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PROCEDURE D’ADMISSION EN MASTER Lundi 23 février 2015 NOTE DE SYNTHESE – SUJET 2 durée de l’épreuve : 4 heures Ce sujet comporte 20 pages, y compris celle-ci. Veuillez vérifier que vous avez bien toutes les pages. En cas d'anomalie, avertissez le surveillant. Vous devez traiter les 2 exercices A et B. A/ A partir des documents suivants et de vos connaissances, vous rédigerez une note de synthèse sur les enjeux sociaux et juridiques des nouvelles formes de parentalité (16 points). LISTE DES DOCUMENTS Document 1 Approche notionnelle, Xavier Molenat, Sciences Humaines, N°232 Décembre 2011 et Julien Damon, Sciences Humaines, N° 203 Avril 2009 Document 2 Qu’est-ce qui fait famille aujourd’hui ? Michel Billé, sociologue CNDPF (Carrefour National des Délégués aux prestations familiales), Paris 2013 Document 3 Comment devenir parent ? Un métier qui ne va plus de soi Xavier Molenat, Sciences Humaines, N°232 Décembre 2011 Document 4 Redonner confiance : le soutien à la parentalité, Xavier Molenat, Sciences Humaines, N°232 Décembre 2011 Document 5 Le mariage pour tous est-il « straight » ? Tribune de Bruno Perreau, Libération, 4 octobre 2012 Document 6 Loi ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe Portail du Ministère de la Justice Document 7 Deux mères = un père ? Tribune de Sylviane Agacinski, Le Monde, 3 février 2013 Document 8 La filiation doit évoluer Tribune d’Irène Théry, Le Monde, 11 février 2013 Document 9 Proposition de Résolution relative à la GPA émanant de parlementaires Enregistrée à la Présidence de l’Assemblée nationale le 12 septembre 2014 1/20

PROCEDURE D’ADMISSION EN MASTER Lundi 23 février 2015 · 2015-05-06 · PROCEDURE D’ADMISSION EN MASTER Lundi 23 février 2015 NOTE DE SYNTHESE – SUJET 2 durée de l’épreuve

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PROCEDURE D’ADMISSION EN MASTER Lundi 23 février 2015

NOTE DE SYNTHESE – SUJET 2

durée de l’épreuve : 4 heures

Ce sujet comporte 20 pages, y compris celle-ci. Veuillez vérifier que vous avez bien toutes les pages. En cas d'anomalie, avertissez le surveillant.

Vous devez traiter les 2 exercices A et B.

A/ A partir des documents suivants et de vos connaissances, vous rédigerez une note de synthèse sur les enjeux sociaux et juridiques des nouvelles formes de parentalité (16 points).

LISTE DES DOCUMENTS

Document 1 Approche notionnelle, Xavier Molenat, Sciences Humaines, N°232 Décembre 2011 et Julien Damon, Sciences Humaines, N° 203 Avril 2009

Document 2 Qu’est-ce qui fait famille aujourd’hui ? Michel Billé, sociologue

CNDPF (Carrefour National des Délégués aux prestations familiales), Paris 2013 Document 3 Comment devenir parent ? Un métier qui ne va plus de soi

Xavier Molenat, Sciences Humaines, N°232 Décembre 2011 Document 4 Redonner confiance : le soutien à la parentalité,

Xavier Molenat, Sciences Humaines, N°232 Décembre 2011 Document 5 Le mariage pour tous est-il « straight » ?

Tribune de Bruno Perreau, Libération, 4 octobre 2012 Document 6 Loi ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe Portail du Ministère de la Justice Document 7 Deux mères = un père ?

Tribune de Sylviane Agacinski, Le Monde, 3 février 2013 Document 8 La filiation doit évoluer

Tribune d’Irène Théry, Le Monde, 11 février 2013 Document 9 Proposition de Résolution relative à la GPA émanant de parlementaires Enregistrée à la Présidence de l’Assemblée nationale le 12 septembre 2014

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Document 10 Et le Conseil d’Etat autorisa de fait la GPA en France François Martin, Atlantico, décembre 2014 Document 11 La Saine Famille Michel Serres, Revue Etudes, Février 2013 Document 12 Scène de la vie conjugale au XIXème siècle, (Victorien Sardou en famille) Auguste de Brély (Paris, musée de la Vie romantique) B/ Question : Que vous inspire ce tableau d’Auguste de Brély (document 12, page 20) ? (4 points)

Document 1 Approche notionnelle, Xavier Molenat, Sciences Humaines, N°232 Décembre 2011 et Julien Damon, Sciences Humaines, N° 203 Avril 2009

N°232 Décembre 2011

Parentalité : un concept déjà ancien

Devenu à la mode au cours des années 1990, le concept de parentalité est pourtant apparu dès la fin des années 1950 en sciences humaines. Son histoire et la diversité de ses usages soulignent les multiples dimensions de la transformation contemporaine du statut de parent. PSYCHANALYSE : devenir parent, un processus On considère généralement que la « mère » du concept de parentalité est la psychanalyste américaine Therese Benedek. En 1959, dans un article intitulé « Parenthood as a developmental phase », elle met en évidence que l'accès au statut de parent est une étape du développement de la personnalité au même titre que l'adolescence, et fonctionne selon les mêmes processus. L'un des intérêts de ce travail est de ne pas faire intervenir la question du genre: pères et mères sont concernés au même titre. La notion de parentalité est traduite et reprise par le psychiatre français Paul-Claude Racamier dès 1961, mais ne suscitera guère d'intérêt avant les années 1990-2000. ETHNOLOGIE : l'éclatement des fonctions parentales En ethnologie, Esther Goody distingue dès 1982 (Parenthood and Social Reproduction, Cambridge University Press) cinq composantes de la parentalité : concevoir et mettre au monde, donner une identité à la naissance, nourrir, éduquer et garantir l'accès de l'enfant au statut d'adulte (par le mariage ou le travail). À partir d'études de terrain au Ghana, elle montre comment ces fonctions peuvent être concentrées sur les géniteurs ou bien dispersées parmi un grand nombre d'individus et de lieux (parenté proche ou lointaine, placement chez un patron...). Plus récemment, Maurice Godelier proposait de définir la parentalité comme « l'ensemble culturellement défini des obligations à assumer, des interdictions à respecter, des conduites des attitudes, des sentiments et des émotions, des actes de solidarité et des actes d'hostilité qui sont attendus ou exclus de la part d'individus qui (...) se trouvent, vis-à-vis d'autres individus, dans des rapports de parents à enfants (Métamorphoses de la parenté, Fayard, 2004)», ce qui inclut les parents directs, par alliance, par adoption...

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SOCIOLOGIE: familles plurielles, familles quand même Dans les années 1970, les chercheuses féministes parlent (déjà !) de « famille monoparentale » pour désigner les foyers où les mères élèvent seules leurs enfants (que les Britanniques qualifiaient de « one-parent families »). L’optique est clairement militante: il s'agit d'éviter les qualifications stigmatisantes (« fille-mère », « mère célibataire »), et de montrer que ce sont des familles à part entière. Le terme « parentalité » se généralise à l'orée des années 1990 pour nommer des situations familiales précaires (Vincent de Gaulejac et Nicole Aubert, Femmes au singulier ou la parentalité solitaire, 1990), puis se décline au fur et à mesure que s'inventent de nouvelles manières de faire famille: pluriparentalité, homoparentalité ... N° 203 Avril 2009 – Les mots qui comptent Régulièrement, de nouveaux mots surgissent dans les débats d'idées et de société. Ils se répandent comme une traînée de poudre à travers revues et médias. En s'appuyant sur les statistiques de l'AFP, Julien Damon analyse chaque mois l'un de ces top ten de notre vocabulaire.

Le sens de l'expression omniprésente « parentalité » n'est jamais bien défini. Parfois présentée comme « l'art » d'être parent, la parentalité est dans certains cas synonyme de « fonction parentale » ou de parenté. Dans d'autres cas, la parentalité est formellement distinguée des rapports entre ascendants, des relations de consanguinité et des liens de filiation. On ne commence véritablement à s'inquiéter de « parentalité » qu'à partir de 1997, dans des analyses relatives aux rôles des pères, dans des débats portant sur les couples homosexuels et dans des controverses concernant les parents de délinquants. C'est en particulier en raison du développement d'initiatives visant à « soutenir la parentalité » que le terme s'est affirmé. Aujourd'hui la parentalité semble s'être bien implantée, seule ou avec ses trois principaux préfixes: mono, homo et co. La coparentalité (équivalent de « parité parentale ») donne d'ailleurs lieu à des propositions d'évolution du droit de la famille, notamment pour ce qui relève de l'autorité parentale. Celle-ci devrait pouvoir toujours être exercée par les deux parents, même si ceux-ci sont séparés et dispersés aux seins des nouvelles constellations familiales. D'extraction démographique, le néologisme « parentalité » prend ainsi peu à peu pied dans le droit.

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Document 2 Qu’est-ce qui fait famille aujourd’hui ? Michel Billé, sociologue CNDPF (Carrefour National des Délégués aux prestations familiales), Paris 2013

