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HAL Id: halshs-01964570 https://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-01964570 Submitted on 22 Dec 2018 HAL is a multi-disciplinary open access archive for the deposit and dissemination of sci- entific research documents, whether they are pub- lished or not. The documents may come from teaching and research institutions in France or abroad, or from public or private research centers. L’archive ouverte pluridisciplinaire HAL, est destinée au dépôt et à la diffusion de documents scientifiques de niveau recherche, publiés ou non, émanant des établissements d’enseignement et de recherche français ou étrangers, des laboratoires publics ou privés. Quels enseignements peut-on tirer des politiques monétaires accommodantes pour la Tunisie? Albert Marouani To cite this version: Albert Marouani. Quels enseignements peut-on tirer des politiques monétaires accommodantes pour la Tunisie?. Réformes structurelles et développement économique dans les pays d’Afrique du Nord., Oct 2017, Hammamet, Tunisie. halshs-01964570

Quels enseignements peut-on tirer des politiques

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Page 1: Quels enseignements peut-on tirer des politiques

HAL Id: halshs-01964570https://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-01964570

Submitted on 22 Dec 2018

HAL is a multi-disciplinary open accessarchive for the deposit and dissemination of sci-entific research documents, whether they are pub-lished or not. The documents may come fromteaching and research institutions in France orabroad, or from public or private research centers.

L’archive ouverte pluridisciplinaire HAL, estdestinée au dépôt et à la diffusion de documentsscientifiques de niveau recherche, publiés ou non,émanant des établissements d’enseignement et derecherche français ou étrangers, des laboratoirespublics ou privés.

Quels enseignements peut-on tirer des politiquesmonétaires accommodantes pour la Tunisie?

Albert Marouani

To cite this version:Albert Marouani. Quels enseignements peut-on tirer des politiques monétaires accommodantes pourla Tunisie?. Réformes structurelles et développement économique dans les pays d’Afrique du Nord.,Oct 2017, Hammamet, Tunisie. �halshs-01964570�

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« Quels enseignements peut-on tirer des politiques monétaires accommodantes pour la

Tunisie? »

Albert MAROUANI*

Introduction.

Face à l’ampleur de la crise financière des «subprimes » de 2007-2008l, les Banques

Centrales (BC) des États-Unis (FED) dès 2008, du Royaume-Uni (2009), de l’UE (2015),

bien après le Japon (2001), ont mis en œuvre des politiques monétaires non-

conventionnelles qui se sont traduites principalement par des injections massives de

liquidités dans l’économie (par rachat d’obligations publiques et privées) afin de

contrecarrer la propagation d’une crise financière à caractère systémique et de relancer la

croissance économique. D’autres Banques Centrales dans les pays développés (Suède,

Suisse, etc.) comme dans les pays émergents (Chine, Corée, etc.) ont eu également recours

à ce type de politique monétaire.

Quels enseignements la Tunisie pourrait-elle tirer de ces différentes expériences ? Plus

précisément la BCT peut-elle mener à son tour une politique monétaire accommodante au

service d’un programme de réformes structurelles ?

1°) Une rupture épistémologique ou paradigmatique limitée, à géométrie variable et

asymétrique.

a) une rupture limitée avec le paradigme monétariste.

L’orthodoxie monétaire consiste à croire dans la neutralité de la monnaie et à assigner à

la politique monétaire le soin de la neutraliser par une augmentation de la masse monétaire

qui n’excède pas le taux de croissance de l’économie. La cible principale de la BC est donc

la stabilité des prix à moyen et long terme (de 2% par an pour l’UE). Le canal de

transmission traditionnel de la politique monétaire est le taux d’intérêt directeur qui se

répercute sur les autres taux et notamment sur le coût du crédit. Les autres canaux de

transmission de la politique monétaire transitent par le taux d’intérêt, à travers les prix

des actifs ou le crédit.

* Université de la Côte d’Azur/GREDEG (UMR CNRS).

Page 3: Quels enseignements peut-on tirer des politiques

2

Les BC contrôlent la liquidité de l’économie (par achat et vente de bons du Trésor) et la

liquidité bancaire par la fixation d’un ratio plancher de réserves obligatoires que les

banques doivent détenir pour créer de la monnaie sous forme de crédits accordés aux

entreprises et aux particuliers. Au total dans le modèle monétariste orthodoxe de la

politique monétaire on a une triple dichotomie:

1. Dichotomie entre le monétaire et le financier

2. Dichotomie entre la politique monétaire (BC) et la politique budgétaire (État)

et indépendance du gouverneur de la BC par rapport au pouvoir politique

3. Dichotomie entre les politiques monétaires qui ont une dimension

conjoncturelle de CT et les politiques structurelles de LT.

Les politiques dites « non-conventionnelles » rompent avec certaines de ces

dichotomies par des actions sur la taille du bilan mais aussi sur sa structure.

On distingue ainsi :

• les mesures d’assouplissement quantitatif (« quantitative easing ») qui visent à

augmenter le passif du bilan des BC par une hausse des réserves détenues par les

banques de second rang ;

• les mesures d’assouplissement qualitatif (« qualitative easing ») visent quant à

elles à agir sur la structure du bilan (côté actif notamment) ;

• les mesures d’assouplissement du crédit » (credit easing ») qui visent à la fois la

taille et la structure du bilan.

Ces mesures « non conventionnelles » permettent ainsi à la Banque Centrale de ne plus

être contrainte par la seule manipulation du taux d’intérêt. Elles lui permettent également

de faire face à des situations de crise économique et financière aiguë en pourvoyant à la

demande de liquidité du système financier. On voit bien ici que la stabilité financière est

interdépendante de la stabilité macroéconomique et on ne peut plus se cantonner au

principe de séparation prôné par les politiques conventionnelles entre politique budgétaire

et politique monétaire.

Au total la politique monétaire de « Quantitative Easing » a procédé à une double remise

en question de l’orthodoxie monétariste.

1. Elle a rompu avec la séparation entre monétaire et financier,

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3

2. Elle a amorcé une séparation entre le volet monétaire de stabilisation des prix

et le volet macroéconomique d’action sur l’économie réelle (croissance et

chômage).

PREMIER ENSEIGNEMENT: « Nous pensons qu’il ne faut pas rester au milieu du

gué de la démarche de rupture paradigmatique et dépasser la séparation entre action

conjoncturelle de court terme et action structurelle de LT. En d’autres termes il s’agit de

mettre la politique monétaire accommodante au service de politiques structurelles de

LT. »

b) Une rupture différenciée et à géométrie variable avec le paradigme

monétariste.

Quel que soit le niveau d’appréhension du phénomène de « QE » (national, régional ou

mondial), les mesures prises sont absolument sans précédent et d’une ampleur qui donne le

vertige, notamment aux « petits pays » (Grèce pour l’UE, ou Tunisie par exemple)

confrontés à la rigueur d’un ajustement très « périphérique » sur le plan économique, mais

combien coûteux sur le plan social et humain.

Les politiques de QE ont gonflé fortement le bilan des Banques. Lorsqu’on agrège le total

des bilans des quatre plus grandes banques centrales (USA, UE, Japon et R-U) on atteint

aujourd’hui plus de 12000 milliards de Dollars US avec des taux directeurs inférieurs à

0,5% depuis 2009 et jusqu’à la fin de l’année 2016. Les dettes souveraines à taux négatifs,

représentent en mai 2016 10400 milliards de Dollars US1.

C’est ainsi qu’en rachetant massivement des MBS* (créances hypothécaires immobilières)

et des Bons du Trésor, la Fed a vu passer son bilan de 800 milliards de $ avant la crise des

subprimes, à près de 4500 milliards aujourd’hui, soit l’équivalent de 22% du PIB.

