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1 Ceret 2014 cours B2 Introduction à la Philosophie p. Mario Neva Raphaël 1509-1512 fresque H 500 cm largeur 770 cm. Palais du Vatican (Chambre de la signature) PLATON et ARISTOTE ou de la PHILOSOPHIE

PLATON et ARISTOTE ou PHILOSOPHIE - … · 3 Chronologie de PLATON — 429 Mort de Périclès. — 428-— 427 Naissance de Platon, issu de noble lignée, à Athènes ou Égine. —

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Ceret 2014 cours B2

Introduction à la Philosophie

p. Mario Neva

Raphaël 1509-1512 fresque H 500 cm largeur 770 cm. Palais

du Vatican (Chambre de la signature)

PLATON et ARISTOTE ou

de la PHILOSOPHIE

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Dans la fameuse fresque de l’ÉCOLE D’ATHÈNES, (7mx5,

50) qui se trouve dans les appartements pontificaux au

Vatican, Raphaël représente Platon avec le visage d’un

sage vieillard (plusieurs affirment qu’ i l s ’agit des traits

de Leonardo da Vinci, contemporaine de Raphael) qui

indique avec l’ indice de la main droit e levée, le ciel. I l

est en étroit contact avec Aristote, coude à coude, lequel au

contraire indique avec la main droit ouverte la terre… Tous deux

portent un l ivre , Platon le Timée et Aristote l ’Éthique. Tout autour

de ces deux personnages principaux, on peut faire une longu e l iste

d’anciens philosophes qui sont tous en train de discuter, en dehors

d’Héraclite (avec les traits de Michel-Ange) solitaire, assis par terre

et un personnage mystérieux non identifié, appuyé à une colonne,

peut être un sage néoplatonic ien. Socrate, entouré par ses disc iples ,

discute avec passion. Du coté de Platon sont rassemblés les

philosophes anciens qui ont se sont invest is dans la dimension

religieuse et mystique ; du côté d’Aristote sont rassemblés tous ceux

qui ont préféré une dimension plus sc ientifique , et disons-nous plus

empirique … Enfin l ’on peut admirer la parfaite géométrie du milieu

qui semble présager la construct ion de Saint Pierre à Rome et les

architectures de Bramante, et surtout la perspective toute cen trée

avec des arcs romains vers le c iel infini, aux épaules d e deux

protagonistes centraux… Cette image de la philosophie grecque,

mise au point dans la Cour du Pape où travail lait Marsili F ic ino,

traducteur de Platon en Latin, est caractéristique de la Renaissance

qui reconduit toute la philosophie grecque à une substantielle

harmonie, dont la commune centralité de Platon et Aristote domine

la scène. Cette syntonie avec les Grec s, malgré la conscience aussi

des différences, reste un model que le néoclassic isme suivant a

cherché inut i lement à dépasser… Sur plusieurs fronts, la Renaissance

est peut-être le niveau le plus élevé rejoint par la conscience

européenne. Comme Platon considère la réalité de l ’ expérience en

dépendance des Idées, c’est pourquoi i l indique le c iel, l ’on nomm e

sa philosophie comme philosophie idéaliste. Au contraire, mais

toujours proche de Platon, Aristote indique la terre , sa philosophie

est bien considérée comme réaliste. Nous voic i entrés dans une

décis ive querelle entre les deux grands philosophes de l ’antiquité.

Mais alors pourquoi sont- i ls l ’un à côté de l ’autre ? Eh bien, tout

s implement parce que tous deux considèrent la raison comme le

sommet des act ivités humaines et la métaphysique comme le but de

la connaissance même, mais pendant que Platon trouve les idées

au-delà du monde et sont les idées qui engendre nt la connaissance,

Aristote les trouve dans les choses mêmes laissant ouverte la

question, aussi bien logique, de leur provenance. En traitant donc de

Platon et d’Aristote, nous devrons rendre raison de cette différence

mais aussi parler de deux philosophies qui aboutissent à la

métaphysique. La route est tracée. La suite dans la philosophie

d’Occident , ce sont des commentaires plus ou moins inavoués.

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Chronologie de PLATON — 429 Mort de Périclès. — 428-— 427 Naissance de Platon, issu de noble lignée, à Athènes ou Égine. — 415-— 413 Expédition de Sicile. — 399 Procès et condamnation à mort de Socrate, à Athènes. — 399-— 390 Platon rédige ses premiers dialogues : Hippias mineur, Ion, Lachès, Charmide, Protagoras, Euthyphron. — 395-— 394 Sparte assiège Corinthe. — 390-— 385 Seconde vague de dialogues : Gorgias, Ménon, Apologie de Socrate, Criton, Euthydème, Lysis, Ménexène, Cratyle. — 388-— 387 Voyage en Italie du Sud. Platon rencontre le pythagoricien Archytas, gouverneur de Tarente, et Denys Ier, tyran de Syracuse, qu'il tente vainement de convertir à la philosophie. — 387 Retour mouvementé à Athènes et fondation de l'Académie. — 385-— 370 Phédon, Le Banquet, La République, Phèdre. — 382 Guerre de Sparte contre Athènes. — 378 Guerre d'Athènes et de Thèbes contre Sparte. — 370-— 347 Théétète, Parménide, Le Sophiste, Le Politique, Timée, Critias, Philèbe. — 367-— 366 Deuxième séjour à Syracuse auprès de Denys II, qui se traduit par un échec. — 361 – 360 Dernier séjour à Syracuse. Troisième échec. — 348-— 347 Mort de Platon alors qu'il est en train de rédiger Les Lois. Philippe II de Macédoine a commencé ses guerres contre les cités grecques. Francis WYBRANDS

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Platon 427-8/347-8 Platon appartient à l’aristocratie athénienne ; sa mère est

descendante de Solon, législateur mythique. Platon passe donc

son enfance, et de façon particulièrement intense, dans la

PAIDEIA (forme d’éducation) d’une ville qui cultive les idéaux

humains d’autonomie, de responsabilité morale, d’habilité

culturelle et aussi physique, une Polis qui privilégie le mérite sur

la richesse et sur la descendance.1 Une ville enfin qui, après la

splendeur de l’âge de Périclès, nous l’avions vu avec Socrate, vit

son lent et inexorable déclin politique et moral. Le destin de ce

jeune, qui démontre une singulière aptitude à l’art et à la parole

poétique, est de s’illustrer dans un rôle public, la responsabilité

politique. Hors de ce contexte historique, la conception politique

de Platon qui trouve sa fameuse expression dans sa POLITEIA ou

REPUBLIQUE, perde toute sa consistance. Les contemporains qui

ont critiqué Platon au XXe siècle, surtout sur le plan politique et

moral, n’ont pas compris la singularité du rapport du philosophe

avec sa ville et aussi son expérience politique à Syracuse.

Nietzsche, Popper, Heidegger sont des auteurs très loin de

l’esprit grec et liés à une période historique et politique très

différente qui cherche en vain à faire le vers aux Grecs.2 En dépit

de ses échecs politiques, Platon restera fidèle à cette conception

de la politique, où, pour gouverner, il faut nécessairement être

des philosophes ou se laisser conduire par des philosophes. La

distance entre la réalité et l’idéal, il s’agit de conduire la vie

personnelle et publique avec la raison et selon la vertu, vient se

combler avec une constante ironie : à cet égard on ne peut pas

considérer Platon comme un penseur naïf, comme le Candide de

Voltaire.

La naissance de Platon se situe dans les ans 428-27

éventuellement un an après la mort de Périclès, le grand homme

d’État et orateur, symbole du prestige d’une ville qui est en même

temps l’expression la plus définie et universellement reconnue de

l’esprit grec. La vie de Platon change radicalement après sa

rencontre avec Socrate. Témoins de la condamnation et de la

mort de son maitre, Platon démarre son voyage à un temps

physique, à travers les colonies grecques et peut être en Egypte,

où il tient des contacts avec les philosophes du moment, soit un

1 Le fameux discours funèbre de Périclès aux citoyens athéniens ici p.22 suiv. 2 L’illusion d’être la nouvelle Hellade prend des caractéristiques

visionnaires surtout dans la période du classicisme,…avec Hölderlin, Hegel, jusqu’à la parodie du nazisme.

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voyage spirituel et intérieur, à travers l’aventure philosophique ;

il prend progressivement une radicale distance de toutes

opinions (DOXA), pour rejoindre avec la vérité (ALETHEIA) le

bien de l’homme et le bien absolu. Nous n’avons pas des

témoignages directes de ce passage, mais il nous serait très

difficile de comprendre les grands écrits de Platon, où Socrate est

le protagoniste, sans une supérieure e constante vibration

spirituelle, un tournant, une conversion, un abîme dépassé, une

vision profonde, dans laquelle constamment héberge et où se

renouvelle la pensée de Platon.3 Il faut insister sur ce point pour

ne pas perdre l’occasion de comprendre cette solaire aptitude à

la pensée pleinement déployée en toutes directions, si bien qu’il

ne soit pas nécessaire de devenir des platoniciens pour

comprendre cette chose que nous considérons préalablement à

tous discours sur Platon et sur la Philosophie antique. Toute la

philosophie en effet fait son apparition dans les écrits de Platon.

Il n’y a pas un angle de la vie et de l’existence humaine qui ne soit

pas exploré, même si Platon n’a pas connu le christianisme que

nous considérons comme le vrai sommet de la connaissance.