Qu'on s'en réjouisse ou qu'on le déplore, ce qui structurait et soudait l'unité familiale a changé et continue à changer avec nous, malgré nous, mais nous sommes désormais impliqués dans des organisations familiales qui se structurent sur de nouvelles bases : -Le « toit » faisait la famille. Il y a longtemps que la famille ne tient plus à l'unité d'habitation. La décohabitation entre les générations est pratiquement devenue la règle et, même, elle n'est plus rare à l'intérieur du couple qui, parfois, ne met en commun qu'une partie du temps, soit pour des contraintes professionnelles soit par peur de l'usure de la vie commune, soit pour préserver une zone spécifique aux enfants issus d'un couple antérieur etc. -Le « nom » faisait famille. On était du même sang, on portait le même nom. Fierté, parfois ou gêne, au contraire, mais le nom (que l'on tenait du père et, par conséquent, du grand-père) scellait l'unité familiale, disait la descendance, la transmission, la lignée. Les noms sont multiples, (ils le seront sans doute de plus en plus, la loi le permet désormais) et ne disent plus grand chose de la nature des relations entre ceux qui habitent ou non sous le même toit et se considèrent de la même famille. -Le « droit » faisait famille. Droit coutumier ou droit formel, le contrat -de mariage- scellait l'unité familiale. Il y a déjà quelques temps que le mariage ne fait plus la famille, en tous cas n'est pas seul à la faire, et que le juge (des affaires familiales), en cas de conflit, remplace le contrat. (En 2005, 40 divorces pour 100 mariages.) -Le « sang » faisait la famille. Aujourd'hui les sangs sont multiples, mélangés, métissés, plusieurs sangs se côtoient dans les mêmes unités familiales. L'autre manière de dire le lien du sang était de dire que l'on était ou non du même lit… L'expression un peu triviale a du mal à parler d'amour mais les amours sont multiples, les partenaires peuvent l'être aussi ... Au-delà du toit, du nom, du contrat et du sang, ce qui fait famille est devenu le choix. Dans une famille tendanciellement élective, à provenances multiples, potentiellement, virtuellement indéfinie (et non pas réduite, comme on a souvent tendance à le croire) dans cette famille, je choisis de me relier à certains membres de ce réseau. Mais je ne peux me relier à tous, c'est tellement grand ... Choisir c'est renoncer. Je ne me relie donc, bon gré, mal gré, qu'à quelques-uns. Dans un réseau les connections sont toujours réversibles. Dans cette famille-là, elles le sont aussi; les liens sont a priori réversibles et ils se défont à défaut d'être activés, entretenus, cultivés. Cette famille est devenue incertaine, instable, mouvante, virtuelle, presque aléatoire. Les questions d'éducation sont ici immenses : comment apprendre à un enfant, à nos enfants et petits-enfants, à se relier aux autres ? A choisir les liens et à les cultiver? A se relier aussi avec les plus faibles, les plus pauvres, les moins enviables, les plus vieux? On sait depuis longtemps, avec plus ou moins de bonheur, imposer à un enfant une éducation à la contrainte, en tous cas par la contrainte, comment inventer l'éducation au choix, à la liberté vraie que nécessite cette nouvelle forme familiale? Sans doute faut-il souligner également quelques questions fondamentales qui trouvent, dans ces nouvelles formes familiales, des expressions elles aussi nouvelles: Qu'est-ce qu'être parent ? Père ou mère, quand le ciment conjugal a laissé la place au ciment filial? L'enfant est placé au centre de la famille, c'est au tour de lui qu'elle se construit, c'est lui qui en fonde la durée ? Qu'en est-il de la parentalité, de la paternalité d'enfants que l'on n'a ni engendré ni adopté ? De la même manière qu'en est-il de la maternalité ? Qu'en est-il de la beau-parentalité ? De l'homoparentalité ? Qu'est-ce que le lien de fraternité ? De quoi est-il fait s'il n'est fait ni de sang, ni de nom, ni même de toit ? La loi du 17 mai 2013 ouvre désormais le mariage à des couples de même sexe, étendant ainsi, de fait, le statut de famille à des situations qui en étaient jusque-là écartées. De nouvelles questions se posent alors quant à l'adoption d'enfants, l'assistance à la procréation, ou la gestation pour autrui... Décidément c'est bien ce qui fait famille qui se transforme. Quatre à cinq générations, place des personnes âgées. La structure familiale en réseau se complexifie encore si l'on y regarde les rapports intergénérationnels. En effet, pour la première fois dans l'histoire de l'humanité, nous voyons apparaître des édifices générationnels où se superposent quatre voire cinq générations : • l'aïeul 95 à 105 ans • les grands-parents 75 à 85 ans • les parents 50 à 60 ans • les enfants 25 à 30 ans • les petits-enfants 0 à 5 ans

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Cinq générations avec lesquelles il nous faut apprendre à vivre ... car si la volonté de développer les rapports entre les générations est évidemment sympathique, si idéologiquement, c'est une idée que l'on aime bien, il faut bien admettre pourtant que le contenu des relations, (contenu vrai, pas seulement déclaré) au-delà de trois générations n'est jamais gagné d'avance. Par ailleurs, il faut développer une attention particulière à la génération « pivot » de cet édifice : celle de 50 à 60 ans ... et en particulier à la femme de cette génération. C'est sur elle en effet que, pour des raisons essentiellement culturelles, repose l'édifice familial intergénérationnel. Elle donne sur tous les fronts dès que c'est nécessaire ... certes elle donne volontiers, mais il ne faudrait pas pour autant que l'on en profite trop ... Quand les familles se recomposent, sur le modèle du réseau, une constellation de membres potentiels de ce réseau se connecte ou se déconnecte, sur des logiques amoureuses, affectives, économiques, affinitaires, intéressées parfois, insoupçonnables souvent. Les ruptures de lien sont nombreuses, on le sait, on en souffre plus ou moins mais les liens nouveaux sont multiples, parfois durables, dans un univers familial caractérisé par l'éphémère et la réversibilité des situations. Sur cette « toile », se dessinent de nouvelles relations grand-parentales. De même que les parents sont de plus en plus nombreux à élever des enfants qu'ils n'ont pas « faits », du moins pas « faits ensemble », les grands-parents, de plus en plus nombreux, sont amenés, si l'on peut dire, à « adopter » des « petits-enfants » avec lesquels ils n'ont pas forcément de liens de parenté au sens où l'on comprenait, jusqu'à présent cette notion. Il faut ajouter à cela les situations désormais fréquentes que l'on pourrait qualifier de « beau-grand-parentalité ». En effet, les recompositions familiales créent des situations où, à l'intérieur d'un couple recomposé, l'un des deux devient grand-parent alors que l'autre n'a aucun lien de parenté réelle avec le bébé qui vient de naître. Voici donc le second, invité, de fait, à nouer une relation de type grand-parental simplement parce que son conjoint devient grand-parent. Il n'est pas sûr, d'ailleurs, qu'il accepte d' entrer sur cette scène-là, ne serait-ce que pour une question d'image de soi, d'âge ou de relation avec ses propres enfants qui peuvent être encore éloignés de la période où eux-mêmes vont avoir des enfants et vivraient assez mal de ne pas être, eux, à l’origine de ce nouveau statut de grands-parents pour leur propre père ou mère. On imagine ainsi les conflits de loyauté qui peuvent être vécus par les « beaux-grands-parents » dans leur « dynamique familiale propre », celle qui n'est pas en commun avec le membre du nouveau couple qu'ils ont formé. Mais on peut aussi imaginer et observer, d'ailleurs, des relations très positives qui s'établissent dans ces ensembles familiaux complexes où les places, rôles, statuts et attributions de chacun sont à inventer. Comment penser un lien qui libère plus qu'un lien qui entrave? « Familles ! Je vous hais ! Foyers clos, portes refermées, possessions jalouses du bonheur. » André Gide : Les nourritures terrestres. A quoi Serge Hefez répond : « Famille je vous haime ! »

Document 3 Comment devenir parent ? Un métier qui ne va plus de soi Xavier Molenat, Sciences Humaines, N°232 Décembre 2011

Papa, maman et leurs enfants: le modèle familial traditionnel a du plomb dans l'aile. Nombre de familles ne se composent plus d'un père et d'une mère mais sont monoparentales, recomposées ou homoparentales. Au sein même des couples hétérosexuels, la répartition traditionnelle des tâches (papa au boulot, maman au fourneau) est remise en cause, notamment par le travail des femmes. Être parent ne va plus de soi – si cela a jamais été le cas. Incertains sur la bonne manière d'élever leur enfant (lui permettre de s'épanouir tout en sachant dire non et en étant vigilants sur les résultats scolaires !), les parents d'aujourd'hui cherchent à définir leur place de mère au travail, de nouveau père impliqué ou encore d'éducateur sans statut juridique (beau-parent, couple homosexuel...). La parentalité contemporaine est ainsi largement en construction. Il n'y pas si longtemps, tout était simple: papa et maman se marient, font un enfant, et maman s'en occupe pendant que papa travaille pour nourrir la famille. On oublie parfois combien ce modèle traditionnel de la famille a été ébranlé par la diversification croissante des configurations familiales. Aujourd'hui, les mamans jonglent entre leur travail et leur rôle maternel, toujours soucieuses d'être de « bonnes mères » malgré des journées bien remplies. Après un divorce ou une séparation, malgré les difficultés et les rancœurs, des parents maintiennent le dialogue pour organiser et se répartir la garde des enfants en essayant de les maintenir hors du conflit. Dans les

