Upload
fperetzve
View
238
Download
0
Embed Size (px)
Citation preview
7/21/2019 [Pierre Macherey] Introduction a l'Ethique de Spin(BookZZ.org)
1/211
3
n7t
,1t4?
telt
3
ue
t
-),P:-*9-3-,'?-.
La
troisime
partie
La
vie affective
Pierre
Macherey
tdilr
.ffiE4d***ff
"
PRESSES
UNIVERSITAIRES
DE FRANCE
7/21/2019 [Pierre Macherey] Introduction a l'Ethique de Spin(BookZZ.org)
2/211
Pow
une thorie
ile
la
production
littraire,
Maspero,
coll.
(certas proprietates
habent
cognitione nostra aeque dignas ac
pro-
prietates
cujuscunque
alterius
rei
cujus
sola
contemplatione
delectamur)1
.
L'horreur
que
nous inspirent
ordinairement
ces dbordements
affectifi
se
retourne
alors
en une
vritable
;
celle-ci
correspond
la
joie
de
comprendre,
qui
est
un affect entre tous
1.
Ce
passage
de la prface
t de
Afeetibus
est
donn
la
rfrence
la
fin
du sco-
lie
de la
proposition
57
du de
Seruitute,
qui traite
de
la
prtention
et de la
bassesse, dans
les termes suivants
:
(et
sane
humani afectus,
si
non
humanae,
naturae
sahem
potentiam et
artficium
non minus
indieant quam muha alia
quae admiramur
quoruffique contemplatione deleetamur).
Les affects humains
sont des
tmoignages
irrem-
plaables de la richesse
d'invention
de la nature,
qui
est
inpuisable : et
si
on
les
voit
ainsi,
il
y
a
davantage
en
rire
qu'
en
pleurer.
13
7/21/2019 [Pierre Macherey] Introduction a l'Ethique de Spin(BookZZ.org)
7/211
Introduction
lT,thique :
la uie
ffietiue
cits : or,
expliquera
alors Spinoze,
c'est
prcisment
dans
la
mesure
o
ils
sont
ainsi drangs
que
les
hommes se
gnent aussi
rciproque-
ment entre
eux, chacun
projetant sur autrui
les
restrictions
imposes
ses
propres comportements
par des
causes
extrieures
qui f influencent,
et mme
le manipulent,
sans
qu'il puisse en
tre
rendu rellement
res-
ponsable.
(quatenus)
qu'ils
sont
mentalement a{fligs
de
ce
type
d'affects
que
sont
les
passions, on
peut dire
que les
hommes
sont
alins,
en
mme temps
qu'ils s'alinent
mutuellement
les
uns les
autres
: mais I'emploi
du terme
quatenus,
qui
joue
un
rle cl dans
l'en-
semble
de
la thorie
de
I'affectivit,
relativise
la
porte de cette
affir-
mation,
prcisment
parce
qu'il permet de
dnouer
I'identication
spontane
des
a{fects et des
passions. C'est
seulement dans
la mesure
o
I'affect
prend
la
forme
de
la passion, c'est--dire
d'un sentiment
passivement subi,
qu'il
produit sur
I'existence
humaine
des effets
dom-
mageables,
non pas utiles
mais
nuisibles.
Mais, s'il
cesse
d'tre
une pas-
sion1,
I'affect accde
un
tout autre
statut
et,
au
lieu de
reprsenter la
forme
par
excellence
de la servitude
de
I'homrne,
il
devient
I'instru-
ment privilgi
de
sa
[bration.
ORGANISATION
DE LA VIE
AFFECTIVE
L'aspect
le
plus manifeste
de
la vie
affective
-
's51
celui
qui
est
soulign
dans
les interminables
discours
que les moralistes
ont
consa-
crs
I'inconstence
humaine
-,
c'est
son
instabilit et
sa
variabilit.
En
entreprenant
l'tude
de cet
aspect trs
particulier
de
la ralit
men-
tale,
Spinoza
se
confronte
un monde
d'infinies
nuances,
o
jouent
des
proportions
que leur finesse
rend
premire
vue imperceptibles
et
insaisissables.
Comment
la rigueur
des
procdures
rationnelles,
imites
des
gomtres,
qui ramnent tout
des
questions
de lignes et
de
plans,
1.
Selon
la
formule
dj voque
qui
se
trouve
dans
E, V,
prop. 3.
Sujet et
composition
du
de
Afectibus
UN
POINT
DE VUE RATIONNEL
SUR
L'AFFECTIVITE
(titre
et
prface du
de
Affectibus)
Sous
le titre
>
(de
natura
et
ori-
gine
mentis),
la
seconde
pertie de
l'Ethique
est consacre
l'tude des
conditions
de fonctionnement
du
rgime mentall
considr en
gnral,
sans
rfrence
explicite,
au
moins
au dpart,
la nature
spcifique
de
I'homme,
en tent
que ce
rgime
mental
est
objectivement
dtermin
par
les
lois qui dfinissent
I'ordre de
ralit propre
la
(res
cogitans)
en gnral.
La troisime
partie
de
l'-Ethique,
qui
est
intitule
tant compltement
dtermine
en
elle-mme
par ses conditions
spci-
tques telles
qu'elles
lui
sont
fixes
par son
(origo) qui
assigne
son
fonc-
tionnement
des bases
objectives.
L'affectivit,
comme toutes
les autres
formes
d'acti-
vit
mentale, s'explique
per
ses
causes,
c'est--dire
par
les
rgles
qui
dtnissent
sa
puissance,
en
repport
avec
la
puissance
globale
de
la nature
dont
elle
constitue
une
expression
particulire.
22
'{F
7/21/2019 [Pierre Macherey] Introduction a l'Ethique de Spin(BookZZ.org)
8/211
Introduction
lEthique
: la uie afectiue
rence
au
contexte spcial de
I'existence
humaine :
y
sont exposs
les
caractres
corununs
de
I'affectivit, constamment
rapports non
des
sujets
personnels mais
des
(res),
en
tant que
ceux-ci
concer-
nent,
sinon tous
les ues, du
moins
toutes
les formes
individues de
I'existence, c'est--dire
l'ensemble
des
vivants. Sont
ainsi dgages
des
lois
qui,
sans
doute, s'appliquent afortiori
la
nature
humaine
-
on
peut
mme
estimer
que,
dans
le
contexte
propre
une thique, c'est
ce cas
qui
retient particulirement
l'attention de
Spinoza
-,
mais
ne sont pas
extraites
de la considration exclusive
d'une essence
humaine
traite
compltement
pert,
comme
si elle se trouvait
elle-mme au
centre
d'un ordre de
ralit
autonomel.
Cette orientation thorique
relve manifestement
d'un choix dli-
br,
par
lequel
Spinoza
se
place
d'emble
en rupture
par
rapport
toute
une
tradition. C'est ce
qui
est indiqu dans
les
premires
phrases de
la
prface
qui
suit
immdiatement l'nonc du
titre du de
Afectibus
:
(nam
hominem
natufae
ordinem
magis
perturbarc
qudm sequi...
uedunt).
L'emploi
du
verbe credere
a
ici
une
valeur
trs
forte :
il signale
le
it
que cette
opinion
a un
caractre
extra-
vegant,qui
la
soumet
compltement
le
loi
de
I'imagination,
et
la
situe
l'oppos
d'une
vritable
connaissance.
L'inconsistance
de cette
croyance
est
signale
par le
fait
qu'elle
dbouche
sur
des
consquences
contradictoires
: en
effet
elle
installe l'homme
dans
une
position
qui
se
situe
simultanment
en
excs
et
en
dfaut
par repport
la
nature
des
choses.
En excs,
puisqu'il
est ainsi
dot de
pouvoin
extraordinaires
en
vertu
desquels,
croit-on,
u
il
a
lui-mme
une
puissance
absolue
sur
ses
actions
et
n'est dtermin
par
rien d'autre
que
per soi-mme
>
(ipsum
in
suas
actiones
absolutam
habere
potentiam
nec
aliunde
quafn
4 se
Qtso
detetmi'
1.
La formule
tunquaffi
imperium
in impeio,
qui exprime
de
manire
extrmement
frappante
I'anti-humanisme
tlrorique
de Spinoza,
son
refus
de
reconnatre
I'ordre
no-;"
une ralit
spare
soumise
ses
propres
lois
par lesquelles
il serait
soustrait
l'ordre
commun
de
la
nature, comme si
la
>
(in
suas actiones
absolutam
habere
potentiam)
et de fonder l-dessus
une
rgle
de
vie.
