Question Corpus Voltaire Providence

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[email protected] lyce Descartes, Montigny-le-Bretonneux - Largumentation 2de, Les Lumires, Voltaire - Question sur un corpusCorpus et corrigObjet dtude: Largumentation: convaincre, persuader, dlibrerCorpus(les textes sont aprs le corrig) :Texte A: Micromgas, Voltaire, chapitre 7, de Alors monsieur Micromgas, adressant la parole un autre sage la fin du conte. 1752Texte B: Zadig ou La Destine, chapitre 18: Lermite, de Quand lermite et lui furent dans leurs appartements Prends ton chemin vers Babylone. 1747Texte C: Candide, Voltaire, chapitre 30, de Une chose acheva de confirmer Martin dans ses dtestables principes Le derviche, ses mots, leur ferma la porte au nez.Texte D: Essai de thodice, abrg de la controverse, Leibniz (extrait) I -Question sur un corpus:Selon quelles formes (registres et procds) et quelles fins les argumentations de notre corpus prennent-elles position sur la question de la Providence?

Les textes, libres de droits, sont reproduits ci-dessous.Texte A: Micromgas, Voltaire, chapitre 7, de Alors monsieur Micromgas, adressant la parole un autre sage la fin du conte.Micromgas, un habitant de la plante Sirius, o les hommes sont de grande taille, effectue un voyage interplantaire. Au cours de son priple, il sest li damiti avec le secrtaire de lAcadmie de Saturne, plus petit que lui, le nain. Ces deux hommes parviennent sur la terre o ils dcouvrent des tres minuscules: les hommes. Tenant un vaisseau avec lquipage sur un ongle, Micromgas engage avec eux une conversation philosophique.Alors monsieur Micromgas, adressant la parole un autre sage quil tenait sur son pouce, lui demanda ce que ctait que son me, et ce quelle faisait. Rien du tout, rpondit le philosophe malebranchiste; cest Dieu qui fait tout pour moi: je vois tout en lui, je fais tout en lui; cest lui qui fait tout sans que je men mle. Autant vaudrait ne pas tre, reprit le sage de Sirius. Et toi, mon ami, dit-il un Leibnizien qui tait l, quest-ce que ton me? Cest, rpondit le Leibnizien, une aiguille qui montre les heures pendant que mon corps carillonne, ou bien, si vous voulez, cest elle qui carillonne pendant que mon corps montre lheure; ou bien mon me est le miroir de lunivers, et mon corps est la bordure du miroir: cela est clair.Un petit partisan de Locke tait l tout auprs; et quand on lui eut enfin adress la parole: Je ne sais pas, dit-il, comment je pense, mais je sais que je nai jamais pens qu loccasion de mes sens. Quil y ait des substances immatrielles et intelligentes, cest de quoi je ne doute pas; mais quil soit impossible Dieu de communiquer la pense la matire, cest de quoi je doute fort. Je rvre la puissance ternelle; il ne mappartient pas de la borner: je naffirme rien; je me contente de croire quil y a plus de choses possibles quon ne pense.Lanimal de Sirius sourit: il ne trouva pas celui-l le moins sage; et le nain de Saturne aurait embrass le sectateur de Locke sans lextrme disproportion. Mais il y avait l, par malheur, un petit animalcule en bonnet carr qui coupa la parole tous les animalcules philosophes; il dit quil savait tout le secret, que cela se trouvait dans la Somme de Saint Thomas; il regarda de haut en bas les deux habitants clestes; il leur soutint que leurs personnes, leurs mondes, leurs soleils, leurs toiles, tout tait fait uniquement pour lhomme. ce discours, nos deux voyageurs se laissrent aller lun sur lautre en touffant de ce rire inextinguible qui, selon Homre, est le partage des dieux: leurs paules et leurs ventres allaient et venaient, et dans ces convulsions le vaisseau, que le Sirien avait sur son ongle, tomba dans une poche de la culotte du Saturnien. Ces deux bonnes gens le cherchrent longtemps; enfin ils retrouvrent lquipage, et le rajustrent fort proprement. Le Sirien reprit les petites mites; il leur parla encore avec beaucoup de bont, quoiquil ft un peu fch dans le fond du cur de voir que les infiniment petits eussent un orgueil presque infiniment grand. Il leur promit de leur faire un beau livre de philosophie crit fort menu pour leur usage, et que, dans ce livre, ils verraient le bout des choses. Effectivement, il leur donna ce volume avant son dpart: on le porta Paris lAcadmie des sciences; mais, quand le secrtaire leut ouvert, il ne vit rien quun livre tout blanc: Ah! dit-il, je men tais bien dout.

