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3 ÉDITOGuillaume Roubaud-Quashie On connaüt la chanson !

4 POÉSIESFrancis Combes Jean MĂ©tellus

5 REGARDÉtienne Chosson America latina 1960-2013

6 u21 LE DOSSIERPEUR ET POLITIQUEPrĂ©sentation : Florian Gulli et Jean QuĂ©tier La peur partout ?DaniĂšle Linhart La peur au travail Georges Lefebvre La Grande Peur de 1789 Ludivine Bantigny PĂ©ril jeune, peur des jeunes. Des « apaches » Ă  La« racaille » Thierry Paquot Peurs urbaines, GĂ©oGraPhie de l’insĂ©curitĂ© Florian Gulli et Jean QuĂ©tier Vivre sans peurs ? Marc AugĂ© Les nouvelles peurs Jean-François TĂ©aldi La peur ? Un moyen de faire monter l’audimat Anthony CaillĂ© Le besoin d’une politique progressiste en matiĂšre desĂ©curitĂ© des citoyens Élisabeth Roudinesco De la peur Ă  la haine Jean-François Bolzinger La dĂ©mocratie pour rĂ©habiliter la scienceLaurent Mucchielli Mesurer la peur ? Arnaud MacĂ© La philosophie, la peur de mourir et le courage collectif

22 u24 TRAVAIL DE SECTEURSLE GRAND ENTRETIENIsabelle De Almeida Trouver les chemins d'un projet d'Ă©mancipationhumaine du XXIe siĂšcle

BRÊVES DE SECTEURPierre DharrĂ©ville Pas de modification de la dĂ©mocratie sansdĂ©mocratieIan Brossat Mariage pour tous : une vĂ©ritable aspiration de la sociĂ©tĂ© Laurence Cohen L'avortement est un droit

27 FORUM DES LECTEURS

28 COMBAT D’IDÉESGĂ©rard Streiff Gattaz, le laboureur et le CAC 40

30 MOUVEMENT RÉELRoger Bruyeron Les trois vies de Georges Politzer

32 HISTOIREVincent Corriol Servage et sociĂ©tĂ© au Moyen Âge

34 PRODUCTION DE TERRITOIRESSylvain Delboy et Sarah Kassler Utopies réalistes pour un territoirecomestible et solidaire

36 SCIENCESBernard Jégou Les défis des sciences médicales au XXIe siÚcle

38 DROITFrédéric Tribuiani Pour le droit pénal, contre le tout répressif

40 SONDAGESNina Léger Hollande déçoit la gauche de plus en plus

42 STATISTIQUESMichaĂ«l Orand Les habitants des quartiers populaires, variablesd’ajustement de la crise Ă©conomique ?

44 REVUE DES MÉDIAAnthony Maranghi Rassurez-vous, François Hollande n’a pas changĂ© !

46 CRITIQUESCoordonnées par Marine Roussillon

‱ LIRE : Florian Gulli Le clivage gauche/droite a-t-il encore un sens ? ‱ Corinne Saminadayar-Perrin, Jules VallĂšs‱ Julia Christ, Florian NicodĂšme, L’injustice sociale : quelles voiespour la critique ?‱ Laurence Cohen (dir.), Et si les femmes rĂ©volutionnaient le travail ?

SOM

MAI

RE

LA REVUEDU PROJET

FÉVRIER 20142

RĂ©agissez aux articles, exposez votre point de vue. Écrivez Ă  [email protected]

NumĂ©ro spĂ©cial de La Revue du projet, « Refonder l’Europe », dĂšs maintenant disponible dans les fĂ©dĂ©rations du PCF.

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ÉDITOOn connaüt la chanson ! 1/2

LA REVUEDU PROJET

FÉVRIER 20143

Ă©cemment invitĂ© Ă  Bruxelles aux cĂŽtĂ©s de MaĂŻtĂ©Mola, vice-prĂ©sidente du PGE, et de l’excellenthistorien Pascal Dupuy, j’ai Ă©tĂ© amenĂ© Ă  revoirce trĂšs grand film qu’est La Marseillaise.Chronique de quelques faits ayant contribuĂ© Ă 

la chute de la Monarchie. C’est bien sĂ»r un film sur laRĂ©volution française – nourri aux meilleures sources –mais c’est aussi un film du Front populaire (1937-1938).Ce n’est pas le lieu pour en vanter les qualitĂ©s artistiqueset saluer, aprĂšs Aragon, ce saisissant « rĂ©alisme lumi-neux Â». Mais, par bien des aspects, ce chef-d’Ɠuvre atoute sa place dans notre revue politique.Car entre mille fortes questions, il pose celle des condi-tions et des contours du rassemblement social qui vintĂ  bout d’un ordre millĂ©naire. Car entre mille questions, ilpose celle de la construction de l’unitĂ© victorieuse.Nous sommes dans un village provençal de 1790. UnmisĂ©rable paysan travaille une terre qui ne lui appartientpas ; un pigeon survient et mange ses rĂ©coltes ; le pay-san l’abat mais, surpris la fronde Ă  la main, est arrĂȘtĂ© etjugĂ©. C’est cette scĂšne judiciaire qui va nous retenir : lepetit propriĂ©taire terrien, par ailleurs maire du village, PaulGirault, y fait face au seigneur du lieu.« Le seigneur — Laissez les paysans tuer nos pigeons etbientĂŽt ils brĂ»leront nos chĂąteaux.Le maire — Ah oui ! Vous avouez donc que e sont vos bienset vos titres fĂ©odaux que vous dĂ©fendez [
].Le seigneur — DĂ©truisez-les, ces droits fĂ©odaux aprĂšslesquels vous en avez tant, et c’en est fait de cette hiĂ©-rarchie sociale [
] dont vous ĂȘtes tout de mĂȘme un bĂ©nĂ©-ficiaire.Le maire — Hum hum
 un bien petit bĂ©nĂ©ficiaire ! Ohmais je la connais la chanson ! Allez ! Elle consiste Ă  vou-loir me faire croire que si vos privilĂšges disparaissent,mon petit bien les suivra. Et que si je veux conserver mamodeste aisance, je dois me faire le dĂ©fenseur des abusdont vous vivez. Enfin bref, que nos deux causes, celledu grand seigneur possĂ©dant la moitiĂ© de la contrĂ©e, etcelle de Paul Girault, ancien premier maĂźtre sur les vais-seaux de Sa MajestĂ©, sont solidaires. Tenez
 Â»Tout l’avenir de la RĂ©volution se joue lĂ , dans cette ques-tion : dans quel camp s’inscrira le petit propriĂ©taire ? Celuides classes populaires et la RĂ©volution triomphe (commeici) ; celui de la classe dominante (ici, la noblesse) et levieux monde poursuit sa vieille route. Cette question des frontiĂšres du « eux Â» et du « nous Â»appartient assurĂ©ment au XVIIIe siĂšcle mais, mutatismutandis, elle est une question toujours aussi dĂ©cisivependant le Front populaire si on veut bien se rappeler quele fascisme tente alors (non sans succĂšs
) de prendre lepouvoir en s’appuyant sur ces classes moyennes et queles communistes, en ce domaine, sont engagĂ©s dans ceque Maurice Thorez appelle une formidable « course devitesse Â». On dĂ©ploie alors tout un arsenal stratĂ©gique quiva de l’argumentation et des revendications politiques

ciblant spĂ©cifiquement ce public Ă  la crĂ©ation d’un quo-tidien comme Ce soir dont on confie la direction Ă  desintellectuels susceptibles de capter leur oreille (ĂŽ com-bien quand les directeurs ont pour nom Louis Aragon etJean-Richard Bloch), en passant par la rĂ©orientation deL’HumanitĂ© et la mise en avant de figures non ouvriĂšres. Mais assez d’histoire ! Cette Marseillaise a-t-elle encorequelque chose Ă  nous dire (Ă  nous chanter) trois quartsde siĂšcle plus tard ? Poser la question, c’est y rĂ©pondre
Qui n’entend ce message sans cesse susurrĂ© Ă  ce mondede la « modeste aisance Â» : vous avez plus Ă  perdre avecles classes populaires qui vont vous taxer jusqu’à rendregorge, plutĂŽt qu’à rester, avec nous, les trĂšs riches, quisommes, dans le fond, comme vous. Qui ne voit les unesdu Point dĂ©signant Ă  ses lecteurs (et qui sont-ils si ce n’est,prĂ©cisĂ©ment, ces moyens Ă  la « modeste aisance Â» ?) lesennemis communs : le cheminot, le chĂŽmeur, le fraudeurpauvre ? Disons les choses clairement : la grande bour-geoisie ne cesse de travailler Ă  lier Ă  elle ce monde diverset nombreux de la « modeste aisance Â», ces millions dePaul Girault de notre temps. C’est que leur poids dans labalance de l’évolution sociale et politique est Ă©videmmenttrĂšs lourd : il demeure, aujourd’hui encore, dĂ©cisif.De ce point de vue, que dire, pour notre camp ? D’abordnous fĂ©liciter de tous les dispositifs anciens et rĂ©centsdont nous sommes dotĂ©s pour ne pas abandonner cesdivisions fournies aux dangereuses sirĂšnes : de la fonda-tion Gabriel-PĂ©ri aux Lettres françaises en passant par LaPensĂ©e (non que ces structures s’adressent exclusive-ment Ă  ces portions sociales mais on comprend bien quelrĂŽle privilĂ©giĂ© peut ĂȘtre le leur dans ce segment social, tantque notre sociĂ©tĂ© restera aussi inĂ©galitaire en matiĂšre cul-turelle). Sont-ils assez connus ? appropriĂ©s ? mĂ©thodi-quement ouverts Ă  toutes les richesses disponibles ? arti-culĂ©s ? Sans doute avons-nous lĂ  plus que des marges deprogression mais le problĂšme, perçu, est et sera affrontĂ©.Il y aurait bien des pistes Ă  Ă©voquer encore mais la placemanque et il faut conclure.Diviser pour rĂ©gner, c’est l’éternelle devise des puissants :les coins qu’ils enfoncent dans le grand camp qui a intĂ©-rĂȘt Ă  s’unir face Ă  eux, varient avec le temps et il nousappartient de les analyser pour mieux construire les outilsadaptĂ©s Ă  leur expulsion. Du travail donc, encore et tou-jours – on y reviendra donc le mois prochain. Qui connaĂźtla chanson d’aujourd’hui ? n

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GUILLAUME ROUBAUD-QUASHIE,RĂ©dacteur en chef

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POÉS

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Jean MĂ©tellus, mort le 4 janvier dernier, Ă©taitun de nos amis. J’ai souvent eu l’occasion deparler avec lui et de goĂ»ter la simplicitĂ© et la

profondeur de ses propos. Il avait une Ă©lĂ©gance etune autoritĂ© qui rendaient sa prĂ©sence Ă©vidente.NĂ© en 1937 Ă  Jacmel, (la ville d’un autre grand poĂštede HaĂŻti, RenĂ© Depestre), il Ă©tait issu d’une famillede quinze enfants. Adolescent, il a reçu une Ă©du-cation chrĂ©tienne mais a aussi Ă©tĂ© fortementinfluencĂ© par deux professeurs marxistes. Et cettedouble formation l’a durablement marquĂ©. AprĂšsavoir Ă©tĂ© un temps professeur de mathĂ©matiques,il quitte HaĂŻti en 1959, au moment de la dictaturesanguinaire de François Duvalier, « Papa Doc Â»,pour la France oĂč il mĂšne des Ă©tudes de mĂ©decineet de linguistique.

Neurologue spĂ©cialisĂ© dans les troubles du lan-gage, notamment chez l’enfant, il a dĂ©veloppĂ© enparallĂšle un travail de scientifique de rĂ©putationinternationale et une Ɠuvre d’écrivain.

Ce n’est qu’à l’ñge de trente ans qu’il a commencĂ©Ă  Ă©crire des poĂšmes. Ses premiers vers ont Ă©tĂ©publiĂ©s dans Les Lettres Nouvelles de MauriceNadeau et Les Temps modernes de Sartre. Et c’esten 1978 que Maurice Nadeau publia le recueil quil’a fait connaĂźtre, Au pipirite chantant.

Jean MĂ©tellus Ă©tait romancier (il a parlĂ© notam-ment de l’exil et des contradictions de la bourgeoi-sie haĂŻtienne). Il a aussi Ă©crit pour le thĂ©Ăątre. SapiĂšce Anacoana, consacrĂ©e Ă  l’hĂ©roĂŻne haĂŻtiennependue par les Espagnols en 1504, fut montĂ©e parAntoine Vitez. Il a enfin produit des essais dans les-quels se manifeste son attachement Ă  l’histoire deHaĂŻti et sa luciditĂ© politique.

Jean MĂ©tellus n’a jamais oubliĂ© que ce nom degĂ©nĂ©ral romain dont il avait hĂ©ritĂ© lui venait de sesancĂȘtres esclaves. Dans son livre Voix nĂšgres, voixrebelles, il retrace dans des poĂšmes narratifs quipourraient passer pour des slams, le destin desgrandes figures du mouvement d’émancipationdes Noirs.

Quel que soit le genre pratiquĂ©, Jean MĂ©tellus estavant tout poĂšte. Son Ă©criture qui ne s’enfermepas dans des formes prĂ©dĂ©terminĂ©es est portĂ©epar le chant, un chant d’amour et d’espĂ©rance.C’est une poĂ©sie de grand souffle et d’une bellesimplicitĂ©. Ce qui lui fut parfois reprochĂ©.

Comme une journaliste lui demandait si la poĂ©sieĂ©tait une arme, il rĂ©pondit : « C’est une arme qui ades limites : c’est le couteau contre la kalachni-kov Â».

Mais la poĂ©sie est d’abord pour lui parole de vie.MĂ©decin et poĂšte, la parole poĂ©tique est chez luiun art-mĂ©decine, une parole qui guĂ©rit.

Jean MĂ©tellus

FRANCIS COMBES

Je suis le seul rivage de la mémoire des Antilles

Et la joue savoureuse qui répand et accueille les parfums

Je suis la lĂšvre gĂ©nĂ©reuse de l’enfance

HaĂŻti, Quisqueya, Bohio,

Terre hospitaliĂšre et fraĂźche

J’ai voulu t’enserrer vivante dans mes bras,

Dresser pour toi un monument fait d’orgues et de flĂ»tes,

Rajeunir tes arriĂšre-saisons,

DĂ©corer les voliges de tes maisons

Fille aßnée des Antilles,

Tu as vu mourir tes enfants

Tu as bu le sang des orages

Comme le papier l’encre de ma plume

Comme la terre les sueurs de la mĂšre

Comme l’occupant le suc de ton lait

Comme l’incendie l’or d’une saison

Comme un glaive l’histoire d’une vie

Sais-tu le nom de ces piérides qui ont dégarni tes vergers ?

Et l’origine de cette Ă©cume qui flotte comme la bave ducrapaud

Sur ton corps flĂ©tri, lacĂ©rĂ© jusqu’aux lisiĂšres des cheveux

Je ne vois plus tes yeux coruscants qui cramponnaientparfum, bonheur

Et soumettaient le serpent

Pourtant tu manges de la cannelle, la carpelle avec sesakĂšnes

Bois-tu l’Ɠuf cru avec passion

Et manges-tu la chair des gousses d’ail

Le grand plaisir de tes entrailles et les murailles de tabeauté

Et que fais-tu de la citronnelle qui chasse le sort desmauvais esprits

(in Au pipirite chantant)

Terre

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REGARD

Est-il pertinent de réaliser une expo-sition d'artistes d'Amérique latinetant ce continent est divers et

hétérogÚne ? Oui, semble nous répon-dre l'exposition récente de la FondationCartier, car tous ces artistes ont au moinsle point commun d'avoir été ignorés enFrance.Ainsi, cet événement est non seulementl'occasion de rendre justice à de nom-

breux artistes et de les dĂ©couvrir maissurtout de comprendre comment ceux-ci ont su crĂ©er coĂ»te que coĂ»te malgrĂ©les difficiles situations du continent aucours du XXe siĂšcle. Tout en Ă©tant en lienavec les productions occidentales, cesartistes ont, en effet, dĂ» se passer demusĂ©es, de soutiens institutionnels etmĂ©diatiques pour crĂ©er des Ɠuvres dis-crĂštes, sincĂšres et subversives et faire

face aux politiques rĂ©actionnaires deleurs pays : absence de libertĂ© d'expres-sion, coups d'État, dictatures, emprison-nements


Du 19 novembre 2013 au 6 avril 2014Fondation Cartier

Marcelo Montecino, Managua, 1979. Tirage Cibachrome, 20 x 25,5 cm. Tirage d’époque.Collection privĂ©e, courtesy Toluca Fine Art, Paris © Marcelo Montecino.

ÉTIENNE CHOSSON

America latina 1960-2013

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La peur partout ?

La peur est le point final de bien des discours. Arme tac-tique des puissants pour asseoir leur domination maisaussi dernier recours explicatif pour rendre compte de ladivision de la société. Que penser de ce sentiment à biendes égards politique ?

demeure passif et spectateur de sonexistence et, s’il lui arrive parfoisd’agir, c’est sur le mode de la rĂ©actionet de la destruction.Se dessinerait alors en creux l’exi-gence d’une autre politique, une poli-tique s’adressant Ă  la seule raison ouĂ  d’autres Ă©motions, lesquelles pro-duiraient des effets libĂ©rateurs etseraient capables de rivaliser avec la

puissance de la peur. Tout cela estbien connu. Et c’est aussi pour cetteraison que tout cela mĂ©rite examen.L’explication par la peur a quelquechose de mĂ©canique, d’un peu tropfacile parfois, qui la rend suspecte.L’enjeu n’est pas de se passer de cettecatĂ©gorie, mais simplement de l’uti-liser avec plus de circonspection,d’ĂȘtre attentif aux zones d’ombre quecrĂ©e nĂ©cessairement toute grilled’analyse. À voir la peur partout, onrisque de laisser s’échapper le rĂ©el lui-mĂȘme.L’explication par la peur, par les pho-bies, confine parfois au mĂ©pris. Si onne voit dans le discours adverse quel’expression d’une peur, alors on ledisqualifie en le ramenant Ă  un pro-pos irrationnel qui ne renvoie Ă  aucunargument. D’un mĂȘme geste, onreconnaĂźt une divergence et on s’endĂ©barrasse sans discussion. CettemanƓuvre devrait nous interroger.Elle est antidĂ©mocratique puisqu’ellerefuse de reconnaĂźtre l’autre comme

un interlocuteur lĂ©gitime. Il suffit dese rappeler la campagne menĂ©e en2005 Ă  l’occasion du rĂ©fĂ©rendum surle TraitĂ© constitutionnel europĂ©en :c’est nous qui avions Ă©tĂ© les victimesd’un tel dĂ©ni de reconnaissance. Ceuxqui avaient l’outrecuidance d’appe-ler Ă  voter « non » Ă©taient vilipendĂ©s.Ils avaient peur de l’avenir, peur de lamondialisation, peur du « plombier

polonais », etc. Bref, ils Ă©taient en debien mauvaises dispositions pourvoter. Certains sont mĂȘme allĂ©sjusqu’à suggĂ©rer qu’il aurait mieuxvalu se contenter de leur expliquer lesbienfaits du texte au lieu de les lais-ser dĂ©cider de son adoption.Au-delĂ  du mĂ©pris dont peut tĂ©moi-gner le fait de ramener la conduite del’autre Ă  un comportement engendrĂ©presque mĂ©caniquement par la peur,c’est sur la valeur explicative de cettecatĂ©gorie tant usitĂ©e que l’on peutporter le soupçon. Il est bien beau detout expliquer par la peur, mais qu’yapprend-on au juste ? Un exemple.Comment comprendre le soutiend’une bonne partie de la populationau dĂ©sormais cĂ©lĂšbre bijoutier de Nicequi tua un cambrioleur au cours d’unbraquage cet automne ? La « peur del’insĂ©curitĂ© », la « peur de l’autre »expliquent-elles quoi que ce soit ?L’enjeu est moins de saisir les motifspsychologiques qui assaillent cethomme et ceux qui le soutiennent

PAR FLORIAN GULLIET JEAN QUÉTIER*

a peur est l’une des catĂ©go-ries explicatives les plus uti-lisĂ©es dans les discours cri-tiques spontanĂ©s. S’agit-ild’expliquer les victoires dela droite ? Cette derniĂšre a

agitĂ© la peur de l’insĂ©curitĂ© auprĂšs del’électorat. S’agit-il de rendre comptede la montĂ©e du Front national ? Ilexacerbe la peur de l’étranger au seindes catĂ©gories populaires. S’agit-il derendre raison de l’incapacitĂ© de tantde colĂšres Ă  se transformer en mili-tantisme politique ? LĂ  encore la peur,celle de s’engager. S’agit-il de trouverdes causes au faible taux de syndica-lisation ? Toujours et encore la peur,celle que le management utilise pourrendre les salariĂ©s dociles.

L’EXPLICATION PAR LA PEURBref, la peur est l’émotion primairegrĂące Ă  laquelle la domination sem-ble se reproduire. Elle est l’un desleviers essentiels du pouvoir. La peurest susceptible de jouer ce rĂŽle en rai-son des effets psychologiques qu’elleproduit. La peur neutraliserait la rai-son et l’esprit critique, rendantl’homme apeurĂ© sensible Ă  toute sortede manipulations et de sĂ©ductions.La peur serait aussi une formidablepuissance de dĂ©liaison, facteur desĂ©paration et obstacle Ă  l’apparitionde solidaritĂ©. La peur retirerait enfinĂ  l’homme toute capacitĂ© d’initiativevĂ©ritable. L’homme en proie Ă  la peur

PEUR

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« L’explication par la peur a quelque chosede mĂ©canique, d’un peu trop facile parfois,

qui la rend suspecte. »

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PRÉSENTATION

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que d’essayer de comprendre pour-quoi la peur se transforme, chez luiet chez d’autres, en haine et en vio-lence. Or, prĂ©cisĂ©ment, recourir Ă  lapeur ne nous permet pas du tout d’ex-pliquer pourquoi, dans les circons-tances actuelles, le bijoutier avait plusde chances de passer Ă  l’acte qu’au-paravant et pourquoi, d’autre part,l’expression d’idĂ©es favorables Ă  unemploi excessif de la lĂ©gitime dĂ©fensepouvait faire recette et recevoir unetelle audience. Pourquoi la peurdĂ©sar me-t-elle les travailleurs faceaux patrons et arme-t-elle les bijou-tiers face aux cambrioleurs ?

RÉSISTER À LA TENTATION DE FAIRE DES PEURS DE SIMPLES ILLUSIONSLe problĂšme de cette grille de lecture– l’explication par la peur –, c’est aussiqu’elle peut permettre de retirer toutcontenu Ă  certaines revendications,les transformant en de pures illusionssans aucune pertinence objective. Iln’y a pas de problĂšme rĂ©el, seulementune disposition psychologique, quel’on peut sans doute comprendre maisqu’il faudrait chercher Ă  dĂ©passer. Parexemple, que penser de la catĂ©goriede « xĂ©nophobie » ? Bien sĂ»r, on peutdĂ©jĂ  lui reprocher d’ethniciser desconduites sociales qui n’ont pas grand-chose Ă  voir avec le fait que leursauteurs soient des Ă©trangers. Mais sur-tout, puisqu’il s’agirait d’une simplephobie, on peut finir par penser qu’iln’y a en rĂ©alitĂ© aucun problĂšme rĂ©elmais seulement une complexion psy-chologique sans fondement. VoilĂ comment on peut passer Ă  cĂŽtĂ© de pro-blĂšmes sociaux sans mĂȘme s’en ren-dre compte. VoilĂ  comment on peutpar exemple finir par nier qu’il y ait del’insĂ©curitĂ© dans certains quartiers oĂčles misĂšres sont concentrĂ©es. On passepar glissements successifs de pro-

blĂšmes quotidiens de sĂ©curitĂ© Ă  la peurde l’insĂ©curitĂ© dont on peut commen-cer Ă  douter qu’elle renvoie Ă  quelquechose de rĂ©el, et de lĂ , Ă  la xĂ©nopho-bie au prĂ©texte que les auteurs de l’acteont tel ou tel patronyme. Si la xĂ©no-phobie entraĂźne malheureusement desconsĂ©quences bien rĂ©elles pour celleset ceux qui en sont les victimes, il estpeu probable que nous parvenions Ă lutter contre elle de maniĂšre efficaceuniquement en lui attribuant une ori-gine imaginaire.Il peut donc y avoir des peurs, mais ilfaut rĂ©sister Ă  la tentation d’en fairede simples illusions ; la tentation Ă©tantplus forte lorsque ces peurs ne ren-voient pas de façon immĂ©diate Ă  nosproblĂ©matiques politiques habi-tuelles.

Enfin, l’explication par la peur prĂ©-suppose que la peur est un mal dontil faut s’affranchir. Il semble aller desoi que le monde rĂȘvĂ© est un mondeoĂč les hommes pourraient vivre libĂ©-rĂ©s de cette inquiĂ©tude. Mais c’estoublier un peu naĂŻvement que cer-tains font l’apologie de la peur, de l’ex-position au danger, de la prise derisque. L’idĂ©al, selon eux, ne serait pasde vivre sans connaĂźtre la peur, maisde surmonter sa peur, ce qui supposede l’avoir d’abord ressentie.S’affranchir de la peur ? L’idĂ©al Ă©troitet paresseux de ceux qui n’osent rienet qui n’ont pas le courage de s’expo-ser au danger et d’entreprendre quoique ce soit. C’était hier le discours del’aristocratie militaire fascinĂ©e par laguerre et ses supposĂ©es vertus. C’estaujourd’hui le discours de la classedominante qui ne se contente pasd’affirmer que la guerre Ă©conomiqueest une nĂ©cessitĂ©. La guerre Ă©cono-mique, la prise de risque inhĂ©renteau fait d’entreprendre, l’expositionaux dangers de la concurrence,

seraient autant d’occasions de prou-ver sa valeur, de dĂ©velopper ses capa-citĂ©s, de devenir qui l’on est.

LIBÉRER LES HOMMES DE LA PEUR DU LENDEMAIN,ET APRÈS ?Socialisme et communisme sont alorsconçus comme des incitations auparasitisme et Ă  « l’assistanat »,comme des idĂ©aux d’hommes apeu-rĂ©s qui n’ont pas la force de surmon-ter leurs craintes. Pour Ă©chapper Ă  lacritique, il faut affirmer clairementque « libĂ©rer les hommes de la peurdu lendemain » n’est pas l’alpha etl’omĂ©ga d’une politique communiste.Cette libĂ©ration ne peut ĂȘtre qu’unprĂ©alable. Sans aller jusqu’à nous pro-poser de prescrire ce que devrait ĂȘtrela norme d’une « vie humaine accom-plie », il nous faut prendre la mesurede l’enjeu qui accompagne la ques-tion de la peur. On ne peut pas son-ger sĂ©rieusement Ă  apporter desrĂ©ponses politiques aux difficultĂ©sposĂ©es par la peur sans mettre lespieds sur des terrains que nous lais-sons d’ordinaire au choix et Ă  la dis-crĂ©tion des individus. Sur le terrainanthropologique par exemple, nousdisons : « L’humain d’abord ! » Oui,mais quel humain ? Lorsqu’on se foca-lise sur l’opposition du travail et ducapital, il est vrai que la question sepose Ă  peine. Avec le problĂšme de lapeur, on le voit, il en va autrement etc’est finalement Ă  une interrogationd’ordre moral que le projet commu-niste se voit confrontĂ©. Quel mode devie voulons-nous opposer aussi bienau raciste qu’au trader ou au soldat ? n

*Florian Gulli et Jean Quétier sontresponsables de la rubriqueMouvement réel. Ils sont lescoordonnateurs de ce dossier.

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ENTRETIEN AVEC DANIÈLE LINHART*

Peut-on dire que l’instaurationd’un climat de peur est une stra-tĂ©gie managĂ©riale courante ?

Cette stratĂ©gie que je qualifierais plu-tĂŽt de prĂ©carisation subjective dessalariĂ©s fait partie de ce que l’on pour-rait appeler « la modernisation mana-gĂ©riale ». Le management français estconvaincu de la nĂ©cessitĂ© de trans-former ses salariĂ©s qui ne seraient pasadaptĂ©s aux nouvelles rĂšgles de laconcurrence mondiale, qui seraientenclins Ă  la contestation et Ă  n’en fairequ’à leur tĂȘte, selon leurs propresvaleurs professionnelles, Ă©thiques etcitoyennes. En France, l’emploi estencore relativement stable (les CDIet les emplois publics dominent lar-gement le marchĂ© mĂȘme s’ils sont envoie de diminution) ; miser sur la prĂ©-caritĂ© objective des salariĂ©s pour lesformater, les conditionner ne suffitdonc pas. Le management s’orientevers des pratiques de dĂ©stabilisationet de fragilisation des salariĂ©s stablesafin de les mettre au pied du mur. Ils’agit de les dĂ©pouiller des ressourcesqui leur permettraient d’opposer leurpoint de vue professionnel sur lesquestions de qualitĂ© et d’utilitĂ© du tra-vail. Ces ressources sont essentielle-ment leur mĂ©tier, leur expĂ©rience etleurs rĂ©seaux. L’objectif managĂ©rialconsiste Ă  faire en sorte que les sala-riĂ©s ne se sentent pas trop Ă  l’aise dansleur travail, qu’ils ne puissent plus ledominer, le maĂźtriser, et dĂ©couvrentles limites de leurs compĂ©tences,qu’ils soient ainsi obligĂ©s de se rac-crocher aux mĂ©thodes, pratiques, cri-tĂšres de travail imposĂ©s unilatĂ©rale-ment par leur hiĂ©rarchie. En somme,l’objectif est que la peur ou l’angoisseles conduise Ă  accepter cette idĂ©e queleur travail appartient Ă  leur seulemployeur, et qu’ils doivent renon-cer Ă  le marquer de leur empreinte.

À quels exemples pensez-vous ?On peut citer, Ă  titre d’exemples decette stratĂ©gie de prĂ©carisation sub-jective des salariĂ©s, les pratiques dechangements incessants qui traver-sent toutes les grandes entreprises, lesrestructurations de diverses natures,telles que les redĂ©finitions de services,de dĂ©partements, les recompositionsde mĂ©tiers, la mobilitĂ© systĂ©matique(le fameux time to move de France

TĂ©lĂ©com), les dĂ©mĂ©nagements gĂ©o-graphiques, les changements de logi-ciels, la reconfiguration des espaces
Certes, les directions allĂšguent lanĂ©cessitĂ© de s’ajuster Ă  un environne-ment fluctuant, incertain et prĂ©sen-tent le changement comme une vertuen soi qui remplace celle de progrĂšs,mais il y a bien aussi l’objectif dedĂ©sap proprier les salariĂ©s de toutemaĂźtrise de leur travail. « Il nous fautproduire de l’amnĂ©sie », expliquaitdans les annĂ©es quatre-vingt-dix unmanager de France TĂ©lĂ©com.

Quel est l’intĂ©rĂȘt pour la classe domi-nante capitaliste de faire peser unclimat de peur dans les entreprises ?Il s’agit de reprendre la main sur lessalariĂ©s Ă  un moment oĂč le taylo-risme, qui est un mode de coercitionet de contrĂŽle particuliĂšrement effi-cace (en tant qu’il inscrit la domina-tion dans la dĂ©finition mĂȘme destĂąches), devient moins pertinent, enraison de l’évolution de la nature dutravail et de son environnement.DĂ©sormais, compte tenu des situa-tions de travail plus complexes, il fautdavantage lĂącher la bride, mais pourcela, le management veut pouvoircompter sur des salariĂ©s qui se com-portent en relais fidĂšles et incondi-tionnels de la rationalitĂ© voulue parl’entreprise. Il faut que les salariĂ©ss’appliquent Ă  eux-mĂȘmes la logiquede l’économie des temps et des coĂ»tsindĂ©pendamment de la finalitĂ© deleurs missions. D’oĂč la nĂ©cessitĂ© debriser tout ce qui pourrait contrecar-rer la docilitĂ©, la conformitĂ© recher-chĂ©e, en plongeant les salariĂ©s dansun rapport subjectif au travail insĂ©-curisĂ©, qui les dĂ©sarme. Dans cecontexte les mĂ©thodes standardisĂ©es,les processus, les bonnes pratiquesĂ©dictĂ©es par la direction, sont censĂ©sjouer le rĂŽle de bouĂ©es auxquelles lessalariĂ©s chercheraient Ă  se raccrocher.

Cette tendance s’est-elle accentuĂ©eces derniĂšres annĂ©es ?Cette tendance ne fait que s’accen-tuer et se perfectionner ; le change-ment continue Ă  faire partie du modenormal de fonctionnement des entre-prises. S’y ajoutent des processus defragilisation sous la forme d’une miseen concurrence systĂ©matique dessalariĂ©s entre eux et d’évaluations per-sonnalisĂ©es de leur performance. Aucours d’entretiens annuels ou bi-

annuels, les salariĂ©s se voient assignerdes objectifs de plus en plus exigeantset sont notĂ©s, jaugĂ©s, le plus souventpar des hiĂ©rarchies qui, en raison deleur mobilitĂ©, ne sont pas vraimenten mesure d’évaluer le travail rĂ©el deleurs subordonnĂ©s. D’oĂč un senti-ment d’arbitraire particuliĂšrementdouloureux dans un contexte d’in-tensification du travail. Les salariĂ©sredoutent souvent ce moment fati-dique de l’entretien, d’autant plusqu’ils se sentent perdre la maĂźtrise deleur travail pour les raisons Ă©voquĂ©esplus haut.

