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Snežana Milošević Possible Worlds of Fiction and History L. Doležel, University of Toronto Dans l’article que nous allons traiter dans ce dossier, à savoir Les mondes possibles de la fiction et de l’histoire (1998) de L. Doležel, nous trouvons un sujet lié à l’interdisciplinarité. C’est le système conceptuel des mondes possibles. L’auteur a réparti son article en six parts : les mondes possibles, les mondes fictifs, poiesis and noesis, le contraste entre les mondes fictifs et les mondes historiques, l’histoire déformée et les histoires hypothétiques. Par la question des mondes possible que Leibniz avait introduits dans la philosophie, l’auteur nous montre l’opposition fiction/histoire et compare le monde de la littérature avec le monde réel. Nous allons donc voir où se croisent ces deux mondes et comment, mais aussi quelques cas un peu particuliers. Les mondes possibles. C’était Saul A. Kripke qui a fait réapparaitre le concept des mondes possibles, en utilisant ce terme dans son article sans faire des références au concept de Leibniz. L’auteur indique que Kripke a proposé un « modèle de la structure » pour la logique modale et de point de vue de la sémantique, il a interprété ce modèle sous l’aspect des mondes possibles. L’univers du discours n’est pas limité par le monde qui déjà existe. Il y a aussi d’autres mondes qui ne suivent même pas les lois de la nature. Dans la sémantique logique, le modèle des mondes possibles ne sollicite pas l’engagement de 1

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Snežana Milošević

Possible Worlds of Fiction and HistoryL. Doležel, University of Toronto

Dans l’article que nous allons traiter dans ce dossier, à savoir Les mondes possibles de

la fiction et de l’histoire (1998) de L. Doležel, nous trouvons un sujet lié à

l’interdisciplinarité. C’est le système conceptuel des mondes possibles. L’auteur a réparti son

article en six parts : les mondes possibles, les mondes fictifs, poiesis and noesis, le contraste

entre les mondes fictifs et les mondes historiques, l’histoire déformée et les histoires

hypothétiques. Par la question des mondes possible que Leibniz avait introduits dans la

philosophie, l’auteur nous montre l’opposition fiction/histoire et compare le monde de la

littérature avec le monde réel. Nous allons donc voir où se croisent ces deux mondes et

comment, mais aussi quelques cas un peu particuliers.

Les mondes possibles. C’était Saul A. Kripke qui a fait réapparaitre le concept des

mondes possibles, en utilisant ce terme dans son article sans faire des références au concept

de Leibniz. L’auteur indique que Kripke a proposé un « modèle de la structure » pour la

logique modale et de point de vue de la sémantique, il a interprété ce modèle sous l’aspect

des mondes possibles.

L’univers du discours n’est pas limité par le monde qui déjà existe. Il y a aussi

d’autres mondes qui ne suivent même pas les lois de la nature. Dans la sémantique logique, le

modèle des mondes possibles ne sollicite pas l’engagement de l’ontologie. De l’autre part, en

dehors de la logique formelle, la notion ne peut pas préserver l'innocence ontologique. Elle

peut devenir soit l’actualisme soit le possibilisme. Du point de vue de possibilisme, le monde

réel n’a pas un statut particulier parmi les mondes possibles. A la différence du possibilisme,

l’actualisme définit le monde réel comme un point de référence en dehors du système des

mondes possibles qui aide à créer des jugements pas trop importants dans le monde. Le point

de vue de l’actualisme est inscrit dans la structure du modèle d'origine de Kripke.

Pendant les années 70 l’idée des mondes possibles s’est répandue et on a deux

modifications du concept original. La première intervention concerne l’origine des mondes

possibles et dit qu’ils n’attendent pas d’être découverts, ils sont construits par la créativité de

l’homme. Cresswell parle aussi des mondes possibles et il les définit comme des choses dont

on peut parler ou imaginer, faire des suppositions, en croire ou les désirer. L’autre

intervention concerne l’ampleur du concept. Le vaste nombre des mondes possible, leur taille

et leurs variations peuvent être gérés grâce au formalisme logique. Il y a deux mouvements

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heuristiques proposés pour résoudre le problème de la gestion : (a) choisir les mondes

possibles qui conviennent le mieux pour notre problématique et (b) créer des mini-mondes

comprenant un nombre limité des éléments et des paramètres.

