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HAL Id: hal-00957688 https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-00957688 Preprint submitted on 10 Mar 2014 HAL is a multi-disciplinary open access archive for the deposit and dissemination of sci- entific research documents, whether they are pub- lished or not. The documents may come from teaching and research institutions in France or abroad, or from public or private research centers. L’archive ouverte pluridisciplinaire HAL, est destinée au dépôt et à la diffusion de documents scientifiques de niveau recherche, publiés ou non, émanant des établissements d’enseignement et de recherche français ou étrangers, des laboratoires publics ou privés. Peut-on connaitre le climat sans connaitre la météo? Corentin Herbert To cite this version: Corentin Herbert. Peut-on connaitre le climat sans connaitre la météo?. 2014. hal-00957688

Peut-on connaitre le climat sans connaitre la météo?

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HAL Id: hal-00957688https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-00957688

Preprint submitted on 10 Mar 2014

HAL is a multi-disciplinary open accessarchive for the deposit and dissemination of sci-entific research documents, whether they are pub-lished or not. The documents may come fromteaching and research institutions in France orabroad, or from public or private research centers.

L’archive ouverte pluridisciplinaire HAL, estdestinée au dépôt et à la diffusion de documentsscientifiques de niveau recherche, publiés ou non,émanant des établissements d’enseignement et derecherche français ou étrangers, des laboratoirespublics ou privés.

Peut-on connaitre le climat sans connaitre la météo?Corentin Herbert

To cite this version:

Corentin Herbert. Peut-on connaitre le climat sans connaitre la météo?. 2014. �hal-00957688�

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Peut-on connaitre le climat sans connaitre la meteo ?

Corentin Herbert1, ∗

1National Center for Atmospheric Research, P.O. Box 3000, Boulder, CO, 80307, USA

On concoit intuitivement le climat comme la moyenne (ou plus generalement la statistique) spa-tiale et temporelle des variables meteorologiques. En pratique, pour ≪ calculer ≫ le climat, laplupart des modeles integrent numeriquement un systeme d’equations, relativement proches decelles de la meteo, avant d’eventuellement etudier la statistique de ce signal temporel. Il pour-rait etre interessant, numeriquement et conceptuellement, de disposer d’outils permettant d’avoiracces directement aux grandeurs statistiques, sans passer par la resolution des equations de ladynamique. On presente ici deux tentatives dans ce sens.

PACS numbers: 05.20.-y, 05.70.Ln, 47.10.-g, 92.70.Np, 92.60.Bh

I. INTRODUCTION

Le climat et la meteorologie traitent en grande partiedes memes grandeurs physiques : champs de temperature,de vitesse, etc. L’evolution de ces variables est determineepar les differentes composantes du systeme Terre :l’atmosphere et l’ocean, mais aussi la cryosphere, labiosphere, etc (voir Fig. 1). Ces differentes composantesinteragissent de maniere complexe, sur des echelles detemps et d’espace variees (Choisnel, 1996). Ainsi, letemps de reponse de l’atmosphere a une perturbationexterieure est plus court que celui de l’ocean de sur-face, lui-meme plus rapide que l’ocean profond ou lescalottes polaires. Une facon assez naturelle de distin-guer la meteorologie du climat est de voir la premierecomme l’evolution d’un certain ensemble de variablesphysiques en un endroit precis (≪ ici ≫) et a une echellede temps courte (≪ tout a l’heure ≫, ≪ demain ≫ ou≪ dans quelques jours ≫), tandis que le second concerneles memes variables, moyennees sur des zones ≪ assez

Figure 1 Les differentes composantes du systeme climatiqueet leurs interactions, d’apres Le Treut et al. (2007).

∗Electronic address: [email protected]

100ky 41ky

23ky

1y100y

Figure 2 Spectre temporel de differents indicateurs du cli-mat (voir legende), pour les hautes latitudes (courbes duhaut) et pour les basses latitudes (courbes du bas). Figureadaptee de l’article de Huybers et Curry (2006).

grandes ≫ et sur des temps ≪ assez longs ≫. Il n’est tou-tefois pas evident de savoir a priori comment choisirsur quelles echelles spatiales et temporelles calculer cesmoyennes ; ni trop petites, pour que la statistique gardeun sens, ni trop grandes, sans quoi on ne peut plus dis-cuter de variations du climat dans l’espace et dans letemps (voir Paillard (2009)). La figure 2 montre une re-construction du spectre temporel du systeme Terre baseesur differents ≪ proxies ≫. A droite du spectre, les picsassocies au forcage solaire, avec une periodicite d’un an,et ses harmoniques, sont une caracteristique evidente dece spectre. A gauche de la figure, on observe egalementla trace des cycles de Milankovich, avec des periodicitesd’environ 100 000, 41 000 et 23 000 ans. Entre ces deuxgammes de frequences, le spectre est continu : il y a de la

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variabilite a toutes les frequences. Neanmoins, la pente duspectre change aux alentours de l’echelle du siecle : celadonne un debut de justification physique a la definitionhabituelle et anthropocentrique du climat comme unemoyenne sur une trentaine d’annee, soit grosso modo unegeneration humaine. Mais en pratique, il n’est pas evidentde separer quelles composantes du systeme relevent de lameteorologie et quelles composantes relevent du climat.Bien sur, pour predire la meteorologie, on peut se concen-trer sur l’atmosphere et l’ocean de surface, en considerantque les autres composantes du systeme n’ont pas le tempsde varier sur les echelles de temps considerees, et donc queles variables correspondantes (e.g. la composition de l’at-mosphere) sont fixees et constantes dans le temps. Pourdes questions de changements climatiques, au contraire,il conviendra de tenir compte de l’evolution de ces gran-deurs, mais les composantes plus rapides sont aussi sus-ceptibles de jouer un role. Les frontieres du systemeetudie vont dependre des echelles de temps considerees :plus celles-ci sont longues et plus il y aura de variablesdynamiques.