Dans un contexte similaire, le Japon a engagé un nouveau plan de relance de l’ordre de

6000 milliards de Yens pour le mois de juillet 2016 et envisage de nouvelles mesures

d’assouplissement quantitatif.

La politique monétaire accommodante dans la zone Euro est différente de celles qui ont été

menées aux États-Unis, en G-B ou au Japon. Jusqu’à l’été 2012 la BCE, dans le cadre du

« Securities Market Program », a vu la taille de son bilan augmenter, à la suite de deux

1 Agence de notation « Fitch ». * Mortgage Baked Securities

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opérations de refinancement à très long terme qui ont permis d’allouer 1000 milliards

d’Euros, en raison principalement d’une augmentation endogène de la création

monétaire par les banques commerciales et non pas selon un mode exogène comme aux

USA, au Japon et en GB où l’augmentation de la liquidité provient de la seule impulsion

de la BC. Jusqu’en janvier 2015, la BCE a ainsi mené l’essentiel de ses interventions sous

forme de prêts collatéraux au système bancaire. La taille de son bilan a été déterminée par

la demande de liquidités en provenance des banques de second rang. Le total des différents

programmes de refinancement et d’achats de titres visant à améliorer les canaux de

transmission de la politique monétaire (qui ont été affectés par la crise des dettes

souveraines) n’a pas dépassé au début de l’année 2013, 280 milliards d’Euros. On était

bien loin des chiffres de la FED ou de la Banque d’Angleterre qui créaient massivement de

la monnaie scripturale au profit de l’État en se portant acheteur des obligations émises par

le Trésor Public. La véritable rupture intervient le 22 janvier 2015, lorsque M. Mario

Draghi, gouverneur de la BCE, (affublé depuis du surnom de « Super Mario ») a annoncé

l’achat de titres adossés à des actifs (asset backed securities), de titres souverains (bons du

Trésor émis par les États de l’UE) et de titres émis par des agences supranationales, le tout

pour un montant de 60 milliards d’Euros par mois de mars 2015 à septembre 2016, ce qui

représente une augmentation totale de la taille du bilan de la BCE de 1100 milliards

d’Euros! En rachetant ensuite 80 milliards d’euros par mois de dettes publiques et privées

la BCE a vu croitre son bilan de 32% en 2016, pour passer à 3663 milliards d’Euros.2 Le

10 mars 2016 la BCE a annoncé une baisse de son principal taux directeur de 0,05% à 0%,

une baisse de -0,3% à -0,4% du taux de dépôt de leurs liquidités, une hausse du rachat

mensuel des dettes publiques et privées de 60 à 80 milliards d’Euros!

Au regard de ces différences de politique monétaire accommodante, on constate que les

résultats obtenus par les pays de la zone Euro en termes de croissance et de chômage

notamment sont moins bons que ceux obtenus aux États-Unis et au R-U.

2 Rappelons que le Bilan de la BCE comporte à l’actif, les titres, les prêts et les avoirs, et au passif

les billets, les pièces et les comptes courants des banques auprès de la BCE

Page 6: Quels enseignements peut-on tirer des politiques

5

DEUXIÈME ENSEIGNEMENT : « La création monétaire exogène est plus réactive

et plus efficace que la création monétaire endogène ».

c) Une rupture asymétrique avec le paradigme monétariste.

Les économies émergentes sont contraintes de s’ajuster de manière unilatérale et

asymétrique aux conséquences sur leurs économies respectives des politiques monétaires,

budgétaires et de change menées par les pays développés, notamment ceux qui sont

détenteurs de devises clés.

Dans un premier temps la crise des « subprimes » a épargné les pays émergents, mais a

aussi permis à certains d’entre eux de bénéficier d’un redéploiement des flux de capitaux

internationaux en leur faveur et de la baisse généralisée des taux d’intérêt à l’échelle

mondiale. Mais par la suite ces pays ont subi directement ou indirectement la faible

croissance des économies développées et ont été contraints de mener à leur tour des

politiques monétaires plus ou moins « accommodantes ». C’est ainsi que la politique

accommodante de la FED a attiré dans un premier temps des flux de capitaux vers le Brésil

qui se sont ensuite retirés tout aussi brusquement.

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Les principales économies émergentes, notamment d’Asie, ont relâché assez nettement

leur politique monétaire à la fois pour tenter à leur tour d’enrayer par ce biais le

ralentissement de leur croissance économique associé à une faible inflation et d’autre part

pour réagir aux effets asymétriques sur leurs économies et leurs taux de change des

politiques monétaires non coordonnées, différenciées et non synchronisées menées par les

États-Unis, l’UE, le Japon, etc.

A partir du deuxième trimestre 2013 et au cours de l'année 2014 les Banques centrales des

économies émergentes (Turquie, Russie notamment) ont augmenté à plusieurs reprises

leurs taux d’intérêt directeurs, en anticipant sur une sortie éventuelle de la politique de QE

de la Fed. Les gouverneurs de ces BC craignaient que le relèvement des taux d’intérêt

américain ait pour effet un redéploiement des flux de capitaux en leur défaveur, ce qui

aurait pu déstabiliser leurs économies. Seules la Thaïlande, la Chine, la Pologne et l’Arabie

Saoudite ont maintenu leurs taux d’intérêt inchangés.

Au début de l'année 2015 la plupart des économies émergentes, à l’exception de

l’Argentine et du Brésil, relâchent à nouveau leur politique monétaire soit en maintenant

leurs taux d’intérêt stables soit en les réduisant parfois fortement comme l’Indonésie, la

Thaïlande, l’Inde, la Chine, l’Argentine, la Pologne, la Russie, la Turquie. Cette baisse des

taux d’intérêt a pour effet d’accroître de manière mécanique le rendement des obligations

et probablement de relancer les investissements et la croissance.

Mais, comme pour les pays développés, les résultats observés de ces politiques

d’assouplissement monétaire n’ont pas été à la hauteur des attentes. La Chine par exemple

a vu ses ventes augmenter mais moins fortement qu’au cours des années de durcissement

de sa politique monétaire alors que ses exportations et ses importations ont diminué.

Ces résultats divergents montrent bien le caractère asymétrique des politiques

macroéconomiques entre pays développés et pays émergents.

L’effet asymétrique joue quelle que soit la nature de la politique monétaire des PD.

Lorsque les BC des pays développés mènent une politique de QE, cela a pour conséquence

de favoriser dans un premier temps le redéploiement des flux de capitaux vers les pays

émergents. Mais, par la suite, dans la mesure où le résultat des politiques monétaires non

conventionnelles n’a pas permis de relancer la croissance dans les pays développés ni de

relancer l’inflation, les pays émergents ne peuvent profiter pleinement de cette orientation,

Page 8: Quels enseignements peut-on tirer des politiques

7

qui leur était pourtant favorable, des flux de capitaux internationaux, ni en termes de

croissance, ni en termes d’augmentation de leurs exportations. Ils peuvent être alors tentés

de pratiquer une politique commerciale plus agressive en termes de réduction des prix, ce

qui a pour effet d’aggraver davantage la situation économique dans les pays développés et

de prolonger, voire d’accentuer l’assouplissement de leurs politiques monétaires.

A l’opposé, en cas de sortie du QE plus ou moins rapide et selon un agenda différent entre

la Fed, la BCE, la Banque d’Angleterre et la Banque du Japon, les pays émergents peuvent

légitimement craindre que la hausse des taux d’intérêt qui sera pratiquée va détourner les

flux de capitaux internationaux vers les pays développés, ce qui entrainera une

appréciation du taux de change du Dollar américain et de l’Euro notamment. De ce fait

leur balance des paiements va se trouver directement et négativement impactée par la

hausse des prix de leurs importations en produits pétroliers, alimentaires et de haute

technologie. Les pays émergents et en développement vont ainsi devoir s’ajuster de

manière parfois très brutale au durcissement qu’il subisse de plein fouet de leur contrainte

financière externe engendré par des politiques monétaires sur lesquelles ils n’ont aucune

prise.