Il faut dire avant tout que Platon est un homme de grande

expérience de vie, l’on découvre ce vaste réalisme existentiel

dans les dialogues, où il est capable de se plonger dans les

expériences les plus différentes et ainsi de tracer avec peu de

mots les caractères humains…(pour trouver quelque chose de

semblable, l’on doit rencontrer Dante, Shakespeare, Molière,

Goethe, Manzoni,…) en même temps Platon est un formidable

assimilateur de la pensée des autres. En ce cas, il peut bien être

considéré comme le premier historien de la philosophie grecque ;

sa pensée a une caractéristique propension à la géométrie, à la

mathématique, à la mystique et à la spiritualité, plutôt qu’à la

physique et aux sciences naturelles… En ce sens Aristote

considère que son maitre Platon a été fort influencé par les

pythagoriciens, surtout par Cratile, pour la conséquente

impossibilité d’avoir une science de la nature, car le devenir, le

changement, empêche une vérité dans les choses… Donc toute la

philosophie avant Socrate passe dans les dialogues de Platon,

mais avec les différents philosophes grecques passent des idées,

passe l’esprit même de la philosophie grecque qui, avec Platon,

rejoint le sommet de l’expression littéraire. L’avoir codifié en

synthèse, le grand thème grecque autour de la question du

rapport entre la vision de Parménide (l’ÊTRE) et celle d’Héraclite

(le DEVENIR) appartient à la réflexion de Platon qui offre aussi sa

solution. Bien que les informations sur la vie de Platon soient

3 C’est un tort des commentateurs contemporains, je pense à Nietzche,

Popper, Heidegger, Levinas, de n’avoir pas compris cette dimension platonique.

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laconiques, toutes ces choses se laissent saisir dans la lecture des

œuvres que Platon a donné en héritage à l’humanité. Mais

l’impression plus forte qui nous reste en lisant le Phédon,

l’Apologie, Le Banquet, la République, le Phèdre, le Timée, est la

capacité absolue de maitriser les questions, de dominer la parole,

de n’abandonner jamais le tissue, l’argument, … Encore une fois,

la seule comparaison capable de rendre raison de ces faits c’est le

soleil qui se lève. Nous sommes en ce moment en train de parler

de Platon en suivant deux directrices : la biographie et sa

production philosophique.

Platon nous laisse 36 Dialogues écrits qui sont classés, dès

l’Antiquité, en 9 tétralogies (groups de quatre). La discussion sur

l’authenticité du Corpus Platoniciens reste ouverte, comme

pour tous les écrits de l’antiquité, comme aussi pour la Bible….

L’école de Tubing et de Milano, à la suite de la lecture du

PHEDRE, exaltent la dimension non conclue, aporétique, des

dialogues, en introduisant l’idée que le vrai Platon vient après les

écrits ; le vrai Platon serait donc oral et dialectique et seul en

passant écrit. La LETTRE VII, parmi les treize qui sont attribuées

à Platon, dans laquelle Platon à l’âge de 75, parle de sa

philosophie, et que les commentateurs considèrent authentique,

semble soutenir cette thèse. Dans notre pauvre opinion avec

Platon, l’on doit comprendre toujours le substrat ironique de ses

réflexions... En affirmant la valeur de la philosophie orale

pendant que l’on écrit un chef d’œuvre littéraire, l’on entre de

plein pied dans le jeu capricieux de l’ironie socratique et

platonicien. Enfin, nous le savons déjà, pour comprendre

l’extraordinaire production écrite de Platon il faut d’abord

réfléchir sur l’existence de son Académie fondée en 387 ; l’on

écrit des livres quand l’on a la certitude d’avoir un publique

capable de les lire et prêt à les discuter. Un livre publié témoigne

plus au moins du niveau culturel des lecteurs. Mais à ce sujet,

nous offrirons une réflexion finale …

La biographie de Platon est très simple. Il a 20 ans à la

condamnation de Socrate, il a 40 ans au moment de la fondation

de l’Académie… Il a 80-81 au moment de sa mort… Parmi ses

élèves émerge Aristote, qui bientôt manifeste une autre

sensibilité, dans le même esprit d’une philosophie qui aboutit

dans la métaphysique. Il faut d’avance avertir que la

métaphysique selon Platon requiert une aptitude qui dépasse la

simple intelligence, il faut en effet abandonner le terrain des

sensations et de la parole pour entrer dans le royaume des

principes. Principes qui ne changent pas. Cette entrée conserve

une dimension initiatique, c’est-à-dire : l’homme doit être bon,

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purifié et vertueux pour philosopher vraiment, sur l’exemple de

Socrate.

L’assiduité athénienne de Platon vit des interruptions à cause de

ses voyages ; après le premier et malheureux rapport avec le

tyran Denys I, terminé avec l’aventure, vrai ou légendaire qu’elle

soit, de l’esclavage, il poursuit avec le fils Denys II et enfin avec

l’oncle de ceci Dion… Expérience importante et négative qui

révèle en Platon la conscience qu’une Polis gouvernée par la

raison est tout simplement une utopie. En raison de ça, le fait de

reprocher à Platon d’être le père du totalitarisme, c’est une gaffe

poppérienne, une herméneutique arbitraire. Nous ne possédons

pas les particuliers analytiques de la vie d’un philosophe qui

déclare, et retourne encore une fois l’ironie, que pour

philosopher il faut rejoindre au moins l’âge de 50 ans, et qui en

effet a touché les confins de 80 ans.

Philosopher avec Platon.

Platon refuse catégoriquement de croire aux mythes. Il dépasse

la culture populaire, les traditions religieuses, les cultes, Homer

et Hésiode … L’imagination est au service de l’art et même de la

philosophie, mais elle ne peut pas prétendre d’enterrer la raison.

Si forte est à son avis la découverte d’une tête philosophique : ce

qui est vide pour les autres, devient le plein pour ceux qui

pensent. Contrairement au christianisme qui insiste sur

l’aptitude des simples et des pauvres à comprendre la vérité,

Platon semble toujours avoir une vision aristocratique de la

vérité, réservée à ceux qui sont avide de vérité ou bien, pour le

dire comme Platon même, si tu es dialectique tu es dialectique, si

tu ne l’est pas tu ne l’est pas (dialectique est synonyme de

philosophe).

Pour cette raison, quand on parle de sagesse populaire en la

pensant comme une philosophie au niveau des Grecs l’on doit

bien réfléchir : une culture populaire n’aboutit pas à l’Académie

ou au Lycée. En même temps, Platon n’est pas un néopositiviste

moderne et il sait bien que, sous la forme des mythes, se cache

une dimension fort religieuse, et nous l’avons déjà vu avec son

Socrate. Enfin, Platon connait bien l’aptitude de l’homme à visiter

les vérités de la vie avec les images et l’imagination. Donc s’ouvre

le grand chapitre du mythe platonique, un instrument qui lui

permet d’entrer dans les régions mystérieuses de l’existence, de

la naissance et de la morte, du jugement et de l’immortalité, et

d’expliquer de façon préalable et plausible tout ce qui dépasse la

puissance de la raison. Comme le mythe de la Caverne, le mythe

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de l’Ecriture, le Mythe des cigales, le mythe de la distinction entre

hommes et femmes, etc. etc. Quand Platon arrive aux limites de

ce que l’homme comprend à partir de son expérience, son

discours est toujours accompagné de formules hypothétiques

chargées d’ironie, avec la claire affirmation qu’il s’agit d’une

tradition, d’un hasardé… La chose est très importante à

remarquer surtout si l’on parle du monde des idées ou Hyper

Ouranos ou du destin de l’homme après la morte, le jugement …la

formule est : si est vrai ce que l’on dit…

Dans la République ou POLITEIA, Platon parle de la DEUXIEME

NAVIGATION. La première navigation est la philosophie qui

prend en considération la réalité naturelle, avec sa consistance et

son continuel changement. Pour bien le comprendre, il s’agit de

la philosophie comme connaissance du monde visible. La

première navigation exploite le vent, c’est-à-dire l’observation

pensante et aussi spontanée du monde… Mais à un certain

moment elle ne suffit plus, le vent cesse, et donc il faut démarrer

la deuxième navigation, à force de rames et de bras, parfois

contre-courant … Donc il y a le passage techniquement dit

INFERENCE, mais aussi le résultat de ce passage, que nous

appelons la METAPHYSIQUE. Donc il faut considérer Platon

comme le père même de la métaphysique, celui qui a

thématisé, à travers la philosophie des choses visibles, la

racine invisible du monde. Pour nous les chrétiens habitués à la

Bible et à la présence de Dieu, il n’est pas difficile de découvrir

qu’il s’agit du parcours en direction contraire, mais non opposé,

de la Révélation : la Révélation vient de l’invisible, de Dieu, la

philosophie de Platon, à condition qu’elle décide d’être une

métaphysique, aboutit à l’invisible. Qui affirme avec Nietzsche

que Platon a redoublé le monde n’as rien compris. Platon a tout

simplement découvert et explicité la nature intime du réel. En ce

sens, nous pouvons dire qu’il y a assez de gens intéressés à la

philosophie cependant ils sont certainement moins ceux qui la

comprennent. C’est le cas de Nietzsche.

