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A propos du spectacle: Put your heart under your feet…and walk! Steven Cohen Vendredi 9 mars 2018 Programme Commun vise la performance Scène : Le Festival international des arts de la scène de Lausanne s’ouvre mercredi avec un menu qui fait la part belle à la performance. Propos de Steven Cohen, invité de marque. Le performeur sud-africain Steven Cohen présente son spectacle «Put your heart under your feet...and walk!/A Elu» au Théâtre de Vidy. Image: ©Pierre Planchenault «Il y a plein d’incompréhensions autour des arts de la performance. Les gens pensent que c’est de la daube et, en effet, il y en a beaucoup! Quand j’entends le mot performance, je ressens une culpabilité collective.» La remarque de Steven Cohen, artiste sud- africain revendiqué gay, juif et antisioniste, dénote d’un flou autour de ce genre artistique arrivé à maturité dans les années 1960 mais qui ne se laisse pas réduire à une forme univoque (lire ci-contre). À l’affiche de Programme Commun, festival lausannois des arts de la scène qui intègre d’autres artistes explorant la veine, Steven Cohen, 56 ans, préfère d’ailleurs se considérer comme évoluant dans les arts visuels. «C’est dans cet esprit que je travaille dans l’action, avec mon corps, précise-t-il depuis Johannesburg. Pour moi, la scène est une sorte de galerie.» Le Sud-Africain est déjà venu à Lausanne. En 2008, il présentait à l’Arsenic Dancing Inside Out, évocation de l’Holocauste pendant laquelle il s’introduisait une caméra et une microlampe dans l’anus pour projeter l’image de son rectum sur un écran placé derrière lui. La description peut sembler choquante, son spectacle ne l’était pas. «Il paraît toujours délicat ou déplacé de traiter des sujets graves avec une part d’ironie. Souvent, les gens ne veulent pas comprendre. Il y a pourtant une partie du travail qui appartient au spectateur. Raconter l’expérience tient de la provocation mais, quand on la voit, on perçoit qu’elle relève de la poésie.» Le coq qui l'a rendu célèbre Sa notoriété, Steven Cohen la doit surtout à son intervention Coq/Cock où, affublé de plumes et de hauts talons, il se promenait en 2012 sur le Trocadéro à Paris avec un coq attaché à son sexe par une laisse. Une irruption artistique dans l’espace public qui lui valut l’attention de la presse internationale et quelques démêlés avec la justice. «La France avait un problème, pas moi. À mon avis, la difficulté n’était pas tant la nudité ou l’exhibitionnisme sexuel – comme il a été dit – , mais l’insulte aux valeurs nationales françaises. Le coq, la tour Eiffel… Dans leur arrogance, ils l’ont très bien compris, mais sans jamais en parler. Pourtant, regardez la vidéo: ce travail est magnifique, il n’a rien de pervers et, sur place, personne ne s’est plaint. Une artiste comme la Luxembourgeoise Deborah De Robertis a fait beaucoup d’efforts pour s’attirer des ennuis en s’exposant elle- même au Musée d’Orsay, elle a toujours été jetée hors du tribunal, sans condamnation!»

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A propos du spectacle:

Put your heart under your feet…and walk! Steven Cohen

Vendredi 9 mars 2018

Programme Commun vise la performance Scène : Le Festival international des arts de la scène de Lausanne s’ouvre mercredi avec un menu qui fait la part belle à la performance. Propos de Steven Cohen, invité de marque.

Le performeur sud-africain Steven Cohen présente son spectacle «Put your heart under your feet...and walk!/A Elu» au Théâtre de Vidy. Image: ©Pierre Planchenault «Il y a plein d’incompréhensions autour des arts de la performance. Les gens pensent que c’est de la daube et, en effet, il y en a beaucoup! Quand j’entends le mot performance, je ressens une culpabilité collective.» La remarque de Steven Cohen, artiste sud-africain revendiqué gay, juif et antisioniste, dénote d’un flou autour de ce genre artistique arrivé à maturité dans les années 1960 mais qui ne se laisse pas réduire à une forme univoque (lire ci-contre). À l’affiche de Programme Commun, festival lausannois des arts de la scène qui intègre d’autres artistes explorant la veine, Steven Cohen, 56 ans, préfère d’ailleurs se considérer comme évoluant dans les arts visuels. «C’est dans cet esprit que je travaille dans l’action, avec mon corps, précise-t-il depuis Johannesburg. Pour moi, la scène est une sorte de galerie.»

