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QUAND VINGT ANS NOUS SÉPARENT...: Réflexion d'une professeure en travail social Author(s): Michèle Bourgon Source: Canadian Social Work Review / Revue canadienne de service social, Vol. 5 (Winter/hiver 1988), pp. 108-115 Published by: Canadian Association for Social Work Education (CASWE) Stable URL: http://www.jstor.org/stable/41669249 . Accessed: 16/06/2014 10:53 Your use of the JSTOR archive indicates your acceptance of the Terms & Conditions of Use, available at . http://www.jstor.org/page/info/about/policies/terms.jsp . JSTOR is a not-for-profit service that helps scholars, researchers, and students discover, use, and build upon a wide range of content in a trusted digital archive. We use information technology and tools to increase productivity and facilitate new forms of scholarship. For more information about JSTOR, please contact [email protected]. . Canadian Association for Social Work Education (CASWE) is collaborating with JSTOR to digitize, preserve and extend access to Canadian Social Work Review / Revue canadienne de service social. http://www.jstor.org This content downloaded from 62.122.78.49 on Mon, 16 Jun 2014 10:53:35 AM All use subject to JSTOR Terms and Conditions

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QUAND VINGT ANS NOUS SÉPARENT...: Réflexion d'une professeure en travail socialAuthor(s): Michèle BourgonSource: Canadian Social Work Review / Revue canadienne de service social, Vol. 5(Winter/hiver 1988), pp. 108-115Published by: Canadian Association for Social Work Education (CASWE)Stable URL: http://www.jstor.org/stable/41669249 .

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QUAND VINGT ANS NOUS

SÉPARENT...

Réflexion d'une professeure en travail social

Michèle Bourgon

J'AI EU 40 ANS en mars dernier et, pour la première fois de ma vie de professeure, j'ai soustrait de mon âge l'âge de la majorité de mes étudiantes1, pour m'apercevoir que 20 ans nous séparaient : ce fut un choc. Ce constat, qui peut paraître anodin et sans importance pour certains, m'amena à reconnaître que mon âge me donnait pro- bablement, à leurs yeux, un statut de parent : ce fut un deuxième choc. Il m'amena également à regarder de près mon enseignement, les idéologies qui le sous-tendent et le type de rapport que j'établis avec les jeunes personnes qui se retrouvent dans mes cours. C'est de ce regard critique dont j'aimerais vous entretenir dans les quelques lignes qui suivent.

Bien que j'aie la prétention de croire que mes propos puissent intéresser certains d'entre vous, je n'ai pas celle de penser que la réalité que je décris ici, soit celle de tous les professeurs en travail social, ni même celle de tous mes collègues à l'UQAM et, encore moins, celle de toutes nos étudiantes. Ces propos sont le produit de mon expérience de professeure à l'une des plus jeunes universités du Québec, dans un programme de formation dont les buts, les objectifs et la clientèle visée sont probablement différents de ceux des autres programmes de formation en travail social au pays. Offert sous sa forme actuelle depuis 1979 seulement, le Bac. en travail social de l'UQAM reprend à son compte les principales visées de l'intervention sociale de gauche au Québec de l'époque: celles de cerner la situa- tion concrète des classes populaires et de favoriser des interventions qui aspirent au changement social2. Deux facteurs caractérisent peut-être davantage le programme : l'âge et la provenance profes- sionnelle des enseignants et la présence d'une plate-forme idéolo- gique commune qui doit sous-tendre tous les cours offerts au pro- gramme.

Michèle Bourgon est professeure au Département de travail social à l'Université du Québec à Montréal.

Canadian Social Work Review Volume 5 (Winter) / Revue canadienne de service social volume 5 (hiver) Printed in Canada / Imprimé au Canada

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Jusqu'à tout récemment, l'âge moyen des professeurs dans notre département ne dépassait pas 40 ans. Plusieurs d'entre nous sommes issus des milieux de lutte et de pratique féministe et popu- laire, avons vécu les plus belles années de la mobilisation au Québec et gardons de cette époque un souvenir nostalgique. Le contenu des cours que nous offrons est nourri de ces expériences et, malgré la présence de certaines divergences idéologiques mineures qui, par moments, enrichissent nos débats, nous nous entendons en général très bien sur l'orientation de fond du programme. Notre réputation collective d'être critiques, certains diront « criticailleux », à l'égard de l'ordre social établi et, plus particulièrement, à l'égard de l'institution du travail social attirait, jusqu'à tout récemment, une clientèle étu- diante formée de personnes dont la majorité affichait une certaine affinité idéologique avec les grandes lignes de notre programme. Ceci m'apparaît de moins en moins être le cas depuis les deux ou trois dernières années.