Les mesures de subvention aux produits de base (augmentation de leur facture pétrolière

par exemple) et alimentaires que les pays émergents et en développement doivent prendre

sous la pression des revendications sociales notamment, vont impacter directement leur

déficit budgétaire et durcir également leur contrainte financière interne.

Les politiques macroéconomiques dans ces pays vont alors être tiraillées entre la nécessité

de réagir à cette double contrainte financière interne et externe. Sous la pression des

organisations internationales et de l’idéologie néo-libérale ils peuvent être tentés de durcir

leur politique monétaire alors même que leur situation économique, qui reste marquée par

une faible croissance et un niveau de chômage élevé (cf. l’indicateur de « l’output gap »),

nécessiterait plutôt une politique monétaire et budgétaire plus accommodante.

L’asymétrie des politiques macroéconomiques met ainsi les pays en développement et

émergents en situation de « double bind », caractéristique des situations de crise (E.

Morin).

En fin de compte, du fait de l’absence de toute coordination, les politiques accommodantes

des banques centrales des pays émetteurs de monnaies internationales obligent tous les

autres pays (émergents et en développement notamment) à ajuster leurs politiques

Page 9: Quels enseignements peut-on tirer des politiques

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monétaires de manière asymétrique sans que cela corresponde forcément aux besoins de

leurs économies. On voit ainsi que les pays dits « périphériques » sont contraints de

s’ajuster unilatéralement en accumulant des réserves de changes pour faire face à ces chocs

exogènes et pour cela à pratiquer des politiques offensives d’exportation basées sur des

gains de compétitivité qui pèsent sur les salaires et leur demande intérieure (politiques

d’austérité) Rodrik, D. (2006). Ces chocs asymétriques qui obéissent aux contraintes

cycliques des économies dominantes s’imposent donc aux pays de leur sphère d’influence

sans lien avec leur régime de change, et sans lien avec leurs propres contraintes de

régulation macroéconomique et de développement. D’où la nécessité pour eux de sortir du

carcan des politiques libérales et d’instaurer un contrôle des capitaux pour mieux maîtriser

leur politique monétaire, infirmant par là le fameux théorème d’incompatibilité de

Mundell. 3 Rey H. (2015). Cette « tyrannie » exercée unilatéralement par les monnaies

internationales, et qu’exprime bien la boutade attribuée à la FED : « Le Dollar c’est notre

monnaie et votre problème ». (Eichengreen, 2011),4 peut être contournée par des États

volontaristes en termes de recherche d’indépendance et de contrôle des capitaux. Sur le

plan international on assiste par exemple aujourd’hui à des tentatives de création de

monnaies régionales en Afrique, en Asie et en Amérique Latine qui contestent le statut du

Dollar comme monnaie internationale.

TROISIÈME ENSEIGNEMENT: « Les pays émergents doivent viser, par des choix

pertinents de spécialisation, de diversification de leurs échanges extérieurs,

d’indépendance monétaire et de contrôle des capitaux à atténuer l’asymétrie de leurs

politiques monétaires par rapport à celles des pays développés qui sont leurs principaux

partenaires ».

2°) Des erreurs de diagnostic sur l’efficacité relative des politiques monétaires

accommodantes.

Il existe une forte inertie dans le choix des mesures de politique macroéconomique aussi

bien dans les pays qui ont adopté des politiques monétaires accommodantes que dans ceux

qui se sont obstinés à maintenir les principes de l’orthodoxie monétariste.

3 En 2011, le FMI a finit par accepter la nécessité de ce contrôle « dans certaines circonstances ». 4 Cf. le « dilemme » soulevé dans les années 60 par Robert Triffin : Une balance commerciale

excédentaire du pays détenteur de la monnaie internationale engendre une pénurie de liquidités

internationales qui freine le commerce mondial tandis qu’un déficit commercial produit de la

liquidité internationale mais accroît le doute sur la soutenabilité de ce déficit et par là sur la valeur

et le statut de la monnaie internationale.

Page 10: Quels enseignements peut-on tirer des politiques

9

a) La persistance de l’idéologie néo-libérale dans la conduite des politiques

monétaires hétérodoxes dans les pays développés, se retrouve également dans

l’interprétation qui est faite de sa faible et relative efficacité.5

On peut être frappé par le décalage entre l’ampleur du stock de création monétaire

engendré par les politiques de QE, tant à l’échelle régionale que mondiale, et la modestie

des flux financiers qui ont été mobilisés dans des opérations de création de valeur et de

richesses réelles susceptibles de soutenir plus vigoureusement la croissance, de réduire le

chômage sans dégrader la qualité des emplois, de répondre aux enjeux planétaires à la fois

sociétaux de développement inclusif et environnementaux de réchauffement climatique et

d’équilibre écologique.

La plupart des études qui ont été menées sur les pays développés pour évaluer l’impact des

politiques monétaires accommodantes et qui ont porté soit sur les canaux de transmission,

soit sur les objectifs poursuivis montrent que l’action sur la sphère financière (en termes de

stabilité, de performance financière, de charges financière, voire de redressement du

secteur bancaire) a été plus efficace que celles sur la sphère réelle (en termes de croissance,

de chômage et d’inflation). La plupart des études montrent que :

1. Les effets sur la croissance ont été faibles, tardifs et incertains.

5 Tous les graphiques ont été faits à partir des données de WDI

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2. Les effets sur le chômage ne semblent pas liés aux politiques de QE.

Sources : d’après les données de WDI

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Italie

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3. Les effets sur l’inflation sont inexistants et contrariés par des tendances

structurelles de l’économie mondiale.

4. Les effets sur les taux de change ont été erratiques.

Face à ce constat désespérant, notamment dans la plupart des pays de l’UE, on en est

même venu à envisager de « jeter de l’argent » par hélicoptère en visant les pauvres et la

classe moyenne (« Monnaie hélicoptère » appelée aussi « QE for people ») pour que la

demande reparte véritablement. Plus sérieusement, il était aussi possible d’envisager des

politiques incitatives fiscales ou juridiques pour que les entreprises augmentent les salaires

et stimulent ainsi une inflation qui tarde à se faire sentir. On aurait pu aussi envisager des

politiques d’augmentation des dépenses publiques orientées sur des investissements de

long terme (infrastructures, transport, énergies renouvelables, santé, éducation, recherche,

etc.). Malheureusement, l’enfermement idéologique dans le paradigme néo-libéral des

décideurs publics, tant à l’échelle des Nations, qu’à l’échelle des organisations

internationales, et l’absence de coordination, de coopération et de régulation des politiques

économiques ne permettent pas aujourd’hui d’envisager des solutions véritablement

innovantes.

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EUR / USD

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La plupart des économistes qui appartiennent au « mainstream » de la pensée néo-libérale

(centrée sur les comportements microéconomiques des agents) ont interprété les

différences de résultats (en termes de croissance et de chômage principalement) entre pays

développés à l’existence ou à l’absence de réformes qui visent en premier lieu le « marché

du travail ». Sans la moindre preuve empirique et sur la base d’une argumentation

théorique faible, au moins sur le plan macroéconomique, ces économistes préconisent des

mesures qui :

• flexibilisent le marché du travail en termes d’ajustement souple des salaires et des

contrats de travail ;

• diminuent la pression fiscale sur les entreprises pour rétablir leur compétitivité

internationale ;

• réduisent les dépenses publiques (et la part de l’Etat dans l’économie) pour réduire

la dette publique et rétablir un strict équilibre budgétaire.