En faisant
de
I'homme
un
tre
d'exception,
on se condamne
clbrer
sa
grandeur
en tournant
en drision sa misre,
et
rciproque-
ment
: et cette trange combinaison
d'exdtation
et
de dpression, qui
fait le fond
de
la sagesse
de
presque
tous les moralistes, illustrerait
assez
1. Etant
donn
que
Spinoza
tourne le plus
souvent ses
critiques
l'encontre
des
philosophes,
des thologiens
ou des moralistes
en gnral,
sans dsigner ceux-ci plus
prcisment,
cette rfrence
explicite
prend
un reliefparticulier
: elle signale
d'emble
que I'argumentation
dveloppe
dans le de
Afectibus,
o Spinoza reprend le pro-
granrme
que
Descartes s'tait
tx dans
son
trait
sur Its
passions
ile l'me,
se trouve
dans un repport
de
dialogue
et
de
contestation
vis--vis de cet
ouvrage,
dans les
marges
duquel
cette
partie
del'Ethique
est
en
quelque
sorte crite.
7/21/2019 [Pierre Macherey] Introduction a l'Ethique de Spin(BookZZ.org)
10/211
Introduction
/Ethique
: la uie afectiue
bien
le
phnomne
du
>
(fluctuatio
animi)
qui,
nous le
verrons
plus
tard,
est
une
constante
de
notre vie
affectivel.
Spinoza se
propose de
briser ce
cercle,
et de
faire ce
que
personne
n'avait fait avant
lui,
savoir
(more
geomettico
tractae
et certa ratione
demonstrare
ea
quae
rationi
requgnare...
clamitant)
.
Le
projet d'un
traitement
scientifique
des
problmes de
l'affectivit
suppose
une
mise
distance
de
ceux-ci
qui
permette de
porter sur
eux
un
regard
dsengag
:
mais
pour y
parvenir
il
faut s'tre
soi-mme
libr
de la
force alinante
exerce
par les affects
et
en
matriser
le
fonctionnement.
Dns cette troisime partie del'Ethique plus que
nulle
part ailleurs,
il
apparat
quel
point
l'entreprise
d'une
mle des
enjeux thoriques
et
des
enjeux
pratiques :
car
colment
evoir
le contrle
de
la vie
affective
si on
n'en comprend
pas la nature?
Mais
aussi,
rciproquement,
com-
ment comprendre
sa
neture
si on
n'exerce
pas dj
sur elle un
certain
contrle
?
Pour
parvenir
une
certaine
clart
sur ces
questions
entre
toutes
difficiles,
il faut les aborder
avec srnit2,
et
pour
cela
il
faut
savoir
prendre ses
responsabilits,
en
faisant un
pari raisonnable
sur
les
conditions
ncessaires
leur
rsolution.
>
(mea
haec
est
ratio),
dclate
Spi-
oza,
et
on
serait presque
tent
de
traduire
:
telle
est
mon
hypothse
de
1. Ce
phnomne
sera caractris
par
Spinoza
dans le
scolie de
la proposition
17
(E
IID.
2.
Lr
(acquiescentia) est elle-mme
un
affect.
Mais c'est
typiquement
ce
que
Spinoza
appellera
plus tard
un affect
actif,,
dont
l'me
est la
cause adquete
: c'est
pourquoi
il sera
au centre
du
projet de libration
dvelopp
dans
la cinquime
partie
de l'Ethique.
Sujet
et composition
dz
de A{fectibus
dpart. Cette
hypothse
consiste affirmer
la
complte
intgration de
I'affectivit
l'ordre
counun des choses
puisqu'elle
est
ncessairement
soumise
ses lois, comme
tous
les
autres
phnomnes de
la
nature. Ce
rype
de
manifestation
de
notre
rgime mental,
qui, en
raison
de
son
ins-
tabilit et de
la
peur
instinctive
qu'il
dclenche
chez ceux
qui
tentent
de
l'apprhender,
parat le
plus insaisissable
de tous,
n'est
accessible
la
connaissance,
et susceptible
d'tre
effectivement rgul,
que
s'il
est ainsi
ddramatis
et en
quelque sorte dsenchant.
Or,
au
point o Spinoza
est
parvenu de son
raisonnement
dans
le dveloppement
d'ensemble
de
l'Ethique,les
bases thoriques
de
cette
entreprise
sont dj
runies
: le
de
Deo a tabh dans
son universalit,
et selon ses
trois dimensions
ontolo-
gqr., logique et
physique, le principe de
causalit
qui
doit
s'appliquer
tous les domaines
de la
ralit sans exception.
De
ces
explications
prala-
bles
qui
ont
dj
t donnes
de
manire complte
par voie de dmons-
tration,
il
rsulte
que
(nihil
in
naturafit
quod ipsius vitio
possit tibui)
,
ce
qui
est
une autre
manire
de
dire
que
Par
ralit
et
perGction
il
faut
entendre une
seule et
mme choset. Remettre
ce
principe
en doute,
ainsi
que le font
justement
les
moralistes en
vue d'opposer
ce
qui
doit
tre
ce
qui
est
donn
dans
la ralit en vernl
du dterminisme
inteme
de
son
organisation,
c'est renoncer
avoir
une
vue cohrente
sur
les
choses
en
refusant de
reconnatre que
(
les
lois
et
rgles
de
la
nature,
selon
lesquelles
toutes choses se
font et changent
leurs
formes
les
unes
dans
les autres,
sont
partout
et
toujours
les mmes
>
(naturae
leges et regulae
secundum
quas
omniafunt
et
ex
unisformis in
alias mutantur sunt
ubique
et semper
eaedem)2'
1.
Selon
l'nonc
de
la
dfinition
6,
au
dbut
dt
ile Mente
.
2.
I1
est
remarquer
que dans cette caractrisation
de
I'ordre
naturel
en
tant qu'il
est soumis
des lois rgulires,
Spinoza,
bien
loin
de s'installer
dans une
perspective
statique
et
Iige, a
pris
soin
de souligner
les caractres
dynamiques
de ce
dterminisme
qui
donne
ses bases
au
processus selon
lequel les choses
(fiunt)
et
(una eademque
etiam
debet
esse
ratio
rerum qualicunque
naturam intelligendi,
nempe
per
leges
et regulas naturae universales).
Ceci est
la
seule
manire correcte
de
voir
les choses : et c'est
prcisment en reconnaissent
que la
nature
suit
des
lois qui expriment
le
caractre
substantiel
de son
organisation,
dont
toutes
les choses sans exception,
y
comPris bien
sr I'homme
et
ses
conduites,
sont
des
expressions ou
des
rdisations,
que I'on
peut
esprer
parvenir, en
prenant
appui
sur
la
connissance
des
lois universelles
qui
les
dirigent,
en
rguler
les processus,
en cartant
de
ceux-ci tout
risque
de
dsordre,
celui-ci
ne
pouvant
de
toute
faon
tre
que momentan
et par-
ticulier.
Ceci
revient traiter
les
affects,
tous
les affects
sans exception,
comme
des
choses,
mme
si
ces choses
arrivent
des
choses
qui
se
figurent
tre des sujets
libres
et
matres d'eux-mmes,
selon
la fiction
reprise
et
amplifie
par
les grands discours des sages
moralistes.
>
(natu'
rae
virtus),
eu
sens
de
sa
puissance
qui
tmoigne de
sa
ncessaire
per-
fectionl.
Comment
s'effectue
ce
retournement
des
vices
en
vertus ?
Par le
fait
que
les aflects en
question
sont
(
considrs
en eux-
1. La
figure
de style utilise
ici est
celle de
I'orymore
qui allie en
une
formule
unique des notations
opposes
et
apperemment exclusives
: cette
figure revient
assez
souvent
sous
la plume de Spinoza.
Introduction
l' Ethique
de Spinoza
t2
7/21/2019 [Pierre Macherey] Introduction a l'Ethique de Spin(BookZZ.org)
12/211
Introiluction
/Ethique
:
la
vie
ffietiue
acti{
dont
le
dploiement restitue
l'me
la pleine
envergure de
sa
puissancel
:
nous
les affects
comme s'il s'agissait de
choses
qui ne nous
concement
pas directement,
et,
ayant
ainsi
dcouvert leur
origine et
leur
nature, nous
les
voyons
sous
un
tout
nouveau
jour,
dans une
perspective non
plus
dplaisante mais
rassu-
rante,
ou
pour
le
moins
intressante.
On
le voit,
la
connaissance de
I'affectivit
demeure
jusqu'au
bout
marque
affectivement,
mais, ds
lors qu'elle
se
dveloppe
cornme une connaissance
authentique, c'est
sous la forme d'une affectivit
matrise n'ayant plus rien
voir
avec
les
lans spontans
qui
ordinairement
nous alinent
et,
en
thorie
conune
en
pratique, font obstacle la
matrise de
leun mani-
festations.
