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Tarif standard : 7 • Tarif étudiant, chômeur, faibles revenus : 5 • Tarif de soutien : 10 N o 13 JUILLET-AOÛT-SEPTEMBRE 2016 7 DOSSIER x JEUNESSE REGARDS SUR LE PROGRÈS IDÉES RÉACTEUR AU THORIUM par Hervé Nifenecker SCIENCE x LA MICROPESANTEUR par Roger Prud’homme TRAVAIL x TERTIAIRE : PÉNIBILITÉS ET CONTRAINTES par Virginie Althaus ENVIRONNEMENT ET SOCIÉTÉ x LES VICTIMES DE L’AMIANTE par Alain Bobbio LA BOURSE OU L’INDUSTRIE? x NACER MANSOURI-GUILANI, MARIE-CLAIRE CAILLETAUD, FRÉDÉRIC BOCCARA

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No 13 JUILLET-AOÛT-SEPTEMBRE 20167 €

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JEUNESSEREGARDS SUR LE PROGRÈS

IDÉESRÉACTEUR AU THORIUM par Hervé Nifenecker

SCIENCE xLA MICROPESANTEURpar Roger Prud’homme

TRAVAIL xTERTIAIRE : PÉNIBILITÉS ETCONTRAINTES par Virginie Althaus

ENVIRONNEMENTET SOCIÉTÉ xLES VICTIMES DE L’AMIANTEpar Alain Bobbio

LA BOURSE OU L’INDUSTRIE? xNACER MANSOURI-GUILANI, MARIE-CLAIRE CAILLETAUD, FRÉDÉRIC BOCCARA

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SOMMAIRE2 JUILLET-AOÛT-SEPTEMBRE 2016

Progressistes JUILLET-AOÛT-SEPTEMBRE 2016

ÉDITO Le vent se lève Ivan Lavallée...................................................................................................................................................3

ÉNERGIE «Thorium, la face gâchée du nucléaire» Hervé Nifenecker .................................................................................................7

L’EPR britannique de Hinkley Point : les inquiétudes des salariés d’EDF Marie-Claire Cailletaud ....................................................8L’industrie, élément fondateur d’un nouveau système productif Nasser Mansouri-Guilani ..........................................................10Alstom Belfort, ses emplois et l’avenir de la France Frédéric Boccara ...........................................................................................12

DOSSIER : JEUNESSE, REGARDS SUR LE PROGRÈSLa parole à la jeunesse Amar Bellal ...................................................................................................................................................15Des revendications pour gagner la bataille écologique Paul Barrié ...........................................................................................16Développer les transports en commun : une nécessité sociale, écologique et industrielle Thomas Bompied ......................18Révolution numérique et industrie Marie Jay ....................................................................................................................................20Quel mix énergétique pour faire face aux enjeux environnementaux? Daniel Spencer ...........................................................23Filière agroalimentaire Antoine Clamart, Sylvain Ristand et Vincent Roustet ............................................................................................26

VIDÉOS............................................................................................................................................................................................ 29BRÈVES ............................................................................................................................................................................................ 30

SCIENCE ET TECHNOLOGIERECHERCHE ET ESPACE L’intérêt de la micropesanteur Roger Prud’homme .......................................................................................32STRATÉGIE Le jeu d’échecs : évolution et révolutions Taylan Coskun ..............................................................................................34SOCIÉTÉ Faut-il débattre des terroristes ou du terrorisme? Nicolas Martin ..................................................................................... 36

TRAVAIL, ENTREPRISE & INDUSTRIESANTÉ Secteur tertiaire. Entre pénibilités traditionnelles et contraintes spécifiques Virginie Althaus ..........................................38ÉCONOMIE Fusion Bayer-Monsanto « For a better life ». Mais de qui? Alain Tournebise ................................................................40

ENVIRONNEMENT & SOCIÉTÉÉCOLOGIE Où en est l’Europe après la COP21 Francis Combrouze ...................................................................................................42SERVICE PUBLIC Linky, mythes et réalités sur un compteur électrique Valérie Goncalves ..............................................................44SANTÉ AU TRAVAIL La longue marche des victimes de l’amiante Alain Bobbio .............................................................................46

LIVRES .............................................................................................................................................................................................. 48

POLITIQUE Du côté du PCF et des progressistes... .......................................................................................................................... 50

BRÈVES ............................................................................................................................................................................................ 51

Progressistes (Trimestriel du PCF) • Tél. 01 40 40 11 59 • Directeur de la publication : Jean-François Bolzinger • Directeur scientifique : Jean-Pierre Kahane• Président du conseil de rédaction : Ivan Lavallée • Directeur de la diffusion : Alain Tournebise • Rédacteur en chef : Amar Bellal • Rédacteurs en chef adjoints :Aurélie Biancarelli-Lopes, Sébastien Elka • Coordinatrice de rédaction : Fanny Chartier • Responsable des rubriques : Ivan Lavallée, Anne Rivière, Jean-ClaudeCheinet, Malou Jacob, Brèves : Emmanuel Berland • Vidéos et documentaires : Celia Sanchez • Livres : Delphine Miquel • Politique : Shirley Wirden • Comptabilitéet abonnements : Françoise Varoucas • Rédacteur-réviseur : Jaime Prat-Corona Comité de rédaction : Jean-Noël Aqua, Geoffrey Bodenhausen, Léa Bruido, Jean-Claude Cauvin, Bruno Chaudret, Marie-Françoise Courel, Simon Descargues, Marion Fontaine, Gabriel Laumosne, Michel Limousin, George Matti, Simone Mazauric,Hugo Pompougnac, Evariste Sanchez-Palencia, Pierre Serra, Lise Toussaint, Françoise Varoucas • Conception graphique et maquette : Frédo Coyère • Expert asso-cié : Luc Foulquier • Édité par : l’association Paul-Langevin (6, avenue Mathurin-Moreau 75 167 Paris Cedex 19) • No CPPAP : 0917 G 93175 • Imprimeur : Publicimprim (12, rue Pierre-Timbaud BP 553 69 637 Vénissieux Cedex).

Conseil de rédaction : (Président : Ivan Lavallée • Membres : Hervé Bramy, Bruno Chaudret, Xavier Compain, Yves Dimicoli, Jean-Luc Gibelin, Valérie Goncalves,Jacky Hénin, Marie-José Kotlicki, Yann Le Pollotec, Nicolas Marchand, Anne Mesliand, Alain Obadia, Marine Roussillon, Francis Wurtz).

BIENVENUE À LA PETITE ALICE, ET TOUTES NOS FÉLICITATIONS AUX JEUNES PARENTS, ÉMILIE ET SÉBASTIEN !

CRÉDIT PHOTOS : • P8 Civaux nuclear plant entrance -14 May 2012, 19:37:54 -Source Own work – Author E48616 • P9 Description English: Hinkley Point A, nuclear power station Date 3 January 2009 Source From geograph.org.uk Author Roger Cornfoot• P13 Deutsch: TGV 4722 in Karlsruhe Hbf bei der Einfahrt Date 3 April 2013, 09:25:39 Source Own work Author Hoff1980 • P16 Vue extérieure de l'UFR Sciences médicales et pharmaceutiques? Date 11 April 2014, 10:29:23 Source Photothèque de l'uni-versité de Franche-Comté Author Ludovic Godard, photographe de l'Université de Franche-Comté • P45 Linky, compteur communicant Date 26 October 2015, 11:15:30 Source Own work Author Ener356

REVUE PROGRESSISTE N°13-DEF_progressistes 09/11/2016 17:48 Page2

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JUILLET-AOÛT-SEPTEMBRE 2016 Progressistes

ÉDITORIAL

outeilles incendiaires contre les institutionsphares de la République, école, enseignants,policiers, centres d’accueil…, magistrats

conspués, justice pénale contestée, groupes passi autonomes que ça (no border) « jouant » à laguérilla urbaine, policiers en uniforme bafouantles lois de la République, des hommes et desfemmes politiques convaincus de corruption, d’en-richissement quand le chômage et son corollaire,la misère, par ailleurs s’étendent.

Les nuances des nuages d’orage varient du vieuxrose très pâle au brun très foncé, l’avenir immé-diat semble bouché.

Les petites musiques insidieuses, disques rayésdes années trente du siècle dernier, recommen-cent à écorcher nos oreilles progressistes. La crisefinancière qui menace rappelle de bien mauvaissouvenirs et a des relents délétères.

Nous venons de vivre le grand retour du mondedu travail et de la création dans la lutte pour contrerles régressions néolibérales imposées par laCommission européenne et le Medef, et mises enplace par le gouvernement libéral socialiste. Unenouvelle phase de la guerre sociale1 à l’échellemondiale s’engage. C’est un tsunami qui se pro-file à l’horizon et dont nous subissons les premierseffets, il est porté par l’extraordinaire avancée dessciences et des techniques qui est appelée à bou-leverser l’organisation traditionnelle du mondeet du mode de production.

Nous ne sommes pas encore au cœur du tour-billon, mais nous y allons. Inverser le courant n’estpas pour tout de suite, mais c’est à préparer sanstarder pour les actions à venir, dans un mouve-ment d’ensemble, avec des idées claires sur ce quenous voulons, sans démagogie, et pas seulementsur ce que nous ne voulons pas : c’est le sens deProgressistes, qui devient officiellement revue, etde l’audience que nous voulons lui donner.

Le peuple français est appelé à faire des choiximportants, cruciaux pour son avenir et celui denos enfants. Il nous faut porter haut les couleursdu progrès dans toutes ses dimensions, écono-mique, sociale, environnementale, scientifique,démocratique, humaine… Ce progrès sera-t-il aurendez-vous du débat autour de la présidentielleet des législatives? Il n’y a rien à attendre de l’énormemachine de propagande des pouvoirs en place,sauf si on s’en mêle… avec Progressistes, bien sûr !

Confiance quand même.

Il nous revient, à Progressistes, de dégager l’hori-zon, de faire lever l’espoir en donnant les élémentsrationnels permettant d’envisager un avenir autre.C’est le rassemblement large, sur des bases claireset faisant appel à l’intelligence populaire, qui seulpeut ouvrir la voie.

Alors que j’écrivais ces lignes, ce samedi 22 octo-bre, les jeunes communistes rendaient hommageaux vingt-sept fusillés le mercredi 22 octobre 1941à Châteaubriant.

Ils répondaient ainsi à l’appel du poète Paul Éluard:« Si l’écho de leurs voix faiblit, nous périrons ! »

Ce premier numéro en tant que revue est le leur,la relève est là. Bonne lecture ! n

IVAN LAVALLÉE,professeur émérite d’informatique

1. L’ancien dirigeant syndical Bernard Thibault a ainsi puintituler son dernier ouvrage La troisième guerre mondiale est sociale.

IVAN LAVALLÉE,PRÉSIDENT DU CONSEIL

DE RÉDACTION DE PROGRESSISTES Le vent se lève

B

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Progressistes JUILLET-AOÛT-SEPTEMBRE 2016

a deuxième édition du repas de votre revue à la Fête del’Humanité a été une nouvelle fois un succès ! Alors queles allées de la Fête étaient encore vides de leurs milliers

de visiteurs, c’est dans un vaste stand déjà très animé que prèsde 140 convives, hommes et femmes, se sont retrouvés : scien-tifiques, travailleurs dans différents secteurs, intellectuels, syn-dicalistes, dirigeants politiques, militants et, surtout, lecteursde la revue, engagés ou non. Certains étaient d’ailleurs déjàprésents l’an dernier. Une même envie animait tout ce monde :échanger des idées, partager un beau moment de convivialitéet célébrer ensemble l’union du monde du travail et dessciences pour le progrès.Ce grand repas fraternel fut précédé d’un apéritif et d’un débatsur le thème du réchauffement climatique présenté sous formede question : « Quels constats scientifiques et quelles mesuresurgentes pour un gouvernement de gauche ? » Animé par Aurélie

Biancarelli, le débat fut introduit par Sébastien Balibar, membrede l’Académie des sciences, et Sylvestre Huet, journaliste scien-tifique, qui ont pu répondre à quelques questions dans l’anima-tion diverse et bruyante d’une grande salle à manger. La soirées’est poursuivie avec le bon repas bien attendu. Et cette année,comme l’année précédente, la gastronomie et le terroir du Sud-Ouest étaient à l’honneur ! Nous remercions vivement tous lescamarades du stand : la fédération de la Haute-Garonne et sesJeunes communistes, celles et ceux qui nous ont régalés avecleur cuisine ainsi que celles et ceux qui nous ont accueillis et ontassuré le service à table. Ils ont amplement contribué à la réus-site de cet événement singulier. Le repas et les discussions sesont achevés autour d’un café.Le repas de la revue devient un rendez-vous qui s’installe dansle paysage de cette grande et belle Fête. Bref, vivement l’an prochain ! n

LECTURES CONSEILLÉES

99%PIERRE LAURENT, Cherche-Midi.

À la différence de tous les livrespolitiques du moment, celui-ci dit« nous » et non « je »… Il s’attache donc au besoin d’unité et de réinvestissement populairedans la politique. On y retrouvedes éléments d’analyse, de projet,la question de l’engagement, de laFrance et du PCF. Contrairement à ce qu’on a pu lire dans certainsmédias, les questions soulevéesvont au-delà de 2017.

Environnement et énergieAMAR BELLAL(préface Jean-Pierre Kahane)Le Temps des cerises.

Ce livre est un pari. Celui de recenser les principalesinterrogations des citoyensentendues dans plus d’unecentaine de débats publics et d’y répondre sans détour,sans tabous, en nous attaquantfrontalement aux objections lesplus sérieuses qui circulent surle modèle énergétique français.

LLE REPAS DE PROGRESSISTES : À L’ANNÉE PROCHAINE!

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NOUVEAUX TARIFS

NOUVEAUX TARIFS

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TOUJOURS DISPONIBLES !LES ANCIENS NUMÉROS DE PROGRESSISTES

No 12 LE TRAVAIL À L’HEURE DU NUMÉRIQUEAprès un éloge de la simplicité dû à Jean-Pierre Kahane, ce numéro complète le no 5et prolonge la réflexion sur la révolutionnumérique dans la société, et plus particu-lièrement dans l’organisation du travail. Ildonne la parole à des experts et syndica-listes confrontés aux remises en cause desconquêtes sociales. Vous y trouverez lesrubriques habituelles, un article sur ce quinous lie aux vers de terre, un texte d’ÉdouardBrézin sur les ondes gravitationnelles…

No 11 LE PROGRÈS AU FÉMININLes femmes dans le monde du travail etdans les métiers de la science, sous l’an-gle des combats féministes qui contribuentau projet d’émancipation humaine. Vous ytrouverez des textes d’Hélène Langevin, deCatherine Vidal, Maryse Dumas, LaurenceCohen, Caroline Bardot… Dans ce numéro,une rubrique spéciale « Après la COP21 »et le point de vue de Sébastien Balibar,membre de l’Académie des sciences, ainsiqu’une contribution de Nicolas Gauvrit surles biais en psychologie.

No 10 UN PÔLE PUBLIC DU MÉDICAMENTAprès le gâchis industriel de l’entrepriseSanofi, sortir les médicaments du marchéet développer une filière industrielle s’im-pose. Ce dossier aborde aussi la néces-saire maîtrise publique du stockage de don-nées (big data) dans ce secteur. Il met enlumière les liens entre révolution numériqueet nouvelles industrialisations, sous la plumede Marie-José Kotlicki, mais également laproblématique du stockage des déchetsnucléaires grâce à Francis Sorin

No 9 COP21 (LES VRAIS DÉFIS)Humanité, planète, communisme et écolo-gie, même combat. Il va falloir prendre desmesures drastiques pour limiter le réchauf-fement climatique, mais il est lié au systèmede production et d’échange qui l’a créé. Quelssont les leviers sur lesquels agir ? On liraaussi dans ce numéro « La lutte contre lechangement climatique passe par la bataillepour l’égalité » ; « L’écologie, une disciplinescientifique et un métier », d’Alain Paganoun article de Sophie Binet « Ouvrir le débaten grand avec le monde du travail » et aussi« Races et racisme » d’Axel Khan.

No 8 AGRICULTURESIl va s’agir de nourrir 11 milliards d’hu-mains. L’agriculture est au cœur de la ques-tion écologique. Nourrir les humains oufaire du profit ? Quelles conséquences ?De grands noms, comme Michel Griffonou Aurélie Trouvé, avancent des points devue novateurs. On lira aussi : « “Big pharma”et logiques financières », « Pour une poli-tique industrielle européenne : le cas del’énergie », et encore « Du “devoir de mau-vaise humeur” à la “défense du bien public” »par Yves Bréchet, de l’Académie des sciences.

No 7 ÉNERGIES RENOUVELABLESQuelle place dans le mix énergétique àvenir pour les énergies dites renouvela-bles ? Le scénario de l’ADEME est passéau crible, et le problème des matériauxrares, lié, est abordé. Claude Aufort, HervéNifenecker signent ces points de vue. Lasûreté industrielle et la technologie desréacteurs nucléaires à sels fondus, ainsique les dynamiques libérales du numé-rique, parmi d’autres, sont également abor-dées par Jean-Pierre Demailly, ainsi qu’uneréflexion d’Evariste Sanchez Palencia, tousdeux de l’Académie des sciences.

No 6 ÉCONOMIE CIRCULAIRERecyclage des déchets, produits agricoles,écoconception : la nécessité sociale et éco-logique d’une économie circulaire est évi-dente. Le système capitaliste s’épuise enpillant les ressources de la planète, le dos-sier de ce numéro balaye le greenwashing,éclaire le débat et évite les confusions.Les structures cristallines permettent d’abor-der les liens entre recherche et politique,les comètes sont au programme, et l’artaussi, avec des articles signés Jean-NoëlAqua, Jacques Crovisier ou Bernard Roué.

No 5 RÉVOLUTION NUMÉRIQUEBig data, loi renseignement, explosion desmoyens de communication, de stockagede données et des nouvelles technologies,puissance de calcul et super-ordinateurfrançais : la révolution sera aussi numé-rique. Les enjeux de classe sur le travail etl’emploi sont mis en évidence. Ce numérodresse un tableau des enjeux dans le mondenumérique. Génome et éthique, mesure dela Terre au millimètre près, culture durisque… sont proposés à la réflexion par,entre autres, Patrick Gaudray, JonathanChenal, Gérald Bronner.

Tous les numéros sont téléchargeables gratuitement sur Le blog ! : revue-progressistes.org et sur revueprogressistes

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PAR HERVÉ NIFENECKER*,

ette émission est inté-ressante. Je partage toutà fait le point de vue de

James Hansen et d’au moins undes participants affirmant quela priorité est de lutter contrele réchauffement climatique etqu’il serait absurde et criminelde se passer d’un moyen effi-cace pour le faire : la produc-tion d’électricité par le nucléaire,l’exemple de l’Allemagne mon-trant que l’éolien et le solairene sont pas à la hauteur du défi.Par ailleurs, là encore, commele rappelle James Hansen, lenucléaire, depuis sa mise enœuvre, y compris en tenantcompte de Tchernobyl etFukushima, est à l’origine debeaucoup moins de décès queles fossiles, et même que la plu-part des renouvelables si oncompte aussi les décès dans leprocessus de construction etd’extraction de matières pre-mières (analyse en cycle de vie).Le magazine Forbes donne lesnombres de décès pour pro-duire 1 000 TWh (soit 2 fois laconsommation française): char-bon 170 000 morts, gaz 4 000,biomasse 24 000, solaire 440,nucléaire 90. La peur inspiréepar le nucléaire est sans com-mune mesure avec sa réelle dangerosité.Dans l’émission, il faudrait dis-tinguer nettement deux problé-matiques : les réacteurs à selsfondus, d’une part; le cycle tho-rium, d’autre part.Les avantages de sûreté des réac-teurs à sels fondus me parais-sent indiscutables. Il faudra tou-tefois gérer le devenir desproduits de fission, même si laproduction d’actinides mineurs

est clairement réduite. La néces-sité d’un stockage de longuedurée ne disparaîtra pas, et, sion retient un stockage géolo-gique, il faut noter que les acti-nides mineurs sont très peusolubles dans l’eau et très peumobiles dans des milieux commel’argile. Les radionucléides quiremonteraient éventuellementen surface sont des corps solu-bles comme l’iode et le césium,et non des actinides. Par ail-leurs, comme il est nécessairede retraiter les sels pour enextraire les poisons neutro-niques, les opérateurs pour-raient quand même être acci-dentellement exposés à desdoses de radiations élevées.Si on désire un nucléaire dura-ble, il est nécessaire que les réac-teurs produisent plus de noyauxfissiles qu’ils n’en consomment.Cette condition est actuelle-ment remplie par des réacteurs

à neutrons rapides refroidis ausodium (comme l’étaient lesréacteurs Phénix et Super-Phénix). Les réacteurs à sels fon-dus devront donc être au moinsrégénérateurs, qu’ils fonction-nent avec le cycle uranium-plutonium ou avec le cycle tho-rium-uranium. Dans le premiercas, l’utilisation de réacteurs àneutrons rapides est obligatoire.Dans le second cas, il est pos-sible de faire appel à des neu-trons lents, et c’est bien ce qu’afait l’expérience d’Oak Ridge.Mais l’équipe de Daniel Heuer

a montré que, là aussi, l’utili-sation de neutrons rapides étaitbeaucoup plus intéressante. Àterme, on voit donc que la vraieconcurrence s’exercera entreréacteurs à neutrons rapidesclassiques et réacteurs à neu-trons rapides à sels fondus.En ce qui concerne le thorium,l’émission passe sous silence lefait qu’un noyau fissile doit abso-lument être ajouté au thorium,que ce soit de l’uranium 235 oudu plutonium 239. L’autre pos-sibilité est de disposer d’ura-nium 233, qui est lui-même produit par irradiation du tho-rium. Il n’y a pas de réserve d’ura-

nium 233, et donc il faudra pro-duire les premières charges.Actuellement, cette productionne peut se faire qu’en irradiantdu thorium dans des réacteursclassiques. Lorsque les premiersréacteurs à sels fondus-thoriumfonctionneront grâce à de l’ura-nium 235 ou à du plutonium239, il faudra extraire les pro-duits de fission qui capturentdes neutrons, et empoisonnentdonc le réacteur. Pour assurerune croissance du parc de réac-teurs au thorium, il faudra aussiextraire l’uranium 233 des réac-

teurs existants pour en construirede nouveaux.En résumé, les choses ne serontpas aussi simples que l’on pour-rait le penser en voyant le docu-mentaire. Il reste que les réac-teurs à sels fondus pourraientavoir de grands avantages etqu’il est nécessaire de disposerde quelques maquettes (réac-teurs d’une puissance dequelques dizaines de méga-watts). Les Chinois sont sur cette voie. Il est temps que lesEuropéens s’y mettent s’ils neveulent pas manquer un tour-nant qui pourrait s’avérer fon-damental. La question du finan-cement se pose. Daniel Heueravance un besoin de finance-ment de 100 millions d’euros(10 millions par an pendant dixans). Or le soutien au dévelop-pement de l’éolien et du solairecoûte environ 5 milliards d’eu-ros chaque année aux Français(la CSPE prélevée sur la factured’électricité des consomma-teurs). Il suffirait de réaffecter2 ‰ de la CSPE au développe-ment des recherches sur lenucléaire sûr et durable.La confirmation expérimentaledes qualités annoncées des réac-teurs à sels fondus permettraitsans aucun doute de se lancerdans la construction d’undémonstrateur commercial. n

HERVÉ NIFENECKER est président d’honneur de l’association Sauvons le climat.

Dans l’émission, il faudrait distinguer nettement deuxproblématiques : les réacteurs à sels fondus, d’une part,le cycle thorium, d’autre part.

JUILLET-AOÛT-SEPTEMBRE 2016 Progressistes

Présentation de Arte : « Une énergie nucléaire sans danger ni déchets, c’estla promesse, longtemps sabotée par les lobbies de l’énergie et de la défense,que brandissent les partisans du thorium. Ce combustible alternatif, [...]représente-t-il une piste sérieuse pour échapper aux dangers et à la pollu-tion induits par l’utilisation du plutonium par l’industrie atomique ? »

Un documentaire qui a fait beaucoup réagir et a suscité beaucoup d’espoir. Hervé Nifenecker, fin connaisseurdes problématiques liées à l’énergie nucléaire, nous éclaire sur ce qu’il est permis d’attendre de cette formed’énergie nucléaire à base de thorium abordée dans l’émission.

« Thorium, la face gâchée du nucléaire »

Documentaire (98 min).Réalisation : Myriam Tonelotto.Production : Citizen Films, Innervision, JulietteFilms, MoreFilms ; coproduction NDR et Arte.

C

n ÉNERGIE

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Alors que l’avenir de la produc-tion d’électricité en Francerequiert une stratégie et un enga-gement de long terme de la puis-sance publique, depuis vingtans les gouvernements succes-sifs ont laissé faire les directionsd’EDF et d’Areva ; ils ont poussétoute une série d’initiatives quidéstabilisent le secteur et fra-gilisent sa capacité à répondreaux enjeux. Le gouvernementactionnaire ne voit dans lesentreprises qu’une source dedividendes pour son budget etil affaiblit leur capacité à inves-tir pour l’avenir. Les directionsd’EDF et d’Areva ont eu des poli-tiques à courte vue qui ontconduit à la situation actuelle,en étant concurrentes alors queleurs métiers et compétencessont complémentaires, en neprenant pas en compte les pertesde connaissances et le tissuindustriel, en se lançant dansdes aventures à l’internationalqui ont fait perdre beaucoupd’argent.Plus précisément, concernantEDF, le rapport parlementairedu 5 mars 2015 sur les tarifs de

l’électricité de M. Gaymard etMme Valter note le rôle « d’unÉtat incohérent et perturbateur[qui] a tour à tour considéré EDFsoit comme une vache à lait, soitcomme un pompier […] EDFqui a supporté – et continue desupporter – des charges de ser-vice public […] Un actionnairefaiblement impliqué dans la ges-tion de l’entreprise […] trop bou-limique. En dépit de la situation

financière de l’entreprise, de sonendettement et de son niveauélevé d’investissement, l’Étatcontinue de prélever un divi-dende qui contribue au redres-sement des finances publiques ».Exception faite de cette année.

DES DÉCISIONS CHAOTIQUESSe rajoutent les ravages causéspar la déréglementation du sec-teur énergétique impulsée parl’Europe libérale et mise en

œuvre par nos gouvernements,qui désorganise et fait courir lerisque à moyen terme de seretrouver dans des situationsde tension et de dépendanceénergétique au niveau del’Europe, tant la vue financièreà court terme du marché estinadaptée à une industrie quidemande des investissementsimportants pour des retours surle temps long.

Enfin le manque de vision del’État concernant les questionsindustrielles, et particulière-ment sur le sujet, est drama-tique. Ouverture des conces-sions hydrauliques à laconcurrence, fermeture desmoyens thermiques classiques,régionalisation de l’énergie, affi-chage de fermetures de moyensde production nucléaire à par-tir de considérations politi-ciennes, cela fait quand mêmebeaucoup !C’est ce contexte global qu’ilfaut appréhender pour appré-cier l’opportunité du projet denucléaire britannique, HinkleyPoint.Les analyses suivantes ont étéélaborées avec les salariés desdifférents métiers impliqués,qui connaissent particulière-ment bien le sujet. Au vu desrésultats de la consultation enga-gée par la CGT et des réponsesobtenues, ce raisonnement,avec ses volets industriel, socialet financier, est partagé par lespersonnels des entreprises.C’est parce qu’il est impératif

8 LA BOURSE OU L’ INDUSTRIE ?

Le gouvernement actionnaire ne voit dans les entreprisesqu’une source de dividendes pour son budget et il affaiblitleur capacité à investir pour l’avenir.

Progressistes JUILLET-AOÛT-SEPTEMBRE 2016

l Alstom, EDF, Areva, PSA, autant d’entreprises industrielles victimes des logiques boursières. Eclairage par Marie-ClaireCailletaud, Nasser Mansouri et Frédéric Boccara.

Les inquiétudes des salariés d’EDFLa situation de la production de l’électricité en France, mis en perspective à traversles différentes étapes qui ont conduit à la situation actuelle d’EDF.

L’EPR BRITANNIQUE DE HINKLEY POINT :

PAR MARIE-CLAIRE CAILLETAUD*,

LE PROBLÈME POSÉRépondre aux besoins énergé-tiques du pays dans le cadre dela réduction de nos émissionsde gaz à effet de serre, mais éga-lement de notre empreinte car-bone, implique d’utiliser le mixénergétique le plus appropriéà l’aune de critères économiques,sociaux et environnementaux.Dans ce cadre, le nucléaire devraitconserver une part décisive dansla production d’électricité, quiva être sollicitée par le dévelop-pement de nouveaux usages.C’est un atout industriel de notrepays qu’il nous faut préserver.Rappelons que, en France, lapauvreté énergétique conduit11 millions de personnes à sepriver sur des consommationsde première nécessité. Un coûtcompétitif de l’électricitéconcourt à la performance desentreprises, et c’est un atoutpour la réindustrialisation.D’autre part, la filière nucléairereste solidement implantée surle territoire national avec envi-ron 400 000 salariés.

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pour la filière nucléaire fran-çaise que la construction duréacteur en Grande-Bretagnesoit une réussite que nous devonsle démarrer en mettant le maxi-mum d’atouts de son côté.En premier lieu, les EPR enconstruction – et parmi euxcelui de Flamanville – subis-sent des dérives de planning etde coût. Cela n’est pas éton-

nant, puisqu’à plusieurs reprisesla CGT a alerté sur ce sujet. Enquelques traits nous pouvonsretracer l’histoire. Alors que leséquipes françaises ont suconstruire un parc nucléaireunique au monde et qu’ellescommencent à étudier le modèlesuivant, le président de laRépublique de l’époque imposeune alliance avec Siemens pourélaborer un modèle franco-allemand. Nous avons alors largement alerté sur cette déci-sion politique sans vision indus-trielle réelle. Nous avions pré-venu que cette démarcheconduirait à complexifier leprocessus de travail avec toutesles conséquences négatives quecela peut entraîner.Entre-temps, Siemens a quittéle navire, les ressources humainesont subi de plein fouet le mora-toire nucléaire et conduit à despertes de compétences pré-cieuses. La désindustrialisationde la France a rendu probléma-tique notre capacité à gérer degrands chantiers et a tari les res-sources dans le tissu industrieldes PME-PMI. La désorganisa-tion du travail, la sous-traitance

à outrance ont affaibli encoreplus nos capacités à réaliser ceprojet industriel. Le pilotage dutravail par les délais et les coûtsconduit globalement à des mal-façons et à du gâchis au niveausystémique en générant dessouffrances pour ceux que l’onoblige ainsi à mal travailler.

