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L’Eutrapélique : N°4 - 3ème trimestre 2013
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Départ pour Paris… Ainsi en avait il été décidé entre François et l’abbé Caillard de Vern, lequel
avait conseillé qu’on lui fit poursuivre ses études, voyant ses bonnes dispositions à étudier…,
pourvu « d’un assez bon commencement aux lettres ».
Le grand jour, celui du départ arrivait… Noël n’en pouvait plus d’attendre et il piaffait comme un
jeune chien à l’idée de cette première grande aventure qui s’offrait à lui. Nous ne saurons attribuer
une date précise à cet événement qui assurément était la première grande décision qui intervenait
pour cet encore bien jeune garçon.
Nous le savons présent de façon certaine à Paris le 1er Janvier 1540, et semble t-il déjà bien intégré
et bien entouré de nombreux compagnons. Ce ne devait pas être le début de son séjour à la capi-
tale, il avait donc entre dix huit et dix neuf ans vraisemblablement lorsqu’il quitta les bords de la
Seiche.
Paris, Paris, Paris… se répétait il
avidement. Que l’imagination tra-
vaillait ! Impossible de la freiner,
de l’entraver, il en rêvait la nuit, et
quand il n’en rêvait pas, il ne pou-
vait trouver le sommeil à cette
alléchante perspective.
Et puis un beau matin, le grand
jour arriva… De son périple, de
son voyage, rien… Il ne dira rien
dans ses écrits de ses conditions de
transport, combien de jours, où
s’arrêta–t-il, nous ne pouvons que
laisser vagabonder notre imagina-
tion. Pleura-t-il, en quittant le
vieux manoir, sa mère, ses amis et
toute la domesticité qui en ce
grand jour était venue ? Nous vou-
drions le
croire, mais rien n’est moins sûr, étant à un âge où l’égoïsme souvent prévaut, ce qu’il quittait
importait beaucoup moins que cet inconnu, rêvé, magnifié, idéalisé, vers lequel il volait.
Mais l’enchantement qui fut le sien, à ce petit campagnard tout ébaubi d’arriver dans cette grande
ville, se traduisit par la qualification dont il allait user : « Royaume de Paris » !
Dans ces deux mots tout est dit, de son mystère et du mirage qui le fascine.
François du Fail, avait été prudent. Pas question de laisser l’animal la bride sur le cou, livré à lui-
même. Un personnage de confiance, ami de la famille de longue date, un certain Colin Briand,
originaire de la paroisse de Pleumeleuc, sur laquelle était la terre de la Herissaye, avait en charge
de veiller sur lui. De le guider, le piloter, mais aussi le surveiller, car les chausses trappes dans une
telle ville étaient légion. De son côté, tout en donnant des leçons de grammaire, ce pédagogue sur-
veillant continuerait ses études de droit pour obtenir ses « degrés », qualifications nécessaires lui
permettant ensuite de s’établir en tant qu’avocat rural, ou sénéchal d’une seigneurie.
Leur arrivée à la capitale, du Fail la décrira avec justesse et humour, s’attardant à relater des anec-
dotes révélatrices de ce qui pouvait retenir l’attention d’un provincial tout juste débarqué.
Colin Briand, alias Lupolde, le troisième larron qui va animer les échanges des Contes et Discours
d’Eutrapel, connaissait déjà pour y être venu, ce Paris mystérieux.
Il va d’abord lui montrer Notre Dame, sur son île, ce vaisseau de pierre avec ses deux grosses
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cloches, Marie et Jacqueline, qu’on retrouve dans Gargantua, et puis… cette statue vénérée et entourée de légendes qui trônait dans
un coin obscur de la cathédrale à droite du chœur, celle de « Maistre Pierre Cugnet ».
La tête de Pierre Cugnet ou Pierre du Coignet, était ainsi dénommée, nous précise Emmanuel Philipot, soit parce qu’elle se trouvait
dans un petit coin ou coignet de l’édi-
fice, soit plus vraisemblablement
parce que les bedeaux « cognaient »
violemment leurs cierges sur son
nez pour les éteindre. Manifestation
d’humeur envers cette statue qui
représentait Pierre de Cugnières,
avocat de Roi, qui avait conseillé à
Philippe VI de réduire les droits de
juridiction des ecclésiastiques.