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familles recomposées, le beau-parent cherche la bonne manière de se comporter avec les enfants de leur compagne ou compagnon: ce ne sont pas les miens, certes, mais c'est quand même moi qui leur fais le petit-déjeuner, qui vais les chercher le soir et les aide pour leurs devoirs ! Situation sensiblement identique dans les familles homoparentales: l'enfant est un projet de couple, mais seul l'un des deux membres est le parent légal... Quelle place l'autre peut-il occuper ? Est-il un parent au même titre que l'autre ? Ces situations inédites découlent d'une série d'évolutions plus ou moins liées qui, depuis une quarantaine d'années, ont démultiplié les façons de faire famille (1) : déclin du mariage, fragilisation des unions (on compte désormais 47 divorces pour 100 mariages), multiplication des situations de monoparentalité (une famille sur cinq) et des familles recomposées (1,2 million d'enfants vivent avec un de leur parent et un beau-parent), émergence des familles homoparentales ou encore, sur un autre plan, recours croissant à l'adoption, au don de gamètes voire à la gestation pour autrui (GPA)... Tâches pratiques et charge mentale Il ne faut certes pas exagérer la portée de cette prolifération de formes familiales puisqu'encore aujourd'hui trois enfants sur quatre vivent avec leur père et leur mère. Mais ce modèle de la famille traditionnelle est également miné de l'intérieur par la montée en puissance du travail des femmes, qui rend problématique (en pratique et en théorie) leur assignation aux tâches domestiques, fissurant par-là l'ensemble du bel édifice. L'ensemble de ces transformations a en tout cas contribué à dénaturaliser la fonction parentale, en mettant notamment en évidence que celle-ci comporte plusieurs dimensions dissociables. Le parent biologique (les géniteurs), le parent social (celui qui élève l'enfant au quotidien) et la parenté généalogique (qui inscrit l'enfant dans une lignée) ne sont pas nécessairement la même personne, même si cela a longtemps été le cas. Dès lors, comme le dit le sociologue Jean-Hugues Déchaux (2), la « trame parentale se présente( ... ) comme la somme de très nombreuses activités de prises en charge auxquelles s'adjoint un travail proprement cognitif visant à définir sa place dans la famille et les attributions qui en découlent ». Etre parent ne peut plus être vu comme un rôle qu'il suffirait d'endosser mais davantage comme « une activité à construire au quotidien, aux contours flous, au contenu multiforme ». Anne Verjus et Marie Vogel (respectivement politiste et sociologue) ont même proposé récemment de parler de « travail parental (3) » pour désigner cet ensemble « considérable en termes de tâches pratiques (occupation matérielle) et de charge mentale (préoccupation, disponibilité) » qui « engage la définition de soi comme parent, père ou mère, et la perpétuation « réussie » de soi ». Ce que l'on a donc appris, c'est que l'on ne naît pas parent, on le devient. C'est ce changement de regard que condense le terme de « parentalité ». Concept migrateur en sciences humaines depuis les années 1950, il s'est imposé à l'orée des années 1990 pour désigner le fait qu'être parent est moins un état qu'un processus, qui concerne autant le père que la mère. Vide juridique, trop-plein normatif Or tout semble indiquer que l'exercice de cette parentalité, ce véritable « métier de parent », est rendu particulièrement difficile par un contexte social qui juxtapose, en matière familiale, des situations de vide juridique et de trop-plein normatif. Vide juridique car le droit est loin d'avoir accompagné la diversification des configurations familiales. Si bien que se multiplient les situations (le beau-parent des familles recomposées, la compagne ou le compagnon du parent légal dans les couples homosexuels) où des individus exercent de fait un travail parental sans aucune reconnaissance légale. Ce qui trouble évidemment l'exercice concret de la parentalité, mais aussi l'identité de ces parents sans nom. Trop-plein normatif, car être un « bon parent » relève de plus en plus de la prouesse. À l'heure où l'avenir de l'enfant semble se jouer de plus en plus tôt, chaque étape de son développement suscite des questionnements existentiels: « Faute de pouvoir disposer d'un corpus de règles suffisamment claires et légitimes, les adultes doivent concevoir leur travail parental sur un mode plus réflexif (4) ». Combien de temps laisser pleurer bébé le soir avant d'intervenir? Les fessées sont-elles à proscrire absolument? Faut-il pousser à faire une activité sportive ou culturelle, ou bien le laisser libre d'occuper son temps comme il l'entend? Quel est le bon moment pour réagir face à un ado qui n'a envie de rien ? Bref, s'il n'a jamais été aussi important d'être un bon parent, il n'a peut-être jamais été aussi difficile de l'être ! La parentalité contemporaine s'affiche donc comme une véritable épreuve, face à laquelle chaque couple ou individu en charge d'enfants doit trouver des solutions pratiques (qui va garder les enfants?), la bonne attitude éducative, écouter les nombreux avis (grands-parents, amis, pédiatre, médias, experts) sur ce qu'il convient de faire dans telle ou telle situation ... sans qu'il n'existe de solution « clé en mains ». On comprend dès lors le succès des dispositifs de soutien à la parentalité qui tentent d'épauler pères et mères sur ce périlleux chemin. Non sans

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ambiguïtés car derrière le soutien se masque parfois un souci de contrôle des parents « défaillants », dont on craint que le laxisme engendre chez leur progéniture comportements délinquants ou démission scolaire ... L'injonction à la performance parentale est donc particulièrement manifeste aujourd'hui. Reste que, malgré une neutralité de façade, la pression continue de peser beaucoup plus fort sur les femmes, supposées en quelque sorte être mères à plein temps tout en travaillant. Les hommes, eux, malgré une volonté de rompre avec le modèle du père distant et autoritaire, restent encore largement à l'écart des tâches du quotidien. Les recherches empiriques soulignent néanmoins l'ampleur des bouleversements en cours: bien malin celui qui, en matière de parentalité, sait de quoi demain sera fait… (1) Voir Virginie Malochet, « Aide à la parentalité. Étude sur la politique régionale de soutien aux structures porteuses de projet (2000-2010) »,lAU-Ile-de-France, 2011. (2) Jean-Hugues Déchaux, « Travail parental et parenté: parlons-nous de la même chose ? », Informations sociales, n°154, 2009/4. (3) Anne Verjus et Marie Vogel, « Le travail parental: un travail comme un autre ? », Informations sociales, n°154, 2009/4. (4) Jean-Hugues Déchaux ; op.cit. Document 4 Redonner confiance : le soutien à la parentalité,

Xavier Molenat, Sciences Humaines, N°232 Décembre 2011 Virginie Malochet Sociologue à l’Institut d’aménagement et d’urbanisme d’Île-de-France, chercheure associée au Centre d’études sociologiques sur le droit et les institutions pénales. Régler des conflits liés à la garde des enfants, répondre aux interrogations très concrètes des jeunes parents, organiser des espaces de discussion ... Depuis une vingtaine d'années, des intervenants tentent d'aider les parents à surmonter leurs difficultés. Dur, dur, d'être parent ! Alors que la société dans son ensemble se montre toujours plus sensible à la condition de l'enfant, le rôle attendu des parents s'avère effectivement difficile à assumer. Il faut dire que face à la profusion médiatique d'avis d'experts sur le développement de l'enfant, les parents ne manquent pas de matière à s'interroger sur la manière d'assurer au mieux leur mission éducative. Comme s'il fallait maîtriser quantité de compétences pour élever son enfant, comme si c'était un vrai métier d'être parent. Un métier qui n'a rien d'évident tant il est exigeant, parfois angoissant, souvent éprouvant. Dans ces conditions, on comprend pourquoi le soutien à la parentalité rencontre un tel succès. En l'espace d'une vingtaine d'années, c'est devenu un support d'action publique à part entière, considérant que le bien-être des enfants, les politiques éducatives et la prévention de divers problèmes sociaux (échec scolaire, comportements à risque, délinquance juvénile) reposent sur l'implication active des parents. Dans les milieux professionnels, cette approche renouvelée de l'intervention sociale en faveur des familles suscite un véritable engouement, dans l'idée qu' « il faut faire confiance aux parents », « les rendre acteurs de l'éducation de leurs enfants », valoriser leur potentiel pour les conforter dans leur rôle. De leur côté, les pouvoirs publics manifestent un intérêt croissant pour ces projets de soutien à la parentalité qui sont apparus en marge des cadres institutionnels mais qui, de plus en plus, s'intègrent aux politiques axées sur l'enfance et la jeunesse. « Leur dire qu'ils sont capables » En pratique, le soutien à la parentalité mobilise une pluralité de structures (associations, services sociaux, centres d'animation, écoles, etc.), de financeurs (État, collectivités locales, fondations privées, etc.) et d'intervenants (psychologues, éducateurs, juristes, médiateurs familiaux, conseillers scolaires, etc.) (1). Les actions proposées sont elles aussi diverses. Elles peuvent s'adresser aux parents en général ou cibler des publics plus spécifiques (mères isolées, pères séparés, parents migrants, parents d'enfants handicapés, etc.). Elles se déclinent tantôt sur le mode de l'accompagnement individuel, tantôt sur le mode de la participation à des activités collectives. À Paris par exemple, l’Ecole des parents et des éducateurs (EPE) propose un service de téléphonie à destination des familles, une maison ouverte accueillant les parents et leurs enfants jusqu'à l'âge de 4 ans, et un « café » où se tiennent des débats, des conférences, des permanences psychologiques et juridiques, des groupes de parole et des ateliers.

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Quels que soient les répertoires d'action, ce sont des questionnements concrets sur la parentalité qui émanent du public. Comme le résume la responsable du plateau téléphonique de l'EPE, « les parents ne nous appellent pas pour se poser de grandes questions philosophiques, ils appellent parce qu'il y a un problème: comment être parent dans cette situation à gérer à ce moment-là ? » Face aux difficultés rencontrées, l'objectif est alors de « redonner confiance aux parents », de « leur dire qu'ils sont capables » et de « les aider à trouver en eux leur propre solution ». Une mère s'alarme au sujet de sa fille cadette qui peine à trouver sa voie professionnelle et « ne fait plus rien » depuis qu'elle a quitté son école d'infirmière il y a trois mois. « Je vous contacte pour essayer d'y voir clair dans le comportement de notre fille et dans la ligne que nous pourrions tenir », dit la mère en plein désarroi. Au bout du fil, une psychologue s'emploie à la rassurer, expliquant que cette période de flottement peut être plus difficile à vivre pour les parents que pour l'enfant : « J'entends votre inquiétude, mais votre fille n'est peut-être pas en capacité de mettre quoi que ce soit en place en ce moment, elle a probablement besoin de prendre ce temps-là.» Alors que la mère se demande à plusieurs reprises ce que sa fille va devenir « si elle ne bouge pas », la psychologue l'invite à envisager la situation plus positivement: « et si elle bougeait justement, si elle y arrivait ... » Ce sont aussi les rencontres et les confrontations d'expériences qui permettent aux parents de se soutenir mutuellement. L’espace parents-enfants du centre social de Meudon-la-Forêt a été créé dans cet esprit. Chaque premier samedi du mois, l'accès est réservé aux pères. Deux d'entre eux discutent autour d'un café pendant que les enfants jouent. L'un explique que son fils vient d'entrer en maternelle, l'autre raconte comment le sien a vécu cette étape-là l'an passé. Ils parlent ensemble des difficultés des premiers jours à l'école, des problèmes de propreté et de constipation de leurs progénitures ... Un troisième se greffe à la conversation pour leur recommander une solution buvable qui s'est révélée très efficace pour son fils. Bref, les pères échangent sur leur vie quotidienne dans une ambiance conviviale. Comme le dit l'un d'eux, « c'est un moment où les enfants sont bien, et nous aussi, du coup. ( ... ) Ce sont souvent les mêmes papas, on se connaît à force, c'est sympa ». Entre émancipation et contrôle Les dispositifs d'aide à la parentalité se sont ainsi développés dans le champ des politiques familiales, à des fins explicites de prévention primaire, dans une perspective d'empowerment pour un meilleur épanouissement de l'enfant. Force est toutefois de constater qu'ils sont de plus en plus mobilisés dans le champ de la prévention de la délinquance, à des fins non moins explicites d'ordre public, dans une perspective de responsabilisation et de contrôle social. En ce sens, le législateur a mis en place des mesures ciblées sur les familles dites « à risque », celles dont les enfants sont repérés comme fauteurs de troubles potentiels en raison « du défaut de surveillance ou d'assiduité scolaire ». Les parents des mineurs concernés peuvent être suivis dans le cadre du conseil des droits et devoirs des familles présidé par le maire, appelés à signer un contrat de responsabilité parentale, voire même sanctionnés par la suspension du versement des allocations familiales. Le lien de causalité entre une supposée défaillance parentale et le passage à l'acte délinquant reste pourtant difficile à établir. En outre, les professionnels rechignent à appliquer ces mesures, refusant d'être réduits à des agents de régulation des désordres juvéniles (2). De la « parentalité » à la « responsabilité », du « soutien » à la « sanction », les glissements sémantiques n'en sont pas moins significatifs de l'inflexion sécuritaire des objectifs poursuivis par les pouvoirs publics. « Entre émancipation et contrôle (3) », le soutien à la parentalité constitue donc un référentiel d'action ambivalent, traversé par un double mouvement de valorisation/incrimination des familles (4). Le principe de non-jugement des parents – « qui on est, nous, pour imposer des modèles éducatifs aux gens ?», se demande une psychologue se heurte parfois au principe de protection de l'enfant, et les professionnels doivent composer avec ces logiques contradictoires. Même s'ils récusent l'idée d'une « bonne » parentalité, ils semblent malgré tout imprégnés d'un modèle familial centré sur le dialogue et la qualité des relations, l'obligation de bien s'entendre même en cas de rupture conjugale (5). Une médiatrice familiale explique ainsi que « lorsqu'il y a une garde alternée (...), il faut vraiment que les parents aient un minimum de communication. Et quand je dis un minimum, j'entends un gros minimum.( ... ) S'ils ne communiquent pas, ça ne peut pas fonctionner ». Aussi fondée paraisse-t-elle, cette conception pacifiée des rapports familiaux constitue un nouveau standard que les intervenants contribuent à diffuser, mais dans lequel toutes les familles ne se retrouvent pas nécessairement. Derrière l'idéal de « coéducation », une dissymétrie certaine persiste donc dans la relation de soutien (6), en particulier pour certains publics fragilisés qui peuvent paradoxalement développer un rapport de dépendance vis-à-vis d'un service censé les autonomiser (7). Pour autant, il importe de ne pas minorer l'intérêt de ces dispositifs de soutien. Ils répondent au besoin de réhabilitation des familles et présentent une vraie plus-value pour les

