Qui est le menteur (médecine)

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Quelques mensonges de la mdecine

Pascal GILBERT

Quelques mensonges de la mdecine

Les ditions Mdias-Blinois

Tous droits de traduction, de reproduction et dadaptation rservs pour tous les pays. Le Code de la proprit intellectuelle interdit les copies ou reproductions destines une utilisation collective. Toute reprsentation ou reproduction intgrale ou partielle faite par quelque procd que ce soit sans le consentement des auteurs ou de ses ayants cause, est illicite et constitue une contrefaon aux termes des articles L.335-2 et suivants du Code de la proprit intellectuelle. Pascal GILBERT, 2007

ISBN 978-2-9529860-0-7

Marie.

La facult de comprendre s'enracine dans la volont de dire non. Susan SONTAG.

INTRODUCTION

Ce livre raconte quelques mensonges de la mdecine moderne. Aprs vingt ans dexercice de la mdecine gnrale, je suis en colre. Jai acquis la conviction que ce magnifique difice est, trop souvent, utilis de manire dvoye. Je mindigne que des multinationales fassent des profits honts en vendant de la poudre de perlimpinpin prix dor. Je minquite du pillage des ressources publiques qui en rsulte et qui compromet lavenir des soins. La mdecine moderne est une pratique triomphante : il y a peu, on pouvait mourir dune pneumonie ou dune appendicite. Elle est aurole juste titre de ses succs, quil sagisse des antibiotiques, de lanesthsie, de limagerie mdicale Encore plus important, ces progrs sont accessibles tous grce aux lois de protection sociale. La mdecine nous a tellement blouis par ses indniables succs, et par ses prouesses techniques, que la socit a oubli de regarder avec un il critique ce quelle lui offre, enfin lui fait payer. Par exemple, les mdicaments contre le cholestrol reprsentent en France une dpense annuelle de lordre du milliard deuros alors que leur efficacit est minime, voire nulle pour une part notable de la population adulte 1 ! Vingt ans de pratique de la mdecine gnrale mont permis de vivre la face humble et quotidienne de cette mdecine : je suis celui qui prescrivait le mdicament prendre pour soigner le diabte, la colopathie fonctionnelle, le remde pour empcher lentartrage de lartre coronaire par le cholestrol sournois. Mais je suis aussi celui qui se mit 1. Les femmes.

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douter de lefficacit relle de ce quil faisait La mdecine quotidienne tait-elle quelque chose de solide ou un agrgat dapproximations ? Quelle sant visait la mdecine : la sienne propre ou celle des malades ? Jai dcid dtudier cela plus en profondeur Je nai pas fait un tour complet de la mdecine, mais ce que jai pu constater est souvent pire que je limaginais. Lorsque lon se penche sur le sujet, on dcouvre des faiblesses qui remettent en question bien des certitudes : la vrit mdicale, formalise par les confrences de consensus ou enseigne dans les facults, nest pas aussi indiscutable quon devrait lexiger. Le traitement du diabte non insulinodpendant, celui de lhypercholestrolmie sont des gouffres financiers qui accouchent de minuscules progrs thrapeutiques. La prvention qui rsulte des examens systmatiques de sant sponsoriss par ltat nest que peanuts, avec toutefois un prix au kilo de la cacahoute qui laisse pantois. Pour le diabte non insulinodpendant, par exemple, on saperoit que le dernier antidiabtique oral vant par le grand professeur na pas encore fait les preuves de son efficacit ; que les mdicaments classiquement dits efficaces ne le sont que trs peu ; et que, pour justifier les prescriptions, on a bricol ou ignor la vrit exprimentale. Ce livre est une mise en question de ldifice mdical. La mdecine moderne se prtend une science, mais lest-elle vraiment ? Utilise-t-elle cette tiquette pour se vendre ? La tricherie, la manipulation sont-elles marginales ou monnaie courante dans ce milieu ? Dans les quelques domaines o jai mis mon nez, il mest apparu que le patient tait le gogo, et que la socit payait (cher) des potions annonces comme magiques.

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Introduction

Le plan de mon travail est le suivant : approche des dterminants de la sant, ces paramtres qui la facilitent ou la dgradent ; mise en perspective de la mdecine dans la survenue et le maintien de cette mme sant ; retour sur les bases scientifiques de la mdecine ; lecture critique des pratiques de dpistage et de prvention, y compris celle, institutionnelle, des examens quinquennaux dits de sant ; vocation de la manire inadapte dont la mdecine gnrale est enseigne ; tude de linformation dont dispose le mdecin pour asseoir sa pratique o lon se rend compte que la majorit de la presse mdicale est aux mains de firmes ayant des liens forts, et fortement revendiqus, avec les laboratoires pharmaceutiques ; examen des thrapeutiques de deux grands chapitres de la pathologie : le diabte non insulinodpendant et le cholestrol, pour se rendre compte que leffet des mdicaments est, quand il existe, minime ce, malgr les affirmations de lestablishment mdical ; vocation de trois domaines dont les traitements pourraient tre examins de la mme manire (maladie dAlzheimer, hypertension artrielle et sclrose en plaques) ; aprs avoir constat que les faits sont manipuls, nous essaierons de dgager les causes de cet tat de fait Au total, on sapercevra que la mdecine peut non seulement ne pas tre triomphante, mais quelle peut mentir pour le cacher ! Ce mensonge nest pas gratuit : il profite aux firmes pharmaceutiques, lestablishment mdical et cote la socit ; ensuite, je proposerai des solutions pour assainir la situation, permettre au groupe social de reprendre le contrle sur cette mdecine qui roule plus son profit qu celui de la sant ;

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pour terminer, je proposerai une approche sur lide de Sant, avec lobjectif de donner chacun lenvie de se la rapproprier. Notre systme de protection sociale vacille, la dgradation de linstitution devient de plus en plus visible, largent manque pour assurer le quotidien et pour prparer lavenir. Pourra-t-on demain mourir nouveau dune pneumonie ou dune appendicite ? Il convient dtre particulirement vigilant et de veiller ce que les choix se fassent de manire objective. Ce livre est ma contribution au dbat. Avertissements 1. Jai commenc crire ce livre en 2003. Le premier jet dpassait le million de caractres, ce qui reprsentait un trop gros volume et explique sans doute son refus par les diteurs. Jai recommenc le travail pour sa publication, sur le Web et en autodition, en aot 2006. Jai essay de vrifier ou de ractualiser mes sources, il est possible que certains points maient chapp. Toutefois, cela ne compromet pas la logique du dveloppement. 2. Le volume du livre a t diminu de plus de moiti : pour en faciliter la lecture, jai supprim toutes les dmonstrations ainsi que certains dveloppements. Ces donnes sont disponibles sur le site Internet suivant : www.pascalgilbert.ouvaton.org. 3. Il est probable que des malades, diabtiques ou autres, doutent en me lisant et envisagent dabandonner leur traitement. En pareil cas, je les renvoie leur mdecin afin quils en discutent avec lui. Mon travail est une approche thorique globale, dont les donnes ne peuvent pas tre transposes de manire immdiate chaque individu.

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LES DTERMINANTS DE LA SANT

Dans cette partie de lexpos, nous ne dfinirons pas exactement ce quest la sant, nous nous rfrerons lide implicitement contenue, en creux, dans le terme : la sant est ce qui nest pas maladie, souffrance. Nous allons numrer ci-dessous les principaux dterminants de ltat de sant. Lobjectif est de montrer que les soins mdicaux ne sont pas les paramtres les plus importants, loin de l, dans lacquisition, le maintien ou la perte de la sant. Dautres facteurs y participent de manire bien plus immdiate, nous allons voir lesquels. 1. La nourriture Il nest pas besoin de discourir sur des pages entires pour expliquer que, sans nourriture, il ny a pas de sant, il ny a que la maladie et la mort. La prennisation de la faim dans le monde est lun est des plus grands scandales de notre poque. Si lon considre la production mondiale de nourriture, on peut estimer que, rpartie de manire gale, elle pourrait procurer 2 700 calories par jour chaque individu du globe, ce qui serait largement suffisant pour subvenir aux besoins vitaux de chacun. Mais force est de constater que la malnutrition, aigu ou chronique, est encore le lot de 850 millions dtres humains. Lon peut estimer 24 000 le nombre de personnes qui meurent de faim chaque jour, soit 9 millions de dcs par an. Il existe un lien direct entre la mortalit des enfants de moins

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de 5 ans, lesprance de vie la naissance, et la sous-alimentation de la population au sein de laquelle ils vivent. Rappelons deux interventions faites lors du Sommet contre la Faim 1, tenu du 13 au 17 novembre 1996 Rome : La Dclaration de Rome nous invite rduire de moiti dici lan 2015 le nombre de personnes souffrant de sousalimentation chronique Si chacun de nous fait tout ce quil peut, je pense que nous pourrons atteindre, voire dpasser cet objectif que nous nous sommes fix 2. Nous sommes capables de raliser cet objectif, nous avons les ressources et, comme le prouvent la Dclaration de Rome et le Plan daction, nous avons aussi la volont politique de le faire 3. Depuis, la rduction annuelle du nombre de personnes sous-alimentes na t que de 2,5 millions par an, nettement au-dessous de ce qui tait ncessaire. Si lon veut atteindre lobjectif fix par la confrence de Rome il faudrait maintenant que la diminution soit de lordre de 25 millions dindividus par an, soit dix fois plus On en est loin. Il existe un autre monde, qui ne peut se lever car la faim plombe chacun de ses mouvements. Nous sommes autre part, l o meurent 24 000 personnes par jour. Il nest plus question de dterminants de la sant mais de survie. Que faisons-nous ? Les pays dvelopps ne sont pas pargns par le problme de la sous-alimentation. Durant la campagne 2001/2002, les Restaurants du Cur ont fourni 60 millions de repas ; au cours de la priode 2005/2006, ils en ont distribu 70 millions Aux tats-Unis, lassociation Americas

1. http://www.fao.org/wfs/index_fr.htm (vu le 2 septembre 2006). 2. S.E.M. Romano Prodi, prsident du Conseil des Ministres de la Rpu blique italienne et prsident du Sommet mondial de lalimentation. 3. M. Jacques Diouf, Directeur gnral de la FAO.