Texte B: Zadig ou La Destine, chapitre 18: Lermite (extrait)Zadig et lermite qui laccompagne ont t reus avec une parfaite hospitalit par un philosophe retir du monde dans sa maison o rien ne sentait ni la prodigalit ni lavarice.Quand lermite et lui furent dans leur appartement, ils firent long-temps lloge de leur hte. Le vieillard au point du jour veilla son camarade. Il faut partir, dit-il; mais tandis que tout le monde dort encore, je veux laisser cet homme un tmoignage de mon estime et de mon affection. En disant ces mots, il prit un flambeau, et mit le feu la maison. Zadig pouvant jeta des cris, et voulut lempcher de commettre une action si affreuse. Lermite lentranait par une force suprieure; la maison tait enflamme. Lermite, qui tait dj assez loin avec son compagnon, la regardait brler tranquillement. Dieu merci! dit-il, voil la maison de mon cher hte dtruite de fond en comble! Lheureux homme! ces mots Zadig fut tent -la-fois dclater de rire, de dire des injures au rvrend pre, de le battre, et de senfuir; mais il ne fit rien de tout cela, et toujours subjugu par lascendant de lermite, il le suivit malgr lui la dernire couche. Ce fut chez une veuve charitable et vertueuse qui avait un neveu de quatorze ans, plein dagrments et son unique esprance. Elle fit du mieux quelle put les honneurs de sa maison. Le lendemain, elle ordonna son neveu daccompagner les voyageurs jusqu un pont qui, tant rompu depuis peu, tait devenu un passage dangereux. Le jeune homme empress marche au-devant deux. Quand ils furent sur le pont: Venez, dit lermite au jeune homme, il faut que je marque ma reconnaissance votre tante. Il le prend alors par les cheveux, et le jette dans la rivire. Lenfant tombe, reparat un moment sur leau, et est engouffr dans le torrent. O monstre! le plus sclrat de tous les hommes! scria Zadig. Vous maviez promis plus de patience, lui dit lermite en linterrompant: apprenez que sous les ruines de cette maison o la Providence a mis le feu, le matre a trouv un trsor immense: apprenez que ce jeune homme dont la Providence a tordu le cou aurait assassin sa tante dans un an, et vous dans deux. Qui te la dit, barbare? cria Zadig; et quand tu aurais lu cet vnement dans ton livre des destines, test-il permis de noyer un enfant qui ne ta point fait de mal? Tandis que le Babylonien parlait, il aperut que le vieillard navait plus de barbe, que son visage prenait les traits de la jeunesse. Son habit dermite disparut; quatre belles ailes couvraient un corps majestueux et resplendissant de lumire. O envoy du ciel! ange divin! scria Zadig en se prosternant, tu es donc descendu de lempyre pour apprendre un faible mortel se soumettre aux ordres ternels? Les hommes, dit lange Jesrad, jugent de tout sans rien connatre: tu tais celui de tous les hommes qui mritait le plus dtre clair. Zadig lui demanda la permission de parler. Je me dfie de moi-mme, dit-il; mais oserai-je te prier de mclaircir un doute: ne vaudrait-il pas mieux avoir corrig cet enfant, et lavoir rendu vertueux, que de le noyer? Jesrad reprit: Sil avait t vertueux, et sil et vcu, son destin tait dtre assassin lui-mme avec la femme quil devait pouser, et le fils qui en devait natre. Mais quoi! dit Zadig, il est donc ncessaire quil y ait des crimes et des malheurs? et les malheurs tombent sur les gens de bien! Les mchants, rpondit Jesrad, sont toujours malheureux: ils servent prouver un petit nombre de justes rpandus sur la terre, et il ny a point de mal dont il ne naisse un bien. Mais, dit Zadig, sil ny avait que du bien, et point de mal? Alors, reprit Jesrad, cette terre serait une autre terre, lenchanement des vnements serait un autre ordre de sagesse; et cet ordre, qui serait parfait, ne peut tre que dans la demeure ternelle de ltre suprme, de qui le mal ne peut approcher. Il a cr des millions de mondes, dont aucun ne peut ressembler lautre. Cette immense varit est un attribut de sa puissance immense. Il ny a ni deux feuilles darbre sur la terre, ni deux globes dans les champs infinis du ciel, qui soient semblables, et tout ce que tu vois sur le petit atome o tu es n devait tre dans sa place et dans son temps fixe, selon les ordres immuables de celui qui embrasse tout. Les hommes pensent que cet enfant qui vient de prir est tomb dans leau par hasard, que cest par un mme hasard que cette maison est brle: mais il ny a point de hasard; tout est preuve, ou punition, ou rcompense, ou prvoyance. Souviens-toi de ce pcheur qui se croyait le plus malheureux de tous les hommes. Orosmade ta envoy pour changer sa destine. Faible mortel! cesse de disputer contre ce quil faut adorer. Mais, dit Zadig. Comme il disait mais, lange prenait dj son vol vers la dixime sphre. Zadig genoux adora la Providence, et se soumit. Lange lui cria du haut des airs: Prends ton chemin vers Babylone.