Nous ne sommes pas devant unproblème nucléaire, mais biendevant un problème industriel.L’affaiblissement des entrepriseset la crise majeure que traverseAreva ont conduit le gouverne-ment à décider d’un sauvetagefinancier d’Areva par EDF avecla prise de contrôle d’Areva NP.La CGT a mis en évidence quel’opération avait un caractèreessentiellement financier, qu’elleconduisait à des organisationscomplexifiées et qu’aucune stra-tégie de reconstruction d’unefilière du nucléaire n’était envi-sagée. Ce processus est engagéet loin d’être stabilisé.

UNE SOLUTION ET DES OBSTACLES À LEVERIl est crucial, si nous voulonsêtre en capacité de remettre enordre de marche la filièrenucléaire française, de recréerles collectifs de travail, de créerles compétences manquanteset de donner des perspectivesclaires et rapides pour toute lafilière. Ainsi nous serons le mieuxà même de finir le chantier deFlamanville de la meilleure façonet d’en tirer les premiers retours

d’expérience, de concentrerdans les années qui viennentles moyens humains et finan-ciers sur le prolongement duparc nucléaire et sur la mise aupoint d’un EPR optimisé plusrapide à construire, candidat àrenouveler le parc. C’est cemodèle qui permettrait d’en-tamer la coopération britan-nique dans les meilleures condi-tions d’ici deux ou trois ans siles moyens sont mis.L’échec technique et le risquefinancier réel porteraient uncoup terrible à la filière fran-çaise. C’est la raison pour laquellenous avions proposé de rené-gocier avec le gouvernementbritannique sur la base d’unnouveau modèle respectantcoûts et délais réalistes.En effet, la réalité contradic-toire de la filière nucléaire doitêtre exposée sans rien en cacherpour éclairer des décisionslourdes de conséquences pourla survie des entreprises EDF etAreva et pour l’avenir du sys-tème électrique en France.Cette analyse, partagée par lamajorité des organisations syn-dicales, s’est heurtée à l’entê-tement du gouvernement et du

P-DG de l’entreprise d’engagerce projet sans plus tarder. Ledialogue a été impossible et lesarguments développés pourprendre une décision sans plustarder n’ont convaincu ni le per-sonnel ni ses représentants.Ceux-ci ont utilisé les moyensà leur disposition pour ralentirla décision au niveau du CCEou des administrateurs sala-riés : recours du CCE pourmanque d’information et refusde communiquer les dossiersaux experts nommés pour l’ex-pertise votés à l’unanimité parle CCE, recours de 5 adminis-

trateurs salariés sur 6 au conseild’administration pour diffé-rence d’information entre admi-nistrateurs et pour conflits d’in-térêts pour certains.Au moment où cet article estécrit, les procédures sont encours et le projet a été signéentre Britanniques et Français.

DES QUESTIONS QUI DEMEURENTD’où vient cette différence d’ana-lyse entre les salariés et la direc-tion et le ministère ? Des hypo-thèses circulent. Ce qui estcertain, c’est que la réalité dela filière nucléaire et de sesbesoins en termes humains,organisationnels et techniquesn’est pas perçue par ceux quise trouvent très éloignés desréalités de terrain et qui n’ontqu’une faible maîtrise des enjeuxindustriels, et en particulier deceux de la filière très spécifiquedu nucléaire. On peut égale-ment se demander si les déci-deurs ne sont pas imprégnésde ce mythe libéral qui condui-rait à ce que la France se spé-cialise dans la recherche et lesservices, exporte ses savoir-faireet délocalise la production.

La deuxième question qui sepose est celle de la suite du pro-jet, sachant que les décideursd’aujourd’hui ne seront pas lespayeurs de demain. Mais il yaura à coup sûr des rentréesjuteuses à attendre d’un sec-teur énergétique européen soustension et constitué de moyensde production abreuvés de sub-ventions publiques, indépen-damment de leur réalité tech-nico-économique. n

*MARIE-CLAIRE CAILLETAUDest ingénieure, porte-parole de la fédération mines-énergie CGT.

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OCTOBRE-NOVEMBRE-DÉCEMBRE 2014 Progressistes

Nous ne sommes pas devant un problème nucléaire, mais bien devant un problème industriel.

Concentrer dans les années qui viennent les moyenshumains et financiers sur le prolongement du parcnucléaire et sur la mise au point d’un EPR optimisé plusrapide à construire, candidat à renouveler le parc.

JUILLET-AOÛT-SEPTEMBRE 2016 Progressistes

Centrale nucléaire de Hinkley Point.

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PAR NASSER,MANSOURI-GUILANI*,

industrie représente àpeine 12 % de la valeurajoutée globale produite

chaque année en France, contre25 % il y a un quart de siècle.Parallèlement, sur cette période,on assiste à une dégradationflagrante des conditions socialeset, ce qui peut paraître para-doxal, environnementales. S’agit-il d’un simple hasard ou biend’une relation de cause à effet ?En effet, ce recul de la part del’industrie dans l’économie fran-çaise, cette « désindustrialisa-tion », traduit la fermeture dessites et la délocalisation de pansentiers de l’activité industrielle,principalement vers les pays ànormes sociales et environne-mentales plus faibles. Les consé-quences en sont nombreuses :hausse du chômage et de la précarité en France, tout commedans la plupart des pays indus-trialisés, surexploitation des travailleurs dans les « pays d’accueil », dégradation de l’environnement…La majorité de l’humanité souf-fre de ces évolutions, et seuleune petite minorité en profitelargement. Partout dans lemonde, la part des travailleursdans les richesses qu’ils pro-duisent diminue au bénéficedes détenteurs de capitaux, etparticulièrement de capitauxfinanciers.Cette désindustrialisation va depair avec une financiarisationde l’économie. Si jadis, mêmedans une conception capita-liste, la rentabilisation du capi-tal induisait la création de lavaleur ajoutée, c’est bien la créa-tion de la valeur patrimoniale

qui détermine à présent la déci-sion de produire. La finalité del’activité économique s’en trouvecomplètement chambardée :on ne produit plus pour répon-dre aux attentes de la popula-tion, pour répondre aux besoinssocio-économiques, mais avanttout pour satisfaire l’exigencede rentabilité du capital, sur-tout à brève échéance (voir enca-dré page ci-contre).La crise en cours ne résulte pasd’une simple « exubérance desmarchés financiers ». Elle estsystémique et met en lumièrele caractère intenable d’un sys-tème qui donne la primauté auxexigences des financiers au détri-ment des êtres humains et del’activité productrice de valeurajoutée. Cette crise systémiqueconfirme la nécessité d’établirun nouveau mode de dévelop-pement économique et social

dont la finalité doit être la réponseaux besoins des populations,avec une visée de long terme etdans une perspective de plusen plus mondiale.

UN NOUVEAU SYSTÈME PRODUCTIFL’enjeu n’est pas simplementde « réindustrialiser » ou de« reconquérir » l’industrie tellequ’elle existait il y a quelquesdécennies. Il s’agit de bâtir, àpartir de l’existant, un systèmeproductif articulant l’industrieet les services, notamment lesservices publics, de qualité, aveccomme objectif le respect et la

promotion des normes socialeset environnementales partoutdans le monde.Au moins cinq facteurs justi-fient pleinement une telledémarche.1. Les gains de productivité sontessentiellement réalisés dansl’industrie et diffusés ensuitedans le reste de l’économie1.Croire que nous serions entrésdans l’ère des « entreprises sans

usine », comme le prétend l’an-cien P-DG d’Alcatel, n’est qu’unleurre dangereux : en abandon-nant la production pour se foca-liser sur les services, on a perduusine, entreprise et compé-tences, y compris en matière derecherche et développement.À présent, l’accent est mis surl’économie numérique – quecertains qualifient sans douteà tort de « troisième révolutionindustrielle » –, censée impul-ser davantage les gains de pro-ductivité. Si l’hypothèse se véri-fie au niveau des entreprises,ces gains sont captés essentiel-lement pour améliorer la ren-

tabilité du capital. Il en résultequ’au niveau macroéconomiqueon observe une baisse de la pro-ductivité globale. Le paradoxede Solow résume bien ce constat :on voit des ordinateurs partout,sauf dans les statistiques de productivité.2. L’effet d’entraînement del’emploi industriel est considé-rable : chaque emploi indus-triel est susceptible de générerquatre emplois indirects. Onmesure les conséquencesnéfastes de la chute de l’emploiindustriel, lequel a diminué de1,3 million en France en trenteans. Cette chute ne s’expliquepas par le développement des nouvelles technologies.L’exemple des pays qui, commel’Allemagne, ont résisté à la ten-tation de la « société postindus-trielle » prouve le contraire. Etaux États-Unis d’Amérique onassiste à un début d’une remon-tée de l’emploi industriel2.3. Le recul de l’industrie s’ac-compagne en général de la baissedu taux de croissance du pro-duit intérieur brut (PIB). Il y acertes débat quant à la perti-nence de cet indicateur, voirede celle du taux de croissancede ce PIB comme objectif éco-nomique. L’industrie est sur-tout montrée du doigt. Une

L’industrie, élément fondateur d’un nouveau système productif

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Hausse du chômage et de la précarité en France,surexploitation des travailleurs dans les « paysd’accueil », dégradation de l’environnement…

L’

Progressistes JUILLET-AOÛT-SEPTEMBRE 2016

LA BOURSE OU L’ INDUSTRIE ?

Quelles sont les conséquences de la baisse du secteur industriel en France, sescauses profondes ainsi que les mesures à prendre pour enrayer ce phénomène ?

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façon de répondre à cette cri-tique est de porter le débat surla finalité de l’activité écono-mique en général, et sur cellede l’industrie en particulier.4. La désindustrialisation pèsesur le niveau général des salaireset augmente la précarité du tra-vail. Globalement, le salairemoyen est plus élevé dans l’in-dustrie que dans les autres sec-teurs, particulièrement le com-merce et les services auxpersonnes, en forte progressionet présentés souvent comme lasolution au problème de perted’emplois industriels. Quandbien même la création de telsemplois compenserait les pertesde l’emploi industriel, leur mul-tiplication va tirer vers le bas leniveau général des salaires.L’externalisation et le traite-ment d’une partie des emploisindustriels comme des emploisde service produisent les mêmeseffets car les conventions col-lectives sont généralement moinsprotectrices dans ces secteurs.5. Enfin, dernier facteur et nonle moindre, le développementindustriel permet de réduire lesdégâts environnementaux enévitant la multiplication destransports superflus de mar-chandises. En effet, nombreuxsont les produits finaux dontles composants ont fait le tourdu monde pour être assemblésà un endroit et consommés àun autre. D’où la montée despréoccupations à ce sujet et la

demande d’une relocalisationdes activités industrielles. C’estlà une tendance qui commenceà s’observer mais qui doit êtreconfirmée3.

LIBÉRER L’INDUSTRIE DU CARCAN FINANCIERLe développement industrielse heurte à un obstacle majeur :le carcan financier qui pèse aussibien sur les choix de politiqueéconomique du pays que degestion des entreprises. EnFrance, la part, dans la valeurajoutée, des dividendes versésa été multipliée par sept en trenteans. Depuis déjà de nombreusesannées, le montant des divi-dendes dépasse celui des inves-tissements4. Et la part desdépenses consacrées à larecherche et développementdans les richesses créées dimi-nue alors que celle des divi-dendes augmente.L’idéologie libérale justifie cesévolutions au nom du risqueque les détenteurs de capitauxsont censés assumer dans unmonde caractérisé par la librecirculation des capitaux. La réa-lité est tout autre : le risque estde plus en plus supporté par lestravailleurs et la société globale,comme l’atteste la situationactuelle du marché obligataire.Depuis 2008, pour sauver le sys-tème financier la Réserve fédé-rale des États-Unis (la banquecentrale du pays) puis la Banquecentrale européenne ont injecté

des milliers de milliards de dol-lars, surtout dans le cadre del’assouplissement quantitatif(quantitative easing). Au lieud’utiliser ces sommes gigan-tesques pour développer l’em-ploi et l’investissement produc-tif, les banques les emploient,notamment depuis 2012, pouracquérir des obligations d’États,

si bien qu’à présent les obliga-tions émises par certains États(États-Unis, Japon, Allemagne,France…) sont à taux négatif.En d’autres termes, les banquesprivilégient les placements jugésmoins risqués (même s’ils leurcoûtent de l’argent) à ceux quipourraient éventuellement êtreplus risqués mais certainementplus vertueux quant à leursretombées économiques etsociales. Or cette fuite devantle risque a alimenté une nou-velle bulle financière qui risqued’éclater du jour au lendemainet de mettre en péril l’écono-mie mondiale5.

QUELQUES PISTESPlusieurs moyens existent pourlibérer l’industrie de ce carcanfinancier.Avant tout, un État stratège,visionnaire et développeur pourfixer, dans une visée de longterme, le cadre général du déve-loppement économique et socialet mettre en œuvre une poli-tique industrielle permettantde développer des filières cor-rélées dans le cadre d’un sys-tème productif cohérent. Cettecohérence passe par l’articula-tion des enjeux immédiats etdu futur : la lutte contre le chô-mage, la précarité, la pauvretéet les inégalités ; la transitionénergétique et écologique…L’extension des droits collectifspour les salariés et leurs repré-sentants, leur permettant depeser sur les choix stratégiquesdes entreprises, sur l’organisa-

tion du travail, la formation, etc.Le développement des servicespublics de qualité et la mobili-sation des recettes et dépensespubliques (fiscalité, aides condi-tionnées, etc.).La mobilisation du systèmefinancier, et particulièrementbancaire, pour distribuer descrédits sélectifs.

Des coopérations à tous lesniveaux, du local au mondial,en passant par le régional et lenational, pour assurer un déve-loppement solidaire et harmo-nieux, combattre les inégalitéset garantir la paix et la sécurité.

Une telle conception est à l’op-posé des politiques d’austéritéet d’affaiblissement des droitssociaux, particulièrement ledroit du travail. D’où l’impor-tance des mobilisations contreces politiques de régressionsociale. n

*NASSER MANSOURI-GUILANI est économiste.

1. Statistiquement, on observe que la productivité du travail augmenteplus vite dans l’industrie et demeuresupérieure à celle des autres secteursd’activité, surtout les services.

2. Thibaut Bidet-Mayer et PhilippeFrocrain, « Vers une renaissance de l’industrie américaine ? », in Problèmes économiques, no 3138, septembre 2016.

3. Voir, par exemple, Harold Sirkin,« Reshoring has slowed, but hasn’tstopped », Forbes, 31 mai 2016.

4. La nouvelle base de l’INSEEcontredit ce constat. En effet, selon lanouvelle base, les dividendes versésétaient supérieurs aux investissementsréalisés entre 2006 et 2010. Depuis,ils seraient légèrement inférieurs auxinvestissements. Il convient depréciser que cette nouvelle base a faitl’objet de nombreuses critiques, ycompris au sein même de l’INSEE.

5. Voir, par exemple, Marie-PauleVirard et Patrick Artus, la Folie des banques centrales : pourquoi la prochaine crise sera pire, Fayard, 2016.

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OCTOBRE-NOVEMBRE-DÉCEMBRE 2014 Progressistes

La nécessité d’établir un nouveau mode de développementéconomique et social dont la finalité doit être la réponseaux besoins des populations.

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DES NORMES DE COMPTABILITÉ RÉVÉLATRICESUne comparaison du plan comptable « classique » avec la présentation actuelledes comptes selon les normes comptables IFRS est fort utile, même si le plancomptable classique doit être lui-même dépassé, car il est fondé sur lesconceptions capitalistes, alors que de plus en plus il devient évident qu’il fautapprécier l’activité économique sur de nouvelles bases, par exemple sur lesbesoins à satisfaire dans une visée de long terme (cf. réflexions sur de nou-veaux indicateurs de richesses).

Conceptuellement, le plan comptable commence par la valeur ajoutée ; vien-nent ensuite la rémunération des salariés, les dépenses d’investissement, lesfrais financiers, les taxes et impôts, la constitution des réserves. Les dividendesversés ne viennent qu’après la réalisation de toutes ces dépenses ; ils se trou-vent donc au bout de la chaîne, comme le reliquat. À présent, la logique estcomplètement inversée : la décision de produire, d’embaucher et d’investir estprise sur la base de la rémunération exigée des propriétaires ; l’emploi et l’in-vestissement sont ensuite modulés en fonction de cette exigence.

Il est en effet significatif que les normes IFRS évacuent le concept de valeurajoutée. En revanche, l’accent est mis sur une série d’indicateurs permettantde mesurer avec précision et à brève échéance la rentabilité financière.

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Septembre 2016 : en début de mois, la direction d’Alstom annonçait son intentionde fermer son site de Belfort, seul lieu en France de production des motrices de TGVet de locomotives. La forte mobilisation des salariés, de leurs représentants syndicauxainsi que de la population a permis d’y surseoir.

PAR FRÉDÉRIC BOCCARA*,

es annonces faites lemardi 4 octobre de main-tien des emplois sur le

site de Belfort grâce à des com-mandes supplémentaires delocomotives sont un soulage-ment pour l’avenir des salariésconcernés. Une fermeture auraitreprésenté un désastre supplé-mentaire dans une région déjàsinistrée par la désindustriali-sation, et donc le chômage.Cependant, cela ne fait pas lepoids et rien n’est réglé sur lefond, car le problème n’est pascirconscrit au maintien desemplois sur le site.Si la direction d’Alstom étaitparvenue à fermer Belfort, celaaurait été un drame humain etsocial. En outre, cela aurait pumettre radicalement en causela capacité de produire enFrance des motrices de TGV etdes locomotives.

UNE INDUSTRIE POURTANTPORTEUSE DE PERSPECTIVESL’industrie ferroviaire n’est pasen récession, même si son pro-grès en Europe est relativementmodéré. Alstom en est le 3e acteurmondial, avec un confortablecarnet de commandes pour30 milliards d’euros. Dans lemonde, ce mode de transportest plutôt en expansion. Le mar-ché ferroviaire mondial devraitcroître de 2,7 % d’ici à 2019, maisl’Europe austéritaire se distingueavec seulement 2 %. En 2013, ilreprésentait déjà plus 150 mil-liards de dollars, dont 41 mil-liards dans l’Union européenne

et 58 milliards pour le seul maté-riel roulant. Et surtout les pers-pectives de transport « propre »sont considérables avec lesenjeux écologiques et urbains.Mais le but, nous répète-t-on,c’est d’augmenter les margesde 5 % à 7 % des ventes en 2019-2020, soit + 40 % en 4 ans !D’après Alstom, l’industrie fran-çaise du ferroviaire reste la 3e dumonde, derrière la Chine etl’Allemagne. Alstom serait le3e constructeur mondial, der-rière Bombardier et Siemens.L’appui du service public commela réputation d’excellence tech-nique que lui apporte sa longuecoopération avec la SNCF sontpour beaucoup dans ses succès à l’exportation. Entreavril 2015 et mars 2016, la sociétéa engrangé 10,6 milliards d’eu-

ros de commandes, portant letotal de son carnet de com-mandes à 30,4 milliards ; sonrésultat d’exploitation est enprogression de 23 % par rap-port à l’année précédente et ellea distribué 3,2 milliards d’eu-ros à ses actionnaires à la suitede la vente de sa partie fabrica-tion de turbines à GeneralElectric. Si depuis le groupe estdésendetté, son activité est àprésent trop concentrée sur unseul métier, celui du ferrovaire.

En outre, sa production en Francepâtit de plus en plus de deuxchoses : la conclusion de contratsoù les productions se font deplus en plus dans le pays clientet un coût du capital élevé. Toutcela alors que ses dépenses deR&D sont très faibles : à peine0,156 milliard de R&D pour 7 milliards de chiffre d’affaires.Comment un avenir tenablepour un tel groupe peut se pré-parer ainsi ?

UNE STRATÉGIE INDUSTRIELLE ATTENTISTED’ALSTOM ET DE L’ÉTATLe choix de la direction de l’en-treprise de fermer Belfort n’étaitpas celui d’une entreprise endifficulté face à un environne-ment hostile, c’était un choixstratégique de produire de

moins en moins sur le terri-toire français. C’est une stra-tégie de prise de bénéfices etde terre brûlée au détrimentdu site France, mais aussi dugroupe et de son avenir. À laveille des échéances électo-rales de 2017, la directiond’Alstom entendait aussi pren-dre en otage les salariés del’usine de Belfort pour fairefinancer sa stratégie par l’Étatvia la commande publique dela SNCF et de la RATP.

Cette stratégie, qui répond auxexigences de court terme desactionnaires financiers, estcontraire aux intérêts et à l’em-ploi de l’ensemble des salariésdu groupe et de la filière ferro-viaire française, alors que l’Étatest présent dans le groupe pour20 % des droits de vote ! Elle nepermettra pas de résister à laconcurrence mondiale des nou-veaux entrants low cost, qu’ilssoient chinois, coréens, polo-nais ou espagnols. Elle s’op-pose, en France et en Europe,au déploiement d’une indus-trie ferroviaire au service d’unepolitique de transports, de mobi-lité pour tous et d’un dévelop-pement durable et écologiquedes territoires.Depuis quinze ans, en s’inter-disant de fait d’avoir une poli-tique industrielle, les différentsgouvernements ont confortécette stratégie, y compris enacceptant en 2014 le dépeçaged’Alstom par General Electric,alors qu’avec la commandepublique et la présence de l’Étatdans l’actionnariat d’Alstomdes leviers pour s’y opposer etproposer une alternative exis-taient. Or, depuis quinze ans,les gouvernements successifsn’ont rien fait, ou si peu, pourle développement du fret fer-roviaire. Ils ont fermé de nom-breuses lignes de chemin de fer,n’ont pas desserré le poids desbanques sur le système ferro-viaire et ont renoncé à leur éco-taxe prétendument capable definancer les infrastructures.Cerise sur le gâteau, avec la loiMacron, contre toute rationa-

Alstom Belfort, ses emplois et l’avenir de la France

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L’existence du site du Belfort et de ses emplois concernel’avenir ferroviaire de notre pays et de l’Europe. Il s’agitde notre capacité à répondre aux défis des transitionsécologiques et qui travaillent nos sociétés.

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LA BOURSE OU L’ INDUSTRIE ?

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lité écologique, la concurrencedu train par des bus low cost aété légalisée, voire favorisée.Pis, aujourd’hui, alors que l’Étatest actionnaire d’Alstom à hau-teur de 20 %, le gouvernementest dans le déni en jurant qu’ilne savait rien de la fermeturede Belfort. Cette position relèvesoit de l’incompétence, soit ducynisme.

L’Union européenne, le Conseilcomme la Commission, a unegrande responsabilité dans lechaos ferroviaire qui règne sur le

continent et dont le projet de fer-meture de l’établissement deBelfort est aussi une conséquence.En effet, les différents « paquets »ferroviaires, en imposant la concur-rence de tous contre tous et l’ab-sence de politique industrielleautre que celle du libre-échangevia les accords internationaux,ont empêché la constructiond’une Europe du transport ferré

fondée sur la coopération desgrandes compagnies publiquesde chemin de fer et la créationd’un « Airbus » du matériel rou-

lant. Le dogmatisme libéral del’Union européenne conduit àce que les grandes plates-formesnumériques d’outre-Atlantiquesont devenues des concurrentscommerciaux redoutables pourles compagnies de chemin de fereuropéennes ; et les construc-teurs de matériels ferroviaireseuropéens, Siemens y compris,sont menacés à terme par lesconstructeurs low cost coréenset chinois.

SÉCURISER ET DÉVELOPPER L’EMPLOIDANS LE LONG TERMEL’existence du site du Belfort etde ses emplois concerne l’ave-nir ferroviaire de notre pays etde l’Europe. Il s’agit de notrecapacité à répondre aux défisdes transitions écologiques et

qui travaillent nos sociétés. Nousavons besoin d’un site de pro-duction de locomotives et demotrices du XXIe siècle.Alstom a largement bénéficiédu CICE. L’argent public qui aabreuvé l’entreprise doit se tra-duire par des emplois et de l’in-vestissement en recherche etdéveloppement. Le site de Belfortet les compétences de ses sala-riés ainsi que les brevets qui yont été développés doivent êtreconsidérés comme bien com-mun inaliénable de notre peu-ple, et non comme propriétédes actionnaires.Le médiocre plan du gouver-nement n’est qu’à court termeet évite soigneusement de met-tre en cause la direction dugroupe, pourtant assise sur untas d’or.

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OCTOBRE-NOVEMBRE-DÉCEMBRE 2014 Progressistes JUILLET-AOÛT-SEPTEMBRE 2016 Progressistes

Le site de Belfort et les compétences de ses salariés ainsi que les brevets qui y ont été développés doivent être considérés comme bien commun inaliénable denotre peuple, et non comme propriété des actionnaires.

s

Il y a un avenir pour un fleuron de l’industrie hexagonale !Les forces sociales existent mais les intérêts des actionnaires et le manque de volontés des gouvernements posent problème.

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Un vrai projet pour le site deBelfort implique de nouvellesembauches pour transmettreles savoir-faire et acquérir ceuxde demain, en particulier enmatière de numérique ferro-viaire. Il implique des investis-sements matériels, de rechercheet des mises en formation. Lareconversion de Belfort en cen-tre de maintenance européenest un non-sens, même si unediversification des activités estnécessaire. Les métiers du fer-roviaire sont spécifiques et, enplus de la formation initiale, ilsdemandent souvent plus de huitans d’initiation par des pairs àdes savoir-faire particuliers. Orla moyenne d’âge des salariésde Belfort est de plus de 48 ans.

DÉVELOPPEMENT DE L’INDUSTRIE FERROVIAIRE EN FRANCE : DES SOLUTIONS EXISTENTL’avenir du rail et de son indus-trie ne peut pas se penser sansla concertation et le dialoguedes acteurs concernés. Une tableronde multipartite devrait êtremise en place afin d’élaborerdes propositions alternativespour le transport ferroviaire dufutur, pour faire la transparencesur les coûts et prélèvementseffectués sur Alstom ainsi quesur les imputations de coûtsd’un site à l’autre, ainsi que poursuivre le respect des engage-ments pris.Il faut tendre vers la constitu-tion d’un pôle public de l’in-dustrie ferroviaire. Ce pôle s’ap-puierait sur Alstom, dont lanationalisation s’impose en tantqu’entreprise stratégique vianotamment une prise de par-ticipation de la SNCF et de laRATP, une montée de l’État, voireles régions. Il inclurait aussiBombardier-France et Siemens-France pour aboutir à laconstruction d’un « Airbus » dumatériel roulant européen avec,entre autres, la participation del’allemand Siemens et de l’es-pagnol DAF. Ce projet permet-trait de mutualiser les investis-sements en recherche etdéveloppement tout en renfor-

çant les sites de production.Un grand plan de développe-ment des infrastructures ferro-viaires, notamment de fret, maisaussi de voyageurs1, doit êtreélaboré et s’articuler avec unplan européen que la Banquecentrale européenne (BCE) doitcontribuer à financer – pourtous les pays de l’Union euro-péenne – à travers un fondseuropéen de développementsolidaire des services publics,avec une partie des 80 milliardsd’euros qu’elle crée chaque moisà – 0,4 %. Les profits des grandsports européens (Amsterdam,Rotterdam, Anvers, Hambourg,

Barcelone, etc.) ainsi qu’unevéritable écotaxe et d’autresfonds européens doivent êtremis à contribution.Les banques publiques et l’Étatactionnaire doivent financereux aussi les contre-proposi-tions que formulerait la tableronde en accordant un crédit àtaux proche de zéro et avec pourcondition des dividendes trèsfaibles pour l’État et les autresactionnaires. En plus, un allé-gement des frais financiers dusystème ferroviaire (actuelle-

ment 2,9 milliards, d’après lescomptes des transports de lanation publiés en août 2016)doit être engagé par une rené-gociation de la dette bancaireet une implication de la BCE.L’ensemble des marchés publicsnoués par la SNCF et les régionsdevraient être passés selon leprincipe du mieux-disant et nondu moins-disant, avec prédo-minances des critères d’em-bauches et de valeur ajoutéedisponible dans les territoires,de proximité, d’écologie, dedurabilité et de démantèlementdes matériels en fin de vie surle territoire national.

Il convient aussi de se battre auniveau européen pour quel’Union instaure un BuyEuropean Act s’inspirant du BuyAmerican Act mais équilibrépar pays de l’UE, car en Europe75 % des marchés ferroviairespublics sont totalement ouverts,sans clause de production locale,alors que le marché japonaisest ouvert à seulement 25 % etle chinois à 0 %.Il est indispensable que la Francelance un processus de renégo-ciation des « paquets » ferro-viaires européens avec, en lieuet place de la concurrence de

tous contre tous, un objectif ded’emploi développé et sécurisé,de service ferroviaire de qualitéet écologique. Cela nécessitedes outils de coopération et demutualisation entre les diffé-rentes compagnies de cheminde fer. Cela impliquerait de reve-nir sur la séparation entre infra-structures de réseau, activitésde transport et activités com-merciales, d’imposer des cahiersdes charges liés à l’aménage-ment des territoires et d’assu-rer une osmose entre industrieet services, y compris par desparticipations croisées et encréant de nouvelles instancesouvertes aux représentants destravailleurs (-euses) et des habi-tant(e)s dotées de réels pou-voirs. Un pôle public financierdu transport doit être créé.Il s’agit de renouer avec unegrande ambition industrielleau service de tous pour affron-ter la mobilité de demain et lechangement climatique. Le sau-vetage de Belfort ne doit pasêtre temporaire et électoraliste.On ne peut cacher d’autres dif-ficultés sur l’ensemble des sitesde production dans le pays,notamment à Ornas dans leDoubs, à Petite-Forêt dans leValenciennois et à Reischoffendans le Bas-Rhin.La situation du site Alstom àBelfort a révélé l’ampleur de lacrise du ferroviaire, aussi bienindustrielle que du transportdans notre pays ; il faut main-tenant y apporter des proposi-tions nouvelles avec des réponsessécurisantes et ambitieuses éco-logiquement à moyen et longterme. n

*FRÉDÉRIC BOCCARA, membredu PCF et des Économistesatterrés, est maître deconférences associé à l’universitéde Paris-XIII.