Ces réformes sont dites « structurelles », car elles visent le côté offre de l’économie

(« politique de l’offre ») et qu’elles sont supposées rétablir durablement la compétitivité

des entreprises et par là les équilibres externes (balance commerciale et balance des

paiements).

Faute d’argumentation théorique solide et d’études économétriques empiriques sérieuses,

on met en avant de manière exagérée le « succès » des pays (USA, Allemagne) qui ont mis

en œuvre ces politiques. 6

Ces économistes « libéraux », très présents dans les Média, appellent aujourd’hui de leurs

vœux la fin des politiques de « QE » et le « retour » à l’orthodoxie monétariste. Ils

désespèrent de n’être pas écoutés par la présidente de la Fed (Mme Janet Yellen), le

Président de la BCE (M. Mario Draghi), les institutions internationales (FMI, BM) et de

très nombreux prix Nobel d’économie qui ont une vision plus fine et plus réaliste des

limites structurelles de la croissance mondiale.

Malgré tout, sous la pression du lobby des banques et des idéologues du néo-libéralisme, il

est envisagé aujourd’hui une remontée en douceur des taux d’intérêt et un retour à

l’orthodoxie monétariste.

QUATRIÈME ENSEIGNEMENT : « Les politiques monétaires accommodantes ne

suffisent pas à elles seules à ramener la croissance, à réduire durablement le chômage

et à enrayer la déflation ».

6 Non seulement la croissance des pays dits « vertueux » est somme toute modérée, mais les

« bons » chiffres du chômage cachent une détérioration qualitative des conditions d’emploi, un

accroissement des inégalités et une détérioration du capital humain en termes de santé et de perte

de qualifications et d’employabilité, notamment des séniors.

Page 14: Quels enseignements peut-on tirer des politiques

13

b) L’étrange impasse des néo-libéraux sur le paradoxe de la persistance d’une

pénurie de liquidités internationales. 7

Le PIB mondial en $ courants, a diminué de 6% en 2015 (soit davantage qu’après la crise

de 2009). Dans ses « perspectives économiques » du 1er juin 2016, l’OCDE (après le FMI

et la Banque Mondiale) prévoit une croissance mondiale « molle » de 3% en 2016 et de

3,3% en 2017, en termes réels. L’OCDE souligne le nombre élevé de chômeurs (39

millions), notamment chez les jeunes et les séniors, ainsi que l’accroissement des inégalités

et de la précarité. On peut aussi ajouter la chute des prix des matières premières. Tout

concourt donc à réduire la capacité des pays émergents (Russie, Chine, Brésil…) et du Sud

de l’Europe à rembourser leurs dettes. Les politiques de QE passent à côté de cette

question et du coup échouent à faire croître le niveau des liquidités internationales en dépit

de leur politique d’accroissement massif de l’offre de monnaie. La méfiance qui règne sur

les marchés à l’égard des titres de la dette publique entraine une stérilisation immédiate de

toute création monétaire qui ne se transforme pas ainsi en liquidités prêtes à l’emploi soit

au titre de la consommation, soit au titre de l’investissement. C’est sans doute là la raison

essentielle au fait que les politiques monétaires de QE n’ont pas fait augmenter la liquidité

à l’échelle mondiale.

S’agissant de la zone Euro, les rachats massifs de titres de la dette publique n’ont pas fait

augmenter globalement le niveau d’endettement. On constate au contraire d’après les

statistiques d’Eurostat du 24 avril 2017 que le niveau public d’endettement de la zone Euro

est passé sous la barre des 90% (89,2%) de son PIB. Seuls trois pays ont une dette publique

supérieure à leurs PIB respectifs.8 La France quant à elle voit sa dette publique augmenter

de 92,3% à 96% entre 2013 et 2016, alors qu’à l’inverse, dans le même temps,

l’Allemagne réduit encore son niveau d’endettement de 77,5% à 68,3%. Si le ratio de la

dette publique dépasse largement encore la norme des 60% du PIB, celui du déficit

budgétaire reste très en deçà des 3% pour l’ensemble des pays de l’UE (1,5% du PIB en

moyenne) à l’exception de l’Espagne (4,5%) et la France (3,4%), alors que l’Angleterre et

la Roumanie se situent dans la norme de 3% de leurs PIB respectifs. Cette décrue de

7 Par liquidité internationale on entend les actifs monétaires ou quasi-monétaires qui sont classés

AAA ou AA et qui servent à payer les échanges internationaux (IMPORTS/EXPORTS) et à

rembourser les dettes externes. En général les titres publics des grands pays (USA, Allemagne, R-U,

France, etc.) jouent ce rôle de moyen de paiement international liquide. On peut y ajouter les

avances des BC des pays de l’OCDE, les titres de créance des organisations internationales (BM,

FMI, BEI, etc.) 8 Grèce (179%), Italie (132,6%) et Portugal (130,4%)

Page 15: Quels enseignements peut-on tirer des politiques

14

l’endettement associée à la diminution du ratio du déficit budgétaire en deçà des 3% traduit

bien le fait que les politiques monétaires accommodantes restent encore déconnectées

des politiques budgétaires récessives qualifiées d’austérité. La reprise lente et incertaine

de la croissance (1,7% au sein de la zone Euro et 1,6% aux USA) en 2016 ne saurait selon

nous être attribuée à ces politiques dites « d’assainissement budgétaire » qui ont contribué

à laminer partout dans l’UE les budgets sociaux, à l’exception de la France, de la Finlande

et du Danemark.9 Ces politiques d’austérité ne sont donc pas équitablement réparties au

sein de l’UE, puisque la Grèce par exemple affiche un ratio d’excédent budgétaire de 0,7%,

sans parvenir pour autant à réduire son taux d’endettement !

CINQUIÈME ENSEIGNEMENT : « Les politiques monétaires accommodantes

doivent être couplées à des politiques budgétaires de relance et de réforme du secteur

public »

c) Le « déni de réalité » sur la soutenabilité des dettes publiques.

Il nous paraît que le seul risque véritable que peuvent faire courir aujourd’hui les politiques

monétaires accommodantes est celui du « discrédit » dont peuvent être frappées les BC.

C’est ce « discrédit » qui a entrainé un déclassement des titres publics que rachètent ces

BC, et donc une raréfaction des liquidités internationales. Ce n’est donc pas, comme le

clament les puristes des politiques monétaristes orthodoxes, le risque d’inflation lié à un

excès de liquidité dans un contexte de croissance faible qui est la menace principale des

politiques hétérodoxes.

De fait, en dépit de ces injections massives de monnaie « neuve », la liquidité de

l’économie mondiale n’a jamais été aussi basse.10 Elle ne représente plus que 30% du PIB

mondial, alors qu’elle se situait en 2009 à 60%. Une partie de l’explication de cette chute

tient à la crise de la dette publique qui a favorisé le déclassement des bons du Trésor de

nombreux pays dont la dette est jugée non soutenable.

Cette raréfaction considérable des liquidités internationales explique au moins

partiellement l’atonie des flux internationaux de marchandises et de capitaux. Le niveau du

commerce international n’a jamais été aussi faible depuis le début de la mondialisation au

cours des années 70-80, et la croissance aussi atone générant aussi bien dans les pays

9 En France, la Cour des Comptes estime que la baisse du taux d’emprunt depuis 2011, explique

environ 40% de la diminution du déficit budgétaire. 10 B. Eichengreen, (2011).

Page 16: Quels enseignements peut-on tirer des politiques

15

développés que dans les pays émergents, faiblesse des investissements, chômage de masse,

fragilité bancaire et endettements privés et publics insoutenables.