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parents qui s'y sentent écoutés, reconnus, réconfortés et réassurés dans leur rôle vis-à-vis des enfants. À l'image de cette mère qui fréquente régulièrement un lieu d'accueil parents-enfants et pour qui « c'est doublement positif. C'est positif pour l'enfant, ça lui permet d'évoluer, de prendre contact avec les autres, de développer des relations. Et c'est positif pour nous, les mamans: c'est un lieu d'échange. Quand on a une inquiétude, on s'oriente vers les professionnels ou vers les autres mamans. C'est bien aussi parce qu'on n'est pas axé que sur son propre enfant ». (1) Cet article s'appuie sur une étude que j’ai menée sur les actions de soutien à la parentalité en Ile-de-France : Virginie Malochet, « Aide à la parentalité. Étude sur la politique régionale de soutien aux structures porteuses de projet (2000-2010)•, lAU-Île-de-France, 2011. (2) Manuel Boucher (dir.), « Les modes d'intervention psycho-socio-éducatifs de « soutien à la fonction parentale » dans les milieux populaires », rapport pour l'Observatoire national de l'enfance en danger, 2011. (3) David Pioli, « Le soutien à la parentalité: entre émancipation et contrôle », Sociétés et jeunesses en difficulté, n°1, printemps 2006. (4) Marine Boisson et Anne Verjus, • La parentalité, une action de citoyenneté•, dossier d'étude de la CAF n° 62, novembre 2004. (5) Laura Cardia-Vonèche et Benoit Bastard, « Vers un nouvel encadrement de la parentalité? L’intervention sociale face aux ruptures familiales », Informations sociales, n• 122, 2005/2. (6) Catherine Sellenet, La Parentalité décryptée. Pertinence et dérives d'un concept, L’Harmattan, 2007. (7) Régis Cortéséro et Jean-Marc Ditcharry, « Enquête sur la place des familles dans les projets de réussite éducative », rapport pour l'Agence nationale pour la cohésion sociale et l'égalité des chances, 2011. Document 5 Le mariage pour tous est-il « straight » ?

Tribune de Bruno Perreau, Libération, 4 octobre 2012 Bruno Perreau est professeur au Massachusetts Institute of Technology (MIT) et chercheur associé aux universités de Cambridge et Harvard Le projet de loi visant à ouvrir le mariage et l'adoption aux couples de même sexe déclenche, depuis la rentrée, des oppositions fortes venant notamment de l'Eglise et de spécialistes, pédopsychiatres ou psychanalystes. Cette ouverture possible du mariage civil et de l'adoption est-elle une « menace » pour la famille ou l'équilibre des enfants ? Va-t-elle bouleverser les lois de la procréation ? Ce projet peut-il aussi être l'occasion de repenser les normes sexuelles ? Les contours du projet de loi sur l'ouverture du mariage civil aux couples homosexuels restent à ce jour encore flous. Il est pourtant un point sur lequel le gouvernement Ayrault est unanime et sa rhétorique parfaitement orchestrée : la réforme est celle du « mariage pour tous ». Le gouvernement affirme ainsi que le mariage n'est pas républicain puisqu'il est réservé à une catégorie spécifique, les couples hétérosexuels. Toutefois, que la conjugalité hétérosexuelle cesse d'être une condition juridique d'accès au mariage est une chose; que son hégémonie disparaisse des politiques publiques en est une autre. Que l'on songe à la procédure d'agrément, point de départ de toute adoption plénière depuis 1985, où psychologues et travailleurs sociaux font de la complémentarité entre autorité paternelle et soins maternels une valeur cardinale. L'ouverture du mariage et, partant, de l'adoption conjointe aux couples homosexuels, pourra bien sûr s'accommoder de ce schéma : il suffira aux candidats à l'adoption, comme c'est déjà le cas des célibataires aujourd'hui, de prouver qu'ils ou elles peuvent donner à l'enfant des gages de la bonne distinction des sexes. Mais l'hétérosexualité comme vision hiérarchique du monde construite sur « la différence des sexes »- ce que Monique Wittig appelait « la pensée straight (1) » - restera inchangée. La réforme du mariage pose donc d'abord la question des normes. Le mariage est l'aménagement, par la loi, de l'union de deux adultes et de deux familles. Or, depuis la loi du 11 juillet 1966, l'adoption est ouverte aux couples mariés mais aussi aux célibataires de plus de 28 ans. Elle peut être plénière ou simple (la filiation adoptive peut remplacer ou s'ajouter à la filiation biologique). Un enfant adopté peut donc avoir légalement de un à quatre parents. Cette flexibilité ne doit pas s'épuiser dans le duo matrimonial. Aussi symbolique qu'elle soit, la réforme du mariage ne saurait constituer le modèle de toutes les autres. Par ailleurs, aucune égalité des droits ne sera possible sans la mise en place de mécanismes correctifs. Les couples homosexuels qui se sont mariés en Espagne ont fait face à des difficultés inédites : identifiés comme homosexuels par leur mariage, il leur a été difficile d'adopter à l'étranger. La Suède a installé des agences d'adoption pour les lesbiennes et les gays. Les juges britanniques condamnent, eux, les agences pour adoption qui refusent les candidats homosexuels. Une procédure d'action positive pourrait être également envisagée en France, afin de permettre aux candidats qui sont discriminés à l'étranger d'avoir prioritairement accès à l'adoption nationale.

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L'égalité des droits passe également par la révision des lois de bioéthique. Les lois de 1994 et 2004 associent la filiation au ventre (interdiction de la gestation pour autrui) et au coït hétérosexuel (procréation médicalement assistée réservée aux couples hétérosexuels mariés ou en concubinage depuis plus de deux ans). Tant que l'idéologie biologique ne sera pas remise en question, les enfants continueront à être indéfiniment placés en familles d'accueil. De même, tant que l'adoption internationale continuera à être a priori soupçonnée de trafics, au nom d'une idéologie naturaliste qui veut qu'un enfant « pousse » mieux dans son milieu de naissance, alors l'ouverture de l'adoption aux couples homosexuels ne restera qu'une réforme de principe. A titre d'exemple, en 2007, date de la dernière enquête exhaustive du ministère de la Justice sur l'adoption, aucun homme célibataire n'était parvenu à adopter un enfant né en France, en dehors des cas d'adoption intrafamiliale ! Enfin, l'ouverture du mariage civil aux couples homosexuels appelle la transformation du statut juridique des personnes. La notion de sexe elle-même pourrait disparaître de l'état civil (simplifiant à la fois la mise en œuvre de la réforme du mariage et le parcours des transsexuels). La présomption de paternité dans le mariage devra aussi être remplacée par une présomption de parenté, sauf à créer une nouvelle inégalité entre les couples mariés. Enfin, la question du traitement défavorable des célibataires et des familles monoparentales, en matière fiscale notamment, devra être affrontée. C'est en effet dans la notion même de personne, et pas seulement dans l'étendue de ses droits, que vient aussi se loger la pensée straight. Les cultures LGBT (lesbiennes, gays, bi et trans) ont fait éclore des valeurs essentielles à la société toute entière, qu'il s'agisse du principe de responsabilité promu par les premiers mouvements de lutte contre le sida ou de la démédicalisation de l'expertise étatique en matière d'identités de sexe et de genre. Elles ont également aménagé des modes de vie singuliers, fondés sur la solidarité amicale ou sur la création d'espaces de sociabilité et de plaisir. Ces contributions sont essentielles non pas parce qu'elles ont été pensées « pour tous » mais précisément parce qu'elles ont été inventées par et pour une communauté spécifique, réelle ou imaginaire, et ont été de facto diffusées par la voie du militantisme, de la recherche, de la production artistique et par diverses formes d'interactions quotidiennes. L'ouverture du mariage civil aux couples homosexuels est une transformation sociale dont les effets dépasseront largement son seul cadre juridique. A condition de ne pas déterminer, à l'avance, les modalités d'appartenance à la Nation. (1) En anglais, straight signifie à la fois droit, normé et hétérosexuel. Dernier ouvrage paru : « Penser l'adoption. La gouvernance pastorale du genre », PUF, 2012. Document 6 Loi ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe Portail du Ministère de la Justice Les principales avancées • Comparaison avant/après la loi • Modifications en gras Décret n° 2013-429 du 24 mai 2013 portant application de la loi n° 2013-404 du 17 mai 2013 ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe et modifiant diverses dispositions relatives à l'état civil et du code de procédure civile Arrêté du 24 mai 2013 modifiant l'arrêté du 29 juillet 2011 modifiant l'arrêté du 1er juin 2006 fixant le modèle de livret de famille (rectificatif)

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Avant la loi Après la loi

Le mariage pouvait être contracté par deux personnes de sexe différent.

