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Pour mon mari, David Yoon, qui m’a révélé mon cœur.ekladata.com/ZmWFDMRHPJkWB6QapegJE7dCpBA.pdf · Et pour ma belle et intelligente fille, qui l’a fait grandir. Ouvrage originellement

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Pourmonmari,DavidYoon,quim’arévélémoncœur.Etpourmabelleetintelligentefille,quil’afaitgrandir.

OuvrageoriginellementpubliéparDelacortePress,unedivisiondeRandomHouseChildren’sBooks/PenguinRandomHouseLLC,NewYork,sousletitre:Everything,everything©2015,AlloyEntertainmentetNicolaYoonIllustrationdecouverture:GoodWivesandWarriorsDesigndecouverture:NatalieC.Sousa©2016,BayardÉditionspourlatraductionfrançaiseISBN:978-2-7470-6938-0Dépôtlégal:avril2016©ÉditionsGallimardpourtouteslesréférencesauPetitprinced’AntoinedeSaintExupéryTousdroitsréservés.Reproduction,mêmepartielle,interdite.Loin 49-956du16juillet1949surlespublicationsdestinéesàlajeunesse.o

«Voicimonsecret.Ilesttrèssimple:onnevoitbienqu’aveclecœur.

L’essentielestinvisiblepourlesyeux.»

AntoinedeSaint-Exupéry,LePetitPrince

Tabledesmatières

Couverture

Pagedetitre

Pagedecopyright

Lachambreblanche

Commeundicsrayé

Veud’anivrsr

Riennechange

Lavieestcourte

L’invasiondesextraterrestres,deuxièmepartie

LejournaldeMadeline

Lecomitéd’accueil

Monballonblanc

Surveillanceduvoisinage

J’espionne

Menteuse

Rejet

Survie

Lavieestcourte

Premiercontact

Deuxièmenuit

Quatrièmenuit

Cinquièmenuit

Sixièmenuit

Septièmenuit

Premiercontact,deuxièmepartie

Premiercontact,troisièmepartie

Lerepasdel’astronaute

Toutestrisqué

Unquartd’heureplustard

Deuxheuresplustard

Dixminutesplustard

Encoreplustard

Àquisaitattendre

Imparfaitdufutur

Olly

Perspectives

Lepaysdesmerveilles

Lavieestcourte

Cequinetetuepas…

Nonouipeut-être

Letemps

Miroir,monbeaumiroir

Prévisions

LedictionnairedeMadeline

Secret

Mercipourvosachats

Numérologie

CequeditOlly

Lathéorieduchaos

DrMadelineetMlleMaddy

Carteliberté

Àl’envers

Épiderme

Amitié

Recherches

Lavieetlamort

Honnêtement

Deor

UnetroisièmeMaddy

Lavieestuncadeau

LedictionnairedeMadeline

Imageinversée

Changementdeprogramme

Tedonnerplus

Laméchanteinfirmière

Surveillanceduvoisinage#2

Aulycée

«Aloha»signifieàlafoisbonjouretaurevoir

Lemêmejour,21heures08

Lamariéeiramal

Lemurdeverre

Lemondecaché

Demi-vie

Aurevoir

Lescinqsens

D’autresmondes

«Aloha»signifieàlafoisbonjouretaurevoir#2

Déjàlebonheur

Contaminée

FAQ:Votrepremiervol

Tapisroulant

LedictionnairedeMadeline

Icietmaintenant

LedictionnairedeMadeline

Choisissezvotrerécompense

Sesouvenirduprésent

Lemaillotdebain

Lespoissonsdurécifhawaïen

Sautdanslevide

Consignespoursauterd’unefalaise

Zach

LelitMurphy

Aucunmot

LedictionnairedeMadeline

Lemondeobservable

Cettefois

Spirale

Lafin

Libération

Résurrection

Réadmission

Libération#2

Lavieestcourte

Géographie

Cartedudésespoir

Lavieestcourte

Toutsélectionner,supprimer

Fairesemblant

Retrouvailles

Surveillanceduvoisinage#3

Cinqsyllabes

Ledernierestunhaïku

Icietmaintenant

Confidentiel

Protection

LedictionnairedeMadeline

Identité

Lespreuvesdemavie

Dehors

Contedefées

Vide

Ledébutetlafin

Aprèslamort

Unesemaineplustard

Deuxsemainesplustard

Troissemainesplustard

Quatresemainesplustard

Cinqsemainesplustard

Sixsemainesplustard

LamamandeMadeline

DesfleurspourAlgernon

Lecadeau

Ledébutdelafin

Imparfaitdufutur#2

Décollage

Pardon

Lavieestcourte

Danscettevie

Remerciements

Henryàtoutprix-deKerryCohenHoffmann

Quandvientl’orage-deMarie-HélèneDelval

TalithaRunningHorse-d’AntjeBabendererde

Lesjumeauxdel’Îlerouge-deBrigittePeskine

LACHAMBREBLANCHE

J’ailubeaucoupplusdelivresquevous.Peuimportecombienvousenavezlu, j’enai luplus.Croyez-moi.J’aieutoutletemps.Dansmachambreblanche, le longdemesmursblancs, surmesétagèresd’unblanc immaculé,

mes livres apportent la seule touche de couleur. Ce sont toujours des éditions en grand formatflambantneuves–pasdepochesd’occasionpleinsdegermeschezmoi!Ellesm’arriventduDehorsdécontaminées, emballées sous vide dans une couverture de plastique. J’aimerais bien voir lamachinequifaitça.J’imaginechaquelivreglissantsuruntapisroulanttoutblancversunpostedetravail rectangulaire où des bras de robot l’époussètent, le frottent, le vaporisent, le stérilisent,jusqu’àcequ’ilsoitassezproprepourm’êtreenvoyé.Chaque fois que je reçois un nouveau livre, ma première tâche consiste à l’extraire de son

emballage,uneopérationquiimpliqueunepairedeciseauxetplusieursonglescassés.Masecondetâcheestd’écriremonnomsurlapagedetitre.

CELIVREAPPARTIENTÀMADELINEWHITTIER

Jenesaispaspourquoijefaisça.Iln’yapersonned’autreiciquemamère,quinelitjamais,etmon infirmière, Carla, qui n’a pas le temps de bouquiner, parce qu’elle est bien trop occupée àsurveillermarespiration.Personnenemerendvisite,etiln’yadoncpersonneàquijepuisseprêtermeslivres.Personneàquijedoiverappelerquelelivrequ’ilouelleaoubliésursonétagèreestàmoi.

Si vous trouvez ce livre, choisissez votre récompense (plusieurs réponsespossibles):

C’estlapartielapluslongueàrédiger,etjechangelesréponsesdanschaqueouvrage.Parfois,lesrécompensessontunpeufantaisistes:• Un pique-nique avec moi (Madeline) dans un champ plein de pollen decoquelicots,delysetdepensées,sousuncield’étésansnuage.• Un thé avec moi (Madeline) au sommet d’un phare perdu dans l’océanAtlantique,aubeaumilieud’unouragan.

•Uneplongéeenmasqueettubaavecmoi(Madeline)aulargedel’îledeMolokinià la recherche du poisson emblème de l’État d’Hawaï, le « baliste écharpe »,égalementappelé«humuhumunukunukuapua’a».

Parfois,lesrécompensessontmoinsfantaisistes:•Untouravecmoi(Madeline)dansunelibrairied’occasion.•Unepromenadeavecmoi(Madeline),justedanslequartier.•Une discussion avecmoi (Madeline) sur le sujet qui vous plaira, installés dansmoncanapéblanc,dansmachambreblanche.

Parfois,larécompenseesttoutsimplement:Moi(Madeline).

COMMEUNDICSRAYÉ

Mamaladieestaussirarequecélèbre.C’estuneformedeDéficitImmunitaireCombinéSévère–

ouDICS–,maisvouslaconnaissezsansdoutesouslenomde«maladiedel’enfant-bulle».Engros,jesuisallergiqueaumonde.Unrienpeutdéclencherunecrise.Çapeutêtreuncomposant

chimiquedudétergentquiaserviànettoyerlatablequejeviensdetoucher.Çapeutêtreleparfumdequelqu’un.Çapeutêtreuneépicedansleplatquejeviensdemanger.Çapeutêtrel’unedecesraisonsoutoutescesraisons,ouaucune,ouuneautrecomplètementdifférente.Personneneconnaîtlescauses,maistoutlemondeconnaîtlesconséquences.D’aprèsmamère,j’aifaillimourirquandj’étais toutepetite.Depuis,monDICSme fait tourner en rond, commeundisque rayé. Jene sorsjamaisdechezmoi;jen’aipasmisunpieddehorsendix-septans.

VEUD’ANIVRSR

– Soirée film, Pictionary Juré-Craché, ou club lecture ? me demande ma mère en gonflant lebrassarddutensiomètrepasséautourdemonbras.Elleneproposepasnotreactivitépréférée:leScrabblephonétique.Jelèvelesyeuxetconstate

qu’elleaunregardmoqueur.–Scrabblephonétique,dis-je.Elle arrête de gonfler le brassard. D’habitude, c’est Carla, mon infirmière à plein temps, qui

prendma tensionet remplitma fichedecontrôle journalier,maismamère luiadonnéun jourdecongé.C’estmonanniversaire,etnouspassonstoujourscettejournéeensemble,rienquetouteslesdeux.Elle enfile le stéthoscopepourécoutermoncœur.Son sourire s’effaceet laisse laplaceà son

visage sérieux demédecin.C’est ce visage-là que doivent voir ses patients : légèrement distant,professionneletconcentré.Jemedemandes’ils le trouventrassurant.Sansréfléchir, je luifaisunbisousurlefront,justepourluirappelerquecen’estquemoi,sapatientepréférée,safille.Ellerelèvelesyeux,souritetmecaresselajoue.Jemedisque,quitteànaîtreavecunemaladie

quinécessitedessoinsconstants,autantavoirsamèrecommedocteur.Quelques secondes plus tard, elle reprend son expression « bonjour-je-suis-le-médecin-et-j’ai-

une-très-mauvaisenouvelle-à-vous-annoncer»pourmedire:–Aujourd’hui,c’esttajournée.Tunevoudraispasqu’onjoueàquelquechoseoùtuasunepetite

chancedegagner?AuPictionaryJuré-Craché,parexemple?Comme on ne peut pas vraiment jouer au Pictionary normal à deux, nous avons inventé le

«PictionaryJuré-Craché».L’unedenousdessine,etl’autrepromet«juré-craché»defairetoutsonpossiblepourdevinercequec’est.Sielledevine,l’autremarqueunpoint.Jefixemamèreenplissantlesyeux.– On va jouer au Scrabble phonétique, et cette fois c’est moi qui vais gagner, dis-je, pleine

d’assurance,commesij’avaislamoindrechancederemporterlapartie.Ce jeu-là aussi, nous l’avons inventé.Et, depuis toutes ces annéesoùnous jouons auScrabble

phonétique–ouSkrablfonétik–,jenel’aijamaisbattue.Ladernièrefois,j’étaisàdeuxdoigtsdegagner.Maisellem’aécrabouilléeavecsonderniermot,

DJAZ,posésurunecase«motcomptetriple».Ellesecouelatêteavecunairdefaussepitié:–OK…Commetuveux…

Etellefermesesyeuxrieurspourmieuxseconcentrersurlestéthoscope.

Nous passons le reste de la matinée à préparer mon traditionnel gâteau d’anniversaire : unegénoise à la vanille avec un glaçage à la vanille. J’attends que le gâteau ait refroidi, puis j’yappliqueunecouchedeglaçageexagérémentfine,toutjustesuffisantepourlerecouvrir.Mamèreetmoiaimonslesgâteaux,maispastropleglaçage.Commedécoration,jedessinedix-huitmargueritesglacées,avecdespétalesetuncœurblancs.Surlecôté,jefaçonneundrapéblanc.–Parfait,dis-je.– Exactement comme toi, répond ma mère en regardant par-dessus mon épaule, tandis que

j’appliqueladernièretouche.Jemetourneverselle.Ellem’adresseunlargesourirepleindefierté,maissesyeuxsontbrillants

delarmes.–Tu.Es.Tragique!dis-jeenluienvoyantunebonnegicléedeglaçagesurlenez,cequiapour

résultatdelafaireencoreplusrireetpleurerenmêmetemps.D’habitude,ellen’estpasaussiémotive,maismonanniversaireatoujoursledondelarendreàla

fois pleurnicharde et euphorique. Et, quand elle est pleurnicharde et euphorique, je suispleurnichardeeteuphorique,moiaussi.–Jesais,jesuiscomplètementpathétique!lâche-t-elleenlevantlesmainsenungestefataliste.Ellem’attirecontreelleetmeserretrèsfort.Duglaçageatterritdansmescheveux.Monanniversaireestlejourdel’annéeoùmamèreetmoivivonsleplusdurementmamaladie.

C’estparcequenousprenonsalorsconsciencedutempsquipasse.Encoreuneannéeécouléeàêtremalade,sansespoirdeguérisonàl’horizon.Encoreuneannéeàpasseràcôtédetoutesleschosesnormales de l’adolescence : permis de conduire, premier baiser, bal de promo, premier chagrind’amour, première cuite. Encore une année pour maman à ne rien faire d’autre que travailler ets’occuperdemoi.Lerestedel’année,nousn’avonspastropdemal–moinsdemalquecejour-là,entoutcas–àignorertoutcequenousratons.Cette année est encore un peu plus dure que les autres. Peut-être parce que j’ai dix-huit ans.

Techniquement,jesuisuneadulte.Jedevraisquitterlamaison,partiràlafac.Mamèredevraitêtreentraind’appréhenderlesyndromedunidvide.Mais,avecleDICS,aucunrisquequejem’enaille.

Plus tard dans la soirée, après le dîner, elle m’offre un magnifique assortiment de crayons à

aquarelle,quej’avaisnotésurmalistedecadeauxilyadesmois.Nouspassonsausalonetnousnousasseyonsentailleurdevantlatablebasse.Çaaussi,çafaitpartiedenotreritueld’anniversaire.Elleallumeuneuniquebougieaucentredugâteau.Jefermelesyeuxet faisunvœu.Jesouffle labougie.–C’estquoi,tonvœu?mequestionne-t-elledèsquej’airouvertlesyeux.Biensûr,jenepeuxsouhaiterqu’unechoseaumonde:untraitementmagiquequimepermettrait

decourirdehors,librecommeunanimalsauvage.Maisjen’aijamaisfaitcevœu,parcequ’ilestirréalisable.Ceseraitcommed’espérerque lessirènes, lesdragonset les licornesexistent.Voilàpourquoi je souhaite autre chose. Quelque chose qui me paraît plus réaliste qu’un traitement.Quelquechosequirisquemoinsdenousattristerquandjeluirépondrai.–Qu’ilyaitlapaixdanslemonde.

Troismorceauxde gâteau plus tard, nous commençons la partie deScrabble phonétique. Je ne

gagnepas.J’ensuismêmetrèsloin.MamèreutilisesesseptlettresenposantPOKALIPdevantunS.Jedemande:–C’estquoi,ça?–Apocalypse,répond-elleenroulantlesyeux.–N’importequoi!Non,maman,jenepeuxpastel’accorder!–Si,secontente-t-elled’ajouter.–Mais,enfin,ilmanqueunAaudébut!Pasquestion!– POKALIPS ! martèle-t-elle en montrant les lettres pour appuyer son effet. Ça marche

parfaitement!Jesecouelatête.–POKALIPS…,insiste-t-elleencoreenprononçantlemotd’untontraînant.–Oh,monDieu!dis-jeenlevantlesbrasauciel.Tunelâchesjamaisl’affaire!Bon,çava,jete

l’accorde…–Ouiiiii!jubile-t-elle.Elle brandit le poing en signe de triomphe et semoque demoi en notant son score désormais

insurmontable.–Tun’asjamaisvraimentcompriscejeu,conclut-elle.Enfait,c’estunjeudepersuasion.Jemecoupeuneautrepartdegâteauenrétorquant:–Cen’estpasdelapersuasion.C’estdelatriche.–C’estlamêmechose!riposte-t-elle,etnouséclatonsderiretouteslesdeux.Demain,tupourras

memettrelapâtéeauPictionaryJuré-Craché.Aprèsmadéfaiteécrasante,nousnousinstallonssurlecanapépourregardernotrefilmpréféré,

FrankensteinJunior.Luiaussifaitpartieduritueld’anniversaire.Jeposelatêtesurlesgenouxdemamère,ellemecaresselescheveux,etnousrionsauxmêmesblaguesquinousfontriredepuisdesannées.Finalement,cen’estpaslapirefaçondefêtersondix-huitièmeanniversaire.

RIENNECHANGE

Lelendemainmatin,jesuisentraindeliresurmoncanapéblancquandCarlaentre.–Felizcumpleaños!chantonne-t-elle.J’abaissemonlivre.–Gracias.–Comments’estpassétonanniversaire?Ellecommenceàdéballersonmatérielmédical.–Ons’estbienamusées.–Gâteauàlavanilleavecglaçagevanille?–Évidemment.–FrankensteinJunior?–Oui.–Ettuasperduàvotrejeu?–Onestsiprévisiblesqueça?– N’écoute pas ce que je raconte ! réplique-t-elle en riant. Vous êtes tellement mignonnes, ta

mamanettoi,quej’ensuisjalouse.Elleprendma fichedecontrôle journalier,parcourt rapidement les informationsnotéesparma

mère,etplaceunenouvellefeuillesurl’écritoireensoupirant:–Cestemps-ci,Rosanedaigneraitmêmepasmedonnerl’heure.Rosaestsafillededix-septans.D’aprèsCarla,ellesétaienttrèsprochesavantqueleshormones

etlesgarçonss’enmêlent.Jenepeuxpasimaginerqueçanousarrive,àmamanetmoi.Carlas’assoitàcôtédemoisurlecanapé,etjetendslebraspourqu’ellememettelebrassarddu

tensiomètre.Sesyeuxseposentsurmonroman.–TulisencoreDesfleurspourAlgernon?s’étonne-t-elle.Cen’estpascelivrequitefaittoutle

tempspleurer?–Unjour,çaneserapluslecas,dis-je.Et,cejour-là,jeveuxêtresûred’êtreentraindelelire.Carlalèvelesyeuxauciel.D’accord, j’ai esquivé sa question, mais je me demande s’il n’y avait pas du vrai dans ma

réponse.Peut-êtrequejem’accrocheàl’espoirqu’unjour,leschoseschangeront.

LAVIEESTCOURTE

(OULARUBRIQUEDUSPOIL,PARMADELINE)

DesfleurspourAlgernon,deDanielKeyes

Attention,spoiler:Algernonestunesouris.

Lasourismeurt.

L’INVASIONDESEXTRATERRESTRES,DEUXIÈMEPARTIE

J’ensuisaupassageoùCharlieprendconsciencequ’ilconnaîtrapeut-être lemêmesortque lasouris quand j’entends un grondement assourdissant au-dehors.Aussitôt,mon esprit s’évade dansl’espace.J’imagineungigantesquevaisseauspatialenvolstationnaireau-dessusdenostêtes.La maison tremble, et mes livres vibrent sur les étagères. Un bip ! insistant accompagne le

grondement.Jecomprendsdequoiils’agit:uncamion.Sansdouteperdu,medis-jeenravalantmadéception.Sansdoutejusteuneerreuràunvirage,quil’aamenéaumauvaisendroit.Maissoudainlemoteursecoupe.Desportièresclaquent.Unmomentdesilences’écoule,puisun

autre,puisunevoixdefemmeclaironne:–Bienvenuedansnotrenouvellemaison!Carlameregardeavecinsistance.Jesaiscequ’ellepense.Çarecommence.

LEJOURNALDEMADELINE

LECOMITÉD’ACCUEIL

–Çanesepasserapascommeladernièrefois,Carla,dis-je.Jen’aiplushuitans.–Jeveuxquetumepromettes…,commence-t-elle,maisjesuisdéjààlafenêtreentraind’ouvrir

lesrideaux.Je ne m’étais pas préparée à être accueillie par l’éclatant soleil de Californie. Je n’ai pas

l’habitudedelevoir,sihautetflamboyant,commechaufféàblancsurunfonddecieldélavé.Jesuisaveuglée.Maisbientôt labrumeblanchequibrouillemavisioncommenceà sedissiper.Toutestnimbéd’unhalo.Jevoislecamionetlasilhouettevirevoltanted’unefemmed’âgemûr:lamère.Jevoisunhomme

àl’arrièreducamion:lepère.Jevoisunefille,sansdouteunpeuplusjeunequemoi:lasœur.Puisjelevois,lui.Ilestgrand,mince,toutdenoirvêtu:T-shirtnoir,jeannoir,basketsnoireset

bonnetdelainenoirequicouvrecomplètementsescheveux.Ilalapeaublanche,avecunlégerhâlecouleurdemiel,etdestraitsanguleux.Ilsautedesonperchoirderrièrelecamion,etilglissedansl’alléeavectantdelégèretéquelesloisdelagraviténesemblentpass’appliqueràluidelamêmemanièrequ’auxautres.Ils’arrête,penchelatêtesurlecôtéetconsidèresanouvellemaisoncommesic’étaituneénigme.Au bout de quelques secondes, il se met à sautiller sur place. Soudain, il prend son élan et

escaladelesdeuxmètresdelafaçade.Ilresteagrippéàunreborddefenêtreuninstantoudeux,puisselâchepouratterrirenpositionaccroupie.–Pasmal,Olly!lecomplimentesamère.–Jet’aidéjàditd’arrêterdefairedegenredetruc!grognesonpère.Illesignoretouslesdeuxetresteaccroupi.J’appuielapaumedemamaincontrelavitre,aussiessouffléequesic’étaitmoiquiavaiseffectué

cetteincroyablecascade.Monregardsepromèneentrelegarçon,lemuretlereborddefenêtre,puisilretourneseposersurlegarçon.Iln’estplusaccroupi.Ilregardeversmoi.Nosyeuxsecroisent.Jemedemandevaguementcequ’ilvoitàcette fenêtre–unefillebizarre, toutenblanc,avecdesyeux écarquillés ? Il me sourit, et son visage n’a plus la moindre trace d’austérité, de dureté.J’essaiedeluisourireaussi,maisjesuissitroubléequejen’arrivequ’àfroncerlessourcils.

MONBALLONBLANC

Cettenuit-là,jerêvequelamaisonrespireavecmoi.J’expire,etlesmursseresserrentcommeunballondebaudruche,m’écrasantàmesurequ’ilsedégonfle.J’inspire,etlesmurssedilatent.Unerespirationdeplus,etmavievaenfin,enfinéclater.

SURVEILLANCEDUVOISINAGE

Emploidutempsdesamère6:35:Sortsousleporcheavecunetassedeboissonchaude.Ducafé?6:36 :Regarde fixement le terrainvagueen face, touten sirotant sa boisson.Du

thé?7:00:Rentrechezelle.7:15 : De retour sous le porche. Embrasse son mari pour lui dire au revoir.

Regardepartirlavoituredecelui-ci.9:30:Jardine.Cherche,trouveetjettedesmégotsdecigarettes.13:00:Quittelamaisonenvoiture.Courses?17:00:DemandeàKaraetOllyd’effectuerleurscorvées«avantquevotrepèrene

rentre».

EmploidutempsdeKara(sasœur)10:00 : Sort d’un pas lourd, chaussée de bottes noires et habillée d’un peignoir

marronnasse.10:01:Consultesesmessagessursontéléphone.Reçoitbeaucoupdemessages.10:06:Fumetroiscigarettesdanslejardinetentrenosdeuxmaisons.10:20:Creuseuntrouavecleboutdesabottepourenterrersesmégots.10:25-17:00:EnvoiedesSMSouparledanssonportable.17:00:Corvées.

Emploidutempsdesonpère7:15:Parttravailler.18:00:Rentredutravail.18:20:S’assoitsousleporcheavecverrenuméro1.

18:30:Entredanslamaisonpourdîner.19:00:Retournesousleporcheavecverrenuméro2.19:25:Verrenuméro3.19:45:Commenceàhurlersursafamille.22:35:Arrêtedehurlersursafamille.

Emploidutempsd’OllyImprévisible.

J’ESPIONNE

Safamillel’appelleOlly.Enfin,sasœuretsamèrel’appellentOlly.Sonpèrel’appelleOliver.C’estluiquej’observeleplus.Sachambreestaupremierétage,pileenfacede lamienne,etsesvoletssontpresque toujours

ouverts.Certainsjours,ilfaitlagrassematinéejusqu’àmidi.D’autres,ilquittesachambreavantqueje

meréveilleetcommenceàl’espionner.Mais,laplupartdutemps,ilselèveà9heures,sortparlafenêtredesachambreetgrimpesur le toit, le longdelagouttière,unpeucommeSpiderman.Ilyresteenvironuneheureavantderedescendre,balançantlesjambespouratterrirdanslapièce.J’aibeauessayer,jen’arrivepasàvoircequ’ilfaitlà-haut.Sa chambre est presque vide. Il n’y a qu’un lit et une commode.Quelques cartons pas encore

déballés qui s’entassent près de la porte.Aucunedécoration, à l’exceptionde l’affiched’un filmintitulé Jump London. Je me suis un peu renseignée ; ça parle de « parkour », une sorte degymnastiquedes rues,cequiexplique les incroyablescascadesqu’ilestcapabledefaire.Plus jel’observe,plusj’aienviededécouvrirdeschosessurlui.

MENTEUSE

Jeviensdem’asseoiràlatabledelasalleàmangerpourdîner.Mamèreposeuneserviettesurmesgenouxetremplitmonverred’eau,puisceluideCarla.Cheznous,lesrepasduvendredisoirsontspéciaux.MêmeCarlaresteplustardpourmangeravecnousplutôtqu’avecsaproprefamille.AuRepasduVendrediSoir,toutestfrançais.Lesserviettessontentissublanc,brodéesdefleurs

delys.Lescouvertssontanciensettrèsdécorés.Nousavonsmêmeunesalièreetunepoivrièreenargent, en forme de tour Eiffel. Bien sûr, nous devons faire attention au menu à cause de mesallergies,maismamèrepréparetoujourssapropreversionducassoulet.C’étaitleplatpréférédemonpère.Lecassouletdemamèrenecontientquedesharicotsblancscuitsdansdubouillondepoulet.– Madeline, commence-t-elle, M. Waterman m’a dit que tu étais en retard pour ton devoir

d’architecture.Est-cequetoutvabien,monbébé?Saquestionmesurprend.Jesaisquejesuisenretard,mais,commejenel’aiencorejamaisété,

jenepensaispasqu’ellesurveillaitceschoses-là.–C’estledevoirquiesttropdifficile?Ellefroncelessourcilsenversantunelouchedecassouletdansmonbol.–Tuveuxquejetrouveunautreprofesseurparticulier?–Oui,nonetnon1,dis-jepourrépondreàsesquestionsdans l’ordre.Toutvabien.Jerendrai

mondevoirdemain,promis.Jen’aipasvuletempspasser,c’esttout.Ellehochelatête,mecoupeunmorceaudebaguettecroustillante,qu’ellesemetàbeurrer.Jesais

qu’elleaenviedemeposeruneautrequestion.Jesaismêmecequ’elleveutmedemander,etqu’elleapeurdelaréponse.–C’estàcausedesnouveauxvoisins?Carlam’adresse un coup d’œil perçant. Je n’ai jamaismenti àmamère. Je n’ai jamais eu de

raisondeluimentir,etjenesuispassûred’enêtrecapable.Maisquelquechosemeditquec’estpourtantcequejedoisfaire.–J’aijusteététroppriseparmeslectures.Tusaiscommentjesuisquandjesuisplongéedansun

bonbouquin…Jeparled’unevoixaussiassuréequepossible.Jeneveuxpasqu’elles’inquiète.Jeluicausedéjà

assezdesouciscommeça.Commentappelle-t-onquelqu’uncommemoi?Ahoui,unementeuse .–Tun’aspasfaim?medemandemamère,quelquesminutesplustard.

1

Elleposeledosdesamainsurmonfront.–Entoutcas,tun’aspasdefièvre.Ellelaisselamainsurmonfrontpendantunmoment.Jem’apprêteàdirequelquechosepourla

rassurerquandlasonnetteretentit.Çaarrivesirarementquejenesaispascommentréagir.Onsonneànouveau.Mamèreselèveàmoitiédesachaise.Carla,elle,selèvevraiment.Lasonnetteretentitpourlatroisièmefois.Jesourissansraison.–Vousvoulezquej’yaille,madame?demandeCarla.Mamèrel’ignore.–Resteici,medit-elle.Carlavientsepositionnerderrièremoi,sesmainspressantdoucementmesépaules.Jesaisqueje

nedevraispasbougerdelà.C’estcequejesuiscenséefaire.Jedevraismerendreàl’évidence,maisaujourd’hui,bizarrement,jenepeuxpas.J’aibesoindesavoirquic’est,mêmesicen’estqu’unpassantégaré.Carlaposelamainsurmonbras.–Tamèret’aditderesterici.–Mais pourquoi ? Elle est vraiment trop prudente. De toute façon, elle ne laissera personne

franchirlesas.Alors,Carlaseradoucitetmesuittandisquejemedirigeversl’entrée.Lesasestunepetitepiècefermée,colléeàlaported’entrée.Ilesttotalementhermétique,afinde

bloquertoutecontaminationpotentiellequandlaporteestouverte.Jeposel’oreillecontrelaparoi.D’abord,jen’entendsriend’autrequeleronrondesfiltresàair,puisjeperçoisunevoix.–Mamèrevousapréparécekouglof.Unevoixdouceetgrave,avecuntonamusé.Moncerveauanalyselemot«kouglof»,cherchantà

m’endonneruneimagementale,quandsoudainjecomprendsquiestàlaporte.Olly.

– Le problème avec les kouglofs de ma mère, c’est qu’ils ne sont pas bons. Infâmes.Immangeables,enfait,etquasiindestructibles.Maisçaresteentrenous.Uneautrevoixmaintenant.Féminine.Sasœur?–Chaquefoisqu’ondéménage,elleveutqu’onenapporteunauxvoisins.– Oh. Eh bien, en voilà une surprise ! C’est très gentil. Remerciez-la chaleureusement dema

part…Aucunechancequecekouglofpasselecontrôleobligatoire,etjedevinequemamèrechercheun

moyenderefuserlegâteausansrienleurrévéleràmonsujet.

–…mais,malheureusement,jenepeuxpasl’accepter.Jesuisdésolée.S’ensuitunsilencestupéfait.–Vousvoulezqu’onreparteavec?demandeOlly,incrédule.–Ehben,c’estpastrèspoli!s’exclameKara.Ellesembleàlafoisfâchéeetrésignée,commesielles’étaitunpeuattendueàêtredéçue.–Jesuisvraimentdésolée,répètemamère.C’estcompliqué…Jesuisd’autantplusnavréeque

c’estadorabledevotrepartetdecelledevotremaman.Vraiment,s’ilvousplaît,remerciez-lapourmoi.–Est-ce que votre fille est à lamaison ? interrogeOlly d’une voix forte, avant qu’elle ait pu

fermerlaporte.Onespéraitqu’elleaccepteraitdenousfairevisiterlequartier.Moncœurs’accélère;jesenssesbattementscontremescôtes.Est-cequ’ilavraimentdemandéà

me voir ? Aucun étranger ne m’a jamais rendu visite. À part ma mère, Carla et mes profsparticuliers,c’estàpeinesilemondeestaucourantquej’existe.Enfin,si:j’existesurInternet.J’aidesamisen ligneetmonblogdecritique littéraire,maiscen’estpaspareilqued’êtreunevraiepersonne,quipeutrecevoirlavisited’étrangesgarçonsportantdeskouglofs.–Jesuisdésolée,maisc’estimpossible.Bienvenuedanslequartier,etmerciencore.Laporteclaque,etjereculed’unpasenattendantmamère.Elledoitresterdanslesasletemps

que les filtres aient purifié l’air venant de l’extérieur. Au bout d’uneminute, elle rentre dans lamaison. Elle ne me remarque pas tout de suite. Elle se tient immobile, les yeux fermés, la têtelégèrementbaissée.–Jesuisdésolée,dit-ellesansleverlesyeux.–Çava,maman.Net’enfaispas.Pour lamillièmefois, jeconstateàquelpointmamaladieestdureàsupporterpourelle.Cette

vie-làestlaseulequej’aiejamaisconnue,mais,avantmoi,elleavaitmonfrèreetmonpère.Ellevoyageait,jouaitaufoot.Elleavaituneexistencenormale;ellenerestaitpascloîtréedansunebullequatorzeheuresparjouravecuneenfantmalade.Jemeserrecontreelleetlalaisseseserrercontremoipendantquelquesminutes.Elleaencore

plusdemalquemoiàseremettredecettedéception.–Jeterevaudraiça,murmure-t-elle.–Tunemedoisriendutout.–Jet’aime,machérie.Nousretournonsdanslasalleàmangeretfinissonsrapidementdedîner,sansparleroupresque.

Carlas’enva,etmamèremedemandesijeveuxlabattreauPictionaryJuré-Craché,maisjepréfèreremettreçaàplustard.Jenesuispasvraimentd’humeur.Jemonteàl’étageenessayantd’imaginerquelgoûtçapeutavoir,unkouglof.

1.Enfrançaisdansletexte.

REJET

Arrivée dans ma chambre, je vais directement à la fenêtre. Son père est rentré du travail, etquelque chose doit clocher parce qu’il est furieux, de plus en plus furieux à chaque seconde quipasse.IlarrachelekouglofdesmainsdeKaraetlejetteauvisaged’Olly.Heureusement,Ollyestrapideetagile;ilesquivelegâteau,quiatterritsurlesol.Phénomèneremarquable:lekouglofestindemne.Maisl’assietteexplosedansl’allée,cequirendlepèreencoreplusfurieux.–Nettoieça!Nettoieçatoutdesuite!Ilrentredanslamaisonenclaquantlaporte.Safemmelesuit.KararegardeOllyensecouantla

têteetditquelquechosequiluifaitbaisserlesépaules.Ilrestelà,àcontemplerlegâteaupendantdelonguesminutes. Puis il disparaît à l’intérieur pour reparaître avec une balayette et une pelle. Ilprendtoutsontemps,bienplusqu’iln’estnécessaire,pourramasserlesmorceaux.Quandilafini,ilgrimpesurletoit,emportantlekouglofaveclui,etuneheures’écouleencore

avantqu’ilregagnesachambre.Jesuiscachéeàmaplacehabituelle,derrièrelerideau,quand,soudain,jen’aiplusenviedeme

cacher. Je vais allumer la lumière et retourne à la fenêtre. Je ne prends même pas la peine derespirerunboncoup.Cen’estpasçaquivam’aider. J’ouvre le rideauet constatequ’il est à safenêtre,luiaussi,entraindemefixerduregard.Ilnesouritpas.Ilnemefaitpassigne.Illèvelebrasetdescendlestore.

SURVIE

–Tucomptesbouderlongtemps?medemandeCarla.Çafaitunesemainequetuescommeça.–Jeneboudepas,dis-je,mêmesic’estvraiquejeboudeunpeu.Le rejet d’Olly m’a fait redevenir une petite fille. Il m’a rappelé pourquoi j’avais arrêté de

m’intéresseraumonde.Mais j’ai du mal à retourner à ma routine quotidienne avec tous les bruits du dehors qui me

parviennent.Jeremarquedeschosesauxquellesjusqu’ici, jeprêtaisàpeineattention.J’entendsleventquichatouillelesfeuillesdesarbres.J’entendslescomméragesdesoiseauxlematin.Jevoisles rais de lumière qui filtrent à travers mes persiennes et parcourent ma chambre au fil de lajournée.Grâceàeux,onpeutcalculerletempsquipasse.J’aibeaum’évertueràmettrelemondeàdistance,ilsembledéterminéàentrer.–Çafaitdesjoursquetulislesmêmescinqpagesdeceroman!ElledésignedumentonmonexemplairedeSaMajestédesmouches.–Oui,ehbien,celivreesthorrible!–Jecroyaisquec’étaitunclassique.–C’est quandmême horrible. Les garçons de cette histoire sont affreux, ils ne parlent que de

chasseretdetuerdescochons.Jen’aijamaiseuautantenviedejambondetoutemavie!Elle rit,mais sansgrandeconviction.Elle s’assoitàcôtédemoidans lecanapé,etprendmes

jambessursesgenoux.–Raconte,dit-elle.Jeposemonlivreetfermelesyeux.–Jevoudraisjustequ’ilss’enaillent.C’étaitmoinsdifficileavant.–Qu’est-cequiétaitmoinsdifficile?–Jenesaispas.D’êtremoi.D’êtremalade.Elleserremajambe.– Écoute-moi bien, maintenant. Tu es la personne la plus forte, la plus courageuse que je

connaisse.Tupeuxmecroire.–Carla,tun’espasobligéede…–Chut,écoute-moi!J’yaibeaucouppensé.Jecomprendsquecettenouvellearrivéetepèse,mais

jesaisquetuvast’ensortir.–Jen’ensuispassisûre.

–Si,çavaaller.J’ensuissûrepournousdeux.Nousvivonsensembledanscettemaisondepuisquinze ans, alors je sais de quoi je parle. Quand je t’ai connue, j’ai cru que ce n’était qu’unequestiondetempsavantqueladépressionn’aitraisondetoi.Etpuis,ilyaeucetétéoùçaabienfailliarriver,maistut’enessortie.Touslesjours,tutelèves,ettuapprendsdenouvelleschoses.Tous les jours, tu trouves une raison d’être heureuse. Tous les jours, tu m’offres ton plus beausourire.Tut’inquiètespluspourtamèrequepourtoi.JenecroispasqueCarlaaitjamaisprononcéautantdemotsàlasuite.–MaRosa,elle…,poursuit-elleavantdes’interrompre.Ellesepencheenarrièreetfermelesyeux,enproieàuneémotionquej’aidumalàcomprendre.–MaRosaauraituneoudeuxchosesàapprendredetoi.Jeluiaidonnétoutcequej’aipu,etelle

croitqu’ellen’arien.Jesouris.Carlaseplainttoujoursdesafille,maisjesuiscertainequ’ellelagâteénormément.Elleouvrelesyeux,etcequilatracassaits’estenvolé.–Tuvois,tusourisencore!medit-elleenmetapotantlajambe.Lavieestdure,trésor.Chacun

faitcequ’ilpeut.

LAVIEESTCOURTE

(OULARUBRIQUEDUSPOIL,PARMADELINE)

SaMajestédesmouches,deWilliamGolding

Attention,spoiler:Lesgarçonssontdessauvages.

PREMIERCONTACT

Deuxjoursontpassé,etjeneboudeplus.J’aipresqueréussiàoubliermesvoisinsquand,toutàcoup, j’entends un ping ! venu du dehors. Je suis sur mon canapé, toujours embourbée dans SaMajestédesmouches.Heureusement, j’aipresque fini.Ralph est sur laplage, attendantunemortviolente.Jesuissiimpatientedeterminercelivrepourpasseràunautre–plusgai–quejenefaispasattentionaubruit.Quelquesminutesplustardretentitunautreping!,plusfortcettefois.Jeposelelivreettendsl’oreille.Lesping!numérostrois,quatreetcinqsuiventrapidement.Quelquechosefrappemavitre.Delagrêle?Avantmêmedepenseràcequejefais,jesuisàlafenêtreetjetirelerideau.Celle d’Olly est grandeouverte, le store est levé, et il n’y a pas de lumière dans sa chambre.

L’indestructiblekouglofreposesurlereborddelafenêtre.Quelqu’unl’aaffubléd’unepaired’yeuxautocollants,quisontplantésdans lesmiens.Legâteausepencheenavant, tremblant,commes’ilévaluaitladistancequileséparedusol.Ilreculeentremblantdeplusbelle.J’essaied’apercevoirOllytapidansl’obscuritédesachambrelorsque,soudain,lekouglofsautedureborddelafenêtreetplongeverslesol.Jeretiensmonsouffle.Legâteaus’est-ilsuicidé?Jemedémanchelecoupourvoircequ’ilest

devenu,maisilfaittropsombre.C’estalorsqu’unfaisceaulumineuxéclairelegâteau.Aussiincroyablequecelapuisseparaître,il

esttoujoursintact.Maisavecquelsingrédientscettechosea-t-elleétéfaite?Heureusementquejen’yaipasgoûté…Lalumières’éteint.Jelèvelesyeuxjusteàtempspourentrevoirlamaingantéedenoird’Ollyet

salampe-torche,quis’éloignentdelafenêtre.Jeresteplantéelàquelquesminutes,attendantqu’ilrevienne.Maisilnerevientpas.

DEUXIÈMENUIT

Jeviensjustedememettreaulitquandlesping!reprennent.J’aidécidédel’ignorer,etc’estcequejefais.Peuimportecequ’ilveut,çam’estinterdit.Mieuxvautnepassavoir.Jenem’approchepasdelafenêtre,nicettenuit-là,nilasuivante.

QUATRIÈMENUIT

Jenetiensplus.Jesoulèveuncoindurideaupourjeterunœil.Lekouglofestinstallésurlereborddelafenêtre,àmoitiécouvertdepansementsetdebandages.

JenevoisOllynullepart.

CINQUIÈMENUIT

Lekouglofestsurunetableprèsdelafenêtre.IlyaunverreàMartiniremplid’unliquidevert,un paquet de cigarettes, et un flacon de pilules avec une tête de mort et deux os croisés surl’étiquette.Uneautretentativedesuicide?Toujoursaucunsigned’Olly.

SIXIÈMENUIT

Lekouglofestallongésurundrapblanc.Au-dessusdeluipendunebouteillerenverséeetfixéeàcequisembleêtreunportemanteau.Uneficellerelielabouteilleaukouglof,commeuneperfusion.Olly apparaît, portant une blouse blanche et un stéthoscope. Les sourcils froncés, il écoute lesbattementsdecœurdukouglof.Puisillèvelesyeuxetsecouelatêted’unairgrave.Jerefermelesrideaux,réprimantunsourire,etjem’éloignedelafenêtre.