Une fois les contours du systeme d’etude (i.e. les va-riables physiques etudiees) definis, il convient d’ecrireun ensemble d’equations decrivant leur evolution. Cen’est pas une tache facile : certaines composantes dusysteme Terre necessitent d’etre modelisees, ce quiimplique necessairement un certain degre d’arbitraire.Meme pour les composantes les plus proches des loisfondamentales de la physique, comme par exemple l’at-mosphere et l’ocean, bien que les equations regissantle systeme soient connues, elles sont si complexes quetoute prediction quantitative ne peut reposer que surune approche numerique. Une hierarchie de modelesnumeriques de complexite variable a donc ete developpeeau cours du temps, allant de modeles qui integrent desequations decrivant le plus fidelement possible le systemereel avec une resolution spatiale aussi fine que possibleet un pas de temps aussi petit que possible, commeles modeles de circulation generale, jusqu’aux modelesconceptuels, qui ne representent explicitement qu’un pe-tit nombre de variables et utilisent des parametrisationsempiriques pour les phenomenes non-resolus. Meme dansle cas des modeles de circulation generale, on ne peutresoudre toutes les echelles spatiales explicitement, et ilest necessaire d’avoir recours a des parametrisations sous-maille ; ces modeles restent donc au mieux une approxi-mation du systeme reel.

On peut resumer les difficultes mentionnees plushaut dans un cadre abstrait. Representons les variablesd’interet par un seul symbole, disons X, qui decrit l’etatdu systeme entier. L’ensemble des ≪ valeurs ≫ possiblespour X forme un espace que l’on appelle espace desphases, represente par un plan bleu sur la figure 3. Les lois(reelles ou modelisees) qui regissent l’evolution de ces va-

riables s’ecrivent symboliquement X = F (X, t). Connais-sant l’etat initial du systeme X0, c’est-a-dire sa positiondans l’espace des phases a l’instant t = 0, on peut enprincipe calculer sa position a un instant t = T futur

quelconque en integrant les equations du mouvement ;c’est l’idee fondamentale du calcul differentiel fonde parNewton et Leibniz, a la base de la mecanique classique.En pratique, dans le cas qui nous interesse ici, cette tache

X = F (X, t)

X0

X(T )

tt = 0 t = T

P (X, 0) P (X,T )

∂tP (X, t) =?

Figure 3 Haut : Representation schematique du calcul d’unetrajectoire dans l’espace des phases, represente par un planbleu. Etant donnee une condition initiale X0, on cherche acalculer la trajectoire microscopique du systeme, pour predireson etat X(T ) a un instant futur arbitraire. Bas : A la placed’une description deterministe microscopique, on introduitune description macroscopique probabiliste : comment evoluedans le temps une distribution de probabilite sur l’espace desphases (en rouge sur le schema : plus la region est claire plusla probabilite que le systeme s’y trouve est grande) ?

est extremement difficile a accomplir (et tres couteuse entemps de calcul), pour plusieurs raisons. D’une part, onne connait jamais parfaitement l’etat initial du systemeX0, qui correspond en fait a un tres grand nombre devariables — l’espace des phases est de tres grande di-mension. De meme, on ne dispose en pratique que d’uneapproximation des lois d’evolution (i.e. de F ). Enfin,qu’il s’agisse du systeme reel ou d’un modele, les loisd’evolution sont chaotiques. Cela signifie en particulierqu’une erreur infinitesimale sur la condition initiale X0

va croitre exponentiellement dans le temps, limitant dra-matiquement notre capacite a predire l’etat futur dusysteme : c’est la fameuse image du battement d’ailesde papillon1. Pour ces raisons, le calcul d’une trajectoire

1. Bien que le chaos ait ete etudie mathematiquement parexemple par Hadamard ou Poincare, le premier a avoir percu quela nature chaotique de l’atmosphere et de l’ocean se traduisait di-rectement en terme de predictibilite, meme pour des modeles tressimples, est sans doute Edward Lorenz (1963). Pour en savoir plussur ce sujet, on pourra lire l’article d’Etienne Ghys (2010) ou re-garder l’excellent film Chaos, realise par Jos Leys, Etienne Ghys etAurelien Alvarez : http://www.chaos-math.org.

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dans l’espace des phases est tres difficile pour les systemesqui nous interessent ; pourtant si l’on souhaite predireavec precision le temps qu’il fera dans quelques heures,dans quelques jours ou meme dans quelques semaines,ce calcul semble inevitable. C’est a peu pres l’objet de lameteorologie. La discipline a fait de grands progres a par-tir du moment ou il a ete possible de mieux contraindre laconnaissance de l’etat initial du systeme — X0 — gracea des observations recueillies par des satellites et par unmeilleur reseau de stations aux sol. De plus, la difficulte asuivre une trajectoire dans l’espace des phases a ete par-tiellement attenuee grace aux techniques d’assimilationde donnees, qui s’appuient encore une fois sur des ob-servations, et qui permettent de ≪ guider ≫ la trajectoirecalculee en la corrigeant des lors qu’elle s’ecarte trop dela trajectoire observee.