Pour accroître le niveau des liquidités internationales et faciliter ainsi la reprise des

échanges internationaux et la croissance économique, il faudrait élargir le spectre des

facteurs de confiance liés à des titres publics et privés garantis par les organismes

internationaux (FMI, BM…) et les pays qui jouissent d’importantes réserves de change

(Chine notamment). Ainsi, comme le propose B. Eichengreen, le FMI pourrait vendre des

DTS non plus aux gouvernements mais aux BC, en échange de devises qu’elles créent ex-

nihilo et que le FMI réalloue directement à ses membres. Le même auteur propose que le

FMI emprunte sur les marchés financiers pour pouvoir redistribuer ces fonds par des DTS

supplémentaires, auprès de ses membres. La garantie des liquidités ainsi créées est celle de

la solvabilité collective des membres du FMI qui s’engageraient à recapitaliser le FMI en

cas de défaillance de ses emprunteurs.

L’impact du QE sur les prix des actifs a permis une envolée des cours boursiers (mesurés

par l’indice MSCI de performance des marchés boursiers des pays développés) qui ont été

multipliés par deux depuis 2009. Les investisseurs se sont reportés du marché des

obligations d’État vers l’achat d’actifs plus risqués, ce qui a dopé les bourses. Le

financement des entreprises par la finance directe aurait dû s’en trouvé facilité. De même

le fait que les rendements obligataires sont inférieurs à la croissance du PIB, et que les taux

d’intérêt sont bas, aurait dû faciliter la relance des investissements des entreprises. Or au

sein de la zone Euro, cela ne se produit pas et les économies de la plupart des pays

développés (à l’exception des USA et dans une certaine mesure de la GB) restent atones,

entraînant dans leur stagnation les pays émergents.

Les explications avancées à cette situation restent superficielles. Elles mettent l’accent sur

les comportements microéconomiques et passent à côté des facteurs structurels tels que le

partage de la valeur ajoutée, le ralentissement de la productivité et de la stagnation des

salaires au profit des revenus du capital et de la rente foncière.

Certes l’insuffisance de l’offre de crédit par les banques porte encore la marque de leurs

emprunts toxiques et de leur souci de dégonfler et d’assainir la taille de leurs bilans,

notamment dans le contexte actuel de forte incertitude économique, politique, sociale et

géopolitique. Mais cette « explication » suffit-elle à rendre compte de la faiblesse du

financement bancaire actuel alors même que la faiblesse des taux d’intérêt devrait inciter

les entreprises à prendre plus de risques dans leurs choix d’investissements ? Les chefs

Page 17: Quels enseignements peut-on tirer des politiques

16

d’entreprise seraient-ils devenus subitement averses au risque et timorés dans la recherche

de rendements plus élevés ?

En réalité les comportements sont souvent surdéterminés par des facteurs structurels qui

sont d’ordre macroéconomique. On ne saurait faire l’impasse sur les mutations de

l’économie mondiale : la révolution numérique, le ralentissement des gains de productivité

qui laisse penser que l’on est rentré dans un cycle long de « stagnation séculaire » (L.

Summers), les effets du vieillissement et de la répartition de l’épargne à l’échelle mondiale,

l’accentuation des inégalités de revenu et de patrimoine, les effets du réchauffement

climatique, etc.

Les pays « centraux » (USA, UE, Chine..) qui détiennent une monnaie qui sert de liquidité

internationale n’ont pas les mêmes contraintes de remboursement qu’un petit pays

périphérique dépendant. Pour autant cela ne signifie pas que le pays central doit se

désintéresser de la situation d’endettement du petit pays périphérique, à l’image du

comportement des États-Unis à l’égard des pays d’Amérique Latine notamment, qui

gravitent dans sa zone monétaire. L’UE, si elle veut véritablement régler durablement ses

problèmes de flux migratoires et d’insécurité, doit certes se préoccuper de la situation des

pays endettés en interne (Grèce, Italie, Espagne…), mais aussi et surtout des pays de sa

proche périphérie (de son « voisinage »).

S’agissant de la dette internationale tunisienne, et compte tenu des enjeux géostratégiques

que représente pour l’UE, la réussite de la transition démocratique en Tunisie, on pourrait

autoriser la BCE (à l’instar de ce qui a été fait dans le passé dans le cadre du « plan

Baker » au moment de la crise de la dette internationale du début des années 80), à racheter

les dettes contractées par la Tunisie non seulement auprès des organisations internationales

(FMI notamment), mais aussi auprès des banques internationales privées. Ces dernières ont

prêté à la plupart de ces pays, à des taux d’intérêt qui sont supérieurs de plusieurs points à

ceux pratiqués aujourd’hui au sein de la zone Euro. Dans ces opérations de rachat de dettes

souveraines, la BCE réaliserait des gains qu’elle pourrait reverser gratuitement aux pays

concernés, dès lors qu’ils seront directement affectés à des investissements publics ou

privés définis d’un commun accord. Ces investissements doivent viser prioritairement à

réduire le chômage et les inégalités (de revenus et régionales), mais aussi à promouvoir

une croissance inclusive endogène et durable. Ces opérations de rachat permettent aussi

d’allonger sur un très long terme la maturité de la dette souveraine de la Tunisie, ce qui

Page 18: Quels enseignements peut-on tirer des politiques

17

contribue à alléger considérablement le poids du service de sa dette internationale, offrant

ainsi à la Tunisie des marges de financements supplémentaires.

SIXIÈME ENSEIGNEMENT : « Les politiques monétaires accommodantes doivent

régler le problème des dettes publiques insoutenables à l’échelle mondiale ».

3°) LE CHANGEMENT DE PARADIGME À L’ÉCHELLE D’UNE « PETITE

ÉCONOMIE OUVERTE » : LE CAS DE LA TUNISIE.

a) Quelques tendances macroéconomiques générales de la Tunisie.

• Un ralentissement de la croissance

-4.00

-2.00

0.00

2.00

4.00

6.00

8.00

10.00TUN Croissance du PIB (% annuel)

-

10000000 000

20000000 000

30000000 000

40000000 000

50000000 000

TUN PIB ($ US courants)

Page 19: Quels enseignements peut-on tirer des politiques

18

Le taux de croissance économique remonte très légèrement à 2,2% en 2017 avec une

perspective de 2,8% en 2018.

Certes on peut espérer une croissance plus vigoureuse, notamment au regard du

ralentissement de l’investissement.

Mais globalement la Tunisie reste dans la norme du ralentissement général de l’économie

mondiale (pays développés et émergents confondus) sans rupture apparente depuis la

révolution démocratique de 2011.

• Une stabilisation du taux de chômage à un niveau structurellement

élevé (notamment des jeunes).

-

2 000

4 000

6 000

8 000

10 000

12 000

TUN RNB par habitant, ($ PPA internationaux courants)

TUN RNB par habitant, méthode Atlas ($ US courants)

0.00

5.00

10.00

15.00

20.00

25.00

30.00

35.00

TUN Formation brute de capital (% du PIB)

Page 20: Quels enseignements peut-on tirer des politiques

19

La stagnation du taux de croissance et le ralentissement tendanciel du taux

d’investissement ne permettent pas des créations d’emplois suffisantes pour réduire

significativement le taux de chômage, notamment celui des jeunes diplômés.

• Une stagnation de la compétitivité internationale et une dépendance

accrue au commerce international avec une balance commerciale et une

balance des paiements qui restent structurellement déficitaires.

0

5

10

15

20

25

30

35

40

45

TUN Chômage, total des jeunes (% de la population active âgée de

15 à 24 ans) (estimation modélisée OIT) .. ..