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Second Harvest 4 estime que 37 millions dAmricains sont dans un tat dinscurit alimentaire, dont 14 millions denfants. 2. Leau potable Elle est lautre lment indispensable la survie de lhomme. L encore, les chiffres sont loquents 5 : 1,1 milliard dhommes nont pas accs une source deau potable (de manire totale ou partielle), alors que tous les responsables politiques savent et disent que laccs leau est le socle indispensable pour rompre le cycle de la pauvret et de la maladie. La production et la distribution de leau potable ncessitent une infrastructure lourde et coteuse. Cet investissement nest pas une priorit politique pour de nombreux de pays. Leau non potable peut tre responsable de deux types de pathologies. Tout dabord, les maladies infectieuses : dans les pays sous-dvelopps, les infections diarrhiques, qui sont essentiellement causes par lutilisation deau non potable furent, en 2001, responsables denviron 2,2 millions de morts, la plupart tant des enfants de moins de 5 ans. Ensuite, les intoxications par les mtaux lourds : plomb, arsenic, fluor Par exemple, larsenic est responsable de lintoxication dune proportion importante de la population du Bengladesh, lestimation variant de 28 77 millions de personnes (plus de la moiti de la population du pays).

4. http://www.secondharvest.org/learn_about_hunger/poverty_stats.html (vu le 2 septembre 2006). 5. Donnes tires du site de lOMS : http://www.who.int/health_topics/en/, article Water et Drinking water (vu le 2 septembre 2006).

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Il est susceptible de provoquer de nombreux cancers : peau, poumons, vessie, reins. Environ 1 % des personnes qui boivent de leau contenant 0,05 mg darsenic par litre ou plus sur une longue priode sont susceptibles de mourir dun cancer caus par larsenic 6. Pour avoir une vision plus complte de la situation, on peut consulter sur le site de lOMS 7 le catalogue des maladies provoques par une eau impure. 3. Lducation To build a country, build a schoolhouse 8. Pour construire une nation, btissez une cole. [] Je suis bien consciente que, lorsque je dis que laccs une ducation lmentaire pour tous peut transformer le monde misrable dans lequel nous vivons, je parle un peu comme une femme du monde de lpoque victorienne donnant sa recette prfre pour le progrs. Nanmoins il faut voir que de nombreuses tudes exprimentales ont dmontr le rle indispensable de lducation lmentaire dans le dveloppement conomique et social en Europe, en Amrique du Nord aussi bien quen Asie, en Afrique et en Amrique Latine. Au-del du dveloppement conomique et social, lducation lmentaire lapprentissage de la lecture et de6. http://www.who.int/water_sanitation_health/diseases/arsenicosis/en/ (vu le 2 septembre 2006). 7. http://www.who.int/water_sanitation_health/diseases/diseasefact/en/ (vu le 2 septembre 2006). 8. Amartya Sen (Prix Nobel dconomie en 1998), New York Times du 27 mai 2002, repris dans Unicef Education Update, vol. 6, n 2, 2002.

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lcriture permet lindividu de mieux gouverner ses choix et dassurer la prennit du savoir en passant de la civilisation de loral celle de lcrit. Lducation est aussi le moteur indispensable qui permet lindividu de se librer des oppressions religieuses et sociales. Les chiffres montrent la trs nette majorit de filles dans cette population sous-duque, victime de linertie et de lobscurantisme religieux et social : on estime 9 que, sur les 875 millions de personnes analphabtes, les deux tiers sont des femmes. Cet tat de fait favorise les problmes dhyperdmographie : l o les femmes reoivent une ducation, le nombre denfants par couple diminue. linverse, lducation des femmes est le premier dterminant 10 de la diminution de la mortalit infantile. Enfin, on sait que le niveau ducatif des enfants est li celui des parents, mais on remarque que celui de la mre est habituellement plus dterminant que celui du pre 11 ! 4. La violence humaine Son expression ultime est la guerre, mais la violence sexerce dj travers les intgrismes qui bafouent les droits lmentaires de la personne humaine. Si lon peut respecter le sentiment religieux, on ne peut qutre rvuls par lexploitation des paroxysmes de ce dernier, qui historique9. http://www.un.org/french/womenwatch/followup/beijing5/session/fiche2.html (vu le 2 septembre 2006). 10. L. C. Smith et L. Haddad, 2000, Explaining Child Malnutrition in Developing Countries : A Cross Country Analysis. Rapport de recherche de lIFPRI. No 111. Washington D.C., Institut international de recherche sur les politiques alimentaires. Rsum ladresse suivante : http://www.ifpri.org/divs/fcnd/dp/dp60.htm (vu le 2 septembre 2006). 11. http://www.unfpa.org/swp/2002/francais/ch7/page4.htm (vu le 2 sep tembre 2006).

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ment semblent bien ne rsulter que de la volont de puissance dindividus douteux accrochs maintenir et tendre leur pouvoir. Je veux parler aussi de cette nouvelle forme de violence institutionnelle, ou de sa rsurgence, qui fait que des populations civiles sont prises en otage ou sont systmatiquement vises dans le cadre de conflits, quils existent entre les nations ou lintrieur de celles-ci : Darfour, Soudan, Rwanda, Cambodge bien videmment, mais aussi ex-Yougoslavie La corruption des classes politiques est, elle aussi, un facteur de violence dans certains pays du monde o les politiciens se comportent comme des mafieux mettant le pays en coupe rgle, entretenant des conflits internes ou externes pour justifier lutilisation dune force arme camouflant peine son rle de milice la solde du pouvoir. 5. Le traitement des eaux uses dorigine humaine Labsence de tout--lgout , qui concerne environ 2,5 milliards de personnes, est la cause de nombreuses pathologies. La contamination du milieu naturel par les excrments humains provoque la dissmination de nombreuses maladies, entre autres parasitaires, comme lankylostomiase. Necator Americanus, Ankylostoma duodenale Lankylostomiase est lexemple-type de ces pathologies. La maladie est cause par ces deux vers qui se fixent dans la partie haute de lintestin grle et se nourrissent du sang de leur hte. Lorsque le nombre de vers est important, ils saignent, littralement et en continu, le malade. On estime que la perte sanguine est de lordre de 0,5 ml par jour et par ver, et lon sait quun malade peut tre porteur de plusieurs centaines de vers. Le cycle du parasite comporte une phase

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obligatoire dans la nature : les ufs pondus par la femelle sont mis dans les selles de lhte humain. Si luf trouve un terrain favorable (terre humide), il mature et se transforme en une larve qui pntre activement la peau lors dun contact avec lhomme. Lankylostomiase peut tre contrle par lexistence (et lutilisation) de latrines qui vitent la dissmination des ufs du parasite. On estime plus dun milliard le nombre de porteurs de cette parasitose, qui nest que lune des maladies qui peuvent exister en labsence de traitement des eaux uses. 6. Les dangers de leau douce Indpendamment de ce que jai crit ci-dessus, leau douce est galement le support de nombreuses maladies infectieuses et parasitaires. La contamination peut se faire de deux manires : soit par contact direct entre le sujet et leau, soit par la piqre dun insecte qui a besoin de leau pour son cycle de reproduction. On peut citer : le paludisme, premire maladie parasitaire, de 200 500 millions de cas et environ un million de morts par an. Le cycle du moustique responsable de la dissmination de la maladie passe par une larve qui vit dans leau ; la bilharziose, considre comme la deuxime maladie parasitaire en terme de cot humain et social (200 millions de personnes infectes). Le cycle du parasite responsable de la maladie passe par un escargot qui vit dans les eaux douces. La contamination se fait lorsque la larve, qui elle aussi vit dans leau, pntre en perant la peau des personnes qui se baignent ou travaillent dans leau ; lonchocercose, deuxime cause de ccit dans le monde ; la dengue, fivre hmorragique virale transmise aussi par des moustiques.

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Pour ces maladies, lintrt du traitement mdical curatif vient aprs celui de la prvention : lutte contre les insectes, amlioration de lhabitat et de lhygine, changement des modes de culture 7. Le systme de collecte des ordures Cest lavant-dernier des dterminants primaires de la sant que je citerai. Les ordures mnagres qui ne sont pas convenablement collectes puis traites sont un facteur de pullulation danimaux porteurs de pathologies quils peuvent transmettre lhomme. Le rat est le rservoir de Yersinia pestis, microbe responsable de la peste ; et la puce du rat est le principal vecteur de ce microbe ainsi que de celui du typhus murin. On rappellera que lpidmie de peste bubonique de Londres en 1665 fit 100 000 morts sur une population de 450 000 habitants. Lentassement des ordures mnagres est galement un facteur de prolifration dinsectes (mouches, cafards) qui peuvent devenir les porteurs de maladies. 8. La dette des pays pauvres Il faut aussi rsoudre cette autre cause, historiquement rcente, de la misre des pays pauvres. Le service de la dette, comme lon dit pudiquement, que doivent fournir les pays pauvres aux pays riches rduit considrablement, et cest un euphmisme, leurs possibilits daccomplir sur leurs territoires le minimum en matire dducation, de lutte contre la famine, dadduction deau et

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de traitement des ordures 12. La gestion de la dette par les cranciers est un dterminant majeur de la sant des pays endetts. Et je pense que cette gestion nest pas lhonneur des pays riches, mme si des gestes dannulation de la dette commencent se voir. 9. Conclusion partielle sur la place de la mdecine dans la sant Nous avons fait le tour des dterminants de base de la sant. Il tait important de rappeler que, primitivement, notre sant ne dpend pas de la mdecine. Cest lors dun staff dans un service de pneumologie o jtais externe que jai fait cette constatation pour la premire fois. Un des sujets de la runion portait sur lvolution de la tuberculose en France. Lune des premires diapos montrait lvolution de la courbe de mortalit de la maladie au cours du temps : elle culminait la fin du XIXe sicle et commenait ensuite descendre de manire rgulire. Le chef de clinique nous fit remarquer deux points sur la courbe : celui de lintroduction des antituberculeux et celui du dbut de la vaccination par le BCG, et pour aucun de ces points la pente de la courbe ne montrait dinflchissement notable. Ce qui montre que la mdecine na que trs peu contribu la dcroissance de lpidmie de tuberculose. Cette courbe montrait que la mdecine navait que trs peu contribu la dcroissance de lpidmie de tuberculose ; linverse de lamlioration de la nutrition, des conditions de travail et de logement qui en furent les dterminants.12. Pour commencer se faire une opinion : http://www.hcci.gouv.fr/lecture/note/nl140.html (vu le 2 septembre 2006). Pour continuer : http://www.france.attac.org/rubrique.php3?id_rubrique=41.

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Par ailleurs, sil ma paru utile de pointer ce qui tait lorigine de labsence de la sant dans les pays en voie de dveloppement, cest que des mdecins, et non des moindres, continuent lignorer : De mme, la situation sanitaire des pays en voie de dveloppement est catastrophique. Larsenal mdical, dont on connat le prix faramineux, y fait cruellement dfaut 13. Mots reflets dune apprciation fausse des besoins rels des populations, projection incongrue dune dvotion lidologie mdico-industrielle. Lorsquune population meurt de faim, dignorance, de la consommation deau insalubre ou de maladies rsultant de labsence de traitement des dchets, ce nest pas larsenal mdical qui lui fait cruellement dfaut. Je ne veux pas dire que la mdecine soit inutile aux populations des pays pauvres, mais je pense quil faut savoir apprcier son efficacit et la replacer dans le contexte local. La maladie est toujours un facteur aggravant de la pauvret, on le voit avec les consquences du SIDA en Afrique. Le fait davoir rendu la trithrapie accessible financirement aux malades 14 permet une amlioration clinique spectaculaire et allge le fardeau social, mais ce succs restera relatif tant quil ny aura pas damlioration du contexte socio-conomique global des pays concerns. Ceci ne veut pas dire quil faille cesser daider ces pays lutter mdicalement contre la maladie, au contraire, mais que nous devrions nous proccuper avant tout des dterminants primaires que jai numrs.

