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[Poésie] [Les Feuilles d’Automne] [1833] Dimanche 4 h. du soir Je rentre bien triste et bien découragée de tout. Je souffre, je pleure, je me plains tout haut, tout bas, à Dieu, à toi, et je voudrais mourir une bonne fois pour en finir avec toutes les misères, toutes les déceptions, toutes les douleurs. On dirait vraiment que mon bonheur s’est envolé avec les beaux jours, et compter le voir revenir, lui et eux, serait presque de la folie, car en regardant autour de moi et au-dedans de moi, je trouve la saison bien avancée pour les beaux jours, et pour les jours heureux. Pauvre fou qui t’étonnes de me voir regretter si amèrement une journée de bonheur, on voit bien que tu n’as pas attendu le bonheur d’aimer et d’être aimé jusqu’à vingt-six ans. Pauvre poète qui avez fait Les Feuilles d’automne avec de l’amour, des rires d’enfants, des yeux noirs, et bleus, des cheveux bruns, et blonds, du bonheur en quantité, vous n’avez pas observé combien une journée triste et pluvieuse comme celle d’aujourd’hui fait jaunir et tomber les feuilles les plus vertes et les mieux attachées. Donc vous ne savez pas ce qu’une journée sans bonheur comme celle-ci peut ôter de confiance et de force pour l’avenir. Vous ne le savez pas, car vous vous étonnez quand je pleure, vous vous fâchez presque contre ma douleur. Tu vois donc bien que tu ne sais pas ce que c’est que mon amour, tu vois bien que j’ai raison de regretter de t’aimer autant puisque cet amour t’est inutile et importun. Oh ! je t’aime, c’est bien vrai ! je t’aime malgré toi, malgré moi, malgré tout le monde entier, malgré Dieu, malgré le diable qui s’en mêle aussi. Je t’aime, je t’aime, je t’aime, heureuse ou malheureuse, gaie ou triste, je t’aime. Fais de moi ce que tu voudras. Je t’aime. Bnf, Mss, NAF 16322, f. 19-20 Transcription de Jeanne Stranart et Véronique Cantos assistées de Florence Naugrette. Lettre publiée par Paul Souchon, Juliette Drouet « Mon grand petit homme… », Mille et une lettres d’amour à Victor Hugo, Gallimard, 1951, p. 18 ; et par Evelyn Blewer, Juliette Drouet, Lettres à Victor Hugo, Fayard, 2001, p. 20.

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[Poésie]

[Les Feuilles d’Automne]

[1833] Dimanche 4 h. du soir

Je rentre bien triste et bien découragée de tout. Je souffre, je pleure, je me plains tout

haut, tout bas, à Dieu, à toi, et je voudrais mourir une bonne fois pour en finir avec toutes les

misères, toutes les déceptions, toutes les douleurs. On dirait vraiment que mon bonheur s’est

envolé avec les beaux jours, et compter le voir revenir, lui et eux, serait presque de la folie,

car en regardant autour de moi et au-dedans de moi, je trouve la saison bien avancée pour les

beaux jours, et pour les jours heureux. Pauvre fou qui t’étonnes de me voir regretter si

amèrement une journée de bonheur, on voit bien que tu n’as pas attendu le bonheur d’aimer et

d’être aimé jusqu’à vingt-six ans. Pauvre poète qui avez fait Les Feuilles d’automne avec de

l’amour, des rires d’enfants, des yeux noirs, et bleus, des cheveux bruns, et blonds, du

bonheur en quantité, vous n’avez pas observé combien une journée triste et pluvieuse comme

celle d’aujourd’hui fait jaunir et tomber les feuilles les plus vertes et les mieux attachées.

Donc vous ne savez pas ce qu’une journée sans bonheur comme celle-ci peut ôter de

confiance et de force pour l’avenir. Vous ne le savez pas, car vous vous étonnez quand je

pleure, vous vous fâchez presque contre ma douleur. Tu vois donc bien que tu ne sais pas ce

que c’est que mon amour, tu vois bien que j’ai raison de regretter de t’aimer autant puisque

cet amour t’est inutile et importun. Oh ! je t’aime, c’est bien vrai ! je t’aime malgré toi,

malgré moi, malgré tout le monde entier, malgré Dieu, malgré le diable qui s’en mêle aussi.

Je t’aime, je t’aime, je t’aime, heureuse ou malheureuse, gaie ou triste, je t’aime. Fais de

moi ce que tu voudras. Je t’aime.

Bnf, Mss, NAF 16322, f. 19-20

Transcription de Jeanne Stranart et Véronique Cantos assistées de Florence Naugrette.

Lettre publiée par Paul Souchon, Juliette Drouet « Mon grand petit homme… », Mille et une lettres d’amour à

Victor Hugo, Gallimard, 1951, p. 18 ; et par Evelyn Blewer, Juliette Drouet, Lettres à Victor Hugo, Fayard,

2001, p. 20.

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[Roman]

[Claude Gueux]

[Mardi 24 juin 18341]

Vous avez interrompu par un malentendu absurde le cours d’une belle et heureuse

journée. Ceci est d’autant plus fâcheux que dans le moment où vous étiez le plus injuste

envers moi – moi j’étais tout amour pour vous. Dans le moment où vous suspectiez ma

loyauté, j’étais le plus sincèrement du monde fière et glorieuse de vous appartenir. Je devrais

être fâchée contre vous d’avoir gâté ma belle journée, mais je vous aime, et je ne suis que

triste de n’être pas comprise toujours et dans toutes les occasions de la vie par vous que

j’aime plus qu’un homme.

Juliette

Adresse2:

Pr vous

Mardi 24 juin 1834

Montmartre – Claude Gueux

Les deux arbres3

BnF, Mss, NAF 16322, f.153-154

Transcription de Jeanne Stranart assistée de Florence Naugrette.

Lettre publiée par Paul Souchon, Juliette Drouet « Mon grand petit homme… », Mille et une lettres d’amour à

Victor Hugo, Gallimard, 1951, p. 49.

1) Date rajoutée sur le manuscrit d’une main différente de celle de Juliette, et qui se déduit de l’adresse.

2) Paul Souchon ne transcrit pas cette adresse, dont les deux dernières lignes sont très ardues à déchiffrer. 3) Hugo a écrit une première version de Claude Gueux en septembre 1832. Il se met à l’écriture du texte

définitif le 20 juin 1834 et le termine quatre jours plus tard, le 24 juin. Le manuscrit, offert à Juliette, porte cette

dédicace : « À ma Juliette bien-aimée, à qui j’ai lu ces quelques pages immédiatement après les avoir écrites, le

24 juin 1834, sur la colline Montmartre, entre trois et quatre heures après-midi. Il y avait deux jeunes arbres qui

nous donnaient leur ombre, et au-dessus de nos têtes, un beau soleil – moins beau qu’elle. » (Jean-Marc

Hovasse, Victor Hugo. Avant l’exil, Fayard, 2001, p. 625).

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[Roman]

[Claude Gueux]

[Théâtre]

[Marie Tudor]

Samedi 10 h. du soir

sept. 341

Après le 6 juillet 18342

« Car il avait de mauvaises habitudes d’éducation qui dérangeaient sa

dignité naturelle plus souvent qu’il n’aurait fallu. »

Claude Gueux, V. H.

Moi aussi, j’ai de mauvaises habitudes d’éducation qui dérangent ma dignité naturelle

plus souvent qu’il ne faudrait. C’est que, moi aussi, j’ai à me plaindre du sort et de la société.

Du sort parce qu’il m’a jeté dans une condition au-dessous de mon intelligence, de la société

qui me retranche chaque jour de la portion d’amour et de bonheur que tu partages si

généreusement avec moi, mon Albin3 bien-aimé. Oh ! je t’aime plus encore depuis que j’ai été

ingrate envers toi. Oh ! je t’estime et je te respecte plus encore depuis que j’ai été injuste et

coupable envers toi. Pardonne-moi.

« N’est-ce pas, l’amour rend bien méchant ? » Marie Tudor V. H.4

Mon bien-aimé, mon Victor, ne m’abandonne pas. Aime-moi. Si je meurs avant le

terme, je veux qu’on te porte mon cœur, comme le pauvre Claude fit à Albin de son dernier

morceau de pain, le dernier jour de sa vie5. Moi, je veux qu’on te porte mon cœur que tu dois

posséder au-delà même de ma vie.

Aime-moi, pardonne-moi, fais de moi ce que tu voudras.

Je t’aime.

Ici ma vie.

Là mes baisers.

Partout mon amour.

Juliette

Adresse :

À toi mon bien-aimé

BnF, Mss, NAF 16322, f. 204

Transcription de Jeanne Stranart assistée de Florence Naugrette.

Lettre publiée par Paul Souchon, Juliette Drouet « Mon grand petit homme… », Mille et une lettres d’amour à

Victor Hugo, Gallimard, 1951, p. 47 ; et par Evelyn Blewer, Juliette Drouet, Lettres à Victor Hugo, Fayard,

2001, p. 28.

1) Date rajoutée sur le manuscrit d’une main différente de celle de Juliette. On ne comprend pas ce qui autorise

cette datation.

2) Précision apportée par Evelyn Blewer dans Juliette Drouet, Lettres à Victor Hugo, Fayard, 2001, p. 28.

Evelyn Blewer prend en considération la parution de Claude Gueux à cette date dans la Revue de Paris.

3) Meilleur ami de Claude Gueux en prison, Albin partage avec lui sa ration de pain.

4) Marie Tudor, réplique de Gilbert, acte I, scène 3 : « Pardon, Jane. N’est-ce pas, l’amour rend bien méchant ? »

(Citation identifiée par Evelyn Blewer, ibid., p. 28).

5) Claude Gueux fait porter sa ration de pain à Albin le jour de son exécution : « Il pria le geôlier de faire porter

de sa part ces ciseaux à Albin. Il dit aussi qu’il désirait qu’on ajoutât à ce legs la ration de pain qu’il aurait dû

manger ce jour-là. » ( CFL, t. V, p. 250).

ici ma vie là mes baisers

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[Théâtre]

[Cromwell]

Samedi 3 janvier 1835

Il est 11 h ½ à ma pendule. Depuis que tu m’as quittée, mon cher bien-aimé, j’ai fini de

lire Cromwell et travaillé jusqu’à présent à raccommoder mes chemises. Je t’ai attendu

patiemment. Je crains bien que cette patience ne m’ait pas servi à grand-chose car il me

semble que tu ne viendras pas ce soir. Il est déjà bien tard. On vient de frapper à l’instant

même à la porte cochère. Le battement de cœur que la joie m’avait donné, espérant que c’était

toi, dégénère en un affreux étouffement que je conserverai toute la nuit s’il plaît à Dieu que tu

ne viennes pas me dire bonsoir avant.

Ne me gronde pas, mon cher Victor, si je pleure et si je souffre de ton absence. Je suis

sûre que cela ne peut pas être autrement, puisque j’ai essayé de retenir mes larmes et

d’employer mon temps à toutes sortes d’occupations. Rien n’y fait, il faut que je sois triste. Je

ne peux pas m’accoutumer à être heureuse sans toi, à vivre où tu n’es pas.

Voici qu’il est minuit moins un quart à ma pendule qui retarde. J’ai peut-être une

chance que tu viennes ce soir. Tout ce que je peux faire, mon bien-aimé, c’est de ne pas te

laisser voir à quel point je souffre puisque cela te déplaît.

Ainsi, bonsoir. Tâche de penser à moi avec amour. Moi, je n’ai que cela à faire.

AH ! TE VOILA ENFIN…

BnF, Mss, NAF 16323, f. 1-2

Transcription de Jeanne Stranart et Véronique Cantos assistées de Florence Naugrette

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[Théâtre]

[Hernani]

15 janvier [1838], lundi soir 6 h. ¼

Non, mon cher petit homme, je ne suis pas de mauvaise humeur, mais je suis triste et

par-dessus tout je suis jalouse. Je me figure que la résistance que tu apportes depuis que nous

sommes revenus de voyage à te montrer avec moi en public tient à ce que tu veux faire croire

à quelqu’un ou à quelqu’une que notre liaison n’existe plus. Je ne peux pas m’empêcher de

croire cela chaque fois que je te vois me refuser de me mener quelque part. Il est impossible

que depuis cinq mois tu n’aies pas trouvé au moins une occasion de me satisfaire. Voilà, mon

ami, ce qui me rend maussade et irritable. Il est difficile quand on a une pareille épine dans le

cœur de rire et d’être de belle humeur. Dans tous les cas je te préviens que j’irai demain à ta

répétition1. Si je me trompe, et je ne demande pas mieux, je te demande pardon à genoux et de

toute la contrition de mon pauvre cœur qui t’aime trop ; si je me trompe, tu es le plus

admirable et le meilleur de tous les hommes, et je suis la plus bête et la plus laide des

créatures comme j’en étais déjà la plus méchante et la plus vieille. Mais si je ne me trompe

pas aussi, qu’est-ce que vous serez, vous ? Je ne veux pas penser à cela, j’en deviendrais folle.

J’aime mieux supposer que tu m’aimes et croire que tu ne me trompes pas pour avoir le

bonheur de te rendre la justice qui t’est due. Pauvre adoré, combien tu as travaillé pour gagner

tant d’argent, et quel chagrin pour moi de le voir déjà dépensé car le loyer, la bonne et les

reconnaissances pour lesquelles j’ai mis 50 F

de côté, ne me laissent dans ma bourse que 15 F

C’est vraiment affreux. Ô mon pauvre bien-aimé, si tu ne me trompes pas, et si tu m’aimes

autant que tu m’es dévoué, quel homme tu es et que je suis peu de chose auprès de toi !

Cependant je t’aime de toute mon âme.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16333, f. 5-6

Transcription de Nathalie Gibert-Joly assistée de Gérard Pouchain

Lettre publiée par Paul Souchon, Mille et une lettres d’amour à Victor Hugo, Gallimard, 1951, p. 132-133.

1) Hernani est en répétition à la Comédie-Française. C’est la première reprise depuis la création en 1830. Marie

Dorval (dont Juliette Drouet est jalouse) y reprend le rôle de doña Sol créé par Mlle Mars. Ligier joue don

Carlos. Joanny joue toujours don Ruy Gomez et Firmin Hernani.

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[Théâtre]

[Hernani] 22 janvier [1838], lundi midi ¾

Bonjour, mon cher petit homme. J’aurais bien des choses à vous dire que je ne vous

dirai pas parce que vous ne comprendriez pas et que cela vous ennuierait peut-être. Tâchez,

mon petit homme, que je puisse aller demain à HERNANI1. C’est bien le moins que je puisse

vous admirer à la scène puisque je n’ai pas d’autre moyen de vous voir et de vous entendre.