TUN Chômage, hommes (% de la population active masculine)

(estimation modélisée OIT) .. ..

0.00

50.00

100.00

150.00

TUN Indice des termes de l’échange des marchandises nets

(2000=100)

Page 21: Quels enseignements peut-on tirer des politiques

20

Les déficits structurels de la balance commerciale et de la balance des paiements associés à

un niveau d’endettement extérieur à court terme élevé, en grande partie libellée en Dollars,

et à une stagnation des IDE traduisent un degré élevé de dépendance asymétrique

0.00

20.00

40.00

60.00

80.00

100.00

120.00

TUN Commerce de marchandises (% du PIB)TUN Exportations de biens et de services (% du PIB)TUN Importations de biens et de services (% du PIB)

-10.00

-8.00

-6.00

-4.00

-2.00

0.00

TUN Balance des paiements courants (% du PIB)

0.00

1.00

2.00

3.00

4.00

5.00

6.00

7.00

TUN Total des réserves en mois d’importations

Page 22: Quels enseignements peut-on tirer des politiques

21

extérieure.

La « révolution » sociale de 2011 qui a marqué une rupture au sein du système politique

tunisien en ouvrant la voie à un processus de « transition démocratique » non encore

achevé aurait pu dégénérer en crise économique majeure.

En regardant « à la louche » sur près de 40 ans les évolutions de quelques grandeurs

macroéconomiques, nous avons le sentiment qu’il n’y a pas eu de véritable rupture

économique structurelle de l’économie tunisienne après 2011 et encore moins une

révolution dans les objectifs et la conduite des politiques macroéconomiques. Tout se passe

comme si les économistes universitaires tunisiens confrontés à l’ampleur des problèmes, à

la lourdeur des inerties sociales, culturelles, politiques et à la difficulté jugée

insurmontable de surmonter la dépendance à la conjoncture extérieure et aux institutions

internationales, n’osaient pas sinon proposer des solutions économiques innovantes, du

moins débattre plus librement hors des sentiers battus de la pensée néolibérale.

SEPTIÈME ENSEIGNEMENT : « La Tunisie doit mettre en œuvre une politique

monétaire accommodante pour des réformes structurelles de changement de régime

de croissance, plus compétitif et plus créateur d’emplois des jeunes, tout en réduisant

sa dépendance asymétrique extérieure, sans remise en question de sa stratégie

d’ouverture à l’international »

b) La politique monétaire tunisienne reste étrangement toujours très orthodoxe

et donc très « neutre », alors même qu’il y a un très large consensus politique

et social sur la nécessité de mener des réformes structurelles profondes.

0.00

2.00

4.00

6.00

8.00

10.00

12.00

14.00

TUN Investissements étrangers directs, entrées nettes

(% du PIB)

TUN Total de dette extérieure (% du RNB)

Page 23: Quels enseignements peut-on tirer des politiques

22

Depuis l’adoption par la Tunisie, au cours des années 90, du processus de libéralisation

réelle et financière proposé (ou imposé) par les organisations internationales, les différents

gouvernements qui se sont succédés se sont efforcés de coller au plus près au cadre

monétariste conventionnel en affichant leur préférence pour l’orthodoxie monétaire centrée

sur le ciblage d’inflation.

Pour faire face aux bouleversements politiques et à l’agitation sociale engendrés par la

«révolution tunisienne», la BCT dotée d’une nouvelle direction a voulu répondre assez

rapidement au risque monétaire et bancaire d’un «credit crunch» (voire d’un «bank run»)

et à l’éventualité d’une chute de la croissance et d’une aggravation du chômage. Pour cela

elle a assoupli assez nettement sa politique monétaire notamment en injectant de la

liquidité dans le système bancaire.

Mais après cet «écart» par rapport à l’orthodoxie monétariste habituelle, la Tunisie est très

vite revenue dans les «clous» du monétarisme et a adopté une politique monétaire neutre

dès le premier trimestre 2012 puis restrictive au second trimestre de la même année.

Les cibles de la BCT redeviennent ainsi classiquement la lutte contre l’inflation, la stabilité

du DT sur le marché des changes, l’approvisionnement de l’économie en liquidités et le

contrôle prudentiel d’un secteur bancaire (notamment public) fragile marqué par un

volume excessif de créances douteuses dans le bilan des banques.

Reprenons quelques unes des cibles visées par la politique monétaire.

i) L’inflation en Tunisie reste soutenue même si elle est contenue (5% en 2017 et

4,2%, prévus en 2018). Depuis plus de vingt ans le niveau général des prix

augmente de manière continue sans que l’on puisse constater un lien significatif

avec la politique monétaire de la BCT. Les variations du taux d’inflation en

glissement annuel ne paraissent pas non plus sous le contrôle de la politique

monétaire de la BCT.

Page 24: Quels enseignements peut-on tirer des politiques

23

0.00

20.00

40.00

60.00

80.00

100.00

120.00

140.00

TUN Indice des prix à la consommation (2010=100)

0

10,000,000,000

20,000,000,000

30,000,000,000

40,000,000,000

50,000,000,000

60,000,000,000

70,000,000,000

TUN Masse monétaire

(monnaie locale actuelle)

0.00

1.00

2.00

3.00

4.00

5.00

6.00

7.00

TUN Inflation, prix à la consommation (% annuel)

Page 25: Quels enseignements peut-on tirer des politiques

24

On peut donc légitimement s’interroger sur les raisons du ciblage d’inflation de la BCT.

On peut à la limite comprendre, sans le justifier, le comportement rigide de la Haute Cour

de justice de Karlsruhe qui a imposé sa phobie de l’inflation monétaire à la Bundesbank et

par la suite avec l’avènement de l’Euro, à la BCE.

Mais en quoi la BCT doit-elle être soumise encore à cette vision idéologique, sans

fondement scientifique, alors même que sous l’impulsion de Mario Draghi, la BCE, après

la Fed et bien d’autres BC des pays développés et des pays émergents, prend ses distances

avec cette vision étriquée de la politique monétaire ?

Pourquoi doit-on considérer que le principal risque d’inflation en Tunisie est d’ordre

monétaire ? Tous les économistes tunisiens savent pertinemment que les véritables causes

de l’inflation en Tunisie sont à rechercher ailleurs:

• du côté de l’agriculture dont le niveau de production reste encore assez largement

fonction de la pluviométrie,

• des variations du taux de change qui détermine la facture pétrolière notamment,

• d’un excès possible de demande due à l’augmentation des salaires sous la pression

des revendications syndicales au cours de la période dite « de transition ».

• De facteurs conjoncturels tels que par exemple l’impact des flux migratoires

(arrivée massive de réfugiés en provenance de Libye notamment),

• etc.

On sait aussi que l’inflation réelle est minorée par les subventions aux produits de base

(1/3 environ du panier des biens de consommation pris en compte dans l’indice des prix).

0.001.002.003.004.005.006.007.008.00

TUN Rapport de la masse monétaire sur les réserves totales

Page 26: Quels enseignements peut-on tirer des politiques

25

Qui peut légitimement croire qu’en Tunisie, « les anticipations inflationnistes des agents»

sont déterminées par la manipulation du taux d’intérêt directeur ? La politique monétaire

restrictive qui a été menée en Tunisie à partir d’août 2012 par des relèvements successifs

du taux directeur (de 3,5% à 4,75% le 25 juin 2014) n’a pas permis de réduire l’inflation.

