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ERIC GARAULT Cahier numéro un de l’édition n° 2830 du 31 janvier au 6 février 2019 Exemplaire offert ne peut être vendu POURQU MACRON DOIT L’ÉCOUTE L’INTERVIEW VÉRITÉ DURIVAL DE MADURO VENEZUELA P.42 LAURENT BERGER P.22 Portraittotal duleaderdelaCFDT M 02228 - 2830 - F: 4,90 E AFR. CFA 3800 FCFA, ALG. 410 DA, ALL. 5,90 €, AND. 5,50 €, AUT. 5,90 €,BELG. 5,30 €, CAN. 8,35$CAN, DOM 5,30 €, ESP. 5,50 €, GB4,90£,GRÈCE 5,50 €, ITA. 5,50 €, LUX. 5,50 €, LIB. 9500 LBP, MAR. 45DH, PAYS-BAS 5,60 €, PORT. CONT. 5,50 €,SUI. 7,20CHF, TOM 950XPF, TUNISIE 6,00DT Tous droits de reproduction réservés PAYS : France PAGE(S) : 1 SURFACE : 97 % PERIODICITE : Hebdomadaire RUBRIQUE : Premiere page DIFFUSION : 498558 31 janvier 2019 - N°2830 P.8

PAYS : RUBRIQUE · 2019. 2. 8. · ERIC GARAULT Cahier numéro un de l’édition n°2830 du 31janvier au 6 février 2019 Exemplaire offert ne peut être vendu POURQUOI MACRONDOIT

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  • ERICGARAULT

    Cahier numéro un de l’édition n° 2830 du 31 janvier au 6 février 2019

    Exemplaire

    offert

    nepeut

    être

    vendu

    POURQUOIMACRONDOITL’ÉCOUTER

    L’INTERVIEWVÉRITÉDURIVALDEMADUROVENEZUELA P.42

    LAURENTBERGER

    P.22

    PortraittotalduleaderdelaCFDT

    M02228

    -2830

    -F:4,90

    E

    AFR.CFA3800FCFA,ALG.410DA,ALL.5,90€,AND.5,50€,AUT.5,90€,BELG.5,30€,CAN.8,35$CAN,DOM5,30€,ESP.5,50€,GB4,90£,GRÈCE5,50€,ITA.5,50€,LUX.5,50€,LIB.9500LBP,MAR.45DH,PAYS-BAS5,60€,PORT.CONT.5,50€,SUI.7,20CHF,TOM950XPF,TUNISIE6,00DT

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    RUBRIQUE : Premiere pageDIFFUSION : 498558

    31 janvier 2019 - N°2830

    P.8

  • Par SOPHIE FAY

    et BAPTISTE LEGRANDPhotos ÉRIC GARAULT

    En pleinecrisedes“gilets jaunes”, la voixdeLaurent Bergerrésonnecommela plus constante.Pourquoi lechefde l’Etat dédaigne-t-ille leader de la CFDT  ?Portrait d’un modéréqui porte lesvaleursde la gauchesociale-démocrate

    QUEMACRONDOITÉCOUTER

    L’HOMME

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    PAYS : France PAGE(S) : 22;23;24;25;26;27SURFACE : 381 %PERIODICITE : Hebdomadaire

    DIFFUSION : 498558JOURNALISTE : Sophie Fay

    31 janvier 2019 - N°2830

    P.9

  • SESDATES1968NaissanceàGuérande,enLoire-Atlantique.SonpèreestsoudeursurleschantiersnavalsdeSaint-Nazaire.1991AdhèreàlaCFDT.1995Salariéd’uneassociationd’insertionparl’emploi.1996Permanentdel’unionlocaledeSaint-Nazaire.2003Secrétairegénéraldel’unionPaysdelaLoire.2012SuccèdeàFrançoisChérèqueàlatêtedelaCFDT.2018RéélulorsducongrèsdeRennes.

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    DIFFUSION : 498558JOURNALISTE : Sophie Fay

    31 janvier 2019 - N°2830

    P.10

  • ’estl’histoired’un homme toujours encontrôle.Trèssérieuxetplutôtavaredeconfidences.QuandLaurent Berger,50 ans,semet ànousracontertout àtracqu’il était leplus fragilede la fra-trie, l’enfantqui parlait lemoins,celuiquesamère,auxiliairedepuériculture,adûcouverunpeuplusquelesautres,on tendl’oreille.

    A l’écouter,il doit tout – y comprissamaîtrised’histoire – à la bienveil-lance et au soutien d’une familleouvrièresoudée,très vite relayéeparsescopainsde la JOC– la Jeunesseouvrièrechrétienne– qui lui ont faitpassersatimiditéet donnélepiedmili-tant. Il esttout lecontrairedu fort enthèmeà qui tout réussitsanseffort etquelesprofsn’oublientjamais(suivezson regard…).Il estce petit garsquis’est construit, année après année,porté par « lecollectif »et tiré par unmentor à la carrure de rugbyman,François Chérèque,auquel il a suc-cédé à la tête de la CFDT en 2012.Laurent Bergeren a fait le premiersyndicatdeFrance.Il n’aqu’unregret :nepasavoirpu partagersafiertéavecsonguide,qui a ététerrassépar uneleucémieen janvier 2017.Sa manièrede parler, pondérée,le

    démarquedesgrandesgueulesdusyndi-calismeet l’a longtempsempêchéde se

    faire connaîtredugrandpublic.Aujourd’hui,alorsque le paysest retourné par le mouvement des« giletsjaunes »,c’estl’inversequi seproduit. Savoix résonnecommelaplusconstante,sincèreet raisonnable.La revanchedu modéré.« Çameremontelemoraldelire oud’écoutersesinterviews,s’ex-clameuneanciennedirigeantede laCFDT.Jemedis :enfinuneparolesensée! »La seule–oupresque– audibleàgauche.