Des lors que l’on se pose des questions impliquant desechelles plus longues, comme par exemple des problemesde paleoclimat, on ne dispose plus d’autant d’observa-tions, ce qui rend les methodes decrites plus hautes ca-duques. On peut se demander si le probleme n’est pasplus profond qu’une question technique de calcul de tra-jectoire. En effet, meme si l’on etait capable de calcu-ler facilement les trajectoires microscopiques, ces trajec-toires sont complexes (par exemple elles varient a toutesles echelles de temps, voir ci-dessus). Peut-etre que pourdecrire le comportement des memes variables mais d’unpoint de vue plus oriente climat (par exemple en moyen-nant les variables dans le temps et dans l’espace), ilconvient de changer fondamentalement de description dusysteme ; au lieu de chercher a connaitre l’etat microsco-pique du systeme, i.e. la position exacte d’un point dansun espace des phases tres grand, il pourrait etre pertinentde chercher a decrire directement le systeme en termesmacroscopiques, en adoptant une description probabiliste.Au lieu de calculer une trajectoire pour une condition ini-tiale donnee, on pourrait s’interesser a l’evolution d’unedistribution de probabilite dans l’espace des phases (voirFig. 3 bas). A partir d’une telle distribution de proba-bilite, on peut obtenir des informations statistiques surn’importe quelle observable, i.e. n’importe quelle fonc-tion des variables microscopiques. Pour un systeme avecun aussi grand nombre de degres de liberte, les grandeursmacroscopiques ne semblent pas souffrir du probleme depredictibilite (l’effet papillon) qui affecte les grandeursmicroscopiques (Robert, 2001).

Certaines approches existantes s’inscrivent plus oumoins dans cette demarche ; par exemple, puisque lacondition initiale est mal connue, on peut calculer plu-sieurs trajectoires microscopiques correspondant a desconditions initiales differentes, et faire la moyenne desresultats : ce sont les methodes d’ensemble (Palmer et al.,2002). De maniere similaire, on peut calculer plusieurstrajectoires avec plusieurs modeles differents (i.e. plu-sieurs F ) et faire la moyenne des resultats : ce sont lesmethodes multi-modeles. Neanmoins, il n’est pas evidenta priori de savoir comment choisir ces differentes tra-jectoires et comment ponderer leurs differentes contri-

butions (voir par exemple l’article de Riviere (2004)).D’autre part, cela implique de realiser plusieurs fois lecalcul difficile et couteux de la trajectoire microscopique.Il serait donc interessant de developper des outils permet-tant de travailler directement sur des grandeurs d’ordrestatistique, qui caracterisent le niveau macroscopiquedu systeme, et qui sont peut-etre plus pertinentes pourl’etude du climat.

Pour illustrer cette idee, on peut considerer un exempletres simple. Construisons une serie temporelle en tirantaleatoirement 100 nombres, repartis uniformement entre0 et 1, puis 100 nombres, repartis uniformement entre0.2 et 1.2. Un tel tirage est represente sur la figure 4(courbe bleue). La courbe ainsi obtenue pourrait corres-

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0.2

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0.8

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Figure 4 Trajectoire microscopique et information macro-scopique. On construit une serie temporelle en realisant untirage aleatoire de 100 nombres distribues uniformement entre0 et 1, puis 100 nombres distribues uniformement entre0.2 et 1.2 (courbe bleue). La courbe noire represente lamoyenne glissante sur 30 echantillons de ce signal, et la courberouge l’esperance mathematique de la loi de probabilite sous-jacente.

pondre a une trajectoire microscopique pour une seulevariable du systeme. On peut eliminer la variabilite ra-pide en calculant une moyenne glissante sur un nombrefixe d’echantillons, par exemple 30 (courbe noire). Si l’oninterprete la courbe bleue comme la meteorologie, celaconstitue une definition possible du climat. Une definitionalternative est de considerer l’esperance mathematiquede la distribution de probabilite sous-jacente au tiragealeatoire (courbe rouge). Peut-on etudier cette courberouge, dans le cas de modeles de climat, plutot qued’etudier la courbe noire, qui necessite le calcul de lacourbe bleue ? C’est en substance la question a laquelleje me suis attache au cours de ma these.

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II. LE MAXIMUM DE PRODUCTION D’ENTROPIE(MEP)

A. Importance du transport d’energie par l’atmosphere etl’ocean

Une facon tres pragmatique de considerer le problemedecrit dans le paragraphe precedent est la suivante. Ima-ginons un modele tres simple de climat, ou l’on s’interesseseulement a une distribution de temperature de surface.Cette distribution de temperature evolue, selon les loisde la thermodynamique, lorsque de l’energie interne estechangee entre la parcelle de fluide consideree et l’envi-ronnement. Ces echanges peuvent se faire sous plusieursformes : travail de la force de pression, ou chauffage dia-batique, par exemple du au rayonnement ou aux chan-gements de phase de l’eau. Enfin, les parcelles de fluidesont advectees par le champ de vitesse : l’atmosphere etl’ocean transportent de l’energie. L’equation qui resumeces effets, appelee equation thermodynamique, fait inter-venir de nombreuses variables autres que la temperatureelle meme. Essayons de la simplifier. Pour commencer,on peut supposer que la seule source d’echange d’energiesans transport de matiere est le rayonnement. Suppo-sons de plus que l’on peut connaitre la quantite d’energieechangee par unite de temps et de surface par le rayon-nement, en fonction seulement du profil de temperatureet de parametres exterieurs, comme la constante so-laire, l’albedo de surface, la composition de l’atmosphere.Faisons l’hypothese supplementaire que ces parametresexterieurs sont constants dans le temps, de facon a ceque le systeme puisse atteindre un etat stationnaire donton presumera qu’il peut correspondre a une sorte demoyenne. Un etat stationnaire de l’equation thermody-namique ne prenant en compte que les effets radiatifss’appelle un equilibre radiatif. Etant donne un modele derayonnement, on peut calculer assez facilement les etatsd’equilibre radiatif, et comparer leurs variations spatialesavec les observations. La distribution de temperature ob-servee n’est proche de l’equilibre radiatif ni sur la verti-cale, ni sur l’horizontale : la raison en est simplement queles mouvements de l’atmosphere et de l’ocean contribuentde facon significative aux echanges d’energie. Malheureu-sement, incorporer leurs effets necessite en principe deresoudre simultanement l’equation qui decrit l’evolutiondu champ de vitesse, ce qui est une tache difficile commeexplique en introduction. Peut-on connaitre le trans-port d’energie horizontal et vertical du a l’atmosphereet l’ocean sans resoudre explicitement leur dynamique ?