SEPTIÈMENUIT

Jemesuispromisdenepasregarder,mais,àlasecondeoùretentitlepremierping!jesuisàmafenêtre.Ollyporteunesortiedebainnoire,etuneimmensecroixenargentautourducou.Ildonnel’extrême-onctionaukouglof.Jen’arriveplusàmeretenir.Jeris,encore,encoreetencore.Ilmeregardeetmesourit.Puisil

prendunfeutrenoirdanssapocheetécritsurlavitre:

PREMIERCONTACT,DEUXIÈMEPARTIE

De:MadelineF.WhittierÀ:[email protected]:SalutEnvoyéle:4juin,20:03

Salut.Jesupposequ’ilfautcommencerpardesprésentations?Jem’appelleMadelineWhittiermais tu l’auras compris en voyantmon adresse e-mail.Ettoi,commenttut’appelles?MadelineWhittierP.S.Tun’asaucuneraisondet’excuser.P.P.S.Yaquoi,danscekouglof?!

De:[email protected]À:MadelineF.WhittierObjet:Re:SalutEnvoyéle:4juin,20:07

tu es une trèsmauvaise espionnemadeline whittier si tu n’as pas encore réussi àtrouvermonnom.masœuretmoiavonsessayédeterencontrerlasemainedernièremaistamèren’étaitpasd’accord.jenesaispasdutoutcequ’ilyadanscekouglof.despierres?

De:MadelineF.WhittierÀ:[email protected]:Re:Re:SalutEnvoyéle:4juin,20:11

Salut,Recettedukouglof

500gdeciment200gdesciuredebois150 g de gravier (composé de cailloux de différentes tailles pour un résultat plusintéressant)Unedemi-cuilleréeàcafédesel150gdesuper-gluDeuxplaquesdebeurredoux3cuilleréesàcafédediluantpourpeinture4grosœufs(àtempératureambiante)

PRÉPARATIONPréchauffezvotrefourà350°CGraissezlemouleàkouglof

Pourlegâteau:Dansunbolmoyen,mélangezleciment,leseletlegravier.Dansungrandbol,battezensemblelebeurre,lasuper-glu,lediluantpourpeintureetlesœufs.Ajoutezpeuàpeulesingrédientssecsparpoignées.Versezlapréparationdanslemouleàkouglof.Faitescuirejusqu’àcequelecouteauintroduitdanslegâteaurefused’ensortir,puislaissezrefroidirsurunegrille.

Pourleglaçage:Battezensemble lasciuredeboisetassezd’eaupourformerunglaçage épaismaisfacileàétaler.Déposez la grille soutenant le gâteau sur du papier sulfurisé (pour un nettoyagefacile).Recouvrezlegâteaudeglaçageetattendezquecesoitsolidifiéavantdeservir.

(Pour0personne)

MadelineWhittier

P.S.Jenesuispasuneespionne!

PREMIERCONTACT,TROISIÈMEPARTIE

Mercredi,20:15Olly:j’allaisterépondreparmailmaisj’aivuquetuétaisenligne.tarecettem’afaittrop marrer. est-ce qu’il y a déjà eu dans toute l’histoire de l’espionnage un seulespion qui a reconnu être un espion ? je ne crois pas. jem’appelle olly et je suiscontentdefairetaconnaissanceOlly:lefdetonadressee-mail,c’estpourquoi?Madeline:Furukawa.Mamèreestnippo-américaine,3egénération.Jesuisàmoitiéjaponaise.Olly:etl’autremoitié?Madeline:Afro-américaine.Olly : tu as un surnommadeline furukawa whittier ou je dois t’appeler madelinefurukawawhittier?Madeline : Jen’aipasdesurnom.Tout lemondem’appelleMadeline.Parfois,mamèrem’appellemonbébéoumachérie.Est-cequeçacompte?Olly:biensûrquenonçanecomptepas.personnenet’appellemadoumaddy,oumaddy-mad-mad-mad?jevaist’enchoisirunOlly:maintenantqu’onestcopains

Jeudi,20:19Madeline : Puisqu’on est copains, j’ai des questions. D’où viens-tu ? Pourquoiportes-tutoutletempsunecasquette?Est-cequetoncrâneaunedrôledeforme?Pourquoinemets-tuquedunoir ?Question annexe : es-tu au courant qu’il existedesvêtementsdansd’autrescouleurs?Jepeuxteconseiller,situveux.Quefais-tuquandtuvassurletoit?C’estquoi,letatouagesurtonbrasdroit?

Olly:çatombebienmoij’aidesréponses.onavécuunpeupartoutmaissurtoutsurlacôteest.jemesuisrasélatêtejusteavantqu’onemménageici(graveerreur).oui.parcequejesuissupersexyennoir.oui.pasbesoinde tesconseilsmerci. rien.uncode-barresMadeline:Tuesfâchéaveclesmajusculesetlaponctuation?Olly:pourquoitudisçaMadeline:Jedoisyaller.Désolée!

Vendredi,20:34Olly:alorspourcombiendetempstuespunie?Madeline:Jenesuispaspunie.Pourquoitupensesquejesuispunie?Olly:bentut’esdéconnectéesupervitehiersoir.j’imaginequec’étaitàcausedetamère.crois-moijesuisunprodelapunition.etpuistunesorsjamaisdecheztoi.jenet’aipasvueuneseulefoisdehorsdepuisquejesuislàMadeline:Jesuisdésolée.Jenesaispasquoidire.Jenesuispaspunie,maisjenepeuxpasquitterlamaison.Olly:trèsmystérieux.est-cequetuesunfantôme?c’estcequej’aipensélejouroùonaemménagéetoùjet’aivueàlafenêtre.çaseraitbienmaveinequelajoliefilled’àcôtésoitmorteMadeline:D’abordj’étaisuneespionne,maintenantjesuisunfantôme!Olly : donc pas un fantôme ? une princesse de conte de fées alors ? laquelle ?cendrillon?est-cequetuvastetransformerencitrouillesitusorsdecheztoi?Olly :ouraiponce?tuaslescheveuxplutôtlongs. laisse-lespendreet jegrimperaipourtesauverMadeline :Jemesuistoujoursditqueçanedevaitpasêtre trèspratique,etplutôtdouloureux.Tun’espasd’accord?Olly:si.doncnicendrillonniraiponce.blanche-neigealors.taméchantebelle-mèret’aensorceléepourquetunepuissespasquitterlamaisonetquelemondenesachejamaisàquelpointtuesbelleMadeline:Cen’estpasça,lavraiehistoire.Tusavaisque,danslaversionoriginale,cen’estpasuneméchantebelle-mèremaisuneméchantemère?Tuycrois,toi?Etiln’yavaitpasdenains.Intéressant,n’est-cepas?Olly:pasdutoutMadeline:Jenesuispasuneprincesse.Madeline:Etjen’aipasbesoind’êtresauvée.Olly:çameva.jenesuispasunprinceMadeline:Tumetrouvesjolie?

Olly:pouruneprincesseespionneetfantômedecontedefées?absolument

Samedi,20:01Olly:pourquoituneteconnectesjamaisavant20h?Madeline:Jenesuispassouventseuleavant.Olly:ilyaquelqu’unavectoitoutelajournée?Madeline:Onpeutéviterlesujet,stp?Olly:deplusenplusmystérieusemadelinewhittier

Dimanche,20:22Olly : je te propose un jeu. les cinq préférés sans réfléchir. livremot couleur vicepersonneOlly:allezallezplusvitemademoiselle.neréfléchispastapeMadeline :m…ince!LePetitPrince.Onctueux.Aigue-marine. Jen’enaipas.Mamère.Olly:toutlemondeadesvicesMadeline:Pasmoi.Pourquoi?Tuenascombien?Olly:assezpourenchoisirunpréféréMadeline:OK,àtoi.Olly:mêmeliste?Madeline:Oui.Olly:samajestédesmouches.macabre.noir.volerdel’argenterie.masœurMadeline : SaMajesté desmouches ? Pouah ! Je ne pense pas qu’on puisse êtreamis.Celivreestaffreux.Olly:qu’est-cequiestsiaffreux?Madeline:Tout!Olly:tun’aimespassimplementparcequec’estvraiMadeline:Qu’est-cequiestvrai?Que,livrésànous-mêmes,ons’entretuerait?Olly:ouiMadeline:Tucroisvraiment?Olly:ouiMadeline:Ehbien,pasmoi.Absolumentpas.Madeline:Tuvolesvraimentdel’argenterie?Olly:tudevraisvoirmacollectiondepetitescuillères

Lundi,20:07Olly:tuasfaitquoipourêtrepunieàcepoint?Madeline:Jenesuispaspunieetjeneveuxpasenparler.Olly:çaaunrapportavecunmec?Olly:t’esencloque?t’asunpetitami?Madeline:Oh,monDieu,t’esmalade!Jenesuispasenceinteetjen’aipasdepetitami!Pourquelgenredefilletumeprends?Olly:legenremystérieuxMadeline:Çafaitlongtempsquetupensesquejesuisenceinte?Madeline:Héoh?!Olly:çam’atraversél’espritunefoisoudeuxouquinzeMadeline:Incroyable.Olly:tuveuxsavoirsij’aiunepetiteamie?Madeline:Non.

Mardi,20:18Madeline:Salut!Olly:salutMadeline:Jemedemandaissituallaisteconnectercesoir.Çava?Olly:trèsbienMadeline:Qu’est-cequis’estpassé?Pourquoiilétaitsiencolère?Olly:jenesaispasdequoituparlesMadeline:Tonpère.Pourquoiilétaitsiencolère?Olly:tuastessecretsj’ailesmiensMadeline:OK.Olly:ok

Mercredi,3:31Olly:tun’arrivespasàdormir?Madeline:Non.Olly : moi non plus. cinq préférés sans réfléchir film nourriture partie du corps

matièrescolaireMadeline:Çafaitquatre.Etilesttroptardpourça.Jen’arriveplusàpenser.Olly:j’attendsMadeline : Orgueil et préjugés (la version de la BBC en 1995), tartines, mains,architecture.Olly:pitié.est-cequ’ilyauneseulefillesurcetteplanètequin’aimepasm.darcy?Madeline:TouteslesfillesaimentM.Darcy?Olly:tuplaisantes?mêmemasœuraimem.darcyalorsqu’ellen’aimepersonneMadeline:Elledoitbienaimerquelqu’un.Jesuissûrequ’ellet’aime.Olly:qu’est-cequ’iladesigénialcedarcy?Madeline:Tuneposespascettequestionsérieusement?!Olly:c’estunsnobMadeline : Mais il surmonte son snobisme et finit par comprendre que lapersonnalitécompteplusquelesorigines!C’estunhommequiretientlesleçonsdela vie ! Et puis, il est complètement canon, et généreux, et sombre, et rêveur, etpoétique.J’aiditqu’ilétaitcanon?EtilaimeElizabethau-delàdetoutemesure.Olly:MmmMadeline:Ehoui.Olly:àmoi?Madeline:Vas-y.Olly : godzilla, tartines, yeux,maths. attends… la partie du corps, c’est sur soi ouquelqu’und’autre?Madeline:Jen’ensaisrien!C’esttaliste!Olly:ahouais.d’accordjegardelesyeuxMadeline:Ilssontdequellecouleur,tesyeux?Olly:bleusMadeline:Soisplusprécis,stp.Olly:ohlesfilles.bleuocéanMadeline:AtlantiqueouPacifique?Olly:atlantique.ettoi,tesyeux,quellecouleur?Madeline:Chocolat.Madeline:Chocolatnoir75%decacao.Olly:héhéjoliMadeline:Çanefaittoujoursquequatrepréférés.Ilenmanqueun.Olly:jetelaisselechoixMadeline:Formepoétique.Olly:faudraitdéjàquej’enaieune

Madeline:Allez,tun’espasinculte.Olly:lescontrepèteriesMadeline:Tuesinculte.Jevaisfairesemblantquetun’asjamaisécritça.Olly:c’estquoileproblèmeavecunebonnecontrepèterie?Madeline:Une«bonnecontrepèterie»?C’estunoxymore!Olly:etc’estquoitaformepoétiquepréférée?Madeline:Lehaïku.Olly : c’est nul les haïkus. avec les contrepèteries au moins faut réfléchir pourcomprendreMadeline:Tuviensdedégringolerdustatutd’inculteaustatutdebarbare.Olly:c’estnotéMadeline:Bon,jedevraisdormir.Olly:moiaussi

Jeudi,20:00Madeline:Jen’auraispasimaginéquelesmathsétaienttamatièrepréférée.Olly:pourquoipas?Madeline :Jenesaispas.Tuescaladeslesbâtimentsetsautesau-dessusdes trucs.La plupart des gens sont bons avec leur corps ou avec leur cervelle,mais pas lesdeux.Olly:c’estunefaçonpoliedemedirequej’ail’airidiot?Madeline:Non!Enfin,cen’estpascequej’aivouludire.Olly:tuveuxplutôtdirequejesuistropsexypourêtrebonenmaths.çamevaonmeleditsouventMadeline:…Olly:c’estjusteunequestiondepratiquecommepourtout.ilyadeuxansj’aigagnéleconcoursdemathsdemonbahut,jeteferaisdire.unproblèmedeprobabilitésoudestatistiques?jesuistonhommeMadeline:Non?!Olly:si!Madeline:Tropsexy!Olly:j’ail’impressionquecen’estpassincèreMadeline:Si!Olly:nonMadeline:☺Donc,tucroisquetudeviendrasungrandmathématicien?

Olly:jenepensepasnonOlly : mon père m’a fait arrêter le club demaths. il voulait que je fasse quelquechosedeplusvirilcommelefootparexempleMadeline:Tujouesaufoot?Olly:non.ilm’afaitarrêterlesmathsmaisiln’apasréussiàconvaincrel’entraîneurde foot de me recruter en plein milieu de saison. finalement il a laissé tomberMadeline:Ets’ilremetçasurletapis?Olly:c’estunpeuplusdurdem’obligeràfairedeschosesmaintenantqu’ilyadeuxansOlly:jesuisplusméchantetpluscostaudMadeline:Tun’aspasl’airméchant.Olly:tunemeconnaispasencoresibien

Vendredi3:03Madeline:Encoreréveillé?Olly:ouiMadeline:Jesaisquetuneveuxpasenparler.Olly:etpourtant…Madeline:J’aivucequis’estpasséaujourd’hui.Tamèrevabien?Olly:çava.cen’estpaslapremièrefois.niladernièreMadeline:Jesuisdésolée…Olly:pasdejesuisdésoléeavecmoi,stpOlly:raconte-moiplutôtquelquechose,n’importequoi.quelquechosedemarrantMadeline:OK.Pourquoiungarsest-ilsurprisdevoirducéleriluipousserdanslesnarines?Olly:pourquoi?Madeline:Parcequ’ilavaitplantédumaïs.Madeline:Euh…yaquelqu’un?Olly:ohlàlàcetteblagueestnulleMadeline:Maisellet’aquandmêmefaitsourire.Olly:ouic’estvraiOlly:merciMadeline:Quandtuveux.

Samedi,20:01Olly:j’imaginequejeneteverraipasenvraiavantlarentrée?Madeline:Jenevaispasaulycée.Olly:ahbon?déjààlafac?Madeline:Non.Dansaucuneécole.Jesuislescoursparcorrespondance.Olly:pourquoi?Madeline:Jenepeuxvraimentpasenparler.Olly:allez,quoi.tudoism’aiderunpeu,làMadeline:Jeveuxqu’onsoitamis.Jeneveuxpasquetuaiespitiédemoi.Olly:dis-moic’esttout.onseraencoreamisMadeline:Jesuismalade.Olly:maladecomment?Madeline:Vraimentmalade.Maladeànepaspouvoirmettrelenezdehors.Olly:nomdedieuOlly:tuvasmourir?Madeline:Pastoutdesuite,non.Olly:bientôt?Madeline:Sijequittaislamaison,oui.Olly:okOlly:onestencoreamis,jen’aipaspitiédetoiMadeline:Merci.Olly:commentçamarchel’écoleparcorrespondance?Madeline : Tous mes cours sont sur Skype. J’ai des devoirs, des contrôles, desnotes.Beaucoupdegenssontscolarisésàdomicile.Olly:hum,coolOlly : t’as déjà remarqué que de nombreux finalistes aux concours d’orthographesontscolariséschezeux?Madeline:Jamaisremarqué,non.Olly:c’estvéridiqueOlly:jevoudraisqu’onpuisseserencontrerMadeline:Moiaussi.Madeline:Bon,jedoisyaller,maintenant.Olly:vas-yalorsOlly:toujourslà?

Madeline:Oui.Olly:vaàlafenêtreMadeline:Maintenant?Jesuisenchemisedenuit.Olly:enfileunerobedechambre.vaàlafenêtrequejepuissetevoirMadeline:OK,j’yvaistoutdesuite.Bonnenuit,Olly.Olly:bonnenuitmaddy

LEREPASDEL’ASTRONAUTE

–M.Watermanmontetevoir,meditCarladepuislaporte.Jesuisenfinentraindemettrelatouchefinaleàmamaquettepourlecoursd’architecture.J’aidû

abrégerdeuxnuitsdetchatavecOllypourenveniràbout.Jeneveuxpasquemamères’inquiètedenouveau.Pourcedevoir,jedevaisimagineruncentrecommercialetderestaurationàcielouvert,danslestylearchitecturaldemonchoix.J’aiprisl’artdéco,parcequejetrouvequelesbâtimentsontl’airprêtsàs’envoler.Aucœurdececomplexe, j’ai imaginéuneterrasseavecunsolengazonetd’immenseschaises

aux formes bizarres, décorées de motifs en zigzag de couleurs vives. J’ai déjà « planté » dansl’herbe des palmiers en plastiqueminiatures, et à présent je place des personnages en plastiqueminiatures portant des sacs de courses en plastique miniatures de façon stratégique, de sorte àdonneràlascène«l’énergiedelavie»,commediraitM.Waterman.Endeuxansdecoursparticuliers, jenel’airencontréqu’àdeuxreprises.D’habitude, tousmes

cours, y compris ceux d’architecture, se déroulent via Skype. Cette semaine, ma mère fait uneexception. Jepensequ’elle se sentencoremalàcausede lavisitedeKaraetOlly, ilyaquinzejours. Je lui aiditqu’ellen’avaitpasà s’en faire,maisellea insisté.Recevoirunvisiteur, c’esttouteuneaffaire,carildoitaccepterquel’onvérifiesesantécédentsdesantéetdepasserunevisitemédicale approfondie. Il doit également être décontaminé, c’est-à-dire passé sous un puissant jetd’airpendantuneheureenviron.C’estunevéritableépreuvedevenirmevoir.M. Waterman déboule dans la pièce, l’air joyeux mais débordé, comme le père Noël un

24décembreavantdemontersursontraîneau.Leprocessusdedécontaminationluiadonnéfroid,ilse frotte lesmainset souffledessuspourse réchauffer.Puis les frappe l’unecontre l’autreenmesaluantjoyeusement:–Bonjour,Madeline!Detousmesprofs,c’estmonpréféré.Ilnemeregardejamaisavecdesyeuxdepitié,etilaimesa

matièreautantquemoi.Sij’étaisdestinéeàdevenirquelquechosequandjeseraigrande,ceseraitarchitecte.–Bonjour,monsieurWaterman.J’aiunsouriregêné,jenesaispasvraimentcommentmecomporterenprésenced’unepersonne

quin’estnimamèreniCarla.–Ehbien,qu’avons-nouslà?demande-t-il,sesyeuxpétillantdemalice.Jeposemesdeuxderniers«clientsminiatures»devantunmagasinde jouets,et jereculed’un

pas.

Iltourneautourdemamaquettepourl’observer,tantôtaffichantunsourireradieux,tantôtfronçantlessourcils,etfaisanttoutletempsclaquersalanguecontresonpalais.–Ehbien,machère,vousvousêtessurpassée!C’esttrèsjoli!Il se redresse et s’apprête à me tapoter l’épaule avant de se raviser. Aucun contact physique

autorisé. Il secoue doucement la tête, puis se penche à nouveau pour continuer à examiner mamaquette.–Oui,oui,vraimentjoli!Iln’yaquequelquespetiteschosesàrevoir.Maisd’abord!Oùs’est

cachénotreastronaute?Chaquefoisquejeconçoisunenouvellemaquette,jefabriqueunefigurined’astronauteenargile,

que je cache dedans. Chaque figurine est différente. Cette fois, l’astronaute porte un scaphandreintégral,avecuncasquehermétiqueetunréservoiràoxygène,etilestassisaurestaurantdevantunetable encombrée de nourriture. Je lui ai préparé des banana splits miniatures, une montagne depancakesauxmyrtilles,desœufsbrouillés,des tartinesaubeurreet à laconfiture,dubacon,desmilkshakes (fraise, chocolat et vanille), des cheeseburgers et des frites. Je voulais que les fritessoientenformedetire-bouchon,maisj’aimanquédetempsetdûmecontenterdefritesordinaires.

–Levoilà!s’exclameM.Waterman.Illecontempleuninstantenfaisantclaquersalangue,puisilsetourneversmoi.Sesyeuxrieurs

lesontunpeumoinsqued’habitude.– C’est merveilleux, ma chère !Mais comment va-t-il réussir à manger toute cette succulente

nourritureavecsoncasque?Je regarde mon astronaute. Il ne m’était jamais venu à l’esprit qu’il pourrait avoir envie de

manger.

TOUTESTRISQUÉ

Carlamesouritcommesiellesavaitquelquechosequej’ignore.Elleafaitçatoutelajournée,chaque foisqu’elle croyait que jene lavoyaispas.Elle a aussi chantéTakea chanceonme deABBA,songroupepréférédepuistoujours.C’estincroyablecequ’ellechantefaux.IlfaudraitquejedemandeàOlly laprobabilitéqu’aucunenotede touteunechansonnesoit juste.Peut-êtreque,grâceauhasard,elleenaquandmêmeforcémentunedebonne?Il est midi et demi, et j’ai une demi-heure pour déjeuner avant que mon prof d’histoire se

connecte. Jen’aipas faim. Jen’aipratiquementplus jamais faim.Apparemment, le corpshumainpeutsenourrirexclusivementdetchat.DèsqueCarlaregardeailleurs,jevaisfaireuntoursurmaboîtee-mails.Treizemessagesd’Olly

depuishiersoir.Tousenvoyésauxalentoursde3heuresdumatinet,bienentendu,toussansobjet.Jerisdoucementensecouantlatête.Jevoudrais les lire, jemeursd’enviede les lire,mais,avecCarladans lapièce, jedois faire

attention. Je jette un coup d’œil vers elle et croise son regard curieux, les sourcils levés.Est-cequ’ellesedoutedequelquechose?–Qu’est-cequ’ilyadesiintéressantsurcetordinateur?demanda-t-elle.Mince.Ellesait,c’estsûr.Jerapprochemachaisedubureauetposemonsandwichsurleportable.–Rien.Jeprendsunebouchée.Lemardi,c’estsandwichaublancdedinde.–Non,cen’estpasrien.Ilyaquelquechosequit’amuse.Elle s’approche enme souriant.Sesyeuxmarron seplissent, et son sourire s’étire jusqu’à ses

oreilles.–C’estjusteunevidéodechat,dis-je,labouchepleine.Aïe,mauvaiseidée!Carlaadorelesvidéosdechats.Elletrouvequec’estlaseulechosevalable

surInternet.Elle contourne la table pour venir derrière moi et tend la main vers l’écran. Je lâche mon

sandwichetattrapel’ordinateur,quejeserrecontremapoitrine.Jesuisunetrèsmauvaisementeuse,aussijedébitelapremièrechosequimepasseparlatête:–Ilnefautpasquetuvoiesça,Carla.C’estsupertriste.Lechatmeurt.Nous restons là à nous dévisager pendant quelques secondes, comme suspendues à un silence

stupéfait.Jesuisstupéfaited’êtreaussibêteetjen’enrevienspasd’avoirditça.Carlaeststupéfaite

quejesoisaussibête,etellen’enrevientpasquej’aieditça.Ellerestebouchebéed’unefaçonunpeucomique,commeunpersonnagededessinanimé,etsesgrandsyeuxrondssontplusgrandsetplusrondsquejamais.Puiselleseplielittéralementendeuxetsefrappelescuissesenriantcommejenel’aijamaisentenduerire.Franchement,quid’autresedonnedesclaquessurlescuissesquandilrit?–Tun’asvraimentpastrouvéd’autreexcusequelecoupduchatmort?s’esclaffe-t-elle.Etelleritdeplusbelle.–Alorstusais?–Ehbien,sijenelesavaispasavant,c’estchosefaite!Elleseremetàrireetàsetaperlescuisses.–Tuauraisdûvoirtatête!–Cen’estpassidrôlequeçanonplus…Jesuisunpeuvexéedem’êtretrahie.–Etpuis,n’oubliepasquej’ailamêmeàlamaison.JedevinetoutdesuitequandRosaprépare

uncoupendouce.Ettoi,Miss,tuesnullepourcacherleschoses.Jet’aivuevérifiertese-mailsetleregarderparlafenêtre.Jereposemonordinateursurlebureau.–Alors,tun’espasfâchéecontremoi?dis-je,soulagée.Ellemetendmonsandwich.–Çadépend.Pourquoitunevoulaispasm’enparler?Ellemefixependantunelongueseconde.–Est-cequejedoism’inquiéter?–Non.–Alorsjenem’inquiètepas.Ellecoiffemescheveuxenarrière,derrièremesépaules.–Mange,conclut-elle.

UNQUARTD’HEUREPLUSTARD

–Peut-êtrequ’ilpourraitvenirmerendrevisite?Maquestionmesurprendmoi-même,maisCarlanesemblepasétonnéelemoinsdumonde.Elle

n’arrêtemêmepasd’essuyerl’inexistantepoussièresurmabibliothèque.–Cesados,touslesmêmes!Donnez-leurundoigt,etilsvousprennentlebras.–Çaveutdirenon?Elleéclated’unpetitrire.

DEUXHEURESPLUSTARD

J’essaieencore.– Ce serait juste pour une demi-heure. Il pourrait être décontaminé, commeM.Waterman, et

alors…–Tuesdevenuefolle?

DIXMINUTESPLUSTARD

–Justepourunquartd’heure?–Non.

ENCOREPLUSTARD

–S’ilteplaît,Carla…Ellemecoupelaparole:–Etmoiquipensaisquetut’ensortaisbien!–C’estlecas.Jem’ensorsbien.Jeveuxjustelevoir.–Onnepeutpastoujoursavoircequ’onveut.Àsontoncatégorique,jedevinequ’elleutilisesouventcetteformuleavecRosa.Ellenedoitpas

êtreraviedemeservirlemêmediscours,pourtantellen’ajouterien.

Lajournéeprendfin.Avantdepartir,Carlas’arrêtesurleseuildemachambre.–Tusaisquejen’aimepastedirenon.Tuesunefilleraisonnable.Jem’engouffredanslabrèche:– Il se ferait décontaminer et resterait assis à l’autre bout de la pièce, loin, très loin demoi,

seulementpendantquinzeminutes.Trentemaximum.Ellesecouelatête,maissongestemanquedefermeté.–C’esttroprisqué.Ettamèren’accepteraitjamais.–Onneleluidiraitpas.J’airépondudutacautac.Ellem’adresseunregardcinglant,pleindedéception.–Voustrouvezdonctoutesçatrèsfacile,dementiràvosmamans?

ÀQUISAITATTENDRE

Carlan’enreparlepasavantlafindudéjeuner,deuxjoursplustard.–Maintenant,écoute-moi,articule-t-elle.Pasdecontactphysique.Turestesd’uncôtédelapièce,

etluidusien.Jeluiaidéjàditlamêmechose.Jecomprendslesmotsqu’elleprononce,maisjenesuispassûredecomprendreleursens.–Çaveutdireque…?Qu’ilestici?Ilestdéjàici?–Turestesdetoncôté,etluidusien.Aucuncontact.Compris?Non!Maisjehochequandmêmelatête.–Ilt’attenddanslavéranda.–Décontaminé?L’expressiondesonvisagesemblemerépondre:«Pourquitumeprends?»Jemelève,merassoisaussitôt,melèveànouveau.–Oh,Seigneur!gémit-elle.Vavitet’arranger!Jetedonnevingtminutes.Monestomacnesecontentepasdefairedessaltos;c’estdelahautevoltigesansfilet!–Pourquoituaschangéd’avis?Ellevientversmoi,attrapemonmentonentresesdoigtsetmeregardedroitdanslesyeuxpendant

silongtempsquejecommenceàmetrémousserd’impatience.Jevoisbienqu’elleadumalàmettredel’ordredanssesidées.Finalement,ellelâchejuste:–Tuméritestoutdemêmeunpetitquelquechose.C’estcommeçaqueRosaobtient toutcequ’elleveut.Il luisuffitde ledemanderàsamèreau

(trop)grandcœur.

Jemedirigeverslemiroirpour«m’arranger».J’avaispresqueoubliéàquoijeressemble.Jenemeregardepassouvent.Quelintérêtquandiln’yapersonned’autrepourvousvoir?J’aimel’idéequejeressembleàégalitéàmesdeuxparents,cinquantepourcentàmamère,cinquantepourcentàmonpère.Mapeaubrune,c’estcequ’onobtientenmélangeantsa teintemateàelleetsacouleurchocolatàlui.Mescheveuxsontlongs,épaisetondulés,pasaussifrisésqueceuxdemonpère,maispas aussi raides que ceux de ma mère. Même mes yeux sont un mélange parfait des leurs, niasiatiquesniafricains,maisquelquepartentrelesdeux.Je détourne le regard, puis le dirige de nouveau vers lemiroir, rapidement, pour tenter deme

prendreaudépourvuafind’avoirune imageplus juste,afind’essayerdevoircequ’Ollyvavoir.

J’essaiedesourire,puisderire,enmontrantoucachantmesdents.J’essaiemêmeunfroncementdesourcils,bienquej’espèren’avoiraucuneraisondelefaireensuite.Carlam’observequigrimacedevantlemiroir,avecuneexpressionmi-amusée,mi-perplexe.–Jemerappellequandj’avaistonâge,murmure-t-elle.Jenemeretournepas,préférantm’adresseràsonreflet.–Tuessûrequec’estunebonneidée?Tunepensesplusquec’esttroprisqué?–Tuessaiesdemefairechangerd’avis?Elles’approcheetposeunemainsurmonépaule.–Toutestrisqué.Mêmenerienfaire,c’estrisqué.C’estàtoidedécider.J’examinema chambre blanche autour demoi,mon canapé blanc,mes étagères blanches,mes

mursblancs,ceschosessisûres,familièresetimmuables.Je pense à Olly, qui doit m’attendre, transi de froid après sa décontamination. Il est tout le

contraire.Passûr.Pasfamilier.Toujoursenmouvement.Ilestleplusgrandrisquequej’aiejamaispris.

IMPARFAITDUFUTUR

De:MadelineF.WhittierÀ:[email protected]:FuturantérieurEnvoyéle:10juillet,12:30

Quandtulirascemail,onseserarencontrés.Çaauraétéparfait.

OLLY

La véranda est ma pièce préférée. Elle est entièrement vitrée et donne sur notre jardinparfaitemententretenu.Elle ressembleunpeuàune forêt tropicalede cinéma, rempliede faussesplantes exotiques très réalistes. Partout il y a des bananiers et des cocotiers chargés de fruitsfactices, des hibiscus recouverts de fleurs en plastique. Il y amême un ruisseau gargouillant quiserpenteàtraverslapièce,sanspoissons,biensûr–enfin,sansvraispoissons.Lemobilierenrotinuséal’aird’avoirsubiunelongueexpositionausoleil.Et,pourentretenir l’impression tropicale,mamèrelaissealluméenpermanenceundiffuseurd’airchaud,etunebrisetièdeemplitlapièce.Laplupartdutemps,j’adoreêtreici,carjepeuxm’imaginerquelesvitresdisparaissentetqueje

suisDehors.Maisparfoisjem’ysenscommeunpoissondansunaquarium.Letempsquejelerejoigne,Ollyadéjàtrouvédesprisespoursesmainsetsespiedssurlemur

dufondenfauxrocher,etilacommencéàl’escalader.Quandj’arrivesurleseuil,ilpinceunelargefeuilledebananierentredeuxdoigts.–C’estdufaux,dit-il.–C’estdufaux,dis-je,exactementenmêmetemps.Il lâche la feuillemais demeure là où il est, accroché aumur.Grimper pour lui, c’est comme

marcherpourlerestedumonde.Jenesaispastropquoiajouter,alorsjedemande:–Tucomptesresterlà-haut?–Jenesaispas…Carlam’abienfaitcomprendrequejenedevaispast’approcher,etjecrois

quec’estlegenredefemmequ’ilnefautpastropembêter…–Tupeuxquandmêmedescendre.Carlan’estpasaussiterriblequ’elleenal’air.–OK.Il se laisse glisser sans effort jusqu’en bas. Puis ilmet lesmains dans ses poches, croise les

jambesets’adossecontrelemur.Jenel’aijamaisvuaussiimmobile.Jepensequ’ilessaiedenepastropm’effrayer.–Tupeuxpeut-êtreentrer…,murmure-t-il.Jem’aperçoisalorsque jesuis toujourssur leseuil, lamainposéesur lapoignée. Je ferme la

portesanslequitterdesyeux.Luiaussimesuitduregard.Aprèstouslesmessagesquenousavonséchangés,j’avaisl’impressionde leconnaître,mais,à

présentqu’ilse tientdevantmoi,cesentimentadisparu. Ilestplusgrandque jene lepensais,etbeaucoupplusmusclé,sansêtremassif.Sesbrassontmincesetsculptés,etlesmanchesdesonT-shirtnoirserrentsesbiceps.Sapeaualacouleurducaramel.Elledoitêtrechaudeautoucher.

–Tun’espascommejelecroyais.Ilsourit,etunefossettesecreusesursajouedroite.–Jesais.Jesuisplussexy,hein?Allez,tupeuxledire…J’éclatederire.–Commenttufaispourtrimballerunegoaussigrosetaussilourd?–C’estgrâceàmesmuscles,réplique-t-ilengonflantsesbicepsetenlevantunsourcildefaçon

comique.Manervosité s’envole un instant,mais revient aussitôt quand je constate qu’ilme regarde rire

sansplusriendirependantdetropnombreusessecondes.– Tes cheveux sont vraiment longs, observe-t-il. Et tu nem’avais jamais dit que tu avais des

tachesderousseur.–J’auraisdû?–Lestachesderousseur,c’estunmotifderupturedecontrat.Ilsourit,etlafossetteréapparaît.Adorable.Jevaisverslecanapéetm’yassois.Ilresteadossécontrelemur,àl’autreboutdelapièce.–Ellesm’empoisonnentlavie,dis-je,enfaisanttoujoursallusionàmestachesderousseur.C’estridicule,puisquecequim’empoisonnelavie,bienentendu,c’estlamaladieetlefaitdene

paspouvoirquitterlamaison.Nousnousenrendonscompteenmêmetemps,etnouspouffonstouslesdeux.–Tuesmarrante,murmure-t-ilquandnosriressetaisent.Jesouris.Jenemesuisjamaisvuecommeunboute-en-train,maisjesuiscontentequ’illepense.Nousrestonsquelquesinstantsdansunsilencegêné,cherchantnosmots.Entchat, lesblancsse

remarquent beaucoupmoins.On peut les attribuer à une distraction quelconque.Mais là, dans lavraievie,onal’impressiondevoirdesbullesviergesau-dessusdenostêtes.Quoique…enfait,lamienneneserait pasviergedu tout,mais jenepeux toutdemêmepas lui avouer àquelpoint jetrouvequ’iladebeauxyeux.Ilssontaussibleusquel’océanAtlantique,exactementcommeil l’adit.C’estidiot,biensûr,puisquejelesavais.Maisladifférenceentrelesavoiretlevoir,c’estunpeulamêmequ’entrerêverqu’onvoleetvoler.–Elleestincroyable,cettepièce,déclare-t-ilenfin,enpromenantsonregardautourdelui.–Oui.Mamèrel’afaitaménagerpourquej’aiel’impressiond’êtreàl’extérieur.–Etçamarche?–Laplupartdutemps.J’aibeaucoupd’imagination.–Tuesvraimentunehéroïnedecontedefées.PrincesseMadelineetlechâteaudeverre.Ilsetaitdenouveau,commes’ilhésitaitàaborderunsujet.–Tupeuxposertaquestion,luidis-je.Ilporteautourdupoignetunélastiquenoirenguisedebracelet,sur lequel il tireplusieursfois

avantdeselancer:–Tuesmaladedepuiscombiendetemps?–Depuistoujours.–Qu’est-cequisepasseraitsituallaisdehors?–Matêteexploserait.Oumespoumons.Oumoncœur.–Commenttuarrivesàrirede…?

Jehausselesépaules.–Commentj’arriveraisàquoiquecesoitsijen’enriais?Ousijedésiraistoutesceschosesque

jenepeuxpasavoir?–Unvéritablemaîtrezen.Tudevraisdonnerdescours.–C’estuntrèslongapprentissage.Jeluirendssonsourire.Il s’accroupit, puis s’assoit, toujoursdos aumur, les brasposés sur ses genoux. Il a beau être

immobile,jesensàquelpointilabesoindebouger.Cegarçonestunebouled’énergiepure.–Oùrêves-tuleplusd’aller?demande-t-il.–L’espace,çacompte?–Non,Maddy,endehorsdel’espace.J’aimesafaçondedire«Maddy»,d’untonsinaturelqu’oncroiraitqu’ilm’appelleainsidepuis

toujours.–Lamer.Laplage.–Tuveuxquejetelesdécrive?J’acquiesceavecplusdevigueurquejenel’auraisvoulu.Moncœurs’accélère,commesij’étais

entraindefairequelquechosed’interdit.–J’aidéjàvudesphotosetdesvidéos,maisqu’est-cequeçafaitdesebaignerpourdevraidans

l’océan?Lemêmeeffetqued’êtredansunebaignoiregéante?–Engros, oui, confirme-t-il en réfléchissant.Non, en fait, je retire ce que j’ai dit. Prendreun

bain,çadétend.Alorsquesebaignerdansl’océan,c’estunpeueffrayant.C’estmouillé,etfroid,etsalé,etdangereux…Jenem’attendaispasàcetteréponse.–Tun’aimespaslamer?Ilesquisseunsourireencoin.–Jeneladétestepas,etmêmejelarespecte,s’enflamme-t-ilendressantl’index.Respect.C’est

laMèreNaturedanstoutesasplendeur:impressionnante,magnifique,indépendante,assassine.Tuterendscompte?Toutecetteeau,quipourtantnet’empêcheraitpasdemourirdesoif.Etlesvaguesqui n’ont d’autre but que de t’aspirer pour que tu te noies plus vite. L’océan peut t’avaler et terecracher,sansmêmet’avoirremarquée.–Oh,monDieu!Enfait,tuesungrostrouillard!–Etencore,onn’apasabordé lesujetdes requinsblancs,descrocodilesd’eaudemer,oude

l’AiguilledeMerdel’océanIndien…–D’accord,d’accord…,dis-jeenriantetenlevantlesmainspourqu’ils’arrête.–Cen’estpasuneblague,maintient-ilavecunfauxsérieux.L’océan,çatue.Ilmefaitunclind’œiletajoute:–MèreNatureestunemèreunpeunaze.Jeristroppourpouvoirluirépondrequelquechose.–Bon,enchaîne-t-il.Qu’est-cequetuveuxdécouvrird’autre?–Aprèsça?Rien!–Allez,jesuisunpuitsdescience!–OK.Situmemontraisunedetessupercascades?

Enunclind’œil,ilestdeboutetilévaluelapièced’unregardcritique.–Jen’aipasassezdeplace.Ilvaudraitmieuxqu’onailledeh…Ils’interromptaumilieudesaphrase.–Merde.Jesuisdésolé,Maddy.–Arrête,tun’aspasàêtredésolé,dis-jeenmelevant.J’aiprononcécesmotsd’untonunpeusec,maisc’estimportant.Jenesupporteraispasqu’ilait

pitiédemoi.Ilfaitclaquersonélastiquecontresonpoignet,hochelatêteetchangedesujet:–Jepeuxfairelepoiriersurunemain.Il s’écarte du mur et se laisse tomber en avant avec une facilité déconcertante, jusqu’à se

retrouver la têteenbas,enappuisur lesmains.Lemouvementaétésigracieuxetsi fluidequ’uninstant j’en suis jalouse. Quelle sensation cela peut-il faire d’avoir une telle confiance en soncorps?–Incroyable…,dis-jeàvoixbasse.–Pourquoituchuchotes?Onn’estpasdansuneéglise,mesignale-t-il,mêmesi,danssaposition,

ilnepeutpasnonplusparlerfort.–C’estvrai…maisçamelaissesansvoix…Ilnerelèvepaslecompliment.Aulieudecela,ilfermelesyeux,lèvelentementlamaingaucheet

maintient lebrasà l’horizontalesur lecôté. Il estpresque totalement immobile.Dans lapiècenerésonnentquesarespirationunpeulourdeetlegargouillisduruisseau.SonT-shirtaglissévers lebas,dévoilantlesmusclesdesonventreetsapeaucouleurcaramel.Jedétourneleregard.–Bravo,tupeuxarrêtermaintenant!Enunbattementdecils,ilestdenouveausursespieds.–Qu’est-cequetusaisfaired’autre?Ilfrottesespaumesl’unecontrel’autreetm’adresseunsourire…Unfliparrièreplustard,ilserassoitdosaumur,lespaupièrescloses.–Pourquoituasd’abordpenséàl’espace?demande-t-il.Jehausselesépaules.–SansdouteparcequejeveuxvoirlaTerreentière.–C’estassezoriginal,commeréponse,commente-t-ilavecunemoueamusée.J’acquiesceetjefermelesyeux,moiaussi.–Est-cequ’ilt’arrivedesentir…MaisjesuisinterrompueparCarla,quidébouledanslapiècepourmettreOllydehors.–Vousvousêtestouchés?demande-t-elle,lesmainssurleshanches.Nousouvronslesyeuxenmêmetempsetnousnousdévisageons.Jesuissoudain incroyablement

conscientedelaproximitéentresoncorpsetlemien.–Non,aucuncontact,répondOlly,sansquittermonvisageduregard.Quelquechosedans son tonme fait rougir jusqu’auxoreilles, etunevague de chaleur descend

doucementdemonvisageàmapoitrine.Lacombustionspontanéeexiste;j’ensuissûre,maintenant.