13. Le retour du Dr Knock, essai sur le risque cardio-vasculaire, Nicolas Postel-Vinay, Pierre Corvol, ditions Odile Jacob, 1999, p. 264. 14. Mme si la fraction de la population ayant accs au mdicament reste dramatiquement basse, de lordre de 2 % en 2003.

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10. Les transports et les voyages Les voyageurs ne sont pas toujours des gens en bonne sant. La peste est la grande tueuse europenne jusquau e XVIII sicle. Cest par la mer quelle arrive Marseille qui, en 1347, ouvre son port douze galres gnoises venant de Caffa o la maladie svissait. Elle y avait t apporte par les troupes tartares qui assigeaient la ville. Ces derniers en auraient fait cadeau aux habitant de Caffa en catapultant des cadavres de soldats morts de la maladie par-dessus les remparts LEurope et ses explorateurs, quant eux, exportrent la variole, la rougeole, la syphilis et lalcoolisme aux Amriques. La Chine nous envoie rgulirement ses virus grippaux et apparents. Les maladies ne sont pas vhicules que par les hommes : le rat et sa puce sont le couple indissociable de la diffusion pesteuse qui suit les lignes du transport ocanique. La dengue, dont nous avons parl plus haut, voyage elle aussi. Aedes albopictus, le moustique qui la vhicule, originaire dAsie, est potentiellement adapt nos pays temprs : il peut simplanter dans des zones o la temprature descend au-dessous de zro (- 2C) grce sa capacit dentrer en hibernation lorsque la temprature descend. Il se rveille au printemps, et se reproduit. Aedes albopictus a t retrouv en France pour la premire fois en 1999 prs dune entreprise qui recycle les pneumatiques dimportation usags. Les espaces de stockage de pneumatiques lair libre sont des lieux idaux pour la larve du moustique qui se dveloppe dans les poches deau laisses par les pluies dans le flanc des pneus. Limportation danimaux exotiques prsente aussi un danger potentiel de dissmination de maladies graves. Lhistoire de ces maladies est crire dans nos rgions.

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11. La pollution technologique et industrielle Je citerai ici quelques exemples qui rsultent de la pollution technologique et industrielle : laugmentation des pathologies respiratoires, parfois graves et mortelles, causes par la pollution atmosphrique dans les villes. En avril 1999, lInstitut National de Veille Sanitaire publie les rsultats de ltude PSAS-9 15, cette dernire tudie cette surmortalit dans neuf villes franaises 16 regroupant onze millions dhabitants. Ses rsultats sont les suivants : Pour lensemble des neuf villes, le nombre annuel de dcs anticips attribuables des niveaux de pollution atmosphrique [] est de 2786 pour la mortalit totale, 1097 pour la mortalit cardiovasculaire et 316 pour la mortalit respiratoire. On estime que 1834 dcs anticips (pour la mortalit totale) auraient pu tre vits si les niveaux de pollution avaient t rduits de moiti. Dune manire gnrale, ce sont les niveaux de pollution photo-oxydante (dioxyde dazote et ozone) qui conduisent le plus souvent au nombre de dcs anticips le plus lev. ; laugmentation du taux de methyl-mercure dans les poissons marins carnivores fut responsable au Japon de lintoxication massive de Minamata 17 dans les annes soixante. Laugmentation du taux des drivs mercuriels tait due aux rejets dune usine de produits chimiques. De nos jours, le taux de methyl-mercure retrouv dans la chair de certains poissons carnivores a conduit les autorits sani-

15. Disponible ladresse suivante : http://www.invs.sante.fr/presse/2002/communiques/psas9_020624/psas9_ communiqu.html (vu le 2 septembre 2006). 16. Bordeaux, Le Havre, Lille, Lyon, Marseille, Paris, Rouen, Strasbourg et Toulouse. 17. Environ 15 000 personnes contamines, et 1 500 morts.

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taires amricaines, canadiennes et franaises 18 prconiser de limiter la consommation de ces poissons aux femmes enceintes et aux enfants de moins de 2 ans ; la mer dAral crve du dtournement des eaux qui lalimentaient et qui servent maintenant lirrigation des champs de coton. Les populations qui vivent encore sur ce qu'il reste de ses rives meurent de la pollution des sols et des eaux par les pesticides utiliss, en amont, par cette mme culture ; le site de Noyelles-Godault est pollu, au plomb essentiellement, mais aussi au zinc et au cadmium, par lusine Metaleurop. Cette dernire socit, ayant dernirement ferm, laisse le dblaiement du tas de merde 19, et son cot, lon ne sait trop qui. Le plomb est toxique pour le systme nerveux, lappareil digestif et cardiovasculaire, particulirement chez lenfant. Les pays industrialiss sont bien videmment pollus, mais le tiers-monde est, l encore, dfavoris, souill par des industriels locaux peu scrupuleux ou ignorants dont le pouvoir nest pas contrebalanc par celui des citoyens. Il est aussi victime du NIMBY, Not In My Backyard ( pas derrire chez moi ) des habitants des pays riches qui refusent que les dchets dangereux soient entreposs prs de leurs habitations. Ces dchets finissent par chouer dans des pays dont les fonctionnaires sont, l aussi, peu scrupuleux et les habitants ignorants 20.

18. Voir les recommandations en fin du communiqu, ladresse suivante : http://www.afssa.fr/Ftp/Afssa/24242-29509.pdf (vu le 2 septembre 2006). 19. Site industriel ET environs. 20. Comme en Cte dIvoire dernirement.

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12. Le travail Le travail des enfants Plus de deux cent cinquante millions 21 denfants de 5 14 ans travaillent dans le monde, la moiti le font plein temps, ne sont pas scolariss. Vivant majoritairement dans les pays pauvres, ces enfants voient leur sant et leur vie menaces au prsent, et leur avenir bouch par labsence dducation. Le travail des enfants est au point de rencontre entre la ncessit de survie des familles et lexploitation de la pauvret. Il est aussi un facteur de maintien de cette pauvret : en empchant le dveloppement intellectuel et physique de lenfant, on condamne ce dernier vivre dans la misre, reproduire le mme schma avec ses propres enfants. De plus, le travail des enfants, et les (extrmement) bas salaires pratiqus cassent le march du travail des adultes, prennisant le chmage et lexploitation. Le cot important de lducation est invoqu par les politiques de certains pays pour justifier le retard dans le traitement de cet tat de fait honteux, mais ces mmes pays trouvent nanmoins souvent largent pour couvrir des dpenses militaires disproportionnes par rapport leurs besoins. On peut aussi citer les enfants soldats 22, tortionnaires et torturs Lexploitation de la misre est partout, des ateliers chinois qui fabriquent des poupes, en passant par ceux du Pakistan qui estiment particulirement les petites mains21. http://www.ilo.org/public/french/comp/child/download/pdf/statistiques.pdf (vu le 2 septembre 2006). 22. Que le Bureau International du Travail classe pudiquement parmi les pires formes de travail des enfants Voir ladresse suivante : http://www.ilo.org/public/french/standards/ipec/publ/hazard/stepbystep_2 003.htm (vu le 2 septembre 2006).

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enfantines pour tisser les dessins des tapis destins lexport, aux maquiladoras de Tijuana confectionnant des jeans, sans oublier les ateliers clandestins de la vieille Europe Comment esprer la sant dans de telles situations ? Chez nous L non plus, le travail nest pas toujours synonyme de sant. Nous le montrerons au moyen de quelques exemples illustrant que, mme avec les possibilits thrapeutiques de la mdecine moderne, mme avec laccs aux soins que nous connaissons, laltration de la sant cause par le travail ne peut pas toujours tre rpare, ou mal. Je parlerai de lamiante et des troubles musculo-squelettiques. On ne sait que trop le retard pris par la France dans la dclaration hors-la-loi de lamiante (1997), alors que les premires observations de surmortalit chez les ouvriers qui lutilisent datent de 1906 23 Les maladies lies lamiante nont, ce jour, aucun traitement, sauf symptomatique : aider linsuffisant respiratoire sans pouvoir empcher laggravation de son mal, combattre la douleur du cancreux qui souffre, sessouffle et vous dit : Jai construit des fours docteur, et on en a bouff. Et de toute manire, revenir un matin signer le certificat de dcs. La mdecine ne peut rien faire face linertie sociale et politique. Louvrier de lagroalimentaire souvent un intrimaire ou employ en CDD, contrat dure dtermine , ou

23. Il y a un sicle, dans la filature de Cond-sur-Noireau, linspecteur du travail de Caen Denis Auribault rdigeait le premier rapport paru en France sur les maladies causes par l'amiante. Publi en 1906, il fait tat de 50 dcs imputs l'amiante, en cinq ans, dans une filature qui avait fonctionn pendant 15 ans. Information tire du site de lANDEVA ladresse : http://andeva.free.fr/bulletin/b_9/b9_16_conde.htm (vu le 2 septembre 2006).

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encore un tcheron 24 est une illustration de limpuissance de la mdecine face un dterminant de la maladie qui lamine tout ce quHippocrate sait faire. Sur une chane de dcoupe des poulets, ils sont au coude coude, chacun a sa tche, parcellaire : ter une patte, une aile, un blanc, le brchet. Ce sont les mmes gestes rpts des milliers de fois par semaine. Les maladies musculo-squelettiques des membres suprieurs sont la rgle. La premire est souvent le canal carpien o cest le nerf mdian qui souffre au niveau du poignet. Et lorsque lon a opr le canal carpien, il reste le cubital au coude, le dfil du rond pronateur, la loge de Guyon, la priarthrite scapulohumrale . Les soins mdicaux courent aprs lusure lie au travail sans pouvoir la rparer. Limportance mconnue des maladies professionnelles Il existe, en France, une sous-dclaration des maladies professionnelles. Tous les responsables savent que le systme de dclaration des maladies professionnelles en France entrave la reconnaissance de ces dernires. Leur vritable impact sur la sant est encore dterminer. Les accidents du travail LINRS 25 publie les statistiques concernant les accidents du travail relevs par la CNAMTS, je ne ferai quun rsum. Pour lan 2000 on a recens 743 435 accidents du travail avec arrt de travail qui se traduisent par : 730 dcs ; 48 096 incapacits permanentes ; 30 684 007 journes de perdues.24. Ouvrier pay la quantit produite qui se dfonce pour augmenter son revenu, tant quil le peut. 25. http://www2.inrs.fr.