Les mondes imaginaires. Quand les mondes possibles sont aperçus comme des

constructions finies et fournies par l’homme, le concept devient un outil de la théorisation

empirique et les théoriciens peuvent ainsi parler d’une théorie novatrice de fictionnalité qui

évite l’identification des mondes imaginaires de la littérature avec des mondes possibles de la

logique et de la philosophie. Les mondes imaginaires de la littérature sont un type particulier

des mondes possibles puisqu’ils sont des produits de poiesis1 textuel, des sous-classes dans

un groupe des mondes imaginaires. Les mondes imaginaires représentent les mondes

possibles parce qu’ils représentent l’ensemble d’indications possibles mais non actualisées :

personnes (Hamlet est une personne possible habitant un monde alternatif de Shakespeare),

états, événements etc. Comme une possibilité non actualisée, chaque personnage fictif a la

même nature ontologique (Londres dans les romans de Dickens n’est plus réel que le Pays

des Merveilles de Carroll). Le principe de l’homogénéité ontologique est la condition

nécessaire pour la coexistence, l’interaction et la communication des personnages fictifs. Cela

incarne la souveraineté des mondes fictionnels.

La sémantique des mondes possibles de fictionnalité est en opposition avec l’ancienne

doctrine de mimesis. A la différence de mimesis, la sémantique des mondes possibles insiste

sur le fait que les mondes imaginaires ne sont pas les imitations ou les représentations du

monde réel (realia) mais les domaines souverains de possibilia avec des différentes relations

établies avec le monde réel et plus ou moins proches de la réalité (ils vont des mondes

proches de la réalité jusqu’aux mondes fantastiques). Les personnages, les endroits, les

événements etc. qui existent dans le monde réel représentent une catégorie sémantique

particulière et les personnages fictifs et leurs prototypes réels sont liés par l’identité

transmondial (p.ex. le lien indéracinable entre Napoléon le personnage historique et tous les

Napoléon de la littérature). Rescher suggère le terme « versions » pour désigner les

différentes apparitions du même personnage dans les différents mondes possibles. Lewis fait

le lien entre les différentes apparitions par la relation de contrepartie, la relation de similarité

qui présuppose que les contreparties ont des traits essentiels communs.

Ce qui tient ensemble tous les éléments d’un individu dans tous les mondes possibles

s’appelle le désignateur rigide. Kripke a proposé la définition de cette façon unique pour

1 Ce terme se réfère au procès de la création. Platon pense que physis est le résultat de poiesis et pour Heideger c’est la floraison de la fleur. (source : Wikipedia)

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nommer quelque chose qui dit qu’un désignateur rigide peut être nommé ainsi si dans tous les

mondes possibles il désigne la même chose. Si ce n’est pas le cas, on l’appelle un désignateur

non rigide ou accidentel. Ceci n’exclut pas qu’un personnage ne peut pas avoir plusieurs

noms, surnoms, pseudonymes etc.

Poiesis and noesis. Le poiesis textuel, comme toutes les activités humaines, se passe

dans le monde actuel mais ses constructions n’ont pas de liaisons avec l’actualité. L’auteur

indique que ses explications sur le pouvoir de poiesis qui aide à construire les mondes sont

basées sur la théorie des actes de langage performatifs de J. L. Austin. Les textes fictionnels

inclut des performatifs qui portent avec soi l’authentification. Le pouvoir de construire les

mondes que les textes fictionnels ont, indique a priori que le texte est créé avant le monde et

détermine sa structure. Puisque l’acquisition des connaissances est une activité exigeant de

faire la différence entre les déclarations vraies ou fausses, elle fonctionne avec les phrases et

les textes soumis à la vérification de la vérité. Les textes fictionnels se trouvent en dehors de

cette vérification car ils sont ni vrais ni faux. Cette propriété est la précondition pour le

pouvoir de construire les mondes. Il n’existait pas le monde, la vie ou la mort d’Emma

Bovary avant l’acte d’authentification de Flaubert. Mais si un historien de la littérature dit

qu’Emma est morte de tuberculose, cette phrase est soumise à la vérification.

Les dernières tendances du relativisme historique ont des traits littéraires : vu que

l’écriture de l’histoire montre les caractéristiques de la littérature, il n’existe pas une grande

différence entre l’histoire et la fiction. Ceci est accepté grâce au travail de Hayden White.