La souffrance qui en dĂ©coule faitl’objet de nombre de missions dili-gentĂ©es au parlement, dans lesministĂšres, et occupe les mĂ©dia. Lesentreprises manifestent leurs prĂ©oc-cupations en proposant de soutenirleurs salariĂ©s dans cette phase dif-ficile, mais totalement nĂ©cessaireselon elles. Les directions des res-sources humaines sont lĂ  pour pren-dre en charge toutes les difficultĂ©sde la vie hors travail de sorte que lessalariĂ©s puissent arriver l’esprit tota-lement libre pour s’engager Ă  fonddans leur travail, selon les critĂšresrequis. Les numĂ©ros verts pourappeler des psychologues, lesconciergeries qui rĂšglent les pro-blĂšmes de la vie courante, lessĂ©ances de massage etc., tout estprogrammĂ© pour que les salariĂ©sacceptent de se mouler dans la cul-ture, la philosophie et la rationalitĂ©de leur entreprise.

Quel est l’effet de la peur sur lesstratĂ©gies individuelles et collec-tives des salariĂ©s ?Les salariĂ©s confrontĂ©s Ă  ce type de

LA PEUR AU TRAVAILLes dirigeants des entreprises distillent un climat depeur pour mieux imposer leurs critĂšres de gestion.

« En somme,l’objectif est que lapeur ou l’angoisse

les conduise àaccepter cette idée

que leur travailappartient Ă  leur

seul employeur, etqu’ils doiventrenoncer à le

marquer de leurempreinte. »

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PAR GEORGES LEFEBVRE*

Dans l’Ancien rĂ©gime, la men-dicitĂ© Ă©tait une des plaies descampagnes ; Ă  partir de 1788,

le chĂŽmage et la chertĂ© des vivres l’ag-gravĂšrent. Les troubles innombrablesde la disette accrurent le dĂ©sordre. Lacrise politique y fut pour beaucoupcar, en surexcitant les esprits, elle ren-dit les Français turbulents. Dans lemendiant, le vagabond, l’émeutier,on dĂ©nonça partout le « brigand ».L’époque de la moisson, en touttemps, donnait du souci : elle devintune Ă©chĂ©ance redoutable ; les alarmeslocales se multipliĂšrent.

LE COMPLOTARISTOCRATIQUEAu moment oĂč la rĂ©colte commen-çait, le conflit qui mettait aux prisesle Tiers État et l’aristocratie soutenuepar le pouvoir royal et qui, dĂ©jĂ , enplusieurs provinces, avait donnĂ© auxrĂ©voltes de la faim un caractĂšre social,tourna tout Ă  coup en guerre civile.L’insurrection parisienne [prise de laBastille, le 14 juillet 1789 – NDLR] etles mesures de sĂ»retĂ© qui devaient,croyait-on, chasser les gens sans aveude la capitale et des grandes villesgĂ©nĂ©ralisĂšrent la crainte des brigands,tandis qu’on attendait anxieusementle coup que les aristocrates vaincusallaient porter au Tiers État pour sevenger de lui avec le concours del’étranger. [
] Comment admettre,en effet, que l’aristocratie françaiseet europĂ©enne ainsi que les monar-chies despotiques verraient d’un Ɠiltranquille le succĂšs de la RĂ©volution ?[
]. Les rois auraient intĂ©rĂȘt Ă  aider

LA GRANDE PEUR DE 1789

les princes et les nobles français Ă©mi-grĂ©s et Ă  leur fournir le moyen deremettre les Français sous le joug.Ainsi, dĂšs le mois de juillet 1789, lacollusion de l’aristocratie et de l’étran-ger, qui a pesĂ© d’un si grand poids surl’histoire de la RĂ©volution française,a Ă©tĂ© considĂ©rĂ©e comme certaine.Avec le « complot aristocratique »,naquit l’idĂ©e maĂźtresse qui gĂ©nĂ©ralisala peur.Que les aristocrates eussent pris Ă  leursolde les brigands annoncĂ©s, on n’endouta pas et, ainsi, la crise Ă©cono-mique et sociale, conjuguant leurseffets, rĂ©pandirent dans tous lesesprits la mĂȘme terreur et permirentĂ  certaines alarmes locales de se pro-pager Ă  travers le royaume. [
] Dansla seconde quinzaine de juillet 1789,entre les innombrables causes d’in-sĂ©curitĂ© qui alarmaient le royaume etle « complot aristocratique », la syn-thĂšse se rĂ©alise brusquement et c’estla cause principale de la Grande Peur[prenons pour exemple de cettecontamination des craintes popu-laires par le « complot aristocratique »,la peur des humbles de souffrir de lafaim : le peuple finit par ĂȘtre persuadĂ©que la disette en cĂ©rĂ©ales et les prixdevenus excessifs de celles-ci s’expli-quaient par la volontĂ© des aristocratesde rĂ©duire le Tiers État par la famine– NDLR].Nous voici donc au seuil de la GrandePeur : le bruit se rĂ©pand que leserrants si redoutĂ©s sont enrĂŽlĂ©s auservice de l’aristocratie. [
] La peurdes brigands, nĂ©e Ă  la fin de l’hiver1789, atteignit le paroxysme dans laseconde quinzaine de juillet et s’éten-dit, plus ou moins, Ă  toute la France.[
] Jusqu’ici, l’arrivĂ©e des brigands

Ă©tait possible et redoutĂ©e : mainte-nant, elle devient une certitude ; ilssont prĂ©sents, on les voit ou on lesentend ; gĂ©nĂ©ralement, il s’ensuit unepanique [
]. Le caractĂšre propre Ă  laGrande Peur, c’est que ces alarmes sepropagent trĂšs loin et avec une grandepromptitude au lieu de rester locales.Chemin faisant, elles engendrent Ă leur tour de nouvelles preuves del’existence des brigands et aussi destroubles, qui l’entretiennent et lui ser-vent de relais. On a cru aisĂ©ment queles brigands arrivaient parce qu’onles attendait. Les courants de peur

n’ont pas Ă©tĂ© trĂšs nombreux [cinq entout – NDLR], mais ils ont recouvertla plus grande partie du royaume [
].Ces paniques ont Ă©tĂ© bien des foisdĂ©crites [
]. On commence par son-ner le tocsin qui ne tarde pas Ă  pla-ner, des heures et des heures, sur descantons entiers. Les femmes, sevoyant dĂ©jĂ  violĂ©es, puis massacrĂ©esavec leurs enfants, au milieu du vil-lage en flammes, pleurent et selamentent, s’enfuient dans les boisou le long des chemins, avec quelquesprovisions et des hardes ramassĂ©esau hasard. Plus d’une fois, leshommes les suivent aprĂšs avoirenterrĂ© ce qu’ils ont de plus prĂ©cieux

La Grande Peur bouleverse les campagnes françaises entre le 20 juillet et le6 aoĂ»t 1789. Elle naĂźt de la crainte du « brigand » qui s’explique elle-mĂȘmepar les circonstances Ă©conomiques, sociales et politiques dans lesquellesse trouve la France en 1789.

prĂ©carisation subjective ont tendanceĂ  s’enfermer dans un isolement quicorrespond Ă  la bataille qu’ils mĂšnentparfois jusqu’à l’épuisement pourparvenir Ă  faire leur travail, Ă  remplirleurs objectifs tout en prĂ©servant leursvaleurs. Ils se concentrent sur leursdifficultĂ©s personnelles, luttent contreun sentiment de dĂ©valorisation liĂ© Ă une perte de maĂźtrise de leur travail,

et se referment sur leurs propres pro-blĂšmes. La mise en concurrenceengendre un climat de dĂ©fiance gĂ©nĂ©-ralisĂ©e, et les collĂšgues sont souventperçus comme des obstacles ou desmenaces. C’est une diminution de lavie collective, une perte de substancedes collectifs de travail qui caractĂ©ri-sent le monde du travail moderne, lesvaleurs syndicales en pĂątissent. Le

mal-ĂȘtre est vĂ©cu de façon trĂšs per-sonnelle et n’est pas nĂ©cessairementinterprĂ©tĂ© comme un symptĂŽme d’unrapport de forces dĂ©favorable entresalariĂ©s et employeurs. n

*DaniĂšle Linhart est sociologue. Elleest directrice de recherche au CNRS.

Propos recueillis par Davy Castel.

« Avec le “complotaristocratique”,

naquit l’idĂ©emaĂźtresse qui

généralisa la peur. »

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et lĂąchĂ© les bestiaux dans la cam-pagne. Mais, ordinairement, soit res-pect humain, soit rĂ©el courage, soitenfin par crainte de l’autoritĂ© tradi-tionnelle, ils s’assemblent Ă  l’appeldu syndic, du curĂ© ou du seigneur.

L’EFFERVESCENCERÉVOLUTIONNAIREAlors commencent les prĂ©paratifs dela dĂ©fense, sous la direction du sei-gneur lui-mĂȘme ou d’un ancien mili-taire. On s’arme comme on peut ; onplace des sentinelles ; on barricadel’entrĂ©e du village ou le pont ; onenvoie des dĂ©tachements Ă  la dĂ©cou-verte. La nuit venue, des patrouillescirculent et tout le monde reste sur lequi-vive. [
] Cette rĂ©action contre lapanique, on la retrouve partout [
].Au fond, c’est trĂšs improprement quel’on caractĂ©rise ces Ă©vĂ©nements dunom de Grande Peur. Ils le sont toutautant par l’ardeur guerriĂšre quidressa aussitĂŽt les Français contre ledanger qu’on leur annonçait. Ils lesont plus encore par le sentiment trĂšschaleureux qui les mena, dĂšs le pre-mier moment, au secours les uns desautres, sentiment complexe oĂč la soli-daritĂ© de classe qui animait le TiersÉtat en face de l’aristocratie tenait Ă©vi-

demment la plus grande place, maisoĂč l’on discerne aussi la preuve quel’unitĂ© nationale Ă©tait dĂ©jĂ  trĂšs avan-cĂ©e puisque les curĂ©s et les seigneursmarchĂšrent souvent au premier rang.[
] Or, ces sentiments d’unitĂ© et defiertĂ© nationales sont insĂ©parables del’effervescence rĂ©volutionnaire. Si lepeuple s’est levĂ©, c’est pour dĂ©jouerle complot dont les brigands et lestroupes Ă©trangĂšres n’étaient que lesinstruments, c’est pour achever la

dĂ©faite de l’aristocratie. Ainsi, laGrande Peur exerça une profondeinfluence sur le conflit social, par larĂ©action tumultueuse qu’elle provo-qua : entre les membres du Tiers État,la solidaritĂ© de classe se manifesta demaniĂšre Ă©clatante et il prit de sa forceune conscience pus claire [
].Au cours de ces Ă©vĂ©nements, beau-

coup de bruits coururent oĂč seretrouve l’opinion populaire quiexplique la propagation foudroyantede la terreur [
]. Certes, on annoncedes brigands, en ajoutant souventqu’ils viennent de Paris ou desgrandes villes, et leur nombre croĂźtsur place de minute en minute [
] ;mais aux brigands se joignent Ă©gale-ment les troupes royales ou Ă©tran-gĂšres. [
] Les princes en effet sontsouvent Ă  la tĂȘte des envahisseurs.[
] Aux princes on associa toutel’aristocratie. [
] Le zĂšle que les sei-gneurs montrĂšrent souvent pour ladĂ©fense ne modifia pas l’opinion : ilsdonnaient le change et on les regardacomme des otages ; ceux qui se mon-

trĂšrent indiffĂ©rents furent pris Ă  par-tie ; et, quand il fut avĂ©rĂ© que les bri-gands n’existaient pas, on pensa queles nobles avaient voulu tirer ven-geance des paysans en leur jouant unmauvais tour et en leur faisant per-dre leur journĂ©e. Il en rĂ©sulta de nou-veaux troubles [
]. Le principal rĂ©sul-tat de la Grande Peur fut ainsid’envenimer la haine qu’on portait Ă l’aristocratie et de fortifier le mouve-ment rĂ©volutionnaire. [
]Aussi, la Grande Peur se retournaassez frĂ©quemment contre les nobleset le haut clergĂ©, rĂ©putĂ©s ses instiga-teurs. Le plus souvent, on se contentade murmurer ou de menacer [
]. Lesvexations furent assez frĂ©quentes.[
]. Les chĂąteaux, plus que jamais,parurent suspects ; les visites se mul-tipliĂšrent. [
] Des chĂąteaux furentmenacĂ©s d’incendie, [
] quelques-uns furent pillĂ©s [
]. Les paysans sefirent aussi restituer, çà et lĂ , les fusilsqu’on leur avait confisquĂ©s ; ils mas-sacrĂšrent les pigeons ; ils rĂ©clamĂšrentmĂȘme l’abandon des droits seigneu-riaux [
]. Ainsi, la Grande Peur a prĂ©cipitĂ© laruine du rĂ©gime seigneurial [
]. C’estdans l’histoire des paysans qu’elles’inscrit surtout en traits fulgurants.[
] En rassemblant les paysans, elleleur donna conscience de leur forceet renforça l’attaque qui Ă©tait en trainde ruiner le rĂ©gime seigneurial. Cen’est donc pas seulement le caractĂšreĂ©tranger et pittoresque de la GrandePeur qui mĂ©rite de retenir l’attention :elle a contribuĂ© Ă  prĂ©parer la nuit du4 aoĂ»t et, Ă  ce titre, elle compte parmiles Ă©pisodes les plus importants del’histoire de notre nation. n

*Extraits de Georges Lefebvre, LaGrande Peur de 1789, © Colin, 1932,publiĂ©s avec l’aimable autorisationde l’éditeur.

« Ainsi, la GrandePeur a précipité la

ruine du régimeseigneurial. »

QUI EST GEORGES LEFEBVRE ?PrĂ©sident de la SociĂ©tĂ© des Ă©tudes robespierristesĂ  partir de 1932, puis titulaire de la chaire d’Histoirede la RĂ©volution française en Sorbonne de 1937 Ă 1945, Georges Lefebvre (1874-1959) exerce jusqu’auxannĂ©es 1950, avec Camille-Ernest Labrousse, uneinfluence majeure sur les recherches consacrĂ©es Ă la RĂ©volution française. La Grande Peur de 1789,publiĂ©e en 1932, est l’un de ses maĂźtres-ouvragesainsi que le point de dĂ©part des travaux d’histoire« vue d’en bas ». ImmĂ©diatement devenu un clas-sique, tant par l’ampleur des sources abordĂ©es quepar la finesse de son analyse, ce livre demeure encoreaujourd’hui le travail de rĂ©fĂ©rence sur ce momentdĂ©cisif de l’histoire de la RĂ©volution française.

PAR LUDIVINE BANTIGNY*

L e « pĂ©ril jeune » : l’expressionpourrait n’ĂȘtre qu’un titre de film– celui de CĂ©dric Klapisch, sorti

en 1994. Elle est en rĂ©alitĂ© symptoma-tique d’une peur qui revient tarauder

PÉRIL JEUNE, PEUR DES JEUNES.DES « APACHES » À LA « RACAILLE »

avec rĂ©gularitĂ© les fondements de lasociĂ©tĂ©, ou du moins ses observateurs.Car cette peur est souvent alimentĂ©epar les commentateurs politiques etmĂ©diatiques soucieux de trouver desmots qui, loin de seulement la dĂ©crire,contribuent aussi Ă  la nourrir : de« l’apache » Ă  la « racaille », en passant

par le « zazou », le « blouson noir » etle « loubard ».

UNE PEUR SÉCULAIRECette peur n’a donc rien de neuf : elleest au contraire sĂ©culaire et dit beau-coup sur l’anxiĂ©tĂ© qui ronge parfois lessociĂ©tĂ©s Ă  propos de « la jeunesse ».Celle-ci a d’ailleurs Ă©tĂ© parfois Ă©rigĂ©een « nouvelle classe dangereuse ». C’estbien sĂ»r lĂ  que le bĂąt blesse : dans cettefaçon d’imaginer que la jeunesse pour-

Stigmatiser les jeunes empĂȘche d’entendre leurrefus d’un ordre qu’ils n’acceptent pas.

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*Ludivine Bantigny est historienne.Elle est maßtre de conférences enhistoire contemporaine à l'universitéde Rouen.

rait ĂȘtre un groupe en soi, et pourquoipas une classe – ne parle-t-on pas de« classe d’ñge » ? Or, il y a lĂ  de touteĂ©vidence une maniĂšre de contournerla dimension sociologiquement hĂ©tĂ©-rogĂšne des jeunes concernĂ©s et d’ou-

blier dans le mĂȘme mouvement cequ’est vĂ©ritablement une « classesociale ».C’est en 1902 que surgit le terme« Apaches » pour dĂ©signer des jeunesen marge de la sociĂ©tĂ©, assurĂ©mentdĂ©viants, souvent dĂ©linquants, assu-mant de ne pas obĂ©ir aux ordres et auxnormes que la sociĂ©tĂ© industrielle vou-drait leur imposer. Michelle Perrot l’asoulignĂ© en Ă©voquant un « symbole deleur mobilitĂ© frondeuse », ce mot« Apache », Ă©videmment forgĂ© pour lesdisqualifier, est rĂ©appropriĂ© par ceuxqu’il stigmatise et qui en retournent le

sens pour l’assumer avec fiertĂ©. Il enira de mĂȘme des « zazous » durantl’Occupation : le rĂ©gime de Vichy et lescollaborateurs les ont en horreur, cesjeunes gens opposĂ©s au nouvel ordreconservateur auquel ils s’opposent parleurs postures dĂ©calĂ©es ; la presse col-laborationniste les traite alors de para-sites qu’il faudrait Ă©liminer « Ă  l’on-guent gris » comme le suggĂšre unĂ©ditorialiste de La Gerbe en avril 1942,puis tour Ă  tour de « judĂ©o-gaullistes »ou de « judĂ©o-nĂ©gro-amĂ©ricains ». Onretrouve cette mĂȘme inversion du stig-mate dans l’épisode des « blousonsnoirs », expression lancĂ©e par la presseĂ  l’étĂ© 1959 pour dĂ©signer quelquesbandes de jeunes soudain devenus unphĂ©nomĂšne de sociĂ©tĂ© et un grandsujet d’anxiĂ©tĂ©. LĂ  encore, une foisdĂ©signĂ©s, ces jeunes – ouvriers le plussouvent – finissent par accepter la for-mule qui leur confĂšre une symboliqueidentitaire et se revĂȘtent des attributsvestimentaires qu’elle tend Ă  leur assi-gner. Enfin, un semblable retourne-ment s’opĂšre avec la « racaille », motemployĂ© par le ministre de l’IntĂ©rieurNicolas Sarkozy en 2005 qui prĂ©tendvouloir « s’en dĂ©barrasser ». LesĂ©meutes qui suivront dans de nom-breuses banlieues populaires la mortde Zyed Benna, 17 ans, et BounaTraorĂ©, 15 ans, dans le transformateurĂ©lectrique oĂč, poursuivis par la police,ils s’étaient rĂ©fugiĂ©s, seront l’occasionpour certains commentateurs d’utili-ser des termes plus violents encore Ă l’endroit des jeunes rĂ©voltĂ©s : d’aucuns,comme Catherine Kintzler ou RobertRedeker, n’hĂ©siteront pas Ă  les quali-fier de « barbares ».

LA PEUR PERMET DE NE PASENTENDRE LES RAISONS DE LACOLÈRECes mots sont autant de symptĂŽmessociaux : qu’il s’agisse de l’entrĂ©econtestĂ©e dans l’ùre industrielle, de laguerre ou d’un air du temps sĂ©curi-taire. La peur des jeunes en dit moinssur les jeunes eux-mĂȘmes que sur ladifficultĂ© d’une sociĂ©tĂ© Ă  assurer lespassages de tĂ©moin et l’incertitude deshĂ©ritages. Comme affect inquiet voireterrorisĂ©, cette peur empĂȘche de sai-sir, sociologiquement et politique-ment, les situations et les conditions :celles que subissent de nombreuxjeunes vouĂ©s aux stigmatisations, Ă  lafragilitĂ©, Ă  la prĂ©caritĂ©. Elle Ă©vite sou-vent d’entendre les raisons de la colĂšre :ainsi, aprĂšs les Ă©meutes de 2005, lestĂ©moignages recueillis auprĂšs de cesjeunes indiquaient la rationalitĂ© desactions menĂ©es, tant la rage et le dĂ©ses -poir se tournaient tout autant contrel’institution scolaire qui les conduisaitselon eux Ă  l’échec, Ă  la frustration etĂ  la relĂ©gation, que contre l’institutionpoliciĂšre Ă  l’origine de harcĂšlementset de discriminations.Le sentiment partagĂ© rĂ©side chaquefois dans la lĂ©gitimitĂ© de la rĂ©volte, laviolence se concevant dĂšs lors commeun mode possible du rĂ©pertoire d’ac-tion en signe de contestation et d’in-soumission. Et la peur naĂźt bien de lĂ  :dans l’ébranlement d’un ordre que cer-tains jeunes n’acceptent pas. n

« La peur desjeunes en ditmoins sur lesjeunes eux-

mĂȘmes que sur ladifficultĂ© d’une

sociĂ©tĂ© Ă  assurerles passages de tĂ©moin etl’incertitude

des héritages. »

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PAR THIERRY PAQUOT*

Tout individu ressent, dans cer-taines conditions, une sorted’abandon, d’isolement, qui

gĂ©nĂšre le sentiment de peur.Rationnelle ou non, la peur corres-pond Ă  la frayeur qui nous envahitlorsqu’un bruit suspect nous inquiĂšte,un danger nous guette, un mal-ĂȘtrenous Ă©treint. Nous craignons alors

pour notre intĂ©gritĂ©, nos biens, notrevie. Certains enfants ne peuvent s’en-dormir qu’avec une lumiĂšre allumĂ©e.De nombreux adultes vĂ©rifient, Ă  plu-sieurs reprises, si la serrure de leurporte est bien verrouillĂ©e. S’enfermerleur semble la meilleure maniĂšre dene pas ĂȘtre attaquĂ©, mais si la maisonest isolĂ©e, cette dĂ©fense s’avĂ©rera bienprĂ©caire
 Le feu Ă©loigne les animaux,aussi les premiers humains l’entre-tiennent-ils toute la nuit afin de dor-mir tranquille. Les plus anciens sitesarchĂ©ologiques d’un village ou d’unepetite ville tĂ©moignent d’une palis-sade protectrice ou mieux encored’une fortification. Le soir venu, lesportes Ă©taient fermĂ©es, le couvre-feuappliquĂ© et le tour de garde organisĂ©.L’ennemi, nĂ©cessairement extĂ©rieur,n’avait aucune prise : « Dormez tran-quilles, braves gens ! ».

L’ENNEMI S’AVÈREDORÉNAVANT À L’INTÉRIEURL’industrialisation, l’extension durĂ©seau ferrĂ©, la gĂ©nĂ©ralisation des fluxde toute nature, la prolifĂ©ration desbanlieues, tout cela entraĂźne la dĂ©mo-lition des remparts. Les incivilitĂ©s, lescambriolages, les atteintes aux bienset aux personnes se manifestent alorsdiffĂ©remment, « l’ennemi » se trouvedorĂ©navant Ă  l’intĂ©rieur. Toute uneindustrie de la peur se met en placeavec des portes blindĂ©es, des digi-

codes, des alarmes, des camĂ©ras devidĂ©osurveillance, des rondes devigiles, des assurances spĂ©ciales. LesmĂ©dia participent Ă  la surenchĂšre decette insĂ©curitĂ©, souvent plus fantas-mĂ©e que vĂ©cue. Certains partis poli-tiques Ă©laborent et distillent une idĂ©o-logie sĂ©curitaire qui leur assure desvoix. La peur est sur la ville. Au lieude comprendre d’oĂč vient cette peuret tenter d’y remĂ©dier en luttantcontre l’exclusion sociale, la sĂ©grĂ©ga-

tion territoriale, la paupĂ©risation, laxĂ©nophobie, la discrimination eth-nique, les pouvoirs ici comme ailleursadoptent des mesures essentielle-ment rĂ©pressives (arrĂȘtĂ©s municipauxinterdisant aux adolescents de sortiraprĂšs telle heure, rĂšglements anti-mendicitĂ©, contrĂŽle au faciĂšs, thĂ©o-rie de la « vitre brisĂ©e », gĂ©nĂ©ralisa-tion des camĂ©ras devidĂ©osurveillance, etc.). Dans certainsquartiers, des riverains s’auto-orga-nisent et patrouillent la nuit tandisque les policiers se terrent dans leurcommissariat. Des habitants rĂ©cla-ment des Ă©clairages dissuasifs pour

les parkings ou aux abords de leurimmeuble, depuis peu « rĂ©sidentia-lisĂ© » (c’est-Ă -dire clĂŽturĂ© par unegrille avec une seule porte d’entrĂ©e

munie d’un vidĂ©o code). En 1972,Oscar Newman publie DefensibleSpace. Crime prevention ThroughUrban Design (« L’espace qui peut ĂȘtredĂ©fendu. La prĂ©vention du crime Ă travers l’urbanisme » pourrait-on tra-duire), dans lequel il suggĂšre de sup-primer les angles morts, les bosquets,les creux, les obstacles (local Ă  pou-belles, boĂźtes aux lettres massives,escalier cachĂ© par un pan de mur, etc.)tout ce qui permettrait Ă  un « voyou »de se dissimuler avant d’attaquer saproie. Depuis une trentaine d’annĂ©esles enclaves rĂ©sidentielles sĂ©curisĂ©es(gated communities) se multiplientun peu partout dans le monde : enAmĂ©rique du Sud oĂč le kidnappingavec demande de rançon est bana-lisĂ©, aux États-Unis oĂč les ravages dela drogue gĂ©nĂšrent des cambriolages,en Europe oĂč les gens dĂ©sirent unetranquillitĂ© hors des lieux urbains par-tagĂ©s, etc. Ces quartiers vidĂ©osurveil-lĂ©s provoquent une interruption dela continuitĂ© urbaine, le piĂ©ton doitles contourner puisqu’il ne peut lestraverser. Les citadins Ă©difient desmurs Ă  l’intĂ©rieur de la ville, celle-cin’est plus accessible Ă  tous, l’urbanitĂ©devient sĂ©lective et discriminante.

LA GÉOGRAPHIE DEL’INSÉCURITÉ URBAINE SEGÉNÉRALISE De nombreux conflits se dĂ©roulentau cƓur des villes (Syrie, Liban,IsraĂ«l/Palestine, Centrafrique, Mali
).Dans des pays en paix comme laFrance, l’armĂ©e se prĂ©pare Ă  des com-bats de rue, dans des agglomĂ©rationsgangrenĂ©es par l’économie de ladrogue, les gangs s’évertuent Ă conserver leurs positions, etc. La ville(mais existe-t-elle encore ?) n’assureplus la rĂ©union pacifique de la diver-sitĂ© populationnelle, des gratte-ciels’affichent comme unitĂ©s verticalesd’habitation craintivement fermĂ©es,des quartiers bunkĂ©risĂ©s font sĂ©ces-sion, des bidonvilles sont rançonnĂ©set terrorisĂ©s par des caĂŻds. La rĂ©alitĂ©ressemble de plus en plus Ă  la science-fiction, faut-il s’en rĂ©jouir ? n

*Thierry Paquot est philosophe. Ilest professeur Ă  l’Institutd’urbanisme de Paris (universitĂ©Paris-Est CrĂ©teil Val-de-Marne)

« Toute une industrie de la peur se met enplace avec des portes blindées, des

digicodes, des alarmes, des caméras de vidéosurveillance, des rondes de vigiles,

des assurances spéciales. »

« Certains partispolitiques

Ă©laborent etdistillent une

idéologiesécuritaire qui leurassure des voix. »

PEURS URBAINES, GÉOGRAPHIE DE L’INSÉCURITÉLa ville, si elle existe encore, ne permet plus de rĂ©unir de maniĂšre pacifique lapopulation dans sa diversitĂ©.

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PAR FLORIAN GULLI ET JEAN QUÉTIER*

«L a vie, la santĂ©, l’amour sontprĂ©caires, pourquoi le tra-vail Ă©chapperait-il Ă  cette

loi ? » À en croire cette dĂ©claration deLaurence Parisot, ancienne prĂ©sidentedu Mouvement des entreprises deFrance (MEDEF), les capitalistesseraient les aventuriers du mondecontemporain. S’inscrivant ostensi-blement dans la perspective nĂ©olibĂ©-rale qui a connu ses heures de gloiredans les annĂ©es quatre-vingt, les entre-preneurs se distingueraient du com-mun des mortels par un goĂ»t du risqueparticuliĂšrement prononcĂ© qu’il fau-drait considĂ©rer comme la normemorale d’un nouveau mode de vie.L’intensitĂ© de leur existence viendraitnotamment du fait qu’ils vivraient sanspeurs, ou plus prĂ©cisĂ©ment qu’ils n’au-raient pas peur d’avoir peur. Commentcomprendre cet Ă©trange modĂšle deconduite que l’on peut encore diffici-lement remettre en cause aujourd’huisans ĂȘtre taxĂ©s de ringards archaĂŻques,voire de rĂ©actionnaires ? L’expression« vivre sans peurs » se dit en deux sens.Le premier correspond presque en toutpoint aux objectifs de Laurence Parisot.Vivre sans peurs signifie alors vivre enaffrontant ce qui fait peur aux autres.Tout comme on guĂ©rirait de la phobiedes araignĂ©es et des serpents en se for-çant Ă  caresser ces charmantes petitesbĂȘtes, il faudrait accepter de vivre l’ex-pĂ©rience de la peur pour pouvoir pas-ser outre. Il faudrait non seulementadmettre la part de risque propre Ă toute existence, mais il faudrait encoreen faire une valeur, et pour ainsi direune occasion de prouver son courage.Puisque la vie est courte, profitons-encar la chance sourit aux audacieux !

LA MORALE DES « FORTS Â»C’est une idĂ©e qu’on trouvait dĂ©jĂ chez Nietzsche qui opposait cettemorale des « forts », capables de sur-monter leurs peurs en acceptant deles vivre, Ă  une morale des « faibles »ou des « esclaves » dont le seul objec-tif serait de faire disparaĂźtre tout cequi peut susciter la peur. PensantdĂ©couvrir une parentĂ© fondamentale

entre l’ambition du christianisme etcelle du socialisme, Nietzsche rejetaitainsi de maniĂšre radicale le secondsens que l’on peut donner Ă  l’expres-sion « vivre sans peurs » : imaginerune sociĂ©tĂ© dont les membres nesoient plus forcĂ©s de vivre dans la peurconstante du lendemain. À cet Ă©gard,les paroles de Nietzsche dans Par-delĂ bien et mal sont sans ambiguĂŻtĂ© : « Quisonde la conscience de l’EuropĂ©end’aujourd’hui finira toujours parextraire des mille replis et cachettesde la morale le mĂȘme impĂ©ratif, l’im-pĂ©ratif de la pusillanimitĂ© du trou-peau – “nous voulons qu’un beau jour,il n’y ait plus Ă  avoir peur de rien !”Un beau jour – la volontĂ© et le che-min qui y mĂšnent s’appellentaujourd’hui, partout en Europe, le“progrĂšs”. »

LA FASCINATION DU RISQUEOn va retrouver cette oppositionnietzschĂ©enne – entre l’esprit prĂ©ten-dument moutonnier de ceux qui nevoudraient pas regarder la peur enface et la « grande santĂ© » de ceux quiaiment le risque – sous une formeradicalisĂ©e au lendemain de laPremiĂšre Guerre mondiale, aprĂšsqu’une gĂ©nĂ©ration a fait l’expĂ©riencedes tranchĂ©es. Cette apologie de lapeur surmontĂ©e, que Losurdo nomme« l’idĂ©ologie de la guerre », fera le litde la rĂ©volution conservatrice enAllemagne. Oswald Spengler Ă©crit en1933 : « C’en est fini de la vile sĂ©curitĂ©du siĂšcle passĂ©. La vie exposĂ©e aupĂ©ril, la vie authentiquement histo-rique, a retrouvĂ© ses droits ». À l’ùrede la guerre totale, l’aspiration Ă  lasĂ©curitĂ© est le signe le plus Ă©videntd’appartenance Ă  « la race des vain-cus ». Karl Jaspers, qu’on pouvaitcroire plus modĂ©rĂ©, Ă©crit un an plustĂŽt : « La vie la plus authentique estdirigĂ©e vers la mort » tandis que « laplus pauvre est rĂ©duite Ă  l’angoisseface Ă  la mort ». De façon plus sibyl-line, les BeitrĂ€ge zur Philosophie (VomEreignis RĂ©cemment traduit ainsi :« Contribution Ă  la philosophie. Del’avenance ») de Heidegger continue-ront de ressasser le mĂȘme thĂšme :« Seul le pĂ©ril peut inciter Ă  ce qu’il ya de plus haut ».

