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Formation Humaine Les pieds sur terre, dans la Marine Rapport de stage Période Novembre 2014 - Mars 2015 BCR « Var » Aspirant Romain Girard Promotion X 2014, 4 e compagnie, section Judo

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Formation

Humaine

Les pieds sur terre, dans la Marine

Rapport de stage

Période Novembre 2014 - Mars 2015

BCR « Var »

Aspirant Romain Girard

Promotion X 2014, 4e compagnie, section Judo

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Rapport de Formation Humaine Les pieds sur terre, dans la Marine

Remerciements

Le stage qui fait l’objet de ce rapport, et dont j’ai eu le privilège de bénéficier, est le fruit des efforts conjoints, plus ou moins visibles, d’un certain nombre d’institutions de la Défense, et je tiens ainsi à les remercier en premier lieu. Par conséquent, mes pensées vont d’abord vers l’École Polytechnique, qui bien sûr est la principale organisation gérant ce stage, ainsi que tout le personnel de l’École, civil comme militaire, nous ayant accompagnés tout au long de cette formation initiale. L’encadrement « sur le terrain » était bien entendu la partie émergée de l’iceberg, et il convient de ne pas oublier les responsables admistratifs qui ont rendu tout cela possible. Je me tourne ensuite vers la Marine Nationale, et particulièrement deux unités : l’École Navale, et le Bâtiment de Commandement et de Ravitaillement (BCR) « Var », qui fut mon unité d’affectation et que je remercie vivement pour cette incroyable expérience. Enfin, je n’oublie pas les autres corps des forces armées, grâce auxquels la période initiale au camp de La Courtine fut véritablement une ouverture et un moment de découverte.

Au-delà de ces organisations, certaines personnes m’ont particulièrement aidé ou soutenu au cours de cette formation, et je tiens à les en remercier plus personnellement. Merci donc au Second Maître Jabin pour son implication dans notre encadrement au mois de septembre. Merci au Capitaine de Corvette Lebosquain pour son soutien à la promotion X 2014 à l’École Navale. Merci au Premier Maître Prémiroux pour ses cours passionnants. Merci à tout l’équipage du BCR « Var » pour leur accueil chaleureux, et en particulier au Capitaine de Frégate Jean-Yves Martin, commandant du Var, à l’Enseigne de Vaisseau de Première Classe Jérémy Lootens pour son suivi attentif, et au Commissaire de Première Classe Guilhem Bousquet et à l’Enseigne de Vaisseau de Deuxième Classe Antoine Font pour les moments agréables passés à discuter avec eux.

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Sommaire

Remerciements…………………………………………………………3

Introduction…………………………………………………………….5

I - Bienvenue à bord………………………………………………….7

II - Les pieds sur terre………………………………………………..9

III - Retour d’expérience…………………………………………….12

Conclusion……………………………………………………………..15

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Fig. 1 : Logo de la Force d’Action Navale (FAN)

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Annexes………………………………………………………………...16

Quelques mots d’introduction

Comme j’ai eu l’occasion de le souligner dans les remerciements, j’ai effectué mon stage de Formation Humaine (FH) dans la Marine Nationale, à bord du BCR « Var ». Je m’attacherai dans les pages suivantes à décrire de manière plus détaillée les spécificités de ce bâtiment ; je souhaite d’abord m’arrêter ici quelques instants pour exposer les raisons et les circonstances qui m’ont amené à choisir cette unité parmi le panel de propositions qui nous étaient faites.

Le choix a été en fait découpé en deux étapes bien distinctes, chacune résultant d’un raisonnement bien distinct. La première prise de décision se présenta à l’issue de la formation initiale au camp de La Courtine, où il me fallut choisir mon corps d’armée. Notons qu’il m’était également possible d’effectuer mon stage au sein d’une organisation civile ; cependant, je tenais à profiter de l’occasion unique de plonger au cœur des forces en étant conscient que la possibilité d’un stage civil pourrait s’offrir à nouveau dans l’avenir. Mon choix était rapidement arrêté : j’appréciais l’esprit de cohésion qui se dégageait de notre vie à La Courtine, et me dirigeais donc naturellement vers une prolongation dans l’Armée de Terre. J’étais curieux de tester mes limites physiques, ma réaction face à l’autorité, et mes compétences en conduite d’équipe. Mais soudain, quelques instants avant la clôture des listes de vœux, je pris conscience de l’importance de ce stage et de l’occasion qui m’était offerte de plonger dans l’inconnu. Je ne connaissais la Marine que de ce que nous en avaient dit nos encadrants, je n’avais jamais navigué, je ne savais même pas si j’avais le mal de mer ; mais je décidai de courir le risque, et changeai finalement pour mettre la Marine Nationale en première position. La passerelle ne m’intéressait pas particulièrement, et j’étais très curieux de voir comment les machines et l’équipage

