire,la cessation anticipée d’activité pour les travailleurs âgés, l’extension de lacatégorie des travailleurs handicapés. Au cours de la décennie quatre-vingt-dix, la tendance dominante, dans les pays de l’Union européenne, a été dansle sens d’une restriction des conditions d’accès à ces régimes, avec quelquesexceptions. Il s’agit tout à la fois de réduire les coûts, de lutter contre descomportements opportunistes, voire frauduleux, et d’éviter des passagesirréversibles à l’inactivité.

Le chômage partiel ou temporaire

Le chômage partiel, au sens strict, se distingue clairement du chômagetotal lorsque le travailleur conserve une activité réduite mais continue. Enrevanche, les régimes d’indemnisation du chômage partiel peuvent aussicouvrir des périodes d’interruption totale du travail dès lors que cetteinterruption est jugée temporaire c’est-à-dire que le lien juridique qui unitle travailleur et son employeur peut être considéré comme maintenu. Dansce cas, la frontière entre indemnisation du chômage partiel et indemnisationdu chômage total devient parfois incertaine.

L’exemple le plus significatif est celui de l’Italie où la Cassa Integra-zione Guadagni (CIG) constitue juridiquement un mécanisme d’indem-nisation du chômage partiel ou temporaire, sans rupture du contrat detravail, alors qu’elle a été largement utilisée pour indemniser le chômagetotal, même de longue durée. À la fin des années quatre-vingt descritiques fortes se multiplient contre un système accusé de maintenir des

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emplois fictifs au bénéfice de salariés privilégiés. En 1991, le système estprofondément réformé :

– le recours à la CIG est, sauf exception, limité à une durée de deux ans.;– la contribution financière des employeurs est augmentée.;– une distinction claire est établie entre travailleurs en CIG et tra-

vailleurs licenciés.; pour ces derniers, est créée une prime de mobilité de12 à 48 mois (selon l’âge et la région) et ils bénéficient d’avantagesspécifiques à l’embauche.;

– les entreprises doivent placer les travailleurs en CIG par rotation etnon mettre une fraction de leur personnel en horaire nul pour une duréeindéfinie.

Il s’agissait donc de réintroduire une coupure nette entre l’indemnisationdu chômage partiel temporaire et celle du chômage complet. Le «.détour-nement.» de la CIG s’expliquant par la très faible indemnisation du chômage«.normal.», celle-ci était parallèlement revalorisée par étapes. Cependant,sous l’impact de la récession, deux lois de 1993 et 1994 ont à nouveau élargile champ de la CIG. Il apparaît aussi que les entreprises n’ont, en général,pas respecté l’obligation de rotation du personnel en CIG, préférant payerdes pénalités plutôt que de renoncer aux horaires nuls pour une fraction dupersonnel. Dans la mesure où il n’y a pas juridiquement rupture du contratde travail, les travailleurs en CIG ne sont pas comptés parmi les chômeurs.

Les cessations anticipées d’activité

C’est probablement le domaine dans lequel les évolutions sont les pluscontradictoires d’un pays à l’autre, ou encore, dans le même pays d’unepériode à l’autre. Il s’agit, dans certains cas, de cessation anticipée etdéfinitive d’activité dans le cadre d’un régime spécial d’indemnisation et,dans d’autres cas, d’une prolongation du droit à l’indemnisation du chômagejusqu’à l’âge de la retraite, avec parfois un taux de remplacement plusfavorable. Les objectifs à moyen terme affichés par les gouvernements vontdans le sens d’une réduction de ces dispositifs, jugés trop coûteux. Cepen-dant, on observe dans certains pays, en sens contraire, l’introduction dedispositifs autorisant la cessation anticipée lorsque les partants sont rempla-cés. Dans ces cas, la priorité est parfois donnée à certaines catégories dechômeurs, par exemple, les jeunes.

La France offre un exemple d’élargissement avec la création en 1995,par accord entre patronat et syndicats, de l’Allocation de remplacement pourl’emploi (ARPE). La tendance opposée s’observe pour l’Allemagne quiavait eu largement recours aux cessations anticipées d’activité pour gérerde manière non-conflictuelle les réductions collectives d’emploi. Si l’âgenormal de la retraite était fixé à 65 ans, il était possible de toucher unepension à taux plein dès 63 ans avec 35 années d’affiliation (ou même dès60 ans pour les femmes). De plus, la pension était liquidée à taux plein à60 ans pour les salariés au chômage pendant un an au cours des 18 mois

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précédents. Enfin, les chômeurs de 54 ans et plus, si leur durée antérieurede cotisation était suffisante, bénéficiaient d’une indemnisation pendant32 mois. Ainsi, il suffisait que l’entreprise complète les indemnités dechômage pour qu’un salarié licencié avant 58 ans puisse atteindre la retraitesans perte de revenu. De plus, les chômeurs de plus de 58 ans avaient le droitd’abandonner la recherche d’emploi. Des mesures spéciales avaient étéadoptées pour les nouveaux Länder. Ce système a été jugé trop coûteux dansune période où la loi de réforme de l’assurance-vieillesse (1992) prévoit derétablir graduellement l’âge de la retraite à 65 ans pour tous. Un accordtripartite a réformé le système au début de 1996. L’âge d’ouverture des droitsà une pension de retraite à taux plein pour les chômeurs sera graduellementrelevé jusqu’à 63 ans en 1999. Ceux qui partiront néanmoins en retraite àpartir de 60 ans subiront une réduction de la pension en fonction de la duréed’anticipation. Un système de temps partiel pour les travailleurs âgés serapartiellement financé par l’assurance chômage à condition que le passage àtemps partiel soit compensé par l’embauche d’un chômeur ou d’un apprenti.

Les régimes d’invalidité

La reconnaissance d’une invalidité ou d’une incapacité totale permet d’as-surer une indemnisation illimitée à un travailleur sans emploi. En principe,l’accès à ces régimes repose sur la reconnaissance médicale d’un handicap.Plusieurs facteurs font varier la facilité d’entrée dans ces dispositifs :

– la désignation de l’autorité médicale compétente pour reconnaître lehandicap (le médecin de famille ou une commission médicale officielle).;

– la prise en compte ou non, à côté des incapacités physiologiques,d’éventuelles incapacités psychologiques.;

– la prise en compte ou non, pour apprécier le handicap, de l’état dumarché du travail local.

Une appréciation large a souvent permis l’admission des chômeurs delongue durée dans un régime d’invalidité ou d’incapacité. Au cours de ladécennie quatre-vingt-dix, la tendance a été nettement restrictive dans lespays de l’Union européenne. L’exemple le plus typique est celui desPays-Bas où le régime d’invalidité avait pris une ampleur exceptionnelle. Àpartir de 1990, le gouvernement engage une action pour lutter contre le coûtjugé excessif et les détournements du dispositif. Elle se traduit notamment parune nouvelle loi adoptée en 1993. D’autres dispositions complémentaires serontintroduites ultérieurement. Des transformations importantes en résultent.

• Les critères d’admission ont été durcis pour les nouveaux entrants etun examen systématique des pensionnés, par tranches d’âges successives, aété entrepris. Il a entraîné des pourcentages importants d’annulation ou deréduction des indemnités.(3).

(3) Cependant, devant l’ampleur des décisions d’annulation, le gouvernement a dû introduirepour les exclus de plus de 45 ans une prestation minimale au titre de l’assurance-chômage quileur sera versée jusqu’à l’âge de la retraite.

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• Le réexamen du droit à pension n’est plus désormais fondé sur lacapacité des bénéficiaires à occuper leur ancienne activité ou une activitééquivalente mais sur leur capacité générale à travailler.

• Les niveaux d’indemnisation ont été réduits pour les nouveaux en-trants. Ils sont désormais fonction de la durée de cotisation antérieure.

• Ces réductions ayant été partiellement compensées par des avantagesadditionnels accordés par les conventions collectives, le gouvernement atransféré la pression sur les employeurs. Le système est désormais financépar des cotisations patronales liées au risque.; les employeurs ont la facultéde sortir du système en s’assurant directement.

L’objectif est donc de revenir à une définition stricte de la notiond’invalidité, quitte à renvoyer vers l’indemnisation du chômage ou l’assis-tance ceux qui sont désormais exclus du dispositif. Le volume des bénéfi-ciaires du régime d’invalidité doit être ramené à 11.% de la population activeen 1997.

Au total, la redistribution des travailleurs privés d’emploi entre lesdifférents régimes paraît avoir été dominée par la volonté de limiter lacroissance des dépenses. L’accès aux régimes spécifiques de passage àl’inactivité, relativement favorables, a été réduit. Les restrictions apportéesà l’assurance-chômage ont entraîné des transferts vers l’assistance-chômageou vers des régimes de minima sociaux.

Revenus garantis et désincitation au travail

Nous ne reprendrons pas ici les abondants débats théoriques sur ce thème.Ils ont montré que seul le modèle de la recherche d’emploi (job search)fournit une prédiction théorique univoque. Dans ses formulations les plussimplifiées, l’analyse repose sur l’hypothèse qu’il existe un régime d’indem-nisation uniforme, universel et permanent : tous les chômeurs sont indem-nisés au même taux pendant toute la durée du chômage. Seules sontexaminées les transitions entre deux états : l’emploi durable et le chômageindemnisé. Dès lors que ces deux restrictions sont abandonnées (prise encompte de systèmes d’indemnisation hétérogènes et partiels, prise en comp-te de la diversité des transitions sur le marché du travail) le pronostic surl’effet désincitatif de l’indemnisation devient moins évident (Atkinson etMicklewright, 1991.; Schmid et Reissert, 1996). Le plus simple est donc dese reporter aux résultats empiriques. Les travaux disponibles relèvent dedeux logiques différentes. D’une part, on a essayé de mesurer, sur despopulations de chômeurs, la sensibilité de leur durée de chômage auxcaractéristiques de l’indemnisation. D’autre part, des travaux macro-écono-miques sur séries chronologiques et en comparaison internationale ontétudié le lien entre niveau d’indemnisation et taux de chômage.

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Les travaux micro-économiques

Ils adoptent différentes spécifications des modèles de «.job search.». Ilssont les seuls qui permettent de tester directement des hypothèses sur lescomportements d’offre de travail des chômeurs et sur leur sensibilité rela-tivement au niveau et à la durée de l’indemnisation. Plusieurs synthèsesrécentes fournissent des conclusions convergentes.

• Quant à l’effet du niveau de l’indemnisation, les études portant sur lesÉtats-Unis et le Royaume-Uni concluaient, jusqu’au début des annéesquatre-vingt, à un effet positif mais faible du taux de remplacement.(4) surla durée du chômage. Des travaux ultérieurs ont mis en évidence la faiblerobustesse des résultats : ils sont très sensibles aux définitions adoptées pourle chômage et pour les deux composantes du taux de remplacement (parexemple, droit théorique à indemnisation ou indemnisation effective). En-fin, ces résultats sont difficiles à obtenir pour d’autres pays : les estimationsdonnent des valeurs faibles, contradictoires, souvent non-significatives.

En revanche, il faut signaler que les travaux qui concluent à un impactnégatif significatif du niveau de l’indemnisation sur le taux de sortie duchômage obtiennent ce résultat que la sortie s’opère par reprise d’emploi oupar passage à l’inactivité.(5). Dès lors, si l’indemnisation retarde la reprised’emploi, elle retarde aussi l’abandon de la recherche.; elle engendreraitainsi des effets contradictoires sur l’incitation au travail.

• Quant à l’effet de la durée de l’indemnisation, le seul résultat assezsolidement établi dans plusieurs pays est l’existence de pointes dans les tauxde sortie au voisinage des dates de changement de régime d’indemnisation(soit épuisement des droits à l’indemnisation, soit passage à un régime moinsfavorable, par exemple de l’assurance à l’assistance). Dans ce cas, à nou-veau, les taux de sortie sont plus élevés aussi bien du fait d’une reprised’emploi que du fait du passage à l’inactivité. L’existence de deux effetscontradictoires de l’indemnisation sur l’incitation au travail se trouveconfirmée.

Plus généralement, de nombreux travaux ont mis en évidence l’impactdes caractéristiques institutionnelles du système d’indemnisation sur lescomportements des chômeurs. Ni le taux, ni la durée de l’indemnisation neconstituent des variables suffisantes pour traduire cette dimension institu-tionnelle

(4) C’est-à-dire du rapport entre montant de l’indemnisation et montant du salaire antérieur.(5) Lorsque ces deux modes de sortie sont distingués, point qui a été longtemps négligé.

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À l’échelle macro-économique

L’identification d’un effet désincitatif de l’indemnisation est encore plusproblématique. Comme le notent les experts de l’OCDE dans l’étude del’OCDE sur l’emploi (1994), les travaux de comparaison internationalen’ont dégagé aucune liaison significative entre les taux de chômage et desindicateurs de la «.générosité.» de l’indemnisation. Cependant ces mêmesexperts, au terme de traitements statistiques complexes, ont mis en évidence,pour certains pays et pour certaines périodes, une corrélation décalée dansle temps entre, d’une part, le niveau ou la variation d’un «.indicateursynthétique des droits à prestations.» et, d’autre part, la variation du taux dechômage d’un cycle économique à l’autre. Leur interprétation est que lesdroits à prestations, s’ils ne constituent pas une cause directe du chômage,exercent un effet de levier en amplifiant ou prolongeant les conséquencesdes récessions économiques sur le niveau de chômage.

D’autres travaux publiés par l’OCDE aboutissent à des résultats allantdans le même sens mais de valeur tout aussi limitée. Ainsi Blöndal et Pearson(1995) établissent un lien entre prestations chômage et taux de chômagemais la part de la variance expliquée est faible et le meilleur résultat estobtenu avec un décalage de six ans entre les deux variables (voir aussiScarpetta, 1996).

Sans pouvoir ici entrer dans une discussion détaillée, soulignons un pro-blème, à nos yeux essentiel : l’ensemble de ces travaux utilisent, comme mesurede la «.générosité.» de l’indemnisation, le taux brut de remplacement calculépar l’OCDE. Cet indicateur est calculé sur la base des droits maxima àindemnisation à partir d’une gamme de cas-types de chômeurs «.ayant de longsantécédents d’emploi.». La solution retenue pose deux problèmes.

En premier lieu, la croissance du chômage s’est accompagnée d’une modi-fication de sa composition. Les jeunes à la recherche d’un premier emploi etles travailleurs ayant occupé des emplois précaires y représentent une propor-tion croissante. Ceci entraîne une dégradation des taux de couverture et des tauxde remplacement qui est ignorée par l’indicateur synthétique.

En second lieu, le durcissement des conditions d’éligibilité, du contrôlede la recherche d’emploi et de la légitimité des refus d’offres d’emploi,observé ces dernières années dans la quasi-totalité des pays de l’Unioneuropéenne a vraisemblablement réduit l’accès à l’indemnisation effectiveou le maintien de celle-ci même sans modification des droits légaux.