Je deviens de plus en plus stupide, je n’ai pas assez d’esprit et je ne sais pas ASSEZ

ECRIRE pour me permettre plus longtemps de vous écrire deux fois par jour. Quand vous

m’aimiez et que j’étais heureuse, je le pouvais parce que l’amour est indulgent et que le

bonheur rend hardie la plus timide et la plus bête. Mais aujourd’hui que cinq ans de

possession vous ont à ce point blasé sur moi que vous ne trouvez que des prétextes pour vous

éloigner de moi et jamais pour vous en rapprocher, vous trouverez bon que je m’abstienne de

toute espèce d’écriture, comme je trouverai aussi très bon que vous n’insistiez pas auprès de

moi par pur compliment et formalité. Ainsi mon ami dès aujourd’hui je suspends mes

ECRITURES, c’est un parti que j’aurais dû prendre depuis longtemps mais j’espérais toujours

que je me trompais. Aujourd’hui je suis sûre que vous êtes le meilleur et le plus généreux des

hommes, mais que vous ne m’aimez plus.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16333, f. 11-12

Transcription de Nathalie Gibert-Joly assistée de Gérard Pouchain

1) Hernani est repris à la Comédie-Française depuis le 20 janvier. C’est la première reprise depuis la création en

1830. Marie Dorval y reprend le rôle de doña Sol créé par Mlle Mars. Ligier joue don Carlos. Joanny joue

toujours don Ruy Gomez et Firmin Hernani.

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[Théâtre]

[Hernani]

23 janvier [1838], mardi après-midi 1 h.

Bonjour, mon cher petit homme adoré, bonjour, mon pauvre bien-aimé, je t’aime. Vous

avez été bien taquin et bien gentil cette nuit. Je vous pardonne et je vous aime. Mme Guérard1

est venue pendant que je dormais savoir s’il y avait des places. Elle reviendra tantôt à ce

qu’elle a dit. Je te recommande toujours de me mener à HERNANI ce soir2. Je veux absolument

le voir chaque fois qu’on le donnera. Tenez-vous le pour dit et ne manquez pas de m’y mener.

Mon pauvre petit homme, tu as encore travaillé, cela ne finira jamais. Les besoins se

renouvellent sans cesse, et de plus tu as [illis.] à qui il faut que tu donnes 200 francs. Si tu

avais voulu, nous aurions pu nous procurer cet argent avec beaucoup moins de peine et nous

serions à l’heure qu’il est heureux et tranquilles dans mon lit, déjeunant ensemble et nous

aimant de toutes nos forces. Au lieu de cela, mon cher petit amant, vous tuez vos yeux toutes

les nuits et moi je souffre, et je crois que votre amour ne résistera pas à une si longue et si

dure épreuve. Je t’aime, mon adoré, je t’aime de toutes mes forces, je ne t’ai jamais autant

aimé. J’en suis malade, j’ai un mal de tête ce matin qui me faisait crier. J’ai cependant marché

hier. Je t’aime, je ne sais pas te dire autre chose, je n’ai pas autre chose dans l’esprit et dans le

cœur. Je t’aime à bientôt mais toujours à ce soir.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16333, f. 15-16

Transcription de Nathalie Gibert-Joly assistée de Gérard Pouchain.

1) Marchande de modes, amie de Juliette Drouet.

2) Hernani est repris à la Comédie-Française depuis le 20 janvier. C’est la première reprise depuis la création en

1830. Marie Dorval y reprend le rôle de doña Sol créé par Mlle Mars. Ligier joue don Carlos. Joanny joue

toujours don Ruy Gomez et Firmin Hernani.

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[Théâtre]

[Hernani] 26 janvier [1838], vendredi après-midi 2 h. ¾

Bonjour, mon cher adoré, comment vas-tu ? Moi je ne me ressens de rien, sinon que j’ai

une courbature et encore mal à la tête, ce qui n’est rien en comparaison de ce que cela aurait

pu être, et nous sommes bien heureux d’en avoir été quittes pour la peur. Il paraît que vous ne

tombez que quand vous versez, c’est toujours bon à savoir. Je t’aime, mon grand Toto, je

t’aime tous les jours davantage, cela n’est pas possible et cela est cependant sans que je sache

moi-même comment cela se fait car du premier jour où je t’ai connu je t’ai aimé autant qu’à

présent. C’est bien vrai, mon adoré. Je ne me lasse pas de te dire cela, et je crains que tu ne

t’ennuies à l’entendre. Je ne suis pas sûre de ton amour comme du mien. Et puis je sais si mal

exprimer ce que je sens, si bien que pour une autre que moi ce doit être bien bête et bien

ennuyeux. Et je t’aime tant, et je te sais si dévoué, et j’ai tant le désir de te plaire. J’ai été bien

inquiète de ta soirée, hier, mon cher petit homme, et quoique je me doutasse où tu étais, je

n’en étais pas plus rassurée. Le petit accident de cette nuit, le plaisir de te voir m’ont fait

oublier que j’avais à te demander quelles étaient les FEMMES qui avaient dîné chez Salvandy1

et celles à qui vous avez parlé. Mais vous ne perdrez pas pour attendre, je vous réserve un

fameux interrogatoire auquel il ne vous sera pas difficile de répondre si vous n’êtes pas

sincère. Je vous attends, mon Toto, avec bien de l’impatience. Je reste au lit pour me dorloter

un peu, j’ai très mal à la tête et je suis toute courbaturée, et puis je veux aller demain à

HERNANI2. Je vais envoyer chez Mme Guérard

3 pour lui demander si elle peut venir demain,

autrement j’irai avec Suzette. Jour4, Toto, jour, mon petit o

5. Je t’adore, à tout à l’heure, n’est-

ce pas ? Je t’aime tant.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16333, f. 19-20

Transcription de Nathalie Gibert-Joly assistée de Gérard Pouchain

1) Homme politique (1795-1856). Élu à l’Académie française en 1835. Ministre de l’Instruction Publique sous le

second ministère Molé (à partir du 15 avril 1837). Le 26 janvier 1838, il nomme les membres d'un nouveau

Comité historique des monuments et des arts, dont fait partie Hugo. Il votera pour Hugo plusieurs fois (dont la

dernière) à l’Académie française. Lors de la réception de Hugo à l’Académie, c’est Salvandy qui sera chargé de

la réponse.

2) Hernani est repris à la Comédie-Française depuis le 20 janvier. C’est la première reprise depuis la création en

1830. Marie Dorval y reprend le rôle de doña Sol créé par Mlle Mars. Ligier joue don Carlos. Joanny joue

toujours don Ruy Gomez et Firmin Hernani.

3) Marchande de modes amie de Juliette.

4) Diminutif de « bonjour ».

5) Diminutif, par aphérèse, de « To », lui-même diminutif de « Toto ».

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[Théâtre]

[Hernani]

26 janvier [1838], vendredi soir 5 h. ¾

Chère âme, si je ne consultais que mes forces je ne t’écrirais qu’un mot, mais j’ai mon

cher petit tyran qui me fera remplir toute cette feuille de papier sans en passer une ligne, ce

tyran-là s’appelle AMOUR. Je vais bien me soigner pour être demain soir tout à mon HERNANI1.

Soyez jaloux si vous voulez, mais je vous ai donné pour RIVAUX tous les beaux de votre pièce

et d’ailleurs j’ai ma justification toute prête et puis c’est votre cor c’est comme votre voix2,

vos beaux vers, c’est comme toute votre adorable personne. Je dis bien mal toutes les belles

pensées d’amour qui m’oppressent le cœur. Ce n’est pas ma faute si l’esprit est bête quand le

cœur est si plein d’amour et de poésie. Et puis je suis très souffrante ce soir, et si ça

n’empêche pas d’aimer ça empêche du moins de le dire aussi bien. Mon adoré, je vais prendre

mon bain de pieds. Je n’en puis plus et pour peu que cela dure encore une heure je serai

stupide incurable. Tu m’as promis de venir tout de suite, j’y compte. Ce serait bien mal de me

tromper dans un moment comme celui-ci où j’ai tant besoin de ta vue pour me donner du

courage et pour me faire oublier les cent et une douleurs qui me lardent, me tiraillent et

m’assomment dans tous les sens.

À tout à l’heure donc. Quand tu liras ceci, il sera tard, tu auras froid, et moi je penserai à

cela avec tristesse et regret car je voudrais réchauffer tes pieds avec mes baisers, tes lèvres

avec mon sourire.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16333, f. 21-22

Transcription de Nathalie Gibert-Joly assistée de Gérard Pouchain

1) Hernani est repris à la Comédie-Française depuis le 20 janvier. C’est la première reprise depuis la création en

1830. Marie Dorval y reprend le rôle de doña Sol créé par Mlle Mars. Ligier joue don Carlos. Joanny joue

toujours don Ruy Gomez et Firmin Hernani.

2) Citation d’Hernani, Acte V, scène 3, v. 1986.

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[Théâtre]

[Hernani]

[Poésies]

[Les Voix intérieures]

[Presse]

27 janvier [1838], samedi après-midi 2 h.

Bonjour, mon cher bien-aimé, bonjour, mon cher petit Toto. Je suis toujours la même,

c’est-à-dire très souffrante et très grognon car le mal de tête me rend folle. Je me suis fait

[illis.] le front avec le vinaigre et je n’en ai éprouvé aucun soulagement. Je vais essayer du

vulnéraire1 mais j’en espère peu. Cependant je veux aller à HERNANI

2 ce soir. Je m’y ferais

plutôt porter que de n’y pas aller. Je suis sûre de ne pas sentir mon mal au moins pendant

qu’on le jouera. Pauvre cher adoré, c’est bien vrai que je ne sens plus aucun mal quand

j’entends ta douce et admirable poésie. Tu as oublié hier ou tu n’as pas voulu emporter les

deux journaux qui te rendaient justice, et moi j’aurais voulu les faire lire par tout le monde

tant il y a de bonne foi, d’intelligence et de conviction dans ces deux articles3 sur les Voix

intérieures, articles que les journaux français se sont bien donné de garde de reproduire ni

d’imiter. Je suis triste et désespérée de sentir tant de bonnes et belles choses au-dedans de

moi, sans pouvoir en émettre une seule qui ne soit tordue, bancale et défigurée. Je

sens pourtant bien tous tes admirables chefs-d’œuvre et je t’aime encore mieux, mais tout cela

ne me donne pas d’esprit, au contraire. Je ne m’en chagrinerais pas autant si je ne craignais

pas que tôt ou tard cela n’éteigne [ton amour ?] qui est plus que mon bonheur, qui est ma vie,

mon souffle, mon âme. Tout m’est un sujet de crainte, je crois que tu ne m’aimes plus autant

qu’autrefois, et c’est ce qui m’alarme dans l’avenir. Je voudrais bien pouvoir me rassurer. Je

voudrais bien que de toi-même tu démentisses mes douloureux et cruels soupçons, mais tu es

si froid et si préoccupé que tu ne t’en aperçois même pas ; cependant je souffre beaucoup,

[va ?]. J’ai peine à finir ma lettre, ma tête me tourne et tout mon corps me semble brisé et

meurtri. Je ne sais pas comment je m’en tirerai pour aller et pour revenir. Une fois dans ma

petite loge je ne crains plus rien, le tout est d’y arriver. Vraiment je souffre horriblement.

Enfin, à la grâce de Dieu et du tas de neige. Je vais me lever, je vais me secouer, je vais me

forcer à manger, et si tout cela ne me suffit pas, tant pis, je m’en lave les mains et cela ne me

regarde plus.

Jour4, mon grand Toto, jour, mon grand Victor, jour, mon adoré. C’est ce soir que je

vais en entendre de belles sur vous. Sublime, admirable, comme le grand Corneille, un géant,

Victor Hugo, grand comme le monde. Bravo ! Bravo !! Bravo !!!!! Tout cela me bassinera le

cœur et la tête et fera disparaître tous mes bobos, quitte à les reprendre après la représentation.

Je t’adore, mon Toto. Eux, les hommes, ne font que t’admirer.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16333, f. 23-24

Transcription de Nathalie Gibert-Joly assistée de Gérard Pouchain et Florence Naugrette

1) Médicament appliqué sur les plaies.

2) Hernani est repris à la Comédie-Française depuis le 20 janvier. C’est la première reprise depuis la création en

1830. Marie Dorval y reprend le rôle de doña Sol créé par Mlle Mars. Ligier joue don Carlos. Joanny joue

toujours don Ruy Gomez et Firmin Hernani.

3) À élucider.

4) Diminutif de « bonjour ».

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[Copie]

7 août [1841], samedi matin 11 h. ½

Bonjour cher Toto bien aimé. Bonjour mon ravissant petit homme. Bonjour mon GRAND

ARTISTE. Bonjour bonjour, je suis folle de vous. Je vous écris tard mais toutes mes affaires

sont faites. Vous pouvez m’apporter à copier tout de suite, je suis prête et je m’appliquerai

bien et je ne ferai pas de [illis.] et je mettrai bien à la ligne.

Vous pouvez en juger par cette esquisse d’une femme appliquée à faire des ALINÉAS.

[elle se dessine assise à sa table, copiant]. Ceci doit vous rassurer, vous encourager et

m’apporter de la copie dare-dare. J’espère que je ne suis pas en reste de dessin avec vous et

quand même vous me devez du retour. Je vous en tiens quitte pour une petite culotte1 tantôt

au cabaret. Il fait si beau et il y a si longtemps que je ne suis sortie que vous devriez me

donner ce bonheur-là aujourd’hui. Cependant je n’y compte pas car je sais combien tu es

pressé par ton travail. Aussi, mon pauvre amour, je m’apprête à rester chez moi le plus

possible. Je te demande seulement de venir me voir une pauvre petite minute et de m’apporter

de la copie. Avec ça je tirerai ma journée avec courage. Je t’aime mon Toto.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16346, f. 123-124

Transcription de Florence Naugrette

1) Culotte : familier pour « petit festin » ou « boire un verre ».

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[Théâtre]

[Lucrèce Borgia]

[Copie]

5 novembre [1841], vendredi matin 11 h.

Bonjour Toto. Bonjour mon petit o1. Si c’est aujourd’hui qu’on juge votre procès

2,

bonne chance et prompt débarras. Je n’ai plus qu'un mois et 25 jours, je n’aurais même rien

du tout à attendre pour être mise en possession de ma [petit dessin carré un peu confus3] mais

vous êtes un homme monstrueux Monseigneur et vous me faites tirer la [elle se dessine tirant

une longue langue] d’un pied de long pour une chose qui m’est légitimement due. Puisse

l’internelle consolacion vous être à tout jamais refusée pour vous apprendre à me torturer

comme vous faites.

J’espère que vous gagnerez votre procès et que vous viendrez m’en apporter tout de

suite la nouvelle parce que je n’entends pas la plaisanterie moi entendez-vous ? Il fait bien

beau ce matin mais il fait bien froid aussi. C’est demain que j’aurai ma pauvre péronnelle.