Personnage ambivalent, on racontait
beaucoup de choses sur lui. Pour
certains ce procureur du Roi avait
été banni et mis en croix pour avoir
amassé beaucoup de richesses par
des moyens douteux, pour d’autres
il avait été un des premiers à vouloir
réduire la puissance de l’Eglise, en
proposant de confisquer le temporel
ecclésiastique au profit du Roi.
C’est cette deuxième version à, la-
quelle se rallia Noël du Fail, qui
toute sa vie luttera contre les dérives
religieuses. Il devint un grand admi-
rateur de ce Pierre de Cugnières et le
félicitera d’avoir tenté de « rogner
les ongles à la puissance et juridic-
tion ecclésiastique ». (Eutrapel, III,
I, 257), rappelant que c’est d’après
ses recommandations qu’Henri VII
d’Angleterre « donna une merveil-
leuse bastonnade aux gens
d’église ».
Et puis après Notre Dame, Colin
Briand lui fit découvrir le fameux
cimetière des Saints Innocents au
cœur de la ville. Cette vision frappa
l’imagination du jeune Noël, ce
qu’il traduira par cette dénomination
« cet horrible mange chair, le cime-
tière sainct Innocent ».
En effet la terre de ce charnier pas-
sait pour faire disparaître avec une
rapidité prodigieuse les innom-
brables cadavres qu’on lui confiait :
au bout de neuf jours – chiffre fati-
dique -, la chair était mangée, digé-
rée, et il ne restait plus que les os…
Ce sinistre avaloir de corps, décrit
dans le journal d’un voyageur suisse
Thomas Platter en 1597, relatant
comment les vivants alentours vi-
vaient dans les émanations pestilentielles de ce charnier, fonctionna jusqu’à la fin du XVIIIème siècle, où, suite à l’effondrement d’un
des murs de soutènement du cimetière, un monceau de cadavres en décomposition fit irruption dans une des caves des maisons qui
jouxtaient cette nécropole moyenâgeuse.
Le cimetière des Innocents
Mille ans
d’histoire
pour ce qui
fut durant
longtemps
la plus
vieille et la
plus grande
des nécro-
poles pari-
siennes…
Lorsque
sortant des
Halles, les
parisiens
veulent se
rendre sur le Boulevard Sébastopol, ils traversent le square Joachim du Bellay avec au mi-
lieu sa fontaine Renaissance. Ils se trouvent là, sur la partie Nord de ce qui était le cimetière
des Saints Innocents.
Déjà utilisé à l’époque mérovingienne, c’est Philippe Auguste entre 1185 et 1190 qui, par-
tant en croisade, et faisant ceindre Paris d’une muraille d’enceinte qui porte d’ailleurs son
nom, le fait agrandir et entourer d’un mur de trois mètres, en faisant ainsi un cimetière intra
muros.
Approximativement rectangulaire, il est compris sur sa longueur entre les rues aux Fers
(actuelle rue Berger) et de la Ferronnerie, et sur sa largeur entre les rues Saint Denis et la
Lingerie, soit une surface sensiblement plus grande que le square actuel. L’enclos est divisé
en deux parties, le cimetière proprement dit et le parterre en périphérie parallèle à la rue de
la Lingerie, où sont édifiées des chapelles.
Si pour les bourgeois les sépultures individuelles étaient la règle, pour les autres l’inhuma-
tion se faisait dans des fosses qui restaient ouvertes jusqu’à ce qu’elles fussent pleines… En
raison de l’explosion démographique, furent construits entre le XIVème et le XVème siècle
des bâtiments accolés aux murs d’enceinte, appelés charniers ou pourrissoirs (!), dans les-
quels étaient entassés les ossements après qu’ils aient été exhumés, pour libérer la place aux
nouveaux candidats à la décomposition expresse, « mange chair » qui avait tant frappé
l’imagination du jeune Noël. La sinistrose du lieu prêtait à la méditation. Ainsi naquirent
sous les arcades de pierre des charniers, où vie et mort se côtoyaient de façon si étroite, des
peintures allégoriques, des fresques, et des épitaphes, dont la célèbre Danse Macabre…
Une fois par an à la Toussaint, un coffre renfermant un squelette d’albâtre était ouvert, et
cette « Mort Saint Innocent », tenant d’une main son linceul et de l’autre un cartouche où,
pour remonter le moral des miséreux …et des autres, on pouvait lire :
« Il n’est vivant, tant soit plein d’art,
Ni de force pour résistance,
Que je ne frappe de mon dard
Pour bailler aux vers leur pitance »
Attribuée au sculpteur Germain Pilon, cette œuvre emblématique se trouve désormais au
Louvre.