En tant que directrice du module de travail social depuis 1985, j'ai eu à examiner attentivement les quelques 700 dossiers d'admission que nous recevons annuellement3. Cet examen m'a permis de faire deux principaux constats. D'abord celui de me rendre compte que de moins en moins « d'étudiantes adultes »4 demandent l'admission à notre programme, ce qui a comme effet d'augmenter sensiblement la proportion des jeunes finissantes de CEGEP âgées de 20-21 ans admises dans nos salles de classe. Ensuite, celui de me rendre à l'évidence que de moins en moins de personnes qui présentent des demandes connaissent l'orientation spécifique de notre programme et encore moins la partagent. Ces constats m'ont été à maintes reprises confirmés par nombre de mes collègues.

L'existence de ce nouveau profil collectif étudiant au sein de notre programme, qui n'exclut pas la présence de profils individuels fort différents, entraîne des conséquences nombreuses dans nos salles de classe. Une collègue qui enseigne depuis plusieurs années un cours de notre programme, lequel porte sur la condition de vie des femmes et les rapports de sexe5, me racontait récemment que, pour la pre- mière fois cette année, plusieurs étudiantes dans son cours lui ont dit dès le début de la session qu'elles ne voulaient «rien savoir du féminisme "heavy" », lire des grands débats qui traversent le mouvement des femmes depuis 20 ans, et qu'elles voulaient « que ce soit cool », sinon elles quitteraient le cours. Incident isolé, me direz- vous? Je ne le crois pas.

Je dirais plutôt qu'il illustre, à sa façon, une évolution qui s'opère depuis quelques années dans nos salles de classe. Finis les grands débats tels que nous les connaissions et les aimions il y a 10 ans, on veut maintenant discuter de sujets concrets, palpables et dont l'in- térêt et les enjeux sont facilement identifiables et immédiats. Finie

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également la défense des grandes causes qui nous enflammaient et nous donnaient des ailes, on veut dorénavant des rêves à plus petite échelle, dont les réalisations sont elles aussi concrètes, mesurables et palpables.

C'est sur cette toile de fond qu'ont pris forme mes préoccupations. Ces dernières tracent à grands traits, et quelquefois de manière un peu simpliste, une situation à laquelle je fais face quotidiennement dans mon enseignement. Mes contacts avec des professeurs d'autres universités me permettent d'énoncer l'hypothèse que ces constats ne sont ni totalement particuliers à ma salle de classe, ni même à mon université6. Ils s'observent d'ailleurs dans la société en général, pen- sons par exemple à l'évolution récente des mouvements féministes et nationalistes, alors comment pourrait-il en être autrement, même si, comme le prétendent plusieurs, nous habitons une tour d'ivoire... Dans les lignes qui suivent, je vais d'abord esquisser un portrait des jeunes qui se retrouvent dans nos classes et le mettre en parallèle avec un portrait de notre génération. Ensuite, j'amènerai quelques considérations qui me permettront finalement d'identifier des ques- tions auxquelles, je crois, nous devons faire face comme professeurs de travail social.

Mais qui sont-ils ces jeunes qui naissaient au moment de l'Expo 67, qui avaient un an en mai 68, trois ans en octobre 70 et 13 ans au moment du Référendum? D'abord, quelques statistiques éclair tirées de sondages récents7 : - 69 pour cent des jeunes de 18 à 24 ans sont satisfaits de la façon

dont va le Québec actuellement; - 50 pour cent sont satisfaits sur le plan économique; - 70 pour cent font peu confiance à nos partis politiques, mais 82

pour cent font par contre confiance à nos médias d'information. Par rapport à l'ensemble des Québécois, les jeunes valorisent davan- tage l'expression de la personnalité que les plus âgés qu'eux, accor- dent moins d'importance à l'épanouissement professionnel et rejet- tent moins l'autorité que la plupart de leurs aînés. Ils font d'ailleurs plus confiance à la publicité, donnent une plus grande valeur au changement et à la modernité et ont beaucoup plus le goût du risque que nous. Bref, les jeunes, et en ceci ils ressemblent à l'ensemble des Québécois depuis 1983, recherchent l'expression de soi, la sponta- néité et la créativité et partagent avec beaucoup de leurs concitoyens une tendance narcissique très prononcée.

Le portrait des jeunes que nous renvoie ce genre d'information, qui nourrit l'opinion publique autant qu'il est nourri par celle-ci, peut être déroutant pour ceux et celles d'entre nous qui valorisons la mobilisation, les grandes causes et les révoltes collectives... mais

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qu'en est-il véritablement? Les jeunes sont-ils aussi conformistes, narcissiques et satisfaits de l'ordre social établi que peuvent le laisser entendre les sondages?