Il y a donc une présomption raisonnable qu’existe un écart croissant (demanière discontinue) et inégal (selon les pays) entre l’«.indicateur synthé-tique des droits à prestations.», tel qu’il est calculé, et le niveau effectif del’indemnisation. Cette présomption est confortée en comparant l’indicateurde l’OCDE (voir tableau 1) avec un indicateur d’intensité de l’effort d’in-demnisation du chômage qui repose sur les dépenses réelles d’indemnisation(voir tableau 2).

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1. Taux bruts de remplacement des prestations de chômage

Mesure synthétique

1989 1991 1993 1995

AllemagneAutricheBelgiqueDanemarkEspagneFinlandeFranceGrèceIrlandeItalieLuxembourgPays-BasPortugalRoyaume-UniSuède

0,280,290,430,510,340,340,370,090,270,03

-0,530,320,180,29

0,280,310,420,520,340,390,370,170,290,02

-0,510,340,180,29

0,270,270,420,710,320,390,360,220,310,16

-0,460,350,180,29

0,260,260,420,700,320,430,380,220,260,20

-0,460,350,180,27

Note : Pour une présentation, voir OCDE, Perspectives de l’emploi, juillet 1996, chap. 2 (les taux nesont calculés que pour les années impaires).

Source : OECD - Database on Unemployment. Benefit Entitlements and Gross Replacement Rates.

Le second indicateur, ou indicateur d’intensité de l’effort d’indemnisa-tion (voir tableau 2), ne révèle ni tendances communes, ni mouvement deconvergence entre les pays de l’Union européenne. La seule caractéristiquemajoritaire est l’existence d’une valeur maximum, postérieure à 1990, suivied’une diminution plus ou moins accentuée. L’ampleur de cette diminutionest forte en valeur relative pour la Belgique, l’Espagne, la Finlande, laFrance et la Suède. Les exceptions sont constituées par l’Allemagne,l’Irlande, le Luxembourg, les Pays-Bas et le Royaume-Uni. Si l’on envi-sage, les niveaux moyens sur la période, on retrouve l’opposition tradition-nelle entre les pays latins et le Royaume-Uni d’une part (valeurs faibles del’indicateur) et d’autre part les pays du nord de l’Europe continentale. Leshiérarchies internes aux deux sous-groupes se sont modifiées mais l’écartentre ceux-ci n’a pas été réduit.

Il est intéressant d’observer que l’indicateur synthétique des taux brutsde remplacement, calculé sur la période 1989-1995 (voir tableau 1), nedonne pas les mêmes résultats. Deux pays seulement, l’Autriche et lesPays-Bas, enregistrent une réduction sensible (plus de 10.%) de la valeur del’indicateur. Dans sept pays, l’indicateur est approximativement stable(moins de 10.% de variation). Dans trois pays, Danemark, Finlande etPortugal, il croît de plus de 10.%.(6).

85PAUVRETÉ ET EXCLUSION

(6) Les pourcentages de variation ont été calculés à partir de la valeur de l’indicateur avecquatre décimales.

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2. Indicateur d’intensité de l’effortd’indemnisation du chômage (*)

1990 1991 1992 1993 1994 1995 1996

AllemagneAutricheBelgiqueDanemarkEspagneFinlandeFranceGrèceIrlandeItalieLuxembourgPays-BasPortugal

-0,270,280,410,150,180,15

-0,200,050,090,420,06

0,270,280,300,420,170,230,16

-0,190,060,130,430,09

0,220,300,290,410,170,260,16

--

0,070,110,480,12

0,250,340,260,400,150,260,15

---

0,100,460,14

0,240,370,220,460,130,240,13

-0,20

-0,110,460,14

0,250,340,220,430,110,220,12

-0,22

-0,120,460,12

0,260,30

-0,420,100,21

--

0,20-

0,130,540,12

89-90 90-91 91-92 92-93 93-94 94-95 95-96

Royaume-UniSuède

0,120,32

0,120,31

0,150,34

0,160,34

0,160,28

0,150,27

0,160,23

(*) L’indicateur est le ratio entre le pourcentage du PIB consacré à l’indemnisation du chômage et le tauxde chômage. Il est égal au rapport entre l’indemnisation moyenne de l’ensemble des chômeurs(indemnisés ou non) et le revenu moyen de l’ensemble des actifs (occupés ou chômeurs).

Sources : OCDE, Dépenses publiques et nouveaux participants aux programmes du marché du travaildans les pays de l’OCDE et Perspectives économiques. Commission européenne, L’emploi en Europe.

Pour les années 1991 et 1995, communes aux deux séries, le tableau 3met en correspondance les variations des deux indicateurs.(7). Seuls deuxpays enregistrent une évolution analogue, stable pour l’Allemagne, crois-sante pour le Portugal. Dans quatre pays (Autriche, Irlande, Pays-Bas etRoyaume-Uni), l’évolution de l’indicateur d’intensité d’effort d’indemni-sation est plus favorable que celle de l’indicateur synthétique des taux deremplacement. Dans six pays, l’évolution est moins favorable.

La croissance des formes d’emploi précaire et de l’hétérogénéité desprestations attribuées à une fraction des chômeurs conduit à mettre en causela pertinence de résultats construits sur la seule prise en considération desdroits théoriques maxima à indemnisation des chômeurs ayant de longsantécédents d’emploi.

86 CONSEIL D’ANALYSE ÉCONOMIQUE

(7) Est considéré comme stable, un indicateur dont la valeur a varié de moins de 10.% dansla période.

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3. Indicateur d’intensitéet taux de remplacement (1991-1995)

Taux de remplacement

Décroissant Stable Croissant

Indicateurd’intensité

Décroissant BelgiqueEspagneFranceSuède

Stable Pays-Bas Allemagne DanemarkFinlande

Croissant Autriche IrlandeRoyaume-Uni

Portugal

Sources : Cf. tableaux 1 et 2.

Conclusion : quelques enseignements

Au cours des années quatre-vingt-dix, la volonté générale, dans les paysde l’Union européenne, de lutter contre la montée des dépenses passives dela politique de l’emploi s’est heurtée à la croissance du chômage dans lamajorité des pays. De ce fait, on observe des tendances contradictoires surl’évolution de l’indicateur d’intensité de l’effort d’indemnisation du chô-mage au sens strict (assurance-chômage et assistance-chômage). La Franceest l’un des cinq pays où la valeur de cet indicateur a nettement diminué(20.%).

Les évolutions de la valeur de cet indicateur sont partiellement liées à laredistribution des travailleurs privés d’emploi entre les différents régimesde prestations. Dans l’ensemble, l’objectif de réduction des dépenses aconduit à freiner l’accès aux régimes spécifiques de passage vers l’inactivité(cessations anticipées d’activité, invalidité), relativement plus favorablesdonc plus coûteux. Les restrictions parallèlement apportées à l’assurance-chômage ont entraîné des transferts vers l’assistance-chômage ou vers desrégimes de minima sociaux. Ces transformations ont contribué à la crois-sance de la pauvreté dans sa définition relative.

L’objectif d’activation des dépenses pour l’emploi a été partout poursuivi.Ses effets sont contradictoires compte tenu du dosage dans les changementsadoptés. Lorsqu’il s’agit de mesures positives d’aide à la recherche d’emploiet à l’accès à l’emploi, elles conduisent, dans leur principe, à lutter contreles processus d’exclusion sociale. Lorsque l’«.activation.» se traduit par unemenace de radiation des chômeurs qui ne démontrent pas la réalité de leurrecherche d’emploi ou leur disponibilité à accepter n’importe quel emploi

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(ou «.activité.») qui leur est proposé, les risques de basculement versl’inactivité et l’assistance ne sont pas négligeables. Ce n’est donc pas leprincipe de l’activation qui est en question mais son contenu si l’on veutapprécier son impact sur la pauvreté et l’exclusion.

Dans tous les pays, s’est exprimée plus ou moins fortement la crainte quele niveau des prestations accordées aux travailleurs privés d’emploi, relati-vement à celui des salaires correspondant aux emplois qui leur sont acces-sibles.(8), n’engendre une désincitation au travail. Si cette hypothèse étaitacceptée, un accroissement de la pauvreté (relative) constituerait un facteurde retour à l’emploi, donc de lutte contre l’exclusion sociale.

Un tel risque n’existe que dans les cas des emplois faiblement rémunérés(notamment à temps partiel) ou du fait de réglementations incohérentes qu’ilconviendrait de modifier. En revanche, compte tenu de la transformation dela composition du chômage (pourcentage croissant de chômeurs non oufaiblement indemnisés), il n’existe pas aujourd’hui de démonstration d’uneffet global de désincitation au travail engendré par les systèmes d’indem-nisation.(9).

88 CONSEIL D’ANALYSE ÉCONOMIQUE

(8) Revenus nets compte-tenu des avantages et prélèvements fiscaux et sociaux.(9) Les comportements frauduleux, associés à tout système de prestations, devantnaturellement être combattus.

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Le chômage de longue duréeet les politiques d’emploi (*)

Claude Seibel

Directeur de la DARESau ministère de l’Emploi et de la Solidarité

Au cours des années soixante-dix, le chômage de longue durée est définipar référence à une durée de 6 mois. Ce n’est qu’à la fin des annéessoixante-dix ou au début des années quatre-vingt que s’impose le seuil d’unan. La plupart des pays, notamment dans l’Union européenne, ont vu commeen France se constituer peu à peu un noyau dur de chômeurs (voir graphi-que 1).; ceux-ci connaissent des périodes de chômage prolongées qui ris-quent de s’accompagner de pertes de compétences et d’affaiblissement deleur motivation. Une part importante de ces chômeurs de longue durée sontdes travailleurs peu qualifiés et âgés.

La montée rapide du chômage de longue durée à partir du début desannées quatre-vingt a conduit à la mise en place, par vagues successives, demesures spécifiques de politique d’emploi. Celles-ci représentent une partieimportante des dispositifs dont disposent les pouvoirs publics pour contenirle chômage et pour favoriser la réinsertion professionnelle des chômeurs delongue durée (CLD).

(*) Ce texte bénéficie des contributions de Christine Charpail, Alain Gubian, NorbertHolcblat, Stéphanie Lemerle, Brigitte Roguet et Serge Zilberman (DARES).

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Définitions

Le chômage de longue durée est couramment défini comme recou-vrant toutes les inscriptions à l’ANPE de plus d’un an d’ancienneté. Cettedéfinition sera adoptée dans cet article, et appliquée aux catégories 1 et 6de demandeurs d’emploi en fin de mois (DEFM), c’est-à-dire à tous lesinscrits à l’ANPE recherchant un contrat à durée indéterminée et à tempsplein, qu’ils aient ou non exercé une activité réduite dans la période.

La définition retenue ici pour le chômage de longue durée est assezrestrictive. En effet, elle ne tient pas compte des phénomènes derécurrence des périodes de chômage. Or, les actifs sont de plus en plusnombreux à alterner, à un rythme plus ou moins rapide, chômage etemploi. Ainsi, si l’on adoptait une définition plus large du chômagede longue durée (utilisée pour définir certains publics «.cibles.» de lapolitique de l’emploi) qui retient tous les individus qui cumulent aumoins douze mois de chômage au cours des 18 derniers mois, laproportion de chômeurs de longue durée passerait de presque 40.% àenviron 50.% des DEFM.

Deux points de vue complémentaires permettent d’étudier le phéno-mène du chômage de longue durée. La description de la populationconcernée à un instant donné apporte des éclairages intéressants mais nerend pas compte de la dynamique du processus. L’analyse longitudinale,s’intéresse aux écoulements de cohortes de chômeurs en fonction de leurscaractéristiques (sexe, âge, qualification...). Elle permet d’analyser lechômage de longue durée en termes de probabilités. Le risque de devenirchômeur de longue durée se mesure par la proportion d’entrants entreizième mois de chômage continu, pour une cohorte d’inscrits un anplus tôt. Les chances de sortir du chômage de longue durée avant leénième mois se calculent comme la proportion de sorties avant le énièmemois parmi une cohorte d’entrants au chômage de longue durée.

La source statistique retenue est constituée des fichiers de deman-deurs d’emploi de l’ANPE (cette dernière a la responsabilité de lagestion de la liste des demandeurs d’emploi). Quand un demandeurquitte le fichier, il est compté comme sortant du chômage. Le plussouvent, il a retrouvé du travail ou commencé un stage, mais il existeune proportion importante de sorties pour «.absence au contrôle.»(31.% en 1997) qui comprend à la fois des chômeurs découragés quirenoncent à leur inscription à l’ANPE, et des personnes ayant retrouvéun emploi mais omettant de le déclarer à l’ANPE. Par conséquent, demême que la sortie de la liste des demandeurs d’emploi ne signifie pastoujours réinsertion, les reprises d’emploi mesurées dans le fichiersont sous-estimées.

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En quinze ans, multiplication par 2,5du nombre de chômeurs de longue durée

La forte augmentation du chômage de longue durée (cf. encadré) depuisle début des années quatre-vingt n’a pas été régulière (voir graphique 2) et,pour l’analyser, il faut à la fois tenir compte de la conjoncture économiqueet de l’impact des politiques d’emploi.

L’augmentation est quasi continue de 1982 à avril 1987. Par contre lareprise économique qui va de 1987 à 1990 s’accompagne d’un léger reculdu chômage de longue durée jusqu’au printemps 1988, suivi d’une stabilitéjusqu’en 1991. La situation se dégrade à nouveau très rapidement à partirde la mi-1991. Cette détérioration est à l’origine du plan gouvernemental«.900.000 chômeurs de longue durée.», mené en 1992, et qui permetd’endiguer provisoirement la montée du chômage de longue durée, malgréune forte récession économique. Cette récession et les importantes restruc-turations industrielles qui l’accompagnent déclenchent une nouvelle aug-mentation très brutale du chômage de longue durée en 1993 et 1994. Audébut de 1995, il touche 1.250.000 personnes.

L’amélioration de la situation de l’emploi entre la mi-1994 et la mi-1995entraîne une baisse du chômage et de sa composante «.chômage de longuedurée.» au premier semestre 1995. Mais une partie de la baisse est égalementliée à des perturbations dans la gestion de la liste des demandeurs d’emploi

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Source : Enquête communautaire « Forces de travail » (1996).

1. Taux de chômage de longue durée en 1996 dans l'Union européenne

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qui ont entraîné à cette époque des flux de sortie du chômage excessifs.La mise en place du Contrat initiative emploi (CIE), dans sa formule laplus large, en juillet 1995, a un effet sensible sur le chômage de longuedurée puisqu’en un an il baisse de 50.000 personnes à un moment où lacroissance économique fléchit. Depuis juillet 1996, la tendance s’inverseà nouveau : les restrictions apportées au CIE et son ciblage sur leschômeurs de très longue durée expliquent que depuis l’été 1996 lechômage de longue durée ait encore augmenté de près de 200.000 per-sonnes (voir graphique 2).