DIAGNOSTIC

PERSPECTIVES

Lelendemainmatin,avantl’arrivéedeCarla,jepasseexactementtreizeminutesàmepersuaderque je suis en trainde tombermalade.Ellemet exactement sixminutes àm’endépersuader.Elleprendmatempérature,matension,mesuremonrythmecardiaqueetmonpouls,avantdedéclarerquejesuistoutsimplementmaladed’amour.–Symptômesclassiques,précise-t-elle.–Jenesuispasamoureuse.Jenepeuxpasêtreamoureuse.–Etpourquoipas?–Àquoiçam’avancerait?dis-jeenlevantlesbrasauciel.Moiamoureuse,ceseraitcommeêtre

uncritiquegastronomiquesanspapillesgustatives!Ceseraitcommeêtreunpeintredaltonien!Ceseraitcomme…–Prendreunbaindeminuittouteseule.Là,jenepeuxpasm’empêcherd’éclaterderire.–Exactement.Aucunintérêt.–Pasaucunintérêt,enchaîne-t-elleenmedévisageantd’unairsérieux.Cen’estpasparcequetu

nepeuxpas tout expérimenterque tunedois rien expérimenter.Etpuis, les amoursdésespérées,c’estlavie.–Jenesuispasamoureuse.–Ettun’espasmalade,riposte-t-elle.Donc,iln’yapasdequois’inquiéter.

*

Lerestedelamatinée,jesuistroppréoccupéepourlireoufairemesdevoirs.Malgrélesefforts

deCarlapourmeconvaincrequejenesuispasmalade, jemesurprendsàprêterunetropgrandeattentionàmoncorpsetàsesréactions.Est-cequejen’aipasdespicotementsdanslesdoigts?Est-cequejeressensça,d’habitude?Pourquoiai-jel’impressiond’êtreàboutdesouffle?Combiendetempspeut-onavoirl’estomacnouéavantqu’ildevienneimpossiblededéfairecenœud?JedemandeàCarlad’effectuerdenouveauxtests,etlesrésultatssonttousnormaux.L’après-midi, j’admets sans ledirequeCarlaapeut-êtremis ledoigt surquelquechose. Jene

suissansdoutepasamoureuse,maisjel’aimebien.Jel’aimesincèrementbien.J’erresansbutdanslamaison,et j’ai l’impressionde levoirpartout.Dans la cuisine, en trainde se fairegrillerdestartines.Danslesalonàcôtédemoi,peinantàregarderOrgueiletPréjugés.Dansmachambre,son

corpsvêtudenoirallongésurmoncanapéblanc.Et jenevoispas seulementOlly. Jemevois,moi, flottant très loinau-dessusde laTerre.Des

confinsde l’espace, j’embrassedu regard lemonde entier.Mesyeuxneviennent buter sur aucunmur,aucuneporte.Jevoisledébutetlafindestemps.Jevoisl’infini.Pourlapremièrefoisdepuislongtemps,j’aienviedeplusquecequej’ai.

LEPAYSDESMERVEILLES

Etc’estcetteenviequimefait redescendrebrutalementsur terre.Cetteenviemeterrifie.C’estcommeunemauvaiseherbequigagnelentementduterrain,àvotreinsu.Avantmêmequevousvousenrendiezcompte,elleadétruitvotrepelouseetgrimpedevantvosfenêtres.J’envoieununiquee-mailàOlly.Jesuistrèsoccupéeceweek-end,luidis-je.J’aibesoindeme

concentrer, lui dis-je. J’éteinsmon ordinateur, le débranche et l’enfouis sous une pile de livres.Carlahausseunsourcilinterrogateur.Jeluirépondsenfronçantlesmiens.Jepasse lamajeurepartiedemon samedi àpeiner surmesdevoirsd’arithmétique.Lesmaths,

c’estlamatièrequej’aimelemoins,etcelledanslaquellej’obtienslesmoinsbonnesnotes.Ilestpossiblequecesdeuxfaitssoientliés.Lesoir,jemereplongedansuneversionannotéeetillustréed’AliceauPaysdesMerveilles.LorsqueCarlapliebagage,àlafindelajournée,jeleremarqueàpeine.–Vousvousêtesdisputés?demande-t-elleendésignantmonordinateurportable.Jesecouelatêtemaisn’endispasdavantage.

Le dimanche, je ressens un besoin urgent d’aller voir mes e-mails. J’imagine ma boîte de

réceptiondébordantdemessagessansobjetd’Olly.Est-cequ’illanced’autres«cinqpréféréssansréfléchir»?Est-cequ’ilabesoindecompagniepourfuirl’ambiancechezlui?–Tuvasbien,répèteCarlaavantdepartircesoir-là.Ellem’embrassesurlefront,etjemesensànouveaucommeunepetitefille.J’emporteAlice jusqu’àmoncanapéblancetjem’installeconfortablement.Carlaaraison,bien

sûr.Jevaisbien,maisj’aipeurdemeperdre,commeAlice.Jen’arrêtepasdepenseràl’étédemeshuitans.J’avaispassétellementdetemps,lefrontappuyécontrelavitre,àmetorturermoi-mêmeavecdesdésirsvains.Audébut,jevoulaisjusteregarderparlafenêtre.Puisj’aivoulusortir.Puisjevoulaisallerjoueraveclesenfantsduquartier,allerjoueravectouslesenfantsoùqu’ilssoient,êtrenormalejustepouruneaprès-midi,unejournée,unevie.Donc,jeneconsultepasmese-mails.Cedontjesuiscertaine,c’estquevouloirquelquechoseme

faitvouloirdavantage.Ledésirestsansfin.

LAVIEESTCOURTE

(OULARUBRIQUEDUSPOIL,PARMADELINE)

AliceauPaysdesMerveilles,deLewisCarroll

Attention,spoiler:Méfiez-vousdelaReinedeCœur.

Elleauravotretête.

CEQUINETETUEPAS…

Aucun e-mail d’Olly. Pas un seul. Je vérifie même dans ma boîte de spams. Ça devrait mecontrarier,maisnon.Çanemecontrariepastellement.Justeparsouciderigueur,jeréactualisetoutdemêmemamessagerietroisfoisencoreenl’espacededeuxsecondes…Ilssontpeut-êtrecachésquelquepart,coincésderrièred’autresmessages.Carlaentreaumomentoùjem’apprêteàréactualiserunefoisdeplus.–Jemedemandaissituoseraisdéterrercettechoseunjour.–Bonjouràtoiaussi,dis-je,encontinuantàloucherversl’écran.Ellesouritetselancedanssonhabitueldéballagedel’attirailmédical.Pourquoinelelaisse-t-

ellepasicilanuit?Mystère…–Qu’est-cequec’estquecetteminerenfrognée?C’estencoreàcaused’unevidéodechatmort?Ellearboreunlargesourirepleindedents,quilafaitressemblerauChatduCheshiredansAlice.

Bientôt,soncorpsvadisparaître,etiln’yauraplusquesatêtesouriantequiflotteradanslesairs.–Ollynem’apasenvoyéd’e-mail.Jecroisque«interloquée»estletermequiconvientpourdésignersaréaction.–Detoutleweek-end,dis-je,pourqu’elleprennebienconsciencedelasituation.–Jevois.Ellemetlestéthoscopedanssesoreillesetposeunthermomètresurmalangue.–Ettoi,tuluiasécrit?–Ouich…,dis-jeaveclethermomètredanslabouche.–Neparlepas,répondsjusteenbougeantlatête.–Déjolée.Ellelèvelesyeuxauciel.Quandlebip!retentit,jelisavantelle,enluirendantlethermomètre:–Trente-huit.Engros,jeluiaidemandédeneplusm’écrire.Jesuisridicule,hein?Ellemefaitsignedemetournerpourécoutermespoumons.J’insiste:–D’aprèstoi,jesuisridiculeàquelniveau,suruneéchellede1à10,sachantque1correspondà

«parfaitementrationnelle»et10à«folleàlier»?–Àpeuprès8,réplique-t-ellesanshésiter.Jem’attendaisàcequ’elle réponde12,alors8sonnecommeunevictoire.Je le luidis,etelle

éclatederire.

–Donc,cequetumeracontes,c’estquetuluiasdemandédenepast’écrire,etilnet’apasécrit.C’estbiençaquetumeracontes?–Ehbien,jen’aipasnonplusenvoyé«N’ÉCRISPAS»engrosseslettresetengras.Jel’aijuste

informéquej’étaisoccupée.Jem’attendsàcequ’ellesemoquedemoi,maisnon.–Pourquoituneluiaspasécrit?–Àcausedecedontnousavonsparlé.Jel’aimebien,Carla.Beaucoup.Trop.Jelisdanssesyeux:«C’esttout?»–Tuveuxvraimentperdre leseulamique tuas jamaiseu, justeparceque tuasunpeumalau

cœur?J’ailubeaucoup,beaucoupdelivressurlespeinesdecœur.Pasunnelesdécritcomme«unpetit

mal».«Quelquechosequibrisel’âmeetdétruitlemondetelqu’ilexistaitjusqu’alors»,oui.«Unpetit

mal»,non.Elles’appuiesurledossierducanapé.–Tunepeuxpasencorelesavoir,maisçavapasser.C’estjustel’attraitdelanouveautéetles

hormones.Elleapeut-êtreraison.J’aimeraisqu’elleaitraison,commeçajepourraisreparleràOlly.Carlasepencheànouveauenavantetm’adresseunclind’œil.–Ça,etlefaitqu’ilsoitassezmignon.–C’estvraiqu’ilestmignon,hein?–Jenepensaismêmepasqu’onenfabriquaitencoredescommeça!Je glousse avec elle, imaginant uneusine avecune chaînedemontage sur laquelle défileraient

pleindepetitsOlly.Commentréussirait-onàlesfairesetenirimmobilesletempsdelesemballeretdelesexpédier?Ellemedonneunepetiteclaquesurlesgenoux.–Allez!s’écrie-t-elle.Tuasassezdesouciscommeça,etl’amour,çanetuepas.

NONOUIPEUT-ÊTRE

Lundi,20:09Madeline:Salut!Olly:sltMadeline:Commenttuvas?Comments’estpassétonweek-end?Olly:super.bienOlly:ettoi?Madeline : Bien, mais occupé. Passé presque tout mon temps sur mes devoirsd’arithmétique.Olly:aaahl’arithmétique.lesmathsmodernesMadeline:Waouh!Tuneplaisantaispasquandtudisaisquetuaimaislesmaths?Olly:nonMadeline:Jesuisdésoléepourmone-mail.Olly:quellepartie?Madeline:Tout.Tuesfâché?Non,oui,peut-être?Olly:nonouipeut-êtreMadeline:Tun’étaispascenséutilisertouteslesréponses.Olly:pourquoitul’asenvoyé?Madeline:J’avaispeur.Olly:dequoi?Madeline:Detoi.Madeline:Tunem’aspasécritnonplus.Olly:tunevoulaispasMadeline:…Olly:lestroispetitspointsilsveulentdiresilencegênéoujeréfléchis?

Madeline:Lesdeux.Madeline:Pourquoituaimestantlesmaths?Olly:pourquoituaimestantleslivres?Madeline:Çan’estpaslamêmechose!Olly:ahnon?Madeline:Dansunlivre,tupeuxcomprendrelesensdelavie.Olly:lavieaunsens?Madeline:Tunedemandespasçasérieusement?Olly:peut-êtrequesiOlly:dansquellivretuascomprislesensdelavie?Madeline : OK, peut-être pas dans un seul livre,mais, si tu en lis assez, ça peutmarcher…Olly:c’estçatonplan?Madeline:Ehbien,j’aitoutmontemps.Madeline:…Olly:àquoitupenses?Madeline:J’aiunesolutionànotreproblème.Olly:jet’écouteMadeline:Soyonsjusteamis,OK?Olly:okOlly:maisdanscecasfinidematermesmusclesMadeline:Amis,Olly!Olly:oumesyeuxMadeline:Etfinideparlerdemestachesderousseur.Madeline:Etdemescheveux.Olly:etdeteslèvresMadeline:Etdetafossette.Olly:tuaimesmafossette?Madeline:Amis!Olly:ok

LETEMPS

Carla nous fait patienter une semaine avant de nous autoriser à nous revoir. Elle veut êtreabsolument sûre que de m’être trouvée dans la même pièce qu’Olly n’a rien déclenché en moi.Mêmesijesuisd’accordavecelle,lasemainemesembleinterminable.Jesuisconvaincuequeletempss’estralenti–littéralement,pasmétaphoriquement;c’estlegenred’infoquiauraitdûparaîtreàlaunedesjournaux.

MIROIR,MONBEAUMIROIR

Auboutd’unsiècle,lasemainearriveenfinàsonterme.Jesuissurexcitée,maisj’essaiedemecalmer.C’estplusdurqu’onnelecroit:essayerdenepassourirefaitsourired’autantplus.Carla m’observe tandis que je lutte pour choisir mes vêtements. Ce n’est pas quelque chose

auquel j’accordebeaucoupd’importanced’habitude.En fait, je n’y ai jamais accordé lamoindreimportance.Mon armoire ne contient que des T-shirts blancs et des jeans. Les jeans sont rangésselon leur coupe : droits, slim, semi-évasés, larges, sans compter la coupe bêtement appelée«boyfriend».Meschaussures–toutesdesKedsblanches–sontentasséesdansuncoinaufond.Jeneportepresquejamaisdechaussurespourmebaladerdanslamaison,etjenesuismêmepassûredetrouverunepaireàmataille.Enfarfouillantdanslapile,j’endénicheunegauchequisembleêtreàmapointure,puisladroite.Ellesmevont,maistoutjuste.Jemeplantedevantlemiroir.Doit-oncoordonnersonT-shirtousonsacavecseschaussures?Leblancest-illacouleurlamieuxassortieàmescheveuxchâtains?Jenotementalementpourplustardquejedoisfaireunpeudeshopping.J’achèteraiunT-shirtdanschaquecouleurjusqu’àtrouvercellequimevalemieux.Pourlacinquièmefois,jedemandeàCarlasimamèreestbienpartie.–Tu connais tamaman, répond-elle.Est-cequ’elle a déjà été en retardune seule fois dans sa

vie?Mamèrecroitenlaponctualitéavecautantdeferveurqued’autrescroientenDieu.«Letemps

estprécieux,dit-elle,etc’estunmanquederespectquedegaspillerceluidesautres.»Jen’aimêmepasledroitd’arriverenretardànosDînersduVendredi.Jem’observe dans le miroir et, sans aucune raison, retire mon T-shirt blanc à col en V pour

enfileràlaplaceunT-shirtblancàcolrond.Enfin…pastoutàfaitsansraison.PouravoirquelquechoseàfaireenattendantOlly.J’adoreraispouvoir enparler avecmamère. Jevoudrais luidemanderpourquoi j’ai le souffle

coupéquandjepenseàlui.Jevoudraispartagercetteespècedevertigeavecelle.Jevoudraisluirépétertoutcequ’Ollyditdedrôle.Jevoudraisluiraconterque,malgrétousmesefforts,jen’arrivepasàm’empêcherdepenseràlui.Jevoudraisluidemandersielleressentaitlamêmechosequandellearencontrépapa.Jemerassureintérieurementenmedisantquetoutvabien.Jenesuispastombéemaladeaprès

notrepremièrerencontre,etilconnaîtlesrègles:pasdecontact,décontaminationcomplète,etpasdevisites’ilcroitqu’ilcouvequelquechose.Jemedisquecen’estpasgravedementiràmaman.Jemedisquejenetomberaipasmalade.Je

medisquel’amitiénepeutpasfairedemal.EtqueCarlaaraison:l’amour,çanepeutpasmetuer.

PRÉVISIONS

Quandj’entredanslapièce,Ollyestànouveauagrippéaumur.Cettefois,ilestmontéjusqu’enhaut.Jeluidemande:–Tun’asjamaismalauxdoigts?– Ils sonthabituésgrâceàunprogrammed’entraînement très strict, réplique-t-il avecungrand

sourire.Mon estomac exécute l’un de ces petits saltos auxquels il faut que je m’accoutume, puisque,

apparemment,c’estuneffetsecondairedelafréquentationd’Olly.J’ai fait mes devoirs dans cette même pièce hier. Elle est exactement comme je l’ai laissée,

pourtantelleal’airtotalementdifférente.ElleesttellementplusvivantequandOllys’ytrouve.Sitouslesfauxarbresetlesfaussesplantess’animaientd’uncoup,jeneseraismêmepassurprise.Jevaisjusqu’aucanapéetprendsplaceàl’extrémitélapluséloignéedelui.Ildescenddumurets’yadosse,danslapositiondulotus.Jem’assoisentailleur,metsdel’ordredanslamassedemescheveuxetcroiselesbrassurmon

ventre.Commentsefait-ilquejesoissiconscientedemoncorps,dechacunedesesparties,dèsquejemetrouvedanslamêmepiècequelui?C’estcommes’ilmerendaitplusattentiveàmaproprepeau.–Tuportesdeschaussuresaujourd’hui,constate-t-il.Ilestdugenreobservateur,dugenreàremarquersivousavezbougéuntableauouajoutéunvase

danslesalon.Jebaisselesyeuxversmeschaussures.–J’enaineufpairesexactementpareilles.–Ettucritiquesmeschoixvestimentaires?–Tuneportesquedunoir.Çatedonneunlooksépulcral.–Ilmefaudraitundictionnairepourdiscuteravectoi.–Quiestpropreouserapporteàunsépulcre.–Pastrèséclairante,commedéfinition.–Pourfairesimple,tuesl’angedelamort.Ilgrimace.–C’estlafauxquim’atrahi,hein?Moiquicroyaisl’avoirbiencachée…

Ilchangedeposition.Àprésent, ilestétendusur ledos, lesgenouxrepliés, lesmainscroiséesderrièrelatête.Je changedeposition également, sans raison, ramenant les jambes contremapoitrine, lesbras

passésautourd’elles.Noscorpsentretiennent leurpropreconversation, indépendammentdenous.Est-ce que c’est ça, la différence entre l’amitié et autre chose ?Cette conscience que j’ai de saprésence?Lesfiltresàairfontleurtravail,émettantunronronnementaudiblederrièrelebruitduventilateur.–Commentçamarche?demandeOllyenscrutantleplafond.–C’estdumatérielindustriel.Lesfenêtressontscelléespourquel’airnepuissepasserquepar

les filtres disposés sur le toit. Au-dessus de 0,3 micron, rien ne peut entrer. Et le système deventilationrenouvellecomplètementl’airdanslamaisontouteslesquatreheures.–Waouh!Ilsetourneversmoietjedevinequ’ils’efforcedemesurerlagravitédemonétat.Jedétournelesyeux.–C’estl’assurancequiatoutpayé.Jeneluilaissepasletempsdeposerdesquestions.–Le camionneurqui a tuémonpère etmon frère s’est endormi auvolant. Il en était à sadix-

huitièmeheuredetravailconsécutive.L’assuranceatrouvéunarrangementavecmamère.Leregardd’Ollysefixesurleplafond.–Jesuisdésolé.–C’estassezétrangeparcequejenemesouvienspasvraimentd’eux.Enfait,jenemesouviens

pasdutoutd’eux.J’essaiede repousser lessentimentsqui font surfacechaque foisque jepenseàeux. Ilyaune

tristessequin’enestpasvraiment,etdelaculpabilité.–C’estbizarrederegrettercequ’onn’apasconnu,oudumoinscequ’onneserappellepasavoir

connu.–Pastantqueça.Lesilencesefait,etOllyfermelesyeux.–Çat’arrivedetedemandercequeseraittaviesitupouvaischangerjusteunechose?demande-

t-il.Pasd’habitude,maisdernièrementoui.Etsijen’étaispasmalade?Etsimonpèreetmonfrère

n’étaient pas morts ? C’est en évitant de m’interroger sur les choses impossibles que je suisjusqu’icirestéerelativementzen.–Onpensetousêtrespéciaux,enchaîneOlly.Oncroitêtrecommedesfloconsdeneige,uniques

etcomplexes…J’acquiescelentement,sûred’êtred’accordaveccequ’ilvientdedireetdevinantdéjàquejene

seraipasd’accordaveccequivasuivre.–Pourmoi,toutçan’aaucunsens,continue-t-il.Non,nousnesommespascommedesfloconsde

neige.Noussommesjustelerésultatd’unesériededonnées.J’arrêtedehocherlatête.–Tuveuxdire…commelerésultatd’uneformule?–Exactement,uneformule.

Ilseredressesurlescoudesetmedévisage.–Ilyajusteuneoudeuxdonnéesessentielles.Trouvelesquelles,ettuaurascernélapersonne.Tu

pourrastoutprédiresurelle.–Ahoui?Alors,danscecas,est-cequetupeuxprévoircequejevaisterépondre?Ilm’adresseunclind’œil.–Quejesuisunebrute,unhérétique,un…– Un taré, dis-je pour terminer à sa place. Tu ne vas quand même pas nous comparer à des

équationsdemaths?!–Pourquoipas?répond-ilenserallongeant.Ilpousseunlongsoupir,puisserassoitdenouveau.–Imaginequetupuisseschangerlesbonnesdonnées.Danscecas,tupourraisréparerleschoses

avantqu’ellessoientcassées.Ilaprononcécettedernièrephrasecalmement,maisavecletonfrustrédeceluiquitentedepuis

trèslongtempsderésoudrelemêmeproblèmesansyparvenir.Nosregardssecroisent,etilal’airgêné,commes’ils’étaitlivréplusqu’ilnel’auraitvoulu.Ils’allongeencoreetposeunbrasentraversdesesyeux.–Leproblème, c’est la théoriedu chaos.Cesdonnées sont à la fois déterminées et totalement

instables. Du coup, on ne peut pas les mesurer avec précision.Mais, si on y arrivait, on seraitcapablesdeprédireparfaitementlamétéo,lefutur,lesréactionsdesgens.–Et,d’aprèslathéorieduchaos,c’estimpossible,c’estça?–Oui.– Il t’a fallu étudier les maths à fond pour en arriver à la conclusion que les gens sont

imprévisibles?–Pourquoi?Toi,tul’ascomprisdepuislongtemps?–Leslivres,Olly!Toutça,c’estécritdansleslivres!Àcesmots,iléclatederire;ilsetordderire,même,ritencoreetencore.C’estcontagieux,etje

memets à rire,moi aussi,mon corps au diapason du sien. Je ne peuxm’empêcher d’admirer lafossetteàlaquellejenesuispluscenséeprêterattention.J’aienviedemettremondoigtdessusetqu’ilnes’arrêtejamaisderire.Peut-êtrequ’onnepeutpastoutprévoir,maisonpeutprévoircertaineschoses.Parexemple,je

vaiscertainementtomberamoureused’Olly.Etceseracertainementunecatastrophe.

LEDICTIONNAIREDEMADELINE

Obsession :n.f.Sens1:Intérêtextrême(etcomplètementjustifié)pourunobjet(ouunepersonne)extrêmementintéressant(e).(Whittier,2015)

SECRET

MestchatsrépétésavecOllyfinissentparmejouerdestours.Je m’endors devant un film avec ma mère, non pas une mais deux fois ! Elle commence à

s’inquiéter, redoutant un relâchement de mes défenses immunitaires. Je lui assure que c’est plussimplequeça:jenedorspasassez,c’esttout.Étant donné la situation, il est compréhensible que son cerveaudemédecin semette aussitôt à

imaginerlepirescénario.Ellemerépètecequejesaisdéjà,àsavoirquelemanquedesommeilesttrèsmauvaispourquelqu’uncommemoi.Jeluiprometsdefaireattention.Cettenuit-là,eneffet,jenetchatteavecOllyquejusqu’à2heuresdumatin,aulieudes3heures

habituelles.Çame fait bizarre de ne pas pouvoir évoquer avecmamère l’existence de quelque chose, de

quelqu’unquiatantd’importancepourmoi.Mamanetmoinouséloignons,maiscen’estniparcequenouspassonsmoinsdetempsensemble,niparcequ’Ollyl’aremplacée.Sinousnouséloignons,c’estparceque,pourlapremièrefoisdemavie,j’aiunsecret.

MERCIPOURVOSACHATS

NUMÉROLOGIE

NOMBRE:

deminutesavantquelepèred’Ollysemetteàhurleràsonretourhiersoir:8

deplaintescontrece«fouturôtidebœufencoretropcuit»:

4

defoisoùlamèred’Ollys’estexcusée:6

defoisoùlepèred’OllyatraitéKarade«foutumonstredefoire»àcausedesonvernisàonglesnoir:

2

deminutesqu’ilafalluàlamèred’OllypourôterlevernisdeKara:3

defoisoùlepèred’Ollyaaccuséquelqu’und’avoirbuson«foutuwhisky»:

5

defoisoùils’estvantéd’êtrelapersonnelaplusintelligentedelafamille:2

defoisoùilarappeléàtousdenejamaisoublierquigagnedel’argentici:

2

deblaguesqu’ilafalluquejeraconteàOllylorsdenotretchatde3heuresdu

mat’avantqu’ilsesentemieux:5

defoisoùilaécrit«c’estpasgrave»durantnotretchat:

7

d’heuresdesommeilcettenuit:0

decigarettesenterréesparKaradanslejardinetcematin:

4

debleusvisiblessurlamèred’Olly:0

debleusinvisibles:

indéterminé

d’heuresavantderevoirOlly:0,5

CEQUEDITOLLY

Quandjeleretrouvelelendemain,iln’estpasagrippéaumur,mais«aurepos»,commej’aiprisl’habitudededésignercetteposition,enéquilibresurlapointedespieds,lesmainsdanslespoches.–Salut,dis-jedepuisleseuil,enattendantquemonestomacaitfinisapetitedanseenl’honneur

d’Olly.–Salut,toi.Ilalavoixgraveetunpeurauqueenraisondumanquedesommeil.–Mercipourletchat,hiersoir,ajoute-t-ilenmesuivantdesyeuxjusqu’aucanapé.–C’estquandtuveux.Moiaussi,j’ailavoixenrouée.Jeletrouvepluspâlequed’habitude,lesépaulesbasses,maisil

esttoujoursaussiremuant.–Parfois,j’aienviededisparaîtreetdeleslaisserlà,confie-t-il,l’airunpeuhonteux.J’aimeraispouvoirrépondrequelquechose,paslapremièrechosequimepasseparlatête,non,

lesparolesparfaitespour le consoler,pour lui faireoublier sa famillependantquelquesminutes,mais je ne trouve pas. C’est pour ça que les gens se touchent. Parce que, parfois, les mots nesuffisentpas.Nos yeux se croisent. Puisque je ne peux pas le serrer contremoi, je serremes bras très fort

autourdemataille.Sonregards’attardesurmonvisage,commes’ilessayaitdeserappelerquelquechose.–Pourquoij’ail’impressiondeteconnaîtredepuistoujours?demande-t-il.Jen’ensaisrien,maisjeressenslamêmechose.J’ignoreàquelleconclusionilarrive,maisil

arrêtesoudaindebouger.Etilditquesonuniverspeuts’écrouleràn’importequelmoment.Ilditqu’iln’yad’innocencenullepart,«saufpeut-êtreentoi,MadelineWhittier».Ilditquesonpèren’apastoujoursétécommeça.

LATHÉORIEDUCHAOS

Ollyadixans,ilestassisavecsonpèredevantlebardelacuisinedansleurvieilappartementdeNewYork.C’estNoël ; peut-êtrequ’il neigedehors, oupeut-êtreque çavient justede s’arrêter.C’estunsouvenir,lesdétailssontunpeuconfus.Son père a fait du chocolat chaud. Il s’y connaît en lamatière, et est très fier de le préparer

maison.Ilfaitfondredesplaquesdechocolatdecuisineetutilisedulaitentier«100%dematièregrasse».Ilprendlatassepréféréed’Olly,yverseunedosedechocolatetajouteunquartdelitredelait, chauffé presque à ébullition sur la plaque, jamais au micro-ondes. Olly mélange le lait auchocolat, tandisquesonpèresortdufrigode lacrèmefouettée,qu’ilaégalementfaite lui-même.Elleestlégèrementsucrée,justeassezpourvousdonnerenvied’enmangertoujoursplus.Ilenverseune,voiredeuxgénéreusescuilleréesdanslatassed’Olly.Legarçonlaporteàseslèvres,etsoufflesurlacrèmequiestdéjàentraindefondre.Elleglisseà

lasurfacecommeunicebergminiature.Ollylorgnesonpèrepar-dessussatasse,tentantdejaugersonhumeur.Sonpèreestdemauvaispoil,cestemps-ci,pirequed’habitude.–Newtonavaittort,déclare-t-ilsoudain.Riendansl’universn’estdéterminéàl’avance.Ollygigotesursachaise.Iladorequandsonpèreluiparledecettefaçon,manoamano,commeà

unadulte,mêmes’ilnecomprendpastoujourscequ’ildit.Depuisquesonpèreadesproblèmesàsontravail,lesconversationsdecegenresontdeplusenplusfréquentes.–Qu’est-cequeçaveutdire?demandeOlly.Sonpèreluilaissetoujoursletempsdeposerdesquestionsavantd’expliquerquoiquecesoit.–Çaveutdirequ’unechosenemènepasnécessairementàuneautre,déclare-t-ilenprenantune

gorgéedechocolatchaud.Luinesoufflejamaissurleliquidebouillant;ilyplongedirectementleslèvres.–Çaveutdirequetuasbeautoutfairepourtedébrouillerlemieuxpossible,tupeuxquandmême

avoiruneviemerdique.Ollygardeleliquidedanssaboucheetfixesatasse.Quelquessemainesauparavant,samèreluiaexpliquéquesonpèreallaitresterà lamaison, le

tempsque lasituations’arrangeàson travail.Elleaétéassezvaguesurcequin’allaitpas,maisOllyl’aentendueprononcerlesmots«fraude»et«enquête».Iln’yapascomprisgrand-chose;toutcequ’ilsait,c’estquesonpèrenesembleplusl’aimerautantqu’avant,nisamère,niKara.Etmoinsilsemblelesaimer,pluseuxfontd’effortspoursemontreraimables.Letéléphonesonne,etlepèred’Ollyvadécrocher.Legarçonavaleenfinsagorgéedechocolatchaudettendl’oreille.

Sonpèrecommenceparparlersuruntonprofessionnel,àlafoisposéetfroid.Mais,soudain,iln’yaplusquedelacolèredanssavoix.–Vousmevirez?!Maisvousvenezdemedirequecessalaudsm’avaientblanchi!Enéchoàcelledesonpère,Ollysentlacolèremonterenlui.Ilreposesatasseetdescenddeson

tabouret.Sonpèrefaitlescentpasdanslapièce,levisageenfeu.–Jemefichepasmaldevotrefoutupognon!Nemefaitespasça,Phil.Sivousmevirez,toutle

mondevacroireque…Ils’immobilise,écarteletéléphonedesonoreilleetrestesilencieuxpendantunelongueminute.Ollysefigeégalement,espérantque,d’unseulmot,Philvatoutarranger.–Putain,vousnepouvezpasmefaireça,lesgars!Pluspersonnenevoudraavoiraffaireàmoi.Ollyaenvied’allerverssonpèreetdeluidirequetout irabien,mais ilnepeutpas.Ila trop

peur.Ils’éclipseenemportantsatassedechocolat.

Il se passe plusieurs mois avant que le père d’Olly commence à se soûler l’après-midi, à sesoûlerjusqu’àendevenirviolent,àsesoûlerjusqu’àcrieràtue-tête,jusqu’àneplussesouvenirderienlelendemain.Cejour-là,ill’apasséàlamaison,àrâlerdevantlesinfoséconomiquesàlatélé.Enentendantleprésentateurprononcerlenomdesonanciennesociété,ilentredansuneragefolle.Ilseverseduwhiskydansungrandverre,etyajoutedelavodkaetdugin.Ilmélangeletoutavecunegrandecuillère,jusqu’àcequelamixtureperdelacouleurambrepâleduwhiskyetressembleàdel’eau.Olly regarde lacouleursedissoudredans leverre,ense remémorant le jouroùsonpèreaété

renvoyé, et son impuissance à le réconforter. S’il en avait été capable, les choses seraient-ellesdifférentesaujourd’hui?Ilserappellecequesonpèreadit,qu’unechosenemènepasforcémentàuneautre.Ilserappellesonchocolataulait,surlebardelacuisine:lechocolatétaitdevenublancetlelait

marron,et,malgrétoutesabonnevolonté,iln’auraitpaspulesfaireredevenircommeavant.

DRMADELINEETMLLEMADDY

–Tamèreveutsavoirsij’airemarquéquelquechosededifférentcheztoidernièrement,annonceCarladepuislesalon.JeregardelefilmMission:ImpossibleavecTomCruise.Iljouelerôled’unsuper-espion,Ethan

Hunt,quivitunedouble,voireune triple,voireunequadruplevie.Le film tireà sa fin, etEthans’apprêteàenleversonmasque,littéralement,pourattraperlesméchants.Carlarépètecequ’ellevientdedire,plusfortcettefois,etjemarmonne:–C’estlecas?Ethanvientjusted’ôtersonmasqueincroyablementréaliste,pourrévélersonvéritablevisage.Je

penchelatêtesurlecôtépourmieuxvoir.Carlam’arrachelatélécommandedesmainsetmetsurpause.Puisellejettelatélécommandeàl’autreboutducanapé.Jedemande,enmesentantunpeucoupabledel’avoirignorée:–Quelquechosenevapas?–Oui,toi.Etcegarçon…Ellesoupireets’assoit.–Jemedoutaisquejefaisaisuneerreurenvouspermettantdevousrencontrer.Elleatoutemonattention,maintenant.–Mamanaditquelquechose?–Ilparaîtquetuasannulél’unedevossoiréesfilm?Je savais que je n’aurais pas dû. Elle a eu l’air si déçue, si blessée,mais je ne pouvais pas

attendre qu’il soit plus de 21 heures pour tchatter avec Olly. Je ne peux plusme passer de nosconversations.Lesmotssebousculentsansarrêtdansmatête.Jen’arriveraijamaisauboutdetoutcequejeveuxluiraconter.–Elleditaussiquetuestoutletempsdistraite.Quetuascommandéuntasdevêtements.Etdes

chaussures.Etqu’ellet’apresquebattueàunjeuauqueltugagnestoujours.Oh.–Ellesedoutedequelquechose?–C’esttoutcequit’inquiète?Écoute-moibien:tamèresesentdélaissée.Elleestseule,sanstoi.

Tuauraisdûvoirsatêtequandellem’aposélaquestion.–C’estjusteque…–Non,trancheCarlaenlevantlamain.Tunepeuxpluslevoir.Ellerécupèrelatélécommandeetlatientserréeentresesdoigts,enévitantderegarderdansma

direction.Moncœurs’affole.–Carla,s’ilteplaît.S’ilteplaît,nemeprivepasdelui.–Ilnet’appartientpas!–Jesais…–Non,tunesaispas.Iln’estpasàtoi.D’accord,ilpassedutempsavectoipourlemoment,mais

il va bientôt retourner en cours. Il rencontrera une fille, et il deviendra son Olly à elle. Tucomprends?Je saisqu’ellecherche justeàmeprotéger, comme j’essayaisdemeprotégermoi-même ilya

quelquessemaines,maissesparolesmefontprendreconsciencequemoncœurestunmusclecommelesautres:ilpeutfairemal.–Jecomprends,dis-jedoucement.–Passeunpeudetempsavectamaman.Lesgarçons,çava,çavient;lesmères,c’estpourlavie.Jesuissûrequ’elleemploielesmêmesmotsavecRosa.–D’accord.Ellemerendlatélécommande.Ensemble,nousfixonsl’imagefigéesurl’écran.Puiselleprend

appuidesdeuxmainssursesgenouxpourselever.Quandelleestarrivéeaumilieudelapièce,jeluidemande:–Tulepensaisvraiment?–Quoi?–Quandtuasditquel’amournepouvaitpasmetuer.–Oui,maisçapourraittuertamaman.Elleesquisseunsourire.Jeretiensmonsouffle,suspendueàseslèvres.–OK,çava.Tupeuxencorelevoir,maistudoisêtreplusraisonnable.Compris?Jehochelatêteetj’éteinslatélé.Aurevoir,EthanHunt.

Jepasse le restede la journéedans lavéranda, loindeCarla. Jene suispas en colère contre

elle…enfin, un peu quandmême.Tousmes doutes sur la nécessité de garder secrète l’existenced’Ollyauxyeuxdemamèresesontenvolés.Jen’arrivepasàcroireque,justeparcequej’aiannuléune soirée film, j’ai failli ne plus pouvoir le revoir. Jusqu’à présent, j’étais inquiète à l’idée decacherquelquechoseàmamère.Maintenant, jem’inquiètedeneplus rienpouvoir luicacherdutout.Siellem’enveut,cen’estpasparcequej’aiachetédenouveauxvêtements.C’estparcequejene luiaipasdemandésonavisetparceque je lesaiachetésdansdescouleursaussi inattendues.Elleestfâchéedenepasm’avoirvuechanger.C’esténervant,etenmêmetempsjelacomprends.Elleadûcontrôlertantdechosespourmegarderensécuritédansmabulle.Etpuis,ellen’apastort:j’étaisdistraiteensacompagnie,l’esprittoujoursbranchésur«Radio

Olly».Jesaisqu’ellearaison,etçam’agace.Est-cequegrandir,cen’estpasprendresesdistancesvis-à-visdesamère?Est-cequejen’aipasdroitàcettepetitepartdenormalité?N’empêchequejemesenscoupable.Ellem’asacrifiétoutesavie.Quisuis-jepourtoutjeteraux

ortiesàlapremièrehistoired’amourquiseprésente?Carlavientmetrouverpourmoncheck-upde16heures.Jedemande:–C’estquoi,lessymptômesdelaschizophrénie?

–Pourquoi?Tupensesquetuenesatteinte?–Peut-être.–Etlà,jeparleàlagentilleMaddyouàlaméchanteMaddy?–Difficileàdire.Ellemetapotelamain.–Soisgentilleavectamaman.Ellen’aquetoi.

CARTELIBERTÉ

ÀL’ENVERS

Lesgensnormauxfontlescentpasquandilssontnerveux.Olly,lui,marcheaupascadencé.–Olly!C’estjustelepoirier.Contrelemur.Çavaaller.Ilm’afalluuneheurepourleconvaincredememontrercommentfaire.–Tun’aspasassezdeforcedanslespoignetsetletorse,marmonne-t-il.–Tum’asdéjàsorticetargument.Alorsquejesuisforte,dis-jeengonflantunbiceps.Jepeux

soulevermonpoidsenlivres.Il esquisse un sourire et – Dieumerci ! – arrête de marcher. Il tire sur son élastique tout en

détaillantmoncorpsduregard,critiquantmentalementmonmanquedeforcephysique.Jelèvelesyeuxaucieldefaçonexagérée.–Bon,soupire-t-il,defaçonexagéréeluiaussi.Accroupis-toi.Illefaitlui-même,commesij’avaisbesoind’unedémonstration.–Jesaiscequeçaveutdire,s’accr…–Concentre-toi.Jem’accroupis.Depuis l’autre bout de la pièce, il contrôle ma posture et me dicte des rectifications : mains

éloignéesdetrentecentimètres,brastendus,coudesenappuicontrelesgenoux,doigtsécartés…J’ysuis.–Maintenant,déplacetonpoidslégèrementversl’avant,jusqu’àsentirtesorteilsquiquittentle

sol.Jebasculetropenavantettermineenroulé-boulé.–Mmm,grommelle-t-il,leslèvrespincées.Ilseforceànepasrire,maissafossetteletrahit.Jereprendsmaposition.–Tudoisdéplacertonpoids,pastepencher.–C’estcequej’aifait,non?–Pasvraiment.OK,maintenant,regarde-moi.Ils’accroupitànouveau.– Mains à trente centimètres l’une de l’autre, rappelle-t-il, coudes contre les genoux, doigts

écartés.Puis,doucement, trèsdoucement, transfèretonpoidsversl’avant,surtesépaules,décolletesorteils…etpoussesurtesbras.Il pousse et effectue son poirier avec son habituelle grâce naturelle. De nouveau, je suis

impressionnéepar lecalmeavec lequel il effectue sesmouvements.Ondiraitque,pour lui, c’estcommeunexercicedeméditation.Soncorpsestunmoyend’échapperaumonde,tandisquejesuisprisonnièredumien.–Jetemontreencore?demande-t-ilenseremettantsursespieds.–Non.Folled’impatience,jefaisbasculermonpoidsversmesépaules,maisriennesepasse.Cepetit

jeudurependantàpeuprèsuneheure.Lapartieinférieuredemoncorpsrestesolidementancréeausol, tandis quemes brasme font souffrir à force d’essayer. J’accomplis encore plusieurs roulés-boulés involontaires. Finalement, ma seule réussite, c’est d’arriver à réprimermon cri quand jetombe.–Onfaitunepause?proposeOlly,ens’efforçanttoujoursdenepasrire.Je lui répondspar ungrognement, rentre la tête et culbute vers l’avant pour une autre roulade.

Cettefois,iléclatederire.Je resteétendue sur ledos, essayantde retrouvermonsouffle,puis jememetsà rire avec lui.

