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Quoiqu'elle venait de se marier... Author(s): Henry Schogt and Henri Schogt Source: La Linguistique, Vol. 10, Fasc. 2 (1974), pp. 91-100 Published by: Presses Universitaires de France Stable URL: http://www.jstor.org/stable/30248256 . Accessed: 10/06/2014 00:26 Your use of the JSTOR archive indicates your acceptance of the Terms & Conditions of Use, available at . http://www.jstor.org/page/info/about/policies/terms.jsp . JSTOR is a not-for-profit service that helps scholars, researchers, and students discover, use, and build upon a wide range of content in a trusted digital archive. We use information technology and tools to increase productivity and facilitate new forms of scholarship. For more information about JSTOR, please contact [email protected]. . Presses Universitaires de France is collaborating with JSTOR to digitize, preserve and extend access to La Linguistique. http://www.jstor.org This content downloaded from 195.78.109.156 on Tue, 10 Jun 2014 00:26:10 AM All use subject to JSTOR Terms and Conditions

Quoiqu'elle venait de se marier

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Quoiqu'elle venait de se marier...Author(s): Henry Schogt and Henri SchogtSource: La Linguistique, Vol. 10, Fasc. 2 (1974), pp. 91-100Published by: Presses Universitaires de FranceStable URL: http://www.jstor.org/stable/30248256 .

Accessed: 10/06/2014 00:26

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QUOIQU'ELLE VENAIT DE SE MARIER...

par Henry SCHOGT

I

Apres le livre de Georges Mounin sur les problames thdoriques de la traduction1 il est devenu presque superflu de traiter des pos- sibilitis et des impossibilitis de rendre dans une autre langue, ce qui a dte formuld dans une langue donnee. Mounin fait le point en exposant et en evaluant avec une grande clartd les diff6rentes sortes d'incompatibilites dont voici les plus importantes :

a) Au niveau du lexique le decoupage de la rdalite extra-linguis- tique varie d'une langue

' l'autre;

b) La oh la phonie (son et rythme) a une fonction comme c'est par exemple le cas en podsie, les diffdrences phonologiques et accentuelles empechent la traduction exacte;

c) La morphologie et la syntaxe n'occupent pas la meme position dans toutes les langues et il s'ensuit que des passages oh une catigorie morphologique est charg6e d'une fonction seman- tique specifique ne peut pas se traduire dans une langue oh cette categorie fait defaut.

a) Pour le decoupage lexical on cite souvent les norns de cou- leurs qui decoupent arbitrairement le continu du spectre solaire de sorte que la correspondance entre les noms dans les diffdrentes langues est tout au plus trbs approximative. Un autre exemple bien connu est celui de la neige des Esquimaux designde par toute une serie de termes diff6rents selon qu'elle est poudreuse, collante, durcie, etc.

I. Georges MOUNIN, Les problimes thioriques de la traduction, Paris, 1963.

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b) Les traits phoniques et rythmiques empechent la traduction de podsie dans la mesure oh ils ont une fonction expressive en accord avec le message du texte. Cela est une fagon compliquie de dire que la poesie est intraduisible. Une transposition, oih les effets sont similaires ta ceux de l'original, est tout ce qu'on peut esperer atteindre.

c) Les exemples abondent dans cette catigorie mais ne sont pas toujours faciles a presenter de fagon concise, puisque pour en bien saisir la portie il faudrait comparer des systemes complets, et ne pas partir de formes catigorielles isoldes. Les formes prono- minales de la deuxitme personne singulier et pluriel offrent une illustration concise appartenant a un systdme fermd et trbs limit' :

Franfais Anglais Allemand Hollandais

Singuli familier...... tu you du je Singuer poli vous you Sie U

Pluriel familier vous you Ihr jullie poli vous you Sie U

Tout ce schema n'est qu'un point de depart, car il ne tient pas compte de diff6rences de distribution dans le cas o0 l'inventaire des formes est identique. C'est un problkme qui ressortit A la

stylistique et la sociolinguistique, et nous le passerons ici sous silence.