J’aurais voulu pouvoir lui montrer votre cher petit buste mais je vois bien que cet affreux

Barbedienne n’est pas prêt à me l’envoyer4. Que le Bon Dieu le rapatafiole. J’ai oublié de te

dire hier qu’en mettant 50 F

de côté il ne me restait plus que 10 F

voilà ce que c’est que [les

provisions ?]. Cependant par obéissance je les ai mis de côté jusqu’à nouvel ordre. Il me

semble aussi que vous ne m’avez pas donné à copier. Vous savez pourtant que c’est mon seul

vrai plaisir. Si vous venez de bonne heure je vous en demanderai. En attendant je me brosse le

ventre au soleil et je grelotte à vous rendre jaloux. Je vous attends avec une impatience peu

modérée et un amour idem. Ne me faites pas languir.

Juliette

Vente Artcurial, 14 décembre 2010 (Thierry Bodin expert).

Transcription de Jean-Marc Hovasse

1) Diminutif, par aphérèse, de « Toto », lui-même diminutif de « Victor ».

2) L’opéra de Donizetti adapté de Lucrèce Borgia, créé à Milan en 1833, est joué au Théâtre-Italien à la fin du

mois d’octobre 1840. Hugo fait arrêter ces représentations en février 1841, après avoir refusé à Monnier le droit

de publier sa traduction en français du livret ; mais Monnier avait passé outre. Hugo fait savoir aux directeurs de

théâtres parisiens et de province qu’ils s’exposent à un procès en contrefaçon s’ils représentent l’opéra. Les

théâtres de Metz, Nancy et Lyon ayant bravé cet avertissement, Hugo, soutenu par la SACD, intente un procès

en contrefaçon contre le traducteur, l’éditeur de musique et le directeur du théâtre de Metz. Hugo et son avocat

Paillard de Villeneuve gagnent leur procès. Après l’appel, le jugement définitif est prononcé le 5 novembre

1841.

3) Sans doute s’agit-il de la petite « boîte à tiroirs » que Victor Hugo offrira à Juliette Drouet quinze jours plus

tard, le 19 novembre. Voir CFL, t. VI, p. 1266.

4) Juliette Drouet reçoit un « charmant petit buste » de Victor Hugo le 29 novembre. Voir Mille et une lettres

d’amour, p. 225. Il s’agit très vraisemblablement d’un buste en bronze, lauré ou non, par David d’Angers, fondu

par F. Barbedienne. Certains laurés sont datés de 1842, d’autres, sans laurier, sont sans date.

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[Théâtre]

[Les Burgraves]

28 janvier [1843], samedi matin midi

C’est donc aujourd’hui que vous me faites sortir, mon bien-aimé ? Entre nous le jour

n’est guère bien choisi mais comme je ne veux pas vous refuser je ferai ce que vous voudrez.

Pauvre ange bien aimé, comment vas-tu ? Moi j’ai passé une nuit mauvaise, j’ai peu dormi à

cause des douleurs d’estomac et de tête. Ce matin je suis toute malingre. Cependant il faut que

je me dépêche dans le cas où tu viendrais me prendre. Je ne comprends pas comment tu

pourras en trouver le moment par exemple, mais cela ne me regarde pas ; tu connais les

allures des gens à qui tu as affaire mieux que moi et tu sais sur quoi tu peux compter.

Je t’aime mon Toto chéri, je t’aime mon Toto bien aimé, je t’aime. Tu es beau, tu es

bon, je t’adore.

Je vais faire tout mon possible pour n’avoir pas besoin d’argent d’ici à jeudi. Claire1

vient ce soir, je lui ferai faire le travail en question sur les lettres et sur mes papiers, si elle en

a le temps toutefois. Ce sera un genre de divertissement assez médiocre, heureusement qu’elle

n’est pas habituée à plus de [illis.] que cela. Cependant pour l’encourager je lui promettrai les

Burgraves si elle travaille bien et si elle est bonne fille d’ici à la représentation. Ce qui ne sera

pas une petite besogne au train où tous ces gens-là y vont. Le fauteuil de Pénélope n’était rien

en comparaison des Burgraves. Enfin avec de la patience, autre MAXIME2 qui n’est pas neuve,

on vient à bout de tout. Nous verrons ça je l’espère.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16351, f.

85-86

Transcription d’Olivia Paploray assistée de Florence Naugrette

1) Fille de Juliette Drouet et du sculpteur James Pradier (1826-1846).

2) Jeu de mots sur Mlle Maxime, qui reçoit le rôle de Guanhumara dont Rachel ne veut pas, et qui entre en

conflit avec Hugo. Après la trente-deuxième répétition, Hugo lui retirera le rôle, qui échouera finalement à Mme

Mélingue. Le 3 mars, Mlle Maxime réclamera son rôle devant le tribunal de première instance, mais sera

déboutée de sa demande. Juliette Drouet l’accable de ses sarcasmes dans ses lettres.

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[Théâtre]

[Les Burgraves]

15 mars [1843], mercredi matin 10 h. ¾

Bonjour mon Toto adoré, bonjour mon bien-aimé. Tes habits mouillés ne t’ont pas fait

de mal cette nuit ? Tu auras peut-être pensé à les ôter tout de suite en rentrant, je l’espère du

moins. Moi, je me suis enrhumée, je ne sais ni quand ni comment mais j’ai un rhume de

cerveau hideux. Tout cela ne sera rien si nous avons le dessus ce soir, et nous l’aurons.

Suzanne1 est ravie de la pensée d’aller battre des mains et pousser des hurlements dans une

loge à elle. Je te réponds qu’elle s’en acquittera à merveille. Je n’ai vu aucun Lanvin2 mais je

ne les crois pas très regrettables pour cette fois-ci. Dans les toutes premières représentations,

je ne dis pas, parce qu’alors ils ne se mêlent pas de faire de la littérature. Mais autrement, je

les craindrais plus que je n’y aurais de confiance, non pas qu’ils ne soient de très bonne foi,

les pauvres gens, mais parce que le mieux, avec de pareilles intelligences, est l’ennemi du

bien.

Une chose qui portera bonheur aux Burgraves, c’est aujourd’hui le jour anniversaire du

mariage de ta fille. Il est bien juste que ce soit un jour de victoire et de consolation pour toi,

mon pauvre père et mon grand poète. Aussi ce soir j’ai la conviction que nous enterrons les

Maximilien3 et leur honteuse opposition. Je regrette de n’être pas homme dans des occasions

comme celle-ci, mon adoré, pour pouvoir lutter corps à corps avec tes ennemis. Après

l’amour tendre et passionné de la femme, il y a chez moi un respect, une vénération, une

admiration et un dévouement qui iraient très bien au plus honnête et au plus intelligent des

hommes. Je te réponds que si le travestissement humain pouvait se faire comme pour les

vêtements, ton chef d’escadron ne se serait pas montré une seconde fois aux Burgraves.

Enfin, cela ne se peut pas et c’est grand dommage car je ne me serais pas fait faute de porter

la culotte pendant toutes ces représentations.

Je n’ai pas pensé hier à te demander si tu avais envoyé une place à [illis.] qui en

demandait une à la dernière représentation d’une manière grotesque et charmante à la fois ? Il

y avait aussi plusieurs autres individus dont j’ai oublié les noms qui te demandaient des

places. Au reste tu n’aurais pas manqué de gens à qui les donner, l’important étant de les bien

donner.

J’espère que je te verrai un moment de la journée et que tu ne me laisseras pas seule

toute la soirée dans ma loge ? Autrefois tu ne me quittais presque pas et cela n’en allait pas

plus mal, au contraire ; l’amour protège qui le sert bien et je suis sûre que tous les baisers que

tu me donnerais ce soir se résoudraient en chiquenaudes monstrueuses sur le nez des

Maximilien3. C’est à toi de voir si tu veux me faire cette joie et leur donner ce plaisir.

Juliette BnF, Mss, NAF 16351, f.

233-234

Transcription d’Olivia Paploray assistée de Florence Naugrette

1) Suzanne Blanchard, servante de Juliette Drouet depuis 1839.

2) Les Lanvin sont des amis de Juliette Drouet, qui aideront Hugo à fuir en exil.

3) Jeu de mots : partisans de Mlle Maxime, à qui a été retiré le rôle de Guanhumara, et qui a été déboutée de son

procès pour le récupérer.

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[Poésie]

[Les Contemplations]

2 novembre [1846], lundi après-midi 3h.

Je vous attends, Toto, et je voudrais bien ne pas vous attendre davantage si cela vous

était égal. Mme Guérard1 sort de chez moi ; elle aussi vous a attendu deux heures. Mais,

moins patiente que moi, elle s’en est allée furieuse. J’aurais presque envie d’en faire autant

mais comme cela n’attraperait que moi je me ravise et je reste à mon poste absolument comme

le cavalier à pied tournant le dos à son cheval. Cher adoré, mon petit Toto bien-aimé, j’ai le

cœur plein de bon amour et de douce confiance. Je crois à ce que tu m’as dit cette nuit

absolument comme je crois à ce que je sens d’adoration pour toi. Aussi je suis heureuse

malgré ton absence et…

6 h. ¾

Ce n’est pas interrompu par le brouillard, comme les nouvelles télégraphiques, mais par

notre chère petite FARIMOUSSE, ce qui est moins nébuleux. Malheureusement vous ne restez

pas assez longtemps et le peu de temps que vous passez chez moi ne m’appartient pas puisque

vous travaillez sans lever les yeux. Mais c’est égal, je suis heureuse tout de même et je te vois

partir avec un inexprimable regret. Si tu étais dans mon pauvre cœur dans ce moment-là tu

n’aurais jamais le courage de t’en aller, tant ce que j’éprouve est douloureux et triste. J’espère

que tu vas revenir comme cela t’est déjà arrivé…2

8 h. ¼

Mon espoir a été réalisé, mon doux bien-aimé. Maintenant je t’attends sur de nouveaux

frais d’espérance, de désir et d’amour. Tâche que ce ne soit pas trop long. Songe que je t’ai

très peu vu après tout puisque tu as travaillé tout le temps sans lever une seule fois les yeux

sur moi et sans m’adresser une parole3. Je sais bien que je pouvais te regarder

4, et je ne m’en

suis pas privée, mais je ne te vois pas aussi bien quand tu ne me regardes pas un peu toi-

même de temps en temps5. Mon Toto je te baise de toutes mes forces.

Juliette

MVH, 7809

Transcription de Florence Naugrette

1) Marchande de modes, amie de Juliette Drouet.

2) Le lendemain, Hugo écrit le poème des Contemplations « Paroles dans l’ombre », sur le thème de ce

paragraphe et du suivant. Le poème débute ainsi : « Elle disait : C’est vrai, j’ai tort de vouloir mieux ; / Les

heures sont ainsi très doucement passées ; / Vous êtes là ; mes yeux ne quittent pas vos yeux, / Où je regarde

aller et venir vos pensées. / Vous voir est un bonheur ; je ne l’ai pas complet. Sans doute, c’est encor bien

charmant de la sorte ! […]»

3) « Paroles dans l’ombre » : « Quand vous êtes ainsi tout un soir dans vos livres, / Sans relever la tête et sans

me dire un mot […]».

4) Ibid. : « Sans doute, je vous ai ; sans doute, je vous vois ».

5) Ibid. : « « Et, pour que je vous voie entièrement, il faut / Me regarder un peu de temps en temps, vous-

même ». Victor Hugo a-t-il informé Juliette Drouet de l’usage qu’il a fait de sa lettre pour écrire son poème ? Il

semble que non, en l’état actuel de nos connaissances : en effet, on ne trouve aucune trace d’une lecture par

Juliette Drouet du poème écrit immédiatement par Hugo, dans les lettres qu’elle lui adresse les jours de

novembre suivants. (Remerciements à Michèle Bertaux, Maison Victor Hugo ). Si cette trace se trouve dans sa

correspondance ultérieure, on ne l’a pas encore mise au jour.

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[Copie]

31 juillet [1847 ?], samedi midi ½

Jour de Ste Culotte

1

Je me suis acquittée, avant même d’avoir rien contracté, mais je suis dans la magnifique et

généreuse habitude de payer d’avance toutes les dettes qu’on paye avec de l’encre, des gribouillis,

du cœur et de l’âme. C’est ma manière à moi, elle en vaut bien d’autres.

J’ai copié, COPIÉ ! Quelle humiliante concession ! J’ai copié, dis-je, votre margouillis. J’ai dû

me conformer à mon modèle en renversant ma bouteille à l’encre sur mon papier sous prétexte de

COULEUR et d’EFFET. Enfin je n’ai rien à me reprocher si ce n’est ma trop grande faiblesse envers

vous. J’espère que vous ne m’en ferez pas repentir et que vous me donnerez ma culotte ornée de

tous ses accessoires. Il faut que la broderie l’emporte sur le FOND qui ne peut être que très mince et

très petit à la manière dont vous me l’avez mesuré. N’importe où vous irez je serai contente

pourvu que je vous voie et que vous me souriiez, je serai contente et l’horizon, quel qu’il soit, me

paraîtra le paradis terrestre et céleste. La seule grâce que je te demande, mon amour, c’est de venir

de bonne heure si tu peux. Pense que le souvenir de cette soirée doit servir à illuminer bien des

soirées sombres et tristes où tu ne seras pas avec moi.

Je t’aime mon Victor. Je te désire. Je t’attends.

Juliette

Maison des ventes Cornette de Saint-Cyr, Hôtel Drouot-Richelieu, 22 juin 2011, n° 27 (expert Thierry Bodin)

Transcription d’Evelyn Blewer

1) Familier pour « festin », « bombance ».

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[Roman]

[Les Misérables]

9 septembre [1847], jeudi midi ¾

Oui, MONSIEUR, oui, j’ai fini mon MANUSCRIT1, oui, j’ai la générosité de vous donner le

fruit de mon travail2, sans hésiter et sans marchander. Faites-vous de la célébrité avec, faites-

vous-en de la gloire et de la fortune, je ne m’y oppose pas. Je vous le DONNE. Je ne vous

demande même pas en échange un bout de votre corde. Je vous la laisse tout entière.

Seulement je vous demanderai ce que vous comptez faire de MADEMOISELLE PROTAT et de

MADEMOISELLE BRUGNOT. Vous comprenez que je ne suis pas dupe du semblant de

patronage que vous offrez à cette dernière au nom de votre femme. Je connais les formes

utilisées en pareil cas pour me tromper sur le fond. Seulement je désire être avertie du jour et

de l’heure de la PRESENTATION. Vous êtes un heureux homme, mon Toto, et vous pourriez

lutter avec la princesse de Navarre pour les plaisirs et les objets nouveaux2. Quoique pair et

très grand Pair de France, vous vous adonnez assez gentiment à l’Opéra-Comique et aux

jeunes premières de la ville et de la banlieue. Le genre troubadour abricot ne vous messied

pas et prouve que avez bien longtemps parcouru le monde et que vous savez courtiser la brune

et la blonde avec un égal succès. Seulement défiez-vous de la grise2. C’est votre duègne Juju

qui vous donne cet avis.