Mme si
les
manifesttions de
l'affectivit prsentent
un
certain
nombre de caractres
perticuliers,
auxquels
il faut
consacrer une tude
spcifique,
il
n'y
a pas lieu nanmoins de leur
faire
un sort
part
et de
les considrer elles-mmes tdnquam impeium
in
imperio, c'est--dire
colnme
si
elles
relevaient d'autres
rgles
que
celles
qui dirigent le
cours
ordinaire
des
choses ou cornme si
elles avaient
le pouvoir extre-
ordinaire de boulevener
celui-ci.
C'est
pourquoi,
explique
Spinoza
dans
les demires lignes de la
prface du
de
Afectias,
>
(de
origine et
ndtura
afectuum).
DES
PASSIONS
AUX
AFFECTS
Or
l'orientation thorique de
cette
dmarche est d'emble
engage
par un
choix
terminologique
dont
les enjeux
sont
cruciaux
: en
rete-
nant,
pour
dsigner
le
domaine
d'investigation
auquel
est consacre la
troisime
partie
de
l'Ethique,le terme
(afectus)2, qui
apparat
dans
son titre, et
y revient
ensuite
cent-soixante-dix
reprises, Spinoza
a
manifestement
voulu signder la ncessit
du
dplacement
thorique
justifi
ensuite
dans
la
prface.
En
effet de
quoi
parlent
surtout
les
moralistes
qui
prtendent
faire de I'homme un tre
part,
merveilleux
1.
Dans
le
scolie de la
proposition
57
du
ile Seruitute,
o
il
est
fait
expressment
rlrence
la
prface d,t de Afectibus, Spinoza
explique
propos
des consquences
de
la
bassesse
:
(passio),
s'il n'est
pas
tout
fait
can par
Spinoza
de
I'expos
da de
Afectibus,
n'y
revient
que
dix-huit
fois, soit
prs
de
dix
fois moins que
le
terme.
,
vis--vis duquel son importance est ainsi
relativise.
Parler
d'affects,
plutt que,
ainsi
que
le
font ordinairement ceux
qui
traitent
de ces
questions,
de
passions,
c'est en
quelque sorte mdi-
caliser
le
point
de
vue qu'on porte
sur
ce secteur
entre tous
sensible
de
I'existence humaine, de manire mieux en contrler
les alas en
dterminant
les
causes dont il dpend
ncessairement, en dehors de
toute
perspective
de
responsabilit et
de
fautel
:
le
terme
dsigne
ainsi de manire objective
et neutre, avec la
prcision
d'un
regard clinique, un tat ou une disposition de
l'me, ds lon
que celle-
ci est
de telle
ou
telle
on
et ainsi oriente
vers tel ou tel
type
de
proccupation,
et
rien
de
plus.
Sans
doute
nous
verrons
que
les
1. En
entreprenant d'analyser
rationnellement
Les passions ile l'me, Descartes
s'tait lui aussi engag dans cette voie d'une mdicalisation
du problme
des
passions,
mais
sans
renoncer pourtant
une
penpective
moralisante, appuye
au
point
de
vue
de
Spinoza
sur une
fausse
ide de la
volont et
de
ses
pouvoin
: c'est
prcisment
cette quivoque que
Spinoza
cherche chapper en substituant une tude
objective
des
,
que
ceux-ci soient
ou non
humains,
celle
des
passions.
Sujet et
composition du
de Affectibus
mcanismes
de
l'affectivit
le plus
souvent nous
alinent,
et
nous plon-
gent
dans un
tat d'impuissance,
qui
est incontestablement
nuisible
:
mais
ces
drglements,
qui
appellent
un
contrle
appropri,
sont
des
maux
de l'me
au sens
o nous
parlons par
ailleurs des maladies
du
colps, comme
de choses qui
arrivent au
colps
sans
qu'elles
soient
issues
de sa
nature
propre
puisqu'elles
en
constituent
des
altrations acciden-
telles
qui
ttaquent
cette nature de
I'extrieur1.
Et
le jugement
de
valeur
auquel sont
exposes les
conduites
affectives,
dans la mesure
o
elles peuvent
restreindre
notre puissance
d'agir,
n'a
en consquence
rien
voir
avec
une condamnation
morale,
du
type de celle
dont
se
voit
rituellement
gratifi
le
triste
jeu
des passions
humaines
avec leur
coftge
de catastrophes, prsentes
alors
cornme
des
punitions
mri-
tes
:
comme
si
jamais
aucune
chose
pouvait
mriter les
maux
aux-
quels
elle
est en proie, pour
autent que
ces
mux
remettent
en
ceuse sa
propre
constitution
L'expos
que
Spinoza
consacre aux
problmes
gnraux
de
I'affec-
tivit
va
donc se
drouler en
dosant soigneusement
les rfrences
aux
(passio
seu
ffictus)2,
il
veut
donc dire
que
toutes
les passions
de
l'me,
en tant
qu'elles
sont,
u sens propre
du terme
,
subies par l'me,
sont
des affects,
sns
que
la rci-
proque
soit
ncessairement
vraie.
C'est prcisment
parce
qu'elle
dbouche
sur
cette conclusion
que
I'analyse
scientifique
de l'affectivit
1.
(nulla
res
nisi a causa extema
potest
destrui)
: cette thse,
dveloppe
dans
la proposi-
tion
4,
se
trouve
au centre
de toute I'argumentation
expose
dans le
ile Afectibus.
2.
7/21/2019 [Pierre Macherey] Introduction a l'Ethique de Spin(BookZZ.org)
14/211
Introduction l?thique
:
la uie afective
accde
finalement une
porte thique : si
tous les affects
ne sont pas
des passions, c'est--dire, en
donnent
ce
demier
tenne son
sens
propre, des impulsions
que l'me subit en
rapport avec
I'intervention
de causes extrieures,
cela
signifie que
I'affectivit n'exerce
pas
fatale-
ment
sur notre
rgime mental une
influence
perturbatrice, dfinirive-
ment
trangre
sa fonction
positive de comprhension
rationnelle;
en
d'autres termes, sensibilit
et
intelligence
ne
sont
pas des facults
distinctes,
potentiellement en
conflit,
mais
leurs interventions,
qui
procdent
d'une
seule
et
mme
source,
Ia capacit
qui est en l'me de
produire
des
affections
purement
mentales
qui sont des
ides
-
6'ssg
justement
cette
capacit
qui
dnit sa
nature
-,
peuvent
tre
harmo-
nises,
et
c'est sur cet effort d'harmonisation
que
s'appuiera
le
proces-
sus de
libration dcrit dans
la
cinquime
paftie
de
I'Ethique.
Aussi
bien dans
cette
demire
partie
de
l'ouwage,
Spinoza
commencere
par
lucider
les conditions dans
lesquelles
(afectus qui passio
est desinit
esse
passio)t, sans
perdre
pour utant
son
caractre
propre d'affect.
Lorsqu'il arrive
Spinoza
d'employer
le
terme
passio, dans le
cours
du de
Afectibus, c'est
le plus souvent en
le replaant dans
la
filiation
du
verbe
pati
(subfu,
prouver,
au sens
de supporter),
lui-
mme
insparable
de
la
relation
polaire
qui
I'associe
au verbe agere
(agir),
en
rapport
avec I'altemative
entre
passivit
et activit
qui
donne son espace thorique
toute la doctrine
spinoziste de
l'affecti-
vit2 : c'est
prcisment pour cela
que le terme
doit tre
prfr u tenne
,
en
raison
de sa
porte plus gnrale,
puisqu'il
inclut indistinctement tous
les
affects
qui
se dploient
entre
les deux
ples
de
la passivit et de
I'activit3, c 'est--dire
aussi bien
1.
E,V, prop. 3.
2.
Cf.
E,III, df 2
:
,
qui
conclut
l'expos
du
de
Afectibus,
Spinoza
parat revenir
au
vocabulaire
courant
qu'il
avait
cart dessein dans la
plus grande pertie
des
dveloppe-
ments
prcdents,
et il parle
alon
de
(ffictus
qui
anini
pathema dicitur),
rmule
reprise
sous
la
forme
suivante
dans I'explicarion qui
accompagne la Dfinition gnrale
des
affects :
(afectus
seu passio animi).