1. Cela inclut un plan d’électrificationdu réseau de fret français afind’atteindre le taux d’électrificationallemand, qui est de 97 %(aujourd’hui le réseau français de fretest électrifié à 57 %), avec lescommandes de motrices électriquesadéquates.

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Progressistes JUILLET-AOÛT-SEPTEMBRE 2016

LA BOURSE OU L’ INDUSTRIE ?

Il faut tendre vers la constitution d’un pôle public del’industrie ferroviaire. Ce pôle s’appuierait sur Alstom, dontla nationalisation s’impose en tant qu’entreprise stratégiquevia notamment une prise de participation de la SNCF et dela RATP, une montée de l’État, voire les régions.

Lire aussi la Bourse oul’industrie, Éditions de l’Atelier.Ouvrage dirigé par Jean-Christophe Le Duigou.Contributeurs : Marie-ClaireCailletaud, ingénieure EDF, porte-parole de la fédération nationaleCGT Mines-Énergie ; BernardDevert, ancien dirigeant de la fédération des travailleurs de la métallurgie (FTM-CGT), il a également siégé au Conseilnational de l’industrie ; PaulContinente, expert-comptable et commissaire aux comptes.

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OCTOBRE-NOVEMBRE-DÉCEMBRE 2014 Progressistes JUILLET-AOÛT-SEPTEMBRE 2016 Progressistes

15DOSSIER

JUILLET-AOÛT-SEPTEMBRE 2016 Progressistes

PAR AMAR BELLAL*,

ls ont entre 20 et 25 ans, sont étudiants, vivent en France. Ilsnous décrivent avec leurs mots, leur enthousiasme, leur éner-gie la France telle qu’ils la voient dans les prochaines années,

une France où le progrès serait au service des citoyens. Nous avonsdécidé de leur ouvrir les pages de la revue et de leur donner carteblanche. Cette jeunesse nous parle de politique, du manque d’emplois, dela situation difficile de l’enseignement supérieur. Elle nous parlede ce grand gâchis de générations entières laissées à l’abandon,sans formation, alors que de grands défis, nécessitant des métiersde plus en plus qualifiés, sont posés pour construire le monde dedemain, et auxquels il est essentiel de répondre. Elle nous parleenfin des grands problèmes liés à l’environnement, à la préser-vation des ressources, au réchauffement climatique.Ils sont issus d’une des plus grandes organisations d’étudiants deFrance : l’UEC, l’Union des étudiants communistes, dont noussaluons ici l’apport à ce dossier, fruit d’une collaboration avecl’équipe de Progressistes. Leur engagement concret dans la vie

citoyenne à un moment où les organisations politiques sontdécriées et où le syndicalisme est savamment ringardisé est rareet remarquable.Puisse ce dossier donner l’envie d’engagement à toute une géné-ration : l’avenir, le vôtre, le nôtre, en a grandement besoin ! n

*AMAR BELLAL est rédacteur en chef de Progressistes.

JEUNESSE, REGARDSSUR LE PROGRÈS

LA PAROLE À LA JEUNESSE

I

Lire aussi la Revue du projet no 59 :

«Jeunesse sacrifiée? ou engagée!»

© Jean-Paul Romani - www.phototheque.org

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Progressistes JUILLET-AOÛT-SEPTEMBRE 2016

La France a un rôle à jouer dans la préservation des conditions de vie de l’humanité. Des moyens existent etse multiplient, des forces humaines aussi. Les mettre en œuvre ne se fera pas sans poser des revendications,et il faudra lutter pour les imposer : c’est au fond une affaire de vision et de volonté politiques, de rapportsde force, de lutte de classes.

DES REVENDICATIONS POUR GAGNER LA BATAILLE ÉCOLOGIQUE

PAR PAUL BARRIÉ*,

lors que l’accord de Paris surle climat vient d’être ratifiépar les principaux pays émet-

teurs de gaz à effet de serre, les doutesplanent quant à la mise en applica-tion de cet accord non contraignant.Pourtant, tout est là pour réaliser latransition énergétique ! Les procé-dés techniques existent déjà et s’amé-liorent de jour en jour, et une poli-tique ambitieuse dans le domaineoffrirait aux travailleurs privés d’em-ploi, en nombre croissant, des débou-chés leur permettant d’accéder à lacréation de richesses.Pourtant, force est de constater quela transition énergétique n’est paspour demain, comme en témoignentla baisse de 17 % du budget du minis-tère de l’Écologie depuis 2012 et lamarche arrière du gouvernement surl’écotaxe en 2014.Si la question écologique peine àtrouver un débouché concret, c’estque la classe dominante n’a, finan-cièrement, aucun intérêt à investirdans la préservation de l’environne-ment, et ce parce que rendre les pro-cédés de production plus propresnécessite un investissement impor-

tant pour un rendement faible, alorsque des placements à but spécula-tif sont aujourd’hui bien plus renta-bles. À l’opposé, les travailleurs der-rière les machines ont un intérêt

littéralement vital à l’écologisationde leur outil de production, puisqu’ilsen sont les premières victimes. Lecombat pour l’écologie apparaît donccomme une autre facette de la luttedes classes.Dans ces conditions, quelles reven-dications concrètes porter pour gagnerla bataille de l’écologie ?

UN STATUT BANCAIRE À LA BPIPOUR FINANCER LA TRANSITIONÉCOLOGIQUECréée en 2013, la Banque publiqued’investissement (BPI), dont le butprincipal était de favoriser le déve-loppement des PME (petites etmoyennes entreprises), avait aussi

pour objectif, plutôt secondaire, defavoriser la « conversion écologique ».Néanmoins, le budget dont disposela BPI – constitué d’un capital de20 milliards d’euros – est déjà insuf-fisant pour répondre aux besoins definancements de l’ensemble des PME,donc a fortiori trop faible pour assu-rer en plus la transition écologique.La principale faiblesse de la BPI, c’estqu’elle n’est pas une banque. Le capi-tal de 20 milliards dont elle disposeprovient de fonds mis à sa disposi-tion par l’État et la Caisse des dépôts.

Pour accroître considérablement saforce de frappe et permettre un finan-cement à la hauteur des besoins éco-logiques, elle a besoin d’un statutbancaire. Ainsi, elle pourra financerpar simple jeu d’écriture les actionsde transition énergétique.Cependant, c’est la Banque de Francequi délivre les licences bancaires. Orcelle-ci, dans le cadre de la monnaieunique, ne répond qu’aux directivesde la Banque centrale européenne,laquelle ne semble pas prête à déli-vrer une telle licence dans la mesureoù l’État français pourrait en profi-ter par là même pour emprunter àbas coût. Les cadres libéraux danslesquels est enfermée la monnaieunique empêchent aujourd’hui touteinitiative nationale d’envergure enmatière d’écologie.

FORMER LES ARTISANS DE LA RÉVOLUTION ÉCOLOGIQUESe poser la question de la transfor-mation écologique de l’industriefrançaise suppose aussi de se deman-der comment obtenir une force detravail qualifiée en la matière. Orpour obtenir une telle force de tra-vail – dont l’effectif se situerait entre1 et 2 millions de personnes selonles projets –, on ne peut compter surles seuls nouveaux diplômés. En effet,ceux-ci non seulement doivent déjàremplacer les départs à la retraite, etdevront en remplacer encore pluslorsque nous aurons remis l’âge dedépart à la retraite à 60 ans, mais doi-vent aussi répondre aux nouveauxbesoins liés aux révolutions infor-mationnelles, dans les biotechno -logies, etc.La problématique qui se pose alorsest comment former le nombre crois-sant de personnes privées d’emplois.Cette année 2016, le gouvernementa annoncé la formation de 500000 chô-meurs, ce qui est une bonne chose,mais les modalités de mise en place

Si l’on veut former des travailleurs à moindre coût et en grand nombre,pourquoi ne pas faire appelaux universités, et s’abstenirainsi de verser des profits auxpropriétaires d’entreprises de formations ?

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DOSSIER JEUNESSE, REGARDS SUR LE PROGRÈS16

A

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JUILLET-AOÛT-SEPTEMBRE 2016 Progressistes

de ces formations et l’absence dedébouchés massifs posent des ques-tions quant à l’efficacité d’une tellemesure.Si l’on veut former des travailleurs àmoindre coût et en grand nombre,pourquoi ne pas faire appel aux uni-versités, et s’abstenir ainsi de verserdes profits aux propriétaires d’en-treprises de formation ?Pour ce faire, il faut généraliser lareprise d’études, qui est aujourd’huiquasi inexistante, ce qui nécessiteque les frais de scolarité pour lesreprises d’études – qui peuvent attein-dre plusieurs milliers d’euros par an– soient alignés sur ceux des étu-diants en formation initiale. En plus,cette reprise d’études devrait pou-voir se faire dans des conditions devie dignes. Se pose alors la questionde la mise en place d’un revenu pourles travailleurs en formation, c’est-à-dire la mise en place d’un salaire étudiant.Il est donc nécessaire d’investir mas-sivement dans l’enseignement supé-rieur et la recherche pour dévelop-per les filières portant sur lesproblématiques techniques liées àl’écologie.

DES UFR SPÉCIALISÉES DANS LA QUESTION DE L’ÉCOLOGIEAujourd’hui, l’essentiel de la recherchesur de nouveaux procédés plus pro-pres est le fait d’entreprises privées.Or leur effort en matière de rechercheest très limité, dans la mesure où leurseule incitation est la sensibilité crois-sante des consommateurs aux pro-blèmes écologiques, sensibilité quia du mal a se généraliser à cause duprix élevé, dissuasif pour le plus grandnombre, des biens « propres ». Pisencore, et l’exemple de la fraude auxtests de pollution des voituresWolkswagen l’a révélé, il existe undésintérêt total des industries capi-talistes pour la question écologique.Il est donc nécessaire d’accroîtreconsidérablement la recherchepublique dans le domaine de l’éco-logie et de reconnaître le besoin decréer une unité fondamentale derecherche (UFR) pluridisciplinaireportant sur la problématique éco -logique à toutes les échelles : desquestions purement techniques auxquestions d’implémentation de poli-tiques de développement durable

sur les territoires, en passant par ledéveloppement d’énergies et de trans-ports plus propres.

POUR UN PÔLE NATIONAL DE GESTION DES BREVETSAu-delà de la question de la recherchese pose la question de la diffusiondes découvertes scientifiques, quiest aujourd’hui limitée par les bre-vets qui sont déposés pour protégerles nouvelles technologies. Or cer-taines industries, notamment pétro-lières comme Total, rachètent desbrevets des technologies permettantde rendre les moteurs des véhiculesmoins gourmands en carburant.L’objectif est simple : maintenir unedépendance forte au pétrole pourleur garantir une rente à long termesur l’exploitation pétrolière.L’idée que nous avançons pour contrerce genre de pratiques est de créerune structure publique dont l’objec-tif serait de collecter tous les brevetsdes technologies plus propres et derendre leur diffusion la plus largepossible au sein des industries natio-nales. Il reste qu’assurer la diffusionde technologies propres ne garantitpas leur utilisation par les entreprisesprivées.

DES COTISATIONS POUR LA TRANSITION ÉCOLOGIQUE DES INDUSTRIES PRIVÉESComme cela a été dit au début del’article, les industriels n’ont aucunintérêt à rendre les outils de produc-tion plus propres, et donc à réduireleurs externalités, c’est-à-dire le coûtcollectif que leur activité engendre.

Or, pour réduire les externalités, ilfaut « internaliser les externalités ».Autrement dit, il faut faire suppor-ter un coût supplémentaire aux indus-tries à hauteur des externalités qu’ellesdégagent, le but étant de les inciterà réduire la pollution qu’elles génè-rent et, par conséquent, à investirdans l’installation de machines pluspropres.Pour cela, on peut prendre commepoint de départ le fait que la pollu-tion de l’air, de l’eau… entraîne unimportant coût supplémentaire pourla Sécurité sociale. En effet, la pol-lution atmosphérique coûte près de101,3 milliards d’euros par an, selonune commission d’enquête sénato-riale. Ce qui se traduit concrètementpar une augmentation des dépensesde la branche maladie de la Sécuritésociale.

Ainsi, la mise en place de nouvellescotisations proportionnelles au niveaude pollution des industries sembleêtre une solution efficace et progres-siste pour faire face à ces dépensessupplémentaires de la Sécurité sociale,et pour favoriser la transformationécologique des entreprises privées. n

*PAUL BARRIÉ est étudiant à Toulouse.Membre de l'UEC.

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Il est donc nécessaire d’investirmassivement dans l’enseignement supérieur et la recherche pour développer les filièresportant sur les problématiques techniquesliées à l’écologie. “ “

Faire supporterun coûtsupplémentaireaux industries à hauteur desexternalitésqu’elles dégagentpour les inciter à réduire lapollution qu’elles génèrent.

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DOSSIER18 JEUNESSE, REGARDS SUR LE PROGRÈS

DÉVELOPPER LES TRANSPORTS EN COMMUN : UNE NÉCESSITÉ SOCIALE, ÉCOLOGIQUE ET INDUSTRIELLE

PAR THOMAS BOMPIED*,

n matière de protection del’environnement, de dévelop-pement humain durable ou

encore de création de nouveauxdroits, la politique des transports estappelée à prendre pleinement saplace dans la bataille pour l’édifica-tion d’une société progressiste etémancipatrice.

UNE RÉPONSE DURABLE AUX DÉFIS ENVIRONNEMENTAUXLa loi du 17 août 2015 relative à latransition énergétique pour la crois-sance verte a fixé à l’État et à la sociétédes objectifs exigeants en matièrede réduction des émissions de gaz àeffet de serre (GES). Elle vise le capambitieux de la réduction des émis-sions de GES de 40 % d’ici à 2030 etde leur division par quatre d’ici à2050. En 2013, 28 % (soit 134,8 mil-lions de tonnes en équivalent CO2)des émissions françaises de GESétaient issues du secteur des trans-ports, en faisant ainsi le deuxièmesecteur émetteur, derrière l’indus-trie (toutes branches confondues)1.Si l’on observe le détail des émis-sions dans le secteur des transports,on constate qu’elles proviennentdans leur très grande majorité de laroute (93 % pour le transport rou-tier, contre 1,3 % pour le transportferroviaire)2. Chaque kilomètre par-couru par une automobile dégage150 g de CO2, tandis que les usagersdu bus et du train en émettent, res-pectivement, 66,7 g et 2 g chacun3.Ces données font apparaître que ledéveloppement des transports encommun est une nécessité pourrépondre aux défis environnemen-taux de notre époque. Il devient impé-ratif, pour réduire les émissions deGES, de trouver une alternative dura-ble à la voiture et au transport rou-tier. C’est d’ailleurs là que le bât blesse.

wagon isolé aura eu pour consé-quence, en plus de détériorer la situa-tion financière de la SNCF, de jeterdes milliers de nouveaux camionssur les routes, aggravant considéra-blement l’empreinte environnemen-tale de cette activité. À titre de com-paraison, 1 t de marchandisestransportée par rail émet 2 g de CO2

au kilomètre, tandis que celle trans-portée par la route en émet 221 g4.La comparaison est sans appel : letransport routier a un coût éco logiquebien plus lourd que celui du fret fer-roviaire. Sur le plan du transport depassagers, le bilan n’est guère plusreluisant. Le manque de moyensalloués à cette activité aura conduit,d’une part, au transfert d’un certainnombre de lignes TER (train expressrégionaux) vers la route et, d’autrepart, au développement de sociétésprivées de transport de voyageurs(Isilines, Megabus…), largement favo-

En effet, les transports, bien loind’être une problématique canton-née à l’échelle de l’individu, appel-lent des choix politiques ambitieuxet exigeants, dans les collectivitésterritoriales aussi bien qu’au niveaude la nation. Or, sous la pression tou-jours plus forte d’un capital dontl’appétit de profit n’a aucune limite,la politique des transports est mar-quée par des choix caractérisés parla libéralisation et la dérégulationeffrénées du secteur.

L’exemple du transport ferroviaireest révélateur. Sur le plan du trans-port de marchandises, l’abandon du

E

Parce qu’ils rapprochent les hommes et les territoires, les transports en commun jouent un rôle fondamentaldans notre société. Ancrés au cœur de celle-ci, ils sont traversés par les mêmes problématiques et les mêmesenjeux qu’elle. En plus, ils constituent un levier de transformation démocratique et progressiste de la sociétépour répondre aux grands défis de notre temps.

Les transports, bien loin d’être une problématique cantonnée à l’échelle de l’individu, appellent des choix politiquesambitieux et exigeants. “ “

Droit à la mobilitéet droit à lapréservation del’environnement :l’émission deCO2 au kilomètrepar chaquevoyageur est de 2g!

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JUILLET-AOÛT-SEPTEMBRE 2016 Progressistes

risées par la libéralisation du trans-port en autocar grâce à la loi Macron.Là aussi, le bilan écologique de ceschoix politiques est alarmant.Une première idée s’impose : là oùla régulation capitaliste du secteurdes transports échoue à assurer à cesecteur d’activité une durabilité envi-ronnementale, la régulation démo-cratique, par la planification, pour-rait réussir. Des choix politiquesnovateurs associant les salariés dusecteur, les usagers des services et

les élus de la nation et des collecti-vités territoriales permettraient defaire émerger un réseau de trans-ports multimodal et pleinement ins-crit dans une politique globale detransition énergétique.

UNE NÉCESSITÉ POUR LE DÉVELOPPEMENT INDUSTRIELOutre une réponse progressiste etdurable à l’urgence environnemen-tale, le développement des trans-ports en commun constitue égale-ment une nécessité pour ledéveloppement industriel du pays.Le secteur ferroviaire est appelé àjouer un rôle majeur en ce sens. Avecun réseau ferroviaire de près de31 000 km, la France dispose d’unatout économique majeur, mais setrouve fragilisée par les choix poli-tiques des gouvernements succes-sifs. Alors que le réseau nécessite unrenouvellement et une modernisa-tion de masse, du fait du vieillisse-ment normal des infrastructures etdu matériel roulant, comme entémoigne la forte augmentation desralentissements (600 km au débutdes années 2000, contre plus de 3000au début de la décennie 20105), l’Étatorganise non seulement l’asphyxiefinancière de la SNCF et de Réseauferré de France (RFF), le gestionnairedes infrastructures, mais aussi laperte de maîtrise de la puissancepublique sur le réseau, et ce en confiantla construction de nouvelles lignesà des opérateurs privés par le biaisde PPP (partenariats public-privé).

La volonté capitaliste de contrôlerle transport ferroviaire pour en faireun business juteux entre inévitable-ment en contradiction avec l’intérêtgénéral: elle freine le développementindustriel du pays et constitue unobstacle de poids au dynamismeéconomique d’un secteur utile etdurable. Le renouvellement du parcde trains Corail, la rénovation desTER, la modernisation des wagonsde marchandises, la construction denouvelles infrastructures pour déve-lopper le fret constituent des pistesd’avenir très prometteuses pour ledéveloppement industriel du payset des territoires. D’autant que notrepays peut compter sur un tissu éco-nomique efficient et pérenne ; pource qui est du matériel roulant, surun secteur industriel de pointe, orga-nisé pour l’essentiel autour de deuxgéants (Alstom et Bombardier), enre-gistrant un chiffre d’affaires estiméà 4 milliards d’euros6 ; pour les infra-structures, la construction et la main-tenance du réseau, il existe des entre-prises de travaux publics de pointe.

Les potentialités d’un développe-ment humain durable s’appuyant surun développement des transports encommun, et notamment du trans-port ferroviaire, existent donc. Mais,comme le faisait déjà observer Marx

en son temps, le capital obstrue lui-même le développement des forcesproductives qu’il promeut. Il devientdonc urgent, pour libérer les éner-gies et les potentialités existantes, delibérer la politique des transports dela loi du marché capitaliste et de laconcurrence entre modes de trans-port. En matière industrielle, la pla-nification démocratique de la pro-duction non seulement remplira cetobjectif de libération des énergies etdes potentiels de développementmais aura aussi pour conséquencede permettre un développementindustriel équilibré, n’excluant aucunterritoire ni aucun citoyen.

VERS DE NOUVEAUX DROITSDÉMOCRATIQUES ET SOCIAUXLa politique des transports peutconstituer, dans l’immédiat, uneréponse conséquente à l’urgencesociale et définir, pour l’avenir, lecontour de nouveaux droits citoyens.Au niveau des communes ou desintercommunalités, la gratuité destransports en commun de proximitéest une bataille à mener qui dessineune perspective pour l’avenir de lamobilité urbaine. Au niveau desrégions, les collectivités régionalesdisposent d’un levier d’action majeuravec les TER pour compléter, auniveau de leur territoire, le droit à lamobilité pour tous. Enfin, il en estde même pour l’État, gestionnairequant à lui des trains d’équilibre duterritoire.Le développement massif, quanti-tatif et qualitatif, de ces transports àl’échelle de la ville, des régions et dela nation ainsi que la création d’un

À titre de comparaison, 1 t demarchandises transportée par rail émet 2 g de CO2 au kilomètre, tandis que celletransportée par la route en émet 221 g.“ “

Là où la régulation capitaliste du secteur des transports échoue à assurer à ce secteur d’activité une durabilitéenvironnementale, la régulation démocratique,par la planification, pourrait réussir. “ “

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Un automobilistedégage 150 g deCO2 par kilomètre

parcouru : unepolitique deréduction du

transport routier,de marchandiseset de personnes,

est doncnécessaire pour

réduire lesémission de gaz à

effet de serre.

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Progressistes JUILLET-AOÛT-SEPTEMBRE 2016

DOSSIER20 JEUNESSE, REGARDS SUR LE PROGRÈS

RÉVOLUTION NUMÉRIQUE ET INDUSTRIE

PAR MARIE JAY*,

Le saut technologique que désignele terme de « révolution numé-rique » – terme qui renvoie à la révo-lution industrielle, à laquelle il estpertinent de la comparer en tantqu’évolution technique de grandeampleur – est vecteur d’une révo-

lution dans les rapports de produc-tion et fournit des outils permet-tant aux travailleurs qui se les appro-prieraient d’être en maîtrise de leurtravail et de réorganiser la produc-tion et la répartition de la valeursur de nouvelles bases.

COMMENT SE CARACTÉRISE CETTE RÉVOLUTION?Il s’agit d’un bouleversement des ins-truments de production, et par consé-quent des rapports de production,et donc de la société, qui a démarrédans les années 1970-1980 avec ledéveloppement de l’informatiquepuis d’Internet. Nous ne vivons que

les débuts de ces changements, danslesquels certains ne voient qu’unerévolution informationnelle. Elle estbeaucoup plus que cela.Les techniques qui y sont associéesont permis l’essor d’un réseau mon-dial de travailleurs grâce à l’appari-tion et au développement de nou-veaux modes de communication.Cette « révolution » crée à la fois desattentes et des espoirs en termes demise en commun des informations,idées et savoir-faire et des craintesquant à ses conséquences sur l’in-dustrie (destruction d’emplois, etc.).L’évolution et la démocratisation dessmartphones, des ordinateurs et

Si le numérique cristallise de terribles craintes de déclassement sinon de chômage, il suscite d’immenses attentes,parfois contradictoires, quant à ses conséquences sur l’économie et la société. Cela dit, il importe de retenir qu’ilporte en germe des potentiels inédits de mise en commun des informations, des savoirs et des savoir-faire.

véritable droit à la mobilité permet-tront l’ouverture des transports encommun à tous, et notamment auxcatégories de la population qui ensont privées, pour des raisons finan-cières ou pour des raisons géogra-phiques. En outre, une politique demobilité ambitieuse désenclaverales territoires aujourd’hui laissés enfriche en matière de transports. Enfin,le développement des transports encommun rendra les territoires, etnotamment les villes, plus agréablesà vivre, à la fois pour les piétons etles usagers des transports, mais éga-lement pour les automobilistes, quipourront circuler dans des espacesmoins embouteillés.

UN OUTIL : LA PLANIFICATIONDÉMOCRATIQUE!Répétons-le : les transports en com-mun ont une utilité sociale, écono-mique et environnementale indé-niable. Face au défi du réchauffementclimatique et de la transition éner-gétique, face au défi de la recons-truction industrielle de la France puiscelui de la création de nouveauxdroits pour les citoyens, leur déve-loppement apparaît comme uneperspective de progrès et d’émanci-

pation des individus et de la sociétédans son ensemble.Cela étant, cette perspective fait faceà une donnée objective fondamen-tale, que nous connaissons bien : lecapital et les contradictions qui letraversent. La recherche du profitimmédiat et maximal conduit simul-tanément les capitalistes à chercher,avec l’aide des gouvernements suc-cessifs et des institutions européennes,à mettre la main sur les infrastruc-tures de transports comme sur lestransports eux-mêmes et à les sac-cager au nom de la baisse du « coûtdu travail ».Cette politique a un coût social etenvironnemental élevé, reporté surl’ensemble de la collectivité, qui paieainsi pour que le patronat puissetoujours augmenter son taux de pro-fit dans ce secteur d’activité.Face à l’incapacité du patronat àorganiser selon ses propres règlesdes transports efficaces et utiles, nousdevons, comme communistes, pro-poser une alternative progressiste.Celle-ci s’incarne au travers de laplanification démocratique, asso-ciant l’ensemble des salariés du sec-teur, les usagers des services ainsique les élus du peuple. Une politique

réussie de planification des trans-ports dépasserait le seul cadre de cesecteur d’activité ; elle s’intéresse-rait au développement industriel desterritoires ainsi qu’à la recherche enmatière d’énergie renouvelable et devéhicules plus propres, garantissantà la politique des transports une meil-leure cohérence.La bataille pour des transports duXXIe siècle, utiles, propres et effi-caces, est donc une bataille de classeà conduire pleinement, dans toutesses dimensions, par le monde dutravail. n

*THOMAS BOMPIED est étudiant àClermont-Ferrand et membre du CN de l’UEC.

1.http://www.developpement-durable.gouv.fr/IMG/jpg/Repartisions_des_emissions_de_GES_en_France.jpg

2.http://www.developpement-durable.gouv.fr/Transports,34304.html

3. https://revue-progressistes.org/2014/05/10/systeme-ferroviaire-et-politique-des-transports-contribution-du-pcf-pierre-mathieu/

4. http://www.pcf.fr/sites/default/files/brochure_rail_web.pdf

5. Alain Prouvenq, « Les enjeux du transportferroviaire », in Progressistes, no 1, 2013.

6. http://progressistes.pcf.fr/41877

L’électronique, et l’industrie qui s’yrattache, est la base du numérique. La plupartdes produits modernes (ordinateurs, instrumentsmédicaux, machines industrielles…) sontcomposés de puces et de circuits intégrés. “ “

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permettre le progrès scientifique et technique.Ces investissements devraient êtreassurés par la puissance publique.Or les gouvernements successifs ontopté pour des politiques qui se sontrévélées inaptes, voire nocives, devantles enjeux : ainsi, la volonté de lais-ser au secteur privé, à coups de cré-dits publics non contrôlés, le soin deporter à 3 % du PIB l’effort nationalde recherche fait craindre à termeune liquidation de la recherche fon-damentale en France ; plus concrè-tement, l’inefficacité du crédit d’im-pôt recherche n’est plus à prouver.Il apparaît, par conséquent, que seulun réinvestissement massif dans l’en-seignement supérieur et la rechercheserait à même de redresser une situa-tion pour répondre aux enjeux actuels.Mais, pour ce faire, il faut un Étatstratège, qui prenne le contre-piedde la réforme territoriale visant àcréer une Europe des régions et dela vision néolibérale de l’économie,s’inscrivant dans une politique deliquidation de la nation française etde ses traditions issues de la Révolutionet du CNR.

NUMÉRIQUE, EXPLOITATION ET DESTRUCTION D’EMPLOISIl est indispensable d’analyser l’in-dustrie du numérique à l’aune deses implications sur la société et lecapital. Selon Stéphanie Levain2, l’in-dustrie logicielle peut être compa-rée à l’état de la chimie du temps deMarx en ceci que, si la productivitéaugmente énormément, l’exploita-tion des travailleurs est renouveléevia cette même industrie : flexibilitédu temps de travail, niveau des qua-lifications élevé par rapport auxsalaires… ; la précarité des travail-leurs dans cette industrie est grande.Par ailleurs, les profits maximaux sefont maintenant non plus dans l’in-dustrie lourde (automobile…) ou leshigh-tech mais dans les domaines del’information numérique (Google,Facebook…) via la finance. Le constats’impose que l’information a acquisune valeur extrême dans notre sys-tème économique, ce qui a des consé-quences directes sur la société. Lesbrevets, la propriété intellectuelle sontplus que jamais au cœur de la lutteentre grands groupes: l’informationétant un bien non rival, sa rareté est

d’Internet conduisent à ce que touteinformation puisse être numériséeen vue d’effectuer des tâches com-plexes de manière rapide et acces-sible. Pratiquement l’ensemble desactivités humaines a été bouleversédu moment qu’est devenu possiblel’échange de biens et de services auniveau mondial à l’aide d’immensesstocks de données et d’informations,dans tous les domaines d’activité(santé, savoirs…).

LE NUMÉRIQUE DANS L’INDUSTRIEET LE DÉVELOPPEMENT DE L’INDUSTRIE NUMÉRIQUELe numérique, notamment par sesapplications dans la modélisation etla simulation, sera de plus en plusindispensable à l’industrie et à l’éco-nomie (à ce propos, Ivan Lavalléeparle d’« usine numérique »1 ). Eneffet, pour concevoir un produit, lesindustriels utilisent aujourd’hui desméthodes de simulation en vue d’amé-liorer leurs conceptions à moindrescoûts. Cela se traduit par un gain detemps naguère inconcevable, maisnécessite des logiciels sophistiquésainsi que de grandes puissances decalcul, qui sont aujourd’hui les fac-teurs essentiels du développementde l’industrie. Si jusqu’à présent lasimulation était accessible unique-ment aux grandes entreprises danscertains domaines clés (aéronau-tique, défense), désormais elle se« démocratise » et se perfectionne.