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Les accidents de trajets, non inclus dans les chiffres cidessus, reprsentent : 619 dcs ; 10 480 incapacits permanentes ; 109 740 journes de perdues. Lincidence sur la sant publique est ici connue et majeure. 13. Hygine de vie, les deux glorieuses : lalcool, le tabac Lalcool Il est difficile de donner des chiffres exacts concernant la mortalit et la morbidit induites par la consommation dalcool. En effet, ct des maladies signes par lalcool comme la cirrhose du foie, il existe un grand nombre de pathologies, de faits morbides et mortels o lalcool joue un rle dans leur apparition et/ou leur aggravation. Malgr ceci lon peut citer : les 8 027 hommes et les 3 149 femmes dcds en 1997 de cirrhose du foie ou de psychose alcoolique ; les 16 000 cancers occasionns par lalcool. Dans ce qui est difficilement chiffrable je citerai les suicides, les dcs par accidents de la route et accidents du travail, les morts par homicides. Je me souviens avec une acuit particulire dun dimanche aprs-midi o, interne de garde pour le SMUR de la ville de Verneuil-sur-Avre, je fus appel pour un accident de la route : une cycliste avait t renverse. Sur les lieux, je me rendis immdiatement compte quil ny avait plus rien faire pour cette femme dune trentaine dannes. Ceux qui ont dj vu un cadavre connaissent la couleur jauntre de la peau, le regard vide et qui se voile dj dune opacit lai-

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teuse, la flaccidit des membres et, cette fois, langulation anormale que faisaient la tte et le cou. Elle se promenait avec ses deux enfants et avait t renverse par un automobiliste. Les deux gamins se tenaient quelques mtres, blottis contre un adulte, jetant leur mre des regards apeurs. Plus quimmensment triste, je me suis relev et suis all voir le conducteur de la voiture. peine g de 25 ans, il mexpliqua quil tait une communion, quils avaient tous bien bu, quil stait fch avec son amie et quil tait sorti conduire pour se calmer. La voiture tait retourne sur le toit, mais ce connard meurtrier navait quune gratignure au visage. Sur rquisition de la gendarmerie, jai fait son alcoolmie. Je ne sais pas ce quil est devenu, mais en France la justice des hommes tait alors tonnamment clmente pour ce genre dindividu. Les cots induits par lalcool dpassent trs largement les recettes que les taxes rapportent : le cot social de lalcool est estim 115 milliards de francs ; le traitement des maladies lies lalcool 65 milliards de francs. Les droits spcifiques sur les boissons on rapport 16 milliards 185 millions de francs ltat pour lanne 2000, tandis que les recettes de la vignette Scurit Sociale slevaient 2,4 milliards de francs 26.

26. Chiffres tirs de la synthse documentaire Chiffres et Statistiques tlchargeable ladresse : http://internet.anpaa.asso.fr/htmlfr/frameset_agenda-comprendre.html (vu le 2 septembre 2006). Les recettes lies la TVA de la vente des boissons ne sont pas donnes dans le document.

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Je regrette que lavertissement sur lalcool se limite encore un timide Labus dalcool est dangereux pour la sant, consommer avec modration . Le tabac En France, 65 000 morts par an, en 1995 : plus de 30 000 morts par cancers : poumons, voies arodigestives suprieures (bouche, larynx), vessie, sophage ; 15 000 par maladies cardiovasculaires : coronaropathies, accidents vasculaires crbraux ; 11 000 par maladies pulmonaires non cancreuses : emphysmes, bronchites chroniques ; 3 500 autres causes 27. Pour un fumeur sur quatre, la perte desprance de vie est de 20 ans et entrane la mort avant 65 ans. Rappelons que les chiffres de la surmortalit lie la pollution atmosphrique sont nettement en de de cette performance. Le tabac est lami de lpidmiologiste paresseux. En effet, partir de la consommation actuelle, il est facile de prvoir la mortalit venir : 160 000 morts programms en 2025, dont une plus grande proportion de femmes car elles sont plus nombreuses fumer, actuellement, quil y a trente ans. Cette pidmie sest dveloppe, prennise grce la complicit passive des politiques dont le temps de raction a t, comme pour lamiante, dsesprment amorti. Cette passivit a permis aux cigarettiers de mentir aux clients quils empoisonnaient, leur a permis dajouter au tabac des adjuvants qui librent plus de nicotine, rendant les fumeurs encore plus dpendants.

27. La sant en chiffres, dit par le CFES.

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La rigueur semble maintenant de mise, la taille des avertissements ornant les paquets se fait enfin agressive, le contenu du message explicite, on y parle de mort, dimpuissance Cette information a t complte par les augmentations rcentes 28 du prix du tabac qui ont eu un effet dissuasif notable. La lgislation anti-tabac a t durcie, reste voir ce quil sera fait pour la faire respecter. Il ne faut pas quitter le chapitre sans signaler que les marchands de tabac se redploient et font porter leurs efforts de marketing sur les pays du tiers-monde, o les lgislations anti-tabac sont inexistantes. 14. Les accidents La route En France, pour 2002 : 105 470 accidents, 137 839 blesss, 7 242 tus. En 2005, 87 026 accidents, 111 683 blesss et 5 543 dcs. Mme si depuis des annes les chiffres diminuent, ils restent encore importants. Le lien avec lalcool est notable : depuis 1995, lalcool est retrouv dans environ 30 % des accidents mortels. Cette baisse rgulire est la preuve quune action est possible, ducation sans doute, mais surtout, semble-t-il, rpression. En 2002, la baisse des accidents a t sensible au deuxime trimestre, aprs six premiers mois mdiocres, lorsque la rpression des infractions routires a t plus importante. Les pays europens qui ont russi le mieux diminuer le nombre des morts sur les routes sont ceux qui ont appliqu la loi avec fermet (Grande-Bretagne, pays scandinaves). En lan 2000 la France a dplor 8 079 dcs sur la route, le Royaume-Uni 3 409, ce pour des populations qui28. Ce point montre que la sant dpend plus de la signature dun ministre que du progrs de la prise en charge mdicale du cancer des bronches.

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sont quivalentes ! On doit pouvoir tirer quelque chose de leur exprience. La vie courante, les accidents domestiques Responsables de 18 188 dcs en 1997, tandis que la route tuait 7 989 personnes, ils ne doivent pas tre ngligs. Lorsque lon parle daccident domestique, on voque spontanment la chute du nourrisson de sa table langer, la noyade du petit dans la piscine ou son lectrocution, mais les faits sont autres : 371 dcs pour les enfants de moins de 14 ans et 11 459 pour les personnes ges de plus de 75 ans, essentiellement par chutes. 15. Les conditions de vie Je citerai trois exemples. Harlem Des auteurs 29 ont constat quil existait une surmortalit dans la communaut noire de Harlem o, au moment de ltude, 91 % de la population tait noire et 41 % des habitants vivaient au-dessous du seuil de pauvret. Leur conclusion est sans appel : il est plus difficile un homme noir datteindre Harlem lge de 65 ans qu un habitant du Bengladesh ! Les principales causes de cette surmortalit sont les suivantes : pour 23,5 % les maladies cardio-vasculaires, pour 18 % la cirrhose du foie, pour 15 % les meurtres, et pour prs de 13 % les cancers.

29. Excess mortality in Harlem , New England Journal of Medicine , vol. 322 du 18 janvier 1990, p. 173-177.

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Lintoxication des enfants par le plomb ct des enfants vivant prs de sites pollus et polluants comme celui de Noyelles-Godault, le responsable est le plomb contenu dans les peintures utilises avant 1948. Ces couches anciennes sont encore prsentes dans certains immeubles vtustes o elles ont t recouvertes par les plus rcentes. Les enfants sintoxiquent de deux manires : soit en mangeant la peinture qui scaille (la cruse a un got sucr) ou en portant leur bouche leurs mains souilles par la poussire provenant de lcaillage des vieilles peintures, soit lors de travaux de rnovation, lors du dcapage des couches profondes fait sans prcautions particulires. Dans ce dernier cas ils sintoxiquent en respirant les poussires. Les enfants sont particulirement sensibles lintoxication saturnique : labsorption digestive et respiratoire est plus importante que chez ladulte et linverse, llimination rnale est plus faible, enfin, la toxicit neurologique du plomb est particulirement notable chez lenfant. LInserm a, en 1999, remis un rapport dexpertise : Plomb dans lenvironnement, quels risques pour la sant ? qui estime 250 000 le nombre denfants concerns par ce risque, soit en vivant proximit de sites industriels dangereux, soit en habitant des logements vtustes non rhabilits. Parmi ceux-ci 85 000 auraient une plombmie suprieure 100 microgrammes par litre, chiffre tmoin dune intoxication dj importante et dangereuse. Et voici les dernires lignes de la conclusion du rapport de Vronique Ponchet de Langlade, paru en mars 2002, demand par le Ministre de la Sant et qui avait pour but de recueillir lavis des associations engages dans la lutte contre le saturnisme : Il est troublant et dconcertant davoir connaissance dautant de recherches avances, dcrits et de dits des nuisances du plomb sur la sant face au peu dactions engages

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dans le domaine de la prvention et du relogement des familles. Nous en sommes aujourdhui aux balbutiements de la mise en oeuvre concrte, sur le terrain, de la lutte contre le saturnisme. Il faut aujourdhui aux associations un engagement politique fort . Il y va de la sant, par laccs aux soins et aux logements, de milliers denfants vivant en France 30. Nouvelle illustration de limportance de linertie politique dans la prennisation dune maladie. La pollution arienne domestique LOMS rappelle quenviron 2 milliards dindividus utilisent le charbon, le bois, la paille, lherbe, la bouse de vache pour se chauffer et cuire les aliments, le plus souvent dans des rchauds et poles o la combustion est inefficace. Il en rsulte une concentration en polluants qui, lintrieur des maisons, dpasse nettement celle rencontre dans les villes les plus pollues dAsie 31. 16. La mdecine et les soins Dune manire gnrale, lefficacit de la mdecine parat indniable, et vouloir la nier semble stupide. Toutefois, il mest apparu ncessaire de hirarchiser lutilit de la mdecine dans les pratiques qui concourent la sant. Sa place est-elle prpondrante, dcisive, ou au contraire accessoire ? Pour la tuberculose, nous avons vu que son action

30. Lutte contre le saturnisme , 3 mai 2002 sur (vu le 2 septembre 2006). 31. http://www.who.int/inf-fs/en/fact187.html

http://www.sante.gouv.fr

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navait t que marginale, en est-il alors de mme pour dautres domaines des soins ? Jai, essentiellement, fait porter mon questionnement sur le traitement du diabte non insulinodpendant et sur celui des maladies causes par lhypercholestrolmie, deux maladies phares de notre dbut de sicle Et les rsultats ne furent pas la hauteur de ce que lon croit habituellement. Pour linstant, avant de pouvoir aborder ces deux sujets, il est ncessaire de poser quelques bases qui nous permettront de mieux comprendre les faits, de nous faire une opinion motive.