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Fig. 2 : Le BCR « Var » à quai

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les dirigeant permettaient au bateau d’avancer, et d’observer la mise en application des principes très théoriques que l’on nous enseignait dans les cours de physique des classes préparatoires. Me voilà donc sortant de La Courtine avec mon premier choix, Marine Nationale en énergie-propulsion. J’étais sûr du dépaysement, convaincu de découvrir un monde très intéressant, et curieux de voir comment les marins « vivaient leur Marine ».

Ce premier choix fut le plus important, parce qu’il représentait pour moi une (petite) prise prise de risque qui ne m’était pas coutumière : si la Marine ne me convenait finalement pas, il était trop tard pour changer. Je reviendrai brièvement sur cette décision un peu plus tard. J’arrivai donc à l’École Navale pour une Formation Initiale d’Officier de six semaines environ. A la fin de cette période se présenta le moment du choix des affectations. Parmi tous les postes proposés en énergie-propulsion, on comptait différents types de bâtiments de surface (régis par la FAN, voir Fig.1), allant des grands Bâtiments de Projection et de Commandement (BPC) aux petits patrouilleurs de haute mer. Connaissant mal les types de bateaux, le choix n’était pas aisé. Le BCR fut le seul à sortir du lot pour deux raisons  : c’est un grand bateau (voir Fig.2), ce qui implique un grand équipage et c’est ce que je recherchais ; par ailleurs, c’est un bateau « de mécaniciens » par rapport aux frégates de guerre, peu armé mais équipé de nombreuses installations techniques (voir Fig.2) et je ne voyais pas d’intérêt majeur dans un armement lourd que recherchaient certains de mes camarades. Les BCR font partie des bâtiments qui partent régulièrement en mer, ce qui m’assurait quelques semaines de navigation sur la durée de mon stage. Voilà ce qui m’amena à bord du BCR « Var ».

Ce stage fut indéniablement une expérience extraordinaire au sens littéral du terme, et riche d’enseignements tant sur le plan professionnel que sur le plan humain. Si je devais

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résumer le résultat de mon stage en quelques lignes, je reprendrais les mots du Commandant (CDT) lors de mon accueil à bord, citation qui figure en dernière page de ce rapport  : « […] Le travail des officiers consiste pour une très grande part à encadrer leurs hommes, et à donner un sens à leur engagement et à leurs efforts. Le plus grand défi d’un officier, c’est la gestion humaine ». A mon sens, c’est un principe général qui s’applique aux cadres de tous les domaines, et pas uniquement à la Marine. Je m’attacherai à détailler ces points selon un plan suivant différents niveaux, à savoir mes fonctions et mon implication dans mon travail, les leçons professionnelles qui en ressortent notamment au niveau du management et de la gestion humaine, et finalement un bilan sur mon évolution personnelle au fil de ce stage : pour le dire plus simplement, « ce que j’ai fait, ce que j’ai appris, ce que j’en ai tiré ».

Bienvenue à bord !

Ce que j’ai fait

J’ai déjà eu l’occasion de le mentionner quelques fois dans les lignes qui précèdent : l’unité qui m’accueilla pour mon stage de FH est le BCR « Var ». Il est temps de m’apesantir davantage sur les spécificités de ce bâtiment de la Marine Nationale, ainsi que sur ma fonction et mes objectifs au sein de cette unité.