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Il fut fermé en Décembre 1780, puis vidé en 1786, et l’église des Saints Innocents rasée en 1785. Les montagnes d’ossements, exca-
vées sur une profondeur d’un mètre cinquante, furent transférées dans des carrières de pierre souterraines du faubourg de la Tombe
Issoire, transformées dès lors en catacombes, et qui peuvent de nos jours partiellement se visiter.
Situé dans le quartier des Halles à Paris, ce lieu de sépul-
ture tenait son nom de l’église des Saints Innocents, tota-
lement disparue aujourd’hui, et alors dédiée aux enfants
de Judée massacrés sur l’ordre du Roi Hérode.
L’emplacement servait de cimetière depuis les Mérovin-
giens, des sarcophages seront retrouvés lors de fouilles
en 1973 – 1974. Il prit de l’importance quand le marché
central de Paris fut installé en 1137 à l’emplacement des
Halles.
Agrandi sous Philippe Auguste, du Moyen Age jusqu’au
XVIIIème siècle, ce sont les corps issus de vingt deux
paroisses qui y furent déposés, plus ceux de l’Hôtel Dieu,
des pestiférés, des inconnus de la morgue, et des suicidés
et noyés de tout horizon, au total c’est plus de deux mil-
lions de Parisiens qui y furent ensevelis !
Quand la terre « miraculeuse » du cimetière avait fait sa
sinistre besogne, les ossements étaient exhumés et finis-
saient dans des charniers construits au XIVème et
XVème siècles tout autour du cimetière, entassés au des-
sus d’arcades qui servaient de passage ou de déambula-
toires aux vivants. Dans l’un d’eux, côté Sud une fresque
représentait la Danse macabre, représentation des vivants
dansant « en la main de la mort », destinée à faire souve-
nance à ceux qui auraient tendance à l’oublier, de l’éphé-
mère de la vie.
Mais de l’autre côté de la Seine, sur la rive Gauche,
c’était le quartier de l’Université. Et là aussi, que de lé-
gendes, de récits, d’histoires circulaient… et surtout ce
qui intéressait vivement le jeune Noël, que de lieux où de
réputés Bretons avaient défendus vaillamment l’honneur
de la Province ! Pétri de la mémoire de ces exploits lin-
guistiques que lui avait narrés Lupolde, son tuteur / pré-
cepteur, il était impatient de s’imprégner de la vue de ces
endroits, fameux et chers aux étudiants. Car Lupolde, fin
stratège, avait pris soin d’aiguillonner la fierté et l’or-
gueil de son protégé pour le mettre sur les rails de
l’étude. En lui faisant miroiter ces prouesses dont étaient
en ce temps friands les étudiants, il l’engageait à suivre
ces glorieux anciens et lui aussi à apporter un jour sa
contribution érudite à l’honneur breton. Bien joué, car
Noël s’empressa de demander où était le lieu où jadis
notre « Maitre Antoine Tempestas tonna si topique-
ment ». Ce personnage est probablement parent de ce
Pierre Tempeste qui fut principal du collège de Montaigu
en 1553, et dont Philipot nous relate qu’il était un redou-
table fouetteur d’écoliers qui terrorisait ses élèves. Mais
nous dit l’érudit biographe, malgré les allusions qu’il fit à
ce collège, il est fort peu vraisemblable que du Fail y fut
« capette ».
Un peu plus loin, il écrit : « ici est le lieu où Dom Jean Margoigne fit sa tentative ». Voilà un nom qui sent bon la Bretagne, déforma-
tion vraisemblable du patronyme « Malgorn », si répandu en Armorique. Et puis quelques mètres plus loin, c’est Caillard d’Amanlis,
sans doute parent de celui qui lui a fourni un « assez bon commencement aux lettres », qui a marqué les mémoires, s’étant illustré en
accordant « Maudrestan et Tartaret », anecdote dont nous avons déjà parlé.