    C’esten2003 queFrançoisChérèquel’arepéré.« Vousaurezremarquéquenousavonstouslesdeuxdesproblèmesd’élocution »,sourit LaurentBerger,qui assumeune diction un peu pâteuse,malgrélesséancesdemédiatraininget lesconseilsamicauxdujournalisteClaudeSérillon.Lecourantesttout desuitepasséentre l’ex-deuxième ligne derugby,costaudet barbu, et lejoueur de foot, supporter duFCNantes,pluspetit etdéjàunpeudégarni.Ils ont beaucoupen commun. Chérèque ledyslexique se bat avec lesphrases.Berger le réservén’ajamaisaiméfairesesdevoirsetprocrastineencoreaujourd’huiavantun test d’anglais(il serabientôtprésidentde la Confé-dération européenne des

    Syndicats).Chérèqueà l’est–enMeurthe-et-Moselle–et Bergerà l’ouest–Saint-Nazaire–sonttousdeuxissusdefamillescatho-liquesengagéesàlaCFDT.LepèredeLaurent,soudeurauxChan-tiersde l’Atlantique,aujourd’huiretraité,esttoujoursmilitant. Samèreaussi.Devenupion,puis conseilleren insertion,lefiston amarchédansleurspas.A l’époquedesarencontreavecChérèque,laCFDTavaitsoutenularéformedesretraitesdugouvernementRaffarin,augrand dam desonaile gauche,très remontée.LeNazairien,jeunesecrétairegénéraldel’Union régionaledesPaysde la Loire,n’était pasdeceux-là.Il mouillait sachemisepourdéfendrelapositiondela maison.Chérèquel’a fait venir àParis.

    LE SYNDICATET LESINTELLOSDepuis, Laurent Berger note tout sur des carnets noirs enmoleskine.« J’enai toujoursunavecmoi,mêmeenvacances. »Unjour,ils serontversésauxarchivesdelacentrale,installéedansunimmeublefroid desannées1980,aucœurduquartierchinoisdeBelleville,danslenorddeParis.Il aprisgoûtàlalecturesur letard,pousséparChérèqueencore,fidèleàlatradition intellectuelledelaCFDT d’EdmondMaire.Le syndicatatoujours entretenulecompagnonnageaveclesintellos.PierreRosanvallon,biensûr,lethéoriciendel’autogestion,deladeuxièmegaucheet deladémo-cratieauxxi e siècle.Ou l’ami sociologueMichel Wieviorka.OuencoreThierryPech,unprochedeChérèque,quidirigeaujourd’huileclubderéflexionTerraNova…MaisnecomptezpassurBergerpour lenamedropping :il estplutôt dugenreàbutersur lepatro-nymedesstarsdelibrairie.Lesjeunesintellosde laCFDTlui orga-nisentdesdînersinformelsChezElmerouauTintilou, desrestossansprétentiondel’Estparisien.AvecEric Fottorino,lejournalistefondateurdu« 1 »–hebdoauquelBergerestabonné–et JuliaCagé,spécialistedel’économiedelapresse,pourparlerdesmédias.Oubienpourdiscuterdeladémocratieà l’heuredeFacebook,aveclesociologueDominiqueCardon,lepetitgéniedesalgorithmesPaulDuan,et lesreprésentantsd’EmmaüsConnect…« Laurentincarnepourmoi lemeilleurdela traditiondumouvementouvrier :il estàl’opposédel’anti-intellectualismeque l’onrencontredansd’autresmouvances »,témoigneMichelWieviorkaqui pourrien aumonden’auraitmanquélederniercongrèsde laCFDT,enjuin àRennes,oùBergeraétéréélutriomphalement.

    “TROIS BOMBESÀ RETARDEMENT”Extérieurement,il esttout aussisage :chemiseblancheimpec-cable,costumegris, presquejamaisdecravate.«Vousn’allezpasencoremedécrirecommeunmeclisse,hypersérieux! »,s’anime-

    t-il. Il sort sontéléphonepourdonner lenuméro deportablede deux de ses copains, desmilitants qui pourront « vousoffrir uneautreimage ».A sesrisqueset périls…En rigolant,ceux-ci racontent effective-ment un potache,amateurdebièresetdefarcesunpeunazes(exemple :verserunpeud’eausur leschaisesenplastiquequimeublenttouteslessallessyn-dicales…).Mais il n’est plustout à fait cejoyeuxdrille desPaysde laLoire.Pasforcément

    Avec François Chérèqueaprès uneréunionà l’hôtel Matignon, en novembre 2012.

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  • Quand,pour lui faire plaisir, Laurent Berger avouluprendredesplacesà l’Odéon,letempledesintellosparisiens,il s’estretrouvéavecdesbilletspour l’Odéon…deLyon.Il n’estpasencoreprêtpour intégrer l’establishment et il s’en moquebien.Retournera-t-il à Nantesle jour où il quit-terala CFDT?Lesujetdesasuccessionn’estpassur la table, balaie-t-il d’un geste sec,sourcilsfroncés.Et puis, du moment qu’il peut aller seressourcerde tempsentempsà l’île deSein,il sesentbienàParis.