Les BCR, au nombre de trois (Marne, Somme, Var), ont, comme leur nom l’indique une mission double. La première, correspondant au « R » pour Ravitaillement, consiste à fournir les autres bâtiments en mer en gazole, mais aussi en vivres ou en TR5 (kérosène) pour les bateaux qui le nécessitent (Ravitaillement à la mer, ou RAM, voir Fig.3). Cette fonction est essentielle à la Marine, puisqu’elle permet aux unités en déploiement de tenir sur le long terme dans les théâtres d’opération, et ainsi d’assurer une présence française forte et permanente dans les régions de crise. La seconde mission, correspondant au « C » pour Commandement, consiste à accueillir un état-major embarqué lors de déploiements français ou internationaux, par exemple sous mandat de l’OTAN (Organisation du Traité de l’Atlantique Nord). Les BCR deviennent alors des bâtiments de décision qui dirigent un groupe naval. Ces navires sont donc des bâtiments essentiels pour la Marine, malgré ce que peut laisser préjuger leur faible armement ou leur orientation technique.

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Fig. 3 : RAM avec le Chevalier Paul

COMANAVLV K. Jullien

MACHELECEV1 J. Lootens

Adjoint au MACHELEC

ASP R. Girard

FlotteurEV2 A. Font

Fig. 3 : Organigramme complété du groupement navire

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Voilà pour les présentations générales. Ma (courte) formation à l’École Navale me destinait à un poste en machine, mais rien n’était défini à l’avance. En arrivant à bord, je pus découvrir l’organigramme hiérarchique du bâtiment (Annexe 1 ; les différentes significations des abréviations sont données dans le glossaire), ainsi que ma place à bord, qui est détaillée dans le zoom de l’organigramme ci-dessous (Fig.4).

En tant qu’adjoint au MACHELEC (Chef du service Machines thermiques - Électricité), mon rôle consista à l’assiste dans ses divers projets et objectifs, ainsi qu’à le remplacer lorsqu’il était absent ou qu’il devait se trouver sur deux fronts en même temps. J’eus ainsi en charge le développement et la mise en place du dossier structure, c’est-à-dire du fichier permettant le suivi de l’évolution des divers défauts de structure constatés au fur et à mesure du temps, ainsi que la hiérarchisation de leur priorité de traitement. Ce premier objectif fut un excellent moyen de me familiariser avec la bateau dans son ensemble, puisqu’une grande partie du travail consistait à se rendre dans les parties du bateau dans lesquelles un défaut avait été constaté ou suspecté pour en faire l’examen et l’intégrer au

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suivi. Ce fut également un premier pas en semi-autonomie, comme j’aurai l’occasion de le développer un peu plus tard. La seconde mission qui me fut confiée fut la refonte du guide à l’usage de l’Officier de Quart Navire (OQN, voir Glossaire), cette fois en totale autonomie. Ceci venait en parallèle de mon objectif de formation comme OQN (concrétisée par une rotation en quart à la machine), et je dus ainsi descendre examiner les différents circuits de la propulsion et de la production électrique, discuter avec les différents membres de l’équipage chargé de la surveillance de ces circuits et consulter la documentation technique, le tout afin de produire des fiches synthétiques et faciles d’accès pour les OQN en formation. Enfin, je pris régulièrement la place du MACHELEC lors d’exercices sécurité (SECUREX), où j’étais alors adjoint au Directeur De la Lutte (DDL) et m’impliquais ainsi pleinement dans la lutte contre le sinistre (fictif).

Les pieds sur terre

Ce que j’ai appris

Toutes ces missions qui m’ont été confiées se sont concrêtisées non seulement en réalisations pratiques, mais m’ont également servi à comprendre comment. Comment faire, comment gérer, comment optimiser. Toutes ces techniques de management que chaque cadre (et même tout un chacun) utilise de manière plus ou moins visible, de manière plus ou moins consciente, de manière plus ou moins appropriée. Toutes ces techniques, j’ai pu pendant ces quelques mois les observer, les assimiler, et les mettre en pratique, obtenant parfois un échec total, mais souvent un succès étonnant. Voilà ce que je retiendrai professionnellement de ce stage. C’est ce que j’ai appris dans la Marine.