Le mariage peut être contracté par deux personnes de sexe différent ou de même sexe Les conditions de validité du mariage sont par ailleurs inchangées.

Les actes de l'état civil étaient établis par les officiers de l'état civil.

Les actes de l'état civil sont établis par les officiers de l'état civil. Ces derniers exercent leurs fonctions sous le contrôle du procureur de la République.

Le mariage était célébré dans la commune où l'un des deux époux avait son domicile ou sa résidence établie par un mois au moins d'habitation continue.

Le mariage est célébré, au choix des époux, dans la commune où l'un d'eux, ou l'un de leurs parents, a son domicile ou sa résidence établie par un mois au moins d'habitation continue.

Le mariage était célébré publiquement devant l'officier de l'état civil de la commune où l'un des époux avait son domicile ou sa résidence.

Le mariage est célébré publiquement lors d'une cérémonie républicaine par l'officier de l'état civil de la commune où l'un des époux a son domicile ou sa résidence.

L'adoption plénière de l'enfant du conjoint était permise : - lorsque l'enfant n'avait de filiation légalement établie qu'à l'égard de ce conjoint - lorsque l'autre parent que le conjoint s'était vu retirer totalement l'autorité parentale - lorsque l'autre parent que le conjoint était décédé et n'avait pas laissé d'ascendants au premier degré ou lorsque ceux-ci s'étaient manifestement désintéressés de l'enfant.

L'adoption plénière de l'enfant du conjoint est permise : - lorsque l'enfant n'a de filiation légalement établie qu'à l'égard de ce conjoint - lorsque l'enfant a fait l'objet d'une adoption plénière par ce seul conjoint et n'a de filiation établie qu'à son égard - lorsque l'autre parent que le conjoint s'est vu retirer totalement l'autorité parentale - lorsque l'autre parent que le conjoint est décédé et n'a pas laissé d'ascendants au premier degré ou lorsque ceux-ci se sont manifestement désintéressés de l'enfant.

L'adoption simple était permise quel que soit l'âge de l'adopté. S'il était justifié de motifs graves, l'adoption simple d'un enfant ayant fait l'objet d'une adoption plénière était permise. Si l'adopté était âgé de plus de treize ans, il devait consentir personnellement à l'adoption

L'adoption simple est permise quel que soit l'âge de l'adopté. S'il est justifié de motifs graves, l'adoption simple d'un enfant ayant fait l'objet d'une adoption plénière est permise. L'enfant précédemment adopté par une seule personne, en la forme simple ou plénière, peut l'être une seconde fois, par le conjoint de cette dernière, en la forme simple. Si l'adopté est âgé de plus de treize ans, il doit consentir personnellement à l'adoption.

L'enfant avait le droit d'entretenir des relations personnelles avec ses ascendants. Seul l'intérêt de l'enfant pouvait faire obstacle à l'exercice de ce droit. Si tel était l'intérêt de l'enfant, le juge aux affaires familiales fixait les modalités des relations entre l'enfant et un tiers, parent ou non.

L'enfant a le droit d'entretenir des relations personnelles avec ses ascendants. Seul l'intérêt de l'enfant peut faire obstacle à l'exercice de ce droit. Si tel est l'intérêt de l'enfant, le juge aux affaires familiales fixe les modalités des relations entre l'enfant et un tiers, parent ou non, en particulier lorsque ce tiers a résidé de manière stable avec lui et l'un de ses parents, a pourvu à son éducation, à son entretien ou à son installation, et a noué avec lui des liens affectifs durables.

On pouvait déduire de dispositions sur le divorce et la séparation de corps que chaque époux pouvait porter, à titre d'usage, le nom de l'autre époux, par substitution ou adjonction à son propre nom, dans l'ordre qu'il choisissait.

La loi prévoit désormais, dans les dispositions relatives au mariage, que chaque époux peut porter, à titre d'usage, le nom de l'autre époux, par substitution ou adjonction à son propre nom, dans l'ordre qu'il choisit.

L'adoption simple conférait le nom de l'adoptant à l'adopté en l'ajoutant au nom de ce dernier.

L'adoption simple confère le nom de l'adoptant à l'adopté en l'ajoutant au nom de ce dernier. La loi consacre la jurisprudence de la cour de cassation, qui prévoit, si l'adopté est majeur, qu'il doive consentir à cette adjonction.

En cas d'adoption simple par deux époux, le nom ajouté au nom de l'adopté était, à la demande des adoptants, soit celui du mari, soit celui de la femme, dans la limite d'un nom pour chacun d'eux et, à défaut d'accord entre eux, le premier nom du mari.

En cas d'adoption par deux époux, le nom ajouté au nom de l'adopté est, à la demande des adoptants, celui de l'un d'eux, dans la limite d'un nom. A défaut d’accord, le nom conféré à l’adopté résulte de l’adjonction à son premier nom, en seconde position, du premier nom des adoptants selon l’ordre alphabétique,

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En cas d’adoption plénière, à défaut de choix de nom par les adoptants, les enfants prenaient le nom du père.

En cas d’adoption plénière, à défaut de choix, l’enfant prend le nom constitué du premier nom de chacun de ses parents (dans la limite d’un nom pour chacun d’eux), accolés dans l’ordre alphabétique.

Le mariage entre personnes de même sexe célébré à l’étranger n'était pas reconnu.

Le mariage entre personnes de même sexe contracté avant l'entrée en vigueur de la loi est reconnu, dans ses effets à l'égard des époux et des enfants, en France (sous réserve de respecter un certain nombre de dispositions du code civil). A compter de la date de transcription, il produit effet à l'égard des tiers.

Non prévu Aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l'objet d'une mesure discriminatoire pour avoir refusé en raison de son orientation sexuelle une mutation géographique dans un Etat incriminant l'homosexualité.

Document 7 Deux mères = un père ?

Tribune de Sylviane Agacinski, Le Monde, 3 février 2013 Philosophe, elle a enseigné à l'Ecole des hautes études en sciences sociales de 1991 à 2010. A travaillé sur la question de la différence et du différend sexuels dans la démocratie (« Politique des sexes », Seuil 2002), dans la théologie (« Métaphysique des sexes »,Seuil 2005) et au théâtre (« Drame des sexes », Seuil, 2008). Avec « Corps en miettes » (Flammarion, 2009), elle critique la marchandisation du corps humain et conteste la réduction du sexe au genre dans « Femmes entre sexe et genre » (Seuil, 2012) Le mariage homosexuel est une innovation souhaitable. Mais ne renions pas l'hétérogénéité nécessaire aux enfants Rien n'illustre mieux la coriacité de la dissymétrie des sexes que la confrontation de chacun avec la question de la procréation. Comme tout le monde, les homosexuels rencontrent cette question et, jusqu'à présent, ils n'avaient pas d'autre possibilité que de se tourner vers une personne de l'autre sexe. Ce qui a changé, au point de faire émerger la notion d'homoparentalité, c'est la possibilité, au moins apparente, de se passer de l'autre sexe pour « avoir » des enfants, comme on l'entend dire si souvent à la radio : telle actrice célèbre « a eu des enfants avec sa compagne ». On en oublierait presque ce que cette merveilleuse performance doit aux techniques biomédicales et au donneur de sperme anonyme mis à contribution en Belgique ou en Californie. Mais le don de sperme et l'insémination artificielle sont depuis longtemps pratiqués en France pour des couples « classiques » dans le cadre de la procréation médicalement assistée (PMA) sans que l'on s'en émeuve ni que l'on s'interroge sur la transformation des personnes qui donnent la vie en simples matériaux biologiques anonymes tandis que les enfants deviennent des produits fabriqués à la demande et par là même, dans certains pays, des marchandises. On connaît aujourd'hui les ravages que produit souvent, sur les enfants, l'organisation délibérée du secret maintenu autour de la personne de leur géniteur, même lorsqu'un père légal existe et qu'il a joué pleinement son rôle. Ainsi, la première réflexion qui s'impose à nos sociétés modernes, avant tout bricolage législatif sur les modalités de la filiation, concerne la distinction, fondamentale en droit, entre les personnes et les choses. Le philosophe Hans Jonas regardait la responsabilité des êtres humains à l'égard de leur progéniture comme l'archétype de la responsabilité. Les donneurs de sperme et les donneuses d'ovocytes sont d'abord des êtres humains: on dit qu'ils donnent des cellules à « un couple », alors qu'ils contribuent à donner la vie à un enfant, que celui-ci le saura un jour et demandera des comptes. Non pas qu'il aura souffert dans son enfance, mais parce que, en tant que personne lui-même, il voudra savoir de quelles personnes il est issu et quelle est son histoire humaine. C'est pourquoi il est urgent d'entreprendre une réflexion globale sur le rôle de la médecine procréative et sur les conditions éthiques de ses pratiques, quels que soient les couples auxquels sont destinées ces pratiques. Un projet de loi sur la famille ne peut certainement pas remplacer une telle remise à plat.