L’éloge du risque de Laurence Parisot,de la vie qui tutoie la mort (rĂ©elle ousymbolique) sans sourciller, est doncune vieille histoire. C’est l’éternel dis-cours des puissants, des aristocratiesantiques, fĂ©odales ou industrielles.Avec peut-ĂȘtre quelques modulations :le centre de gravitĂ© du discours qui sedĂ©place du terrain militaire au terrainĂ©conomique, l’intensitĂ© du combatexigĂ© qui a sans doute diminuĂ©. Maispour l’essentiel tout est lĂ  ! Et en par-ticulier, la critique des aspirationspopulaires Ă  une vie qui ne soit pasconstamment gĂąchĂ©e par la peur.

La limite de ce discours, c’est lacontradiction qui l’habite, contradic-tion que l’on ne peut pas longtempsdissimuler. Ceux qui sont fascinĂ©s parle risque, ceux qui aiment Ă  se distin-guer en affrontant ce qui fait peur auxautres, sont prĂ©cisĂ©ment ceux qui,dans leur existence quotidienne, nesont jamais exposĂ©s Ă  la menace et Ă la peur. Il est facile de mĂ©priser la peurlorsqu’on est protĂ©gĂ© par son statut,par son capital, par son rĂ©seau de rela-tions. Vouloir le risque sans dĂ©faillirest le luxe de ceux qui ne connaissentpas la peur au quotidien. n

« On va retrouvercette opposition

nietzschéenne - entre l'esprit

prétendumentmoutonnier de

ceux qui nevoudraient pas

regarder la peur enface et la « grande

santé » de ceux quiaiment le risque -sous une forme

radicalisée aulendemain de lapremiÚre guerre

mondiale. »

*Florian Gulli et Jean Quétier sontresponsables de la rubriqueMouvement réel. Ils sont lescoordonnateurs de ce dossier.

VIVRE SANS PEURS ?Ceux qui sont fascinés par le risque, ceux quiaiment à se distinguer en affrontant ce qui fait peuraux autres, sont précisément ceux qui, dans leurexistence quotidienne, ne sont jamais exposés à lamenace et à la peur.

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PAR MARC AUGÉ*

N ous n’avons pas fini de tirer lesconclusions du changementd’échelle qui affecte la vie sur

la planĂšte.Ce changement est fondamentale-ment Ă©conomique et technologique(les innovations technologiques crĂ©entde nouveaux biens de consommationqui, en retour, commandent les nou-velles formes d’organisation du tra-vail). Le capitalisme a rĂ©ussi Ă  crĂ©er unmarchĂ© coextensif Ă  la terre entiĂšre.Les grandes entreprises Ă©chappent Ă la logique de l’intĂ©rĂȘt national. Lalogique financiĂšre impose sa loi auxÉtats. Et cette domination est brus-quement devenue si Ă©vidente qu’ellesemble sans appel.La planĂšte s’urbanise et parallĂšlementle paysage urbain se transforme radica-lement. L’architecture grandiose desquartiers d’affaires symbolise, partoutdans le monde, de la maniĂšre la plusdirecte qui soit, le pouvoir des entre-prises qui Ă©lĂšvent dans le ciel diurne leurstours miroitantes qui s’illuminent la nuit.Les protestataires eux-mĂȘmes sont pri-sonniers du monde d’images qu’a crĂ©Ă©l’expansion prodigieuse des mĂ©dia etde la communication Ă©lectronique. Enquelques dĂ©cennies Ă  peine, notre envi-ronnement le plus familier a Ă©tĂ© trans-formĂ©. Les catĂ©gories de la sensation,de la perception et de l’imagination ontĂ©tĂ© bouleversĂ©es par les innovationstechnologiques et la puissance de l’ap-pareil industriel qui les diffuse.

LA PEUR DE L’APPRENTISORCIER TOUJOURSPRÉSENTELe corps s’équipe : on le drogue, on ledope de plus en plus efficacement. Onentreprendra bientĂŽt d’augmenter sesperformances grĂące aux nanotechno-logies, en y insĂ©rant des microproces-seurs, forme glorieuse de la greffe Ă©lec-tronique. Le paradoxe de ce corpstriomphant, toutefois, c’est qu’il n’estplus le corps de personne, qu’ilĂ©chappe Ă  celui ou celle qui s’en croyaitle maĂźtre, qu’il est prisonnier des tech-niques ou des substances qui le pro-pulsent au-delĂ  de toute performancepensable, comme reste prisonnier deson bracelet magique l’individuastreint Ă  la surveillance Ă©lectronique.Quand les sĂ©ductions de la fictionpĂ©nĂštrent le rĂ©el, elles suscitent la

crainte d’une dĂ©possession del’homme par les techniques qu’il ainventĂ©es. La peur de l’apprenti sor-cier est toujours prĂ©sente, et ce d’au-tant plus que les applications des tech-nologies susceptibles de confectionnerdes corps invulnĂ©rables et performantssont prioritairement d’ordre militaire.Au moment mĂȘme oĂč les machinesguerriĂšres commencent Ă  remplacerles hommes (pensons aux drones), lecorps humain aspire Ă  l’invulnĂ©rabi-litĂ© et Ă  la puissance des machines.

LA PEUR CHANGE DE VISAGE Ce changement est politique. On parledes puissances montantes et des pays« Ă©mergents » ; on entend leurs exi-gences de reprĂ©sentativitĂ© dans les ins-tances internationales. Mais un autrelangage et de nouvelles notions(crimes contre l’humanitĂ©, droit d’in-gĂ©rence) ont fait leur apparition. Onles utilise pour rendre compte de situa-tions conflictuelles locales. Locales carles guerres, au sens ancien du terme,sont aujourd’hui rĂ©servĂ©es aux petitspays et sont essentiellement desguerres civiles ou des conflits de fron-

tiĂšres. Mais ces conflits locaux s’ins-crivent dans le contexte transnationalcrĂ©Ă© par le terrorisme politico-religieuxĂ  vocation planĂ©taire qui suscite desformes nouvelles de peur et de mobi-lisation
 La peur change de visage etse fait diffuse ; tout attentat la relance.Ce changement est Ă©cologique et social.Les catastrophes naturelles prennentde l’ampleur. Nous maltraitons la pla-nĂšte et sommes sans doute en partieresponsables de cet Ă©tat de fait. Il fautajouter que les plus faibles en sont lespremiĂšres victimes. Or l’écart ne cessede se creuser, Ă  l’échelle de la planĂšte,entre les plus riches des riches et les

plus pauvres des pauvres, de mĂȘmequ’entre les plus instruits et les plusdĂ©munis culturellement. Nous vivonsdans une oligarchie globale Ă  troisclasses : les possĂ©dants, (du capitalfinancier ou symbolique), les consom-mateurs et les exclus - les plus fragilesdes consommateurs craignant Ă  termede basculer dans la catĂ©gorie des exclus.Cette situation ne peut que susciter desformes inĂ©dites de violence.

DEUX PANIQUES DE SENS INVERSE Ce changement d’échelle est dĂ©mo-graphique. La population du mondeau dĂ©but du XXe siĂšcle correspondaiten gros Ă  celle de la seule Chineaujourd’hui. Cette expansion dĂ©mo-graphique est inĂ©gale selon les pays ;les pays dĂ©veloppĂ©s ont le plus sou-vent un taux de fĂ©conditĂ© en baisse.On imagine aisĂ©ment, et l’on entendsouvent, les craintes que cette inĂ©ga-litĂ© suscite. Deux paniques de sensinverse se renforcent mutuellement.La migration hors des pays oĂč la vieest chaque jour plus difficile s’inten-sifie ; les migrants risquent souventleur vie pour fuir. Ces mouvements depopulation suscitent les craintes despays ou des rĂ©gions d’accueil, enEurope bien sĂ»r, mais aussi en Afrique,en AmĂ©rique ou en Asie.Au XVIe siĂšcle, la Renaissance, italienned’abord, française ensuite, est passĂ©epar un retour Ă  l’AntiquitĂ© grĂ©co-latineet aussi par des apports lointains(AmĂ©rique, Afrique, Chine) dans les-quels LĂ©vi-Strauss a pu voir la sourcede la vitalitĂ© et du dynamisme euro-pĂ©ens Ă  cette Ă©poque. L’ « ici », danscette perspective, c’était clairementl’Europe, et l’ « ailleurs » le reste dumonde. Les choses ont-elles vraimentchangĂ© ? Oui, en ce sens qu’il y a tou-jours un centre du monde, mais qu’ils’est dĂ©multipliĂ© et en quelque mesuredĂ©territorialisĂ©. La « mĂ©tacitĂ© virtuelle »dont parle Paul Virilio, ce sont Ă  la foisles mĂ©gapoles planĂ©taires, les rĂ©seauxd’échange, de communication et d’in-formation qui les relient et les puis-sances financiĂšres plus ou moins ano-nymes qui dominent l’ensemble. Ensorte que, dans ce monde oĂč noussommes tenus informĂ©s quotidienne-ment des malheurs qui nous mena-cent, nous avons chaque jour davan-tage le sentiment d’ĂȘtre colonisĂ©s sanssavoir exactement par qui. n

*Marc AugĂ© est anthropologue. Il estdirecteur d’études Ă  l’École deshautes Ă©tudes en sciences sociales(EHESS).

« Nous vivonsdans une oligarchie

globale Ă  troisclasses : les

possédants, (ducapital financier ou

symbolique), lesconsommateurs et

les exclus. »

LES NOUVELLES PEURSUn mal-ĂȘtre gĂ©nĂ©ralisĂ© semble s'ĂȘtre emparĂ© dessociĂ©tĂ©s humaines et menacer leur Ă©quilibre.

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PAR JEAN-FRANÇOIS TÉALDI*

«L a France a peur ! » LacélÚbre phrase prononcéepar Roger Gicquel le

18 fĂ©vrier 1976 au vingt heures de TF1,aprĂšs la mort Ă  Troyes du petitPhilippe Bertrand, marque le dĂ©butd’une dĂ©rive qui s’accroĂźt. Les diffu-seurs ont compris ce soir-lĂ  que lapeur permettait de booster l’audimat.Les mĂ©dia dominants exploitent lapeur pour parer les baisses d’au-dience, dramatisent les Ă©vĂ©nementspour renflouer les caisses. Depuis plusde dix ans la violence sĂ©vit, imagesanxiogĂšnes, mĂȘme sur le servicepublic et en bas de l’écran dĂ©filent lesbandeaux qui nous informent de toutfait-divers.

SOCIALISATION DE LA PEURMais au-delà, les média socialisent lapeur, reconstruisent la réalité en laformatant, sélectionnent les mots,son exposition ; cette médiatisation

suscite un sentiment d’insĂ©curitĂ©, unepsychose individuelle et collectivenĂ©faste Ă  la dĂ©mocratie, car les peurscontribuent Ă  l’opinion, elles sontcontagieuses. Chiffres d’insĂ©curitĂ©,faits-divers sanglants, dĂ©lits, donnentl’impression d’une menace, bien quele fait-divers ne soit pas un paramĂš-tre de la rĂ©alitĂ©. Ce n’est pas parce qu’ily a des agressions de personnes ĂągĂ©es,des crimes contre les enfants dans lesmĂ©dia que ceux-ci ont augmentĂ©.La peur apparaĂźt massivement audĂ©but des annĂ©es 2000, les imagesdramatisent les mots ; leur multidif-fusion en boucle des faits-divers surles chaĂźnes d’info en continu, faitoublier qu’ils sont ponctuels. On se

LA PEUR ? UN MOYEN DE FAIREMONTER L’AUDIMAT !

souvient des effets dĂ©vastateurs pourJospin de reportages sur l’insĂ©curitĂ©lors de l’élection de 2002 (visagetumĂ©fiĂ© de papy Voise) ; les chaĂźnesavaient accru leur couverture de laviolence durant la campagne ; d’au-tres dĂ©rapages seront commis(Laroche, Outreau).Cette peur valide le discours queconstruit l’extrĂȘme droite et la droiteextrĂȘme, entraĂźne le rejet de l’autre etun repli sĂ©curitaire pour des genssocialement isolĂ©s, sans emplois,femmes seules, seniors
 Dans unepĂ©riode plus rĂ©cente, celle du mariagepour tous, par peur de la diffĂ©renceon a banalisĂ© la haine portĂ©e par lesmicros-trottoirs, puis ce fut le feuil-leton de l’étĂ© « Marseille, capitale ducrime » !Le baromĂštre INA STAT de juin 2013,pointe que les faits divers ont aug-mentĂ© de 73 % entre 2003 et 2012 dansles journaux tĂ©lĂ©visĂ©s, 2 062 contre1 191, plus de cinq sujets par jour etles Ă©missions de divertissementn’échappent pas Ă  la tendance.

« QUE FAIRE ? Â» AURAIT DITOULIANOV !Des journalistes, leurs syndicats,Acrimed, dĂ©noncent rĂ©guliĂšrementcette tendance qui expose la peur Ă l’audimat. En juillet le Front degauche MĂ©dia dĂ©nonçait : « Les faits-divers, sĂ©ries de l’étĂ© ! La rĂ©volte deTrappes a fait les unes, Ă  coups dedĂ©clarations martiales du ministre del’IntĂ©rieur et d’élus de droite vautrĂ©sdans les Ă©ructations du FN. OĂč estl’investigation qui aurait permis d’ex-pliquer cette rĂ©volte autrement quepar le seul voile ? Poser les questionsdu mal vivre des banlieues, oĂč sĂ©vis-sent chĂŽmage et exclusion est moinsvendeur pour l’audimat ! Les citoyens

ne s’y retrouvent plus. Il est temps quecesse le sensationnalisme avec aubout la montĂ©e des communauta-rismes et des haines. »Chacun peut agir individuellementou collectivement. Les journalistes,leurs syndicats, mais aussi le tĂ©lĂ©spec-tateur-citoyen ; un individu, un quar-tier mis en cause, peuvent s’adresseraux auteurs du reportage, au direc-teur de l’information, au mĂ©diateur,saisir le conseil supĂ©rieur de l’audio-visuel (CSA), voire la justice pour exi-ger un droit de rĂ©ponse.

À terme la solution rĂ©side dans lespropositions du Front de gauche etdu PCF : interdire aux groupes indus-triels vivant de subventions publiquesde possĂ©der des mĂ©dia, adopter uneloi anti-concentrations, accorder laresponsabilitĂ© juridique aux rĂ©dac-tions et le droit de veto sur la nomi-nation des rĂ©dacteurs en chef ; rĂ©for-mer le CSA en l’ouvrant aux syndicatset aux tĂ©lĂ©spectateurs, lui donner plusde pouvoirs de contrĂŽle des Ă©missionsdiffusĂ©es. n

Pour enrayer l’instrumentalisation de la peur, enprogression dans les journaux tĂ©lĂ©visĂ©s depuis lesannĂ©es 2000, chacun peut intervenir individuelle-ment et collectivement. PCF et Front de gauchefont des propositions structurelles.

« Cette peur entraĂźne le rejet de l’autre et un repli sĂ©curitaire pour des gens

socialement isolés, sans emplois, femmes seules, seniors. »

« Poser lesquestions

du mal vivre desbanlieues, oĂč

sévissentchÎmage et

exclusion est moinsvendeur pour

l’audimat. »

*Jean-François Téaldi est journaliste.Il est responsable du secteur Médiadu Conseil national du PCF.

RĂ©agissez aux articles,exposez votre point de vue.

Écrivez Ă  [email protected]

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PAR ANTHONY CAILLÉ*

L e droit Ă  la sĂ©curitĂ© est avanttout de la responsabilitĂ© del’État et de l’ensemble des ser-

vices publics qui y concourent.L’aspiration Ă  la sĂ©curitĂ© doit ĂȘtre aussiune des prioritĂ©s des forces politiqueset syndicales de progrĂšs au mĂȘme titreque le combat pour le droit social, lasantĂ©, le logement, les transports etc.

NE PAS LAISSER CETTEQUESTION À LA DROITELa droite ne se prive pas d’utiliser lesquestions de sĂ©curitĂ© Ă  des fins poli-tiques, mais sans jamais apporter lesrĂ©ponses adĂ©quates. Elle choisit des’attaquer uniquement aux consĂ©-quences et jamais aux causes, d’oĂč laprioritĂ© donnĂ©e Ă  la rĂ©pression plu-tĂŽt qu’à la prĂ©vention et la dissuasion.À l’opposĂ© du « tout sĂ©curitaire », l’an-gĂ©lisme aveugle ne peut pas ĂȘtre larĂ©ponse adaptĂ©e Ă  la situation de ladĂ©linquance dans notre pays. Durantdes annĂ©es, les forces de progrĂšs (par-tis politiques, associations et mĂȘmessyndicats) ont dĂ©fendu la thĂšse selonlaquelle c’est par le changement desociĂ©tĂ© que les problĂšmes de la dĂ©lin-quance disparaĂźtront. Aujourd’hui,plus que jamais, si l’on veut changerla sociĂ©tĂ©, il est impĂ©ratif de seconfronter au problĂšme de l’insĂ©cu-ritĂ© parce qu’il est l’une des premiĂšresprĂ©occupations des citoyens.Il faut donc regarder les faits.L’insĂ©curitĂ© est bien rĂ©elle dans lepays. La dĂ©linquance augmente mal-grĂ© les annonces mĂ©diatiques duministre de l’intĂ©rieur Manuel Valls.Nous ne devons pas ignorer la rĂ©alitĂ©vĂ©cue par cette partie de la popula-tion qui subit l’insĂ©curitĂ© dans sa viequotidienne. Population par ailleursdéçue par la police. Combien de foisles victimes d’actes de dĂ©linquancese rendant au commissariat ou Ă  lagendarmerie s’entendent dire : « Nousne pouvons pas prendre votre plaintecar nous manquons de personnel »ou « Votre prĂ©judice ne nĂ©cessite pasune plainte ».ReconnaĂźtre ce vĂ©cu et s’en prĂ©occu-

LE BESOIN D’UNE POLITIQUE PROGRESSISTE EN MATIÈRE DE SÉCURITÉ DES CITOYENS

per ce n’est pas rejoindre les idĂ©esrĂ©pressives de la droite et de l’extrĂȘmedroite. Au contraire, la meilleure façonde combattre ces thĂšses c’est d’agiravec les victimes de l’insĂ©curitĂ© afinde prĂ©coniser une autre politique quele « tout rĂ©pressif ».

S’ATTAQUER AUX CAUSESSTRUCTURELLES DEL’INSÉCURITÉLes causes de l’insĂ©curitĂ© sont mul-tiples : le mal vivre, le dĂ©sƓuvrement,l’injustice face au droit au travail, laperte de repĂšres pour le respect d’au-trui, la tentation de l’argent roi gĂ©nĂ©-rĂ©e par la sociĂ©tĂ© capitaliste, etc. Maisl’une des causes principales du dĂ©ve-

loppement de l’insĂ©curitĂ© dans notrepays est le dĂ©sengagement de l’État :dĂ©sengagement de l’école, des citĂ©surbanisĂ©es, mais aussi dĂ©sengage-ment financier tant et si bien que lesmoyens allouĂ©s Ă  la police et Ă  la gen-darmerie nationale ne sont plus Ă  lahauteur des attentes exprimĂ©s par lescitoyens en matiĂšre de libertĂ© et detranquillitĂ©.

ENTRE SPECTACLE ET RENTABILITÉÀ partir des annĂ©es 1970, les gouver-nements successifs, mais plus parti-culiĂšrement ceux de droite, ontorientĂ© les missions de la police vers« l’ordre public » et le tout rĂ©pressif.Ainsi, Ă  chaque Ă©vĂ©nement, du mou-vement revendicatif aux faits divers,les seules rĂ©ponses apportĂ©es sont la

Dans une société démocratique, le droit de vivreen sécurité est un droit fondamental pour le déve-loppement de la solidarité, de la fraternité et de lajustice sociale.

« force » et la rĂ©pression. Nous nousrappelons des « opĂ©rations coups depoing » du ministre de l’intĂ©rieurMichel Poniatowski qui consistaientĂ  envoyer des forces de police (CRSet GM) non pas pour trouver unesolution positive aux problĂšmes maisuniquement pour dĂ©montrer « laforce de l’État ». La doctrine des « opĂ©-rations coups de poing » est toujoursd’actualitĂ©, tandis que les problĂšmesdemeurent irrĂ©solus. Par ailleurs, laconception des gouvernements et desministres de l’IntĂ©rieur a toujours Ă©tĂ©de considĂ©rer que la police n’était utileque si elle Ă©tait rentable en ce quiconcerne les interpellations, lesgardes Ă  vue et les affaires Ă©lucidĂ©es.Nous considĂ©rons qu’il est nĂ©fasted’intĂ©grer la notion de rentabilitĂ© dansl’apprĂ©ciation d’un service publiccomme la police nationale. Celaconduit invariablement Ă  la culturede rĂ©sultat et au « tout sĂ©curitaire ».

UN SERVICE PUBLICNATIONAL DE SÉCURITÉ AUPLUS PRÈS DES GENSIl ne s’agit pas, pour nous, de crĂ©erune sociĂ©tĂ© « policiĂšre » dans laquellechaque citoyen serait surveillĂ© etencadrĂ©. La police n’a pas vocation Ă ĂȘtre un instrument rĂ©pressif servantdes fins politiciennes ou des plans decarriĂšre de ministres de l’IntĂ©rieur. Ils’agit de crĂ©er un vĂ©ritable servicepublic de police nationale quirĂ©ponde aux attentes des citoyens.Pour cela nous considĂ©rons que larĂ©union des services existants – lapolice et gendarmerie nationale etmĂȘme les polices municipales – enun seul service public de sĂ©curitĂ© estde nature Ă  rĂ©pondre plus positive-ment aux prĂ©occupations descitoyens.Avec des personnels formĂ©s aux exi-gences du XXIe siĂšcle, bĂ©nĂ©ficiant dedroits communs Ă  l’ensemble desfonctionnaires, ayant des salaires Ă  lahauteur des missions exigeantes etcomplexes qu’ils assument quotidien-nement, nous pensons que l’effica-citĂ© d’une police visant la sĂ©curitĂ©pour tous serait bien plus grande.Ainsi face aux violences Ă  l’école, larĂ©ponse n’est sĂ»rement pas la prĂ©sencede policiers dans les collĂšges et leslycĂ©es. Cela aurait un effet d’autantplus nĂ©faste que les personnels ne sontpas formĂ©s aux comportements indis-pensables Ă  avoir dans un Ă©tablisse-ment scolaire. De plus, nous considĂ©-

« NousconsidĂ©rons qu’il

est nĂ©fasted’intĂ©grer la notionde rentabilitĂ© dansl'apprĂ©ciation d'un

service publiccomme la police

nationale. »

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rons qu’il faut donner Ă  l’Éducationnationale les moyens pour assurer lasĂ©curitĂ© des Ă©lĂšves et des enseignantsdans les enceintes scolaires. Enrevanche, une prĂ©sence prĂ©ventive estsouhaitable. Autrefois, Ă  l’entrĂ©e et Ă la sortie des Ă©coles, la prĂ©sence de lapolice avait un double objectif : dis-suasion et prĂ©vention des actes dĂ©lic-tueux d’une part, respect de l’autoritĂ©,le policier Ă©tant perçu comme utilepour la sĂ©curitĂ©, d’autre part.

LA POLICE DE QUARTIERFace aux problĂšmes de la dĂ©linquancedans les citĂ©s urbanisĂ©es, la rĂ©ponse,comme nous l’avons dĂ©jĂ  soulignĂ©,n’est pas le « tout sĂ©curitaire ». Il nesuffit pas qu’un ministre dĂ©clare bĂȘte-ment : « Je vais nettoyer les citĂ©s au

KĂ€rcher et je vais vous dĂ©barrasser dela racaille ! ». Bien sĂ»r, ce discours plaĂźtĂ  une partie de la population et plusparticuliĂšrement aux victimes de ladĂ©linquance. Refusant ces discourssimplistes qui ne rĂ©solvent rien, nousne retombons pas dans l’angĂ©lismeprĂ©cĂ©demment Ă©voquĂ©. Si, aprĂšs lesmesures de prĂ©vention et de dissua-sion, des actes dĂ©lictueux se perpĂ©-tuent et que des citoyens dans les citĂ©ssouffrent de l’insĂ©curitĂ©, il est nĂ©ces-saire de se montrer ferme pour rĂ©ta-blir la tranquillitĂ© dĂ©mocratique.Pour faire face aux problĂšmes dedĂ©linquance, il faut mettre en Ɠuvrece que nous appelons « la police dequartier », ce que les politiques degauche ont traduit en « police deproximitĂ© ». L’échec relatif de la police

de proximitĂ©, malgrĂ© de nombreuxaspects positifs, s’explique assez lar-gement par le manque de moyens.L’erreur, celle des gouvernements degauche en particulier, a Ă©tĂ© la sup-pression des commissariats et desgendarmeries des villes jugĂ©es nonrentables en matiĂšre de dĂ©linquanceet de criminalitĂ©.Une police proche des gens, encontact permanent avec les popula-tions et les diffĂ©rents acteurs associa-tifs et Ă©conomiques, crĂ©erait lesconditions du rĂ©tablissement de laconfiance entre policiers et citoyens.C’est cela, agir pour une vĂ©ritable poli-tique de sĂ©curitĂ© publique. n

*Anthony Caillé est policier,syndicaliste.

DE LA PEUR À LA HAINEENTRETIEN AVECÉLISABETH ROUDINESCO*

L a psychologie sociale a-t-elledes choses Ă  nous apprendresur les peurs qui traversent le

peuple ?Je ne m’intĂ©resse pas vraiment Ă  lapsychologie sociale sous cette forme.La question de la peur des foules estun vieux thĂšme rĂ©actionnaire qui datede Gustave Le Bon. Ce dernier assi-milait les foules Ă  des monstres, fĂ©mi-nins le plus souvent, et faisait des rĂ©vo-lutions l’Ɠuvre de furies hystĂ©riques.Freud aussi s’est penchĂ© sur la psy-chologie des foules dans Psychologiedes masses et analyse du moi mais iln’a pas tant traitĂ© de la peur que del’autoritĂ©, il y prenait notammentl’exemple de l’Église et de l’armĂ©e.C’est d’ailleurs un texte qui doit ĂȘtrerĂ©interprĂ©tĂ© historiquement. Ce n’estpas un ouvrage qui prĂ©figure le fas-cisme comme l’ont dit Lacan ou d’au-tres, c’est plutĂŽt un texte sur l’aprĂšs-coup de la rĂ©volution bolchevique Ă laquelle Freud se rĂ©fĂšre nettement.Freud pensait que l’humanitĂ© Ă©taitcapable de tous les dĂ©chaĂźnementsmais ce n’était pas un rĂ©actionnairecomme Le Bon, il plaçait au contraireun espoir dans l’intĂ©riorisation de laloi. Je ne dis pas qu’il faut tout garderchez Freud, bien au contraire, il fautune interprĂ©tation critique, mais jeconstate que l’anti-freudisme radicals’appuie trĂšs souvent sur une vĂ©rita-ble haine de l’intellect. Toutefois, demaniĂšre gĂ©nĂ©rale, je ne considĂšre pasque la psychologie sociale ou autre ait

vraiment des choses Ă  nous appren-dre sur la maniĂšre dont un tyranaccĂšde au pouvoir. Je ne crois pasqu’on puisse expliquer la montĂ©e dufascisme par la rĂ©pression du dĂ©sircomme le faisait Wilhelm Reich parexemple.

NĂ©anmoins, considĂ©rez-vous que lasociĂ©tĂ© contemporaine est principa-lement animĂ©e par la peur ?Oui. Le journal Le Monde a publiĂ©rĂ©cemment une Ă©tude montrant Ă quel point les Français sont plongĂ©sdans la morositĂ©. Évidemment le peu-ple a peur du lendemain, de ne paspouvoir finir le mois, mais il ressentĂ©galement une peur politique, unepeur de l’autre, une peur de perdre sasouverainetĂ© qui fait le lit de l’extrĂȘmedroite. Je trouve que les rĂ©ponses quel’on propose aujourd’hui Ă  ce pro-blĂšme sont souvent trop centrĂ©es surl’économie et pas assez sur la poli-tique et sur l’idĂ©ologie. Quand il y aune crise Ă©conomique, cela ne sert Ă rien d’assĂ©ner des chiffres auxquelsles gens ne comprennent rien : il fautau contraire relancer des engagementspolitiques, un idĂ©al, un dĂ©sir de chan-gement. Je continue Ă  croire qu’unedes solutions est d’éduquer le peupleafin d’endiguer la peur. En cela, je restetrĂšs fidĂšle Ă  l’esprit de 1789. Pouratteindre cet objectif, je pense qu’ilfaut chercher Ă  mobiliser sur desthĂšmes idĂ©ologiques comme la luttecontre le racisme et l’antisĂ©mitisme.Je trouve aussi que les mĂ©dia ont unegrande part de responsabilitĂ© dans lamise en place de ce climat de peur.

Quand on voit que le nombre deFrançais favorables au rĂ©tablissementde la peine de mort a augmentĂ© etavoisine les 50 %, on se dit que le jour-nal de vingt heures devrait arrĂȘter debrandir chaque jour des faits diversdĂ©libĂ©rĂ©ment grossis pour faire croirequ’il y a un pĂ©dophile Ă  tous les coinsde rue. On a tout de suite peur que lemoindre fait divers prenne la formedes attentats perpĂ©trĂ©s par AndersBreivik.

Selon vous, y a-t-il un lien entre lesdiffĂ©rentes peurs sur lesquelless’appuie l’extrĂȘme droite ?Oui, il y a clairement un point com-mun, non seulement entre peur ethaine mais aussi entre les diffĂ©rentespeurs et les diffĂ©rentes haines. Onpourrait presque dire que celui qui esthomophobe est aussi, inconsciem-ment, antisĂ©mite ou raciste car, aufond, ces gens ont la haine de tout etjouent sur toutes peurs : d’ailleurs, his-toriquement, dans le discours antisĂ©-mite, la haine du Juif est associĂ©e Ă  lahaine de l’homosexuel : les deuxseraient « fĂ©minisĂ©s », donc rangĂ©sdans un degrĂ© d’inhumanitĂ© prochede la bestialitĂ©.Le fait par exemple que DieudonnĂ©ne s’avance plus masquĂ© a eu le mĂ©ritede rĂ©vĂ©ler les convergences qui peu-vent exister entre des gens venus d’ho-rizons trĂšs diffĂ©rents d’Alain Soral Ă Renaud Camus ou encore Marc-Édouard Nabe : ils s’entendent d’ail-leurs trĂšs bien pour hurler ensemblecontre tout le monde ou les uns contreles autres sur des plateaux de tĂ©lĂ©vi-

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sion complaisants. Ils ont un pointcommun : ils haĂŻssent Freud ou plu-tĂŽt le « nom » de Freud, c’est quandmĂȘme extraordinaire : haĂŻr un nom !Sans avoir lu une ligne d’un Ɠuvre etsans connaĂźtre les travaux des histo-riens. Comme si ce nom incarnait leparadigme de toutes les peurs. Jusqu’àprĂ©sent, les liens entre ces gensn’étaient pas forcĂ©ment visibles car ilsne s’exprimaient pas tous de la mĂȘmemaniĂšre, mais maintenant c’est unpeu diffĂ©rent. En tout cas, je me fais

insulter aussi bien de la part d’antisĂ©-mites, d’anti-freudiens que de racistes,de pĂ©tainistes ou d’homophobes.Comme si j’étais l’incarnation du nomde Freud et « bolchevique » ou« freudo-sĂ©mite » (dĂ©rivĂ© de freudo-marxiste) par-dessus le marchĂ©.Aux États-Unis, c’est la frange extrĂȘmedes rĂ©publicains qui occupe cetteplace. C’est le mĂȘme type de per-sonnes qui se mobilisent contre lestentatives faites par Barack Obamapour mettre en place une SĂ©curitĂ©sociale aux États-Unis. C’est pour celaque je soutiens aussi bien ChristianeTaubira dans son combat contre l’ho-mophobie et le racisme que ManuelValls dans sa lutte contre l’antisĂ©mi-tisme. Concernant l’affaire DieudonnĂ©

par exemple, je considĂšre qu’il existeen France un arsenal de lois, notam-ment la loi de 1972, qui permettentd’agir avec une grande fermetĂ©.Personnellement, je ne suis pas favo-rable Ă  la loi Gayssot, car je considĂšreque le rĂŽle du lĂ©gislateur n’est pas decontrĂŽler le travail des historiens.NĂ©anmoins, je crois qu’il faut remo-biliser les couches populaires sur desthĂšmes progressistes afin de battre enbrĂšche les logiques identitaires prĂ©-tendument « antisystĂšme ».

Antisystùme, on sait trùs bien ce quecela recouvre : la haine de tout ce quipense mais aussi de tout ce qui feraitintrusion dans l’irrationnel de la peur.