Cette enum6ration rapide et quelque peu superficielle n'est qu'un resume de ce qu'on appelle la th6se de Sapir et Whorf, d'aprbs laquelle l'homme est le prisonnier de sa langue maternelle. C'est la langue maternelle qui nous fournit - on pourrait aussi dire << nous impose >> - les cadres o0i se pergoit et peut etre d6crite la rialite extra-linguistique et il est clair que le passage d'un cadre

donn6 a un autre cadre s'accompagne de serieuses difficultis et

provoque souvent dans l'individu un sentiment d'extreme frus- tration. La lecture du livre de Mounin offre quelques consolations : grace a une attitude pragmatique la communication s'6tablit malgre les obstacles theoriquement insurmontables signalks par Sapir et notamment par Whorf2. II n'en reste pas moins vrai que la transposition dans un autre systhme demande un effort consi-

2. Voir Edward SAPIR, Language, Londres, 1921 (trad. fran.., Paris, 1953), et Benjamin WHORF, Language, thought and reality, Cambridge, Mass., 1956.

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dirable et arrive souvent a des risultats peu satisfaisants. Heureu- sement ce genre de difficultds, dira-t-on, n'dchoit en partage qu'aux gens qui se risquent au-delk du domaine de leur langue maternelle, et bien que leur nombre croisse toujours, la grande majoritd de l'humanit6 s'en tient B l'usage d'une seule langue, quelle qu'elle soit.

Pourtant la personne unilingue se voit placee de temps en

temps devant des probl6mes creds par le cadre meme de sa langue, problbmes qui sans &tre identiques a ceux de la situation bilingue prdsentent certains aspects analogues.

II

C'est un lieu commun que de dire que la langue n'est qu'un moyen peu addquat et trbs approximatif pour exprimer les nuances infiniment varides de la pensde humaine. Ii ne faut toutefois pas confondre ce sentiment d'insatisfaction avec l'impossibilite de trouver des equivalences precises entre des termes de langues diff6rentes. Dans le premier cas, on a le besoin d'exprimer des nuances qu'on ne pergoit pas dans les termes dont on dispose, mais, le plus souvent, il ne s'agit que d'un ddbordement de senti- ments qui s'accommode mal d'une formule qui est trop gendrale et trop abstraite au gofit de celui qui parle. Comme la langue fonctionne grace aux principes de g6ndralisation et d'abstiaction, elle tend A ndgliger l'unicitd de l'experience en faveur des traits que celle-ci a en commun avec d'autres expdriences similaires. En dernibre analyse ce sont precisement les aspects uniques pour lesquels la langue ne fournit pas de termes, et ces aspects ne sont pas conceptualises.

Il est clair que le cas de non-dquivalence dans la situation bilingue oppose les uns aux autres des elements conceptualises; les lacunes que prdsente l'une des deux langues pour exprimer les

concepts de l'autre provoquent le meme sentiment d'impuissance il est vrai, mais il ne s'agit pas d'un element dont le caractbre unique ddfie toute expression linguistique. Signalons en passant que, dans la situation unilingue, l'inexprimable pose le problkme de savoir si la pensde est possible avant la conceptualisation. C'est une question 6pistimologique qui regarde les psycholinguistes s'occupant de la formation du systdme linguistique lors de l'ap-

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prentissage de la langue maternelle, mais elle n'entre pas en ligne de compte quand on s'occupe de la traduction.

Les problemes de rythme et d'euphonie ne se rencontrent qu'd un niveau litteraire de l'usage unilingue et a cet egard on pourrait parler d'un paralldlisme entre la traduction et lui. Parfois il y a un conflit entre la forme et le sens, comme dans le cas signalk par Stephen Ullmann : le terme compendieusement suggbre par sa forme le contraire de < succinct >>, et comme il est d'un emploi tres rare, on a tendance a y attacher le sens oppose3. Pour ceux qui sont sensibles a l'expressivite phonique des voyelles, il existe une cor-

respondance entre les voyelles antirieures et fermies et ce qui est

petit et lIger, tandis que les voyelles posterieures et ouvertes

evoquent ce qui est gros et lourd. Par une extension associative, < petit >> et < 1lger >>6 voquent << gai >> et << clair >>, l o << gros >> et << lourd>> se rattachent << sombre>> et < fonc >>. Mallarm6 se plaint du vocalisme mal distribud en frangais jour et nuit4, mais pour la

grande majorite des Frangais c'est une subtilite qui ne joue aucun

r6le, et meme ceux qui perqoivent l'opposition entre forme et contenu dans certains textes litteraires n'en sont genes que dans des cas tres speciaux. On est loin de la situation de la traduction

poetique oh les limitations formelles se font sentir constamment.