    Surtout,il sesentutile.Quid’autre,encestempsagités,fait vivre lesidéesprogressistes,porte lavoix du compromissocial,du vivre-ensemble?Unetonalitéqu’onn’entendplusbeaucoup,mêmeà gauche.« C’estla seulevoix authentiquementsociale-démocrate », juge Michel Sapin. « Unrepèremoral »pour Thierry Pech.Depuis long-temps,Bergerestinquietpour sonpays.Dèssep-tembre,il prévenait :« Il y atroisbombesà retar-dementenFrance :labombeécologique,la bombedesinégalités,cellesdontparlentles“giletsjaunes”,maisaussilesdiscriminationsà l’emploidesjeunesdesquartiers,etenfin,conséquencedesdeuxpre-mières,la fatiguedémocratique. »Il y a quelquesmois,enentendantmonterleressentimentcontrele gouvernementdansles rangsde la CFDT, ildisaitaussi :« Sionnouspiétine,sionnenousécoutepas,il nefaudrapasvenirnouschercherquandçavapéter. »Prémonitoire.

    623 000ADHÉRENTS« CommeFrançoisChérèque,il rencontrechaquesemainedeséquipeslocalesde la CFDT »,rap-porte Véronique Descacq, son anciennenuméro 2.Ce matinal enchaîne les visites à laCAFdeNice,à l’hôpital deNevers,chezFrama-tome enSaône-et-Loire,dansuneécoleprivée àTourcoing,dansun Ehpaddu Maine-et-Loire, àla SNCFà Saint-Denis,chezAmundi, filiale duCrédit agricole à Paris…« Il prendle temps decomprendrele modèleéconomiquedu secteuretdel’entreprise.Il sentlepoulséconomiqueetsocialdupayscommepersonne »,poursuit-elle. « Pourmoi,c’estunerespiration,expliqueBerger,qui neveutpasselaisserenfermer danssonbureaudu3e étage,aumilieu destikis dePolynésieou destotemsdeNouvelle-Calédonie,souvenirsléguéspar François Chérèque. On essaied’avoir un

    regardlucidesur la société. »« On » ?Il évite toujours le « je »,commeun restede timidité.

    Cecontactavecle terrain et avecles623000 adhérentsde laCFDT (bien plus nombreux que les « gilets jaunes » ou lesmembresduPartisocialiste!),c’estsansdoutecequi lui apermisd’êtresi percutant dans l’analysede la crise.Dès novembre,iltrouvelebonéquilibreentreempathieaveclesFrançaisencolèreet vigilancesur lesrisquesdedérivesfactieuses.« Jenesupportepasqu’onimposeàquelqu’und’exhiberungiletjaunepourpasserun rond-point.C’estcontraireà ma conceptiondela liberté »,

    embourgeoisé,maisun peu« parisiannisé ».Surtout depuissoncoupdefoudre pour Mireille LeCorre, laconseillèresocialeduPremierministre Jean-Marc Ayrault, une énarque,maître desrequêtesau Conseil d’Etat, crème de la crème de la fonctionpublique.Ils sesontmariéset forment unefamille recomposéedesix enfants(dont leur bébé de6mois). « Mireille estcommelui, ellevient d’unmilieu populaire,desPaysdela Loire,elleestsimpleet pasdu tout mondaine »,note une de leurs connais-sances.Ensemble, ils aiment aller voir les pièces de théâtred’Alexis Michalik (« Edmond », « le Porteur d’histoire »…).

    Laurent Berger à Paris, le21 janvier.

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  • ronchonne-t-il. AlaCFDT, tranche-t-il, lesvaleursdémocra-tiques nesenégocient pas.Laviolencen’estpasacceptable.Peuamèneaveclegouvernement,il segardedoncd’adopterunelignerevanchardeouboudeuse.Pasquestionde jouerlespyromanesenappelant,commele fait laCGT,à une grèvegénéralele 5 février.Dèsnovembre,il a tendu la main,enproposantun « Grenelledupouvoir devivre ».Maisàlasurprisegénérale,lePremierministre,au20-heuresdu 18 novembre,lendemaindu samedinoir sur lesChamps-Elysées,alittéralementbalayél’idéed’un reversdemain.« Moi,jen’aideméprispourpersonne »,répèteLaurentBerger,quiavoueavoir« halluciné »enregardantEdouardPhilippe.Unemala-dressede formeplus qu’un problèmedefond, auraitplaidéMati-gnon.Depuis,lesdeux hommess’ensontexpliqués.Bergerappré-ciechezPhilippelesréflexesd’élulocalqui comprendlapauvreté,le mal-logement…Autantdesujetsqui ne font pastilt quandil endiscuteavecEmmanuel Macron.En attendant un signedu gou-

    vernement, Berger se fait entendre par d’autrescanaux.LegroupeLREM à l’Assembléenationalel’areçuenguest-starpour saréunion de rentréele14 janvier.Plusde200 députésl’entouraientdanslagaleriedesfêtesde l’hôteldeLassay.Uneleçonmagistralesil’onencroit Jean-BaptisteDjebbari,éludanslaHaute-Vienne,qui a beaucouptravaillé avecla CFDT et l’Unsa sur laréformeferroviaire.Du discoursdeBerger,il retientcettephrase :« Onnegouvernepaslepeupleavecunerèglebudgétaire. »Il plai-sante :« Il a ététellementapplaudi qu’onaurait pupenserquelegroupeavaitmontéunesectionsyndicaleCFDT! »Commele pré-sidentdugroupeGillesLegendreou lenouveaupatrondeLaRépu-bliqueenMarche StanislasGuerini,il poussepour quelegouver-nement s’appuiedavantagesur cepartenaire « pascomplaisantmaisconstructif ».Leslibéraux dela majorité,à l’imagedeSébas-tien Maillard ou Olivia Grégoire, sont plus réservés.CommeEmmanuelMacron,agacéqu’onlui rebattelesoreillesavecLaurentBerger.« SilaCFDTavaitfait sonboulot,onneseraitpaslà »,lâche-t-il parfois.Réponsedu Bergeràla bergère :« Sila CFDTn’avaitpasfait lejob,onseraitdansunesituationbienplusgrave!»Lesyn-dicalistemet engardecontre unepratique trop verticaledu pou-voir,« uneformedepopulismelight »,pasdu tout àsongoût.