Danse macabre
Cette fresque peinte entre
1423 et 1424 par un familier
du Duc de Berry, se trouvait
au niveau du charnier des
Lingères, le long de la rue de
la Ferronnerie. Présentée
sous forme de quinze ta-
bleaux, composés chacun de
deux personnages, dont l’un était toujours la Mort, figurée sous forme
d’un squelette grimaçant, elle unissait les « Vifs » représentés par des
hommes de toutes conditions, du Pape, du Roi et de l’Empereur à
l’enfant, en passant par le bourgeois, le chevalier, le moine ou le mé-
decin.
Cette danse « en la main de la Mort », se voulait un rappel à ceux qui
auraient été tentés de l’oublier, de la fatuité de la vie.
Prenant le plus souvent la forme d’une farandole, dans laquelle la
Mort entraîne les vivants de force dans une danse pathétique sans
espoir, la Danse Macabre, plus fréquemment peinte que sculptée,
rappelle qu’Elle ne regarde ni le rang, ni les richesses, ni l’âge, ni le
sexe, de ceux qu’Elle prend par la main.
La Danse Macabre du cimetière des Innocents est considérée comme
la première réalisée. Ces représentations jouirent d’une grande popu-
larité pendant la deuxième moitié du XVème siècle, et de nombreuses
ont été peintes sur les murs extérieurs des cloîtres, des charniers, des
ossuaires, et même à l’intérieur d’églises. Les fresques sont souli-
gnées de vers dans lesquels la Mort s’adresse à sa victime d’un ton
menaçant et accusateur, voire sarcastique et cynique, et où l’Homme
plein de remords et de désespoir supplie la pitié et la miséricorde.
La Mort est souvent représentée avec un instrument de musique, qui
évoque le côté séducteur, envoûtant, diaboliquement enchanteur de
Celle qui vous attire vers le Néant. Irrésistible chant des sirènes qui
mènent les marins à leur perte, sonneur de fifre de Hameln qui lui
aussi représente cette mélodie morbide à laquelle la volonté humaine
ne peut s’opposer, les harmonies nées des instruments figurent la voix
de l’au-delà.
Noël du Fail en a parlé dans le chapitre X d’Eutrapel (I, 238), nous en
reparlerons puisque dans ses pérégrinations il repassera avec quelques
anecdotes originales dans ce haut lieu de la Rive Gauche.
Aujourd’hui détruite cette célèbre Danse Macabre nous est parvenue
grâce à un livre de l’éditeur Guyot Marchand publié en 1485.
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Lupolde évoque ensuite le souvenir d’un autre breton, natif d’une paroisse voisine de la sienne, c’est « l’honneste Hervé de Clayes »
qui « harangua à plate cousture contre les premières et secondes intentions enclavées au haut bonnet de la sophisterie » ! Pitto-
resque expression que malheureusement la science de Philipot n’a pu traduire clairement pour nous… Ce personnage aurait vécu au
XVème siècle, mais son souvenir demeurait vivace dans la mémoire des habitants du canton, car un jeune clerc qui avait réussi à
conquérir à Paris le bonnet de Docteur, devenait une véritable gloire locale dont le prestige retombait sur tous les paroissiens. Tout
en se gaussant de la scolastique, du Fail s’est nourri de tous ces mémorables compatriotes, qui ont aiguillonné sa fierté et lui mon-
traient le chemin à suivre.
A côté de ce pèlerinage intentionnel que Lupolde fait prioritairement effectuer à son protégé, le jeune Noël se voit confronté à des
vexations qui vont le blesser, du moins l’irriter. Provincial d’allure, un peu gauche sans doute, il est un parfait sujet de railleries pour
les « titis » parisiens de l’époque. Il se fait traiter
de « Jean le Veau « ou de « Martin le Sot »,
nous confesse t-il, lorsque découvrant étonné
les belles enseignes « pendantes aux rues », il
est arrêté bouche bée devant… D’autant que
parmi ces « enseignes » figuraient les lumi-
gnons rouges, dont il ne tarda pas à com-
prendre le sens, ni les plaisirs dont ils étaient
annonciateurs.