Vous ĂȘtes intervenue Ă  plusieursreprises en faveur de la loi autorisantle mariage pour tous. De quoi l’ho-mophobie est-elle la peur ?Depuis la fin du XIXe siĂšcle, tout chan-gement dans la famille alimente lapeur du peuple. L’extrĂȘme droite bran-dit les lois naturelles de la famille alorsque ce n’est mĂȘme pas cela qui est enjeu. Ceux qui sont descendus dans larue contre l’ouverture du mariage auxhomosexuels avaient peur que tout lemonde devienne homosexuel alorsqu’il ne s’agissait que d’ouvrir des

droits pour 6 % de la population fran-çaise. Ils ont donnĂ© une image ducatholicisme digne de MonseigneurLefebvre et qui n’est mĂȘme pasconforme Ă  la rĂ©alitĂ© de cette religionaujourd’hui : beaucoup de famillescatholiques acceptent Ă  prĂ©sent l’ho-mosexualitĂ© et bientĂŽt l’union descouples homosexuels. En rĂ©alitĂ©, ceque ne supportent pas Frigide Barjotet les autres opposants Ă  cette loi, c’estl’idĂ©e que l’homosexualitĂ© se norma-lise. Ils n’acceptent l’homosexualitĂ©qu’à travers les figures d’Oscar Wilde,de Marcel Proust ou d’AndrĂ© Gide. Ilsveulent bien de l’homosexuel mauditmais ils ne supportent pas l’homo-sexuel qui ne se voit pas, celui quipĂ©nĂštre le corps de la nation en invi-sible. L’homophobie, tout comme l’an-tisĂ©mitisme, a besoin de reconnaĂźtrecelui dont elle a peur, elle ne supportepas qu’il devienne comme tout lemonde.

Les peurs qui meuvent la sociĂ©tĂ©française ont-elles quelque chose despĂ©cifique ?Il y a peut-ĂȘtre le passage Ă  l’Europequi est un peu plus douloureux enFrance que dans d’autres pays commel’Allemagne ou l’Italie, qui n’ont pasla mĂȘme tradition en matiĂšre de cen-tralisation nationale. NĂ©anmoins, jene crois pas par exemple que le fas-cisme puisse se retrouver en positionde conquĂ©rir le pouvoir en France ouque Marine Le Pen puisse remporterl’élection prĂ©sidentielle. Je crois quel’extrĂȘme droite se fera toujours absor-ber par la droite. Je suis assez d’accordavec Zeev Sternhell pour dire que laFrance est pour ainsi dire toujours bal-lottĂ©e entre Valmy et Vichy. Dans lamesure oĂč une partie des peurs quel’on retrouve aujourd’hui dans lasociĂ©tĂ© française peuvent s’expliquerpar ce que Jacques Derrida nommaitune « dĂ©souverainisation », on peutregretter que la droite ne soit pasdavantage rĂ©publicaine ou gaulliste.Le Conseil national de la RĂ©sistances’appuyait sur un compromis gaullo-communiste, lequel reposait sur unpatriotisme qui n’était pas un natio-nalisme. Dans le gaullisme commedans le communisme, il existait uncertain universalisme hĂ©ritĂ© de laRĂ©volution française qui se refusait Ă cultiver la peur. n

« Je continue Ă  croire qu’une des solutions est d’éduquer le peuple

afin d’endiguer la peur. En cela, je reste trùs fidùle

Ă  l’esprit de 1789. »

*Élisabeth Roudinesco esthistorienne de la psychanalyse. Elle est directrice de recherche Ă l’universitĂ© de Paris 7 Denis-Diderot.

Propos recueillis par Jean Quétier.

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LA DÉMOCRATIE POUR RÉHABILITER LA SCIENCELe scientifique n’existe plus. Il n’y a plus que des tra-vailleurs scientifiques. Est-ce cette dĂ©sacralisationqui fait peur ? La science, tout comme Dieu, ne dĂ©finitplus une vĂ©ritĂ© sĂ©curisante, mais toujours prĂ©caire.

PAR JEAN-FRANÇOIS BOLZINGER*

Dans l’art de ne pas traiter lesproblùmes, la vision conserva-trice du sacro-saint principe de

prĂ©caution est exemplaire. En blo-quant les expĂ©rimentations dĂšs larecherche, elle nous enferme dans unevie hermĂ©tique au progrĂšs technique,social, Ă©conomique
 Heureusementnos ancĂȘtres n’ont pas renoncĂ© Ă  maĂź-triser le feu !

DES MODES DE GESTION ETD’ORGANISATIONMORTIFÈRESLe travail est Ɠuvre humaine. Latransformation de la nature aussi. Larecherche et les dĂ©couvertes pren-nent aujourd’hui leur source en par-tie au cƓur du travail lui-mĂȘme, alorsque les chercheurs sont des salariĂ©sau mĂȘme titre que les autres. Ils sontsoumis aux modes d’organisation dutravail et aux stratĂ©gies relevant duWall Street management, d’unelogique de fonctionnement et d’orien-tation de l’entreprise fondĂ©e sur laperformance financiĂšre. Cette logiquepilotĂ©e par la financiarisation, dĂ©jĂ fortement prĂ©sente dans le privĂ© etqui imprĂšgne le public progressive-ment, procĂšde par la fixation d’ob-jectifs individuels quantitatifs de courtterme, contradictoires avec le dĂ©ve-loppement humain durable. Elle estmortifĂšre pour le travail et larecherche, en imposant un mode desurexploitation de la part intellec-tuelle du travail. Ce mode de mana-gement, rarement pointĂ© du doigt,gĂ©nĂšre dĂ©mobilisation dans le travail,non-qualitĂ©, dysfonctionnements,accidents style AZF. Une cinquantained’accidents industriels graves(Bhopal, Tchernobyl, etc.) sont sur-venus depuis 1979 (fusion du cƓurde la centrale nuclĂ©aire de Three MileIsland aux États-Unis). Les analysesdĂ©mentent que les causes se rĂ©dui-sent Ă  la dĂ©faillance ou Ă  l’erreurhumaine. « Fondamentalement, lescauses profondes des catastrophessont d’origine organisationnelle. Cesont les dĂ©rives et les dysfonctionne-

ments des organisations chargĂ©es degĂ©rer les risques qui sont Ă  la sourcedes accidents. Le fonctionnement desorganisations et au premier chef leursinstances managĂ©riales demeurentĂ©nigmatiques. Il est Ă  craindre que cetrou noir des organisations persistelongtemps, malgrĂ© de nouvelles situa-tions catastrophiques provoquĂ©es parelles-mĂȘmes » (Michel Llory, « La facecachĂ©e des catastrophes indus-trielles » SantĂ© et Travail, janvier 2014)

RÉCONCILIER SCIENCE,TRAVAIL ET SOCIÉTÉLa rĂ©volution Ă©cologique doit ĂȘtre toutle contraire de la rĂ©volution de la peur(peur du nuclĂ©aire, peur des usines,peur de la science
). La pĂ©rennitĂ© dela domination de la logique capita-liste dans notre travail, dans nos viesou encore au cƓur de sciences ettechniques synonymes de danger,n’est pas une fatalitĂ©. La non mise encause de la logique de productivitĂ© etde la profitabilitĂ© incite Ă  s’en pren-dre aux sciences et techniquescomme bouc Ă©missaire. Mais l’élabo-ration d’une alternative au manage-ment bureaucratique dĂ©responsabi-lisant et au management financier estde nature Ă  redonner sens au travailen favorisant la rĂ©conciliation entrescience, travail et sociĂ©tĂ©.

Le combat communiste est fonda-mentalement progressiste. Mais sil’idĂ©e de jeter le bĂ©bĂ© science avecl’eau du bain Ă©cologiste a pris corps,c’est aussi parce que la nouvelle placede la science et du chercheur n’a pasĂ©tĂ© suffisamment Ă©claircie. Pourquoise laisser ballotter entre une sciencetoute puissante qui dĂ©finit la vĂ©ritĂ© Ă suivre, donc scientiste, et une sciencemarchande oĂč la finalitĂ© devient la

finance ? Un chercheur est un salariĂ©qualifiĂ© ayant des responsabilitĂ©s.Dans les entreprises, les salariĂ©sdemandent la dĂ©mocratie, la trans-parence des choix de gestion et desstratĂ©gies, des droits d’interventionindividuels et collectifs. Émerge lanĂ©cessitĂ© d’agir pour une conceptionde l’entreprise, distincte de la sociĂ©tĂ©d’actionnaires, une communautĂ© detravail crĂ©ative redĂ©finissant ses liensavec la sociĂ©tĂ©, ouverte sur les acteurslocaux externes. La responsabilitĂ© duchercheur mĂ©rite dans ce cadre d'ĂȘtrerĂ©flĂ©chie. OĂč s’arrĂȘte sa libertĂ© ? Si onconsidĂšre que l’enfermement dans lalogique marchande est une impasse,rester sur une vision du penseur et dudĂ©cideur des orientations derecherche en vase clos est aussi pro-blĂ©matique. Face Ă  l’ampleur desdomaines de dĂ©couvertes Ă  venir etla rapiditĂ© d’évolution de notresociĂ©tĂ©, il y a lieu d’avancer sur unpartage des responsabilitĂ©s. Cela sup-pose de reconnaĂźtre la responsabilitĂ©du chercheur (professionnellementet socialement), mais aussi celle descitoyens, des travailleurs, des poli-tiques avec des dĂ©bats oĂč l’informa-tion et la comprĂ©hension par tous desenjeux scientifiques, technologiques,Ă©conomiques, sociaux, environne-mentaux, humains) sont une prioritĂ©dĂ©mocratique.Le principe de prĂ©caution pourrait,dans ce cadre, s’interprĂ©ter commeun principe de vigilance applicable Ă toutes les activitĂ©s productives et quiresponsabilise tous les acteurs. PlutĂŽtque de cĂ©der aux problĂ©matiques depeur, de non-maĂźtrise, d’obscuran-tisme ou de scientisme, conjuguerrecherche, travail et interaction dĂ©mo-cratique avec la sociĂ©tĂ© est un axe decombat progressiste, porteur d’éman-cipation humaine. C’est le moyen de« rĂ©ussir Ă  canaliser le progrĂšs desconnaissances scientifiques et tech-niques pour que les transformationsde la sociĂ©tĂ© qu’il induit, restent cen-trĂ©es sur le respect de la dignitĂ©humaine, la gestion et l’entretien desbiens communs matĂ©riels de l’huma-nitĂ©, l’exercice d’une vigilance soute-nue sur l’évolution des Ă©quilibresnaturels, la satisfaction des besoinssociaux exprimĂ©s, l’élaboration d’uneĂ©thique de vie. » (Luc Foulquier,Roland Charlionet, L’ĂȘtre humain etla nature, quelle Ă©cologie, 2013). n

*Jean-François Bolzinger estmembre du Conseil national du PCF.Il est codirecteur de la revueProgressistes.

« La rĂ©volutionĂ©cologique doit ĂȘtretout le contraire dela rĂ©volution de la

peur. »

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PAR LAURENT MUCCHIELLI*

Les enquĂȘtes de « victimation » inter-rogent anonymement des Ă©chan-tillons reprĂ©sentatifs de personnessur ce qu’elles ont pu Ă©ventuellementsubir sur une pĂ©riode de temps dĂ©ter-minĂ©e, qu’elles l’aient ou non signalĂ©aux services de police et de gendar-merie. Elles permettent donc demesurer assez finement la frĂ©quenceet l’évolution rĂ©elle des comporte-ments indĂ©pendamment de l’actiondes administrations et de l’évolutiondu droit.L’on peut ainsi Ă©valuer le fameux« chiffre noir » qui a hantĂ© pendantdes dĂ©cennies les commentateurs desstatistiques administratives. L’ons’aperçoit aussi que le taux de plaintedes victimes varie considĂ©rablementselon le genre d’infractions : il est ainsitrĂšs fort pour les cambriolages et lesagressions physiques les plus gravesmais au contraire trĂšs faible (entre 5et 10 % selon les enquĂȘtes) pour lesagressions verbales et par ailleurspour les agressions sexuelles qui sontprincipalement intrafamiliales.

Les enquĂȘtes de dĂ©linquance auto-dĂ©clarĂ©e (ou auto-rĂ©vĂ©lĂ©e) interro-gent anonymement des Ă©chantillonsreprĂ©sentatifs de personnes sur leursĂ©ventuels comportements dĂ©viantset dĂ©linquants, qu’ils aient ou non faitl’objet de dĂ©nonciations. Elles ont Ă©tĂ©inventĂ©es aux États-Unis dĂšs la fin desannĂ©es 1940 mais n’ont Ă©tĂ© rĂ©alisĂ©esen France qu’à partir des annĂ©es 1990.Pour des raisons d’abord pratiques(la passation des questionnaires) maisaussi idĂ©ologiques (le prĂ©jugĂ© auterme duquel seuls les jeunes com-mettraient des actes de dĂ©linquance),ces enquĂȘtes sont presque toujoursrĂ©alisĂ©es sur les adolescents scolari-sĂ©s. Outre qu’elles ne disent donc riensur les adultes, elles excluent de faitles jeunes dĂ©scolarisĂ©s dont certainssont parmi les jeunes les plus enga-gĂ©s dans la dĂ©linquance. Reste queces enquĂȘtes ont opĂ©rĂ© une rĂ©volu-tion dans le milieu scientifique, enrĂ©vĂ©lant l’étendue insoupçonnĂ©e des

MESURER LA PEUR ?

actes dĂ©linquants et des conduites Ă risque, commis par les adolescentsdes deux sexes. Loin d’ĂȘtre l’excep-tion, ces comportements dĂ©viants(par rapport aux normes officiellesdes adultes) sont particuliĂšrementfrĂ©quents Ă  l’adolescence. Contrairement aux prĂ©jugĂ©s ordi-naires, la majoritĂ© des adolescent(e)sa commis un acte dĂ©linquant aumoins une fois dans sa vie (par exem-ple une bagarre Ă  la sortie de l’école,qui peut aujourd’hui ĂȘtre qualifiĂ©e de« coups et blessures volontaires aveccirconstances aggravantes », mĂȘmeen l’absence de rĂ©els dommages phy-siques).

Les enquĂȘtes sur le sentiment d’insĂ©-curitĂ© peuvent, selon les questionsposĂ©es, interroger la peur personnelle(« avez-vous peur lorsque vous ren-trez chez vous ? ») ou bien l’opiniongĂ©nĂ©rale des personnes (« pensez-vous que l’insĂ©curitĂ© est un problĂšmeprioritaire ? »). Les rĂ©sultats sont tota-lement diffĂ©rents. La plupart des per-sonnes qui dĂ©clarent en effet que« l’insĂ©curitĂ© » est une prioritĂ© poli-tique disent par ailleurs ne pas avoirde problĂšmes de ce type dans leur viepersonnelle. Comme toutes les opi-nions politiques, cette prĂ©occupation

sĂ©curitaire varie selon les contextes.Faible jusqu’à la fin des annĂ©es 1990,elle a connu une brusque poussĂ©e en1999-2002, dans le contexte d’hyper-politisation de cette question, avantde dĂ©croĂźtre fortement (dans l’en-quĂȘte rĂ©gionale Île-de-France, laprĂ©occupation pour la sĂ©curitĂ© estpassĂ©e de prĂšs de 40 % en 2001 Ă moins de 13 % en 2009). En Ă©change,ce sont les prĂ©occupations sociales(le chĂŽmage, la pauvretĂ©) qui sontremontĂ©es en tĂȘte. Les enquĂȘtes quiinterrogent en revanche la peur per-sonnelle tĂ©moignent d’une assezgrande stabilitĂ© des dĂ©clarations.Environ 8 % des personnes interro-gĂ©es dans la mĂȘme enquĂȘte rĂ©gionaledĂ©clarent ainsi avoir peur chez elles,en 2009 comme en 2001. Les per-sonnes ĂągĂ©es ont beaucoup plus peurque les jeunes lors mĂȘme qu’elles sontbeaucoup moins souvent victimesqu’eux de vols ou d’agressions. DemĂȘme, les femmes ont davantagepeur que les hommes. La solitude, laprĂ©caritĂ© socio-Ă©conomique, le faitde rĂ©sider dans un quartier pauvresont aussi des facteurs explicatifs decette peur qui exprime ainsi demaniĂšre gĂ©nĂ©rale un sentiment devulnĂ©rabilitĂ© plus que d’insĂ©curitĂ©. n

Les enquĂȘtes en population gĂ©nĂ©rale sont d’une nature diffĂ©rente des statis-tiques administratives. En effet, elles n’interrogent pas l’activitĂ© des adminis-trations mais directement le vĂ©cu et/ou le ressenti de la population, Ă  partird’échantillons reprĂ©sentatifs et de questionnaires Ă©laborĂ©s par les cher-cheurs. Trois types d’enquĂȘtes apportent ainsi des contributions majeures Ă la connaissance en ce domaine.

« La plupart despersonnes

qui déclarent eneffet que

« l’insĂ©curitĂ© » estune prioritĂ©

politiquedisent par ailleurs

ne pas avoir deproblĂšmes

de ce type dans leurvie personnelle. »

RĂ©agissez aux articles,exposez votre point de vue.

Écrivez Ă  [email protected]

*Laurent Mucchielli est sociologue.Il est directeur de recherche auCNRS, rattachĂ© au laboratoiremĂ©diterranĂ©en de sociologie d’Aix-en-Provence.

Extrait de l’article « Les techniques etles enjeux de la mesure de ladĂ©linquance », Savoir/Agir, n°14,2010, publiĂ© avec l’aimableautorisation de la revue.

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PAR ARNAUD MACÉ*

L es anciens Grecs de l’ñgearchaïque et classique, tout aumoins les hommes libres des

citĂ©s, avaient une existence politique,ce qui signifie aussi qu’ils en payaientle prix, celui de la lutte : lutte contrel’ennemi extĂ©rieur pour que la citĂ© etdonc l’ensemble des hommes, femmeset enfants qui la composent restentlibres, lutte contre l’ennemi intĂ©rieurpour que les lois de la citĂ© soientconformes Ă  leurs vƓux. La guerre, laguerre civile, la rĂ©volte et la rĂ©volutionfaisaient partie de leur vie. Ils nous ontlaissĂ© certains tĂ©moignages de leurcourage collectif. Ainsi lorsque lescitoyens composant la flotte d’AthĂšnes,apprenant qu’une rĂ©volution oligar-chique a eu lieu Ă  AthĂšnes en 411, serĂ©unissent Ă  Samos, destituent leurschefs, se proclament le peuple et prĂȘ-tent serment de vivre en dĂ©mocratie.

LE COURAGE D’ENTRER EN RÉVOLTELe pouvoir collectif de ceux qui se rĂ©u-nissent pour dĂ©fendre leur libertĂ© estpourtant un pouvoir faible, car il n’estfait que de l’addition des individus qui,les uns aprĂšs les autres, chacun leurtour, doivent avoir le courage d’entrer

en rĂ©volte. Le tyran d’AthĂšnes,Pisistrate, connaissait cette faiblessedes masses. Ainsi, c’est en profitant dela sieste du peuple d’AthĂšnes en sou-lĂšvement, qu’il surprit son monde etlança ses fils Ă  cheval Ă  la poursuitedes combattants en dĂ©bandade, enleur enjoignant de rentrer chacun chezsoi et de « retourner chacun Ă  ses pro-pres affaires » (« epi ta heĂŽutou »,HĂ©rdote, Histoires, I, 63, 12). « Si vous rentrez tous chez vous, si vousvous occupez chacun de vos affaires,

LA PHILOSOPHIE, LA PEUR DE MOURIR ET LE COURAGE COLLECTIF

alors il ne vous sera rien fait. » Le cou-rage collectif se disperse dĂšs que cha-cun des atomes qui composent legroupe est renvoyĂ© Ă  son existenceindividuelle, au souci des siens, Ă  lapeur de leur mort et Ă  celle de la siennepropre. Seul face Ă  la peur, le citoyenvacille. Avoir peur de sa propre mortdevient dĂšs lors aussi un problĂšmepolitique ; avoir peur de sa propremort, c’est ne plus ĂȘtre disponible pourservir le bien commun.

SE DÉFAIRE DE LA PEUR DE LA MORTCette peur est un thĂšme que les phi-losophes de l’AntiquitĂ© ont tenu Ă  trai-ter. Platon et Épicure prĂ©sentent deuxmaniĂšres opposĂ©es de se dĂ©faire de lapeur de la mort par le pouvoir de ladĂ©monstration. Dans le PhĂ©don dePlaton, la peur de la mort est prĂ©sen-tĂ©e comme prenant sa source danscette croyance enfantine que l’ñme,sortant du corps Ă  sa mort, pourraitĂȘtre dispersĂ©e et dissipĂ©e par le vent,surtout si on meurt un jour de grandvent plutĂŽt qu’un jour calme. DĂšs lors,il s’agit de se demander si l’ñme faitvraiment partie de ce genre de chosesqui est susceptible de subir le fait d’ĂȘtredispersĂ© et qui correspond Ă  ce qui aĂ©tĂ© ou est composĂ© – en revanche, cequi n’est pas composĂ© ne peut pas ĂȘtre

divisĂ©. Les choses qui restent toujoursidentiques Ă  elles-mĂȘmes sont, le plusvraisemblablement, celles qui ne sontpas composĂ©es ; celles qui ne cessentde changer sont des choses compo-sĂ©es. L’ñme ne sera pas dĂ©composĂ©esi elle est une chose simple. Or celadĂ©pend de ce Ă  quoi elle s’apparente.Si elle se donne des objets de connais-sance tels que les formes intelligibles,dotĂ©es d’une unicitĂ© absolue, invisi-bles et immuables, elle peut en venirĂ  ressembler Ă  son objet. Si elle se com-

plaĂźt dans le spectacle des corps, elles’assimilera Ă  ce qui se dĂ©compose.Bref, l’amour du savoir rend immor-tel. L’ñme purifiĂ©e, celle du philosophe,ne sera pas dispersĂ©e.Au contraire, Épicure entend dĂ©mon-trer que l’ñme est essentiellement unechose qui peut ĂȘtre dispersĂ©e, car elleest tout simplement une partie ducorps (voir Lettre Ă  HĂ©rodote, 63-66),un corps composĂ© de subtiles partiesmatĂ©rielles, rĂ©pandu Ă  travers tout lereste du corps de telle sorte que nouspuissions percevoir et penser, et qui,lorsque l’agrĂ©gat entier se dĂ©fait, envient Ă  son tour Ă  se rĂ©pandre en per-dant Ă  son tour les pouvoirs qu’elleavait acquis en tant que partie d’unagrĂ©gat matĂ©riel. Sans son enveloppel’ñme perd ses pouvoirs. Et donc nousne sentirons plus. La dispersion denotre corps est aussi la dispersion denos sensations, de plaisir comme dedouleur, celle aussi de notreconscience. Avec la mort s’éteindraaussi ce qui en nous a peur de mourir,puisque la mort est privation de la sen-sation (Lettre Ă  MĂ©nĂ©cĂ©e, 124).Paradoxalement Épicure embrasse laconception mĂȘme qui semblait, dansle PhĂ©don, ĂȘtre Ă  la source de la peurde mourir. Ce que l’on craint – subirl’ultime dispersion de l’agrĂ©gat dematiĂšre que nous sommes – est en effetcertain, mais cette vĂ©ritĂ© de la peur enest en mĂȘme temps le meilleurremĂšde. Il en va de mĂȘme pour les col-lectifs : eux aussi ne sont que des agrĂ©-gats menacĂ©s constamment par la dis-persion et la dĂ©faillance de leursparties. Les groupes que les hommesforment pour lutter ne sont pas plusque la somme Ă©phĂ©mĂšre de leurs par-ties, toutes plus fragiles les unes queles autres dĂšs qu’on les saisit une Ă  une.Les groupes meurent comme nousmourrons, par dispersion. Mais savoircela, c’est aussi savoir que l’on a moinspeur ensemble. Car la faiblesse desparties n’empĂȘche pas leur rĂ©union,aussi Ă©phĂ©mĂšre soit-elle, de formerdes torrents. n

Le courage collectif se disperse dÚs que chacun des atomes qui compo-sent le groupe est renvoyé à son existence individuelle, au souci des siens, àla peur de leur mort et à celle de la sienne propre. Seul face à la peur, lecitoyen vacille.

« Les groupes meurent comme nousmourrons, par dispersion.

Mais savoir cela, c'est aussi savoir que l'on a moins peur ensemble. »

*Arnaud Macé est philosophe. Il estmaßtre de conférences à l'universitéde Franche-Comté.

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ENTRETIEN RÉALISÉ PAR LÉO PURGUETTE

LE GRAND ENTRETIEN

Trouver les chemins d'un projet d'Ă©mancipationhumaine du XXIe siĂšclePrĂ©sidente du Conseil national du PCF, Isabelle De Almeida, coordonne lecomitĂ© du projet. Elle explique les raisons de sa crĂ©ation et sa mĂ©thode de tra-vail jusqu'au prochain congrĂšs. À l'image de l'Europe en novembre dernier,quatre autres sujets transversaux donneront lieu Ă  des conventions natio-nales pour tracer les contours du communisme de nouvelle gĂ©nĂ©ration.

epuis son dernier congrĂšs,le PCF a crĂ©Ă© le comitĂ© duprojet. A partir de quelconstat ? Quelle est saplace dans la direction ?Le 36e congrĂšs s’est fixĂ©

comme objectif de lancer un travail surle projet communiste pour plusieurs rai-sons. Tout d’abord, parce que noussommes confrontĂ©s, ici en France, maisplus largement en Europe et dans lemonde, Ă  une crise de civilisation, unecrise historique qui oblige, face Ă  des dĂ©fisnouveaux, Ă  des rĂ©ponses de toute autreampleur que celles qui sont apportĂ©es Ă ce jour.Nous voulons travailler dans un mĂȘmemouvement aux urgences politiquesimmĂ©diates et Ă  des rĂ©ponses de plus enplus structurelles d’anticipation, d’éla-boration d’un nouveau projet d’émanci-pation humaine.Cela demande de la transversalitĂ© dansnotre Ă©laboration collective. Longtemps,le travail d’élaboration se faisait demaniĂšre sectorielle. Avec l’apport de larĂ©flexion de tous les secteurs, le comitĂ©du projet permet cette transversalitĂ©.Cela permet la confrontation d’idĂ©es et,de ce fait,une plus grande cohĂ©rence.Le comitĂ© du projet a une place rĂ©elledans la direction du PCF. Pierre Laurenten est le principal animateur et, Ă  sescĂŽtĂ©s, la coordination me revient, en tantque PrĂ©sidente du Conseil national. Au-delĂ  de cette symbolique, le fait de regrou-per tous les responsables de secteur, desmembres de la direction nationale, ainsique les responsables de nos espaces derĂ©flexion et d’étude – Espaces Marx, leLEM et les trois revues, La Revue du pro-jet, Économie & politiqueet Progressistes –

dans une rĂ©gularitĂ© de travail, tous lesquinze jours, sur des objectifs partagĂ©smontre concrĂštement que le comitĂ© duprojet tient une place prĂ©pondĂ©rantedans notre activitĂ©. C’est trĂšs importantpour notre parti.

Une premiĂšre convention nationalea eu lieu sur le projet europĂ©en duPCF. D’autres vont-elles suivre ?Pourquoi avoir commencĂ© parl’Europe ?Le comitĂ© de pilotage a proposĂ© aucomitĂ© du projet de dĂ©finir cinq chan-tiers transversaux Ă  travailler d’ici le pro-chain congrĂšs qui nous paraissent essen-tiels pour produire un projet cohĂ©rent.Nous avons l’ambition de faire uneconvention nationale sur chacun de cesthĂšmes. Le premier chantier que nousavons investi, l’Europe, allait de soi dansle calendrier, avec Ă  l’horizon, lesĂ©chĂ©ances Ă©lectorales en mai 2014.Reprendre la question europĂ©enne nousparaissait, en effet, une Ă©vidence quandtant de nouvelles questions se posentautrement Ă  cette Ă©chelle, avec la crisede rĂ©gression sociale – Ă©minemment poli-tique – qui traverse l’idĂ©e europĂ©enne etqui suscite tant de dĂ©fiance dans notrepeuple, et dans les peuples europĂ©ens.Nous avions Ă  renouveler notre projeteuropĂ©en avec comme objectif d’appor-ter des solutions Ă  la crise et non d’ĂȘtredans le constat. Avec cette convention,nous avons franchi une Ă©tape et apportĂ©de nouvelles rĂ©ponses par exemple surles questions de la dĂ©mocratie, du rĂŽle del’euro et sur le chemin Ă  prendre pourmodifier les rapports de forces en Europe.Nous n’avons pas la prĂ©tention d’avoir faitle tour de toute la question mais nous

avons ciblĂ© des problĂ©matiques. Et je nepeux que me fĂ©liciter et fĂ©liciter tous ceuxet celles qui ont contribuĂ© Ă  cette conven-tion d’avoir mis Ă  disposition des commu-nistes et, au-delĂ , aux forces sociales etpolitiques françaises et europĂ©ennes pro-gressistes un texte fort. Un numĂ©ro horssĂ©rie de La Revue du projet est consacrĂ©Ă  ce texte ainsi qu’à l’ensemble des tra-vaux de la convention. C’est un outil prĂ©-cieux, un guide pour l’action, pour la cam-pagne Ă  mener cette annĂ©e mais, surtout,il s’agit d’un texte de rĂ©fĂ©rence du PCFvalidĂ© par la direction nationale. Bien plusqu’un programme, il donne Ă  voir la visĂ©eeuropĂ©enne qui est la nĂŽtre.Nous avons dĂ©jĂ  engagĂ© le travail d’unautre chantier, celui de la question de l’in-dustrie. Nous prĂ©voyons d’y consacrerune convention le 11 octobre prochain.Ensuite, nous voulons aborder la ques-tion de l’appropriation sociale, ainsi quecelle de la dĂ©mocratie citoyenne et duvivre ensemble.

Quel est l’objectif du processus ?J’ai parlĂ© de transversalitĂ©, d’élaborationpartagĂ©e avec le collectif militant et intel-lectuel communiste qui est trĂšs riche maispas assez mobilisĂ©. Il y a aussi tout le tra-vail de propositions des parlementaires,leur travail lĂ©gislatif et celui de l’ensembledes Ă©lus avec leurs innovations locales etleurs expĂ©riences qui sont une vĂ©ritablerichesse Ă  mettre en synergie avec cetteĂ©laboration du projet communiste. Il y aaussi tous ceux, acteurs militants, intel-lectuels, qui Ă©laborent des rĂ©flexions, desanalyses, des Ă©tudes et des propositionsqui portent de la confrontation, voire dela co-Ă©laboration politique et qui, pourcertains, sont Ă  la recherche d’espaces

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de construction collective qui manquentĂ  notre pays. Notre travail sur le projet doitĂȘtre le creuset de cette mise en commun,de cet enrichissement. Aussi, dans notrefaçon de travailler, nous partons d’un tra-vail sur les questions telles qu’elles seposent aujourd’hui dans la sociĂ©tĂ© – etnon pas comme nous les posions avantou comme on voudrait qu’elles se posas-sent. Ensuite, nous associons les secteursde travail Ă  la validation des problĂ©ma-tiques et des rĂ©ponses Ă  apporter. Nousmenons aussi des auditions avec desacteurs – communistes ou non – et nousassocions les militants communistes ,avec leurs expĂ©riences Ă  cette construc-

tion. Nous souhaitons impliquer non seu-lement les militants communistes inves-tis sur la question traitĂ©e mais aussi, pluslargement, tous les adhĂ©rents, les mem-bres du Conseil national et les directionsdĂ©partementales. Nous faisons appel auxcontributions pour enrichir les travauxmais aussi pour favoriser l’appropriationdes questions et des possibles rĂ©ponses.C’est ainsi que nous conduisons lesrĂ©flexions de la convention qui doit ĂȘtreun lieu de rencontre collective oĂč nousexpliquons, travaillons un texte qui estensuite mis en validation.La validation est une Ă©tape importantequi permet d’acter que les rĂ©ponses pro-posĂ©es constituent le projet de tous lescommunistes, fruit d’une constructioncollective approuvĂ©e par le Conseil natio-nal. Pour autant, la validation ne marquepas un point final Ă  la rĂ©flexion et au tra-vail qui se poursuivent, bien entendu,aprĂšs la convention. Et il y a aussi la question de l’appropria-tion par les communistes. À mon sens, ilne s’agit pas juste de lire les travaux unefois votĂ©s mais aussi de comprendre oĂčse situent les enjeux et les rĂ©ponses Ă 

apporter. C’est ainsi que notre projetpourra ĂȘtre traduit en initiatives et enaction. C’est dans ce sens que nousdevons encore plus associer et faireconnaĂźtre les Ă©tapes et le processus demise en travail collectif de notre projet.Le comitĂ© du projet ne se veut pas uncomitĂ© d’experts. J’ai bien conscienceque ce que je dĂ©cris lĂ  est un objectif detravail et qu’il nous faut plus largementet plus collectivement lui donner de l’im-portance, de l’intĂ©rĂȘt et le concrĂ©tiseravec les communistes et dans la sociĂ©tĂ©.C’est pourquoi nous avons beaucoupd’efforts Ă  produire pour le rendre effi-cace, utile et visible. MĂȘme avec un calen-drier difficile Ă  tenir, la convention Europea permis de mener Ă  bien ce travail.Nous avons l’intention de mieux faire pourla deuxiĂšme convention, non pas sur laqualitĂ© du contenu mais sur le temps Ă se donner pour ĂȘtre bien dans un pro-cessus de co-Ă©laboration.