Le
terme
pathema
utilis
dans le
corps de la
dfinition,
qui,
import du
grec sans doute par f intermdiaire
du vocabulaire
de
la mdecine,
est
d'usage
assez
rare
-
6's5g en tout
cas
son
unique
occuffence dens
toute I'Ethiqu
-,
est
pris
corrme quivalent du
terme
ordinaire
pas-
sio,
qu'il
contribue
per
son
caractre
recherch
mettre
distance, et
en quelque
sorte
dsubjectiviser.
Ces
deux
termes,
pathema
et
passio,
sont
ici
rapports
au substantif animus,
qui
ne revient
lui aussi
qu'assez
rarement
densl'Ethiqud, Spinoza lui ayant substitu,
pour
des raisons
analogues
celles
qui
lui
ont fait
prfrer
afectus
passio,le
terme
ffiens,
qtri
dsigne avec une froideur
scientifique
la rdit propre
de
l'ordre
psychique,
en
tant
que
celui-ci
relve
du systme de lois objec-
tives
propres
la
chose
pensante.
Or
est-ce
qu'en
ramenent
les affects,
considrs
du
point
de vue le plus gn&,,
des
,
affect
qui va tre
aussitt caractris
dans
la suite de
la Dfinition
gnrale des affects
par
le fait
qu'il
est
une
(confusa
idea), limine du champ de
la
dnition tous
les lments actifs
de
I'af-
fect, qui
doivent
correspondre
au contreire
la
production d'ides
adquates,
en restreignant cette dfinition
eux
cas
dans
lesquels I'affect
prend la forme subie d'une
passion
au sens
propre
du
terme. Mais on
ne voit plus alors ce qui autoriserait
reconnatre cette
dnition
le
statut
d'une
,
moins de
comprendre
cette
formule comme un abrg
dont la forme
dveloppe
serait
la
suivante
: dfinition
gnrale
des
affects
passifi. Les enjeux thoriques
de
cette
discussion sont considrables
:
ils
conduisent
en
effet
se
demander si
I'affectivit, envisage dans
I'ensemble
de
ses
manifesta-
tions,
n'est pas
dfinitivement
entache de passivit,
et
si,
mme
dans
les
affects
qui sont acti6,
ne
subsiste
pas
un
lment
passionnel. L'me
peut-elle
tre
compltement active,
sans
tre
du
tout
passive, ou bien
se trouve-t-elle
en
pennanence place entre
les
deux
extrmes
de
la
passivit
et
de
I'activit, suivant
des
rgimes
qui la
font pencher tantt
du
ct
de I'activit tentt de
celui de
la
passivit ?
Et
alors
quels
sont
les seuils
qui
font basculer
l'un de ces
rgimes
dans
l'autre ?
Proposons I'hypothse suivante
:
lorsque,
dans la
Dfinition
gn-
rale
des affects,
Spinoza
faitf&ence
la notion
de
pathema
ot
de
passio,
en
la
plaant
sur
un
mme
plan que celle d'ffictus, c'est
en
prenant appui
sur
des
faons de
parler
qui
correspondent aux manires
couramment
rpandues
de se
reprsenter
l'affectivit, de
manire
en
rectier
l'usage
et
la
porte thorique,
en
leur
substituant
d'autres
faons
de
s'exprimer
et
surtout
de
penser
plus
exactes.
Ce
qu'il
voudrait
faire
comprendre,
c'est
donc que, lonqu'on
parle gnralement de
l'affectivit, en
la
dcri-
vant
en termes
de
passion,
on
indique un domaine
d'analyse
dont
la ra-
lit
objective
ne
peut
tre
pense
authentiquement
qu'
travers
le
Sujet et
composition da de
Afectibus
concept
d'affect,
c'est--dire d'afllection de
l'me,
dont les modalits,
purement
mentales ou psychiques, sont
celles de
I'ide
apprhende
du
point de
vue
des conditions
de
sa
production;
et, dans
ce
cas
prcis-
ment, c'est--dire
propos
de tout ce
qu'on
e coutume d'appeler
pas-
sion,
ces
modalits
sont
celles
d'une ide
confuse.
,
cela signifierait
donc ceci
: ce qu'on
entend
gnralement
par
affectivit, en
en restreignant
le
champ
la considration
des
pas-
sions,
correspond
en
fait
une
ralit
objective
qui relve
d'une analyse
scientifique des
affects.
Mais
la
gnralit
en
question, qui
est au dpart
celle
d'un
modus
cogitandl, et
mme pourrait-on
dire d'un
modus
indicandi,
faisant encore place une
certaine confusion,
n'est
pas
du
tout exclusive
d'autres aspects de I'affect, eux-mmes
compltement extrieurs ce
champ
: les affects actifS, dont
on
ne voit pas
comment
ils pourraient
se
ramener
unilatralement
des
ides
confuses, et
qui ne rentreraient
donc
pas dans le
cadre
de cette
,
ce
qui
amne en
ren-
voyerl'examen
plus
tard.
Concluons cette andyse terminologique par une
ultime
rfrence.
Dans
la quatrime partie
de I'Ethique,
qui
est
consacre
une
descrip-
tion de
la
condition humaine
en tant
que
celle-ci est ordinairement
aline
par des
conflits
qui
ont
leur
source dans
le
jeu
spontan des
passions,
tel
qu'il
se
droule
l'tat
seuvage en
dehors
de tout contrle
rationnel,
Spinoza e4plique
que
fuomines
natura
discrepare
possunt
quatenus afectibus qui passiones sunt
conflictantur), et
que
(
pour
autant
qu'ils
sont
affIigs d'affects
qui
sont
des
passions
ils
peuvent
tre
opposs
les
uns aux autres
>
(quatenus
ffic-
tibus
qui passiones sunt conflictantur
possunt
invicem esse contrarii)1.
(conflictari),
c'est
la
fois
subir et soufFrir,
au sens
d'une
preuve douloureuse
qui
a
tous
les
caractres
d'une
maladie infectieuse
au
cours de laquelle
un
organisme est contamin par
des
lments
trangen qui le gnent en lui retirant la pleine
disposition
de
ses
capa-
l.
E,lV,
prop.33 et
34.
l
r
21
0
7/21/2019 [Pierre Macherey] Introduction a l'Ethique de Spin(BookZZ.org)
16/211
LES
GRANDS
LIVRES
DE L PHILOSOPHIE
Collection
dirige par
Piene Macherey et
Francis Wolf
Sujet et
comltosition
/z
de
Alfectibus
peut-elle,
sans
la dvitaliser,
faire
rentrer
la souple
et
impalpable
dyna-
mique
de |a
vie affective,
evec
ses
constants
rebonds, ses
ambiguts
et
ses
dtours,
dans
ses pures
rectilignes
qui
en
grossissent
les traits
et la
figent en
en donnant
une
reprsentation
apparemment
statique
?
Telle
est la
difticult
principale
que
doit
surmonter
I'expos
du
de
Afectibus,
o Spinoza
se
propose de
dmler,
de
dsintriquer
le subtil
lacis
de la
vie
affective en vitant
les
simplifications
abusives
et
en prservant le
caractre
naturellement
compliqu
de
son
organisation;
c'est--dire
que,
pour formuler
cette
difiicult
en
d'autres
tefines'
il
y
entreprend
de
rintroduire
une
certaine
logique,
l o
de
faon
particulirement
frappante
rgne
I'absence
de logique.
Or
le
projet
de Spinoza,
tel
qu'il est
caractris
dans
la
prface
du
de
'4fectibus,
est
bien
de
montrer
qu'il
y a
une
logique
des
affects
qui,
en
arrire
de
leur
dsordre,
voire
de
leur dlire
apparent,
dtermine
ncessairement
leur nature, sans
qu'il
y
ait
lieu,
pour
rendre compte
de
ce
que, sur
le
plan de
leurs
histoires
singulires,
ils comportent
d'ex-
ceptionnel
et
d'alatoire, de faire
intervenir
un
principe
intentionnel
de
libre
arbitre
tmoignant
la
fois
de
l'excellence
et
de
la dchance
humaines.
Pour
y
parvenir, il
n'y
a
qu'une
seule
manire
de
procder,
et
c'est
celle
qui
s'applique
tous
les
domaines
de
la ralit
sans excep-
tion
:
I'explication
causale
qui, d'un
point de
vue simultanment
onto-
logique,
logique
et
physique,
doit
permettre
de
reconstituer
|e rseau
d'ensemble
de
la
ralit affective
en
remontant
jusqu'
ses
sources,
partir desquelles
ce
rseau
est effectivement
produit,
et
de
la connais-
sance
desquelles
il peut en
consquence
tre
dduit.