On ne sait précisément, car il n’y fait aucune
allusion, quel collège il fréquenta. Le plus vrai-
semblable est qu’il fut pensionnaire du collège
Sainte Barbe, dont il représente une des pre-
mières fiertés, puisque de nos jours le site In-
ternet de ce prestigieux établissement s’enor-
gueillit de le compter parmi ses illustres an-
ciens élèves. Ceci est corroboré par les nom-
breuses allusions qu’il fait dans Eutrapel à
propos de Montaigu, dont les bâtiments étaient
voisins de ceux de Sainte Barbe. Les deux
collèges étaient séparés par une ruelle étroite
remplie d’ordures, en décrit J. Quicherat dans
Histoire du collège Sainte Barbe. Leurs pen-
sionnaires se détestaient cordialement, et se le
prouvèrent nous le dit il à maintes occasions.
Ce collège de Montaigu avait la réputation
d’être un collège de pouillerie, alors que Sainte
Barbe accueillait des élèves d’une autre origine
sociale. Aussi Barbistes et Montacutiens, ainsi
se nommaient ils, se défiaient ils plus souvent
qu’à leur tour.
Quant à son précepteur Lupolde il a dû lui, être
boursier au collège du Plessix, lequel en vertu
du testament de son fondateur, devait admettre
un nombre fixe de jeunes gens pauvres et méri-
tants originaires de la Bretagne.
Les rixes entre écoliers, ou avec d’autres cor-
porations étaient fréquentes. Ainsi Noël du Fail
dans un chapitre fort intéressant, le chapitre
XXV des Contes et Discours, intitulé « Des
Escholiers et des Messiers », va-t-il relater un
de ces épisodes épiques, qui nous fait mieux
comprendre comment se déroulait la vie estu-
diantine à Paris au XVIème siècle.
Plutôt que nous entretenir de ses études, de ses maîtres, il se plait à peindre ces à côtés de la vie parisienne, qui lui paraissent beau-
coup plus intéressants à relater. La vraie vie en somme, en l’occurrence celle de ces véritables batailles rangées auxquelles partici-
paient écoliers et étudiants.
Le collège Sainte Barbe
A côté de John
Mair théologien
(1467-1550), de
Jean François
Fernel, physicien
(1497-1558),
d’André de Gou-
véa, professeur
(1497-1548), et
de Saint Ignace
de Loyola, fon-
dateur de la
Compagnie de
Jésus (1491-
1556), tous con-
temporains, Noël
du Fail figure
parmi les Barbistes célèbres dont s’honore l’Association des Anciens Elèves
de cette Institution, vieille de plus de cinq siècles. Etablissement fondé en
1460 sur la montagne Sainte Geneviève, situé rue Valette, il était jusqu’en
Juin 1999, date de sa fermeture, le plus vieux collège de Paris. Au fil des
siècles, ni son nom ni son emplacement n’ont changé. Contrairement à
nombre d’autres établissements, qui portaient des noms de provinces ou de
pays, et qui par eux financés, n’accueillaient des que des boursiers origi-
naires, Sainte Barbe se propose d’offrir le savoir à tous. Le succès est vite au
rendez vous et nombre de parlementaires y envoient leurs enfants, le Roi du
Portugal lui confiant même cinquante pensionnaires. Le collège jouit alors
d’une grande renommée et s’agrandit dès sa quinzième année d’existence,
par l’acquisition de l’Hôtel des Coulons par Jean Hubert alors Directeur.
C’est Geoffroy Lenormand, Professeur réputé du collège de Navarre qui lui
donne son nom et qui passera à la postérité comme fondateur. Au milieu du
XVIème siècle, Robert Dugast, Directeur de l’Université et principal du col-
lège en 1553 lègue sa fortune à ce désormais haut lieu du savoir, lui donne
des statuts en 1556, met en place sept bourses, fait reconstruire les locaux et
les agrandit.
Pendant les guerres de religion, catholiques et protestants resteront accueillis
à Sainte Barbe, et si la vie du collège sera troublée comme celle de tous les
établissements, ce n’est qu’en 1589 sous la pression des événements que les
classes fermeront, alors qu’en 1579 déjà quarante des cinquante collèges que
comptait à cette époque l’Université, ne fonctionnaient plus.
Noël du Fail a dû fréquenter Sainte Barbe vers 1540 ou un peu avant, pen-
dant ces années qui constituent ce qu’il est convenu d’appeler le « beau
XVIème siècle », période prospère et calme où l’insouciance de la jeunesse
pouvait s’allier avec bonheur à l’acquisition du savoir.