Quelquessecondesplustard,jem’accroupisdenouveau.Ilsecouelatête.–Jenetesavaispassitêtue.Moinonplus,jenemeconnaissaispasaussitenace.Iltapedanssesmains.–OK,essayonsautrechose.Fermelesyeux.Jem’exécute.–Bien.Maintenant,imaginequetuesdansl’espace.Lespaupièrescloses,ilmeparaîtplusproche.J’ail’impressionqu’ilestjusteàcôtédemoi,pas

àl’autreboutdelapièce.Savoixremontelelongdemoncouetmurmureàmonoreille:–Tuvoislesétoiles?Etcechampd’astéroïdes?Etcesatellitesolitairequipasse?Lesloisde

lagravitén’existentplus.Tuesenapesanteur.Tupeuxfairecequetuveuxdetoncorps.Iltesuffitdelevouloir.Jem’inclineversl’avantet,soudain,jemeretrouveàl’envers!D’abord,jenesuispassûred’y

êtrearrivée.Jeclignedesyeux,maislemonderesteinversé.Lesangmemonteaucerveau,matêteest lourde et légère à la fois. La gravité terrestre étire ma bouche en un sourire et force mespaupièresàs’ouvrir.Jesuismerveilleusementétrangèreàmonproprecorps.Mesbrascommencentàfaiblir.Jem’inclineunpeuplus,etmespiedstouchentlemur.Jepoussedansl’autresensetmeretrouveaccroupiesurlesol.–Énorme !me féliciteOlly en applaudissant. Tu asmême tenu quelques secondes.Bientôt, tu

n’aurasplusbesoindumur.–Etsionessayaittoutdesuite?dis-je,insatiable,etavidedevoirlemondecommeillevoit.Ilhésite,cherchantdesarguments,puis sesyeuxcroisent lesmiens,et ilacquiesceavantdese

remettresursestalonspourmeregarderfaire.Je m’accroupis à nouveau, bascule vers l’avant et pousse sur mes bras. Je perds aussitôt

l’équilibre,etcommenceàtomberversl’arrière.Ollyseprécipiteversmoipourarrêtermachute,etilattrapemeschevillesnuesavecsesmains.Chaquenerfdemoncorpsmigreversl’endroitoùilmetouche. Sous ses doigts,ma peau s’électrise, et chaque cellule s’embrase.C’est comme si on nem’avaitjamaistouchéeavant.

–Repose-moi,dis-je,etilguidedoucementmespiedsjusqu’ausol.Jem’attendsàcequ’ilretournedanssoncoin,maisnon.Sansmêmeréfléchir,jemeredresseet

lui fais face.Unpetitmètre seulementnous sépare. Jepourrais tendre lamainet le toucher, si jevoulais.Jelèvelentementlesyeuxverslessiens.–Çava?demande-t-il.Je pense oui, mais je fais non de la tête. Je devrais m’écarter. Ou alors c’est lui qui devrait

s’écarter.Ildevraitretournerdesoncôtédumonde,seulementilnebougepasetjelisdanssesyeuxqu’ilnecomptepasbouger.Moncœurbatsifortqu’ildoitl’entendre.–Maddy?Mes yeux se posent sur ses lèvres tandis qu’il prononce mon nom. Il tend la main droite et

s’emparedemonindexgauche.Sapaumeestrugueuse,calleuseettellementchaude.Desonpouce,ilcaressemondoigtavantdel’emprisonnerdanssamainfermée.Jebaisselesyeuxversmamain.Lesamisontledroitdesetoucher,non?Jedégagemondoigtafindevenirentremêlertouslesautresauxsiens,jusqu’àcequenospaumes

soientcolléesl’unecontrel’autre.J’observedenouveausesyeuxetj’yaperçoismonreflet.Jeluidemande:–Qu’est-cequetuvois?–Ehbien,d’abordtestachesderousseur.–C’estuneobsession!–Possible.Ondiraitqu’onasaupoudréduchocolatsurtonnezettesjoues.Sonregardvoyagejusqu’àmeslèvres,puisrevientseposersurmesyeux.–Teslèvressontroses.Ellessontencoreplusrosesquandtulesmordilles.Ettulesmordilles

surtoutquandtuessurlepointdemecontredire.Tudevraisfaireçamoinssouvent.Mecontredire,pastemordillerlalèvre;ça,c’estadorable.Jedevraisdirequelquechose,coupercourtàcettesituation,maisjesuisincapabledeparler.–Jen’aijamaisvuunepersonneavecdescheveuxaussilongs,aussifrisésetbouffantsqueles

tiens.Oncroiraitvoirunnuage.–Unnuagebrun,alors,dis-je,retrouvantenfinmavoix,dansuneffortpourbriserlecharme.–Oui,unnuagebrunfrisé.Etpuis, tesyeux…Ilschangentdecouleur.Parfois ilssontpresque

noirs,parfoisilssontmarron.Jecherchelelienentreleurcouleuret tonhumeur,maisjen’aipasencoretrouvé.Dèsquec’estfait,jetetiensaucourant.–Çan’apeut-êtrepasdelien,dis-je,justepourdirequelquechose.Ilsouritetm’étreintlamain.–Ettoi,qu’est-cequetuvois?Je voudrais répondre, mais je n’y arrive pas. Je secoue la tête en contemplant nos mains

entrelacées.Nous restonsainsi,oscillantentrecertitudeet incertitude, jusqu’àceque lebruitdespasdeCarlanousforceànousséparer.

ÉPIDERME

J’ai lu un jour que, en moyenne, la majorité de nos cellules est remplacée tous les sept ans.Encore plus incroyable : la couche supérieure de notre épiderme se renouvelle toutes les deuxsemaines. Si toutes les cellules faisaient cela, nous serions immortels. Mais certaines de noscellules, comme celles de notre cerveau, ne se renouvellent pas. Elles vieillissent, et nousvieillissonsavecelles.Dansdeuxsemaines,mapeaunegarderaplusaucunsouvenirdelamaind’Ollyposéecontrela

mienne,maismoncerveau,lui,s’ensouviendra.C’estsoitl’immortalité,soitlamémoiredutoucher,paslesdeux.

AMITIÉ

Lemêmejour,20:16Olly:déjàconnectée?Madeline:J’aiditàmamèrequej’avaisbeaucoupdedevoirs.Olly:tuvasbien?Madeline:Tuveuxsavoirsijesuismalade?Olly:ouiMadeline:Jusque-làtoutvabien.Olly:tuesinquiète?Madeline :Non, je vais bien.Madeline : Je vais bien, j’en suis sûre.Olly : tu esinquièteMadeline:Unpeu.Olly:jen’auraispasdûjeregretteMadeline : Faut pas. Moi, je ne regrette pas. Je n’échangerais ça contre rien aumonde.Olly:ouimaisOlly:t’essûrequeçava?Madeline:Jemesenscommeneuve.Olly:toutçarienqu’enmetenantlamain,hein.t’imaginessitum’embrassaisMadeline:…Madeline:Lesamisnes’embrassentpas,Olly.Olly:lesvrais,si

RECHERCHES

Vingt-quatre heures plus tard, l’embrasser est devenu une obsession. Je visualise les mots«imaginesitum’embrassais»chaquefoisquejefermelesyeux.Àunmoment,jesongequejenesaispasdutoutcommentonfaitpourembrasserquelqu’un.Biensûr,j’ailudeschosesàcesujet.J’aivuassezdebaiserséchangésdanslesfilmspourmefaireuneidée.Maisjenemesuisjamaisimaginéeembrassée,encoremoinsembrassant…

D’aprèsCarla,onpourraitserevoirdèsaujourd’hui,maisjedécided’attendreencoredeuxjours.

Ellenesaitpasqu’ilm’atouchéleschevilles,qu’ons’esttenulamain;qu’onapresquemélangénossouffles. Jedevrais le lui raconter,maisnon.J’aipeurqu’ellemetteun termeauxvisites.Unautremensongeàajouteràmaliste.Ollyestdésormaislaseulepersonnedemonentourageàquijen’aijamaismenti.Quarante-huitheurespost-contact,ettoutvabien.JelorgnemesgraphiquesquandCarlaaledos

tourné.Tension,pouls,température:toutsembleOK.Pasdesignesavant-coureursàl’horizon.Moncorpsestunpeudérangéquandjem’imagineentraind’embrasserOlly,maislà,c’estsûr,ce

n’estquelamaladied’amour.

LAVIEETLAMORT

Ollyn’estpassurlemur.Iln’estpasnonplusàuneextrémitéducanapé.Non,ilestassisenpleinmilieudelapièce,lescoudessurlesgenoux,occupéàtriturersonélastique.J’hésite à entrer. Ses yeux ne quittent pasmon visage. Ressent-il ce besoin que j’ai d’être au

mêmeendroitquelui,derespirerlemêmeairquelui?Jem’attardesurlepasdelaporte,indécise.Jepourraisalleràsaplacehabituelle,prèsdumur.

Jepourraisresterici,surleseuil.Jepourraisluidirequ’onnedevraitpastenterlediable,maisj’ensuisincapable.Pire:jen’enaipasenvie.–Çatevabien,cettecouleur,déclare-t-ilenfin.Jeporte l’undemesnouveauxT-shirts. Ilestorange,auncolenV,unecoupeajustée,etc’est

devenumonvêtementpréféré.Jepenseenracheterdixexemplaires.–Merci.Jemetsunemainsurmonestomac.Lespapillonssontderetourets’agitentdanstouslessens.–Tuveuxquejechangedeplace?Iltientsonélastiquetenduentrelepouceetl’index.–Jenesaispas.Ilhochelatêteetfaitminedeselever.–Non,attends.Madeuxièmemainposéesurmonestomac, jemedirigevers lui.Jem’assoisen laissant trente

centimètresentrenous.Il fait claquer l’élastique sur sonpoignet.Sesépaules semblent se libérerd’une tensionque je

n’avaispasperçue.Jeserrelesgenouxl’uncontrel’autreetbaisseunpeulatête,mefaisantaussipetitequepossible,commesimataillepouvaitchangerquelquechoseànotreproximité.Il dégage un bras de ses genoux et me tend la main en remuant les doigts. Alors, tous mes

scrupules s’envolent, et je glissemamaindans la sienne.Nosdoigts retrouvent leur place, aussinaturellementquesinousavionspassétoutenotrevieànoustenirlamain.Jen’aipasvuseréduireladistancequinousséparait.Est-cequec’estluiquiabougé?Est-cequec’estmoi?En tout cas, nous sommes maintenant l’un contre l’autre : nos cuisses se touchent, je sens la

chaleurde sonavant-bras contre lemien,monépaule est appuyée sur sonbiceps. Il caressemonpouceaveclesien, traçantuncheminquivademonongleàmonpoignet.Chaqueparcelledemapeau s’embrase.Lesgensnormaux, ceuxqui ne sont pasmalades, est-ce qu’ils font ça souvent ?Commentsurvivent-ilsàcettesensation?Commentréussissent-ilsàseretenirdesetouchertoutle

temps?Iltiredoucementsurmamain.Jesupposequec’estparcequ’ilveutmeposerunequestion…Je

quittedesyeuxlemiraclequeconstituentnosmainsentrelacéespourregardercetautremiraclequesontsonvisage,sesyeux,etseslèvresquiserapprochentdesmiennes.Est-cequec’estluiquiabougé?Est-cequec’estmoi?Son souffle est chaud, et ses lèvres effleurent lesmiennes, aussi délicatement quedes ailes de

papillon.Mesyeuxse fermentd’eux-mêmes. Je suisd’accordaveccequemontrent lescomédiesromantiques:ilfautfermerlesyeux.Ilserecule,etmeslèvresdeviennenttoutesfroides.Est-cequejem’ysuismalprise?Mesyeuxs’ouvrentd’uncoupetplongentdanslebleusombredessiens.Jecomprendsqu’ilaàlafoispeurdecontinueràm’embrasseretpeurd’arrêter.J’attrapeledevantdesachemiseetletireversmoi.Dansmonventre,oncroiraitunevéritableémeutedepapillons.Ilserremamain.Seslèvresontungoûtdecaramelsaléetdesoleil–enfin…cequej’imagine

être le goût du caramel salé et du soleil.Elles ont un goût totalement nouveau pourmoi, un goûtd’espoir,dechance,d’avenir.C’estmoiquirecule,cettefois,pourreprendremonsouffle.Sijelepouvais,jel’embrasseraisà

chaquesecondedechaquejourpourtoujours.Il sepencheversmon front.Sonsoufflecaressemonnezetmes joues. Il est légèrement sucré,

commecesfriandisesdonttrèsviteonnepeutplussepasser.Jedemande:–C’esttoujourscommeça?–Non,jamais,répond-ild’unevoixunpeuémerveillée.Etsoudain,plusrienn’estcommeavant.

HONNÊTEMENT

Lemêmejour,20:03Olly:pasdesoiréefilmavectamère?Madeline:J’aiannulé.Carlaserafurieuseaprèsmoi.Olly:pourquoi?Madeline:Jeluiavaispromisdepasserplusdetempsavecmamère.Olly:jesuisentraindesemerlapagailledanstavieMadeline:Non,stp,necroispasça.Olly:cequ’onafaitaujourd’huiétaitcomplètementinsenséMadeline:Jesais.Olly:àquoionpensait?Madeline:Jenesaispas.Olly:ondevraitpeut-êtrefaireunepauseMadeline:…Olly:désoléj’essaiedeteprotégerMadeline:Etsicen’étaitpasdeprotectionquej’avaisbesoin?Olly:qu’est-cequeçaveutdire?Madeline:Jenesaispas.Olly:jeveuxquetuaillesbien,jeneveuxpasteperdreMadeline:Parcequetucroisquetum’asdéjàgagnée?Madeline:Turegrettes?Olly:quoi?det’avoirembrassée?Olly:honnêtement?Madeline:Biensûr.Olly:non

Olly:toituregrettes?Madeline:Non.

DEOR

L’universetmonsubconscientconspirentcontremoi.Jesuisdans lesalon,en trainde jouerauScrabblephonétiqueavecmamère.Depuisledébutdelapartie,j’aipiochédeslettresformantlesmotsDEOR,LIBRTetMANSONJ.Aveccedernier, j’aidroitàunbonusparceque j’aiposémesseptpions.Mamanexamineleplateauenfronçantlessourcils,etjem’attendsàcequ’ellecontestemonmot,maisnon.Ellenotemonscore;pourlapremièrefois,jemène,avecseptpointsd’avancesurelle.Jeregardelafeuille,puismamère,etjeluidemande:–Tuessûrequetunet’espastrompée?Jenetienspastantqueçaàlabattre.Jerecalculelesrésultats:ellenes’estpastrompée.Jegardelesyeuxposéssurlafeuilledescore,tandisquelessienssontbraquéssurmoi.Ellese

comportedecettemanièredepuis ledébutde lasoirée,attentive,commesi j’étaisuneénigme.Àmoins que ce soit moi qui sois parano. Peut-être parce que je culpabilise d’être aussi égoïste,d’avoir tellement envie d’être avec Olly en ce moment même. Chaque heure passée avec luim’apprend quelque chose de nouveau. Chaque heure passée avec lui fait de moi quelqu’un denouveau.Mamèremeretirelafeuilledesmains,etattrapemonmentonpourm’obligeràlaregarderdans

lesyeux.–Qu’est-cequisepasse,monbébé?Je suis sur le point de luimentir quand un cri retentit au-dehors. Puis un autre cri, suivi d’un

hurlement confus et d’unviolent claquementdeporte.Nousnous tournons toutes lesdeuxvers lafenêtre.Jecommenceàmelever,maismamèreposeunemainsurmonépauleetsecouelatête.Jeme laisse faire, jusqu’à ce qu’un autre cri se fasse entendre – «Arrête ! »Cette fois, nous nousprécipitonsàlafenêtre.Olly,samèreetsonpèresontsortissousleporche.Leurscorpsdessinentuntriangledechagrin,

depeuretdecolère.Ollyalespoingsserrés,lespiedsécartés,commes’ils’apprêtaitàsebattre.Malgréladistance,jevoislesveinessaillantessursesbrasetsonvisage.Samèreesquisseunpasverslui,maisilluiditquelquechosequilafaitreculer.Lepèreetlefilssefontface.Lepremiertientunverredanssamaindroite.Illeporteàsabouche

etlevided’untrait,sansquitterOllydesyeux.Iltendleverrepourquesafemmeleprenne.Elleamorceungeste,ànouveauinterrompuparuneparoled’Olly.Sonpèresetournealorsverselle,samainserranttoujoursleverre.L’espaced’uninstant,jepensequ’ellevaresterlà.Maissarésistancenedurepas.Ellefaitunpasversluietill’attrape;iln’estplusquefureuret

intimidation.Alors,brusquement,Ollys’interpose.Ilchasselebrasdesonpèreetpoussesamèresurlecôté.Sonpère,encoreplusfurieux,sejettesurlui.Ollylerepoussecontrelemur,sanslefairetomber.

Il semet à sautiller lentement sur la pointe des pieds, agitant les bras comme un boxeur qui seprépareaucombat.Iltented’attirerl’attentiondesonpèreloindesamère.Etçamarche.Sonpèrelancelepremiercoupdepoing.Ollyl’esquiveensepenchantàdroite,puisàgauche.Ilsauteaubasdel’escaliermenantauperronaumomentprécisoùsonpèrefrappedenouveau.Lepèreratesoncoup,etsonélanl’envoievaldinguersurlesmarches.Ils’étale,facecontrelecimentdel’allée,etnebougeplus.Ollysefige.Samèreplaquelesdeuxmainssursabouche.Lamiennepasseunbrasautourdemes

épaules.J’appuielefrontcontrelavitreetagrippelereborddelafenêtre.Touslesyeuxsontrivéssur le père d’Olly. L’instant s’éternise. Chaque seconde où il ne bouge pas est un terriblesoulagement.Sa femme est la première à craquer. Elle dévale les marches et s’agenouille près du corps,

passantunemaindanssondos.Ollyluifaitsignedes’éloigner,maisellel’ignore.Ellesepencheencore,àlasecondeoùlepèred’Ollyseretournebrutalement.Illuiagrippelepoignetdesagrossepoigneféroce.Etiltiresamainverslehaut,l’airvictorieux,commes’ils’agissaitd’untrophée.Ilserelève,entraînantsafemmederrièrelui.Denouveau,Ollyseprécipiteentreeux,maiscettefoissonpères’yattendait.Plusvitequejene

l’auraiscrucapable,illâchesonépousepoursaisirsonfilsparlachemiseetlefrappeàl’estomac.Lamèred’Ollycrie.Jecrie,moiaussi.Illefrappeencore.Jenevoispascequisepasseensuite,carjemedégagedel’emprisedemamèreetmemetsà

courir.Jeneréfléchispas;j’agis.Jedébouledanslecouloir,traverselesaset,enunriendetemps,jesuisdehors.Jenesaispasoùjevais,maisjedoisêtreaveclui.Jenesaispascequejefais,maisjedoisleprotéger.Je pique un sprint à travers notre pelouse, jusqu’au jardinet qui sépare nos deuxmaisons. Son

pèreestsurlepointdelancerletroisièmecouplorsquejecrie:–STOP!Tous deux se figent un instant etme regardent, interloqués.Alors, le père est rattrapé par son

ivresse.Ilremontelesmarchesentitubant,suiviparsafemme.Olly,pliéendeux,setientl’estomac.–Tuvasbien?dis-je,paniquée.Illèvelesyeuxversmoi;l’expressionsursonvisagepassedeladouleuràlaconfusion,puisàla

peur.–Va-t’en.Rentrecheztoi,ahane-t-il.Ma mère m’attrape par le bras et tente de m’entraîner avec elle. J’ai vaguement conscience

qu’elleestdansunétatprochede l’hystérie.Elleaplusde forceque jene lepensais,maismonbesoindevoirOllyestencoreplusfort.Jenebougepasd’unpouceetjecrieunesecondefois:–Tuvasbien?Ilseredresselentement,avecprécaution,commes’ilétaitblessé,maissonmasquededouleura

disparu.–Jevaisbien,Maddy.Va-t’en,s’ilteplaît.

Jesenslapuissancedessentimentsquiflottententrenous.–Jeteprometsquejevaisbien,insiste-t-il.Alors,jemelaisseentraînerverslamaison.Noussommesderetourdans lesasavantque j’aieeu le tempsdecomprendreceque j’ai fait.

Est-cequejeviensvraimentd’allerDehors?Lamaindemamèreestunétauserrésurmonbras.Ellemeforceàluifaireface.–Explique-moi,articule-t-elled’unevoixaiguëetconfuse.Pourquoituasfaitça?–Jevaisbien,dis-je.Jenesuissortiequ’uneminute.Moinsd’uneminute.Ellelâchemonbrasetprendmonmentonentresesdoigts.–Pourquoituasrisquétaviepourunparfaitinconnu?Jenesuispasunementeuseassezdouéepourcachermessentiments.Etj’aiOllydanslapeau.Elledevinelavérité.–Cen’estpasuninconnu,n’est-cepas?–Onestamis.AmissurInternet.Silence.–Jesuisdésolée.Jen’aipasréfléchi.Jevoulaisjustem’assurerqu’ilallaitbien.Jemefrottel’avant-bras.Moncœurbatsifortqu’ilenestdouloureux.L’énormitédecequeje

viens de faireme submerge soudain, et jememets à trembler, ce qui détournemamère de soninterrogatoire.Ellepasseaussitôtenmodemédecin.–Tuastouchéàquelquechose?medemande-t-elleencoreetencore.Etjeluirépondsquenon,encoreetencore.

–J’aidûjetertesvêtements,annonce-t-elleaprèsquej’aiprisunedouchesursoninsistance.Elleévitedemeregarderenpoursuivant:–Etonvadevoirfairetrèsattentionlesprochainsjourspours’assurerquerien…Elles’interrompt,incapabledepoursuivre.–Çaadurémoinsd’uneminute,dis-je,autantpourellequepourmoi.–Parfoisiln’enfautpasplus.Savoixsemblepresqueprovenird’ailleurs.–Maman,jesuisdésolée.Ellelèveunemainetsecouelatête.–Commenttuaspufaireunechosepareille?demande-t-elleenmeregardantenfin.J’ignoresielleparledemonexcursionàl’extérieuroudemescachotteries.Jen’aideréponseà

aucunedecesdeuxquestions.

*

Dèsquemamèreestpartie,jevaisàlafenêtreetjechercheOllydesyeux.Jenelevoispas.Ilestprobablementsurletoit.Alors,jevaismecoucher.Est-cequejesuisvraimentalléeDehors?Quelleodeuravaitl’air?Est-cequ’ilyavaitduvent?

Est-cequemespiedsontbeletbienfoulélapelouse?Jepalpelapeaudemesbras,demonvisage.

Est-cequ’elleestdifférente?Est-cequejesuisdifférente?Toutemavie,j’airêvédepénétrerdanslemondeextérieur.Et,maintenantquec’estarrivé,jene

me rappelle rien.Rien d’autre que la vision d’Olly plié de douleur. Et sa voix quime disait departir.

UNETROISIÈMEMADDY

Cette nuit-là, je suis presque endormie quand ma porte s’ouvre. Ma mère s’arrête dansl’entrebâillement,hésitante,etjegardelesyeuxfermés,faisantsemblantdedormir.Elleentrequandmêmeets’assoitàcôtédemoisurlelit.Ellerestesansbougerpendantunlongmoment.Puisellesepencheetjesuiscertainequ’elleva

m’embrassersurlefront,commequandj’étaispetite,alorsjeroulesurlecôté,horsdesaportée,enfeignanttoujoursdedormir.Jenesaispaspourquoijefaisça.QuiestcettenouvelleMaddy,gratuitementcruelle?Mamanse

lèveetj’attendsquelaporteserefermeavantd’ouvrirlesyeux.Unélastiquenoirestposésurmatabledechevet.Ellesaittout.

LAVIEESTUNCADEAU

Lelendemainmatin,jesuisréveilléepardeshurlements.Jepensed’abordqu’ils’agitànouveaude la familled’Olly,mais lesbruits sont tropproches.C’estmamère. Jene l’ai jamaisentendueéleverlavoix.– Comment avez-vous pu faire une chose pareille ? Comment avez-vous pu laisser entrer un

étranger?Jen’entendspaslaréponsedeCarla.J’ouvrelaporteensilenceetjegagnelepaliersurlapointe

despieds.Carlasetientenbasdel’escalier.Mamèreestpluspetiteetplusmenuequ’elle,maisonnelecroiraitpas,àvoirCarlaquiseratatinedevantelle.JenepeuxpaslalaisseraccuserCarla.Jedévalelesmarches.–Illuiestarrivéquelquechose?s’inquiète-t-elle.Maddyestombéemalade?Elle m’attrape le bras, tâte mon visage, m’ausculte des yeux, à la recherche de symptômes

inquiétants.–Elleestalléedehors.Àcausedelui.Àcausedevous.Mamèresetourneversmoi.–Elleamissavieendanger,etellem’amentipendantdessemaines.EllesetourneànouveauversCarla.–Vousêtesrenvoyée!–Non,maman,s’ilteplaît!Cen’estpassafaute!Ellemecoupelaparoled’ungeste.–Tuveuxdire:cen’estpasseulementsafaute.C’estaussilatienne!–Jesuisdésolée,dis-jeinutilement.–Moiaussi.Carla,rassemblezvosaffairesetpartez.Jesuisdésespérée.JenepeuxpasimaginermaviesansCarla.–S’ilteplaît,maman!Çan’arriveraplus!–Ça,c’estsûr!réplique-t-elle.Carlamontelesescalierssansunmot.Mamanetmoipassonsl’heuresuivanteàlaregarderemballersesaffaires.Danspresquechaque

pièce,ilyadeslunettes,desstylos,desdossiersquiluiappartiennent.Je ne prendsmêmepas la peine d’essuyermes larmes : elles n’arrêtent pas de couler. Je n’ai

jamaisvumamèreaussitendue.Quandonpassedansmachambre,jedonneàCarlamonexemplaire

deDesfleurspourAlgernon.Ellemesourit:–Jenerisquepastropdepleurerenlelisant?–C’estpossible.Elleleserrecontresapoitrine,sansmequitterdesyeux.–Tuvasdevoirêtrecourageuse,Madeline.Jecoursmeblottirdanssesbras.Ellelâchelelivreetsasacoched’infirmière,etellemeserre

trèsfort.Jemurmure:–Jesuistellementdésolée…Ellemeserreencoreplusfort.–Cen’estpastafaute.Lavieestuncadeau.N’oubliepasdelavivre,dit-elled’untonfarouche.–Çasuffit,maintenant!nousinterromptmamèredepuisleseuil,àboutdepatience.Jesaisque

vousêtes tristes, toutes lesdeux.Croyez-leounon,moiaussi jesuis triste.Mais ilest tempsquevouspartiez,Carla.Maintenant.Carlasedétachedemoi.–Soiscourageuse.Rappelle-toitoujoursquelavieestuncadeau.Elle ramassesa sacoche.Nousdescendons lesescaliersensemble.Maman lui tendsondernier

chèque,etdéjàCarlan’estpluslà.

LEDICTIONNAIREDEMADELINE

Asymptote :n.f.Sens1:Souhaitquitendconstammentverssonaccomplissementsansjamaisl’atteindre.(Whittier,2015)

IMAGEINVERSÉE

De retourdansmachambre, jem’empressed’ouvrir les rideaux.Olly est à sa fenêtre, le frontappuyésursonpoingposécontrelavitre.Depuisquandattend-illà?Ilneluifautpasplusd’unesecondepours’apercevoirque jesuisarrivée,mais j’aieu le tempsde lire l’inquiétudedanssesyeux.Apparemment, mon rôle dans la vie est de semer ce sentiment dans le cœur des gens quim’aiment.Enfin…àsupposerqu’ilm’aime.Sonregardsepromènesurmoncorps,surmonvisage.Avecsesmains,ilmimel’actiondetaper

surunclavier.Jesecouelatête.Ilfroncelessourcils,répètesongeste.Jesecouedenouveaulatête.Ildisparaîtdelafenêtre,puisrevientavecunfeutre.

J’acquiesceetj’articule:«Toi?»

Jesecouelatête.

J’acquiesce.

J’acquiesce.

Jehausselesépaules.

J’exprimel’idéed’unesantédefer,l’angoisseexistentielle,leregretetunimmensesentimentdeperte,toutçaavecunsimplehochementdetête.

Jesecouelatête.Ungestequisignifie:«Nesoispasdésolé.Cen’estpastafaute.Cen’estpastoi.C’estlavie.»

CHANGEMENTDEPROGRAMME

TEDONNERPLUS

Mamères’agenouillepourrassemblernosdessinsduPictionaryJuré-Craché,etelleenfaitunepilebiennette.Aprèschaquepartie,ellegardelesmeilleurs(c’est-à-direlesplusréussisetlesplusratés). Parfois nous passons notre collection en revue, avec la même nostalgie que les autresfamilles admirent leurs vieilles photos. Elle s’attarde sur un dessin particulièrement mauvaisreprésentantuneespècedecréatureavecdegrandesoreillesau-dessousdetroiscerclesavecdesyeux.Ellelelèvepourmelemontrer.–Commenttuasréussiàdevinerquec’estunecomptine?Elleseforceàglousser,commepourbriserlaglace.Jeris,moiaussi,désireusedefairel’autre

moitiéduchemin.–Jen’enaiaucuneidée!C’estvraiquetudessinescommeunpied!Lacréatureestcenséeêtreunesourisverte,etlestroiscercles,desmessieurs.Effectivement,j’ai

étébieninspirée,vulapauvretédesondessin.Ellecessederamassersespapiersets’assoitsursestalons.–J’aipasséunesupersemaineavectoi.Jehochelatête,sansrépondre.Sonsourires’efface.MaintenantquejenepeuxplusvoirOllyni

communiqueraveclui,jepasseplusdetempsavecmamère.C’estlaseulebonnechoseàtirerdecedésastre.Jeprendssamaindanslamienneetjelaserre.–Moiaussi.Ellesouritdenouveau,timidement.–J’aiembauchél’unedesinfirmières.Jehocheànouveaulatête.J’aidéclinésapropositionderencontrerlescandidatesavecelle.Ça

m’estégal,quielleengage.PersonneneremplaceraCarla.–Jedoisretournerautravaildemain.–Jesais.–Jepréféreraispouvoirresteravectoi.–Toutirabien.Ellearrangeletasdedessins,pourtantparfaitementdroit.–Tucomprendspourquoij’aifaittoutça,n’est-cepas?Enplus d’avoir renvoyéCarla, ellem’a interdit deme servir d’Internet et a annulémes cours

d’architectureenprésencedeM.Waterman.

Nousavonspassétoutelasemaineàessayerd’évitercessujetsglissants.Mesmensonges.Carla.Olly.Elleaprisdescongéspours’occuperdemoienl’absencedeCarla.Elleacontrôlémasantétouteslesheuresaulieudetouteslesdeuxheures,visiblementsoulagéechaquefoisqu’ellerelevaitdesrésultatsnormaux.Lequatrièmejour,elleadécrétéquej’étaissortied’affaire.Uncoupdechance,d’aprèselle.–Àquoitupenses?medemande-t-elle.–Carlamemanque.–Àmoiaussi,maisjeseraisunetrèsmauvaisemèresijel’avaisgardée.Tucomprends?Ellea

mistavieendanger.–C’étaitmonamie,dis-jecalmement.Sacolère,quej’airedoutéependanttoutelasemaine,exploseenfin.–Cen’étaitpasseulementtonamie!C’étaitsurtouttoninfirmière!Elleétaitcenséeprendresoin

detoi.Pasrisquertavieouteprésenterdesgarçonsquivonttebriserlecœur.Lesamisnedonnentpasdefauxespoirs.Mastupeurdoitseliresurmonvisage,carelles’interromptsoudainpourfrottersesmainssurses

cuisses.–Oh,monbébé!Jesuistellementdésolée!Àcetinstantprécis,laréalitémesauteauvisage:Carlaestpartiepourdebon.Elleneserapas

làdemain,quandmamaniratravailler.Quelqu’und’autreauraprissaplace.Ollyneserapaslànonplus.Jenepourraiplusjamaisl’embrasser.Cetteidéemefaitsuffoquerdedouleur:quelquechosequiavaitàpeinecommencéestdéjàterminé.Jesuissûrequemamèrefiniraparleverl’interdictiondemeservird’Internet,maisçanesuffira

pas.Si jesuishonnêteavecmoi-même,jedoislereconnaître: j’ai toujourssuqueçanesuffiraitpas.Jen’auraijamaisfaitletourdetouteslesmanièresaveclesquellesjeveuxêtreaveclui.Mamèreposeunemainsursoncœur.Jesaisquenousressentonslamêmepeine,elleetmoi.–Parle-moidelui,dit-elle.J’ai envie de lui en parler depuis si longtemps que je ne sais plus par quoi commencer.C’est

commes’ilremplissaittotalementmoncœur.Jecommencedoncparledébut.Jeracontelapremièrefoisquejel’aivu,lafaçonqu’ilavaitdebouger,légèreetfluide,pleined’assurance.J’évoquesesyeuxocéanetsesmainscalleuses.Jedisqu’ilestcynique,maistellementmoinsquecequ’ilcroit!Je parle de son horrible père, et de ses goûts vestimentaires douteux. Je lui dis qu’ilme trouvedrôle,intelligenteetbelle,danscetordre-là,etquecetordreesttrèsimportant.Bref,jeluiconfietoutesceschosesquej’aivoululuiconfierpendanttoutescessemaines.Elleécouteenmetenantlamainetenpleurantavecmoi.–Jetecomprends.Ilal’airfantastique.–Ill’est.–Jesuistellementdésoléequetusoismalade.–Cen’estpastafaute.–Jesais,maisjevoudraispouvoirtedonnerplus.–Est-cequejepeuxavoiraccèsàInternet?Jedevaistenterlecoup.Maisellesecouelatête.–Demande-moiautrechose,machérie.–S’ilteplaît,maman.

–C’estmieuxcommeça.Jeneveuxpasquetuaieslecœurbrisé.–L’amour,çanetuepas,dis-je,répétantainsilesparolesdeCarla.–C’esttotalementfaux!s’écrie-t-elle.Jenesaispasquit’aracontédesidiotiespareilles!

LAMÉCHANTEINFIRMIÈRE

Manouvelleinfirmièreestunhorribledespotediplôméd’État.Elles’appelleJanetPritchert.–Maistupeuxm’appeler«madame».Elleaunevoixanormalementhautperchée;ondiraitunealarme.Elleabieninsistésurlemot

«madame»,des foisqu’ilmeseraitvenuà l’idéede l’appelerpar sonprénom,cequine seraitvraiment pas convenable.Sapoignéedemain est trop ferme, comme si elle était plus habituée àbroyerqu’àsoigner.Maisbon,jenesuissansdoutepastrèsobjective.Toutceque jevoisquandje la regarde,c’estàquelpointelleestdifférentedeCarla.Elleest

aussimincequeCarla est corpulente.Elle n’a pas l’accent espagnol deCarla ni ses expressionsamusantes.ComparéeàCarla,elleatout«enmoins».L’après-midi,jedécidedefaireuneffortetdechangerd’attitude.C’estalorsque,surl’écrande

monordinateur,lepremierdesespetitsmotsfaitsonapparition.

Eneffet,mamèrearestaurémonaccèsàInternet,maisseulementdurantmesheuresdecours.Elleprétendquec’estparcequejenesuiscenséel’utiliserquepourtravailler,maisjesuissûrequ’envérité ça a un rapport avec le fait qu’Olly a repris le lycée et qu’il ne rentre chez lui qu’après15heures.Jeconsultel’heure.Ilest14heures30.Jedécidefinalementdenerienchangeràmonattitude.La

Méchante Infirmière aurait au moins pu me laisser une chance d’enfreindre une règle avant dedécréterquej’étaisdugenreàlefaire.Lesjourssuivants,leschosesnes’améliorentpas…

La semaine suivante, je perds tout espoir de la rallier à ma cause. Sa mission est claire :surveiller,contrôler,contraindre.Ollyetmoinoushabituonspetitàpetitàcenouveaurythme.Danslajournée,entremescourset

lessiens,nouséchangeonsdecourtsmessagessurSkype.À15heures,laMéchanteInfirmièreéteintlemodem,etlecontactestrompu.Lesoir,aprèsquej’aidînéetpassélasoiréeavecmaman,Ollyetmoirestonsplantésderrièrenotrefenêtre,ànousdévorerduregard.Jen’arrêtepasdesuppliermamèredechangerlesrègles,maiselleestimplacable.D’aprèselle,

c’estpourmeprotéger.Chaquejour,laMéchanteInfirmièretrouveunebonneraisonpourmelaisserunpetitmot.

Jefixecettenoteenmerappelantque,avantdepartir,Carlam’aditlamêmechose.«Lavieestuncadeau.»Est-cequejelagaspille?

SURVEILLANCEDUVOISINAGE#2

Emploidutempsd’Olly6:55:Estàsafenêtre.Écrit surlavitre.

7:20:AttendqueKaraaitfinisacigarette.7:25:Partaulycée.15:45:Revientdulycée.15:50:Estàsafenêtre.Efface etécrit surlavitre.

21:05:Estàsafenêtre.Meposequelquesquestionsparécrit.

22:00:Écrit surlavitre.

EmploidutempsdeMaddy6:50:Attendqu’Ollyapparaisseàsafenêtre.6:55:Estjoyeuse.7:25:Estdésespérée.8:00-15:00 : Ignore la Méchante Infirmière, suit ses cours, fait ses devoirs, lit,

consultesese-mailsdefaçonobsessionnelle,litencore.15:40:Attendl’arrivéedelavoitured’Olly.15:50:Estjoyeuse.16:00:Faitencoresesdevoirs,litencore.18:00-21:00:Dîne,passelasoiréeavecsamère.21:01:Attendqu’Ollyapparaisseàsafenêtre.21:05:Estjoyeuse.Mimelesréponsesauxquestions.22:01:Estdenouveaudésespérée.

AULYCÉE

Depuisqu’Ollyestretournéaulycée,nossessionsdetchatsonttrèslimitées.Ilm’écritdèsqu’ilpeut, entre chaque cours, parfois aumilieu d’un cours.La semaine de la rentrée, il a fait de sonmieuxpourmedonnerl’impressionqu’ilétaitàcôtédemoi.Ilm’aenvoyédesphotosdesoncasier(lenuméro23),desonemploidu temps,de labibliothèqueetde labibliothécaire,qui ressembleexactement à l’idée que je me fais d’une bibliothécaire de lycée, c’est-à-dire l’air érudite etbrillante.Ilm’envoieaussidesphotosdesesbrouillonspendantsescoursdemaths,delalistederomansqu’ilaàlirepourlecoursdelittérature,desbéchersetdesboîtesdePetridesoncoursdephysique-chimie.Moi,jedépensemontemps(«dépenser»estletermequiconvienttantilmecoûtedenepasle

voir)àvaqueràmesoccupationsquotidiennes:lire,étudier,survivre.Pourmedivertir,jedétournelestitresdesalistedelecture:LeContedesdeuxcitésdevientLeContedesdeuxbaisers;lechefd’œuvred’HarperLeesetransformeenNetirezpassurl’oiseauamoureux ;Tandisquej’agonisepeutresterainsi.EntrelaMéchanteInfirmièreetmois’estinstalléeunefranchehostilité,quimepousseàl’ignorer

d’autantplus,etquilapousseàlaisserencoreplusdepetitsmotspourmefairesavoirquesi,si,elleexistevraiment.Leproblème,cen’estpasseulementqu’ilmemanque.Enfait,jesuisjalousedesavie,jalousedu

mondequis’étendau-delàdelaportedenosmaisons.Ilm’assureque lavieau lycéen’a riend’un rêve,mais jen’ensuispasconvaincue.Comment

appelerautrementunlieuquin’ad’autrefinalitéquedevousouvrirsurlemonde?Unendroitpleind’amis, de professeurs, de bibliothécaires, de clubs de lecture, de clubs de maths, de clubs dedébatsentousgenres,d’activitésextrascolairesetd’autrespossibilitéssansfin?Au bout de trois semaines, il devient vraiment difficile de poursuivre notre relation de cette

manière.Ilfautquejeluiparle;mimernesuffitpas.J’aibesoind’êtreavecluidanslamêmepièce.J’aibesoindepercevoirsaprésencephysique.J’aibesoind’apprendreencoreàledécouvrir.J’aibesoindedécouvrirencorelaMaddyquejesuisquandilestlà.Nouscontinuonstoutdemêmecommeçajusqu’àceque,finalement,l’inévitableseproduise.Jesuisà la fenêtre, je regardesavoiturequisegare.J’attendsqu’ilsorte,qu’ilm’adresseson

habituelgestedelamain,maiscen’estpasluiquisortlepremier.Unefille,quin’estpasKara,émergedel’arrièredelavoiture.Peut-êtreest-ceuneamiedeKara?Maisnon:Karajaillitdelavoiture,claquelaportièreetentredanslamaison,enlaissantOllyet

1

laFilleMystèreentêteàtête.Ilditquelquechose,etlaFilleMystèrerit.Ellesetourneverslui,poselamainsursonépauleenluisouriantexactementcommejel’aidéjàfait,moi.D’abord,jesuisstupéfaite:jerefusedecroirecequememontrentmesyeux.Est-cequ’ellevient

vraiment de touchermonOlly ?Mon estomac se contracte. Lamain d’un géantm’emprisonne lataille.C’estcommesimesorganessedéplaçaientàl’intérieurdemoncorps,merendantmaldansmaproprepeau.Jelâchelerideauetm’éloignedelafenêtre.J’ail’impressiond’êtreunevoyeuse.Lesmotsdemamèremereviennentenmémoire.«Jeneveuxpasquetuaieslecœurbrisé.»Elle

savaitqueça arriverait.Que, fatalement, il y aurait quelqu’und’autre.Quelqu’unenbonne santé.Quelqu’unquipourraitallerdehors.Quipourraitluiparler,letoucher,l’embrasser,etplusencore.Jemeretiensderetourneràlafenêtrepourjaugerlaconcurrence.Maisest-cequ’ilyavraiment

concurrencequandl’undesadversairesn’estmêmepasenmesuredeseprésenterauxépreuves?Peuimporteàquoielleressemble.Peuimportesielleadelonguesjambesousielleestcourtesurpattes.Peuimportequ’ellesoitpâleoubronzée,avecdescheveuxnoirs,bruns,rouxoublonds.Peuimportequ’ellesoitjolieounon…Cequiimporte,c’estqu’ellepeutsentirlachaleurdusoleilsursapeau.Qu’ellerespirede l’airnonfiltré.Cequi importe,c’estqu’ellevitdans lemêmemondequ’Olly.Pasmoi.Celanem’arriverajamais.Jejetteencoreuncoupd’œil.Samainesttoujoursposéesursonépaule,etellecontinuederire.