Une facon de traiter ce probleme est de ≪ pa-rametriser ≫ le transport d’energie ; cela signifie rempla-cer le terme d’advection dans l’equation thermodyna-mique par une fonction donnee du champ de temperature.Par exemple, un choix classique dans les modeles de biland’energie revient a remplacer le terme d’advection par unterme de diffusion du champ de temperature, avec un co-efficient de diffusion choisi empiriquement. Une alterna-tive a cette approche empirique a ete proposee au milieu

des annees 1970 par Garth Paltridge : une facon de fer-mer un modele de bilan d’energie est de calculer des fluxde transport d’energie a partir d’un principe variation-nel. Plus precisement, on fait l’hypothese que ces flux(et donc le champ de temperature) s’ajustent de facona maximiser une fonction thermodynamique globale, quicorrespond a l’entropie creee par le systeme par unite detemps.

B. Modele de Paltridge et climat pre-industriel

Paltridge a mis en oeuvre ce principe dans un modeletres simple, et en a deduit une distribution latitudi-nale de temperature, de couverture nuageuse et de fluxmeridional d’energie remarquablement proches des obser-vations (Paltridge, 1975). Neanmoins, on peut emettrel’objection que la partie radiative du modele est for-mulee de facon ad hoc et contient de nombreux pa-rametres ajustables, alors meme que l’on cherche a eviterde parametriser le transport d’energie. De plus, il n’estpas evident qu’il ne s’agisse pas d’une simple coınci-dence ; l’accord subsiste-t-il pour des climats differentspar exemple ? Pour repondre a ces objections, on peutreformuler la partie radiative du modele (Herbert et al.,2011b), de facon a ce que seuls des coefficients avecun sens physique bien identifie apparaissent, commepar exemple la composition de l’atmosphere ou l’al-bedo de surface. Pour evaluer les performances de cemodele MEP, on peut comparer ses resultats a ceux ob-tenus par un modele de circulation generale, beaucoupplus complexe et qui resout explicitement la dynamiquede l’atmosphere et de l’ocean, comme par exemple lemodele de l’IPSL (decrit par exemple par Dufresne et al.(2006)). Sans entrer dans les details de la comparaison(voir Herbert et al. (2011b)), on constate que si l’ons’en tient a une version sans parametres ajustables dumodele (en particulier, l’effet radiatif des nuages n’estpas represente), l’accord entre les deux modeles n’est pasaussi bon que ce que pouvaient faire penser les resultatsde Paltridge : en moyenne globale, la temperature desurface calculee par les deux modeles differe d’environ7 degres. Si l’on introduit une representation tres sim-pliste des nuages et des effets de topographie, l’ecartse reduit a environ 1 degre, c’est-a-dire de l’ordre dela marge d’erreur liee a la vapeur d’eau. La distribu-tion spatiale de la difference entre les deux modeles estrepresentee sur la figure 5 (gauche). On peut egalementrepresenter le transport meridional d’energie (integre zo-nalement) pour les deux modeles (voir figure 5, droite) ;l’accord est assez bon dans l’hemisphere Nord, tandisque le transport dans l’hemisphere Sud est legerementsous-estime par le modele MEP. Compte tenu de la sim-plicite du modele MEP, ces resultats sont relativementsatisfaisants, et semblent indiquer que le principe varia-tionnel MEP fournit une approximation raisonnable desflux d’energie dans l’atmosphere et l’ocean, du moins surl’horizontale.

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Figure 5 Gauche : Difference de temperature de surface pour le climat pre-industriel entre le modele MEP et le modele del’IPSL. Droite : Transport meridional d’energie, obtenu par le modele MEP (courbe rouge) et par le modele de l’IPSL (courbenoire pointillee) pour le climat pre-industriel.

C. Le Dernier Maximum Glaciaire

Toutefois, on peut toujours se demander comment cesresultats evoluent lorsque les parametres varient, ou, end’autres termes, pour des climats differents. En effet,l’interet majeur de disposer d’un modele tel que celuidecrit ci-dessus est d’une part qu’il ne necessite pas decalibration de parametres empiriques a partir de donneeset d’autre part, qu’il est extremement rapide. De telsatouts semblent particulierement attrayants pour l’etudede paleoclimats. Je me suis donc interesse a un exemplebien documente : le Dernier Maximum Glaciaire (DMG).Au cours du Pleistocene, la Terre a subi des periodes deglaciation et de deglaciation a peu pres periodiques (tousles 100 000 ans environ). Le Dernier Maximum Glaciairedesigne la periode ou le volume de glace dans les calottespolaires etait maximal, pour la derniere glaciation. Onestime qu’il a eu lieu il y a environ 20 000 ans. Des re-constructions basees sur le rebond isostatique des conti-nents (i.e. comment le continent s’enfonce sous le poidsde la calotte) permettent de disposer d’estimations del’etendue et du volume des calottes : une de ces recons-tructions est representee sur la figure 6. Dans le modeleMEP, le seul parametre qui est influence par la presencede ces calottes est l’albedo de surface (en realite la to-pographie est egalement differente, ainsi que les interac-tions sol-atmosphere, etc). Pour que la comparaison avecle modele de circulation generale ait un sens, il convientde realiser avec ce dernier une simulation qui ne prend encompte que l’effet d’albedo du a la presence des calottes.Les resultats de cette comparaison sont representes sur lafigure 7. En moyenne globale, le modele MEP predit unDMG plus froid que le pre-industriel d’environ 2 degres,alors que le modele de l’IPSL donne une difference de2.5 degres. L’accord est raisonnable, toutefois des limitesapparaissent quand on regarde la distribution spatiale del’anomalie de temperature : pour le modele MEP, elle estconcentree au dessus des calottes (donc la ou l’albedo de