L’arrêt, à partir de juillet 1996, des embauches sur CIE favorisant leschômeurs ayant entre 1 et 2 ans d’ancienneté, se répercute 12 mois plus tardsur les chômeurs de 2 à 3 ans d’ancienneté, chômeurs dont le nombreaugmente fortement à partir de juillet 1997 (voir graphique 3).

Pour les très longues durées (3 ans et plus), on se trouve devant dessituations encore plus difficiles : il n’y a pratiquement aucune résorptionlors de la reprise économique de 1987 à 1991 et l’augmentation est quasicontinue depuis la fin du programme «.900.000 chômeurs CLD.» de 1992.Ces populations sont parmi les plus fragiles et parmi les plus difficiles àréinsérer professionnellement. Le plus souvent, leurs droits à l’assurancechômage sont épuisés et, lorsqu’elles touchent une indemnité, il s’agit plutôtde l’allocation spécifique de solidarité.

Les chômeurs de longue durée en 1997

À la fin de l’année 1997, 1.367.000 personnes (données brutes, catégories1 + 6) sont inscrites à l’ANPE depuis plus d’un an. Elles représentent prèsde deux chômeurs sur cinq.

Comme dans les autres pays européens, les premières victimes de cetéloignement durable de l’emploi sont les chômeurs les plus âgés : plus dela moitié des demandeurs d’emploi de 50 ans et plus sont inscrits à l’ANPEdepuis plus d’un an.

En dehors de cette influence particulière de l’âge, on retrouve pour leschômeurs de longue durée les caractéristiques des populations les plusatteintes par le chômage en général. Ainsi, les femmes sont un peu plustouchées que les hommes de même que les personnes les moins formées ouqualifiées sont plus affectées que les autres (35.% des chômeurs cadres sontinscrits depuis plus d’un an, 43.% des chômeurs ouvriers spécialisés). Lestechniciens, dont le taux de chômage est un des plus bas, sont aussi les mieuxpréservés du chômage de longue durée (30.% des demandeurs d’emploi lesont depuis plus d’un an dans cette catégorie).

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3. Évolution du CLD par tranche d'ancienneté (données brutes, cat. 1 + 6)

2. Évolution des DEFM et du chômage de longue durée, catégorie 1 + 6, données CVS

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Le chômage de longue durée affecte diversement les régions, le plussouvent conformément à leur situation en matière d’emploi. En Alsace, oùle taux de chômage est le plus bas, la part des chômeurs de longue duréedans l’ensemble des demandeurs d’emploi est également la plus faible(27,7.%). À l’inverse, elle est maximum en Haute-Normandie (43,3.%) oùle taux de chômage est élevé.

Chômage de longue durée ne signifie pas nécessairement rupture complèteavec le marché du travail. Il n’est pas rare que des personnes qui restent inscritesà l’ANPE pendant plus d’un an exercent des activités réduites, de façon plusou moins récurrente : 54,3.% des chômeurs de longue durée toujours inscrits àl’ANPE en novembre 1997 ont exercé une activité réduite au moins une foispendant leur période de chômage en cours. Pour un large tiers d’entre eux,l’activité réduite occupe plus de la moitié de la période de chômage.

Cette notion d’activité réduite recouvre des situations très variablespuisqu’il peut s’agir d’une heure de travail dans le mois, aussi bien que d’unemploi occasionnel à temps plein. Dans 16.% des cas, l’activité réduitecorrespond au moins à un mi-temps, exercé pendant plus de la moitié de ladurée de chômage. Il semble d’ailleurs, comme le montrent certaines études(Gélot et Sipres, 1993), que cela soit un élément favorable à la réinsertiondans un emploi plus durable. Ainsi, les chômeurs inscrits depuis un à troisans exercent-ils beaucoup plus souvent ce type de travail occasionnel queles chômeurs de très longue durée (trois ans et plus). Ces derniers se trouventbien souvent dans une logique d’éloignement du marché du travail, ycompris pour les «.petits boulots.», qui affaiblit progressivement leurschances de réinsertion.

Le chômage de longue durée : un processus sélectif

Pour les entrants à l’ANPE en 1996, le risque de passage au chômage delongue durée a été de 26,6.% (cf. encadré p. 94). Mais ce risque estinégalement réparti entre les demandeurs d’emploi et il n’évolue pas de lamême façon pour tous. Autrefois concentré sur les chômeurs les plus âgés,il se diffuse progressivement aux demandeurs d’emploi de 25 à 49 ans, etmême, quoique dans une moindre mesure, aux plus jeunes. Il reste toutefoisbeaucoup plus important après 50 ans qu’avant.

Ceci explique en partie qu’il soit particulièrement élevé pour les deman-deurs d’emploi ayant subi un licenciement, économique ou non (37.%). Eneffet, ces derniers sont souvent plus âgés que la moyenne. S’ajoute à cecileur positionnement particulier sur le marché du travail : ayant souventoccupé un emploi stable, à durée indéterminée, avant leur licenciement, ilss’adaptent sans doute plus difficilement à un nouveau contexte que lespersonnes qui alternent périodes de chômage et contrats à durée déterminéeou d’intérim.

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Si on élimine l’influence de l’âge, les demandeurs d’emploi de faiblequalification ont plus de risques de rester au moins un an au chômage queles plus qualifiés. Avant 50 ans, les techniciens, qui bénéficient toujoursd’une bonne position sur le marché du travail sont les mieux préservés (21.%seulement de ceux qui sont entrés au chômage au cours de l’année 1996 ysont toujours un an plus tard). Le risque est maximum pour les ouvriersspécialisés (30.%), et plus proche de la moyenne pour les employés (27,2.%)et pour les cadres (24,3.%).

On retrouve le même type de segmentation de la population quand ons’intéresse, non plus au risque de devenir chômeur de longue durée, maisaux chances de se réinsérer dans l’emploi quand on a déjà passé un an auchômage.

Une succession de mesures spécifiquesen faveur des chômeurs de longue durée

Après une phase de mise en place de très nombreux dispositifs au coursdes années quatre-vingt, les mesures spécifiques en faveur des chômeurs delongue durée se recentrent sur quatre dispositifs principaux : les Contratsinitiative emploi (CIE).; les Contrats emploi solidarité (CES) et leur prolon-gation, les contrats emploi consolidé (CEC).; les Stages d’insertion et deformation à l’emploi (SIFE).

Les premiers programmes du début des années quatre-vingt

La première mesure de politique d’emploi concernant les chômeurs delongue durée date de 1979 : il s’agit d’une prime à l’embauche pour desdemandeurs d’emploi de plus d’un an d’ancienneté, demandeurs qui sontégalement âgés de plus de 45 ans.

Face au développement du phénomène, l’ANPE met en place en 1982-1983 des procédures d’entretien systématique avec les demandeurs d’em-ploi atteignant leur treizième mois de chômage. Dans le même temps sontmis en place des stages de formation réservés aux chômeurs de longue durée(stages FNE-DELD).

Au début du second semestre 1985, est lancé un programme de formationde grande ampleur en faveur des chômeurs de longue durée : l’objectif estd’accueillir avant la fin de l’année 100.000 chômeurs de longue durée dansdiverses formules de stage. Ce programme marque une nouvelle étape : parson importance numérique et par son caractère innovant avec l’institutiondes «.stages modulaires.», l’offre de formation est plus étroitement définieà partir des réalités du public concerné.

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Le chômage de longue durée est de plus en plus utilisé comme critèred’éligibilité aux mesures catégorielles de la politique de l’emploi. Lesanalyses menées par l’ANPE ont conduit à distinguer trois types de chômagede longue durée : le chômage d’insertion (jeunes de moins de 25 ans à laformation insuffisante qui ne trouvent pas d’emploi), le chômage de recon-version (salariés victimes des mutations industrielles) auxquels certainsajoutent des personnes aux marges du marché du travail mais qui ne sontpas des chômeurs au regard de l’administration (chômeurs découragés,travailleurs intermittents). Ces analyses fondent la légitimité de dispositifsspécifiques.

Un déploiement à partir de 1986

À côté des mesures concernant les jeunes, on assiste après 1986 à undéploiement de mesures visant les chômeurs de longue durée. Les nombreuxdispositifs peuvent être classés en quatre catégories.

• Les stages de formation dont le nombre est augmenté.

• Des activités d’insertion ou de réinsertion en faveur des populationsles plus en difficulté. Les dispositifs expérimentaux, mis en place en1985-1986 par des collectivités locales et associant le versement d’unrevenu minimum à une contrepartie en Travaux d’utilité collective (TUC),ont été progressivement institutionnalisés puis étendus au plan national.

• Des formules de réinsertion en alternance sont mises en place pour leschômeurs de 26 ans et plus, elles combinent trois types de dispositifs : lestage de la formation professionnelle (Stage de réinsertion en alternance,SRA), le contrat de travail avec exonération des charges sociales (le Contratde réinsertion en alternance, CRA), l’exonération à l’embauche de CLDsortant de stage de formation. Ces deux dernières formules marquent l’ex-tension des subventions à l’emploi aux chômeurs de longue durée.

• La loi du 27 janvier 1987 crée un nouveau statut d’association inter-médiaire dont le rôle est d’embaucher et de mettre à disposition à titreonéreux des personnes dépourvues d’emploi. L’objectif est double : déve-lopper des activités nouvelles non assurées dans le contexte économiquelocal et favoriser la réinsertion économique et sociale des personnes sansemploi.

L’éventail des aides s’élargit encore en 1989

En janvier 1989 est mis en place le Contrat de retour à l’emploi (CRE)dans lequel viendra se fondre le CRA à la fin de 1989. Plusieurs fois modifié,ce dispositif vise à favoriser l’embauche des chômeurs de longue durée dansle secteur marchand grâce à la combinaison d’exonérations des cotisationssociales et d’une aide forfaitaire.

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Par ailleurs, la loi du 19 décembre 1989 unifie et transforme le statut despersonnes effectuant des activités d’intérêt général : jeunes, chômeurs delongue durée, bénéficiaires du RMI. Les TUC, les PIL (Programmes d’in-sertion locale, institués en 1987) et les activités d’intérêt général du RMI(août 1989) accordaient le statut de stagiaires de la formation profession-nelle à leurs bénéficiaires. Les titulaires du nouveau Contrat emploi solida-rité auront un statut de salarié, seront rémunérés au SMIC et employés àmi-temps dans des collectivités locales, des organismes de droit privé à butnon lucratif et des personnes morales de droit public. L’essentiel de larémunération est pris en charge par l’État.

Du côté des actions de formation, les modifications apportées sontinspirées par une volonté de simplification – les Actions d’insertion et deformation (AIF) se substituent à trois des actions de formation proposéesaux chômeurs de longue durée – et de meilleure prise en compte dessituations personnelles (le Crédit formation individualisé est mis en placepour les jeunes les moins qualifiés).

L’année 1992 sera enfin marquée par une mobilisation importante autourde l’insertion des chômeurs de longue durée (le programme «.900.000chômeurs de longue durée.»).

La loi quinquennale de 1993 apportera diverses modifications aux me-sures concernant les chômeurs de longue durée dont, notamment, la simpli-fication des formules de stage avec la création du SIFE.

Enfin, après l’élection présidentielle de 1995, le CIE se substitue auCRE : il comporte une incitation financière d’ampleur inédite (plus de 40.%d’allégement du coût salarial au niveau du SMIC) et non modulée, pourl’embauche de chômeurs inscrits depuis plus de douze mois. À l’automne1996, le CIE sera profondément réformé dans le sens d’un rapprochementavec l’ancien CRE (modulation de l’aide en fonction du profil du demandeurd’emploi).

Les trois logiques des politiquesen faveur des CLD

Les dispositifs en faveur des CLD s’articulent désormais schématique-ment autour de trois logiques principales.

• L’amélioration des capacités de réinsertion par les stages de formation(de natures diverses depuis la «.qualification.» à la «.remotivation.» et dontles bénéficiaires ont le statut de stagiaires de la formation professionnelle)et des actions plus légères (orientation, aide à la recherche d’emploi, bilanprofessionnel et personnel).

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• L’appui à l’embauche par la mise en œuvre de contrats aidés avecallégement du coût salarial. Ces mesures qui visent la réinsertion dansl’emploi marchand se développent à partir de 1987 avec successivement lesCRA, CRE et enfin CIE.

• Les emplois «.d’intérêt général.» et d’insertion. Il s’agit d’abord demesures concernant le champ non marchand et dont les CLD constituent undes publics prioritaires (CES et CEC). Il faut y ajouter des structuresd’insertion spécialisées ayant vocation à fournir des emplois à des personnesen grande difficulté : entreprises d’insertion et associations intermédiaires.Les CLD constituent une large part de leur public.

Plus de 800 .000 bénéficiaires de mesures spécifiquespour les chômeurs de longue durée en 1997

La succession des dispositifs mis en place se traduit depuis 1985 par uneprise en charge de plus en plus importante des chômeurs de longue duréedans le cadre de politiques spécifiques de l’emploi. À partir de la base dedonnées disponible à la DARES sur ce thème (DARES, 1996), il est possiblede mettre en évidence plusieurs traits caractéristiques de ces politiques.

• Alors que la prise en charge était tout à fait négligeable en 1985, lapart de bénéficiaires de ces politiques représente près de 40.% du chômagede longue durée en 1996 et 1997 (part calculée comme le ratio du stockannuel moyen de bénéficiaires de mesures CLD sur le stock annuel moyendes CLD plus les bénéficiaires de mesures CLD). La forte augmentationconstatée depuis 1990 correspond d’abord au déploiement des CES.(1)

complété à partir de 1995 pour les emplois marchands par les CIE (voirtableau 1).(2). Plus de la moitié des chômeurs de longue durée dans desmesures de politique d’emploi sont bénéficiaires d’un CIE (ou d’un CRE)en 1997. Le stock annuel estimé baissera en 1998 du fait du ciblage de cesmesures sur les chômeurs de très longue durée.

(1) On ne retient ici que les bénéficiaires âgés de plus de 25 ans, qui sont obligatoirementCLD. Les jeunes de moins de 26 ans ne sont pas comptés.; ils sont toutefois ces dernièresannées près de 60.% à être en même temps jeunes et CLD. Le nombre de CES considéré iciest donc un minorant.(2) Par ailleurs, si l’on estime le nombre de chômeurs de longue durée (inscrits depuis aumoins un an lors de leur entrée en mesure) présents dans une quelconque mesure depolitique de l’emploi, spécifiquement destinée aux CLD ou non, l’ordre de grandeur estle même que celui des bénéficiaires, CLD ou non, des mesures spécifiques CLD, tout aumoins sur les dernières années. Ce nombre est un peu inférieur au début des annéesquatre-vingt-dix, lors du développement massif des CES, CRE, AIF. Il était en revanchesensiblement supérieur (jusqu’à 3 fois) dans la seconde moitié des années quatre-vingt,avant la mise en place de ces dispositifs spécifiques.