L’identification de l’histoire avec la création de la fiction est aidée par l’identification de la

fiction littéraire avec mimesis : les deux se veulent donner l’image verbale de la « réalité ».

L’histoire, le journalisme, le discours politique etc. peuvent avoir l’intrusion de la poéticité et

cela n’a aucun effet sur la vérité de ces propos. De l’autre côté, les textes fictionnels sont

toujours soumis à la vérification de la vérité.

En ce qui concerne les théoriciens qui veulent garder la différence entre la fiction et

l’histoire, l’auteur cite quelques points de vue comme par exemple celui de Paul Ricœur. Il

emploie le terme fiction pour les créations littéraires qui n’ont pas l’ambition de la narration

historique de créer la narration qui est vraie et il rappelle aussi ce qu’Aristote a dit à propos

de l’ancêtre de possibilia. Pour Dorrit Cohn il ne s’agit pas de la quantité de la fiction mais de

son type.

Les mondes imaginaires et historiques. Le contraste vérité-conditions entre les textes

fictionnels et historiques est de la nature pragmatique. Les textes fictionnels, délibérés de

l’évaluation de la vérité, construisent les mondes fictionnels souverains pour satisfaire

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certains besoins de l’homme. De l’autre côté, les textes historiques construisent les mondes-

modèles du passé de monde actuel. Pour construire ce qui « peut être vrai », l’historien doit

respecter certaines contraintes n’existant pas dans le processus de construction des histoires

fictives. Pour cette raison, les mondes fictionnels et historiques se diffèrent par plusieurs

contrastes. Doležel en a marqué trois :

(a) Le nombre d’agents dans le monde historique correspond au nombre d’agents impliqués

dans l’événement historique sans la possibilité d’ajouter des participants. Ceci ne s’applique

pas au nombre d’agents dans le monde fictionnel. Cette opposition s’accentue d’autant plus

dans le cas de la fiction historique. Les personnages fictifs interagissent avec les personnages

historiques. L’auteur donne l’exemple du roman Ragtime de Doctrow où l’interaction des

personnages a un effet littéraire mais elle ne représente pas le modèle de la société américaine

du 20e siècle.

(b) Les mondes fictionnels et historiques ne sont pas habités par les vraies personnes mais par

leurs homologues possibles. La vraisemblance est l’exigence de certaines poétiques de fiction

mais ce n’est pas un principe universel (l’exemple de vrai lieu où Napoléon est mort et de

celui dans la pièce de théâtre de George Keiser Napoléon in New Orleans). L’historien n’a

pas ce type de liberté, les personnages doivent être similaires le plus possible à la vraie

personne et pour cette raison les historiens doivent toujours s’occuper du raffinage de

personnages.

(c) Les deux types de monde sont nécessairement incomplètes. Il n’est pas possible de créer

un monde possible complet puisque cela implique que le texte est d’une longueur infinie.

Ceci veut dire que les lacunes sont les caractéristiques universelles des mondes fictionnels et

historiques mais que leur distribution et leur manipulation se font différemment. La limite

entre le monde fictionnel et le monde historique est établie par leur nature différente et leur

façon de traiter les lacunes. L’écrivain produit les lacunes fictionnelles, elles sont de la nature

ontologique et irrécouvrables. Les lacunes historiques apparaissent quand n’il y a pas assez

de preuves ou l’historien fait le choix : elles sont de la nature épistémologique et peuvent être

ajoutées quand les nouvelles preuves sont trouvées ou par la refonte de la hiérarchie de la

pertinence. Il existe aussi des conjectures plausibles qui se trouvent entre les lacunes et les

faits et Trevor-Roper liste un vocabulaire riche des expressions qui évalue la fiabilité des

conjectures (peut-être, il est possible, probablement non etc.)

L’histoire déformée. Quand on parle de l’histoire déformée on ne peut ne pas

mentionner le relativisme historique. Il dit que l’histoire ne peut donner aucune

représentation objective du passé parce qu’elle est toujours sollicitée par le moment de

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l’écriture. L’historiographie totalitaire s’occupait toujours avec beaucoup d’effort de

réécriture permanente de l'histoire. Un de ses mécanismes préféré est la création des lacunes

et l’effacement de tout agent de l’histoire qui devient persona non grata. Une démonstration

pathétique de ce mécanisme se trouve dans deux images retouchées, données dans l’article.