Tel est
donc
le
principe
trs simple
partir
duquel
est
constmit
I'expos
de de
Afecti-
bus
:
il
faut
pralablement
revenir
aux
bases sur
lesquelles
est difi
le
systme
des
affects,
qui
assignent
ce systme
une
espce
de
stabilit
et
de
permanence,
pour
pouvoir
ensuite
dmontrer
partir
de l la
ncessit
de
toutes
consquences
qui
s'ensuivent
et dont
le droule-
ment,
avec
la
gamme
subtile
de ses
modulations
varies,
forme, au
jour
le
jour,
la
matire
de nos
sentiments
et
de
nos
lans
aftectifs.
Le
dveloppement
consacr
aux
&gdgmenlls
de
I'affectivit
occupe
les
onze
premires
propositions
t
de
Afectibus.
Dans
celles-ci sont
23
7/21/2019 [Pierre Macherey] Introduction a l'Ethique de Spin(BookZZ.org)
17/211
Introiluction
lthique
: la
uie
alfectiue
noncs les principes
dynamiques
qui interviennent
dans toutes les
manifestations
de l'affectivit
sans exception
et
pennettent
ainsi d'en
unier
systmatiquement l
prsentation. Au
centre de cette explica-
tion, qui fait
connatre la vraie nature
des affects
partir
de leur ori-
gine,
se trouve une notion
cruciale, celle de
conatus, qui
est
introduite
dans
les
propositions
6, 7 et
8
: cette notion dont la
signification
est
extrmement large, puisqu'elle concerne indistinctement
les
deux
ordres corporel et mental,
rvle
l'lment
dynamique,
et peut-on
presque
dire
nergtique de
puissance
qui,
au
plus
profond
de la ralit
de chaque chose,
consEitue
son
(
essence
actuelle
>
(actualis
essentia)
;
la
mise au
jour
de ce
fondement
ouvre une
perspective
conomique
sur
l'ensemble
du systme
de
la vie
affective
travers
lequel la puissance
et l'nergie
du conatus
propre
chaque chose
s'investissent
en
se
dployant suivant
des seuils d'intensit
rpartis
entre un minimum
et
un maximum,
le premier
correspondant
un ple d'extrme passivit,
le second
un
ple
d'extrme
activit.
A partir
de cette conomie fondamentale
est aussitt mise
en
place
une
topique
lmentaire des
affects,
laquelle
sont consacres les
pro-
positions
9,
10 et
11
:
celles-ci
dduisent
directement partir
de
la
nture dt
conatus des
(ffictus primarii)l
,
qui
sont au
nombre
de trois
:le
(cupiditas),la
(laetitia)et
la
(imitatio
ffictuum).
En
vertu de ce
principe, la
plupart
des
sentiments
qui traversent
notre vie
affective
se
prsentent
sous
la
forme
de sentiments
partags,
qui,
en
mme temps
qu'ils
sont
vcus
la
premire personne
par quelqu'un en
particulier, impliquent
dans
leur
droulement
le considration
d'autres
personnes,
comme
si celles-
ci
taient simultanment
non
seulement
les
objets, mais
aussi
les
sujets
de ce
mme affect.
Alors qu'ils
paraissaient dnitivement
fixs
sur des
choses,
voici
prsent que
les affects se
mettent
circuler
entre
les
per-
sonnes, conune
s'ils
n'appartenaient
aucune
en
perticulier. On
com-
1.
Cewe
expression
apparat
dans
le
scolie
de la
proposition
22.
28
29
7/21/2019 [Pierre Macherey] Introduction a l'Ethique de Spin(BookZZ.org)
20/211
[ntroduction
/T,thique
:
la
uie
ffidive
prend
que, parvenue ce
point
de son dveloppement, la
vie
affective
atteigne un degr
maximal
d'instabilit : en effet travers le
jeu
inter-
personnel
des affects
o l'on finit
par ne plus
svoir
qui
aime ou qui
hait qui,
les individus perdent
toute
matrise
sur
leurs
dsirs,
qui
leur
:
chappent
et
se
mettent
alors mener une sorte de
vie propre,
au
.'
dtriment bien
sr
des
toutes les personnes
concemes, condamnes
,
se
dchirer
interminablement
ds
lors qu'elles
entrent
dans
un tel
com-
i
mrc
affectif o
tout
le monde,
terme, est
perdant.
En
dmlant l'cheveau
des
dsin
interhumains,
et en montrant
9ue
ceux-ci continuent
obir
des
lois
objectives, alors mme
qu'ils
semblent emports au frl
d'une subjectivit
dchane,
et d'autant
plus
monstrueuse qu'elle finit
par ne plus
appartenir
penonne
en
particu-
lier,
Spinoza
remplit l'objectif
qu'il s'tait
fix dans
la prface du
de
Afectibus:
il parvient
ainsi
faire
rentrer
I'ensemble
des
manifestetions
de
I'affectivit dans
le
cadre
d'un
systme
perrnenent
de dtermina-
tions,
qui
lui
restitue
un caractre
naturel,
en
liminant dnitivement
les
illusions
du
libre arbitre
et
en
dtrnant
les
fausses
morales
qui
s'au-
torisent de ces illusions.,Toutefois
il
n'en reste pes l. Et
il conclut cette
pertie
de I'Ethique par un
ultime
ensemble
de
propositions,
extrme-
ment ramess, puisqu'il
est compos des
seules
propositions
58 et 59,
dans
lequel, per
un
subit changement d'clairage,
il
aborde
les pro-
blmes
de
l'affectivit
en
projetant
sur
eux une
lumire
compltement
nouvelle.
Dans
ces
deux
propositions,
dont rien, dans les dveloppe-
ments antrieurs,
n'avait
fait prvoir
I'irruption,
Spinoza
fait
com-
prendre
que
toutes
les
explications
qui
viennent d'tre proposes
concernent
I'affectivit
en
tant
qu'elle
est
passivement
subie
par
l'me,
selon le rgime
de
la
,
et
laissent de ct le cas d'autres
affects, exceptionnels
sans
doute,
qui
sont
des affects proprement
actifr, associs
la
production dans l'me
d'ides adquates.
Mais
cette
rfrence aux
affects actifs,
qui avait d'embIe
t
suggre au dbut
du
de
Afectibus,
en marge de la dfinition
3 consacre
la notion
d'af-
fect,
n'est
pas
destine
pour le moment
tre
exploite
: elle reste en
attente
des explications
qui
seront dveloppes
tout
la
n
de
l'ou-
vrage,
dans
le
de
Libertate,
o ces affects actifs
joueront
un rle capital.
Sujet
et
composition
dr.r de
Affectibus
Ayant
ainsi
achev
son
tour d'horizon
sur
les
problmes
de
I'affec-
tivit,
qui
a
permis
de
faire
rentrer ceux-ci
dans
un
cadre
rationnel,
Spinoza
propose
pour finir une
rcapitulation
des
rsultats
de
cette
explication,
dans
un
long
appendice
consacr
aux
:
il
y
recense,
en
quarnte-huit squences
suivies
d'une
Dfini-
tion
gnrale
des affects,
les principaux
types
d'affects,
du
(cupiditas,
df.
D
la
(libido, df.
XLVIII),
qui
occupent
la
totalit
de
notre vie
alfective
et en
dlimitent
une
fois
pour toutes
le
champl.
1.
Dans
la lecture
ici
propose dt
ile .Afectibur,
le
contenu
de
ces dtnitions
sera
rintgr
la suite du raisonnement
prsent
dans
les propositions'
&
ff
i:
30
]B
3t
7/21/2019 [Pierre Macherey] Introduction a l'Ethique de Spin(BookZZ.org)
21/211
Notions
et
principes
de base
(dfinitions
et postulats)
Comme
il
le
fait
au dbut
de chaque
partie
de
I'Ethique,
en
imita-
tion
de
la faon
dont procde Euclide,
Spinoza
commence
par
expo-
ser,
sans
dmonstrations,
un
certain nombre
de
thses
pralables
dont
la
ncessit
rationnelle
ou
exprimentde
s'impose
directement
:
ces
principes,
partir
desquels va
tre ensuite
dveloppe
la
thorie
de
I'affectivit,
consistent en
un ensemble
de trois
dfinitions et
de deux
postulats.
Ces dnitions et
ces
postulats
s'ajoutent
aux
conclusions dj
tablies
dans
les perties prcdentes
de
I'ouvrage
pour
fournir
une base
aux dmonstrations qui
vont suiwe.
En mme
temps,
ils permettent
de dterminer
et de dlimiter le
nouveau
champ
d'tude que le
de
Afectibus
ouvre
une
analyse
rationnelle.