Le premier enseignement, le plus visible et pourtant l’un des plus profonds enseignements des forces armées, c’est l’importance de la hiérarchie et du bon usage de l’autorité. Le fonctionnement optimal du système hyper-hiérarchique militaire est loin d’être une évidence, et pourtant. Je ne vais pas m’étendre plus avant sur la description de la hiérarchie militaire, mais plutôt sur les points particuliers qui m’ont marqué et que je

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retiendrai, le premier desquels étant la confrontation entre l’autorité imposée par la hiérarchie et l’autorité naturelle, cette dernière tenant à la fois du caractère et de l’expérience. L’idéal est bien sûr d’allier les deux côtés ; le système militaire tente à défaut de favoriser la première plutôt que la seconde, mais la tâche n’est pas facile. Être un supérieur hiérarchique ne suffit pas toujours à se faire obéir correctement dans les forces armées, et la situation doit être bien plus critique dans la société civile. Malgré l’entraînement, malgré la formation, tout le monde a tendance à suivre l’autorité naturelle plutôt que l’autorité imposée, cette dernière ne prenant parfois le pas qu’en cas de menace de punition. Il est extrêmement difficile d’équilibrer la balance entre les deux autorités, et il est bien des postes ou c’est impossible. Le rôle des officiers est particulièrement révélateur dans ce cas. Les officiers les plus jeunes ont environ vingt-cinq ans, et se retrouvent dès leur entrée dans la Marine à la tête d’un service comprenant des OMS (Officiers Mariniers Supérieurs) qui pour certains sont dans la Marine depuis plus de vingt ans. L’équipage a une tendance instinctive à obéir davantage aux OMS expérimentés plutôt qu’aux jeunes officiers, même si le système hiérarchique les oblige à faire le contraire. Il s’agit alors autant de l’attitude des officiers que de celle des OMS pour trouver l’équilibre. Tout ceci est applicable à n’importe qu’elle entreprise civile. Le respect de l’autorité imposée est absolument crucial en situation de crise, comme nous le verrons dans quelques lignes et comme le montre la Figure 4 : si les ordres légitimes ne sont pas respectés à la lettre, il est impossible de gérer correctement une crise de grande ampleur comme un incendie. La place des officiers est également très intéressante sur un autre point : l’un d’entre eux me parlait au cours du stage de son « rôle tampon », devant trouver l’équilibre entre les ordres du commandant et le respect de l’équipage. Ceci est un point vital pour tous les aspirants cadres, qui seront fatalement dans la même situation au cours de leur vie  : il est très difficile d’affronter frontalement la hiérarchie, mais tout autant compliqué de faire respecter des décisions avec lesquelles l’on n’est pas d’accord. C’est encore une fois une balance à trouver pour ne pas faire s’écrouler la pyramide.

Directement en lien avec la hiérarchie vient la notion d’organisation et sa remarquable efficacité.

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: Inspection Générale

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Le sens de l’organisation s’acquiert bien sûr au cours de la scolarité, et en particulier en prépa, mais il diffère toujours d’une personne à l’autre. Je faisais partie des moins organisés : aucun planning clair de travail, bureau chaotique, … Je considérais une organisation rigoureuse comme une « perte de temps » : sans pour autant être inutile, cela ne m’apparaissait pas comme rentable. Mon avis sur la question a radicalement changé après la FH. Je ne peux que constater à quel point une organisation très précise et minutée fait toute la force du système militaire. La Figure 5 en est un exemple particulièrement éloquent : elle présente en effet le planning sur trois jours d’un stage MECO. Le nombre d’exercices effectués dans cette période force l’admiration, mais il serait impensable d’en effectuer ne serait-ce que la moitié sans un travail préalable colossal de planification. Les différents exercices, les débriefings, même la simple observation suffit à voir la différence entre l’absence et la présence d’un travail d’organisation, et c’est probablement le point que je retiendrai comme le plus important de mon apprentissage professionnel au cours de cette formation. Malgré la lourdeur administrative engendrée, l’entraînement intensif offre une efficacité redoutable et inégalable. Briefing, backbriefing, exécution, debriefing : je m’en souviendrai à l’avenir comme d’un modèle puissant, qui procure clarté et gain de temps. Un planning prévu à l’avance avec une répartition claire et écrite des tâches : voilà ce qui fait toute la force de la feuille de service (présentée en Annexe 2), qui permet au bateau d’avancer « dans le bon sens » et de gagner un temps précieux.