MVH, Mss,

Transcription de Florence Naugrette

1) Du 7 au 9 septembre, Juliette Drouet écrit ses souvenirs de couvent pour Victor Hugo, qui s’en servira pour

Les Misérables.

2) Souligné deux fois.

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[Discours]

16 juillet 1851, mercredi soir [9 ?] h. ½

Où en es-tu, mon pauvre petit homme, que fais-tu et comment te trouves-tu depuis que

je t’ai quitté ? Ma pensée a essayé bien des fois de pénétrer jusqu’à aujourd’hui pour savoir ce

que je devais craindre ou espérer, mais sans succès, le don de seconde vue ne m’étant pas

donné. Aussi je suis autant et plus tourmentée que jamais. Je ne sais rien et je redoute tout,

manière de passer son temps peu agréable mais très triste. De ton côté mon pauvre bien-aimé,

tu dois être agacé et épuisé par cette espèce d’attente prolongée qui n’aboutit pas et qui te

tient en garde indéfiniment1. Je n’ose pas croire que c’est fini pour toi ce soir, aussi je

n’espère pas te voir, car moins que jamais il faut risquer un enrouement par imprudence. Je

fais ce sacrifice, non à la patrie dont je ne me soucie pas plus qu’elle de moi, mais à ta santé

qui est plus que le cadet de mes soucis. Je donnerais tout au monde pour que tu sortes sain et

sauf de cette bagarre parlementaire2. Je n’en serai peut-être pas beaucoup plus avec toi après,

mais je n’aurai plus à craindre pour ta santé, ce qui m’est odieux. Couche-toi de bonne heure,

mon bien-aimé, et ne te fais aucun remords de ne pas venir ce soir puisque c’est moi qui le

désire et qui t’en supplie. Plus tard, lorsque tu te porteras bien, si tu crois que j’ai assez

souffert et que mon amour mérite quelque récompense, tu me donneras la joie de te voir plus

souvent. Jusque là, ne songe qu’à te ménager et à te guérir, car ta santé, c’est plus que mon

bonheur, c’est ma vie.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16369, f. 121-122.

Transcription d’Anne Kieffer assistée de Florence Naugrette

1) Hugo s’apprête à prononcer son discours contre la révision de la Constitution.

2) Depuis mars 1851, Louis-Napoléon Bonaparte essaie d’obtenir le droit d’être réélu en 1852. Le 8 juillet,

Victor Hugo inscrit son nom dans le registre « contre » ouvert à propos du rapport de Tocqueville sur la révision

de la Constitution. Le 14 juillet débute le débat sur cette révision. (CFL, Tome VII/2, p. 1361).

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[Discours]

17 juillet 1851, jeudi matin 7 h. ½

Bonjour, mon tout bien aimé, bonjour. Comment vas-tu, mon pauvre petit homme ? Est-

ce enfin aujourd’hui que tu parles1 ? Je le désire autant que je le redoute pour toi et pour moi.

Cependant puisqu’il faut que tu te sacrifies, absolument mieux vaut plus tôt que plus tard pour

que tu puisses te reposer et te soigner après avec un peu plus de tranquillité et de suite.

Je ne sais pas ce que l’avenir me garde mais je sens que je suis à bout de courage et de

force. Mais ce n’est pas le temps de te parler de moi, mon pauvre bien aimé, surtout quand tu

souffres et que tu te dévoues.

Il t’a été impossible de venir me voir hier après la séance ? Je le comprends et je ne

t’accuse pas. Encore si je pouvais avoir de tes nouvelles, savoir comment tu te portes et si

cette tension opiniâtre et forcée de ton esprit n’agit pas en mal sur ta pauvre gorge, mais rien

que l’isolement et l’ignorance, c’est pour en devenir folle d’impatience et d’inquiétude.

Vraiment je ne suis pas heureuse. Je voulais ne pas te parler de moi et je ne fais pas autre

chose, tant ma vie est mêlée à la tienne comme l’atome dans le rayon du soleil. Je suis triste,

je souffre, j’ai la tête malade, je ne sais plus ce que je dis, il me semble que ma raison s’en va.

Mon pauvre bien-aimé, pardonne-moi toutes ces douloureuses divagations dont tu es la cause

involontaire.

Juliette BnF, Mss, NAF 16369, f. 123-124

Transcription d’Anne Kieffer assistée de Florence Naugrette

1) Le 17 juillet, Victor Hugo prononce son discours contre la révision de la constitution, où il dénonce les

manœuvres de Louis-Napoléon Bonaparte et lance la formule « Napoléon-le-Petit ».

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[Discours]

[Presse]

1851 17 juillet, jeudi soir 9 h.

Je vois, mon pauvre grand bien-aimé, que tu n’es pas encore délivré de ton sublime

accouchement grâce au mauvais vouloir dont tu es l’objet. Maintenant il n’est plus guère

possible que cela n’ait pas lieu demain. Quelle journée je vais encore passer, mon Dieu. Je

suis comme les sauvages qui se couchent quand leurs femmes sont en mal d’enfant. Depuis

que je te vois à l’œuvre je t’assure que je comprends cette collaboration à la façon des peaux-

rouges et que je ne me sens pas la moins malade ni la moins fatiguée sans ce long et laborieux

accouchement qui amènera à terme un beau et admirable discours qui grossira d’autant ta

nombreuse et sublime famille. Il n’y a donc plus que patience et courage à avoir d’ici à

demain. Il serait bête à moi d’en manquer quoique il y ait encore 24 mortelles heures d’ici à la

porte du Moniteur. Je me mords le bout de la langue pour me donner de la salive et je tâche de

croire que tout est pour le mieux avec les pires des réactionnaires. Tâche de te coucher de

bonne heure, mon pauvre bien-aimé, et de dormir si c’est possible. Je ne te demande même

pas de penser à moi. C’est une besogne que je ferai pour nous deux mais je veux t’aimer à

moi toute seule et sans partage.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16369, f. 125-126.

Transcription d’Anne Kieffer assistée de Florence Naugrette

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[Roman]

[Les Misérables]

Jersey, 19 août 1853, vendredi après-midi 4 h. ½

Je n’ai pas eu de chance, mon cher petit homme, en m’en allant juste au moment où tu

arrivais chez moi. De plus, j’ai le regret de penser que sans ton fils Toto, que j’ai rencontré

avec le colonel [illis.], tu m’aurais peut-être rejointe. Enfin, quoi qu’il en soit, je sais bon gré

de ta bonne volonté, mais au fond de l’âme, je bisque d’en avoir si peu avoir si peu profité.

Du reste, il paraît que tu as encore ton bain à prendre, ce qui t’empêchera de me faire sortir un

peu aujourd’hui. Car je n’appelle pas sortir aller faire des COMMISSIONS sans toi. À ce sujet, je

vous dirai que je vous ai FENDU d’une splendide robe pour la pauvre COSETTE du Hâvre-des-

Pas. La pauvre petite est capable d’en avoir des éblouissements et des terreurs de joie. Mais

pour ne pas vous faire jeter les hauts cris et vous pousser à regretter votre bonne action, je

compte contribuer pour une FAIBLE part dans l’achat de la susdite. Mais vous aurez l’honneur

de la lui offrir vous-même. Seulement dépêchez-vous, car la pauvre enfant dit griller

d’impatience. Quant à moi, je ne vous en parle pas (de moi), à quoi bon ? Je me borne à

ronger mon refrain et à vous aimer comme une bête que je suis. Taisez-vous, vilain monstre et

trempez-vous.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16374, f. 290-291

Transcription de Bénédicte Duthion assistée de Florence Naugrette

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[Poésie]

[Les Orientales]

Jersey, 2 octobre 1853, dimanche matin 8 h.

Bonjour mon cher petit homme, bonjour mon grand centaure, ne pas lire sans TORTS car

vous en avez de fameux envers moi et dont l’expiation ne se fera pas attendre longtemps si le

ciel est juste, ce que j’espère : en attendant, tâchez de ne pas vous casser le cou ce matin sur

votre Mazeppa1 jersiais. NOTA BENE : ceci est pour vous, n’allez pas croire que je prenne

l’homme pour le cheval et le cheval pour l’homme, malgré le rapprochement que je fais de la

fougue de votre monture avec celle de l’infortuné du nom duquel j’abuse par extension2.

Toujours est-il que je vous recommande de ne pas trop faire le sportsman et de ménager un

peu vos abattis. Du reste, à part un peu de froid, il fait un temps assez beau ce matin et cela ne

peut que vous faire du bien de courir la campagne pendant quelques heures. Tout cela, mon

amour, ressemble toujours plus ou moins au monologue d’Arlequin, lequel ne peut pas venir à

bout de raconter à lui-même des histoires inconnues. Quant à moi, j’ai beau me répéter du

matin jusqu’au soir que je vous adore, je ne m’apprends rien de nouveau ni à vous non plus,

ce qui est absurde. Aussi, je prends le parti de me taire sans murmurer, sans murmurer.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16374, f. 388-389

Transcription de Bénédicte Duthion assistée de Florence Naugrette

1) Allusion à « Mazeppa », poème des Orientales.

2) Dans le poème de Hugo, Mazeppa est attaché à son cheval lancé dans les steppes.

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[Poésie]

[Les Voix intérieures]

Guernesey, 10 janvier 1856, jeudi soir 5 h.

Aimez-vous l’ouragan, on en a mis partout ? J’espère, mon cher petit Toto, que vous ne

vous plaindrez pas du bon Dieu à l’endroit du vent et de la tempête. Le vent de la mer souffle

dans sa trompe1. Quant à moi, je goûte assez ce GRAND AIR mais je l’apprécierais mieux si je

l’entendais auprès de vous. Merci mon cher petit homme, merci des trois bonnes heures que

tu m’as données hier. C’est d’autant plus généreux à toi que cela ne t’amuse pas du tout. Tu

fais tout ce que tu peux pour me dissimuler ton ennui mais tu as beau faire, mon pauvre grand

bien-aimé, la fatigue de la soirée se montre malgré toi. C’est pour cela que je voudrais me

recruter dans ton entourage habituel de deux ou trois convives pour te tenir tête le jour où tu

as la bonté de venir dîner avec moi. Oh ! toujours bon, mon adoré, toujours, toujours,

toujours. Tu tâches de me donner le change sur ma nullité et tu ne parviens qu’à te faire

adorer par moi, de plus en plus. Rien de ce que tu fais pour moi n’est perdu pour mon amour.

Mon âme garde fidèlement tous les trésors de sublime bonté que tu répands sur ma vie. Je

t’aime, mon Victor, voilà tout mon esprit, ma beauté, ma gloire, ma joie et mon bonheur. Je

t’aime, je t’aime, je t’aime.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16377, f. 12

Transcription de Christelle Rossignol assistée de Florence Naugrette

1) Refrain du poème « Une nuit qu’on entendait la mer sans la voir », Les Voix intérieures (1837).

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[Poésie]

[Légende des siècles]

[Copie]

Guernesey, 15 mars 1859, mardi matin 8 h.

Bonjour, mon cher bien-aimé ; bonjour et que Dieu te donne aujourd’hui santé, bonheur et

joie autant que je te donnerai de ma vie, de mon cœur et de mon âme. Pour commencer,

j’espère que tu as passé une bonne nuit. Quant à moi, j’ai dormi comme une marmotte et je

me porte très bien ce matin. Aujourd’hui, j’espère que rien ne m’empêchera de copire mon

superbe Bivar1. J’ai déjà organisé une table volante à cette intention pour ne pas ABIMER tout

de suite ma BELLE table de VELOURS. Justement, j’ai ce qu’il me faut sous la main. Je me suis

débarrassée hier de toutes les écritures de la pauvre Suzanne2. Malheureusement, je ne me

suis pas débarrassée des miennes, ce dont j’enrage. Il faudra bien que je prenne ma plume à

deux mains un de ces jours pour répondre à mon brave homme de beau-frère et [à] mon petit

crétin de neveu1, dont j’ai reçu hier une lettre datée de Iéna (Saxe Weimar) parfaitement

stupide et dont je ne me vante que dans le huis-clos de la restitus. Décidément, je crains que

ce pauvre enfant ne soit un affreux petit-bourgeois, la pire espèce de bête de la création. C’est

triste de n’avoir qu’un neveu et qu’il soit manqué. Enfin, Dieu sait ce qu’il fait et moi je sais

que je t’aime au-delà de toutes comparaisons. Je t’adore.

BnF, Mss, NAF 16380, f. 69

Transcription de Mélanie Leclère assistée de Florence Naugrette

1) « Bivar » : poème de La Légende des Siècle dont le manuscrit date du 16 février 1859, publié dans la

Première Série (IV).

2) Suzanne Blanchard, servante de Juliette, engagée en 1839.

3) Louis Koch, fils de sa sœur Renée-Françaoise et de son beau-frère Louis. Le même jour, Juliette Drouet, dans

sa réponse à son neveu, écrit : « Je te pardonne ton hideux petit GROS paradoxe sur le patriotisme, c’est-à-dire

sur ce qu’il y a de plus sacré après Dieu […]. Cultive ton cœur et ton esprit, appuie-toi sur Dieu et sur la raison,

et dédaigne les forfanteries des sots et des mauvais. Pense à ton digne père et à ta tendre mère, pense aux

proscrits, et demande à Dieu de nous réunir tous bientôt et de leur rendre la PATRIE, objet de leur culte, de leur

sacrifice et de leur éternel amour. » (Lettres familiales, éd. Gérard Pouchain, Charles Corlet, 2002, p. 56).

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[Poésie]

[Légende des siècles]

Guernesey, 30 mars 1859, mercredi matin 7 h. ½

Bonjour, mon cher adoré ; bonjour, de tout mon cœur et de toute mon âme. Comment

vas-tu ce matin, mon cher petit homme ? Cette affreuse nuit ne t’a pas empêché de dormir, je

l’espère. Mais tu paraissais fatigué hier jusqu’à l’accablement et voilà ce qui m’inquiète. Je

voudrais que ce fût déjà l’heure de te revoir pour savoir si tu vas mieux et si tu as bien dormi

cette nuit. En attendant, j’ai déjà lu et relu le monstrueux Gaiffer1. C’est bien beau et bien

horrible. Cette tour qui a pour fondements le vol Barabbas, la trahison Judas, le meurtre Caïn et

le soupirail de l’ENFER pour ventilateur, c’est effrayant tant c’est vrai. Je n’ose pas épancher

davantage mon impression parce que je sens que les mots, sinon les idées, me manquent

absolument. Mais je te crie du fond de mon admiration : C’est beau ! C’est beau ! C’est beau !