L’électronique, et l’industrie qui s’yrattache, est la base du numérique.La plupart des produits modernes(ordinateurs, instruments médicaux,machines industrielles…) sont com-posés de puces et de circuits inté-grés. Dès lors, force est de reconnaî-tre qu’il existe bel et bien des enjeuxmajeurs en termes d’innovation tech-nologique et d’emplois autour de laquestion de l’électronique.L’innovation technologique dans cedomaine est particulièrement impor-

tante du fait de la nécessité de minia-turisation toujours plus poussée, lebut étant de réduire les coûts touten augmentant les puissances de calcul. Et parce que cela nécessitedes centaines de millions d’eurosd’investissements au départ, et quela concurrence est féroce, seulsquelques sites industriels, principa-lement situés, en Asie (Chine, Inde,Japon), aux États-Unis, en Russie eten France, à Grenoble, sont capa-bles d’entrer dans la compétition.Il est par conséquent indispensabled’investir dans la recherche et l’in-novation technologique afin de

L’industrie logicielle peut être comparée à l’état de la chimie du temps de Marx en cecique, si la productivité augmente énormément,l’exploitation des travailleurs est renouvelée viacette même industrie.“ “

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DOSSIER22 JEUNESSE, REGARDS SUR LE PROGRÈS

mer que la révolution numériqueoffre des potentiels de mise en com-mun à travers des plates-formes coo-pératives et des ateliers coopératifstels que les fab-labs, ces ateliers defabrication accessibles à tous et oùil est possible de concevoir, répareret produire des biens grâce à desordinateurs et à des imprimantes3D. Le concept, fondé sur le partaged’expériences, de savoirs et de savoir-faire, permet une conception et uneinnovation socialisée, d’autant queces structures coopératives sontconnectées entre elles via Internet,de sorte qu’elles peuvent travaillersur des projets communs. La révo-lution numérique rend ainsi possi-ble et l’émergence d’un système danslequel la mise en commun est immé-diate et la création de valeur à par-tir de micro-entreprises ou de struc-tures coopératives… Toutefois, cetaspect positif reste très limité : on n’yfabriquera pas demain les avions de

transport, ni les locomotives, ni lesvoitures et autres produits courantsqui nous entourent, qui nécessitentde vraies usines et des moyens impor-tants pour optimiser la production.La révolution numérique bouleversele mode de production et d’échange,et surtout augmente la productivitédu travail à un point tel qu’une réduc-tion massive du temps de travailcontraint, bien en dessous des32 heures hebdomadaires, peut êtremise à l’ordre du jour. Faut-il rappe-ler que dans les années 1930 – déjà !– l’économiste John Meynard Keynesestimait qu’en l’an 2000 on ne tra-vaillerait plus que 15 heures parsemaine, et ce à revenu égal.

LE COMMUNISME À L’ORDRE DU JOURSi, comme l’écrit Karl Marx dans lapréface à la Contribution à la cri-tique de l’économie politique, « l’his-toire de l’humanité, c’est l’histoire deses forces productives », alors nousentrons dans une nouvelle phase decette histoire et dans une société telleque, si le monde du travail s’en empare,lorsque « les usines tourneront toutesseules » alors « le travail sera devenule premier besoin social de l'homme ».Cette société, c’est le communisme! n

*MARIE JAY est étudiante et coordinatricenationale de l’UEC.

1. Ivan Lavallée, « La révolutionnumérique », in Progressistes, no 5, et « Intelligence artificielle, le défidémocratique », Progressistes, no 12.

2. Stéphanie Levain, « Industrie logicielle etcapitalisme », in Progressistes, no 5.

devenue un enjeu majeur, d’où unemise à prix de l’information dans dif-férents domaines (santé, éducation),ce qui freine la recherche. De ce pointde vue, la politique du brevet est néfasteet de nature à entraver le développe-ment des connaissances.Du fait du développement des objetsconnectés et des robots, nous pou-vons nous attendre à une destruc-tion massive d’emplois dans les vingtprochaines années. Nous assistons,dans le même mouvement, à un ren-forcement de l’exploitation capita-liste et à une paupérisation de masse.En effet, le numérique remet en causele travail salarié au profit d’une rému-nération des services à la tâche etd’un morcellement du travail, avecune forme nouvelle d’auto-entre-preneuriat (Uber par exemple) gérépar une plate-forme et dans laquellela mise en concurrence des travail-leurs est particulièrement féroce.Plus encore, les entreprises fonction-nant sur le modèle d’Uber n’inves-tissent pas dans des infrastructuresmais récupèrent d’immenses pro-fits sur le travail effectué.

On le voit, les métiers créés autourde la révolution numérique vontregrouper une grande partie desfuturs emplois et seront au cœurd’enjeux économiques importants.Du strict point de vue de la théorieéconomique, c’est un moyen de réta-blir et même de dynamiser le tauxde profit : l’investissement en capi-tal est modeste par rapport aux pro-fits qu’on en tire.La numérisation, qu’on le veuille ounon, va bouleverser tout le systèmeéducatif, d’acquisition et de valori-sation des connaissances. C’est déjàcommencé d’ailleurs avec les FLOT(formation en ligne ouverte à tous)ou encore CLOM (cours en ligneouverts massifs).

NUMÉRIQUE ET PERSPECTIVESRÉVOLUTIONNAIRESConsidérée sous un autre angle, sousl’angle progressiste, on peut affir-

La révolution numérique augmente la productivité du travail à un point tel qu’uneréduction massive du temps de travail contraint,bien en dessous des 32 heures hebdomadaires,peut être mise à l’ordre du jour. “ “

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Lire aussi les numéros 5 et 12 de Progressistes consacrésà la révolution numérique (en téléchargement libre surrevue-progressistes.org).

Que ce soit pour la

compréhension de l’Univers,

l’évaluation duréchauffementclimatique, lamétéo ou les

grandessimulations

nécessaires auxindustries, les

supercalculateurs sont devenus

incontournables.

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PAR DANIEL SPENCER*,

ans volonté de faire du cata -strophisme et encore moinsdu misérabilisme, il faut être

conscient aujourd’hui que les évo-lutions environnementales sont assezpréoccupantes et font peser sur laTerre une des pires menaces quel’humanité ait connues.Si les prévisions du GIEC s’avéraient,le réchauffement de la planète pour-rait atteindre 5, voire 6 °C d’ici à lafin du siècle. Cela aura de gravesconséquences pour l’écosystème ter-restre, et pour l’ensemble de notrecivilisation. Il est certain qu’avec unclimat plus chaud notre planète seradans l’incapacité de nourrir l’ensem-ble des êtres humains dans quelquesdécennies.Alors, comment faire pour l’éviter ?Comment répondre aux besoinshumains tout en limitant les rejetsde CO2 dans l’atmosphère ?

La question est brûlante, et le débatne doit pas être centré autour desavantages ou inconvénients de telleou telle énergie à bas carbone maisdu besoin urgent d’utiliser toutes lesénergies que nous connaissons etque l’on peut produire avec un fai-ble taux d’émission de gaz à effet de serre.Il est donc urgent d’avoir un débatdémocratique sur les enjeux clima-

tiques, débat en vue duquel le PCF,comme le rappelle Valérie Goncalves1,propose de viser à « un mix énergé-tique diversifié, incluant toutes lesénergies disponibles et privilégiantcelles émettant le moins de CO2 »,lequel devrait prendre en compte lesocial, l’environnemental et l’éco-nomique. Cela implique une poli-tique de soutien à la recherche danstoutes les directions, du nucléaireau stockage de l’électricité, en pas-sant par le développement ration-nel du renouvelable et par les éco-nomies d’énergie.Pour répondre aux enjeux clima-tiques, il faut donc une planificationécologique au niveau mondial.

QUELQUES CLÉS ET DONNÉESPOUR COMPRENDREPour comprendre les enjeux du débat,il faut quelques clés sur l’état actueldu système énergétique français etmondial.Au niveau mondial, la productionde l’électricité est répartie de cettemanière: 40 % pour le charbon, 21 %pour le gaz, 16 % pour l’hydraulique,14 % pour le nucléaire, 5 % pour le pétrole et 3,5 % pour le solaire,l’éolien et la géothermie.

Au niveau de la France, 50 % de notreénergie est produite par le pétrole,le gaz et le charbon, 40 % est d’ori-gine nucléaire et 10 % proviennent

des sources renouvelables. Sur cesdernières, rappelons que la majoritéde l’énergie provient du bois (39 %)et de l’hydraulique (24 %), les autresne représentant qu’un faible apport :l’éolien ne représente que 7 % dansla part du renouvelable, et le solairephotovoltaïque 2 %. Ces donnéesn’ont pas été élaborées par un « lobbydu nucléaire » qui empêcherait ledéveloppement de ces énergies; ellestiennent simplement à ceci qu’éo-lien et photovoltaïque sont très peurentables en termes de production

énergétique et qu’ils posent des pro-blèmes de stabilité du réseau élec-trique, car il s’agit d’énergies inter-mittentes (l’éolien ne fonctionne quequand il y a du vent…); enfin, à l’heureactuelle le problème du stockage àgrande échelle de l’électricité n’estpas encore résolu.La part de l’électricité dans la pro-duction totale d’énergie est seule-ment de 20 %, ce qui est très surpre-nant quand on observe l’importanceque prend la question électrique dansles débats autour de l’énergie.

QUEL MIX ÉNERGÉTIQUE POUR FAIRE FACE AUX ENJEUX ENVIRONNEMENTAUX ?C’est un des thèmes qui s’imposent lorsqu’on parle d’avenir et d’écologie : le mix énergétique. La jeunesseest directement concernée par cet enjeu, crucial pour les prochaines décennies.

Besoin urgent d’utiliser toutes les énergies que nous connaissons et que l’on peut produire avec un faible tauxd’émission de gaz à effet de serre. “ “

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DOSSIER24 JEUNESSE, REGARDS SUR LE PROGRÈS

ÉNERGIES FOSSILES,RENOUVELABLES : QUELLE RÉALITÉ?De cette répartition on peut tirerdeux constats. Le premier est quenotre recours à des énergies fossilesest encore très fort, ce qui impliqueune dépendance énergétique (lamajorité de ces énergies sont impor-tées) ainsi qu’une forte émission degaz à effet de serre. Le second estqu’on fait une mauvaise exploita-tion des énergies renouvelables ; eneffet, aujourd’hui le renouvelable estsurtout utilisée pour produire del’électricité alors que dans ce domaineil s’avère peu rentable, sans comp-ter qu’il entraîne de fortes déperdi-tions d’énergie.

Face à ces deux constats, que faire ?Deux types de scénarios nous sontproposés pour les choix énergétiquesà adopter.

Le 100 % renouvelable : l’impasseUn scénario est celui du tout-renou-velable. Défendu notamment parl’association Négawatt – et aussi, untemps, par l’ADEME (Agence de l’en-vironnement et de la maîtrise del’énergie) –, il propose une sortie dunucléaire en divisant par deux laconsommation d’énergie et en n’uti-lisant que les énergies renouvela-bles. Cette vision est fortement cri-tiquée par les chercheurs et ingénieurstravaillant dans le domaine de l’éner-gie. En effet, ils mettent en évidencedes contradictions comme le fait depréconiser la diminution de laconsommation d’électricité à l’heureou de nouvelles industries à besoinsélectriques se développent, ou encorel’utilisation de techniques de stockagede l’électricité qui ne sont encorequ’au stade de prototype ou d’au-tres ayant des coûts de productiontrès élevés et une rentabilité assezfaible2.Le scénario Négawatt est scientifi-quement et techniquement peu tena-ble, d’autant que sa référence estl’Allemagne, qui a fait le choix de sor-tir du nucléaire au profit d’une pro-duction énergétique basée à 80 %sur des énergies renouvelables. Orforce est de constater que, aujourd’hui,75 % de l’énergie produite enAllemagne provient du charbon, dugaz et du pétrole. Par ailleurs, du fait

que la production d’origine renou-velable soit prioritaire à la vente surle réseau, l’Allemagne se retrouve àdes moments avec une productionélectrique supérieure à la demande,ce qui la conduit à payer pour quel’on consomme son énergie, cettesolution étant plus rentable que demettre à l’arrêt ses centrales à char-bon fonctionnant pour pallier lesintermittences du renouvelable.L’exemple de l’Allemagne démontreque ce scénario est peu viable.L’ADEME, qui avait élaboré un scé-nario comparable, a reconnu aprèsdiscussion avec les spécialistes del’énergie que ses plans avaientquelques insuffisances.

La planification écologique réalisteL’autre type de scénario est fondésur une planification écologique. Ils’agit de mettre en œuvre un mixénergétique incluant toutes les éner-gies disponibles et une meilleurerépartition des énergies dans ce mix.En effet, la question de la répartitionénergétique est primordiale dans lemix ; ainsi, beaucoup d’énergie renou-velable est utilisée dans la produc-tion électrique ; c’est le cas des bio-masses alors que dans ce domaineelles ont un faible rendement et defortes déperditions. Aussi, une plusgrande utilisation de l’hydraulique,mais aussi du nucléaire est à privi-légier. Aujourd’hui, du fait des évo-lutions technologiques, la part del’électricité va augmenter, que ce soitpour le chauffage, les transports ouencore les nouvelles usines. Nousdevons donc être capables de répon-dre aux besoins de la société tout engarantissant une faible émission deCO2 et en stabilisant notre consom-mation d’énergie.On observe, sur la question nucléaire,que l’effort de recherche techno -logique sur la génération IV des réac-teurs à fission (notamment les sur-générateurs) doit être renforcé pourle court terme, comme sur ceux àfusion pour le plus long terme. Commele rappelle Jean-Pierre Demailly, « leMSFR (molten salt fast reactor), réac-teur rapide à sels fondus en cycle tho-rium, est susceptible de faire passerl’horizon des ressources à des milliersou dizaines de milliers d’années, touten réduisant de manière drastique laquantité et la dangerosité des déchets

produits, et en garantissant une sécu-rité de fonctionnement beaucoup plusgrande. Ces réacteurs constituent l’undes six types retenus en 2008 par leforum international “Génération IV”visant à optimiser de nombreusescaractéristiques essentielles : durabi-lité des ressources, impact environ-nemental très faible, sûreté, caractèrenon proliférant »3.

POTENTIALITÉS DU RENOUVELABLE: LA CHALEUR AVANT TOUT!Aujourd’hui, nous disposons de l’éo-lien, du solaire thermique et photo-voltaïque, de la géothermie, des bio-masses. Cela dit, il faut se demanderquelles sont les potentialités et leslimites pour chacune de ces énergies.

L’éolien. Les plus grosses éoliennesont une puissance de 4 MW, on parlemaintenant pour l’offshore de pro-totype de 10 MW, c’est un progrèsconsidérable ; il reste que l’électri-cité produite par l’éolien est trèschère, en plus elle est fortement sub-ventionnée. Il y a des obstacles phy-siques et techniques pour faire del’éolien un moyen de productionmassive d’électricité. Le principalproblème étant l’intermittence, autre-ment dit le fait que le vent ne souf-fle pas « à la demande » mais au mieux25 % du temps. Ainsi, pour produirela même quantité d’électricité qu’unecentrale thermique de 1300 MW (quifonctionne à peu près 8 000 h/an), ilfaut installer 4 fois plus de puissance,

Il faut relever le défi technologique, maisaussi les défis politiques pour faire entendre les besoins d’un changement dans notre mixénergétique, un changement basé sur les besoinsde la société, et non ceux de la finance.“ “Lire aussi lesno 7 et no 9 de la revueProgressistes.

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soit plus de 5 000 MW d’éolien, et lesinterruptions sont comblées le plussouvent par des centrales à gaz àdémarrage rapide, comme cela sefait en Allemagne, où des milliardsont été investis et où tous les sitesadaptés sont désormais saturés.Comme il a été dit : tant qu’il n’y aurapas de moyen de stocker l’électricitéen masse, l’éolien reste très lié auxénergies fossiles.

L’énergie solaire. Le solaire ther-mique. Il se définit comme l’utilisa-tion directe de la chaleur du soleil.Il permet d’obtenir de l’eau chaudeavec un rendement énergétique fortintéressant ; or il reste très peu déve-loppé car il dégage peu de marge deprofit pour le capitalisme. La géné-ralisation des chauffe-eau solairesserait pourtant d’une grande effica-cité pour réaliser des économiesd’énergie en évitant le recours augaz ; en plus, dans notre pays, ilsconstitueraient un vrai potentielindustriel si leur utilisation s’éten-dait à des millions de logements (c’estce que fait une ville comme Barcelone).D’autres applications existent, notam-ment dans la production électrique.Le solaire photovoltaïque.Très appro-prié pour fournir de l’électricité dansdes endroits éloignés du réseau élec-trique ou pour constituer un appointaux productions centralisées. Celadit, sa contribution reste marginale.

La géothermie. La géothermie pro-fonde haute température permetde produire de l’électricité ; encoretrès marginale et à l’état de démons-tration, elle est limitée égalementpar les obstacles techniques et lesatteintes à l’environnement (tech-nique analogue à l’exploitation desgaz de schistes). La géothermiemoyenne-basse température per-met, elle, une utilisation en chauf-fage de logements ; associée à unepompe à chaleur, pour les bassestempératures, elle offre une démul-tiplication de la puissance électrique(pour 1 kW d’électricité alimentantune pompe à chaleur, on extrait4 kW de chaleur), ce qui pourraitêtre appliqué à des millions de loge-ments en France. Un vrai enjeuindustriel et une vraie solution desubstitution au chauffage électriquepar effet Joule.

Les biomasses. Le bois énergie consti-tue la plus grande part des énergiesrenouvelables (44 %). Sous la formede bûches, de plaquettes ou de gra-nulés, cet apport pourra progresser,en particulier dans les réseaux dechaleur pour le chauffage urbain ouindustriel, car le bois reste l’énergiede chauffage la moins chère. Il fauty ajouter l’incinération des déchetssecs renouvelables, voire de certainsrésidus de cultures.Toujours est-il qu’il faut une plani-fication sérieuse de l’utilisation decette ressource. Aujourd’hui beau-coup de bois est utilisé dans la pro-duction électrique, avec commeconséquence de grandes déforesta-tions la menace de disparition de laforêt tropicale au profit de grandesplantations de palmiers à huile. Enfin,l’utilisation du bois étant responsa-ble d’émissions de CO2, il faut veil-ler à ce que les quantités de bois uti-lisées ne dépassent la capacité de laforêt à se régénérer annuellement,et ainsi piéger sous forme de bio-masse les gaz à effet de serre émis.

PERSPECTIVES ET ORIENTATIONSDes solutions pour les questionsénergétiques existent. Simplementpour certaines d’entre elles il y a unbesoin de sauts technologiques ainsique de la construction et du déve-loppement de filières industriellespour passer des productions margi-nales à des énergies stables, écono-miquement rentables et émettantpeu de CO2. Pour accompagner cedéveloppement et aboutir à une sta-

bilité, retenons que la question dustockage de l’électricité est fonda-mentale pour une branche énergé-tique qui est amenée à avoir uneplace de plus en plus importante aucours de ce siècle. Tout cela néces-site des moyens pour la rechercheappliquée et fondamentale, car c’estdans ce domaine qu’on trouvera desmoyens d’avancer le plus vers le pro-grès technologique et social. Et c’estmaintenant qu’il faut faire les inves-tissements nécessaires pour passerà des énergies capables d’avoir desrépercussions positives sur l’envi-ronnement et le développement denotre société.Il faut donc relever le défi techno -logique, mais aussi les défis poli-tiques pour faire entendre les besoinsd’un changement dans notre mixénergétique, un changement basésur les besoins de la société, et nonceux de la finance, car le développe-ment de toute société est fortementlié à son utilisation d’énergie. Nousdevons dès maintenant mener lecombat pour l’énergie partout etpour tous. n

*DANIEL SPENCER est étudiant à Créteil.Membre du CN de l’UEC.

1. Valérie Goncalves, « Énergie renouvelable :les incohérences de l’Europe libérale », inProgressistes, no 7.

2. Claude Cauvin, « ADEME : le scénario auxpieds d’argile », in Progressistes, no 7.

3. Jean-Pierre Demailly, « Une ressourceénergétique vitale encore inexploitée : lesréacteurs à sels fondus en cycle thorium », inProgressistes, no 7.

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PAR ANTOINE CLAMART, SYLVAIN RISTANDET VINCENT ROUSTET*,

partir du milieu du XXe siè-cle, on a vu l’agriculture pro-gressivement transformée

en un simple maillon d’une chaînealimentaire, intégrée en amont et enaval pour former un complexe agro-industriel. L’amont de cette chaîne– semences, engrais, produits phy-tosanitaires et agroéquipements –contraint les agriculteurs à rentrerdans la dangereuse spirale de l’en-dettement. En aval, l’industrie agro -alimentaire crée de la valeur ajou-tée par la transformation des matièrespremières fournies par les agricul-teurs, et en fin de chaîne la grandedistribution exerce une pression àla baisse sur les prix des produitsagricoles afin de dégager des margessubstantielles. Cette logique margi-nalise les agriculteurs pris en étau.Livrés à la concurrence, certainsmènent une course à la compétiti-vité dont le stade suprême est la rup-ture quasi totale du lien avec la terre.

EN FINIR AVEC LE RÉGIMEMORTIFÈRE DE LA GRANDEEXPLOITATION CAPITALISTEAujourd’hui, une poignée d’exploi-tations industrielles, telle que la fermedes mille vaches, élimine les petitesexploitations qui maintiennent l’ac-tivité économique et sociale de nom-breux villages français. Résultat : lapauvreté des agriculteurs s’enracine.Elle se manifeste d’abord sur le planmonétaire : au début des années1990, 10 % de l’effectif total des exploi-tants français rencontrent de sérieuxproblèmes financiers1. De plus, lesprix agricoles ne cessent d’augmen-ter depuis 2007, ce qui se répercutesur le prix des produits alimentaires.Pour les principales denrées agri-coles, l’offre est bien supérieure à lademande, ce qui déséquilibre lesmarchés. Sur l’année 2015, la chutedes prix est vertigineuse, puisqu’elle

conduit inévitablement à la suppres-sion de l’encadrement administratifet politique des agricultures qui sonttransférées vers la sphère marchande 4»,avec les dégâts que l’on connaît.Autre enjeu : le coût du foncier, quiest un obstacle à la détention deterres pour de nombreux exploitantsagricoles comme pour les candidatsà l’installation. Les terres agricolessont soumises au processus d’arti-ficialisation, grignotées et morceléespar l’extension périurbaine des villes.Cette concurrence entre les usagesdu foncier ne peut être limitée quepar une politique d’aménagementet de planification du territoire quifreine la réduction de la surface agri-cole utile et favorise des formesurbaines plus concentrées. Il fautpour cela une volonté politique dereprise en main face aux promoteurs,sans quoi le marché immobilier ferafleurir les infrastructures résiden-tielles et commerciales sur les terresarables du territoire français, commele projet contesté de centre commer-cial Val Tolosa ou celui de l’aéroportde Notre-Dame-des-Landes.Rémunérer les externalités positivesrendues par les agriculteurs consti-tue un but tangible pour refonderun modèle agricole. En effet, la recon-naissance des vertus de la multifonc-tionnalité productive, sociale et envi-ronnementale de l’agriculture doitorienter le versement des aides. Celles-ci doivent favoriser les exploitationsfamiliales et durables, et prendre encompte le développement rural. Plusque tout, il faut donc penser un nou-veau rapport entre la terre, le capi-tal et le travail qui rétablisse la fonc-tion première de l’agriculture : nourrirles hommes.Un nouveau modèle agricole ne peuts’envisager en France sans une marcheforcée vers un nouveau rapport à lapropriété foncière agricole et unerestructuration des exploitations. Ilfaut ni plus ni moins mettre fin à plusd’un demi-siècle de remembrement

atteint 15 %2. La cause de cette insta-bilité chronique se trouve en partiedans la libéralisation de la politiqueagricole commune.Mise en place en 1962 sous la formed’un protectionnisme européen, ellea accompagné l’adoption d’un modèleagro-industriel. Aujourd’hui, moinsde 20 % des exploitations agricoles

de l’UE captent 80 % des aides3.Refonder un modèle agricole devraitpermettre d’allouer des subventionsde manière plus juste, en dehors desréférences historiques qui favorisentde fait les grandes exploitations. Unenouvelle forme de protectionnismeéconomique est nécessaire, assor-tie d’aides et d’outils de régulationdu marché pour garantir un revenusuffisant aux agriculteurs en diffi-

culté et éviter les crises de surpro-ductions, condition indispensablepour maîtriser les fluctuations et lesniveaux de prix, pour permettre deréduire les incertitudes et favoriserl’investissement, et in fine garantirdes prix raisonnables pour les consom-mateurs. Sans quoi « le libéralisme

DOSSIER26 JEUNESSE, REGARDS SUR LE PROGRÈS

Aujourd’hui, une poignée d’exploitationsindustrielles, telle que la ferme des mille vaches,élimine les petites exploitations qui maintiennentl’activité économique et sociale de nombreuxvillages français.“ “

À

FILIÈRE AGROALIMENTAIREDepuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, l’agriculture se modernise, se spécialise, se financiarise. Cettedynamique favorise le recours aux crédits et aux assurances, ainsi qu’à un système fondé sur une productionintensive, mais ses effets sont délétères. Partant, dans l’intérêt de la société en général et des travailleurs de la terre en particulier, il est urgent de repenser le monde agricole.

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JUILLET-AOÛT-SEPTEMBRE 2016 Progressistes

des exploitations. Que l’on qualifiecette opération de « réforme agraire »ou non, elle ne reste pas moins unprésupposé à un nouveau modèleagricole fondé sur l’exploitation fami-liale. Ce régime agricole placeraitainsi au cœur de la production nonun ensemble de régions spécialisées,où les grandes exploitations mono-culturales seraient la norme, maisun maillage d’exploitations plusmodestes, privilégiant une produc-tion de polyculture qui puisse s’ins-crire à la fois dans les spécificités desgrandes régions naturelles qui fontla richesse agricole de notre pays etdans les impératifs de productionplanifiés en fonction des besoinshumains.Mais une nouvelle structuration desexploitations ne saurait suffire à ren-dre aux agriculteurs la pleine maî-trise de leur outil de travail. De lourdesentraves restent à écarter, on doitnotamment penser à la question dessemences et au brevetage de celles-ci, qui a fait perdre en autonomie lesproducteurs tout en privant la pro-duction d’une biodiversité héritéedu long travail de sélection des grains.Ainsi, le réseau Semences paysannesestimait que, en 2002, seulement7 variétés couvraient 50 % des terrescultivées en blé tendre5. Cette nor-malisation est d’autant plus néfastequ’elle s’opère sur fond de constitu-tion de grands monopoles semen-ciers ; rappelons que, en 2013, seu-lement 10 entreprises semencièrescontrôlaient 75 % du marché6.

UNE AGRICULTURE AU SERVICEDES HOMMES ET RESPECTUEUSEDE L’ENVIRONNEMENTL’infrastructure et les rapports deproduction ayant actuellement coursdans l’agriculture française ne sau-raient donc être réformables ou amen-dables à la marge par une succes-sion d’aménagements éthiques. Il

ne peut, par exemple, pas s’agir decréer des labels au fonctionnementtoujours plus opaque ni de privati-ser sans véritable contrôle public.Et si la question de l’agriculture rai-sonnée et consciente des enjeux envi-ronnementaux est centrale, elle doits’inscrire dans une rupture politiqueprofonde avec le modèle libéral etconcurrentiel qui domine l’agricul-ture aujourd’hui. Pour ce faire, ellene doit pas être envisagée commeune production chère. Une vérita-ble agriculture biologique doit avoir

pour ambition de nourrir le grandnombre, aussi nous faut-il réfléchiraux structures permettant de réduirenon seulement le coût à l’achat pourles ménages, mais aussi les coûts àl’investissement pour les produc-teurs. Bien sûr, cela ne peut s’envi-sager, là encore, sans une vision plusglobale de la politique agricole quipasserait par un contrôle public surles grandes entreprises du secteur.Après l’ancien Office du blé, ayonsl’ambition de poser la perspectivenouvelle d’un pôle public de la trans-formation et de la distribution de laproduction agricole, dont les objec-tifs seraient tout autant la garantiedu revenu des agriculteurs que cellede la qualité de la production, et doncde l’alimentation des Français. Lareprise en main de l’industrie agro -alimentaire est, du reste, d’autantplus cruciale qu’à l’heure des grandesmultinationales le contrôle de leuractivité se heurte à bien des obsta-cles comme les récents scandalesalimentaires (crises de la « vachefolle », viande de cheval dans les pro-

duits Findus…) en ont fait la démons-tration. Pour briser cette opacité etgarantir la traçabilité des produc-tions, il est impératif de « démon-dialiser » en somme la transforma-tion et la distribution de la productionagricole7.

METTRE FIN À L’ISOLEMENT DES AGRICULTEURSL’agriculture capitaliste et mondia-lisée a poussé toujours plus loin l’in-dividualisme agraire, obligeantchaque exploitant agricole à deve-nir un entrepreneur pour survivre,vidant le système coopératif héritéde la Libération de sa substancemalgré la survivance théorique dela règle du « un homme une voix »dans son mode de fonctionnement.C’est, en matière sociale, l’ensem-ble du fonctionnement actuel del’agriculture qui doit être repensé,non seulement au niveau des outilsd’entraide et de solidarité mis enplace entre les agriculteurs, maisaussi dans le rapport de ces derniersau reste de la société. On ne peut pasréduire l’agriculture et ses acteurs àun patrimoine, à un héritage d’unpassé idéalisé à des fins touristiques.Avant d’être fusionné avec un autreservice gouvernemental, le CNASEAavait évalué à 58 heures la durée detravail hebdomadaire moyenne pourun agriculteur, soit de 3 000 à4 000 heures à l’année8. Cette chargede travail, qui varie selon les secteursde production (éleveurs laitiers oucéréaliers, notamment) ou selon lestatut de l’agriculteur (exploitant ousalarié), témoigne d’une vie qui n’enest pas une. Une diminution ambi-tieuse du temps de travail des agri-culteurs doit être un objectif pour unnouveau modèle agricole qui garan-tisse la possibilité d’une existencemoins pénible et rendant envisagea-ble l’installation de nouveaux agri-culteurs, tout en offrant à l’ensem-ble des acteurs de l’agriculture lesmoyens de s’inscrire pleinement dansla vie sociale, culturelle et politiquede la nation. C’est donc un des piliersfondamentaux de la voie vers unmodèle agricole plus émancipateur.Cette ambition doit s’accompagnerde l’utilisation rationnelle et judi-cieuse des nouvelles technologies auservice de l’amélioration des condi-tions de travail des agriculteurs.