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• La répartition des bénéficiaires entre les différents types de mesuresmontre l’affaiblissement progressif (en.%) des stages pour chômeurs delongue durée (voir graphique 4). En nombre, ils sont voisins de 70.000 entre1988 et 1993, puis leurs effectifs baissent rapidement après cette date pours’établir à 44.000 en 1997. En outre, depuis le début des années quatre-vingt-dix, les stages de prévention du chômage de longue durée mis en œuvre parl’ANPE (stages d’accès à l’emploi, stages de reclassement professionnelpuis stages individuels d’insertion et de formation à l’emploi) sont dévelop-pés et concernent chaque année plus de 10.000 personnes en moyenneannuelle.

• La réinsertion professionnelle des chômeurs de longue durée devientl’impératif principal au début des années quatre-vingt-dix d’abord vers desemplois non marchands (montée en charge très rapide à partir de 1990 avecla création des CES) puis vers des emplois marchands (à partir de 1991avec l’impulsion donnée au CRE puis au CIE.

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Stages chômeurs de longue durée

Prévention du chômage de longue durée

Emploi non marchand aidé

Exo. et primes à l'embauche de CLD

stocks annuels moyens estimés

Source : DARES.

4. Bénéficiaires des mesures spécifiques pour chômeurs de longue durée

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1. Les bénéficiaires des mesures spécifiquesen faveur des chômeurs de longue durée

Stocks annuels moyensE

xo. e

t prim

es à

l’em

bauc

he d

e C

LD

Em

ploi

non

mar

chan

dai

Pré

vent

ion

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hôm

age

de lo

ngue

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Tot

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Nom

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de c

hôm

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dur

ée (

CLD

)

Bén

éfic

iaire

s de

mes

ures

CLD

/ (C

LD+

bén

éfic

iaire

s)

1976 0 0 500 0 500 *1977 0 0 700 0 700 *1978 0 0 600 0 600 *1979 224 0 1 000 0 1 224 *1980 2 949 0 900 0 3 849 337 766 1 % 1981 2 489 0 1 000 0 3 489 394 266 1 % 1982 286 0 1 700 0 1 986 506 168 0 % 1983 0 0 1 500 2 904 4 404 533 948 1 % 1984 0 0 2 300 7 550 9 850 614 305 2 % 1985 0 0 3 700 16 771 20 471 725 605 3 % 1986 0 446 3 300 30 238 33 984 756 629 4 % 1987 1 413 6 102 3 700 35 493 46 708 841 871 5 % 1988 37 358 17 863 3 750 71 500130 471 789 589 14 % 1989 50 055 12 068 5 969 69 886137 978 791 146 15 % 1990 63 121 25 046 7 629 68 457164 253 781 472 17 % 1991 79 068 83 061 10 235 62 516234 880 820 712 22 % 1992 91 358 148 042 10 562 68 917318 879 908 592 26 % 1993 107 171 236 722 11 250 70 263425 406 972 297 30 % 1994 147 768 268 346 11 433 58 512486 059 1 168 115 29 % 1995 200 192 317 122 10 981 62 802591 097 1 204 249 33 % 1996 356 480 304 406 9 320 55 806726 012 1 166 149 38 % 1997 459 947 289 179 10 155 44 475803 756 1 293 563 38 %

. Exonérations et primes à l’embauche de CLD : prime à l’embauche de cadres ou de salariés âgés deplus de 45 ans, exonérations 1987-1988, puis CRE et enfin CIE .

. Emploi non marchand aidé : PIL, PLIF, CLR, puis CES de plus de 25 ans et CEC.

. Prévention du chômage de longue durée (stages mis en œuvre par l’ANPE) : stages de mise à niveau,de reclassement professionnel, puis stages d’accès à l’entreprise et SIFE individuels.

. Stages pour chômeurs de longue durée : FNE/CLD, modulaires, de réinsertion en alternance, actionsd’insertion et de formation (AIF), femmes isolées, puis SIFE collectifs.

* Série rétropolée à partir de 1982 à la suite des recommandations du rapport Malinvaud ; estimation pour1980-1982.Nombre de CLD en 1995 : estimé.

Sources : Ministère de l’Emploi et de la Solidarité, DARES et ANPE.

104 CONSEIL D’ANALYSE ÉCONOMIQUE

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2. Dépenses pour les mesures spécifiques en faveur des CLD

En millions de francs

1985 1986 1987 1988 1989 1990 1991 1992 1993 1994 1995 1996

Exo. et primesà l’embauche de CLD

0 0 85 658

1 005

2 033 2 921

2 231

2 741

3 506

5 963

12 061

Pr. embauche de salariésâgés de + 45 ans

- - - - - - - - - - - -

Exo. 50 % embauchede CLD

- - 20 259 0 0 0 - - - - -

Contrat de réinsertionen alternance (CRA)

- - 65 399 953 911 42 0 - - - -

Contrat de retour àl’emploi (CRE)

- - - - 52 1 122 2 879 2 231 2 741 3 506 5 315 2 989

Contrat initiative emploi(CIE)

- - - - - - - - - - 648 9 072

Emploi non marchandaidé

0

14 271

510 230

939

3 606 6 577

11 731

12 860

15 479

17 425

Programme d’insertionlocale

- - 22 208 145 46 1 0 0 - - -

Programme locald’insertion des femmes

0 14 42 55 49 21 5 1 0 - - -

Complément localde ressources

- 0 207 248 37 0 - - - - - -

Contrat emploi -solidarité (CES) / CLD

- - - - - 872 3 600 6 576 11 663 12 285 14 107 14 247

Emploi consolidé (CEC) - - - - - - - 0 68 575 1 371 3 178

Prévention du chomagede longue durée

144

172

175

222

316 433 515

789

623 374 399 339

Stages de mise à niveau(ANPE)

144 172 175 222 216 235 0 - - - - -

Stages d’accès à l’emploi(ANPE)

- - - - - - 300 457 395 294 272 270

Stages de reclassementprofessionnel

- - - - 100 198 215 332 228 0 - -

Stages d’insertion et deformation à l’emploi(individ.)

- - - - - - - - - 80 127 68

Stages chomeurs delongue durée

1 343

3 015

2 914

5 673

5 101

5 242

4 785 4 842

5 648

4 806 4 827

3 932

Stages FNE / CLD 799 1 133 995 1 214 1 935 1 146 139 0 - - - - Stages modulaires(ANPE)

544 1 820 1 822 2 928 1 621 333 80 0 - - - -

Stages de réinsertionen alternance (FFPPS)

- 0 75 1 442 1 372 546 0 0 - - - -

Actions d’insertionet de réinsertion

- - - - - 2 892 4 236 4 590 5 483 2 322 11 3

Stages FNE / Femmesisolées

0 63 22 90 173 325 329 252 166 85 9 3

Stages d’insertion et deformation à l’emploi(collect.)

- - - - - - - - - 2 399 4 808 3 926

Total 1 488 3 201

3 445

7 063

6 653

8 647

11 827

14 439

20 744

21 546

26 668

33 756

Total rapporté au PIB(en %)

0,03 0,06 0,06 0,12 0,11 0,13 0,17 0,21 0,29 0,29 0,35 0,43

Total rapporté àl’ensemble des mesuresspécifiques de politiquede l’emploi (en %)

2,0 4,0 4,2 8,9 8,9 11,1 14,4 16,4 20,2 20,2 24,6 29,0

Source : Ministère de l’Emploi et de la Solidarité, DARES.

105PAUVRETÉ ET EXCLUSION

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Un effort financier qui correspond à plus de 0,4 .%du PIB en 1996

La part prise par les dispositifs CLD dans l’ensemble des mesuresspécifiques de politique de l’emploi augmente régulièrement comme lenombre de bénéficiaires : autour de 10.% dans la fin des années quatre-vingt.; près de 30.% en 1996 du fait du coût du programme CIE dans sadéfinition la plus large (voir dernière ligne du tableau 2).

Ces programmes sont longtemps restés beaucoup plus faibles (en.% duPIB) que ceux consacrés aux cessations anticipées d’activité. Ainsi, lespouvoirs publics consacraient 53 milliards de francs aux préretraites en1985, soit 1,12.% du PIB, et seulement 1,5 milliard de francs pour lesmesures en faveur des chômeurs de longue durée. Dix ans plus tard, en 1995,les mesures spécifiques en faveur des chômeurs de longue durée (27 mil-liards de francs) atteignent 0,35.% du PIB, soit plus que les cessationsanticipées d’activité (23 milliards de francs, soit 0,30.% du PIB).

Les effets macro-économiques à court termesur le chômage et sur l’emploi

L’évaluation des effets macro-économiques à court terme menée surl’ensemble des dispositifs de politique de l’emploi peut permettre d’estimerl’impact sur le niveau de l’emploi et du chômage des politiques en faveurdes chômeurs de longue durée.

Ces effets sont différents selon que les mesures concernent les incita-tions à l’emploi marchand, les créations d’emploi dans le secteur nonmarchand ou les stages de formation. Dans le premier cas l’impact surl’emploi est calculé en fonction de la baisse du coût du facteur travail pourles entreprises permise par l’utilisation de la mesure sur la base d’uneélasticité emploi-coût du travail conventionnelle (de 0,6, cf. l’évaluationprésentée dans 40 ans de politique de l’emploi). L’impact, dans l’absolurelativement faible, tient compte des effets de substitutions entre emploissubventionnés et emplois non aidés. L’effet sur le chômage tient comptedes effets d’appel sur la population inactive. L’effet sur l’emploi du CIEinitial (1995), pour une année donnée, est estimé à 20.% de la variation dunombre des bénéficiaires présents, compte tenu d’une baisse du coût dutravail de l’ordre de 40.% (voir tableau 3).

Pour les créations d’emplois non marchands, les subventions de l’Étatsont beaucoup plus importantes (elles représentent 90.% pour un CES et75.% pour un CEC). Les effets sur l’emploi sont en conséquence beaucoupplus forts, les effets de substitution jouant moins que dans le cas des emploismarchands. L’effet sur le chômage tient également compte pour ces emploisd’un effet d’appel de 20.%. Enfin dans le cas des stages adultes, pour

106 CONSEIL D’ANALYSE ÉCONOMIQUE

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lesquels il n’y a pas de créations d’emploi, l’effet sur le chômage tientcompte d’un effet d’appel plus faible que lors de créations d’emplois (10.%).Une analyse des effets à moyen long terme sur l’emploi et le chômagemodifierait la hiérarchie présentée (voir tableau 3) car elle tiendrait comptede la dynamique macro-économique défavorable des mesures de retraitd’activité (les stages) ou de créations d’emplois dans le secteur non mar-chand (effets Phillips et effets du financement).

3. Impact macro-économique à court terme des mesures d’aideà l’emploi ou de stage pour les chômeurs de longue durée

Mesure Baisse du coûtdu travail en %

Coefficientemploi

Coefficientchômage

Stages adultes - - - 0,90

Contrat emploi solidarité (CES) - 0,90 - 0,72

Contrat emploi consolidé (CEC) - 0,70 - 0,56

Contrat de retour à l’emploi(CRE)

30 0,15 - 0,12

Contrat initiative emploi CIE(1995) (*)

40 0,20 - 0,16

(*) À partir de juillet 1996, la prime est modulée et la baisse du coût du travail peut être de 20, 30 ou40.% selon la durée du chômage.Source : DARES : 40 ans de politique de l’emploi, La Documentation française, 1996.

L’analyse macro-économique résumée ci-dessus ne permet pas d’indi-quer actuellement l’impact spécifique des mesures en faveur du chômagede longue durée sur la structure du chômage alors même que ces mesuresluttent avant tout contre le caractère sélectif du marché du travail. Desenquêtes auprès des entreprises, dont l’objet est d’apprécier, du point de vuedes chefs d’entreprises, le mode d’utilisation des mesures et leur impact surla gestion des effectifs, fournissent de premiers éléments sur ce sujet. Malgréleur limites, ces enquêtes, qui permettent également d’apprécier l’effet netd’une mesure sur l’emploi, ont permis de repérer par exemple que, selon leschefs d’entreprises, dans plus d’un cas sur deux, le CIE a permis l’embauched’un salarié dont la durée de chômage était supérieure à celle qu’elle auraitété pour un salarié recruté sans la mesure.

107PAUVRETÉ ET EXCLUSION

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Comparaison de la situation des bénéficiairesaprès leur sortie des dispositifs

Un autre aspect de l’évaluation de l’efficacité de ces dispositifs consisteen la comparaison des situations des personnes bénéficiaires quelques moisaprès leur sortie de la mesure, en particulier grâce à la méthode des panels.

Les échantillons observés sont représentatifs de la structure socio-démo-graphique des populations concernées. Cette structure est différente d’unemesure à une autre : ainsi les bénéficiaires de stages adultes ont des niveauxde formation moins élevés que les bénéficiaires de contrats aidés dans lesecteur marchand.

4. Comparaisons des situations de bénéficiaires de trois mesuresde politique d’emploi, chômeurs de longue durée

En %

En novembre 1991, soit10 mois après la sortie

de mesure

En septembre 1995, soit au moins10 mois après la sortie de SIFEou de CES en décembre 1996,deux ans après l’entrée en CRE

CRE AIF CES CRE SIFE CES (1) CES (2)

Emploi non aidé 63 34 18 64 26 20 28 dont CDI 50 15 10 52 10 9 12 dont CDD 9 12 6 8 8 8 11 autre 4 7 2 4 8 3 5

Emploi aidé 1 9 33 4 23 35 9 dont CES 1 8 30 1 15 29 - autre 1 3 3 8 6 9

Total Emploi 64 43 51 68 49 55 37

Chômage 33 49 42 27 45 40 55

Stage formation 2 3 - 2 3 3 4

Inactivité 2 4 5 3 3 2 4

Total 100 100 100 100 100 100 100

CES (1) : Il s’agit de l’ensemble des situations des bénéficiaires y compris ceux qui sont toujours en CES.Ces situations sont calculées comme en 1991, en conservant dans la population ceux qui ont enchaînéau moins deux CES.CES (2) : Ne sont considérées que les situations des bénéficiaires qui ne sont plus en CES.

Source : Ministère de l’Emploi et de la Solidarité, DARES.