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Les « messiers » étaient chargés de la police des vignes, en ce temps nombreuses sur le pourtour de Paris, et dont le raisin était fort
convoité à l’époque des vendanges par la gent écolière. Ainsi un premier récit nous relate-t-il les écoliers étrillés par cette police
des vignes et menés, l’oreille basse devant le juge de Sainte Geneviève, « ayant la teste liée et entortillée de branches de vigne ».
La scène se passe dans les vignes au Sud de Paris (faubourgs Saint Michel, Saint Jacques et Saint Marceau), qui dépendaient de
l’abbaye Sainte Geneviève, où les abbés et le couvent avaient droit de haute, moyenne et basse justice, avec prisons et juges indé-
pendants.
Les biographes de du Fail sont divisés pour dire si le turbulent Noël a participé lui-même à ces échauffourées ou s’il les rapporte
par ouï-dire. La Borderie et Courbet pensent qu’il en a été acteur et pas seulement narrateur.
Ce chapitre mouvementé conte en fait deux
épisodes distincts. Le premier voit les che-
napans prendre une verte correction par la
juridiction ecclésiastique. Quant au second
il met soi disant en scène Polygame, si-
tuant cette scène belliqueuse, lorsque « de
mon temps, ce très docte grammairien
Turnebus lisoit au college Saincte Barbe le
troisiesme de Quintilien ». Soi disant, car
la Borderie a démontré que l’helléniste
Turnèbe n’a enseigné au collège Sainte
Barbe qu’à partir de 1538, année où Poly-
game alias François du Fail, marié avant
1533, était paisiblement occupé à gérer son
domaine de Château Letard ! Facétie cou-
tumière de du Fail écrivain, qui aime à
brouiller les pistes, à ne pas indiquer en
référence aux événements qu’il scénarise
des faits historiques précis qui permet-
traient de les situer, comme animé par une
volonté délibérée de donner du fil à re-
tordre à la postérité.
Cette seconde bataille rangée, plus violente
que la première, met en scène des écoliers
pillards qui se frottent, outre les gardeurs
de vigne, avec une compagnie de bonne-
tiers du faubourg Saint Marcel, lesquels
avaient sans doute d’anciens comptes à
régler aussi avec eux. Les pilleurs de raisin
eurent beau prétendre que « leurs chartres
et titres estant aux Mathurins », leur confé-
rant selon eux propriété des vignobles « et
pays adjacents de Vauvert », ils eurent le
dessous. Mais ils revinrent quelques jours plus tard, écrit il, avec l’appui d’un régiment d’imprimeurs, et mirent alors en déroute,
dans une belle revanche, les dits bonnetiers.
Combats homériques tragi-comiques de garnements, qui pouvaient parfois néanmoins mal tourner. Les querelles de propriété
étaient fréquentes, et comme le rappelle Philipot, c’est un litige du même genre, relatif à la propriété du Pré aux Clercs, qui amena
un peu plus tard, en 1548 une grande émeute, les étudiants déniant aux religieux de Saint-Germain le droit de bâtir dans ce pré, ils
démolirent un grand clos de l’abbaye, saccagèrent des maisons et arrachèrent des vignes. Après avoir réprimé ces débordements, le
Parlement statua finalement en donnant raison à la thèse défendue par les écoliers.
Quant aux études, raison pour laquelle il est « monté » à Paris, c’est en pointillés qu’il va nous fournir des indications… Les fre-
daines et autres anecdotes piquantes sont tellement plus savoureuses à rapporter !
Il se laisse pourtant entrevoir achetant des livres sur la montagne Sainte Geneviève, le plus souvent pour le compte de ses maîtres.
Ainsi cite-t- il les illustres libraires du temps, Collinet, Robert Estienne, Vascosan ou Wechel, soulignant d’ailleurs leur probité et
indiquant qu’en leur commerce, ils faisaient le même prix à un enfant et à un vieux professeur.
Il révèle le nom de certains de ses « savans pedagogues » qui lui transmirent leur savoir et façonnèrent la pâte du turbulent étu-
diant : Jean Ricaut, Jean Boucher, Jean Reffait, Dom Bertrand Touschais, Dom Jacques Mellet, noms que d’ailleurs l’ingrate pos-
térité s’empressa d’oublier, mais aussi Caillard de Vern, que nous avons déjà croisé, et surtout Turnèbe, ce brillant helléniste.