Il faut donc penser un nouveau rapportentre la terre, le capital et le travail qui rétablissela fonction première de l’agriculture : nourrir les hommes.“ “

s

Qualité de laproduction etgarantie d’unrevenu dignepour lestravailleurs de la terre : deux objectifs qui demandent qu’on arrachel’agriculture au capitalisme.

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Un nouveau modèle agricole pren-drait également en compte, dans saréflexion autour d’un temps de tra-vail légitimement diminué, la ques-tion de la coopération agricole. Eneffet, si les CUMA et les GAEC furentun temps – notamment grâce au tra-vail de nombreux militants progres-sistes, dont des communistes – desoutils intéressants pour les petits etmoyens exploitants familiaux, ilssont aujourd’hui devenus les outilsde l’agriculture capitaliste. Inverserla vapeur en la matière doit passerpar la possibilité pour les plus petitsagriculteurs de s’y investir pleine-ment. Alors ils pourront être envisa-gés comme un remède à l’endette-ment des exploitations qui provientpour beaucoup de l’achat et de l’en-tretien du matériel (machines-outilset bâtiments).La nécessité d’une production agri-cole pensée, réfléchie et, le cas échéant,exécutée en commun est indiscuta-ble et va de pair avec celle d’une agri-culture planifiée dont l’objectif estla réponse aux besoins des popula-tions, et non la course aux profits età la spéculation. Les travailleurs dela terre n’ont d’ailleurs pas attendules avancées de l’Union soviétiqueen la matière, au début du XXe siècle,

pour penser la production collecti-vement : ils l’ont pratiquée au MoyenÂge par le biais du système d’asso-lement et de rotation culturale.Un modèle agricole fondé sur desinstances démocratiques, donnantvéritablement voix au chapitre auxtravailleurs de la terre, les associantpleinement à l’élaboration de la pla-nification de la production, leurgarantissant le temps et la libertéd’action nécessaires pour s’investirdans la vie syndicale, politique ouassociative, est une des clés de laréussite d’une planification démo-cratique de la production. Il est aussil’une des solutions au problème del’installation d’une nouvelle géné-ration d’agriculteurs, avec le déve-loppement de structures d’exploita-tions agricoles plus petites. Ce dernier

point est crucial en ceci qu’il est uneréponse au problème de l’emploi etqu’il s’inscrit dans une ambition de repeuplement d’une France rurale vidée de sa jeunesse par lamondialisation et la métropolisa-tion du territoire.

CONCLUSIONPenser un nouveau modèle agricolepour la France relève bien sûr de laréflexion à long terme, dont l’issuene pourrait donner lieu qu’à unensemble de solutions planifiées etappliquées dans le cadre d’une poli-tique radicalement nouvelle. On nesaurait pas refonder le modèle agri-cole français sans pouvoir l’appuyersur un grand service public du fret,ou sur une politique étrangère visantà garantir la souveraineté du peuplefrançais sur la scène diplomatiqueet face au libéralisme.Il n’en existe pas moins des grandsaxes de réflexion sur lesquels ce nou-veau modèle devra se fonder : indé-pendance et souveraineté alimen-taire, restructuration du système desexploitations, préservation des terresagricoles utiles des pressions immo-bilières, respect de l’environnement,garantie des conditions de vie éco-nomique et sociale des agriculteurs,véritable soutien à l’installation dejeunes agriculteurs.Aujourd’hui, l’aspiration à mettre unterme aux désastres de l’agriculturecapitaliste et financiarisée est trèslargement partagée par les progres-sistes du monde entier. Partout denouvelles pistes émergent malgré ladomination du libéralisme écono-mique qui continue de broyer éco-nomies et agricultures, notammentdans certains pays d’Afrique où l’in-stabilité politique est une garantiede plus à l’échec de l’émergence d’al-ternatives au modèle mortifère del’agriculture capitaliste. Les Françaisont su par le passé placer l’agricul-ture au cœur des grandes avancées

et des conquêtes sociales, que ce soitlors la Révolution française ou desgrandes politiques de la Libération.En matière agricole, comme dans lereste de l’économie, l’ambition duConseil national de la Résistancedemeure une voie à suivre vers unmodèle radicalement réorienté etrepensé, se fondant sur « l’instaura-tion d’une véritable démocratie éco-nomique et sociale, impliquant l’évic-tion des grandes féodalités économiqueset financières de la direction de l’éco-nomie [et] une organisation ration-nelle de l’économie assurant la sub -ordination des intérêts particuliers à l’intérêt général »9. n

*ANTOINE CLAMART, SYLVAIN RISTANDet VINCENT ROUSTET sont étudiants à Toulouse. Membres de l’UEC.

1. Estelle Deléage, Agricultures à l’épreuvede la modernisation, Versailles, Quæ, 2013,98 p.

2. Éric de La Chesnaie, « Les prix agricolesmondiaux au plus bas depuis sept ans », leFigaro, 11 septembre 2015.

3. Commission Agriculture et développementrural, 2016(http://ec.europa.eu/agriculture/cap-funding/beneficiaries/shared/index_fr.htm).

4. Gilles Fumey, Géopolitique del’alimentation, Éditions Sciences humaines,Paris, 2012, 144 p.

5. http://www.semencespaysannes.org/semences_paysannes_premier_maillon_chaine_ali_9.php

6. Guy Katsler, « Breveter le vivant? », inProgressistes, no 8, avril-mai-juin 2015.

7. L’exemple des farines animales qui ontconduit aux crises sanitaires de la « vachefolle », et leur réintégration dans la chaînealimentaire, témoigne du rôle profondémentnéfaste en la matière de la Commissioneuropéenne, qui, dès 2007, a financé desrecherches pour leur permettre de refairesurface sur le marché(http://www.humanite.fr/le-grand-business-de-la-mal-bouffe).

8. http://www.pleinchamp.com/actualites-generales/actualites/temps-de-travail-pres-de-60-h-par-semaine-pour-les-agriculteurs

9. CNR, « Les Jours heureux. Programme duConseil national de la Résistance », 1944.

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Progressistes JUILLET-AOÛT-SEPTEMBRE 2016

On ne peut pas réduire l’agriculture et ses acteurs à un patrimoine, à un héritaged’un passé idéalisé à des fins touristiques.“

JEUNESSE, REGARDS SUR LE PROGRÈS

s

Mettre encommun des

outils agricolespour une

productionrépondant aux

besoins humainset non auxintérêts de

quelques-uns.

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Forçats du stade

Documentaire (52 min). Réal. : Stefan Maieret Esther Saoub. Coprod. SWR et Arte.Alors que le Qatar s’est vu attribué l’orga-nisation du Mondial de football de 2022,les associations de protection des droitshumains s’inquiètent des violations systé-matiques des droits des travailleurs migrantsdans l’émirat. Dans un pays où les syndi-cats sont interdits, il est difficile pour euxde s’organiser pour mettre fin à l’exploita-tion dont ils sont victimes. On découvreainsi l’histoire de travailleurs népalais quiont quitté leur pays dans l’espoir de gagnerà l’étranger leur vie mais qui vivent uneréalité loin des promesses faites par lesintermédiaires et agences de recrutement.Malgré de premiers changements, certesfaibles, obtenus sous la pression de la com-munauté internationale, le quotidien deces travailleurs précaires s’inscrit dans letravail forcé dans le plus riche pays dumonde, et ce grâce à un système de tutellesur place permettant aux tuteurs d’avoir lamainmise sur les travailleurs. Mais que faitla FIFA face à cet esclavage moderne ? n

Lanceurs d’alerte :coupables ou héros ?

Documentaire (97 min). Réal. : JamesSpione. Coprod. ZDF et Arte.

Lanceur d’alerte. Ce terme n’a jamais autantété utilisé que depuis la mise en examendu bien connu Edward Snowden en 2013,ancien informaticien à la NSA puis à la CIA,actuellement en Russie pour échapper à la« justice » états-unienne. D’autres, incul-pés pour espionnage en vertu de l’EspionageAct après avoir divulgué des informationssur le système de renseignement, se sont

battus et se battent encore pour défendreles libertés des citoyens des États-Unis.C’est le cas de John Kiriakou, de JesselynRadack ou encore de Thomas Drake qui,au silence les rendant complices du sys-tème, ont préféré parler afin d’informer lescitoyens des agissements des autorités,notamment des pratiques telles que la sur-veillance de masse, les écoutes illégales, latorture infligée à des personnes suspectésde terrorisme, etc. n

Hyperconnectés : le cerveau en surcharge

Documentaire (52 min). Réal. : LaurenceSerfaty. Coprod. Arte France et INSERM.

À l’heure du tout-numérique, l’utilisationdes ordinateurs, tablettes, smartphones estdevenue quasi incontournable. Au domi-cile, au travail ou dans la rue, les écrans sontomniprésents. La banalisation de ces tech-nologies de l’information et de la commu-nication permet sans conteste de notablesprogrès, notamment en termes de produc-tivité. Néanmoins, elle est aussi source debien des désagréments. En effet, la surcharged’informations, la sollicitation permanentede notre cerveau entraînent des situationsde stress pouvant mener au burn-out. Alorsque l’on estime que la moitié de la popula-tion mondiale utilise Internet, il est essen-tiel de se saisir de cette question afin de trou-ver des solutions pour le bien-être de tous.Progrès technologique ne doit pas être syno-nyme de problème sanitaire. n

Gravité zéro - Missiondans l’espaceDocumentaire (44 min). Réal. : JürgenHansen. Coprod. ZDF et Arte.Dans la nuit du 28 au 29 mai 2014, troisastronautes montent dans un vaisseauSoyouz pour rejoindre la Station spatialeinternationale. Le documentaire nous offreun aperçu de ce qu’est la vie dans la sta-tion. L’on voit ainsi les astronautes travail-ler sur des expériences scientifiques dont

les résultats sont envoyés sur terre. Contraintsde s’adapter à leur nouvel environnement,c’est avec le sourire qu’ils montrent au spec-tateur comment ils réalisent les gestes dela vie quotidienne. Se nourrir, se doucher,dormir, faire du sport, chaque geste estalors, du fait de l’apesanteur, différent de

ce que nous connaissons. Au-delà de laprésentation de l’équipage et de la descrip-tion de leur vie à bord de la station, ce sontdes images incroyables, époustouflantes,de notre univers que l’on découvre dans le documentaire. n

Deep WaterFilm catastrophe, États-Unis (1 h 47 min). Réal : Peter Berg.Un quasi-documentaire sur la catastrophede la plate-forme BP dans le golfe du Mexiqueen 2010… Le film est construit autour dela problématique du forage en eaux pro-fondes, des lourdes contraintes techniquesqu’il impose, des arbitrages entre profits

d’une multinatio-nale (ici BP) etsécurité des per-sonnes et respectde l’environne-ment. Le cinémaétats-unien osemontrer les ou -vriers, l’industrie,le savoir-faire destechniciens et des

ingénieurs, la science… et même les met-tre en valeur. Sont ainsi représentés desouvriers qui travaillent certes dur, avec lesrapports des forces bien présents dans l’en-treprise, comme le suggère ce passage oùles techniciens chantent «money… money…»entre eux, pas dupes de certaines décisionsde BP et de ses motivations réelles. Mais ily a aussi en eux la fierté de posséder unsavoir-faire unique, de maîtriser des tech-niques complexes. On voit évoluer un col-lectif de travail avec ses codes, ses habi-tudes, la nécessaire solidarité pour faireface à la dangerosité du métier. À ne pas manquer ! n

Tous ces documentaires sont disponibles en VOD (payant), en DVD, et pour certains en libreaccès (sous réserve de films libres de droits) par une simple recherche internet.

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VIDÉOS

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BRÈVES30

D’ANCIENS RESPONSABLES EUROPÉENS SE RECYCLENTL’ancienne ministre danoise Connie Hedegaard,qui fut commissaire européenne pour le climatde 2010 à 2014, a été engagée en septembrepar Volkswagen. Sa mission? Un poste de conseilen développement durable.Le géant allemand, épinglé dans le scandale detriche aux tests pollution engage-t-il par cettedémarche un virage à 180° ou s’agit-il d’un tra-ditionnel greenwashing pour retrouver sa respec-tabilité ? L’opération ressemble en tout cas forte-ment à un lifting et à un « pantouflage » en règlepour l’ancienne commissaire européenne pour leclimat. L’affaire fait écho à celle de José ManuelBarroso, l’ancien président de la Commissioneuropéenne, qui émarge désormais chez la sul-fureuse banque Goldman Sachs. Celle-là mêmequi a contribué à la fois au chaos économique etaux largesses de l’Union européenne sous le man-dat du même José Manuel Barroso. n

SAVANT USAGE DE LA CENSUREPAR LE GÉANT FACEBOOK

L’entreprise Facebook ne faitpas dans la finesse. La cen-sure au nom de la politiquede lutte contre la nudité et lesimages choquantes ou sexuel-lement explicites ratisse large.

La tristement célèbre photo prise par Nick Utd’une petite Vietnamienne courant nue, brûléeau napalm, a récemment encore mis en évi-dence la stupidité du positionnement du géantétats-unien : après l’avoir censurée, Facebooka fini par reculer considérant l’importance du« statut d’icône » qu’il reconnaît à ce témoi-gnage historique.Cette politique de censure – et donc de tri – està relier à un vice plus profond sur le réseau social.Depuis juin 2016, Facebook a opéré un viragemajeur en privilégiant les messages personnelsau partage d’articles. Invisible, cette évolution apour conséquence de réduire considérablementla place des médias classiques sur le réseau. Dèsque l’on charge sa page, un algorithme recalculeun fil d’actualité personnalisé, soigneusement« trié ». La conséquence en est que deux per-sonnes ayant les mêmes 400 amis n’auront pasdu tout le même fil.Le professeur et spécialiste en communicationArnaud Mercier souligne deux phénomènes inquié-tants : « [Il y a] des confusions dans la hiérarchi-sation des sources d’information entre les médias,les blogs [et] une très forte polarisation des conte-nus recommandés par Facebook : en cliquant surcertains contenus, au bout de huit jours, on nereçoit plus que des articles “de la même ten-dance”. » Orwellien !En France, selon un sondage international duReuters Institute, c’est la moitié de la populationqui utilise Facebook, essentiellement via lesmobiles. Notamment pour s’informer, pour « savoirce qui se passe ». n

Progressistes JUILLET-AOÛT-SEPTEMBRE 2016

Une vidéaste perturbe YouTube et l’Union européenne« C’est déjà une questiontrès difficile pour M. Juncker,tu parles du lobby des socié-tés. À un moment, tu nevas pas non plus te mettreà dos la Commission euro-péenne, et YouTube, et tousles gens qui croient en toi.Enfin, sauf si tu ne comptespas faire long feu surYouTube. »C’est ce qu’un responsa-ble de YouTube a réponduà la jeune youtubeuseLaetitia Nadji lors de lapréparation d’une interview du président de la Commission européenne enseptembre 2016, chapeautée par le géant mondial de la vidéo en ligne.Lèse-majesté dans un monde médiatique verrouillé : Jean-Claude Juncker a dûrépondre notamment à une question sur la reconversion intéressée chez GoldmanSachs de son prédécesseur José Manuel Barroso. À la suite à cet entretien, jugé« très bien » par YouTube malgré le fait que, pugnace, Laetitia Nadji ait modifiéet maintenu ses questions d’investigation, la vidéaste s’est vu proposer le fameuxcontrat annuel d’« ambassadrice YouTube ». Le Graal des youtubeurs en quêtede financement.Aux yeux de la courageuse vidéaste, derrière cette carotte se cachait à la foisune mise sous cloche amicale de la part de YouTube de son journalisme débridéet une tentative de contrôle sur le buzz qu’elle a incontestablement suscité àson grand bénéfice. Elle a donc refusé le contrat.Cet été, la Commission européenne a ouvert deux nouvelles enquêtescontre Alphabet/Google, la maison mère de YouTube, pour abus de posi-tion dominante. nPour voir la vidéo : https://youtu.be/7y-xS_EB3QI

Signaux d’alarme critiques sur l’état de la recherche publique française

En juin, l’Agence nationale pour la recherche (ANR) connaissait la démissionde la totalité des membres de son comité chargé d’évaluer et de classer les pro-jets déposés par les chercheurs en mathématiques et informatique. Ces démis-sions visaient à dénoncer une gestion administrative et concurrentielle au détri-ment d’une vision scientifique des projets retenus.Plus globalement, le rapport 2015 « L’état de l’emploi scientifique en France »,du ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche pointe des « ralen-tissement des recrutements, tarissement du vivier de doctorants, précarité enhausse », et quelques « signaux positifs » : baisse du taux des thèses non finan-cées (28 % en 2014, contre 33 % en 2011), meilleure insertion professionnelledes docteurs (hors sciences de la vie), attractivité du pays auprès des cher-cheurs étrangers…Mais, pour Alain Prochiantz, « le manque d’investissement en recherche et déve-loppement (R&D) explique en partie les 750 00 emplois industriels perdus en dixans ». Le chercheur en neurobiologie, administrateur et professeur au Collègede France, souligne que « les carrières de la recherche ne sont plus attractives et[que] nous risquons de perdre une génération. À 23 ou 24 ans, quelqu’un qui sortd’une grande école ou d’une université a souvent le choix entre une bonne pers-pective de carrière, sans passer par la case recherche, et le risque de la recherche,c’est-à-dire préparer un doctorat ».Pendant ce temps-là, Thierry Mandon continue de soutenir la niche fiscale ducrédit d’impôt recherche (CIR) dont la moitié des 6 milliards pourrait être récu-pérée par l’État sans rien changer à l’effort de recherche privé… 3 milliards,c’est l’équivalent du budget du CNRS. n

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DES BIAIS DANS L’APPROCHE DES RISQUES ROUTIERS ET DE LA POLITIQUE DE PRÉVENTION Après avoir augmenté de 3,5 % en 2014, la mor-talité sur les routes a augmenté de 2,3 % en2015, soit 3461 tués. Les chiffres provisoires de2016 suivent cette tendance macabre. Les nom-breux spots télévisés insistent sur des erreursindividuelles. S’il ne faut pas nier ces facteurs, ilconvient de considérer l’accident de la routecomme un fait social qui connaît des inégalités.C’est ce qu’avance, dans un article scientifiquepublié dans le Monde diplomatique d’août 2016,le chercheur post-doctorant Matthieu Grossetête,rattaché au Centre universitaire de recherches surl’action publique et le politique à l’université dePicardie - Jules-Verne. En revenant sur les chif-fres de 2007, si 38 % du nombre total des mortspar accident avaient moins de 30 ans, la propor-tion atteignait presque 50 % chez les ouvriers.Car le groupe des ouvriers est de loin le plusjeune. L’inégalité peut se vérifier aussi dans lescaractéristiques des véhicules des uns et desautres : les cadres et professions intellectuellessupérieures possèdent des voitures plus sûres,plus récentes et mieux équipées que celles desouvriers. Le chercheur pointe aussi les disparitéssociales en matière d’accidents qui trouvent leurexplication dans les conditions de vie des classespopulaires. La gentrification des centres-villes,qui éloigne les classes populaires du lieu de tra-vail, a pour conséquence un trajet plus long, enpartie en campagne ou en périphérie, autant defacteurs accidentogènes.

GAIA RÉVOLUTIONNE LA CARTOGRAPHIE ASTRALE

L’astronomie progresse. Notam -ment l’astrométrie, la branchequi a pour objet d’étude lamesure de la position des astres.

Pour cela, le satellite européen Gaia de la mis-sion de l’Agence spatiale européenne (ESA) suitle déplacement de la Terre en balayant le ciel afind’étudier la lumière des astres les plus brillants.Le satellite de 2 t transporte deux télescopes etest bardé de pas moins de 106 appareils photo.Gaia a permis ainsi de franchir des années-lumièreen termes de données. Pour l’histoire, l’astro-nome grec Hipparque (IIe siècle avant notre ère)avait inventorié un millier d’astres.Gaia a dévoilé le 14 septembre une carte de laVoie lactée historiquement des plus précises, avec1,15 milliard d’étoiles et l’indication de leurs posi-tions sur la voûte céleste. Les premières donnéesde la mi-septembre recensent même 250000 qua-sars, des objets les plus éloignés de l’Univers. Letraitement des données nécessite une équipescientifique de 450 personnes.Sachez tout de même que cette révolution dansle recensement est à relativiser quantitativement.En effet, le nombre indiqué représente moins de1 % des étoiles de notre galaxie, qui contiendrait,selon une fourchette établie par les astrophysi-ciens, de 100 à 200 milliards d’étoiles. n

Greenpeace sous pression sur le dossier du riz doréIl y a trois ans, nous nous faisions écho des accusations du professeur PatrickMoore, cofondateur historique de Greenpeace – qu’il a quittée en 1986 –, enversson ancienne ONG. Selon lui, l’organisation serait responsable de millions dedécès du fait de son opposition ferme depuis maintenant dix-sept ans au rizdoré (car il résulte de modifications génétiques), riche en bêta-carotène, unprécurseur de la vitamine A. L’Organisation mondiale de la santé souligne quedes millions de personnes (avec une proportion de 40 % d’enfants de moinsde 5 ans) souffrent de carence de cette vitamine, ce qui entraîne des problèmesophtalmologiques, voire la mort. Mais la prise de position récente de plus de cent Prix Nobel, « pressant Greenpeacede réexaminer les retours d’expériences des agriculteurs et consommateurs mon-diaux quant aux plantations et aliments génétiquement modifiés […] et d’aban-

donner globalement sa campagnecontre les OGM, notamment en cequi concerne le “riz doré” », remetla pression sur l’ONG.Acculée, Greenpeace se défend enarguant que « la manipulation géné-tique n’est pas quelque chose quiarrive naturellement » et que detels OGM « peuvent s’étendre dansla nature et interférer avec des orga-nismes de manière imprévisible etnon contrôlée ». Si l’affirmation

s’entend et que le doute fait partie de la science, la mutation génétique aussifait bel et bien partie, intrinsèquement, de la nature. L’ONG, adepte sur ce dos-sier de multiples procès et de destructions de champs de recherche, se heurteau fait que la recherche et la remise en cause de ses procédés doivent s’exer-cer dans un cadre scientifique.Pour en savoir plus : https://www.washingtonpost.com/news/speaking-of-science/wp/2016/06/29/more-than-100-nobel-laureates-take-on-greenpeace-over-gmo-stance/La lettre ouverte d’appel à Greenpeace de la part des Nobel : supportprecisio-nagriculture.org n

Des geysers de vapeurs sur Europe?Europe, un satellite glacé de Jupiter, est un des lieux du système solaire où il ya la plus grande chance de trouver des traces de vie. Sous sa croûte de glace secacherait un immense océan sous forme liquide. Certains modèles estimentqu’il pourrait être dix fois plus profond que les océans terrestres, pour unvolume total trois fois supérieur.À l’aide du télescope spatial Hubble, des chercheurs de Baltimore affirmentavoir observé entre 2013 et 2015, au pôle sud du satellite, des panaches de

vapeur d’eau hauts de 200 km.Les propos de ces chercheursrecoupent les travaux d’une équipeconduite par Lorenz Roth, actuel-lement astronome à l’Institut royalde technologie de Stockholm : en2012, elle a observé un panachesimilaire au même endroitd’Europe. Ce qui suggère unepotentielle source d’énergie interne.Exploitée par des organismesvivants ?La prudence est de rigueur, car

les enjeux sont énormes quant aux perspectives d’exploration planétaire. Avec3 121 km de diamètre, Europe abrite un océan sous sa surface, corroboré depuisune décennie par une multitude d’éléments compilés par de nombreux outilsd’observation. n

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PAR ROGER PRUD’HOMME*,

epuis les années 1950,de nombreux satellitesont été envoyés dans

l’espace, certains habités, commele furent très vite premiers satel-lites soviétiques (Spoutnik et,surtout, Vostok 1 en 1961) etcomme l’est la Station spatialeinternationale, d’autres non,tels les satellites de télécom-munication et les nombreuxnanosatellites d’aujourd’hui(fig. 1). L’intérêt – technique,commercial et scientifique – dela conquête spatiale est fré-quemment évoqué dans lesmédias, et donc connu du grandpublic ; elle intéresse la météo-rologie, les télécommunications,l’observation de la Terre, l’as-tronomie, mais aussi le domainemilitaire.

L’état d’apesanteur qui règnedans les satellites et qui fait « flot-ter » les astronautes apparaîtcomme une curiosité, parfoiscomme un inconvénient, par-ticulièrement pour les missionsde longue durée. En effet, ilinduit des carences musculaireset articulaires chez les spatio-nautes, que l’on tente de pal-lier en leur faisant faire des exer-cices physiques. Tous lesproblèmes ne sont pas résoluspour autant, pour l’heure.Cela dit, la situation d’impe-santeur présente aussi des avan-tages : c’est un champ d’expé-rimentation scientifique inédit,que nous voulons évoquer ici.

L’ACTION DE LA GRAVITÉ SUR LA MATIÈREIl a fallu à l’humanité des mil-lénaires pour découvrir la loifondamentale de la mécaniquedite « classique » ou « newto-

nienne » (c’est-à-dire non rela-tiviste, ou encore à vitesse trèspetite par rapport à la vitessede la lumière), qui stipule quela quantité d’accélération d’unsystème matériel est égale à larésultante des forces extérieuresqu’il subit.Cette loi explique très bien ceque l’on observe courammentà notre échelle : la chute descorps du fait de l’attraction ter-restre, la rotation des satellitesautour des planètes, le fait quedans une couche liquide chauf-fée par le bas les parties les moinsdenses remontent vers la sur-face, entraînant la formation detourbillons thermoconvectifs.

L’INTÉRÊT DE S’AFFRANCHIRDE LA GRAVITÉ EN PHYSIQUEDES FLUIDES ET EN BIOLOGIELa pesanteur agit donc sur lecomportement de la matière enen faisant varier le mouvementet la stabilité. De ce fait, ellerend plus complexe l’étude des

autres phénomènes rencontrés.Cette complexification se ren-contre lorsque des phases fluidessont présentes, en particulieravec les fluides critiques, la com-bustion, les interfaces, lesmousses et les émulsions, lasolidification.

Donnons quelques illustrationsde chaque domaine cité.

Fluides critiques. Le point cri-tique liquide-vapeur est carac-térisé pour chaque corps sim-ple par une valeur spécifique

de sa température, de sa pres-sion et de sa masse volumique,ainsi que par des propriétés plusou moins singulières de l’envi-ronnement. Au voisinage dupoint critique, le liquide et sa

vapeur ont des densités voi-sines, et tout écart des condi-tions critiques induit au sol desforces d’Archimède qui provo-

quent un mouvement du fluidequi gêne de manière considé-rable l’observation et la mesuredes phénomènes.Combustion. Les différencesdes températures observéesdans les flammes modifient leurstructure, comme l’illustre laflamme de bougie (fig. 2). Lesexpériences en micropesanteurpermettent de valider desmodèles simplifiés de flamme.Par ailleurs, les études en micro-pesanteur sont nécessaires pourprévenir les incendies à borddes satellites : elles permettentd’établir des normes nécessai-rement différentes de celles uti-lisées au sol.Les interfaces. Les interfacescapillaires ont une importanceaccrue du fait de l’absence desforces de masse. Cela rejaillitsur les phénomènes d’ébulli-tion comme sur les transfertsde chaleur aux parois des réci-pients. Les bulles ne montentplus, les tensions de surfaceprédominent.Les mousses. Les phases liquideset gazeuses interagissent diffé-remment au cours du temps. Iln’y a plus de drainage gravitaire,par exemple.La solidification. On a long-temps pensé que l’absence depesanteur améliorerait consi-dérablement la qualité des cris-tallisations, ce qui a conduit à

Progressistes JUILLET-AOÛT-SEPTEMBRE 2016

La situation d’impesanteur présente aussi desavantages : c’est un champ d’expérimentationscientifique inédit.

n RECHERCHE ET ESPACE

SCIENCE ET TECHNOLOGIE32

Un domaine de recherche qui permet de mieux appréhender des phénomènesphysique et biologique jusque là observés avec les conditions normales de l’attrac-tion terrestre.

L’intérêt de la micropesanteur

D

Figure 1.EntrySat de l’ISAE (Institutsupérieur de l’aéronautique et de l’espace), outil destiné à l’étude du comportement des débris orbitaux.

Figure 2. Représentation schématique de flammes de bougie observéespar Carleton et Weinberg en vol parabolique : A) sous gravité normale,soit 1 g ; B) en micropesanteur, soit 0 g1.

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concevoir des usines métal-lurgiques dans l’espace, maison y a renoncé. Néanmoins,la recherche sur la solidifica-tion des matériaux en micro-pesanteur garde tout son inté-rêt fondamental.

Les êtres vivants sont sensi-bles à l’absence de pesanteurà cause, notamment, des effetsmécaniques subis par leursconstituants fluides, mais aussidu fait de leur complexité inhé-rente. La biologie et la méde-cine spatiales sont ainsi des

champs d’investigation spé-cifiques. Des études appli-quées sont en cours en prévi-sion des missions de longuedurée, telles les missions inter-planétaires pour lesquelles seposent les questions de l’ali-mentation, du recyclage et dela protection vis-à-vis des par-ticules cosmiques.

Autant de domaines qui ontconduit à l’émergence de labo-ratoires de microgravité dansle monde, et en France à la fon-dation d’une structure sousl’égide du CNRS et du CNES,avec la participation du CEAet d’universités. Le CNES adéveloppé un secteur spéci-fique chargé d’accompagnerces recherches.