    LAGRANDEFAMILLEDESONGPouragir,Laurent Bergers’appuieaussisur lagrandefamille desONG.Toujoursl’obsessionducollectif.« Ensemblenousavonsplusdechancesd’êtreécoutés »,salueVéroniqueFayet,présidenteduSecourscatholique. Le gouvernement l’abien compris pour lapréparationdugrandplananti-pauvretéprésentéenseptembre :il s’estappuyésur lesassociations– ATD Quart Monde, laLiguedel’enseignement,Franceterre d’asile,laFondationAbbé-Pierre–maisaussisur laCFDT.« Nousfaisonsaveceuxdespointsd’étape

    Le 10décembre, le syndicaliste rencontrait leprésident de la République avec desreprésentants politiques et les partenaires sociaux.

    En 1996, à l’époque où il devient permanentde l’union locale de Saint-Nazaire.

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  • plusieurs fois par mois sur la mise enœuvre,note Olivier Noblecourt, déléguéinterministériel à la prévention et à lalutte contre la pauvreté.Laurent est unpartenaireexigeant. »Exigeant maispastoujours entendu.Surla loiasileet immi-gration, malgré tout le poidsde la CFDTet d’une dizaine d’ONG, EmmanuelMacron aàpeine bougé.

    Il faut donc être toujours plus fort.Berger veut préparer le syndicalismeréformiste du xxi e siècle. Il l’a dit etrépété : « Les syndicats sont mortels. »Comme les partis politiques. Peut-onimaginer qu’ils resteront une dizaine enFrance alors que nos voisins necomptent souvent que deux grandesformations? LaCFDT, la CFTC d’inspi-ration chrétienne, et l’Unsa trèsimplan-téedanslafonction publique, travaillentsouvent main danslamain. Avant Noël, leurs leadersrespectifs– Philippe Louis, Luc Bérille et Laurent Berger – sesontencoreretrouvés pour un discret séminaire de travail organisé parGilles Finchelstein à la Fondation Jean-Jaurèssur les « giletsjaunes ».« Noussommesla mêmefamille. Ensemble,nouspou-vonsêtretrois foisplusforts, trois fois plustenacesettrois foispluspersuasifs »,souligne Berger.Ils ont déjàcrééPlacesde la Répu-blique avecunequinzaine d’associations.Cecollectif valui aussifaire vivre le grand débat.Et tant pis si cette stratégie réveille

    UNEPOSITIONCOURAGEUSE« Nous avons un devoir moral,

    un devoir devaleurs, celui de faireface à la détresse humaine. » C’étaitil y a tout juste un an. Au moment

    où la majorité commençait à planchersur la loi asile et immigration,

    Laurent Berger prenait positionavec force – notamment dans

    « l’Obs » – contre un projet qu’iljugeait déséquilibré : « Nous nedevons

    pas perdre notre âme. »Macron n’apasapprécié. Qu’importe, Berger

    persiste et signe. Et lorsque leprésident met l’immigration au menu

    de son grand débat national, ilproteste deplus belle.

    les critiques de la gauche radicale,prompte à qualifier la CFDT d’« idiotutile du gouvernement ».

    LeprésidentdelaRépublique l’écoute-ra-t-il? Lesdeux hommes nesesontpasparlé depuis queles partenairessociauxont été reçus à l’Elysée,le 10 décembre.Déroutant pour Laurent Berger, quis’étaithabitué sous le quinquennat pré-cédentà être constammentconsulté parle chef de l’Etat. « François Hollandecomptait plussur la CFDT,sesleadersetsa créativité,quesur leParti socialiste.Ace point, c’était inédit. Ce nouveau pré-sident est différent », constate PhilippeGrangeon,adhérent de la CFDT depuis1994etmembrefondateur d’EnMarche!aujourd’hui conseiller spécial à l’Elysée.Macron a toujours été clair : aux syndi-catsla négociationdans l’entreprise ;aux

    élus politiques la définition del’intérêt général.Sera-t-il plus souple après la crise des« giletsjaunes » ?Phi-

    lippe Grangeon,àqui échoit la tâchecompliquée de rapprocherlesdeux hommes,en estconvaincu. « Leprésidentdoit dissiperlesmalentendus. Il est largement décidéà le faire. » Il trouveraune oreille attentive. « Bergernesedétermine paspar rapport àqui, mais par rapport à quoi »,assureGilles Finchelstein. Sur-tout, renchérit Olivier Noblecourt, il est convaincu qu’on nepeut pas faire le pari de l’échec.