Jean-François René, qui a longtemps travaillé auprès des jeunes en centre d'accueil et en milieu ouvert, nous donne un autre son de cloche8. Selon lui, les jeunes d'aujourd'hui, loin d'abandonner la partie, adoptent simplement des formes de révolte et de résistance de leur époque plutôt que celles d'il y a 20 ans.

Elle ne porte plus de flambeau cette jeunesse. À la place du flambeau... une lampe de poche. C'est moins romantique... mais beaucoup plus pratique comme outil de survie. Car c'est à cela qu'elle s'adonne la jeunesse d'aujourd'hui: à survivre. Et pour y arriver, elle a su développer toute une panoplie de résistances et de ruses pour mieux affronter la vie. Souci de soi, réseaux d'entraide, enclaves créatrices etc.9

Cette perception qui nous vient de la pratique est confirmée par l'étude exploratoire qu'a menée Jacques Lazure auprès des jeunes de 12 à 20 ans du quartier du plateau Mont-Royal, de la ville de Montréal10. L'analyse des principaux modes de vie11 présents chez les jeunes de son échantillon, amène l'auteur à constater l'émergence d'un nouveau mode de vie au sein de cette population. Issu d'une nouvelle synthèse de l'engagement social et de la recherche d'auto- nomie personnelle, ce nouveau mode de vie donne naissance à des formes de résistance et de lutte plus circonscrites que celles de notre époque et qui cherchent à régler les problèmes concrets d'existence, auxquels ont à faire face les jeunes sur une base très locale et communautaire.

Et nous, qui sommes-nous, leurs professeurs de travail social appelés les «enfants de la Révolution tranquille »? Issus d'une époque à laquelle les conditions matérielles et idéolo- giques ont permis aux utopies de fleurir et aux mouvements sociaux de se développer, nous sommes la génération de l'espoir, du possi- ble, de la confiance en soi et du tout-permis. Mais plutôt que de nous décrire moi-même, j'ai pensé laisser la parole aux jeunes... un peu comme si l'on se mettait à écouter à leurs portes. Faute d'une enregistreuse, j'ai puisé les propos qui suivent dans le petit chef- d'oeuvre de François Benoit et Philippe Chauveau intitulé Accepta- tion Globale : une histoire de générations12, pour du même coup faire bénificier mon texte de leur extraordinaire humour.

Désignés par nos jeunes interlocuteurs du nom de « Refus Globa- listes » parce que l'histoire de notre génération ressemble à un mani- feste continuel axé sur le « contre », nous sommes nés entre 1941 et 1956, avons fait la révolution étudiante et critiqué le travail salarié.

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Nous sommes maintenant confortablement rénumérés, mais refu- sons toujours de croire que ça nous est arrivé. Nous sommes nom- breux, organisés. Nous monopolisons le monde des communica- tions. Nous voulons à tout prix être jeunes avec tous les avantages et aucun des inconvénients. Nous avons maintenant les cheveux courts, mais la dent toujours aussi longue. Bien assis dans les jobs que nous ont créés les réformes en éducation, dont le plus bel exemple est LUDUCU : l'Université du Québec, nous utilisons notre dent longue, entre autres pour traiter nos jeunes étudiants de matérialistes et d'inconscients. Ces derniers, à force de nous écouter déblatérer sur notre époque lointaine, sont en train de développer un sentiment de misérabilisme en comparant la leur à la nôtre, surtout qu'ils n'étaient pas là et ne peuvent savoir ce qui s'est vraiment passé...

Selon eux, seulement deux moments difficiles ont marqué notre histoire belle et merveilleuse. D'abord en 1976, l'élection du Parti Québécois quand, pour la première fois de notre vie, nous nous sommes retrouvés « pour ». Et ensuite en 1986, lorsque nous nous sommes trouvés face au dilemme suivant : voter pour Robert Bou- rassa qui nous avait emprisonnés ou voter pour le Parti Québécois qui nous avait coupé nos salaires. Le choix fut rapidement fait...