Un dernier point qui m’a marqué au cours de mon passage dans la Marine, c’est l’importance accordée à la notation. Les marins militaires sont soumis à une notation à échéance annuelle, notation qui est déterminante dans l’avancée de leur carrière professionnelle. Cette notation, un peu scolaire en somme, influence beaucoup le comportement de chacun, la résistance à l’autorité, l’ardeur à la tâche, mais aussi le moral des troupes, la relation à la hiérarchie, et bien d’autres paramètres. Elle

se révèle donc particulièrement instructive pour voir comment chacun réagit à l’évaluation plus ou moins objective de ses compétences dans le monde professionnel. C’est encore une fois un point délicat pour les cadres, puisqu’il s’agit d’être à la fois juste, diplomatique, et accepté. La question de l’âge se pose encore : un officier en première affectation a-t-il toute légitimité pour noter un OMS de plus de vingt ans de Marine ? Même si l’expérience semble prévaloir dans ce domaine, c’est impossible en pratique, et le système est nécessairement injuste, au moins partiellement. Mais ce stage m’a aidé à comprendre qu’il n’y avait pas de système parfait, et que de toute façon, quoi qu’on y fasse, les personnes qui sont notées ne voient que les défauts du système de notation. Ce que j’ai compris d’autre à propos de la notation, c’est que bien souvent toute personne accepte relativement bien une note, même

Fig.5 : Programme d’une MECO (Mise en Conditions Opérationnelles) sur trois jours

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éventuellement préjudiciable pour sa carrière, pourvu qu’elle soit justifiée correctement. Peut-être faut-il y voir un symptôme de l’effet Hawthorne ; toujours est-il que l’acceptation de la notation est directement proportionnelle au temps et aux ressources qui y sont consacrés par l’évaluateur : dans la Figure 5, ALFAN Toulon vient inspecter le Var, non seulement le bâtiment matériel, mais aussi l’équipage. La cérémonie est longue et débouche sur une note qui déterminera en partie l’aptitude du Var à partir en mission dans le futur. Cependant, la note est acceptée, parce qu’ALFAN consacre quelques minutes à chaque personne.

Formation Humaine

Ce que j’en ai tiré

Cela est bien, mais il faut cultiver notre esprit humain. Une telle plongée au cœur de la Marine pendant une période relativement longue ne pouvait être qu’une aventure humaine extraordinaire. Pas seulement pour la gestion des relations, mais aussi pour me forger ma propre personnalité, au fil des succès et des échecs que je vais analyser dans les lignes qui suivent. A n’en pas douter, la formation humaine m’a transformé plus encore que la prépa. Et elle m’a révélé au moins autant de faiblesses… et de forces.

Commençons par le commencement : les missions qui m’étaient confiées reposaient en grande partie sur mon travail personnel, qui, bien que s’insérant dans le travail global d’une équipe, exigeaient de moi une totale capacité d’indépendance et de curiosité afin d’accomplir le travail par moi-même. J’ai donc naturellement gagné en autonomie. Je ne parle pas ici uniquement d’autarcie dans le travail, mais avant tout de gagner une certaine indépendance personnelle, qui se traduit parfois dans un détachement très profitable des évènements. Ce n’en est pas pour autant une surprise, mais cela s’inscrit plutôt dans la continuité de ma progression en prépa ; ici, j’étais cependant face à un problème global, et personne n’était là pour me détailler les étapes à suivre. A moi seul de déterminer le processus, de planifier mon temps et de compter sur les impondérables. S’il m’en fallait trouver une preuve, il suffirait de regarder la fiche en Annexe 2 : j’ai tout réalisé par moi-même, du schéma du circuit jusqu’aux remarques, afin de permettre d’insérer la fiche dans un guide global à destination des OQN. L’entrée dans le monde professionnel, même éphémère

comme dans le cas présent, constitue indéniablement un gain considérable en autonomie et en auto-discipline.