Les trois
dfinitions,
qui forment
un
ensemble homogne,
servent
construire la
notion d'affect,
laquelle
est
prcisment
consacre la
dfinition
3,
en replaant cette
notion
dans
un
espce
thorique balis
par
la
distinction
entre activit
et
passivit
:
qu'est-ce
pour
une chose
qu'tre
reconnue
cause
adquete ou inadquate
de ses
effets
(df
1) ?
qu'est-ce
qu'tre
actif
ou
passif (df,
2)
?
qu'est-ce
qu'un
affect, en
rap-
port
avec
la
puissance
d'exister du
corps
et de l'me, I'augmentation
et
la diminution
de cette puissance,
et
le fait
d'tre ou non
cause
adquate
de
l'affection
ainsi
provoque
(df.
3)
?
En rpondant
ces trois ques-
7/21/2019 [Pierre Macherey] Introduction a l'Ethique de Spin(BookZZ.org)
22/211
ll
Introduction
/thique
:
la
uie
ffictiue
tions,
Spinoza assigne
un
contenu
objectif
sa
thorie
de
I'affectivit,
et effectue
ainsi
le dplacement
de
terrain
par
repport
la tradition-
nelle
perspective
morale
sur
les passions
humaines
annonc
dans
la
prface du de
Afectibus, de
manire
pouvoir conscrer
ces
pro-
blmes
une
tude dmonstrative
authentiquement
sciencifique.
DFINITIONS
1 ET
2
Ces
deux dfinitions,
qui
se situent
dans
le
prolongement
l'une de
I'autre,
la
seconde
faisant
explicitement
rfrence
l'nonc de
la
pre-
mire,
doivent
tre
lues ensemblel.
Elles sont
toutes
les deux
rdiges
dans
des
termes
qui leur donnent
la forme,
peu
frquente chez
Spi-
noza, de
dnitions
nominales:
(causa
adaequata
seu
fonnalis)
de la connaissence
du
troisime
genre, en ce
sens que cette
connaissance
s'explique compltement
partir de
la nature de
l'me
dont elle
prsente ainsi
I'essence
en totalit,
de
manire telle
que
la
manifestation
de cette
essence s'effectue
alors
sans
I'intervention
d'au-
cune
cause
extrieure.
De
ce point
de vue,
tre cause
adquate
vis--
vis d'effets
qui se comprennent
compltement,
et non seulement
par-
tiellement,
partir
de
sa
seule
nature
ou essence,
c'est
agir
la manire
d'une
cause
libre,
par
les
seules
lois
de
se
nature
et
indpendrnment
d'une
contrainte
extrieure,
selon
la
formule de
la proposition
17 du
de
Deo et de son
second
corollaire;
et,
inversement,
agir
sous
une
contrainte
extrieure, c'est
s'exposer
tre
compris
comme
cause
ina-
dquate,
la
manire
de la
(res
coacta)
dont
la
notion a t
introduite dans
la
dfinition
7 du de
Deo.
C'est
prcisment
sous
cette
forme
que la
distinction
entre
cause ad-
Notions
et pincipes
de
base
quate et
cause inadquate
est reprise
dans
la dfinition
2 du de
Afectibus
:
(cujus
non
nisi
partialis sumus
causa).
Littralement
quelque
chose
de
nous
(c'est
le
sens
propre
du
verbe
oriri;
se
lever, commencer,
prendre
nais-
sance, avoir
sa source),
qui ne
vient pas
vraiment
de nous,
ou
qui
ne
vient
pas
que
de
nous : on
retrouve
ici le
mme
effet de
contraste,
qui voque
la
figure srylistique
de
I'oxymore,
que
dans
l'nonc
de
la
dtnition
2
dt ile Afectibus.
#
36
37
7/21/2019 [Pierre Macherey] Introduction a l'Ethique de Spin(BookZZ.org)
24/211
Intrciluction
lthique : la vie
ffictiue
nobis
aut
extra nos sequitur).
Si
nous
sommes ectifS, c'est parce que,
objec-
tivement, quelque
chose se
produit,
en
nous
ou en dehon
de
nous,
mais
en
quelque
sorte
sans
nous,
c'est--dire
sans que nous
ayons
nous-mme
intervenir
dans
le
droulement
de cette
au
titre
de sujets
intentionnels,
matres
de I'incliner
leur guise
dans
un
sens
ou
dans
un
autre; et il
n'y a pas lieu
de raisonner
autrement dans le
cas o
nous
sommes passifi.
Nous
sommes
ainsi
ramens sur
le
terrain
neutralis
dlimit
par
la premire
dnition
: est ection l'gard
de
sa
cause le
processus
qui s'explique
intgralement,
donc
clairement et distincte-
ment, partir
de
cette
ceuse; est passion
au
contraire
celui
qui
ne s'ex-
plique
qu'en partie,
donc confusment,
partir
d'elle,
perce que,
pour
le
comprendre,
il faut faire
aussi
intervenirla
considration
d'autres
ceuses.
Etre
actif, ou passif,
c'est cela,
et
rien
d'autre : il s'agit
de
schmes de
comportement
qui
relvent
d'une analyse objective,
sans
qu'il y
ait lieu
de
leur prter
davantage, par
exemple
un lment
d'initiative,
et
afor-
tioi
sens
qu'il
soit
permis
de les
dtacher du
rapport qui les
lie ncessaire-
ment
au droulement
du processus
causal, que
celui-ci s'efFectue de
manire
intgrde
ou pertielle;
en
effet
les schmes
de
l'acrivit
er de la
passivit se
comprennent entirement
partir
des caractres de ce pro-
cessus
dont rien ne
les distingue.
nfin il
est
remarquer que,
dans
le
cas o
nous
sommes
acti6,
il
est
indiftrent
que
les
effets de notre activit
se
produisent
en nous
ou
en dehors
de nous,
c'est--dire
qu'ils
revtent
la forme
de 1'
(agere)
au sens propre
ou celle
de
l'
(operari)t,
ou encore
qu'ils
rentrent,
pour
reprendre
les termes aristotliciens
dont
s'inspire
cette
distinction,
sous les
catgories de la praxis
ou
de
le
poisis
: la
seule
chose
qui compte tant que
les effets
de
ces actes, c'est--dire les
transformations
que
ceux-ci provoquent
au
-dedans
ou
au-dehors
de
nous-mmes,
se
comprennent intgralement
ou
non
partir
de
notre
seule
nature.
En revanche,
lorsque nous
nous
trouvons
dans une situa-
1.
Cette distinction
terminologique
apparat dans la dnirion
7
du de Deo, o
est prcis
le
statut
de la
(uis existenili)
du
^.o1p,
r. dveloppe
"rrtt
ott
ple minimal
et
un
ple maximal
:
mais elle
inscrit
la
dtirmination
de
ce caractre
dans
le contexte
de
I'histoire
concrte
de
I'affectivit'
qui
parat con{rer
celle-ci
une
dimension
uniment
passive;
de ce
fait
cette-Dfini-
tiorr
gnrale des
affece
a une
porte
moins
large
que
la
dnition
pralable
de
I'affect.
#
38
39
7/21/2019 [Pierre Macherey] Introduction a l'Ethique de Spin(BookZZ.org)
25/211
Introduction
/Ethique
: la uie
affective
tion, l'attention
est immdiatement
attire
sur
la
formule de liaison
(
et
en
mme
temps
)
(et
simul),
qui se
trouve au
cur
de
la
dfinition
de I'affect
:
celui-ci
est
constitu par
la
coincidence
d'une
affection du
co{ps
et de l'ide
de
cette
affection
telle qu'elle
se
produit simultan-
ment
dans
l'me.
Cette
dfinition
renvoie
manifestement
celle
de l'me
comme ide
du
corps
telle qu'elle
a
t
dveloppe
dans
les
13
premires
propositions
du de Mente,
et
elle s'explique
en
perticulier
per
ce qui
a t
nonc
dans
la proposition
72
de
cette seconde partie
del'Ethique:
,
I'un
de ces
modes
tant une
dtermination de l'tendue
en
tant que telle,
et
l'autre
tant
la
dtermination corrlative
de
la pense
en
tant
que
telle, un unique systme de ncessit,
qui
a son
principe
en Dieu
mme
en
tant qu'il
est
la
fois
(res
cogitans) et
(res extensa),
produisant
ces
deux
dterminations,
chacune
dans
son
ordre, c'est--dire dans
le
genre d'tre, pense
ou tendue,
auquel elle appartient.
Ainsi
entre I'affection du
coqps
et
f ide
de
cette
affection dans
l'me
s'tablit
un
rapport, non
de dtermination, meis
d'expression
:
en vertu
du
principe
de dtermination causale
qui,
identi-
quement,
traverse
tous
les
genres
d'tre, I'une
et
l'autre
expriment
un
seul et mme
contenu,
quoique
de
deux
manires compltement
diff-
rentes,
I'une
dans
le
langage
propre
eu corps et
I'autre
dans
le langage
propre l'me, pourrait-on
dire.