Le tableau 4 permet de comparer à 5 ans d’intervalle (1990-1991.;1995-1996) les situations des bénéficiaires des trois principales mesures.Dix mois après la sortie de ces mesures, les positions relatives entre emploinon aidé.; emploi aidé.; chômage.; stage formation.; inactivité sont quasi-ment identique pour les sorties de Contrats de retour à l’emploi (CRE) etdes Contrats emploi solidarité (CES 1 pour 1995-1996). En ce qui concerneles AIF (devenus SIFE après la loi quinquennale de 1993), la part en emploi

108 CONSEIL D’ANALYSE ÉCONOMIQUE

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non aidé a sensiblement baissé en cinq ans (34.% - 26.%) tandis que la parten emploi aidé augmentait (9.% - 23.%). Il semble que pour une fractionnon négligeable des sorties du SIFE, il soit proposé ensuite un Contratemploi solidarité (15.%) ce qui était moins fréquemment le cas en 1991(8.%).

Pour compléter l’évaluation, il sera nécessaire de disposer, grace à deséchantillons-témoins en cours d’analyse, des effets différentiels du passagepar ces mesures de chômeurs de longue durée (comparés à des populationsde chômeurs qui n’ont pas été bénéficiaires).

Propositions pour améliorer l’efficacitéde la réinsertion professionnelle des chômeursde longue durée

Quelques pistes d’action sont d’ores et déjà explorées pour prévenir lechômage de longue durée et pour améliorer la réinsertion professionnellede ceux qui se retrouvent dans cette situation. Ces actions sont cohérentesavec l’esprit des lignes directrices du sommet de Luxembourg sur l’emploi.Les seuls objectifs quantifiés européens qui correspondent à ces thèmessont :

– le «.nouveau départ.» pour les chômeurs avant qu’il n’atteignent 12mois de chômage.;

– la formation des chômeurs pour favoriser leur réinsertion sociale etprofessionnelle.

Élargir les propositions professionnellesfaites aux chômeurs de longue durée

Le succès des Contrats de retour à l’emploi puis des CIE n’est passeulement lié à la baisse du coût du travail qui les accompagne. Aussi bienen 1990 que 1995, neuf employeurs sur dix se déclarent globalement trèssatisfaits (64.%) ou plutôt satisfaits (26.%) du recrutement opéré. L’inser-tion professionnelle s’opère rapidement dans huit cas sur dix. On saitpourtant que cette insertion risque d’être d’autant plus difficile que l’éloi-gnement de l’emploi s’est prolongé.

Ne faut-il pas pour accompagner les personnes les plus fragiles par unsuivi plus individualisé qui, selon les cas, recourra à la formation ou auconseil de professionnels en vue de consolider la réinsertion qui s’amorce.?

L’ouverture des possibilités professionnelles devrait nous conduire éga-lement à attacher plus d’importance au thème de la création d’entreprises,même si pour ces publics fragiles, il s’agit d’abord de créer son emploi.

L’analyse de 80 programmes en Europe dans le cadre de l’objectif 2 desFonds structurels montre qu’à la différence de la France, il existe dans des

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pays comme l’Italie, le Danemark, la Grande-Bretagne, les Pays-Bas desoutils puissants et efficaces de création d’entreprises individuelles pour deschômeurs. Ces outils s’insèrent dans un redémarrage de zones «.quasisinistrées.» et bénéficient d’apports conjoints de l’État, des collectivitésterritoriales, des banques, du service public de l’emploi, etc.

Les actions coordonnées et cohérentes n’excluent naturellement pas lerecours à des outils individuels tels que l’ACCRE ou les prêts à faible intérêtavec différé. Elles doivent également s’insérer dans un contexte réglemen-taire administratif, fiscal favorable à la création d’entreprises individuelles.

Favoriser la reprise de l’emploi par « .l’intéressement .»

Les cumuls prestation-revenu d’activité destinés à favoriser la reprisepuis le maintien de l’emploi sont des formules déjà mises en œuvre, en casde perception d’une indemnité de chômage ou du RMI. Pourtant leurexistence est peu connue et surtout les mécanismes mis en œuvre sont trèsdifférents selon les situations personnelles ou professionnelles des intéres-sés.

La complexité des calculs, les délais différents de mise en œuvre selonles prestations donnent aux intéressés un sentiment de flou : «.On ne saitjamais d’avance ce que l’on va toucher.».

Les mécanismes d’intéressement apportent des différences de ressourcessignificatives entre leur niveau sans travail et leur niveau avec travail,comme l’ont montré les études de l’ODAS (mars 1997) entre le RMI etl’emploi au SMIC. La situation est très différente pour les emplois à tempspartiel : ainsi pour un emploi à mi-temps rémunéré sur la base du SMIChoraire, la différence de ressources n’est significative que pendant la périodeavec intéressement.

Ainsi l’évolution des mécanismes d’intéressement doit-elle viser une har-monisation et une homogénéité croissante des dispositifs dont la lisibilitéactuelle est faible. Il convient également d’homogénéiser les périodes d’appli-cation pour un allocataire ou un prestataire des dispositifs d’intéressement ainsique les délais de mise en œuvre, si possible en les raccourcissant.

Les liens avec les droits dérivés tels qu’allocation logement, garded’enfants, transports, sont eux mêmes modifiés selon les niveaux d’intéres-sement et selon les modalités de perception de l’allocation ou de la presta-tion. Il s’agit d’un ensemble de réglementation complexe, là encore peulisible, dont les effets incitatifs à la reprise d’emploi sont très variables.

Serait-il possible là encore de simplifier, d’harmoniser cette réglemen-tation pour supprimer les effets désincitatifs éventuels et également pourfaciliter la vie quotidienne des chômeurs ou des bénéficiaires des prestationsd’aide sociale vers la reprise d’emploi.?

110 CONSEIL D’ANALYSE ÉCONOMIQUE

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Accroître l’efficacité du service public de l’emploien vue de favoriser l’insertion professionnelle

Les objectifs ambitieux du sommet «.emploi.» de Luxembourg reposentsur la capacité qu’aura le service public de l’emploi et notamment sonopérateur principal l’ANPE à proposer dans une démarche préventive un«.nouveau départ.» aux jeunes et aux chômeurs adultes avant qu’ils n’attei-gnent un an d’ancienneté d’inscription.

Les orientations décidées à Luxembourg par les chefs d’État et deGouvernement sont très inspirés par les initiatives prises depuis longtempsen Suède ou au Danemark, plus récemment aux Pays-Bas et actuellementen Grande-Bretagne.

L’expérience des pays européens montre l’importance des moyens qu’ilsconsacrent à ces programmes. À titre d’exemple le programme «.nouveaudépart.» pour les jeunes en Grande-Bretagne porte sur 250.000 jeunes,jeunes auxquels sont proposés quatre options par le «.Service de l’emploi.».Celui-ci consacrera 5.000 personnes à ce programme pendant 2 ans.!

Les programmes nécessaires par la réinsertion professionnelle des chô-meurs de longue durée seront sans doute, proportionnellement au nombre,d’ampleur comparable ou supérieure.

Comme le mettent bien en évidence des enquêtes du CREDOC auprèsde chômeurs de longue durée, «.la demande adressée au service public del’emploi, quelque soit d’ailleurs l’ancienneté, est une demande de repèresdans la recherche d’emploi : aide à la connaissance du marché du travail,évaluation de leurs démarches, bilans réguliers, demande également dereconnaissance sociale expliquant la forte attention aux rapports humains.»(Aldeghi, 1998).

L’intensité de la recherche est plus faible au fur et à mesure que l’on vades chômeurs récents aux chômeurs anciens. Ainsi cet accompagnementpour l’emploi est une entreprise coûteuse non seulement par le temps qu’ilconvient de consacrer à chaque chômeur mais encore plus par l’ampleur despopulations qui sont concernées.

Cet effort des pouvoirs publics n’est pas seulement justifié par le respectd’un objectif européen auquel le gouvernement français est particulièrementattaché. Il est cohérent avec un contexte de croissance économique où despossibilités d’emplois nouveaux apparaissent. Il serait politiquement insou-tenable et socialement dangereux de ne pas agir vigoureusement pourréduire le «.noyau dur.» des chômeurs de longue durée dans les phases dereprise économique et de créations d’emplois.

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Références bibliographiques

Aldeghi I. (1998), «.Les chômeurs de longue durée sont-ils si différents deschômeurs récents.?.», Cahiers de la Recherche, no 112, CREDOC,janvier.

DARES (1996), 40 ans de politique de l’emploi, La Documentation fran-çaise.

Gélot D. et Sipres N. (1993), «.Entre réinsertion et exclusion : logiques desitinéraires des chômeurs de longue durée.», Travail et Emploi, no 55.

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Annexe 1

Les minima sociaux en France

Laurent Caussat

Conseil d’Analyse Économique

L’expression «.minima sociaux.» désigne des prestations sociales quivisent à porter les ressources d’une personne ou d’un ménage à un niveauminimum. Fruit d’une construction historique progressive dans le contexted’une protection sociale organisée principalement dans le cadre profession-nel, le système français de minima sociaux compte huit allocations :

– le minimum vieillesse est versé aux personnes âgées de 65 ans etplus, ou dès l’âge de 60 ans en cas d’incapacité au travail, et complèteles pensions de vieillesse de façon à garantir un minimum de ressourcesà ces personnes.;

– le minimum invalidité est versé aux personnes qui sont privées avant60 ans de leurs capacités au travail en raison de maladies ou d’accidents nonprofessionnels, et complète les pensions d’invalidité dans les mêmes con-ditions que le minimum vieillesse.;

– l’Allocation aux adultes handicapés (AAH) est réservée aux personnesatteintes d’un handicap d’origine non professionnelle et qui n’ont pas droità une pension d’invalidité.;

– l’Allocation de parent isolé (API) est une prestation familiale verséeaux pères et mères qui élèvent seuls un ou plusieurs enfants, tant que ledernier enfant n’a pas atteint son troisième anniversaire.;

– l’allocation d’assurance veuvage est versée aux veufs et veuves demoins de 55 ans, qui ne peuvent donc pas bénéficier d’une pension deréversion du régime général de la Sécurité sociale, pendant les trois annéesqui suivent le décès du conjoint ou jusqu’à l’âge de 55 ans si le bénéficiairea plus de 50 ans au moment du décès du conjoint. Le barème de l’allocationd’assurance veuvage est dégressif avec l’ancienneté dans ce dispositif.;

– l’allocation d’insertion, initialement prévue en faveur de l’ensembledes personnes désireuses de s’insérer sur le marché du travail, mais qui ne

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peuvent bénéficier de prestations d’assurance chômage, n’est plus ouverteaujourd’hui qu’à des catégories spécifiques (rapatriés, réfugiés, salariésanciennement expatriés, salariés victimes d’un accident du travail ou d’unemaladie professionnelle et en attente d’un stage de rééducation, de réadap-tation ou de formation professionnelle...).;

– l’Allocation de solidarité spécifique (ASS) est versée aux demandeursd’emploi qui ont épuisé leurs droits à indemnisation du chômage au titre durégime d’assurance.;

– enfin, le Revenu minimum d’insertion (RMI), créé en 1989, est uneprestation qui s’adresse à toutes les personnes âgées de 25 ans et plus.(1), etqui vise à porter leurs ressources à des montants minima, et ce indépendam-ment de conditions liées à l’activité professionnelle antérieure ou à lasituation familiale, au contraire des sept dispositifs précédents qui compor-tent tous un minimum de conditionnalité. Il complète l’ensemble du systèmede transferts sociaux de façon à garantir en principe que nul ne puissedisposer de ressources inférieures aux minima. L’ouverture du droit au RMIa toutefois pour contrepartie la signature d’un contrat d’insertion qui obligel’allocataire à entreprendre une démarche d’insertion professionnelle ousociale.

Les principales caractéristiques de ces prestations (année de création,organismes gestionnaires, nombre d’allocataires, montant maximal de l’al-location, plafond de ressources) sont présentées dans le tableau 1.

Au total, ce sont donc environ 3,4 millions de personnes en Francemétropolitaine et dans les départements d’outre-mer qui perçoivent l’un oul’autre de ces huit minima sociaux.

Le trait commun à ces allocations est leur caractère «.différentiel.» : leurmontant est calculé comme l’écart entre les ressources de l’allocataire et leplafond de ressources, limité au montant maximum de l’allocation. En cela,elles se distinguent d’autres prestations qui font intervenir un critère deressources, comme certaines prestations familiales pour lesquelles la totalitédes ressources n’est pas en général prise en compte et dont au surplus lesplafonds sont élevés, ou les aides au logement dont le montant est seulementdégressif avec le revenu.

L’analyse des minima sociaux et de leur incidence sur les comportementsindividuels a fait récemment l’objet de multiples travaux en France commeà l’étranger (pour une synthèse de ces travaux, cf. l’étude de l’OCDE, 1996).En France, le Conseil supérieur de l’emploi, des revenus et des coûts(CSERC) a consacré à ces thèmes son rapport de 1997. Plus récemment,dans le contexte des revendications soulevées par le mouvement des chô-meurs de la fin de l’année 1997, le Premier ministre a demandé un rapport

(1) Toutefois, le Revenu minimum d’insertion peut dans certains cas être versé avant 25 ans,notamment lorsque l’allocataire a des enfants à charge.

114 CONSEIL D’ANALYSE ÉCONOMIQUE

Page 115: Pauvreté et exclusion - CAEd’analyser les problèmes économiques du pays et d’exposer les différentes options envisageables. » Lionel Jospin, Premier Ministre Discours d’ouverture

sur les adaptations à apporter au système des minima sociaux à Mme Marie-Thérèse Join-Lambert, qui lui a été remis en février 1998. Enfin, aumoment où ces lignes sont écrites, le Parlement entame l’examen duprojet de loi d’orientation relatif à la lutte contre les exclusions. L’objec-tif de la présente annexe est donc d’exposer le diagnostic que fournissentces documents, et d’évoquer les mesures d’adaptation du système desminima sociaux récemment mises en œuvre ou susceptibles de l’êtreprochainement sitôt que le Parlement aura achevé l’examen du projet deloi d’orientation.

Une architecture complexe

Avec huit prestations distinctes, le système français des minima sociauxapparaît particulièrement diversifié. Dans la plupart des autres payseuropéens, il est fait un recours plus important à des dispositifs de revenuminimum universel. Tel est particulièrement le cas des Pays-Bas qui ontfait de longue date le choix d’un minimum social unique lié au salaireminimum, auquel peuvent s’ajouter le cas échéant des compléments enfaveur de certaines catégories particulières. La Grande-Bretagne compteessentiellement deux minima sociaux – l’un en faveur des demandeursd’emploi, l’autre en faveur des personnes âgées, handicapées ou invalides –,également susceptibles d’être majorés en fonction notamment de lacomposition familiale. La Belgique, enfin, connaît trois minima bénéfi-ciant respectivement aux personnes âgées, aux handicapés et aux deman-deurs d’emploi.