S’AFFRANCHIR DE LA PESANTEURNous avons évoqué les satel-lites à l’intérieur desquels règneun état d’apesanteur. Cela s’ex-plique avec la loi fondamen-tale de la mécanique, car la tra-jectoire du satellite compensenaturellement la force d’attrac-tion de la Terre par une quan-tité d’accélération égale et oppo-sée à celle-ci, qui constitue laforce d’inertie. Tout ce qui setrouve à l’intérieur du satellitene rentre en mouvement rela-

tif par rapport à celui-ci que s’ilest soumis à d’autres forces, cequi permet ainsi aux astronautesde se déplacer et en s’appuyantaux parois et de réaliser desexpériences scientifiques.

Notons que la pesanteur n’estjamais complètement annihi-lée. Cela tient à de multiplescauses, dont la taille des satel-lites eux-mêmes. D’autre part,la gravité de la Terre elle-mêmevarie d’un point à un autre. Onparle donc plutôt de micrope-santeur ou de microgravité, et

les « g-jitters » (les fluctuationsdues à la pesanteur) deviennentun objet d’étude.Ce moyen mécanique de com-penser la pesanteur est utiliséaussi dans (figure 3) :– les vols paraboliques d’avions(gravité résiduelle 10–2 g, duréed’une parabole 20 s) ;– les puits et tours d’apesanteur(gravité résiduelle 10–5 g, duréed’une chute 5 à 10 s) ;– les fusées-sondes (gravité rési-duelle 10–5 g, durée d’un vol20 min).D’autres techniques de com-pensation existent. Citons lacompensation magnétique, quise produit sous l’effet d’un gra-dient de champ magnétique etqui peut se réaliser à l’intérieurd’électroaimants, comme auCEA par exemple.

L’ÉTAT DE L’ART : ÉTUDESFONDAMENTALES ET ÉTUDESSPATIALES FINALISÉESLa période la plus prolifiquepour la recherche en micro gra-vité dans le monde entier s’étend,sans aucun doute, des années1980 à 2000. En dépit de l’acci-dent de la navette états-unienneChallengeren janvier 1986, toutesles agences spatiales dévelop-paient des infrastructures per-mettant des expériences à effec-tuer en microgravité. Cela

comprenait la construction depuits et de tours de chute libre,la mise en disponibilité d’avionspour les vols paraboliques, lanavette spatiale américaineéquipée avec le Spacelab euro-péen et, bien sûr, la station MIR.En France, l’orientation prise –grâce à l’action de plusieurs res-ponsables du CNES et de cer-tains organismes de recherche– a été de réserver à la recherchefondamentale (et non à laconception d’usines spatialescomme certains le préconi-saient) les moyens consacrésaux coûteuses expériences enmicrogravité. Les efforts ontainsi été faits pour rassemblerles meilleurs scientifiques dupays et développer les coopé-rations internationales de hautniveau2.Les domaines cités plus hautont été investis, et sont regrou-pés aujourd’hui sous la ban-nière de la micropesanteur fon-damentale et appliquée (MFA).C’est en 1992 que fut créé lepremier groupement derecherche (GDR) en microgra-vité du CNRS-CNES pour unedurée de quatre ans. Il fut renou-velé régulièrement – ce qui estexceptionnel pour un GDRmais s’explique par le carac-tère même de la microgravité,qui est un grand instrumentscientifique utilisé par plu-sieurs disciplines. Ce n’est quedepuis 2004 qu’il a pris le nomde GDR-MFA. La recherche

appliquée à la conquête spa-tiale y a sa place en rapportavec les problèmes rencontrésdans les lanceurs (réservoirsde carburants, instabilités decombustion, par exemple) etles satellites (risques d’incen-die, aspects biologiques etmédicaux).

EN CONCLUSIONLa micropesanteur intéresseplusieurs disciplines scienti-fiques. C’est un domaine derecherche prometteur faisantpartie des sciences de l’espace.Les résultats de recherche obte-nus en France ont fait l’objet denombreuses publications, etcertains d’entre eux ont étéhonorés de distinctions presti-gieuses. Plusieurs coopérationsinternationales ont été pour-suivies. Il est important quecette activité continue à pros-pérer avec des financementsappropriés. n

*ROGER PRUD’HOMME, anciendirecteur et fondateur du GDR Fluidesen microgravité (Fµg), est chercheurémérite du CNRS.

1. F.-B. Carleton et F.J. Wienberg,« Electric field-induced flameconvection in the absence of gravity »,in Combustion Experiments DuringKC-135 Parabolic Flights, ESA SP-1113, 1989.2. Jean-Jacques Favier, Préface aunuméro spécial des Comptes rendusde l’Académie des sciences, « Tributeto Bernard Zappoli », 2016, en coursd’édition.

Notons que la pesanteur n’est jamais complètementannihilée. Cela tient à de multiples causes […] onparle donc plutôt de micropesanteur ou de microgravité.

Figure 3. Airbus A300 utilisé pour les vols paraboliques, fusée-sondeBlack Brant canadienne et Station spatiale internationale.

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SCIENCE ET TECHNOLOGIE34

n STRATÉGIE

PAR TAYLAN COSKUN*,

riginaire d’Orient, oùil servit aux souverainsd’entraînement à la

stratégie militaire par temps depaix et aux manœuvres poli-tiques en toutes occasions, lejeu d’échecs a été nommé enOccident « le jeu des rois et leroi des jeux ». Avec les tempsmodernes, marqués par l’hu-manisme et par l’esprit desLumières, le jeu des rois s’estprogressivement démocratisé.Cette évolution découle d’uneévidence qu’il est utile de rap-peler : sur l’échiquier, le méritel’emporte sur la naissance. Quel’homme soit noble, bourgeoisou serf, seule son ingéniositélui permet de vaincre.

SUR LA VOIE DE LA DÉMOCRATISATIONDans ses Confessions, Jean-Jacques Rousseau rapporte unesavoureuse anecdote qui illus-tre parfaitement cette transfor-mation. Il raconte un affronte-ment échiquéen avec le princede Conti, en présence des habi-tués de la cour princière : « Jesavais qu’il [le pauvre prince]gagnait le chevalier de Lorenzy,qui était plus fort que moi.Cependant, malgré les signes etles grimaces du chevalier et desassistants, que je ne fis pas sem-blant de voir, je gagnai les deuxparties que nous jouâmes. Enfinissant, je lui dis d’un ton res-pectueux, mais grave : “Mon -seigneur, j’honore trop VotreAltesse Sérénissime pour ne lapas gagner toujours aux échecs.”Ce grand prince, plein d’espritet de lumières, et si digne de n’êtrepas adulé, sentit en effet, dumoins je le pense, qu’il n’y avait

là que moi qui le traitasse enhomme, et j’ai tout lieu de croirequ’il m’en a vraiment su bongré. » Le doute est permis quantà cette conclusion quelque peuoptimiste. Il ne reste pas moinsque, selon l’auteur du Contratsocial, devant un échiquier cen’est pas la noblesse qui décidede la dignité d’homme. Au vrai,ce principe de démocratie impli-quant les joueurs s’est introduit

également dans la compréhen-sion du jeu lui-même.Ainsi, le grand joueur françaisFrançois-André Danican Philidordéclarait dans son ouvragel’Analyse des échecs (1749) que« les pions sont l’âme des échecs »; non point les autres pièces por-tant des noms évoquant lanoblesse mais bien ces négli-geables et négligés pions. On apu appeler cette approche « révo-lution philidorienne ». La démo-cratisation du jeu, qui au XVIIIe siè-cle se déplaçait des palais auxcafés, s’accompagnait ainsi d’unedémocratisation de la valeurmême des pièces du jeu.

UN JEU ET UNE VISION DU MONDEOutre ce phénomène de démo-cratisation, un autre facteur acontribué à rendre ce jeu demoins en moins royal. Il s’agitdu progrès de l’explication ration-nelle de l’Univers, qui conduit

passion pointe une réalité plusprofonde, qui lie ce jeu et ce qu’ilreprésente aux mouvementsd’émancipation de l’humanité.Un moment remarquable durenversement du statut de cejeu est l’émergence de ce qu’ona appelé l’école soviétique, quia systématisé à une échelle iné-dite les deux aspects que nousavons évoqués : la démocrati-sation accrue et la rationalitécréatrice.Pendant le XXe siècle, l’écolesoviétique a dominé la scèneinternationale : de la révolutiond’Octobre à l’éclatement del’URSS, sur les 11 championsdu monde, 7 étaient soviétiques.Pratiqué par quelques milliersde joueurs avant la révolution,le jeu s’est saisi des masses : entrès peu de temps, des millionsde Soviétiques dans les villages,dans les usines, dans les écoless’y adonnaient. Ce n’était pasun hasard. L’un des fondateursde ce mouvement, NikolaïVasilyevich Krylenko déclarait :« Nous devons organiser des bri-gades de choc formées de joueursd’échecs et commencer immédia -tement un plan quinquennaldes échecs. […] les échecs sontun instrument de la culture intel-lectuelle ! Apportons les échecsaux travailleurs ! »Pour les fondateurs de cetteécole, les échecs représentaientbien plus qu’un jeu. Ils y voyaientun moyen de mettre à la dispo-sition du peuple « un instru-ment de culture intellectuelle »,un outil de raisonnement per-mettant de s’exercer à la pen-sée stratégique. Qu’imaginer deplus instructif que ce jeu oppo-sant deux armées pour biencomprendre la dialectique del’affrontement créateur de forces

Le jeu d’échecs : évolution et révolutions

Oà exclure le recours aux forcesmystiques pour le comprendreou l’interpréter.Pour Emmanuel Lasker, mathé-maticien, philosophe et amid’Einstein, et officiellementdeuxième champion du monde,le jeu d’échecs n’était pas d’abordun art, un sport ou une sciencemais « l’affrontement de deuxesprits et de deux volontés ». Ilélargissait sa vision, inspirée deDarwin, à tous les domaines del’esprit humain et des sciences,étant entendu que tous les phé-nomènes du monde peuventêtre interprétés comme le résul-tat d’une lutte de forces anta-gonistes. Dans son ouvrage leCombat, il écrit : « C’est en recher-chant les lois et les principes quirégissent le déroulement et l’is-sue de tous les affrontements quel’on peut découvrir les mystèresde l’Univers. » Pour Lasker, cetterecherche rationnelle s’opposeà l’explication mystique selonlaquelle les guerres, par exem-ple, se gagnent ou se perdentpar l’intervention de divinités.Les échecs peuvent être unmodèle permettant de dégagerces lois et principes de toutesituation de combat.

L’ÉCOLE SOVIÉTIQUE, UNE ÉTAPE MARQUANTEAinsi, l’objectif de rationalisa-tion par la pensée stratégiqueet la démocratisation du jeusont les deux facteurs qui ontprofondément transformé lestatut des échecs. Du jeu royalqu’il était censé être, il est devenuun jeu populaire et moderne.Il est à remarquer que beaucoupde révolutionnaires – Marx,Lénine, Che Guevera, et d’au-tres encore – ont été des joueurspassionnés (voir ci-après). Cette

Bras nord de l’interféromètre LIGO à Handford, (États-Unis).

Beaucoup derévolutionnaires, Marx,Lénine, Che Guevera,et d’autres encore, ont été des joueurspassionnés.

Шах и мат. (« Échec et mat. ») Épitaphe trouvée récemment en Sibérie orientale sur la tombe d’un joueur inconnu.

Les échecs ont souvent été la métaphore de l’exercice du pouvoir monarchique. Or l’histoire de ce jeu est justement celle du changement de son statut social : sonévolution révolutionnaire.

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contraires ? Quel meilleur moyen,ludique, de se libérer des supers-titions en permettant à chacund’exercer son ingéniosité et saraison sans compter sur la bien-veillance de forces occultes ? Auvrai, autant de concepts fami-liers de la pensée matérialisteet de la culture marxiste.« Le style soviétique allie har-monieusement les méthodesrigoureusement scientifiquesdans l’étude de la théorie et dansl’entraînement à l’audace et audynamisme des attaques, à laténacité et à l’ingéniosité dansla défense. » L’école soviétiques’est affirmée contre touteapproche dogmatique visant àréduire le jeu à la simple décli-naison de règles rigides, vala-bles de façon mécanique et pré-tendument universelles. Pourles maîtres soviétiques, « l’ana-lyse concrète de chaque position,de chaque variante » était essen-

tielle. Ce qui est à la racine deleur attitude créatrice, à l’op-posé du sec « style rationnel »qui caractérisait, selon Kotov etIoudovitch, les échecs pratiquésdans le monde capitaliste.Remarquons que la fameusepréconisation de Lénine « ana-lyse concrète de la situationconcrète » est, comme tant d’au-tres de ses maximes, indénia-blement d’inspiration échi-quéenne. Elles ont inspiré à leurtour l’approche particulière desfondateurs de l’école soviétique.Véritable culture populaire, lejeu a donné lieu en URSS à desrecherches théoriques de qua-lité. Des psychologues, desmathématiciens, des informa-ticiens, des médecins, des spor-tifs y ont pris part. On com-mence tout juste à traduire enanglais quelques-uns des nom-breux ouvrages qui ont appro-fondi dans le détail et d’une

façon rigoureuse la théorie dujeu et du joueur. Ils sont exploi-tés aujourd’hui par les auteursde manuels divers et variés pourdécrire les processus de prisede décision ou pour élaborerdes stratégies appliquées dansles domaines politiques et éco-nomiques, ou même du déve-loppement personnel.

UN HÉRITAGE… Certes, les échecs en URSS n’ontpas une histoire idyllique. Loins’en faut. Elle porte en elle toutesles contradictions et les four-voiements de l’expérience du« pays du socialisme réel » : despurges des années 1930 auxaffres de la guerre froide avecson cortège d’espionnage, deterreur et de violence, jusqu’àl’écroulement du mur de Berlinet ses conséquences.Le pouvoir politique s’est saisidu jeu à des fins de propagande

et pour détourner les citoyensdes problèmes concrets. Toutcela avait peu à voir avec savocation initiale imaginée parles fondateurs de l’école. Lesmatchs pour le championnatdu monde en sont les épisodesles plus connus et médiatisésen Occident, souvent pour desraisons extraéchiquéennes :celui opposant, en 1970, l’États-Unien Fisher à Spassky ; celuiopposant Karpov, « le produitdu système », à Korchnoï, « letransfuge» ; plus tard, en pleineperestroïka, le même Karpov àKasparov, « le génie ».Avec la fin de l’URSS, de nom-breux joueurs ont émigré versl’Occident et ont fait un apportdécisif au récent développe-ment des échecs ailleurs dansle monde.Par-delà son histoire mouve-mentée, l’école soviétiqued’échecs constitue encore

aujourd’hui un patrimoine cul-turel qui a de l’influence dansde nombreuses sphères de lacréation humaine.En ces temps où le mysticisme,la superstition, la paresse intel-lectuelle et le découragementse diffusent si rapidement, cetexemple ambitieux, qui visait« l’élitisme pour tous », déve-loppait une culture de penséestratégique et prônait avec fiertéla force de l’esprit humain, peutinspirer dans tous les domaines(politique, artistique ou philo-sophique) celles et ceux qui nese satisfont pas du consumé-risme ambiant. n

*TAYLAN COSKUN, passionné dujeu d’échecs, est conseiller régionalPCF d’Île-de-France.

POUR EN SAVOIR PLUSApprendre les règles du jeu :https://m.youtube.com/watch?v=04-ak9xdwUILa version numérique en anglais dulivre d’E. Lasker, le Combat :https://archive.org/details/struggle00laskLes Confessions, Jean-JacquesRousseau, livres V et X.L’école soviétique d’échecsLe Jeu d’échecs en Union soviétique,A. Kotov, M. Youdovitch, éd. duProgrès, Moscou, 1975.A. Soltis, Soviet Chess, éd. McFarland& Co. Inc., Londres, 1999.100 Selected Games, M. Botvinnik,New York, 1960.Article détaillé : http://lejeuechecs-unepassion.blogspot.fr/2009/09/le-jeu-dechecs-en-union-sovietique-aun.html?m=1Recherches en stratégie,psychologie, économie en lien avecles échecsCreative Chess, A. Avni, EverymanChess, Londres, 1997Psychologie de la bataille, A. Karpov,J.F. Pelhizon, B. Kouatly, Economica,Paris, 2004Taylan Coskun, contribution au congrèsdu PCF, sur la pensée stratégique :http://congres.pcf.fr/83147

Par-delà son histoire mouvementée, l’école soviétiqued’échecs constitue encore aujourd’hui un patrimoineculturel qui a de l’influence dans de nombreusessphères de la création humaine.

VLADIMIR ILITCH LÉNINE VSMAXIME GORKI (1908)Vous êtes le romancier Maxime Gorki etvous avez les Noirs contre Lénine quivient de vous prendre un pion.Punissez-le pour cet affront et trouvez lecoup gagnant.

LUTTES DE CLASSESSUR L’ÉCHIQUIER ! À VOUS DE JOUERJEAN-JACQUES ROUSSEAU VS DAVID HUME (1765)Voici une position issue d’une partie dunatif de Genève jouée contre le philo-sophe empiriste britannique. Mettez-vous à la place de l’auteur de l’Inégalitéparmi les hommes qui conduit les Blancset trouvez le mat en 3 coups.

KARL MARX VS MEYER (1867)Vous êtes Karl Marx et vous avez lesBlancs. Manifestez (!) le coup gagnant.

Indice : la première salve est un coupaudacieux de tour.

Indice : la tour met les Noirs en grandedifficulté.

Indice : le premier et le dernier des troiscoups sont des coups de cavalier.

Nota Bene : N’hésitez pas à joindrel’auteur ([email protected])pour vos remarques et pourconnaître la solution des troisproblèmes posés.

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PAR NICOLAS MARTIN*,

es dernières attaques etle spectre de futures exac-tions terroristes ont été

abondamment commentés tantpar les acteurs du politique quepar une foule d’experts plus oumoins crédibles. Chacun allantde son analyse : l’enjeu primor-dial des événements aurait doncété, en fonction des lubies desuns et des autres, le potentielrefoulé homosexuel des terro-ristes, la spiritualité dont ils seréclament, ou encore l’absencede modèle viril qui conduiraitdirectement des jeunes gensvers le summum de la violencepolitique.C’est pourtant la nature du ter-rorisme qui pose question etnon pas des considérations indi-vidualistes. Pourquoi et pourquoi les terroristes ont-ils recoursà cette forme de violence trèspolitique ?

UNE MÉTHODE ET DES OBJECTIFSLe terrorisme cherche à influen-cer le débat public par la vio-lence, par la peur que suscite sonaction au travers de moyens irré-guliers. Il n’est pas un acteur inter-national, donc ne peut pas avoirrecours à la diplomatie ; il n’estpas une force politique suffisam-ment importante pour avoir voixau chapitre ou tout simplementses opinions sont totalementinacceptables pour la société.

Illustrons. Alors que l’indépen-dance de l’Algérie est en négo-ciation, l’OAS perpètre une séried’attentats à la bombe en région

parisienne : le 7 février 1962,des hommes politiques sontvisés. Le lendemain, 8 février,se joue à Paris le drame de lastation Charonne : neuf mortsparmi les manifestants contreles attentats OAS. On voit iciplusieurs dimensions de l’ac-tion terroriste : déstabilisationde l’opinion par la peur et l’émo-tion, imposition d’un nouvelagenda politique, injonction àla prise de position sur un sujetdonné : le 8 février 1962, on estpour ou contre la politique deDe Gaulle en Algérie, aucunautre sujet ne peut prendre ledevant de la scène politique.Ainsi, l’action terroriste est uneforme de guerre irrégulière quivise en premier lieu la popula-tion, la « nation »1 à laquelle lesdirigeants doivent rendre descomptes. Pour comprendre ladynamique, il faut donc com-mencer par définir ce qu’est unconflit où le recours à la vio-lence est choisi et appliqué ; ils’agit d’un « acte de violence dont

l’objectif est de contraindre l’ad-versaire à exécuter sa [du terro-riste »] volonté »2. Le groupedont se réclament les terroristes

a son agenda politique et desobjectifs. Si « fous » que soientles acteurs, ce sont leurs objec-tifs qui importent, le reste n’estque littérature.

REGARDS SUR LE MONDE ACTUELPour atteindre ses objectifs etrépondre à son agenda poli-tique, le terroriste peut ouvrirle feu dans une foule de civilsvenus, comme à Paris, profiterd’un concert. Il choisit sa ciblepour qu’elle soit la moins défen-due et la plus facile à atteindrepossible. L’enjeu du choix estsimple : frapper là où les effetspsychologiques de l’attaqueseront hors de proportion avecles résultats purement phy-siques3, là où l’attentat trauma-tisera le plus le collectif visé.Toujours à Paris, le 14 juin 2016,un cri résonne dans la rue :« Médic ! » Les mobilisationscontre la loi «travail» ont popu-larisé cette interpellation quiprovient du monde militaire

pour appeler un infirmier enpremière ligne pour soigner unou des blessés. Ce même criprend des dimensions et desampleurs différentes selon lescontextes : on peut le crier dansun micro devant son ordina-teur lorsque son personnage dejeu en ligne n’a plus de pointsde vie ; ou pour avoir un peu desérum physiologique pour sou-lager les effets du gaz lacrymo-gène ; ou pour recevoir une assis-tance médicale après unemutilation, conséquence d’opé-rations de maintien de l’ordre4 ;ou encore, ayant été pris dansune embuscade en Afghanistan,quelques dizaines de minutesavant d’être achevé à l’armeblanche.Des degrés de violence fonda-mentalement différents peu-vent être perçus et construitsmentalement comme équiva-lents suivant l’environnement.Le rapport entre ces contextesse limite à l’interpellation« médic ! ».Considérons cette interjectioncomme un symptôme : cesdegrés différents appellent lamême réponse. Il faut doncs’intéresser à ces différentsdegrés. La France de 2016 estdans un état de pacificationhautement plus avancé quel’Afghanistan ou la Syrie. Lesdifférences de degrés de vio-lence sont telles qu’ils en sontincompréhensibles.Dans un des cas, un fonction-

Progressistes JUILLET-AOÛT-SEPTEMBRE 2016

On voit ici plusieurs dimensions de l’action terroriste :déstabilisation de l’opinion par la peur et l’émotion,imposition d’un nouvel agenda politique, injonction à la prise de position sur un sujet donné.

n SOCIÉTÉ

SCIENCE ET TECHNOLOGIE36

« La guerre n’est qu’un prolongement de la politique par d’autres moyens. »Carl von Clausewitz, De la guerre.

Au moment même où, à grand renfort de drones, de satellites d’observation et debombes à guidage laser, la haute technologie militaire apparaît comme omni -potente, l’action d’un groupe de personnes résolues dont les moyens sont limités àdes fusils d’assaut déclassés et à des logiciels grand public peut avoir des consé-quences politico-militaires d’ampleur internationale.

Faut-il débattre des terroristes ou du terrorisme ?

L

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JUILLET-AOÛT-SEPTEMBRE 2016 Progressistes

naire qui reçoit une bombeincendiaire pendant une mani-festation est évacué, mis sur lecôté, et ses collègues ripostentavec des « moyens intermé-diaires »5. Aucun d’entre euxn’envisage sérieusement d’avoirrecours à son arme de service

pour riposter. Ce n’est pas lecas dans une zone de conflit,ce n’était pas le cas au débutdu siècle en Allemagne face auxmobilisations spartakistes.En France, pour l’écrasantemajorité des habitants, quelque soit le niveau de confron-tation avec les forces de l’État,il est bien peu probable que lepouvoir en place rafle l’ensem-ble d’un village, l’enferme dansl’église avant de l’incendier. Etmême dans les suites desattaques terroristes, il n’a enaucun moment été question demettre en place un équivalentdu Kommandobefehl6.

PACIFICATION VERSUS VIOLENCEAujourd’hui, il est inimagina-ble que les pouvoirs publicsordonnent des exécutions som-maires, tant à cause de lois quil’interdisent que de l’opinionpublique qui ne saurait l’ac-cepter, justement parce qu’elleest « pacifiée ».Cette distance, ces différencesde degré dans la violence sontles produits de la pacificationde la société. Quel que soit ledegré de désaccord avec unadversaire politique français, ilest impensable et encore moinspossible de dire sérieusementqu’il faut organiser sa mise àmort. Le recul de la violencegénérale et celui de la violencepolitique en particulier font dis-paraître ces conceptions.Cette pacification du politiquerend incompréhensible et trau-

matisant l’usage de la violence ;qu’elle soit la résultante d’unacteur privé, d’un groupe inté-rieur, d’un groupe étranger, d’unautre État, ou même de notrepropre État. D’autant plus qu’unconsensus commun a émergédans les régimes politiques

modernes : seul l’État peut exer-cer de manière légitime la vio-lence, mais en contrepartie sonusage de la violence doit êtrerégulé7 par ceux qui la subis-sent, régulé par des contre-pou-voirs et des droits8. Et c’est ceconsensus que remet en causele terrorisme.

La pacification est le produit dela limitation de la violence poli-tique à l’État, donc la déléga-tion de cette violence à qui dirigel’État, donc à un certain nom-bre de partis politiques lorsqu’ils

exercent le pouvoir d’État etuniquement pour maintenirl’ordre public (la définition decette notion s’avère ainsi hau-tement politique). Pour préten-dre concourir au pouvoir d’Étatde façon légale et légitime, lesformations politiques répon-dent à des règles, des lois, desnormes : ne pas vouloir restau-rer un régime nazi ni en faire lapropagande, par exemple. Cespartis sont en concurrence dansun équilibre politique toujoursrelatif, axés autour de différentssujets de débats publics, maischaque fois limités par desvaleurs et des règles : il est rare-ment question de proposer l’or-ganisation d’un génocide.Mais tous ces équilibres repo-sent sur la pacification de lasociété, ce que le groupe terro-riste remet en cause par sesactions violentes. À partir de laremise en cause du monopolede la violence, les équilibres

politiques sont modifiés, demême pour la légitimité et lastabilité du régime politique :le délitement de ce qui fait sociétépeut devenir légitime9. Dans lacroyance qu’ils pourront assu-rer leur sécurité, des acteursd’une société peuvent s’exclure,s’enfermer, rejeter d’autres élé-ments, se forger de nouvelles

identités collectives dans unefrénésie de peur.Ainsi, en utilisant l’action vio-lente, traumatisante, couplée àune propagande qui peut endémultiplier les effets anxio-gènes, le terroriste se forge unelégitimité pour imposer unagenda politique, des objectifsinternationaux, nationaux etlocaux10. Les enjeux sont poli-tiques, il s’agit pour lui de sou-mettre la société ciblée à savolonté par l’action politico-militaire. Bref, imposer à l’opi-nion publique un agenda poli-tique nouveau et volontairementclivant : diviser la société cibléepour en briser la volonté etatteindre ses objectifs par las-situde de cette dernière. n

NICOLAS MARTIN est chroniqueursur les questions de défense et sécurité.

1. Au sens de collectif de populationsouverain politiquement sur un terri-toire. 2. Carl Von Clausewitz, De la guerre.3. Raymond Aron, Paix et guerre entreles nations.4. On pense évidemment ici aux bles-sés des dernières mobilisations,quelle que soit la nature du blessé etl’origine de la blessure. Le propos dela démonstration n’est pas l’usage dela force – qu’elle soit légitime ou non– mais l’état résiduel de la violencephysique dans une société donnée.5. Il ne s’agit en aucun cas de leslégitimer ni d’affirmer qu’il n’y a aucunabus potentiel dans leur emploi. 6. Ordre de Hitler du 18 octobre 1942d’exécuter sommairement, et sansdélai, tous commandos étrangerscapturés sur territoire occupé. 7. Ce qui ne veut pas dire qu’elle estparfaitement régulée ni qu’il n’y a pasdes abus à différents degrés. Lanature d’un régime politique, c’estqu’il cherche à se maintenir !8. Liberté de la presse, liberté d’asso-ciation, liberté de manifestation, droitde pétition, système électoral, etc. 9. Le lecteur curieux peut se penchersur le concept de résilience.10. Fin de l’action militaire à l’étrangercontre lui, reconnaissance d’unesouveraineté ou encorereconnaissance politique de sa placedans le débat, comme l’a fait lafraction la plus radicale desantiavortement aux États-Unis.

Seul l’État peut exercer de manière légitime la violence, mais en contrepartie son usage de laviolence doit être régulé par ceux qui la subissent,régulé par des contre-pouvoirs et des droits. Et c’est ce consensus que remet en cause le terrorisme.

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À partir de la remise en cause du monopole de la violence, les équilibres politiques sont modifiés.

Le terroriste frappe là où les effets psychologiques peuventêtre les plus traumatisants.

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TRAVAIL ENTREPRISE & INDUSTRIE38

n SANTÉ

Progressistes JUILLET-AOÛT-SEPTEMBRE 2016

PAR VIRGINIE ALTHAUS*,

QU’EST-CE QUE LE SECTEURTERTIAIRE ?Le secteur tertiaire est parfoisqualifié de secteur « fourre-tout »1 car il regroupe effective-ment des activités aussi diversesque la logistique, les servicesaux entreprises et aux particu-liers, le commerce… Les risqueset les contraintes liés au travaildans des activités comme cellesde la logistique peuvent êtreassez différents de ceux des acti-vités de service ou du care (dessoins à la personne, en fran-çais), d’où l’intérêt de prendreen compte ces spécificitéslorsqu’on légifère ou que l’ons’inscrit dans une démarche deprévention des risques d’at-teinte à la santé.

Ce secteur est dominant enFrance, et en Europe. Selonl’INSEE, en 2009 il mobilisaitenviron 75 % de la populationactive occupée, soit trois tra-vailleurs en emploi sur quatre(source : www.insee.fr). Qui plusest, sa part dans l’emploi est en constante hausse, ce qui s’explique notamment par uneex ternalisation croissante des services aux entreprises2.