Actuel Dernier Maximum Glaciaire

Il y a 21 000 ans

Figure 6 Au Dernier Maximum Glaciaire, d’imposantes ca-lottes de glace recouvraient l’essentiel de l’Amerique du Nordet de l’Europe du Nord, alors que ces zones sont aujourd’huilibres de glace.

surface a change), alors que pour le modele de l’IPSL,elle est beaucoup plus etalee zonalement. Cela met enevidence le manque de representation de la dynamiquedans le modele MEP.

D. Profils verticaux et CO2

Les resultats presentes jusqu’ici se concentrent sur letransport horizontal (et essentiellement meridional) dansl’atmosphere et dans l’ocean. Le modele MEP decritci-dessus utilise une approximation particulierementgrossiere de la dimension verticale : il y est suppose quel’atmosphere est isotherme. Bien entendu, il est possiblede raffiner en introduisant une discretisation de la ver-ticale en un nombre arbitraire de niveaux ; il convientseulement de pouvoir calculer le bilan radiatif a chaqueniveau grace a une version plus generale du code radia-tif utilise precedemment. Il faut egalement calculer letransport vertical d’energie dans l’atmosphere (la convec-

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Figure 7 Gauche : Difference de temperature de surface entre le Dernier Maximum Glaciaire et le pre-industriel, calculee parle modele MEP. Moyenne globale : −2˚C. Droite : Difference de temperature de surface entre le Dernier Maximum Glaciaireet le pre-industriel, calculee par le modele de l’IPSL. Moyenne globale : −2.5˚C.

tion) : en fait, ces flux sont automatiquement inclus dansle principe variationnel MEP et il n’y a pas de diffi-culte nouvelle. Des lors, on dispose d’un modele MEPreellement ≪ 3D ≫, sans que cette version soit plus com-plexe que la precedente : seul le code radiatif change. Onpeut s’interesser au cas particulier d’une colonne d’at-mosphere, et calculer des profils verticaux de temperatureobtenus par le modele MEP. De tels profils sont calculeset decrits par Herbert et al. (2013). Ici, le principe MEPpermet d’eviter d’avoir recours a une parametrisation dela convection, comme par exemple un ajustement convec-tif.

Disposer d’une representation realiste de la dimensionverticale est une condition sine qua non pour etudier leseffets d’une variation de la composition de l’atmosphere,comme un changement de concentration en dioxide decarbone. En effet, pour une atmosphere isotherme, l’effetde serre est tres mal represente car la bande d’absorptiondu CO2 est saturee (voir par exemple Dufresne et Trei-ner, 2011). Une question interessante est donc d’etudierl’effet d’un changement de concentration en CO2 dansl’atmosphere sur le champ de temperature obtenu par lemodele MEP. Un premier test simple consiste a realiserune experience de sensibilite climatique pour des pro-fils verticaux standard : comment la temperature au solchange-t-elle quand on double la concentration en CO2.Les valeurs obtenues, de l’ordre de 0.5K, sont en accordsatisfaisant avec les estimations classiques. De manieresemblable, on peut estimer grossierement le role du CO2

dans le climat du DMG : on sait qu’au DMG, la concen-tration en CO2 atmospherique etait inferieure d’envi-ron 100ppm au climat pre-industriel. Dans le modeleMEP, une telle diminution correspond a une differencede temperature d’environ −0.5K.

Dans les deux cas, l’effet de la variation de concentra-tion en CO2 atmospherique sur la temperature est calcule

sans tenir compte des retroactions climatiques : en effet,de nombreuses boucles de retroaction vont amplifier ceteffet. Inclure ces boucles de retroaction dans le modeleMEP est donc essentiel. En principe, rien ne s’y oppose,comme on l’a montre dans le cas des retroactions de l’al-bedo ou de la vapeur d’eau (Herbert et al., 2011a).

III. MECANIQUE STATISTIQUE A L’EQUILIBRE

A. Idee fondamentale : les distributions de probabilited’equilibre

Dans la section precedente, nous avons presenteune approche concrete permettant de calculer des fluxd’energie a l’etat stationnaire dans l’atmosphere etl’ocean sans resoudre explicitement leur dynamique.Le principe variationnel sous-jacent est essentiellementphenomenologique, et on ne comprend pas parfaitementl’interpretation probabiliste a donner aux resultats dece modele : s’agit-il de valeurs moyennes ? Pour quelledistribution de probabilite ? Une facon plus fondamen-tale de mettre en oeuvre la demarche esquissee en in-troduction est de partir des equations de la dynamique,et de construire une distribution de probabilite sur l’es-pace des phases de facon coherente avec la dynamique.En fait, ce programme est exactement celui qu’ont intro-duit Maxwell, Boltzmann et Gibbs au XIX-eme siecle,en posant les bases de la mecanique statistique (voir parexemple Lebowitz (1993)).Expliquons les idees fondamentales dans le cas d’un

exemple simple : le gaz parfait. Considerons simplementl’air a l’interieur d’une piece : pour simplifier, suppo-sons que toutes les molecules de gaz sont identiques,qu’elles sont ponctuelles, et qu’elles n’interagissent pas.Les molecules se deplacent donc en ligne droite entre