À défaut d’être juste, il faut être précis. Cette affirmation peut paraître

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n’être qu’un vulgaire cynisme bien loin de la réalité, mais je la considère comme un de mes plus grands succès de cette formation humaine. C’est à la fois difficile à expliquer et délicat à observer et à mettre en œuvre. Toute l’idée est qu’il suffit d’être (ou plutôt de se montrer) convaincu pour être convaincant. L’état d’esprit dans lequel

on se trouve est beaucoup plus important que le fait d’avoir objectivement tort ou raison. La totale maîtrise de soi nécessite un travail colossal, mais permet de se sortir d’un nombre considérable de situations. L’immense majorité des gens préfère en effet mille fois avoir quelqu’un possédant de l’aplomb et de l’assurance, capable de mener une conversation la tête haute et sans bafouiller, quitte à ce qu’il ait tort, plutôt que quelqu’un dans son droit mais qui se perd dans ses explications et finit par marmonner des arguments indécis, bien que justes. La maîtrise de soi asseoit l’influence et l’autorité de manière très naturelle. Mais elle se présente aussi sous d’autres aspects : la capacité à ne pas agir par exemple. Voilà une notion qui me manquait en sortant de prépa, où l’objectif était de nous former à exercer dès que possible un esprit critique et à nous remettre en cause en permanence. Toute la force du non-agir consiste à permettre des décisions rapides de la part d’un chef, même si elles sont mauvaises. Se taire même quand on sait que l’on a raison est un apprentissage difficile, mais bien l’utiliser est un atout redoutable : respectez les décisions de votre chef, et les autres respecteront les vôtres lorsque vous commanderez. Avoir le contrôle de la non action permet de ne pas perdre pied dans des situations critiques, dans des discussions délicates, voire de prendre l’ascendant lorsque l’on est le seul à se maîtriser. Ca n’est pas la méthode la plus orthodoxe, mais elle est très efficace. Pour prendre un exemple simple, c’est ce qui m’a permis de calmer bien des discussions enflammées au carré, qui étaient sur le point de se transformer en pugilat. La maîtrise force le respect et l’écoute : en ne coupant jamais la parole aux autres, j’étais perdant au début, mais bien vite la tendance s’inversait et tous les partis m’écoutaient sans m’interrompre quand je prenais la parole. Sans forcer. L’assurance affichée est un outil précieux, et j’en ai fait l’expérience de nombreuses fois au cours de cette formation, qu’il s’agisse de parler à mes supérieurs ou à mes équipiers.

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Fig.7 : Le Var de nuit

Fig.8 : L’équipage du Var

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Dernier point sur lequel je me suis particulièrement amélioré au fil de cette formation : l’ouverture et la prise en compte de l’importance des rapports humains. Le domaine est vaste, mais par conséquent la marge de progression était importante. J’ai choisi la Figure 7 pour illustrer ce point particulier, bien que le lien entre les deux ne soit pas forcément évident. La raison en est la suivante : en plein jour, un bâtiment militaire est un système de combat en alerte permanente, une fourmilière armée grouillant d’activité, où chacun a sa place et sa fonction. La nuit tombe en même temps que les rôles : dans l’obscurité, le Var est une communauté, une équipe à la fois importante et restreinte, un équipage qui évolue, qui doit s’accepter en dépit des tensions, c’est un cercle où chacun se livre un peu plus chaque jour. On en apprend beaucoup pendant les pauses cigarette. La formule est classique, mais représentative. Les discussions pendant le quart, les sorties cohésion, tous ces moments partagés sont autant d’instants de découverte et de prise de conscience du facteur humain qui est prépondérant. Ce sont des moments auxquels on ne pense pas toujours à prendre une part active, et c’est un tort : c’est là que se nouent les liens autres que strictement professionnels, c’est là que le respect se mue en admiration. Des instants où la proximité hiérarchique est temporairement autorisée, où chacun se dévoile en partie. Et tout cela compte énormément dans la cohésion d’une équipe. Il n’y a aucune commune mesure entre l’efficacité d’une équipe soudée et celle d’une équipe rassemblée de manière imposée et sans lien particulier. J’ai pris conscience de tout cela au fil du temps, de cela et d’autre chose : chacun a un parcours tout à fait unique. C’est très surprenant, surtout en venant du système relativement formaté des classes prépa. Sans donner de nom, tous grades confondus, j’ai discuté avec une personne qui avait eu le choix entre une carrière de musicien professionnel et celle d’officier de marine, une autre qui était rentrée dans la Marine à la mort de son père qui lui-même était dans les forces, une autre qui avait abandonné la prépa pour rentrer à l’École de Maistrance à la suite d’un problème personnel important, une autre qui était rentrée plus pour être mécanicien que pour être marin … La diversité est remarquable, et insoupçonnable de l’extérieur. J’ai appris à en tenir compte, ce qui m’a valu des relations nettement meilleures avec les personnes concernées.