Illèvelesyeuxversmafenêtreenplissantlespaupières,maisjesaisqu’ilnemevoitpas.Ilagitelamainaucasoù.Jemecachedenouveauetfaissemblantdenepasêtrelà;c’estmieuxpournousdeux.

1.LeContedesdeuxcitésestunromandeCharlesDickens,leromand’HarperLees’intituleenvéritéNetirezpassurl’oiseaumoqueur,etTandisquej’agoniseestsignéWilliamFaulkner.

«ALOHA»SIGNIFIEÀLAFOISBONJOURETAUREVOIR

J’aiencoreannuléunesoiréemère-fille,etmamans’arrêtesurlepasdemaporte.–Ehbien?fait-elle.–Désoléed’avoirannulé,maman.Jenemesenspastrèsbien.Elleposeaussitôtledosdesamainsurmonfront.Jeprécise:–Mentalement,pasphysiquement.Jen’arrivepasàmesortirdel’espritl’imagedelaFilleMystèretouchantl’épauled’Olly.Mamèrehochelatête,maisneretirepassamainavantd’êtrecertainequejen’aipasdefièvre.

Jechercheàcoupercourt;j’aivraimentenviequ’ellemefichelapaix.–Tucomprends?–Moiaussi,j’aiétéadolescenteautrefois.Etfilleunique.J’aitrouvéçatrèspénible.C’estpourçaqu’elleestlà?Parcequ’ellecroitquejemesensseule?Parcequ’ellepensequeje

traverseunesortedecrised’adolescence?–Jenemesenspasseule,maman,jesuisseule!C’estcomplètementdifférent!Elletressaillelégèrement,maisnepartpaspourautant.Aulieudecela,elleposequelquechose

qu’ellecachaitdanssamainetmecaresselajoue,jusqu’àcequ’elleréussisseàcroisermonregard.–Jesais,monbébé.Ellemetdenouveaulesmainsderrièresondos.–J’aipeut-êtremalchoisimonmoment.Tuveuxquejem’enaille?Elleesttoujourssiattentive,sicompréhensive;c’estdurdeluienvouloir.–Non,çava.Jesuisdésolée.Reste.Jeremontelesjambespourluifairedelaplaceàcôtédemoi,etjeluidemande:–Qu’est-cequetucaches?–Uncadeaupourtoi.Jemesuisditqu’avecçatutesentiraismoinsseule,mais,maintenant,je

n’ensuisplussisûre.Etelletiredederrièresondosunephotoencadrée.Jesensmoncœurseserrerdansmapoitrine.

C’estunevieillephotodenousquatre(mamère,monpère,monfrèreetmoi)suruneplagedesableblanc.Lesoleils’estcouchéderrièrenous,et,commelephotographeautiliséleflash,nousavonslevisageilluminé,lumineuxmême,quicontrasteaveclecielnoir.Monfrèretientmonpèreparlamainet,danssonautremain,ilaunlapinenpeluche.Ondirait

uneversionminiaturedemaman,avec sescheveuxnoirs et raides, et sesyeux sombres.La seule

différence,c’estqu’ilahéritédelapeauplusfoncéedemonpère.CedernierporteunT-shirtsurlequel est écrit lemotAloha, et un short assorti. «Gai luron », c’est le premiermot qui vient àl’espritquandonleregarde.Maisc’estaussiunbelhomme.Ilaunbraspasséautourdesépaulesdemaman, et il paraît l’attirervers lui. Il a lesyeuxplantésdans l’objectif de l’appareil. Il sembleavoirtoutcedontilatoujoursrêvé.Mamèreestvêtued’unerobed’étéàfleursrouge,sansbretelles.Sescheveuxhumidesondulent

autourdesonvisage.Elleneportenimaquillagenibijoux.Oncroiraitvoirlacopieconformedelapersonneassiseàcôtédemoi,maisdansununiversparallèle.Elleal’airplusàsonaisesurcetteplage,entouréedecesgens,queprisonnièredemachambreavecmoi.Ellemeportedanssesbras,etelleestlaseuleànepasfixerl’objectif.Aulieudecela,ellesouritenmeregardant.Quantàmoi,j’aicesourireidiotdebébé,toutengencives.Jen’avaisencorejamaisvudephotodemoipriseDehors.Jenesavaismêmepasqueçaexistait.Jedemande:–C’étaitoù?–ÀMaui,l’unedesîlesd’Hawaï.C’étaitl’endroitpréférédetonpère.Savoixestpresqueunmurmure.–Tun’avaisquequatremois.C’étaitavantqu’ondécouvrepourquoituétaistoutletempsmalade.

Etunmoisavantl’accident.Jeserrelecadrecontremapoitrine.Lesyeuxdemamèreseremplissentdelarmes.–Jet’aime,dit-elle.Plusquetunel’imagines.Jen’enaijamaisdouté.J’aitoujourssuqu’ellemettaittoutsoncœuràmeprotéger.Pourmoi,sa

voixaladouceurd’uneberceuse.Jesensencoresesbrasm’enlaçantpourm’endormirlesoir,etsesbaiserssurmajouepourmeréveillerlematin.Etmoiaussi,jel’aime.Jesuisconscientedetoutceàquoielleadûrenoncerpourmoi.Jenesaispasquoiluirépondre.Alors,jeluidisquejel’aimeaussi.Cen’estcertainementpas

suffisant,etpourtantçasembleluisuffire.

Aprèssondépart,jemeplantedevantlemiroir,lecadrelevéàhauteurduvisage.J’observelemoidelaphoto,puislemoidumiroir,etvice-versa.Unephoto,c’estunpeucommeunemachineàremonterletemps.Soudain,machambres’effaceet

jesuissurcetteplage,entouréed’amouretd’airsalé,environnéeparlachaleurquidiminue,etlesombresquis’allongentdanslecrépuscule.J’emplismesminusculespoumonsd’autantd’airqu’ilspeuventencontenir,etjeretiensmonsouffle.Jeleretiensdepuistoutcetemps.

LEMÊMEJOUR,21HEURES08

Quandjevaisàlafenêtre,Ollym’yattenddéjà.Engrandeslettresépaisses,ilécrit:

Enmime,jeluirépondsquejenesuisabsolumentpasjalouse.

LAMARIÉEIRAMAL

Il m’arrive de relire mes romans préférés en partant de la fin. Je commence par le dernierchapitre,etjelisàreboursjusqu’aupremier.Quand on lit de cette manière, les personnages vont de l’espoir vers le désespoir, de la

connaissance de soi vers le doute. Dans les histoires d’amour, les couples sont d’abord amants,avant de devenir des étrangers. Les récits d’initiation se transforment en récits d’égarement.Despersonnagesreviennentmêmeàlavie.Simavieétaitunromanqu’onlisaitàl’envers,riennechangerait.Aujourd’huiestpareilàhier,

demainserapareilàaujourd’hui.DansLeLivredeMaddy,tousleschapitresseressembleraient.Jusqu’àl’arrivéed’Olly.Avant lui, ma vie était un palindrome : exactement la même dans les deux sens, comme dans

«LéonaraséCésaràNoël»ou«Lamariéeiramal».Ollyestcommeunelettrepiochéeauhasard,ungrandXencaractèregrasjetéaumilieud’unedecesphrases.Et maintenant ma vie n’a plus aucun sens. Je voudrais presque ne jamais l’avoir rencontré.

Commentpourrais-jeretourneràmonexistenced’avant?Cetteexistencedanslaquelletouslesjourss’étirent devantmoi avec une similitude brutale et infinie ?Comment pourrais-je redevenir cette«fille-qui-lit»?Nonpasquejeregrettel’ancienneviequejepassaisplongéedansmeslivres.Toutcequejesaisdumonde,jel’aiapprisgrâceàeux.Maisladescriptiond’unarbreneserajamaisunarbre,etunmillierdebaisersdepapiern’égalerontjamaislasensationdeslèvresd’Ollyposéessurlesmiennes.

LEMURDEVERRE

Une semaine plus tard, je suis réveillée en sursaut. Je me redresse sur mon lit. Ma tête estbrouilléeparlesommeil,maismoncœurbatàcentàl’heure.Ilsaitquelquechosequemoncerveauignoreencore.Je louchevers le réveil : 3 heuresdumatin.Mes rideaux sont tirés,mais je perçoisune lueur

provenant de la chambre d’Olly. Jeme traîne jusqu’à la fenêtre et j’écarte les rideaux. Toute lamaison est inondée de lumière.Même celle du porche est allumée. Les battements demon cœurs’accélèrent.Oh,non!Est-cequ’ilssebagarrentencore?Uneporte claque.Un son ténu,mais bien reconnaissable. J’empoigne le rideau et j’attends, en

priantpourqu’Ollysemontre.Jen’aipasàpatienterlongtemps:ilsurgitenvacillantsurleperron,commesionl’yavaitpoussé.Commeladernièrefois,jeressenslebesoinimpérieuxdelerejoindre.Jeveuxlerejoindre.Je

doislerejoindre,leréconforter,leprotéger.Avecsonaisancehabituelle,ilretrouvevitel’équilibreetfaitfaceàlaporte,lespoingsserrés.Je

meprépareavecluiàrecevoiruneattaquequinevientpas.Ilfixelaportependantunebonneminutesansbaisserlagarde.Jenel’aijamaisvuaussiimmobile.Uneautreminutepasse,etsamère lerejointsous leporche.Elleessaiede lui toucher lebras,

maisilsedérobebrutalement,sanslaregarder.Alors,ellerenonce.Dèsqu’elleestpartie,toutelatensionsemblequitterlecorpsd’Olly.Ilenfouitlevisagedanssesmains,etsesépaulessesecouent.Puisillèvelesyeuxversmafenêtre.J’agitelamain,maisilnemerépondpas.Jeréalisequ’ilnepeutpasmevoir,puisquemalumièreestéteinte.Jemeprécipiteversl’interrupteur.Mais,letempsquejeregagnelafenêtre,iln’estpluslà.Jepressemonfront,mesmainsetmesavant-brascontrelavitre.Jamais,detoutemavie,jen’aieuautantenviedem’arracheràmonproprecorps.

LEMONDECACHÉ

Parfois lemonde se révèle soudain à nous. Je suis seule dans la véranda qui s’assombrit. Lesoleilde la find’après-mididécoupeun rectangle lumineuxà travers lavitre. Je lève lesyeuxetj’admirelesparticulesdepoussière,minusculesetscintillantes,quiydériventensuspension.Ilyadesmondesentiersquiexistentàlalisièredenotreperception.

DEMI-VIE

C’estunechosecurieusedeconstaterqu’onestprêtàmourir.Çanesemanifestepasde façonfulgurante,commeunesubiteépiphanie.Non,çaarrivelentement,plutôtcommeunballondontl’airs’échappeparuntrouminuscule.Lesouvenird’Ollypleurantseulsousleporchenemequittepas.J’examinetouteslesphotosqu’il

m’aenvoyées,et jem’imagineuneplacedanschacuned’elles.Maddyà labibliothèquedulycée.Maddy à côté du casier d’Olly, avant de retourner en cours. Maddy, élue « élève la plusprometteuse».J’examine aussi chaque centimètre carré de ma photo de famille, en essayant d’en percer les

secrets.Jem’émerveilledelaMaddyenbonnesanté,bébéMaddydont lavies’étiredevantelle,pleinedepossibilitésinfinies.Depuis qu’Olly est entré dansma vie, il y a deuxMaddy : celle qui continue son existence à

traversleslivresetneveutpasmourir,etcellequivitpourdevrai,aveclepressentimentquelamortestunprix infimeàpayerpourcela.LapremièreMaddys’étonneducoursqueprennentsespensées.LasecondeMaddy(peut-êtrelamêmequesurlaphotoàHawaï?)estau-dessusdetout,semblableàunedéesse,insensibleaufroid,àlafaim,àlamaladie,auxcatastrophesnaturellesethumaines.Elleestmêmeinsensibleàlamaladied’amour.LasecondeMaddyestconscientequecettepâledemi-vien’estpasvraimentunevie.

AUREVOIR

Chèremaman,Avant toute chose, je t’aime. Tu le sais déjà, mais je n’aurai peut-être plus

l’occasiondeteledire.Donc:jet’aime,jet’aime,jet’aime.Tuesintelligenteetforteetdouceetgénéreuse.Jen’auraispaspurêverd’unemeilleuremaman.Tunecomprendrassansdoutepascomplètementcettelettre.Jenesuispassûrede

mecomprendrevraimentmoi-même.Grâceàtoi,jesuisvivante,etjet’ensuistrès,trèsreconnaissante.Grâceàtoi,j’ai

survécu, et j’ai eu la chance de découvrir cette petite partie du monde qui est lamienne. Mais elle ne me suffit pas. Ce n’est pas ta faute. Mais cette vie-là estimpossible.Cen’estpasseulementpourOllyquejefaisça.Oupeut-êtrequesi.Jenesaispas.

Jenepeuxpasl’expliquer.ToutaunrapportavecOlly,etenmêmetempsrienn’aderapportavec lui. Jen’arriveplusà regarder lemondecommeavant. J’aidécouvertcettenouvellefacettedemapersonnalité,etcettenouvellefacettenepeutpasrestersilencieuseettranquille,simpleobservatricedumonde.Tutesouviensdelapremièrefoisquenousavonslu«LePetitPrince»?J’étais

tellement chamboulée quand il meurt, à la fin. Je ne comprenais pas qu’il puissechoisir la mort, juste pour retrouver sa rose. Je crois que je le comprends,maintenant.Iln’apaschoisidemourir.Laroseétaittoutesavie.Sanselle,iln’étaitpasvraimentvivant.Je ne suis pas sûre de savoir ce que je fais,maman, je sais juste que je dois le

faire.Parfoisj’aimeraisredevenircellequej’étaisavant,avantd’ouvrirlesyeuxsurtoutcela.Maiscen’estpaspossible.Jesuisdésolée.Pardonne-moi.Jet’aime.Maddy

LESCINQSENS

L’OUÏELeclavierdel’alarmemanquedetrahirmonévasionenémettantunBIP!bruyantchaquefoisque

j’appuiesurunetouche.Jepriepourqueçanes’entendepasdepuis lachambredemamère, trèséloignéedel’entrée.Laportes’ouvreavecunsoupir.Çayest,jesuisDehors.Larueestsitranquillequec’enestassourdissant.

LETOUCHERLemétaldelapoignéedeporteestfroid,lisse,presqueglissant.Ilnemeresteplusqu’àlalâcher,

cequejefais.

LAVUEIlest4heuresdumatin,et il fait tropsombrepourque jedistinguebien lepaysage.Mesyeux

n’aperçoiventquelaformeglobaledeschoses,silhouettesflouessedécoupantsurlecielnocturne.Ungrandarbre,unautrepluspetit,quelquesmarches,unjardinet,unealléeenpierremenantàunepalissadeentourantunportail.Unportail,unportail,unportail.

L’ODORATJesuisdanslejardind’Olly.L’airestlourdetrichedesenteurs:lesfleurs,laterre,mapeurde

plusenplusgrande.Jelacachetoutaufonddemespoumons.Jeprendsdespetitscaillouxet leslancesursavitre.

LEGOÛTOllyestdevantmoi,stupéfait.Jeneprononcepasunmot.Jeposemeslèvressurlessiennes.Tout

d’abord,ilrestepétrifié,hésitant,réticent,puis,toutàcoup,ilabandonnesesréserves.Ilmeserretrèsfortcontrelui.Ilpasseunemaindansmescheveuxetenlacemataille.Seslèvresontlemêmegoûtquedansmonsouvenir.

D’AUTRESMONDES

Au bout d’un moment, nous reprenons un peu nos esprits. Enfin… surtout Olly. Il recule etm’attrapelesépaulesdesdeuxmains.–Qu’est-cequetufaislà?Tuvasbien?Ilyaunproblème?C’esttamère?–Jevaisbien,dis-jeavecungrandsourire.Ellevabien,elleaussi.Jemesuisenfuie.L’éclairagedesachambreau-dessusdenousprojette justeassezde lumièrepourque jepuisse

voirletroublesursonvisage.–Jenecomprendspas,balbutie-t-il.Je prends une grande inspiration, puis je me fige. L’air de la nuit est froid, humide et lourd,

totalementdifférentdeceluiquej’aitoujoursrespiréjusque-là.J’essaied’expirer,delechasserdemespoumons.J’aidesfourmillementssurleslèvresetlatêtequitourne.Est-ceàcausedelapeur,oud’autrechose?–Maddy,Maddy…,murmure-t-ilàmonoreille.Qu’est-cequetuasfait?Jesuisincapablederépondre.Magorgeestbloquée,commesij’avaisavaléunepierre.–Essaiedenepastroprespirer,chuchote-t-ilenmeguidantversmamaison.Jelelaissem’entraînerpendantuneseconde,peut-êtredeux,avantdem’immobiliser.–Çanevapas?s’inquiète-t-il.Tupeuxmarcher?Tuveuxquejeteporte?Jesecouelatêteetrepoussesamain.J’inspirel’airdelanuitetjerépète:–Jet’aiditquejem’étaisenfuie.Ilémetunbruitquiressembleàungrognement.–Qu’est-cequeturacontes?Tuveuxtesuicider?–Aucontraire.Tuvasm’aider?–Comment?–Jen’aipasdevoiture,jenesaispasconduire.Etjeneconnaisriendumonde.Ilémetlemêmebruit,àmi-cheminentreungrognementetunpetitrire.Siseulementjepouvais

voirsesyeux…maisilfaittropnoir.Soudain,unclaquementretentit.Uneporte?J’attrapesamainetl’entraîneaucoindesamaison.–C’étaitquoi?–Mince!Uneporte.Chezmoi.Jem’aplatiscontrelemur,commepourydisparaître.Jejetteunœildansl’alléequimèneàma

maison,m’attendantàvoirsurgirmamère.Maisjenelavoispas.

Jefermelesyeux.–Emmène-moisurletoit.–Maddy…–Jet’expliqueraitout.Mon plan dépend entièrement de son aide. Je n’ai même pas envisagé ce qui arriverait s’il

refusaitdem’aider.Nous gardons le silence une seconde. Puis deux. Puis trois. Il me prend par la main, et nous

contournonssamaisonjusqu’aumurlepluséloignédelamienne.Ilyaunegrandeéchellequimèneautoit.–Tun’aspaslevertige?medemande-t-il.–Jenesaispas.Jecommenceàmonter.Parvenuesur le toit, jeme tassesurmoi-mêmepourmeplanquer,mais

Ollymeditquecen’estpaslapeine.–Personnenelèvejamaislesyeux.Il faut àmon cœur plusieursminutes pour retrouver son rythme normal. Olly s’assoit avec sa

grâcehabituelle.Leregarderbougersuffitàmerendreheureuse.–Etmaintenant?m’interroge-t-il.J’observe les alentours. J’ai toujours eu envie de savoir ce qu’il faisait là-haut.Nous sommes

assissurunezoneplate,derrièreletoitàpignon.Dansl’obscurité,jedistinguelaformedequelquesobjets : une petite table sur laquelle sont posées une tasse, une lampe et des feuilles de papierfroissées.Peut-êtrequ’ilvienticipourécriredespoèmes,ouinventerdescontrepèteries…Jedemande:–Ellemarche,cettelampe?Il l’allume sans un mot, et elle répand un cercle de lumière diffus. J’ai presque peur de le

regarder.Lespapiersfroisséssurlatablesontdesemballagesdeplatsàemporter.Pasdepoèmessecrets,

donc.Prèsdelatable,unebâchepoussiéreuserecouvrequelquechose.Lesolestjonchéd’outils:clés,pincescoupantesdetaillesvariées,marteaux,etd’autrestrucsquejenereconnaispas.Ilyamêmeunchalumeau.Enfin,j’osetournerlesyeuxverslui.Ilestassis,lescoudesposéssurlesgenoux,etilregardelecielquis’éclaircitlentement.–Qu’est-cequetufaisquandtuviensici?–Cen’estpasdutoutlemomentdeparlerdeça.Sa voix est dure, et il neme regarde pas. Il ne ressemble plus au garçon quim’a embrassée

quelquesminutesplustôt.Lapeurqu’ilressentpourmoiaoccultétoutlereste.Parfois on fait les choses pour de bonnes raisons, parfois pour demauvaises, et parfois il est

impossiblededifférencierlebondumauvais.–J’aidesmédicaments,dis-je.Déjàqu’ilbougeaitàpeine;levoilàtotalementimmobile.–Quelsmédicaments?–Cesontdespilulesexpérimentales,quel’Agencedumédicamentn’apasencoreapprouvées.Je

lesaicommandéesenligne.AuCanada.

Cemensongemevientnaturellement,sanseffort.–Enligne?Commenttusaisqu’ellessontsansdanger?–J’aifaitbeaucoupderecherches.–Cen’estpasuneraison.Tunepeuxpasêtresûreque…–Jesaiscequejefais.Jesoutienssonregardsansciller.C’estpoursonbienquejeluimens.D’ailleurs,iladéjàl’air

unpeusoulagé.Jepoursuis:–Grâceàcespilules,jedevraispouvoirresterquelquesjoursdehors.Jen’airienditàmamère

parcequ’ellerefuseraitdeprendrelemoindrerisque,mais…–Doncc’estrisqué!Tuasdittoi-mêmequ’ellesn’étaientpasautorisées…–C’estsansdangerpendantquelquesjours.Montonnelaissepasdeplaceaudoute.J’attends,enpriantpourqu’ilaitavalécebobard.–Etmerde…Ilenfouitsonvisagedanssesmainsetnebougeplus.Quandilrelèvelesyeux,iln’apluscetair

buté.Mêmesavoixs’estadoucie.–Tuauraispumeraconterçaavant.Jefaismonpossiblepourallégerl’atmosphère.–Quandça?Pendantqu’ons’embrassait?Oupendantquetum’engueulais?Jerougisautantàl’évocationdubaiserqu’enraisondelafacilitéaveclaquellej’arriveàmentir.–J’allaisteleraconter.Jeteleraconte,là.Jeviensjustedeteleraconter…Ilestbientropfutépourêtredupe,j’ensuissûre,maisilespèretellementquecesoitvrai.Ilveut

que ce soit vrai plus qu’il ne veut connaître la vérité. Le sourire qui fend son visage est encorehésitant,mais il est si beau que je ne peux pas le quitter des yeux. Pour ce sourire, jementiraisencoreetencore.–Bon,etmaintenant…ilyaquoisouscetruc?Ilmetenduncoindelabâche,quejesoulève.D’abord,jenesuispassûredecequejevois.–Ças’appelleunplanétaire,m’explique-t-il.–C’estmagnifique.C’estçaquetufaisici?Tufabriquesdesunivers?Ilhausselesépaules.Unelégèrebrisesemetàsouffler,etlespetitesplanètesfabriquéesparOllytournentdoucement.

Nouslesadmironsensilence.–Tuessûredetadécision?Ànouveau,ilyadudoutedanssavoix.–Aide-moi,Olly.S’ilteplaît.Jedésigneleplanétaire.–Moiaussi,j’aibesoindem’évader,justepouruntemps.Ilhochelatête.–Ettuveuxalleroù?

«ALOHA»SIGNIFIEÀLAFOISBONJOURETAUREVOIR#2

DÉJÀLEBONHEUR

–Maddy,sérieusement,onnepeutpasalleràHawaï.–Pourquoipas?J’ailesbilletsd’avion.J’airéservél’hôtel.Nous sommes assis dans la voiture d’Olly, dans l’allée. Ilmet la clé dans le contact, sans la

tourner.–Tuplaisantes?Ilcherchesurmonvisagelapreuvequejesuisentrainde luifaireuneblagueet,commeilne

trouvepas,ilsecouedoucementlatête.–Hawaïestàcinqmillekilomètresd’ici…–D’oùlesbilletsd’avion…Ilignoremontraitd’humour.–Tuesvraimentsérieuse?Tuasfaitçaquand?Comment?Pourquoi?–Encoreune,etonpourrajouerà«cinqquestionssansréfléchir»!Ilsepencheenavant,poselefrontsurlevolant.–Oui,hiersoir,avecunecartedecrédit,parcequej’aienviedevoirlemonde.–Tuasunecartedecrédit?–Depuisquelquessemaines.Çaaquandmêmedesavantagesdetraîneravecunefilleplusâgée

quetoi…Ilseredresse,maisgardelesyeuxbraquésdevantlui.–Ets’ilt’arrivequelquechose?–Ilnem’arriverarien.–Maissic’estlecas?–J’ailespilules,Olly.Ellesvontmarcher.Ilfermelesyeuxetmetlamainsurlaclé.–Tusaisqu’onpeutdéjàvoirpleindechosesenrestantenCalifornieduSud…–Peut-être,maispasdehumuhumunukunukuapua’a.Un demi-sourire se forme au coin de ses lèvres. Il faut absolument que j’arrive à le dérider

complètement.Ilsetourneversmoi:–Dequoituparles?–Duhumuhumunukunukuapua’a.–Quoi?C’estquoi,ça,lehumum-truc?

–C’estunpoisson.Lesymboled’Hawaï.Sonsourires’élargit.–Ah,biensûr.Il tourne la clé dans le contact. Ses yeux s’attardent sur sa maison, et son sourire s’efface à

nouveau.–Combiendetemps?–Deuxnuits.Ilprendmamainetl’embrasse.–OK,onvatrouvercepoisson.L’humeur d’Olly s’améliore à mesure que nous nous éloignons de chez lui. Ce voyage est

l’occasiondeselibérerdupoidsdesafamille,pouruntemps,dumoins.Etpuis,undesesvieuxcopainsdeNewYork,Zach,habitemaintenantàMaui.–Tuvasl’adorer,medit-il.–Jevaistoutadorer!Levoln’estqu’à7heures,etavant,jeveuxfaireunpetitdétour…Lavoituremefaitl’effetd’unebulletrèsbruyante,quiavancetrèsvite.Ollyrefused’ouvrirles

vitres.Ilappuiemêmesurunboutondutableaudebordquicoupelacirculationdel’air.Lebruitdespneussurl’asphaltem’évoquequelqu’unquimesiffleraitdanslesoreillesdefaçoninsistante.Jemeretiensdelesboucher.D’aprèsOlly, on ne va pas vite,maismoi, j’ai l’impression de fendre l’espace à bord d’une

fusée.J’ailuqu’enraisondelavélocité,lespassagersdestrainsàgrandevitessevoientlemondeen flou. Je sais bien que nous sommes loin de cette allure-là, pourtant le paysage bouge troprapidement pour que mes yeux puissent s’y accrocher. C’est à peine si j’entrevois les maisonsposées sur les flancs des collines à l’horizon.Au-dessus de nos têtes, des panneaux couverts desymboles lumineux et de noms s’en viennent et s’en vont avant que j’aie eu le temps de lesdéchiffrer. Les autocollants sur les pare-brise arrière et les plaques d’immatriculation des autresvoituresdéfilentenunclind’œil.Mêmesijesaisquec’estabsurde,jenepeuxpasm’empêcherdetrouver bizarre que mon corps se déplace alors que je suis immobile. Enfin… pas tout à faitimmobile.JesuisplaquéecontremonsiègequandOllyaccélèreetprojetéeenavantlorsqu’ilfreine.De temps en temps, nous ralentissons suffisamment pour que je voie les occupants des autresvéhicules.Parexemple,nousdoublonsunefemmequiagitelatêteentapantsursonvolant.Cen’estqu’après

l’avoirdépasséequejecomprendsqu’elledevaitdanseraurythmede lamusique.Deuxgaminsàl’arrièred’uneautrevoituremetirentlalangueetéclatentderire.Jeneréagispas;jenesaispascommentonestcenséréagirdanscescas-là.Nousquittonsl’autoroute,etnousretrouvonsuneallurequimesembleplushumaine.–Oùsommes-nous?–ÀKoreatown,làoùellehabite.J’ailatêtequibourdonne,àforced’essayerdetoutregarderenmêmetemps.Ilyadesnéonset

despanneauxd’affichagebrillammentéclairés,rédigésencoréen.Pourmoiquineconnaispascettelangue,cespanneauxsontcommedesœuvresd’artauxformesétrangesetmerveilleuses.Biensûr,ilsnedisentsansdouteriendeplusqueRestaurantouPharmacieouverte24h/24.Il estencore tôt,pourtant lesgens sontdéjàoccupésàmarcherdans la rue,discuter, s’asseoir,

resterdebout,couriroufaireduvélo.J’aidumalàcroirequ’ilssontréels.J’ail’impressiondevoir

lesfigurinesquejeplacedansmesmaquettespourleurdonner«l’énergiedelavie».Àmoinsquecesoitmoiquinesuispasvraimentréelle?Pasvraimentici?Nous roulons encore quelquesminutes. Enfin, nous nous arrêtons devant une résidence à deux

étages,avecunefontainedanslacour.Ollydéfaitsaceinture,maisnesedécidepasàsortirdelavoiture.–Ilnepeutrient’arriver,affirme-t-il.Jeluiprendslamain.–Merci.C’esttoutcequejeréussisàluidire.Jevoudraisajouterquec’estgrâceàluisijesuisici,sije

suisDehors.Quel’amourouvretouteslesportes.J’étais heureuse avant de le rencontrer. Mais à présent je suis vivante, ce qui est totalement

différent.

CONTAMINÉE

Dèsqu’ellem’aperçoit,Carlapousseuncriensecouvrantlevisageaveclesmains.–MonDieu,unfantôme!Puisellem’attrapeparlesépaules,meserrecontresapoitrine,mesecoueàdroiteetàgauche,

avantdemeserrerànouveau.Quandelles’arrêteenfin,jen’aiplusd’airdanslespoumons.–Qu’est-cequetufichesici?dit-ellesansreprendresonsouffle.Tunepeuxpasêtreici!Elles’écarte,secouelatêtecommesiellesetrouvaitfaceàuneapparition,puism’attireencore

contreelle.–Oh,montrésor!Commetum’asmanqué!Elleprendmesjouesentresesmains.–Toiaussi,tum’asmanqué.Jesuistellementdésoléepour…–Stop.Tun’aspasàt’excuser.–Àcausedemoi,tuasperdutonboulot.–J’enaitrouvéunautre,réplique-t-elleenhaussantlesépaules.Leproblème,c’estjustequetu

memanques.–Tumemanquesaussi.–Tamamanafaitcequ’elleavaitàfaire.Jeneveuxpaspenseràmamère.JechercheOllyduregard; ilestsortidelavoiture,maisse

tientunpeuàl’écart.JedemandeàCarla:–Tutesouviensd’Olly?–Commentpourrais-jeoublierunvisagepareil?Etcecorps!répond-elle,assezfortpourqu’il

l’entende.Ellevaversluietluioffreuneaccoladeplusmesuréequecellequej’aireçue.–Tuprendsbiensoind’elle,j’espère?Ellelelâchepourluidonnerunepetiteclaque,justeunpeutropfort.Ollysefrictionnelajoueen

marmonnant:– Je fais ce que je peux. Je ne sais pas si vous êtes au courant, mais elle est du genre têtu,

parfois…Carlanousdévisagetouslesdeuxpendantunelongueseconde,etjesuissûrequ’ellecomprend

parfaitementlasituation.Noussommestoujourssurlepasdelaporte.

–Entrez,entrez…,dit-elleenfin.–Onnepensaitpastetrouverdeboutaussitôt.–Ondortmoinsenvieillissant,tuverras…Jesuistentéederépondre:«Sijevieillis…»,maisjedemandeplutôt:–Rosaestici?–Elleestenhaut,elledort.Tuveuxquej’aillelaréveiller?–Non.Detoutefaçon,onn’apasbeaucoupdetemps.Jevoulaisjustetesaluer.Elle attrape de nouveaumon visage dans sesmains etm’examine, cette fois-ci avec ses yeux

d’infirmière.–J’ailoupépasmald’épisodes…Alors,qu’est-cequetufabriquesici?Commenttutesens?Ollyfaitunpasenavant,visiblementsoucieuxd’entendremaréponse.Jecroiselesbrassurmonventreenrépliquant,d’untonunpeutropréjoui:–Jevaistrèsbien.–Dis-luipourlespilules,mesouffleOlly.–Quellespilules?s’enquiertCarla.–Onadespilules.Expérimentales.–Çam’étonneraitquetamèret’aitdonnédespilulesexpérimentales.–Jemelessuisprocuréesmoi-même.Mamannesaitrien.Carlahochelatête,satisfaited’avoirvujuste.–Etd’oùtulestiens?Jeluiracontelamêmehistoirequ’àOlly,maisellen’encroitpasunmot.Ellesecachelabouche

derrièresamainetécarquillelesyeux,retrouvantcetairquilafaitressembleràunpersonnagededessin animé. Je lui lance un regard appuyé, dans lequel, de tout mon cœur, je lui lance unesuppliquemuette:«S’ilteplaît,Carla,comprends-moi.S’ilteplaît,nemedénoncepas.C’esttoiquim’asditquelavieestuncadeau…»Ellesedétourneetfrotteunendroitsoussapoitrineendécrivantdepetitscercles.–Vousdevezavoirfaim.Jevaispréparerunpetitdéjeuner.Elle nous indiqueun canapé jaunevif qui a l’air ultraconfortable, avant de disparaître dans la

cuisine.–C’estexactementcommeçaquej’imaginaissamaison,dis-jeàOlly.Jeneveuxpasluilaisserletempsdeposerdesquestionssurlespilules.Aucundenousdeuxnes’assoit.Nousrestonsdebout,àunpasoudeuxdedistance.Lesmurssont

peintsdansdescouleursvives.Desbibelotsetdesphotosrecouvrentlamoindresurfacedisponible.–Ellen’apasl’airfâchéeparcettehistoiredepilules,glissenéanmoinsOlly.Ilserapprochedemoi,etjemecrispe.J’aipeurqu’ilflairel’odeurdumensongesurmapeau.Jefaislescentpasdanslesalon,admirantlesphotossurlesquellesdéfilentdesgénérationsde

femmesressemblantàCarla.L’undesclichés,trèsgrand,accrochéau-dessusd’unfauteuil,montreCarlaquiporteRosabébédanslesbras.Quelquechosesurcetteimagemerappellemamère.Sansdoutelafaçonqu’elleaderegarderRosa,nonseulementavecamour,maisaussiavecunesortededureté,commesielleétaitprêteàtoutpourlaprotéger.Jamaisjenepourrairendreàmamèrecequ’elleafaitpourmoi.

Pourlepetitdéjeuner,Carlaapréparédeschilaquiles,unplattypiqueduMexique,composédetortillasdemaïsrecouvertesdesauce,defromageetdecrèmefraîche.C’estdélicieuxetoriginal,maisjen’arriveàenavalerqu’unebouchée.Jesuistropnerveusepourmanger.–Dites,Carla…,reprendOllyd’unevoixdébordanted’optimisme.D’aprèsvous,cespilulessont

vraimentefficaces?–Peut-être,répond-elleensecouantpourtantlatête.Maisjepréfèrenepasvousdonnerdefaux

espoirs…J’aimeraisbienluidemanderpourquoijenesuispasencoremalade,maisceseraitmevendre:je

suispriseaupiègeparmonpropremensonge.– Peut-être que ces pilules retardent la maladie, poursuit Carla. Ou peut-être que tu n’as tout

simplementpasencorerencontréd’élémentdéclencheur.–Oupeut-êtrequelespilulesfontleurboulotetempêchentlamaladie…,insisteOlly.Jem’aperçoisqu’iladépassélestadedel’espoir.Ilcroitcarrémentaumiracle.Depuisl’autreboutdelatable,Carlasepenchepourluitapoterlamain.–Tuesunbongarçon,luidit-elle.Puis,enévitantsoigneusementmonregard,elledébarrassenosassiettesetvalesporterdansla

cuisine.Jelasuis,entraînantlespiedssouslepoidsdelahonte.–Merci.Elles’essuielesmainssuruntorchon.–Jetecomprends.Jecomprendscequetufais.–Jevaispeut-êtremourir,Carla.Ellemouilleunelavetteetastiqueuncoinducomptoirpourtantdéjàpropre.–J’aiquittéMexicoenpleinenuit,sansrienemporter.Jenepensaispasquejesurvivrais,àce

moment-là. Pasmal de gens ne sortent pas vivants de ce genre d’aventure…mais je suis partiequandmême.J’ailaisséderrièremoimonpère,mamère,masœuretmonfrère.Ellerincelalavetteetpoursuit:–Ilsontvoulum’endissuader.Ilsontditquelavieétaitplusprécieuse,maisjeleurairépondu

quec’étaitmavie,etquec’étaitàmoidedéciderdesonprix.Jepartiraisdetoutefaçon,soitpourmourir,soitpourtrouveruneviemeilleure.Ellerinceànouveaulalavetteetl’essore.–Quand j’ai quitté lamaison, en pleine nuit, jeme suis sentie incroyablement libre. Etmême

aujourd’hui,aprèstoutcetemps,jecroisquejenemesuisplusjamaissentieaussilibrequecettenuit-là.–Ettuneregrettesrien?–Si,biensûr.Levoyageaététrèsdur.Etpuis,quandmesparentssontmorts,jen’aipaspualler

àleurenterrement.Rosaneconnaîtriendesesorigines.Personnenevitsanslemoindreregret…Etmoi,quevais-jeregretter?Desimagespassentenboucledansmonesprit:mamèreseuledans

machambreblanche,sedemandantoùsontpasséstousceuxqu’elleaimait.Mamèreseuledansunpréverdoyant,baissant lesyeuxversma tombe, celledemonpère, celledemon frère.Mamèremouranttouteseuledanscettegrandmaison.Carlaposeunemainsurmonbras,etjerepousseaulointoutescespensées,sanslamoindrepitié.

Jenepeuxpassongeràtoutcela.Jenepourraipasvivresij’ypense.

Jesoupire:–Peut-êtrequejenetomberaipasmalade…–Effectivement,confirmeCarla,et,commeunvirus,l’espoirserépanddanstoutmoncorps.

FAQ:VOTREPREMIERVOL

Q:Quelestlemeilleurmoyendesoulagerladouleurdanslesoreillescauséeparlechangementd’altitude?R:Mâcherduchewing-gum.Etfairedesbisous.

Q:Quelestlemeilleursiège:fenêtre,milieuoucouloir?R : Fenêtre, sans aucun doute. Le monde est incroyable, vu de 10 000 mètres

d’altitude.Remarque:êtreassiseàcôtédelafenêtresignifiequevotrecompagnon,lui,peutseretrouverassisàcôtéd’unraseurparticulièrement loquace.L’embrasser(votrecompagnon,pasleraseur)peutégalementserévélerutiledanscettesituation.

Q:Combiendefoisparheurel’airdelacabineest-ilrenouvelé?R:Vingtfois.

Q : Les couvertures distribuées dans les avions peuvent-elles couvrir

plusieurspersonnes?R :Oui, deux.À condition de relever l’accoudoir et de vous blottir l’un contre

l’autre.

Q : Comment l’humain a-t-il pu inventer à la fois des choses aussifantastiquesquel’avionetaussihorriblesquelabombeatomique?R:Leshumainssontdesêtresmystérieuxetpleinsdeparadoxes.

Q:Risque-t-onderencontrerdesturbulences?R:Oui.Danslavie,onrencontretousdesturbulences.

TAPISROULANT

–Jetrouvequeletapisroulantestunemétaphoreparfaitedelavie,déclareOlly,deboutauborddutapisàbagagesencoreàl’arrêt.Ni l’un ni l’autre n’avons enregistré de bagages. Tout ce que j’ai, c’est un petit sac à dos

contenantleminimumvital:unebosseàdents,dessous-vêtementsderechange,unguidetouristiquesurHawaï,etmonexemplaireduPetitPrince.Jedevaisl’emporter,bienentendu.Jevaislelireunefoisdepluspourvoirsilasignificationmesembleavoirchangé.Jedemande:–Tut’esfaitcetteréflexionilyalongtemps?–Non,àl’instant.Ilaimebienlesthéoriesdébiles,etjevoisqu’ilattendquej’insistepouravoirlesdétails.–Tuveuxencoreyréfléchiravantdemefaireprofiterdesexplications?Ilsecouelatêteetbonditdutapis,justedevantmoi.–Jepréfèrequetuenprofitesmaintenant,situveuxbien.D’ungestemagnanime,jel’encourageàpoursuivre.–Dèsque tunais, tuesprojetédansce trucunpeudinguequ’onappelle lavie, etqui tourne,

tourne…–Etdanstathéorie,lesbagages,cesontlesgens?–Oui.–Continue…–Parfois,tutombesdutapisprématurément.Parfois,tuestellementabîmépard’autresbagages

quitesontdégringolésdessusquetunefonctionnesplusnormalement.Parfois,tuesperdu,oublié,ettupassestonexistenceàtourner,tourner…–Etlesautres,ceuxquiretrouventsimplementleurpropriétaire?–Ilsvontmeneruneviebanaleaufondd’unplacardquelconque.J’ouvre et referme plusieurs fois la bouche, sans trouver quoi répondre. Il prend ça pour un

consentement.–Tuvois,çatientlaroute,commethéorie!Ilaleregardmoqueur.–Oui,impeccable,dis-je,enpensantàluiplutôtqu’àsathéorie.J’entremêlemesdoigtsauxsiens,etjeregardeautourdemoi.