Maintenant, mon grand petit bien-aimé, je te baise rétrospectivement depuis le commencement

des siècles et par anticipation jusque dans l’éternité.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16380, f. 83

Transcription de Mélanie Leclère assistée de Florence Naugrette

1) « Gaïffer-Jorge, duc d’Aquitaine » est un poème daté de décembre 1858 sur le manuscrit. Hugo l’a finalement

intégré à la Nouvelle Série de La Légende des siècles.

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[Poésie]

[Légende des siècles]

Guernesey, 24 avril 1859, dimanche 7h ½

Bonjour, mon cher bien-aimé. Bonjour, amour et bénédictions à toi, mon adoré.

J’espère que tu as bien dormi nonobstant la préoccupation de mes petits tracas de domestique.

Quant à moi, j’ai passé une nuit telle quelle, mais cela ne m’étonne pas, en dehors même de

mon agitation accidentelle, puisque j’avais eu deux excellentes nuits auparavant. Du reste, je

viens de me réconforter à ta puissante poésie. Je viens de lire Zim-Zim1 d’un bout à l’autre et

je t’assure que je n’ai pas trouvé le temps long et que je ne me suis pas aperçue du froid

humide et pénétrant qui entrait par mes trois fenêtres ouvertes. Quelles œuvres, mon adoré !

Jamais la pensée humaine n’aura été formulée d’une façon si splendide, si grande, si terrible

et si rayonnante. Dans quelque mille ans, on attribuera tes livres à Dieu même avec plus de

raison que les paroles plus ou moins apocryphes de la Bible. Quant à moi, je suis à chaque

fois confondue d’admiration comme si c’était pour moi la première révélation de ta poésie

surhumaine et presque divine. Je t’aime.

BnF, Mss, NAF 16380, f. 108

Transcription de Mélanie Leclère assistée de Florence Naugrette

1) « Zim-Zizimi », poème de La Légende des siècles, « Première Série – Les Petites Épopées » (VI, I), dont le

manuscrit est daté du 20-25 novembre 1858.

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[Éditeur]

[Poésie]

[Légende des siècles]

[Châtiments]

Guernesey, 1er

mai 1859, dimanche matin 8 h.

Bonjour, mon cher bien-aimé; bonjour, mon pauvre génie de peine, bonjour. Ne te

réveille pas encore si tu peux, mon pauvre adoré ; que la pensée d’avoir accompli hier ta

première tâche d’envoi à Hetzel1 te donne un soulagement, un bien-être et une quiétude de

corps, d’esprit et d’âme au moins pendant vingt-quatre heures ; ça n’est pas trop il me semble

après le coup de collier gigantesque que tu viens de donner à La Légende des siècles. Quant à

moi, j’éprouve le besoin de me reposer pour toi, TELLE EST MA FORCE. As-tu bien dormi cette

nuit, mon pauvre harassé ? As-tu fait une partie de billard et pris une good tasse de TI ? Tu me

diras cela tantôt quand je te verrai. Tu me diras aussi ce que tu auras décidé pour l’île de

Wight, car il me semble que le moment est venu d’en parler et de décider cette question. Quant

à moi, je ferai tout ce que tu voudras, comme d’habitude, COMME DE JUSTE ET DE RAISON, c’est

encore une des formes de mon amour que l’obéissance passive2 à toutes tes volontés, mon

adoré, et je mets mon honneur et mon bonheur à te le prouver. Je t’aime. Je t’adore.

BnF, Mss, NAF 16380, f. 115

Transcription de Mélanie Leclère assistée de Florence Naugrette

1) Le 30 avril 1859, Victor Hugo a envoyé le début du manuscrit du premier volume de la Légende des siècles à

l’impression.

2) Allusion (fréquente sous la plume de Juliette Drouet), au titre du poème des Châtiments « À l’obéissance

passive ».

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[Copie]

[Poésie]

[Légende des siècles]

Guernesey, 3 mai 1859, mardi matin 10 h. ¾

Bonjour, mon cher adoré, bonjour de toute mon âme. Je viens de finir Les

Hallebardiers1 afin que tu puisses me donner tantôt quelque chose à copier sans désemparer.

J’espère que tu as passé une bonne nuit, mon pauvre divin piocheur, et que tu te portes bien

depuis la tête jusqu’aux pieds. Quant à moi, je suis patraque depuis un bout à l’autre de ma

vieille carcasse. Je n’ai pas une petite place où ne se soit logée une grosse douleur. Pourvu

que cela n’aboutisse pas à une prochaine paralysie générale, je m’estimerai encore très

heureuse de n’avoir que la souffrance et la maussaderie qui en est inséparable. Mais je ne sais

pas si je me résignerai de bonne grâce à n’être plus qu’une masse végétante et inerte. Je serai

peut-être à même plus tôt encore que je ne le crois de faire cette triste expérience. Justement

on frappe, je crois que te voilà. Non, car je n’entends ni ta voix ni ton pas. En attendant que ce

malheur m’arrive (je parle de ma podagrerie imminente), je t’aime comme une bonne et vraie

vivante que je suis encore et je te baise à mort. Juliette.

BnF, Mss, NAF 16380, f. 117

Transcription de Mélanie Leclère assistée de Florence Naugrette

1) « Lorsque le régiment des hallebardiers passe » est le premier vers du poème « Le Régiment du baron

Madruce », écrit le 6 février 1859, et publié dans la Première Série de La Légende des siècles.

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[Copie]

[Poésie]

[Légende des siècles]

Guernesey, 6 mai 1859, vendredi 7 h. du m.

Bonjour, mon cher adoré ; bonjour et que la santé et le bonheur soient avec toi,

aujourd’hui et toujours. Le soleil a l’air d’un faible convalescent bien pâle mais qui sourit. En

attendant qu’il retrouve la force de nous réchauffer tous, je demande la permission de vous

accompagner dans vos promenades solitaires, mon cher petit rêveur. Cela me fera plaisir et

cela ne vous empêchera pas de travailler ni de faire vos rencontres mystérieuses. Attrapé ! Et

à ce propos, je vais reprendre aujourd’hui même mon cher et amusant TRAVAIL et VOGUER en

plein VINGTIEME SIECLE1 au risque de me noyer en pleine poésie. Je m’aperçois que tu as

oublié de reprendre les deux feuilletons de ton Charles qui peut-être attend après et qui m’en

veut de ma prétendue négligence, tandis qu’au contraire, je le lis avidement et toujours avec

un croissant intérêt et un bien vif plaisir. Toi, je t’adore.

BnF, Mss, NAF 16380, f. 120

Transcription de Mélanie Leclère assistée de Florence Naugrette

1) « Vingtième siècle », dernière partie de la Première Série de la Légende des siècles, se compose de « Pleine

mer » et « Plein ciel ». Elle fut commencée en juin 1858, et achevée terminé le 9 avril 1859.

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[Copie]

[Poésie]

[Légende des siècles]

Guernesey, 281 juin 1859, mardi matin 8 h.

Bonjour, mon cher bien-aimé ; bonjour, ma joie bénie. Bonjour, mon amour rayonnant.

Comment as-tu passé la nuit ? Bien, n’est-ce pas ? Moi aussi. Je viens de finir la copie de

L’Infante2 qui contient 248 vers. Tu pourras l’envoyer aujourd’hui si tu veux. Tu pourras

surtout me donner autre chose à copier. Plus il y en aura, plus je serai contente. Non pas que

je chôme positivement de copire, mais plus il y en a, plus je suis heureuse. Je commencerai

peut-être, je l’espère, aujourd’hui à copier mes chers petits livres. En attendant, je [illis.] dans

mon taudis sans pouvoir venir à bout de ce que je veux. À propos, que dis-tu du temps ? S’il

est comme cela demain, le dîner sur l’herbe sera fort triste, même chez Mme

Ménage3 je ne le

flaire pas très GEAI4. Quant à moi, pourvu que tu sois auprès de moi je me fiche de tout. Aussi

je ne m’inquiète pas autrement de notre fameux pique-nique et je compte être heureuse à

quelque sauce que ce soit. De ton côté, mon bien-aimé, tu tâcheras de bien t’amuser et de me

faire un petit signe d’amour de temps en temps, n’est-ce pas ? Je te promets d’y répondre des

yeux, des lèvres, du cœur et de l’âme.

BnF, Mss, NAF 16380, f. 151

Transcription de Mélanie Leclère assistée de Florence Naugrette

1) Juliette Drouet à écrit « 24 », corrigé d’une autre main.

2) « La Rose de l’Infante» : poème de la Première Série de la Légende des siècles, dont le manuscrit est daté du

23 mai 1859.

3) Voisine, veuve d’un marin disparu en mer.

4) « Geai » est une manière de parler qui leur est propre, pour « gai ».

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[Copie]

[Poésie]

[Légende des siècles]

Guernesey, 29 juillet 1859, vendredi 8 h. du m.

Bonjour, mon cher petit homme, bonjour, mon pauvre divin piocheur, bonjour. Quand

donc pourras-tu te reposer et prendre un peu de doux et de vrai loisir en ce monde ? Je crois

que cela ne sera jamais en ton pouvoir et encore moins dans ton goût. En attendant je

m’effraye de te voir chaque jour aux prises avec ces travaux opiniâtres et surhumains. Je

crains que tes forces physiques ne suffisent pas toujours à ton inspiration sans borne et que ta

santé ne finisse par s’altérer gravement. Cher adoré, mon bonheur, ma joie, ma vie, tâche de

te ménager un peu et de te reposer, le temps au moins de guérir ton mal de tête et de reprendre

des forces. Heureusement, tes femmes arrivent demain, elles feront une heureuse diversion à

tes fatigues. Quant à moi, je commence aujourd’hui la copie de ta Vision1. Je viens de tailler

toutes nos affreuses plumes à cette intention, nous verrons si j’en écrirai mieux pour cela.

Comment as-tu passé la nuit, mon cher petit homme ? Comment vas-tu ce matin ? Tu me le

diras bientôt, je l’espère, avec un sourire et dans un baiser. Jusque là, je t’adore.

BnF, Mss, NAF 16380, f. 170

Transcription de Mélanie Leclère assistée de Florence Naugrette

1) Le poème « La Vision d’où est sorti ce livre », dont le manuscrit date du 26 avril 1859, sera finalement inséré

dans la Nouvelle Série de La Légende des siècles. L’expression « ton rêve » dans la lettre suivante semble le

confirmer si l’on se réfère au premier vers de ce poème.

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[Copie]

[Poésie]

[Légende des siècles]

Guernesey, 13 août 1859, samedi matin 8 h.

Bonjour, mon cher bien-aimé, bonjour, je t’aime. Je devrais m’arrêter sur ce mot, le

reste n’étant plus ou moins que des remplissages de caresses et de tendresse, pour achever de

copier ta préface1 et me mettre séance tenante à emboucher la formidable Trompette du

Jugement2. Mais ma restitus une fois lâchée, il n’y a plus moyen de la retenir, c’est pourquoi

tu l’auras ce matin depuis la première jusqu’à la dernière patte de mouche. Sans compter que

je me suis levée plus tard que d’habitude sans savoir pourquoi. Mais nonobstant tous ces

embarras de charrettes et de traversin, tu auras tes trois copies faites pour la poste de demain.

Sans compter que j’entrevois d’ici au vingt-cinq quelques bons petits [illis.] et pas mal de

CAVERNES qui ne me font pas trop peur. En attendant je regrette notre clair de lune d’hier tant

je suis gouliaffe de plaisir et goulute de bonheur. Cher adoré, je te souris.

BnF, Mss, NAF 16380, f. 183

Transcription de Mélanie Leclère assistée de Florence Naugrette

1) Le manuscrit de la Préface de La Légende des siècles date du 12 août 1859.

2) « La Trompette du Jugement » : poème de la Première Série de La Légende des siècles, dont le manuscrit est

daté du 15 mai 1859.

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[Poésie]

[Légende des siècles]

Guernesey, 17 août 1859, mercredi matin 6 h. ½

Bonjour, mon cher bien-aimé, bonjour et que toute ma vie soit consacrée à te bénir et à

t’aimer comme je t’ai aimé et béni jusqu’à présent. Je te remercie de ta petite table qui a failli

me causer beaucoup de chagrin. Ce n’est pas moi, certes, qui dédaigne la moindre chose

venant de toi et je t’en donne la preuve tous les jours en recueillant religieusement et en

gardant comme des trésors le plus petit morceau de papier sur lequel tu as laissé un mot le

plus souvent illisible. Seulement, je disais en voyant ta table qu’elle ne me paraissait pas

suffisamment belle pour ma chambre en dehors du sentiment qui me la rend mille fois plus

précieuse que toutes les tables les plus splendides. Ce MISTER [K ?] une fois expliqué, je garde

ma table, non seulement avec amour à cause de son inscription1, mais avec le saint respect dû

à un joli bric-à-brac. Merci, mon cher bien-aimé, mais une autre fois ne soyez pas si prompt à

vous fâcher parce que vous courez risquer d’être injuste envers moi et de me faire beaucoup

de mal. En attendant je regrette la brusque séparation de ton Charles de notre petit intérieur.

J’avais compté le garder jusqu’à l’arrivée de ces dames mais Dieu et sa tante en avaient

décidé autrement ; que leur volonté soit faite, non sans bisque de ma part. Si tu as occasion de

le lui dire pour moi, je te serai obligée de le faire et de lui dire combien je l’aime… Quant à

toi, mon bien-aimé, je t’adore.

BnF, Mss, NAF 16380, f.

Transcription de Mélanie Leclère assistée de Florence Naugrette

1) Victor a offert à Juliette la table de son look-out avec cette inscription : « Je donne à Mme

J. D. cette table sur

laquelle j’ai écrit La Légende des siècles. V. H. Guernesey. 16 août 1859 ». (Carnets de Guernesey, Agendas,

CFL, tome X, p. 1488).

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[Copie]

Mont-Saint-Jean, 9 juillet 1861, mercredi matin 6 h. ½

Tu ne pars pas seul1, mon cher bien-aimé, car ma pensée, mon cœur, mon âme galopent

avec toi à qui mieux mieux pendant que je te gribouille tristement cette pauvre restitus

d’occasion. Sois heureux, mon cher adoré, mais tâche de me revenir ce soir si tu le peux sans

trop prendre sur ton bonheur et sur celui de ta famille2. Si tu ne le peux pas absolument, mon

pauvre trop aimé, je ne sais pas trop ce que je ferai de mon corps et de mon ennui. Mais ce

dont je suis sûre, c’est que je te bénirai et je t’aimerai absent autant que si tu étais auprès de

moi et que j’étais la plus heureuse des femmes.