Il est temps à présent de revenir sur les difficultés que j’ai rencontrées pendant ce stage, les points sur lesquels je n’ai pas réussi à progresser suffisamment où que j’ai mal analysés dès le début. Tout d’abord, j’ai déjà eu l’occasion de le mentionner, je n’ai eu que des occasions brèves de conduire une équipe, de diriger du personnel. Les cours de leadership de l’École Navale sont un peu loin désormais, et je sais que je manque de pratique et que c’était déjà l’un de mes points faibles avant l’arrivée à Polytechnique. Lorsque j’ai pu les mettre en œuvre, j’ai manqué de fermeté, je ne me

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sentais pas à ma place légitime et par conséquent j’avais du mal non pas à me faire respecter, mais à me faire obéir. Comme je l’ai dit, j’ai appris depuis lors comment balancer autorité légitime et autorité naturelle ; à l’époque, je ne me sentais en possession ni de l’une, ni de l’autre. Le temps a fait son effet et les choses se sont un peu améliorées, mais je suis toujours en difficulté pour diriger une équipe d’une main de maître dans de telles circonstances. Je mentionne les circonstances à dessein, parce qu’elles m’amènent à mon second point, qui éclaire le premier : je ne me suis vraiment intégré à l’équipage qu’à la toute fin de la formation . J’ai eu beaucoup de mal à rentrer dans le cercle. En tant qu’officier, j’avais une relation très particulière à l’équipage, très distante au début, non pas parce que je le voulais, mais parce que tout le monde semblait considérer que les choses devaient fonctionner ainsi. Je ne pouvais me tourner que vers les autres officiers, mais tous étaient débordés pendant la journée et rentraient chez eux le soir. Seul à bord tous les soirs, je ne pouvais discuter qu’avec l’officier de garde. Les conversations étaient fructueuses, mais le lien ne s’est pas créé tout de suite, tout simplement parce que j’étais un étranger dans un univers très particulier. Je ne pouvais pas rentrer dans les discussions étant donné que je ne comprenais pas un acronyme sur deux, et que je n’étais pas le moins du monde formé pour rentrer dans la Marine. Il m’a fallu du temps pour m’habituer, et après cinq mois, je ne suis toujours pas satisfait, même si l’équipage me fait confiance et me considère comme l’un des leurs. Je me sens toujours étranger, et c’est mon plus grand échec de cette formation. Je ne pense pas vraiment avoir ma place sur la Figure 8. J’aurais certainement beaucoup plus appris en étant parfaitement intégré à bord ; cependant, et cela constitue mon dernier point, cela aurait nécessité une certaine prise de risque de ma part. Et je n’étais pas prêt à quitter le confort de la solitude pour tenter de tisser des liens autres que professionnels avec l’équipage. Je le regrette aujourd’hui, mais je manque encore d’audace dans certains domaines, surtout, tout étant lié, lorsque je me sens étranger et en position d’infériorité manifeste. J’ai le tort de préférer m’accommoder des sacrifices nécessaires à la stabilité de ma situation actuelle, $plutôt que de tenter quelque chose d’un peu risqué. J’apprends, mais j’apprends lentement. C’est sans doute mon côté très scolaire, qui m’aura beaucoup servi pendant des années, mais qu’il est temps que je laisse de côté pour aborder la vie professionnelle. Selon la formulation consacrée, je ferai mieux la prochaine fois.

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« La Marine est une armée de techniciens qui oublient souvent la finalité de leur métier : le combat. Le travail des officiers consiste pour une très grande part à encadrer leurs hommes, et à donner un sens à leur engagement et à leurs efforts. Le plus grand défi d’un officier, c’est la gestion humaine. »

Capitaine de Frégate Jean-Yves Martin, Commandant du BCR « Var »

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Quelques mots en conclusion

Je pourrais laisser à ces mots du Commandant le soin d’achever mon rapport. Tout y est, de manière explicite ou sous-entendue. J’y lis tout ce que j’ai appris en techniques de management, j’y lis le conflit des autorités, j’y lis l’unicité des parcours, j’y lis la difficulté à s’intégrer. Je lis tout cela, et je connais le reste. En un mot comme en cent, la formation humaine m’aura apporté ce que je n’ai pas appris dans ma scolarité : un cadre est un responsable avant d’être un technicien.