Le Sud-Africain est déjà venu à Lausanne. En 2008, il présentait à l’Arsenic Dancing Inside

Out, évocation de l’Holocauste pendant laquelle il s’introduisait une caméra et une microlampe dans l’anus pour projeter l’image de son rectum sur un écran placé derrière lui. La description peut sembler choquante, son spectacle ne l’était pas. «Il paraît toujours délicat ou déplacé de traiter des sujets graves avec une part d’ironie. Souvent, les gens ne veulent pas comprendre. Il y a pourtant une partie du travail qui appartient au spectateur. Raconter l’expérience tient de la provocation mais, quand on la voit, on perçoit qu’elle relève de la poésie.» Le coq qui l'a rendu célèbre Sa notoriété, Steven Cohen la doit surtout à son intervention Coq/Cock où, affublé de plumes et de hauts talons, il se promenait en 2012 sur le Trocadéro à Paris avec un coq attaché à son sexe par une laisse. Une irruption artistique dans l’espace public qui lui valut l’attention de la presse internationale et quelques démêlés avec la justice. «La France avait un problème, pas moi. À mon avis, la difficulté n’était pas tant la nudité ou l’exhibitionnisme sexuel – comme il a été dit –, mais l’insulte aux valeurs nationales françaises. Le coq, la tour Eiffel… Dans leur arrogance, ils l’ont très bien compris, mais sans jamais en parler. Pourtant, regardez la vidéo: ce travail est magnifique, il n’a rien de pervers et, sur place, personne ne s’est plaint. Une artiste comme la Luxembourgeoise Deborah De Robertis a fait beaucoup d’efforts pour s’attirer des ennuis en s’exposant elle-même au Musée d’Orsay, elle a toujours été jetée hors du tribunal, sans condamnation!»

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À Programme Commun, Steven Cohen arrive avec Put your heart under your feet… and walk!/ à Elu, une création au statut particulier puisqu’elle lui a été «imposée» par le double décès de sa nounou et de son compagnon de vie Elu. «La plus spéciale que j’aie jamais faite par ce qu’elle implique de responsabilité et de difficulté. L’une de ses composantes consiste à ingérer les cendres de mon partenaire décédé, ce qui touche au cannibalisme. Une pratique criminelle sur certains territoires mais aussi l’une des plus hautes formes de respect dans certaines cultures. Pas la mienne: pour le judaïsme, c’est une abomination. Mais c’est l’ultime intégration – littérale, intellectuelle, émotionnelle, artistique – d’une mort dans la vie. Le sujet est horrible, mais il ne cherche pas à choquer. Il traite de la perte, de l’affliction, de comment se remettre en mouvement quand on se retrouve pétrifié, telle une pierre.» La dimension rituelle de ses interventions est évidente. Ce n’est d’ailleurs pas la première fois que le Sud-Africain s’empare du décès d’un proche pour l’exorciser. «Je ne suis pas un fétichiste de la mort. Je n’ai rien d’un Damien Hirst de la scène –il suffit de regarder les livres d’art et mon compte en banque! Mais quand mon unique frère s’est suicidé, je me suis senti obligé de créer une œuvre pour lui. Pour Golgotha, j’ai conçu des chaussures avec des crânes. Encore une fois, cela peut paraître si incorrect de marcher sur des têtes humaines! Mais je les avais achetées légalement dans un magasin à New York et payé des taxes au gouvernement américain. Cela abordait le capitalisme, le consumérisme, l’éthique. J’ai mis sept ans à la réaliser. À Elu, un an. C’est plus brut, si loin d’être parfait. Mais ainsi est la vie, ainsi est l’art.» À Lausanne, Steven Cohen répétera trois fois son rituel funèbre. «Plus je le fais, plus c’est dur. Cela devient impossible, mais pas au point de m’arrêter.» Boris Senff

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