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En se tournant vers le Comité consultatif national d'éthique, le président de la République va dans le bon sens. Le problème est différent pour les hommes –dissymétrie sexuelle oblige-, car la procréation homoparentale nécessite un don d'ovocytes et l'usage de mères porteuses. Là encore, cette pratique ne concerne pas seulement les couples gays. Mais ce sont eux qui militent le plus activement pour sa légalisation, par exemple par la voix du groupe Homosexualité et socialisme ou celle des associations LGBT (lesbiennes, gays, bi et trans). A cet égard, les positions du gouvernement paraissent claires. Il exclut toute légalisation de l'usage de femmes comme « mères porteuses », conscient de la marchandisation du corps qu'elle entraîne inévitablement, avec l'exploitation des femmes socialement fragiles, comme cela se passe dans d'autres pays. Mais il est alors inquiétant et incohérent que Dominique Bertinotti, la ministre déléguée chargée de la famille, s'obstine à annoncer qu'on continuera à examiner cette question; ou que la ministre de la justice, dans une circulaire pour le moins inopportune, accorde un certificat de nationalité aux enfants nés de mères porteuses à l'étranger. Il faut savoir que les enfants nés de cette façon disposent d'un état civil délivré par le pays où ils sont nés, qu'ils ne sont nullement dépourvus de papier d’identité et peuvent mener une vie familiale normale. On ne pourrait comprendre que, par des voies détournées, on donne finalement raison à ceux qui contournent délibérément la législation en vigueur. Mais n'est-ce pas d'abord aux futurs parents eux-mêmes qu'il appartient de s'interroger sur leur démarche et leur projet ? Et d'abord aux femmes, puisqu'elles peuvent d'ores et déjà commander sur le Net des échantillons de sperme. Les tarifs des « Sperm banks » sont disponibles en ligne, avec les photos et les caractéristiques des donneurs. Un autre champ de réflexion concerne l'homoparentalité en tant que nouveau modèle de filiation. Le principe d'un mariage ouvert à tous les couples rassemble très largement les Français, alors que le principe de l'homoparentalité les divise. Un statu quo conservateur n'aurait guère de sens. Oui, il est possible d'instituer un mariage entre personnes de même sexe. Cette innovation est souhaitable puisqu'elle contribuera à assurer une pleine reconnaissance sociale aux couples homosexuels qui l'attendent. Mais elle transforme la signification de l'ancien mariage, dans la mesure où son principal effet était la présomption de paternité de l'époux, qui n'a pas de sens pour un couple de même sexe. Cette présomption de paternité n'a pas disparu du mariage moderne, mais celui-ci a profondément changé. Ainsi, les droits de tous les enfants reposent désormais sur l'établissement de leur filiation civile, c'est-à-dire leur rattachement aux parents qui les ont conçus et/ou reconnus, mariés ou non. La colonne vertébrale de la famille est ainsi essentiellement la filiation, tandis que le mariage des parents devient en quelque sorte accessoire. Dans ce contexte, on se demande si la véritable égalité ne serait pas d'appliquer à tous les mêmes droits : celui de se marier pour les adultes, et, pour tous les enfants, une filiation établie selon les mêmes critères et les mêmes règles. Or tel ne serait pas le cas si l'on distinguait une « homoparentalité » et une « hétéroparentalité », à savoir deux parents de même sexe ou de sexes différents. La capacité de quiconque à être un « bon parent » n'est évidemment pas en cause. De nombreux homosexuels ont d'ailleurs des enfants avec un partenaire de l'autre sexe, et ils ne prétendent pas fonder leur paternité ou leur maternité sur leur homosexualité. A l'inverse, l'homoparentalité signifierait que l'amour homosexuel fonde la parenté possible et permet de remplacer l'hétérogénéité sexuelle du père et de la mère par l'homosexualité masculine ou féminine des parents. Les formules, devenues courantes, de parents gays et lesbiens signifient la même chose. Et lorsque la ministre de la famille annonce qu'il faudra s'interroger sur « les nouvelles formes de filiations tant hétérosexuelles qu'homosexuelles », elle substitue également au caractère sexué des parents leur orientation « sexuelle ». Ainsi, il s'agit bien de créer un nouveau modèle de filiation. Selon le modèle traditionnel, un enfant est rattaché à un parent au moins, généralement la mère qui l'a mis au monde, et si possible à deux, père et mère. Y compris dans l'adoption, la filiation légale reproduit analogiquement le couple procréateur, asymétrique et hétérogène. Elle en garde la structure, ou le schéma, à savoir celui de l'engendrement biologique bisexué. C'est ainsi que l'on peut comprendre l'anthropologue et ethnologue Claude Lévi-Strauss lorsqu'il écrit que « les liens biologiques sont le modèle sur lequel sont conçues les relations de

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parenté ». Or on remarquera que ce modèle n'est ni logique ni mathématique (du type : 1+1), mais biologique et donc qualitatif (femme + homme) parce que les deux ne sont pas interchangeables. C'est la seule raison pour laquelle les parents sont deux, ou forment un couple. Même si cette forme n'est pas toujours remplie (par exemple lorsqu'un enfant n'a qu'un seul parent ou qu'il est adopté par une personne seulement - la différence sexuelle est symboliquement marquée, c'est-à-dire nommée par les mots « père » ou « mère » qui désignent des personnes et des places distinctes. Cette distinction inscrit l'enfant dans un ordre où les générations se succèdent grâce à la génération sexuée, et la finitude commune lui est ainsi signifiée : car nul ne peut «engendrer » seul en étant à la fois père et mère. La question se pose alors de savoir ce qui est signifié à l'enfant rattaché, par hypothèse, à deux mères ou à deux pères. Un tel cumul signifie-t-il que deux pères peuvent remplacer la mère ? Que deux mères peuvent remplacer le père ? Une lesbienne militante, qui ne veut pas ajouter un père à son couple féminin, témoigne dans un magazine : « Deux parents, ça suffit. » Et une autre : « Moi je ne veux pas me coltiner un père pour être mère. » Comment ne pas entendre ici une dénégation virulente de la finitude et de l'incomplétude de chacun des deux sexes ? La crainte qu'on peut ici exprimer, c'est précisément que deux parents de même sexe ne symbolisent, à leurs yeux comme à ceux de leurs enfants adoptifs (et plus encore de ceux qui seraient procréés à l'aide de matériaux biologiques), une dénégation de la limite que chacun des deux sexes est pour l'autre, limite que l'amour ne peut effacer. Document 8 La filiation doit évoluer

Tribune d’Irène Théry, Le Monde, 11 février 2013 Directrice d'études à l'EHESS, sociologue du droit depuis 1985 après avoir été agrégée de lettres. Membre du Haut Conseil de la famille depuis février 2013, Irène Théry se consacre à l'étude des rapports entre égalité des sexes et métamorphoses de la famille et la parenté. Elle est l'auteur du rapport : « Couple, filiation et parenté aujourd'hui »(1998). Son dernier ouvrage : « Des humains comme les autres. Bioéthique, anonymat et genre du don » (éd. de l'EHESS, 2010). Dissocier le mariage homosexuel du droit à l’adoption par les couples de même sexe aurait constitué une grave erreur Sylviane Agacinski a publié dans Le Monde du 3 février une tribune donnant la signification profonde de son engagement contre la loi ouvrant le mariage et l'adoption aux couples de même sexe. Elle pense que le gouvernement s'est « fourvoyé » en liant deux questions qui n'ont rien à voir. Il aurait dû, selon elle, instituer un mariage de même sexe, mais refuser toute évolution de la filiation, afin de continuer à la fonder dans tous les cas sur l'analogie avec la procréation : un père, une mère. Si, demain, un enfant pouvait avoir deux pères ou deux mères, ce qui lui serait « signifié » est que l'on peut « se passer de l'autre sexe », et cela au cœur même de l'expérience de la dissymétrie sexuelle : dans les corps et la procréation. Pour Sylviane Agacinski, qui s'inscrit ici dans un courant de pensée assez bien connu, une telle tentation de toucher à la filiation provient de la domination de la technique dans un monde libéral, dont participe le développement de l'assistance médicale à la procréation (AMP). C'est elle qui aurait rendu possible de « se passer de l'autre sexe » et c'est à elle que nous céderions si nous n'opposons pas résolument, à cette dérive, la digue de la filiation mimétique de la procréation. Car, si nous ouvrons une faille dans cette digue, rien ne nous préservera plus : la technique et le marché nous emporteront vers un avenir post-humain, un arrachement à tout ce qui nous limite et nous lie, dans un mouvement de démesure individualiste, de marchandisation des corps et de réification des personnes où l'humanité perdra son âme. C'est parce qu'elle se sent le devoir de nous dire que nous allons conforter d'un coup ce mouvement de déréliction, en opérant une rupture anthropologique sans précédent dans notre condition sexuée, que Sylviane Agacinski a l'audace de prendre tous les risques et de jouer son va-tout contre son propre camp.

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Le problème que pose une telle approche apparaît pourtant de façon criante dans son texte. Elle suppose de construire de toutes pièces un personnage de « l'homoparent » si brutal et si grossier qu'on se demande à la lire comment on a pu imaginer cette figure du repoussoir absolu. Car, de touche en touche, le portrait qui nous est tracé est quand même assez relevé. C'est celui de l'« actrice célèbre », qui « ne veut pas s'embarrasser d'un père », ou de la « lesbienne militante » qui n'a pas davantage l'intention de s'en « coltiner » un, quitte pour cela à s'enticher de « merveilleuses performances », à « commander du sperme sur Internet » sans souci de transformer les donneurs en « matériaux » et les enfants en « produits ». C'est celui du gay individualiste, capable de faire passer ses désirs personnels avant toute autre considération, et de tout soumettre à sa volonté de domination, en s'arrogeant le droit d'exploiter les femmes pauvres et de marchandiser les corps des mères porteuses, selon la pente d'une nouvelle barbarie machiste, que soutiennent activement « les associations LGBT », pointe avancée de l'individualisme exterminateur. Cherchez un gramme de contrepoint à ce tableau édifiant, vous ne le trouvez pas. Si on part de ce problème, on aperçoit mieux la vraie divergence qui oppose Sylviane Agacinski aux responsables politiques qui mènent avec fierté, et parfois même panache, la réforme en cours : c'est son incapacité à laisser le réel bouleverser ses certitudes. Entre le repoussoir fantasmé par Sylviane Agacinski, pour faire des homoparents les boucs émissaires de ses inquiétudes anthropologiques, et les questions concrètes, parfois complexes, toujours émouvantes, que nous ont posées les témoins des familles homoparentales, parents et enfants, rassemblés le 20 décembre 2012 à la dernière audition du rapporteur Erwann Binet, la question qui se joue n'est pas seulement morale. Elle est éminemment politique et engage une certaine idée de la responsabilité intellectuelle. Car ce qui m'a choquée profondément, dans le texte de Sylviane Agacinski, n'est pas seulement l'entreprise de disqualification des personnes, qui saute aux yeux. C'est le fait qu'elle l'ait adossée à l'assistance médicale à la procréation, en allant jusqu'à inventer que l'homoparentalité serait issue, non pas de l'histoire sociale et politique que nous connaissons - celle de la sortie du placard, du courage d'être soi des personnes homosexuelles et des nouveaux dilemmes ouverts dès lors en matière de maternité et de paternité -, mais de la possibilité technique de recourir à des paillettes congelées. Sans doute suis-je ici plus sensible que d'autres, puisque c'est aussi mon propre travail qui a été utilisé et détourné allégrement de son sens. Comme d'autres, je critique depuis des années non pas l'assistance médicale à la procréation en général - un progrès des savoirs et des techniques médicales pour lequel j'ai au contraire beaucoup d'admiration -, mais bien le modèle bioéthique français censé guider le droit régulant ces techniques en référence à des valeurs. Parce que ce modèle a été au départ et reste obstinément pseudo-thérapeutique, il a conduit à falsifier la filiation de l'enfant pour faire passer son père stérile pour son géniteur, et a imposé que le recours au don soit effacé et les donneurs anonymisés à jamais. J'ai tenté de montrer comment ce modèle transforme les donneurs en « matériau interchangeable de reproduction » et pourquoi il refuse aux personnes nées de dons d'être traitées comme « des humains comme les autres ». Mais comment n'aurais-je pas souligné aussi le lien direct, immédiat, absolu, qui existe entre un tel modèle pseudo-procréatif et le fait que les couples homosexuels en sont exclus ? Car c'est une seule et même question. Et c'est ici que vient s'ancrer la profondeur d'une divergence : faire des couples de lesbiennes qui ont recours à l'AMP à l'étranger un repoussoir glauque, c'est déjà un choix qui se passe de commentaires ; mais oser de surcroît en faire les « représentants » et même les archétypes des errances du modèle même qui les exclut et prendre appui sur une telle reconstruction de la vérité pour en appeler ensuite à la réforme du droit bioéthique français, il fallait oser. Ce mauvais procès fait à l'homoparentalité s'inscrit dans un mouvement plus général qui s'épanouit à la faveur de l'affrontement politique, et auquel cède maintenant sans complexes une opposition de droite qu'on a connue plus éclairée. Il n'a de cesse de faire sortir de derrière le rideau, comme des marionnettes au Grand Guignol, deux entités diaboliques grotesques : PMA et gestation pour autrui (GPA). Pour Sylviane Agacinski, elles révèlent le sens véritable du débat actuel sur l'adoption homoparentale, justifiant de dire que le gouvernement s'est « fourvoyé ». Je pense exactement le contraire. La vraie grandeur de la loi aujourd'hui en débat, c'est justement de prendre au sérieux l'adoption et ainsi de remettre sur ses pieds le débat législatif. Car, pour les juristes, le lien de filiation est un, mais il existe différentes modalités pour l'établir. Selon qu'il repose sur la procréation, sur l'adoption ou sur l'engendrement avec tiers donneur, les fondements du lien ne sont pas du tout les mêmes : penser autrement qu'on ne l'a fait dans le passé la coexistence de ces trois grandes modalités est le cœur du débat actuel.