En affirmant que le projet commu-niste est sans cesse en construction,le PCF ne risque-t-il pas d’apparaĂźtreflou sur ses intentions et son projetde sociĂ©tĂ© ?Quelles seraient selon vous lesgrandes lignes du projet commu-niste du XXIe siĂšcle, le communismede nouvelle gĂ©nĂ©ration ?Je regroupe les deux questions en uneseule rĂ©ponse. Si nous en Ă©tions restĂ©s,au PCF, sur le projet communiste d’il y a30 ans, que dirions-nous aujourd’hui surles questions qui se posent actuellementsur la fin de vie, sur la vision de l’entreprisepar les jeunes gĂ©nĂ©rations, sur la diffĂ©-rence entre individualisme et individua-lisation
 et bien d’autres encore. Lemonde a changĂ©, les rapports avec lemonde Ă©galement, les fragmentations dela sociĂ©tĂ©, les dominations et les aliĂ©na-tions aussi, Ă  l’échelle de la mondialisa-tion.Quand nous parlons de communismede nouvelle gĂ©nĂ©ration et du commu-nisme du XXIe siĂšcle, nous avons Ă  ĂȘtredans une ambition refondatrice et sur-tout ouverte aux aspirations, aux expĂ©-riences novatrices – parfois isolĂ©es – pourtrouver les chemins d’une transforma-tion sociale pour un projet d’émancipa-tion humaine du XXIe siĂšcle.

« Avec cette convention, nous avonsfranchi une étape et apporté de nouvelles

réponses par exemple sur les questions dela démocratie, du rÎle de l'euro et sur le

chemin à prendre pour modifier lesrapports de forces en Europe. »

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Les membres duComité du projetque vous pouvezcontacter.(voir p.48)

NumĂ©ro spĂ©cial de La Revue du projet,« Refonder l’Europe »,disponible dans lesfĂ©dĂ©rations du PCF.

« À notre Ă©poque,il est essentiel de

faire vivre et detravailler le projet

communiste. »

Nous avons trois fils rouges pour ce pro-jet de transformation sociale :l l’émancipation de toutes les formes

d’exploitation et d’aliĂ©nation ;l la solidaritĂ©, la mise en commun et en

partage des moyens, des potentialitĂ©squi existent, du local au mondial pourlancer le chantier d’une nouvelle mon-dialitĂ© ;

l les conditions du libre dĂ©veloppementdes individualitĂ©s pour crĂ©er les condi-tions d’un vivre ensemble du local aumondial.

À notre Ă©poque, il est essentiel de fairevivre et de travailler le projet commu-niste. En effet, la crise que nous vivonsn’est pas seulement la crise du capita-lisme mais aussi une crise de civilisation.S’arrĂȘter de rĂ©flĂ©chir Ă  notre projet, auxrĂ©ponses de transformation sociale etrenoncer Ă  le faire vivre dans la sociĂ©tĂ©laisserait le champ libre Ă  ceux et cellesqui avancent depuis des annĂ©es et mar-quent des points avec pour projet celuide l’exploitation, de la mise en concur-rence, du profit, des inĂ©galitĂ©s...Je suis persuadĂ©e que la question du par-tage et de la mise en commun nĂ©cessairespour faire civilisation humaine, au sens devivre ensemble, a beaucoup plus depotentiels qu’on ne le croit. À nous, et Ă bien d’autres de crĂ©er les conditions deles faire Ă©merger dans un projet de trans-formation commun, collectif et populaire.C’est une belle ambition. Le comitĂ© duprojet, avec le PCF, veut y contribuer. n

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BRÈVES DE SECTEUR

Pas de modificationde la dĂ©mocratie sans dĂ©mocratie Le prĂ©sident de la RĂ©publique, dans le flot de son dis-cours libĂ©ral a de nouveau annoncĂ© un coup d'accĂ©-lĂ©rateur de la destruction de la dĂ©mocratie locale avecpour objectif la rĂ©duction de la dĂ©pense publique.Suppression d'un tiers des rĂ©gions et « digestion » desdĂ©partements par les mĂ©tropoles sont dĂ©sormais Ă©vo-quĂ©es comme de grands progrĂšs par les dirigeants duconseil de simplification et du gouvernement. En GrĂšce,au plus fort de la crise, c'est Ă  une rĂ©duction drastiquede la dĂ©mocratie que nous avons assistĂ© sous l'impul-sion de la troĂŻka, par le biais du programme Kallikratis(rĂ©duction du nombre de mairies de 2/3, passage de57 dĂ©partements Ă  13 rĂ©gions et compression des bud-gets des autoritĂ©s locales
). Pour les marchĂ©s finan-ciers, la dĂ©mocratie locale est un obstacle, une pertede temps, une dĂ©pense inutile. Les services publicslocaux assurant la rĂ©ponse aux besoins quotidiens etla solidaritĂ©, eux, sont devenus une cible pour conten-ter les appĂ©tits du MEDEF. La dĂ©centralisation est dĂ©sor -mais aux oubliettes avec la dĂ©mocratie locale, tandisque l'État se rĂ©organise autour de grands-duchĂ©s.Nos institutions sont en train de connaĂźtre des Ă©volu-tions radicales que les citoyennes et citoyens se voientimposer. Ces Ă©volutions Ă©loignent les Ă©lus des citoyens,orientent les choix politiques autour des dĂ©sirs desmarchĂ©s, rĂ©duisent les espaces d'intervention dĂ©mo-cratique. Il ne doit pas y avoir de modification de ladĂ©mocratie sans dĂ©mocratie et toute dĂ©cision doit ĂȘtreprise par les citoyennes et citoyens concernĂ©s eux-mĂȘmes. Nous appelons les citoyens et leurs Ă©lus Ă  s'Ă©le-ver contre ces atteintes Ă  la dĂ©mocratie et Ă  la souve-rainetĂ© populaire.

PIERRE DHARRÉVILLE

RÉPUBLIQUE, DÉMOCRATIE ET INSTITUTIONS

Mariage pour tous : une vĂ©ritableaspiration de la sociĂ©tĂ© Environ 7 000 mariages homosexuels ont Ă©tĂ© cĂ©lĂ©brĂ©sen 2013 en France, selon des chiffres de l'INSEE. Cesstatistiques montrent que l’adoption de la loi sur lemariage pour tous rĂ©pond Ă  une vĂ©ritable aspirationde la sociĂ©tĂ©.

Cette information donne raison Ă  tous ceux qui ontpris une part active au combat pour permettre Ă  tousles couples d’accĂ©der au mariage et Ă  l’adoption. LePCF est fier d’avoir participĂ© Ă  cette grande avancĂ©esociale. Les allĂ©gations des opposants au mariage pourtous qui prĂ©disaient l’apocalypse si la loi Ă©tait adop-tĂ©e n’en sont que plus ridicules.Il convient maintenant de poursuivre le combat pourl’égalitĂ© des droits en ouvrant la procrĂ©ation mĂ©dica-lement assistĂ©e (PMA) aux couples lesbiens sur les-quels continue de peser une insupportable discrimi-nation. Le PCF participera Ă  toutes les mobilisationsen ce sens.

IAN BROSSAT

LGBT

L'avortement est un droit Le Parti communiste français tient à souligner à nou-veau la gravité de la situation concernant le respectdes droits sexuels et reproductifs, dont l'IVG, en Franceet en Europe.

Nous nous opposons aux vellĂ©itĂ©s du gouvernementespagnol qui s'apprĂȘte Ă  adopter la lĂ©gislation la plusrĂ©trograde en matiĂšre de droit Ă  l'avortement depuisdes dĂ©cennies. Cette menace pour les femmesd'Espagne s'additionne Ă  des rĂ©gressions effectives enPologne et dans d'autres pays europĂ©ens. Le rejet durapport Estrela par le parlement europĂ©en en dĂ©cem-bre confirme ces dĂ©rives extrĂȘmement dangereusespour une Europe qui se prĂ©tend fondĂ©e sur le respectdes droits humains

Nous voulons une Europe qui garantisse le droit à lamaternité choisie. Nous serons en France, en Espagneet ailleurs en Europe, dans la rue pour rappeler quel'avortement est un droit pour toutes.

LAURENCE COHEN

DROITS DES FEMMES/FÉMINISME

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LA REVUE DU PROJET

CITOYENNES, CITOYENS... PARTICIPEZ !

CHAQUE MOIS UN THÈME QUI VOUS CONCERNEPOUR CONSTRUIRE ENSEMBLE UN PROJET D’ÉMANCIPATION HUMAINE

« BEAUCOUP METTENT DE L’ÉNERGIE À RÉSISTER, IL EN FAUTTOUT AUTANT QUI SE MÊLENT DU DÉBAT POLITIQUE ! »Pierre Laurent, secrĂ©taire national du PCF, a invitĂ© ainsi l’ensemble des forces sociales, syndicales, associa-tives, Ă  investir le dĂ©bat d'idĂ©es et Ă  participer Ă  la construction d'une vĂ©ritable alternative politique Ă  gauche.Nous voulons nous appuyer sur l’expĂ©rience professionnelle, citoyenne et sociale de chacune et chacun, en mettant Ă  contribu-tion toutes les intelligences et les compĂ©tences. La Revue du projet est un outil au service de cette ambition.Vous souhaitez apporter votre contribution ? Vous avez des idĂ©es, des suggestions, des critiques ? Vous voulez participer Ă  ungroupe de travail en partageant votre savoir et vos capacitĂ©s avec d'autres ?

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AUTORISATION DE PRÉLÈVEMENTJ’autorise l’Établissement teneur de mon compte Ă  prĂ©lever sur ce dernier, si sa situation lepermet, tous les prĂ©lĂšvements ordonnĂ©s par le crĂ©ancier ci-dessous. En cas de litige, sur unprĂ©lĂšvement, je pourrai en faire suspendre l’exĂ©cution par simple demande Ă  l’Établissementteneur de mon compte. Je rĂ©glerai le diffĂ©rend directement avec le crĂ©ancier. NOM ET ADRESSE DU CRÉANCIER

Association Paul-Langevin 6, avenue Mathurin-Moreau - 75 167 PARIS CEDEX 19

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La Revue du Projet - TĂ©l. : 01 40 40 12 34 - Directeur de publication : Patrice BessacRĂ©dacteur en chef : Guillaume Roubaud-Quashie ‱ SecrĂ©tariat de rĂ©daction : NoĂ«lle Mansoux ‱ ComitĂ© de rĂ©daction : Caroline Bardot,HĂ©lĂšne Bidard, Davy Castel, Igor Martinache, Nicolas Dutent, Amar Bellal, Marine Roussillon, CĂŽme Simien, Renaud Boissac, ÉtienneChosson, Alain Vermeersch, Corinne Luxembourg, LĂ©o Purguette, MichaĂ«l Orand, Pierre CrĂ©pel, Florian Gulli, Jean QuĂ©tier, SĂ©verineCharret, Vincent Bordas, Nina LĂ©ger, Franck Delorieux, Francis Combes ‱ Direction artistique et illustrations : FrĂ©do CoyĂšreMise en page : SĂ©bastien Thomassey ‱ ÉditĂ© par l’association Paul-Langevin (6, avenue Mathurin-Moreau 75 167 Paris Cedex 19)Imprimerie : Public Imprim (12, rue Pierre-Timbaud BP 553 69 637 VĂ©nissieux Cedex) ‱ DĂ©pĂŽt lĂ©gal : fĂ©vrier 2014 - N°34.

ISSN 2265-4585 - Numéro de commission paritaire : 1014 G 91533.

Les chiffres du dernier rapport rapport de l’ONG Oxfam sontĂ©loquents. Les 1 % les plus riches de la planĂšte dĂ©tiennent 50 %des richesses mondiales.

« PrĂšs de la moitiĂ© des richesses mondiales – revenus tels que lessalaires, les profits des entreprises, etc. – (46 %) sont dĂ©tenues parles 1 % les plus riches de notre planĂšte, selon le dernier rapport del’ONG Oxfam. Leur richesse s’élevait en 2012 Ă  110 000 milliards dedollars. Pour le dire autrement : les 85 plus grandes fortunes de laplanĂšte possĂšdent autant que 3,5 milliards de personnes, soit la moi-tiĂ© de la population mondiale. Dans 24 pays sur les 26 pour lesquelsles donnĂ©es sont disponibles, la part des revenus des 1 % les plusriches a augmentĂ© depuis 1980, et ce, malgrĂ© la crise financiĂšre de2008. Aux États-Unis, les 1 % les plus riches ont captĂ© 95 % de la crois-sance entre 2009 et 2012 tandis que les 90 % les moins riches sesont appauvris, leur revenu annuel moyen passant de 31 166 dollarsen 2009 Ă  30 439 dollars en 2012. Depuis 1980, la part de revenusdes 1 % les plus fortunĂ©s a mĂȘme doublĂ©, comme en Chine ou auPortugal. En Europe, les pays scandinaves, considĂ©rĂ©s comme lesplus Ă©galitaires, ont vu la part des revenus allant aux 1 % les plus richesaugmenter de plus de 50 %. Par exemple en NorvĂšge, le revenu annuelmoyen des 1 % les plus riches est passĂ© de 87 912 euros en 1980 Ă 280 177 euros en 2008. Au Danemark, il est passĂ© de 66 922 eurosĂ  189 769 euros sur la mĂȘme pĂ©riode.Le rapport note aussi que 10 % de la population mondiale dĂ©tient 86% du « patrimoine mondial » alors que les 70 % les plus pauvres (plusde 3 milliards d’adultes) n’en dĂ©tiennent que 3 %. Cet accroissementdes inĂ©galitĂ©s de richesses a notamment pour consĂ©quences derĂ©duire l’accĂšs de tous Ă  l’éducation et aux soins, pourtant moteursdu dĂ©veloppement des pays. Enfin, le sentiment d’injustice socialemet en pĂ©ril la cohĂ©sion sociale, indiquent les auteurs. » . Observatoiredes inĂ©galitĂ©s, janvier 2014.

N.M.

LA CRISE PROFITE AUX PLUS RICHES

ComplĂštement d'accord sur larĂ©forme des institutions et le rĂ©Ă©qui-librage des pouvoirs. Au sujet du sta-tut de l'Ă©lu il me semble qu'il faudrait,peut ĂȘtre, Ă©largir le propos au « statutde l'engagement ». L'Ă©lu doit pouvoirtrouver facilement des possibilitĂ©s dereconversion (ce qui en partie rĂ©sou-drait le problĂšme de la « carriĂ©risa-tion ») et envisager sereinement samandature sur le moyen et le longterme. Mais il faut aussi pour promou-voir la dĂ©mocratie de proximitĂ© pren-dre des mesures urgentes de soutiendes associations et des bĂ©nĂ©voles...

M.B.

UN STATUT DEL’ENGAGEMENT

Tout ce qui amoindrit ce Michel Onfrayest bon à prendre. Pour ce que j'en ailu et vu, il ne s'agit que d'un pseudo-maßtre à penser, qui se goberge dequelques pouvoirs fascinant quelquesconvaincus. Et comme de fasciner àfasciser il y a peu... ça marche au pasde l'oie de sinistre mémoire. Merci pourcet article.

J.Y.M.

À PROPOS DEMICHEL ONFRAY

REVUE DU PROJET

ÇA TOURNE !

La Revue du projet innove et vous propose dĂ©sormais chaque mois un entretien vidĂ©o avec un dirigeant com-muniste, un intellectuel progressiste ou un syndicaliste, mis en ligne sur le site http://projet.pcf.fr/L’objectif est d’approfondir un sujet tout en faisant tomber la barriĂšre de l'Ă©crit.Ce mois-ci, rendez-vous sur le thĂšme du coĂ»t du capital avec FRÉDÉRIC BOCCARA, Ă©conomiste, mem-bre de la commission Ă©conomique du PCF et du collectif d'animation de la revue Économie&Politique. Il est signataire du manifeste des Ă©conomistes atterrĂ©s.Retrouvez Ă©galement l'entretien du mois dernier, sur le thĂšme « dessine-moi une ville humaine » avec PAULCHEMETOV, grand prix national d’architecture et coprĂ©sident du comitĂ© scientifique du Grand Paris.

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Ă©lection, l’étĂ© dernier, Ă  ladirection du MEDEF de PierreGattaz, fils d’Yvon (le papa futprĂ©sident du CNPF sousMitterrand), a donnĂ© lieu Ă  unesĂ©rie de commentaires

convergents, on pourrait presque par-ler « d’élĂ©ments de langage Â», commes’il s’agissait de messages concoctĂ©s pardes agences de « comm’ Â». Que nousrĂ©pĂ©tait-on avec mĂ©thode ? Que cettecampagne Ă©lectorale fut un modĂšle de« dĂ©mocratie Â» patronale oĂč l’on a choisiun patron « normal Â», pur « industriel Â»et surtout un patron de « combat Â».Reprenons chacun de ces thĂšmes.

UNE DÉMOCRATIEPATRONALE ? Le renouvellement de la direction duMEDEF a donnĂ© lieu Ă  une Ă©tonnantecomĂ©die dĂ©mocratique : divers candi-dats en effet ont couru les mĂ©dia, fait untour de France, motivĂ©, dit-on, les700 000 membres de l’organisation. Ilsont fait comme si
 mais c’était surtoutpour la galerie car en fait l’industriellambda ne votait pas, il Ă©tait « encadrĂ© Â»par des territoires ou des fĂ©dĂ©rations quivotaient Ă  sa place. Il n’y a au MEDEF que561 grands Ă©lecteurs, trĂšs exactement.Et le plus souvent, ils suivent un premiervote fourni par le conseil exĂ©cutif de l’or-ganisation, lequel comprend 45 mem-

Gattaz, le laboureuret le CAC 40Le Mouvement des entreprises de France (MEDEF) a changé de patron en2013. Un nouveau chef a rallié les suffrages (façon de parler, on va le voir) surune posture de « patron moyen » et d'homme « de combat ». Ce renouvel-lement a donné lieu à une littérature sur laquelle il n'est pas inutile de reve-nir. Comment Gattaz est-il devenu roi ?

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bres. Pour Gattaz, le conseil s’est par-tagĂ© en deux moitiĂ©s Ă  peu prĂšs Ă©gales.Bref Ă  l’arrivĂ©e, ce n’est pas 700 000patrons qui ont dĂ©cidĂ©, ni 561 grandsĂ©lecteurs, ni mĂȘme 42 membres duconseil exĂ©cutif mais Ă  peine une dizaine

de cadors, plutĂŽt parisiens, qui ont faitpencher la balance. Gattaz est l’enfantd’un compromis rĂ©alisĂ© dans le premiercercle de pouvoir.

GATTAZ, UN PATRON« NORMAL Â»Ici, on peut faire le lien avec le deuxiĂšmethĂšme rĂ©current : Gattaz serait un patron« normal Â». L’image qui a Ă©tĂ© vendue delui est celle d’un entrepreneur « moyen Â»,un homme de province, un personnagebien moins voyant (et chatoyant) queles marquis du CAC 40. Le Figaro s’estmĂȘme laissĂ© aller Ă  imaginer un combatde titans entre un patronat de la jet-setet le patron « laboureur Â» que reprĂ©sen-tait Gattaz. « Il existe des patrons labou-reurs, Ă©crivait ce quotidien, qui creusentchaque jour leur sillon, Pierre Gattaz est

l’un des leurs. Cet ingĂ©nieur en tĂ©lĂ©com-munications qui dirige depuis vingt ansl’entreprise familiale Radiall, fondĂ©e en1952, est Ă  l’image de ces dizaines de mil-liers de patrons de PME et de grossesentreprises familiales passionnĂ©s par les

produits qui sortent de leurs usines. Â»Cette image pieuse, Gattaz l’entretient.DĂ©mago Ă  ses heures, il aime, dans sonlivre Le printemps des magiciens parexemple, fustiger « les personnalitĂ©s Ă©co-nomiques, les membres des cerclespatronaux, les syndicalistes, les hommesde la droite libĂ©rale, les intellectuels dela gauche maoĂŻste ou trotskiste qui n’ontjamais croisĂ© un ouvrier de leur vie, niparlĂ© Ă  un ingĂ©nieur ni visitĂ© une usine. Â»Dans la foulĂ©e, on ajouta que Gattaz Ă©taitun pur industriel. On valorisa son statut(« la passion de l’industrie l’habite Â» tou-jours selon Le Figaro) et sa rhĂ©toriquesur le « retour Â» de l’industrie française.On mettait ainsi en sourdine la dĂ©marchepatronale de financiarisation de l’éco-nomie. Ce discours, bien dans l’air dutemps, et faisant Ă©cho aux mignardises

« La base patronale actuelle se comporteen troupes de choc du libéralisme, portées

par une idĂ©ologie revancharde, thĂ©orisant leprincipe d’inĂ©galitĂ©, nourrissant une

dĂ©testation des « assistĂ©s Â», desfonctionnaires, des impĂŽts, de l’État. »

PAR GÉRARD STREIFF

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de Montebourg, plut aux patrons« petits Â» et « moyens Â», agacĂ©s par lesnobliaux de la Bourse et leurs machinsmondialisĂ©s
 Mais ces propos sont lĂ©gĂš-rement abusifs car comment oublier quece sont « les membres des cercles patro-naux Â» parisiens qui, en derniĂšre instance,ont fait roi Gattaz. S’il a Ă©tĂ© Ă©lu, c’est grĂąceau soutien des secteurs de la banque etde l’assurance, venus renforcer le mondede la mĂ©tallurgie (UIMM) et du bĂątimentet des travaux publics (BTP). D’ailleurs(voir extrait ci-dessous), ce sont ces« cercles patronaux-lĂ  Â» qui sont prĂ©-sents Ă  tous les postes clĂ©s de son orga-nigramme et non les patrons « moyens Â».

UN PATRON DE « COMBAT Â» ? Ici encore, Gattaz a eu le nez fin. La basepatronale du MEDEF s’est radicalisĂ©e.Certes le MEDEF de Parisot fut lui ausside tous les combats rĂ©gressifs, antiso-ciaux. Mais les maniĂšres de Parisot, sesarrangements de salon, ses universitĂ©sd’étĂ© aux ordres du jour tarabiscotĂ©s necorrespondaient plus tout Ă  fait Ă  unevĂ©ritable hargne de classe qui traversele patronat. La base patronale actuellese comporte en troupes de choc du libĂ©-ralisme, portĂ©es par une idĂ©ologie revan-charde, thĂ©orisant le principe d’inĂ©ga-litĂ©, nourrissant une dĂ©testation des« assistĂ©s Â», des fonctionnaires, desimpĂŽts, de l’État. Gattaz a surfĂ© sur – etalimentĂ© – cette surenchĂšre (Ă©galemententretenue par des syndicats patronauxrivaux comme la ConfĂ©dĂ©ration gĂ©nĂ©-rale des petites et moyennes entreprises(CGPME), toujours prĂȘts Ă  disputer lareprĂ©sentativitĂ© du MEDEF). C’est cette« base Â» que l’on a retrouvĂ©e, dĂ©chaĂźnĂ©e,le 8 octobre dernier lors d’un meetingdu MEDEF Ă  Lyon, 2  000 patrons« remontĂ©s comme des pendules Â» Â»(dixit Le Monde), qui fustigeaient « unesphĂšre publique dĂ©mentielle Â», « un coĂ»tdu travail insupportable Â», « des rĂ©gle-mentations inutiles Â». « Il faut en finir avecle Code du travail et ses 3 000 pages Â»lança le responsable local du MEDEF.« Nous nous battrons dans la rue s’il le

faut pour dĂ©fendre notre libertĂ© d’en-treprendre Â» dit-on encore. C’est elle quiĂ©tait en grande partie Ă  la manƓuvre enBretagne.

Ce discours agressif n’est pas forcĂ©mentcelui des princes du CAC 40. Eux aussien veulent toujours plus mais ils se trou-vent dans une situation de quasi-coges-tion du pouvoir, avec la haute adminis-tration et les cabinets ministĂ©riels,squattant les 1001 organismes « pari-taires Â» oĂč se prennent les grandes dĂ©ci-

sions, comme l’accord national interpro-fessionnel (ANI) par exemple. Des orga-nismes dont la « base Â» patronale, demaniĂšre gĂ©nĂ©rale, ne connaĂźt mĂȘme pasl’existence. Les maĂźtres de ces puissantesfĂ©dĂ©rations patronales sont les parte-naires privilĂ©giĂ©s des pouvoirs publics,ils disposent d’une ample bureaucratie,ils sont les interlocuteurs qui comptent,trĂšs jaloux de leurs prĂ©rogatives, commela mĂ©tallurgie (UIMM), soucieuse deconserver la commission sociale, c’est-Ă -dire la gestion directe des nĂ©gocia-tions sur l’emploi et les retraites. Fruitd’un compromis, Gattaz est portĂ© parcette caste quasi-mondaine, ouverte aucompromis social libĂ©ral et dans le mĂȘmetemps il parle « pour les laboureurs Â»,plus ordinaires. Un marquis avec un bon-net rouge, en quelque sorte. n

LES HUIT PÔLES DE GATTAZLe nouvel organigramme du MEDEF se compose de huit pĂŽles distinctsd’importance inĂ©gale. Le premier, dirigĂ© par Geoffroy Roux de BĂ©zieux(vice-prĂ©sident dĂ©lĂ©guĂ© et trĂ©sorier) reprend le pĂ©rimĂštre de la commis-sion Ă©conomique prĂ©sidĂ©e dans les annĂ©es 1990 par un autre libĂ©ral, DenisKessler. Elle couvre les questions d’économie, de fiscalitĂ©, de compĂ©titi-vitĂ©, de consommation, de dĂ©veloppement durable et d’innovation.La deuxiĂšme pile est dĂ©diĂ©e au social (droit du travail, retraites, santĂ©,marchĂ© du travail
) sur les contours cette fois-ci de la commission socialedirigĂ©e du temps du CNPF par Denis Gautier-Sauvagnac, l’ex-homme fortde la mĂ©tallurgie. Elle est placĂ©e sous la houlette de son successeur Ă l’UIMM Jean-François Pillard, nommĂ© en binĂŽme avec un assureur, ClaudeTendil, le PDG de Generali, un proche de Denis Kessler. Patrick Bernasconi,le patron de la FĂ©dĂ©ration des travaux publics, ralliĂ© Ă  Gattaz, a le titre device-prĂ©sident dĂ©lĂ©guĂ© et supervise le rĂ©seau et les MEDEF territoriaux.Quant Ă  Jean-Claude Volot, l’ex mĂ©diateur interentreprises qui a trĂšs tĂŽtsoutenu Gattaz, il s’occupe des questions d’export, dissociĂ©s du reste dessujets d’économie internationale (B20...) regroupĂ©s dans un pĂŽle Ă  part.Thibault Lanxade, petit candidat ralliĂ© lui aussi trĂšs tĂŽt Ă  Gattaz, est rĂ©com-pensĂ© en prenant les commandes d’un ensemble dĂ©diĂ© aux PME et Ă  l’en-trepreneuriat. Autre nouveautĂ© : la constitution d’un pĂŽle sur la sphĂšrepublique - « la baisse des dĂ©penses de l’État Â» dĂ©crypte un membre del’équipe – placĂ© sous la direction de l’ex-ministre dĂ©lĂ©guĂ©e Ă  l’Emploi d’AlainJuppĂ©, Anne-Marie Couderc, aujourd’hui PDG de Presstalis. Les servicesn’ont pas Ă©tĂ© oubliĂ©s puisque la direction du huitiĂšme ensemble revientĂ  Jean-Pierre Letartre, patron d’Ernst&Young. L’actuel prĂ©sident duGroupement des professions de service (GPS) s’occupe de la prospectiveet anime la rĂ©flexion du MEDEF sur la « France 2020 Â».

D'aprùs le Figaro/Économie, 3 juillet 2013

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ans les biographies deGeorges Politzer on oublietrop souvent qu’une trĂšsgrande partie de sa vie a Ă©tĂ©consacrĂ©e Ă  son travail deprofesseur de philosophie :

ce fut pourtant sa « premiĂšre vie Â». DĂšsson arrivĂ©e en France pendant l’étĂ© 1921 – il a alors 18 ans – le jeune Hongroisfait valider son examen de fin d’études ets’inscrit Ă  la Sorbonne pour y poursuivredes Ă©tudes supĂ©rieures de philosophie.Il aura pour maĂźtres LĂ©on Brunschvicg,AndrĂ© Lalande, Georges Dumas, entreautres, c’est-Ă -dire les reprĂ©sentants dumouvement rationaliste fortement teintĂ©d’idĂ©alisme de l’universitĂ© française.Mouvement fondamentalement opposĂ©Ă  la pensĂ©e de Bergson et au bergsonismealors rĂ©gnant dans la culture de l’époque.C’est aprĂšs avoir suivi les cours deBrunschvicg qu’il soutiendra un mĂ©moirede diplĂŽme d’études supĂ©rieures sur lerĂŽle de l’imagination chez Kant et qu’ilĂ©crira ses premiers articles prĂ©cisĂ©mentsur Brunschvicg, Nabert, etc. En 1926, cinqans aprĂšs son arrivĂ©e en France, il est reçuĂ  l’agrĂ©gation de philosophie en mĂȘmetemps que Vladimir JankĂ©lĂ©vitch etGeorges Friedmann.

UN ENSEIGNEMENT OUVERTNous laissons de cĂŽtĂ© pour l’instant sesĂ©crits sur Freud et son immense intĂ©rĂȘtpour la psychanalyse et la psychologie,soulignons que sa vie fut en premier lieucelle d’un enseignant. D’abord nommĂ© aulycĂ©e de Moulins, puis Ă  celui de Cherbourg,

Les trois vies deGeorges Politzer

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ELLe communisme n'est pour nous ni un Ă©tat qui doit ĂȘtre crĂ©Ă©, ni un idĂ©al sur lequel la rĂ©alitĂ© devra se rĂ©gler.

Nous appelons communisme le mouvement réel qui abolit l'état actuel. Les conditions de ce mouvementrésultent des prémisses actuellement existantes. » Karl Marx, Friedrich Engels - L'Idéologie allemande.

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Ă  VendĂŽme ensuite, il enseignera prĂšs dedix ans Ă  Dreux et sera finalement nommĂ©au lycĂ©e Marcelin-Berthelot de Saint-MaurĂ  la rentrĂ©e 1939 : le temps de saluer sesĂ©lĂšves, puisqu’il sera appelĂ© sous les dra-peaux dans le courant du mois d’octobreet qu’il ne rejoindra jamais son poste aprĂšsla dĂ©faite de 1940. Il entre Ă  partir de cemoment dans la clandestinitĂ© avec sonĂ©pouse MaĂŻ et quelques autres camarades,Jacques Solomon et son Ă©pouse, JacquesDecour, et plus tard DaniĂšle Casanova, etc.

J’insiste sur sa vie de professeur, dont nousavons quelques tĂ©moignages, aussi biende la part de certains de ses collĂšgues quede ses Ă©lĂšves : enthousiaste, plutĂŽt gai, ilavait aussi des colĂšres qui exprimaientautant son engagement rationaliste contretoutes formes de « mythologies Â» que sespassions partisanes. AssurĂ©ment sonenseignement ne fut ni neutre ni inodoreet sans saveur : assez dogmatique sur laforme, il Ă©tait tout de mĂȘme trĂšs ouvertpuisque ce qui caractĂ©rise la philosophieselon sa pensĂ©e, c’est la remise en ques-tion de tout ce qui jusque-lĂ  a Ă©tĂ© tenupour des vĂ©ritĂ©s intangibles et sacrĂ©es.Rien de sacrĂ© pour un philosophe, pasmĂȘme la philosophie ! Comment pourrait-il en ĂȘtre autrement, puisque la philoso-phie, dans notre systĂšme d’enseignement,a Ă©tĂ© conçue comme une Ă©cole de l’ap-prentissage du jugement, de la libertĂ© depenser  ? De plus, en «  fidĂšle  » deBrunschvicg, il enseigne – et il ne cesserade le faire jusque dans ses derniers arti-cles publiĂ©s dans la revue de Paul Langevin,

La PensĂ©e – que la pensĂ©e philosophiquese nourrit du progrĂšs de la science et qu’elledoit donc ĂȘtre en permanence attentiveaux avancĂ©es de celle-ci, et dans tous lesdomaines, les sciences exactes et lessciences humaines qui sont encore bal-butiantes. La philosophie ne se nourrit pasque d’elle-mĂȘme, elle pense avec sontemps, parfois contre lui, contre l’idĂ©olo-gie – Politzer dit la mythologie – qui rĂšgnedans un systĂšme d’exploitation de l’hommepar l’homme qui exige prĂ©cisĂ©ment le

maniement de l’illusion, du mensonge,autant de formes de violence exercĂ©escontre les individus.