III

Les phenomines les plus intiressants s'observent dans le domaine de la syntaxe. Il faut distinguer deux categories : a) celle oh le locuteur confond deux regles syntaxiques qui semblent etre en contradiction, mais malgrd cette confusion la norme du bon

usage est sans aucune ambiguitd; b) celle oh deux ragles sont en contradiction reelle I'une avec l'autre, de sorte qu'en suivant

3. ULLMANN 6crit : << Ainsi, la longueur de l'adverbe compendieusement jure avec la signification de << en

bref>>; on sera done port6 l'interprdter A tort et 'a lui attribuer le sens de << abondam- ment >>, dans ce vers des Plaideurs :

Je vais, sans rien omettre, et sans privariquer, Compendieusement inoncer, expliquer...

<< oiL ce mot constitue A lui seul un h6mistiche complet. >> Pricis de simantiquefranfaise, 2e 'd., Berne, 5959, PP. 114-I15.

4. Stephane MALLARME, Divagations, relev6 par Roman JAKOBSON, Closing state- ment : Linguistics and poetics, dans Style in language (red. Th. A. Sebeok), 2e id. broch&e, Cambridge, Mass., 1968, pp. 350-377, p. 373.

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l'une, on fait automatiquement une faute contre l'autre. Dans les deux cas le locuteur se rend compte de regles qui restent norma- lement au niveau du subconscient, mais c'est seulement le deuxiRme cas qui resulte de tensions structurales de la langue. En anglais le terme number est tant6t suivi d'un singulier, tant6t du pluriel :

I) The number of dissatisfied students is increasing all the time. 2) A number of students were dissatisfied.

Une analyse logique de la phrase 2 pourrait faire croire 'a un conflit : number etant un singulier devrait commander un verbe au singulier. Remarquons en passant que le meme raisonnement vaut pour la plupart en frangais. Dans le cas de l'anglais a number of prend la fonction de some et se subordonne 'a students, tandis que the number dans la phrase I garde la place centrale de sujet. Une

pareille explication est plut6t une constatation aprls coup, mais il n'en reste pas moins vrai que la norme est bien etablie, meme

pour ceux qui ont des difficultis a suivre cette norme dans l'emploi reel de la langue. La distinction formelle ne s'observe pas dans

I) The number of dissatisfied students increased considerably last year. 2) A number of students occupied the offices of the administration.

a cause du syncritisme des formes verbales au singulier et au pluriel. L'absence de distinctions formelles dans une partie des occurrences d'une opposition catigorielle influe sans doute sur la

stabiliti de l'opposition, mais comme la distribution de number + pluriel difflre completement de celle de number + singulier l'interpritation ne depend pas de la forme que prend le verbe.

Un cas plus compliqui se rencontre en fran.ais oth les rlgles du subjonctif entrent en conflit avec celles de l'auxiliaire temporel venir de. Examinons d'abord la fonction et la position du subjonctif, ensuite la place qu'occupe venir de dans le syst6me verbal du frangais, pour voir enfin quel est le conflit et comment on peut le resoudre.

IV

La position du subjonctif fait l'objet d'etudes nombreuses. Il y a tout d'abord les etudes normatives qui enumbrent les cas oh il faut employer le subjonctif. Elles se soucient g6neralement peu de

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l'apport ou du non-apport simantique du mode. Puis il faut mentionner les descriptions oih ce n'est pas la norme du bon usage qu'on discute, mais les habitudes rdelles des locuteurs, habitudes

qui different parfois considerablement de ce que le bon usage prescrit. Finalement le r6le du subjonctif au point de vue du sens et sa fonction sociale forment l'objet principal d'une troisibme

cat6gorie. En combinant les resultats des trois genres d''tudes, on

pourrait resumer la situation comme voici :

I) Le bon usage fournit des regles trts pricises, en general ne laissant aucune liberte de choisir au locuteur.

2) Dans l'emploi reel du mode on constate que les infractions aux

prescriptions du bon usage vont presque toutes dans le meme sens : on elimine le subjonctif en faveur de l'indicatif ou du conditionnel.