LE TERTIAIRE N’EST PASEXEMPT DE PÉNIBILITÉSTRADITIONNELLESL’idée fréquente selon laquelleles activités du secteur tertiairese résument au « travail debureau » laisse souvent à pen-ser que, en dehors des chutesde plain-pied, elles ne compor-

tent ni risques spécifiques nipénibilité particulière. Or ils’avère caricatural d’entretenircette représentation, notam-ment parce que les activités rele-vant du tertiaire se diversifientdepuis une trentaine d’années3.Ce secteur n’est donc pas exemptde pénibilités plus « tradition-nelles »1, en l’occurrence desfacteurs de pénibilité tels quedéfinis par le Code du travail.

Parmi les facteurs de pénibili-tés réglementairement définis,on peut en effet retrouver en cesecteur des facteurs de risquetels que les manutentionsmanuelles, les postures péni-bles, le travail de nuit ou le tra-vail répétitif (source :www.inrs.fr).Ces facteurs font partie du quo-tidien lorsqu’on travaille, parexemple, dans la logistique, larestauration ou les soins auxpersonnes. Les résultats de l’en-quête SUMER 20104 indiquentainsi que ce sont les ouvriers,puis les employés de commerceet des services qui sont les plusexposés aux facteurs de pénibi-lité. Consécutivement, les repré-sentations « tronquées » sur l’ab-sence de risques pour la santédans le tertiaire peuvent ame-ner à des efforts moindres entermes de prévention, compa-rativement à l’industrie ou laconstruction par exemple3.

En dehors des facteurs de péni-bilité répertoriés par le Codedu travail, le secteur tertiaire,à l’instar de l’industrie, n’estpas épargné par l’intensifica-tion du travail et l’augmenta-

tion des cadences5. C’est ce quesouligne la comparaison desenquêtes « Conditions de tra-vail » réalisées successivementen 2005 et 20136. Ce secteur n’apas non plus échappé à l’ali-gnement organisationnel desactivités sur des logiques deproduction de caractère indus-triel. Cela par la généralisationprogressive de l’évaluationessentiellement quantitativede l’activité de travail et soncorollaire, le renforcement dela gestion du travail par les pres-criptions. Les centres d’appelsont à cet égard un exempleemblématique de ce mode degouvernance du travail.

Ces deux aspects – pénibilitéstraditionnelles et intensifica-tion – se croisent souvent dansle domaine de la logistique. Parexemple, les entrepôts Amazonont fait parler d’eux non seule-ment en raison de l’intensité et

de la pénibilité du travail quis’y déploient, mais aussi relati-vement au nombre importantd’accidents du travail et de trou-bles musculo-squelettiques(TMS) affectant les travailleurs(cf. rapports des services desanté au travail). Or on peutretrouver ces deux formes d’at-teinte à la santé et à la sécurité

au travail dans des activités dusecteur tertiaire autres, là oùl’on s’attend moins à les consta-ter. Par exemple dans les com-merces, où l’intensité du tra-vail6 et la pénibilité3 se sontaccrues depuis les années 1980.

GLISSEMENT DE PÉNIBILITÉSNos interventions dans des com-merces de prêt-à-porter7 nousont permis dans certains cas deconstater que l’entretien deslocaux avait été sous-traité àdes sociétés spécialisées puis« réinternalisé » − autrement ditréintégré aux tâches quoti-diennes des salariés −, et ce sansembauche pour compensercette charge de travail supplé-mentaire. Le nettoyage est unetâche exigeante et pénible8,notamment parce qu’il imposedes postures contraignantes. Sa« réintégration » a égalementgénéré une certaine pressiontemporelle dans certaines

équipes, car la réalisation decette tâche n’avait été ni pen-sée dans la répartition du tra-vail ni compensée, comme l’ontrelevé les représentants du per-sonnel et les salariés. Elle appa-raissait alors comme un surplusde travail, à la fois par rapportaux tâches quotidiennes et rela-tivement au « cœur de métier »,

Ce secteur est dominant en France, et en Europe. Selon l’INSEE, en 2009 il mobilisait environ 75 % de la population active occupée, soit trois travailleursen emploi sur quatre.

Le terme « secteur tertiaire » recouvre un vaste éventail d’activités, dans lesquelles onpeut identifier, au regard de la problématique de la santé au travail, des contraintesspécifiques. Sans prétendre à l’exhaustivité, cet article propose de faire le point surces contraintes à partir d’observations tirées de quelques enquêtes et interventions.

Entre pénibilités traditionnelles et contraintes spécifiques

SECTEUR TERTIAIRE

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JUILLET-AOÛT-SEPTEMBRE 2016 Progressistes

à savoir l’activité de vente et deconseil (représentant le visiblede l’activité, évaluée et recon-nue). Cette logique allait parailleurs à l’encontre du discoursdes dirigeants des entreprisesde nettoyage, qui soulignent lacomplexité du métier exigeantdes spécialistes8. Dans cetteconfiguration, l’entretien deslocaux et surtout de l’arrière-boutique, tâche pénible, estencore plus prompt à « s’effa-cer », c’est-à-dire à devenir untravail invisible alors qu’indis-pensable9. La répartition de cetravail était alors très propiceà des tensions dans les équipes,puisque la mise en avant de sapénibilité et l’organisation derevendications afférentes s’entrouvaient entravées du faitmême de sa relative invisibi-lité. C’est à la faveur d’un tra-vail commun entre le servicede santé au travail, les ressourceshumaines, les salariés et leursreprésentants que ces tâchesont été intégrées aux planningsde travail et le travail pensé enconséquence.

QUELQUES EXEMPLES DE CONTRAINTES PLUS SPÉCIFIQUESÀ la lumière de quelques cas,et sans prétendre couvrir demanière exhaustive les problé-matiques de ce secteur, on peuteffectivement penser à des exi-gences du travail, perçuescomme contraignantes avecde potentielles conséquencessur la santé, tenant à la dimen-

sion relationnelle de l’activité− qu’il s’agisse d’une relationavec un patient, un usager, unclient5… Le risque d’atteinte àla santé, du fait de l’augmen-tation de la cadence des tâchesn’est pas non plus à négliger10.Cela notamment dans lesmétiers du care et/ou ceux dusecteur du médico-social, oùla pression temporelle peut

poser des dilemmes éthiquesdans le travail et remettre encause le sens de ce dernier.Lors d’une intervention au seind’une association du domainemédico-social, en charge del’accueil de personnes en situa-tion de handicap, nous fîmes leconstat de l’évolution de l’or-ganisation du travail, se profi-lant manifestement selon uneapproche plus gestionnaire −du fait que l’association en ques-tion se trouvait vouée à deve-nir une « entreprise associa-tive ». Il s’agissait là d’une desprincipales préoccupations dessalariés. Ceux-ci craignaientune déshumanisation de leurtravail. À cela s’ajoutait le res-senti des salariés, traduit dansl’usage fréquent de l’expression« faire plus avec moins » ; autre-ment dit répondre à de nou-velles exigences (demandes

d’évaluation, recherche de sub-ventions…) avec des ressourcesbudgétaires, mais pas unique-ment, réduites.

De fait, ces « interactions de ser-vice », tout comme le travail decare, sont des tâches difficilesà quantifier et résistantes auxprescriptions. On peut penseraux centres d’appel, où le tra-

vail est taylorisé et prescrit, maisoù, souvent, suivre les prescrip-tions et répondre aux objectifsquantifiés peut nuire à la qua-lité du travail. Ce mode de ges-tion du travail place alors lestravailleurs dans des situationsparadoxales.

CONCLUSIONLes politiques de préventionqui ciblent le secteur tertiairedoivent s’intéresser à la fois auxpénibilités traditionnelles et auxcontraintes plus spécifiques,par exemple liées à la dimen-sion relationnelle de l’activité.Cette prévention ne peut pass’envisager uniquement à par-tir de définitions « normatives »des risques et d’enquêtes quan-titatives ; il faut avant tout sol-liciter les principaux acteursconcernés, les salariés, sur lesdifficultés qu’ils rencontrent au

quotidien. C’est en tous les casl’approche que nous préconi-sons dans les structures du ter-tiaire, en mettant au cœur de ladémarche ce qui fait sens pourles travailleurs, ainsi que l’ex-pertise de ces derniers. n

*VIRGINIE ALTHAUS estpsychologue du travail et maître de conférences en psychologie du travail à l’université de Rouen.

1. M. Gollac, S. Volkoff et L. Wolff, lesConditions de travail, La Découverte,3e éd., Paris, 2014.2. X. Niel, et M. Okham, « Les ressortsde l’économie des services :dynamique propre et externalisation »,in INSEE Première, no 1163,nov. 2007, p. 17-22.3. A. Raymond, J. Muñoz et H. Blanc,« Mémoire, flexibilité et risqueprofessionnel », in Connexions, no 80,2003/2, p. 125-135.4. R. Rivalin et N. Sandret,« L’exposition des salariés auxfacteurs de pénibilité dans le travail »,in DARES Analyses, no 95, déc. 2014,p. 1-11.5. C. du Tertre, (2005), « Servicesimmatériels et relationnels : intensitédu travail et santé », in Activités, no 2-1, avr. 2005, p. 37-49.6. É. Algava, E. Davie, J. Loquet. etL. Vinck, (2014), « Conditions detravail. Reprise de l’intensification dutravail chez les salariés », in DARESAnalyses, no 49, juillet 2014, p. 1-11.7. V. Althaus, (2013). Élaboration etmise en œuvre d’une démarched’intervention systémique pour lesPME : construction théorique etapplication pratique dans cinqentreprises, thèse de doctoratsoutenue le 18 novembre 2013,université de Lorraine, Metz.Disponible en ligne :http://tel.archives-ouvertes.fr/tel-00958205 8. F.-X. Devetter, et S. Rousseau, Dubalai. Essai sur le ménage à domicileet le retour à la domesticité, Raisonsd’agir, Ivry-sur-Seine, 2011.9. D. Lhuilier, « L’invisibilité du travailréel et l’opacité des liens santé-travail », in Sciences sociales et santé,vol. 28, 2010-2, p. 31-63.10. M.A. Dujarier, « Ne travailler quepour les chiffres ? Le sens du travail àl’épreuve du managementcontemporain », in A. Thébaud-Mony,P. Davezies, L. Vogel, et S. Volkoff(dir.) les Risques du travail : pour nepas perdre sa vie à la gagner, p. 171-179, La Découverte, Paris, 2015.

Les politiques de prévention qui ciblent le secteurtertiaire doivent s’intéresser à la fois aux pénibilitéstraditionnelles et aux contraintes plus spécifiques, parexemple liées à la dimension relationnelle de l’activité.

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Ambiance feutrée, lumière tamisée, tons pastels masquent trop souvent la souffrance au travail.

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C’est la plus grosse acquisition jamais réalisée par une entreprise allemande. Uneopération qui ne satisfait guère que les actionnaires des deux groupes.

PAR ALAIN TOURNEBISE*,

ous sommes ravisd’annoncer la fusionde nos deux grandes

entreprises. Il s’agit d’une étapeimportante pour notre activitéCrop Science, qui renforce le lea-dership de Bayer […] dans lessciences de la vie avec une posi-tion dominante dans ses seg-ments clés. » C’est par ces motscrus de « position dominante »que le président de Bayer aannoncé, le 14 septembre 2016,l’absorption de la compagnieMonsanto, leader mondial des semences, notamment transgéniques.

D’UN MASTODONTE À UN SUPERGÉANTMonsanto est présent dans plusde 60 pays. La société emploie20 000 salariés et réalise un chif-fre d’affaires de près de 15 mil-liards de dollars. Leader mon-dial des semences, elle représente26 % du marché mondial, et enparticulier des semences trans-géniques, où sa part de marchéest majoritaire ; elle est égale-ment présente dans l’agro -chimie, avec principalementl’herbicide Roundup.Monsanto traverse actuelle-ment des difficultés. Il subit leplongeon des prix des matièrespremières agricoles, et donc lachute du revenu des agricul-teurs, lequel, à son tour, affectela demande pour les engrais,OGM et pesticides. Le groupesouffre aussi de la hausse dudollar, qui renchérit ses pro-duits en Amérique latine. Ducoup, il prévoit de fermer dessites et de réduire de 16 % seseffectifs globaux d’ici à 2018,soit 3 200 emplois sur 20 000.

C’était l’occasion rêvée pour unprédateur de s’offrir un géantmondial des semences. Les can-didats étaient multiples, c’estfinalement l’allemand Bayer quil’a emporté.Bayer, est le premier groupe chi-mique allemand, avec 116 000sa lariés dans le monde et unchiffre d’affaires de 46 milliardsde dollars, dont un quart dansl’agriculture.L’enfer étant pavé de bonnesintentions, Bayer justifie ainsicette opération : « L’industrieagricole est au cœur de l’un desprincipaux défis actuel : nour-rir 3 milliards de personnes sup-plémentaires dans le monde d’ici2050 dans le respect de l’envi-ronnement […]. Nos deux entre-prises ont estimé que cet enjeunécessitait une nouvelle approchequi intègre de manière plus sys-

tématique l’expertise dans ledomaine des semences, des traitsagronomiques et de la protec-tion des cultures. »Mais le même communiqué depresse avoue ensuite des préoc-cupations plus prosaïques, dontla domination du marché mon-dial – « L’entreprise née de lafusion bénéficiera du leadershipde Monsanto dans le segmentSeeds & Traits et de la plate-forme Climate Corporation avecla vaste gamme de produits CropProtection de Bayer qui couvreun ensemble complet d’indica-tions et de cultures dans toutes

les régions clés » – et la capta-tion des opportunités de crois-sance mondiale – « Le chiffred’affaires pro forma de l’entre-prise agricole issue de la fusionse chiffrait à 23 milliards d’eu-ros en 2015. L’entreprise issue dela fusion sera bien positionnéepour jouer un rôle clé dans l’in-dustrie agricole et présentera unpotentiel significatif de crois-sance à long terme ».Selon les termes de la transac-tion, publiés par les deux firmes,Bayer rachètera les actions deMonsanto « au prix de 128 dol-lars par action dans le cadred’une transaction en espècespour une valeur globale de 66 mil-

liards de dollars ».Bien évidemment, les premiersbénéficiaires de cette opérationseront les actionnaires. Ceux deMonsanto d’abord, puisque leprix payé par Bayer est supé-rieur au cours de l’action et« représente une prime de 44 %pour les actionnaires de Mon -santo ». Toutefois, les action-naires de Bayer ne sont pasoubliés, puisqu’« ils devraientbénéficier d’une hausse du béné-fice par action (BPA) de base aucours de la première année com-plète après la conclusion de l’opé-ration et d’une hausse à deux

chiffres du BPA au cours de latroisième année complète ».Pour financer cette opération,Bayer prévoit de recourir à desfonds propres (environ 19 mil-liards de dollars via l’émissiond’obligations à conversion obli-gatoire en actions) et à l’em-prunt, d’un montant de 57 mil-liards de dollars, assuré par unconsortium bancaire composéde BofA Merrill Lynch, Créditsuisse, Goldman Sachs, HSBCet JP Morgan.Cette opération est significa-tive à bien des égards. Par lesmontants pharaoniques en jeud’abord : 66 milliards de dol-lars, un montant supérieur auPIB de deux tiers des pays duglobe. Mais aussi par la facilitéavec laquelle Bayer a su trou-ver un consortium bancairecomplice prêt à financer la quasi-totalité de l’acquisition. Un nou-vel exemple de la dérive du sys-tème bancaire mondial quiconsacre l’essentiel de ses res-sources à financer des opéra-tions qui ne génèrent aucunevaleur économique réelle.Il faut dire qu’avant ses difficul-tés récentes Monsanto affichaitune profitabilité insolente, avecun rendement du capital de prèsde 23 %. Et selon les déclara-tions des deux groupes, la fusiondevrait améliorer significative-ment les choses, puisqu’ils fontétat de « création de valeur signi-ficative avec des effets de syner-gie annuels escomptés d’envi-ron 1,5 milliard de dollars aprèsla troisième année ; auxquelss’ajoutent, dans les années sui-

Fusion Bayer-Monsanto « For a better life ». Mais de qui ?

TRAVAIL ENTREPRISE & INDUSTRIE40

n ÉCONOMIE

«N

Progressistes JUILLET-AOÛT-SEPTEMBRE 2016

Cette opération est significative à bien des égards. Par les montants pharaoniques en jeu d’abord. 66 milliards de dollars, c’est un montant supérieur au PIB de deux tiers des pays du globe.

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vantes, les effets de synergie sup-plémentaires résultant des solu-tions intégrées ».Par « synergie », il faut évidem-ment entendre essentiellementla réduction des coûts, notam-ment l’emploi, par suppressiondes emplois redondants et autresdoublons. Sans oublier ce grandclassique des opérations defusions qu’est la mutualisationdes dépenses de recherche. Eneffet : « L’opération permettraégalement le regroupement desprincipales capacités d’innova-tion et des plates-formes de tech-nologie R&D des deux entre-prises, avec un budget en R&Dpro forma annuel d’environ2,5 milliards d’euros. »Cette nouvelle concentrationdans le secteur de l’agrochimieet de l’agrobiologie n’est pasune première. Cette année s’estréalisé également l’opérationde rachat des actions de Syngenta(no 3 mondial) par le chinoisChemChina. Montant total decette acquisition : 43 milliardsde dollars. De leur côté, deuxautres géants, les états-uniensDow Chemical (no 2) et DuPont(no 5), avaient décidé de fusion-ner en décembre 2015.Tous les observateurs soulignentles dangers considérables quefont peser ces concentrationssur l’avenir de l’agriculture mon-diale. Si cette dernière méga -fusion voit le jour, trois groupescontrôleront à eux seuls 60 %des semences et 75 % des pro-duits phytosanitaires vendusdans le monde.

« MARIAGE DES AFFREUX »,« ALCHIMIE MONSTRUEUSE »Dès son annonce, le projet defusion a soulevé de nombreusesréactions.Et d’abord en Allemagne, oùl’on craint pour la réputationde Bayer. Certes, elle n’est pasdes plus reluisantes : Bayer est

plusieurs mois (Syngenta etChemChina, Dow Chemical etDuPont) n’ont pas encore étéapprouvées.Enfin, et surtout de la part detous ceux qui défendent l’inté-rêt des agriculteurs, la souve-raineté alimentaire des États etla diversité biologique.

VERS UNE AGRICULTURE EN COUPES RÉGLÉES ?La concentration de l’industrieagrobiologique, c’est l’appro-priation par quelques groupesde la quasi-totalité des brevetsdu génie génétique. Grâce à cesbrevets, les semenciers ont ren-forcé le lien de dépendance desagriculteurs à leur égard, notam-ment par l’interdiction contrac-

tuelle de ressemer les semencesproduites par les agriculteurs,obligeant ces derniers à ache-ter de nouvelles semenceschaque année, et recourant sibesoin à des poursuites judi-ciaires : entre 1997 et 2010,Monsanto a intenté 144 procèset a négocié 700 arbitrages pouratteinte à la propriété intellec-tuelle, indique l’associationInf’OGM.Les groupes de l’agrobiologieet de l’agrochimie ont d’autresmoyens d’accroître la dépen-dance des agriculteurs à leurégard, parmi lesquels le digitalfarming. Depuis plusieursannées, ils ont développé destechnologies qui, si elles amé-liorent la productivité des agri-culteurs, les rendent plus dépen-dants des fournisseurs de cestechnologies et des donnéesnécessaires. L’absorption deMonsanto permettra ainsi àBayer de mettre la main surClimate FieldView, qui permetaux cultivateurs d’adapter leurs

pratiques « en temps réel », enfonction des conseils prodiguéspar l’application.Dès lors, on peut faire nôtre la question que Guy Kastler,membre fondateur du réseauSemences paysannes, posaitdans le no 8 de Progressistes :« Où est la souveraineté d’unpays si une seule entreprise a lepouvoir de décider s’il peut ounon produire sa nourriture ? »Cette question est d’autant plusd’actualité que la concentra-tion du secteur conduit aussi aun renforcement considérablede la capacité de lobbying et,au-delà, de la capacité juridiquede contester les décisions desÉtats par les oligopoles de l’agro-biologie. En particulier dans lecontexte des nouveaux accordsde libre-échange en cours denégociation, CETA, TAFTA, etc.,qui donnent aux multinatio-nales les fondements juridiquespour contester les décisions desÉtats, on imagine assez bien laforce de frappe que constitueun groupe dont le seul profitannuel, de l’ordre de 6 milliardsde dollars bon an mal an, estsupérieur au budget de la plu-part des pays en développe-ment dans lesquels il exerce sonactivité.Enfin, la concentration du mar-ché des semences et la courseaux brevets représentent unegrave menace pour la biodiver-sité agricole, notamment par laconcentration des objectifs derecherche. La focalisation de larecherche sur une poignée d’es-pèces hybrides à hauts rende-ments a pour conséquence deréduire le nombre de plantescultivées. « Au lieu de détermi-ner quelle plante convenait àquel climat et à quel terroir, lessemenciers ont modifié les plantesafin qu’elles s’adaptent auxmêmes engrais et aux mêmespesticides dans les mêmes régions.Aujourd’hui, la même variété demaïs peut être cultivée du sud-ouest de la France jusqu’enRoumanie », s’inquiète GuyKastler. n

*ALAIN TOURNEBISE est ingénieur.

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l’héritier d’IG Farben, fabriquantdu tristement célèbre zyklon B,et a été mêlée à de nombreuxscandales dans les dernièresdécennies (huile frelatée espa-gnole, sang contaminé, pilulesde 4e génération…). Mais cette

réputation pourrait bien se voirencore dégradée par celle beau-coup plus sulfureuse deMonsanto, à l’origine de la quasi-totalité des grands scandalesdes dernières décennies, depuisl’agent orange utilisé au VietNam jusqu’au coton trans -génique en Inde, en passant parle pyralène, le Roundup, etc.C’est l’une des multinationalesles plus critiquées dans le mondepar ses opposants, au pointqu’un collectif de juristes etd’ONG a créé un tribunal inter-national pour « juger les crimesimputés à la multinationaleaméricaine ».Ensuite, parmi les autorités dela concurrence, états-unienneset européennes, qui devrontdonner leur feu vert à l’opéra-tion. Or la position dominantede ces oligopoles mondiaux esttellement criante qu’elles sontplus que réticentes à autoriserces fusions. Il est d’ailleurs ànoter que les deux fusions pré-cédentes, annoncées depuis

JUILLET-AOÛT-SEPTEMBRE 2016 Progressistes

Tous les observateurs soulignent les dangersconsidérables que font peser ces concentrations sur l’avenir de l’agriculture mondiale. Si cette dernièremégafusion voit le jour, trois groupes contrôleront à eux seuls 60 % des semences et 75 % des produitsphytosanitaires vendus dans le monde.

Maïs naturel ! Les fusions des grands del’agrochimie et de l’agrobiologiefera-t-elle disparaître la richessevégétale au profit de l’uniformitécotée en Bourse?

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Après la signature à New York de l’Accord de Paris (COP21), l’engagement affichéde réduction « conjoint et solidaire » de l’Union européenne et de ses États mem-bres est loin d’être exemplaire.

PAR FRANCIS COMBROUZE*,

QUE PÈSE L’UE DANS L’APPLICATION DE L’ACCORD DE PARIS?Les émissions européennesdes gaz à effet de serre (GES)représentent en 2015 un peumoins de 10 % du total mon-dial. Nous pensons que cettepart va diminuer à l’avenir, cepour deux raisons.D’abord, à court terme, par lapoursuite de la réduction entre-prise depuis le Protocole deKyoto, de 1997. Pour l’échéancede sa seconde période d’enga-gement, s’achevant en 2020,l’engagement de l’UE est uneréduction de 20 % au regard de1990. Ce résultat sera très cer-tainement atteint. En effet, labaisse réalisée des émissionsest évaluée en 2015 à 23 %depuis 1990, avec une augmen-tation du PIB total des Étatsmembres de l’UE de 46 % surla période. Cela établit que ladéconnexion est réalisable entrecroissance économique et tra-jectoire des émissions de GES,certes avec les indicateurs clas-siques du produit intérieur brut.La trajectoire 2020 est estiméeà – 24 % par rapport à 1990(niveau de référence, en agré-geant les émissions des Étatsmembres ayant adhéré à l’UE,soit 28 pays en 2015).Ensuite, à moyen terme, cettepart va surtout diminuer dufait de la croissance du poidsdes émissions de pays tels leBrésil, la Chine, l’Inde ou laRussie. Cela dit, relevons qu’àl’échelle de la planète, à ce jour,1,5 milliard de personnes n’onttoujours pas accès à l’électri-cité et que 2,5 milliards utili-sent la biomasse pour faire cuireles aliments.

ÉMISSIONS « NATIONALES »ET EMPREINTE CARBONE:DES TRAJECTOIRES BIENDIFFÉRENTESCes trajectoires de réduction desémissions territorialisées– émisesdans les frontières des pays mem-bres – masquent plusieurs phé-nomènes. Le raisonnement enempreinte carbone, c’est-à-direce que représente la réalité desémissions du cycle de vie desproduits et services consommésdans les pays de l’UE, est beau-coup moins flatteur. Ainsi, pourla France, les émissions ont, auchoix, baissé de 11 % depuis 1990selon l’approche territoriale, ouaugmenté de 10 % selon l’ap-proche empreinte carbone! Lapart des émissions de l’indus-trie manufacturière dans le totalnational passe de 28 % en 1990à 18 % en 2015.Et cela ne relève pas majori-tairement, malheureusement,d’une progression équivalentedes progrès de l’efficacité éner-gétique dans les procédés de

production ou des conversionsvers des énergies moins car-bonées. Les fermetures d’ac-tivités industrielles dans toutesles régions et l’importation desproduits manufacturés jouenttout leur rôle dans ce décalage

entre baisse des émissions etaugmentation de l’empreintecarbone. On sait par ailleursque les émissions du secteurdes transports ont explosé surla période 1990-2015 (28 % dutotal national, contre 22 % en1990), et ce malgré les progrèsobtenus sur les émissions deCO2 unitaires des voitures par-ticulières ; c’est donc l’explo-

sion du transport routier demarchandises qui est en cause.Pourtant, que ce soit par habi-tant ou point de PIB, le niveaudes émissions en France estl’un des moins élevés des paysdéveloppés.

LA RÉPARTITION DE L’EFFORTDE RÉDUCTION ENTRE ÉTATSMEMBRESLa répartition de l’effort deréduction fixée par le ConseilUE s’avère cependant fort ins-tructive pour tenir une réduc-tion de 10 % d’ici à 2020 par rap-port à 2005. Elle porte sur 55 %des émissions totales, les 45 %restant relevant des secteurs

Où en est l’Europe après la COP21

On sait par ailleurs que les émissions du secteur des transports ont explosé sur la période 1990-2015(28 % du total national, contre 22 % en 1990), et cemalgré les progrès obtenus sur les émissions de CO2unitaires des voitures particulières ; c’est donc l’explosiondu transport routier de marchandises qui est en cause.

Réunion de coordination des chefs de délégation européens pour les négociations en vue de l’accord durant laCOP21, décembre 2015 (pavillon Union européenne).

Progressistes AVRIL-MAI-JUIN 2016

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industriels soumis au systèmeeuropéen dit « ETS » (cf. infra).15 États réduisent ainsi leursémissions : Danemark, – 20 % ;Suède, – 17 % ; Royaume Uni,– 16 % ; Allemagne et France,– 14 % ; Italie, – 13 %) ; Espagne,– 10 % ; Grèce, – 4 %.À l’inverse, 13 autres États pour-ront augmenter leurs émissionsd’ici à 2020, modestement :Portugal, + 1 % ; et entre + 4 et+ 20 % selon les pays de l’Estmembres de l’UE (par exemple,Hongrie, + 10 %; Pologne, + 14 %;Bulgarie, + 20 %).Cette répartition relève d’unsavant marchandage de répar-tition de la moyenne de – 10 %.Elle est dosée selon le PIB dechaque État membre, en admet-tant la nécessité d’augmenterles émissions des États de l’UEles « moins riches », tout en lescontenant en deçà de ce quedonnerait un scénario d’aug-mentation « business as usual ».Elle pose aussi problème vis-à-vis de tous les pays parties à laConvention qui ont un niveauéconomique et d’émission deCO2 par habitant/PIB compa-rable à ces 13 États membres,et qui ont remis à la COP21 leurcontribution nationale de tra-jectoire d’émissions pour lapériode 2020-2030.Les appels de l’UE à amplifierles réductions en faisant jouerla clause de révision des enga-gements et à agir pour des réduc-tions sans attendre 2020 (pland’actions Paris-Lima) perdentune partie de leur crédibilité enraison de l’augmentation assu-mée des émissions dans unegrande partie de l’Union.Autrement dit, la démonstra-tion européenne du découplageentre croissance économiqueet croissance des émissions deGES rencontrera des lacunespour 13 États membres, au moinsjusqu’en 2020… En outre, remar-quons que les fermetures d’ac-tivités industrielles intervenuesdepuis 1990 dans une série depays d’Europe centrale et orien-tale ayant adhéré à l’UE posté-rieurement ont « facilité » d’au-tant plus les baisses d’émissions

de l’UE dans son ensemble enraison de la référence communedu niveau de 1990. Elles ontaussi permis, et permettentencore, des ventes d’« air chaud »,c’est-à-dire la valorisation finan-cière de crédits de réductiond’émissions.

LE SYSTÈME EUROPÉEN DE PERMIS NÉGOCIABLES :QUELLE ÉVOLUTIONPOSSIBLE?45 % des émissions de GESéchappent à la répartition entreÉtats membres, et relèvent dusystème européen de permisnégociables dit « ETS » (emis-sions trade system), correspon-dant à environ 12 000 entre-prises des secteurs industrielset à une partie des vols des com-pagnies aériennes. Dans leurtotalité, elles devront réduire

leurs émissions de 21 % en 2020et de 43 % en 2030 par rapportà 2005, contribuant ainsi au res-pect de l’engagement global deréduction des émissions de l’UEd’au moins 20 % en 2020 et de40 % en 2030 par rapport à laréférence 1990.