J’espère que tu n’auras pas de pluie jusqu’à Bruxelles, et si Dieu exauce ma prière jusqu’à

ton retour. Quant à moi peu m’importe les variations du baromètre quand tu n’es pas là. Pour

ce que je fais du temps et de mon temps loin de toi cela ne vaut pas la peine de m’en

préoccuper : je parle au point de vue extérieur car je sais très bien, et je m’en fais une

consolation et une joie, à quoi je passerai ma journée en t’attendant. Dès que j’aurai fini ma

chère petite restitus, et que j’aurai envoyé mon linge à la blanchisseuse par Suzanne3, je me

mettrai à ma chère petite COPIRE d’arrache-plume. On dirait que je ne suis pas déjà si à

plaindre, n’est-ce pas ? Et que cela peut compter pour un bonheur de vrai et un vrai bonheur ?

On aurait raison et je ne suis pas la dernière à le dire. Mais, quoi ? Rien ne prévaut sur vous

en chair et en os. C’est que pour être parfaitement heureuse et ne plus rien désirer en ce

monde j’ai besoin de sentir la chaleur de ton sang, de regarder dans tes yeux, de m’épanouir

dans ton sourire, d’entendre ta voix et de me sentir vivre de ta vie et dans ta vie. Dès que tu

n’es plus là tout se refroidit, s’éteint, devient morne et s’efface en moi, hors ta pensée et le

désir ardent de te revoir. C’est pourquoi, mon adoré, je finis comme j’ai commencé en te

recommandant d’être heureux là-bas et de me rapporter le plus tôt possible mon bonheur ici.

Je t’attends, je t’aime, je t’adore.

BnF, Mss, NAF 16382, f. 86-87

Transcription de Florence Naugrette

1) Victor Hugo est passé par Bruxelles voir sa famille, et fait une excursion à Malines.

2) Victor Hugo revient à Mont-Saint-Jean le lendemain.

3) Suzanne Blanchard, servante de Juliette Drouet depuis 1839.

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[Copie]

[Roman]

[Les Misérables]

Guernesey, 7 septembre 1861, samedi matin 8 h.

Bonjour, mon cher petit homme, bonjour et amour. Comment vas-tu ce matin ? Ta fenêtre

n’est pas encore ouverte, ce qui veut peut-être dire, et je l’espère de tout mon cœur, que tu

dors comme un bon petit loir. En attendant que tu te réveilles et que tu viennes baigner tes

yeux, je viens de tirer du fond de ma malle tous tes chers grands portraits afin de ne pas faire

languir ton cher petit Toto et qu’ils puissent donner tout de suite l’immense joie d’avoir sous

les yeux les deux splendides portraits de son père et de sa mère. J’ai tiré en même temps la

copie des Misérables que j’ai mise tout de suite dans mon grand meuble pour l’avoir plus près

de moi en cas d’événement. Quand tu voudras ton biscaïen1 et tous les autres bibelots

2 tu n’as

qu’à parler, ils sont tous prêts. Moi je voudrais être sûre que tu as passé une bonne nuit et que

tu m’aimes de fond en comble et je serais la plus heureuse des femmes ce matin. Dans le

doute je t’aime de toute mon âme.

Juliette.

BnF, Mss, NAF 16382, f. 89

Transcription de Florence Naugrette

1) Biscaïen : petit boulet. Hugo l’a rapporté de Waterloo. Il note dans un carnet, le 7 mai 1861 : « À une heure

nous sommes allés visiter le champ de bataille par la route de Nivelles. Vu Hougomont. Acheté un morceau

d’arbre du verger où s’est incrusté un biscayen : 2 fr. » (CFL, t. XII, p. 1533).

2) Hugo a acheté durant son voyage en Belgique divers bibelots, expédiés à François-Victor, ainsi prévenu :

« Sache que la fée Bric-à-Brac m’a fait les yeux doux et que le dieu Bibelot m’a pris en amitié ; j’ai écrémé en

Belgique un certain nombre d’objets étranges » (Lettre de Victor Hugo à François-Victor Hugo du 22 avril 1861,

CFL, t. XII, p. 1115). Parmi ces bibelots, un « paravent de porcelaine de Chine acheté 400 francs rue Royale »

(Carnet, 18 avril 1861, CFL, t. XII, p. 1115, note 7).

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[Copie]

Guernesey, 9 septembre 1861, lundi matin 8 h.

Bonjour, mon cher bien-aimé, bonjour et sourire, joie et bonheur, si tu as passé une bonne

nuit et si ton rhume a disparu tout à fait. Dans le doute je garde toutes mes effusions jusqu’au

moment où je serai bien sûre qu’elles sont à propos.

Maintenant que nous voilà revenus et quasi installés dans nos compartiments respectifs,

peut-être ferais-tu bien de me donner ma chère COPIRE à continuer afin d’être prête le jour

venu. Il me semble que cela ne te dérangera en rien de tes autres occupations. Mais s’il en

était autrement j’attendrais que tu aies le temps d’y songer, car avant tout, mon cher petit

homme, je ne veux pas t’importuner le moins possible. C’est si vrai que je préfère manquer à

la politesse et aux bons procédés envers Mme Charassin1 plutôt que de te demander dix

minutes d’ennui et de fatigue. À défaut d’autre bonheur, c’est bien le moins que je te laisse

tranquille. C’est encore ce sentiment qui me fait ne pas te parler des petits vésicatoires2 que je

mets pour mes yeux le soir. Quand tu liras ceci la chose sera faite et il n’en sera plus question

et je n’en verrai pas plus clair car rien ne remédie aux années ni ne répare l’irréparable

destruction, pour ne pas dire [outrage ?] du temps. Je l’essaie pour donner satisfaction à ce

brave Corbin3 qui paraît s’y intéresser. Du reste mon bien-aimé, je n’ai pas besoin d’y voir

pour t’aimer des yeux de [illis.].

BnF, Mss, NAF 16382, f. 91

Transcription de Florence Naugrette

1) Femme de Frédéric Charassin (1803-1876), « avocat, grammairien (Dictionnaire des racines et dérivés de la

langue française, 1842), directeur du Défenseur du peuple, […] élu à la Législative en remplacement d’un des

représentants compromis au 13 juin 1849. […] Exilé par le décret du janvier 1852, il se réfugie en Belgique puis

en Angleterre. » (note de Guy Rosa, édition d’Histoire d’un crime, La Fabrique, 2009, p. 364). Dans Histoire

d’un crime, Hugo dit avoir revu Mme Charassin dans l’exil (ibid.).

2) Agenda de Hugo, 12 décembre 1861 : « JJ s’est mis un vésicatoire derrière l’oreille pour ses yeux. » (CFL, t.

XII, p. 1367).

3) Successeur du Dr Terrier auprès de Victor Hugo et Juliette Drouet, à partir de 1860. Dévoué et aimable, il

trouvait Juliette Drouet plus attachante que Mme Hugo, et témoigna, dans ses confidences à Louis Aguettant, de

sa sympathie plus marquée pour François-Victor que pour Charles. Au printemps 1861, c’est sur sa

recommandation que Hugo part en voyage.

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[Roman]

[Les Misérables]

[Copie]

Guernesey, 2 octobre 1861, mercredi 8 h. ½ du matin

Bonjour, mon adoré bien-aimé, bonjour, mon divin bien aimé, bonjour, je [illis.], que Dieu

te bénisse dans tout ce que tu aimes.

Je viens de lire et de copier la première page de la sublime intercalation de lumière que tu

mets dans tes Misérables1. À propos d’aveugle il y a de quoi faire désirer la cécité, pour qui a

une fille, une sœur, une femme dévouée heureuse de se consacrer à SON infirmité. Mais pour

qui n’a pas ces yeux de rechange, qui est seul au monde et qui sent qu’il ne peut être qu’un

fardeau, une gêne et un ennui, être aveugle c’est être mort sans avoir la paix du tombeau.

Quant à moi, mon pauvre adoré, qui ne consent à vivre que pour t’aimer et te servir je

demande à Dieu de me retirer de ce monde le jour où je ne pourrai plus être bonne à rien. En

attendant j’y vois encore assez, Dieu merci, pour être éblouie de ce que je viens de lire et pour

me trouver bien heureuse de faire courir mes pattes de mouche derrière ta pensée ailée.

L’épreuve m’est bonne et je n’ai jamais senti mes yeux plus sains et plus VOYANTS. Aussi,

mon adoré, ce n’est pas une page qu’il faut me donner à copier, c’est tout ce que tu pourras

me donner. Plus il y en aura, plus j’en ferai, et plus j’y verrai et plus je serai heureuse.

BnF, Mss, NAF 16382, f. 113.

Transcription de Florence Naugrette

1) Juliette Drouet vient de découvrir dans le chapitre I, V, 4 des Misérables le développement de Hugo sur la

cécité de Mgr Myriel à la fin de ses jours, « content d’être aveugle, sa sœur étant près de lui » (Les Misérables,

édition d’Annette et Guy Rosa, Laffont, « Bouquins », 1985, vol. « Roman II », p. 133). Je remercie Guy Rosa

de m’avoir aidée à identifier cette allusion.

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[Éditeur]

[Les Misérables]

Guernesey, 4 octobre 1861, vendredi matin 7 h.

Bonjour, mon bien-aimé, bonjour. Que le bonheur et la santé soient avec toi.

J’espère que tu as dû être content de ma réception de cette madame1 hier au soir ? J’avoue

que j’y ai quelque mérite car mon instinct secret est de la fuir. Enfin j’obéis à ton désir en la

recevant dans mon intimité tout en reconnaissant que c’est une imprudence dont les suites me

seront probablement très funestes. Mais que faire devant ton désir et tes protestations les plus

sacrées de ne pas me tromper et de m’avertir, hélas ! quand il ne sera plus temps, le jour où

cette dame t’entrera plus avant dans le cœur ? Jusque là il faut que je me contraigne et que je

garde ma méfiance et mes souffrances pour moi. J’ai déjà bien commencé hier. J’espère que

je continuerai avec le même courage et la même résignation. Mais c’est assez parlé de cela,

c’est trop même, beaucoup trop même car si cette dame t’est indifférente, cela n’a pas de

raison, et si elle ne l’est pas, cela t’oblige à une indigne trompe[rie]. De toute façon tout ce

que je te dis là est inutile. Je me confie donc puisqu’il le faut et que tu le veux absolument.

Voilà donc ton aspirant éditeur venu2, mon cher bien aimé. Il ne paie pas de mine, peut être

n’en a-t-il que plus de fond. Espérons-le, surtout si tu dois traiter avec lui. Quant à moi,

j’espère avec l’ardeur d’une femme qui a l’impatience de connaître avant tout le monde cet

admirable livre dont chaque lettre semble faite d’une étoile et je t’adore dans ton œuvre et

dans mon amour.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16382, f. 115.

Transcription de Florence Naugrette

1) Juliette Drouet est à cette époque jalouse de Mme Engelson. femme de Vladimir Engelson (1821-1857),

révolutionnaire et pamphlétaire russe, exilé en 1850, ami d’Alexandre Herzen et de Pierre Leroux, qui assista à

ses obsèques à Jersey. Veuve (le 17 décembre 1857), elle a des communications spirites avec l'esprit de son

mari. Intelligente, philosophe, elle lit et parle l'allemand. En 1858, elle contribue financièrement au lancement de

la revue de Pierre Leroux L’Espérance, où doivent paraître les œuvres de son mari décédé. Ce dernier prend sa

contribution pour un don (voir J.-M. Hovasse, t. II, n. 14 p. 1137-1138).

2) Lacroix est arrivé la veille à Guernesey. Le 4 octobre, Hugo signe avec lui un contrat pour Les Misérables :

300000 francs pour douze ans d’exploitation, droits de traduction compris.

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[Copie]

[Les Misérables]

Guernesey, 3 novembre 1861, dimanche 8 h. ½ du matin

Bonjour, mon cher adoré, bonjour. Je n’ai pas voulu te dire ce petit bonjour avant d’avoir

entièrement fini la collation de ton manuscrit. Aujourd’hui, mon adoré, sauf les changements

que tu voudrais faire sur l’original, tu peux donner la copie à l’imprimeur ; je crois être sûre

de n’avoir rien omis dans cette revue des intercalations et des corrections. Cependant, pour

plus de certitude, si tu veux nous en ferons une rapide et dernière collation avec Madame

Chenay lorsqu’elle sera arrivée ici. En attendant voilà tout fini. C’est à toi maintenant à ne pas

me laisser chômer de copie. Tu vois que je ne suis jamais plus heureuse ni mieux portante que

lorsque je travaille pour toi. C’est que c’est une manière pour moi de t’aimer au plus vif et au

plus près que de côtoyer ta pensée. Pendant ton absence vous étiez levé de bien bonne heure.

Aujourd’hui mon cher petit homme est-ce en l’honneur de l’anniversaire de notre retour dans

l’île il y a deux mois ou serait-ce, hélas ! parce que tu n’as pas bien dormi ? Tu me diras cela

tantôt. Jusque là je t’adore de toute mon âme.

BnF, Mss, NAF 16382, f. 142

Transcription de Florence Naugrette

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[Copie]

[Les Misérables]

Guernesey, 4 novembre 1861, lundi 7 h. ½ du matin

Bonjour, mon cher bien-aimé, bonjour. Puisses-tu avoir passé une meilleure nuit que la

mienne. Je ne sais pas pourquoi, ni comment, j’ai eu le plus furieux accès de pyrhosis1 que

j’aie jamais ressenti même dans mes plus mauvais moments. Pourtant je n’avais rien mangé

qui pût me faire mal ; je m’étais abstenue de salade et même de salsifis auxquels je n’ai pas

goûté. Enfin rien de rien en apparence ne pouvait amener le résultat en question, si ce n’est

peut-être le vin que j’ai bu par-dessus ma bière. Quoi qu’il en soit, j’ai passé une très

mauvaise nuit dont je me ressens encore ce matin mais j’espère que tout cela sera passé avant

même que je te revoie tantôt. En attendant, je vais mettre ensemble ton manuscrit et ma copie

et faire des espèces de signets en papier pour t’indiquer les endroits à revoir plus

spécialement. Après cela, mon adoré, c’est à toi à ne pas me laisser manquer de copie. Si ce

n’est pas pour ton utilité, que ce soit pour mon bonheur personnel. Je t’aime.

BnF, Mss, NAF 16382, f. 143

Transcription de Florence Naugrette

1) Trouble gastrique provoquant une douleur remontant de l’estomac à la gorge.

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[Les Misérables]

[Copie]

Guernesey, 17 décembre 1861, mardi matin 8 h. ½

Bonjour, mon pauvre bien-aimé, bonjour. Puisse cette journée être pour toi du nombre

des plus heureuses, c’est ce que mon cœur te souhaite en toute sincérité et avec toute la

générosité et toute l’abnégation dont je suis capable, ce qui ne modifie en rien mon caractère

malheureusement.