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deux chocs avec d’autres molecules ou avec les parois dela piece. Un gaz satisfaisant ces hypotheses ideales s’ap-pelle un gaz parfait. Mathematiquement, sa dynamiqueest simple : il s’agit d’un systeme hamiltonien dont leHamiltonien est bien connu — il s’agit simplement del’energie cinetique. Les lois de la dynamique sont doncconnues et simples. L’espace des phases est l’ensembledes positions et vitesses possibles pour chaque moleculede gaz. En principe, etant donnee une condition initiale— i.e. la position et la vitesse de chaque molecule degaz a l’instant initial — on peut donc calculer l’etat dusysteme — la position et la vitesse de chaque molecule degaz — a tout instant futur. En pratique, c’est impossibleparce que l’espace des phases est beaucoup trop grand :il y a typiquement de l’ordre de 1023 (le nombre d’Avoga-dro) molecules de gaz ! Meme s’il etait possible de realiserce calcul (cela viendra peut-etre un jour), cela n’auraitpeut-etre pas tant d’interet : en tant qu’etres humains,il nous importe peu de connaitre la position et la vitessede chaque molecule de gaz dans la piece : ce sont des in-formations microscopiques, alors que nous sommes plusconcernes par des grandeurs macroscopiques, comme latemperature et la pression du gaz dans la piece.

En fait, beaucoup d’etats microscopiques du systemecorrespondent au meme etat macroscopique. Prenons parexemple tous les etats microscopiques correspondant aune energie donnee. On peut faire l’hypothese que pourune condition initiale de meme energie, la dynamique vavisiter tous ces etats de facon a peu pres uniforme (hy-pothese ergodique ; voir par exemple Lebowitz et Penrose(1973)). Des lors, imaginons que l’on souhaite calculer lavaleur d’une fonction qui depend de la position dans l’es-pace des phases (i.e. l’etat microscopique), comme parexemple, la moyenne des carres des vitesses de toutes lesmolecules (vitesse quadratique moyenne). Si on resout ex-plicitement la dynamique du systeme pour une conditioninitiale donnee, on peut calculer exactement la vitessequadratique moyenne a chaque instant. On peut ensuitefaire la moyenne temporelle du signal obtenu. Mais sousreserve de validite de l’hypothese ergodique, il y a uneautre facon de calculer la vitesse quadratique moyenne :comme tous les etats de meme energie devraient etrevisites aussi souvent, on peut calculer la vitesse qua-dratique moyenne pour chacun d’entre eux et faire lamoyenne des contributions ainsi obtenues. Dans ce cal-cul, il n’est pas necessaire de resoudre la dynamique, eton a remplace une moyenne temporelle par une moyennedans l’espace des phases. Il se trouve que pour un systemeassez grand, les deux calculs coıncident. A partir de la vi-tesse quadratique moyenne, on definit aisement les gran-deurs macroscopiques comme la temperature et la pres-sion.

L’exemple precedent illustre le fait qu’il suffit de dis-poser d’une distribution de probabilite sur l’espace desphases bien choisie pour calculer les grandeurs macro-scopiques d’interet. En l’occurrence, on a simplement at-tribue une probabilite uniforme a tous les etats micro-scopiques d’energie donnee : on parle de distribution mi-

crocanonique. D’autres choix sont possibles : par exemplela distribution canonique, qui decroit exponentiellementavec l’energie. Pour de nombreux exemples, en particu-lier pour le gaz parfait, ce choix importe peu et pourun systeme assez grand, les predictions coıncident (maisce n’est pas toujours le cas). Toutes ces distributions deprobabilite, dites d’equilibre, ne dependent que d’infor-mation tres simples sur la dynamique : en l’occurrenceelles ne dependent que de l’energie du systeme, qui estconservee par la dynamique. On peut generaliser cetteconstruction : connaissant les grandeurs laissees inva-riantes par la dynamique, on peut construire les distri-butions de probabilite d’equilibre.

Peut-on proceder de la meme facon pour l’equationdecrivant la dynamique de l’atmosphere et de l’ocean ?

B. Mecanique statistique des ecoulementsquasi-geostrophiques

Pour simplifier, on va considerer un modele de la dyna-mique atmospherique et oceanique relativement simple :la dynamique quasi-geostrophique, qui decrit bien lesgrandes echelles des ecoulements geophysiques. Dans unpremier temps, on va meme considerer que l’ecoulementest barotrope, et donc qu’il ne depend pas de la co-ordonnee verticale. Cela revient en quelque sorte aconsiderer un modele quasi-geostrophique a un seul ni-veau. Cette dynamique est tres proche de celle d’unfluide incompressible a deux dimensions. La dynamiqueprend la forme simple d’une equation d’advection pourune quantite appelee vorticite potentielle, notee q, liee auchamp de vitesse par une relation simple. Ici, l’espace desphases est donc constitue par l’ensemble des champs devorticite potentielle q(x). En particulier il est de dimen-sion infinie. Comme pour le gaz parfait (a quelques detailstechniques pres), en l’absence de viscosite moleculaire, ladynamique a une structure hamiltonienne. En particu-lier, l’energie cinetique E de l’ecoulement est invariante.Mais une nouveaute est qu’il existe beaucoup d’autresinvariants : l’integrale sur tout le domaine de n’importequelle fonction de q est un invariant. En particulier, onpeut considerer les invariants de Casimir Γn, qui sont lesmoments du champ de vorticite (l’integrale de qn). Uncas particulier important est celui de l’enstrophie poten-tielle Γ2. En fonction de la geometrie du domaine, il peuty avoir d’autres invariants : par exemple sur une sphere,le moment angulaire L est conserve.