C'est
dans
cette perspective que,
eu
dbut du
de
Libertatu,
cette
thse
est reprise,
traven l'aftirmation
d'une
correspondance
(
au
cordeau
>
(ad
amussim)
entre
une
quelconque
ide
de
l'me
et
I'affection du
coqps,
ou
image de chose,
dont
elle
est
ainsi
I'expressionl. La
formule
(
et en
mme
temps
D
(et simul)
partir
de
laquelle
est
construite,
au dbut dtt de Afeaibus,la dfinition
de
I'affect
expose prcisment
cette
conception.
L'affect
prsente
donc simultanment deux faces,
une
face
corpo-
relle
et une face mentale, et
il
reprsente la
totale conversion
rciproque
de
l'une
dans l'autre.
On
peut
en
conclure
que
c'est
dans la vie
affective
que
la
convertibilit
absolue et
l'indissociabilit
des
vnements corpo-
rels et des
vnements
menteux
se ralisent
de la
manire
la plus
mani-
feste,
I'affect
se
dfinissant
prcisment par
cette convertibilit et indis-
sociabilit.
Toutefois
il
faut ajouter
que I'affect
ne
rend pas
compte
mentalement
de
n'importe
quelle
affection
du
corps
:
meis,
prcise
encore
sa dfinition,
il
dveloppe les
ides de celles
des affections du
colps par
lesquelles
(cum
mens
hac ratione
contemplatur
cory)ora
eandem imaginari
dicemus).lmaginer,
acte
mental ins-
parable
d'une exprience
colporelle,
c'est se reprsenter
des choses
ext-
rieures par
I'intermdiaire
d'ides
qui
ont pour
objets, non
des
choses,
mais
des
images
de
choses,
c'est--dire
certaines
affections
corporelles
rsultant
du fait
que
le
coqps,
c'est--dire
l'objet
dont l'me
est
l'ide,
a
t
impressionn
de telle
ou telle manire
l'occasion
de
ses
rencontres
avec
des choses
extrieures.
De
ces
deux postulats
se dgage
la leon
suivante
: sur la base
de
son
organisation
corporelle,
I'individu
se caractrise par
une certaine facult
tre
alfect
et
impressionn,
exprimant
le
fait
qu'il
n'existe
jamais
seul
par
lui-mme
en
dehors
des contacts
et des
changes qui le
mettent
cons-
tamment
en relation
avec
d'autres
tres, dans
des
conditions
telles que
sa
puissance
d'agir
est sans
cesse
expose
tre diminue
ou augmente
: l
est la
source de
la
vie
affective qui
exploite
et amplifie
ces
variations,
en
crant partir
d'elles
tout un rseau
d'associations mentales
qui,
de leur
ct, affectent
l'me
en
orientant
ses
proccupations
dans tel ou
tel sens et
en
I'amenant
penser
certaines
choses
plutt qu'
d'autres.
C'est
dans
le
contexte
ainsi mis
en
place
que
va pouvoir
tre prsent
dveloppe
une
thorie
complte
de I'affectivit,
thorie
dont le principal
objectifest
de
restituer
celle-ci
son
caractre fondamentalement
neturel.
CHAPITRE
1
Les
fondements
naturels
et
les
formes
lmentaires
de
la
vie
affective
(propositions 1
11)
1
I
ACTIONS
ET
PASSIONS
DE
L'ME
Stropositions
1,
2 et
j)
Ces
trois propositions
appliquent
l'tude
du
fonctionnement
propre
de
l'me
les
schmes de
l'activit
et de
la
passivit qui
ont dj
t
mis en
place
dans
les deux premires
dfinitions dtt de Afeaibus.
Selon la
premire proposition et
son corollaire,
lorsque l'me forme des ides
adquates elle
est
active,
et
plus
elle
en
forme plus elle est active; lors-
qu'elle forme
au contraire des
ides inadquates,
elle
est passive, et
plus
elle
en
forme plus
elle
est passive
ou
sujete aux passions.
Selon
la
seconde
proposition, qui
est accompagne d'un trs
long
scolie critique,
tout ce qui se passe
dans l'me s'explique exclusivement
par
des
causes
dpendant de
son
propre rgime mental, de mme que tout ce
qui
se
passe dans le
corps s'explique
par
des causes
strictement corporelles,
tant exclue
en consquence
la
possibilit
d'une action
de l'me sur
le
coqps,
qui correspondrait
l'tat
dans
lequel elle
est
active, ainsi
que la
*
48
49
7/21/2019 [Pierre Macherey] Introduction a l'Ethique de Spin(BookZZ.org)
30/211
7/21/2019 [Pierre Macherey] Introduction a l'Ethique de Spin(BookZZ.org)
31/211
Infioduction
lthique
: la uie
afectiue
taines consquences
particulires.
Rappelons
brivement
les tapes
de
ce
raisonnement
:
la proposition
10 consiste
en
l'nonc
d'une
thse
ngative,
qui retire
l'essence
humaine
en
gnral tout
caractre
subs-
tantiel; elle
est
assortie
d'un
corollaire,
qui dgage
la thse
positive
correspondante,
en
expliquant
ce
qu'est
l'me humaine,
tant
donn
qu'elle
n'est
pas
une
substance
: elle
est constitue
par
certaines
modi-
fications
d'attributs de la
substance
divine, modifications
qui
expri-
ment
la neture
de Dieu
(
sous
un certin
mode dtermin
>>
(certo
ac
determinato
modo),
et
ainsi
dpendent
de
cette
narure,
dont elles
(cum
dicimus
mentem
humanam hoc
vel
illud
percipere
nihil
aliud
dicimus
quam
quod
Deus non
quatenus infnitus
est sed
quatenus per natura?n
humanae
mentis
explicatur siue
quatenus
humanae
mentis
essentiam
constituit
hanc vel
illam
habet ideam).
Les ides
que l'me
peroit,
elle
ne
les
>,
en
1.
La
Lettre
64 Schuller, date
de
1675, donne en
exemple
de
mode
intni
de
premier genre, donc
immdiat, de
la
(in
Deo),
o
elles
conviennent
ncessairement avec
leurs objets
parce
qu'elles
sont
pro-
duites selon
la mme rgle
qui produit
galement ces
objets,
dans
le
genre
d'tre auquel ceux-ci
appartiennent :
elles
sont
vraies, au sens de
la
conformit extrieure avec
leur idat,
parce qu'elles sont
intrins-
quement
dtermines
dans I'ordre
de
la
pense
par
les lois
objectives
qui leur
assignent
la
place
qui leur
revient dans
le
systme
infini de
I'intellect
divin. Comment
s'explique alors
le clivage
entre
ides ad-
quates
et
ides
inadquates ? Et d'abord
o
ce
clivage
se
produit-il
?
Certainement
pas
en
Dieu puisque, en tant
qu'elles
sont
rapportes
Dieu,
(omnes
tam adaequatae
quam
inadaequatae
eadem
necessitate
consequuntur), corrune
I'explique la dmonstration de
la
proposition
36 du
de
Mente, qui
rapporte
ceci au
fait
que
((
aucunes
ne
sont inadquates
ni
confuses, si ce
n'est
pour
autant
qu'elles sont
rappoftes
l'me
singulire
de
quelqu'un
>
(nullae
inadaequatae
nec
confusae
sunt, nisi
quatenus
ad singularem
alicujus menteffi
referuntur).
Fonilements naturels
et
Jormes
lmentaires
de Ia
uie afectiue
Toutes
les
ides tant
vraies,
et donc
adquetes,
en
Dieu, certaines
sont
inadquates
et
con-firses,
donc
usses,
en moi,
et en
moi seulement
:
mais
elles
ne
le sont
pas en
tant
qu'elles
seraient
le
rsultat d'une
initia-
tive
particulire,
dont
I'incertitude
ou
le
caractre
dviant
seraient
imputables
ma
volont subjectivel;
cat il
est
tabli
une
fois
pour
toutes
que
je
n'ai
aucunement
la
facult
de crer
de
toutes
pices,
et
par
moi-mme uniquement,
des
ides
qui
ne seraient
pas
en
Dieu
et ne
feraient
pas
partie
de
I'intellect infini
de
Dieu.