LA PHILOSOPHIE ESTLIBÉRATION L’enseignement de la philosophie auraune valeur purgative et cathartique : com-battre les fausses idĂ©es et libĂ©rer la pen-sĂ©e, afin que les hommes, les jeunes genset les jeunes filles d’abord Ă  qui l’ensei-gnant s’adresse, apprennent Ă  penser jus-tement par eux-mĂȘmes. Enseigner la phi-losophie, aux yeux de Politzer, c’estparticiper Ă  l’émancipation de ceux quiauront Ă  combattre pour gagner leur vie.En tous les sens de cette derniĂšre expres-sion. Politzer fait souvent allusion Ă  Socrate,non Ă  un penseur dont le systĂšme Ă©claireet explique tout, mais Ă  un penseur quiinvite ses auditeurs Ă  penser Ă  leur tourpar eux-mĂȘmes en sachant questionnersur ce qui est essentiel dans ce qui estrecherchĂ© : un libĂ©rateur. La philosophieest libĂ©ration : de l’autoritĂ©, de la croyance,

« Enseigner la philosophie, aux yeux de Politzer, c’est participer Ă l’émancipation de ceux qui auront Ă 

combattre pour gagner leur vie. »

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Georges Politzer fut durant sa trop brĂšve existence (1903-1942) : un profes-seur de philosophie, un Ă©crivain, auteur de deux livres retentissants, un mili-tant, fidĂšle jusqu’à la mort dans son engagement au sein du Parti commu-niste français.

PAR ROGER BRUYERON*

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du pouvoir, etc. au nom prĂ©cisĂ©ment dela raison, c’est-Ă -dire de l’exigence d’uni-versalitĂ© ou de vĂ©ritĂ©. Sinon elle ne vautpas une heure de peine. « Les philosophesseront, de nouveau, amis de la vĂ©ritĂ©, maispar lĂ  mĂȘme ennemis des dieux, enne-mis de l’État et corrupteurs de la jeu-nesse Â», Ă©crit-il en 1925, Ă  l’aube de sonentrĂ©e en fonction dans ce mĂ©tier qu’il aaimĂ© et honorĂ©. « Corrompre la jeunesse Â»,il faut s’entendre : il faut la libĂ©rer du poidsde l’idĂ©ologie familiale et sociale, redon-ner aux jeunes Ă©lĂšves le goĂ»t de disposerlibrement d’eux-mĂȘmes, et leur insuffler,s’il se peut, la force d’assumer leur indĂ©-pendance, leur fiertĂ© et leur responsabi-litĂ©. En gros, ce que disait Socrate Ă  sesauditeurs : soyez vivants, pensez et agis-sez par vous-mĂȘmes sans vos maĂźtres,sachez rĂ©pondre de vous-mĂȘmes ! CettederniĂšre formule est celle qui exprime lemieux ce que nous appelons les LumiĂšres,ce mouvement de pensĂ©e qui prend nais-sance au milieu du XVIIIe siĂšcle et dont serĂ©clamera Georges Politzer. Le principeen est : aie l’audace de penser par toi-mĂȘme ! La philosophie qu’il enseigneprend sa source dans Socrate et Platon,mais aussi dans Descartes et la pensĂ©edes LumiĂšres, celle de d’Alembert, deDiderot, de Maupertuis, d’Holbach etd’HelvĂ©tius, c’est-Ă -dire du matĂ©rialismefrançais. TrĂšs rapidement l’enseignementde Georges Politzer va rejoindre sa pro-pre Ă©volution philosophique et son enga-gement au sein de la classe ouvriĂšre.

UN DÉSIR DE REFONDER LAPSYCHOLOGIEPour comprendre cela, il faut revenir unpeu en arriĂšre. « DeuxiĂšme vie Â» : Ă  cĂŽtĂ©de son mĂ©tier de professeur, Politzer futaussi un auteur dont au moins deux publi-cations firent un bruit qu’on entend encore.TrĂšs tĂŽt il publia des articles dans de jeunesrevues – Philosophies, puis L’Esprit – maisc’est surtout avec son premier livre, Critiquedes fondements de la psychologie, qu’il vadevenir justement cĂ©lĂšbre. C’est en effetdans cet ouvrage que pour la premiĂšre foisen France un philosophe de formation,connaissant bien l’allemand, prĂ©sente etexamine de maniĂšre critique l’Ɠuvre deFreud, c’est-Ă -dire la psychanalyse. Certesle nom de Freud est alors connu etquelques-unes de ses Ɠuvres sont tra-duites en français lorsqu’en 1928 paraĂźtl’ouvrage de ce jeune philosophe, mais cesont quelques mĂ©decins (Angelo Hesnard,Emmanuel RĂ©gis
) et quelques Ă©crivains(Jules Romains) qui en ont parlĂ©, non desphilosophes. Plus prĂ©cisĂ©ment les philo-sophes qui s’intĂ©ressent Ă  la psychologie,cette discipline Ă©tant alors enseignĂ©e dansle cadre de la licence de philosophie,auraient dĂ» ĂȘtre attentifs Ă  ce qui se passeĂ  Vienne. Or ils l’ont ignorĂ©. Ce sera l’origi-nalitĂ© de Politzer, animĂ© du dĂ©sir de refon-der la psychologie qu’il juge formelle et

abstraite, traitant de fonctions et non del’homme concret vivant son existence defaçon plus ou moins difficile – son dramedira-t-il –, de faire connaĂźtre la pensĂ©e deFreud. Il souhaite en effet construire unepsychologie concrĂšte, rendant comptede la vie rĂ©elle des individus, de leurs souf-frances, de leurs espoirs, un homme quitravaille et non un muscle qui se contracte,etc. Or la dĂ©marche de Freud lui semble Ă ce sujet tout Ă  fait exemplaire : Politzer futun dĂ©fenseur enthousiaste de cettemĂ©thode qui consiste essentiellement Ă Ă©couter ce que le malade, plus largementle patient, donc notre semblable, a Ă  dire.Car le drame humain passe, s’exprime, serĂ©vĂšle et finalement s’assume dans le rĂ©citque l’individu fait de sa vie. MĂȘme si ce rĂ©citest lacunaire, obscur et mystificateur. LamĂ©thode de Freud est, aux yeux mĂȘmesde Politzer Ă  ce moment-lĂ , proprementrĂ©volutionnaire : elle consiste Ă  se mettreĂ  l’écoute de ce qui se dit rĂ©ellement, dece que tel individu dit de sa vie, de sa souf-

france Ă  partir de ses rĂȘves, de ses actesmanquĂ©s, de ses symptĂŽmes. Ce quijusqu’ici avait Ă©tĂ© totalement ignorĂ©, voiremĂ©prisĂ©. La psychanalyse a inventĂ© lamĂ©thode la plus concrĂšte pour entrer dansune relation nouvelle avec autrui, faite deconnaissance et de reconnaissance, per-mettant Ă  chacun de se mieux compren-dre ou/et de se mieux assumer, avec l’aided’autrui grĂące au langage qui est le proprede l’humain. Freud est un libĂ©rateur, il per-met de combattre la mythologie des psy-chologues qui parlent de perception, demĂ©moire, etc. et non de l’individu qui, danstelles circonstances, perçoit ceci, se sou-vient de cela, rĂȘve, imagine, souffre et jouit.De l’individu qui apprend, qui travaille, quihabite, qui dĂ©sire, qui aime ou qui dĂ©ses-pĂšre, bref de l’individu vivant, dans desconditions physiques, psycho-sexuelles,sociales, Ă©conomiques donnĂ©es. Dans unmonde qui est plus historique que natu-rel. La vraie psychologie sera concrĂšte oune sera pas.

LA VÉRITÉ DE L’HOMME ESTDANS SON ACTIONMais Freud lui-mĂȘme trahit son inspirationpremiĂšre, toujours selon Politzer, lorsqu’ilrĂ©introduit, dans ses explications thĂ©o-riques, dans sa thĂ©orie, sa doctrine, la psychologie acadĂ©mique qu’on croyaitdĂ©finitivement chassĂ©e grĂące Ă  lui prĂ©ci -

sĂ©ment. La thĂ©orie de l’inconscient, del’appareil psychique, la thĂ©orie des pul-sions aussi bien, tout ceci dĂ©possĂšde fina-lement l’individu de sa propre vie : une viequi se fait en lui mais sans lui, indĂ©pendam-ment de lui, contre lui
 Cela, Politzer lerefuse : il n’admettra jamais que l’individupuisse ĂȘtre dĂ©possĂ©dĂ© de son existence,qu’on parle de lui comme s’il Ă©tait le sim-ple jouet de forces impersonnelles, abs-traites et sans rapport avec sa singularitĂ©,son unicitĂ©, c’est-Ă -dire sa libertĂ©. Cet ĂȘtrequi parle est un ĂȘtre libre, volontĂ© etconscience de lui-mĂȘme : parler d’incons-cient, ou de conscience mystifiĂ©e commele feront, quelques annĂ©es plus tard sesanciens amis Henri Lefebvre et NorbertGuterman ou les tenants du freudo-marxisme, c’est retirer Ă  l’homme toutepossibilitĂ© de reprendre sa vie en main, dese rĂ©volter, de changer radicalement savie. Par exemple sa condition d’ouvrier,plus largement de travailleur. C’est en fairel’instrument de processus qui le dĂ©pas-

sent, le dĂ©shumaniser. Comment alors« transformer le monde Â» et non pas seu-lement « l’interprĂ©ter Â» comme le soute-nait le jeune Marx dans la onziĂšme desThĂšse sur Feuerbach si l’individu est inca-pable de rĂ©flĂ©chir son existence, seul maisplus certainement avec autrui ? S’ouvrealors, avec Politzer, une critique vigoureusede la psychanalyse, du moins de certainsde ses aspects, qui ne finira qu’avec sa vie,mais que reprendront ses successeurs,Sartre, Merleau-Ponty, ou Ă  laquelle serontsensibles Lacan ou Canguilhem. Parado -xalement, le texte philosophique françaisqui fait le premier l’éloge de Freud, est aussicelui qui en prĂ©sente la critique la plus radi-cale ! Et la plus fĂ©conde puisqu’elle conduiracertains psychanalystes Ă  rĂ©Ă©valuer lechamp et la fonction de la parole et du lan-gage dans la situation analytique. Mais cettecritique vaut aussi pour l’ensemble dessciences humaines qui se refusent Ă  pren-dre en considĂ©ration ce que les hommesfont de ce que l’on veut faire d’eux. La vĂ©ritĂ©de l’homme est dans son action – dansson agir – ce qui suppose une inaliĂ©nablelibertĂ©. n

« Politzer n’admettra jamais que l’individupuisse ĂȘtre dĂ©possĂ©dĂ© de son existence,

qu’on parle de lui comme s’il Ă©tait le simplejouet de forces impersonnelles, abstraites

et sans rapport avec sa singularitĂ©, sonunicitĂ©, c’est-Ă -dire sa libertĂ©. »

Suite de l’article dans le prochainnumĂ©ro.*Roger Bruyeron est professeur dephilosophie en PremiĂšre supĂ©rieureau lycĂ©e Condorcet Ă  Paris.

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es historiens mĂ©diĂ©vistes sontrĂ©guliĂšrement confrontĂ©s aufossĂ© qui existe encoreaujourd’hui entre des reprĂ©sen-tations populaires ancrĂ©es dansdes fantasmes anciens et les

acquis de la recherche ; le servage mĂ©diĂ©-val en est un bel exemple. Le stĂ©rĂ©otypedu pauvre serf mĂ©diĂ©val, attachĂ© Ă  laterre qu’il cultive sans espoir de s’échap-per, Ă©crasĂ© de charges et d’obligationsinfamantes et vexatoires, est des plustenaces. Une Ă©tude minutieuse desconsĂ©quences du statut servile sur lequotidien des paysans montre pourtantune situation plus nuancĂ©e : constitutifde la seigneurie, le servage constitueaussi un des rouages de la sociĂ©tĂ© mĂ©diĂ©-vale. C’est peut-ĂȘtre ce qui peut expli-quer le paradoxe apparent de la taciteacceptation par les paysans dĂ©pendantsd’une situation et d’un statut Ă  l’intĂ©rieurduquel ils peuvent Ɠuvrer, seul ou col-lectivement, pour en tirer avantage.Cette image archĂ©typale rĂ©sulte notam-ment de la condamnation aux XVIIIe etXIXe siĂšcle d’un systĂšme fĂ©odal conçucomme violent et primitif, une Ă©tape sau-vage dont il faudrait se dĂ©faire pour attein-dre un niveau de civilisation Ă©voluĂ©. LasociĂ©tĂ© mĂ©diĂ©vale, et particuliĂšrement lasociĂ©tĂ© rurale, est alors analysĂ©e en termesde conflits et d’oppositions, prĂ©sentĂ©ecomme une sociĂ©tĂ© violente, dominĂ©epar des rapports de forces, comme si tousles seigneurs Ă©taient riches et puissantset tous les paysans pauvres et misĂ©ra-bles. Ce qui a parfois conduit les histo-riens, y compris les plus pertinents d’en-tre eux, Ă  parler « d’anarchie fĂ©odale Â», de«  terrorisme seigneurial  » (Pierre

Servage et sociĂ©tĂ©au Moyen Âge Si les sources nous apprennent que les rapports de forces entre paysans et sei-gneurs pouvaient parfois ĂȘtre violents et au dĂ©triment des premiers, elles nousmontrent aussi souvent l'adhĂ©sion de ceux-ci Ă  l'ordre Ă©conomique, politiqueet social de la seigneurie fĂ©odale : le statut servile n'Ă©tait pas forcĂ©ment Ă  l'ori-gine des inĂ©galitĂ©s et l'objet de contestations.

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Bonnassie), « d’encellulement Â» (RobertFossier) pour dĂ©crire cette sociĂ©tĂ©.

UN STATUT, DES SERVAGESLe servage reprĂ©sente un fait mĂ©diĂ©valcomplexe que les mĂ©diĂ©vistes ont encoredu mal Ă  apprĂ©hender, dĂ©routĂ©s par l’in-finie variĂ©tĂ© des situations particuliĂšres.Il a longtemps Ă©tĂ© prĂ©sentĂ© comme la sur-vivance archaĂŻque d’un Ă©tat fĂ©odal ancienqui, aprĂšs les campagnes d’affranchisse-ments des XIIe et XIIIe siĂšcles, ne pĂšseraitplus que sur les franges infĂ©rieures de lapaysannerie, trop pauvres pour pouvoir

racheter leur libertĂ©. Pourtant le servageconstitue un Ă©lĂ©ment incontournable dela sociĂ©tĂ© mĂ©diĂ©vale, d’autant plus diffi-cile Ă  caractĂ©riser qu’il existe en rĂ©alitĂ©presque autant de modalitĂ©s diffĂ©rentesdu servage que de seigneuries serviles,rendues difficilement repĂ©rables du faitde l’immense variĂ©tĂ© des termes utilisĂ©spour dĂ©nommer les serfs. Au-delĂ  de sesvariations locales ou conjoncturelles, leservage est bien prĂ©sent dans les sociĂ©-tĂ©s europĂ©ennes tout au long du millĂ©-naire mĂ©diĂ©val et mĂȘme au-delĂ .Cette pluralitĂ© des formes, des situationset des dĂ©nominations s’oppose radica-lement Ă  la stricte bipolarisation sociale

thĂ©orisĂ©e par les juristes du Moyen Âge,qui insistent sur le caractĂšre absolu de laservitude : « tous les hommes sont soitlibres, soit serfs Â», reprenant un adage issudu droit romain. Distinction radicale, quimarque bien le caractĂšre particulier duservage : il s’agit d’un statut Ă  part entiĂšre,qui semble cependant mal adaptĂ© auxnuances de la diversitĂ© sociale mĂ©diĂ©vale.Marc Bloch le premier insistait sur ce point :le servage constitue une rĂ©alitĂ© stricte-ment et authentiquement mĂ©diĂ©vale, quin’est assimilable Ă  aucune autre forme deservitude. L’emploi continu du terme latinde servus (« esclave Â» en latin classique)vient dissimuler une rupture fondamen-tale : Ă  la diffĂ©rence de l’esclave, le serfmĂ©diĂ©val, membre Ă  part entiĂšre du corpssocial, s’inscrit dans une communautĂ© Ă laquelle il participe. Marc Bloch, en souli-gnant la similitude de vocabulaire entreservage et vassalitĂ©, invite donc Ă  consi-dĂ©rer le servage comme un fait social qui,en tant que tel, constitue sans doute l’undes meilleurs moyens de comprĂ©hensiondes rapports qui structurent la sociĂ©tĂ©mĂ©diĂ©vale.Si le servage peut ĂȘtre conçu comme unerestriction de certains droits de l’individuau profit de son seigneur, il ne signifiecependant pas asservissement de sa per-sonne. Soumis Ă  son seigneur, le serf n’estpas soumis Ă  toute la sociĂ©tĂ©. La percep-tion peut alors en ĂȘtre diffĂ©rente, selonoĂč l’on se situe : le juriste anglais BractonĂ©crivait ainsi au milieu du XIIIe siĂšcle que« l’on peut ĂȘtre serf envers quelqu’un ethomme libre vis-Ă -vis d’un autre Â». Libred’agir vis-Ă -vis d’un tiers, le serf n’estentravĂ© que lorsqu’il se retrouve en conflitavec son seigneur, ou lorsqu’on toucheaux terres que le serf tient de son seigneur.Lien personnel d’homme Ă  homme pui-sant aux mĂȘmes sources que la relationvassalique, le servage est bien d’abordune notion sociale avant d’ĂȘtre une notion

« Il existe des serfsriches et des libres

pauvres, et le statutjuridique ne sauraitdéterminer tout le

statut social del’individu. »

PAR VINCENT CORRIOL*

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« L’histoire enseigne aux hommes la difficultĂ© des grandes tĂąches et la lenteur des accomplissements, mais ellejustifie l’invincible espoir. » Jean JaurĂšs

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juridique, qui ne rĂ©sume pas toute la condi-tion de l’individu. Ainsi le statut de l’indi-vidu sera mentionnĂ© dans certains typesd’actes (d’éditions et affranchissements,reconnaissances, aveux), quand il seraabsent d’autres parce qu’il n’entraĂźne dansce cas aucune consĂ©quence particuliĂšre.Cette « relativitĂ© du servage Â» a parfoisconduit les historiens Ă  parler, plus large-ment, de dĂ©pendance. Si cette notionreprĂ©sente l’inconvĂ©nient de contournerla notion de servitude, et finalement del’évacuer, elle souligne cependant la nĂ©ces-sitĂ© qu’il y a Ă  se pencher de prĂšs sur larĂ©alitĂ© des conditions. Une dĂ©pendancejuridique symbolique, mĂȘme privative delibertĂ©, est parfois bien moins difficile Ă supporter que la dĂ©pendance Ă©cono-mique du petit paysan libre, qui dĂ©pendde l’embauche sur les grandes exploita-tions pour sa survie. Les tentatives de dĂ©fi-nir le servage par ses charges ont d’ailleurstoutes Ă©chouĂ©, en raison de l’infinie variĂ©tĂ©de celles-ci, qui entravent aussi toute com-paraison entre charges serviles et chargesrĂ©putĂ©es libres. RĂ©duire le servage Ă  sonversant Ă©conomique revient Ă  se mĂ©pren-dre sur sa nature : l’affranchissement nesignifie pas forcĂ©ment amĂ©lioration desconditions de vie des personnes concer-nĂ©es. Il existe des serfs riches et des librespauvres, et le statut juridique ne sauraitdĂ©terminer tout le statut social de l’indi-vidu. Le statut servile ne revĂȘt d’ailleurspas encore, au Moyen Âge, le caractĂšrehumiliant que les juristes du XVIIIe siĂšclese sont appliquĂ© Ă  lui attacher (la fameuse« macule servile Â»). Le mĂ©pris qui trans-paraĂźt alors est plutĂŽt celui des Ă©lites cul-tivĂ©es envers le monde paysan dans sonensemble. S’exprime ici la revendicationd’une supĂ©rioritĂ© sociale de la noblessequi, comme le fait AdalbĂ©ron de Laon auXIe siĂšcle, oppose radicalement les noblesaux serfs, rejetant toute la paysanneriedans un mĂȘme dĂ©dain.La vision que l’on a du servage dĂ©penddonc de l’approche que l’on peut en faire :strictement bipolaire si l’on en fait une lec-ture juridique, infiniment nuancĂ©e si l’ons’intĂ©resse aux actes de la pratique. Ceux-ci permettent cependant de s’immiscerau plus prĂšs des rĂ©alitĂ©s serviles.

UN EXEMPLE JURASSIEN AUXIVe SIÈCLEL’étude dans le long terme d’une seigneu-rie servile comme celle des abbĂ©s de Saint-Oyend-de-Joux / Saint-Claude, dans leJura français, livre une image nuancĂ©e dela servitude. PlutĂŽt qu’un statut juridiquequi s’appliquerait d’un bloc Ă  des paysanscontraints, le servage prend la forme d’obli-gations fĂ©odales diverses qui s’agrĂšgentlentement les unes aux autres en un lentprocessus d’unification des redevances

paysannes et donc des conditions. Cemouvement de convergence s’accom-pagne d’une dĂ©finition de la coutume : Ă la coutume spĂ©cifique de ceux de la villes’oppose une coutume rejetant tous lesautres dans un statut commun. On nesaurait pour autant parler encore de sta-tut : ce n’est que dans un second temps,au cours du XIVe siĂšcle, que les seigneurs,sous l’influence du droit romain, com-mencent Ă  caractĂ©riser ces conditionspar des termes juridiques : libres, serfs,mais aussi nobles ou bourgeois.Cette dĂ©finition du statut, tardive (pasavant le milieu du XIVe siĂšcle) et progres-sive (le processus s’étire des annĂ©es 1280aux annĂ©es 1360), obĂ©it Ă  des motivationscomplexes. Elle s’inscrit dans un proces-

sus de rationalisation et de normalisationde la gestion seigneuriale, tous les pay-sans Ă©tant dĂ©sormais soumis Ă  un barĂšmesimilaire. La fixation d’un servage coutu-mier peut aussi ĂȘtre interprĂ©tĂ©e commeun recul de l’arbitraire seigneurial : les pay-sans dĂ©pendants savent ce qu’ils doiventpayer, mais aussi ce que le seigneur nepeut exiger d’eux. Paradoxalement, l’uni-formisation des statuts, en fondant tousles villageois dans une mĂȘme condition,offre aussi un point de convergence auxintĂ©rĂȘts particuliers des villageois en ren-forçant les solidaritĂ©s villageoises. En sou-mettant tous les individus Ă  la mĂȘme rĂšgle,le servage devient un Ă©lĂ©ment de cohĂ©-sion des communautĂ©s rurales, qui peu-vent alors s’affirmer en tant que telles.Rouage et relais du pouvoir abbatial, lacommunautĂ© est aussi un contrepoids.Les communautĂ©s deviennent un inter-mĂ©diaire obligĂ© entre le seigneur et sesdĂ©pendants, mĂ©diatisant un rapport per-sonnel qui tend au contraire Ă  resserrerle lien qui unit le serf Ă  son seigneur. Toutse passe comme si on assistait Ă  un accordtacite, jamais formulĂ©, entre d’un cĂŽtĂ© descommunautĂ©s qui aspirent Ă  la recon-naissance et cherchent Ă  s’imposer faceau seigneur, et de l’autre un pouvoir sei-gneurial qui, en imposant un statut uniquede dĂ©pendants Ă  l’ensemble de ses tenan-ciers, cherche Ă  assurer une relative sĂ©cu-ritĂ© de ses ressources dans un contexteĂ©conomique encore fragile. Dans ce mou-vement simultanĂ©, si l’individu apparaĂźtde plus en plus Ă©troitement soumis Ă  sonseigneur par un statut juridique contrai-

gnant, il Ă©chappe en mĂȘme temps Ă  cettedĂ©pendance en se regroupant, la com-munautĂ© permettant alors de mĂ©diatiserdes rapports sociaux de plus en plusrigides et d’éviter les conflits.On tient peut-ĂȘtre ici un des facteurs d’ex-plication de cette gĂ©nĂ©ralisation du ser-vage, qui semble s’effectuer sans heurts.Le monde paysan tĂ©moigne d’uneconscience aiguĂ« de ses intĂ©rĂȘts. Le cen-tre de ses prĂ©occupations n’est pas le sta-tut mais l’accĂšs aux incultes (prĂ©s, bois,landes, forĂȘts), que les communautĂ©stentent de se faire garantir, jusqu’à enobtenir la jouissance gratuite et exclusive.Les communautĂ©s, en obtenant un accordtacite d’autonomie dans la gestion de leurterritoire, obtiennent la satisfaction d’une

revendication essentielle Ă  leurs yeux.Faire partie de ces communautĂ©s servilespermet de bĂ©nĂ©ficier de l’accĂšs auxincultes, privilĂšge trĂšs convoitĂ© si l’on enjuge par la pression que les communau-tĂ©s voisines exercent sur les forĂȘts. Il estd’ailleurs frappant de constater que dansles terres du monastĂšre l’élevage n’estjamais taxĂ©, au contraire des autres pro-ductions agricoles. On comprend mieuxalors l’intĂ©rĂȘt des communautĂ©s pour lesincultes : l’exploitation du bois commel’élevage peuvent ĂȘtre des ressourcesd’autant plus rentables qu’elles ne sontque peu ou pas taxĂ©es.C’est peut-ĂȘtre ce qui explique que l’onne constate aucune trace de rĂ©voltes, decontestation du statut servile, ou d’uneĂ©migration des paysans jurassiens au pro-fit des seigneuries voisines affranchies.Le large accĂšs aux incultes et le haut degrĂ©d’autonomie des communautĂ©s com-pensent sans doute, aux yeux des pay-sans, le poids du statut servile. Celui-ciapparaĂźt finalement comme une contre-partie Ă  payer pour bĂ©nĂ©ficier de l’accĂšsaux incultes, sources de revenus intĂ©res-sants. Garanti par la coutume, le statutservile n’apparaĂźt finalement pas si rudeque cela aux yeux de ces paysans
 quinous invitent donc Ă  le considĂ©rer autre-ment. n

« En soumettant tous les individus Ă  lamĂȘme rĂšgle, le servage devient un Ă©lĂ©mentde cohĂ©sion des communautĂ©s rurales, quipeuvent alors s’affirmer en tant que telles. »

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*Vincent Corriol est historien. Il estmaĂźtre de confĂ©rences en histoiremĂ©diĂ©vale Ă  l’universitĂ© du Maine -Le Mans.

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Ă©sireuses de s’inscrire dansune dynamique plus soute-nable, de nombreuses initia-tives citoyennes ont Ă©mergĂ©au cours de ces derniĂšresannĂ©es afin d’initier un

renouveau des pratiques agricoles. Cesinitiatives prĂŽnent un nouvel Ă©cosystĂšmeplus en lien avec le territoire, fondĂ© notam-ment sur le principe d’une rĂ©siliencelocale. Elles rĂ©introduisent progressive-ment des comestibles dans nos espacesde vie ou valorisent les ressources exis-tantes, tout en favorisant le partage desrĂ©coltes et des savoir-faire. Multiformeset multiscalaires, elles ont en commundiffĂ©rentes valeurs telles que celles depromouvoir une production alimentairelocale, de lutter contre le gaspillage, deprivilĂ©gier des techniques de culture favo-risant la biodiversitĂ© ainsi que celles de

Utopies réalistes pourun territoire comestible et solidaire Les différentes crises que nous traversons nous amÚnent à nous interrogersur les systÚmes de production mis en place, sur nos modes de consom-mation et plus largement sur nos rapports à notre environnement.

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contribuer Ă  un besoin d’amĂ©nitĂ©ssociales et de dĂ©velopper la solidaritĂ©.

VERS L’ÉMERGENCED’ESPACES PUBLICSCOMESTIBLES ? Dans le contexte urbain et pĂ©riurbain,l‘espace public – reflet des besoins deshabitants – se voit attribuer cette nou-velle fonction alimentaire. Les diffĂ©rentesinitiatives, prĂ©cĂ©demment Ă©voquĂ©es,remettent en effet en question l’usagedes espaces publics qui ne sont alorsplus seulement considĂ©rĂ©s comme deslieux de passage ou de loisirs apprĂ©ciĂ©spour leur caractĂšre esthĂ©tique, mais Ă©ga-lement comme des lieux de productionalimentaire qui portent des activitĂ©s col-lectives et intergĂ©nĂ©rationnelles.

Le renouveau des jardins communau-taires, qu’ils soient partagĂ©s, familiaux,ouvriers ou solidaires traduit cette ten-dance. La mise en place de ces espacesde jardinage collectif et d’interactionssociales constitue une rĂ©ponse aux aspi-rations des usagers. Cette pratique dujardinage, accessible Ă  tous, est prĂ©texteĂ  une diversitĂ© d’usages : activitĂ©s pĂ©da-

gogiques et culturelles, Ă©vĂ©nements fes-tifs, insertion sociale
 Exploitant et revendiquant les micro-espaces publics comme des zones d’ex-pĂ©rimentation et de production alimen-taire, le mouvement des « IncroyablesComestibles Â» participe Ă  cette rĂ©flexionet ouvre des occasions. La recherche del’autosuffisance alimentaire incite descitoyens Ă  planter et laisser Ă  dispositionde tous des comestibles. Cette actiongratuite et spontanĂ©e permet d’opĂ©rerun changement de regard.

LES ESPACES PRIVATIFS : UN POTENTIEL ALIMENTAIRESOUS-ESTIMÉ ? Alors que l’agriculture de proximitĂ© estpeu Ă  peu rĂ©introduite dans l’espacepublic urbain, l’espace privatif – en milieupĂ©riurbain et rural – est porteur quant Ă lui d’autres enjeux et d’autres possibili-tĂ©s. En effet, les jardins privĂ©s reprĂ©sen-tent une importante rĂ©serve fonciĂšre etoffrent un potentiel de productionvivriĂšre trĂšs souvent sous-estimĂ©. L’initiative « Les Fruits du voisin Â» gĂ©nĂšrede nouvelles synergies en prĂ©servant eten valorisant les ressources comesti-

PAR SYLVAIN DELBOY ET SARAHKASSLER*

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Les territoires sont des produits sociaux et le processus de production se poursuit. Du global au local les rapportsde l'Homme à son milieu sont déterminants pour l'organisation de l'espace, murs, frontiÚres, coopération,habiter, rapports de domination, urbanité... La compréhension des dynamiques socio-spatiales participe de laconstitution d'un savoir populaire émancipateur.

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bles existantes. Pour ce faire, elle Ă©tablitun rĂ©seau de partage des comestibleset des savoir-faire du jardin entre parti-culiers Ă  partir des excĂ©dents desrĂ©coltes, plus particuliĂšrement de cellesdes arbres et arbustes fruitiers. Onconstate en effet que cette productionde proximitĂ© est abondante et n’est pasintĂ©gralement consommĂ©e – faute detemps, faute d’énergie ou simplement

du fait que les quantitĂ©s produites parcertains arbres fruitiers sont trop impor-tantes et se pĂ©riment trĂšs rapidement.Ces Ă©changes sont facilitĂ©s par des outilsnumĂ©riques (carte participative permet-tant de gĂ©orĂ©fĂ©rencer les ressources,manuel des bonnes pratiques) et pardes actions de terrain (aide aux rĂ©coltes,mis en place de points relais, animationd’évĂ©nements saisonniers et d’ateliers

pĂ©dagogiques sur le jardinage). Ces outilspermettent d’optimiser et de dynami-ser le potentiel de production et de soli-daritĂ©.

MUTUALISER LES PRATIQUESET CRÉER DES CIRCUITSCOURTS Participatives, Ă©cologiques, solidaires,durables, pĂ©dagogiques, reproductiblesces diffĂ©rentes initiatives partageant denombreux points communs se distin-guent surtout par leur complĂ©mentaritĂ©.Cette complĂ©mentaritĂ© incite Ă  une miseen rĂ©seau afin de mutualiser les res-sources et crĂ©er des circuits courts.NĂ©anmoins, cette valorisation reposesur une dynamique locale. Celle-ci esttantĂŽt Ă  l’échelle d’une communecomme l’initiative expĂ©rimentale « R-URBAN Â» dĂ©veloppant un projet d’agro-

citĂ© Ă  Colombes, tantĂŽt Ă  une Ă©chelleplus globale comme le mouvement des« Colibris Â» qui valorise des initiatives Ă l’échelle nationale. Le dĂ©veloppementdes outils numĂ©riques et des rĂ©seauxsociaux contribue largement Ă  crĂ©er desliens entre ces communautĂ©s decitoyens engagĂ©s. La simplicitĂ© et l’adaptabilitĂ© de ces prin-cipes de production alimentaire aux dif-fĂ©rents contextes locaux ont permis leursuccĂšs et leur dĂ©veloppement rapide etspontanĂ©. À l’heure oĂč le discours sur legaspillage alimentaire et le mode de fonc-tionnement « faites-le vous-mĂȘme Â»(D.I.Y.) prennent vĂ©ritablement leur essor,ces projets ouvrent de nouvelles pers-pectives, en contribuant chacun Ă  leurfaçon Ă  une appropriation territoriale,au changement des mentalitĂ©s et Ă  ladĂ©finition de vĂ©ritables stratĂ©gies dura-bles et collectives. n

« La recherche del’autosuffisance

alimentaire incitedes citoyens Ă 

planter et laisser àdisposition de tousdes comestibles. »

*Sylvain Delboy et Sarah Kasslersont paysagistes à L’AtelierSensomoto.