Texte C: Candide, Voltaire, chapitre 30 (extrait)Une chose acheva de confirmer Martin dans ses dtestables principes, de faire hsiter plus que jamais Candide et dembarrasser Pangloss. Cest quils virent un jour aborder dans leur mtairie Paquette et le frre Girofle, qui taient dans la plus extrme misre; ils avaient bien vite mang leurs trois mille piastres, staient quitts, staient raccommods, staient brouills, avaient t mis en prison; staient enfuis, et enfin frre Girofle stait fait turc. Paquette continuait son mtier partout, et ny gagnait plus rien. Je lavais bien prvu, dit Martin Candide, que vos prsents seraient bientt dissips et ne les rendraient que plus misrables. Vous avez regorg de millions de piastres, vous et Cacambo, et vous ntes pas plus heureux que frre Girofle et Paquette. Ah! ah! dit Pangloss Paquette, le ciel vous ramne donc ici parmi nous. Ma pauvre enfant! savez-vous bien que vous mavez cot le bout du nez, un oeil, et une oreille? Comme vous voil faite! eh! quest-ce que ce monde! Cette nouvelle aventure les engagea philosopher plus que jamais.Il y avait dans le voisinage un derviche trs-fameux qui passait pour le meilleur philosophe de la Turquie; ils allrent le consulter; Pangloss porta la parole, et lui dit: Matre, nous venons vous prier de nous dire pourquoi un aussi trange animal que lhomme a t form. De quoi te mles-tu? lui dit le derviche; est-ce l ton affaire? Mais, mon rvrend pre, dit Candide, il y a horriblement de mal sur la terre. Quimporte, dit le derviche, quil y ait du mal ou du bien? Quand Sa Hautesse envoie un vaisseau en gypte, sembarrasse-t-elle si les souris qui sont dans le vaisseau sont leur aise ou non? Que faut-il donc faire? dit Pangloss. Te taire, dit le derviche. Je me flattais, dit Pangloss, de raisonner un peu avec vous des effets et des causes, du meilleur des mondes possibles, de lorigine du mal, de la nature de lme, et de lharmonie prtablie. Le derviche, ces mots, leur ferma la porte au nez.