Que veut dire donc en effet seconde navigation ? La Paideia

Platonique, pratiquée dans l’Académie veut que l’homme

connaisse et soit capable de faire beaucoup de choses, dans le

domaine du corps et de l’âme, mais il est surtout avec la

géométrie, avec ses images essentielles, et surtout avec la

mathématique que l’intelligence s’approche de la pure

abstraction, où démarre la grande et décisive question de la

nature et de l’origine des idées. Platon développe à cet égard une

longue série de réflexions enchainées entre elles… Nous le

voyons en synthèse:

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Avant tout l’immatérialité de la pensée humaine conduit à la

conscience de la spiritualité de l’âme, à son tour la spiritualité ou

l’immatérialité, indique la différence substantielle entre l’âme et

le corps. Avec l’âme, l’homme partage le monde invisible. Sous

forme d’hypothèse et de mythe philosophique, et donc avec

l’ironie de la connaissance non pleine, Platon considère que l’âme

a été mise dans le corps comme pour un châtiment et comme

dans une prison. Dont le mythe de la caverne. À la suite des

pythagoriciens et des cultes orphiques, Platon ne dédaigne pas la

métempsycose ou transmigrations des âmes, à cause de la

nécessité de leur purification. Dans cette situation, après sa

chute, l’homme perd la mémoire des vérités que l’âme

contemplait dans la grande prairie de la vérité. Donc penser

pour Platon veut dire surtout se rappeler, reprendre une

mémoire originaire. Il s’agit de l’innéisme platonique, destiné à

avoir une grande suite sur le terrain de la philosophie suivante.

Mais il y a plus : avant d’aboutir à la dimension de l’invisible,

Platon focalise le moment décisif de ce passage qu’est la

définition de mots… Socrate est l’expédient ou, peut-être, le

moteur de cette découverte. En peu de mot la définition a une

épaisseur ontologique, elle renvoie dans son universalité au

monde des idées pensées comme la vraie réalité. L’on passe à

travers l’essence d’une chose pour aboutir à sa réalité. Nous

pouvons réduire la question en affirmant que tout ce qui existe

est déjà pensé, existe en raison du fait qu’il est pensé, donc il est

pensable, intelligible, possède et porte une essence… Et ça

explique assez bien la raison de la fortune successive de Platon

parmi les Juifs et les Chrétiens qui donnent raison de cette

intelligibilité à travers le théorème de la création. En simplifiant,

nous disons que Platon est trop intelligent pour penser aux idées

comme des choses, le thème en effet se pose au contraire. Ses

difficultés viennent quand il s’agit d’expliquer la relation entre

les idées, universelles et uniques avec la pluralité et les

différences des choses parmi elles… Sans le principe de la

Création, disons-nous encore une fois, le discours expérimente sa

limite indépassable. Platon parle d’imitation, de participation

et enfin dans le Timée il introduit l’idée d’un médiateur ou

Demiurge qui modèle le monde en s’inspirant des idées…

Une forte dimension mystique agite la pensée de Platon…

L’homme chemine vers la vérité comme vers le soleil, image du

Bien absolu. Donc la vision platonique est en fin de compte

comme un continuel dépassement hiérarchique à travers les

différents niveaux de l’être, poussé par l’éros philosophique ou

amour pour la vérité. Mais l’on peut aussi faire le chemin

contraire : partir du BIEN dont la caractéristique est la simplicité

et l’unité UN, et descendre jusqu’à la pluralité de la matière à

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travers le DEUX, les IDÉES les AMES et enfin la MATIERE. Cet

escalier pris de Platon est caractéristique surtout du

Néoplatonisme, grand mouvement de reprise de la pensée de

Platon en époque romaine.

Platon parle de l’âme humaine comme tripartie, composée d’une

partie irascible, concupiscible et enfin raisonnable. La raison

peut conduire l’homme quand il cultive la philosophie qui

introduit dans le champ morale la raison et la mesure. L’image de

l’âme est à la racine de la fameuse analogie politique… la Polis et

comme l’âme tripartie… La part concupiscible est formée de ceux

qui travaillent la part irascible pour ceux qui défendent la Polis et

enfin la part raisonnable par les gouverneurs-philosophes.

Raison et vertu sont en substance des synonymes. Mais Platon

réserve un espace privilégié au thème apparemment alogique de

l’amour, de l’Eros. Dans le Phèdre il dit qu’en étant Eros fils de

Privation et Richesse, deux demi-dieux, il porte en soi la

créativité géniale de la richesse et la soif continuelle de la

pauvreté, mais enfin l’amour est la grand force qui régit l’Univers

tel qu’elle vient directement de Dieu. En ce sens, l’on parle

d‘amour platonique ou idéal, l’amour philosophique qui dépasse

la dimension physique. S. Freud dans sa biographie déclare que

cette conception a inspiré sa psychologie et, nous l’observons, de

façon très réductive.

Le mythe de la caverne. La situation de l’homme face à la vérité

est semblable à la condition d’un homme prisonnier avec

d’autres hommes, liés mains et pieds, jetés dans une caverne face

au fond de la caverne même. Ils ne peuvent pas se tourner, la

caverne ressemble à un tunnel ouvert au fond… Hors de la

caverne, il y a un mur et des gens qui passent avec des statues en

émergeant du mur même, derrière le mur un grand feu allumé

qui projette sur le fond de la caverne visible aux prisonniers les

hombres de ce passage… L’on entend simultanément la voix des

hommes qui passent et qui font l’écho au fond de la caverne… au

dehors il y a la lumière du soleil— La situation des prisonniers

est telle qu’ils pensent que les ombres sont la réalité même, en

particulier que les ombres des objets parlent avec la voix des

porteurs… La situation change quand l’un des prisonniers arrive

à se délivrer,… Il découvre ainsi petit à petit, comme quand l’on

prend l’habitude de regarder dans les ténèbres, la physionomie

du milieu. Il sort de la caverne et il découvre progressivement, en

purifiant son regard, la vraie réalité du monde. Celui qui a eu la

force de se délivrer, sent la nécessité d’aider les autres

prisonniers, mais ici l’homme délivré expérimente que les

hommes préfèrent un esclavage d’habitude que l’aventure de la

vérité. Donc il risque sa vie, les prisonniers le refusent. Comme

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on peut le voir, le mythe donne plusieurs chances

d’interprétation, comme celle de le considérer avec une

signification non univoque, comme du reste toute la pensée de

Platon,… et donc : mythe gnoséologique, mythe moral, mythe

mystique, mythe métaphysique, mythe politique ? … Dans notre

pauvre opinion, il s’agit d’une totalité en mouvement. Mais

encore plus, il faut dire que Platon n’aime pas penser à la

philosophie comme recherche continuelle (c’est le cas des

contemporains qui refusent les conclusions) mais aussi il

semble refuser une conclusion métaphysique purement

dogmatique et intuitive, c’est-à-dire sans un vrai parcours de

recherche (c’est le cas, peut-être de Hegel, au moins dans ses

premières pages de la Phénoménologie de l’Esprit.)

La correspondance de la lettre VIIème, déjà vue, avec la pensée et

la vie de Platon est remarquable au point qu’il n’y a pas de doute :

ou c’est Platon même qui l’a écrite ou bien quelqu’un d’autre qui

l’a bien connu, et dans cette éventualité l’on pense à Speusippe.

Les parents de Dion lui demandent des conseils; Dion, ami de

Platon est mort. C’est l’occasion pour Platon de parler de sa

jeunesse, de son rapport avec Athènes, de la mort de Socrate et

de sa décision de se donner à la philosophie. Mais Platon ne veut

pas être vu comme 'un charlatan’ qui a des paroles sans faits.

Donc il parle de son engagement politique, cependant la triste

expérience politique athénienne de sa jeunesse dans le

gouvernement des trente tyrans, et la renaissante démocratie qui

met à mort son maitre ; enfin son engagement en faveur de

Syracuse, avec Denis I, son fils Denis II et avec Dion même, l’ami

très cher. L’échec est le destin politique de Platon, commun à

tous ceux qui s’engagent en politique avec des rêves de réforme

morale, mais aussi l’échec contient de grands enseignements

pour la vie, et surtout révèle à nouveau titre la nécessité de la

philosophie.

La lettre en question n’est pas seulement une minière de

nouvelles biographiques sur la vie de Platon et sur sa conception

politique, elle contient aussi des informations importantes sur la

philosophie de Platon, si bien qu’il soit très engagé pour montrer

leur importance pratique. La premier question, qui a intéressé les

interprètes est justement la question sur l’oralité de sa doctrine,

nous l’avons déjà considérée. Il ne s’agit pas seulement d’une

méthode, s’il est mieux écrit ou tout simplement de dialoguer. Il

s’agit d’une question de contenu : la pensée de Platon s’arrête aux

écrits ou l’on peut penser que sa doctrine sur les idées se trouve

placée dans une dimension dynamique, stratégique pour

rejoindre une complète connaissance des principes et donc de la

pleine vérité ?

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A ce point, après avoir lu la lettre, notre personnelle

interprétation, est la suivante :

Au numéro 342 B jusqu’à 344 D l’auteur développe une dense

réflexion philosophique, le thème est : à quelle condition

pouvons-nous connaitre quelque chose… ? Ainsi l’on entre avec

Platon, mais aussi avec Aristote, Augustin, Descartes, Kant,

Husserl, Wittgenstein, dans le premier, peut-être le seul pas, de

la philosophie… La position platonique, nous le savons déjà, est

fort élitaire… La majorité des hommes n’est pas adaptée à la vraie

connaissance, et pour ça il y a une raison très profonde … La

vraie connaissance d’une ‘chose’ est le résultat d’un chemin

constant à travers le nom, la définition et l’image. L’exemple

proposé du texte est classique : le cercle, nous avons le nom, la

définition ; nous pouvons le dessiner ou construire, mais la

connaissance se trouve au-delà, dans l’essence même de la

chose ; enfin il y à la réalité du cercle, qui ne peut pas, comme les

trois degrés précédemment décrits, être sujet au changement,

signe naturellement d’imperfection et très distant de la réalité

même. Enfin Platon affirme que la vraie connaissance vient de

l’âme et non de la mémoire ou de l’intelligence, ou de la capacité

dialectique. La vrai connaissance requiert une syntonie avec

l’essence, qui est spirituelle, et une âme purifiée et vertueuse.