J’espère que tu as passé une bonne nuit malgré la surexcitation de ton esprit. Tu es sans

doute déjà descendu depuis longtemps à ton travail, car je ne vois aucun mouvement dans ta

chambre fermée. Du reste, le jour, déjà bien terne à ciel ouvert, doit être bien gris dans ta salle

à manger et doit beaucoup fatiguer tes pauvres yeux. Il est bien regrettable que tu n’aies pas

pu finir tout à fait Les Misérables cet été pendant que tu étais si bien en train et si bien situé

pour cela. Le livre n’en souffrira et ne peux pas en souffrir d’aucune manière pour cela, je le

sais bien, mais il n’en est pas de même pour toi, mon pauvre bien-aimé, et c’est à ce point de

vue que je déplore ce retard si fâcheux. Pour ce qui est de nous je ne crois pas que tu attendes

jamais après car je serai toujours prête pour la collation et tes deux autres copistes n’y vont

pas de main morte à ce qu’il paraît. Aussi suis-je bien tranquille de ce côté-là. Il ne me reste

qu’un souci, mais suffisant pour tenir ma sollicitude en éveil ; c’est toi, mon cher adoré, je

voudrais te savoir tout à fait hors de ce labeur surhumain et te voir te reposer un peu avant

d’en recommencer un autre. En attendant que ce moment arrive, je te souhaite toutes sortes de

bonnes nouvelles aujourd’hui et je me souhaite à moi toute la résignation dont j’aurai sans

doute grand besoin si tu as le bonheur d’avoir ta fille aujourd’hui1.

BnF, Mss, NAF 16382, f. 143

Transcription de Florence Naugrette

1) La femme et la fille de Victor Hugo sont de retour à Hauteville-House. Adèle vient demander à son père de la

laisser épouser le lieutenant Pinson.

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[Théâtre]

[Ruy Blas]

Paris, 2 janvier [1872], mardi soir 6 h.

Victoire, mon grand bien-aimé ! Émotion profonde et enthousiaste de tout ton

auditoire1. Jamais tu n’as mieux lu. Ta voix est restée merveilleusement belle et forte, ton

geste superbe et puissant comme autrefois. Ruy Blas depuis le premier mot jusqu’au dernier

est le chef-d’œuvre des chefs-d’œuvre. Je suis sortie de là éblouie, ravie, t’aimant, t’admirant

et t’adorant comme le premier jour où je t’ai entendu. C’était autour de moi, tout à l’heure

chez toi, à qui était le plus transporté et le plus ému de l’auteur et de la pièce. Je suis honteuse

de te le dire si mal, mais je cède au besoin de mon cœur tout plein de ton génie et de mon

amour. Te voilà, mon adoré, je me hâte de baiser tes ailes et tes pieds.

Bnf, Mss., NAF 16393, f. 2

Transcription de Guy Rosa

1) Il s’agit de la lecture de Ruy Blas aux interprètes de l’Odéon faite ce 2 janvier 1872.

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[Théâtre]

[Ruy Blas]

[Presse]

Paris, 3 janvier [1872], mercredi matin 9 h.

J’espère, mon cher adoré, que tu as bien dormi et que tu ne ressens pas de fatigue de ta

lecture1. Je l’espère parce que tu ne paraissais pas en souffrir et que ta voix n’a pas fléchi une

minute pendant les trois heures qu’elle a duré. Quant aux autres sujets d’inquiétude, je les

laisse de côté pour ne pas ressembler aux anguilles de Melun qui crient avant leur élection2.

Dieu sait ce qu’il fait, même quand cela nous paraît contre notre bonheur. Aussi je me

résigne, ne pouvant faire autrement, à ce qui va se passer dimanche, mais je serai bien

contente si ce que je crains ne soit pas. En attendant, je me rabats sur le bonheur de Petit

Georges et de Petite Jeanne qui s’épanouit dans un Eden de joujoux dont les archanges

chantent les louanges du bon Dieu avec la [pratique ?] de Polichinelle dans le ventre3. Cette

[sacrée ?] musique a plus de charme pour moi que les bêlements des ruraux, même quand ils

sont solfiés au Moniteur4. À propos de bêtes, il fait un temps de chien ce matin. J’aurais

pourtant bien besoin de remplacer au plus tôt ma paire de lunettes car mon pince-nez me gêne

quand je le garde longtemps. Dès qu’il fera un peu moins laid, je te prierai de me faire sortir si

tu en as le temps. Et puis je t’adore, voilà mon contractuel.

BnF, Mss, NAF 16393, f. 3.

Transcription de Guy Rosa

1) Hugo a lu Ruy Blas la veille aux interprètes de l’Odéon.

2) Ressembler aux anguilles de Melun est une expression proverbiale pour crier avant de sentir le mal, dont

l’étiologie nous échappe. Et Juliette broche là-dessus un mot d’esprit : élection pour exécution.

3) On ne comprend pas ; mais la lecture n’est (presque) pas douteuse.

4) Il s’agit, évidemment, des comptes rendus, dans le Moniteur, des interventions des orateurs de la droite à la

chambre des députés.

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[Correspondance]

Paris, 4 janvier [1872], jeudi soir 6 h.

Encore en retard, mon cher bien-aimé, et pourtant Dieu sait si je t’aime et si je perds une

minute dans la journée. C’est à ce point que je ne prends pas même le temps de lire un journal

pour tâcher de nouer les deux bouts du matin et de soir. Je viens d’avoir tout à l’heure la visite

de M. Vacquerie. Il croit ton élection invinciblement assurée et il en est heureux autant qu’on

peut l’être de te voir rentrer dans cette mare aux serpents, comme tu appelles si justement

cette collection de reptiles malfaisants. Je voulais le retenir à dîner mais il était attendu chez

lui. Ce sera, a-t-il dit, pour une autre fois si tu [l’agrées ?]. J’ai reçu une lettre par-dessus les

moulins de mon chétif et très minuscule mérite de madame [illis.], laquelle se passionne à

froid malgré qu’elle ne me connaît pas. Cette amitié si peu motivée n’est je le vois qu’un

prétexte pour satisfaire un besoin d’épistolérer de belles lettres. Cela me serait absolument

égal si elle n’avait pas la prétention de me forcer à lui répondre. Voici qu’on sonne. Je ne

reconnais ni ta voix ni ton pas. C’était M. Dulac1 qui apportait une bourriche de la part de

Louis Mie2, plus une lettre à toi adressée. Je te dirai plus au long toutes ces choses quand je te

verrai. En attendant je t’adore.

BnF, Mss, NAF 16393, f. 4.

Transcription de Guy Rosa

1) Fils d’un représentant à l’Assemblée législative, exilé à Jersey.

2) Avocat républicain (1831-1877), ami de Victor Hugo.

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[Correspondance]

Paris, 5 janvier [1872], vendredi matin 9 h. ½

Cher bien-aimé, je viens de donner le pas sur mon restitus aux trois lettres que tu

[devais ?] à cause de la poste et de la nécessité de faire parvenir tes invitations à temps pour

demain. Maintenant que c’est fait, je reviens à mon cher mouton amour. J’espère que tu as,

comme moi, passé une bonne nuit malgré la tempête furibonde qui n’a pas cessé de rugir et de

vociférer ; on eut dit l’antre des ruraux de Paris après ton élection. À ce propos, nous n’avons

plus guère de temps à attendre pour savoir la mesure de [deux mots illis.]. Lundi nous saurons

à quoi nous en tenir. Jusque là je m’abstiens, ne sachant à quel vote entendre et ce qu’il faut

choisir dans l’intérêt de ton repos et de notre bonheur. J’accepte d’avance avec résignation ton

élection si elle a lieu comme je le crains et avec joie ta non élection si elle est possible. Autre

chose, Suzanne1 n’a que trois cents francs en réserve. Je te le dis pour que tu ne comptes que

là-dessus le cas échéant. Comment va le pauvre petit nez de Petite Jeanne ? J’espère que cela

ne laissera pas de trace. Je te charge de l’embrasser.

BnF, Mss, NAF 16393, f. 5.

Transcription de Guy Rosa

1) Suzanne Blanchard, servante de Juliette Drouet depuis 1839.

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[Théâtre]

[Ruy Blas]

Paris, 8 janvier [1872], lundi matin 9 h.

Cher grand bien-aimé, loin de t’adresser des condoléances sur ton élection1, je t’envoie

au contraire toutes mes tendres félicitations d’avoir échappé à cette lourde tâche qui ne

t’aurait laissé ni un moment de repos ni un moment de répit tout le temps que le personnel de

cette monstrueuse assemblée serait resté le même. Tout l’honneur de cette candidature par toi

acceptée si généreusement te reste et te grandit encore, si tu pouvais être grandi. Quant au

triomphe jaune de Vautrain, je doute qu’il en soit bien fier. En somme, le plus attrapé des

deux partis qui ont jouté hier n’est pas celui qu’on pense ; et, quant à toi, en particulier, tu as

joué à qui perd gagne. Car tu es plus que jamais le glorieux et le tout puissant Victor Hugo,

quel que soit le chiffre qu’on mette devant ou derrière ton nom étoilé. C’est aujourd’hui, je

crois, que tu achèves la lecture de Ruy Blas à l’Odéon ? Je n’aurais pas mieux demandé que

de te conduire jusqu’au théâtre tantôt mais le temps est trop pourri pour que je me risque à

cette longue course aujourd’hui. Je suis très contente que tu aies dissipé le nuage [illis.2] car je

persiste plus que jamais à croire à la sincérité de son admiration et de son amitié pour toi.

D’ailleurs il te sera plus facile de rallier autour de toi une gauche plus accessible à ta politique

de dévouement, d’abnégation et de courage dehors que dedans. Et puis tant pis si je dis des

bêtises, c’est pas ma faute, mais c’est ma faute, ma grande faute, ma très grande faute si je

t’adore.

BnF, Mss, NAF 16393, f. 7

Transcription de Guy Rosa

1) Le 7 janvier 1872, Hugo est battu par 95 900 voix contre 122 435 voix à Vautrain, président du Conseil

général.

2) Nom propre se terminant apparemment par « prat ».

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[Théâtre]

[Ruy Blas]

Paris, 9 janvier [1872], mardi soir 6 h. ½

Cher adoré, je ne sais pas si j’aurai le temps de finir mon gribouillis mais je tiens à ce

que tu saches que je t’aime en dépit de mes tracasseries de ménage et malgré une horrible

migraine que j’ai encore. Plus je suis empêchée matériellement, plus je sens le besoin de te

donner mon cœur sous sa forme la plus concrète dans ce mot : je t’aime. Madame Lefèvre

mère1 sort de chez moi ; elle m’a chargée de te dire ses profondes et toujours croissantes

admiration et vénération pour toi. Je crois que tu lui ferais bien plaisir en allant la voir en

sortant d’une répétition de Ruy Blas. Moi-même je devrais y aller le plus tôt possible car je lui

dois plus qu’une visite à bien les compter. Si tu veux, nous prendrons jour et heure pour cela

et nous acquitterons en une fois tout notre arriéré mondain. En attendant, je t’adore sans

politesse.

Bnf, Mss, NAF 16393, f. 8

Transcription de Guy Rosa

1) Mère du neveu d’Auguste Vacquerie.

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[Théâtre]

Paris, 10 janvier [1872], mercredi soir 6 h.

Journée laborieuse aujourd’hui, mon cher bien aimé, et encore plus dispendieuse. J’ai

cru que je ne finirais jamais de donner de l’argent. D’abord pour madame Charles 500 F, pour

ton fils qui me demandait 1750 F mais à qui je n’ai donné que 1000

F parce que tu ne m’avais

pas dit, ou du moins je n’ai pas compris que tu voulais lui donner cette somme tout à la fois.

Demain, si tu le juges à propos, je lui remettrai les 750 F restant. Quant au bois et au charbon,

ils ont augmenté comme tu le verras dans la note explicative qui accompagne vos trois

factures. J’ai donc eu à payer 256 F 10 au lieu de 244

F 16 c’est à dire 18 en plus sur le total

des trois factures. L’huile à brûler aussi a augmenté. Enfin l’argent coule comme de l’eau

entre mes mains malgré tous mes efforts pour le retenir. Je t’en donne avis et c’est tout ce que

je peux faire, hélas ! J’ai vu Madame Ernest Lefèvre1 ce soir. Elle m’a priée de te dire toutes

sortes de belles choses que tu devines sans que je les énumère. Elle m’a annoncé la visite

prochaine de Vacquerie qui voudrait te parler pour des affaires de théâtre, probablement. Je

sais par Mariette2 que tu n’es pas allé à la répétition aujourd’hui, ce qui ne te fait pas venir

plus tôt auprès de moi qui t’aime.

BnF, Mss NAF 16393, f. 9.

Transcription de Guy Rosa

1) Ernest Lefèvre est le neveu d’Auguste Vacquerie.

2) Mariette Leclanche, servante entrée au service de Victor Hugo le 15 février 1868.

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[Théâtre]

[Ruy Blas]

Paris, 11 janvier [1872], jeudi matin 8 h. ½

J’espère, mon bien-adoré, que tu dors encore. C’est ce que tu as de mieux à faire par cet

horrible temps de pluie et de boue. Je pense avec ennui que tu seras forcé d’aller tantôt à ta

répétition au risque de t’enrhumer. Vraiment, c’est n’avoir pas de chance de demeurer si loin

du théâtre où on est forcé d’aller quel que soit le temps. Heureusement que tu n’es pas

condamné à l’Odéon à perpétuité. J’avais espéré que tu me ferais profiter de temps en temps

de ta promenade forcée en t’accompagnant jusqu’à la porte. Mais jusqu’à présent il n’y a pas

eu moyen de tenter même de te le demander tant il fait laid dehors.

La première fois que ce sera possible, je t’en ferai la sommation ; ce sera pour moi

l’occasion de faire enfin ma visite aux dames Lefèvre1. En attendant, je reste enfermée dans

mon coin et dans mes comptes. À ce propos je t’enverrai tantôt celui de tous les bois et de

tous les charbons avec mon bonjour le plus tendre : je t’aime.

BnF, Mss, NAF 16393, f. 10.

Transcription de Guy Rosa

1) Famille d’Auguste Vacquerie.

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[Théâtre]

[Ruy Blas]

Paris, 12 janvier [1872], vendredi soir 2 h.

Heureusement, mon cher bien-aimé, tu as eu l’esprit de passer une bonne nuit pendant

que j’avais la stupidité de la passer mauvaise.

Cette compensation me suffit de reste pour n’avoir pas le droit de me plaindre. Je n’en

demande même jamais d’autre, à savoir que tout ce qui est mal pour moi soit le bien pour toi.