–C’estcommedanstessouvenirs?Ollyestdéjàvenuici;ilyapassédesvacancesenfamillequandilavaitdixans.– Je ne me rappelle pas grand-chose. Juste mon père disant que les Hawaïens auraient pu

dépenserquelquesdollarsdepluspournousdonnerunemeilleurepremièreimpression.Lehalld’arrivéeestpourtantbondédegensvenusaccueillirlesnouveauxarrivants:desfemmes

vêtuesdelonguesrobesàfleurs,arborantdespancartesdebienvenueetportantautourdespoignetsdescolliersd’orchidéesmauveetblanc.L’airnesentpasl’océan.Ilcharrieuneodeurindustriellede kérosène et de produits d’entretien. Je pourrais presque l’aimer, cette odeur, puisqu’elle estsynonymedevoyage.Autourdenous,desvaguesdebruits’élèventetretombent,ponctuéesparleschœursde«Aloha!»lancésparlesHawaïennes.Commeaccueilcouleurlocale,jetrouvequecen’estpasmaldutout,moi.Jemedemandecomment lepèred’Ollyafaitpour traverser lemondesansvoiràquelpointilestprécieux.–Danstathéoriedesbagages,tamèreestunevaliseabîmée?Ollyhochelatête.–Ettasœur?C’estunsacquiseperdetquitournesansfin?Nouveauhochementdetête.–Ettoi?–Pareilquemasœur.–Ettonpère?–Ilestletapisroulant.J’attrapesamainensecouantlatête:–Non,Olly,iln’apasunrôleaussiimportant.Jel’aigêné.Ilretiresamainets’éloignediscrètement,enfaisantmined’observerleterminal.–Machère,iltefautuncollierdefleurs,déclare-t-ilensuite.Ilfaitsigneàl’unedesfemmesquin’apasencoreretrouvésesproches.Jeproteste:–Arrête,Olly…–Maissi!insiste-t-il.Attendsici…Il va vers la femme, qui commence par secouer la tête. Mais Olly persévère, comme à son

habitude.Quelquessecondesplustard,tousdeuxregardentdansmadirection.J’esquisseungestedelamain,enm’efforçantd’avoirl’airgentilleetamicale,l’airdugenredepersonneàquionaenvied’offrir un collier de fleurs. La femme cède, et Olly revient, victorieux. J’avance la main pourm’emparerducollier,maisilveutlepasserlui-mêmeautourdemoncou.Jemesouviensdecequej’ailudansleguidedevoyage.–Tusavaisque,àl’originedecettetradition,lescolliersdefleursétaientréservésauxmembres

delafamilleroyale?D’une main, il rassemble mes cheveux et me caresse la nuque, avant de laisser retomber le

collier.–Quinesaitpasça,princesse?Jejoueaveclecollier,etj’ail’impressionqu’unpeudesabeautéadéteintsurmoi.–Mahalonuiloa,dis-je.Çasignifie:«Mercibeaucoup.»–Tuasapprisleguideparcœur?Jeconfirmed’unsignedetête.

–J’adoreraisavoirunevalise.Jecolleraisdessusdesautocollantsdechaquepaysoùjeseraisallée. Je l’emballerais de film plastique avant demonter dans l’avion.Et, en l’apercevant sur letapis roulant, je m’y cramponnerais à deux mains, tellement contente de la retrouver, car celasignifieraitquel’aventurevacommencer…Olly me dévisage avec l’air d’un athée qui, à défaut de preuve, vient d’être confronté à la

possibilitédel’existencedeDieu.Ilm’attirecontreluietm’enveloppecomplètementdanssesbras,enfouissant son visage dansmes cheveux, et pressantma joue contre son torse, si fort qu’aucunelumièrenefiltreentrenosdeuxcorps.–Nemeurspas,murmure-t-il.–Promis.

LEDICTIONNAIREDEMADELINE

Promesse :n.f.Sens1:Mensongeauquelontient.(Whittier,2015)

ICIETMAINTENANT

D’aprèsleguide,l’îledeMauialaformed’uncrâne.Notretaxivanousemmenerlelongdelanuque, de lamâchoire, dumenton, de la bouche, du nez et du large front. J’ai réservé l’hôtel àKa’anapali,qui,géographiquementparlant,setrouveàlaracinedescheveux.Àundétour,j’aperçoissoudainl’océansurnotregauche,parallèleàlaroute.Ilnedoitpasêtreà

plusdedixmètresdemoi.Jesuissoufflée.Oncroiraitquecetteimmenseétenduevajusqu’àl’autreboutdelaTerre.–Quandjepensequejesuispasséeàcôtédetoutça…Àcôtédumondeentier…–Unechoseàlafois,Maddy,mechuchoteOlly.Noussommeslà,maintenant.Jecontemplesesyeuxdelamêmecouleurquel’océanetjem’ynoie.Ilyatantàregarderque

c’estdifficiledesavoirparquoicommencer.Lemondeesttropgrand,etjen’aipasassezdetempspourledécouvrir.Ànouveau,Ollysembleliredansmespensées:–Tuveuxqu’ons’arrêtepourjeterunœilaupaysage?–Oui,bonneidée.Il demande au chauffeur s’il est d’accord pour faire une halte, et celui-ci répond qu’il connaît

justementunchouetteendroitnonloindelà,unezonedepique-niquedansunpetitparc.Jesautede lavoitureavantmêmeque lemoteursoitcoupé.L’océanest toutproche,de l’autre

côtédeladune,aprèslaplage.Ollymesuitàquelquespas.L’océan.C’estplusbleu,plusgrand,plusturbulentquejenel’imaginais.Leventsoulèvemescheveux,le

sableetleselfouettentmapeau,entrentdansmonnez.J’attendsd’êtreenbasdeladunepourretirermes chaussures. Je retrousse mon pantalon aussi haut que possible. Le sable est chaud, sec etmouvant.Ildévalemespieds,s’insinueentremesorteils.Ilchangequandjem’approchedel’eau:levoilàcollant,ilfaitcommeunesecondepeausurmespieds.Toutauborddel’eau,ilchangedenouveau,etdevientd’unetextureaussidoucequeduveloursliquide,danslequelmespiedslaissentleurempreinte.Finalement, l’eau vient lécher mes orteils, puis mes chevilles, puis mes mollets. Je continue

d’avancerjusqu’àcequ’ellem’arriveauxgenouxetmouillemonjean.–Faisattention!crieOlly,quelquepartdansmondos.Étantdonné lecontexte, jenecomprendspascequ’ilveutdire.Attentionànepasmenoyer?

Attentionànepasattraperfroid?Attentionparceque,unefoisqu’onagoûtéaumonde,ilfaitpartiedenous?Oui,parcequ’iln’yaplusaucundoute,maintenant.Lemondefaitpartiedemoi.Etjefaispartie

delui.

LEDICTIONNAIREDEMADELINE

Océan : n.m.Sens1 : Part d’infini en soi que l’on ignore,mais dont on soupçonne laprésencedepuistoujours.(Whittier,2015)

CHOISISSEZVOTRERÉCOMPENSE

Notrehôtelestsituésurlaplage.Depuislepetithalld’entréeàcielouvert,onpeutvoirlameretlasentir.Noussommesaccueillisavecdes«Aloha!»etdescolliersdefleurs.Ollym’offrelesien,si bien que j’en ai trois autour du cou. Un homme en chemise hawaïenne jaune et blanche nouspropose de prendre nos valises inexistantes. Olly baragouine un mensonge au sujet de bagagesperdus,etm’entraîneavantqueleporteurpuissenousposerd’autresquestions.Àlaréception,jedonneuncoupdecoudediscretàOlly,etluipasselespapiersderéservation.

Lafemmederrièrelecomptoirnoussaluechaleureusement:–MonsieuretmadameWhittier,bienvenueàMaui!Ollynecorrigepassonerreur.Aucontraire:ilm’attireversluietm’embrassebruyamment.–Mahalobeaucoup!réplique-t-ilavecunlargesourire.–Vousrestez…deuxnuits,n’est-cepas?Ollymejetteuncoupd’œilinterrogateur,etjeconfirmed’unhochementdetête.Laréceptionnistetapotesurleclavierdesonordinateur,puisnousannonceque,mêmes’ilesttrès

tôt,notrechambreestprête.Ellenousremetunecléetunplandel’hôtel,etprécisequelebuffetdupetitdéjeunerestinclus

dansleprixdelachambre.–Profitezbiendevotrelunedemiel!conclut-elleavecunclind’œil.

Lachambreestpetite,trèspetitemême,etdécoréedanslemêmestylequelehalld’entrée,avec

desmeublesenteketdegrandstableauxreprésentantdesfleurstropicalesauxcouleurséclatantes.Notrebalcon(qu’icionappelleunlanai)surplombeunjardinetetunparking.Debout aumilieu de la pièce, je tourne surmoi-même pour examiner ce qu’on estime être le

minimumvitalpourunvoyagetemporaire:unetélé,unmini-frigo,unénormeplacard,unbureauetunechaise.Jetourneànouveausurmoi-même,enmedemandants’ilnemanquepasunpetitdétail…–Oùsontleslits?Surquoiondort?Ollyparaîtuninstantdéconcerté,puisilrepèrequelquechose.–Tuparlesde…ça?Ilavancejusqu’aumeublequej’aiprispourunplacard,attrapedeuxlanièresquiendépassentet

tiredessus,faisantdescendreungrandlit.–Etvoilà!déclare-t-il.Unparfaitexempledemobiliermoderne,formidablegaindeplace;le

summumdustyleetduconfort…j’ainommé:lelitMurphy!

–Murphy?Quic’est,ça?dis-je,toujourssurprisequ’unlitaitjaillidumur.–L’inventeurdecelit!répliqueOlly.La pièce paraît encore plus petite, une fois que le lit est déplié. Nous le fixons un peu trop

longtemps,puisOllysetourneversmoi.Jerougisjusqu’auxoreillesavantmêmequ’ilaitouvertlabouche:–Iln’yaqu’unlit.Sontonestneutre,maissonregardnel’estpas.Lalueurquibrilledanssesyeuxmefaitrougir

davantage.–Bon…,bredouille-t-on,touslesdeuxenmêmetemps.Nous éclatonsd’un rire gêné etmaladroit, et nous rions encoreplus en constatant à quel point

noussommesgênésetmaladroits.PuisOllydétourneenfinleregardetfaitminedechercherquelquechosedanslapièce.–Oùtuasmisleguide?demande-t-il.Ils’emparedemonsacàdos,fouillededans,mais,aulieuduguide,ilensortmonexemplairedu

PetitPrince.–Jevoisquetuasemportél’essentiel…,metaquine-t-ilenlebrandissant.Il saute sur le lit, sur lequel il se laisse rebondir. Les ressorts du matelasMurphy protestent

bruyamment.–C’estcelui-là,tonlivrepréférédetouslestemps?Ilretournel’ouvragedanssesmains.–Jel’ailuaucollège.Etj’aibienpeurden’avoirriencompris…–Tudevraisréessayer.Lesensdecelivrechangeàchaquenouvellelecture.Ilseredressepourmedévisager.–Parceque…tul’aslucombiende…?–Quelquesfois.–Plusquetrente?–Mmm…oui,j’avoue,plusquetrente.Ilsouritetouvreleromanàlapremièrepage.–«CelivreappartientàMadelineWhittier.»Iltournelapagedetitreetcontinue:–«Sivous trouvezce livre, choisissezvotre récompense (plusieurs réponsespossibles)…Un

touravecmoi(Madeline)dansunelibrairied’occasion;uneplongéeenmasqueet tubaavecmoi(Madeline)aulargedel’îledeMolokiniàlarecherchedupoissonemblèmedel’Étatd’Hawaï,le“balisteécharpe”…»Ilinterromptsalectureàvoixhauteetlapoursuitensilence.–Quandest-cequetuasécritça?demande-t-ilensuite.J’avanced’unpas,dansl’idéedelerejoindresurlelit,maisjedoissoudainm’arrêter:autourde

moi,lapiècetourneunpeu.J’essaieencored’avancer,etjesuisprised’unnouveauvertige.Jefaisvolte-faceetm’assoisparterre.Moncœursecontractesiviolemmentdansmapoitrinequej’enailesoufflecoupé.Aussitôt,Ollyestàcôtédemoi.–Maddy,qu’est-cequisepasse?Quelquechosenevapas?

Oh,non!Pasdéjà!Jenesuispasprête…–J’ailatêtequitourne.Etmonestomac…–Ilfautalleràl’hôpital?Enréponse,monestomacpousseungrognementlongetpuissant.JelèvelesyeuxversOlly:–Jecroisquej’ai…–…faim,concluons-nousd’unemêmevoix.Lafaim.C’estçaquejeressens.Paslamaladie.J’aijustefaim,c’esttout.Jeconfirme:–Jesuisaffamée.Cesdernièresvingt-quatreheures,jen’aimangéqu’unebouchéedechilaquilesetlapommedela

MéchanteInfirmière.Ollyéclatederireens’effondrantsurlelit.–J’aieutellementpeurquetusoissurlepointdemouriràcausedequelquechosedansl’air…Ilcachesesyeuxderrièresesmains.–Maisnon:c’estdefaimquetumeurs!Enfait,jen’aijamaiseuaussifaimdetoutemavie.Depuistoujours,jeprendstroisrepasetdeux

goûtersàheuresfixeschaquejour.IlfautdirequeCarlacroitbeaucoupauxvertusdelanourriture;d’aprèselle,«quandl’appétitva,toutva».Jem’allongeenriant,moiaussi.Moncœurseserredenouveau,maiscettefoisjedécidedel’ignorer.

SESOUVENIRDUPRÉSENT

Jeme sens beaucoupmieux après avoirmangé. Il nous fautmaintenant trouver des affaires deplageet,d’aprèsOlly,dessouvenirs.Nousfaisonsdoncunehaltedansuneboutiquebaptiséefortàpropos:SupermarchéetboutiquedesouvenirsdeMaui.Jen’ai jamaisvuuntelbazar ; jeresteabasourdiedevantcette incroyableaccumulationd’objets.DespilesetdespilesdeT-shirtsetdecasquettes sur lesquelsonpeut lireMauiouAloha, ouune autre inscriptiondumêmegenre.Desportantsployantsousdesquantitésderobesàfleursdetouteslescouleurs.Destourniquetscroulantsous lesbabiolesdestinéesaux touristes :desporte-clés,desverresà liqueur,desmagnets…Unprésentoir entier est dédié aux porte-clés en forme de planche de surf, avec des prénoms peintsdessusetrangésparordrealphabétique;jecherche«Oliver»et«Madeline»,maisjenetrouvepas.Jem’arrêtefaceàunmurrecouvertdecalendriersoùfigurentdesphotosdesurfeurstorsenu.On

ne peut pas vraiment dire qu’ils soient repoussants.Olly se place derrièremoi et passe un brasautourdemataille.–Jesuisjaloux,memurmure-t-ilàl’oreille.J’éclatederireetluicaresselebras.–Tum’étonnes…Jedécrocheuncalendrier.–Tunevasquandmêmepas…–C’estpourCarla!dis-je.–Maisbiensûr…–Ettoi,tuastrouvéquelquechose?Jeposelatêtecontresontorse.–Uncollierdecoquillagespourmamère.Uncendrierenformed’ananaspourKara.–Pourquoilesgensachètent-ilstoutescesbêtisesquandilssontenvacances?Ilmeserreunpeuplusfortcontrelui.–Çan’ariend’étrange,rétorque-t-il.C’estpournepasoublierdesesouvenir…Jemeretournetoutenrestantdanssesbras:c’estdevenul’endroitquejepréfèreaumonde.Un

endroitfamilieretétrangeàlafois,réconfortantetgrisant.Jerépèteenbrandissantlecalendrier:–CeciestpourCarla!Etjevaisaussiluiprendredesnoixdemacadamiaauchocolat.Etpour

moi,unerobe.

–Etpourtamère?Quelgenrede souvenirpeut-on rapporter àunemèrequivousa chérie toute savie,qui a tout

sacrifié pour vous ? Et que vous ne reverrez peut-être jamais ? Franchement, rien ne peut fairel’affaire…Jerepenseàlavieillephotoqu’ellem’adonnée,celleoùonnousvoyaittouslesquatreàHawaï.

Jen’aiaucunsouvenirdecemoment,aucunsouvenird’avoirétésurcetteplageavecmonfrère,monpèreetmamère.Elle,si.Ellesesouvientdemoiàcetteépoque-là,ellesesouvientdecetteviequejen’aijamaiseue.Jem’écarted’Ollyetmepromènedanslaboutique.Àdix-huitans,lesautress’éloignentdeleurs

parents. Ilsquittent lamaison,construisent leurproprevie, se fabriquent leurspropres souvenirs.Pasmoi.Mamèreetmoiavonspartagélemêmeespaceclosetrespirélemêmeairfiltrépendantsilongtempsqueçamefaitbizarred’êtrelà,sanselle.Demefabriquerdessouvenirssanselle.Queva-t-ellefairesijenerentrejamaisàlamaison?Rassemblera-t-elletouteslesaffairesqui

luiferontpenseràmoi?Lesressortira-t-ellepourlesexamineretrevivrecessouvenirs,encoreetencore?Jevoudraisqu’elleaitunetracedecetinstant,cetinstantsanselle.Quelquechosepourpenserà

moi.Jetrouveunprésentoirdecartespostalesvintageetjeluiécrislavérité.

LEMAILLOTDEBAIN

J’auraispeut-êtredûessayercemaillotdebainavantdel’acheter.Nonqu’ilnesoitpasseyant…Ilesttrèsseyant,même,unpeutrop…Est-cequejesuisvraimentcenséeapparaîtreenpublicaussipeuvêtue?Danslasalledebains,jecomparemonvéritablecorps,enchairetenos,àceluiquisereflète

danslemiroir.Lemaillotestunune-piècerosevifavecdefinesbretelles.Leroseestsiéclatantqu’ilmedonnedescouleursauxjoues.J’aibonnemine,commeunefillehabituéeausoleild’été.L’humiditéarendumescheveuxencoreplusvolumineux.J’essaiedelesdompterenlesnouanten

une longue tresse. Je jette un nouveau coup d’œil dans lemiroir. Le seulmoyen de dompter cemaillot de bain serait de lui ajouter quelques vêtements, de préférence tous mes vêtements. Jecontinueàm’examiner.Danscettetenue,jenepeuxpasnierquej’aidesseinsetdesjambes.Toutsembleêtrebienàsaplaceetdansdesproportionsrelativementharmonieuses.Jemecontorsionnepourvérifiersimesfessessontbiencouvertes;elleslesont,maistoutjuste.Quepenserais-jedecetteimagedanslemiroirsij’étaisunefillenormale?Est-cequejemetrouveraistropgrosseoutropmince?Est-cequejenesupporteraispasmeshanches,oumataille,oumonvisage?Est-cequeje serais complexée ?Car, en l’état actueldes choses, leproblèmeavecmoncorps, c’est que jel’échangeraisvolontierscontren’importequelautrequifonctionneconvenablement…Ollyfrappeàlaporte.–Tubarbotes?Il va bien falloir que je sorte de cette salle de bains, mais je suis si nerveuse ! Est-ce qu’il

trouvera,lui,quetoutchezmoiestbienàsaplace?D’unevoixunpeutremblante,jeréponds:–Non,jefaisdelapêcheaugros…–Super!Alors,onauradessushispour…J’ouvrelaported’uncoup,commeonarracheunsparadrap,histoired’enfinir.Ollyenrestemuet.Sesyeuxsepromènentlentementdemonvisageàmespieds,puisremontent

encorepluslentement.–Tuesenmaillotdebain,constate-t-il,enarrêtantsonregardsurunpointentremoncouetma

poitrine.–Eneffet…Jeplongemesyeuxdanslessiens,etcequej’yvoismedonnel’impressiond’êtrecomplètement

nue.Lesbattementsdemoncœurs’accélèrent;jerespireprofondémentpouressayerdelescalmer,maisçanemarchepas.Ilcaressemesbras,demesmainsàmesépaules,etmeserrecontrelui.Ilposesonfrontcontrele

mien.Sonregardestbrûlant.–Cemaillotdebain…,commence-t-il.Jeconclusàsaplace:–…estbeaucouptroppetit.

LESPOISSONSDURÉCIFHAWAÏEN

SAUTDANSLEVIDE

Ollyestsurprisdemevoirentrerdansl’eausanshésiter.Ilmecompareàungaminfonçanttêtebaissée,sansconsciencedudanger.Alors,commeunegamine,jeluitirelalangueetjecontinueàm’enfoncerdanslameravecmongiletdesauvetage.NoussommessurlaplagedeBlackRock,ainsisurnomméeenraisondesfalaisesdelavenoire

quis’élèventpresquejusqu’auciel.Ellesdessinentunesortedecroissant,quiatténuelapuissancedes vagues et délimite une zone idéale pour nager avec un tuba. D’après le type de l’office detourisme,c’estaussil’endroitpréférédesgensquipratiquentlecliff-diving .L’eau est froide, salée et délicieuse. J’ai dû êtreune sirènedansune autrevie,medis-je.Une

sirène-astronaute-architecte. Les palmes et le gilet m’aident à rester à la surface et, au bout dequelquesminutes, je n’ai plus aucunmal à respirer avec le tuba. Le son amplifié dema proprerespirationmeprocureunsentimentàlafoisdepaixetdegrandeeuphorie.Chaqueinspirationmeconfirmelefaitquejenesuispasseulementenvie:jeVIS.Nous repérons rapidement un humuhumunukunukuapua’a. Il faut dire qu’il y en a beaucoup au

large d’Hawaï ; c’est sans doute pour cela qu’il s’agit de l’emblème de l’île. La plupart despoissonssontregroupésprèsdesrochers.Jen’aijamaisvudecouleursaussiintenses:ilnes’agitpasjustedebleu,dejauneouderouge;ils’agitdubleuleplusprofond,dujauneleplusvifetdurouge leplusvibrantqu’ilm’ait jamaisétédonnéd’admirer.Quandons’éloignedes rochers, lesrayons du soleil projettent dans l’eau des colonnes de lumière. Des bancs de poissons y filentcommedesflèches,commes’ilsétaientanimésparunseulesprit.Nous continuons à avancer main dans la main, et nous apercevons des raies semblables à

d’immensesoiseauxauventreblanc.Puisdeuxénormestortuesdemer,quiparaissentvolerplusquenager.Jesaisbienqu’ellessontinoffensives,maisellessontsiimpressionnantes,siàl’aisedanscemondesous-marin(contrairementàmoi)quejemefigepouréviterd’attirerleurattention.Jepourraisresterlàtoutelajournée,maisOllym’entraîneverslerivage.Ilnevoudraitpasquele

soleildemidinousdonnedescoupsdesoleil–enfin,plutôt,medonnedescoupsdesoleil.De retour sur laplage,nousnous faisons sécher à l’ombred’unarbre touffu. Jeme rendsbien

comptequ’Ollymefixequandilcroitquejeregardeailleurs,maisnousfaisonstouslesdeuxpartiedufan-clubdel’autre:jel’observeencachette,moiaussi.Iln’apasremissonT-shirt,jepeuxdoncadmirersesépaulesfinesetmusclées,sontorse,sonventre.Jevoudraisimprimerdansmamémoirechaquedétail de soncorps.Cette idéeme fait frissonner, et jemeblottisdansma serviette.Ollypensequej’aifroid;ilserapprochedemoietpassesapropreservietteautourdemesépaules.Ilsent l’eau de mer et cette odeur particulière qui est la sienne. Je me choque moi-même enm’apercevantquej’aienviedegoûteràsapeau,desavoirsielleaungoûtdeseletdesoleil.Je

1

lèvelesyeuxverssonvisage.Sansmeregarder,ilmeserredanslaservietteenm’enveloppantsibienquepasun centimètre carrédemapeaunedépasse.Puis il s’écarte. J’ai l’impressionqu’ils’efforcedegarderlecontrôledelui-même.Jepréféreraisqu’iln’yarrivepas.Ollyobservelehautdelafalaise,d’oùdesgens,surtoutdesados,sejettentdansl’océan.–Çatediraitdesauterdecegrosrocher?demande-t-il.–Jenesaispasnager,jeterappelle…–Ehbien,tuboiraslatasse;çan’ajamaistuépersonne!répliqueceluiqui,unjour,m’amiseen

gardecontrel’océan,crueletimpitoyable.Ilm’attrapelamain,etnouscouronsverslafalaise.Vuedeprès,larocheressembleàunegrosse

épongenoireetdure.Ellemefaitmalauxpiedsquandjemontedessus,etjemetsdutempsàtrouverdesprisesoùposermesmains,maisnousfinissonsparatteindrelesommet.Ollyahâtedeplonger.Ilneprendmêmepasletempsd’admirerlepaysage.–Onyvaensemble?dit-ilenscrutantl’eauscintillanteendessous.–Vas-yd’abord…Ilhochelatête.–OK.Commeça,jepourraitesauverdelanoyade.Il saute très loinde la falaise et accomplit un salto complet avant de fendre les flots telle une

flèche.Quelquessecondespluspart,ilréapparaîtàlasurfaceetagitelamain.Jeluirendssonsalut,puisjefermelesyeuxpourfairelepointsurlasituation.Lasecondeavantdesauterduhautd’unefalaisemesembleeneffetêtrelemomentidéalpourfaireunpoint.Jeveuxsauter,commeOlly.Jerouvre les yeux et le cherche dans l’eau ; il est là, il m’attend. Étant donné ce que l’avenirmeréserve,sauterduhautdecettefalaisen’estfinalementpassieffrayant.

1.Activitéconsistantàplongerdetrèshaut,parexempleduhautd’unefalaise.

CONSIGNESPOURSAUTERD’UNEFALAISE

ZACH

Deretourdanslachambred’hôtel,OllytéléphoneàsonamiZach.Unedemi-heureplustard,onfrappeàlaporte.Zachalapeausombre,couleurterrebrûlée,d’impressionnantesdreadlocksetunsourirepresquetropgrandpoursonvisage.Ilsemetaussitôtàfairesemblantdejouerdelaguitareenentonnantunechansonquejeneconnaispas.Ollysouritjusqu’auxoreilles.Zachbalancela têteavecfrénésie,sesdreadsmarquantlerythme.Lesdeuxcopainss’étreignentetsedonnentdegrandesclaquesdansledos.–Zach!s’écrieOlly.–Ilfautm’appelerZacharie,maintenant…–Ahbon?Depuisquand?–Depuisquej’aidécidédedevenirundieudurock.Zacharie,c’estcomme…Jecomplèteenrigolant:–…commeleprophète!–Exactement!Tapetitecopineestplusintelligentequetoi!Jerougisetjetteuncoupd’œilàOlly:luiaussiestdevenuécarlate.–Commec’estmignon ! s’exclameZach,en se remettant àgratouiller les cordes de sa guitare

imaginaire.SonriremerappelleceluideCarla:ilestspontané,unpeutropsonoreettrèsgai.Toutàcoup,

ellememanqueterriblement.Ollysetourneversmoi.–Maddy,jeteprésenteZach…–Zacharie.–Mec,ilesthorsdequestionquejet’appellecommeça…Donc,Zach,jeteprésenteMaddy.Zachmeprendlamainetl’embrasseduboutdeslèvres.–Ravideterencontrer,Maddy!J’aibeaucoupentenduparlerdetoi,maisjenepensaispasque

tuexistaispourdevrai.Jefixel’endroitqu’ilaembrassésurmamain,etjeréplique:–Jecomprends…Moimême,jenesuispastoujourssûrequej’existevraiment.Ilritànouveauunpeutropfort,etjemesurprendsàrireaveclui.–Formidable…,nousinterromptOlly.Etsionpassaitàautrechose,maintenant?Jecroisqu’ily

aunlocomocoquiattendMaddy…

«Locomoco»estlenomdonnéàunemontagnederizsurmontéed’unsteak,arroséedejusde

viandeetcouronnéepardeuxœufsauplat.Pourcedéjeunertardif,Zachnousaemmenésdansunbar-restaurantquisertà touteheurede la journée.Nousnous installonsàune tableà l’extérieur ;l’océann’estqu’àunecentainedemètresdenous.–C’estlemeilleurendroitdelaville,déclareZach.C’esticiqueviennentmangerleslocaux.Entredeuxbouchées,Ollyluidemande:–Alors,tuasparléàtesparents?–Dequoi?Dufaitquejeveuxêtreunerock-staroudufaitquejesuisgay?–Lesdeux.–Non.–Tutesentirasmieuxquandtuteseraslibérédecepoids.–Sûrement.Maisc’estplusfacileàdirequ’àfaire.Zachsetourneversmoi.–Mesparentsnecroientqu’entroischoses:lafamille,l’éducationetletravail.Par«famille»,

ilsveulentdireunhomme,unefemme,deuxenfantsetunchien.Par«éducation»,ilsveulentdirequatreansd’étudesàlafac.Etpar«travail»,rienquiaitunrapportavecl’art.Rienquifasserêver.Surtoutpasdesrêvesderock-star.IlreportesesyeuxmarronversOlly,etsonregarddevientplussérieux.– Comment leur avouer que leur fils aîné veut être une espèce de Freddy Mercury afro-

américain?–Ilsdoivents’endouter,dis-je.Pourlecôtéartiste,dumoins…Tescheveuxontaumoinsquatre

nuancesderougedifférentes.–Ilspensentqueçamepassera.–Tupourraisleurécrireunechanson…Iléclated’unriretonitruant.–Jet’aimebien,ajoute-t-il.–Moiaussi,jet’aimebien.TupourraisintitulertachansonLapommeesttombéetrès,très,très

loindel’arbre…–Lapommepourrie,oui!s’esclaffeZach.–Vousêtesmarrants,touslesdeux,intervientOlly,ensouriantmaisl’airpréoccupé.Mec,tume

prêteraistontéléphone,s’ilteplaît?Zachleluipasse,etOllysemetàtaperunmessage.–Ilyaunproblème?s’enquiertZach.C’estpapaquijoueencorelesenfoirés?–Tunepensaisquandmêmepasqueçaallaits’arranger?marmonneOllysansleverlesyeux.–Ben…non,répondZachd’untondésabusé.Queconnaît-ilaujustedelafamilled’Olly?Sonpèren’estpassimplementunenfoiré…–Ettoi,Madeline?C’estquoi,leproblèmeavectesparents?–Jen’aiplusquemamère.–Ah…Etc’estquoi,leproblèmeavecelle?Ma mère, ma mère… C’est à peine si j’ai le temps de penser à elle. Elle doit être morte

d’inquiétude.

–Ehbien, j’imaginequ’avec lesparentscen’est jamaissimple…Maismamèreestquelqu’und’intelligent,desolide,etelleatoujoursétélàpourmoi.Apparemment,ilssontsurpris;plusaucund’euxneparle.OllylèveenfinlesyeuxdutéléphonedeZach.–Ilfautquetularassures,Maddy.Ilmetendl’appareiletpartauxtoilettes.

De:MadelineF.WhittierÀ:[email protected]:(pasd’objet)

Est-cequemafilleestavectoi?Est-cequ’ellevabien?

De:MadelineF.WhittierÀ:[email protected]:(pasd’objet)

Jesaisqu’elleestavec toi.Tune te rendspascompteàquelpointelle estmalade.Ramène-laàlamaison.

De:MadelineF.WhittierÀ:[email protected]:(pasd’objet)

S’ilteplaît,dis-moioùvousêtes.Ellepeuttombergravementmaladed’uninstantàl’autre.

De:MadelineF.WhittierÀ:[email protected]:(pasd’objet)

Jesaisoùvousêtes.Jeprendsleprochainvol.Jeserailàdemainmatinàlapremièreheure.Jet’enprie,occupe-toibiend’elle.

J’arrêtedelireetjeberceletéléphonecontremapoitrineenfermantlesyeux.Jemesensàlafoiscoupable,furieuseetangoissée.Quandjevoisàquelpointelles’inquiète,àquelpointellesouffre,jevoudraislarejoindrepourluidirequetoutvabien.Ilyaencorecettepart-làenmoi,cellequiestprêteàlalaisserprendresoindemoi.Maisilyaaussiuneautrepart,unepartnouvelle,quirefusedequittercemondequej’apprendsà

peineàconnaître.J’enveuxàmamèredes’êtreconnectéeàmaboîtee-mailpersonnelle.Jesuisterrifiéeàl’idéequeOllyetmoiayonsmoinsdetempsqueprévu.JegardelesyeuxferméssilongtempsqueZachfinitparmedemandersijemesensbien.J’ouvrelesyeuxetjesirotemonjusd’ananasavecmapailleenhochantlatête.–Nonmais…vraiment?Tuessûrequeçava?Ollym’aditque…–Ilt’aditquej’étaismalade.–Oui.–Jevaisbien,dis-je,sincère.Jemesensmêmetrèsbien.Plusquebien.Jebaisselesyeuxversletéléphone.Jesaiscequejedoisrépondre.

De:[email protected]À:MadelineF.WhittierObjet:(pasd’objet)

S’ilteplaît,maman,net’enfaispas.Etnevienspasici.Jevaistrèsbien,etc’estMAvie.Jet’aime.Àbientôt.

J’appuiesur«envoi»etjerendssontéléphoneàZach.Illerangedanssapocheenmedévisageant.–Alors,tuasvraimentachetédespilulessurInternet?Jesuistellementsecouéeparl’e-maildemamère,tellementpaniquéeparlepeudetempsqu’il

nousreste,àOllyetàmoi,que jen’aipas la forced’entendreunmensongedeplus franchirmeslèvres. Donc, je fais exactement ce qu’il faut éviter quand on ment : je fuis son regard. Je metrémousse.Jerougis.J’ouvrelabouchepourm’expliquer,maisriennevient.Quandnosregardssecroisentenfin,jecomprendsqu’iladevinélavérité.Jedemande:

–Tuvasluidire?–Non.J’aitellementl’habitudedementirsurmoncas…jesaiscequec’est.Unimmensesoulagementm’envahit.–Merci.Zachsecontentedehocherlatête.–Qu’est-cequisepasseraitsituledisaisàtesparents?Saréponseestimmédiate.–Ilsmedemanderaientdechoisir.Etcen’estpaseuxquejechoisirais.Tantquejemetais,toutle

mondeestgagnant.Ils’appuiecontreledossierdesachaiseetmimedesmouvementsdebatterie.–MesexcusesauxRollingStonespourceplagiat,maismonpremieralbums’intituleraBetween

RockandRollandaHardPlate:«entrelemarteauetl’enclume»!T’enpensesquoi?J’éclatederire:–C’estnul!–Peut-êtrequegrandir,c’estdécevoirlesgensqu’onaime,déclare-t-il,redevenantsérieux.Jenerépondsrien:c’estuneaffirmation,pasunequestion.Et,detoutefaçon,jen’auraispassu

quoirépondre.JetournelatêteversOlly,quivientdenousrejoindre.–Çava?demande-t-ilenembrassantmonfront,puismonnez,puismeslèvres.Jedécidede luicacher l’arrivée imminentedemamère.Autantprofiter aumaximumdu temps

qu’ilnousreste.–Jenemesuisjamaissentieaussibien!Àcesujet-là,aumoins,jen’aipasbesoindementir.

LELITMURPHY

Il est tard, cet après-midi-là, quand nous regagnons l’hôtel. Olly allume le plafonnier et leventilateur,puisilexécuteunsaltoetatterritsurlematelas.Ilessaieuncôtédulit,puisl’autre.–Celui-là,c’estmoncôté,décrète-t-ilendésignantlegauche,leplusprochedelaporte.Jedors

toujoursàgauche.Autantquetulesaches.Pourplustard.Ilseredresseetappuiesurlematelasdesdeuxmains.–Tutesouviensdecequej’aiditsurlelitMurphy,sonconfort,toutça…?Jeretiretout.Surcesmots,ilfaitunerouladeetretombesurlesol.Jedemande:–Tuesnerveux,pourt’agitercommeça?–Non,réplique-t-il,unpeutropvite.J’allume la lampe de chevet à droite du lit etm’assois demon côté. Je teste les ressorts ; le

matelasréagitengrinçantbruyamment.–Pourquoidormiràgauchesituestoutseul?Pourquoipasaumilieu?Jem’allongesurlelit.Ollyaraison:ilesthorriblementinconfortable.–C’estenattendant…–Enattendantquoi?Ilnerépondpas.Jeroulejusqu’auborddumatelaspourleregarderdehaut.Ilestétendusurle

sol,unbrasposésursespaupières.–Deneplusyêtreseul,dit-ilenfin.Jereculepourqu’ilnevoiepasquejesuisdevenuetouterouge.–Enfait,tuesuneespècederomantiquedésespéré…–Exactement.Nous restons silencieux un moment. Au-dessus de nous, le ventilateur vrombit doucement,

balayant l’airchauddans toute lapièce.Derrière laporte, j’entends leDing! de l’ascenseur, lesvoixdesgensquipassentdanslecouloir.Il y a quelques jours, j’aurais pensé qu’une journée entière Dehors m’aurait suffi. Mais,

maintenantquec’estfait,ilm’enfautplus.Jenesuismêmepassûreque«toujours»seraitsuffisant.–Enfait,si,déclareenfinOlly.Jesuisnerveux.–Pourquoi?Ilprendunegrandeinspiration,maisjenel’entendspasexpirer.

–Jen’aiencorejamaisressenticequejeressenspourtoi.Il n’a pas prononcé cette phrase avec douceur. Au contraire, il a parlé trop fort et trop vite,

commesicesmotssebousculaientaprèsavoirattendudesortirpendanttrèslongtemps.Jemeredresse,merallonge,puism’assois.Est-cequ’onestvraimententraindeparlerd’amour?–Moinonplus,jen’aijamaisressentiça.–Oui,maistoi,c’estdifférent.Ilyaunpeudefrustrationdanssavoix.–Pourquoi?–Parcequec’esttapremièrefoispourtout,Maddy.Pasmoi.Jenecomprendspas.Cen’estpasparcequec’estlapremièrefoisquec’estmoinsréel…Ilfaut

undébutàtout;mêmel’universaundébut.Iln’ajoute rien.Plus jepenseàcequ’ilvientdedire,plus je suiscontrariée.Mais soudain je

réalisequ’ilnecherchepasànierourabaissermessentiments.Non,ilestjusteeffrayé.Puisquejenel’aipasvraimentchoisi…Etsijel’avaisprispardéfaut?Ilinspiredenouveau.–Aufonddemoi,jesaisquej’aidéjàétéamoureux,maisçan’avaitrienàvoir.Êtreamoureux

detoi,c’estencoremieuxquedel’êtrepourlapremièrefois.C’estcommesic’étaitlapremière,ladernièreetl’uniquefoisenmêmetemps.–Olly,dis-je,s’ilyauneseulechosequejeconnaisencemonde,c’estmoncœur.Crois-moi.Ilrevientsurlelitetétendunbras.Jemeblottiscontreluietposelatêteàcetendroitquisemble

avoirétéconçujustepourmoi,entresoncouetsonépaule.–Jet’aime,Maddy.–Jet’aime,Olly.Jet’aimaisavantmêmedeterencontrer.Nousdérivonsdoucementverslesommeil,lovésl’uncontrel’autre,sansplusparler,laissantle

mondefairedubruitpournous,car,pourl’instant,plusaucunmotn’ad’importance.

AUCUNMOT

J’émergedusommeiltranquillement,langoureusement,jusqu’àcequelaréalitéserappelleàmoi.Jejetteuncoupd’œilauréveil.Nousavonsdormiuneheure.Ilnenousrestepresqueplusdetemps,etnousenavonsgaspillépleinendormant.Jeconsultedenouveauleréveil.Dixminutespoursedoucher, dix autres pour trouver un endroit idéal sur la plage, d’où regarder prendre fin notrepremieretdernierjourensemble.JesecoueOlly,puisjefoncemechanger.Danslasalledebains,j’enfilelarobetailleuniqueque

j’aiachetéeunpeuplustôt.Tailleunique,oui,carsonbasévaséetsonhautenbandesélastiquespeuventalleràtoutlemonde.Jedétachemescheveux,quiretombentencascadesurmesépaulesetmondos.Dans lemiroir,mapeaumeparaît briller d’unbel éclat brun, etmesyeuxpétillent. Jerespirelasanté.Ollyestassissurlabalustradedulanai.Mêmes’ilsetientdesdeuxmains,ilnesemblepasdans

unepositiontrèsstable;heureusementqu’ilaunemaîtriseparfaitedesoncorps,medis-jepourmerassurer.Quandilmevoit,ilmesourit–enfin,c’estmêmeplusqu’unsourire.Ilacetairquilecaractérise

tellement.Etpuis,soudain,tandisquejem’avanceverslui,jenereconnaisplussonregard.Chacundemesnerfsestenalerte.Commentréussit-ilàmefaireuneffetpareilrienqu’enmeregardant?Est-cequej’ailemêmeeffetsurlui?Jem’arrêteauniveaudelabaievitréeetjel’examinedelatêteauxpieds.IlporteunT-shirtnoirmoulant,unshortnoiretdestongsnoires.L’angedelamortenvacances.–Viens,dit-il,etilresserresaprisesurlabalustradetandisquejemeblottisdansleVformépar

sesjambes.Jelèvelesyeuxverslessiens.Unlacd’étédontjenevoispaslefond.Jeposemeslèvressurles

siennes.Ilsauteaubasdelabalustrade,etnousnousembrassonsjusqu’àcequenossoufflesn’enformentplusqu’un.Mesmainssepromènentsursesépaules,sanuque,sescheveux;ellesneveulentpasresterenplace.Nousinterromponsnotrebaiseretdemeuronslàuninstant,nosfrontsetnosnezl’uncontrel’autre.Ilchuchotemonprénom,commeunequestionmuetteàlaquellejerépondsoui.Sanshésitation.La

suiteestdéjàécrite.Ilyaurad’autrescouchersdesoleil.Demain,parexemple.Ilmepoussedoucementvers lachambre,et jenem’arrêteque lorsque lecreuxdemesgenoux

heurtelelit.Jem’assois.J’étaismoinsinquièteavantdesauterduRocherNoir.–Onn’estpasobligés,Maddy…Pourtouteréponse, je luimontrelespréservatifsquej’aiachetéscematin,danslaboutiquede

souvenirs.–Ilsvendentvraimentdetout,là-bas…Ilsourit.Etsoulèvemarobe.–Tuasdestachesderousseuriciaussi.JeretiresonT-shirtetfaiscourirmesdoigtssursontorse.Meslèvressuiventlemêmechemin,et

noscorpss’enlacent.Nousnesommesbientôtplusquelèvres,brasetjambesenchevêtrés.Etnousdécouvronsensembletouslessecretsdel’univers.