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  • L’OBS/N°2830-31/01/201928 CREDIT PHOTO

    COMMENTCHANGERNOTREMODÈLESOCIAL ?Pour “l’Obs”,leleaderdela CFDTetla ministreduTravail ontcroisélefersur la crisedes“giletsjaunes”,la réformedutravail etcelledel’assurance-chômagePropos recueillis par SOPHIE FAY et BAPTISTE LEGRANDPhoto ÉRIC GARAULT

    LEDÉBATBERGER/PÉNICAUDMuriel Pénicaud, gardez-vous votre cap ou bienla crise des « gilets jaunes » vous a-t-elle amenéeà reconsidérer certaines mesures ?M. P.Le capestlégitime puisqu’il est issud’un pro-gramme pour lequel le président,puis unemajoritéde députés,ont été élus démocratiquement. Sur denombreux points, ce programme contient desréponsesqui s’attaquentà la racine desproblèmes.Parexemple,notreactionen faveurde l’éducation,dela formation, de l’apprentissage,doit permettre defavoriser l’émancipation et de retrouver un espoir.Mais il y adespoints sur lesquelsnousdevonsaccé-lérer.L’augmentationde laprime d’activitédevaitêtreétalée sur quatre ans,nous la faisons enun an.Surd’autres sujetscomme la mobilité et l’accompagne-ment socialde la transition écologique,on peutet onva faire mieux. Il y a un télescopageentre le tempsnécessairepour cesréformeset l’impatienceque l’oncomprend pour rendre lessolutionsconcrètesettan-gibles.Lacrisequenousvivonsmontrequepourcom-

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    PAYS : France PAGE(S) : 28;29;30SURFACE : 280 %PERIODICITE : Hebdomadaire

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  • ENCOUVERTURE

    pléter la démocratie représenta-tive, colonne vertébrale de notrerépublique, nousavonsbesoin de ladémocratie participative, qui per-met aux citoyens de donner leuravisaufil de l’eau,et de la démocra-tie sociale, que font vivre parte-nairessociaux et associations.Les syndicats sont eux aussiébranlés. Laurent Berger, quelleest votre lecture de cette crise ?L. B.La défiancen’est pasnouvelle,mais elle bouscule tout le monde: politiques, syndi-cats,médias…Chaque institution doit donc s’interro-ger.Le mouvement des « gilets jaunes » est moinspuissant, en termes de nombre, qu’une manifestationsyndicale.Mais il estpopulaire, et parce que desgensviolents y participent, il a reçu une réponse que nousn’avions pas eue,alors que nous avionspourtant faitremonter nombre de revendications. C’est lerésultatd’une vision prônant un rapport direct entre le poli-tique et le peuple. Et c’est très dangereux. J’insiste:sansles corps intermédiaires, qui sont des citoyensqui s’organisent entre eux, il estdifficile de délibérer,de hiérarchiser les revendications, de s’engagerpourtrouver des solutions. Le risque serait de vouloirrepartir dans un rapport direct du président avec lepeuple. La démocratie sociale est parfois fatigante,parce qu’un compromis est toujours plus difficile àatteindre qu’une décision prise par quelques-uns etimposée aux autres. Mais elle est plus efficace.Faut-il craindre cette relation directe avec lepeuple, Muriel Pénicaud ?M. P.Je ne le crois pas. La démocratie sociale, elleexiste.Sur l’égalité femmes-hommes, par exemple,nous avons travaillé avec les partenaires sociaux(voir encadrép. 30). Débattre, acter les divergenceset les convergences,trouver dessolutions nouvelles,nous voulons aussique cela sepasse dans les entre-prises. Les ordonnances organisent cette décentra-lisation.L. B. La volonté de ne pasêtre dans un rapport directsemesurera à une chose très simple: est-ce qu’à unmoment donné on va travailler sur les remontées duterrain avecles organisations syndicales, patronales,associatives ?Oui, sur l’égalité femmes-hommes, il ya eu une vraie écoute. Mais les ordonnances ont faitstagner,voire reculer le dialogue social. Aujourd’hui,les entreprises s’en saisissentsurtout pour diminuerle nombre d’élus dessalariés.

    Les ordonnances ont-elles fait reculer le dia-logue social ?M. P.J’ai une vision différente. Les ordonnances ontporté un changementculturel qui favoriseune logiqueplus contractuelle, comme leréclamait la CFDT. Il y adésormaisplus de grain àmoudre danslesentreprises :dans lenouveau comité social et économique (le CSE,qui remplaceàla fois lecomitéd’entreprise,leCHSCT etlesdéléguésdu personnel,NDLR), on parle de lamarchedes affaires, de l’organisation du travail, du recrute-ment, dessalaires…L. B. C’estune vision idyllique très éloignée de la réa-lité. Chez Conforama, par exemple, il y a presque200 magasins.Avant, il y avaitdesdéléguésdu person-nel danschacun d’entreeux,demain il yaura 16 CSEetaucun représentantde proximité.Plusieurs décisions prud’homales ont cassé l’undes points majeurs des ordonnances : le plafondinstauré sur les indemnités de licenciement.Est-ce un désaveu, Muriel Pénicaud ?M. P.Le Conseilconstitutionnel ajugéle plafonnementdesindemnités conforme à laConstitution. Le Conseild’Etat a considéré que le plafonnement respectait lesengagements internationaux de la France. Les déci-sions que vous évoquez ne « cassent »rien. Jene suispasinquiète. Celavasemettre enplace.C’estnouveau.L. B. C’est nouveau, mais c’est injuste, et la CFDT l’atoujours combattu. Jerappelle qu’onparle de licencie-ments abusifset donc de réparation d’un préjudice.Nous sommes en plein bras de fer sur la réformede l’assurance-chômage. Que veut le gouverne-ment ? Faire des économies ?M. P.La réforme ad’abord pour but d’inciter au retourà l’emploi. Le travail doit payer plus que toute autresituation. Nous souhaitons aussi responsabiliser lesemployeurs sur l’excèsd’utilisation descontrats courts.Je vous rappelle que 9 embauches sur 10 ont lieu encontrat court, que 90% desCDD durent trois mois,