L’on comprend ainsi aisément ce que veut dire Platon quand il

affirme que ce n’est pas possible d’arriver à la vérité par les

écrits… La vérité est dans l’âme… La connaissance est un passage

de l’âme dans la région de la vérité immanente à l’esprit humaine.

Mais de la même façon, l’on comprend l’idée platonique d’une

dialectique, une activité commune qui aboutit à la vérité, le texte

est justement célèbre, mais à humble avis, il doit être lu dans le

contexte …

Il y a dans tout être trois choses qui sont les conditions de la science : en quatrième lieu vient la science elle-même, et en cinquième lieu [342b] il faut mettre ce qu’il s’agit de connaître, la vérité. La première chose est le nom, la seconde la définition, la troisième l’image ; la science est la quatrième. Si on veut comprendre ce que je viens de dire, il n’y a qu’à choisir un exemple ; il servira pour tout le reste. Prenons le cercle. D’abord il a un nom, celui même que je viens de prononcer. Puis il a une définition composée de noms et de verbes ; en effet, ce dont les extrémités sont également distantes du centre, telle est la définition de ce qu’on appelle sphère, circonférence, [342c] cercle. Mais ce cercle est encore un dessin qu’on efface, une figure matérielle qui se brise ; tandis que le cercle lui-même auquel tout cela se rapporte ne souffre pourtant rien de tout cela, parce qu’il en est essentiellement différent. Vient ensuite la science, l’intelligence, l’opinion vraie sur ce que nous venons de dire ; considérées collectivement, voilà un nouvel élément qui n’est ni dans les noms, ni dans les figures des corps, mais dans les âmes ;

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d’où il est clair que sa nature diffère de celle du cercle même [342d] et des trois choses dont nous avons parlé. De ces quatre éléments, l’intelligence est celui qui, par ses ressemblances et son affinité naturelle, se rapproche le plus du cinquième : les autres en diffèrent beaucoup plus. On peut faire les mêmes observations sur les ligues droites ou courbes, sur les couleurs, sur le bon, le beau, le juste, sur les objets que l’homme fait ou sur les corps naturels, comme le feu, l’eau et tant d’autres, sur tout animal, sur toute qualité de l’âme, sur les actions et les passions en général. Si l’on ne possède parfaitement [342e] ces quatre premiers éléments, on n’aura jamais la connaissance exacte du cinquième. De plus, l’homme n’est pas moins ambitieux de connaître les qualités des choses que leur existence, [343a] à travers l’insuffisance de la raison. C’est cette même insuffisance qui empêchera toujours un homme sensé d’avoir la témérité d’ordonner ici ses pensées en une théorie, et encore en une théorie inflexible, comme cela peut avoir lieu pour des images sensibles. Mais revenons aux figures dont nous parlions. Chacun des cercles dessinés ou tournés, dont on se sert dans la pratique, est plein de contradictions avec le cinquième élément : car dans toutes ses parties on retrouve la ligne droite ; or, le cercle véritable ne peut avoir en lui-même, ni en petite ni en grande quantité, rien de contraire à sa nature. Nous disons aussi que le nom de ces figures [343b] n’est nullement invariable, et que rien n’empêche de nommer droit ce que nous appelons sphérique, et sphérique ce que nous appelons droit, et que, ce changement une fois fait en sens contraire de l’usage actuel, le nom nouveau ne serait pas moins fixe que le premier. Il faut en dire autant de la définition : elle ne peut rien avoir d’absolument invariable, puisqu’elle est composée de noms et de verbes très variables. Il y a donc mille preuves pour une que chacun des quatre éléments est fort incertain ; mais la plus frappante, c’est que des deux choses que nous venons de distinguer, l’être et les qualités, [343c] quand l’âme cherche à connaître l’être et non les qualités, nos quatre éléments ne lui offrent en théorie et en réalité que ce qu’elle ne cherche point, c’est-à-dire ce qui, tombant aisément sous les contradictions des sens, des mots et des images, ne remplit l’esprit de tout homme que de doutes et d’obscurités. Aussi, dans les choses pour lesquelles notre éducation ne nous a malheureusement pas donné l’habitude de rechercher la vérité, et où nous nous contentons des premières apparences, nous ne semblons pas ridicules les uns aux autres, parce que nous sommes [343d] toujours capables de discuter et de réfuter ces quatre principes. Mais quand nous exigeons qu’on raisonne sur le cinquième et qu’on le prouve, l’homme capable de réfuter n’a qu’à le vouloir pour vaincre, et faire croire aux auditeurs que celui qui expose ses doctrines dans ses discours, ses écrits ou ses conversations, ne sait absolument rien des choses qu’il entreprend de dire ou d’écrire ; car on ignore quelquefois que ce n’est pas l’esprit de l’écrivain ou de l’orateur qu’on réfute, mais le vice inné des quatre principes dont nous parlions. [343e] Un raisonnement exact, appuyé sur eux tous, et qui conduit et ramène à chacun d’eux, est à peine capable de produire la science ; et pour cela il faut que les choses soient naturellement bien

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disposées, et qu’elles tombent dans un esprit bien disposé lui-même. Mais ceux qui ont naturellement de mauvaises dispositions pour les sciences et la vertu, [344a Aristote, sur la même ligne, affirme que les essences sont dans les choses même … Il semble en apparence reconduire la pensée du maitre à un naturalisme réductif. En réalité, la philosophie d’Aristote, l’épaisseur ontologique qu’il découvre dans les choses, réclament une racine idéale, une pensée enracinée dans le monde divin. À cet égard, la philosophie chrétienne devient une nécessité aussi de l’esprit rationnel… Intellectus quaerens fidem. La philosophie contemporaine à la tendance à considérer toute la question appartenant aux rêves de la métaphysique… Cependant nous n’avons pas une vision élitaire et aristocratique de la vérité, et ceci c’est peut-être la vraie limite de Platon, nous considérons tout simplement plusieurs contemporains incapables de philosophie.

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Chronologie d’ARISTOTE

— 385-— 384 Naissance d'Aristote, à Stagire, en Macédoine.

Il est le fils du médecin Nicomaque.

— 366 Arrivée à Athènes, à l'âge de dix-huit ans. Brillant

disciple de Platon.

— 363 Enseigne la rhétorique à l'Académie fondée par Platon.

Rédige des textes d'inspiration platonicienne qui sont perdus.

— 356 Philippe II roi de Macédoine. Naissance d'Alexandre,

son fils.

— 347 Mort de Platon. Séjour d'Aristote près du tyran

Hermias, à Atarnée.

— 346 Il se marie, séjourne à Stagire et rédige le livre A de la

Métaphysique, ainsi que divers chapitres de sa Physique.

— 342 Précepteur d'Alexandre.

— 336 Alexandre devient roi de Macédoine.

— 335 Retour d'Aristote à Athènes et fondation du Lycée,

école rivale de l'Académie de Platon.

— 323 Accusé d'impiété, tel Socrate en — 399, il se réfugie en

Eubée, à Chalcis. Alexandre le Grand meurt, à trente-trois ans.

— 322 Mort d'Aristote, en exil, à Chalcis, patrie de sa mère, à

l'âge de soixante-trois ans.

Francis WYBRANDS

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ARISTOTE 384-322 aC

Si nous acceptons de considérer Platon comme le père de la métaphysique occidentale, Aristote est sans doute celui qui a donné à la philosophie de l’Occident une structure systématique, de telle façon que nous pouvons le considérer comme un système d’idées à Haute Définition, la grammaire spéculative même de l’Occident. Il ne s’agit pas d’une hyperbole qui divinise le philosophe de Stagire, mais d’une observation importante pour comprendre la philosophie. Tous ceux, qui ont contesté cette primauté d’Aristote, ont au moins utilisé ses mots, ses images, son organisation du savoir… Quand parfois ils ont rejoint des résultats appréciables, ils sont arrivés après ses anticipations. Donc, pendant que ses observations sur la nature, ses collections sur les arbres, sur les animaux, sur le ciel, sur les lois, ... semblent anticiper la grande Encyclopédie des lumières, l’œuvre d’Aristote n’est pas assimilable à une bibliothèque fonctionnelle. En réalité, pour Aristote, la variété des observations s’organise harmonieusement en raison d’une métaphysique rigoureuse. Ce qui est considéré aujourd’hui comme nostalgie ou bien parfois la nécessité d’une fondation qui considère l’existence des principes qui donnent unité au savoir parce qu’ils dévoilent l’unité du réel…, tout cela constitue à nos avis la génialité de la vision aristotélique. La possibilité même de concevoir un système philosophique globale, capable d’embrasser en unité la logique, la cosmologie, l’anthropologie, l’éthique, la politique et enfin la métaphysique, ne répond donc pas simplement à la mission du sage qui est la capacité de mettre ordre, il s’agit d’une réalité bien plus profonde … Aristote a l’idée que l’homme est capable de vérité, qu’il y a une syntonie potentielle et naturelle entre l’intelligence humaine et la réalité. Les Latins, qui ont utilisé Aristote, parlent d’ADEQUATIO REI ET INTELLECTUS ou CONFORMITE DE L’INTELLIGENCE AUX CHOSES… Le sens commun donc contient en puissance la philosophie. Il faut aussi ajouter après cette prémisse fondamentale que nous recevons d’Aristote un Corpus d’écrits remarquables que les spécialistes considèrent comme des pages d’école, si bien qu’ils n’ont pas le grand style littéraire de Platon, ils conservent leur fascination puissante jusqu’aujourd’hui. Il faut aussi ajouter que, bien qu’Aristote ait conçu un système inachevé, il nous donne également les éléments pour en comprendre les grandes lignes architectoniques. Mais pour le comprendre, il faut entrer sans préjugés dans la philosophie d’Aristote. Pour bien la comprendre, il faut considérer d’avantage sa biographie et bien exposer les présupposés et aussi les conclusions. De WiKipedia

Aristote est né en 384 av. J.-C. en Macédoine, à Stagire (d’où son surnom,

le Stagirite5), ville de Chalcidique, sur le golfe Strymonique

note 2. Son père,

Nicomaque, est le médecin du roi Amyntas III de Macédoine tandis que sa

mère Phéstias originaire de l'île d'Eubée est sage-femme. Orphelin de père

à 11 ans, il est élevé par son beau-frère, Proxène d'Atarnée, à Atarnée, en

Mysie. Là, il se lie d'amitié avec Hermias d'Atarnée, futur tyran de Mysienote

3.