À cette condition, vive l’amour et son auguste famille bonheur et joie ! C’est le moment où tu

vas à la répétition ? Peut-être es-tu déjà parti ? Je te recommande de bien sécher tes pieds en

arrivant au théâtre, de m’être très fidèle et de m’aimer. Autrement, ma tante pas contente vous

fichera des bons coups. Je te prie, mon adoré, d’écrire séance tenante, après avoir lu ce

gribouillis, à ce pauvre Louis Mie1. Tu es déjà, vu la triste circonstance de la mort de sa

femme, très en retard vis-à-vis de lui. Tu sais que je t’adore, ne l’oublie jamais.

BnF, Mss, NAF 16393, f. 11

Transcription de Guy Rosa

1) Avocat républicain (1831-1877), ami de Victor Hugo.

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[Correspondance]

[Éditeur]

[Théâtre]

[Ruy Blas]

Paris, 15 janvier [1872], lundi soir 4 h.

Sois tranquille, mon cher adoré, toutes tes commissions ont été faites en temps et lieu.

Ta lettre P. Saint-Victor1 mise à la poste ; les mille francs de Hachette encaissés. Quant à mon

rhume, il suit son cours à grands renforts de mouchoirs. Je pense que tu es à la répétition en ce

moment-ci même. Tu feras bien, puisque tu dois faire répéter à part Lafontaine2 demain soir

chez toi, de dire à Mariette3 de faire un bon feu dans ton cabinet à cette intention-là. Je te dis

cela de loin parce que je te vois très peu et presque jamais seul.

Je n’ai vraiment de semblant d’intimité avec toi que dans mes informes gribouillis.

Aussi je profite de l’occasion de celui-ci pour te renouveler tous mes tendres remerciements

pour l’ineffable bonté que tu as mise à nous lire deux de tes plus sublimes chefs-d’œuvre hier

soir. J’espère que tu n’en as pas ressenti de fatigue et que ta nuit a été complètement bonne.

En attendant que l’heure soit venue, j’envoie mon âme au-devant de la tienne avec mission de

la ramener à moi le plus vite possible.

Bnf, Mss, NAF 16393, f. 14.

Transcription de Guy Rosa

1) Critique et essayiste (1827-1881), proche des romantiques. Auteur, en collaboration avec Théophile Gautier et

Arsène Houssaye, de Les Dieux et les demi-dieux de la peinture (1864). Auteur de Hommes et dieux (1867) ; la

même année, il participe au Paris-Guide. Le 20 août 1870, Hugo note dans son Carnet : « Si je suis tué et si mes

deux fils sont tués, je prie Meurice, Vacquerie et Saint-Victor de publier mes oeuvres inédites, les unes

terminées, les autres inachevées ou ébauchées, et de faire ce que feraient mes fils. » À sa mort, Hugo note

« Coup violent. J'ai pleuré. » Aux obsèques, Hugo envoie un message, lu par Paul Dalloz (Actes et paroles IV).

2) Interprète de Ruy Blas, dont Hugo n’apprécie pas le jeu.

3) Mariette Leclanche, servante entrée au service de Victor Hugo le 15 février 1868.

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[Théâtre]

[Ruy Blas]

Paris, 19 janvier [1872], vendredi soir 4 h.

Est-ce que tu as eu le courage d’aller à ta maussade répétition malgré ce temps hideux,

mon pauvre adoré ? Alors je te plains doublement de ta double corvée. Pourvu encore que tu

ne t’enrhumes pas dans ces chiennes de conditions de pluie et de mauvais théâtre. Tâche de

revenir le plus vite possible auprès de mon feu. Je n’ose pas souhaiter ni petit Georges ni

petite Jeanne ce soir à cause du mauvais temps. Leur mère [m’]a fait dire qu’elle ne dînerait

pas ici ce soir, ce qui me fait craindre que ton fils ne dîne pas non plus. Il est donc plus que

probable que tu en seras réduit à mon tête-à-tête toute la soirée. Mais comme ce n’est pas ma

faute, loin de m’en attrister, je m’en réjouis. Décidément je n’y vois goutte ; il faut que je me

hâte de te dire pêle-mêle toutes les tendres rabâcheries accumulées dans mon cœur depuis ce

matin. J’espère que tu sauras les retrouver dans cet inextricable fouillis de pattes de mouche.

Je t’adore.

BnF, Mss, NAF 16393, f. 17

Transcription de Guy Rosa

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[Théâtre]

[Ruy Blas]

Paris, 20 janvier [1872], samedi soir 5 h.

Cher bien-aimé, ce n’est qu’à présent que le mal de tête commence à me lâcher un peu

et j’en profite tout de suite pour te donner signe de vie avant qu’il ne me rempoigne comme il

l’a déjà fait à plusieurs reprises depuis ce matin. Et toi, mon grand bien-aimé, comment vas-tu

et comme a été ta répétition aujourd’hui ? Je n’ai plus guère de temps à attendre maintenant

pour le savoir. Mais j’ai à cœur, d’ici là, de t’apprendre mon secret. Je t’aime. Tu ne le savais

pas, je te le révèle, attrapé !

Le bonhomme Robelin1 sort d’ici. Il voulait aller te voir, je lui ai dit que tu ne devais

pas être encore de retour de l’Odéon. Il doit venir dîner mardi. Il serait venu plus tôt

t’apporter son tribut de joyeuses condoléances de ta non élection2 s’il n’avait pas été forcé

d’aller suivre un mauvais procès à Nevers. Tout en causant, je lui ai dit que tu étais très

content du talent de sa protégée, ce qui a paru lui faire un grand plaisir. Je voudrais t’en

entendre dire autant de tous ceux qui répètent Ruy Blas dans ce moment-ci. En attendant, moi

je t’adore à fond de cœur.

BnF, Mss, NAF 16393, f. 18

Transcription de Guy Rosa

1) Charles Devieur, dit Robelin (1797-1887) : architecte, ami de Victor Hugo.

2) Le 7 janvier 1872, Hugo a été battu par 95 900 voix contre 122 435 voix à Vautrain, président du Conseil

général.

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[Théâtre]

[Ruy Blas]

Paris, 21 janvier [1872], dimanche matin 8 h.

Dors, mon grand bien-aimé, et ne te réveille que lorsque le soleil viendra tirer ta

couverture, c’est-à-dire bien tard car jusqu’à présent il n’a pas encore montré le bout de son

nez. C’est peut-être parce qu’il a peur de s’enrhumer par le froid de chien de ce matin ? Quant

à moi qui viens d’être vaccinée de ce côté-là, j’ai toutes mes fenêtres ouvertes, telle est ma

température. Avec tout cela je ne sais pas de nouvelles de ta répétition d’hier qui

m’intéressent pourtant bien autrement que les scènes de ménage de [Thiers ?] avec ses

maritornes de village. C’est bête, ch’est chale et cha prend de la place. J’aime mieux la soupe

de l’Auvergnat. J’espère que, Meurice aidant, le Mélingue1 répétera comme sur des roulettes

et que tous les autres emboîteront le pas avec lui. J’espère encore, et surtout, que la menaçante

cabale qu’on te signale avortera avant la première représentation de ton adorable et sublime

Ruy Blas, et que tes ennemis en seront encore pour cette fois-ci pour leur longue honte et pour

leur profonde infamie. C’est avec cette conviction que j’attends de cœur ferme le jour de la

première représentation que j’applaudis d’avance en t’adorant.

BnF, Mss, NAF 16393, f. 19

Transcription de Guy Rosa

1) Mélingue interprète don César.

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[Théâtre]

[Ruy Blas]

[Presse]

Paris, 25 janvier [1872], jeudi matin 8 h.

Mon cher bien-aimé, chaque jour amène pour toi de nouvelles complications dans ta vie

domestique, dans ta vie politique et dans ta vie littéraire, témoin le voyage inutile d’Emile

Allix1, la prolongation presque certaine de la suspension du Rappel et les chausses trapes de

l’Odéon sur les pas de Ruy Blas. Heureusement que ta force, loin d’être diminuée par tous ces

guet-apens de la destinée et des hommes, s’accroît dans la même proportion que ton malheur,

ton génie et ta gloire. C’est ce qui rassure tous ceux qui, comme moi, souffrent de ta

souffrance, t’admirent, t’aiment et te vénèrent. C’est aussi ce qui exaspère jusqu’à la rage et

jusqu’à la folie tes odieux et impuissants ennemis. Mais, quoi qu’ils disent et quoi qu’ils

fassent, Ruy Blas comme le Rappel sortirons2 de toutes ces embûches plus grands et plus

vivants que jamais. Cette prophétie facile à faire m’est soufflée par les cent mille voix qui ont

voté pour toi le 7 janvier, et les deux cent mille mains qui ne demandent qu’à applaudir ton

chef-d’œuvre seront plus fortes que toutes les cabales. Donc, mon cher adoré bien-aimé,

confiance ! confiance ! confiance ! comme disait en son bon temps le citoyen de Girardin3…

qui, depuis, mais alors… Et la pauvre Restitus oubliée, qu’est-ce qu’il faut que j’en fasse ?

J’ai bien envie de la ficher au feu pour lui apprendre. En attendant l’exécution de cette

promesse, je vous aime sans grâce ni pardon.

BnF, Mss NAF 16393 f. 22

Transcription de Guy Rosa

1) Frère du proscrit républicain Jules Allix, et de la cantatrice Augustine Allix, Emile Allix (1836-1911) est un

ami de Hugo, et son médecin à Jersey.

2) Volontaire ou non, la faute est amusante et instructive.

3) Emile de Girardin (1806-1881). Patron de presse, fondateur du journal La Presse en 1836, ami de Victor

Hugo.

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[Théâtre]

[Poésie]

Paris, 261 janvier [1872], vendredi soir 4 h.

J’espère, mon grand piocheur, que tu n’as pas eu l’idée de prendre la clef des champs, ni

celle des bois, ni même la clef des amourettes par ce temps de grenouilles et de Gribouilles !

À ce propos je te fais souvenir que ton parapluie est ici.

Tu as dû recevoir sous enveloppe les 300 F pour Charroin que Suzanne devait te

remettre en main propre ce matin. Je te fais ce petit rappel pour que tu n’oublies pas au milieu

de tous tes embarras de charrettes sans parler de tes nombreux chiens à fouetter.

Dites donc, MÔSIEUR LE POËTE, à quelle étonnante infirmière sont dédiés ces vers

galants2 que vous n’avez pas jugé à propos de me faire copier ? Ce petit scrupule de

conscience cache probablement une grosse infamie dont mon pauvre vieux cœur aura à

souffrir, hélas ! À preuve c’est que le sourire contraint que j’ai tâché d’ébaucher en

commençant cette question s’achève dans mes yeux pleins de larmes. J’ai tort d’avoir encore

de ces curiosités douloureuses mais j’ai encore plus tort de t’aimer en 1872 avec la même

passion ardente et jalouse que j’avais en 1833. Cet anachronisme est plus qu’une faute, c’est

un ridicule qu’il est juste que j’expie. Tant pis si je t’aime trop.

BnF, Mss, NAF 16393, f. 23.

Transcription de Guy Rosa

Lettre publiée par Evelyn Blewer, Juliette Drouet, Lettres à Victor Hugo, Fayard, 2001, p. 326.

1) Le manuscrit indique à tort « 27 janvier ». Le vendredi est le 26 janvier.

2) Evelyn Blewer identifie le poème « Si dans ce grand Paris, ô charmante infirmière… », dans la section Le Moi

de Toute la lyre.

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[Roman]

[Quatrevingt-treize]

Guernesey, 9 avril [1873], mercredi matin 7 h. ½

Bénie soit, mon cher bien-aimé, ta télégraphie joyeuse de ce matin, qui me fait croire à

ta bonne nuit et à l’heureux état de ton cœur en ce moment. Puisse-t-elle ne pas me tromper.

En attendant l’entière confirmation de cette douce espérance, je t’aime de toutes les forces de

mon âme.

Je crois que nous avons bien fait de remettre notre promenade en voiture à demain car il

fait sévèrement froid aujourd’hui. Pour ma part je suis tout à fait morfondue. J’ai beau me

couvrir, je ne parviens pas à me réchauffer. Toi, pendant ce temps là, tu te verses des torrents

d’eau glacée sur le corps et tu fouilles à même Quatrevingt-treize comme si de rien n’était !

La massue d’Hercule n’est qu’une allumette comparée à ta formidable plume ! Pour ma part

je suis confondue d’admiration devant la table de multiplication de tes chefs-d’œuvre !

J’attends, non sans impatience, celui auquel tu travailles maintenant et dans lequel tu as

enchâssé, comme dans un reliquaire, les deux merveilleux petits portraits de tes deux chers

petits anges. Quel bonheur et quel honneur pour moi le jour où tu voudras bien commettre

l’indiscrétion de m’en lire quelques pages pour moi toute seule ! Sera-ce bientôt ? Je prie,

j’attends, j’espère, je t’adore.

BnF, Mss, NAF 16394, f. 96

Transcription de Maggy Lecomte assistée de Florence Naugrette

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[Théâtre]

[Ruy Blas]

Guernesey, 23 avril [1873], mercredi matin 8 h.

Te voilà enfin, mon cher bien-aimé, rassuré sur l’issue de la maladie de ton pauvre petit

Victor1 dont la convalescence est maintenant en bonne voie. De plus tu sais que tes deux

chers petits-enfants se portent à merveille, qu’ils n’ont jamais été plus beaux et qu’ils t’aiment

de tout leur cher petit cœur. Comme Ruy Blas tu peux dire de Petite Jeanne : J’ai son cœur !

Donc tu marches vivant dans ton rêve étoilé2 ! et moi aussi par contre coup ; car de celle-là,

Petite Jeanne, je ne suis pas jalouse et ses innocents petits trépignements de pieds sur mon

cœur, loin de lui faire mal, le ravissent ; et mon vieil amour s’accommode trop bien du

voisinage de ce jeune et séraphique amour pour lui chercher noise. Il n’en est pas de même de

tous les autres ; et plutôt que de les subir, je préfère la mort.

À ce propos, je reviens à mon suprême refuge dans une sainte Perrine quelconque ; le

moment approche à grande vitesse pour prendre définitivement ce parti qui n’a été

qu’ajourné. Je sens le besoin de laisser reposer ma chrysalide humaine dans le repos et dans

l’obscurité jusqu’au jour très prochain de l’éclosion radieuse de mon âme pour l’éternité avec

toi.

BnF, Mss, NAF 16394, f. 112

Transcription de Maggy Lecomte assistée de Florence Naugrette

1) François-Victor Hugo mourra de la tuberculose le 26 décembre de la même année.

2) Ruy Blas, dans le monologue qui suit le duo d’amour avec la Reine (III, 4), dit : « Duc d’Olmedo, l’Espagne

à mes pieds, j’ai son cœur ! / Cet ange, qu’à genoux je contemple et je nomme, / D’un mot me transfigure et

me fait plus qu’un homme. / Donc je marche vivant dans mon rêve étoilé ! »