Connaissant les invariants, on souhaite construire lesdistributions de probabilite d’equilibre sur l’espace desphases. Deux difficultes techniques apparaissent par rap-port a l’explication precedente : l’espace des phases estde dimension infinie et il y a une infinite de quan-tites conservees. Pour simplifier, on peut commencerpar considerer, comme le fit Kraichnan (1967), une ap-proximation du systeme sur un espace des phases dedimension finie (un nombre fini de modes de Fourierpar exemple), en ne gardant qu’un nombre fini d’in-

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variants, par exemple l’energie et l’enstrophie. Dans cecas, il est aise de construire la distribution de probabi-lite a l’equilibre, par exemple la distribution canonique.Des lors, on peut calculer la valeur moyenne du spectred’energie. Une chose interessante se produit : pour desvaleurs de l’energie moyenne suffisamment faibles, lespectre diverge aux grandes echelles. Cette accumulationd’energie aux grandes echelles est le fruit d’un processusde transfert turbulent appele cascade inverse. A causede la presence d’un deuxieme invariant quadratique,l’enstrophie, en plus de l’energie, les ecoulements bi-dimensionnels et quasi-geostrophiques ne se comportentpas comme les ecoulements tri-dimensionnels homogenesisotropes : l’enstrophie est transferee vers les petitesechelles tandis que l’energie est transferee vers les grandesechelles, alors que l’energie est transferee vers les pe-tites echelles dans un ecoulement tri-dimensionnel. End’autres termes, alors que la tendance naturelle d’untourbillon tri-dimensionnel est de se casser en tourbillonsplus petits, qui eux memes se brisent en tourbillons en-core plus petits et ainsi de suite jusqu’a ce que la dissipa-tion moleculaire intervienne, la tendance naturelle pourdes tourbillons bi-dimensionnels ou quasi-geostrophiquesest de s’agreger en un tourbillon plus grand, jusqu’a at-teindre eventuellement la taille du domaine. Le transfertd’enstrophie vers les petites echelles correspond au faitque les contours des tourbillons deviennent de plus enplus filamentaires.

Le processus de cascade inverse resulte donc en l’ac-cumulation d’energie aux grandes echelles. Ce que lessimulations numeriques et les experiences indiquent estque de plus, des relations de phase s’etablissent, cor-respondant a l’apparition de structure coherentes per-sistantes a grande echelle, et pas seulement de fluctua-tions incoherentes. L’apparition de telles structures estegalement observee dans l’atmosphere et dans l’ocean,a l’echelle planetaire ou a la meso-echelle. Peut-on com-prendre et predire l’apparition de ces structures a l’aidede la mecanique statistique ? Pour ce faire, on s’appuiesur la theorie developpee par Miller (1990), Robert etSommeria (1991). Il convient de definir un champ devorticite potentielle ≪ grossier ≫ qui ne contiendra queles structures a grande echelle et pas le detail des petitesechelles : en chaque point du domaine, on definit une dis-tribution de probabilite pour la valeur prise par le champde vorticite potentielle. En calculant la valeur moyennede la distribution de probabilite en chaque point, on ob-tient le champ de vorticite potentielle ≪ grossier ≫ q(x).La distribution de probabilite pour la vorticite poten-tielle microscopique est selectionnee par un principe va-riationnel : elle maximise une entropie statistique souscontrainte de conservation des invariants de la dyna-mique. Une fois resolu ce probleme variationnel, on peutobtenir une equation caracterisant sa valeur moyenne : ils’agit d’une relation de la forme q = F (ψ), ou ψ est lafonction courant associee. De maniere generale, les etatsstationnaires de la dynamique quasi-geostrophique sontcaracterises par une relation de cette forme. La difference

Figure 8 Equilibres statistiques pour la dynamique quasi-geostrophique sur une sphere en rotation : rotation solide(haut-gauche), dipole (haut-droite), ecoulement zonal cisaille(bas-gauche) et quadrupole (bas-droite) (Herbert, 2013; Her-bert et al., 2012). En fait, la composante dipole n’est pas sta-tionnaire : en raison de la precession du moment angulaire, lemaximum de vorticite se deplace sur son cercle de latitude,comme une onde de Rossby de nombre d’onde unite.

est qu’ici, la fonction F reliant vorticite potentielle etfonction courant est fixee par des quantites macrosco-piques, les invariants de la dynamique, et pas par desquantite microscopiques, comme la condition initiale. Ona donc defini une sous-classe des etats stationnaires de ladynamique quasi-geostrophique, qu’on appelle les etatsd’equilibre.