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Vers 367 av. J.-C., à 17 ans, il est envoyé à l’Académie de Platon6.

Distingué par son intelligence, Platon lui donne droit d’enseigner, en tant

que répétiteur, la rhétorique7. Il reste 20 ans à l'Académie – jusqu'à la mort

de Platon. Ce dernier l'appelle « le liseur » (ὁ ἀναγνώστης)8 ou

« l'intelligence de l'école » (νοῦς τῆς διατριβῆς). Il est platonicien, mais

critique, puisqu'il rejette la théorie des Idées, centrale chez Platon, ce qui a

inspiré la célèbre formule : « Ami de Platon, mais encore plus de la vérité ».

Formé et structuré par les platoniciens, il ajoute : « Ce sont des amis qui

ont introduit la doctrine des Idées. (...) Vérité et amitié nous sont chères

l'une et l'autre, mais c'est pour nous un devoir sacré d'accorder la

préférence à la vérité. »9.

La maturité

Éducation d'Alexandre par Aristote de Charles Laplante.

Il s’intéresse alors à la vie politique locale mais ne peut y participer du fait

de son statut de métèque (« étranger » à la cité). Quand Platon meurt en

348/7 av. J.-C., son neveu Speusippe lui succède ; Aristote dépité part pour

Atarnée avec son condisciple Xénocrate10

. Ce départ est peut-être aussi lié à

l'hostilité grandissante envers les Macédoniens. En effet, le roi Philippe II

vient de massacrer une ville amie des Athéniens, Olynthe. À Atarnée, en

Troade, sur la côte d'Asie Mineure, il rejoint Hermias d'Atarnée, un ami

d'enfance, tyran (maître souverain) du royaume de Mysie, avec Atarnée

pour capitale. Là, il retrouve un cercle platonicien. La Macédoine et

Athènes ayant fait la paix (en 346 av. J.-C.), Aristote se dirige vers le petit

port d'Assos, où il poursuit ses recherches biologiques et commence à

observer la faune marine. Il ouvre une école de philosophie inspirée par

l'Académie11

.

Au bout de trois ans, peut_être sous l'influence de Théophraste, Aristote se

rend à Mytilène, dans l'île voisine de Lesbos, où il ouvre une nouvelle école.

En 343 av. J.-C., il rentre en Macédoine, appelé par le roi Philippe II de

Macédoine, pour devenir, deux ou trois ans durant, le précepteur du prince

héritier, le futur Alexandre le Grand, alors âgé de treize ans. Il lui enseigne

les lettres (dont l’Iliade)12

et sans doute la politique. Vers 341 av. J.-C., il

épouse Pythias, nièce et fille adoptive d’Hermias d'Atarnée, réfugiée à

Pella, qui lui donne une fille, prénommée elle aussi Pythias13

.

En 338 av. J.-C., Philippe II de Macédoine soumet Athènes où Aristote

revient en 335 av. J.-C.

Aristote refuse avant tout l’idée d’une connaissance préexistante et innée. Néanmoins il considère l’intelligence humaine

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spontanément faite pour connaitre la vérité et parfois si rapide de rassembler à une intelligence qui connait déjà, ou intuitive. Donc il se pose dans une approche très différente de celle de son maitre Platon. Mais nous faisons observer, que de telle façon, il reste ouvert le problème: si nous refusons l’innéisme, il reste la charge d’expliquer d’où vient cette potentialité si singulière et rapide qui s’appelle intelligence humaine ou raison. Question ouverte qui recevra beaucoup de réponses pendant les siècles. Aristote est rigoureux : il n’y a pas de connaissances intellectuelles sans expériences sensibles. En latin l’on dit que l’intelligence humaine est TAMQUAM TABULA RASA, c’est à dire comme un tableau vierge qui reçoit les impressions et construit la connaissance par abstraction. Les conséquences sont innombrables… L’homme rejoint la région des principes, et donc la métaphysique, à travers la sensibilité… Mais il faut que la condition de vie soit favorable à une activité spéculative totalement désintéressée; il y a donc l’induction à partir de l’expérience et ensuite la déduction à partir des principes gagnés à travers la réflexion sur l’expérience. Le premier élément de la connaissance intellectuelle est donc le concept, l’idée, l’essence… qui vient du processus de l’abstraction… Donc l’homme devient connaissant après l’ignorance. La connaissance comme l’ignorance enfin sont des données naturelles. Ayant ainsi refusé l’innéisme, Aristote procède avec une cohérence remarquable : l’homme entre avec son corps en contact continuel avec le monde dont il fait partie en tant qu’animal ; l’homme est naturellement organisé pour vivre dans le monde, mais sa singularité ou spécificité est d’être un animal raisonnable. L’on obtient la définition de l’homme, c’est-à-dire la détermination de son essence, en désignant ce qui est commun, (animal) et ce qui est spécifique (raisonnable). L’approche de la raison est universelle (tous les hommes sont raisonnables) mais la réalité est individuelle (Socrate est raisonnable). Donc l’abstraction est le processus de la connaissance humaine par laquelle l’homme transforme toutes ses expériences en idées universelles avec lesquelles il s’approche à la réalité individuelle expérimentée par les sensations. A la racine de cette conception qui règle toute la philosophie des siècles suivants, acceptée qu’elle soit ou non, il y a une nette et précise affirmation d’Aristote : l’âme est la forme substantielle de l’homme, la forme du corps. L’homme est donc une unité non accidentelle mais substantielle de l’âme et du corps. Ayant ainsi refusée l’idée de préexistence de l’âme, de métempsycose, d’un châtiment originaire qui emprisonne l’âme dans le corps, l’on affirme avec Aristote l’influence réciproque, du corps sur l’âme et de l’âme sur le corps… Ce naturalisme semble conduire à l’idée que l’âme finit sa vie avec la mort, mais Aristote ne nous laisse pas des suggestions ou des analyses à la mesure de son maitre Platon. Donc l’interprétation reste ouverte. Néanmoins Aristote conçoit l’âme comme acte qui contient en puissance la vie du corps, en la rendant possible en toutes ses manifestations ; et encore l’âme raisonnable préside la vie morale de l’homme. Enfin l’activité la plus élevée de l’homme est la contemplation de la vérité. Il s’agit d’une vision naturelle et métaphysique en même temps qui

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valorise l’équilibre et l’harmonie entre l’âme et le corps. Comme l’homme est capable de distinguer le vrai du faux (c’est là la caractéristique du jugement) il est aussi capable de distinguer le bien du mal (la raison comme fondement de la morale). Aristote n’est pas si ingénu au point de penser que l’homme arrive à vivre dans la vertu et dans la vérité d’habitude… Plus concrètement il considère la vertu et la connaissance vraie comme l’idéal de l’homme. La volonté et l’intelligence sont la faculté de l’âme. La raison pratique conduit la volonté au bien et la raison spéculative à la pleine vérité. Le point de départ est rigoureusement la connaissance sensible, ou empirique, nous disons l’expérience, et le but de la philosophie est la vie bonne et la contemplation de la vérité… Aristote offre une rigoureuse théorie du chemin et du passage à travers les degrés d’abstraction, à travers la vie même de l’intelligence… Cette théorie veut dire tout simplement que l’homme peut observer et considérer la réalité même, des différents points de vue, en abstrayant, en rescindant d’autres aspects… Et ainsi, au premier degré, nous trouvons la physique qui considère les choses qui deviennent visibles, en mouvement, les choses matérielles qui changent… Selon le motus, ou Kinésis et donc le devenir… Dans ce domaine les principes qui déterminent l’individu sont deux : la matière et la forme (Synolo) la forme, l’idée ou l’essence… et la matière potentielle comme principe de mutation … Donc toutes réalités visibles sont composées et cette composition explique selon Aristote en même temps l’identité des choses et leur continuel changement. Mais il y en a plus: Aristote, en critiquant ainsi les philosophes qui l’ont précédé, soutient que pour connaitre une chose, il ne suffit pas de parler de matière et forme, il faut aussi comprendre la cause qui l’a engendrée et le but même de son mouvement ou devenir. Les causes sont quatre : causes matérielle et formelle, qui constituent une réalité, efficiente et finale qui illuminent leur nature profonde. Il y a dans l’expérience différentes mutations: les plus évidentes sont les déplacements, les plus radicales sont la naissance et la mort qui sont des transformations substantielles, comme la flamme qui brûle le bois (exemple qui retourne et très facile à comprendre)… Mais Aristote pousse la considération du devenir à un niveau encore plus abstrait quand il affirme que toutes réalités de l’expérience sont composées d’acte et puissance, l’acte comme perfection et la puissance comme possibilité. Comme on le voit, il s’agit de différents points de vue, de différentes approches à la même réalité. Après la physique, Aristote place la géométrie et la mathématique qui s’intéressent aux choses en tant que nombres. Autour de cette réflexion, il est très facile d’apercevoir la présence constante de la logique… Tout le parcours d’Aristote est dominé par le principe de non contradiction qui dérive du principe d’identité et qui se pose à la base du principe de cause… Mais le sommet des sciences est représenté par la philosophie première que l’on indique communément avec la métaphysique, c’est à dire qui va au-delà de la physique. En ce domaine de pure abstraction, l’on considère l’Être en tant qu’Être. Que ce soit un arbre, un animal, un objet, une pensée, une essence, une négation, une parole, un