Des considérations s'imposent : plus íes temps changent plus Us ne sont peut-être plus les mêmes... Trêve de plaisanteries, mais en sont-elles vraiment? Quelques consi- dérations s'imposent D'abord celle de constater que les utopies des années 60 et 70 sont bel et bien révolues. Les grandes causes communes ne rallient plus les jeunes. « Les grandes organisations les rebutent... L'endoctrinement et les grandes manifestations, c'est bien fini » écrivait Jean Blouin en 198413. Et Jean-François René, deux années plus tard: «Chacun en prend pour son rhume: société, nouvelles pensées, tous les "ismes"; personne ne sort ici ga- gnant... »14 Le temps des mouvements sociaux, tels que nous les avons connus, semble dépassé. Nous entrons, depuis quelques an- nées, dans une ère politique où l'intérêt pour le quotidien prime sur tout le reste. L'existence de cette nouvelle tendance décrite de façon éloquente par le sociologue français Alain Touraine, se retrouve d'ailleurs confirmée pour le Québec de façon empirique par les dernières observations des tendances socio-culturelles de CROP. Cette étude a identifié de manière non équivoque, deux concepts clés présents au sein de notre société actuellement: celui de la débanalisation du quotidien et celui du souci de soi.

Deuxième considération : celle qui m'amène à reconnaître, à partir des informations qui précèdent, que les jeunes d'aujourd'hui résis- tent aux conditions objectives parfois très difficiles qui leur sont faites

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dans notre société en ce moment, tant au niveau matériel qu'idéolo- gique. Je pense, par exemple, aux terribles contradictions qu'ont à porter les enfants de pères homosexuels et qu'ils ont décrites de façon si bouleversante au cours d'une récente émission à Radio- Québec15. D'un côté, un message dominant qui dicte aux enfants d'aimer et de respecter leurs parents, et de l'autre, un message tout aussi dominant dans cette société si profondément homophobe qui leur dit que tout homosexuel est méprisable, dangereux et porteur du Sida. Est-il surprenant que, devant la présence de telles idéologies si impossibles à concilier et raison de plus quand les enjeux sont aussi fondamentaux que ceux que je viens de décrire, de plus en plus de jeunes optent pour des formes de résistance aussi dures que celles des drogues et du suicide, par exemple? Reconnaître l'existence de ces formes peut nous permettre d'éviter de confondre ce qui est différent de ce qui est absent. Mais cette reconnaissance est difficile pour les enfants de la Révolution tranquille que nous sommes et qui ont été nourris, je dirais même gavés, du mythe et des exigences de l'éternelle jeunesse, car elle implique l'abandon de l'illusion que nous sommes encore les jeunes de notre société. Ce n'est peut-être qu'en cédant ce statut, si réconfortant soit-il, que nous pourrons reconnaître que les vrais jeunes d'aujourd'hui ont une réalité bien différente de celle que nous avons connue à leur âge et qu'en conséquence, ils développent et vont continuer à développer des pratiques sociales, au sens large de la société et au sens particulier du travail social, parfois elles aussi très différentes des nôtres...

Pistes d'action en forme de points d'interrogation... En guise de conclusion, voici deux questions auxquelles je crois urgent de trouver des réponses entre nous et avec les étudiantes inscrites dans nos programmes.

D'abord celle qui part du constat que nos salles de classes sont loin d'être de composition monolithique et qu'on y retrouve, encore davantage que dans d'autres programmes universitaires, une forte proportion de personnes dont les conditions politiques, écono- miques et idéologiques ne sont pas celles de ces jeunes de moins de 25 ans qui forment de plus en plus la majorité de nos étudiantes. Comment concilier effectivement des besoins et des attentes qui découlent de réalités si différentes? Par exemple, comment tenir compte d'une part, d'un besoin urgent d'acquérir des aptitudes, des techniques et des connaissances dont on voit tout de suite la perti- nence pour le marché du travail et d'autre part, de celui, tout aussi pressant, de tenir des débats profonds qui peuvent éclairer une expérience antérieure (de femme au foyer, d'assistante ou d'assistée sociale, de travailleuse communautaire sans diplôme) en vue d'en faire profiter sa pratique en travail social? Comment réussir à concilier

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ces différences, sans pour autant sacrifier qui nous sommes et, plus particulièrement, les analyses et les pratiques sociales qui nous carac- térisent de façon collective et individuelle? Et faire ça, par-dessus le marché, dans un cadre institutionnel qui a parfois tendance à déva- loriser de façon subtile l'enseignement au profit de la recherche...