Même si en Tunisie la BCT prend en compte le niveau des prix des produits agricoles et

des produits subventionnés (administrés) pour se focaliser sur « l’inflation sous-jacente »,

on ne peut prouver, comme l’ont montré de nombreuses études économétriques menées par

des doctorants tunisiens, que la BCT parvient à limiter l’inflation par sa politique

monétaire orthodoxe. De fait celle-ci a augmenté de 3 à 4% en 2011 à plus de 7%

aujourd’hui. En revanche il est possible et sans doute probable que le relèvement du taux

d’intérêt peut avoir un impact sur le volume du crédit alloué à l’économie pour le

financement des investissements.

ii) Une autre « cible » de la politique monétaire de la BCT est de réguler ou de stabiliser le

taux de change du DT en l’ajustant à l’évolution du niveau général des prix, aux déficits

des balances commerciales et des paiements et en contrôlant de manière plus ou moins

souple les mouvements de capitaux. Le régime de change choisi est intermédiaire entre la

fixité et le flottement libre (« peg » ou ancrage sur le Dollar et l’Euro gardé secret par la

BCT).

Il ne semble pas que la BCT ait comme politique de réduire le degré de « mésalignement »

du taux de change nominal par rapport à un taux de change réel d’équilibre fondamental

(FEER de Williamson). Mais Les variations du taux de change du DT respectivement par

rapport au Dollar et à l’Euro ne semblent pas liées à l’évolution de l’indice général des prix

à la consommation, ni aux taux d’intérêt directeurs fixés par la BCT ni à l’évolution de la

masse monétaire. Le DT se déprécie de manière continue par rapport à l’Euro et de

manière plus erratique avec le Dollar, sans que l’on puisse savoir si ces variations sont

véritablement « maitrisées » par la BCT. Dans la mesure où le Dollar est lié principalement

à la facture pétrolière et au paiement du service de la dette et que l’Euro est lié aux

importations et exportations de Biens et de services avec l’UE, aux IDE et aux

« transferts » des migrants, il nous paraît que la politique de change devrait accentuer la

dépréciation du DT par rapport à l’Euro et accentuer son appréciation par rapport au

Dollar. L’accélération de la dépréciation du DT à la fois par rapport à l’Euro et au Dollar,

non pas à partir de 2011, mais de 2014 semble résulter de la dégradation de la balance des

paiements tunisienne sur laquelle la politique de la BCT n’a aucune prise.

Page 27: Quels enseignements peut-on tirer des politiques

26

Une simple comparaison graphique des variations du taux de change du DT par rapport au

Dollar et à l’Euro aux variations du Dirham Marocain et du Dinar Algérien par rapport aux

mêmes monnaies justifie selon nous l’intérêt d’études plus approfondies sur l’opportunité

d’une « monnaie régionale » maghrébine comme stratégie de réduction de l’ajustement

asymétrique des politiques monétaires des trois pays concernés du Maghreb aux variations

du taux de change des monnaies internationales et notamment du Dollar par rapport à

l’Euro.

0.00

0.50

1.00

1.50

2.00

2.50

TUN Taux de change officiel (unités de devises locales par $ US,

moyenne pour la période)

0

0.1

0.2

0.3

0.4

0.5

0.6

0.7

0.8

0.9

2000

2001

2002

2003

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2005

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2016

TND / EUR

TND / USD

Page 28: Quels enseignements peut-on tirer des politiques

27

HUITIÈME ENSEIGNEMENT : « La politique monétaire en Tunisie doit rompre

avec l’illusion du ciblage d’inflation et se concentrer sur le plan interne sur le ciblage

de l’emploi et de la croissance et sur le plan externe sur une politique fine du taux de

change et du contrôle des sorties de capitaux ».

c) Quelle politique monétaire accommodante pourrait mener la BCT ?

Il est indispensable de retenir du caractère dit « non conventionnel » ou «hétérodoxe» des

politiques monétaires accommodantes, la nécessaire continuité entre la politique monétaire

et budgétaire et aller au-delà jusqu’à assurer une continuité jusqu’aux politiques

structurelles globales ou sectorielles (industrie, agriculture, services, transports, réduction

des inégalités de revenus et régionales, numérique, etc.).

Nous allons nous focaliser ici sur le seul volet de la politique monétaire à l’exclusion de

tous les autres aspects de la politique économique (budgétaire, fiscale, agricole,

industrielle, sociale, internationale, etc.). Nous essaierons de poser quelques idées qu’il

0

0.02

0.04

0.06

0.08

0.1

0.12

0.14

MAD / EUR

MAD / USD

0

0.002

0.004

0.006

0.008

0.01

0.012

0.014

0.016

2000

2001

2002

2003

2004

2005

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2007

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2012

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2014

2015

2016

DZD / EUR

DZD / USD

Page 29: Quels enseignements peut-on tirer des politiques

28

resterait à approfondir par des études plus poussées, d’une politique monétaire non

conventionnelle.

i) sur le plan interne propre à l’économie tunisienne.

Depuis l’amendement de ses statuts en 2006, la BCT ne peut accorder des concours

financiers au Trésor Public. L’article 47 (bis) de la loi 58-90 portant organisation de la

BCT stipule: « La Banque Centrale ne peut accorder des découverts ou des crédits ni

acquérir directement des titres émis par l’État ». L’État se finance aux conditions de

marché en émettant des bons du Trésor (BTCT et BTA).

Sans pour autant remettre en question la nécessaire indépendance de la BCT par rapport au

gouvernement, il nous paraît nécessaire, si l’on veut mettre en œuvre une véritable

politique monétaire hétérodoxe d’autoriser la BCT dans un cadre légal et strictement

réglementé, à acheter directement des obligations publiques, dès lors que l’État utilise la

monnaie locale ainsi nouvellement créée pour investir dans des secteurs qui feraient l’objet

d’un consensus national.11 Pour éviter que ces investissements financés en monnaie locale

ne génèrent de l’inflation, il faudrait justement faire en sorte que la monnaie nouvellement

créée ne soit pas utilisée comme pouvoir d’achat mais comme « convoi » permettant la

mobilisation de forces productives internes inemployées, et qui généreraient ainsi la

création d’emplois aussi bien pour la main-d’œuvre non qualifiée que pour les diplômés

(notamment ceux de l’enseignement supérieur au chômage). Pour les pays dont la balance

commerciale est déficitaire, le contenu en importations de ces projets doit être faible. Les

secteurs visés en priorité doivent être ceux qui sont tournés vers le développement d’un

marché intérieur et tirés par une demande interne, ce qui n’empêche pas de rechercher par

la suite des débouchés extérieurs, notamment vers d’autres pays voisins dans le cadre d’un

processus d’intégration régionale par exemple (UMA). Cette orientation doit viser aussi la

réduction des inégalités régionales permettant ainsi de freiner l’exode rural, tout en

revitalisant les campagnes et les centres urbains secondaires. Cette création monétaire ne

doit donc pas répondre à des buts conjoncturels d’accroissement des dépenses de

fonctionnement du secteur public mais à des réformes structurelles qui auraient fait l’objet

d’un débat public et dont le financement à long terme par pure création monétaire aurait

été voté par le Parlement. C’est bien ainsi qu’il faut comprendre l’articulation de la

11 Le processus d’émergence d’un consensus national sur des objectifs de développement de long

terme doit nécessairement s’opérer à travers des institutions démocratiques, ce qui suppose

l’existence d’un Etat de Droit et la lutte systématique et inflexible contre la corruption.

Page 30: Quels enseignements peut-on tirer des politiques

29

politique monétaire de QE aux politiques structurelles de mise en œuvre d’un nouveau

régime de croissance inclusive respectueux de l’environnement, du développement durable

et de la réduction des inégalités. Par exemple développer l’économie sociale et solidaire

sur la base de la valorisation des aspects les plus dynamiques de l’économie informelle.

Développer également les « SEL » (Système d’économie locale), les circuits courts, les

monnaies locales qui mobilisent une épargne locale, etc.