LEDICTIONNAIREDEMADELINE

Infini :adj.Sens1:Étatdeceluiquinesaitpasoùfinitsoncorpsetoùcommenceceluidel’autre.(Whittier,2015)

LEMONDEOBSERVABLE

SelonlathéorieduBigBang,l’universaétécrééenunseulinstant:uncataclysmecosmiquequiaengendrétrousnoirs,nainesbrunes,matièreetmatièresombre,énergieeténergiesombre.Quiadonnénaissanceauxgalaxies,auxétoiles,auxlunes,auxsoleils,auxplanètes,auxocéans.C’estunconceptdifficileàenvisager:l’idéequ’ilyaeuuntempsavantnous.Untempsd’avantletemps.Aucommencement,iln’yavaitrien.Puisilyaeutout.

CETTEFOIS

Ollysourit.Iln’arrêtepasdesourire.J’aidroitàtouteslesdéclinaisonsdesourirespossiblessurses lèvres que je ne peux m’empêcher d’embrasser. Un baiser en entraîne dix, jusqu’à ce quel’estomacd’Ollysemetteàgronderetnousinterrompe.–Ondevraitpeut-êtremangerquelquechose.– Je temange, toi, répond-il enm’embrassant à nouveau.Mais c’est vrai que tu as beau être

délicieuse,tun’espascomestible.Jem’assois,enrelevantlacouverturepourmecacherderrière.Ollyn’estpasaussipudiqueque

moi.Ilselèved’unbondetdéambuledanslapièce,toutnu.Iln’aplusriend’unangedelamort.Enfait, tout a changé et rien n’a changé enmême temps.Nous sommes toujoursMadeline etOliver.Maisnousnousconnaissonsmieux,maintenant.Nousnousconnaissonsautrement.Lerestaurantestsituésurlaplage,etnotretableestposéefaceàl’océan.Ilesttard,21heures,et

ilfaittropsombrepourquel’ondistinguelebleudelamer.Onn’aperçoitquel’écumedesvagues,quel’onentendàpeinederrièrelamusiqueetlesbavardagesdesgensautourdenous.–Tucroisqu’ilsontduhumuhumuaumenumenu?plaisanteOlly.Iladoreraitmangerenparticulierceluiquenousavonsvuquandnousavonsplongé,ajoute-t-il.–Çam’étonneraitqu’ilsserventlepoisson-emblème,dis-je.Notre journée riche en activités nous a affamés, aussi nous commandons toutes les entrées qui

figurent au menu : du poke (thon mariné dans de la sauce soja), des croquettes de crabe, descrevettesàlanoixdecoco,desbouchéesauhomardetduporcKalua.Nousnepouvonspasnousempêcherdenoustoucher.Entrechaquebouchée,entrechaquegorgée

dejusd’ananas.Moncou,majoue,meslèvres.Sesdoigts,sesavant-bras,sontorse.Maintenantquenousavonscommencé,impossibledenousarrêter.Nousrapprochonsnoschaisesl’unedel’autre.Ilalamainsurmesgenoux,ouj’ailamainsurles

siens.Nousnousregardonsetéclatonsderiresansraison.Enfin…passansraison:parcequ’àcemoment-làtoutnousparaîtextraordinaire.Pournous,s’êtrerencontrés,êtretombésamoureux,êtreensembletientpresquedumiracle.Ollycommandeunedeuxièmeportiondebouchéesauhomard.–J’aiencorefaim!roucoule-t-ilenbougeantexagérémentlessourcils.Ilmecaresselajoue,etlecontactdesesdoigtsmefaitrougir.Nousmangeonslentement.Ilfaut

savourer ce dernier plat. Et peut-être que, si nous ignorons le temps qui passe, cette journée siparfaiteneseterminerapas.

–Auplaisirdevousrevoir!lancelaserveusequandnouspartons.EtOllyluiassurequenousreviendrons.Nousnouséloignonsdurestaurantilluminéetavançonssurlaplageobscure.Nousenlevonsnos

chaussuresetmarchonsjusqu’auborddel’eau,nosorteilss’enfonçantdanslesablehumide.Lanuit,lesvaguesparaissentpluspuissantes,plusbruyantes.Nouslongeonsl’eauetcroisonsdemoinsenmoinsdegens ;bientôt,nousavons l’impressiond’avoir laissé lacivilisationderrièrenous.Ollym’entraîne vers le sable sec et nous trouvons un endroit où nous asseoir. Ilme prend lamain etembrassemapaume.–Lapremièrefoisqu’ill’afrappée,ils’estexcuséauprèsdenous.Cettephraseestsortied’unetraite.Ilmefautunesecondepourcomprendredequoiilparle.–Ilpleurait.Ilfaitsinoirquejelesenssecouerlatêteplusquejenelevois.–Ilsnousontréunistouslesquatre,etiladitqu’ilétaitdésolé.Iladitqueçan’arriveraitplus.

Karaétait tellementfurieusequ’ellen’arrivaitpasà leregarder.Ellesavaitqu’ilmentait.Moi, jel’aicru.Mamèreaussi.Ellenousademandéd’oublier toutça.«Votrepère traverseunepériodetrèsdifficile,voussavez…»Elleaditqu’elleluipardonnait,etqu’ondevaitluipardonneraussi.Illâchemamain.–Pendant un an, il ne l’a plus touchée. Il continuait à boire. Il lui criait dessus. Il nous criait

dessus.Maisilnel’aplusfrappéependantlongtemps.Jeretiensmonsouffleuninstant,avantdeposerlaquestionquimebrûleleslèvres:–Pourquoiellenelequittepas?–Tunecroispasquejemeledemandeaussi?réplique-t-ild’untoncassant.Ils’allongesurlesable,lesdoigtsnouésderrièrelanuque.– Pendant un moment, j’ai cru que, s’il la battait plus souvent, elle le quitterait. Que, s’il se

montraitjusteunpeuplussalaudencore,onpourraitenfinpartir.Maisils’excuseàchaquefois,etàchaquefoisellelecroit.Jeposelamainsursontorse.J’aibesoindeletoucher,etjecroisqueluiaussienabesoin,mais

ilseredresse,remontelesgenouxcontresapoitrineetappuielescoudesdessus.Soncorpsformeunecagedanslaquellejenepeuxpasentrer.–Etelle,qu’est-cequ’elleditdetoutça?– Rien. Elle ne veut plus en parler. Avant, elle disait qu’on comprendrait en grandissant, en

rencontrantquelqu’un.Jesuissurprised’entendredelacolèredanssavoix.Jenepensaispasqu’ilenvoulaitàsamère.

Àsonpère,oui,maispasàelle.Ilcontinueàgrogner:–D’aprèselle,l’amourfaitperdrelatête.–Tuycrois,àça?–Non.Oui.Peut-être.J’éclated’unpetitrire.–Tun’espascenséutilisertouteslesréponsespossibles…Jedevinequ’ilsouritdanslenoir.–Oui,j’ycrois.

–Pourquoi?–ParcequejesuisàHawaïavectoi.Cen’estpasfacilepourmoi,deleslaisserseulesaveclui.Jemeforceànepasmesentirtropcoupable.–Ettoi,tuycrois?medemande-t-il.–Oui.Sansaucundoute.–Pourquoi?–ParcequejesuisàHawaïavectoi.Sanstoi,jeneseraisjamaispartie.Ilbaisselesjambesetreprendmamain.–Alors,qu’est-cequ’onfaitmaintenant?Jen’ensaisrien.Laseulechosequejesais,c’estqu’êtreiciavecOlly,l’aimeretêtreaiméede

lui,c’esttoutcequicompte.–Tunedevraispasresteraveceux,dis-je.Tun’espasensécuritélà-bas.Jesuisconscientedeladuretédecettephrase.Maisjesuisconvaincuequ’ilsedupelui-même,

qu’ilestprisonnierdesmêmessouvenirsd’amouretdejoursmeilleursquesamère,etçanerèglerien.Je pose la tête sur son épaule et, ensemble, nous contemplons l’océan presque noir. Nous

observonslafaçonaveclaquellel’eaurecule,puisrepartàl’assautdusable,cherchantàgrignoterlaterre.Et,mêmesiellen’yparvientpas,elleprendànouveausonélan,etattaqueencoreetencore,commes’iln’yavaitpaseudefoisprécédentes,commes’ilnedevaitpasyavoirdefoissuivantes,commesiseulcomptaitletempsprésent.

SPIRALE

LAFIN

Quelqu’unm’apousséedansunfourbrûlantetarefermélaporte.Quelqu’unm’aarroséedekérosèneetacraquéuneallumette.J’émergelentement,lecorpsenfeu,consuméparlesflammes.Lesdrapssontfroidsethumides.

Jemenoiedansmatranspiration.Qu’est-cequim’arrive?Ilmefautunmomentpourm’apercevoirqu’ilyabeaucoup,beaucoupde

chosesquinevontpas…Jefrissonne.Plusquedefrissons, jesuisprisede tremblements incontrôlables.Matêtemefait

mal,maistellementmal!Moncerveauestcommeprisdansunétau.Ladouleurirradiejusquedansmesnerfsoptiques.Moncorpsmefaitl’effetd’uneplaieàvif.Mêmemapeauestdouloureuse.Jecroisd’abordquejesuisentrainderêver.Maismesrêvesnesontjamaisaussiclairs.J’essaie

dem’asseoir,detirerlescouverturessurmoi,envain.Ollydortencore,etilestallongédessus.Jetenteànouveaudemeredresser,maisladouleurestenfouieauplusprofonddemesos.L’étauautourdemoncerveauseresserre.Onmetranspercelachairaveuglément,avecunpicà

glace.Jevoudraiscrier,maismagorgeest toute sèche,commesi j’avaishurlédes joursetdes jours

durant.Jesuismalade.Pirequemalade:jesuisentraindemourir.Oh,monDieu.Olly.Çavaluibriserlecœur.Àpeinemesuis-jeformulécettepenséequ’ilseréveille.–Maddy?murmure-t-ildanslenoir.Ilallumelalampedechevet,cequimebrûlelesyeux.Jelesfermeetmedétourne.Jeneveuxpas

qu’il me voie comme ça. Trop tard. L’expression sur son visage passe de la confusion à lacompréhension,puisàl’incrédulité.Enfin,àlafrayeur.– Je suis désolée…, dis-je – enfin, j’essaie,mais je ne crois pas que lesmots parviennent à

franchirmeslèvres.Ollytouchemonvisage,moncou.–Merde,répète-t-il.Merde…Ilretirelacouverture,etsoudainj’aiplusfroidquedansmespirescauchemars.–Merde,Maddy,tuesbrûlante!

–Froid…,dis-jed’unevoixrauquequileterrifieencoreplus.Ilremontelacouverture,prendmatêteentresesmains,embrassemonfrontmouilléetmeslèvres.–Toutvabien.Toutvabien…Cen’estpasvrai,maisc’estgentildesapartd’essayerdemerassurer.Ladouleurharcèlemon

corps.Magorgeestsigonfléequ’ellesemblebouchée.Jen’arriveplusàrespirer.–Iltefautuneambulance.Jetournela tête.Quanda-t-ilmarchéjusqu’àcecôtédelapièce?Oùsommes-nous?Ilestau

téléphone. Il parle de quelqu’un. Une personne malade. Oui, quelqu’un est malade. En train demourir.C’estuneurgence.Lespilulesnefonctionnentpas.Ilparledemoi.Ilpleure.Nepleurepas.Karavabien.Tamèrevabien.Tuvasbien.Jem’enfoncedanslelit.Jesuisdansdessablesmouvants.Unepersonneessaiedem’enarracher.

Ellealesmainschaudes.Pourquoisont-ellessichaudes?Un objet luit dans l’une de sesmains. Son portable. Il dit quelque chose, mais sesmots sont

indistincts.Desmots.Mère.Tamère.Oui.Maman.Jedoisvoirmaman.Elleestdéjàenroute.J’espèrequ’ellevaarriver.Jefermelesyeuxetserresesdoigts.Jesuishorsdutemps.

LIBÉRATION

RÉSURRECTION

Jenegardepoursouvenirsqu’unmélangeconfusd’images.L’ambulance. Une piqûre dans la jambe. Une deuxième. Des injections d’adrénaline pour

redémarrermoncœur.Lehurlementdessirènesauloin,etpuisbeaucouptropprès.Lescintillementbleuetblancd’unécrandetélésuspendudansuncoindelapièce.Lebip!intermittentdesmachinesmontant la garde de jour comme de nuit. Des hommes et des femmes en uniforme blanc. Desstéthoscopes,desaiguillesetl’odeurdel’antiseptique.Puisl’odeurdekérosène,lamêmequecellequim’aaccueillieàHawaï,lescolliersdefleurs,la

couverturerâpeusequim’enveloppetotalement…Quelintérêtd’avoirunfauteuilàcôtéduhublotsilevoletrestefermé?Jemerappellelevisagedemamère,etseslarmessiabondantesqu’ellesauraientpuformerune

mer.Jemerappellelesyeuxbleusd’Ollydevenusnoirs.Lechagrin,lesoulagementetl’amourquej’y

aivusavantdefermerlesmiens.Jerentrechezmoi.J’yresteraienferméepourtoujours.Jesuisvivante,maisjeneveuxplusl’être.

RÉADMISSION

Mamère a transforméma chambre en chambre d’hôpital. Je suis dansmon lit, adossée àmesoreillers, sous perfusion. Je suis entourée de tout un dispositif de surveillance. Je nemange riend’autrequ’uneespècedegelée.Chaquefoisquejemeréveille,elleestàmescôtés.Elletouchemonfrontetmeparle.Parfois

j’essaie deme concentrer pour comprendre ce qu’elle dit,mais le son de sa voix n’arrive pas àm’atteindre.Je me réveille à nouveau quelques heures ou quelques jours plus tard, et je la trouve encore

penchée surmoi, le regard rivé sur sonécritoire, les sourcils froncés. Je ferme lesyeuxetpassementalementmoncorpsenrevue.Jen’aimalnullepart,enfin…pas trop.Matête,magorge,mesjambes:rienàsignaler.Jerouvrelespaupièresetconstatequ’elles’apprêteencoreàm’endormir.–Non!Jemeredressetropvite,etsuispriseaussitôtdevertigeetdenausée.Jevoudraisluidirequeje

vaisbien,maisaucunbruitnesortdemabouche.Jem’éclaircislagorgeetj’essaieencore:–S’ilteplaît,jeneveuxplusdormir.Sijedoisvivre,autantaumoinsvivreéveillée.–Est-cequejevaisbien?–Oui.Tuvast’ensortir,répond-elled’unevoixtremblante,quisebrisesurcesmots.Jem’assoispourlaregarder.Ellealeteintpâle,presquetransparent,etlestraitstirés.Uneveine

bleuesedessinedelaracinedesescheveuxjusqu’àsapaupière.D’autresaffleurentsouslapeaudesesavant-brasetdesespoignets.Ellealeregardeffrayé,incrédule,deceluiquiavécul’horreurets’attendàvivrepireencore.–Commenttuasput’infligerça?Tuasfaillimourir,souffle-t-elle.Elleserapprocheenserrantl’écritoirecontresapoitrine.–Commenttuaspum’infligerça,àmoi?Après…toutça?Jevoudraisluirépondrequelquechose.J’ouvrelabouche,maisriennevient.Maculpabilitéestcommeunocéanquim’engloutit.

Ellepart,etjerestedansmonlit.Jenemelèvepaspourmedégourdirlesjambes.Jetournele

dosàlafenêtre.Est-cequejedevraisregretterquelquechose?D’êtrealléeDehors?D’êtretombée

amoureusedumondequej’yaidécouvert?D’êtretombéeamoureused’Olly?Commentpourrais-jepasserlerestedemavieenferméedanscettebullemaintenantquejesaistoutcequejerate?Je ferme lesyeuxpouressayerdedormir.Mais levisagedemamère, toutcetamourdansses

yeux,nemequittepas.L’amourestunechoseterrible.Terrible.Aimerquelqu’unaussifarouchementque m’aimemamère, c’est comme porter son cœur à nu, sans peau, sans os, sans rien pour leprotéger.L’amourestunechoseterrible,etleperdreestplusterribleencore.L’amourestunechoseterrible,etjeneveuxplusenentendreparler.

LIBÉRATION#2

Mercredi,18:56Olly:oùtuétaispassée?Olly:tuvasbien?Madeline:Oui.Olly:elleditquoitamère?Olly:tuvasguérir?Madeline:Jevaisbien,Olly.Olly:j’aiessayédeterendrevisitemaistamèrenem’apaslaisséentrerMadeline:C’estpourmeprotéger.Olly:jesaisMadeline:Mercidem’avoirsauvélavie.Madeline:Jesuisdésoléedet’avoirfaitendurertoutça.Olly:tun’aspasàmeremercierMadeline:Merciquandmême.Olly:tuessûrequeçava?Madeline:Arrêtedemedemanderça,stp.Olly:désoléMadeline:Pasdemal.

Plustard,21:33Olly:contentdepouvoirre-tchatteravectoiOlly:t’esvraimentpasdouéecommemime

Olly:disquelquechoseOlly :onredemanderaàtamèrequandtuirasmieux, jepourraipeut-êtrepasser tevoirOlly:jesaisqueçan’estgrand-chosemaddymaisc’estmieuxquerien

Plustard,00:05Madeline:Non,cen’estpasmieuxquerien.C’estcarrémentpirequetout.Olly:quoi?Madeline:Tucroisqu’onpeutretournerenarrière,làoùonenétait?Madeline:Auxpetitesvisitesaprèsdécontamination,pasdecontact,pasdebaiser,pasd’avenir?Madeline:C’estsuffisantpourtoi?Olly:c’estmieuxquerienMadeline:Non,pasdutout.Arrêteavecça.

Plustard,02:23Olly:etlespilules?Madeline:Quoi,lespilules?Olly : elles ont marché pendant deux jours, peut-être qu’ils vont finir par lesaméliorerOlly:maddy?Madeline:Iln’yapasdepilules.Olly:quoi?Madeline:Iln’yajamaiseudepilules.J’aiditçapourtepersuaderdepartiravecmoi.Olly:tum’asmenti?Olly:tuauraispumouriretçaauraitétémafauteMadeline:Tun’espasresponsabledemoi.

Plustard,03:42

Madeline : Je voulais tout, Olly. Je te voulais toi, et le monde entier. Je voulaisvraimenttout.Madeline:Jenevaispaspouvoircontinuercommeça.Olly:continuerquoi?Madeline :Le tchat.Lese-mails.C’est tropdur. Jenepeuxpas recommencer.Mamèreavaitraison.Mavieétaitmieuxavant.Olly:mieuxpourqui?Olly:nefaispasçamaddyOlly:mavieàmoiestmieuxquandtuesdedansMadeline:Paslamienne.<Madelineesthorsligne>

LAVIEESTCOURTE

(OULARUBRIQUEDUSPOIL,PARMADELINE)

Hommeinvisible,pourquichantes-tu?,deRalphEllison

Attention,spoiler:Quandpluspersonnenevousvoit,vouscessezd’exister.

GÉOGRAPHIE

Je suis dans un champ plein de coquelicots. Leurs tiges vertes m’arrivent à la taille, et leurspétalessontsirougesqu’ondiraitqu’ilssaignent.Auloin,jevoisOlly,puisjelevoisendouble,puisjevoisunemultituded’Ollyquiavancentversmoi.Ilsportentdesmasquesàgaz,brandissentdesmenottes etmarchent dansma direction en écrasant les fleurs sous les talons de leurs bottesnoires.Cerêvenemequittepas.Jetraverselajournéecommedansducoton,àessayerdenepaspenser

àOlly.Jem’efforcedenepasmeremémorerlapremièrefoisquejel’aivu.Lamanièredontilsecomportait.L’impressionqu’ilvenaitd’uneautreplanète. J’essaiedenepaspenserauxkouglofs,auxpoiriers, auxbaisers, ausablemouillé. J’essaied’oublierque ledeuxième, le troisièmeet lequatrièmebaisersontététoutaussiformidablesquelepremier.Jem’efforcedenepasmesouvenirdesoncorpscontrelemien.J’essaiedenepaspenseràlui,parceque,sijelefais,jeseraiobligéedepenseraussiaulienquim’unissaitàluietaumondeilyaquelquesjoursàpeine.Jedevraipenseràtoutcetespoirquiagrandienmoi.Àmabêtised’avoircruaumiracle.Àce

mondeauquelj’aitantbesoind’apparteniretquineveutpasdemoi.Jedoismedétacherd’Olly.J’aibiencompris la leçon.L’amourpeut tuer.Et jepréfère toutde

mêmeêtreenvie.J’aiditunjouràOllyque,s’ilyavaitquelquechosequejeconnaissais,c’étaitbienmoncœur.

C’esttoujoursvrai.Jeconnaisparfaitementlacartedemoncœur,maistouslesnomsdelieuxyontchangé.

CARTEDUDÉSESPOIR

LAVIEESTCOURTE

(OULARUBRIQUEDUSPOIL,PARMADELINE)

L’Étranger,d’AlbertCamusEnattendantGodot,deSamuelBeckett

LaNausée,deJean-PaulSartre

Attention,spoiler:Entretoutetrien,iln’yaqu’unpas.

TOUTSÉLECTIONNER,SUPPRIMER

FAIRESEMBLANT

Jesuisplusfortedejourenjour.Jenesouffrepas,saufducœur,maisjen’enaiplusl’usage.Jegardelesvoletsfermés.Jelis.Desromansexistentielsounihilistes.Jenesupporteplusleslivresquiprétendentquelavieaunsens.Jenesupporteplusleshappyends.JenepensepasàOlly.Ilm’envoiedese-mailsquejemetsàlacorbeillesansleslire.Aprèsdeuxsemaines, jemesensassezen formepour reprendrecertainscours.Deuxsemaines

plustard,jelesaitousrepris.JenepensepasàOlly.Jemetsquelquese-mailsdeplusàlacorbeille.Mamèrefaittoutpourquej’aillemieux.Elletourneenrond,s’inquiète,s’agiteetm’administre

mesmédicaments.Maintenantque je suis rétablie,ellevoudraitquenous reprenionsnosactivitésmère-fille.CommeOlly,elleaimeraitquenotrevieretrouvesoncoursnormal.Jen’éprouveaucunplaisirauxsoiréesquenouspassonsensemble(jen’éprouveplusaucunplaisiràrien),mais je lefais pour elle. Elle a encore perdu du poids. Çam’angoisse, et, comme je ne sais pas commentl’aider,jejoueauScrabblephonétiqueetauPictionaryJuré-Craché,jeregardedesfilmsetjefaissemblant.Jenereçoisplusd’e-mailsd’Olly.

–J’aidemandéàCarladerevenir,ditmamère,unsoiraprèsledîner.–Jecroyaisquetun’avaisplusconfianceenelle.–Non, en effet.Mais j’ai confiance en toi.Cette histoire t’amisduplombdans la tête. Il y a

certaineschosesqu’ondoitapprendreparsoi-même.

RETROUVAILLES

Dèslelendemain,Carlaestcheznous,às’activerdanstouslessens.Elleestencoreplusaffairéequed’habitude,etc’estcommesiellen’étaitjamaispartie.Enarrivant,ellemeprenddanssesbras.–Jem’enveux,dit-elle.Toutestmafaute.Jeresteserréecontreelle,àm’efforcerdenepasm’effondrer.Sijepleure,toutceladeviendra

réel.Jedevraivraimentvivrecettevie.JenereverraivraimentplusOlly.J’essaiederetenirmeslarmes,maisjen’yparvienspas.Carlaestcommeunoreillermoelleuxoù

ilfaitsibonpleurer…Et,unefois lancée, jecontinuependantuneheure.Carlaest trempée,et jen’aiplusuneseulelarmeenstock.Est-cequ’onpeutêtreàboutdelarmes?Àpeinemesuis-jeposécettequestionquej’yrépondsmoi-mêmeenmeremettantàpleurer.Puismespleurscessentenfin.–Commentvatamaman?medemandeCarla.–Disonsqu’ellenemedétestepas…–Lesmèresnedétestentjamaisleursenfants.Elleslesaimentbientroppourça.–Pourtant,elledevrait.Jesuisunefilleatroce.Etj’aifaitquelquechosed’atroce.Meslarmesseremettentàcouler,etCarlalesessuiedureversdelamain.–EttonOlly?Je secoue la tête. Je peux tout confier àCarla, sauf ça.Mon cœur est tropmeurtri, et je veux

gardercettedouleurenmoicommeunsouvenir.Jeneveuxpasmettredelapommadedessus.Jeneveuxpasquemoncœurguérisse.Car,s’ilguérit,jeseraitentéedem’enservirànouveau.

Nous retrouvons nos habitudes. Chaque jour est pareil au précédent et pas très différent du

suivant. «Lamariée iramal. » Je travaille sur unemaquette de bibliothèque, avec des escaliersfaçon Escher, qui s’interrompent à mi-hauteur sans aboutir nulle part. Du Dehors, j’entends ungrondementsuivid’unbip!insistant.Cettefois,jecomprendstoutdesuitedequoiils’agit.Jemeretiensd’abordd’allerà la fenêtre.MaisCarla,elle,yvaetmeracontecequ’ellevoit.

C’estuncamiondedéménagement:LesDeuxFrèresDéménageurs.Lesdeuxfranginsenquestiondescendent du camion et en déchargent des diables, des cartons vides et des rouleaux de scotchmarron. Ils parlent à lamère d’Olly.Kara et lui sont là aussi.Mais pas de père en vue, préciseCarla.Macuriositél’emporte,etmevoilààlafenêtre,espionnantlascènederrièrelerideau.Carlaa

raison.Lepèred’Ollyn’estpas là.Olly,Karaet leurmèrecourentdans tous lessens. Ilsentrentdanslamaisonetensortentpourdéposersousleporchedescartonsetdessacs-poubellespleinsàcraquer,quelesdéménageurschargentàbordducamion.Ilsn’échangentpasunmot.Mêmedelàoùjemetrouve,jeperçoislanervositédelamère.Ollys’arrêtefréquemmentpourlaprendredanssesbras.Ellesecramponneàlui,etilluitapoteledos.Karanesejointpasàeux.Ellenesecachepluspourfumerdésormais,etfaittombersescendressurleperron.J’essaiedenepastropfixerOlly,maisc’estplusfortquemoi.Moncœursefichetotalementde

cequeluiditmoncerveau.Jesaisavecexactitudeàquelmomentilsentlepoidsdemonregardsurlui.Ilinterromptcequ’ilestentraindefaireetseretourne.Nosyeuxsecroisent.Çan’arienàvoiravec la première fois.Lapremière fois, tout était possible ; nousne savionspas ce qui allait sepasser.Mêmesiunepartdemoi,déjà,sedoutaitquej’allaistomberamoureuse.Cettefois-ci,toutn’estquecertitude:jesaisquejel’aimeetquejel’aimeraitoujours.Il lève lamain pourme saluer. Je lâche le rideau,medétourne etm’adosse aumur, le souffle

court.Je voudrais pouvoir effacer ces derniers mois où je l’ai connu. Je resterais juste dans ma

chambre. J’entendrais lebip! du camionderrière la porte et je ne bougerais pas demon canapéblancdansmachambreblanche,àliremesromansflambantneufs.Jemerappelleraislepassé,etqu’ilnefautsurtoutpaslerépéter.

SURVEILLANCEDUVOISINAGE#3

Emploidutempsdesonpère9:00:Parttravailler.20:30 :Gravitd’unpas incertain lesmarchesduperronet entre dans lamaison.

Déjàsoûl?21:00:Ressortsousleporche,unverreàlamain.22:15:S’endortsurlachaisebleue.Unpeuplustard:Rentreentitubantdanslamaison.

EmploidutempsdesamèreInconnu

EmploidutempsdeKaraInconnu

Emploidutempsd’OllyInconnu

CINQSYLLABES

Unmoisplustard,justeaprèsNoël,lepèredéménageàsontour.Parlafenêtre,jelevoisporterquelquescartonsdansuneremorque.J’espèredetoutmoncœurqu’ilnevapasrejoindreOlly,Karaetleurmère,oùqu’ilssoient.Pendant des jours, j’observe la maison, en me demandant comment elle peut rester aussi

inchangée,d’apparenceaussisolideetfamilièrealorsqu’iln’yapluspersonnededans.J’attendsencoredeuxjoursavantdelireenfinlese-mailsd’Olly.Ilssontrestésdanslacorbeille,

commejel’espérais.

De:[email protected]À:MadelineF.Whittier<[email protected]>Objet:unpoèmeouunecontrepèterie?#1Envoyéle:16octobre,06:14ilétaitunefilleappeléeMadelinequitransperçamoncœurpirequ’unejavelinemevoilàquimangelespissenlitsparlaracineahlabelleassassine!est-cequ’ilexisted’autresmotsquirimentavecMadeline?

De:[email protected]À:MadelineF.Whittier<[email protected]>Objet:unpoèmeouunecontrepèterie?#2Envoyéle:17octobre,20:03

jadisunefillevivaitdansunebulle

cen’étaitpastrèscoolcommepréambule.quandmoncœurjeluidonnaielles’empressadelepiétiner.toutcelaestmafoibienridicule.

P.S.tupréféreraisdescontrepèteries?

Je ris à en avoir les larmes aux yeux. Il devait vraiment m’en vouloir pour me proposer dem’envoyerdescontrepèteriesetmêmepasunseulhaïku.Ses autres e-mails sontmoins poétiques. Ilm’y raconte ses efforts pour persuader samère de

trouverdel’aideetpourtenterdeprotégerKarad’elle-même.Ilnesaitpasquelargumentafiniparconvaincresamère.Peut-êtreest-cequandilluiaditque,siellenesedécidaitpasàpartir,ilnevoulaitplusfairepartiedecettefamille.Ilfautparfoisquitterlesgensquinousaiment,a-t-ilajouté.Oupeut-êtreest-cequandilluiaparlédemoi,delagravitédemamaladie,etdemadécisiondetoutrisquerjustepourvivre.Ellemetrouvetrèscourageuse,précise-t-il.

LEDERNIERESTUNHAÏKU

De:[email protected]À:MadelineF.Whittier<[email protected]>Objet:haïku#1Envoyéle:31octobre,21:07

cinqsyllabeslàseptpourladeuxièmelignejet’aimeMaddy

ICIETMAINTENANT

D’aprèslesmathsd’Olly,onnepeutpasprédirelefutur.Ilsetrouveque,pourmoi,onnepeutpasnonplusprédirelepassé.Letempssedérouledanslesdeuxdirections–enavantetenarrière–etcequiarriveicietmaintenantleschangetouteslesdeux.

CONFIDENTIEL

De:DrMelissaFrancisÀ:[email protected]:Résultatsdevostests–CONFIDENTIELEnvoyéle:29décembre,08:03

Mon nom ne vous dira sans doute rien. Je suis leDrMelissa Francis. Jeme suisoccupée de vous pendant quelques heures il y a deuxmois, auMemorialHospitald’Hawaï.J’aicrubondevouscontacterdirectement.Sachezquej’aiétudiévotrecasavec laplusgrandeattention.EtjenecroispasquevoussoyezatteintedeDICS.Jemedoutequeceladoitêtreunchocpourvous.Jejoinsàcemessagelesrésultatsdeplusieurstests,etjevousrecommandedelesconfronteràundeuxième,voireuntroisièmeavis.Toutefois,pourvérifiermesconclusions,jepensequevousaveztoutintérêtàconsulterunautremédecinquevotremère.Lesmédecinsnedevraientpass’occuperdesmembresdeleurfamille.Ce que vous avez subi le mois dernier à Hawaï est, selon mon diagnostic, uninfarctus du myocarde déclenché par une infection virale. D’après ce que j’ai pudéduire de vos antécédents, je pense que votre système immunitaire estparticulièrementfragiliséparl’environnementdanslequelvousavezgrandi.N’hésitezpasàmecontacterpourtoutequestion.Bienàvous,DrMelissaFrancis

PROTECTION

Jedoislirecete-mailsixfoisavantqueleslettressedécidentàformerdesmots,etlesmots,desphrasescompréhensibles.Et,mêmealors,lesensdecesmotsmisboutàboutm’échappeencore.Jereportemonattentionsurlapiècejointe,quidétaillelesrésultatsdesexamens.Leschiffressonttousnotablementmoyens,nitrophautsnitropbas.Ilyasûrementerreur.Ildoityavoiruneerreur.LeDrFrancisamélangémesdonnéesaveccelles

d’un autre patient. Ou il existe une autreMadelineWhittier. Ou c’est unmédecin inexpérimenté.Bref,lemondeestcruelsansaucuneraison.Jesuisconvaincuedetoutcela,etpourtant…J’imprimel’e-mailetlesrésultats.Jen’agispasauralenti.Lecoursdutempsn’apaschangéd’allure.Lesmotsimprimésnesontpasdifférentsdeceuxsurl’écran;ilsontjustel’airpluslourds,l’air

d’avoirplusdepoids.Maisilsnepeuventpasêtrevrais.Iln’yaaucunechancequ’ilssoientvrais.JepasseuneheuresurGoogle,àfairedesrecherchessurchaquetestetàessayerdecomprendre

leursignification.Biensûr,Internetn’estpascapabledediresilesrésultatssontcorrects,sijesuisunejeunefilletoutcequ’ilyadeplusordinaire,avecunesantétoutcequ’ilyadeplusordinaire.Et,detoutefaçon,jesais–jesais–qu’ils’agitd’uneerreur.Malgrécela,mespiedsm’entraînent

verslesescaliers,àtraverslasalleàmanger,etjusqu’aubureaudemamère.Ellen’yestpas.Pasdans le salon non plus. Jeme dirige vers sa chambre et frappe doucement à sa porte, lesmainstremblantes.Ellenerépondpas.Elledoitêtredanslasalledebains,surlepointdesemettreaulit.Jefrappeplusfort,puisjetournelapoignéeenappelant:–Maman?Quand j’entre dans la pièce, elle vient de sortir de la salle de bains et en éteint la lumière.

Lorsqu’ellemevoit,sestraitsémaciéss’illuminentd’unlargesourire.Surcevisagedeplusenplusmince,sespommettesparaissentextrêmementsaillantes.Lescernessombresquej’aifaitnaîtresoussesyeuxsemblents’yêtre installésdefaçonpermanente.Ellen’estpasmaquillée,etsescheveuxtombentencascadesursesépaules.Unpyjamadesoienoirependsursafrêlesilhouette.–Coucou,machérie,dit-elle.Tuveuxqu’onfasseunesoirée-pyjama?Sonexpressiontrahituntelespoirquejesuistentéed’acquiescer.Maisjem’avancedanslapièce

enagitantlesfeuillesquejetiensàlamain.–Çavientd’unmédecindeMaui.Jecherchesonnomdesyeux,alorsquejeleconnaisparcœur.–LeDrMelissaFrancis.Tul’asrencontrée?Sijen’étaispasaussiattentive,jeneremarqueraispeut-êtrepasàquelpointelles’estraidie.–J’airencontrébeaucoupdemédecinsàMaui,Madeline.

Savoixesttendue.J’insiste:–Maman,excuse-moi…Ellelèveunemainpourm’interrompre.–Qu’est-cequ’ilya,Madeline?Jefaisunautrepas.–Cettelettre…LeDrFrancispensequejenesuispasmalade.Ellemeregardecommesijen’avaispasprononcécettephrase.Ellesetaitpendantsilongtemps

quejecommenceàmedemandersij’airéellementouvertlabouche.–Qu’est-cequeturacontes?–D’aprèselle,jenesouffrepasdeDICS.Ellepensequejen’enaijamaisétéatteinte.Mamères’assoitauborddulit.–Oh,non…C’estpourçaquetuviensmevoir?Savoixestdouce,compatissante.–Parcequeçat’adonnédel’espoir?Ellemefaitsignedem’installeràcôtéd’elle.Ellemeprendlafeuilleetposeunemainsurmon

épaule.–Jesuisdésolée,maisc’estfaux.Jem’effondredanssesbras.Ellearaison:jemesuismiseàespérer.Jesuissibiendanslesbras

demamère;jemesensauchaud,protégée,ensécurité.Ellemecaresselescheveux.–Jesuistellementdésoléequetuaiesluça…C’esttotalementirresponsabledelapartdecette

femme.–Net’inquiètepas,çava.Jemedoutaisquec’étaituneerreur.Jenemesuispasnonplusfaitde

grosespoirs.Ellemerepoussedoucementpourmeregarderbienenface.–Biensûrquec’estuneerreur.Sesyeuxseremplissentdelarmes,etellem’attiredenouveaucontreelle.– Le DICS est une maladie très rare et complexe, ma chérie. Personne ne la comprend

parfaitement.Elleseprésentesousdenombreusesformes;lesgensquiensontatteintsneréagissentpastousdelamêmefaçon.Elle recule à nouveau et plonge son regard dans lemien pour s’assurer que j’écoute et que je

comprends.Elleparlepluslentement,suruntonpleind’indulgence–sontondemédecin.–Tut’étaisdéjàrenducomptedecelapartoi-même,non?Là-bas,tutesentaisbien,etpuis,d’un

coup,tut’esretrouvéeauxurgences,entraindemourir.Lesystèmeimmunitaireestquelquechosedetrèscompliqué.Ellefroncelessourcilsenexaminantlesfeuillesdanssamain.– Et ce Dr Francis ne connaît pas tous tes antécédents familiaux, continue-t-elle. Elle n’a vu

qu’uneinfimepartiedelaréalité.Cen’estpasellequiapassétoutesavieavectoi.Sonvisages’assombritunpeuplus.Cetteerreurlaperturbeencoreplusquemoi.J’affirmedenouveau:–Çava,maman.Jen’ycroyaispasvraiment,detoutefaçon.

Maisj’ail’impressionqu’ellenem’entendpas.–Ilfallaitquejeteprotège,murmure-elle.–Jesais,maman.Jen’aiplusenvied’enparler,maintenant.Jemeblottiscontreelle.–Ilfallaitquejeteprotège,répète-t-elle,laboucheenfouiedansmescheveux.C’estcesecond«Ilfallaitquejeteprotège»quiréduitunepartiedemoiausilence.Ilyadanssavoixuneincertitudequimesurprendetquejenem’expliquepas.Jetentedemedégagerdesonétreintepourobserversonvisage,maisellemetientserréecontre

elle.–Maman?dis-jeenlarepoussantplusvivement.Ellerelâchesonempriseetm’effleurelajouedesamainlibre.Jefroncelessourcils.–Est-cequejepeuxlesgarder?dis-jeendésignantlespapiers.Ellebaisselesyeux,semblesoudainsedemandercommentilssontarrivésdanssamain.–Tun’enaspasbesoin,merépond-elle.Maisellemelesrendtoutdemême,puistapotelelit.–Alors,soirée-pyjama?Jemesentiraimieuxsiturestesavecmoi.Peut-être,maisjenesuispassûrequecesoitmoncas.

LEDICTIONNAIREDEMADELINE

Soupçon :n.m.Sens1:Véritéquevousnepouvezpasounevoulezpascroire.Ex.:Lesoupçonàl’égarddesamèrelatintéveilléetoutelanuit./Ellecommençaitàsoupçonnerquelemondeentiersemoquaitd’elle.(Whittier,2015)

IDENTITÉ

Carlan’apasencorefranchilaportequejeluisautedessusavecl’e-mail.Ellelelit,etsesyeuxs’agrandissentàchaquephrase.Ellem’agrippelebras.–Oùtuaseuça?–Lisjusqu’aubout,dis-je.Lesgraphiquesetlestableauxdedonnéesluiparlerontplusqu’àmoi.Je scrute son visage, essayant de déterminer ce qui est en train d’arriver à mon univers. Je

m’attendaisàceque,commemaman,ellebalayececourrierd’unreversdemainaupremiercoupd’œil,maissaréactionest…différente.–Tul’asmontréàtamère?Jehochelatêteensilence.–Qu’est-cequ’elleadit?–Quec’étaituneerreur.Jeprononcecettephrasedansunsouffle,commesijevoulaismasquerlesondemaproprevoix.Carlam’observependantunmoment.–Ilfautqu’onsache,marmonne-t-elle.–Qu’onsachequoi?–Sic’estvraioupas.Jebredouille:–Commentçapourraitêtrevrai?Çasignifieraitque…–Chut,chut…Pourlemoment,onn’ensaitrien.Onn’en sait rien?Bien sûrque si !Onsaitque je suismalade.Que jenepeuxpasquitter la

maisonsansrisquerdemourir.Jel’aitoujourssu:c’estcequejesuis.J’exigeuneexplication…–Qu’est-cequisepasse?Qu’est-cequetumecaches?–Rien,jenetecacherien.–Qu’est-cequeçaveutdire,alors?Ellepousseunsoupir,long,profondetlas.–Jetejurequejenesaisrien.Mais,parfois,j’aidessoupçons.–Dessoupçonssurquoi?–Ilm’arrivedepenserque tamamannevapasbien.Qu’ellenes’est jamaisremisedecequi

s’estpasséavectonpèreettonfrère.L’oxygène dans la pièce semble soudain remplacé par autre chose, quelque chose de ténu et

d’irrespirable.Cettefois,letempsavraimentralentisacourse,etmavisionseréduitcommedansuntunnel.Lesmurssesontrapprochés,etCarlas’éloignedemoi,devenantunepetitesilhouetteauboutd’untrèslongcouloir.Cetteespècedevisionenentonnoirmedonnelevertige.Jevacillesurmesjambesetsuisprisedenausée.Jecoursàlasalledebainsetvomisdanslelavabo.Carlamerejointetm’aspergelevisageavec

del’eau.Elleposelamainsurmondosetjemepliesouscefaiblepoids.J’ail’impressionden’avoirplus

lamoindre substance. Je suis la fille-fantôme imaginéeparOlly. Jem’agrippeà laporcelainedulavabo.Jen’osepasleverlesyeux,depeurdenepasreconnaîtrelevisagedanslemiroir.Mavoixestcelled’uneautrelorsquejegrogne:–Ilfautquejesache.–Laisse-moiunejournée,répondCarla.Elletentedem’attirerverselle,maisjelarepousse.Jeneveuxniréconfortniprotection.Jeveuxjustelavérité.