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Le Petit Larousse 2004 dfinit la mdecine comme lensemble des connaissances scientifiques et des moyens mis en uvre pour la prvention, la gurison ou le soulagement des maladies, blessures ou infirmits . La science, cest lensemble des faits ayant rsist au dialogue exprimental Rsist et dialogue exprimental sont les ides importantes. Le dialogue exprimental peut se dcomposer en plusieurs temps. a. Tout dabord, le recueil des donnes et la constatation des rgularits : durant notre activit quotidienne, nous amassons des faits que nous rangeons dans divers tiroirs. La rptition de situations identiques, ou presque, nous permet de relier des vnements les uns aux autres pour en faire une suite logique, un tout. Si bien que, lorsque les premiers lments dune chane vnementielle connue se prsentent, nous prenons nos dispositions pour grer ce qui, nous le savons, va suivre. Ce processus commence avec la vie et les premiers apprentissages qui nous vitent de faire indfiniment les mmes erreurs. b. ct de ce processus automatique, on trouve une dmarche volontaire qui consiste rechercher les donnes et les rgularits qui les relient. Ce qui diffrencie ce temps du prcdent, cest le caractre volontaire du processus. Nous ne sommes plus dans le domaine de la ncessit premire mais dans celui de la dmarche planifie. Nous allons chercher les faits pour analyser et prvoir. c. Une fois les faits recueillis, nous nonons une hypothse qui leur confre une signification potentielle. Dans la foule, nous laborons un protocole de vrification de cette hypothse. Lintrt du protocole est dassurer la reproducti-

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bilit de lexprimentation, dliminer les effets annexes, les facteurs confondants qui parasiteraient les rsultats de lexprience. Par exemple en mdecine, nous verrons que la ncessit dliminer la subjectivit lors des essais thrapeutiques conduit faire les tudes en double aveugle et contre placebo . d. Enfin, raliser lexprience et, surtout, tenir compte des rsultats, de ceux qui sont positifs mais encore plus important, des rsultats ngatifs. Je dvelopperai ce dernier point en mappuyant sur les ides de Karl Popper. Ce philosophe vivait Vienne au moment de lmergence de trois thories : la relativit restreinte dEinstein, la psychanalyse de Freud et le matrialisme historique de Marx, toutes trois se prtendant scientifiques. Popper sest demand ce qui permettait de dfinir le caractre scientifique de ces systmes : Je voulais distinguer science et pseudoscience, tout en sachant pertinemment que souvent la science est dans lerreur, tandis que la pseudoscience peut rencontrer inopinment la vrit 1. La thorie de la relativit postulait que les rayons lumineux pouvaient tres attirs par des corps clestes de grande masse. Ainsi, grce cette dviation des rayons lumineux, on devait pouvoir observer une toile qui aurait d tre cache par le Soleil si les rayons staient propags en ligne droite, mais il nest pas possible habituellement de vrifier cette conjecture, la luminosit du soleil masquant celle de ltoile. Toutefois, en 1919, Eddington profite dune clipse de soleil pour vrifier exprimentalement lhypothse dEinstein. Ce qui marque Popper, ce nest pas la vrification de la conjecture, mais le fait quEinstein ait dclar que

1. Conjectures et rfutations. La croissance du savoir scientifique, 1985, p. 59-60.

Payot,

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sa thorie aurait d tre abandonne si lexprience stait avre ngative. Popper remarque que ni le matrialisme historique, ni la psychanalyse ne se soumettent des tests aussi rigoureux, et quau contraire, leurs insuffisances exprimentales sont compenses par lajout de nouvelles thorisations. Au total, pour Popper : Le critre de la scientificit dune thorie rside dans la possibilit de linvalider, de la rfuter ou encore de la tester 2. Ide que lon peut formuler autrement : est scientifique, celui qui accepte que sa thorie soit fausse si les rsultats exprimentaux le prouvent. Ceci peut sembler une vidence, et pourtant, ce nest pas toujours le cas lorsque lon se penche sur certaines thories et pratiques mdicales. Quant moi, jestime plus particulirement lapproche mdicale scientifique pour les raisons qui suivent : premirement, elle permet une diminution de larbitraire, car une fois que lon a montr quune hypothse tait fausse, elle passe la trappe, ainsi que la construction thorique qui la fait natre. Maintenir envers et contre tout une thorie contredite par lexprimentation est une dmarche autoritaire, arbitraire, infantilisante. Deuximement, ses rsultats sont plus aisment prdictibles : lorsque lon donne de laspirine, on a une trs forte probabilit de faire baisser la fivre, ou bien, si cela ne suffit pas, on ajoute du paractamol. Enfin, son efficacit est indniable : nul ne peut nier les russites de la vaccination, de lantibiothrapie, de la chirurgie, de la trithrapie antisida, etc. Dans ce chapitre, nous verrons les bases thoriques de la mdecine. Elles sont particulirement larges, stendant de

2. Idem p. 65.

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linfiniment petit de la biologie molculaire au plus que visible de ltude pidmiologique. chacun de ces domaines correspondent des mthodes et des outils diffrents. 1. Linfra-cellulaire et le cellulaire. Tout dans la biologie intresse la mdecine, mais je me suis content dun exemple pour illustrer mon propos : la microbiologie, avec les travaux de Jenner et de Pasteur. Jenner et la variole Il y a encore peu de temps, ce virus tait capable denvoyer au cimetire des villes entires en un temps record. La maladie navait pas de traitement efficace (elle nen a du reste toujours pas), et sa diffusion tait facilite par la promiscuit, la mauvaise hygine, la sous-alimentation 3. Le signe clinique caractristique de la maladie est la pustule, sorte de gros bouton de varicelle qui, une fois sec, forme une crote qui tombe en laissant une cicatrice indlbile. La gravit de la maladie ne se mesure pas aux signes cutans mais latteinte gnrale : fivre, dfaillance polyorganique, complications diverses responsables du dcs. Depuis longtemps, les mdecins savaient quun mme individu ne pouvait tre atteint deux fois par la variole, si bien quils eurent lide de provoquer une maladie attnue qui protgerait le patient. Pour ce faire, ils inoculaient un sujet vierge de toute infection du liquide provenant de pus3. Je parle de la variole au pass, car cette maladie a t dclare officiellement radique en 1980. Le dernier cas connu sest dclar le 26 octobre 1977 en Somalie. Officiellement, le virus de la variole nest plus conserv que dans deux laboratoires des fins de recherche, tant bien entendu que la guerre bactriologique est hors la loi

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tules de malades ayant survcu lors dpidmies antrieures. Linoculation provoquait une variole-maladie quils espraient bnigne 4. Le rsultat tait alatoire et la tentative dimmunisation pouvait se solder par le dcs du patient. Le progrs dcisif vient de Jenner. Il sait que les vachers nattrapent pas la variole sils ont t contamins par la vaccine. Cette dernire maladie atteint le pis des vaches, o elle se manifeste par des pustules et des lsions croteuses comparables celles de la variole. Chez lhomme, la maladie se limite des lsions cutanes bnignes, sans atteinte gnrale, et cest en trayant lanimal malade que le vacher se contamine. En 1786, Jenner inocule un jeune garon le liquide contenu dans lune des pustules dune fermire atteinte de vaccine. Pour vrifier la protection de son sujet vaccin , il lui inocule ensuite le virus de la variole. Son patient ne dveloppera pas la variole, prouvant exprimentalement quil tait possible dobtenir de manire volontaire la protection que la contamination naturelle offrait aux vachers. Pasteur Pasteur ntait pas mdecin mais chimiste spcialis dans la cristallographie, ses premiers travaux sur le vivant concernaient les fermentations. Le travail de Pasteur aboutira dmontrer : que les fermentations se produisent grce des microorganismes, les levures ; qu chaque type de fermentation correspond une levure spcifique ; que des contaminations, des contagions peuvent se produire par transport de levures indsirables dun substrat 4. Le sujet source tant encore vivant, ils postulaient que le miasme de la maladie tait moins virulent.

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lautre ; des levures de la fermentation actique pouvant, par exemple, transformer en vinaigre ce qui aurait d tre du vin. partir de ce dernier point, Pasteur opre un largissement conceptuel : les maladies contagieuses sont dues la transmission de microorganismes dun individu lautre. Une fois que la responsabilit dun germe est postule dans la survenue dune maladie, il devient possible de concevoir une prvention. partir du germe, on peut envisager de fabriquer un produit immunisant qui protgera de linfection, recrant ce que la nature fait avec la vaccine. Pasteur et ses successeurs chercheront donc attnuer la virulence des germes par divers moyens : repiquage sur des milieux spciaux, inactivation chimique, physique Chez lhomme, la rage est toujours mortelle mais le temps dincubation est extrmement long : entre la morsure et lapparition de la maladie, il scoule plusieurs mois. Cest de ce dlai que profite Pasteur : en juillet 1885, il inocule un virus attnu un jeune Alsacien mordu par un chien enrag. Le jeune garon simmunisera contre la rage durant la priode dincubation, ne dveloppera pas la maladie et sera sauv. Ces histoires illustrent bien lutilisation de la mthode scientifique exprimentale par Jenner et Pasteur : constatation des faits ; formulation dune hypothse ; laboration dun protocole de vrification de lhypothse ; mise en uvre de ce dernier dont le rsultat valide, ou non, lhypothse.

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2. Lorgane et le corps entier La physiologie Cette dernire tudie le fonctionnement normal de lorganisme dans sa globalit, ou celui de chacune de ses parties. En France, Claude Bernard, auteur en 1865 de Lintroduction ltude de la mdecine exprimentale, est considr comme le fondateur de la physiologie moderne. Il est linventeur du concept de milieu intrieur : Tous les mcanismes vitaux, quelque varis quils soient, nont toujours quun but, celui de maintenir lunit des conditions de la vie dans le milieu intrieur. Milieu dont il postule la constance, garante de la sant. Lendocrinologie Lendocrinologie, qui merge la fin du XIXe et au dbut du XXe sicle, est lune des branches de cette mdecine qui dcoule des connaissances et des mthodes de la physiologie. Il existe deux sortes de glandes dans le corps humain : celles qui excrtent vers lextrieur ou dans les cavits de lorganisme, et celles qui scrtent lintrieur, dans le sang. Pour les premires, on peut citer les amas glandulaires du pancras qui excrtent dans le tube digestif les enzymes de la digestion des sucres et des graisses. Pour les secondes, on peut choisir les lots de Langerhans, toujours du mme pancras : elles scrtent linsuline, qui gouverne le mtabolisme des sucres. Lendocrinologie est le domaine de la mdecine qui sintresse au fonctionnement et aux maladies de ces glandes scrtion interne : quels sont les troubles causs par lexcs ou linsuffisance dinsuline, ou des autres hormones ?