Il reste a resoudre l’equation q = F (ψ) pour cal-culer les etats d’equilibre du systeme. En general, cen’est pas une tache aisee. Une limite dans laquelle descalculs analytiques sont possibles est celle d’une fonc-tion F lineaire. Dans ce cas, on obtient des structurescoherentes ou toute l’energie est condensee dans le modele plus ≪ grave ≫ du domaine. Par exemple, pour un do-maine rectangulaire sans rotation, on obtient ou bienun monopole, ou bien un dipole, selon le rapport d’as-pect (Chavanis et Sommeria, 1996). En ajoutant un≪ effet β ≫, on obtient l’ecoulement de Fofonoff, bienconnu en oceanographie (Naso et al., 2011). Sur unesphere en rotation, il y a une subtilite liee au mou-vement de precession du moment angulaire (Herbert,2013). L’equilibre statistique general est la somme dedeux composantes : un ecoulement stationnaire qui prendla forme d’un melange de quadrupole (deux maximaet deux minima de vorticite potentielle), d’une compo-sante zonale cisaillee (vitesses opposees dans les deuxhemispheres) et de rotation solide (on peut ajouter uneconstante a la vitesse angulaire ; cette composante estfixee par la projection verticale du moment angulaire)et une composante qui depend du temps, sous la formed’une onde de Rossby de nombre d’onde unite (cela cor-respond a un dipole — un maximum et un minimumde vorticite potentielle diametralement opposes — qui sedeplace sur un cercle de latitude). Des cas particuliersd’equilibres statistiques stationnaires sont donc le qua-

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drupole, l’ecoulement zonal cisaille et la rotation solide.Ces solutions sont representees sur la figure 8.La mecanique statistique fournit donc une explication

a l’apparition de structures coherentes a grande echelledans des ecoulements quasi-geostrophiques, qui decriventbien les grandes echelles de l’atmosphere et de l’ocean.Ces structures resultent du processus de melange tur-bulent de la vorticite potentielle. La mecanique statis-tique permet de predire quelles structures vont domi-ner l’ecoulement si l’on attend assez longtemps, sousreserve de la validite de l’hypothese d’ergodicite, etantdonnees seulement quelques grandeurs macroscopiques,a savoir les invariants de la dynamique. Ces predictionssont en bon accord avec des simulations numeriques, etles structures obtenues correspondent a des observationsdans l’atmosphere et l’ocean, comme par exemple l’ap-parition de jets ou d’anneaux dans les meso-echelles del’ocean (Bouchet et Venaille, 2012).On s’est restreint jusqu’ici a des ecoulements quasi

bi-dimensionnels, essentiellement pour des raisons tech-niques. En fait, la dynamique quasi-geostrophiquegenerale satisfait le meme genre de proprietes que dansle cas barotrope : a chaque niveau vertical, les invariantsde Casimir sont conserves, ainsi que l’energie totale bienentendu. Des calculs dans le cadre d’un modele a deux ni-veaux, ou avec une stratification continue, montrent quesur l’horizontale, on attend une organisation en struc-tures a grande echelle semblable au cas barotrope, tan-dis que sur la verticale, l’energie se repartit a l’equilibrestatistique entre mode barotrope et modes baroclines.Les details de la dependance verticale restent encore aetudier.

IV. CONCLUSION

La motivation de ce travail etait de tenter de com-prendre ce que l’on peut dire au niveau macrosco-pique (le climat) sur le systeme atmosphere-ocean sansresoudre explicitement la dynamique microscopique (lameteorologie). Nous avons aborde cette question sousdeux angles opposes. D’abord, un point de vue trespragmatique est de chercher a formuler un principephenomenologique pour calculer le transport d’energiedans l’atmosphere et dans l’ocean sans calculer le detailde leurs mouvements. En pratique, cela permet de ≪ fer-mer ≫ des modeles tres simples de climat, comme lesmodeles de bilan d’energie. Si cette approche permetd’obtenir rapidement des resultats tres concrets, on mai-trise assez mal les fondations theoriques qui pourraientjustifier le principe variationnel. Une facon plus rigou-reuse de proceder est donc d’introduire une descriptionprobabiliste de la partie du systeme qu’on ne souhaite pasresoudre explicitement (ici la dynamique de l’atmosphereet/ou de l’ocean). La maniere la plus simple est sansdoute de construire les distributions de probabilite ditesd’equilibre, qui s’appuient uniquement sur les invariantsde la dynamique du systeme inviscide. De la sorte, on

peut comprendre comment l’energie s’organise en struc-tures coherentes a grande echelle dans des ecoulementsquasi-geostrophiques, et calculer les etats d’equilibre, quicorrespondent a la dynamique a grande echelle attendue.

Un point commun a ces deux approches est que dansles deux cas, on a directement acces aux echelles d’es-pace et de temps qui nous interessent : on calcule di-rectement des etats stationnaires en temps, et les pe-tites echelles spatiales, habituellement representees viades parametrisations sous-maille, sont prises en comptede facon implicite. Sur un plan plus technique, les deuxapproches prennent la forme de problemes variationnelssous contraintes, ce qui etablit des connections entre ellesliees aux methodes de resolution. Dans les deux cas, lesmodeles developpes sont relativement peu sophistiques,dans le sens ou ils ne tentent pas de resoudre tous lesphenomenes a toutes les echelles d’espace et de temps :ceci les rend complementaires de methodes existantescomme les modeles de circulation generale, qui resolventde plus en plus de phenomenes avec des resolutions deplus en plus fines. En effet, pour progresser dans lacomprehension d’un systeme aussi complexe, nous avonssans doute besoin a la fois de ≪ simulations ≫ qui visenta reproduire au plus proche le comportement du systemereel tout en ayant la possibilite d’explorer le role dedifferents parametres, que de ≪ modeles ≫, qui cherchentavant tout a comprendre quels mecanismes jouent un rolecrucial dans tel ou tel phenomene, et quels autres peuventetre negliges ou representes de facon approchee.

Acknowledgments

Je tiens a remercier mes directeurs de these, DidierPaillard (LSCE) et Berengere Dubrulle (SPEC), qui sonta l’origine de ce travail (leur influence est visible en plu-sieurs points de cet article), ainsi que le jury du prixPrud’homme pour l’interet qu’ils ont porte a mon tra-vail. Merci a Christophe Dumas (LSCE) pour la figure 6.

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