    “LETRAVAILDOITPAYERPLUSQUE

    TOUTEAUTRESITUATION.”MURIELPÉNICAUD

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    DIFFUSION : 498558JOURNALISTE : Sophie Fay

    31 janvier 2019 - N°2830

    P.16

  • On a entendu tant depromesses sur l’égalitésalariale entre les femmeset les hommes… En quoi ladernière réforme sera-t-elle différente desprécédentes ?L. B. Nous allons mesurerl'engagement réel d’uneentreprise à travers un indexqui prendra en compte lesécarts de salaire ou encorel’accès des femmes auxresponsabilités. Lesentreprises qui ne secorrigent pas serontsanctionnées. Je ne valide pastout ce qui s’est fait depuis ledébut de ce quinquennat, loinde là, mais voilà unedémarche qui pourraitinspirer sur d'autres sujets,

    comme la lutte contreles discriminations.M. P. Cela fait quarante-sixans que la loi dit : à travailégal, salaire égal. Etquarante-six ans que ce n’estpas respecté ! Il y a encore9% d’écart à travail égal, etmême 37% sur les retraites.On donne trois ans auxentreprises pour se mettreen conformité, faute dequoi elles pourront êtresanctionnées à hauteur de1%de la masse salariale.Les entreprises de plus de1 000 salariés devront rendrepubliques leurs données le1er mars. Pour la Journée dela Femme, le 8 mars, nousaurons donc à discuter dequelques cas intéressants.

    ÉGALITÉFEMMES-HOMMES :LESATISFECIT

    ou moins. Et 30%, une journée ou quelques heures.Cela touche des personnes indemnisées par l’assu-rance-chômage quel’employeur appelle enleur disant:vous pouvez venir demain? Certains employeurs enfont un systèmedegestion, bien au-delà dela flexibiliténécessaire.L. B.Vous demandez si lanégociation sefait souspres-sion budgétaire. La réponse estoui : 3,8milliards d’eu-ros d’économies sont demandées sur trois ans.Impos-sible sans qu’il y ait moins d’indemnisations à la fin dumois, et pour laCFDT, c’esthors de question ! La repriseesttrès fragile, avectoujours un fort chômage delonguedurée. On a donc toujours besoin d’un filet de sécurité.Et ne croyez pas que cefilet soit doré : l’indemnisationmoyenne dans notre pays, c’est1 020 euros. 95% desgenssont indemnisés à moins de 2 000 euros.M. P.Le systèmeporte 35milliards d’euros de dette. Ilfaut qu’il soit plus solide avant laprochaine crise.Il fautlutter contre la précarité excessive,d’autant plus qu’ellecoûte cher au régime, 8 milliards de déficit par an. Onpeut donc avoir une réforme vertueuse. L’assu-rance-chômage estun filet de sécurité essentiel.L. B. Il faut corriger ce qui incite les entreprises à seservir de l’assurance-chômage comme d’une caissedeflexibilité, c’estune évidence. Nous proposons depuislongtemps, àla CFDT, descotisations dégressives,plu-tôt élevéesle premier mois de contrat, et qui diminuentensuite petit à petit.Mais le patronat refuse catégoriquement touteforme de bonus malus…L. B. Oui, et son obstination risque de faire échouer lanégociation ! Lesorganisations patronales ont annoncéen début de semaine qu’elles suspendaient leur parti-

    cipation à la négociation. Cette décision unilatéralesonne comme une fin de non-recevoir du patronat à lanécessaire responsabilisation desemployeurs dans lalutte contre le recours abusif aux contrats courts. Si lesdélégations patronales ne reviennent pas avec desmesures concrètes, elles porteront seules la responsa-bilité de l’échec de la négociation.Y a-t-il des cas où les gens gagnent plus au chô-mage qu’en activité ?L. B. Les gens indemnisés par l’assurance-chômage nepeuvent pas gagner plus que cequ’ils touchaient lors-qu’ils travaillaient. Ce n’estpas possible.M. P.Si.Le mode de calcul de l’indémnité chômage faitque les indémnités peuvent être supérieures à lamoyenne de ce qu’on a gagné pendant la période decalcul des droits. C’est minoritaire mais c’est tout demême 20% des demandeurs d’emploi. Ces situationsinterrogent et créent des problèmes d’équité. Parexemple, une personne à mi-temps, au smic, estmoinsbien indemnisée qu’une personne qui a un contrat dedeux semaines et s’arrête deux semaines. Le premierva gagner 740 euros, le deuxième 960 euros, et pour-tant, les deux personnes ont travaillé la même quantitéd’heures au même salaire horaire.L. B. Dans le secteur médico-social ou dans l’hôtelle-rie-restauration, certains patrons abusent de ce sys-tème. Mais en dehors de cessecteurs, les demandeursd’emploi ne savent pas de quoi sera fait le prochainmois. Le chômage, ce n’estpassefaire du gras.C’estenprendre plein lagueule. Aujourd’hui, 70% desgensquicumulent un travail et une allocation chômage ontmoins que le smic. Les gens qui profiteraient de cetterègle et qui seraient riches, ça n’existe pas !Le chômage structurel (celui qui ne baisse pasquand la croissance repart) est évalué entre 7 et9%. Comment s’y attaque-t-on ?M. P.Le chômage estpasséde 9,7%à 9,1%avecdesdis-parités fortes : 3,3% pour les cadres, 6% pour les per-sonnesqualifiées, 18%pour lesnon-qualifiées. Le sujetle plus important, c’est donc celui des compétences.C’est l’objet du Plan d’investissement dans lescompé-tences,de la loi pour laliberté de choisir sonavenirpro-fessionnel, de laréforme de l’apprentissage. Une entre-prise sur deux dit avoir desdifficultés de recrutement.On ne peut pasavoir plus de 300 000 offres d’emploinon pourvues et un tel taux de chômage ! En outre, lesmétiers setransforment, les besoins changent. Ainsi,80 000 emplois sont à pourvoir dans le numérique.Nous devons aussipenser aux plus vulnérables. On nerésoudra paslesproblèmes de compétences sion ne vapas chercher les seniors, les personnes en situation dehandicap,lesjeunes de quartiers prioritaires de la ville...C’est contraire à nos valeurs républicaines.L. B. Sur les grands axes,nous sommes d’accord. Maisquant aux emplois non pourvus, il faut tout de mêmese poser la question de leur qualité : quand vous vousdites, à propos d’un emploi, « c’estbien pour les autresmais je n’en voudrais pas pour mes gosses »,il y a unproblème !