LESPREUVESDEMAVIE

Toutcequej’aiàfaire,c’estdormir:apaisermonesprit,relâchermoncorps,etdormir.Mais,malgré tousmes efforts, le sommeil ne vient pas.Mon cerveau est une pièce inconnue pleine detrappes.LavoixdeCarlarepasseenboucledansmatête.«Ellenes’estjamaisremisedecequis’estpasséavectonpèreettonfrère.»Qu’est-cequeçasignifie?Jeregardemonréveil:uneheuredumatin.EncoreseptheuresàattendreleretourdeCarla.NousallonsfairedesexamensmédicauxetlesenvoyeràunspécialisteduDICSdontj’aitrouvélescoordonnées.Septheures.Jefermelesyeux.Lesrouvre:uneheureetuneminute.Jenepeuxpasattendrequelesréponsesviennentàmoi.Jedoisallerlescherchermoi-même.Jefaismonpossiblepourmarcheretnoncourirjusqu’aubureaudemamère.Jesuissûrequ’elle

dort, mais je ne veux pas risquer de la réveiller. J’attrape la poignée en imaginant, pendant unterribleinstant,quelaporteestferméeàcléetquejedoisattendre.Jenepeuxpasattendre.Maislapoignéetourne,etlapiècem’accueillecommesiellem’attendait,commesiellen’attendaitquemoi.Sonbureauestparfaitementnormal,ni trop rangé,ni tropendésordre.Aucunsigned’unesprit

détraqué.Pasd’inscriptionsfollessurlesmurs.Jem’approchedubureaumassifaumilieudelapièce.Ilcomporteuntiroiràdossiersparlequel

jecommence.J’ailesmainsquitremblent:pasdepetitsfrémissements,maisdevéritablesspasmes,commeunséismequejeseraislaseuleàressentir.Mamère est une archiviste trèsméticuleuse : elle garde tout. Ilme faut plus d’uneheure pour

veniràboutd’unepoignéededossiers.Ilyalesticketsdecaissedechaqueachat,petitougrand,descontrats,desdéclarationsd’impôts,desgarantiesetdesmodesd’emploi.Elleamêmeconservétoussesticketsdecinéma.Enfin,aufonddutiroir,jetrouvecequejesuisvenuechercher:unépaisdossierrougeintitulé

Madeline.Jelesorsavecprécautionetleposesurlesol.Lesdocumentsquimeconcernentremontentautempsdesagrossesse.Desordonnancespourdes

vitamines prénatales, des échographies, les photocopies de chaque bilan médical. Je trouve uneficheécriteàlamaincomprenantdeuxcasesàcocher:unepourlesgarçons,unepourlesfilles.Onacoché«fille».Moncertificatdenaissanceestlàaussi.En poursuivant mes recherches, je découvre des rapports médicaux faisant état de rougeurs,

d’allergies,d’eczéma,derhumes,defièvreetdedeuxotites,toutcelaavantmesquatremois.J’étaisunbébé fragile. Jedénichedes facturespourdesconsultationsen rapportavec l’allaitementet lesommeilinfantile.Àl’âgedesixmois,justeaprèslamortdemonpèreetdemonfrère,j’aiétéhospitaliséepourun

virus respiratoire syncytial (aussi appelé VRS). Comme je ne sais pas ce que c’est, je notementalementcenompourchercherplustardsurGoogle.Entoutcas,c’estassezsérieuxpourqu’onm’aitgardéeàl’hôpitalpendanttroisjours.Après cela, l’archivagedevientmoinsminutieux. Jedécouvre laphotocopied’unarticle sur le

VRS.Mamère a entouré un passage où il est dit que leVRS est plus grave chez les personnessouffrant d’un déficit immunitaire. Puis je trouve un article découpé dans une revuemédicale ausujet duDICS. Les notes demamère enmarge sont illisibles. Ensuite, il y a une visite chez unallergologue,puischeztroisimmunologuesdifférents.Aucunneconclutàunemaladie.Etpuis,c’esttout.Jecontinueàfouillerletiroir,enquêted’autresdocuments.Ilnepeutpasn’yavoirriend’autre,

çan’apasdesens.Oùsontlesrésultatsdesexamens?Ilyasûrementeuunquatrièmeimmunologue,non?Oùestsondiagnostic?Oùsontlesconsultationsetlesavismédicauxcontradictoires?Ildoityavoirunseconddossierrouge.Jepasselesdocumentsenrevueunetroisièmefois.Unequatrièmefois.J’étaled’autresdossiersparterreetjelesexaminerapidement.Jefouilleparmilespapierssursonbureau.Jefeuillettesespublicationsmédicales,àlarecherchedepassagessurlignés.Ma respiration devient saccadée tandis que j’explore ses étagères. Je retire les livres, je les

secoue dans l’espoir d’en faire tomber quelque chose, un résultat de laboratoire oublié, uneconfirmationdediagnostic.Maisjenetrouverien.Seulement,rien,cen’estpasunepreuve.Peut-êtrequelapreuveestailleurs?Jen’aibesoinqued’unseulessaipourdeviner lemotde

passedesonordinateur:«Madeline».Jemetsdeuxheuresàépluchertouslesdocumentsquiysontenregistrés.J’examinesonhistoriquesurInternet.Jeregardedanslacorbeille.Rien.Rien.Oùsontlespreuvesdelaviequej’aivécue?Jetourneenrondaumilieudelapièce.Jenepeuxpasycroire.Jen’ycroispas.Commentpeut-il

nerienyavoir?Commesilamaladieétaitsoudainapparuedansl’airtroprarequejerespireici.C’estimpensable.C’estimpossible.Est-ceque,réellement,jenesuispasmalade?Monespritflanchefaceàunetellepensée.Peut-êtrequemamèregarded’autresdocumentsdanssachambre?Pourquoin’yai-jepassongé

plustôt?5heures23.Est-cequ’ilfautquej’attendequ’elleseréveille?Non.Laportedubureaus’ouvreàl’instantoùjemedirigeverselle.– Ah, tu es là ! fait ma mère, visiblement soulagée. Je m’inquiétais ; tu n’étais pas dans ta

chambre.Elles’avanceetécarquillelesyeuxendécouvrantlechaosquirègneautourdenous.–Ilyaeuuntremblementdeterre?Ellecomprendalorsquecedésastreestd’originehumaine.Ellesetourneversmoi,perplexe.–Qu’est-cequisepasse,machérie?–Est-cequejesuismalade?Monsangbatfortdansmesoreilles.–Qu’est-cequetudis?

–Est-cequejesuismalade?Cette fois, ma voix est plus assurée. Le début de colère qui perçait dans la sienne disparaît,

remplacépardel’inquiétude.–Tunetesenspasbien?Elleapprochelamaindemonfront,maisjelarepousse.Envoyantladouleurquis’affichesursonvisage,jem’enveux.Maisjecontinuequandmême:–Non,cen’estpasçaquejeveuxdire.Est-cequejesouffredeDICS?Àprésent,soninquiétudesetransformeenuneexaspérationmêléedepitié.–C’estencoreàcausedecete-mail?–Oui.EtdeCarlaaussi.D’aprèselle,tunevaspeut-êtrepasbien.–Cequisignifie…?C’estvrai,ça:dequoijel’accuse,aujuste?Jepoursuismoninterrogatoire:–Oùsontpasséstouslespapiers?Elleprenduneprofondeinspirationpourtenterdesecalmer.–MadelineWhittier,dequoiparles-tu?–Tugardestout,pourtantiln’yariensurleDICSici.Pourquoijen’airientrouvé?Jeramasseledossierrougeetleluifourredanslesmains.–Tuasconservétoutlereste.–Dequoituparles?répète-t-elle.Biensûrquetoutestlà…Jenesaispasàquelle réponse jem’attendais,maiscertainementpasàcelle-là.Est-cequ’elle

croitvraimentquetoutestdanscedossier?Elleleserrecontresapoitrinecommesiellevoulaitlefairedisparaîtreenelle.–Tuasbienregardé?Jenejettejamaisrien.Elle marche jusqu’à son bureau et fait de la place. Je la regarde tandis qu’elle examine les

documents,lesclasse,lisseduplatdelamaindesfeuillesquin’enontpasbesoin.Aprèsunmoment,ellelèvelesyeuxversmoi.–C’esttoiquilesaspris?Touslesdocumentsétaientlà.Savoixestchargéedeconfusion,maisaussidepeur.Àcetinstantprécis,j’ensuiscertaine:jenesuispasmalade.Jenel’aijamaisété.

DEHORS

Jem’enfuis du bureau. Le couloir s’étire sans fin devantmoi.Dans le sas, il n’y a pas d’air.Dehors,monsoufflenefaitaucunbruit.Moncœurnebatplus.Jevomislemaigrecontenudemonestomac.Labilemebrûlelefonddelagorge.Jepleure,etlepetitmatinfraisrefroiditleslarmesquicoulentsurmonvisage.Jeris,etlefroidentredansmespoumons.Jenesuispasmalade.Jen’aijamaisétémalade.Toutes les émotions que je retiens depuis vingt-quatre heures déferlent en moi. L’espoir et le

désespoir,l’attenteetleregret,lajoieetlacolère.Commentpeut-onéprouverenmêmetempsdesémotionsaussicontradictoires?Jemedébatsdansunocéancouleurd’encre,ungiletdesauvetagenouéautourdematailleetuneancreattachéeàmajambe.Mamèremerattrape.Lestraitsdesonvisagesontdévastésparlapeur.–Maisqu’est-cequetufais?Qu’est-cequetufais?Rentretoutdesuite!Mavisions’étrécitànouveau,aveccettefemmecommeseulpointdemire.–Pourquoi,maman?Pourquoijedevraisrentrer?–Parcequetuesmalade.Dehors,ilpourraitt’arriverlespireschoses…Elleessaiedem’attirercontreelle,maisjefaisunbondenarrière.–Non,jenerentrepas.–S’ilteplaît,implore-t-elle.Jenepeuxpasteperdre.Pasaprèstoutça…Ellemeregarde,pourtantjesaissanslemoindredoutequ’ellenemevoitpas.–Je lesaiperdus,gémit-elle. J’aiperdu tonpapa,et j’aiperdu ton frère. Jenepouvaispas te

perdreaussi.Jenepouvaispas.Son visage s’affaisse, complètement décomposé.Quelle que soit l’armature qui le faisait tenir

jusque-là,ellevientdecéderbrusquement,defaçondésastreuse.Mamère est fêlée. Elle est fêlée depuis très longtemps. Carla a raison ; elle ne s’est jamais

remisedeleurmort.Jebredouillequelquesmots–jenesaispasquoi–,maisellenes’arrêtepasdeparler.–Justeaprèsleurdécès,tuestombéetrès,trèsmalade.Tuavaisdumalàrespirer,jet’aiconduite

auxurgencesetnousysommesrestéestroisjours.Ilsontditquec’étaitsûrementuneallergie;ilsm’ontdonnéunelistedechosesàéviterabsolument,maisjesavaisquec’étaitplusgravequeça.

Elleremuelatêtedehautenbas.– Je savais que c’était plus grave.Et je devais te protéger.Dehors, il peut t’arriver n’importe

quoi.Elleregardeautourd’elleetrépète:–Dehors,danscemonde,ilpeutt’arrivern’importequoi.Elledevraitmefairedelapeine.Maisjeneressenspascela.Lacolèrequimonteenmoiocculte

toutlereste.Jememetsàhurler:–Jenesuispasmalade!Jen’aijamaisétémalade!C’esttoiquiesmalade!J’agitel’indexsoussonnezetlavoissetasserdevantmoi.–Suis-moidans lamaison,murmure-t-elle. Je teprotégerai.Resteavecmoi.Tues toutceque

j’ai.Sadouleurestinfinie;elles’étendjusqu’auboutdumonde.Sadouleurestunemermorte.Sadouleurestàcausedemoi,etjenepeuxpluslasupporter.

CONTEDEFÉES

Ilétaitunefoisunejeunefilledontlavieentièreétaitunmensonge.

VIDE

Ununiversquinaîtenunclind’œilpeutdisparaîtreenunclind’œil.

LEDÉBUTETLAFIN

Quatrejourspassent.Jemange.Jefaismesdevoirs.Jenelispas.Mamèreerretelunfantôme.Jenecroispasqu’ellecomprennecequis’estpassé.Elleparaîtserendrecomptequ’elledoitsefairepardonnerquelquechose,maisellenesaitplustropquoi.Parfois,elletentedemeparler,maisjel’ignore.Jelaregardeàpeine.Le lendemain matin après ma terrible découverte de la vérité, Carla est allée porter des

échantillonsdemonsangau spécialisteduDICS, leDrChase.Àprésent,nous sommesdans soncabinet, attendant qu’on nous appelle. Même si je sais déjà ce qu’il va dire, je redoute saconfirmation.Quisuis-jesijenesuispasmalade?Uneinfirmièreprononcemonnom,etjedemandeàCarladeresterdanslasalled’attente.Jene

saispaspourquoi,jepréfèreêtreseulepourentendreleverdict.Quandj’entredanslapièce, leDrChaseselève.Ilressembleparfaitementauxphotosquej’ai

vuesdeluisurInternet:unhommeblancetâgé,avecdescheveuxgrisetdebeauxyeuxnoirs.Ilmeregardeavecunmélangedesympathieetdecuriosité.Ilm’inviteàm’asseoiretattendquejem’exécutepourseréinstallerlui-mêmesursonfauteuil.–Votrecas…,commence-t-ilavantdes’interrompre.Ilestnerveux,aussijelerassure:–Vouspouvezyaller;jesaisdéjà.Ilouvreundossiersursonbureauetsecouelatête,commesicesrésultatsétaientunevéritable

énigme.–J’aianalysécesdonnéesplusieursfois.J’aidemandéàmescollèguesdevérifiersi jeneme

trompaispas.Vousn’êtespasmalade,mademoiselleWhittier.Ilsetait,attendantmaréaction.J’opineduchefenrépétant:–Jelesaisdéjà.–L’infirmièreCarlaFloresm’adécritvotresituation.Ilfeuilletteattentivementquelquespagesdeplus,hésitantàm’endiredavantage.–En tantquemédecin,votremèrenepouvaitpas l’ignorer.LeDICSestunemaladie rare,qui

peutprendredemultiplesformes,jel’admets,maisvousneprésentezaucun–jedisbienaucun–dessymptômeshabituelsdecettemaladie.Touteslesrecherches,touslestestsauxquelselleauraitpuvoussoumettrel’auraientconfirmé.Lesmursde lapièceautourdemoi s’effondrent, et jeme retrouvedansunpaysage toutblanc,

sansaucunrepère,sicen’estunemultitudedeportess’ouvrantsurlenéant.Jerecouvremesespritspourconstaterquelemédecinmedévisage,l’aird’attendreuneréponse.

Jeluidemande:–Excusez-moi…Vousavezditquelquechose?–Oui.Quevousdeviezsûrementvouloirmeposerdesquestions…?–Pourquoisuis-jetombéemaladeàHawaï?–Tout lemonde tombemalade,Madeline.Lesgensnormaux, enbonne santé, tombentmalades

trèsrégulièrement.–Maismoncœurs’estarrêté…–Eneffet.Jepensequec’étaitunemyocardite.J’aidiscutéaveclemédecinquivousasuivieà

Hawaï. Elle en est arrivée à lamême conclusion. Il y a longtemps, vous avez dû contracter uneinfectionviralequiaaffaiblivotrecœur.Est-cequevousavezressentidesdouleursàlapoitrineouunessoufflementlorsdevotreséjourlà-bas?–Oui,dis-jeenmeremémorantlescontractionsdemoncœur,quej’avaisdélibérémentignorées.–Çasemblecorroborerl’hypothèsedelamyocardite.Commejen’aiplusdequestionsàposer–plusàlui,entoutcas–,jemelève.–Mercibeaucoup,docteurChase.Luiaussiselève,visiblementperturbéetencoreplusnerveuxquetoutàl’heure.–Justeunechoseavantquevouspartiez…Jemerassois.–Étantdonné les conditionsdans lesquellesvousavezgrandi,votre système immunitaire reste

incertain.–Qu’est-cequeçaveutdire?–Qu’ilestsansdoutesous-développé,commeceluid’unbébé.–D’unbébé?– Oui. Pendant toute votre vie, votre système immunitaire n’a été exposé à aucun virus ou

infectionbactériennecommuns.Iln’apaseul’occasiond’apprendreàlescombattre.Iln’apaspuserenforcer.–Donc,jesuistoujoursmalade?Ilserenfoncedanssonfauteuil.–Jen’aipasvraimentderéponseàcettequestion.Nousavançonsenterraintotalementinconnu.

Jen’aijamaisentenduparlerd’uncassimilaireauvôtre.Ilestpossiblequevoustombiezmaladeplussouventquedespersonnesdotéesd’unsystèmeimmunitairesain,etque,quandcelaarrive,vossymptômessoientplusgravesqueceuxdesautres.–Commentpeut-onlesavoir?–Onnelepeutpas.Jevousrecommandedoncd’êtreprudente.Nousprévoyonsdenousvoir toutes les semaines. Ilme conseille de commencer à explorer le

mondedoucement:pasdebaindefoule,pasdenourritureétrangère,pasd’effortphysiqueintense.–Lemondenevapassesauver,conclut-il.

APRÈSLAMORT

Jepasselesjourssuivantsàchercherdesinformations,n’importequoiquipuissem’éclairersurcequim’estarrivéetcequiestarrivéàmamère.Jeveuxreconstituernoirsurblanclejournaldeses pensées. Je veux dessiner au plus près les contours de sa folie, pour pouvoir retracer sonhistoireetlamienne.Jeveuxdesdétailsetdesexplications.Jeveuxsavoirpourquoi,pourquoietencorepourquoi.Jedoissavoircequiestarrivé,etcen’estpasellequipourrameledire.Elleesttropanéantie.Et,mêmesielleyparvenait,qu’est-cequeçachangerait?Est-cequejepourraislacomprendre?Commentconcevoirl’abîmedechagrinetdepeurquil’apousséeàmevolermavie?D’après leDrChase,elleabesoind’une thérapie. Ilpensequ’il lui faudra longtempsavantde

pouvoirmeraconterexactementcequis’estpassé,sielleyarriveunjour.Ilcroitqu’elleasombrédansunesorted’énormedépressionnerveuseàlamortdemonpèreetdemonfrère.Carla utilise tous les moyens en son pouvoir pour me dissuader de quitter la maison. Pas

seulementpourmamère,maisaussipourmoi.Masantéresteincertaine.Je voudrais écrire à Olly, mais ça fait si longtemps…Et puis, je lui ai menti. Et puis, il est

probablementpasséàautrechose. Il a sansdoute rencontréquelqu’un. Jenesuispas sûreque jepourraissupporterdesouffrirdavantage.Etpuis,qu’est-cequej’écrirais?Quejenesuis(presque)plusmalade?Finalement,Carlaréussitàmeconvaincrederesteravecmamère.Jesuisunemeilleurepersonne

quecequejepense,dit-elle.Moi,jen’ensuispascertaine.Cellequej’étaisavantdedécouvrirlavéritéestmorte.

UNESEMAINEPLUSTARD

PremièrevisitehebdomadairechezleDrChase.Ilmeconseilleencored’êtreprudente.J’installeunverrouàlaportedemachambre.

DEUXSEMAINESPLUSTARD

TROISSEMAINESPLUSTARD

Mamèreessaied’entrerdansmachambre,maislaporteestverrouilléedel’intérieur.Elles’enva.Jefaisdesbrouillonsd’e-mailspourOlly,quejen’envoiepas.LeDrChasecontinuedemerecommanderlaprudence.

QUATRESEMAINESPLUSTARD

Jepeinschaquemurdemachambred’unecouleurdifférente.Celuide la fenêtredevient jaunepâle.Mesétagèresprennentlacouleurd’uncoucherdesoleilquicontrastesurlemurbleucanard.Celuiderrièrelatêtedulitestlavande,etjerecouvreledernierd’unepeinturepourtableaunoir.Mamèrefrappeàlaporte;jefaissemblantdenepasl’entendre.Ellerepart.

CINQSEMAINESPLUSTARD

Jecommandedevraiesplantespourlavéranda.J’arrêtelesfiltresàairet j’ouvrelesfenêtres.J’achètecinqpoissonsrouges,quejenommetousOllyetquejelâchedansleruisseau.

SIXSEMAINESPLUSTARD

LeDrChasetrouvequ’ilesttroptôtpourm’inscrireaulycée:tropd’ados,porteursdetropdemaladies. Carla etmoi le persuadons d’autoriser certains demes profs particuliers àme rendrevisite,dumomentqu’ilssontenbonnesanté.Ilestréticent,maisfinitpardonnersonaccord.

LAMAMANDEMADELINE

DESFLEURSPOURALGERNON

Une semaine plus tard, Carla etmoi regardonsM.Waterman qui traverse le jardin jusqu’à savoitureetdémarre.Avantqu’ilparte, je l’ai enlacé. Il aeu l’air surpris,mais iln’apasposédequestion;ils’estcontentédeselaisserfaire,commesic’étaitlachoselaplusnaturelledumonde.Je reste dehors quelques minutes après son départ. Carla m’attend. Elle essaie de trouver la

manièrelaplusgentilledebrisermoncœurdéjàbrisé.–Ehbien…Jesaiscequ’ellevadire.Ellecherchesesmotsdepuiscematin.–S’ilteplaît,Carla,nemelaissepas.J’aiencorebesoindetoi.Jesenslepoidsdesonregardsurmoi,maisl’affronterestau-dessusdemesforces.Ellenetentepasdemecontredire.Ellemeprendjustelamain.–Situasvraiment,vraimentbesoindemoi,jereste,affirme-t-elleenétreignantmesdoigts.Mais

jenecroispasquetuaiesbesoindemoi.–J’auraitoujoursbesoindetoi.Jenefaisaucuneffortpourretenirmeslarmes.–Maispascommeavant…,réplique-t-elledoucement.Ellearaison,biensûr.Jen’aiplusbesoinqu’ellesoitlàhuitheuresparjour.Jen’aiplusbesoin

qu’ellesoitauxpetitssoinsavecmoi.Seulement,qu’est-cequejevaisdevenirsanselle?Meslarmessemuentenénormessanglots,etellemeprenddanssesbras,meberçantjusqu’àce

quemespleurss’épuisent.–Qu’est-cequetuvasfaire?Elleessuiemonvisageavecsesdeuxmains.–Jevaispeut-êtreretournertravaillerenhôpital.–Tul’asditàmaman?–Oui,cematin.–Qu’est-cequ’ellearépondu?–Ellem’aremerciéedem’êtreoccupéedetoi.Jenecachepasmonagacement.Ellem’attrapelementon.–Ilvafalloirquetutrouvesdanstoncœurlaforcedeluipardonner.–Cequ’elleafaitestimpardonnable.–Elleétaitmalade,mapuce.Elleesttoujoursmalade.

Jesecouelatête.–Ellem’aprivéedetoutemavie.Encoremaintenant,chaquefoisquejepenseàtoutescesannéesperdues,j’ail’impressiond’être

aubordd’unénormegouffre,danslequeljepourraistombersansplusjamaisréussiràremonter.D’uncoupdecoude,Carlamerappelleàlaréalité.–Non,pastoutetavie.Tuaspleindechosesàvivremaintenant.Nous rentrons dans la maison. Je la suis partout, je la regarde emballer ses affaires pour la

dernièrefois.Jeluidemande:–TuasfiniparlireDesfleurspourAlgernon?–Oui.–Tuasaimé?–Non.Cen’estpasmonstyledelivre.Pasassezd’espoir.–Çat’afaitpleurer,hein?Ellesecouelatête,avantd’avouer:–Oui,bon…commeunbébé.Etnouséclatonsderiretouteslesdeux.

LECADEAU

Unesemaineplustard,mamèrefrappeàmaporte.Jenebougepasdemoncanapé.Elleinsiste,etmarancœurredouble.Jenecroisvraimentpasquenouspuissionsnousenremettre.Jenevoispascomment je pourrais lui pardonner alors qu’elle n’a même pas conscience de la gravité de soncrime.J’ouvrelaporteàlavoléealorsqu’elles’apprêteàfrapperdenouveau.–Cen’estpaslemoment,dis-je.Elle sursaute,mais çam’est égal. Je veux lui faire dumal, encore et encore.Ma colère n’est

jamais très loin.Jem’attendaisàcequ’ellediminueavecle temps,maisnon,elleest toujours là,justesouslasurface.Mamèrerespireungrandcoupavantdelancer,d’unepetitevoixgênée:–Jet’aiapportéquelquechose.Jelèvelesyeuxauciel.–Tucroisqu’uncadeauvatoutarranger?Je sais que je viens encore de la blesser.Le cadeau tremble entre sesmains. Je le prends, ne

serait-cequepourmettreunpointfinalàcetteconversation.Jeneveuxpasêtreavecelle,jeneveuxpas ressentir pour elle de la pitié, ou de l’empathie, ou de la compassion, ou quoi que ce soitd’autre.Elles’apprêteàpartir,puiss’arrête.–Jet’aimetoujours,Madeline.Ettoiaussi,tum’aimestoujours.Tuastoutelaviedevanttoi.Ne

lagaspillepas.Pardonne-moi.

LEDÉBUTDELAFIN

J’ouvrelecadeaudemamère.C’estuntéléphone.Ils’allumesuruneapplicationmétéoquidonnelesprévisionspourlasemaine:clairetensoleillétouslesjours.Ilfautquejesortedelamaison.Unefoisdehors,jenesaisoùjevaisqu’unefoisquej’ysuis.L’échelled’Ollyesttoujourslàoùil

l’alaissée.Jemontesurletoit.Leplanétaireest toujours là, luiaussi,et toujoursaussibeau.Lespetitessphèresenaluminium

oscillentdansl’airenrenvoyantàl’universlesrayonsdusoleil.Jedonneunechiquenaudeàl’unedesplanètes,etlesystèmeentiersemetàtournerdoucement.JecomprendsalorspourquoiOllyl’afabriqué.C’est apaisant d’englober lemonde entier d’un seul coup d’œil, de percevoir comments’agencentsesdifférentséléments.Nes’est-ilpasséquecinqmoisdepuisladernièrefoisquejesuismontéeici?J’ail’impression

qu’ils’estécouléunevieentière,oumêmeplusieursvies.Etlafillequiétaitlà,était-cevraimentmoi?Qu’ai-jeencommunaveccetteMaddydupassé,sicen’estuneforteressemblancephysiqueetlemêmenom?Quand j’étaispetite, l’unedemesactivités favorites consistait à imaginerd’autresversionsde

moi dans des univers parallèles. Parfois j’étais une fille de la campagne aux joues roses,mâchouillantdes fleurs et courant sur le flancdes collines surdeskilomètres.Parfois j’étaisuneespècederisque-toutcarburantàl’adrénaline,adeptedesautenparachuteetdeFormule1.Oubienj’étais une pourfendeuse de dragons dans une cotte de maille, sabre au clair. C’était amusantd’imaginertoutesceschosesparcequ’enréalitéjesavaisquij’étais.Aujourd’hui,jen’ensaisplusrien.Danscenouveaumonde,j’ignorecequej’incarne.J’essaiederetrouveravecprécisionlemomentoùtoutabasculé.Lemomentquialancémavie

sur cettevoie.Est-ce lamort demonpère et demon frère, ou est-ceque çadate encored’avantcela ? Est-ce lorsqu’ils sontmontés dans cette voiture, ce jour-là ? Est-ce la naissance demonfrère ? Ou alors la rencontre entre mon père et ma mère ? Peut-être n’est-ce aucun de cesévénements.Ou bien lemoment où le chauffeur du camion a cru qu’il était assez en forme pourconduire?Ouavant,quandiladécidédedevenirchauffeurdepoidslourds?Ouquandluiestné?Oun’importelequeldesinnombrablesmomentsquiontmenéàcelui-ci.Alors, si je pouvais changer l’un d’eux, lequel choisirais-je ? Est-ce que celame permettrait

d’obtenir le résultat voulu ? Et ainsi, serais-je encore moi-même ? Aurais-je habité dans cettemaison?UngarçonnomméOliveraurait-ilemménagéàcôté?Serions-noustombésamoureux?D’aprèslathéorieduchaos,lemoindrepetitchangementdansunesituationinitialepeutproduire

lesconséquences lesplus folleset lesplus inattendues.Lebattementdesailesd’unpapillonpeutprovoquerunouragan.Etpourtant…J’aienviedecroireque,si jetrouvaiscemomentdécisif, jepourraisledisséquermorceaupar

morceau, molécule par molécule, jusqu’au noyau atomique, jusqu’à sa partie primordiale. Si jeréussissaisàledisséqueretlecomprendre,alorsjepourraisprovoquerexactementlechangementqu’ilfaut.Jesoigneraismamèreoujeferaisensortequ’ellen’aitjamaisétébrisée.Je comprendrais comment j’ai réussi àm’asseoir sur ce toit au début et à la fin de toute cette

histoire.

IMPARFAITDUFUTUR#2

De:MadelineF.WhittierÀ:[email protected]:Futurantérieur#2Envoyéle:10mars,19:33

Quandtulirascemail,tum’auraspardonné.

DÉCOLLAGE

PARDON

Par le hublot, je distingue des kilomètres et des kilomètres de verdure découpés en carrésparfaits.Desdizainesdebassinsd’unbleu-vertindéfinissabledontlespourtoursscintillent.Vudelà-haut,lemondesembledélibérémentordonné.Mais je saisqu’il estbienplusquecela.Oubienmoins. Il està la fois structuré et chaotique.

Magnifiqueetbizarre.

LeDrChasenevoyaitpasd’unbonœilmadécisiondeprendrel’avionsivite.Maisn’importequoipeutarrivern’importequand.Lasécuriténefaitpastout.Etilnesuffitpasd’êtrevivantpourvivre.Jedoisreconnaîtrequemamèren’arienfaitpourm’empêcherdepartirquandjeluienaiparlé

hier soir. Elle a ravalé sa peur bien qu’elle ne soit toujours pas convaincue que je ne suis pasmalade. Son cerveau de médecin s’efforce de concilier ce qu’elle croit depuis toujours et lespreuvesapportéespartouscesdocteursettouscesexamens.J’essaiedememettreàsaplace;aulieu d’aller des causes aux effets, j’essaie de remonter la piste des effets pour comprendre lescauses.Jeretourneenarrière,encoreetencore,pourfinirtoujourssurlamêmeconclusion.L’amour.L’amourrendfou.Etleperdrerendfou.Mamèreaimaitmonpère.C’étaitl’amourdesavie.Etelleaimaitmonfrère.L’autreamourdesa

vie.Etellem’aime.Encorel’amourdesavie.L’univers luiaprismonpèreetmonfrère.Pourelle,c’était leBigBangà l’envers : tout,puis

plusrien.Jepeuxlecomprendre.Enfin…presque.J’essaie,entoutcas.–Quandcomptes-turentreràlamaison?a-t-ellejustedemandé.J’airépondulavérité:–Jenesuispassûrequecesoitencoremamaison.Elleapleuré,maisnem’apasempêchéedepartir,cequin’estdéjàpassimal.

Lesnuagesdeviennenttropépaispourquejepuissevoirquoiquecesoit.Jem’enfoncedansle

fauteuiletrelisLePetitPrince.Commeàchaquenouvellelecture,lesensmesembleavoirchangé.

LAVIEESTCOURTE

(OULARUBRIQUEDUSPOIL,PARMADELINE)

LePetitPrince,d’AntoinedeSaint-Exupéry

Attention,spoiler:L’amourcompteplusquetout.

Vraimenttout.

DANSCETTEVIE

Mêmeà9heuresunsamedimatin,NewYorkestaussibruyanteetbondéequ’onledit.Lesruessontpleinesdevoituresavançantaupasetklaxonnant.Les trottoirsgrouillentdegensqui évitentd’un cheveu de se percuter, comme si leurs mouvements étaient chorégraphiés. De la banquettearrièredutaxi,jemelaisseabsorberparlesbruitsetlesodeursdelaville.J’ouvregrandlesyeuxpouryfaireentrertoutcenouveluniversquejedécouvre.Jen’aipasprévenuOllydeceque jemanigançais, justequ’uncadeau l’attendait à la librairie

d’occasionsituéeprèsdechezlui.J’ai imaginé nos retrouvailles pendant toute la durée du vol. Dans chacun des scénarios, on

s’embrassaitdanslestrentepremièressecondes.Le taxi me dépose devant la librairieAu Vieux Bouquiniste. Je pousse la porte et je devine

aussitôtquejevaispasserbeaucoupdetempsici.Le magasin n’est composé que d’une seule pièce, couverte du sol au plafond d’étagères qui

croulent sous les livres et faiblement éclairée par des petits spots courant le long de chaquerayonnage. L’air est chargé d’une odeur que je ne lui aurais jamais imaginée : il sent le vieux,commes’ilétaitenferméicidepuistrèslongtemps.J’aiunquartd’heuredevantmoiavantqu’Ollyarrive.Jeparcourslesallées,bouchebéedevant

touscesouvrages.J’aienviedetouslestoucher.D’ajoutermonnomàlalistedesgensquilesontlusavantmoi.Jepromènemondoigtsurleurdos.Certainssontsiabîmés,siusésparletempsqu’onadumalàdéchiffrerletitre.Jeregardemontéléphone:ilestpresquel’heure.Jemedirigeversleboutdel’alléedesromans

commençantparS-U,etjemecache.Mespapillonssontderetour.Uneminuteplustard,jelevoisquimarchedoucementenexaminantlesrayonnages.Ses cheveux ont poussé. De grandes boucles indisciplinées adoucissent l’expression de son

visageanguleux.Ilneporteplusseulementdunoir.Enfin…sonjeanetsesbasketssontnoirs,maissonT-shirtestgris.Etj’ail’impressionqu’ilagrandi.Aprèstoutcequej’aivécucesdernièressemaines(lesadieuxàCarla,mondépartcontrel’avis

duDrChase,madécisiond’abandonnermamèreàsa tristesse), c’estdevoirOlly si changéquiprovoqueenmoilaplusgrandepanique.J’ignorepourquoijem’attendaisàleretrouverexactementpareil.Aprèstout,j’aichangé,moiaussi.Ilsortsontéléphonepourreliremesinstructions.

Il range son téléphone et reporte son attention sur les étagères. J’ai placé le livre bien enévidence,devanttouslesautres,pourqu’ilvoielacouvertureàcoupsûr.Etçamarche.Saufqu’aulieudeleprendre,ilmetlesmainsdanssespochesetlefixeduregard.Ilyaquelquesjours,devantleplanétaire,jem’interrogeaissurlemomentdécisifquiavaitfait

empruntercecheminàmavie.Celuiqui répondaitàcettequestion :Commentensuis-jearrivéelà?Maisiln’yapasqu’unseulmoment.Ilyenatouteunesérie.Etvotreviepeutpartirdansdes

centainesdedirectionsdifférentes.Peut-êtreexiste-t-il desversionsdevotrevie correspondant àtousleschoixquevousavezfaitsettousceuxquevousn’avezpasfaits.Peut-êtreexiste-t-iluneversiondemavieoùjesuisbeletbienmalade,finalement.EtuneautreoùjemeursàHawaï.Une autre encore oùmonpère etmon frère survivent à leur accident, et oùmamère n’est pas

détruite.Ilyapeut-êtremêmeuneversiondemaviesansOlly.Maiscen’estpascelle-ci.Enfin,ilsortlesmainsdesespoches,prendlelivresurl’étagèreetcommenceàlefeuilleter.Ila

unlargesourireetnepeuts’empêcherdesautillersurplace.Jequittemacachetteetremontel’alléeverslui.

Sonsourireestlameilleureraisondevivre.–J’aitrouvétonlivre,dit-il.

FIN

REMERCIEMENTS

Si vous êtes toujours là, à lire ces remerciements, c’est que vous êtes un lecteur vraimentconsciencieux.Et, en tant que lecteur consciencieux de romans (et de leurs remerciements), voussavezqu’ilsnejaillissentpasenblocducerveauconfusdeleursauteurs.Toutd’abord, jevoudrais remerciermamère,quia toujours rêvédegrandeschosespournous

deux. Non, Oprah ne m’a pas encore sélectionnée pour son cercle de lecture, maman. Mais çapourraitarriver!Quandj’étaisenfant,enJamaïque,monpèreécrivaitdescritiquesdefilmspourunjournallocal.

Jetrouvaiscela(l’écriture)etletrouvaislui(monpère)parfaitementcools.Jeleremerciedoncdem’avoirmontréqu’il étaitpossibled’écriredeschosesprovenantdenotre tête et susceptiblesdetoucherlesgens.Jemedoisaussideremercierlesmembresdel’atelierd’écritureetdepicoledujeudisoir,àla

faculté d’Emerson. Vous vous reconnaîtrez, n’est-ce pas ? Vous êtes ma première familled’écrivains, et quels écrivains talentueux, déments (et parfois sobres) vous êtes ! Je voudrais enparticulierremercierWendyWunderpoursagénérosité,sonhumour,etluiassurerqu’elleestl’undesmeilleursauteursquejeconnaisse.Merci également à Joelle Hobeika, Sara Shandler, Natalie Sousa et Josh Bank de Alloy

Entertainment. Vous avez amélioré ce livre à tous points de vue. Mention spéciale pour Sara,véritable petit génie, et Joelle (tout aussi géniale) pour m’avoir fait rire et réconfortée, mêmelorsqu’ellemetendaitdouzepagesrectoversoeninterlignesimpledenotesderévision.Etpuis,ilyaWendyLoggia.Avecuneéditricecommevous,j’aivraimenttirélegroslot.Merci

pourvotrevision,votrepassionetvotregentillesse.Vousavezcruencelivredèslespremiersmots,etcelavauttoutl’ordumonde.Merciàvousetàtoutel’équipedeDelacorted’avoirréalisémonrêveleplusgrand,leplusvieuxetleplusfou.Enfin,àmonmari,DavidYoon,mercid’avoirdessinétoutesceschosesmerveilleusesàquatre

heuresdumatin,entreunbisouetuncafé.Mercipour tout.L’amour.L’aventure.Lafamille.Cettevie.Jet’aime.

Tuasaiméceroman?Découvres-end’autres

surwww.bayard-editions.com!

Henryàtoutprix

deKerryCohenHoffmann

Traduitdel’anglais(États-Unis)parPascaleJusforgues

ZoéaimeHenry.MaisHenryquitteZoé.ZoéveutreconquérirHenry.Àtoutprix.

ZoéetHenrysontensembledepuissixmois,lorsquelejeunehommeluiannoncequ’ilsouhaite

mettre un terme à leur histoire : il s’estime trop jeune pour vivre une relation amoureuse suivie.Henryveutconsacrer son temps libreà jouerà laguitareauseinde songroupede rock.Sous lechoc,Zoénepeutserésoudreàcetteruptureetdécidederegagnerl’amourd’Henry.Aidéedesesdeuxmeilleuresamies,ellemetenplaceunestratégiede«reconquête»….

Quandvientl’orage

deMarie-HélèneDelval

Ilestdeslégendesquijamaisnes’éteignent.

Que faire quand on est coincé pour les vacances dans un petit village demontagne, entre desparentsquinecessentdesedisputer,etimmobiliséparuneméchanteentorse?Antoinedécided’enprofiterpoursemettreàl’écritured’unroman–fantastique,biensûr, legenrequ’ilpréfère !Unelégende locale lui fournit le début de son intrigue : l’histoire de deux cavaliers que l’on entendgaloper les nuits d’orage, et d’une mystérieuse jeune fille, morte depuis neuf siècles, qu’il fautpourtantprotéger…Mais on devrait se méfier des histoires qui survivent au passage du temps. Car elles ont le

pouvoird’envoûterlesgarçonsdeseizeans,aupointdelesconduiresurdescheminsdangereux…

TalithaRunningHorse

d’AntjeBabendererde

Traduitdel’allemandparVincentHaubtmann

TalithaRunningHorseestdifférentedesautresIndienslakotasdelaréserve:elleestmétisseetvitavecsonpèredansunecaravane.Samère,uneBlanche,lesaabandonnéquandelleétaitpetite.Malgré tout, Talitha est heureuse : elle a une amie chère, elle aime dessiner et, surtout, elle estpassionnéeparleschevaux.Or,lesnouveauxvoisinsdesatanteontunpetitélevaged’Apaloosas.Talithaseprendd’affectionpourunpoulain,qu’ellebaptiseStormy.EtelletombesouslecharmedeNeilThunderhawk,lefilsdupropriétaire…Mais,lorsquelacaravanedesonpèreestdétruite,toutelaviedeTalithabascule…

ÀtraversleportraitdeTalitha,unejeunemétissecourageuse,l’auteurdeLuneindiennenous

parledelaviedesIndienslakotasd’aujourd’hui,deleurstraditions,etdulienparticulierquilesunitauxchevaux…

Lesjumeauxdel’Îlerouge

deBrigittePeskine

CléaetBrice,desjumeauxnésàMadagascar,ontétéadoptésparuncoupledeFrançais.Seize

ans plus tard, si Brice semble bien dans sa peau, Cléa ne sait plus où elle en est : hostile,malheureuse,révoltéeparleracismedontellesesentvictime,elleinquiètesesparentsaupointqueceux-cidécident,commeunedernièretentativepourl’aideràsurmontersonmal-être,del’envoyeravecsonfrèrepasserl’étéaupaysdesanaissance.

Un roman initiatique et épistolaire poignant mais aussi un plaidoyer pour les jumeaux de

Mananjary,àMadagascar,considéréscomme«maudits»,etencoreaujourd’huimisaubandeleurcommunauté.