Texte D: Essai de thodice, abrg de la controverse, Leibniz (extrait) V. Objection. Quiconque peut empcher le pch dautrui et ne le fait pas, mais y contribue plutt, quoi quil en soit bien inform, en est complice.Dieu peut empcher le pch des cratures intelligentes; mais il ne le fait pas, et il y contribue plutt par son concours et par les occasions quil fait natre, quoi quil en ait une parfaite connaissance.Donc, etc.Rponse. On nie la majeure de ce syllogisme; car il se peut quon puisse empcher le pch, mais quon ne doive point le faire, parce quon ne le pourrait sans commettre soi-mme un pch ou (quand il sagit de Dieu) sans faire une action draisonnable. On en a donn des instances, et on en a fait lapplication Dieu lui mme. Il se peut aussi quon contribue au mal, et quon lui ouvre mme le chemin quelquefois en faisant des choses quon est oblig de faire; et quand on fait son devoir, ou (en parlant de Dieu) quand, tout bien considr, on fait ce que la raison demande, on nest point responsable des vnements, lors mme quon les prvoit. On ne veut pas ces maux, mais on les veut permettre pour un plus grand bien, quon ne saurait se dispenser raisonnablement de prfrer dautres considrations; et cest une volont consquente qui rsulte des volonts antcdentes, par lesquelles on veut le bien. Je sais que quelques-uns, en parlant de la volont de Dieu antcdente et consquente, ont entendu par lantcdente, celle qui veut que tous les hommes soient sauvs; et par la consquente, celle qui veut, en consquence du pch persvrant, quil y en ait de damns. Mais ce ne sont que des exemples dune notion plus gnrale, et on peut dire, par la mme raison, que Dieu veut par sa volont antcdente que les hommes ne pchent point, et que, par sa volont consquente ou finale et dcrtoire (qui a toujours son effet), il veut permettre quils pchent; cette permission tant une suite des raisons suprieures; et on a sujet de dire gnralement que la volont antcdente de Dieu va la production du bien et lempchement du mal, chacun pris en soi et comme dtach (particulariter et secundum quid, Thom. I, qu. 19, art. 6), suivant la mesure du degr de chaque bien ou de chaque mal; mais que la volont divine consquente, ou finale et totale, va la production dautant de biens quon en peut mettre ensemble, dont la combinaison devient par l dtermine, et comprend aussi la permission de quelques maux et lexclusion de quelques biens, comme le meilleur plan possible de lunivers le demande. Proposition de corrig -Largumentation vise convaincre ou persuader dides que lon dfend. Les documents de notre corpus prsentent ds le premier abord deux procds radicalement diffrents dargumentation. Les trois textes de Voltaire sont en effet des extraits de rcits, qui opposent des tres de fiction. Micromgas, personnage ponyme du conte philosophique de Voltaire paru en 1752, et le secrtaire de lAcadmie de Saturne conversent avec des humains. Un ange prendra la parole devant Zadig qui voyage vers Babylone, dans le conte qui porte son nom et date de 1747. Enfin, un troisime texte narratif, Candide de Voltaire, uvre de 1759, restitue deux dialogues entre des personnages qui se dplacent dun lieu lautre et mditent sur leurs expriences. Mme si les changes de propos au style direct, qui agrmentent le rcit, prsentent souvent des ides, il ne sagit gure de raisonnements proprement parler. Pourtant une signification philosophique doit en tre tire, elle est implicite: cest le propre de largumentation indirecte. A linverse, Leibniz expose dans lEssai de thodice des raisonnements au moyen darguments qui visent convaincre dides explicitement formules : largumentation est alors dite directe. Deux procds diffrents pour deux penses qui se confrontent de manire fconde et ont laiss ces uvres la postrit: Leibniz justifie le mal sur la Terre comme un moyen de laisser lhomme la possibilit de pcher, mais dans le but finalement que le monde tende un plus grand bien. Le thologien use de la raison afin de le prouver. Paradoxalement, la logique et la rationalit sont utilises pour prouver les desseins de Dieu, tandis que la mditation des expriences et le charme sducteur de lironie, chez Voltaire, servent nous montrer que lacceptation de la Providence bute sur la raison.Puisquil sagit de lire le sens de lunivers, Voltaire senhardit utiliser le registre merveilleux tout dabord puisque Micromgas prsente deux habitants clestes, tandis que Zadig assiste une mtamorphose: lhabit dermite disparut; quatre belles ailes couvraient un corps majestueux et resplendissant de lumire, les strotypes de la figure dun ange sont ici convoqus. Mais