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numéro, Dieu etc. tout ce qui existe appartient à la réalité et à la vérité de l’Etre, de l’étant, de l’existant… Ce sont tous des mots qui tournent autour du concept ‘‘Être’’ et qui constituent une vraie et propre grammaire spéculative et philosophique. Comme il refuse que le monde soit apparence ou participation de l’invisible, mais plutôt constitué des formes incarnées dans la réalité en réalités différentes, Aristote affirme que l’être est analogique : c’est-à-dire que l’on parle de l’être en indiquant des réalités diverses qui ont en commun le fait d’être et donc en part semblable et en part différente. Aristote maintient une position de sobriété caractéristique quand l’on parle de Dieu, de telle sorte que les théologiens n’y trouvent pas ce qu’ils désirent, et encore moins les athées, si encore il y en a. Les uns comme les autres ne sont pas en confort chez Aristote. Car la conviction du finalisme propre de chaque nature existant, conduit à reconnaitre la présence du moteur premier, qui attire toute chose en raison de sa perfection, comme objet de désir et donc comme ‘cause finale’. Comme Dieu n’est pas composé d’Acte et Puissance, il est Acte Pur… Comme il est parfait, il est ce que l’homme rejoint parfois, c’est-à-dire la contemplation de la vérité, et comme enfin il est parfait il se contemple lui-même… PENSÉE de PENSÉE. Entrés de plein pied, comme nous l’avons vu, dans la pensée d’Aristote, il faut dire que l’épaisseur de sa métaphysique est supportée d’une philosophie qui ne concède pas d’espace à la fantaisie ou à l’imagination, utile quand elle q permet le passage au monde des idées et au monde du langage, de la poésie et de la pensée. En peu de mots, pour Aristote, il y a toujours la nécessité de philosopher pour arriver au niveau de la métaphysique. Il faut ajouter que dans ce domaine Aristote a créé plusieurs approches, de façon qu’il ne soit pas possible de réduire sa pensée à un seul langage (cette chose a tourmenté les interprètes). Surtout, disons-le, il ne faut pas confondre les principes avec les choses concrètes… C’est comme si nous nous retrouvons devant un grand bâtiment, un Château, avec plusieurs portes pour y entrer. En synthèse nous trouvons des langages différents pour entrer dans le monde de la connaissance plus haute. • Comme nous l’avons vu nous pouvons parler de quatre causes (matérielle, formelle, efficiente et finale). • Du genre et de la différence spécifique…pour avoir la définition • De l’acte et de la puissance comme principes du devenir. • De la substance et de l’accident, qui correspondent dans la logique aristotélicienne aux 10 catégories ou choses que l’on peut dire d’une réalité : substance (Socrate) lieu (place), temps (aujourd’hui), position (assis), action (parle), passion (écoute), quantité (gros), qualité (blanc), habitus (sage), relation (dialogue), • De l’Être en tant qu’Être où Aristote, en tant que philosophe parle de l’analogie, soit horizontale (la comparaison des choses) soit verticale (la comparaison avec la divinité)…

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Avec la Métaphysique et la Logique, l’Etique d’Aristote domine la culture occidentale… l’Étique est la science pratique, la science du comportement humain. La science étique se distingue, comme nous l’avons déjà vu, des sciences dianoétiques qui ont comme objet, non l’action ou la production mais la contemplation de la vérité. La vision étique d’Aristote est dominée par la conception de la ‘nature’ comme principe d’action et à la fin, dans le cas de l’homme, de réalisation de soi-même. Cette fondation se base sur l’idée que chaque nature doit poursuivre son but et que le but de l’homme, animal raisonnable, est la félicité ; dans la conception aristotélicienne, ici fort colligée au maitre Platon, pour avoir la félicité il faut atteindre le Bien. Mais même dans ces affirmations absolues, radicales, de nature métaphysique, Aristote ne perd jamais le sens de l’analyse phénoménologique du comportement humain réel, en observant l’expérience de la vie des hommes. Ici se manifeste toute l’importance de sa doctrine de l’unité psychophysique de l’homme. La vertu est l’habitus acquis qui vient de la répétition d’actions bonnes ; en revanche, le vice est l’habitus qui vient de la répétition d’actions mauvaises. Aristote est conscient de toucher un aspect de la vie de l’homme sujet à une énorme quantité de variables personnelles. Néanmoins il distingue entre la félicité subjective, comme la recherche du plaisir et la recherche des honneurs, de la vraie félicité qui vient en même temps d’une situation d’équilibre préalable, c’est-à-dire être délivré des besoins et aussi des passions, mais surtout félicité qui vient de la vertu et de la capacité de contempler la vérité. On voit comment Aristote enrichit et donne forme à des parcours caractéristiques de toute la philosophie grecque, qui auront un grand développement surtout dans le stoïcisme et dans les philosophies hellénistiques ultérieures. Il faut enfin fixer l’attention sur les conséquences sociales ou politiques de l’éthique d’Aristote, car l’homme en tant que raisonnable est aussi, par nature, un animal politique, nait et vit en rapport à la société. Cette affirmation se pose au fondement même du droit naturel, du jus naturalisme, qui maintient jusqu’aujourd’hui son importance capitale. De fait, la politique maintient sa liaison ontologique avec l’éthique personnelle. Mais encore une fois, la caractéristique d’Aristote est celle de tresser cette vision de principe aux efforts historiques des hommes de se donner des règles, des lois pour gouverner la Polis … Enfin l’on ne doit pas oublier qu’Aristote a été le précepteur d’Alexandre le Grand. Nous n’avons pas une vraie documentation autour de ce rapport. La thèse la plus probable affirme qu’Aristote a enseigné au jeune futur empereur la supériorité des Grecs sur le Barbares et l’importance d’une diffusion de la culture grecque. En effet, l’horizon et l’importance de la Polis grecque, surtout d’Athènes, va disparaitre, face à l’extension géographique et politique de l’empire. La Tradition attribue à Aristote une centaine d’œuvres dont l’authenticité, encore une fois, est fort discutée par les experts. Mais il est difficile se soustraire à la fascination de la totalité des arguments, à partir de la logique pour traverser les régions de la poétique, du théâtre, du langage etc. …

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Elle est justement célèbre la thèse aristotélique sur la fonction cathartique du théâtre, qui vient de la participation du public aux tragédies… Cette thèse fut reprise par Nietzsche dans sa Naissance de la tragédie, mais surtout par Freud dans sa vision psychanalytique enracinée dans la reine des tragédies L’Œdipe Roi de Sophocle. Nietzsche, fort influencé par sa vie malheureuse et par la lecture effrénée de Schopenhauer, révèle que l’harmonie grecque, apollinienne, cache en vérité un pessimisme tragique et extrême (dionysiaque). Freud considère la tragédie de Sophocle, la projection également extrême d’une dimension universelle, méconnue et propre à chaque être humain, le complexe d’Œdipe. Mais bien que les deux prophètes de la contemporanéité utilisent les Grecs pour mettre en discussion radicale la philosophie, c’est-à-dire la chance de vivre de façon raisonnable dans la recherche d’une félicité possible, Aristote procède par une autre voie. Dans le premier livre de sa métaphysique, il affirme en même temps que, dans le monde il y a bien des choses négatives qui dépassent les choses positives, mais que la raison reste la raison, … c’est-à-dire que la raison connait aussi l’inconscient et la racine du pessimisme, mais elle reste la raison, le domaine du positif. N’avoir pas compris Aristote et le christianisme est la limite la plus évidente des deux prophètes désormais dépassés. Aristote reste, si bien qu’il n’est point nécessaire d’être des aristotélicien pour le reconnaître.

- "La plupart de ceux qui avant moi ont pris ici la

parole, ont fait un mérite au législateur d'avoir

ajouté aux funérailles prévues par la loi l'oraison

funèbre en l'honneur des guerriers morts à la

guerre. Pour moi, j'eusse volontiers pensé qu'à

des hommes dont la vaillance s'est manifestée

par des faits, il suffisait que fussent rendus, par

des faits également, des honneurs tels que ceux

que la république leur a accordés sous vos yeux

; et que les vertus de tant de guerriers ne

dussent pas être exposées, par l'habileté plus ou

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moins grande d'un orateur à trouver plus ou

moins de créance. Il est difficile en effet de

parler comme il convient, dans une circonstance

où la vérité est si difficile à établir dans les

esprits. L'auditeur informé et bienveillant est

tenté de croire que l'éloge est insuffisant, étant

donné ce qu'il désire et ce qu'il sait ; celui qui n'a

pas d'expérience sera tenté de croire, poussé par

l'envie, qu'il y a de l'exagération dans ce qui

dépasse sa propre nature. Les louanges

adressées à d'autres ne sont supportables que

dans la mesure où l'on s'estime soi-même

susceptible d'accomplir les mêmes actions. Ce

qui nous dépasse excite l'envie et en outre la

méfiance. Mais puisque nos ancêtres ont jugé

excellente cette coutume, je dois, moi aussi, m'y

soumettre et tâcher de satisfaire de mon mieux

au désir et au sentiment de chacun de vous.