NEUVIÈME ENSEIGNEMENT : « La politique monétaire accommodante doit

favoriser le marché intérieur pour lutter contre les déséquilibres régionaux et

sociaux»

ii) Sur le plan externe de la politique européenne de voisinage.

La politique euro-méditerranéenne de l’UE est en panne et l’UPM reste aujourd’hui en

rade. Des voix de plus en plus nombreuses (en Allemagne, en France et dans d’autres pays

de la zone Euro) s’élèvent pour ne pas en rester à un traitement purement sécuritaire des

questions migratoires et agir en amont sur les pays d’origine ou de transit des flux

migratoires. C’est donc l’occasion ou jamais de renforcer la coordination des politiques

monétaires hétérodoxes entre la BCE et les pays de la rive Sud et Est de la

Méditerranée, dont au premier chef la Tunisie. La Tunisie peut à notre avis être l’objet

d’une expérimentation innovante en matière de coopération euro-méditerranéenne. Au-delà

des considérations géopolitiques d’une solidarité stratégique et économique mutuellement

avantageuse entre l’UE et les pays de la rive Sud et Est de la Méditerranée, la France

notamment devrait davantage se souvenir qu’elle a des attaches très anciennes d’ordre

économique, politique et culturel avec la plupart des PSEM.

Par exemple, il suffirait d’un changement du cadre législatif et réglementaire pour autoriser

la BCE à acheter en Euros une partie des BT émis par des pays de son voisinage, sous la

condition que ces Obligations d’État ont bien été émises pour financer des dépenses

publiques d’investissement à long terme dans des secteurs clés de leurs économies

respectives (infrastructures coûteuses) ou, pour une meilleure acceptation par les opinions

publiques européennes, dans des secteurs ciblés par la COP 21. Mais on sait bien

aujourd’hui que les questions d’environnement (réchauffement climatique par émission de

CO2, mais pas seulement), de transition énergétique, de flux migratoires et de sécurité sont

liées. Si Mario Draghi a pu évoquer sous forme de boutade l’éventualité de la « monnaie

hélicoptère », rien n’empêche une extension du champ d’action de la BCE aux pays du Sud

de l’Est de la Méditerranée (PSEM) et à titre expérimental à la Tunisie, pour leur permettre

Page 31: Quels enseignements peut-on tirer des politiques

30

de mobiliser l’ensemble de leurs ressources productives inemployées. Orienter vers

l’économie tunisienne une partie de la création monétaire de la BCE, au demeurant très

modeste au regard de la masse des flux qui ont déjà été injectés en vain dans les économies

de la zone Euro, aurait pour avantage d’alimenter en devises ce pays. Rien n’empêche que

le cadre coopératif de la mobilisation de ces flux monétaires implique la création

d’entreprises conjointes ou d’IDE qui pourraient se transformer pour partie en importations

de technologies et de biens d’équipement en provenance de l’UE. Les entreprises et les

États des pays de l’UE qui bénéficieront de ces nouveaux marchés, en termes d’exportation

ou/et d’IDE devront assurer vers ces pays tiers, de véritables transferts de technologie par

la formation de la main d’œuvre locale à tous les niveaux de qualification. L’UE pourrait

également accompagner (relancer ?) le mouvement d’intégration de l’espace euro-

méditerranéen (Union pour la Méditerranée actuellement en panne), par des programmes

ciblés de « coopération euro-méditerranéenne » qui favoriseraient les échanges Sud-Sud.

Le contexte politique et économique interne et externe doit être pris en compte dans les

choix stratégiques de politique économique de la Tunisie.

• Sur le plan intérieur, on assiste à une montée, voire une surenchère, des

revendications salariales et régionales qui mettent sous pression le budget de l’État,

la compétitivité des entreprises exportatrices et l’inflation. La recherche de

« compromis » politiques et sociaux, interfère avec les choix contraints de la

politique économique et oblige les décideurs politiques à faire preuve d’audace et

d’imagination.

• Sur le plan extérieur, la reprise de la croissance au sein de la zone Euro reste

indécise, la sortie du QE ne semble pas encore actée par la BCE et par ailleurs, la

crise sécuritaire et migratoire en Europe (principal partenaire commercial de la

Tunisie) engendre une montée du populisme qui ne favorise pas la coopération

économique euro-méditerranéenne. En outre le climat mondial est marqué par des

incertitudes géopolitiques et géoéconomiques aux États-Unis, en Europe et au

Moyen-Orient qui rendent particulièrement difficiles les prévisions à court moyen

et long terme.

DIXIÈME ENSEIGNEMENT : « La politique monétaire accommodante de la BCT

doit se faire en coordination et coopération avec la politique monétaire

accommodante de la BCE ».

Page 32: Quels enseignements peut-on tirer des politiques

31

CONCLUSION.

Il nous a paru intéressant de jeter un regard nouveau sur la politique économique en

Tunisie en examinant quelques pistes de mise en oeuvre d’une politique monétaire non

conventionnelle, à l’instar de ce qui est fait dans les pays développés, mais en poussant

jusqu’au bout la rupture avec l’orthodoxie monétariste. Pour cela, il nous a semblé

important de pouvoir articuler la politique monétaire accommodante à une politique

structurelle de long terme, c’est à dire à remettre en cause la troisième dichotomie de la

pensée orthodoxe. Il ne s’agit pas ici, selon notre conception, seulement des « réformes

structurelles », qui, dans la vision orthodoxe libérale, portent en priorité sur les conditions

de réalisation d’un excédent durable du budget primaire (hors paiement du service de la

dette) principalement par des réductions des dépenses publiques. Pour nous, les politiques

structurelles doivent viser principalement les conditions d’une croissance endogène

inclusive et durable. Ce qui signifie des investissements publics et privés dans le capital

humain (éducation, recherche, santé), dans la diversification de la base productive, dans la

réduction des inégalités de tous ordres, dans la protection de l’environnement et dans la

promotion des écosystèmes de l’innovation. Il convient aussi d’investir dans la qualité des

institutions en termes de gouvernance et de comportements éthiques. La nécessaire

reconfiguration du système productif porteur de ce nouveau régime de croissance et de

développement durable doit être en adéquation avec l’émergence de nouveaux secteurs tels

que l’environnement, l’énergie, l’économie sociale et solidaire, etc.

Nous avons essayé dans cette communication de tracer seulement quelques pistes de

réflexion d’une politique monétaire absolument hétérodoxe qui rompt définitivement avec

l’orthodoxie du néo-libéralisme. Ces pistes théoriques ne pourront conduire à un véritable

changement de paradigme que si elles parviennent à prendre appui sur les différents

courants passés de la pensée économique hétérodoxe (keynésienne, institutionnaliste,

régulationniste, etc.) tout en les dépassant. L’alternative au néo-libéralisme ne saurait être

un retour ni au protectionnisme ni à l’étatisme, mais à des formes décentralisées de

régulation démocratique qui préservent les libertés individuelles et renforcent les

solidarités sociales et les stratégies coopératives à l’échelle locale et mondiale.

Au moment où les pays d’Europe s’interrogent sur leur avenir et la solidité d’un destin

commun, au moment où le Monde est traversé par des périls de toute nature (écologique,

climatique, sécuritaire, militaire, nucléaire…), au moment où les nationalismes et les

populismes s’exacerbent face à la mondialisation, on peut vraiment penser sans verser dans

un catastrophisme ambiant, qu’il y a « péril en la demeure » méditerranéenne !

Page 33: Quels enseignements peut-on tirer des politiques

32

Faut-il persister dans la voie de politiques qui ont prouvé leur inefficacité et leur

dangerosité ?

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