la trs srieuse thodice de Leibniz traite aussi du merveilleux: le non dmontr, lirrationnel accept, ds lors quil est question de laction divine: ltre suprme [] a cr des millions de mondes. Leur varit est un attribut de sa puissance immense, nous dit Leibniz: toutes ces hyperboles fascinent le lecteur merveill par la magie divine. Il suit en cela Zadig, qui, sil commence par protester, finalement, adore et se soumet. Nous sommes presque la fin de la premire version du conte: il faut entendre l probablement le sens que veut lui attribuer Voltaire, qui accepte une entit divine pour laquelle il ny a point de hasard, tout est [] prvoyance.. Ce registre merveilleux doit aussi tre reconnu, dans la sacralit du propos de Leibniz, lorsquil sagit dvoquer la volont de Dieu: l encore, est admise une explication du monde que la raison ne peut dmontrer: un tre suprieur et surnaturel.Mais Leibniz imprime la gravit du trait de philosophie sa dmonstration, tandis que Voltaire use du registre satirique, qui procde une critique moqueuse. En effet, il caricature la puissance divine, dans Micromgas, grand renfort de radicalit et de redondance : cest Dieu qui fait tout pour moi: je vois tout en lui, je fais tout en lui; cest lui qui fait tout sans que je men mle. Le Leibnizien de Voltaire dfinit son me par deux mtaphores contradictoires: les Lumires mprisent la mtaphore, parce quelle vient brouiller la raison. A fortiori quand elle dtruit par le renversement le peu de sens que lon pouvait y saisir: lme du Leibnizien est une aiguille qui montre les heures pendant que [s]on corps carillonne, ou bien, [], cest elle qui carillonne pendant que [s]on corps montre lheure, caricature encore, que ce renversement. Dans Zadig, la main de Dieu, qui fait le mal par la voix de lange Jesrad, pour permettre un plus grand bien, est aussi reprsente de manire caricaturale: il faut que je marque ma reconnaissance votre tante[, dit lange au neveu de son htesse]. Il le prend alors par les cheveux, et le jette dans la rivire. Lenfant [] est engouffr dans le torrent mais cest parce que ce jeune homme[] aurait assassin sa tante dans un an, et[Zadig] dans deux. Cest pourquoi la Providence [lui] a tordu le cou, lexpression voque un meurtre barbare, ou lexcution sordide dun animal de basse-cour. Cest cette violence du sort, nous laisse entendre Voltaire, qui rend incomprhensible et incroyable la notion de la Providence: lexcs caricatural nous montre que la Providence est proprement impensable; lordre du monde est incomprhensible. Cest sans doute la raison pour laquelle Voltaire choisit une mtaphore cette fois, dessein, le livre tout blanc qui symbolisera lineffable et linintelligible de lorigine de lunivers et de sa finalit: le bout des choses. Ce silence marque la fin de Micromgas , comme le silence est impos par le derviche, qui enseigne quil faut [se] taire, et ferm[e] la porte au nez de ses visiteurs mtaphysiciens: cette brve scne de comdie dans Candide est un exemple dargumentation indirecte la fois drle et symbolique. Le geste et linjonction sont une repartie cinglante tous les questionneurs de la Providence, le lecteur doit comprendre quil ne faut donc pas chercher lucider cette Providence. Mais le propos est beaucoup plus pessimiste que dans Zadig, dont la premire version sachvera sur le bonheur parfait du hros ponyme. Pourquoi un tel acharnement contre toute tentative de prouver que le monde tend vers le Bien? Voltaire sen prend aux raisonnements de Leibniz. Celui-ci construit son argumentation dans notre extrait sur une disposition critique: une thse est expose, il sagit dune objection lexistence de la Providence, ainsi, annonce comme objection cette thse est donc donne elle-mme comme un raisonnement critiquede lattitude de Dieu : Quiconque peut empcher le pch dautrui et ne le fait pas, mais y contribue plutt, quoi quil en soit bien inform, en est complice. Dans la seconde partie de lextrait, lobjection est son tour rfute: Rponse. On nie la majeure de ce syllogisme - le passage que nous venons de citer - dit Leibniz, avant dexpliquer pourquoi. Lauteur nomme donc ici le procd dont use la thse quil rejette: un syllogisme; cest un raisonnement dductifqui en appelle une logique imparable: la majeure tablit lexistence dune complicit dans le pch, la mineure pose que Dieu peut empcher le pch, la conclusion constate que Dieu exerce la complicit possible lgard du Mal. Une loi gnrale est applique, ici Dieu, ce type de dduction est trs difficile rfuter: la bataille que mne Leibniz est rude. Mais il objecte un argument: il se peut quon puisse empcher