- "Je commencerai donc par nos aïeux. Car il est

juste et équitable, dans de telles circonstances,

de leur faire l'hommage d'un souvenir. Cette

contrée, que sans interruption ont habitée des

gens de même race (01), est passée de mains

en mains jusqu'à ce jour, en sauvegardant grâce

à leur valeur sa liberté. Ils méritent des éloges ;

mais nos pères en méritent davantage encore. A

l'héritage qu'ils avaient reçu, ils ont ajouté et

nous ont légué, au prix de mille labeurs, la

puissance que nous possédons. Nous l'avons

accrue, nous qui vivons encore et qui sommes

parvenus à la pleine maturité. C'est nous qui

avons mis la cité en état de se suffire à elle-

même en tout dans la guerre comme dans la

paix. Les exploits guerriers qui nous ont permis

d'acquérir ces avantages, l'ardeur avec laquelle

nous-mêmes ou nos pères nous avons repoussé

les attaques des Barbares ou des Grecs, je ne

veux pas m'y attarder ; vous les connaissez

tous, aussi je les passerai sous silence. Mais la

formation qui nous a permis d'arriver à ce

résultat, la nature des institutions politiques et

des moeurs qui nous ont valu ces avantages,

voilà ce que je vous montrerai d'abord ; je

continuerai par l'éloge de nos morts, car j'estime

que dans les circonstances présentes un pareil

sujet est d'actualité et que la foule entière des

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citoyens et des étrangers peut en tirer un grand

profit.

(01) Les Athéniens étaient très fiers de leur

qualité d'autochtones. Ils ne sont pas installés

dans l'Attique en pays conquis comme les

Spartiates campés dans la Laconie très peuplée,

qu'ils contiennent dans l'obéissance avec leurs

9.000 hoplites. Périclès le leur rappelle pour les

flatter.

- "Notre constitution politique n'a rien à envier

aux lois qui régissent nos voisins ; loin d'imiter

les autres, nous donnons l'exemple à suivre. Du

fait que l'État, chez nous, est administré dans

l'intérêt de la masse et non d'une minorité, notre

régime a pris le nom de démocratie. En ce qui

concerne les différends particuliers, l'égalité est

assurée à tous par les lois ; mais en ce qui

concerne la participation à la vie publique,

chacun obtient la considération en raison de son

mérite, et la classe à laquelle il appartient

importe moins que sa valeur personnelle ; enfin

nul n'est gêné par la pauvreté et par l'obscurité

de sa condition sociale, s'il peut rendre des

services à la cité. La liberté est notre règle dans

le gouvernement de la république et dans nos

relations quotidiennes la suspicion n'a aucune

place ; nous ne nous irritons pas contre le voisin,

s'il agit à sa tête ; enfin nous n'usons pas de ces

humiliations qui, pour n'entraîner aucune perte

matérielle, n'en sont pas moins douloureuses par

le spectacle qu'elles donnent. La contrainte

n'intervient pas dans nos relations particulières ;

une crainte salutaire nous retient de transgresser

les lois de la république ; nous obéissons

toujours aux magistrats et aux lois et, parmi

celles-ci, surtout à celles qui assurent la défense

des opprimés et qui, tout en n'étant pas

codifiées, impriment à celui qui les viole un

mépris universel (02).

(02) Périclès fait l'éloge du gouvernement

démocratique qu'il a contribué à substituer à un

régime aristocratique et qui aurait pu faire la

grandeur d'Athènes, à condition qu'il y eût

toujours des Périclès ou des Démosthène pour

diriger l'Assemblée du peuple et que ces

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hommes nécessaires, ces hommes providentiels

fussent écoutés plus que les Cléon, les Alcibiade,

les Eschine.

On peut discerner dans cet éloge des Athéniens

la critique des moeurs et du régime de Sparte.

. - "En outre pour dissiper tant de fatigues, nous

avons ménagé à l'âme des délassements fort

nombreux ; nous avons institué des jeux et des

fêtes qui se succèdent d'un bout de l'année à

l'autre, de merveilleux divertissements

particuliers dont l'agrément journalier bannit la

tristesse. L'importance de la cité y fait affluer

toutes les ressources de la terre et nous

jouissons aussi bien des productions de l'univers

que de celles de notre pays.

- "En ce qui concerne la guerre, voici en quoi

nous différons de nos adversaires. Notre ville est

ouverte à tous ; jamais nous n'usons de

Xénélasies (03) pour écarter qui que ce soit

d'une connaissance ou d'un spectacle, dont la

révélation pourrait être profitable à nos ennemis.

Nous fondons moins notre confiance sur les

préparatifs et les ruses de guerre que sur notre

propre courage au moment de l'action. En

matière d'éducation, d'autres peuples, par un

entraînement pénible, accoutument les enfants

dès le tout jeune âge au courage viril ; mais

nous, malgré notre genre de vie sans contrainte,

nous affrontons avec autant de bravoure qu'eux

des dangers semblables. En voici une preuve ;

les Lacédémoniens, quand ils se mettent en

campagne contre nous, n'opèrent pas seuls,

mais avec tous leurs alliés ; nous, nous

pénétrons seuls dans le territoire de nos voisins

et très souvent nous n'avons pas trop de peine à

triompher, en pays étranger, d'adversaires qui

défendent leurs propres foyers. De plus, jamais

jusqu'ici nos ennemis ne se sont trouvés face à

face avec toutes nos forces rassemblées ; c'est

qu'il nous faut donner nos soins à notre marine

et distraire de nos forces pour envoyer des

détachements sur bien des points de notre

territoire. Qu'ils en viennent aux mains avec une

fraction de nos troupes : vainqueurs, ils se

vantent de nous avoir tous repoussés ; vaincus,

d'avoir été défaits par l'ensemble de nos forces.

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Admettons que nous affrontons les dangers avec

plus d'insouciance que de pénible application,

que notre courage procède davantage de notre

valeur naturelle que des obligations légales, nous

avons au moins l'avantage de ne pas nous

inquiéter des maux à venir et d'être, à l'heure du

danger, aussi braves que ceux qui n'ont cessé de

s'y préparer. Notre cité a également d'autres

titres à l'admiration générale.

(03) La xénélasie, manifestation de xénophobie,

pratiquée à Sparte consistait dans l'obligation

pour les étrangers d'obtenir des magistrats

l'autorisation de résider à Sparte, autorisation

révocable d'ailleurs pour cause de mauvais

exemple.

- Nous savons concilier le goût du beau avec la

simplicité et le goût des études avec l'énergie.

Nous usons de la richesse pour l’action et non

pour une vaine parade en paroles. Chez nous, il

n'est pas honteux d'avouer sa pauvreté ; il l'est

bien davantage de ne pas chercher à l'éviter. Les

mêmes hommes peuvent s'adonner à leurs

affaires particulières et à celles de l'Etat ; les

simples artisans peuvent entendre suffisamment

les questions de politique. Seuls nous

considérons l'homme qui n 'y participe pas

comme un mutile et non comme un oisif. C'est

par nous-mêmes que nous décidons des affaires,

que nous nous en faisons un compte exact pour

nous, la parole n'est pas nuisible à l'action, ce

qui l'est, c'est de ne pas se renseigner par la

parole avant de se lancer dans l'action. Voici

donc en quoi nous nous distinguons : nous

savons à la fois apporter de l'audace et de la

réflexion dans nos entreprises. Les autres,

l'ignorance les rend hardis, la réflexion indécis.

Or ceux-là doivent être jugés les plus valeureux

qui, tout en connaissant exactement les

difficultés et les agréments de la vie, ne se

détournent pas des dangers. En ce qui concerne

la générosité, nous différons également du grand

nombre ; car ce n'est pas par les bons offices

que nous recevons, mais par ceux que nous

rendons, que nous acquérons des amis. Le

bienfaiteur se montre un ami plus sûr que

l'obligé ; il veut, en lui continuant sa

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bienveillance, sauvegarder la reconnaissance qui

lui est due ; l'obligé se montre plus froid, car il

sait qu'en payant de retour son bienfaiteur, il ne

se ménage pas de la reconnaissance, mais

acquitte une dette. Seuls nous obéissons à la

confiance propre aux âmes libérales et non à un

calcul intéressé, quand nous accordons

hardiment nos bienfaits.