La diversité relative des dispositifs de minima sociaux en France estévidemment génératrice de coûts. On pense en premier lieu aux coûts degestion de ces multiples dispositifs. Mais on peut également évoquer, du pointde vue des assurés, les coûts d’accès à l’information et les coûts de transitiond’un dispositif à un autre. À cet égard, le rapport de Mme Join-Lambertévoque notamment le problème du délai qui peut s’écouler entre lasortie d’un dispositif et l’entrée dans un autre – typiquement, le passagede l’ASS au RMI –, et qui impose à l’allocataire un lourd effort detrésorerie. Il est enfin permis d’imaginer le trouble que cause à unepersonne en grande difficulté un changement de l’institution chargée delui verser ses prestations sociales : en cas, par exemple, de transition del’ASS vers le RMI, la personne doit non seulement mettre à nouveau enœuvre une série de démarches administratives, mais en outre le passaged’un interlocuteur unique – l’ASSEDIC – à deux nouveaux guichets – lacaisse d’allocations familiales et la collectivité locale – risque d’êtrepsychologiquement ressenti comme une étape supplémentaire dans ladégradation du statut social.

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1. Principales caractéristiques des minima sociaux

Allocation Année decréation

Organismesgestionnaires

Nombred’allocataires(en milliers)

Allocationmaximale

Plafond deressources

Minimumvieillesse

1941, 1956 Régimes deretraite debase

942 3 471 3 555

Minimuminvalidité

1930 Régimesd’assurancemaladie

99 3 471 3 555

Allocationaux adulteshandicapés

1975 Organismesdébiteurs desprestationsfamiliales

631 3 471 4 825

Allocationde parentisolé

1976 Organismesdébiteurs desprestationsfamiliales

163 3 680 (a) 3 680 (a)

Allocationd’assuranceveuvage

1980 Caissenationaled’assurancevieillesse

17 3 107 (b) 3 884 (b)

Allocationd’insertion

1979 ASSEDIC 15 1 311 3 933

Allocationde solidaritéspécifique

1984 ASSEDIC 516 2 265 5 284

Revenuminimumd’insertion

1989 Organismesdébiteurs desprestationsfamiliales

1 049 2 138 (a) 2 138 (a)

Notes : Les effectifs d’allocataires s’entendent France entière (métropole + DOM) et au 31 décembre1996, à l’exception du RMI dont la totalisation est arrêtée au 30 juin 1997. Les montants maxima et lesplafonds de ressources des différentes prestations correspondent aux barèmes en vigueur au 1er janvier1998 pour une personne seule, sauf dans le cas de l’allocation de parent isolé où l’on a retenu le barèmeapplicable à un parent isolé avec un enfant.(a) : Déduction faite du « forfait logement ». (b) : Barème de la première année de veuvage.Sources : CSERC (1997), ministère de l’Emploi et de la Solidarité.

Ce cas particulier de la coexistence de l’ASS gérée par le régimed’indemnisation du chômage et du RMI géré par les organismes débiteursdes prestations familiales permet d’introduire les justifications institution-nelles et économiques à la spécificité française de complexité du systèmedes minima sociaux. Historiquement, la France a opté pour un système deprotection sociale de type «.bismarckien.», dans lequel la couverture desrisques sociaux est principalement assurée dans le cadre professionnel etfinancée au moyen de cotisations prélevées sur les revenus professionnels.Ce système s’oppose à l’approche «.beveridgienne.» qui pose en principe lacouverture de chaque individu indépendamment de son statut au regard del’activité professionnelle et est financé très largement par l’impôt.

116 CONSEIL D’ANALYSE ÉCONOMIQUE

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Dans un système de protection sociale de type «.beveridgien.», lesminima sociaux sont une composante ordinaire des transferts sociaux. Àl’inverse, dans un système de type «.bismarckien.», ils imposent une déro-gation au principe d’affiliation à la couverture sociale sur une base profes-sionnelle. C’est la raison pour laquelle, en France, les minima sociaux sesont développés dans un premier temps dans une relation de subsidiaritéavec les mécanismes d’assurance sociale : le minimum vieillesse a ainsi étécréé puis consolidé pour améliorer les ressources des personnes âgées quin’ont acquis que des droits à retraite réduits.; l’Allocation de solidaritéspécifique a du être mise en place en 1984 pour tenir compte du nombrecroissant de personnes qui épuisaient leurs droits à indemnisation du chô-mage dans le cadre du régime d’assurance. Mais cette approche des minimasociaux comme compléments aux assurances sociales a fini par trouver seslimites, ce dont rend compte la création du Revenu minimum d’insertion,allocation nettement déconnectée des systèmes de Sécurité sociale.

Sans approfondir la discussion des avantages respectifs des deux systè-mes, on notera cependant que, à côté des coûts de gestion et de la faible visibilitédu système français des minima sociaux d’inspiration «.bismarckienne.»,celui-ci assure néanmoins une bonne complémentarité entre les assurancessociales et l’État. Complémentarité technique, d’abord, l’État assurant lefinancement des minima sociaux, et les régimes sociaux mobilisant leursinfrastructures d’instruction des demandes et de suivi social des allocataires.Complémentarité économique, ensuite, par l’allocation concomitante desdeux instruments de politique sociale que sont la Sécurité sociale et le budgetde l’État aux deux objectifs d’assurance de l’ensemble de la population etd’assistance aux personnes les plus démunies, quand les systèmes «.beve-ridgiens.» tendent à spécialiser l’intervention de l’État à l’assistance et àdéléguer largement la fonction d’assurance au marché.

Une législation qui présentecertains défauts de cohérence

Comme conséquence logique de cette complexité, les études récentesrelatives au système français des minima sociaux font apparaître des lacunesdans sa cohérence globale. Afin de ne pas alourdir le propos, on se limiteradonc à celles d’entre elles qui apparaissent les plus criantes, en portant uneattention particulière aux conditions dans lesquelles sont prises en compteles ressources du conjoint et les enfants à charge.

Dans un système de minima sociaux subsidiaires à l’assurance sociale,les divers dispositifs s’adressent à des catégories de bénéficiaires en principeaisément identifiables. Le fait, d’ailleurs, d’identifier sans difficulté lesbénéficiaires des différents dispositifs, est un facteur de réduction des coûtsd’organisation des minima sociaux adossés à des systèmes de Sécurité

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sociale de type «.bismarckien.». En principe, donc, dans le système françaisde minima sociaux, les publics bénéficiaires des différents dispositifs doi-vent correspondre à des catégories claires : personnes âgées, invalides,handicapés, veufs et veuves, chômeurs de longue durée... Or, d’une part, lescatégories définies par ces dispositifs sont entachés d’une certaine incerti-tude : selon le rapport de Marie-Thérèse Join-Lambert.(2), la population desbénéficiaires de l’AAH est marquée par une sur-représentation des femmesâgées sans qualification, qui laisse à penser que des personnes en difficultédurable d’insertion sur le marché du travail, qui relèveraient logiquementde l’ASS ou du RMI, parviennent à bénéficier d’une allocation au titre duhandicap. On sait par ailleurs que dans bien des cas les parcours individuelsdes personnes en difficulté les amènent à passer d’un minimum social àl’autre, et des cumuls de deux dispositifs sont même possibles : ainsi, 7.%des bénéficiaires de l’ASS bénéficieraient simultanément du RMI (Amiraet Favre, 1996). D’une façon générale, la mise en place du RMI illustre leslimites de la stratégie d’appréhension des personnes pauvres à travers descatégories objectives de désavantages.

Indépendamment du flou qui entoure la définition des différentes caté-gories éligibles aux minima sociaux, les montants des diverses allocationss’étagent dans un intervalle assez large : pour une personne isolée, lemontant des ressources reçues est supérieur de 60.% lorsqu’il bénéficie duminimum vieillesse, du minimum invalidité ou de l’AAH, par rapport aumontant auquel ouvre droit l’ASS ou le RMI (voir tableau 1). Cet écartimportant illustre les préférences implicites de la société française quant àla lutte contre la pauvreté (Fleurbaey, Martinez et Trannoy, 1998), quisemblent imputer au titulaire de l’ASS ou du RMI une responsabilité plusimportante de sa situation de pauvreté qu’au bénéficiaire des minimasociaux liés à la vieillesse, à l’invalidité ou au handicap.

Les conditions dans lesquelles sont prises en compte les ressources duconjoint ou la présence d’enfants à charge sont un troisième facteur impor-tant de disparité. Des allocations comme l’AAH ou l’ASS peuvent êtreamplement cumulées avec les ressources du conjoint, les plafonds deressources pour un couple étant approximativement doubles de ceux appli-cables à une personne isolée. En revanche, dans le cas du RMI ou des minimavieillesse ou invalidité, ce sont les montants maxima des allocations qui sontrelevés pour un couple par rapport à une personne isolée, de 50.% environ.En pratique, cela signifie que l’AAH ou l’ASS est cumulable avec desressources du conjoint approximativement égales au SMIC mensuel, tandisque le bénéfice du RMI et des minima vieillesse ou invalidité disparaît dèsque le conjoint dispose de ressources modestes (900 francs par mois dans le

(2) Notamment l’annexe 5 : «.Les minima sociaux : faiblesses du système actuel.», note deCatherine Zaidman. Cette note fait elle même référence à une étude de Roussel et Velche(1997).

118 CONSEIL D’ANALYSE ÉCONOMIQUE

Page 119: Pauvreté et exclusion - CAEd’analyser les problèmes économiques du pays et d’exposer les différentes options envisageables. » Lionel Jospin, Premier Ministre Discours d’ouverture

cas du RMI, 3.000 francs par mois dans le cas du minimum invalidité). Detelles différences de traitement sont aisément compréhensibles : en avanta-geant relativement les allocataires de l’ASS ou de l’AAH, elles visent àpréserver l’individualisation des droits dans le cas de la première de ces deuxallocations, et par là même à lui conserver une visibilité «.assurantielle.», età reconnaître les droits individuels de la personne handicapée. Elles expo-sent toutefois les bénéficiaires de ces deux dispositifs à de fortes fluctuationsde leurs ressources en cas de rupture du couple.

2. Prise en charge des enfants selon le RMIet les prestations familiales

En francs par mois

Nombre d’enfants Prestationsfamiliales

Supplémentde RMI (*)

1 enfant de moins de 3 ans 975 590

1 enfant de 3 ans et plus 0 590

2 enfants dont 1 de moins de 3 ans 1654 1319

2 enfants de 3 ans et plus dont 1 de moins de 10 ans 679 1319

2 enfants de 10 ans et plus 870 1319

2 enfants de 15 ans et plus 1018 1319

3 enfants : 1 de moins de 3 ans et 2 de moins de 10 ans 2523 2291

3 enfants : 1 de moins de 3 ans et 2 de 10 ans et plus 2905 2291

3 enfants : 1 de moins de 3 ans et 2 de 15 ans et plus 3202 2291

3 enfants de 3 ans et plus dont 2 de moins de 10 ans 2623 2291

3 enfants de 3 ans et plus dont 1 de moins de 10 ans 2814 2291

3 enfants : 1 de 10 ans et plus, 2 de 15 ans et plus 3301 2291(*) : Par rapport à un couple sans enfant.Source : Rapport « Chômage : mesures d’urgence et minima sociaux », par Mme Marie-ThérèseJoin-Lambert, La Documentation Française, 1998.

La situation est plus complexe encore en ce qui concerne le traitementdes enfants à charge dans les barèmes des minima sociaux. Alors même quela France possède un système de prestations familiales quasi-universelles,il est en premier lieu frappant de constater que plusieurs des minima sociauxne prennent aucunement en compte la présence d’enfants à charge, ni dansle montant maximal ni dans le plafond de ressources : c’est le cas del’allocation d’insertion, de l’ASS, de l’allocation d’assurance veuvage et del’AAH. En revanche, dans le cas du RMI (voir tableau 2), les barèmestiennent compte du nombre d’enfants d’une façon dans l’ensemble plusfavorable que le barème général des allocations familiales, du moins pourles enfants de rang un et deux : le premier enfant ouvre droit à une majorationde prestation de 600 francs mensuels environ, alors qu’il n’existe pasd’allocation familiale au premier enfant.; le deuxième enfant donne droit à

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une nouvelle majoration de 700 francs environ, alors que les allocationsfamiliales pour deux enfants s’élèvent à 700 francs par mois. La législationn’explicite pas les raisons qui la conduisent à retenir des «.échelles d’équi-valence.» implicites très différentes selon les allocations.

Enfin, au chapitre des défauts divers de cohérence, on citera les règlesprésidant à la revalorisation des minima sociaux. Seul le RMI bénéficied’une règle explicite de revalorisation en référence à l’évolution des prix.Les textes sont muets en ce qui concerne les autres allocations, mais lapratique générale a consisté à revaloriser les allocations en fonction des prixet accorder de temps à autre des «.coups de pouce.», comme cela a été le casen 1995 et en 1996 en ce qui concerne les minima vieillesse et invalidité etl’AAH. À l’inverse, l’ASS a vu son pouvoir d’achat s’éroder, du fait del’absence de revalorisation certaines années, comme en 1995 et en 1996.

Des mécanismes générateurs de « .trappesà pauvreté .» qui dissuadent au retour à l’emploi

Au-delà des problèmes liés aux disparités d’une législation complexe,les études les plus récentes mettent l’accent sur les risques de maintiendurable dans la pauvreté des bénéficiaires des minima sociaux, du fait de lafaiblesse des gains monétaires qu’ils peuvent escompter d’un retour à l’emploi,phénomène généralement désigné sous le nom de «.trappe à pauvreté.». Plu-sieurs études françaises et étrangères accréditent en effet aujourd’hui l’idéed’une sensibilité des comportements d’offre de travail des bénéficiaires deminima sociaux aux incitations financières (OCDE, 1996).

Ainsi, Piketty (1997) a mis en évidence certains effets désincitatifs desrevenus sociaux sur l’offre de travail en France. S’agissant plus particuliè-rement de l’incidence des minima sociaux, il note ainsi que, parmi lesfamilles monoparentales, la position relative des familles avec un enfant parrapport à celle des familles avec trois enfants ou plus a été améliorée à lafaveur de la mise en place du RMI : or, le taux d’emploi des mères a diminuédans le premier cas et augmenté dans le second.

D’une façon générale, les obstacles que le système des minima sociauxmet au retour à l’emploi des bénéficiaires tient au fait qu’il s’agit d’alloca-tions différentielles. Dès lors, tout revenu perçu en deçà du plafond deressources a pour conséquence une réduction à due proportion du montantde l’allocation : ce revenu supporte donc un taux marginal de prélèvementde 100.% qui décourage l’emploi.