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Cest la constatation anatomoclinique que lon trouve au dpart de la dmarche des premiers endocrinologues : dans certaines maladies, on retrouve toujours des lsions des mmes organes ; inversement, le fait de provoquer chez lanimal les lsions de ces mmes organes dclenche la maladie. Il y a une correspondance entre la lsion anatomique que lon peut observer au niveau de lorgane et les signes cliniques que lon constate sur le malade. Prenons la thyrode : dans les annes 1880, on montre la similitude quil existe entre le tableau que lon obtient aprs lablation de la glande thyrode et lhypothyrodie essentielle. Mais le mcanisme nest pas souponn. Quelques annes plus tard (1890), lexprimentation chez le chien montre que lon peut corriger les effets induits par lablation totale de la glande en lui donnant des extraits thyrodiens. En 1891, Murray administre des extraits thyrodiens lune de ses patientes atteinte dhypothyrodie et la gurit. De nos jours, on traite encore lhypothyrodie par un apport en hormones thyrodiennes. Ainsi, au dbut du XXe sicle, nous avons deux images de la maladie : celle de Pasteur, o la maladie est la consquence de lagression dun microorganisme qui vient, de lextrieur, causer la maladie. Cest la maladie infectieuse que lon cherche empcher par la vaccination ; celle des endocrinologues, o le mcanisme est interne et la maladie rsulte du drglement du fonctionnement dune glande. Dans le cas dun dfaut de fonctionnement, on peut gurir la maladie en apportant lorganisme le produit habituellement fabriqu par la glande.

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Petite remarque pistmologique La biologie, la physiologie sont des disciplines scientifiques immdiates , quasi mcaniques. Je veux dire que les processus exprimentaux qui participent leur laboration sont directement comprhensibles si nous nous rfrons notre exprience quotidienne. Bien videmment, les outils de la physiologie moderne sont devenus de plus en plus performants, de plus en plus complexes, mais je peux, chacun peut concevoir ce quil se passe dans un laboratoire dexplorations fonctionnelles, le soumettre au crible de sa raison quotidienne. De plus, linterprtation des rsultats exprimentaux est relativement univoque, ce que lon observe est le rsultat de ce que lon a provoqu au dpart, peu influenc par les interactions avec le milieu exprimental. Bon an mal an, abstraction faite de laltitude, leau bout toujours 100 Celsius ! Mais avec la pharmacologie, la mdecine va quitter bien vite ce monde exprimental parfait pour arriver dans un univers o linterprtation de ce que lon observe est plus dlicate. Le monde moins simple Jean Bernard raconte la manire dont il a vcu la rvolution antibiotique5 : Jai eu deux fois, cette poque, la responsabilit, lhpital Claude Bernard, du pavillon rserv aux malades atteints drsiple. En 1933 comme interne, tous les malades mouraient. En 1937 comme chef de clinique, tous les malades gurissaient grce la dcouverte toute rcente du premier sulfamide actif, le prontosil ou rubiazol. 5. De la biologie lthique, Buchet/Chastel, 1990, p. 36.

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Alors, point ntait besoin dtude au protocole complexe, lvidence clinique suffisait. Mais depuis, la science mdicale sest attaque des maladies plus sournoises, plus complexes apprhender. Elle sest aventure dans un monde multifactoriel o rien nest immdiat, ni la comprhension des mthodes, ni linterprtation des rsultats. 3. La pharmacologie La pharmacologie tudie le devenir des mdicaments dans le corps humain, leur mtabolisme (manire dont ils sont absorbs, utiliss puis limins), leur action sur les diffrents organes, leur efficacit lencontre des maladies quils sont supposs soigner et leur toxicit. La pharmacologie se trouve cheval sur deux domaines exprimentaux. Lorsquelle traite de lassimilation du mdicament, de ses voies de mtabolisation, de son excrtion son domaine scientifique est celui de la biologie, les outils sont les mmes : ceux de la mthode exprimentale classique. Cest une physiologie applique des molcules particulires. Par contre, lorsque la pharmacologie veut connatre leffet thrapeutique et les effets secondaires du mdicament, les instruments de mesure changent de nature. Lapprciation des effets rels dun mdicament ne peut pas se faire dune manire simple. Au contraire, ce que nous voyons, ressentons, est parfois trompeur. On ne peut plus se contenter dobserver ce quil se passe sur une seule et unique personne, il faut observer ce quil advient sur des populations dont on compare le devenir lors dtudes se droulant parfois sur plusieurs annes.

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Placebo, nocebo Le premier obstacle lapprciation objective de lefficacit dun mdicament est leffet placebo : lorsque lon donne un malade un cachet, et quon lui dit quil contient un produit qui va diminuer ses symptmes, voire le gurir, ce malade se sentira mieux mme si le cachet ne contient pas de produit actif. Kissel et D. Barrucand ont propos la dfinition suivante leffet placebo : Mesure thrapeutique defficacit intrinsque nulle ou faible, sans rapport logique avec la maladie, mais agissant, si le sujet pense recevoir un traitement actif, par un mcanisme psychologique ou psychophysiologique 6. ct de leffet placebo, on rencontre son envers, leffet nocebo : du sucre conditionn en glules dans les conditions dune tude thrapeutique dclenchera des effets secondaires notables (diarrhe, maux de tte, ruptions cutanes) chez certaines personnes qui ne sont pourtant pas importunes par celui quelles mettent dans leur caf matinal. Il suffit que lon fasse passer cette glule pour un nouveau produit et que lon demande au sujet de noter les ventuels effets dsagrables ressentis aprs sa prise 7. Premire consquence, il faut liminer la subjectivit du receveur si lon veut pouvoir juger de leffet positif (ou ngatif) du traitement que lon dsire tester. Il faut utiliser la mthode dite en aveugle et contre placebo : on dlivre cent patients une glule A et cent autres la glule B. Personne ne dit chacun ce quil reoit, si la glule A contient la molcule tester ou la poudre inactive.6. Placebos et effet placebo en mdecine, Masson, Paris, 1964. 7. Ce qui ne signifie pas que cest la glule qui provoque tous ces symptmes, mais que le sujet fait un lien entre la prise de la glule et des dsagrments banals qui seraient survenus mme en son absence, et le plus souvent passs inaperus.

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De cette manire, on aura le mme nombre deffets placebo/nocebo dans chacun des groupes, la diffrence rsultera de laction du mdicament. Premier pas, mais qui ne suffit pas : le regard du mdecin peut aussi troubler lapprciation des rsultats ! Le double aveugle Un jour, un laboratoire a demand un mdecin de comparer deux traitements de lasthme. Le premier tait le mdicament habituel, le second un produit nouveau, priori plus efficace. Le protocole consistait donner le traitement classique pendant un certain temps puis le remplacer par le second pendant une dure quivalente. Le mdecin ne disait rien au patient mais tait au courant de ce quil administrait. Lors de chacune des phases, il notait ce que disait le patient de sa maladie mais aussi ce que lui constatait, de manire objective. la fin de ltude, il est apparu que le nouveau traitement tait nettement plus efficace que lancien. Rien dtonnant, sauf que tout au long de lexprimentation, le laboratoire avait fourni le mme produit au mdecin ! Lexplication de la diffrence entre les effets constats se trouve dans la subjectivit du mdecin exprimentateur. Convaincu, ou ayant un priori positif vis--vis du nouveau traitement, il oprait inconsciemment un tri dans ce que lui racontait son patient et faisait de mme avec ce quil constatait lui-mme, faussant les rsultats. On en tire la deuxime consquence : la subjectivit de lexprimentateur est elle aussi un lment perturbateur quil faut mettre de ct. Sur le plan pratique, il ny a rien dinsurmontable : les essais thrapeutiques srieux sont construits contre placebo et en double aveugle . Un groupe recevra du sucre, lautre la molcule active, mais ni le malade qui prendra la glule,

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ni le mdecin qui la dlivrera et/ou qui en juge leffet ne sauront ce quil y a dedans, pour liminer toute subjectivit. Autre remarque pistmologique Il est intressant de noter combien ces faits sont gnants, combien ils vont lencontre de notre exprience immdiate De celle qui me dit que la glule A me donne la diarrhe alors que jaurais pu men servir pour sucrer mon yaourt, de celle aussi qui me fait demander du Dafalgan pour mon mal de tte, car il me calme mieux que le Doliprane, alors que tous deux contiennent la mme dose de produit actif (le paractamol) Les critres dvaluation Mais revenons notre tude pharmacologique. Nous lavons bien faite contre placebo et en double aveugle , et il apparat au bout du compte que la glule B possde une action contre la maladie que nous dsirons soigner. Mieux encore, la leve de laveugle, la glule B savre contenir la molcule active, et non pas le placebo. Nous pouvons donc penser que nous avons un nouveau mdicament. Avons-nous raison ? Parfois oui, mais aussi parfois non. Tout dpend du critre que nous avons choisi pour dpartager les deux groupes : les patients des deux groupes doivent tre comparables : ge, sexe, ethnie, maladies prexistantes, tabagisme, etc. ; les maladies que prsentent les patients des deux groupes doivent ltre aussi, pour ce qui est de leurs symptmes : anciennet, pouvoir volutif Pour viter ces deux familles dobstacles, on procde une randomisation, ce qui signifie que lon tire au sort le

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groupe (placebo ou traitement actif) dans lequel entrera chaque patient. Sur un grand nombre de sujets, le tirage au sort quilibre la fois le profil des malades et celui de la maladie. enfin, il faut avoir choisi le bon critre : dcidons de juger de lefficacit dun mdicament sur la mortalit cardiaque. Le groupe qui le prend a effectivement une moindre mortalit cardiaque par rapport au groupe placebo Le mdicament semble alors utile. Mais si, en largissant le point de vue, on constate que la mortalit globale des deux groupes est identique, cela rduit considrablement lintrt du traitement : objectivement, on peut alors dire que la prise mdicamenteuse ne fait que dplacer la cause de la mort. Heureusement, la plupart des maladies ne sont pas mortelles, et le critre dvaluation que lon choisira sera fonction de ce que lon cherche dmontrer : diminution de la douleur ; diminution de la dure dvolution de la maladie ; apparition plus tardive des complications ; diminution du nombre dpisodes aigus (le nombre de crises dasthme par exemple). chacun de ces critres correspond une contrainte exprimentale, je ne les dtaillerai pas ici, ce nest pas le but de louvrage. Enfin, il faut insister sur le fait que les rsultats dune tude ne sexportent pas de manire automatique. Une tude faite sur des Blancs ne sapplique pas automatiquement aux Noirs, et vice-versa. Lefficacit dun mdicament sur une population dadultes gs de 30 60 ans nest applicable ni la personne ge ni lenfant. Si je dmontre que mon mdicament hypocholestrolmiant est actif pour diminuer les complications cardiovasculaires chez les hommes dge moyen, je ne peux pas pour autant affirmer quil serait utile