Turnèbe
Turnèbe, de son nom
vrai nom Adrien Tour-
neboeuf, d’origine nor-
mande, fit de brillantes
études à Paris, enseigna
à l’Université de Tou-
louse puis au Collège
royal (Collège de
France) en 1547. Emi-
nent professeur de grec,
puis de philosophie
grecque, il forma la plu-
part des humanistes de
la « troisième généra-
tion ». Son rôle fut comparable à celui de Dorat pour les poètes de la Pléiade.
Attiré par la Réforme comme beaucoup d’humanistes séduits par la liberté de
pensée, il polémique avec divers érudits religieux sur l’ordre monastique et sur
l’importance de la science. Helléniste réputé, il disserte sur Platon et de ses dia-
logues métaphysiques, qui doivent, dit il, former un rempart contre les dérives
des interprétations du christianisme. Par la rigueur et la ténacité de ses vues, il
permet aux études classiques de passer de la philologie* à la philosophie.
* philologie : étude de la linguistique historique à partir des textes originaux, pour
savoir déchiffrer des faits sans les dénaturer par des interprétations. Le philologue
enregistre, inventorie et ordonne des faits littéraires, le linguiste compare ces faits
et tentent d’en déduire des lois organiques.
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L’admiration reconnaissante dont Noël fait preuve vis-à-vis de ces maîtres, n’est peut être pas étrangère aussi au fait que la plupart
étaient de la Province, car les Hauts Bretons – nous le verrons dans d’autres circonstances -, savaient se retrouver et se regrouper
dans la capitale.
Tous ces patronymes à cette époque sont inscrits dans les registres de Saint Erblon ou des environs proches, où on les voit figurer
aux baptêmes ou aux sépultures.
Toutes les occasions étaient bonnes, notamment chaque année à la Saint Yves, « jour fatal et devot pour nous autres Bretons ». Là,
tous se rassemblaient, les « Pedans, Regens, et Fesseculs de la nation », s’attablaient avec les écoliers. On banquetait ferme, on
jouait aux dés et aux cartes, et un buvait « à la Bretesque », c'est-à-dire cul sec ! On buvait aussi au bienheureux patron de la Ba-
soche, entonnant à tue tête un verre à la main, l’hymne traditionnel des avocats. Du Fail, il est facile de l’imaginer, ne dut pas être le
dernier à vider son verre et à festoyer de la sorte.
Au travers de ces anecdotes qu’il se plait à peindre, se révèle l’étroite solidarité de tous les Bretons exilés, leur besoin de se retrou-
ver, et de reconstituer un univers à eux dans la grande ville. Evocation des souvenirs du pays, de la famille, nostalgie commune qui
tissait une vraie solidarité entre tous les Bretons, qu’ils fussent bretonnants ou Hauts Bretons.
Gai Luron incontestablement, mais il n’est point de vaillants de la sorte auxquels le mal du pays ne s’attaque…
Notre association a pour buts
D’entretenir la mémoire du « Rabelais Breton » et contribuer par tous moyens à faire connaître et apprécier
l’œuvre littéraire de Noël du Fail.
De permettre qu’à travers des manifestations évoquant sa vie et ses écrits, il prenne la place qui lui revient dans
la littérature du XVIème siècle.
De faire vivre sur le plan culturel son manoir natal, en lui donnant les moyens de rayonner « noblement », en préservant l’esprit tant des lieux, que de celui qui y vit le jour.
Pour nous joindre :
Association « Les Amis de Noël du FAIL »
Siège social : Manoir de Château Letard
Route de Saint Armel
35230 Saint Erblon
Adresse e-mail : [email protected] Président fondateur : Pierre MAILLARD
Site internet : http://www.lesamisdenoeldufail.fr
L’association « Les Amis de Noël du Fail »
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ASSOCIATION DES AMIS DE NOËL DU FAIL ET D’EUTRAPEL
Manoir de Château Letard
Route de Saint Armel
35230 SAINT ERBLON
BULLETIN D’ADHESION
Je soussigné : …………………………………………………………………………..
Demeurant à : …………………………………………………………………………….
N° de Téléphone fixe : ……………………….
N° de Portable : ……………………….
Adresse de courriel : ……………………………………………………
Adhère en qualité de :
Membre actif (cotisation annuelle de 20 euros)
Membre donateur (cotisation ad libitum)
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