Cette période a été rhythmée par mes succès et mes échecs, et j’apprends à parts égales des uns et des autres. Si je devais retenir pour moi-même trois axes de progression, je les définirais comme suit : davantage d’audace et de prise de risque, une meilleure maîtrise de l’autorité, et une compréhension plus profonde des mondes qui me sont étrangers. Je compte sur l’École, et même si ça n’est pas une formule usuelle, je compte sur moi pour m’améliorer.

Un officier du Var dont j’appréciais particulièrement la discussion me demandait un jour pourquoi si peu de polytechniciens s’engageaient dans l’armée après leurs études, alors qu’une voie royale leur était offerte. Je n’ai pas eu de réponse sur le coup, mais après quelques heures de réflexion, je suis revenu le voir et je lui ai dit qu’ils préféraient sans doute le confort au prestige. Je remets cette phrase en question tous les jours depuis lors ; j’écris ces dernières lignes à Abu Dhabi, dernière escale avant mon retour, et en ce moment même, je me demande si j’avais vu juste. Est-ce que Polytechnique n’était pas le choix du prestige plutôt que du confort ? Je n’ai pas de réponse simple, mais les quelques années qui viennent vont m’aider à prendre les bonnes décisions, et la formation humaine aura été un premier pas décisif.

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Annexes

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Annexe 1 : Organigramme fonctionnel du BCR «

Rapport de Formation Humaine Les pieds sur terre, dans la Marine

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Annexe 2 : Exemple de fiche OQN (1)

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BCR VARSERVICE

MACHELEC

FICHE OQN n°5 :Circuit EDM Moteur

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Annexe 2 : Exemple de fiche OQN (2)

Rapport de Formation Humaine Les pieds sur terre, dans la Marine

I - Paramètres limites de la propulsion

Paramètre Minimum Maximum ObservationsTempérature 30°C

II - Avarie sur le circuit d’eau de mer moteur

III - Notes et compléments

Les traverses permettant d’alimenter les deux circuits avec une seule pompe sont habituellement fermées et condamnées. L’utilisation de ces traverses ne se fait que dans des conditions très particulières en cas de crise majeure, car le système devient alors très vulnérable.

La température de l’eau de mer est un problème qui peut devenir important dans certaines zones très chaudes de l’Océan Indien

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Annexe 3 : Quelques photos

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Rapport de Formation Humaine Les pieds sur terre, dans la Marine

Glossaire

ALFAN : Amiral dirigeant la Force d’Action Navale

ASP : Aspirant

BCR : Bâtiment de Commandement et de Ravitaillement

BPC : Bâtiment de Projection et de Commandement

CC : Capitaine de Corvette (correspondance ADT : Commandant)

CF : Capitaine de Frégate (correspondance ADT : Lieutenant-Colonel)

COMAEQ : Commandant Adjoint Équipage

COMANAV : Commandant Adjoint Navire

COMOPS : Commandant Adjoint Opérations

CRE1 : Commissaire de Première Classe

CV : Capitaine de Vaisseau (correspondance ADT : Colonel)

DDL : Directeur de la Lutte

EV1 : Enseigne de Vaisseau de Première Classe (correspondance ADT : Lieutenant)

EV2 : Enseigne de Vaisseau de Deuxième Classe (correspondance ADT : Sous-lieutenant)

FAN : Force d’Action Navale

FH : Formation Humaine

LV : Lieutenant de Vaisseau (correspondance ADT : Capitaine)

MACHTHERM : Chef du service « Machines thermiques - Électricité

MECO : Mise en Conditions Opérationnelles

MJR : Major

MOT : Matelot

MP : Maître Principal (correspondance ADT : Adjudant-Chef)

MT : Maître (correspondance ADT : Sergent-Chef)

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OMS : Officiers Mariniers Supérieurs

OQN : Officier de Quart Navire (gradé responsable des machines et de la sécurité)

OTAN : Organisation du traité de l’Atlantique Nord

PM : Premier Maître (correspondance ADT : Adjudant)

QMF : Quartier-Maître de la Flotte

RAM : Ravitaillement À la Mer

RANO : Remise à Niveau Opérationnelle

SECUREX : Exercice Sécurité

SM : Second Maître (correspondance ADT : Sergent)