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Ce sont les règles qui gouvernent l'adoption, si nous en saisissons bien le sens, qui nous permettront demain de mieux édifier celles qui devraient gouverner l'assistance médicale à la procréation avec tiers donneur, en plaçant au centre le sens humain du don d'engendrement, que ce don soit de sperme, d'ovocyte ou de gestation. Car les modalités d'établissement de la filiation ne peuvent pas rester immobiles, quand la société tout entière ne repose plus sur un grand principe de partition entre un monde masculin et un monde féminin, se redoublant dans chaque maison d'un grand principe de partition entre les tâches du père et celles de la mère. Non pas qu'il faille tout bouleverser. Non pas qu'il faille passer, comme on l'entend parfois dire, d'une filiation « biologique » à une filiation « sociale ». Car la filiation d'hier n'était pas biologique mais instituée sur le socle du mariage. Et la filiation de demain ne déniera pas l'asymétrie des sexes dans la transmission de la vie, tout simplement parce que cette asymétrie n'a jamais produit la moindre socialité naturelle entre les sexes. Au contraire, elle peut être source de violence, et il faut toujours et partout la mettre en signification et la rapporter à des règles, l'instituer en un mot. Mais cela implique-t-il de continuer à calquer, dans tous les cas, la filiation sur le modèle de la procréation ? C'est toute la question ouverte par la transformation historique de l'adoption depuis le temps où elle était conçue comme une deuxième naissance, justifiant parfois de cacher à l'enfant qu'il avait été adopté et d'effacer toute trace de son origine. Rompre avec ce mythe, valoriser l'adoption pour elle-même et ne plus confondre un parent et un géniteur, tel est l'enjeu de la réforme. Elle démontrera qu'avoir deux pères, ou deux mères, est possible et pensable, et ne dénie en rien que nous sommes tous issus de l'un et l'autre sexe. Il suffit pour cela, sans menace pour les parents adoptifs, de respecter le droit fondamental de l'enfant à son identité personnelle, dès lors qu'il n'est pas né des parents qui l'élèvent. Document 9 Proposition de Résolution relative à la GPA émanant de parlementaires Enregistrée à la Présidence de l’Assemblée nationale le 12 septembre 2014 Proposition de Résolution relative à la gestation pour autrui (GPA), suite à la décision de la Cour européenne des droits de l'Homme du 26 juin 2014, Présentée par Mesdames et Messieurs Pierre LELLOUCHE, Damien ABAD, Bernard ACCOYER, Yves ALBARELLO, Julien AUBERT, Olivier AUDIBERT-TROIN, Patrick BALKANY, Jean-Pierre BARBIER, Étienne BLANC, Marc-Philippe DAUBRESSE, Jean-Pierre DECOOL, Nicolas DHUICQ, Virginie DUBY-MULLER, Arlette GROSSKOST, Patrick HETZEL, Christian JACOB, Jacques LAMBLIN, Charles de LA VERPILLIÈRE, Bruno LE MAIRE, Lionne! LUCA, Patrice MARTIN-LALANDE, Jean-Claude MATHIS, Bernard PERRUT, Didier QUENTIN, Jean-Marie SERMIER, Fernand SIRÉ, Thierry SOLÈRE, Éric STRAUMANN, Claude STURNI, Michel TERROT, Dominique TIAN, Jean-Sébastien VIALATTE et Éric WOERTH, députés. EXPOSÉ DES MOTIFS Mesdames, Messieurs, La question de la gestation pour autrui (GPA) est d'une actualité urgente, puisque le 26 septembre prochain, expire le délai légal de 3 mois, au terme duquel la France n'aura plus le droit d'interjeter appel des arrêts en date du 26 juin 2014 de la Cour européenne des droits de l'Homme (Mennesson contre France et Labassee contre France). La GPA est interdite en France, notre droit est fondé sur la dignité de la personne et l'indisponibilité du corps humain. Le corps humain est en effet ni susceptible d'être vendu, acheté ou loué, ce que confirme l'article 16-7 du code civil, qui dispose que « toute convention portant sur la procréation la gestation pour le compte d'autrui est nulle ». Cette disposition est d'ailleurs d'ordre public au terme de l'article 16-9 du même code. Cette interdiction, introduite dans le code civil par la loi du 29 juillet 1994 relative au respect (indisponibilité) du corps humain et directement issue de la jurisprudence de la Cour de cassation qui dans un arrêt du 31 mai 1991 (numéro 90-20.105), disposait que « une convention par laquelle une femme s'engage, fût-ce à titre gratuit à concevoir et à porter un enfant pour l'abandonner à sa naissance, contrevient tant au principe d'ordre public de l'indisponibilité du corps humain, qu'à celui de l'indisponibilité de l'état des personnes ».

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Les arrêts de la CEDH, s'ils ne remettent pas en cause cette interdiction d'ordre public, et reconnaissent même « que la gestation pour autrui suscite de délicates interrogations d'ordre éthique » justifiant « que les États doivent se voir accorder une ample marge d'appréciation, s'agissant de la décision d'autoriser ou non ce mode de procréation » aboutit en fait au résultat exactement inverse, en considérant que le refus de la transcription de l'acte de naissance, établi en exécution d'une décision étrangère dans le cadre d'une GPA constituait une ingérence dans le droit à l'identité des enfants. Si bien qu'au nom du droit du respect à la vie privée et familiale (article 8 de la convention des droits de l'homme) et de l'intérêt de l'enfant, l'État français se verra donc obligé de transcrire sur le registre français d'état civil un tel acte de naissance, jusqu'ici interdit et même considéré comme une fraude à la loi française. Après la circulaire de Mme la garde des Sceaux de janvier 2013, rédigée afin de faciliter la délivrance de certificats de nationalité française aux enfants conçus par GPA à l'étranger, la décision de la CEDH organise une sorte de régularisation de l'état civil de tous les enfants nés à l'étranger par ce biais. Un tel détournement est inacceptable, non seulement parce qu'il vient contredire le droit et la jurisprudence française, mais parce qu'il risque d'ouvrir un véritable commerce de la GPA au moyen d'entremetteurs et autres officines étrangères qui recherchent en France des parents en mal de ce mode de procréation. PROPOSITION DE RÉSOLUTION Article unique L'Assemblée nationale, Vu l'article 34-1 de la Constitution, Vu l'article 136 de son Règlement, Considérant les arrêts Mennesson c. France et La bassee c. France rendus le 26 juin 2014 par la cinquième section de la Cour européenne des droits de l'Homme (requêtes n°65192/11 et 65941/11), Souhaite que la France réaffirme le principe d'interdiction de la gestation pour autrui qui est d'ordre public en droit français, Souhaite que la France interdise à toutes les parties contractantes à ce type de convention illicite le droit d'adopter l'enfant conçu puis vendu ou donné par la technique de la gestation pour autrui, Souhaite que la France interjette appel des arrêts précités. Document 10 Et le Conseil d’Etat autorisa de fait la GPA en France François Martin, Atlantico, décembre 2014 Vendredi 12 décembre, le Conseil d'Etat a validé la circulaire Taubira. Désormais, les enfants nés de GPA à l'étranger auront accès à la nationalité française, ce qui revient in fine à en autoriser le procédé, interdit en revanche s'il a lieu en France. Une situation de rare hypocrisie sur le plan juridique. Atlantico : Quelle lecture juridique peut-on faire de la circulaire Taubira validée par le Conseil d'Etat récemment ? Est-elle juridiquement compatible avec l'interdiction de la GPA en France ? En premier lieu, cette décision du Conseil d'Etat n'est pas surprenante d'un point de vue juridique, après l'arrêt de la CEDH qui a condamné la France sur le même sujet et contre lequel la France n'a pas fait appel. Par ailleurs, il est en tout état de cause souhaitable que le droit soit appliqué de la même manière partout, au nom du principe d'égalité devant la justice ; on ne peut pas avoir des tribunaux qui placés devant des cas similaires, acceptent ou refusent la transcription dans l'état civil. Donc sur ce plan, la situation est relativement claire : le fait que le contrat d'achat de l'enfant (autant appeler les choses par leur nom) soit illégal, nul et non avenu, ne doit pas aboutir à priver l'enfant de la nationalité française. Par conséquent, tous les couples (hétérosexuels ou homosexuels, ce n'est pas le sujet) qui auront recours à la GPA à l'étranger verront l'enfant concerné reconnu en France. En pure théorie juridique, la GPA peut rester interdite dans notre pays. Mais cette interdiction devient alors un droit abstrait, coupé du réel, un droit menteur. On ne peut pas durablement interdire la cause alors qu'on reconnaît les effets ! L'abstraction juridique, c'est intéressant sur le plan intellectuel, mais là il s'agit d'êtres humains.