3) L'apport simantique attribu6 au subjonctif varie d'aprbs les

points de vue. L'expression du sentiment et de la volonte relevie dans les icrits normatifs est mise en doute dans les etudes fonc- tionnelles et structurales qui ne reconnaissent une fonction

semantique que li.

o0i il n'y a pas servitude grammaticale.

Abstraction faite de quelques cas oh le subjonctif entre en

opposition directe avec l'indicatif :

Nous devons dire & Jean qu'il ecrit bien...; Nous devons dire & Jean qu'il 'crive bien...;

ou encore :

II parle d'une voix claire, de sorte qu'on peut l'entendre aux derniers rangs; II parle d'une voix claire, de sorte qu'on puisse l'entendre aux derniers

rangs,

le contexte indique toujours comment il faut interpreter le mes-

sage, et le mode verbal ne joue aucun r6le, a moins qu'on ne lui reconnaisse la fonction d'indice social. Que le r6le sociolinguis- tique ne soit pas sans importance, cela est corrobord par le nombre

d'hypercorrections qui va augmentant ces derniers temps. Du point de vue formel la situation est assez confuse. Le pre-

sent du subjonctif ne se distingue que partiellement du present de l'indicatif, un grand nombre de verbes notamment ceux en -er

ayant au singulier et A la troisibme personne du pluriel les memes

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formes pour les deux modes. Les premiere et deuxibme personnes du pluriel du present du subjonctif coincident souvent avec les formes de l'imparfait de l'indicatif. L'imparfait du subjonctif a une identit6 formelle plus nette, bien que pour les verbes du type definir il coincide avec le present du subjonctif, sauf a la troisibme

personne du singulier : qu'il finisse , qu'il fint. Comme les formes sont lides a celles du passe simple et que le

passe simple est de moins en moins ancrd dans la conscience des locuteurs frangais, l'absence du syncretisme qui menace le present du subjonctif ne garantit pas du tout la survie de l'imparfait du

subjonctif. Meme les grammaires normatives deconseillent l'em- ploi frequent de l'imparfait du subjonctif, et le reservent pour le

style ecrit soutenu. Dans la langue parlee ce sont surtout les formes de la troisieme personne du singulier et plus specialement les formes monosyllabiques telles que f2t, ett, sat, pat qui se maintien- nent. Les formes a plusieurs syllabes comme aimdt, dormft, finit, repat se rencontrent egalement assez souvent.

V

Pour l'auxiliaire de temps venir de la littirature est moins abon- dante que pour le subjonctif. Grevisse indique que venir de sert a marquer un fait acheve dans un pass6 trbs proche5. Bien qu'il signale que aller n'est pas courant au subjonctif et au conditionnel comme auxiliaire du futur prochain et est remplac6 par des expressions plus ou moins synonymiques6, il ne relive pas de res- trictions analogues pour venir de. Pourtant les memes limitations y sont en vigueur et le nombre de deviations semble etre meme plus r'duit que dans le cas de aller auxiliaire du futur prochain. Une

phrase telle que

S'il s'agissait de battre des positions que nous viendrions nous-mimes d'abandonner on comprendrait qu'ils hisitent';

semble rdaliser une possibilite marginale du systame. II est curieux de constater que l'auteur qui fournit les descriptions les plus

5. Maurice GREVISSE, Le bon usage, 9e id., Gembloux, 1970, . 655, no 14, p. 6oi. 6. Ibid., . 655, no I, pp. 596-597. 7. Jules Romains, cite par Holger STEN, Les temps du verbefini (indicatif) en fran;ais

moderne, Copenhague, 1952, p. 243-

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exhaustives de venir de et d'aller marque cette construction d'un

asterisque mais donne un exemple du futur << ... Vous boirez lentement... un caff6-latte mousseux, ... lisant les

quotidiens que vous viendrez d'acheter au moment meme oi le

cycliste les aura livrds >>8.

Malheureusement pour nous l'6tude porte uniquement sur le systeme temporel et ne s'occupe pas du c6te modal de la question. Ainsi on pourrait dire que le futur du passe de venir de + infinitif n'est pas atteste dans son emploi temporel, et est une forme trbs rare dans le domaine modal. D'autre part, nous avons deja vu

que aller, comme auxiliaire du futur prochain, n'occupe pas une

position tras stable au subjonctif. Il s'agit 1I evidemment de constatations facilement virifiables, non pas toutefois d'explica- tions d'un tel etat de choses.