Étroitement liée à ce qui précède, une deuxième question, plus pratico-pratique celle-là. Quels outils pédagogiques pouvons-nous utiliser, en 1987, qui tiennent compte de la présence de protagonistes si différents dans une même salle de classe, tout en tenant compte aussi du type de rapports politiques qui lient ces personnes entre elles et du contexte dans lequel ces rapports s'inscrivent? Les jeunes d'aujourd'hui exigent que l'information qu'on leur présente soit animée, instantanée et emprunte à la formule du spectacle16. De notre côté, nous avons surtout été formés à transmettre nos messages d'une manière plus indirecte et détournée qui demande aux per- sonnes qui nous écoutent de faire confiance au bien-fondé de notre cheminement, avant même de savoir où nous voulons les amener. Souvent, pour nous, le trajet est aussi sinon plus important que la destination elle-même. Pour nos étudiantes qui ont besoin de con- naître tout de suite l'issue d'un trajet, avant de s'y engager, et qui recherchent une gratification plus immédiate, notre processus peut paraître inutilement long et tortueux... Devant le constat de cette divergence fondamentale, nous pouvons utiliser le pouvoir que nous donne notre statut et imposer coûte que coûte notre façon d'assimiler le savoir comme la seule qui vaille. Ou encore, chercher à développer de nouvelles façons d'intégrer et de transmettre notre information qui tiennent compte de ces 20 années qui nous séparent, sans nier pour autant qui nous sommes, ni le contexte institutionnel dans lequel s'inscrit notre enseignement.

Plusieurs d'entre nous avons déjà commencé à créer de ces nou- velles méthodes pédagogiques, mais seul à seul et chacun de notre côté. Ce texte veut amorcer un échange et un partage entre nous. C'est le sort que je lui souhaite...

La balle est lancée.

RÉFÉRENCES

1 Dans le texte qui suit, je vais utiliser le genre féminin lorsque je parlerai de la population étudiante en travail social puisque cette dernière est formée de plus de 85 pour cent de femmes.

2 Tiré à part du Programme de Baccalauréat en travail social, Famille des Sciences humaines, Université du Québec à Montréal, 1987.

3 Le Module de travail social gère annuellement un processus de sélection qui vise à choisir 125 candidates parmi les quelques 700 personnes qui présentent des demandes. Ce processus comprend deux étapes: d'abord celle pour tout le monde de remplir un questionnaire qui cherche, entre autres, à savoir pourquoi

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la personne veut venir en travail social et pourquoi elle a choisi l'UQAM. Ensuite, une entrevue de groupe pour celles qui obtiennent entre 60 et 80 pour cent au questionnaire. Les résultats obtenus au questionnaire et à l'entrevue comptent pour 50 pour cent de la note finale. L'autre 50 pour cent est basé sur les notes académiques obtenues au collégial ou, si la personne n'a pas de diplôme et a 22 ans, sur la pertinence de son expérience antérieure. C'est cette dernière ca- tégorie de personnes qui constitue ce que notre université désigne du nom d'étudiant adulte.

4 Voir la note précédente pour une définition de ce que veut dire ce statut particulier. Le Groupe interdisciplinaire d'études et de recherches sur les femmes (GIERF) de l'UQAM a sorti l'an dernier une plaquette qui décrit bien la réalité de ces femmes au sein de notre université.

5 Ce cours « Femmes, vie privée et rapports de sexe » est obligatoire au sein de notre programme depuis 1979.

6 À une récente réunion du Regroupement des Unités de formation universitaire en travail social (RUFUTS), un collègue d'une autre université m'avouait qu'il n'en pouvait plus de se battre avec ses étudiantes pour leur présenter les grands enjeux du travail social actuel et qu'il préférait leur donner ce qu'elles voulaient : des techniques, des techniques et encore des techniques. Ce sont des ex- périences de ce genre qui ont nourri la réflexion que je vous livre ici.

7 Voir: Tendances socio-culturelles du Québec (Montréal: CROP, 1986); Ten- dances socio-politiques du Québec (Montréal: Sorecom, 1986); Sondage Le Devoir-Créatec+, Montréal, 1987.

8 Jean-François René, « La résistance à l'épreuve du quotidien », dans Jeunesses : des illusions tranquilles (Montréal: VBL éditeur, 1986).

9 Ibid., p. 139. 10 Jacques Lazure, « Les modes de vie des jeunes », dans Une société de jeunes ?

(Québec: Institut québécois de recherche sur la culture, 1986). 1 1 Lazure définit son concept de la façon suivante : « une configuration spéciale du

réel selon laquelle un certain nombre de personnes vivent leur existence d'une manière qui leur est propre et typique ». Lazure, « Les modes de vie des jeunes », p. 44.

12 F. Benoit et F. Chauveau, Acceptation globale : une histoire de générations (Montréal: Boréal Express, 1985).

13 Jean Blouin, « Les valeurs des jeunes », cité par René, « La résistance à l'épreuve du quotidien», p. 123.

14 Ibid.. a 123. 15 L'émission «Parler pour parler», samedi le 20 septembre 1987. 16 Avoir 15 ou 16 ans en 1985 (version abrégée), ministère de l'Éducation,

Gouvernement du Québec, 1985, pp. 19-20.

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