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Pourrait-elle permettre un enclenchement de recours qui pourraient in fine s'apparenter à une normalisation de la gestation pour autrui ? Bien entendu, tous les couples concernés vont faire des recours pour obtenir la transcription des enfants dans l'état civil, dans le livret de famille, etc. En théorie encore, une simple circulaire ne s'impose pas aux juges. Mais on voit mal comment ceux-ci pourraient appliquer une autre solution que celle recommandée par la circulaire, puisqu'elle est imposée par la CEDH. Il faudra sans doute attendre une décision de la Cour de cassation pour fixer le droit positif, mais la Cour de cassation elle-même ne pourra que s'incliner devant l'arrêt de la CEDH. A ce stade, il va bien y avoir normalisation du recours à la GPA, puisque tous ceux qui auront les moyens de le faire sauront que l'enfant sera reconnu par l'état civil. Et comme l'environnement juridique va être ainsi stabilisé, cela revient à une incitation de fait. Les cas vont donc se multiplier ; on ne peut pas extrapoler les chiffres actuels de recours à la GPA puisqu'ils se situaient dans un contexte d'incertitude juridique, sur le sort de l'enfant. Cette incertitude va disparaître. Encore une fois, ce n'est pas la circulaire qui est le fait déclencheur de l'évolution du droit, c'est l'arrêt de la CEDH et la décision de la France de ne pas s'y opposer. Simplement, au vu de la circulaire, qui date de janvier 2013, il était évident que le Gouvernement ne s'opposerait pas à cet arrêt. A quels conflits et complications les magistrats et les juges seront-ils confrontés ? Au nom du principe d'égalité devant le droit, les magistrats pourront-ils vraiment continuer à condamner ceux qui y auraient recours illégalement en France? C'est l'étape suivante. Pour l'instant, les sociétés commerciales qui exploitent ce créneau très rentable restent installées à l'étranger, tout en faisant de la publicité sur internet. Si une telle société s'installait clandestinement en France, il est bien évident que la solution qui s'appliquerait aux enfants serait la même. Ces enfants ne seraient pas dans une situation différente en fonction seulement de leur lieu de conception. Seulement, tant que la GPA est officiellement illégale, il est plus difficile pour une telle société d'exercer ses activités sur le territoire national. La situation est d'une rare hypocrisie sur le plan juridique ; nous sanctuarisons notre territoire, mais nous acceptons que ces actes se pratiquent (puisque nous en reconnaissons les effets) à condition que ce soit ailleurs et de préférence loin. Peut-on imaginer une prochaine étape vers une légalisation pure et simple, en invoquant une harmonisation de la CEDH par exemple ? La légalisation de droit (autorisation pure et simple de la GPA) est assez peu probable à court terme, essentiellement pour des raisons d'acceptation par la population, donc des raisons politiques. Mais comme il y a légalisation de fait, cela revient au même - encore une fois, pour les couples qui en ont les moyens financiers. L'étape suivante viendra sans doute de ce point : le marché des enfants réservé aux riches, cela ne tiendra sans doute pas très longtemps. Il est intéressant, pour conclure, de voir ce que devient le droit sur la question du mariage et de la parentalité : il y a un hiatus complet entre la présentation qui est faite du droit et sa réalité. La première est fondée sur l’émotionnel et l'affectivité : la loi « mariage pour tous » est seulement destinée à permettre l'union de ceux qui s'aiment, la GPA est interdite car c'est mal, mais les enfants nés par GPA doivent être reconnus car les pauvres, ils ne sont pas responsables de ce qui leur arrive. La réalité du droit est toute autre : la loi « mariage pour tous » ouvre la voie vers le droit à l'enfant, et la GPA est reconnue de fait. Cette évolution du droit est inquiétante. L’intérêt général et le bien commun voudraient que la loi soit claire, soit qu’elle autorise, soit qu’elle interdise…

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Document 11 La Saine Famille Michel Serres, Revue Etudes, Février 2013 L’Histoire et la famille A partir du moine Hildebrand, devenu pape sous le nom de Grégoire VII et passée la querelle des investitures, l'Église se constitua, non sans mal, en une bureaucratie, assez vite internationale, cohérente, indépendante de tout pouvoir temporel, organisée autour de la hiérarchie du successeur de Pierre et réunie dans un espace restreint. L'obligation de célibat pour les prêtres y fut édictée en vue d'éviter les influences et les querelles opposant les familles puissantes, cherchant à se saisir des postes et à monopoliser le pouvoir ; elles pouvaient même déposer les papes. Dès lors que les clercs n'avaient plus d'enfants, ils ne participaient plus, au moins en principe, à ces luttes qui peuvent déchirer des générations entières et portent préjudice à la constitution d'une société fondée sur l'égalité devant la loi, loi respectée même par le souverain. Brillamment soutenue par Francis Fukuyama et développée en partie par nombre d'historiens, cette idée n'est pas nouvelle. Elle se trouve déjà clairement exprimée dans la cinquante-quatrième leçon du Cours de Philosophie positive qu'Auguste Comte écrivit entre le 15 juin et le 2 juillet 1840. La famille et le fondement de la société D'où l'idée, en effet, que, pour l'Église catholique, et pour elle seule sans doute, la famille n'est plus et ne peut plus être le fondement de la société civile, juridique ou politique. Pour elle seule, dis-je, car son revirement révolutionnaire permit, en Europe, l'établissement d'une politique et d'un droit tels que nous le vivons encore aujourd’hui, héritiers de cet exceptionnel bouleversement. Dans beaucoup de cultures, en effet, l'inverse continue d'avoir lieu et la famille y était vraiment depuis longtemps, et y est encore aujourd'hui, le fondement de la société, de la politique et du droit. De là viennent les luttes et les vendettas qui opposent, souvent jusqu'au sang, tribus, castes ou clans. Pour ces cultures, l'impossibilité d'établir une démocratie authentique tient, en grande partie, à ces pratiques, reprises çà et là, et même chez nous, par les groupes de pression, cette plaie de l'égalité. Autrement dit, la famille porte la responsabilité de la première corruption, celle de tourner toute loi au bénéfice des parents, héritiers ou autres. À comparer son fils, par exemple, à son voisin, pis encore à un étranger, il est en effet difficile au père ou à la mère de pratiquer, pour ces deux individus, l'égalité devant la loi. Pour que celle-ci émerge, il fallait, au moins, séparer l'office et le bénéfice - officium et beneficium -, le fonctionnaire de sa fonction: que le titulaire d'un poste ne puisse pas le léguer à ses enfants. Ses biens, peut-être, mais non point son rôle social. S'il peut le faire, tous les abus sont possibles et les corruptions. Encore tout récemment, la famille Ali tenait la Tunisie, les Moubarak s'étaient approprié l'Égypte, et pis encore en Syrie, où une tribu détruit, par les armes, son peuple. D'où la décision de l'Église catholique d'obliger les prêtres au célibat. Du coup, l'évêque, par exemple, ne peut léguer l'évêché, mieux encore, le professeur d'arithmétique ou de grec ne peut, non plus, laisser sa chaire à ses héritiers. Car, à l'époque, les clercs tenaient, en majorité, l'expertise, scientifique, juridique et même médicale. Plus de legs, règne unique de l'expertise. Ainsi, quand l'Église devint un État, celui-ci ne fut plus fondé sur la famille, qui faisait, qui fait encore obstacle à l'établissement du règne universel de la loi et a fortiori de la démocratie. La réunion actuelle, unisexe, des évêques est la suite de cette décision. Ainsi, lorsque des États divers imitèrent l'Église, ils devinrent libres, en principe au moins, de ces abus. La révolution catholique rendit donc possible la constitution d'un État moderne et fonda l'ère de ce nom. Et elle le fonda parce que, je le répète, elle préconisa l'idée que la famille n'était plus le fondement de la société qu'elle construisit; elle mit cette idée en pratique. Obsédés par les questions sexuelles, sans doute ne comprenons-nous plus le sens sociologique, politique et historique du célibat des prêtres, ni le fait que les chrétiens les appellent « mon père », malgré le fait patent qu’ils n'appartiennent point à leur descendance (…). La Sainte Famille et le massacre des Innocents On compte trois manières de paternité, maternité ou filiation : naturelle, par l'œuvre de chair ; légale, par la déclaration aux autorités civiles ; adoptive, enfin par choix. Dans le récit de la Nativité, le père, Joseph, n'est pas le père naturel, ni Jésus le fils naturel. Il est, d'autre part, impossible que la mère ne soit pas la mère, puisque nous sortons tous d'un ventre féminin. Mais la Sainte Famille ajoute un élément décisif dans cette déconstruction de la filiation naturelle : la virginité de Marie, qui, vue sous cet angle, prend un relief saisissant.

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D'autre part, l'Évangile selon saint Luc ne dit nulle part que Joseph ait déclaré la naissance de l'enfant auxdites autorités, alors que tout le monde affluait, ces jours, à Bethléem, pour un recensement. Au contraire, terrifiée par la décision souveraine de tuer les premiers nés, la famille fuit en Égypte. Je note au passage que ledit massacre des Innocents fait justement partie des pratiques ignobles, criminelles même, résultant de l'importance donnée à la famille de sang dans la constitution sociale et le pouvoir politique; quand ce dernier se transmet par filiation, mieux vaut tuer les héritiers dès le berceau pour se protéger à terme d'un rival possible. Intervenant là, au récit de la Nativité, cette tuerie dessine une sorte de structure figure-fond par rapport à l'établissement de la nouvelle parenté. L'ancienne pratique sert de décor tragique à la neuve. Au total, la Sainte Famille innove puissamment dans la société du temps, fondée sur la généalogie familiale, en la déconstruisant et en substituant aux liens naturels de parenté une structure importée des Romains, l'adoption, c'est-à-dire le choix, individuel et libre, par amour. Document 12 Scène de la vie conjugale au XIXème siècle, (Victorien Sardou en famille) Auguste de Brély (Paris, musée de la Vie romantique)

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