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chez la femme non mnopause (ni sur la femme mnopause, du reste !). Les critres intermdiaires (ou de substitution) Cest une famille de critres redoutablement dangereux. Dans certaines maladies dvolution lente, la mortalit nest que peu augmente ou tardivement, les complications apparaissent lentement, la douleur est peu importante ou absente. Dans de telles conditions, il est difficile de juger de lefficacit dun traitement en se rfrant aux critres majeurs que sont la survie et la qualit de vie. Pour apprcier un traitement, on utilisera des paramtres plus faciles suivre, que lon pense tre des marqueurs significatifs de la maladie. Le dosage du cholestrol est un bon exemple de critre intermdiaire 8 : depuis ltude de Framingham 9, on sait que la mortalit cardiovasculaire augmente avec le taux de cholestrol. partir de cette constatation, le raisonnement mdical est le suivant : faisons baisser le cholestrol, et le cur des gens ira mieux ! Si bien que lefficacit thrapeutique dun nouveau mdicament se jugera laune de son pouvoir faire baisser le cholestrol Toutefois, savoir ce que lon fait rellement sur la maladie cardiovasculaire, la mortalit cardiovasculaire et la mortalit globale est une autre histoire, comme nous le verrons plus loin. La question est de savoir si la variation du paramtre choisi est bien significative de lvolution de la maladie, ce qui na rien de certain.

8. Mais pas un exemple de bon critre intermdiaire ! 9. Cette tude a suivi pendant des dizaines dannes (et suit encore) de manire prospective la population de la ville ponyme. Elle a permis de mettre en vidence divers liens pidmiologiques.

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Autrement dit, est-il suffisant de corriger un chiffre pour soigner un malade ? Leffet de classe Cest un sophisme qui postule que tous les mdicaments de la mme famille ont le mme effet thrapeutique que celui de lun de ses membres : la statine X fait baisser le cholestrol ; la statine X a dmontr son efficacit diminuer le nombre dinfarctus du myocarde ; la statine Y fait baisser le cholestrol de la mme manire que la statine X ; donc la statine Y a le mme pouvoir thrapeutique que la statine X. Ce raisonnement, lvidence mensonger, ne fait pas frmir du tout la communaut mdicale qui lutilise quotidiennement Enfin, dans le sens qui larrange : si on accepte leffet de classe, on devrait lappliquer aux effets ngatifs des mdicaments, ce qui nest jamais fait. Parfois, leffet de classe dborde de la famille chimique et lon ne parle plus des statines mais de leffet des hypocholestrolmiants, des hypoglycmiants, des antihypertenseurs toutes molcules confondues ! On est dans le domaine du raisonnement par analogie, dont on peut dire quil nest aucunement scientifique, mais quil ouvre la porte toutes les extrapolations, tous les abus. Bnfice-risque Les molcules que nous utilisons possdent, ct de leur pouvoir curatif, des effets secondaires. Il importe que ces derniers nannihilent pas les bnfices observs. Il est

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bien de diminuer les douleurs des rhumatisants, mais dommage de les faire mourir de maladies cardiaques ! Les notions defficacit thrapeutique, de bnfice-risque sont des notions pidmiologiques et non pas individuelles, ce qui introduit la suite du dveloppement. 4. Lpidmiologie Elle a pour objet ltat de sant et de maladie des populations. On peut la diviser en deux grands domaines : lpidmiologie descriptive, qui recense les maladies, et lpidmiologie analytique, qui formule des hypothses sur les causes des maladies, sur leurs facteurs de risque. En 1981, aux tats-Unis, les mdecins des Centers for Disease Control (centres de surveillance des maladies) remarquent laugmentation de lutilisation dun antibiotique jusqualors peu employ et spcifique dune maladie rare qui frappe surtout les personnes dont les dfenses immunitaires sont affaiblies (cancers, traitement immunosuppresseur aprs greffe dorganes). L, par contre, les malades sont tous des hommes jeunes sans antcdent pathologique particulier. Ces patients ont pour particularit commune dtre homosexuels Ds ces donnes analyses, le CDC dAtlanta alerte les mdecins sur cette nouvelle forme de dficit immunitaire qui possde la particularit dtre acquis et de frapper la communaut homosexuelle, et le nomme Acquired Immuno Deficiency Syndrom, en franais : Syndrome Immuno Dpressif Acquis, SIDA. On imagine la puissance de loutil ncessaire pour produire un tel rsultat. Nous ne possdons rien de semblable en France, la culture pidmiologique est balbutiante, comme si connatre ltat de sant des citoyens nintressait ni les politiques ni les mdecins. En France, il nexiste pas, ou presque,

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dorganisme centralisateur des donnes pidmiques (avant dtre pidmiologiques). Il ny a pas de culture de recueil des donnes du terrain, il ny a pas de culture de remonte de ces donnes, il ny a pas dorganisme qui puisse les traiter pour les faire redescendre vers les mdecins et informer les dcideurs. Ltat nest pas en reste dtre en retard sur la surveillance de la sant des Franais. Lun des articles du Bulletin pidmiologique H e b d o m a d a i r e n 41/42, du 21 octobre 2003, Surveillance des cancers , a un titre vocateur : Propositions pour la mise en place du systme de surveillance pidmiologique nationale des cancers . La surveillance actuelle ne couvre que 15 % de la population 10. Je le cite : Ainsi, le systme actuel ne permet pas de dtecter des disparits rgionales dans lefficacit des systmes de soins, de suivre limpact sur lincidence dactions ralises lors de programmes rgionaux de sant, ou pour planifier loffre de soins [], ne permet pas non plus de rpondre lattente rcente des pouvoirs publics et de la socit quant lestimation de limpact cancer dun risque environnemental pouvant survenir en tout point du territoire. Cest le cas notamment de la surveillance autour des centrales nuclaires, des incinrateurs dordures mnagres ou des relais tlphoniques. Il nest pas pertinent pour suivre limpact dune mesure prventive dans une zone non couverte par un registre, notamment les programmes de dpistage. Enfin, dans le cas de suspicion de cluster dorigine environnementale ou survenu en milieu professionnel, labsence de taux de rfrence pour les zones non couvertes par les registres limite la pertinence de lanalyse. En clair : la surveillance pidmiologique des cancers est balbutiante, on ne peut rien faire de ce qui serait utile pour la10. Sauf pour la surveillance des cancers de lenfant, qui est nationale.

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sant publique Cest le symptme du dsintrt total des politiques et de leur mconnaissance de llment indispensable pour dcider de manire cohrente en sant publique : connatre lexistant. Quest-ce quon leur apprend dans les coles ? Si cette rfrence est un peu ancienne, en voici une autre, datant de mai 2006, que lon trouve sur le site de lAcadmie des Sciences11 : Si la France peut se targuer davoir t un berceau de lpidmiologie, lanalyse objective des effectifs des chercheurs et des laboratoires montre quelle est actuellement sous-dimensionne par rapport aux pays comparables. Pourtant, la demande en pidmiologie, aussi bien scientifique que sociale, grandit sans cesse. Voici, ci-aprs, quelques notions de base en pidmiologie qui serviront ultrieurement dans cet essai. Incidence, prvalence Lincidence dune maladie reprsente la frquence des nouveaux cas de la maladie durant une priode donne : on a retrouv dix nouveaux cas de diarrhe aigu pour une population de mille personnes durant la semaine passe, par exemple. Pour une maladie contagieuse, lincidence mesure aussi la vitesse de propagation de la maladie et son augmentation permet de parler dpidmie. La prvalence reprsente le nombre de cas dune maladie dans une population donne un moment donn lui aussi. Ce nombre dpend bien videmment de lincidence de la maladie (du nombre de cas apparus), mais aussi de la dure dvolution de cette maladie. incidence gale, une maladie11. Lpidmiologie humaine. Conditions de son dveloppement en France, et rle des mathmatiques, http://www.academiesciences.fr/publications/rapports/rapports_html/RST23.htm

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qui tue son malade en dix jours aura une prvalence nettement infrieure celle dune maladie dont la dure dvolution est de dix ans. tude prospective, rtrospective Ltude prospective part daujourdhui, suit une population pendant un certain temps selon des critres qui ne varient pas, et note lapparition des maladies au sein du groupe mesure que le temps scoule. Si lon suit correctement sa population, sil ny a pas trop de perdus de vue, on obtient un bon film de lapparition des maladies que lon veut tudier. Une tude rtrospective se fait en regard derrire soi, en consultant les donnes passes sur les malades et la maladie que lon veut tudier, cherchant retrouver des faits explicatifs communs. Mais on ne peut pas faire confiance des donnes contenues dans des dossiers mdicaux dont le remplissage sest fait des annes avant que ltude ne commence. Cest le biais de recueil qui entache les conclusions de ltude, les rend douteuses. Dans lensemble, les tudes rtrospectives ont un (trs) faible niveau de preuve et ne devraient jamais tre utilises dans un travail qui cherche dmontrer quelque chose. Il est dangereux dappuyer son discours, et encore plus sa pratique, sur les rsultats dune tude rtrospective qui ne peuvent, en toute rigueur, que servir laborer une hypothse. Nous reviendrons plus loin sur ces notions dpidmiologie, et sur dautres que nous dvelopperons en situation. Leur connaissance nous permettra de nous faire une opinion plus motive sur les ides et les modes qui traversent la mdecine.

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Le hasard Il fait aussi varier les choses, ce qui complique leur interprtation : soient deux groupes A et B, les patients du groupe A prennent un mdicament, pas ceux du groupe B. On observe 10 morts dans le groupe A et 15 dans le groupe B, la diffrence est-elle le fait du hasard ou de la thrapeutique ? La rponse nest pas immdiate, comme on pourrait le penser, mais lutilisation de loutil statistique peut nous rpondre, nous y reviendrons. 5. En conclusion La mdecine possde des bases scientifiques dont elle doit suivre les rgles, car elles garantissent que ce quelle affirme nest pas le fruit de lerreur ou de la manipulation. Elle devrait aussi prsenter ses rsultats de manire honnte, se soumettre des contrles et respecter les dcisions qui en dcoulent. Ce nest pas toujours le cas

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LE DPISTAGE

1. Donnes de base Si prvenir les maladies est lun des objectifs constants et anciens de la mdecine, vouloir les dpister est plus rcent. Le dpistage cherche faire le diagnostic de la maladie un stade prcoce, avant les signes cliniques ou les complications. Sa justification repose sur la croyance que plus le traitement dune maladie est prcoce, meilleure en est lvolution. Cela, en fait, na rien de certain Les diffrents niveaux de la prvention On parle de prvention primaire lorsque lon cherche diminuer lincidence dune maladie dans une population, rduire lapparition de nouveaux cas ; de prvention secondaire, lorsque lon cherche diminuer (ou retarder) lapparition des complications, ou lorsque lon cherche en raccourcir lvolution. La prvention tertiaire, enfin, recouvre lensemble des actions entreprises pour diminuer les invalidits fonctionnelles conscutives une maladie. Que dpister, et comment ? On ne dpiste pas nimporte quelle maladie dans nimporte quelle population.