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l existe des millions de virus et onn’en connaĂźt que quelques mil-liers, leurs mutations pourraientĂȘtre inquiĂ©tantes. Est-ce cela legrand dĂ©fi ?Les maladies virales humaines se

sont rĂ©pandues Ă  partir du nĂ©olithique,notamment avec la domestication desanimaux et la nouvelle agriculture quientraĂźna une promiscuitĂ© animal-homme. Les maladies infectieuses cor-respondent toujours Ă  un bras de ferentre la lutte pour la vie (des micro-orga-nismes) et celle de leurs hĂŽtes, c’est Ă  quigagnera une bataille dont l’issue est sou-vent incertaine. Nous sommes tous leshĂ©ritiers des populations humaines qui,par le passĂ©, ont survĂ©cu aux pandĂ©miestelles que la peste, la grippe, etc. Lesagents infectieux (virus et bactĂ©ries) ontdĂ©veloppĂ© des stratĂ©gies de contourne-ment des dĂ©fenses naturelles, leursmutations adaptatives sont trĂšs rapides,des vaccins efficaces peuvent devenirinopĂ©rants, la rĂ©sistance aux antibio-tiques se dĂ©veloppe. En outre, l’hommemoderne voyage, ce qui se transmettaitparfois sur plusieurs annĂ©es peut setransmettre en quelques heures. C’estdonc un Ă©norme dĂ©fi, mais pas le seul.

Et les maladies neuro-psychiatriques,les pollutions, le stress chronique...Des projections ont Ă©tĂ© faites Ă  l’échelle

Les défis des sciencesmédicales au XXIe siÚcle

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de l’Europe : des millions de personnessont et seront plus encore affectĂ©es pardes maladies neuro-dĂ©gĂ©nĂ©ratives. Autreexemple, que je connais bien : le dĂ©velop-pement du cancer du testicule, il croĂźt danstous les pays, c’est le plus frĂ©quent chezl’homme jeune, mais on n’en connaĂźt pasles causes, mĂȘme si l’on pense qu’il est liĂ©Ă  l’environnement (au sens large du terme).Certaines menaces sont bien identifiĂ©es,d’autres moins. Les maladies dues auxchangements d’organisation de la sociĂ©tĂ©explosent certes, mais elles ont toujoursexistĂ©, le contexte d’urbanisation, les condi-tions de travail et de vie peuvent les aggra-ver. Ce sont effectivement des frontsmajeurs, mais parmi d’autres. Attentionaux modes, les plans cancer, SIDA, mala-dies neurologiques, c’est aussi souvent unprĂ©texte pour dĂ©shabiller X en habillant Y !

Il y a rĂ©guliĂšrement des polĂ©miquessur le(s) cancer(s).DĂ©fi multiple et paradoxal. La vie s’allongegrĂące Ă  la prise en charge mĂ©dicale et sani-taire. En retour, les maladies liĂ©es Ă  cetallongement se rĂ©pandent : le cancer dela prostate, Alzheimer, etc. Il y a des can-cers dont l’étiologie est connue (c’est lecas, par exemple, du lien entre le tabac etl’amiante pour le cancer du poumon).Certains ont cru que le sĂ©quençage dugĂ©nome allait permettre de vaincre le can-cer, mais cela ne suffit pas. La chimiothĂ©-rapie, dĂ©veloppĂ©e Ă  partir des annĂ©es 1960,a permis de trĂšs grands progrĂšs. Il est vraiqu’on a assistĂ© ensuite Ă  une stagnationrelative, il y a toutefois eu des dĂ©couvertes

non nĂ©gligeables, notamment au sujet del’existence de protĂ©ines particuliĂšres danscertaines tumeurs, cela a dĂ©bouchĂ© surdes thĂ©rapies innovantes : un anticorps vase coller spĂ©cifiquement Ă  la cellule tumo-rale pour la tuer, comme dans les mĂ©la-nomes. On prend conscience de pro-blĂšmes nouveaux inaperçus, mais leschoses progressent nĂ©anmoins.

La recherche fondamentale nonciblĂ©e a-t-elle fait avancer la connais-sance et les traitements de maladiescomme le cancer, mieux que desplans spĂ©cifiques ?N’opposons pas le ciblĂ© et le non ciblĂ©. Cequi est dramatique, c’est que le ciblagedes moyens de recherche sur certainesmaladies serve de prĂ©texte Ă  la diminu-tion des crĂ©dits de base, avec pour consĂ©-quence que de plus en plus souvent lacrĂ©ativitĂ© libre de la communautĂ© scien-tifique n’est plus soutenue, alors que lehasard lui-mĂȘme joue un rĂŽle fondamen-tal dans la dĂ©couverte. On nous demanded’aller toujours plus vite, de dĂ©poser desbrevets : enrichir les industriels, ce seraitenrichir le pays. Mais c’est souvent trĂšsdĂ©sĂ©quilibrĂ© ! Cela favorise d’ailleurs aussila dictature de « l’opinion Â», par exempleen matraquant des sondages pour dĂ©fi-nir les orientations. L’organisation de larecherche ne doit pas ĂȘtre guidĂ©e parl’émotion du moment et les stratĂ©gies poli-tiques qui en dĂ©coulent. Les discussionspubliques sont nĂ©cessaires et il est nor-mal que les grandes dĂ©cisions politiquessoient prises par le parlement, mais les

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La santé est un concept global, il s'agit de vaincre les maladies, de faire faceaux menaces sanitaires, de soigner le plus grand nombre et de s'attaqueraux inégalités. Mais on est aujourd'hui assez désorienté sur l'avenir dessciences médicales : les affirmations les plus contradictoires circulent...

La culture scientifique est un enjeu de sociĂ©tĂ©. L’appropriation citoyenne de celle-ci participe de laconstruction du projet communiste. Chaque mois un article Ă©claire une actualitĂ© scientifique et technique. Etnous pensons avec Rabelais que « science sans conscience n’est que ruine de l’ñme » et conscience sansscience n’est souvent qu'une impasse.

ENTRETIEN AVEC BERNARD JÉGOU*

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politiques n’ont pas Ă  trancher le dĂ©batscientifique et Ă  brider la crĂ©ativitĂ©. Unecertaine « RĂ©publique des chercheurs Â»,comme disait FrĂ©dĂ©ric Joliot, doit ĂȘtreconservĂ©e. L’autonomie relative (PierreBourdieu) n’a rien Ă  voir avec l’isolementdans une tour d’ivoire.

La thĂ©rapie gĂ©nique, les cellules-souches tiendront-elles leurs pro-messes, seront-elles Ă  l’origine degrands bouleversements ?Comme le disait Marcelin Berthelot auXIXe siĂšcle, la science (clinique) est nĂ©e dela poursuite d’un double rĂ©sultat : « l’art defaire de l’or Â» (la « pierre philosophale Â»),mais aussi « l’art de se rendre immortel Â».Les thĂ©rapies cellulaires, c’est le rĂȘve deremplacer les organes usĂ©s ou dĂ©fectueuxĂ  partir de cellules-souches. Cela est renduenvisageable par l’avancĂ©e des sciencesde la vie. Par exemple, un pancrĂ©as qui s’ar-rĂȘte (on ne sait guĂšre pourquoi
), c’est lediabĂšte et une vie rendue difficile ; le rem-

placer serait formidable. Mais il ne faut passurvendre ces progrĂšs, donner de fauxespoirs, se livrer Ă  une promotion dĂ©bri-dĂ©e. Croire qu’on rĂ©glera le problĂšme Ă court terme, c’est de la science-fiction. Enoutre, pour ce qui concerne les cellules-souches, il existe des problĂšmes Ă©thiquesdĂ©licats : doit-on s’autoriser Ă  modifier legĂ©nome gĂ©nital et ainsi modifier le gĂ©nomedes gĂ©nĂ©rations futures ?

Et la disparitĂ© entre pays pour l’accĂšsaux soins ?Oui, il faut aussi mettre fin Ă  des flĂ©aux pourlesquels on a dĂ©jĂ  les solutions mĂ©dicales.Des maladies qu’on espĂ©rait Ă©radiquer fontdes millions de victimes et/ou reparaissent.Ainsi, la poliomyĂ©lite fait des ravages enAfghanistan, au Pakistan ou en Syrie, cer-taines vaccinations rĂ©gressent, mĂȘme cheznous. Et il y a de nouvelles menaces, parexemple celles rĂ©sultant du rĂ©chauffementde la planĂšte qui va faire apparaĂźtre unenouvelle cartographie des maladies infec-tieuses. Tout cela est trĂšs souvent liĂ© Ă  l’or-dre Ă©conomique mondial qui est catastro-phique. Mais ces inĂ©galitĂ©s ont lieu aussi Ă l’intĂ©rieur d’un mĂȘme pays, entre couchessociales, entre zones gĂ©ographiques, cesont en gĂ©nĂ©ral le reflet d’écarts Ă©cono-

miques. Par exemple, le chĂŽmage favoriseou accroĂźt certaines maladies, comme lesaddictions ; on dĂ©croche aussi sur les soinsdentaires, avec les consĂ©quences que celaentraĂźne, on renonce aux appareils audi-tifs, du coup on s’isole ; il y a alors des consĂ©-quences sur les enfants, leur scolaritĂ©. Enfait, seule une partie de la population a accĂšsĂ  l’ensemble des progrĂšs et les inĂ©galitĂ©ss’aggravent.

Tu es biologiste de formation et tu asĂ©tĂ© prĂ©sident du conseil scientifiquede l’INSERM. Le fait de ne pas ĂȘtremĂ©decin Ă  l’origine a-t-il Ă©tĂ© un handi-cap Ă  cet Ă©gard ?Non, je ne crois pas, mais c’est une ques-tion intĂ©ressante. Autrefois, Ă  l’INSERM, ily avait, juxtaposĂ©s, beaucoup de mĂ©de-cins qui ne faisaient guĂšre de rechercheet beaucoup de biologistes qui en prati-quaient une souvent Ă©loignĂ©e de la mĂ©de-cine proprement dite. Depuis trente ans,le travail en Ă©quipe est devenu absolument

fondamental, avec partage et diffusiondes connaissances. Il y a des biologistesqui sont capables de poser des questionsfondamentales sur les animaux, voire surl’homme, ils doivent donc les tester avecdes mĂ©decins ; il y a des mĂ©decins qui ontla curiositĂ© intellectuelle et les ressourcespour dĂ©couvrir (du moins quand leursconditions de travail leur laissent le tempsde s’y consacrer). Cette Ă©volution trans-disciplinaire est une des clĂ©s de l’enrichis-sement intellectuel et du progrĂšs, c’est laconception du laboratoire que je dirige.

Peut-on parler d’amĂ©lioration del’Homme ?Ta question permet d’évoquer deux choses.La premiĂšre, c’est l’eugĂ©nisme, avec toutesses facettes, souvent monstrueuses auXXe siĂšcle. Aujourd’hui, pour certains, onpratique dĂ©jĂ  une certaine forme d’eugĂ©-nisme, avec le diagnostic prĂ©-implanta-toire : pour dĂ©tecter certaines maladiesgĂ©nĂ©tiques, lorsque les parents sont por-teurs de mutations, on prĂ©lĂšve une petitecellule dans l’embryon et, selon les rĂ©sul-tats, on poursuit ou arrĂȘte la grossesse.Dans de tels cas, la dĂ©cision ne peut appar-tenir au seul mĂ©decin. Chaque avancĂ©e dela recherche sur les cellules-souches nous

« Notre statut de fonctionnaire-chercheur,réguliÚrement si décrié, est a priori une

garantie vis-à-vis des pressions politiques,industrielles et commerciales. »

*Bernard Jégou est directeur del'Institut de recherche, santé,environnement, travail (IRSET) àRennes.Propos recueillis par Pierre Crépel.

rapproche encore plus du moment oĂč onpourra « trier Â» la population, on arrive Ă  desrĂ©sultats qui n’étaient mĂȘme pas imagina-bles il y a quelques dĂ©cennies. Pour l’es-sentiel, celles des thĂ©rapies gĂ©niques quine touchent pas aux cellules germinalesconstituent un progrĂšs important. Mais,modifier des caractĂ©ristiques gĂ©nĂ©tiquesĂ  visĂ©e de transmission, utiliser le gĂ©nomepour façonner les gĂ©nĂ©rations Ă  venir, agirsur l’embryon pour diminuer le nombre denaissances de filles au profit des garçons,comme cela est souhaitĂ© dans certainspays, cela tourne vite au cauchemar. LadeuxiĂšme chose que ta question Ă©voque,c’est ce qu’on appelle l’homme « bionique Â»,c’est-Ă -dire un homme rĂ©parĂ© par la com-binaison d’organes de synthĂšse d’électro-nique « embarquĂ©e Â». Que pourrait signi-fier amĂ©liorer « l’homme Â» ? Le rendre plusperformant, en meilleure santĂ©, plus paci-fique, immortel ?

Les dirigeants politiques doivent-ilsse mĂȘler de la science mĂ©dicale enelle-mĂȘme ?Il est normal que les autoritĂ©s politiquesse penchent sur ces enjeux. Prenons lesexemples de l’environnement et du cli-mat, le spĂ©cialiste a des choses Ă  dire, ildoit les dire, mais en tant que scientifique,sans confusion des genres ; il a naturelle-ment droit Ă  ses convictions personnelleset Ă  leur affirmation, mais ne doit pas lesconfondre totalement avec son expertise.Notre statut de fonctionnaire-chercheur,rĂ©guliĂšrement si dĂ©criĂ©, est a priori unegarantie vis-Ă -vis des pressions politiques,industrielles et commerciales. Un cher-cheur prĂ©carisĂ© n’a plus la libertĂ© de pen-ser, il doit aller chercher de l’argent lĂ  oĂč ilest, donc subir des pressions. Lorsque jeremets un rapport sur une question scien-tifique, je dois m’extraire d’une vision mili-tante et rendre compte des contradic-tions rĂ©vĂ©lĂ©es par l’état de la science Ă  unmoment donnĂ©. Cet avis ne doit pas ĂȘtreinstrumentalisĂ© d’un point de vue poli-tique, mĂȘme s’il doit inspirer celui-ci quidoit lĂ©gifĂ©rer. Il m’est arrivĂ© Ă  plusieursreprises de refuser cet amalgame, les diri-geants politiques ne le comprennent pastoujours. Mais il faut que le rĂŽle de « vigie Â»et l’indĂ©pendance des scientifiques soientrespectĂ©s. n

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istoriquement, le droit pĂ©nala Ă©tĂ© l’occasion de renfor-cer le pouvoir du roi. Le pre-mier droit pĂ©nal relevait del’Église catholique et neconcernait que les dĂ©lits reli-

gieux tels que le blasphĂšme. Pour lesdĂ©lits non religieux, la sanction Ă©tait lais-sĂ©e Ă  l’apprĂ©ciation du seigneur local.Lorsque les rois de France ont voulu affer-mir leur pouvoir et le centraliser dansleurs mains, ils ont vu dans l’édiction d’undroit pĂ©nal laĂŻc le moyen d’imposer leursouverainetĂ© sur leurs sujets en confis-quant le droit de punir Ă  leurs vassaux eten rĂ©duisant Ă  la portion congrue la partdes dĂ©lits religieux par rapport Ă  celledes dĂ©lits laĂŻcs. En effet, le droit de punirest le droit rĂ©galien par excellence et,une fois accaparĂ©, il a permis au souve-rain de s’emparer de tous les autres pou-

Pour le droit pénal,contre le tout répressifLes objectifs du droit pénal sont nombreux et variés, mais tous sont poli-tiques. AprÚs une évolution liée au renforcement du pouvoir royal, le droitpénal a servi à mettre en avant les valeurs de la société, et on chercheaujourd'hui à l'utiliser pour réduire la délinquance. Or, le droit pénal n'estpas la solution au problÚme de la criminalité en ce qu'il ne peut réprimerque des faits passés et non lutter contre la dangerosité des individus.

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voirs au plan national. Si ce mouvements’est dĂ©roulĂ© sur plusieurs siĂšcles, nousen sommes sans conteste les hĂ©ritierspuisque les dĂ©cisions de justice sontencore aujourd’hui rendues au nom dupeuple français, Ă  qui appartient la sou-verainetĂ© nationale.

DROIT PÉNAL ET VALEURS DELA SOCIÉTÉLorsque le besoin d’imposer le pouvoirdu souverain sur l’ensemble du territoires’est fait moins pressant, le droit pĂ©nala servi Ă  Ă©dicter les valeurs essentiellesde la sociĂ©tĂ©. Ce caractĂšre dĂ©claratif dudroit pĂ©nal a longtemps Ă©tĂ© central caril permettait au pouvoir, qu’il soit royalou rĂ©publicain, de mettre en avant cer-

taines valeurs en les protĂ©geant par desinfractions, et en les hiĂ©rarchisant entreelles en modulant la gravitĂ© de la peineencourue. C’est ainsi que la vie, l’intĂ©-gritĂ© physique, la sĂ©curitĂ© de l’État et lapropriĂ©tĂ© sociale sont devenues desvaleurs essentielles car pĂ©nalement pro-tĂ©gĂ©es. À titre d’exemple de hiĂ©rarchi-sation, l’atteinte Ă  la propriĂ©tĂ© du citoyenlambda est considĂ©rĂ©e comme moinsimportante qu’une atteinte Ă  sa viepuisque le vol simple est puni d’une peinede trois ans d’emprisonnement alors quele meurtre est puni de trente ans derĂ©clusion criminelle. De plus, il est frap-pant de constater que dans le Code pĂ©nalde 1810, le premier titre du catalogue desinfractions Ă©tait consacrĂ© aux Crimes et

PAR FRÉDÉRIC TRIBUIANI*

H« Ce caractĂšre dĂ©claratif du droit pĂ©nal alongtemps Ă©tĂ© central car il permettait aupouvoir, qu’il soit royal ou rĂ©publicain, demettre en avant certaines valeurs en lesprotĂ©geant par des infractions, et en leshiĂ©rarchisant entre elles en modulant la

gravité de la peine encourue. »

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dĂ©lits contre la chose publique et quesuivait un deuxiĂšme titre consacrĂ© auxCrimes et dĂ©lits contre les particuliers,subdivisĂ© en deux chapitres dĂ©volus res-pectivement aux personnes et aux pro-priĂ©tĂ©s alors que, dans le Code pĂ©nalactuel, qui a succĂ©dĂ© Ă  celui de NapolĂ©onen 1994, le premier livre du cataloguedes infractions est intitulĂ© Des crimes etdĂ©lits contre les personnes, le deuxiĂšme,Des crimes et dĂ©lits contre les biens etle troisiĂšme, Des crimes et dĂ©lits contrela nation, l’État et la paix publique.

Aujourd’hui cependant, si ce caractĂšredĂ©claratif demeure, il est de moins enmoins fort. En effet, le droit pĂ©nal ne secontente plus d’affirmer les grandesvaleurs en incriminant les atteintes rĂ©ellesĂ  l’État, aux personnes et aux biens pourdevenir la garantie du respect de rĂšglesqui ne protĂšgent qu’indirectement cesvaleurs. De ce fait, le droit pĂ©nal devientde plus en plus complexe, technique etde moins en moins clair, comprĂ©hensi-ble et accessible, notamment dans lecadre industriel. Si ce recul du caractĂšredĂ©claratif direct du droit pĂ©nal peut ĂȘtreregrettĂ©, il faut cependant reconnaĂźtreque la sanction pĂ©nale est, aujourd’hui,le meilleur, voire le seul moyen d’assu-rer le respect des rĂšgles d’hygiĂšne et desĂ©curitĂ© dans les entreprises.

DROIT PÉNAL ETDÉLINQUANCEEnfin, les tenants de l’idĂ©ologie sĂ©curi-taire rĂ©pressive veulent que le droit pĂ©nalfasse baisser la dĂ©linquance. Pour cefaire, ils crĂ©ent sans cesse de nouvellesinfractions et exhortent les magistratsĂ  prononcer des peines de plus en pluslourdes, tout en refusant de donner lesmoyens de rĂ©insĂ©rer les condamnĂ©s.Cette approche est absurde. En effet,plus le nombre de comportements pĂ©na-

lement sanctionnĂ©s est important etplus le nombre d’infractions commisesest Ă©levĂ©, ce qui entraĂźne une hausse dela dĂ©linquance. De plus, on assiste Ă  unrefus de la sociĂ©tĂ© de laisser impunis lespetits dĂ©lits qui Ă©taient avant tolĂ©rĂ©s ourĂ©glĂ©s par un simple passage au com-missariat. D’autre part, il convient de gar-der Ă  l’esprit qu’il existe deux types dedĂ©linquance  : la primodĂ©linquanceconstituĂ©e des faits commis avant toutecondamnation pĂ©nale dĂ©finitive, et larĂ©itĂ©ration d’infractions qui est plus large

que la rĂ©cidive lĂ©gale car composĂ©e dedivers rĂ©gimes juridiques dont la dĂ©limi-tation est relativement arbitraire.Or, le droit pĂ©nal, par dĂ©finition, est celuiqui s’adresse avant tout aux personnesqui ont commis une infraction pĂ©nale.En effet, si la connaissance par tout unchacun de la sanction encourue permet,en thĂ©orie, aux individus de faire un cal-cul coĂ»t-avantage censĂ© ĂȘtre dĂ©favora-ble au crime, il ne faut pas perdre de vuequ’il peut se rĂ©vĂ©ler au contraire favora-ble au passage Ă  l’acte, que l’ĂȘtre humainn’est pas toujours rationnel et qu’il peuttoujours espĂ©rer passer entre les maillesdu filet. Comment, Ă  partir de lĂ , peut-on exiger du droit pĂ©nal qu’il rĂ©duise laprimodĂ©linquance ?Au contraire, le terrain du droit pĂ©nal doitporter sur la rĂ©duction de la rĂ©itĂ©rationd’infractions, c’est-Ă -dire celles com-mises aprĂšs qu’une condamnation estintervenue. En effet, si un individu a com-mis une infraction pĂ©nale, c’est en prin-cipe parce qu’il n’a pas respectĂ© un inter-dit social qui porte atteinte Ă  une valeurjugĂ©e essentielle par la sociĂ©tĂ© si l’onadhĂšre aux thĂšses criminologiques com-binĂ©es de Robert Merton et d’ÉtienneDe Greeff. La condamnation et la peineont alors deux fonctions essentielles :mettre fin au litige et Ă©viter la rĂ©cidive.

En effet, l’un des objectifs du droit pĂ©nala toujours Ă©tĂ© d’éviter les vendettas sansfin, et une peine acceptĂ©e par la victimelui permet d’une part de ne pas remet-tre en cause sa confiance dans le sys-tĂšme et d’autre part de ne pas engagerde reprĂ©sailles personnelles. Cependant,il est Ă  noter que la peine la plus lourdedéçoit presque nĂ©cessairement la vic-time en ce qu’elle ne peut pas effacerl’acte subi. De l’autre cĂŽtĂ© de l’infraction,une peine qui ne viserait pas Ă  rĂ©intĂ©grerpleinement l’auteur d’un crime ou d’undĂ©lit dans la sociĂ©tĂ© serait soit inhumaine,soit inutile. En effet, enfermer une per-sonne Ă  vie sans possibilitĂ© d’ĂȘtre libĂ©-rĂ©e est considĂ©rĂ©, en Allemagne parexemple, comme une atteinte Ă  la dignitĂ©humaine. Mais libĂ©rer une personne quia Ă©tĂ© condamnĂ©e sans avoir rien faitd’autre que de l’enfermer, en fort mau-vaise compagnie, pendant plusieurs moisou annĂ©es ne peut avoir d’autre effet quede la rendre dĂ©finitivement et irrĂ©mĂ©-diablement criminelle, voire d’aggraverles actes qu’elle sera amenĂ©e Ă  commet-tre dans le futur. Il convient donc d’utili-ser le temps de la peine pour resociali-ser les condamnĂ©s, c’est-Ă -dire de leurpermettre de se rĂ©intĂ©grer dans lasociĂ©tĂ© afin de pouvoir y vivre dans lerespect des lois. Cependant, que lestenants du tout rĂ©pressif se rassurent,le caractĂšre punitif de la peine ne doitpas pourtant ĂȘtre exclu, car il participeĂ©galement Ă  cette resocialisation, il doitsimplement ne pas ĂȘtre exclusif.Quant Ă  la lutte contre la primodĂ©lin-quance, que faire si le droit pĂ©nal serĂ©vĂšle inadaptĂ© ? Faire en sorte que lesorganes normaux de socialisation telsque la famille, l’école et l’ensemble de lasociĂ©tĂ© ne transmettent plus des valeursd’égoĂŻsme, d’individualisme, de concur-rence et de recherche Ă  tout prix de larĂ©ussite, mais simplement de vivreensemble ? n

*Frédéric Tribuiani est étudiant desecond cycle en droit pénal etsciences criminelles à l'universitéToulouse-1-Capitole.

« Il convient donc d'utiliser le temps de lapeine pour resocialiser les condamnés, c'est-

à-dire de leur permettre de se réintégrerdans la société afin de pouvoir y vivre dans le

respect des lois. »

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PAR NINA LÉGER

Hollande déçoit la gauchede plus en plusSO

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Sondage BVA : F. Hollande de moins en moins Ă  gauche, janvier 2014

Alors, le président, trop à gauche ou trop à droite ? Cette ques-tion avait déjà été posée il y a un an. Et on voit que l'actiongouvernementale a fait évoluer cette appréciation. Les Françaissont aujourd'hui 36 % à juger que François Hollande n'est pasassez à gauche, contre 24 % il y a un an. Et 24 % à le trouvertrop à gauche. Les 36 % restant le trouvent « juste comme ilfaut », jolie formule s'il en est. Au delà des chiffres, c'est bien

l'Ă©volution de l'opinion qui est intĂ©ressante. Soulignons Ă©ga-lement que les positions du prĂ©sident rendent compliquĂ© lepositionnement de la droite : 62 % des sondĂ©s estiment quel'UMP doit « s’inscrire dans une coopĂ©ration avec le gouver-nement pour mettre en place ce pacte [de responsabilitĂ© desentreprises] ». Comme il n'est « pas trop Ă  gauche », la coo-pĂ©ration en sera bien entendu facilitĂ©e !

NOVEMBRE 2012

32 %

24 %

39 %

JANVIER 2014

24 %

36 %

36 %

Trop Ă  gauche

Pas assez Ă  gauche

Juste comme il faut

Personnellement, trouvez-vous que François Hollande esttrop à gauche, pas assez à gauche ou juste comme il faut, ni trop ni pas assez à gauche ?

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Le rapport 2013 de l’Observatoire national des zones urbainessensibles (ONZUS), remis en dĂ©cembre dernier, livre une visionalarmante des consĂ©quences de la crise sur ces territoires.Les ZUS sont des quartiers urbains concentrant des difficul-tĂ©s Ă©conomiques et sociales. Elles correspondent aux quar-tiers de grands ensembles ou aux centres urbains dĂ©gradĂ©s,et recouvrent en grande partie les quartiers dits sensibles desbanlieues des grandes agglomĂ©rations. Alors que la situationsemblait relativement stable sur le moyen terme, elle s’estdĂ©gradĂ©e subitement sur les toutes derniĂšres annĂ©es. LesinĂ©galitĂ©s entre ces zones et le reste des agglomĂ©rations danslesquelles elles se trouvent se creusent ainsi de plus en plus.

En matiĂšre de revenus par exemple, alors que le revenu parunitĂ© de consommation croĂźt d’environ 1 % sur l’ensemble dela France mĂ©tropolitaine entre 2009 et 2010, il a stagnĂ© dansles ZUS. Il en rĂ©sulte un taux de pauvretĂ© toujours plus impor-tant, puisqu’en 2010, plus d’un habitant de ZUS sur trois (36,1 %)vivait en dessous du seuil de pauvretĂ©, soit trois fois plus quedans le reste des agglomĂ©rations.

Sur la question de l’emploi, la situation est tout aussi prĂ©oc-cupante, puisque le dĂ©crochage des ZUS par rapport au reste

des territoires urbains, amorcĂ© en 2009, se poursuit (voir legraphique). En effet, depuis 2009, le taux de chĂŽmage dansles quartiers hors ZUS des unitĂ©s urbaines est relativementstable, autour de 9,5 %. Dans le mĂȘme temps, le taux de chĂŽ-mage en ZUS n’a cessĂ© d’augmenter, passant de 18,5 % desactifs en 2009 Ă  24,2 % en 2012, soit une augmentation de30 %. En 2012, un actif sur quatre vivant en ZUS Ă©tait donc auchĂŽmage. À cette aggravation du chĂŽmage vient par ailleurss’ajouter une baisse sensible du taux d’activitĂ©. Au total, 14,7 %des habitants de ZUS ayant entre 15 et 64 ans sont au chĂŽ-mage, contre 7 % pour les habitants des autres quartiers desagglomĂ©rations.

L’intĂ©rĂȘt de ce rapport 2013 de l’ONZUS, c’est qu’il permetd’analyser les consĂ©quences de la crise Ă©conomique de 2008sur les diffĂ©rentes classes sociales, et pas seulement Ă  desniveaux nationaux agrĂ©gĂ©s. Ce que l’on constate, en particu-lier dans le domaine de l’emploi, c’est bien que les habitantsdes ZUS sont les premiĂšres victimes de cette crise, alors quele reste des Français semble relativement Ă©pargnĂ©. On savaitdĂ©jĂ  que lors de crises, c’est ceux qui sont dans les situationsdĂ©jĂ  les plus prĂ©caires qui subissent les effets les plus impor-tants, puisqu’ils sont les variables d’ajustement les plus acces-

sibles. Mais la persistance d’un effetconcentrĂ© principalement sur lesclasses populaires, d’une ampleurjamais vue, et qui plus est sur unepĂ©riode relativement longue en regarddu cycle Ă©conomique, est un Ă©lĂ©mentnouveau : il devrait nous alerter surla nĂ©cessitĂ© d’agir en urgence pourles habitants des quartiers populaires,malheureusement souvent dĂ©laissĂ©spar les pouvoirs publics. L’annoncede l’installation prochaine d’uneagence PĂŽle Emploi dans la ville deClichy-sous-Bois semble malheureu-sement arriver un peu tard au regarddu dĂ©sengagement chronique del’État durant les quinze derniĂšresannĂ©es. Elle ne marque pas vĂ©ritable-ment l’amorce d’une politique volon-tariste en faveur de ces quartiers.

PAR MICHAËL ORAND

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Les habitants des quartierspopulaires, variablesd’ajustement de la criseĂ©conomique ?

TAUX DE CHÔMAGE DANS LES ZONES URBAINES SENSIBLES ETDANS LES AUTRES QUARTIERS DE LEURS AGGLOMÉRATIONS

Source : INSEE, ONZUSLecture : en 2006, le taux de chÎmage était de 19,3 % en ZUS et de 9,3 % dans les quartiers hors ZUS de leurs agglomérations.

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es vƓux de combat et d’ave-nir  », avaient promis lesproches de FrançoisHollande Ă  l’occasion de l’al-locution tĂ©lĂ©visĂ©e du prĂ©si-dent de la RĂ©publique, ce

31 dĂ©cembre. Alors que le couperet desderniers chiffres de l’emploi venait detomber, annonçant officiellement l’échecde la promesse d’inverser la fameusecourbe du chĂŽmage avant fin 2013, leprĂ©sident et son Ă©quipe ont martelĂ© qu'ilsĂ©taient sur la bonne voie. Il a annoncĂ© lamise en place d’un Pacte de responsa-bilitĂ© des entreprises, rĂ©sumĂ© ainsi :«  moins de charges et moins decontraintes sur l’activitĂ© Â», contre « plusd’embauches et de dialogue Â».

UNE EXÉGÈSE PEURASSURANTEEn proposant la fin des cotisations fami-liales patronales, le prĂ©sident de laRĂ©publique a rĂ©pondu Ă  une vieille exi-gence de classe du MEDEF et fait un nou-veau cadeau de 30 milliards au patronataprĂšs les 20 milliards du CrĂ©dit d’impĂŽtcompĂ©titivitĂ© pour les entreprises (CICE).Aucune mention n’a Ă©tĂ© faite des« contreparties Â» incluant le paquet sur-prise du chef de l’État, si l’on exclut lesnĂ©gociations de branche. Sans surprise,le prĂ©sident du MEDEF – Pierre Gattaz –

Rassurez-vous,François Hollanden’a pas changĂ© !

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a saluĂ© « le plus grand compromis socialdepuis des dĂ©cennies Â», affirmant aupassage que ce discours tĂ©moignaitd’une « prise de conscience de la rĂ©alitĂ©de la France Â» (Le Figaro, 15/01/14). Onpourrait croire – tout comme ThierryLepaon, secrĂ©taire gĂ©nĂ©ral de la CGT –que « Pierre Gattaz est premier minis-tre Â» (Le Monde, 20/01/13).