Sur la première image on trouve Yezhov, l’homme de main de Stalin, et dans l’autre il

disparait (après son arrestation et sa mort par fusillade en 1939). Le document qui montre le

mieux la technique des lacunes est The History of the Communist Party of the Soviet

Union (Bolsheviks). L’histoire officielle adopte des techniques plus « sophistiquées ». Par

exemple, en ce qui concerne Leon Trotsky, on a des lacunes concernant ses

accomplissements positifs et c’est les mauvaises choses qui sont accentuées.

Le pouvoir totalitaire crée des lacunes dans le monde historique en effaçant les faits

du vrai passé. Mais les efforts de l’histoire totalitaire sont en vain, puisque les lacunes sont

remplies de toute façon en cherchant les nouvelles preuves. Les historiens en dehors du

pouvoir totalitaire ne peuvent pas tolérer le monde historique déformé. Pour l’histoire

narrative le remplacement de Stalin avec Trotsky n’a aucun impact sur l’histoire de la

Révolution mais pour le modèle de la Révolution russe la différence est essentielle : il s’agit

de la différence entre l’image adéquate et déformée.

Les histoires hypothétiques. C’est un outil de l’historiographie qui aide à la meilleure

compréhension du passé. Il s’agit d’une stratégie cognitive très utile. Si la considération du

développement possible de l’histoire peut améliorer notre compréhension de la vraie histoire,

on ne peut pas ignorer cette stratégie. Beaucoup de théoriciens travaillaient sur ce sujet, entre

autre Trevor-Roper qui a contribué au gain cognitif des histoires alternatives. Est-ce que la

Révolution d’Octobre aurait eu du succès si Lénine a été tué en été de 1917 ? Pour tous ceux

qui croient que l’histoire est une action et une interaction des individus et des foules, les

alternatives possibles sont des facteurs indispensables pour l’imagination de l’histoire.

Alexander Demandt a construit plusieurs histoires alternatives avec le différent résultat pour

vérifier sa théorie sur les événements historiques qui ont la structure en forme d'entonnoir.

L’histoire hypothétique doit être vue comme l’expérience de la pensée qui change ou

supprime un fait de l’histoire et ainsi teste sa signification. De cette manière elle n’est pas

arbitraire et elle peut être évaluée de manière critique. Nous avons dans l’article l’exemple de

la tentative d'assassinat d’Hitler le 20 juillet 1944 et les pensées sur le développement des

événements si Hitler a été tué. Si les histoires hypothétiques sont des produits de

l’imagination, comme Trevor-Roper l’indique, alors l’opposition l’écriture de

fiction/historiographie tourne en rond : les deux termes se croisent quand noesis et poiesis

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sont impliqués dans la construction des mondes possibles imaginaires. La notion des mondes

possibles améliore le répertoire épistémologique de l'historiographie mais confirme aussi sa

base qui opère avec les fonctionnalités de la vérité.

Dans cet article on apprend l’importance de la différence entre les mondes fictionnels

et les mondes historiques. Nous avons une distinction claire entre ce qui est l’écriture de la

fiction (le travail des écrivains) et l’écriture historique (le travail des historiographes). Ce qui

est très important, nous avons aussi l’explication des mécanismes qu’utilisent les deux types

d’écrivains. Je pense que l’auteur a fait une bonne comparaison entre les termes de l’histoire

et de la fiction et des mondes historiques et imaginaires, en utilisant les mondes possibles

comme modèle de la structure de ces deux mondes. Nous pouvons voir aussi comment les

deux mondes peuvent être manipulés et je trouve que ces manipulations sont très importantes

à savoir pour former une attitude critique des individus envers ce qui est vrai ou pas, ce qui

est fiction ou réalité. Donc, ces mécanismes ne sont pas du tout négligeables. Ils peuvent

aider à la création des œuvres inspirés par l’histoire. J’ajouterais aussi que nous pouvons voir

souvent le croisement des deux méthodes de l’écriture non seulement dans la fiction

historique mais parfois dans l’historiographie, surtout dans les manuels de l’histoire (peut-

être une façon d’approcher le sujet aux élèves). De toute manière, cette étude nous donne en

détail ce qu’il faut savoir sur les mondes possibles, les mondes imaginaires et la différence

entre la fiction et l’histoire et ses mécanismes.

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