    “LECHÔMAGE,CEN’ESTPASSEFAIREDUGRAS.C’ESTENPRENDRE

    PLEINLAGUEULE.”

    LAURENTBERGER

    Tous droits de reproduction réservés

    PAYS : France PAGE(S) : 28;29;30SURFACE : 280 %PERIODICITE : Hebdomadaire

    DIFFUSION : 498558JOURNALISTE : Sophie Fay

    31 janvier 2019 - N°2830

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  • L’OPINION

    Par DOMINIQUE NORA

    L’étoilede Berger

    Pourquoifaire notrecou-verture sur LaurentBerger?L’homme n’estpas connu du grandpublic ; il n’est passpécialement bon ora-

    teur ;ni hyper charismatique.Depuis plusde six ans, le secrétaire général de laCFDT creusaitméthodiquement sonsil-lon de dirigeant syndical.En profession-nelaguerri,il défendaitlesintérêts destra-vailleurs face aux représentants dupatronat et de l’Etat. Il animait la démo-cratie sociale,et faisait grandir saconfé-dération…devenue,en décembredernier,lepremier syndicatde France.

    Par ces temps de radicalisation tousazimuts, faire tranquillement triompheruneorganisationréformiste enéchappantau « dégagisme » est un exploit en soi.Alors quelaCGT restefossiliséeet queFOaperdu sonchemin,laCFDT,ancréedansle réel et misant sur le collectif, a suévo-luer avecsontemps.Et mieux prendre encompte les problématiques desfemmes,desimmigrés, ou du nouveau prolétariatdesplateformesnumériques.

    Laurent Berger a lui aussi changé.Héritier de la Jeunesse ouvrière chré-tienne, il a pris, ces derniers mois, uneautre envergure,politique au bon sensduterme. Comblant partiellement le vided’une gauche sociale-démocrate orphe-line. En janvier 2018 déjà, dans noscolonnes,lesecrétairegénéralde laCFDTavait appelé l’exécutif à accueillir lesmigrants plus dignement au nom d’un« devoirmoral,undevoirdevaleurs,celuidefairefaceàladétressehumaine ». Mais c’està l’occasion du mouvement des « giletsjaunes »qu’il a révélésavéritable staturede leader.Car dans le désarroi qui règnedepuisledémarragede cettecontestationprotéiforme,Laurent Bergertient soncaphumaniste,aveclaténacité desmodestes.

    Tandis que les responsablespolitiquesde gauche restent inaudibles (PS) ou selivrent à dessurenchèresdémagogiques

    (LaFranceinsoumise),le syndicalisterap-pelle avec constance les valeurs de lagauche socialeet progressiste.Oui, il fautqu’EmmanuelMacron renonceàun modede gouvernanceverticalequi« aaccéléré »,selonLaurent Berger,lacolèresociale.Oui,il doit « partagerlepouvoir »aveclasociétécivile, s’ouvrir aux syndicats,ONG, asso-ciations,entendre laparoledescitoyens.

    Et l’évolution de la crise donne raisonau patronde laCFDT.Carmêmesi legou-vernementa balayésaproposition d’orga-niser un « Grenelledu pouvoir devivre »,Emmanuel Macron devrabien – s’ilveuts’en sortir par le haut – établir la justicefiscale,mieux répartir les richesses,gérerla transition écologique,rendre la démo-cratie plus participative.

    Ce seraitdans l’esprit de la deuxièmegauche dont Laurent Berger,fils spiritueld’Edmond Maire, est le digne héritier.Une gauche « décentralisatrice,régiona-liste,héritière de la tradition autogestion-naire, qui prend en compteles démarchesparticipatives des citoyens », comme ladécrivait Michel Rocard en 1977 aucongrèsde Nantesdu PS.

    Au-delà deséléments de doctrine quiévoluent, cettegauche-là – qui estaussicelle de« l’Obs »– estsurtout définie pardes valeurs : intégrité, rigueur, vérité,modernité, inventivité, générosité.Et parune méthode qui articule action poli-tique et sociale :partir du réel, négocier,donner du sens, parler vrai, agir juste.Pour rendre efficace le grand débatqu’ils’estrésolu à lancer, Emmanuel Macrondoit écouter Laurent Berger, car c’estprécisément cette « ingénierie du dia-logue » et ce talent pour la coconstruc-tion qui lui font cruellement défaut.D.N.

    LELEADERDELACFDTAPRISUNEENVERGUREPOLITIQUE,COMBLANT

    PARTIELLEMENTLEVIDED’UNEGAUCHESOCIALE-DÉMOCRATEORPHELINE.