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Pour tre pertinent, lacte de dpistage doit sinscrire dans un cadre dfini par les critres suivants : la maladie doit poser un problme de sant individuelle et/ou publique ; elle doit avoir un traitement. Le mot traitement est pris au sens large, il recouvre les thrapeutiques mdicamenteuses ou chirurgicales mais aussi les actions hygino-dittiques 1 qui ont un effet sur la maladie. Traiter par ailleurs ne veut pas forcment dire gurir, faire disparatre la maladie chez le sujet. Il peut sagir de rallonger lvolution, damliorer le confort ; les suites du dpistage : les examens ncessaires pour arriver au diagnostic voqu par la positivit du test, ainsi que le traitement qui en rsulte, doivent tre accessibles tous les sujets dpists ; le test de dpistage doit tre simple, non dangereux, fiable et peu coteux ; linformation des patients doit tre honnte et leur accord obtenu, hormis sil existe une obligation lgale ; on peut envisager dimposer le dpistage dune maladie contagieuse pour viter sa propagation. Ce fut fait pour la tuberculose dans les annes daprs-guerre. On peut aussi le proposer, comme cest le cas pour le test HIV, lors lexamen prnuptial. Qui dpister ? Le dpistage peut concerner lensemble de la population, il est dit de masse ; ou se limiter une fraction de celle-ci, il est alors cibl.

1. Instauration dun rgime, mise en route dune activit physique, etc.

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Le dpistage

Leffet dtiquette Dpister une maladie sans rien proposer est un geste nocif pour lquilibre et la sant du sujet auquel on impose une tiquette de malade, toujours mal vcue, parfois hautement pathogne. 2. Fiabilit des tests de dpistage (PDF complmentaire) Stricto sensu, un test de dpistage ne pose pas le diagnostic de la maladie : sil est positif, il induit une prise en charge mdicale pour infirmer ou confirmer le diagnostic voqu. Pour ce qui nous occupe, cette distinction na que peu dimportance, mais il est bon de la rappeler. Afin que cette prise en charge mdicale ne se fasse pas en vain, il faut que le test de dpistage satisfasse des conditions de fiabilit mesures par sa reproductibilit et ses performances. La reproductibilit des tests Elle est indispensable : on ne peut envisager de dpister une quelconque maladie avec des appareils dont le rsultat serait entach dune erreur alatoire. La mesure des performances dun test Les performances dun test mesurent sa capacit mettre en vidence ce que lon cherche : la sensibilit traduit son aptitude ne pas laisser passer de malades. Un test sensible 80 % dpiste huit malades sur dix ; sa spcificit est sa capacit ne pas tiqueter comme malades des individus qui ne le sont pas. Un test spcifique 90 % tiquette tort comme malade un sujet sain sur dix ;

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Ces deux paramtres sont en gnral concurrents : si lon augmente la sensibilit dun test pour dtecter le maximum de malades, on diminue la spcificit. Plus on ratisse large, plus on ramne dautres choses que ce que lon cherche, et inversement. Mais le plus important reste la quantit dinformation que le test nous donne : quel est le risque que le sujet soit effectivement malade si son test est positif ? quelle est la chance que le sujet ne le soit pas si le test est ngatif ? On appelle ces renseignements les valeurs prdictives. La valeur prdictive positive est le risque dtre malade en cas de positivit du test, la valeur prdictive ngative est la chance de ne pas ltre en cas de ngativit du test. Ces deux valeurs sont bien videmment lies la sensibilit et la spcificit du test utilis, mais encore plus au nombre de cas de la maladie dans la population en question. On peut le montrer avec les exemples qui suivent. 3. Les dpistages nonataux (PDF complmentaire) Comparons les performances des tests de dpistage de deux maladies gravissimes du nouveau-n : la phnylctonurie et lhypothyrodie congnitale 1. Les tests sont extrmement performants, mais les maladies sont trs rares.

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La phnylctonurie Les donnes 2 sont les suivantes : sensibilit = 1 (tous les cas sont dcels), spcificit = 0,999 (1 nouveau-n sain sur 1000 est tiquet malade). La frquence de la phnylctonurie est dun cas pour 10 000 naissances. Avec ces donnes, on peut calculer que la valeur prdictive positive est de 9 % : un nouveau-n dont le test de dpistage est positif na que neuf risques sur cent dtre atteint de la maladie. Lhypothyrodie congnitale Les donnes sont les suivantes : sensibilit = 0,979, spcificit = 0,999. La frquence de lhypothyrodie congnitale est denviron une pour 4000 naissances. On calcule que la valeur prdictive positive est de 20 %, soit un risque sur cinq dtre hypothyrodien. Ceci montre que mme avec des tests pratiquement parfaits, le risque dtre malade avec un test positif reste faible si la maladie est rare. Cest, du reste, le test le moins performant qui a la meilleure signification clinique du fait de la frquence plus importante de la maladie thyrodienne.

2. Les chiffres de sensibilit et de spcificit sont tirs de : http://www.educ.necker.fr/cours/poly/biostatistique/biostat.htm (vu le 2 septembre 2006).

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4. Le dpistage du cancer de la prostate (les PSA 3) apporte-t-il quelque chose au patient ? Le problme de lefficacit thrapeutique Le but du dpistage dun cancer est de dtecter la tumeur son dbut, esprant quun traitement prcoce permettra soit la gurison, soit une survie plus longue ou plus confortable du patient. Mais ce nest pas le cas pour le cancer de la prostate. ce jour, les tudes ont montr que la survie des patients traits prcocement aprs dcouverte de leur tumeur ntait pas plus longue que la survie de ceux pour lesquels on attendait que la tumeur donne des manifestations cliniques avant dentamer le traitement. Quant la qualit de vie, elle est moins bonne chez les sujets traits prcocement (la dmonstration de ces affirmations est disponible dans un PDF complmentaire). Des tudes sont actuellement en cours au niveau europen pour infirmer ou confirmer cette donne, et pour donner une place aux diffrents traitements (chirurgie, radiothrapie, hormonothrapie, voire chimiothrapie). Les recommandations dites ce sujet par lANAES 4 ne sont pas en faveur du dpistage du cancer de la prostate 5. Cette position est aussi celle de lAmerican College of Preventive Medicine qui ne recommande pas le dpistage de masse au moyen du toucher rectal et du dosage des PSA 6. 3. Le dosage des PSA (antignes prostatiques spcifiques) dans le sang permet dvoquer la possibilit dun cancer de la prostate. 4. LANAES est la dfunte Agence Nationale dAccrditation et dvaluation en Sant, rfrence en matire de connaissances mdicales. Nous verrons son rle et le rsultat de ses travaux lors dun chapitre ultrieur. Elle a t remplace par lHAS, la Haute Autorit de Sant. Jemploierai lun ou lautre terme indiffremment. 5. Opportunit dun dpistage systmatique du cancer de la prostate par le dosage de lantigne spcifique de la prostate, janvier 1999, Rapport, ISBN 2-910653-40-4.

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Le dpistage

La leon retenir est quil ny a pas obligatoirement de bnfice pour le malade traiter plus tt certaines maladies ; dans ce cas, il ne faut pas chercher les dpister. 5. Le dpistage du cancer du sein par mammographies Jexerais dans lun des dpartements pilotes o fut entam ce dpistage. Un des problmes quil soulevait tait labsence de photo de dpart : nous ne possdions pas de registre des cancers, ni aucun autre moyen permettant de connatre la situation de dpart. Nous navions pas de donnes sur la frquence de la maladie, sur les formes quelle prsentait, ni sur son volution. Il tait donc invitable que nous ne pourrions pas mesurer les effets, quils soient positifs ou ngatifs, du dpistage. Nanmoins, lexprimentation fut dcide, puis, devant ses effets dits positifs 7, le d pistage fut tendu lensemble de la France. Les rsultats du dpistage par mammographies viennent dtre publis, ltranger, car lon ne sest pas donn les moyens de faire une pidmiologie correcte en France. Ils me paraissent extrmement modestes : Dans une hypothse optimiste, il faudrait inviter entre environ 700 et 2 500 femmes pour viter un dcs par cancer du sein au bout de 14 ans. Le dpistage par mammographies na pas diminu le nombre de traitements agressifs, notamment dablations du sein 8. 6. http://www.acpm.org/prostate.htm (vu le 3 septembre 2006). 7. Mesurs comment ? 8. Mammographies et dpistage du cancer du sein , la revue Prescrire, mai 2006, p. 348-374. La citation est extraite des propositions de la revue Prescrire, p. 371. Je sais le type de raction violente de rejet que peut provoquer ce genre daffirmation, qui fait plus que dranger. Dans un chapitre ultrieur nous tudierons la fiabilit des sources de linformation, dont celle de la revue Prescrire.

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Au total, lintrt du dpistage du cancer du sein doit tre discut. Linformation donne aux femmes qui dcident dy participer doit tre revue. 6. Un dpistage dlirant La prventologie sest rige comme dogme, comme axiomatique autoproclame essentielle lobtention de la sant. Ne se questionnant plus, elle sintresse aussi aux maladies dune manire qui peut susciter linquitude, ici lAlzheimer. Voici un extrait dune interview donne par une haute autorit de griatrie, elle fait froid dans le dos 9. Question : Le plan 10 va intgrer une valuation cognitive partir de 70 ans la consultation de prvention prvue dans le cadre de la loi de sant publique. Cest un point important et dlicat Professeur Sylvie LEGRAIN (griatre) : Les consultations de prvention seront proposes aux diffrents ges de la vie, comme 50 ou 70 ans, avec diffrentes modalits pour chacune des tranches dge concernes. La consultation de prvention des 70 ans intgrera effectivement un test cognitif, mais qui ne sera pas pouss. En cas de positivit, le patient sera invit consulter un spcialiste, sans que cela ne soit une obligation. Q. : Faut-il diagnostiquer les patients prcocement ? Nest-ce pas leur dvoiler une pathologie trop tt, alors quils pourraient vivre quelques annes sans sinquiter ? Pr S. L. : Il nest pas rare que les personnes atteintes de maladie dAlzheimer souffrent de dpression au dbut des troubles, tout