Les
ides
qui
sont
fausses
en
moi ne
le sont
donc
pas davantage
par moi
que celles
qui
sont
vraies :
simplement,
elles
ne sont
pas
vraies en
moi comme
elles
le
sont
en
Dieu,
ce
dcalage,
qui
rsulte
d'un
changement
de
perspec-
tive,
s'expliquent
par le
fait
qu'elles sont
produites
par
Dieu, de
manire
non moins
ncessaire
que toutes
les autres,
en
tant
qu'il ne
s'explique
pas par la
nature
de
mon me
seule
ou
ne constitue
pas seu-
lement
I'essence de
mon
me,
mais s'explique
aussi
simultanment
par
autre
chose2.
Autrement
dit, en
Dieu,
I'ide
qui est
fausse en
moi,
demeure
vraie
pour
autant
qu'elle
ne s'y
rapporte
pas
moi
seul
mais
fait
intervenir
dans sa
constitution
la
considration d'autres
choses
trangres
ma
propre
nature
: ce
qui
rend I'ide
fausse
en
moi,
c'est
non
pas
sa
constitution
intrinsque,
mais c'est
le fait
que
je
I'interprte
1. Spinoza
s'oppose
ainsi
la conception
dveloppe
par
Descartes
dans
la
4'de
ses
Mditations
mtiphysiques
selon
laquelle,
si
je
suis
soumis
la loi
de Dieu
lorsque
je
conois
la vrit,
je
suis
toujoun
libre de
me tromPer, c'est--dire
de
m'carter
de
cette loi en
en
transgressant
les commandements,
l'erreur
tant ainsi
imputable
ma
mauvaise
volont et
entirement
place sous
me
proPre
responsabilit.
2. C'est
ainsi
que
se
conclut
la
dmonstration
du
corollaire
de
la
proposition
11
du
ile
Mente:
(aliaum
rcrum
ntentes
in se simul
continet) : il
contient
les
d'au-
tres
choses,
car dans I'intellect
infini
de
Dieu, tout
est me ou ide, l'me n'tant
rien
d'autre
que
I'ide
d'une chose, quelle que
soit la
nature de cette
chose.
Fondements
naturels
et
Jormes
lmentaires
de la ttie afectiue
nir celle-ci au sens
d'une
possession ine{fective, la manire d'une
simple
impression, ou d'une ide
morte qui resterait inemploye
colnme
si
elle tait une
peinture muette sur un
tableau :
ce
thme
a t
longuement
dvelopp
dans
la
seconde
parrie du de Mente.
Les
ides,
quelles
qu'elles
soient,
sont des actes
mentaux,
travers
lesquels s'ex-
prime ou s'affirme une
certaine puissance de
penser. Avoir une ide
c'est
en
exploiter
toutes les
consquences,
c'est--dire
tirer
tous
les
effets
qu'il
est
en elle
de
produire
en
tant que cause. Dans
le
cas
d'une
ide qui
est
adquate
en
nous
corune
elle
I'est en
Dieu,
toutes
les
consquences
qui sont
tires de
cette
ide le sont en tant seulement
que
Dieu
constitue la nature
de
notre
me,
qui
ainsi est
(
cause
adquate
>
de tous
les effets
produits
partir
de
cette ide, effets
qui
se
compren-
nent alors clairement et distinctement
partir
de son essence,
selon la
leon
de
la
dfinition
I
da
de
Afectibus; et en consquence,
suivant
la
leon
de
la dtnition
2, l'me,
en tant
qu'elle
(
e
)
cette
ide,
est dans
un
tat
d'activit
maximale.
Au
contraire,
dans le cas des
ides
inad-
quates,
qui
ne
sont
pas penses en nous conune
elles le sont
en Dieu,
nous dirons,
suivant
le
mme
raisonnement,
que
notre
me
est ceuse
inadquate
de
ces
ides,
et
donc se trouve
dans
une
situation de
passivit, ou
d'activit
minimale. En d'autres termes,
toutes les
ides
sans exception tant
des actes
mentaux,
ces actes
sont
ingalement
au
point
de
vue
de
l'me
dans
laquelle ils se
Prsentent,
et
dont
ils
rpartissent ainsi
la puissance de penser entre deux
ples
alternatifs
d'activit et
de passivit. I1
y
a
donc bien lieu de classer
les
manifestations de cette puissance
en
se servant
de ces deux catgories
:
l'me
est
tantt
active,
tantt
passive,
et
ceci en rapport avec
le
fait
qu'elle est susceptible d'avoir des
ides
adquates,
dont elle
ma-
trise
compltement le contenu
parce
qu'elle le comprend,
au
sens
fort
du
terme, ou susceptible
d'avoir des
ides inadquates, dont
le
contenu
lui
chappe en
partie, et
qu'elle
apprhende
ainsi
par la voie de
I'imagination.
A la
suite de
la
proposition
1
est nonc un
corollaire
qui en
reprend le contenu sous une
forme un
peu
dilTrente
: d'autant
plus
l'me a
d'ides inadquates,
d'autant
plus
elle
est
sujette aux
passions,
{i
til
f
56
57
7/21/2019 [Pierre Macherey] Introduction a l'Ethique de Spin(BookZZ.org)
34/211
Introduction
/thique : la uie
ffictiue
et
d'autant
plus
elle
a
d'ides
adquates,
d'autant elle agit1. Cette
nou-
velle formulation introduit une toute
nouvelle
perspective : elle
per-
met de
mesurer
les
variations
d'intensit
de
l'expression de
la puissance
de
l'me, en
rapport avec
la place qu'y occupent
respecrivement les
ides adquates et
les ides inadquates2. Cette
indication
est
trs
importante, car elle confirme
qu'activit
et
passivit, au moins dans
le
cas
o
elles
correspondent
la
production
dans
l'me
d'ides
adquates
ou
inadquates,
ne
sont
pas des tats absolus, et comme
tels radicale-
ment exclusi6
I'un
de
I'autre :
mais
activit
et
passivit se mesurent
relativement I'une
l'autre I'intrieur d'une srie
d'tats
graduels
qui
ralisent tendanciellement toutes
les formes intermdiaires
entre les
deux
extrmes.
Nous
avons dj
eu
I'occasion de
nous le
demander,
l'me
peut-elle
tre totelement active, sans
plus du tout tre
passive ?
C'est
seulement dans la cinquime
et demire
partie
de
l'Ethique
qu'une rponse
sera apporte
cette
interrogation.
La
proposition 2,
aa
contraire de
la prcdente, dbouche
sur une
leon ngative : elle
dmontre
en
quoi l'me
ne peut pas ffe active ou
passive,
savoir
dans sa
relation
au
corps, qui chappe ces catgories
ou tout au moins n'y satisfait
que d'une faon trs
particulire. En
effet
il n'y a
pas
d'action
du
corps
sur
l'me,
par laquelle
elle
serait
elle-mme
passive,
et
pas
davantage
il n'y a d'action de
l'me
sur le
corps dans laquelle elle serait au contraire
active. Le
contenu
de cette
proposition
est
manifestement polmique, ainsi
que le
confirme
le
fait
qu'elle
est assortie
d'un trs
long
scolie,
dans
lequel Spinoza dnonce
1.
Ce
corollaire
ne it
que rendre explicite une
proprit
qui
tait
dj
indique
implicitement
dans
l'nonc de la
proposition principale traven I'utilisation
de
la
formule
(quatenus...
eatenus...),
que
nous
aurons
I'occasion de
retrouver
par
la
suite, par exemple
dans
la
proposition
5.
Cette
formule est intressante d'un
point
de ure
thorique
parce qu'elle permet de
mettre en
corrlation,
non des tats considrs en
eux-mmes
dans
une
penpective
statique, mais des chelles dynamiques de variations
s'effectuant
de
manire continue
travers
des sries
graduelles.
2. Il
est clair
en effet
que plus
l'me
(quod scilit mens
et
cory)us una
eadeffique
res
sit
quae
jam
sub cogitationis
jam
sub extensionis
attibuto concipitur)l.
Ame
et corps, chacun
dans le
genre
d'tre
qui lui est
propre, exPriment,
mentalement ou
corporellement,
une unique
dtermination
qui
est
ncessairement cornmune
f innit de tous
les genres d'tre, et
donc
ces deux-ci
en
particulier :
il
en
dcoule
que
(cujuscunque
attributi modi
Deum
quatenus
tantuffi
sub
illo
attibuto
cujus modi
sunt
et
non
quatenus
sub
ullo alio consideratur pro ceusa
habent). C'est
pourquoi
il
est
impossible,
en droit corrune en
fait,
de driver les mouvements
du
corps
partir
de ceux de l'me, corrune il
est
impossible
aussi
de
driver
les mouve-
ments de l'me
partir de
ceux du coqps.
Il n'est pas
possible