Certes, contrairement aux pays anglo-saxons, la France a maintenu unécart important entre le montant des minima sociaux et le salaire minimumà temps plein : ainsi, pour une personne seule, le montant du SMIC est plusdu double de celui du RMI. Mais si l’on tient compte de la probabilité élevée

120 CONSEIL D’ANALYSE ÉCONOMIQUE

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du bénéficiaire d’un minimum social de retrouver un emploi à tempspartiel.(3), des coûts d’opportunité de l’emploi (frais de garde des enfants,par exemple), de la perte de bien-être consécutive à la diminution du tempsde loisir, et enfin du jeu des barèmes sociaux comme l’allocation delogement, on peut aisément exhiber des cas dans lesquels les gains de revenudisponible en cas de reprise d’emploi paraissent limités. Selon des calculsmentionnés dans le rapport du CSERC (1997), un passage du RMI à un emploirémunéré au SMIC n’améliorerait que de 15 à 25.% environ les ressources decouples avec ou sans enfants, et en cas de passage à un emploi à temps partielapportant des ressources égales à un demi-SMIC, ces groupes supporteraientune diminution de leurs ressources comprise entre 20 et 25.%.(4). Seules lespersonnes isolées et les familles monoparentales obtiennent des gains signifi-catifs de ressources en cas de passage du RMI à l’emploi.

Ces remarques accréditent donc fortement l’hypothèse de l’existence de«.trappes à pauvreté.» au voisinage des emplois auxquels peuvent prétendreles allocataires des minima sociaux, même si les incitations à la reprised’emploi ne sont pas seulement monétaires, et qu’elles s’apprécient dans lemoyen terme et en tenant compte de la valeur sociale qui s’attache àl’exercice d’une activité professionnelle.

Des mesures visant à rendre l’emploi plus attractif

En réalité, le système français de minima sociaux est de longue date dotéde dispositifs visant à rendre le retour à l’emploi plus attractif. Il s’agitessentiellement des mécanismes «.d’intéressement.» qui autorisent un cu-mul partiel des allocations avec des revenus d’activité en cas de reprised’emploi. La priorité actuelle de la politique du Gouvernement en faveurdes personnes en difficulté réside dans la promotion du retour à l’emploi, etle projet de loi d’orientation relatif à la lutte contre les exclusions, en coursd’examen par le Parlement, comporte d’importantes modifications desmécanismes «.d’intéressement.», visant à en accroître l’ampleur et à enaméliorer l’efficacité.

(3) Selon l’enquête sur l’emploi de l’INSEE, un ménage sur six parmi ceux dont les membres quioccupent un emploi perçoivent une rémunération voisine du SMIC tire ses revenus d’activité d’unou de deux emplois à temps partiel. De même, la moitié des allocataires du RMI en insertion parl’emploi bénéficient d’un «.Contrat emploi solidarité.» ou d’un «.Contrat emploi consolidé.»,soit des contrats aidés à temps partiel.(4) Les calculs auxquels il est fait référence considèrent les différences définitives entre lesressources des bénéficiaires et celles des actifs occupés. Elles négligent en conséquence lessituations transitoires qui, du fait des mécanismes «.d’intéressement.» dans les minimasociaux évoqués plus loin, permettent un cumul temporaire et partiel de ces allocations et desrevenus d’activité.

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Dans l’attente de l’entrée en vigueur de ces modifications, la situationest la suivante. Le RMI est cumulable avec une activité professionnelle, dontle revenu n’est pris en compte que pour 50.% dans le calcul des ressourcesservant à déterminer le RMI, et ce pendant les 750 premières heuresd’activité. Un mécanisme analogue existe pour l’ASS, mais limité auxreprises d’activités réduites. Ces règles permettent certes de neutraliserpendant quelques mois la désincitation liée au caractère différentiel desallocations, mais la faible durée du cumul peut favoriser l’alternance depériodes de RMI et de périodes d’activité réduite au détriment du retourpermanent à l’emploi. Par ailleurs, elles souffrent de difficultés d’applica-tion dans le cas des allocataires du RMI bénéficiaires d’un contrat emploisolidarité : la rémunération de ces contrats, indexée sur le SMIC, a en effetdavantage progressé que l’intéressement qui leur est attaché, et de ce fait lepouvoir incitatif de cet intéressement s’est progressivement réduit. Enfin,avec la sortie du mécanisme d’intéressement prend également fin la neutra-lisation des revenus d’activité dans le calcul des allocations de logement, cequi entraîne une baisse de ces dernières et donc une réduction du revenudisponible des personnes ayant retrouvé un emploi. Les mécanismes d’in-téressement des allocataires des minima sociaux à la reprise d’emploiparaissent donc au total insuffisamment incitatifs, et ils présentent de plusdes incohérences, comme par exemple le fait qu’ils sont absents des règlesprésidant à l’API, alors même que l’intérêt d’un incitation au retour àl’emploi des parents isolés inactifs paraît incontestable.

Les propositions du projet de loi d’orientation relatif à la lutte contre lesexclusions consistent à créer un mécanisme d’intéressement en cas deperception de l’API, et à unifier ces mécanismes entre les diverses alloca-tions (ASS, RMI, API). Ces trois allocations pourront ainsi être intégrale-ment cumulées avec des revenus d’activité, dans la limite d’un plafond,pendant les trois premiers mois du retour à l’emploi. Les personnes pourrontencore percevoir 50.% de leur allocation du quatrième au neuvième mois,puis 25.% du dixième au douzième mois. Plus amples à leur début, d’unedurée plus longue, et présentant désormais un caractère dégressif, les règlesd’intéressement devraient grandement faciliter les conditions des transitionsindividuelles des minima sociaux vers l’emploi.

De plus, le projet de loi d’orientation apporte des corrections importantesaux défauts de cohérence de l’architecture d’ensemble des minima sociaux.En particulier, il pose le principe de la revalorisation de l’ensemble de cesallocations par référence à l’évolution des prix. Avant même l’entrée envigueur de cette mesure, des revalorisations importantes de l’ASS (+ 6.%)et de l’allocation d’insertion (+ 29.%) avaient été décidées à effet au1er janvier 1998 afin de compenser les pertes cumulées de pouvoir d’achatde ces deux allocations.

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D’une façon générale, l’orientation donnée à la politique de lutte contrela pauvreté et l’exclusion sociale est celle d’une sortie «.par le haut.».Au-delà du nécessaire rattrapage des conséquences de la progression duchômage sur les populations les plus exposées à la pauvreté, le programmedu gouvernement doit favoriser la sortie durable de la pauvreté au moyendu développement de l’emploi. C’est le sens en particulier du renforcementdes dispositifs d’insertion professionnelle des jeunes à l’aide du programme«.TRACE.» (Trajet d’accès à l’emploi) qui offre aux jeunes âgés de 16 à25 ans en grande difficulté d’insertion un accompagnement personnalisé etrenforcé vers l’emploi. Cette orientation s’oppose aux politiques d’assis-tance qui risquent d’enfermer les bénéficiaires des minima sociaux dansl’inactivité du fait de transferts sociaux dédiés principalement à l’indemni-sation des divers accidents de l’existence et trop peu à leur prévention. Maiselle tourne également le dos aux politiques axées sur la réduction de laprotection sociale et sur la flexibilité du marché du travail dont les résultatsen termes d’emploi ont pour contrepartie une grave insécurisation destravailleurs peu qualifiés.

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Références bibliographiques

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Roussel P. et Velche D. (1997), Caractéristiques des titulaires de l’alloca-tion aux adultes handicapés au titre de l’article 35-2 de la loi de 1975,CTNERHI, décembre.

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Annexe 2

Les emplois précaires sont-ilsun marchepied vers les emplois

stables en France.?

Laurence Blochet Marc-Antoine Estrade

INSEE

Dans un document récent, T. Atkinson (1998) oppose deux types desociétés selon la dynamique de l’exclusion :

– celles de « mobilité sociale » où les emplois précaires sont un marche-pied vers les emplois stables : une fois qu’ils ont prouvé leur «.employabi-lité.», les travailleurs occupant un emploi précaire ont par la suite une bonnechance de se voir proposer un emploi stable.;

– celles de «.séparation sociale.» où les emplois précaires sont destrappes à pauvreté conduisant à des situations de chômage récurrent. Lasphère «.emplois précaires-chômage.» est alors largement déconnectée decelle des emplois stables.

La présente note s’efforce de caractériser les dynamiques individuellessur le marché du travail en France au regard de ces deux types de sociétés.

En France, emploi stable et chômagesont des états stables

Pour la France, trois constatations ressortent des probabilités de transi-tion entre les états «.emploi stable.», «.emploi précaire.», «.inactivité.» et«.chômage.» calculées à partir des enquêtes annuelles sur l’emploi 1991-1997 (voir graphique 1) :

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• Tout d’abord, l’emploi stable est un état stable : 92.% des personnesoccupant un emploi stable en 1996 occupent un emploi stable en 1997.; lesprobabilités de passer d’un emploi stable à un emploi précaire, au chômageou à l’inactivité sont très faibles. Cette situation n’évolue guère au cours desannées quatre-vingt-dix.

• L’emploi précaire ouvre l’année suivante, à chances à peu près égales,sur trois états : l’emploi stable, l’emploi précaire et le chômage. Les person-nes occupant un emploi précaire en 1996 occupent en effet un emploi stableen 1997 pour 27.% d’entre elles, un emploi précaire pour 39.% d’entre elleset sont au chômage pour 28.% d’entre elles.(1).

Néanmoins, cette situation a évolué depuis le début des années quatre-vingt-dix : la probabilité d’occuper un emploi stable à partir d’un emploiprécaire l’année précédente a diminué de plus de sept points, parallèlementcelle de conserver un emploi précaire a augmenté d’autant, celle d’être auchômage à la suite d’un emploi précaire étant restée stable.

Suivant la classification d’Atkinson, ce constat placerait la société fran-çaise dans une logique de mobilité relative présentant néanmoins uneévolution vers une situation de «.séparation sociale.».

Statut en mars 1997

Statut en mars 1996

Emploi stable

Emploi précaire

Chômage

Inactivité

0

20

40

60

80

100

(%)

Emploi stableEmploi précaire

ChômageInactivité

1. Transitions sur le marché du travail

(1) 5.% d’entre elles sont en inactivité.

126 CONSEIL D’ANALYSE ÉCONOMIQUE

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• Enfin, le chômage est aussi un état relativement stable. Plus de lamoitié des chômeurs de l’année 1996 (57.%), se trouvent dans la mêmesituation l’année suivante, en 1997. Les sorties vers un emploi stable ouprécaire sont relativement faibles, aux environs de 15.%. Cette situationn’exclut cependant pas des périodes intermittentes de travail.

De plus, depuis le début des années quatre-vingt-dix, la probabilité d’êtreau chômage deux années consécutives augmenterait légèrement, en revan-che celle d’occuper un emploi stable après avoir été au chômage l’annéeprécédente diminuerait.

À la vue de ce dernier constat, la société française ne serait ni une sociétéde «.séparation sociale.» ni une société de mobilité sociale mais une sociétédans laquelle la trappe à chômage est importante : une fois que l’individuest au chômage, il lui est difficile d’en sortir, que ce soit vers un emploiprécaire ou stable.

Des différence selon le sexe, la classe d’âgeet le diplôme

• La stabilité de l’état «.emploi stable.» est plus importante pour les30-49 ans que pour les classes d’âge plus âgées ou plus jeunes : en 1997,elle est de 96.% pour les hommes de 30 à 49 ans et de 93.% pour les femmesde 30 à 49 ans, contre 89.% pour les hommes de 15-29 ans et 90.% pour les50-59 ans, et 85.% pour les femmes de 15-29 ans et de 90.% pour les femmesde 50-59 ans.

De plus, la probabilité de se maintenir dans un emploi stable deux annéesconsécutives augmente avec le niveau de diplôme. Cette différenciation estparticulièrement nette au sein des jeunes sortis depuis moins de dix ans dusystème éducatif : notamment, les hommes jeunes sans diplôme occupantun emploi stable en 1996 ont 83.% de chances d’occuper un emploi stablel’année suivante, contre 88.% pour les hommes jeunes avec un CAP-BEPou un BEPC et 93.% pour les hommes jeunes ayant un diplôme supérieurou égal au BAC.

• En début de vie active, les emplois précaires s’inscrivent dans unephase d’insertion sur le marché du travail (voir graphique 2). La probabilitéd’occuper un emploi stable une année à la suite d’un emploi précaire l’annéeprécédente est légèrement plus élevée pour les jeunes que pour les 30-49 ans : en 1997, elle est de 30.% pour les hommes de 15-29 ans et de26.% pour les hommes de 30-49 ans.; elle est de 27.% pour les femmes de15-29 ans et de 25.% pour les femmes de 30-49 ans.

De plus, on observe une nette décroissance de cette probabilité au coursdes années quatre-vingt-dix, plus importante pour les femmes et pour les30-49 ans (pour les femmes de 30-49 ans cette probabilité diminue de

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14 points entre 1992 et 1997). Parallèlement, la probabilité de conserver unemploi précaire deux années consécutives augmente au cours des annéesquatre-vingt-dix, notamment pour les femmes de 30-49 ans.

La probabilité d’occuper un emploi stable à la suite d’un emploi précaireaugmente avec le niveau de diplôme, tandis que la probabilité d’être auchômage à la suite d’un emploi précaire est plus élevée pour les femmes quepour les hommes (de l’ordre de 31.% pour les femmes, contre 26.% pour leshommes). Elle est aussi nettement plus élevée chez les jeunes sans diplômeque dans les autres catégories.

On note ainsi une situation proche de la «.séparation sociale.» pour lesjeunes sans diplôme, notamment pour les femmes : la probabilité de passerd’un emploi précaire à un emploi stable l’année suivante est de 10.% en1997, celle de conserver un emploi précaire est de 34.% et celle de passerd’un emploi précaire au chômage est de 45.% (voir graphique 2).

• De façon générale, la probabilité de passer du chômage une année versl’emploi, stable ou précaire, l’année suivante est plus élevée chez leshommes que les femmes (voir graphique 3), et décroît avec l’âge. De fait,

Emploi stable

Emploi précaire

Chômage

Inactivité

0

10

20

30

40

50

(%)

Hommes15 - 29 ans Femmes

15 - 29 ans Hommessans diplôme (*)

Femmessans diplôme (*) Statut

en mars 1997

(*) Personnes sans diplôme sorties du système scolaire depuis moins de dix ans.Source : INSEE, Enquête sur l'emploi de mars 1997.

2. Sortie des jeunes de l'emploi précaire entre mars 1996 et mars 1997

128 CONSEIL D’ANALYSE ÉCONOMIQUE

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les personnes au chômage en fin de vie active se trouvent dans une situationd’exclusion.

La probabilité de passer du chômage à un emploi stable est plus élevéechez les hommes que chez les femmes de l’ordre de trois points. Elle estplus faible pour les 50-59 ans : elle est de 9.% en 1997 pour les hommes de50-59 ans, contre 18.% pour les hommes de 15-29 ans et 20.% pour leshommes de 30-49 ans.; elle est de 6.% pour les femmes de 50-59 ans contre15.% pour les femmes de 15 à 49 ans.