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    PAYS : France PAGE(S) : 3SURFACE : 60 %PERIODICITE : Hebdomadaire

    RUBRIQUE : L obscDIFFUSION : 498558JOURNALISTE : Dominique Nora

    31 janvier 2019 - N°2830

    P.18

  • “MACFDT”

    Longtempséditorialisteau “NouvelObservateur”,l’historien revientsur lesambitionset lesvaleursoriginellesdu syndicatréformistequ’il a cofondéPropos recueillis parNATACHA TATU

    Le11décembredernier,quand j’aiapprisque la CFDT était deve-nue officiellement le premiersyndicatfrançais,je vousavoueavoir pleuré de joie. C’était

    notre ambition: dès les lendemains de laLibération, ceque nousappelions « décon-fessionalisation »,c’est-à-dire le renonce-ment à l’épithète de« chrétien »,avaitpourbut de faire de la CFDT une organisationdémocratique ouverte à tous les travail-leurs.Nous étions devenus,selon nos sta-tuts,auxquelsj’avaiscontribué, un syndicatseréclamantdesdifférentes formesdel’hu-manisme,dont « l’humanismechrétien ».

    Quels étaient alors nos combats?Œuvrer en cettefin du gaullisme pour un« socialisme démocratique », expressiondanslaquelle les communistesorthodoxesvoyaient à juste titre un vivant reproche àl’égard du socialisme « réel ».

    non plus.Ils font semblant. Il eststérile, ilestdangereux d’entretenir un imaginairetotalement détaché detoute pratique. Dureste,àl’échelon localou régional, laCGTsignenombre d’accords.Pour un syndicat,négocieren préservantsonindépendance,c’estune nécessitépermanente,conformeaux aspirations de lamassedesadhérentset des sympathisants. L’ADN syndical dela CFDT, c’est donc la recherche d’uncompromis provisoire, qui laisse intactela capacité de contester les finalités ducapitalisme.

    Celadit, par rapport aux années1970,ily a eu réduction de l’ambition, à mesureque lerapport desforces,à l’échellenatio-nalecomme àl’échelle internationale, étaitdevenu beaucoupmoins favorableaux tra-vailleurs. Pourtant, grâce notamment àEdmond Maire, la CFDT a fait une placenouvelle aux femmes, aux immigrés. Ellea l’ambition de défendre non le travail ensoi, mais le travailleur à travers son par-cours professionnel singulier, ses condi-tions de travail – la pénibilité –, sa vie,comme consommateur et comme citoyen,à l’extérieur même de l’entreprise.

    La situation est telle que, dans uncontextede domination desforcesdu capi-tal, le syndicalisme est menacé de mort,selon les mots mêmes de Laurent Berger.Il ne survivra qu’enélargissant le compaset en répondant à l’ensemble desbesoinsdestravailleurs. Le temps n’est plus où ils’agissait seulement, dans une optiquemarxiste étroite, de lutter pour une meil-leure répartition de laplus-value.

    Il faudrait d’abord pour cela que le syn-dicalisme retrouve les chemins de l’unitéd’action.Telle qu’elle aété pratiquée dansles années1970entre CGT et CFDT, elle adonné desrésultats spectaculaires.

    Malheureusement, la CGT, tiraillée pardes courants gauchistes,est en proie ausectarisme et àla tentation de l’isolement.Elle lanceà elle seuledesjournées d’actionqui passentà peu près inaperçues.Quantà FO, minée par sesconflits internes, elletraverseune véritable crise d’identité.

    A pratiquer une manière de corpora-tisme révolutionnaire vide de toutcontenu, lesyndicalisme s’étiole.La CGTdoit sortir de sonisolement, laCFDT doitcontinuer à se développer. La seule voied’avenir pour le syndicalisme, au-delàmême de la défense desintérêts des tra-vailleurs et de leur protection sociale,c’estla transformation de lasociétédansle sensd’un humanisme intégral.

    Deux visionss’affrontaient. Celle défen-due parEdmond Maire mais aussiMichelRocard au PSU,fondée dans la traditionsociale-démocrate sur une alliance avecles partis de gauche; celle dont j’étais,avec,notamment, JacquesChérèque, dela métallurgie, qui préconisait en prioritél’alliance préalable avec les syndicats,notamment la CGT et l’ensemble desforces populaires.

    Vint Mai-68, qui régla la question ennotre faveur; le mouvement qui compor-tait une forte dimension « dégagiste »étaitla confirmation de ceque nouspensions:le mouvement populaire devait primersur les alliances politiques.

    Le triptyque que nous mettions enavant –planification démocratique, pro-priété sociale desprincipaux moyens deproduction et d’échange, autogestion –était puissant et original. L’autogestion,en particulier, c’était le socialisme vu d’enbas. Cela signifiait que les travailleursétaient aussidescitoyens; qu’ils n’étaientpas,sur leslieux de travail comme dans lacité, que desrouages,maisdes décideurs.Le mot autogestionn’estplus guère utilisé,pourtant il nourrit toutes les aspirations àla participation que l’on a vues fleurirdepuis. Y compris, pour le meilleur, chezles « gilets jaunes ».

    Et aujourd’hui? Ceux qui reprochent àla CFDT de pratiquer un « syndicalismed’accompagnement »sous-entendent quela contestation du capitalisme n’ade sensque dansune perspective révolutionnaire.C’estun leurre: Philippe Martinez (CGT)ne prépare pasla révolution; Mélenchon

    JACQUESJULLIARD

    ENCOUVERTURE

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    PAYS : France PAGE(S) : 31SURFACE : 100 %PERIODICITE : Hebdomadaire

    RUBRIQUE : En couvertureDIFFUSION : 498558JOURNALISTE : Natacha Tatu

    31 janvier 2019 - N°2830

    P.19