- "En un mot, je l'affirme, notre cité dans son

ensemble est l'école de la Grèce (04) et, à

considérer les individus, le même homme sait

plier son corps à toutes les circonstances avec

une grâce et une souplesse extraordinaires. Et ce

n'est pas là un vain étalage de paroles,

commandées par les circonstances, mais la

vérité même ; la puissance que ces qualités nous

ont permis d'acquérir vous l'indique. Athènes est

la seule cité qui, à l'expérience, se montre

supérieure à sa réputation ; elle est la seule qui

ne laisse pas de rancune à ses ennemis, pour les

défaites qu'elle leur inflige, ni de mépris à ses

sujets pour l'indignité de leurs maîtres. Cette

puissance est affirmée par d'importants

témoignages et d'une façon éclatante à nos yeux

et à ceux de nos descendants ; ils nous vaudront

l'admiration, sans que nous ayons besoin des

éloges d'un Homère ou d'un autre poète épique

capable de séduire momentanément, mais dont

les fictions seront contredites par la réalité des

faits. Nous avons forcé la terre et la mer entières

à devenir accessibles à notre audace, partout

nous avons laissé des monuments éternels des

défaites infligées à nos ennemis et de nos

victoires. Telle est la cité dont, avec raison, ces

hommes n'ont pas voulu se laisser dépouiller et

pour laquelle ils ont péri courageusement dans le

combat ; pour sa défense nos descendants

consentiront à tout souffrir.

(04) Périclès ne pouvait qu'exciter contre

Athènes la jalousie des autres cités et de Sparte

en particulier, en proclamant que sa ville était

l'Ecole de la Grèce et que les citoyens pouvaient

s'enorgueillir d'être gouvernés par les maîtres les

plus dignes. Justement les villes alliées de la

thalassocratie athénienne ne cessaient de se

plaindre de ne pas jouir de "l'isonomie", d'être

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traitées en "sujettes". Elles se tournaient vers

Sparte, s'imaginant que l'État dorien respectait

mieux que sa rivale, Athènes, la liberté des États

grecs. Athènes et Périclès se faisaient des

illusions en croyant qu'ils seraient récompensés

de la prospérité que leur puissance assurait à

leurs alliés.

- "Je me suis étendu sur les mérites de notre

cité, car je voulais vous montrer que la partie

n'est pas égale entre nous et ceux qui ne

jouissent d'aucun de ces avantages et étayer de

preuves l'éloge des hommes qui font l'objet de

ce discours. J'en ai fini avec la partie principale.

La gloire de la république, qui m'a inspiré, éclate

dans la valeur de ces soldats et de leurs pareils.

Leurs actes sont à la hauteur de leur réputation.

Il est peu de Grecs dont on en puisse dire

autant. Rien ne fait mieux voir à mon avis la

valeur d 'un homme que cette fin, qui chez les

jeunes gens signale et chez les vieillards

confirme la valeur. En effet ceux qui par ailleurs

ont montré des faiblesses méritent qu'on mette

en avant leur bravoure à la guerre ; car ils ont

effacé le mal par le bien et leurs services publics

ont largement compensé les torts de leur vie

privée. Aucun d’eux ne s'est lassé amollir par la

richesse au point d'en préférer les satisfactions à

son devoir ; aucun d'eux par l'espoir d'échapper

à la pauvreté et de s'enrichir n'a hésité devant le

danger. Convaincus qu'il fallait préférer à ces

biens le châtiment de l'ennemi, regardant ce

risque comme le plus beau, ils ont voulu en

l'affrontant châtier l'ennemi et aspirer à ces

honneurs. Si l'espérance les soutenait dans

l'incertitude du succès, au moment d 'agir et à la

vue du danger, ils ne mettaient de confiance

qu'en eux-mêmes. Ils ont mieux aimé chercher

leur salut dans la défaite de l'ennemi et dans la

mort même que dans un lâche abandon ; ainsi ils

ont échappé au déshonneur et risqué leur vie.

Par le hasard d'un instant, c'est au plus fort de la

gloire et non de la peur qu'ils nous ont quittés.

- "C'est ainsi qu'ils se sont montrés les dignes fils

de la cité. Les survivants peuvent bien faire des

voeux pour obtenir un sort meilleur, mais ils

doivent se montrer tout aussi intrépides à l'égard

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de l'ennemi ; qu'ils ne se bornent pas à assurer

leur salut par des paroles. Ce serait aussi

s'attarder bien inutilement que d'énumérer,

devant des gens parfaitement informés comme

vous l'êtes, tous les biens attachés à la défense

du pays. Mais plutôt ayez chaque jour sous les

yeux la puissance de la cité ; servez -la avec

passion et quand vous serez bien convaincus de

sa grandeur, dites-vous que c'est pour avoir

pratiqué l'audace, comme le sentiment du devoir

et observé l'honneur dans leur conduite que ces

guerriers la lui ont procurée. Quand ils

échouaient, ils ne se croyaient pas en droit de

priver la cité de leur valeur et c'est ainsi qu'ils lui

ont sacrifié leur vertu comme la plus noble

contribution. Faisant en commun le sacrifice de

leur vie, ils ont acquis chacun pour sa part une

gloire immortelle et obtenu la plus honorable

sépulture. C'est moins celle où ils reposent

maintenant que le souvenir immortel sans cesse

renouvelé par les discours et les

commémorations. Les hommes éminents ont la

terre entière pour tombeau. Ce qui les signale à

l'attention, ce n'est pas seulement dans leur

patrie les inscriptions funéraires gravées sur la

pierre ; même dans les pays les plus éloignés

leur souvenir persiste, à défaut d'épitaphe,

conservé dans la pensée et non dans les

monuments. Enviez donc leur sort, dites-vous

que la liberté se confond avec le bonheur et le

courage avec la liberté et ne regardez pas avec

dédain les périls de la guerre. Ce ne sont pas les

malheureux, privés de l'espoir d'un sort meilleur,

qui ont le plus de raisons de sacrifier leur vie,

mais ceux qui de leur vivant risquent de passer

d'une bonne à une mauvaise fortune et qui en

cas d'échec verront leur sort complètement

changé. Car pour un homme plein de fierté,

l'amoindrissement causé par la lâcheté est plus

douloureux qu'une mort qu'on affronte avec

courage, animé par l 'espérance commune et

qu'on ne sent même pas.

- "Aussi ne m'apitoierai-je pas sur le sort des

pères ici présents, je me contenterai de les

réconforter. Ils savent qu'ils ont grandi au milieu

des vicissitudes de la vie et que le bonheur est

pour ceux qui obtiennent comme ces guerriers la

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fin la plus glorieuse ou comme vous le deuil le

plus glorieux et qui voient coïncider l'heure de

leur mort avec la mesure de leur félicité. Je sais

néanmoins qu'il est difficile de vous persuader ;

devant le bonheur d'autrui, bonheur dont vous

avez joui, il vous arrivera de vous souvenir

souvent de vos disparus. Or l'on souffre moins

de la privation des biens dont on n'a pas profité

que de la perte de ceux auxquels on était

habitué. II faut pourtant reprendre courage ; que

ceux d'entre vous à qui l'âge le permet aient

d'autres enfants ; dans vos familles les nouveau-

nés vous feront oublier ceux qui ne sont plus ; la

cité en retirera un double avantage sa population

ne diminuera pas et sa sécurité sera garantie.

Car il est impossible de prendre des décisions

justes et équitables, si l'on n'a pas comme vous

d'enfants à proposer comme enjeu et à exposer

au danger. Quant à vous qui n'avez plus cet

espoir, songez à l'avantage que vous a conféré

une vie dont la plus grande partie a été heureuse

; le reste sera court ; que la gloire des vôtres

allège votre peine ; seul l'amour de la gloire ne

vieillit pas et, dans la vieillesse, ce n'est pas

l'amour de l'argent, comme certains le

prétendent, qui est capable de nous charmer,

mais les honneurs qu'on nous accorde.

- "Et vous, fils et frères ici présents de ces

guerriers, je vois pour vous une grande lutte à

soutenir. Chacun aime à faire l'éloge de celui qui

n'est plus. Vous aurez bien du mal, en dépit de

votre vertu éclatante, à vous mettre je ne dis

pas à leur niveau, mais un peu au-dessous. Car

l'émulation entre vivants provoque l'envie, tandis

que ce qui ne fait plus obstacle obtient tous les

honneurs d'une sympathie incontestée. S'il me

faut aussi faire mention des femmes réduites au

veuvage, j'exprimerai toute ma pensée en une

brève exhortation : toute leur gloire consiste à

ne pas se montrer inférieures à leur nature et à

faire parler d'elles le moins possible parmi les

hommes, en bien comme en mal.

"J'ai terminé ; conformément à la loi, mes

paroles ont exprimé ce que je croyais utile ;

quant aux honneurs réels, déjà une partie a été

rendue à ceux qu'on ensevelit de plus leurs

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enfants désormais et jusqu'à leur adolescence

seront élevés aux frais de l'État (05) ; c'est une

couronne offerte par la cité pour récompenser les

victimes de ces combats et leurs survivants ; car

les peuples qui proposent à la vertu de

magnifiques récompenses ont aussi les meilleurs

citoyens. Maintenant après avoir versé des

pleurs sur ceux que vous avez perdus, retirez-

vous (06)."

(05) Les enfants des guerriers morts étaient

élevés aux frais de l'Etat jusqu'à l'âge de 16 ans

environ. C'est la conséquence logique du service

militaire obligatoire. La France n'a fait que suivre

ce lointain exemple en créant l'oeuvre des

pupilles de la nation.

(06) Périclès, Thucydide aidant, trace un

portrait, très certainement embelli, d'Athènes, ou

de ce qu'aurait dû être Athènes . La réalité,

présentée au cours de la politique et de la

conduite de la guerre, n'est pas aussl flatteuse.

Dans ces pages Thucydide a créé en faveur de la

république athénienne un courant de sympathie

et d'admiration, contre lequel les alliés des îles et

des rivages d'Asie auraient certainement

protesté. L'historien laisse percer sa fierté

patriotique, en présentant ce portrait idéalisé

comme un exemple et une leçon pour tout le

monde grec.