A notre avis il faut penser au point de ref6rence central qui est le present pour je vais chanter, je viens de chanter ou un point du passe defini par le contexte ou la situation extra-linguistique pour j'allais chanter, je venais de chanter. Or le subjonctif ne fournit pas les memes cadres temporels precis que l'indicatif et le point de r6firence central pour que je vienne de chanter est difficile a trouver. Cela tient au fait que le subjonctif dit present devient de plus en

plus atemporel9 :

I) Je suis heureux que tu viennes. 2) J'etais heureux que tu viennes. 3) Je serai heureux que tu viennes.

On peut &tendre les relations encore davantage en distinguant entre

I a) Je suis heureux que tu viennes maintenant.

I b) Je suis heureux que tu viennes demain.

La substitution du prisent t l'imparfait dans 2) reprtsente une diviation par rapport a la concordance des temps, mais on

prdfbre cette infraction souvent plut6t que de recourir aux formes de l'imparfait du subjonctif peu employees et d'un registre special.

8. Klaus HEGER, Die Bezeichnung temporal-deiktischer Begriffskategorien im franz5sischen und spanischen Konjugationssystem, Tiibingen, 1963, p. 147.

La phrase est de Michel Butor et Heger l'emprunte ' Paul IMBs, L'emploi des temps

verbaux en fran;ais moderne, Paris, Francfort, i96o, p. I16. 9. Le terme est de Robert Hall et est employ6 par Robert POLITZER, Teaching French,

an introduction to applied linguistics, 2e 'd., Waltham, Mass., Toronto, Londres, 1965, p. 100oo.

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VI

Comme on le voit, toutes les conditions pour un conflit sont 1a : d'un cotd les regles nettement codifies de l'emploi du subjonctif, de l'autre c6td une expression verbale trbs courante dont 1'auxiliaire de temps ne se combine que difficilement avec le subjonctif. Les rai- sons de cette incombinabilite sont passees sous silence, mais 'a notre avis elles se cachent dans le manque de precision temporelle du

subjonctif combine avec le besoin d'une rdfirence temporelle pre- cise de venir de. Cette tension entre les deux aspects du probl6me ne s'est pas cristallisde en rigles prescriptives ou prohibitives et, mis en demeure de dire si je suis heureux que tu viennes de terminer est admissible, un Frangais pourrait rdpondre : < Je ne sais pas. Peut- etre. Pourquoi pas. )) Il n'en reste pas moins vrai qu'il n'emploiera pas facilement lui-mime une pareille construction.

Or, comment resoudre ce problkme? Il y a deux elements familiers, le moneme modal du subjonctif et le moneme temporel de venir de. Seulement il ne faut pas oublier que le subjonctif s'est vide peu a peu de son contenu. Dans ces circonstances rien de

plus naturel que d'apporter la precision temporelle dont venir de a besoin, par l'introduction de l'indicatif 1 oui la norme du bon usage prescrit le subjonctif. C'est ce que notre ami francophone a fait au moment ohi ayant dibuti par Quoique il a voulu exprimer une action accomplie juste avant le moment de rfifrence situe lui aussi dans le passe. Comme le subjonctif aurait fte commande par Quoique, il aurait resultd d'une servitude grammaticale, sa fonction modale dans la phrase

Quoiqu'elle vfnt de se marier

est nulle, ou tout au plus redondante. La forme de l'imparfait du subjonctif, bien que monosyllabique, aurait reprisente un change- ment de registre, le present du subjonctif

Quoiqu'elle vienne de se marier, elle etait...

produirait un effet curieux dans un texte qui se situe entibrement dans le passe et ni l'un ni l'autre ne se combine facilement avec venir de. C'est pourquoi il a dit

Quoiqu'elle venait de se marier...

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Si le problkme s'dtait presente non dans une situation de conversation a bAtons rompus mais dans des circonstances qui permettent de reflechir mirrement, il aurait sans doute traduit sa

phrase en un franqais moins controversY. Alors la question se serait

posee de savoir si la transposition n'aurait pas modifie le message. Et pour repondre A cette question il n'y a pas de meilleure lecture

que Problemes thdoriques de la traduction de Georges Mounin.

Universite' de Toronto.

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