Le « tournant Â» de Hollande avait dĂ©jĂ Ă©tĂ© dĂ©battu aprĂšs ses vƓux du31 dĂ©cembre. Mais quel tournant ? Celuid’un socialiste vers la social-dĂ©mocra-tie, ou bien celui de la «  nĂ©cessitĂ©  »comme l’a Ă©noncĂ© Jacques Julliard(Marianne, 18/01/14) ? En tout cas, il s’agitbien « d’une accĂ©lĂ©ration Â» de la poli-tique menĂ©e mĂȘme si François Hollandese dĂ©fend de s’ĂȘtre engagĂ© vers la voielibĂ©rale en disant qu’il ne fait que du« donnant-donnant avec le patronat Â»(Le Monde, 18/01/14). Du cĂŽtĂ© de lapresse, le doute est en revanche moinsprĂ©sent. ExceptĂ© celle du courant del’opposition, Le Figaro, tous s’accordentĂ  affirmer, ou Ă  avouer, selon les rĂ©ti-cences, le virage tant annoncĂ©.

RUPTURE, DÉCALAGE OUCOMING OUT ?Si le Pacte de compĂ©titivitĂ© annoncĂ© ennovembre 2012 avait bien enterrĂ© le dis-cours du Bourget, il n’avait pourtant pasdĂ©clenchĂ© de rĂ©actions quant Ă  un chan-gement radical de politique. Questionde visibilitĂ©, sĂ»rement. La mĂ©diatisationdes vƓux du prĂ©sident expose claire-

ment ce que Hollande essaie de nousfaire comprendre depuis prĂšs de deuxans dĂ©jĂ . S’il est bien explicite que lesentreprises seront de nouveau privilĂ©-giĂ©es et mises au cƓur des efforts del’État, rien n’est clairement dit sur lesconditions du dialogue social, de sesacteurs ou de ses objectifs (Le Monde,9/01/ 2014).

L’UMP n’en mĂšne pas large, malgrĂ© lescepticisme dĂ©clarĂ© de ses membresquant Ă  l’application du Pacte. Et celan’est pourtant pas pour rĂ©jouir les sym-pathisants socialistes : car en assumantune politique libĂ©rale, le prĂ©sident acoupĂ© l’herbe sous le pied de l’opposi-tion. Moins de charges sur les entreprises,moins de dĂ©penses publiques, moinsd’impĂŽts
 Le nouveau programme Ă©co-nomique de Hollande dame le pion Ă  ladroite, dans une similitude Ă©vidente avecles vƓux de Jean-François CopĂ© du30 dĂ©cembre : « Il est urgent de baisserdrastiquement les impĂŽts, les chargessociales et la dĂ©pense publique, de sup-primer sans trembler toutes les rĂ©gle-mentations absurdes  » (Le Monde,7/01/14).Le « tournant Â» annoncĂ© doit donc s’ana-lyser Ă  deux niveaux : le premier est celuiqui oppose la pĂ©riode oĂč FrançoisHollande Ă©tait encore candidat Ă  l’élec-tion prĂ©sidentielle et celle d’aujourd’hui.À ce premier degrĂ©, il y a bien une rup-ture entre l’annonce et les pratiques.Ainsi, pour Élie Cohen, qui rĂ©pond auMonde, le 8 janvier 2014 : « les choix poli-

PAR ANTHONY MARANGHI

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tiques affichĂ©s par le prĂ©sident lors deses vƓux sont en rupture par rapport Ă ceux qu’il a faits depuis son Ă©lection Â»,Ă©voquant l’augmentation des impĂŽts oula rĂ©duction des dĂ©penses publiques.En revanche, rien Ă  dire sur la continuitĂ©des pratiques avec le discours du can-didat Hollande aux primaires socialistesde 2011 : Ă  l’époque, rappelle l’écono-miste, l’ancien secrĂ©taire du PS avaitfocalisĂ© son programme sur la rĂ©sorp-tion de la dette, plaidant pour un rĂ©Ă©qui-librage des comptes publics plus rapideet radical que celui proposĂ© par le PS. IldĂ©fendait enfin dĂ©jĂ  l’idĂ©e d’un « pacteproductif Â», n’hĂ©sitant pas Ă  se prĂ©sen-ter, dans son livre Le RĂȘve français (Privat,2011), en promoteur de « l’esprit d’en-treprise Â».Il semble donc acquis que les paroles etles actes ne collent pas. Mais faut-il vrai-ment parler de « tournant Â», ou n’est-cepas simplement l’affirmation d’une syn-thĂšse libĂ©rale faite lors de sa confĂ©rencede presse du 14 janvier ? Il n’était pasnĂ©cessaire d’attendre cette Ă©piphanietĂ©lĂ©visuelle pour se rendre compte quel’argument de la « rupture idĂ©ologique Â»ne tient pas.

QUAND LA GAUCHE« BOUGEAIT Â»... IL Y A TRENTEANSLe tournant 2014 « rappelle 1983 par lesenjeux et la mĂ©thode Â» comme le sou-ligne Jean-Pierre Robin dans Le Figaro du19 janvier. Il faut remonter aux annĂ©es1980, aux premiers pas de François

Hollande en politique, pour comprendreles origines du discours libĂ©ral de ce der-nier. DĂšs sa sortie des bancs de l’ENA, ausein de la cĂ©lĂšbre « promotion Voltaire Â»(1980), il s’engage dans la campagne prĂ©-sidentielle de 1981 pour l’union de lagauche. AprĂšs l’élection de FrançoisMitterrand, le 10 mai 1981, et deux pre-miĂšres annĂ©es de prĂ©sidence marquĂ©espar la nomination de ministres commu-nistes et de nombreuses nationalisations,le premier plan de rigueur de 1983 marqueun premier « tournant Â» dans la conver-sion du Parti socialiste Ă  l’idĂ©ologie nĂ©o-libĂ©rale, marquant la naissance du consen-sus de ses membres autour d’une gauchese qualifiant de « moderne Â».C’est dans un ouvrage collectif tombĂ©dans l’oubli, et aujourd’hui « Ă©puisĂ© Â», quese trouve l’embryon idĂ©ologique de l’ac-tuel « tournant social-dĂ©mocrate Â». C’esten relisant La Gauche bouge, publiĂ© en1985 aux Ă©ditions Jean-Claude LattĂšs,qu’on voit comment François HollandeprĂŽnait dĂ©jĂ  ouvertement le libĂ©ralismesous le pseudonyme de Jean-FrançoisTrans, aux cĂŽtĂ©s de Jean-Pierre Jouyet,ancien camarade de promotion, et deceux du mouvement « Trans-courants »(Jean-Michel Gaillard, Jean-Yves Le Drianet Jean-Pierre Mignard). La « bande descinq Â» affichait une ambition politiqueclaire : crĂ©er une « troisiĂšme voie Â» fon-dĂ©e sur une Ă©conomie de marchĂ© mon-dialisĂ©e et « une rĂ©flexion progressistecoupĂ©e de tout courant idĂ©ologique Â».Dans le contexte des politiques nĂ©olibĂ©-rales d’alors, il semblerait qu’une politique

Ă©conomique de gauche, fondĂ©e sur unerelance par la demande, ne correspon-dait plus Ă  « l’efficacitĂ© Ă©conomique Â».Finalement, le libĂ©ralisme de FrançoisHollande n’a jamais faibli, en trente ansde carriĂšre politique. Suite aux multiplesabandons des salariĂ©s (d’Arcelor Mittalou de Petit-Couronne, entre autres) aubĂ©nĂ©fice des entrepreneurs, ce « pacted’irresponsabilitĂ© sociale Â», dĂ©noncĂ© parPierre Laurent dans l’HumanitĂ© du 15 jan-vier, a dĂ©finitivement fait tomber lemasque prĂ©sidentiel qui ne trompe pluspersonne. En concluant un pacte don-nant la prioritĂ© au patronat, c’est lecontrat social que le « prĂ©sident despatrons Â» risque d’enterrer. n

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Le clivage gauche/droitea-t-il encore un sens ?

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PAR FLORIAN GULLI

On connaĂźt la rĂ©ponse du philosophe Alain : « La pre-miĂšre idĂ©e qui me vient est que l’homme qui pose cettequestion n’est certainement pas un homme de gauche ».Les choses ont nĂ©anmoins beaucoup changĂ© depuis cepropos de 1930. Aujourd’hui, la dĂ©fiance vis-Ă -vis de lagauche et de la droite, le sentiment croissant qu’une dif-fĂ©rence seulement marginale distingue les deux, sontlargement rĂ©pandus dans la population et en particulierdans les classes populaires. GĂ©rard Streiff Ă©crivait dansLa Revue du Projet : « ni droite, ni gauche, le premier partide France ».Ce sentiment n’a pas Ă©pargnĂ© les philosophes. CorneliusCastoriadis par exemple, que nul ne suspectera d’ĂȘtre dedroite, se dĂ©clarait dĂšs 1986 « déçu du gauche-droite ».L’historien amĂ©ricain d’inspiration marxiste ChristopherLasch, dans un ouvrage de 1991, affirmait « l’obsoles-cence du clivage gauche-droite » au motif que gauche etdroite partageaient dĂ©sormais « les mĂȘmes convictionsfondamentales ». Ces thĂšses sont reprises aujourd’huipar le philosophe Jean-Claude MichĂ©a qui se dĂ©claresocialiste mais par-delĂ  la gauche et la droite, s’autori-sant de Marx et d’Engels qui toujours assumĂšrent leurappartenance au socialisme sans jamais toutefois se dire« de gauche ».

DÉSILLUSION À L’ÉGARD DE LA GAUCHELes discussions autour du clivage gauche/droite quiretiennent notre attention viennent d’une dĂ©sillusion Ă l’égard de la gauche. Elles cherchent Ă  expliquer le ral-liement rĂ©pĂ©tĂ© des gouvernements de gauche aux poli-tiques libĂ©rales, sans recourir au schĂšme insatisfaisantde la « trahison ».Les mises en question radicales de l’idĂ©e de « gauche »,qui vont jusqu’à estimer qu’il faut s’en passer dĂ©sormais,mobilisent en gĂ©nĂ©ral trois types d’arguments. Le pre-mier est stratĂ©gique : le mot « gauche » n’est absolumentplus mobilisateur aujourd’hui. On aura beau se dĂ©clarer« 100 % Ă  gauche », « parti de gauche », « vraie gauche »,« gauche de gauche », rien n’y fera. Et le constat d’unedĂ©valorisation durable du mot semble incontestable.AndrĂ© Tosel, s’inscrivant dans cette analyse stratĂ©gique,propose en guise de « cure d’abstinence linguistique »,

de « mesure d’hygiĂšne mentale », de ne plus prononcerle mot « gauche ». Si l’unitĂ© des classes populaires doitse faire, ce ne sera pas autour de ce mot discrĂ©ditĂ© quidivise les gens plus qu’il ne les rassemble. Reste alors Ă savoir par quel terme mobilisateur remplacer le signi-fiant « gauche » : « Peuple » ? « Socialisme » ?« Communisme » ? « Les 99 % » ? À moins que tout cecine soit pas affaire de mots.Le second argument est d’ordre idĂ©ologique. La gauchepartagerait dĂ©sormais « les mĂȘmes convictions » (Lasch)que la droite. Gauche et droite ne seraient que deux

variantes complĂ©mentaires du libĂ©ralisme (MichĂ©a). BiensĂ»r, on pourrait arguer qu’une telle analyse est caricatu-rale ; que des clivages idĂ©ologiques persistent ; qu’il existe,en France en particulier, une gauche qui ne s’est pas ral-liĂ©e au libĂ©ralisme, etc. Mais peut-ĂȘtre l’essentiel n’est-il pas lĂ  ! On peut en effet contester le prĂ©supposĂ© vou-lant que la gauche soit d’abord la traduction politiqued’une idĂ©ologie. Si l’idĂ©ologie est Ă©videmment impor-tante, elle n’est pas d’une grande aide quand il faut dĂ©fi-nir le clivage qui nous intĂ©resse. Car Ă  regarder les conte-nus proposĂ©s par les organisations de gauche au coursdu siĂšcle dernier et Ă  l’échelle de la planĂšte, il est biendifficile de trouver une cohĂ©rence et quelques invariants.TantĂŽt ces organisations ont dĂ©fendu la petite propriĂ©tĂ©et le partage des terres, tantĂŽt elles ont favorisĂ© la col-

Le virage libĂ©ral de la social-dĂ©mocratie europĂ©enne sĂšme le doute sur lapertinence d’un clivage qui ne date pas d’hier. Plusieurs auteurs se sontnotamment interrogĂ©s rĂ©cemment sur son rapport au clivage de classe.

Lire, rendre compte et critiquer, pour dialoguer avec les penseurs d'hier et d'aujourd'hui, faireconnaßtre leurs idées et construire, dans la confrontation avec d'autres, les analyses et le projetdes communistes.

« Le mot « Gauche » a donc toujours un sens.

Il désigne, d'un point de vue de classe, l'alliance entre lesclasses fondamentales et la

fraction subalterne de la classedominante, celle qui est

la plus éloignée du pouvoirsocial réel. »

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lectivisation. Ici elles Ă©taient favorables Ă  la colonisation,lĂ -bas, elles lui Ă©taient hostiles. Elles dĂ©fendent l’égalitĂ©,mais cela arrive aussi Ă  la droite (pensons Ă  MiltonFriedman et Friedrich Hayek, grands pourfendeurs desdiscriminations). Comme la droite enfin, il leur arrive deprivatiser des entreprises publiques. Et pourtant, mal-grĂ© cet embrouillamini idĂ©ologique, il est possible d’iden-tifier une gauche et une droite. Christopher Lasch illus-tre bien ce paradoxe. Il commence son livre Le seul etvrai paradis en dĂ©clarant l’obsolescence du clivagegauche/droite, mais le termine en identifiant trĂšs clai-rement une droite et une gauche malgrĂ© l’indiffĂ©rencia-tion idĂ©ologique affirmĂ©e. ManiĂšre de reconnaĂźtre taci-tement que le clivage gauche/droite n’est pas rĂ©ductibleaux oppositions idĂ©ologiques.

STRUCTURATION DE LA SOCIÉTÉ EN CLASSESLe clivage gauche/droite renvoie, au-delĂ  des idĂ©ologies,Ă  la structuration de la sociĂ©tĂ© en classes. S’il persiste, cen’est donc pas seulement dans la tĂȘte de quelques nos-talgiques. Il a un fondement objectif. Bien sĂ»r, il faut segarder de la vision caricaturale voulant que la gauchereprĂ©sente les classes populaires tandis que la droitedĂ©fendrait la bourgeoisie. La structure de classes dessociĂ©tĂ©s modernes est « un jeu Ă  trois protagonistes »(Jacques Bidet), non Ă  deux : les classes fondamentalesd’une part et d’autre part une classe dominante elle-mĂȘme divisĂ©e en deux fractions hiĂ©rarchisĂ©es. On peutalors faire apparaĂźtre « le paradoxe du concept de gauche »(Bidet). Il y a la « gauche » en tant qu’expression de lafraction de la classe dominante la plus Ă©loignĂ©e du pou-voir social rĂ©el et la « Gauche », avec une majuscule,comme alliance entre cette derniĂšre fraction et les classespopulaires. Ce qui donne par exemple avant l’affaireDreyfus en France : une gauche identifiĂ©e Ă  la bourgeoi-sie et une droite identifiĂ©e Ă  l’aristocratie alors hĂ©gĂ©mo-nique, les socialistes se situant le plus souvent hors ducadre parlementaire, donc en deçà de la dichotomie.PrĂ©cisons pour Ă©viter tout malentendu, que les alliancesdont on parle ici sont des alliances de classes et non departis politiques. Les partis socialistes et communistesau XXe siĂšcle ont toujours accueilli en leur sein l’alliancedont il est question.Le philosophe Jean-Claude MichĂ©a reconnaĂźt Ă  la Gauchedu XXe siĂšcle ses mĂ©rites mais affirme en mĂȘme tempsque le contexte social qui l’a rendue possible estaujourd’hui rĂ©volu et qu’il est illusoire par consĂ©quentde vouloir la ressusciter. En effet, le traditionalisme fĂ©o-dal, dont la menace avait justifiĂ© l’existence de la Gauche,a dĂ©finitivement disparu de la scĂšne politique en 1945.Depuis cette date et faute d’ennemis, l’alliance de la bour-geoisie et des classes populaires n’a plus de raison d’ĂȘtre.Le jeu social s’est simplifiĂ© et ne compte plus que deuxprotagonistes. Il n’y a plus de place dĂ©sormais que pourla « gauche » au sens faible qui fera les intĂ©rĂȘts de la bour-geoisie quoiqu’en suivant des mĂ©thodes lĂ©gĂšrement dif-fĂ©rentes de celles de la droite. Dans ce contexte, le cli-vage gauche/droite semble avoir perdu toute pertinence.Les analyses du philosophe Jacques Bidet permettent derĂ©tablir la pertinence du clivage politique et donc cellede la « Gauche » au sens fort. Selon lui en effet, la tripar-tition sociale est constitutive de la modernitĂ© politique.

Elle ne prend pas fin Ă  la LibĂ©ration ; les Ă©lĂ©ments chan-gent mais la structure persiste. Il y a aujourd’hui encoreface aux classes fondamentales une classe dominante Ă deux pĂŽles (c’est lĂ  ce qui sĂ©pare Jacques Bidet et Jean-Claude MichĂ©a). À cĂŽtĂ© de ceux qui fondent leur pouvoirsur la propriĂ©tĂ© (la finance), il y a ceux qui fondent leurpouvoir sur le savoir et les compĂ©tences (l’élite, lesexperts). Ce que d’ailleurs Christopher Lasch entrevoyaitdans Le Seul et vrai paradis en identifiant une droite liĂ©eaux actionnaires et une nouvelle gauche « regroupantles professions managĂ©riales et intellectuelles » (la « nou-velle classe »). Cette composante de la classe dominante(les « cadres », la « technocratie ») commence Ă  se dĂ©ve-lopper Ă  la fin du XIXe siĂšcle, mais n’apparaĂźt vraimentcomme groupe identifiable qu’à partir des annĂ©es 1960en France. Son affinitĂ© Ă©ventuelle avec les classes fon-damentales vient de ce qu’elle se tient, elle aussi, Ă  dis-tance du pouvoir social rĂ©el, celui des actionnaires.Dans ce contexte, « le paradoxe du concept de gauche »persiste. Les conditions sont encore rĂ©unies pour qu’il yait une Gauche (populaire) comme alliance de classe, etnon pas seulement une gauche (Ă©litaire) libĂ©rale. Ce quiexplique l’invisibilitĂ© de la Gauche (populaire)aujourd’hui, c’est la dĂ©sorganisation relative des classesfondamentales, qui ne sont plus en mesure d’exercer uneinfluence sur la fraction subalterne de la classe domi-nante. Mais pourquoi une alliance de classe, pourrait-on objecter ? Pourquoi ne pas tenter la voie de l’autono-mie des classes populaires ? Le principe de lĂ©gitimitĂ©moderne, le principe majoritaire, impose les alliancesde classes. Dans un jeu Ă  trois protagonistes, on ne gagnepas tout seul. Refuser l’alliance, c’est crĂ©er du mĂȘme couples conditions d’une alliance entre la finance et l’élite,alliance au sommet qui n’a jamais fait les affaires desclasses populaires. Tout cela est bien connu : la victoireest Ă  celui qui sait diviser son adversaire (la bourgeoisie,elle, connaĂźt la chanson !).Le mot « Gauche » a donc toujours un sens. Il dĂ©signe,d’un point de vue de classe, l’alliance entre les classesfondamentales et la fraction subalterne de la classe domi-nante, celle qui est la plus Ă©loignĂ©e du pouvoir social rĂ©el(la bourgeoisie au XIXe siĂšcle, l’élite technocratiqueaujourd’hui). Il n’en reste pas moins que le terme nesĂ©duit plus. La remobilisation des classes populaires,prĂ©alable Ă  toute politique communiste, devra donc sansdoute se faire sur d’autres bases sĂ©mantiques. n

Bibliographie‱ JACQUES BIDET, L'État-monde, LibĂ©ralisme, socialisme etcommunisme Ă  l'Ă©chelle globale, PUF, 2011.

‱ CORNELIUS CASTORIADIS, Une sociĂ©tĂ© Ă  la dĂ©rive,Seuil, 2005.

‱ CHRISTOPHER LASCH, Le seul et vrai paradis. Une histoire de l'idĂ©ologie du progrĂšs et de ses critiques,Flammarion, 2006.

‱ JEAN-CLAUDE MICHÉA, Les mystĂšres de la gauche. De l'idĂ©al des LumiĂšres au triomphe du capitalisme absolu,Climats, 2013.

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Jules VallĂšs Paris, Gallimard, 2013

CORINNE SAMINADAYAR-PERRIN

PAR STÈVE BESSAC

Écrire une biographie est toujours un « pari » (F. Dosse),pari rĂ©ussi par Corinne Saminadayar-Perrin qui, tout aulong de douze chapitres chronologiques, retrace la viede Jules VallĂšs (1832-1885) en l’insĂ©rant dans ce XIXe siĂš-cle français rythmĂ© par les rĂ©volutions. Pour ce faire, laprofesseur de littĂ©rature française de Montpellier III s’ap-puie sur les Ă©crits publics et les correspondances de VallĂšs,sur les autres productions du champ littĂ©raire ainsi quesur une bonne connaissance socio-politique du XIXe siĂš-cle. Du Puy-en-Velay d’oĂč est natif Jules Vallez (nomd’état-civil qui devient VallĂšs sous sa plume), en Auvergne,Ă  Paris, en passant par Saint-Etienne puis Nantes, CorinneSaminadayar-Perrin Ă©voque le parcours d’un « ventre-creux » parmi tant d’autres. Fils d’un instituteur et d’unepaysanne de condition modeste, Jules fait des Ă©tudes,perçues comme un moyen d’ascension sociale mais, bienque bachelier – titre du second volet de la trilogie auto-biographique de Jacques Vingtras –, il a du mal Ă  trouverun emploi et ne peut vivre de sa plume. L’auteur, en pre-nant en compte les dĂ©terminismes socioĂ©conomiques,permet aux lecteurs de mieux comprendre le parcoursde VallĂšs qui, tout en occupant un poste de fonctionnaireĂ  la mairie de Vaugirard dans le 15e arrondissement, pour-suit une carriĂšre de journaliste, « dĂ©bouchĂ© le plus acces-sible et le plus rentable aux bacheliers dĂ©pourvus de res-sources personnelles » (p. 146). Le journalisme est aussiun moyen de mener un combat politique contre le SecondEmpire et en faveur d’une RĂ©publique socialiste. Ainsi,aprĂšs avoir publiĂ© L’Argent (1857) dans lequel il dĂ©noncele paupĂ©risme du peuple, le Ponot (habitant du Puy-en-Velay) participe au Figaro dont la devise est « sans lalibertĂ© de blĂąmer, il n’est point d’éloge flatteur ». À plu-sieurs reprises, la mise en application de l’axiome deBeaumarchais vaut Ă  VallĂšs le courroux de la censureimpĂ©riale et la prison. Il poursuit alors son engagementsur le terrain politique, en se prĂ©sentant Ă  l’élection lĂ©gis-lative de 1869, notamment contre Jules Simon. Cette can-didature n’empĂȘche pas le chef des rĂ©publicains modĂ©-rĂ©s de l’emporter mais, en Ă©tant candidat, VallĂšs peutainsi dĂ©fendre ses idĂ©es, celles des vaincus de Juin 1848(lorsque les ouvriers rĂ©clament le droit au travail en juin1848, les rĂ©publicains modĂ©rĂ©s au pouvoir les rĂ©primentdans le sang). Avec la chute de l’Empire en septembre1870, le « rĂ©fractaire » voit l’occasion d’instaurer l’alliancede la Marianne et de la Sociale et participe Ă  une pre-miĂšre tentative rĂ©volutionnaire le 31 octobre 1870. Puis,

dans un contexte de guerre face Ă  la Prusse, dans ParisassiĂ©gĂ© avec des Parisiens affamĂ©s, VallĂšs prend part Ă  laCommune. Il coĂ©crit l’Affiche rouge et crĂ©e un journal, leCri du Peuple. Mi-avril 1871, il se retire de la publicationafin de se consacrer pleinement Ă  l’action politique.Demeurant Ă  Paris jusqu’au bout de la Semaine san-glante, il combat pour dĂ©fendre son idĂ©al de la Communetout en Ă©vitant le maximum d’exĂ©cutions sommaires.RecherchĂ©, VallĂšs parvient Ă  s’exiler Ă  Londres oĂč il restejusqu’à l’amnistie de 1880. Il rentre alors Ă  Paris et pour-suit son combat politique en recrĂ©ant Le Cri du Peuple,« journal du socialisme rĂ©volutionnaire » dans lequelĂ©crit notamment Jules Guesde. Affaibli par le diabĂšte,VallĂšs dĂ©cĂšde le 14 fĂ©vrier 1885, « au moins 100 000 per-sonnes suivent le cortĂšge que surmontent des drapeauxrouges et des drapeaux noirs ».

L’injustice sociale : quelles voiespour la critique ?PUF, Paris, 2013

JULIA CHRIST, FLORIAN NICODÈME (DIR.)

PAR JEAN QUÉTIER

En proposant un recueil portant sur le thĂšme de l’injus-tice sociale, Julia Christ et Florian NicodĂšme s’inscriventdans une perspective globalisante qui entend nous offrirune vue d’ensemble sur une vieille question plus quejamais d’actualitĂ©. L’angle d’attaque choisi est rĂ©solu-ment interdisciplinaire : dans l’ouvrage, la parole estbeaucoup donnĂ©e Ă  la philosophie, mais aussi Ă  la socio-logie, Ă  l’économie ou encore Ă  la psychanalyse. À cetĂ©gard, la filiation avec les travaux de l’École de Francfortest clairement revendiquĂ©e, tant pour ce qui est d’unemĂ©thode qui vise Ă  dĂ©passer les frontiĂšres existant entreles diffĂ©rentes sciences sociales instituĂ©es, que dans l’at-tention portĂ©e Ă  des thĂ©matiques comme celle de lareconnaissance, dĂ©veloppĂ©e rĂ©cemment par AxelHonneth, l’actuel directeur de l’Institut de recherchesociale de Francfort. Il faut toutefois signaler que toutesles contributions prĂ©sentĂ©es dans cet ouvrage collectifne revendiquent pas cet hĂ©ritage. Ainsi, Robert Castelaffirme par exemple son attachement Ă  la tradition soli-dariste française et au concept de droit social sans pren-dre appui sur les productions francfortoises. D’autres,tels Bruno Karsenti ou Bertrand Ogilvie, se montrentmĂȘme trĂšs critiques Ă  l’égard de certains aspects de lathĂ©orie de la reconnaissance, cette derniĂšre Ă©tant consi-dĂ©rĂ©e comme trop ambiguĂ« ou trop moralisante. À cetĂ©gard, l’ouvrage entend moins nous offrir une rĂ©ponseunifiĂ©e qu’un panorama des dĂ©bats actuels sur la ques-tion de l’injustice sociale. On remarquera pour conclure

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que la pensĂ©e de Karl Marx et ses diffĂ©rentes interprĂ©ta-tions conservent une place centrale dans les discussions,que ce soit pour penser la conflictualitĂ© sociale, l’articu-lation entre partage et lutte des classes, ou encore la ten-sion entre l’économique et l’historico-politique.

Et si les femmes révolutionnaient le travail ? Fondation Gabriel Péri

LAURENCE COHEN (DIR.)

PAR MARINE ROUSSILLON

Cet ouvrage est le fruit d’un travail collectif, menĂ© pardes membres de la commission « Droits des Femmes/FĂ©minisme » du PCF et de la Fondation Gabriel PĂ©ri. Ilrend compte des inĂ©galitĂ©s entre hommes et femmesau travail, tout en proposant des pistes pour que lessyndicats, les partis politiques et l’ensemble des acteursdu travail puissent les combattre. E. Boussard-VerechiaĂ©tudie ainsi la « surmortalitĂ© contractuelle » des femmes– les diffĂ©rentes raisons qui font que leurs contrats sontplus facilement rompus. La question de l’inĂ©galitĂ© pro-fessionnelle entre les femmes et les hommes dans lesfonctions publiques est posĂ©e par l’audition de l’éco-nomiste Françoise Milewski et l’article de la sociologueSophie Pohic. Marie-Christine Vergiat fait un bilan despolitiques en direction des femmes menĂ©es par l’UnioneuropĂ©enne : cette mise au point est particuliĂšrementutile Ă  l’approche des prochaines Ă©lections europĂ©ennes.Le volume rassemble ainsi des informations et des ana-lyses permettant de saisir la rĂ©alitĂ© des inĂ©galitĂ©s entrefemmes et hommes au travail et de mieux comprendrece qui les rend particuliĂšrement difficiles Ă  combattre.C’est d’abord en les rendant visibles, par la publicationd’ouvrages comme celui-ci mais aussi par la crĂ©ationd’institutions et la promulgation de rĂšgles nouvelles,que l’on permettra aux syndicats et au monde du tra-vail d’en faire un objet de luttes.Ces luttes ne sont pas un simple « supplĂ©ment d’ñme »dans la lutte des classes : elles sont essentielles parceque le combat contre les inĂ©galitĂ©s entre hommes etfemmes a pour enjeu une transformation profonde dutravail et l’émancipation de tous les travailleurs, quelque soit leur sexe. C’est la thĂšse forte du volume, dĂ©ve-loppĂ©e notamment dans les articles de la syndicalisteMaryse Dumas, de l’économiste Bernard Friot et dujuriste HervĂ© Tourniquet. VoilĂ  qui fait de cet ouvrage –dont il faut souligner la concision – un outil utile nonseulement aux fĂ©ministes mais Ă  tous ceux qui veulent« rĂ©volutionner le travail ».

EXPRESSION COMMUNISTE

PÉRIODIQUES

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Guillaume [email protected]

Pierre LaurentSecrétaire national du PCF Responsable national du projet

Isabelle De Almeida Responsable nationale adjointe du projet

Marc Brynhole Olivier Dartigolles Jean-Luc Gibelin Isabelle Lorand Alain Obadia VĂ©ronique Sandoval

AGRICULTURE, PÊCHE, FORÊT

Xavier Compain [email protected]

CULTURE

Alain Hayot [email protected]

DROITS ET LIBERTÉS

Fabienne Haloui [email protected]

DROITS DES FEMMES ET FÉMINISME

Laurence Cohen [email protected]

ÉCOLOGIE

HervĂ© Bramy [email protected]

ÉCONOMIE ET FINANCES

Yves Dimicoli [email protected]

ÉDUCATION

Marine [email protected]

ENSEIGNEMENT SUPÉRIEUR - RECHERCHE

Anne [email protected]

JEUNESSE

Isabelle De Almeida [email protected]

MOUVEMENT DU MONDE

Jacques Fath [email protected]

PRODUCTION, INDUSTRIE ET SERVICES

Alain [email protected]

TRAVAIL, EMPLOI

VĂ©ronique Sandoval [email protected]

Pierre DharrĂ©[email protected]

RÉPUBLIQUE, DÉMOCRATIE ET INSTITUTIONS

Patrick Le [email protected]

PROJET EUROPÉEN

FrĂ©dĂ©ric [email protected]

Amar [email protected]

Isabelle Lorand [email protected]

VILLE, RURALITÉ, AMÉNAGEMENT DU TERRITOIRE

SPORT

Nicolas Bonnet [email protected]

SANTÉ, PROTECTION SOCIALE

Jean-Luc Gibelin [email protected]

Patrice [email protected] Michel Laurent

Lieu d’études sur le mouvement des idĂ©es et des [email protected]

L’ÉQ

UIP

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REV

UE

Jean QuétierMouvement réel

Renaud BoissacDroit

HĂ©lĂšne BidardRĂ©dactrice en chef

adjointe

Davy CastelRĂ©dacteur en chef

adjoint

Guillaume Roubaud-QuashieRĂ©dacteur en chef

Igor MartinacheRĂ©dacteur en chef

adjoint

Frédo CoyÚreMise en page/graphisme

Caroline BardotRĂ©dactrice en chef

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Noëlle MansouxSecrétaire de rédaction

Vincent BordasRelecture

SĂ©bastien ThomasseyMise en page

CĂŽme SimienHistoire

Nicolas Dutent Mouvementréel/Regard

GĂ©rard StreiffCombat d’idĂ©es

Nina LĂ©gerSondages

Corinne Luxembourg

Production de territoires

Florian GulliMouvement

réel

Alain VermeerschRevue des média

SĂ©verine Charret Production de territoires

Marine RoussillonCritiques

Amar BellalSciences

Michaël OrandStatistiques

Étienne ChossonRegard

Francis CombesPoésies

Franck DelorieuxPoésies

Pierre CrépelSciences

LĂ©o PurguetteTravail de secteurs

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