La probabilité de passer du chômage à un emploi précaire diminue avecl’âge. Elle est de 4.% en 1997 pour les hommes de 50-59 ans, contre 21.%pour les hommes de 15-29 ans et 15.% pour les 30-49 ans.; elle est de 6.%pour les femmes de 50-59 ans, contre 21.% pour les femmes de 15-29 anset 14.% pour les femmes de 30-49 ans.

La probabilité de rester au chômage se différencie peu avec le sexe etaugmente avec l’âge : elle est de l’ordre de 50.% pour les 15-29 ans, de 60.%pour les 30-49 ans et de 71.% pour les 50-59 ans. Elle atteint des niveauxparticulièrement élevés chez les jeunes sans diplôme (voir graphique 3).

0

10

20

30

40

50

60

70

(%)

Emploi stable

Emploi précaire

Chômage

Inactivité

Hommes15 - 29 ans Femmes

15 - 29 ans Hommessans diplôme (*)

Femmessans diplôme (*) Statut

en mars 1997

(*) Personnes sans diplôme sorties du système scolaire depuis moins de dix ans.Source : INSEE, Enquête sur l'emploi de mars 1997.

3. Sortie des jeunes du chômage entre mars 1996 et mars 1997

129PAUVRETÉ ET EXCLUSION

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Enfin, le calcul de taux de transition instantanés entre les différents étatspermet de compléter ce diagnostic. Fougère et Kamionka (1992) mettentainsi en évidence que c’est au sein du groupe des hommes adultes que laproportion de travailleurs confinés de manière durable dans l’alternance depériodes de chômage et d’emploi de courte durée est la plus importante etnon au sein de la classe d’âge la plus jeune, contrairement à l’intuition. Dela même façon, une proportion non négligeable d’hommes adultes estappelée à rester durablement dans l’état de chômage.

Définitions

La catégorie «.emploi précaire.» est constituée des emplois intéri-maires, des contrats à durée déterminée (hors État et collectivitéslocales), et des stages et contrats aidés.

La catégorie «.emploi stable.» est constituée des autres salariés etdes non salariés.

La catégorie «.inactifs.» comprend les étudiants, les retraités, lesfemmes au foyer, les autres inactifs, les apprentis et les militaires ducontingent.

Les probabilités de transition on été calculées à partir des enquêtesannuelles sur l’emploi réalisées par l’INSEE de 1991 à 1997.

130 CONSEIL D’ANALYSE ÉCONOMIQUE

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Références bibliographiques

Atkinson T. (1998), «.Social Exclusion, Poverty and Unemployment.»,Working paper.

Dossier «.L’individu face au chômage.» dans L’Économie Française, INSEE,édition 1994.

Fougère D. et Kamionka T. (1992), «.Un modèle markovien du marché dutravail.», Annales d’Économie et de Statistique, no 27, pp. 149-188.

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Résumé

Le rapport de Tony Atkinson expose en premier lieu les caractéristiquesde la pauvreté en Europe. Il évoque tout d’abord brièvement les problèmesde mesure de la pauvreté, puis montre que, bien que la pauvreté soit restéeglobalement stable en Europe depuis le début de la décennie quatre-vingt(15.% des ménages européens disposent d’un niveau de vie inférieur à 50.%du niveau de vie moyen), les liens entre chômage et pauvreté sont com-plexes. Aux États-Unis, on observe jusqu’au milieu des années quatre-vingtune corrélation positive entre taux de chômage et proportion de ménagespauvres. En France et en Allemagne, le chômage a doublé depuis unequinzaine d’années, mais la pauvreté totale est restée stable en France et n’aque faiblement progressé en Allemagne. Au Royaume-Uni, au contraire,une corrélation négative semble se dégager au cours des dernières années,la baisse du chômage se traduisant par une augmentation de la proportionde ménages pauvres. Cette complexité des liens entre chômage et pauvretésuggère un affinement des politiques de lutte contre la pauvreté. Dans denombreux pays, tout particulièrement au Royaume-Uni, la contrainte pesantsur les finances publiques a favorisé la multiplication des dispositifs sociauxsoumis à des conditions de ressources. Sans doute les transferts sociauxsont-ils alors fortement redistributifs, mais les bénéficiaires doivent suppor-ter des taux marginaux d’imposition élevés en cas d’augmentation de leursrevenus, ce qui décourage en particulier la reprise d’emploi des personnesinactives ou chômeuses. Tony Atkinson considère que l’attribution d’un«.revenu de citoyenneté.» soumis à un minimum de conditions liées àl’activité est un moyen efficace pour supprimer de telles «.trappes à chô-mage.». Il suggère enfin le développement des méthodes «.d’expérimenta-tion contrôlée.» afin de mieux mesurer l’impact des politiques de lutte contrela pauvreté.

Le rapport préparé par Michel Glaude présente ensuite une synthèse d’undossier sur la pauvreté paru dans la revue de l’INSEE Économie et Statistiques.».

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Il relève au préalable la relativité de la pauvreté et la diversité de cesapproches. Ainsi, l’étude de l’INSEE propose trois mesures de la pauvretéen France : une mesure monétaire – les bas niveaux de vie –, une mesurebasée sur le cumul de difficultés de conditions de vie, enfin une mesure«.subjective.» de la pauvreté construite à l’aide des réponses des ménages àcertaines questions sur leur aisance financière ou le revenu minimum qu’ilsjugent nécessaire. Lorsque l’on retient les 10.% de ménages les plus pauvresselon chacune de ces trois approches, on détermine en réalité trois popula-tions fortement hétérogènes : seuls 2.% des ménages sont pauvres au sensdes trois définitions, et la proportion de ménages pauvres au sens d’au moinsune définition atteint 25.%. Ce constat permet d’identifier trois cerclesconcentriques de la pauvreté : un noyau dur (2.%, non compris les personnessans domicile fixe ou hébergées en institution), les bas revenus (10.%environ), et les ménages dont certains besoins sont mal satisfaits (25.%).

Si l’on s’en tient à la pauvreté monétaire, on constate qu’elle est restéestable depuis 1979, touchant environ 2,4 millions de ménages, soit 10.%d’entre eux. Si l’on laisse de côté les 300.000 ménages pauvres dont lapersonne de référence est étudiant, les ménages pauvres regroupent 5 mil-lions de personnes, dont un tiers sont des personnes âgées et deux tiers despersonnes en âge de travailler. Cette prépondérance des personnes en âgede travailler illustre le changement de visage de la pauvreté : à une pauvretéde ménages âgés, due au faible niveau des retraites, ou marquée par demauvaises conditions de logement, s’est substituée progressivement unepauvreté touchant davantage des ménages jeunes et largement imputable àla montée du chômage.

Cette brève description de la pauvreté en France permet de dégager deuxenseignements importants pour les politiques de lutte contre la pauvreté.Tout d’abord, la stabilité globale de la pauvreté depuis une quinzained’années s’explique tout particulièrement par le rôle complémentaire dessolidarités publiques – la protection sociale, notamment la mise en place duRevenu minimum d’insertion en 1989 – et privées – à l’intérieur des réseauxfamiliaux. D’autre part, la pauvreté doit être analysée dans sa dynamique :un ménage pauvre sur trois sort de la pauvreté chaque année, et ceci entraîneen moyenne un gain de 25.% au moins de son niveau de vie. Les donnéesdisponibles ne permettent cependant pas encore de mesurer les phénomènesde persistance et de récurrence de la pauvreté qui sont la traduction concrètede l’exclusion sociale : cependant, l’analyse des transitions entre états surle marché du travail met l’accent sur la position particulière des emplois dits«.précaires.» (contrats à durée déterminée, stages, intérim, contrats aidés...),dont en moyenne les titulaires d’une année donnée se répartissent à partssensiblement égales l’année suivante entre emploi stable, emploi précaireet chômage, ces probabilités de transition se déformant toutefois fortement,au détriment de l’accès à l’emploi stable, lorsque l’on descend dans l’échelledes qualifications.

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Le rapport de Jacques Freyssinet traite particulièrement des politiquesd’indemnisation du chômage menées dans les pays européens, lesquellesont influencé l’évolution de la proportion de ménages pauvres. Deux ana-lyses sont particulièrement développées : la tendance à la mise

en place de contreparties en termes d’activité ou de recherche d’emploià l’indemnisation du chômage («.workfare.»).; le lien entre la générosité del’indemnisation du chômage – en ce qui concerne tant le montant desprestations que la durée de leur service – et la désincitation à l’activité. Àcet égard, Jacques Freyssinet juge peu probantes les tentatives de preuvesempiriques de ce lien, et écarte plutôt l’idée que la générosité de l’indemni-sation du chômage soit un frein à la reprise d’emploi.

Le rapport de Claude Seibel expose enfin la réponse des politiquesd’emploi en France à la montée du chômage de longue durée, principalfacteur de l’exclusion sociale, qui a triplé depuis le début des annéesquatre-vingt. Ces politiques ont répondu successivement à trois logiques :l’amélioration des capacités de réinsertion des chômeurs de longue durée(stages de formation, orientation, bilans professionnels...).; l’appui à l’em-bauche au moyen de contrats aidés (CRA, CRE, CIE...).; le développementdes emplois d’intérêt général et d’insertion (CES, CEC, emplois offerts parles entreprises d’insertion et les associations intermédiaires). Il suggère desmesures visant à améliorer l’efficacité de la réinsertion professionnelle deschômeurs de longue durée : l’élargissement des propositions professionnel-les qui leur sont faites, notamment par l’encouragement à la créationd’entreprises individuelles.; le développement des mécanismes «.d’intéres-sement.» pour favoriser la reprise d’emploi.; le renforcement de l’efficacitédu service public de l’emploi, afin de mieux accompagner les chômeurs delongue durée dans leur démarche de retour à l’emploi.

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SummaryPoverty and social exclusion

Tony Atkinson starts by laying out the main features of poverty inEurope. He first briefly evokes problems dealing with the measure ofpoverty; he then shows that despite the fact that overall poverty has beenstable in Europe since the beginning of the 1980s (15% of Europeanhouseholds have an expenditure below the 50% level of the mean expendi-ture for the country in which they live), relations between unemploymentand poverty are unclear. In the United States, until the middle of the 1980s,we note a positive correlation between the unemployment rate and theproportion of poor households. In France and in Germany, unemploymenthas doubled in the last fifteen years, but overall poverty has remained stablein France and has only slightly increased in Germany. In the UnitedKingdom, on the contrary, there seems to have been a negative correlationat the end of the 1980s, the fall in unemployment coinciding with an increasein the proportion of poor households. Because relations between unem-ployment and poverty are so complex, policies against unemploymentshould be made more focused. In many countries, and especially in theUnited Kingdom, the public finance constraint has favoured a multiplicationof social schemes with means-tested benefits. No doubt social transfers arethen redistributive, but their beneficiaries must bear high marginal tax rates,in case their incomes rise, thereby discouraging people who are out ofactivity or who are unemployed from getting a job. Tony Atkinson considersthat the allocation of a “Citizen’s income”, subject to a minimum ofconditionality (a “participation condition”) would be an efficient way ofeliminating such “unemployment traps”. He finally suggests the develop-ment of controlled experiments so as to improve the measure of the impactof anti-poverty policies.

Michel Glaude first insists on the relativity of poverty and on thediversity of approaches. The INSEE study puts forward three measures ofpoverty in France : a monetary measure of low income, a measure based onthe adding-up of difficulties in living conditions and finally a “subjective”measure of poverty which involves households’answers to questions about

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their financial situation or on the minimum income that they think necessary.When we consider the 10% poorest households according to these threeapproaches, we in fact determine three types of very heterogeneous popu-lations : only 2% of the households are poor according to the three defini-tions and the proportion of households which are poor according to at leastone definition is equal to 25%.

We can then identify three concentric circles of poverty : a hard core (2%which dœs not include homeless people or those who live in institutions),households who earn a low income (around 10%), and those whose needsare badly satisfied (25%).

If we consider monetary poverty alone, we find that it has remained stablesince 1979, striking around 2.4 million households, i. e. 10% of them. If weput aside the 300.000 poor households for which the person of reference isa student, then poor households count 5 million people of which one thirdare elderly and two thirds are in the working-age bracket.

This high proportion of working age people illustrates how poverty haschanged features : whereas poverty used to be concentrated among theelderly, living on low pensions or with poor housing conditions, it hasgradually switched to young households and is largely due to the rise inunemployment.

This brief description of poverty in France enables us to draw two majorconclusions for anti-poverty policies. First of all, the fact that overall povertyhas remained stable for the past fifteen years can be explained by the roleplayed both by public solidarities (social welfare and notably the introduc-tion of the “minimum income of social integration” in 1989) and by privatesolidarities, i. e. those that exist within family networks.

On the other hand, poverty must be analyzed in a dynamic perspective :one out of three households gets out of the ranks of poverty every year andthis means an average gain of at least 25% of their living-standards. Wecannot still measure, with the available data, the persistent and recurrentpoverty which is the concrete expression of social exclusion; however, whenwe analyze the transitions between the different situations on the labourmarket, we are struck by the particular position of the so-called precariousjobs (contracts which are limited in time, training sessions, temporary work,subsidized contracts...); one year later, people who were in that situation areequally split between those who have found a stable job (one third), thosewho remain in a precarious job (one third) and those who are unemployed(one third); when we go down the scale of qualifications, the probability forfinding a stable job falls dramatically.

Jacques Freyssinet’s report deals in particular with policies for indemni-fying unemployment in different European countries; these policies haveinfluenced the evolution of poor households. He emphazises two points.

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First, some countries have set up counterparts to unemployment benefits interms of activity or of job-search (“workfare”). Second, relation betweengenerous indemnisations for unemployment (concerning both level andlength) and the disincentive to work. In this respect, Jacques Freyssinetthinks that empirical proofs for this relation are insufficient and he ratherdismisses the idea that the generosity of unemployment indemnisationscould slow down employment recovery.

Claude Seibel analyzes how employment policies in France respond tothe increase in long-term unemployment, which has been the main featureof social exclusion and which has tripled since the beginning of the 1980s.These policies have successively obeyed three different logics: improvingthe ability to reintegrate people who have been unemployed for a long time(training sessions, orientation, professional evaluations...) i. e. “workfare”;secondly, helping employers to hire the unemployed through subsidizedcontracts; lastly, developing jobs of general interest and those which facili-tate social integration. He suggests measures aiming at improving theefficiency of professional reintegration for the long-term unemployed:increasing the range of professional offers which are proposed to them, inparticular by encouraging the unemployed to start up their own companies;developing profit-sharing schemes in order to favor the recovery of em-ployement; finally, public employment agencies should be made moreefficient so as to accompany in a better way the long-term unemployed intheir steps for returning to work.

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