le pch, mais quon ne doive point le faire, parce quon ne le pourrait sans commettre soi-mme un pch ou (quand il sagit de Dieu) sans faire une action draisonnable. Il rpond donc, armes gales, son tour par un syllogisme, mais dont la conclusion, on ne doi[t] point le faire [empecher le pch], prcde la mineure.Il use plus loin dun raisonnement inductif: partir de cas particuliers, il tire une loi gnrale: ce ne sont que des exemples dune notion plus gnrale, et on peut dire, par la mme raison, []que la volont divine consquente [] comprend aussi la permission de quelques maux et lexclusion de quelques biens, comme le meilleur plan possible de lunivers le demande. Enfin, le thologien utilise des arguments dautorit: ils relvent de la persuasion car ils ne dmontrent rien mais reoivent leur valeur par le fait quils sont dfendus par une personne faisant autorit ou tablis par une habitude, comme en tmoigne: on a sujet de dire gnralement que la volont antcdente de Dieu va la production du bien et lempchement du mal, que relaie la rfrence un thologien faisant autorit: Saint Thomas, ainsi cit: particulariter et secundum quid, Thom. I, qu. 19, art. 6. Ainsi, plusieurs types de raisonnement sont-ils employs successivement, qui donnent toute lapparence de la rationalit la dmonstration de Leibniz.Mais lon aura reconnu dans le meilleur plan possible de lunivers cit plus haut de Lessai de thodice la dfense du meilleur des mondes possibles que Voltaire ridiculise de nombreuse reprises dans la bouche du prcepteur puis ami de Candide, Pangloss, double de Leibniz: les noms portraits sont un autre procd de largumentation indirecte; ils permettent didentifier des personnages allgoriques, cest--dire qui incarnent des ides: le tout-parole Pangloss qui parle quand lon ne peut que se taire, ou Micromgas: cet oxymore dnote la faiblesse et en mme temps lhumilit dun tre aussi gigantal par la taille que par la sagesse et les pouvoirs. Lexplicit du conte que prsente notre extrait offre dans une antithse un stimulant et drle renversement de cet oxymore, qui en claire encore le sens, puisque le gant constate que ( linverse de ce quil est) les [hommes] infiniment petits [ont] un orgueil presque infiniment grand: ils affirment connatre tout le secret, qui se trouv[e] dans la Somme de Saint Thomas. Leibniz est encore dcelable: cest l largument dautorit que nous relevions dans sa dmonstration.Ce corpus illustre donc un prodigieux dbat qui a travers le dix-huitime sicle: faut-il accepter le monde malgr les souffrances et les cruauts et sen remettre Providence parce que cest raisonnable, comme lexplique Leibniz? Nest-ce pas draisonnable, parce que non dmontr et mme dmenti par les faits? suggre Candide. Faut-il renoncer laffirmer comme une vrit et accepter le doute, comme Micromgas, ou choisir la foi, comme Zadig? On le voit, Voltaire a explor dans ses contes philosophiques bien des facettes de cette question: il a longtemps hsit et dbattu avec Leibniz (qui tait mort mais rayonnait encore), au moyen de ce genre littraire qui puise dans le comique sa force de subversion. Ses contes clbres sont luvre de sa longue dlibration (voir plus bas) qui ne sarrtera pas avec Candide. Lon remarquera que Leibniz donne un nom la Providence: Dieu. Mais ce nest jamais au crateur que sen prendra le thiste Voltaire. Il attaque loptimisme n dun raisonnement sans fondement qui pose comme un a priori le merveilleux dun Dieu matre de toute chose. Ce quil appelle dans dautres chapitres de Candide a priori est laffirmation sans preuve lorigine de tout le dveloppement qui justifie le mal: la poursuite dun plus grand bien, qui seule justifie quun Dieu tout puissant laisse le monde tre envahi par le mal. O la raison bute (la priori nest pas dmontrable) reste la foi: nest-ce pas elle finalement, que Voltaire sen prend et, malgr son disme, ne pose-t-il pas les bases de lathisme? Largumentation indirecte de Voltaire est bien menaante pour une argumentation directe o se dcle un dfaut de rigueur: des prmisses (la priori) non pas discutables mais plutt indiscutables: inaccessibles lentendement humain. Les religions ne se fondent pas, dans leurs textes sacrs, sur largumentation directe qui convainc par la raison mais sur largumentation indirecte de la parabole. Ne sont-elles pas des rcits comme les aimait Voltaire, dont les lecteurs font eux-mmes la moiti?Retenir par cur: SYLLOGISME: majeure: Tous les hommes sont mortels. Mineure: Or Socrate est un homme. Conclusion: Donc Socrate est mortel.DELIBERER: rflchir sur une dcision, peser le pour et le contre, seul ou dans un dbat plusieurs.