Le développement du systèmeETS a suivi trois phases : unemise en place (2005-2008) repo-sant largement sur une décli-naison dans les États; une mon-tée en charge (2008-2012) avecdes défaillances d’efficacitéconstatées, y compris par lespromoteurs du système ; desajustements en cours (2013-2020) avec une harmonisationeuropéenne plus poussée, fai-sant appel à des effets planifiésdans le temps et à un élargis-sement à d’autres pays associés

(Islande, Liechtenstein, Norvège,Suisse [en cours]). Ce systèmerepose sur une régulation à plu-sieurs leviers : par les quantitésallouées aux entreprises (per-mis), par les prix (avec la mon-tée tardive et très timide de lapartie des quantités venduesaux enchères au regard des quan-tités allouées gratuitement). Ildépend aussi des cours du mar-ché des tonnes d’unités libre-ment achetées ou vendues…Les dysfonctionnements frau-duleux, les profits dégagés et lafaible efficacité de ce systèmeont été dénoncés. Nous nousrisquons à penser que l’essen-tiel, pour le rendre plus efficace,n’est pas de s’attaquer à la mora-lité de ces principes. Il s’agitplutôt de rendre décroissanteset payantes annuellement lesquantités allouées, de l’asso-cier et non de l’opposer à uneaugmentation de la fiscalité desénergies carbonées. Mais il fautaussi prévenir les « mises enréserve de crédits d’émissions »,comme l’échange sans contrôlede « crédits » avec des pays dits« en développement ». Autantdire revoir en profondeur cesystème pour ne pas se conten-ter de déplorer, tour à tour, lefaible prix du cours du marchéde la tonne carbone, les spécu-lations, les fraudes à la TVA, lavente et l’achat d’« air chaud »à l’échelle mondiale.

Enfin, notons que la lutte contrele changement climatique vaconnaître deux rendez-vousimportants en lien avec la COP22de décembre. Les décisions del’OACI (Organisation de l’avia-tion civile internationale) etcelles de l’OMI (Organisationmaritime internationale) pourdécider du suivi et de la réduc-tion des émissions de GES del’aviation et du transport mari-time sont attendues depuis desannées… Nous devrons les jugeraux actes posés avec un risqueélevé de mauvais compromis! n

*FRANCIS COMBROUZE est syndicaliste, adjoint PCF au maire du XIIIe arrondissement de Paris.

OCTOBRE-NOVEMBRE-DÉCEMBRE 2014 Progressistes AVRIL-MAI-JUIN 2016 Progressistes

FRANCE : PLANIFICATION ET/OU LIBÉRALISATION DE L’ÉNERGIE ET DE SES USAGES ?La stratégie nationale bas carbone (SNBC), adoptée à l’automne 2016 avant laCOP21, comprend des objectifs et mesures de réduction d’ici à 2030 par sec-teur émetteur, ainsi que des budgets carbone par période de cinq ans. En fin d’an-née, la SNBC a été complétée par plusieurs mesures d’application de la loi tran-sition énergétique et croissance verte (TECV). Dans les semaines à venir, unélément essentiel du dispositif, la programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE),va faire l’objet d’une élaboration finale en vue de sa publication. On remarqueraqu’il ne s’agit pas d’une planification limitée à l’électricité mais d’une program-mation de l’ensemble des énergies. C’est positif car, contrairement aux idéesreçues s’agissant de la France, l’électricité vient en second rang derrière les éner-gies fossiles carbonées (gaz, pétrole, charbon…).

Mais le gouvernement Valls et la Commission européenne veulent accélérer lalibéralisation de tous les pans du secteur énergétique : privatisation des barrageshydroélectriques, démantèlement au plus vite pour les usages domestiques dela péréquation tarifaire des énergies gaz et électricité, niches d’opportunités pourla distribution des énergies de réseau à sortir du service public…Le grand écart est frappant. D’un côté, les besoins de planification et d’intercon-nexion à tous niveaux, européen, national, régional, pour répondre aux besoinssociaux et économiques, comme à ceux de la transition de décarbonation néces-saire à la lutte contre le changement climatique. De l’autre, la recherche du pro-fit de court terme pour les entreprises d’un secteur toujours plus concurrentiel,avec des dirigeants patronaux et gouvernementaux se félicitant, le matin, du basprix à moyen terme des énergies fossiles et déplorant, le soir, le refus d’un prixdu carbone mondial ou des « signaux prix » trop faibles pour la population, c’est-à-dire leurs clients… et surtout pas usagers !Au nom de la compétitivité des entreprises, la Commission européenne entendbien pousser la libéralisation accrue au nom de la recherche de bas prix desénergies, fossiles ou non, en faisant croire que les effets des « signaux prix »,sur les consommateurs en premier lieu, permettront de réaliser la transition éner-gétique – comme dans le transport de marchandises ou de voyageurs, qu’elleveut encore libéraliser au nom de la recherche du plus faible prix possible pourles donneurs d’ordres…Les investissements publics pour la mise à niveau d’infrastructures de transportsalternatifs à la route représentent de la dépense publique, et donc du « déficit »et de la planification. En un mot, l’horreur ! Soit les entreprises les financent, carelles y ont intérêt, soit on ne les fait pas !

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Le compteur « intelligent » Linky devrait être installé partout dans cinq ansau plus. Les craintes qu’il suscite sont-elles justifiées ou non ? Présentécomme un atout au service de la transition énergétique, qu’en est-ilconcernant la mission de service publique ?

PAR VALÉRIE GONCALVES*,

ue reste-t-il encore àrégler avant l’arrivée lar-gement annoncée deces compteurs, déjà

chargés de multiples rôles, quesont les compteurs dits « Linky »,terme créé en mars 2009, aprèsle début des nombreuses et trèscomplexes études techniquesque comporte une telle entre-prise.C’est la Commission européennequi, dans le cadre de la libéra-lisation du marché de l’éner-gie, a incité les États à la miseen place des compteurs « intel-ligents ». La généralisation deces compteurs est inscrite dansla loi de transition énergétiquedu 17 août 2015, transpositiond’une directive européennedatant de 2009. Le distributeurEnedis (ex-ERDF) est obligé defournir ce compteur nouvelletechnologie. Le gouvernementlui en a confié le financement,la construction en usine, enFrance, et le déploiement de2015 à 2021. Il a reçu déléga-tion pour son installation et sonexploitation.

D’un point de vue social, alorsque le projet initial prévoyait lasuppression de 5 400 postes,l’action syndicale a obligé l’en-treprise à revoir sa copie.Aujourd’hui, ERDF annonce la

création de 10000 emplois pourla fabrication et la pose descompteurs communicants d’icià 2021.

LES INTENTIONS ANNONCÉESLe compteur électrique com-municant Linky est présentéaux consommateurs commel’outil du mix énergétique et dela maîtrise d’énergie, ambitionpolitique affichée par le gou-vernement français, notam-ment lors de la COP21 et de laloi de transition énergétiquequi vise d’ici à 2050 à diviser pardeux la consommation d’éner-gie primaire, grâce à des actions« ambitieuses » d’efficacité surtoutes les sources d’énergie.Pourtant le compteur n’est qu’unoutil de mesure ! Des écono-mies d’énergie ne seront avé-rées que par un changement decomportement des usagers. Orce sont plus de 11 millions deprécaires qui sont comptabili-sés aujourd’hui, et qui ont deplus en plus de difficultés à faireface à ces dépenses énergétiquesincompressibles ; ils font d’oreset déjà des efforts énormes enréduisant leur chauffage, c’est

le cas pour 42 % des Français.Le coût du déploiement estestimé à 5 milliards d’euros, ilenglobe l’achat du matériel(compteurs et concentrateurs),la pose, le développement du

système d’information et le pilo-tage du programme. Des éco-nomies seront réalisées sur lesinterventions techniques, lesconsommations jusque-là noncomptabilisées et le pilotage duréseau. S’il est vrai qu’aujourd’huile compteur Linky ne doit riencoûter à l’usager pendant sa

phase de déploiement, au finalles coûts d’investissement seront-ils réellement couverts par leséconomies induites ? Si ce n’estpas le cas, à terme un ajuste-ment sera nécessaire, avec lerisque qu’il ne se fasse pas auprofit des usagers.Ce déploiement généraliséimposé par l’Europe et mis enœuvre par le gouvernementaurait dû être financé, de façonpartagée, par l’ensemble desfournisseurs d’électricité (Lam -piris, Direct Énergie, Alterna,Énercoop, EDF, Engie…) quivont « marchandiser » de nou-veaux services.

À QUOI DOIVENT SERVIR CES COMPTEURS?Ils relèveront à distance laconsommation d’électricité jour-nalière, consultable gratuite-ment sous 24 heures sur un siteEnedis dédié et sécurisé; ils faci-literont la détection des pannes;ils permettront une meilleureintégration des énergies renou-velables sur le réseau, assurantun réel équilibre entre la

production et la consommation.Le compteur permettra du jourau lendemain la prise en comptedes demandes de changementde tarif formulées par un four-nisseur. La Commission de régu-lation de l’énergie et Enedis ontconvenu que la régularisationde puissance des compteurs

dont le calibrage pourrait êtretantôt insuffisant, tantôt tropimportant serait gratuite pen-dant un an.Si ce compteur permet que toutesles interventions se fassent àl’avenir à distance dans un délaiet une qualité de service amé-liorés, on peut craindre la dérivepossible des coupures à dis-tance sans qu’un contact phy-sique puisse avoir lieu avec lesplus démunis. Toutefois, laCommission de régulation del’énergie affirme qu’aucunedemande de suspension d’ali-mentation ne pourra se faire sielle n’est pas précédée par ledéplacement du distributeur.À suivre…Linky ne permettra pas, parexemple, un effacement entemps réel du chauffage élec-trique, mais il sera quand mêmeun nouvel outil au service dumarché, car il permettra d’ac-tiver les effacements prévus parla loi de transition énergétique.C’est un nouveau marché juteuxdont bon nombre de fournis-seurs vont s’emparer en propo-

Linky, mythes et réalités sur un compteur électrique

Alors que le projet initial prévoyait la suppression de 5400 postes, l’action syndicale a obligé l’entreprise à revoir sa copie.

Des économies d’énergie ne seront avérées que par unchangement de comportement des usagers.

Progressistes AVRIL-MAI-JUIN 2016

n SERVICE PUBLIC

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sant d’adjoindre un boîtier, ouplug-in, payant, branché sur lecompteur. Cela va amener plé-thore d’offres commerciales –dont le consommateur n’a pasforcément besoin –, déconnec-tées des tarifs réglementés devente (tarifs bleus) dans l’ob-jectif à terme de les faire dispa-raître. Tout cela est un grandbusiness où le but n’est pas unemeilleure façon de consommeret d’économiser de l’énergie

mais la recherche de gains finan-ciers sur le dos des usagers.Cerise sur le gâteau : ces opé-rateurs d’effacement serontrémunérés via un mécanismeimputé sur la contribution duservice public de l’électricité(CSPE). C’est à nouveau l’usa-ger qui va payer ! L’introductiondes compteurs communicantsva permettre de multiplier lesplages tarifaires (aujourd’hui,il existe uniquement le systèmeheures pleines/heures creusesque seul EDF peut proposer ;c’est d’ailleurs un outil indirect

pour stocker de l’énergie entrela nuit et le jour). Les fournis-seurs salivent à l’idée de pro-poser des prix alternatifs, à l’ins-tar de ce qui se pratique dansle marché des télécoms. La miseen place de cette multiplicationde tarifs, adaptés en fonctiondu profil de l’usager, horosai-sonnalisés et différenciés géo-graphiquement, fait évidem-ment peser un risque fort surla péréquation tarifaire.

Pour les collectivités locales, lesystème d’information Linkypermet d’agréger des donnéesde consommation à différentesmailles géographiques. Cela per-mettra par exemple à une col-lectivité locale, à l’échelle d’unquartier, de connaître sa consom-mation réelle, et ainsi d’évaluerl’impact potentiel d’une mesured’économie d’énergie ou d’iden-tifier une zone prioritaire derénovation. Chaque collectivitépourra donc mener plus faci -lement son plan climat-air-énergie territorial (PCAET).

À QUI APPARTIENNENT-ILS?Leurs propriétaires sont les col-lectivités locales concédantes.Elles ont concédé à Enedis lagestion des réseaux de distri-bution dont elles sont proprié-taires. Elles ne peuvent pas léga-lement s’opposer à leur posechez leurs administrés. Toutusager s’engage, par le contratavec son fournisseur, à laisseraccès au compteur pour l’en-tretien et/ou le remplacement.Il ne peut donc s’opposer à cesopérations s’il désire bénéficierde la fourniture d’électricité parle distributeur. Pis, refuser l’ins-tallation du compteur risque-rait d’entraîner une surfactu-ration pour l’usager, car celademanderait une relève phy-sique des compteurs. De plus,le plan de financement prévoitdes pénalités en cas de non-respect des délais de déploie-

ment ou de dysfonctionnementpour Enedis, ce qui aurait de fortes chances d’avoir desrépercussions sur l’emploi etsur l’investissement.

LINKY ET LA SANTÉL’électrosensibilité ne concerneque les émissions d’ondes radio-électriques (mobile, wi-fi…), orLinky n’en émet pas. Il utilisela technologie du courant por-teur en ligne (CPL). Concernantle champ électromagnétique,le compteur respecte largementles normes sanitaires définiesau niveau européen et français.À titre de comparaison, un télé-phone portable émet 100 V/m,alors que Linky en émet 0,000 3.

LA PROTECTION DESDONNÉES PERSONNELLESEnedis répond au cadrage de laCommission nationale de l’in-formatique et des libertés et del’Agence nationale pour la sécu-rité des systèmes d’informa-tion. La Commission de régu-lation de l’énergie (CRE) contrôleaussi le respect de la préserva-

tion de la confidentialité sur desinformations commercialementsensibles.Ces informations anonymes,communiquées par Linky, necomportent pas de donnéespersonnelles. Elles sont agré-gées et cryptées dès leur ori-gine, au niveau du compteur etcirculent par une connexionsécurisée.Les données sont la propriétédes clients. Un accord est néces-saire pour leur utilisation endehors du cadre du contrat defourniture d’électricité. Cettemesure de protection des don-nées dérange bien évidemmenttous les fournisseurs alterna-tifs en embuscade, qui voientdans l’accès à ces informationsune occasion de proposer desoffres commerciales aux usa-gers, bouleversant les politiquestarifaires et créant de la confu-

sion entre tarifs régulés et tarifsde marché au risque plus queprobable de mettre fin aux pre-miers. D’ailleurs, tout récem-ment la Cour de justice del’Union européenne vient deprendre un arrêté qui stipuleque « les tarifs réglementés nesont pas compatibles avec le droiteuropéen, constituant une entraveà un marché concurrentiel ».C’est une nouvelle attaque in -ad missible !

Pour le PCF, le compteur Linkydoit être au service des usagersdans le cadre du service publicet avoir, dans ce cadre, une uti-lité sur les économies. En aucuncas, il ne doit être un nouveloutil pour augmenter les pro-fits de quelques-uns. n

*VALÉRIE GONCALVES est membre du CN du PCF et coanimatrice du pôle Énergie.

OCTOBRE-NOVEMBRE-DÉCEMBRE 2014 Progressistes

Le compteur permettra du jour au lendemain la prise encompte des demandes de changement de tarif.

Ces informations anonymes, communiquées par Linky, ne comportent pas de données personnelles.

AVRIL-MAI-JUIN 2016 Progressistes

ÉCRIVEZ-NOUS À [email protected]

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Le nouveau compteur Linky « intelligent».

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PAR ALAIN BOBBIO*,

Association nationale dedéfense des victimes del’amiante (Andeva) est

née en février 1996. Dès sa créa-tion, elle se bat notamment pourl’interdiction de ce matériaucancérogène ainsi que pour l’in-demnisation des victimes et deleurs familles ; pour les per-sonnes exposées ou ayant étéexposées à ce matériau, sonaction a abouti à l’obtentiond’un suivi médical et de la pré-retraite amiante, mais aussi àl’établissement d’une réglemen-tation visant à prévenir le risquepar la suppression ou le confi-nement de l’amiante en place.Cela dit, un procès pénal pourjuger les responsables de cettegigantesque catastrophe sani-taire est indispensable.

UN PEU D’HISTOIREL’amiante ne fut interdit enFrance que le 1er janvier 1997,alors que le caractère cancé-rogène de ce matériau étaitconnu depuis plus d’un siècle.La cata strophe était déjà là :

10 morts par jour, 100 000 mortsannoncées, et 20 millions detonnes d’amiante disséminéesdans les hôpitaux, les écolesou les HLM.La mission première de l’Andevaet de ses associations localesfut d’accueillir des victimes et

des familles en leur apportantune écoute et une aide pourfaire valoir leurs droits auprèsde l’administration et des tri-bunaux. Elle agit aussi pourchanger la loi et conquérir denouveaux droits : en finir avecles discriminations pénalisantla reconnaissance des patho -logies respiratoires, faire évo-luer les tableaux de maladiesprofessionnelles, relever la rentede conjoint survivant, faire sau-ter le barrage de la prescriptiondes dossiers…Les actions en « faute inexcu-sable de l’employeur » furentun formidable levier pour tirerles indemnisations vers le haut.Elles ont permis de majorer larente Sécurité sociale (voirAmeli.fr), d’indemniser les souf-frances physiques et morales,la perte de qualité de vie, le pré-judice esthétique… et de fairereconnaître la responsabilité del’employeur. Avant la créationde l’Andeva, ces actions étaientrarissimes pour des maladiesprofessionnelles ; depuis, pourles victimes de l’amiante, on encompte en moyenne près d’un

millier par an depuis vingt ans.Presque toutes ont été victo-rieuses. Les arrêts « amiante »rendus le 28 février 2002 par laCour de cassation ont révolu-tionné la jurisprudence en ins-taurant une « obligation de sécu-rité de résultat » pour l’employeur,

qui vaut pour toutes les mala-dies professionnelles et tous lesaccidents du travail.La création du FIVA (Fonds d’in-demnisation des victimes del’amiante) en 2002 fut une consé-quence de ce véritable raz-de-marée judiciaire. Ce fonds répareen routine l’ensemble des pré-judices de toutes les victimesde l’amiante (professionnelleset environnementales) et detous leurs ayants droit, pourtoutes les maladies liées àl’amiante, sans que ceux-ci aient

à démontrer l’existence d’unefaute. De 2002 à 2014, il a verséplus de 200 000 indemnisations(victimes, ayants droit, indem-nisations complémentaires)pour un montant cumulé de4,420 milliards d’euros. Si lesvictimes indemnisées par leFIVA ne peuvent être indemni-sées deux fois des mêmes pré-judices, elles conservent le droitd’ester en justice pour contes-ter son offre ; elles peuvent aussiagir à ses côtés pour faire recon-naître la faute inexcusable et,

n SANTÉ AU TRAVAIL

Progressistes JUILLET-AOÛT-SEPTEMBRE 2016

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Les conquêtes arrachées par vingt années de lutte des victimes de l’amiante sontimpressionnantes. Mais la route est encore longue pour qu’elles obtiennent justice. Etles avancées sont aujourd’hui menacées.

Ces résultats impressionnants n’auraient jamais étéobtenus sans l’existence d’un puissant mouvementsocial de victimes.

La longue marche des victimes de l’amiante

ENVIRONNEMENT & SOCIÉTÉ

L’

Mémorial en hommage aux victimes de l’amiante à Brest.

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au pénal, pour obtenir la sanc-tion de l’employeur. Depuis lacréation du FIVA, d’autres com-bats ont permis de faire passerle délai de prescription de 4 à10 ans (« repêchant » ainsi600 dossiers qui avaient été reje-tés) et de faire annuler lesdemandes abusives du FIVA,qui, arguant d’un trop-perçu,réclamait de façon insuppor-table à plusieurs centaines devictimes le remboursement d’in-

demnités qu’il leur avait ver-sées trois ans plus tôt.Dès 1997, l’Andeva a milité pourune préretraite amiante.L’allocation de cessation anti-cipée d’activité des trav ailleursde l’amiante (ACAATA) a étécréée en 1999 pour les salariésdu régime général dont l’éta-blissement est inscrit sur uneliste officielle ou pour ceux dontla maladie professionnelle estreconnue. Le dispositif initialexcluait les personnes atteintesde plaques pleurales (les deuxtiers des malades par l’amiante !)et se limitait aux industries defabrication et de transforma-tion de l’amiante. La mobilisa-tion associative et syndicale apermis d’élargir le dispositif àtoutes les pathologies recon-nues et d’étendre à la navale et aux dockers le champ des personnes exposées au flo-cage/calorifugeage. À ce jour,87 000 personnes ont bénéficiéde l’ACAATA. Vivant sous lamenace de contracter une mala-die grave due à l’amiante, plu-sieurs milliers d’entre elles ontaussi obtenu la reconnaissanced’un préjudice d’anxiété.En matière de prévention durisque « amiante », l’Andevaapporta dès 1996 sa contribu-tion à l’élaboration des décrets« travail » et « bâtiments », per-mettant les évolutions succes-sives qui ont fait de la régle-

mentation française l’une desplus avancées du monde, touten critiquant la faiblesse desmoyens mis en œuvre pourcontrôler l’effectivité de l’ap-plication des textes.

DES AVANCÉES…Ces résultats impressionnantsn’auraient jamais été obtenussans l’existence d’un puissantmouvement social de victimes,dont les marches silencieuses

des veuves de Dunkerque sontdevenues le vivant symbole.Pour que ce mouvement se struc-ture et soit efficace, il a falluinventer un fonctionnementassociatif permettant à des per-sonnes d’opinions très diversesd’unir leurs forces pour unemême cause. Il a fallu élaborerdes stratégies combinant desmobilisations de rue et desactions judiciaires plaidées dansdes salles d’audience rempliesde victimes. Des propositionsargumentées ont par ailleursété présentées aux pouvoirspublics et aux parlementaires,tout cela dans le souci perma-nent de construire des syner-gies avec le mouvement syndi-cal, mutualiste et associatif.Vingt ans après la création del’Andeva, dans un contexte for-tement marqué par la régres-sion sociale, le mouvement desvictimes de l’amiante doit à lafois continuer à avancer et nepas perdre ce qu’il a conquis.L’Andeva a su arracher de nou-velles avancées, comme :– l’extension de la cessationanticipée d’activité aux fonc-tionnaires dont la maladie a étéreconnue ;– la prise en charge par le FIVAdes décès reconnus d’origineprofessionnelle ;– l’abaissement de seuil de 6 000à 100 fibres d’amiante par litred’air, seuil au-delà duquel toute

dérogation est interdite pourles jeunes travailleurs de moinsde 18 ans ;– enfin, la mise en ligne surInternet de l’étude des dossierstechniques amiante.L’association a investi de nou-veaux champs d’action, enouvrant un dialogue médecins-malades avec MESOCLIN – nomdu Réseau national d’expert surle mésothéliome pleural malin(MPM) ou, plus simplement,réseau d’étude de tumeurs rares– sur la recherche, les traite-ments, le suivi médical, l’ac-compagnement des patients etdes familles… Il ne faut pasoublier que le retard de dia gnos-tic de cette affection est à rap-procher du délai de latence deces tumeurs, qui peut atteindre30 à 40 ans.

… ET DES OBSTACLESLa situation est difficile. Lesemployeurs sont passés à l’of-fensive pour réduire leurscharges, s’affranchir descontraintes du Code du travailet fuir leurs responsabilités tantciviles que pénales. Et le gou-vernement se plie à leurs exi-

gences, ce qui a des effets néfastessur l’indemnisation, la jurispru-dence, la prévention et l’actionpénale contre les responsables.Le niveau moyen des indemni-sations octroyées par les coursd’appel pour faute inexcusableet pour contestation de l’offredu FIVA baisse fortement. LaCour de cassation, quant à elle,a restreint le préjudice d’anxiétéaux seuls établissements ouvrantdroit à l’ACAATA. Le Conseild’État, enfin, a permis auxemployeurs condamnés de seretourner contre l’État pour fairepayer leur faute inexcusable parles contribuables. Un mauvaisvent souffle sur la justice.La mise en pièces du Code dutravail, la remise en cause desCHSCT, l’affaiblissement des

prud’hommes font sauter lesdigues censées protéger la santéet la sécurité des salariés lesplus fragiles. Elles tournent ledos à la prévention, préparantune nouvelle génération de vic-times de maladies profession-nelles évitables dans les pro-chaines décennies.La perspective d’un procès pénaldes responsables se heurte à denouveaux obstacles : vingt ansaprès le dépôt des premièresplaintes pénales, cette héca-tombe évitable n’a toujours niresponsable ni coupable. LaCour de cassation a validé l’an-nulation des mises en examendes responsables de l’État, dela haute administration et ducomité permanent amiante,dans le dossier Condé-sur-Noireau, cette « vallée de la mort »en Normandie où pas une famillen’a été épargnée par l’amiante.Alors que le premier procèspénal de l’amiante avait étéannoncé pour 2015, les magis-trats du pôle de santé publiqueviennent de décider une exper-tise scientifique qui, dans lemeilleur des cas, retardera encorele procès d’un an.

Le chemin vers la justice estdonc semé d’obstacles, en Francecomme en Italie, où la cour decassation de Rome a relaxé lepropriétaire suisse des usinesitaliennes d’Eternit, que la courd’appel de Turin avait condamnéà dix-huit ans de prison. Il nereste pas moins que la solida-rité internationale des victimesest un formidable encourage-ment à continuer ce dur com-bat quels que soient les échecset les difficultés. Toutes les leçonsde la tragédie doivent être tirées.L’enjeu n’est pas d’assouvir unevengeance, mais de protéger lesgénérations futures. n

*ALAIN BOBBIO est président de l’Addeva 93 et membre du CA de l’Andeva.

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JUILLET-AOÛT-SEPTEMBRE 2016 Progressistes

La mise en pièces du Code du travail, la remise encause des CHSCT, l’affaiblissement des prud’hommesfont sauter les digues censées protéger la santé.

L’enjeu n’est pas d’assouvir une vengeance, mais de protéger les générations futures.

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LIVRES48

Le physicien Hubert Krivine, avec un savoir-faire pédagogiquemagistral qui combine pêle-mêle humour, exemples de la viecourante et, surtout, appel à la réflexion en écartant des idéestoutes faites, nous donne une leçon de bon sens qui nous écartede la pensée magique et des raccourcis non justifiés. Mais toutcela est fait avec une simplicité et une économie de moyenstelles que le lecteur comprend avant d’apprendre (les quelqueséléments mathématiques sont relégués dans des annexes, dontla lecture relève plus du « j’en veux encore » que du besoin) ;c’est incroyable ce que l’on y apprend sur le monde qui nousentoure, et ce que l’on rejette comme raisonnements biaisés,préjugés et balivernes. Un livre à mettre donc entre toutes lesmains, à l’exception de celles des non-progressistes qui sou-haiteraient continuer de l’être.Ce texte comporte aussi une postface de Guillaume Lecointre,grand connaisseur de l’évolution et grand chercheur, ce qui signi-fie qu’il est bien conscient de ce qu’on sait, de ce qu’on ne saitpas et des voies par lesquelles on parvient parfois à le faire bas-culer dans le connu. À l’aide d’exemples clairs, il donne une des-cription schématique des phénomènes déterminés et indétermi-nés, de leur caractère nécessaire ou non et de leur prédictibilité.Un texte précis et bienvenu pour nous aider à nous situer dans laconnaissance scientifique… et tout simplement dans le monde.

EVARISTE SANCHEZ-PALENCIA

Les Variations du mouvement.Abū al-Barakāt,un physicien à Bagdad(VIe/XIIe siècle)SYLVIE NONYInstitut français d’archéologieorientale, Le Caire, 2016, 320 p.Le travail de Sylvie Nony autourde l’œuvre de Abū al-Barakāt, unjuif irakien du XIIe siècle converti

à l’islam, nous montre que non seulement les savants arabes, àla suite de la relecture critique d’Aristote faite par Philipon puisAvicenne, se sont emparés de l’héritage grec, mais qu’ils l’ontaussi très subtilement questionné.Pourquoi la pierre lancée en l’air poursuit-elle son mouvementloin de la main du lanceur et pourquoi ralentit-elle ensuite ? Cemouvement serait-il possible dans le vide infini ? S’arrête-t-il untemps, en haut de la trajectoire ? Quelle continuité y a-t-il entrele « montant » et le « descendant » ? Plusieurs causes peuvent-elles coexister dans le mobile ? Et pourquoi sa vitesse augmente-t-elle à la fin ? Depuis l’Antiquité, cette expérience de pensée asuscité des discussions passionnées car elle met à l’épreuve lesprincipes fondamentaux de la philosophie de la Nature. Reprisedans l’Antiquité tardive puis transmise en Orient, la controverseest encore vivante lorsque Abū al-Barakāt en renouvelle l’ap-proche. Son œuvre philosophique – écrite en arabe – intègre lesapports des philosophes et mathématiciens de son temps, maisaussi ceux de la théologie rationnelle – le kalām – qui, depuis laRéfutation d’al-Ghazālī, autorise une critique de la pensée aris-

Pollutionspatiale. L’étatd’urgenceCHRISTOPHE BONNALBelin, 2016, 240 p.

La conquête spatiale s’accom-pagne d’une pollution particu-lière : la prolifération des débrisspatiaux. Si celle-ci n’attente pasaux êtres vivants, elle n’en est pasmoins dangereuse et menace, àterme, la poursuite de l’exploi-tation de l’espace, désormaisindispensable à nos sociétés (télé-

communications, navigation, observation de la Terre, etc.). L’étatdes lieux est inquiétant ; en effet, il apparaît que 94 % des quelque29 000 objets actuellement en orbite sont des débris : satelliteséteints, étages supérieurs de fusées, résidus de collisions.Les moyens au sol permettent la détection des plus gros, à partirde quelques centimètres. Si les plus petits, indétectables pourl’heure, accélèrent la dégradation du fonctionnement des satel-lites, les premiers peuvent provoquer des collisions et faire explo-ser de nombreux autres débris. À terme se profile le syndrome deKessler : une hausse du nombre de débris interdisant, de fait, l’ac-cès à l’espace. Les risques sont non seulement en orbite, maiségalement au sol : des rentrées atmosphériques potentiellementincontrôlées ne sont pas à écarter. La prévision de celles-ci estcertes difficile, c’est pourquoi le nettoyage de l’espace est envi-sagé. Des solutions techniques sont à l’étude, mais se pose la ques-tion : qui paiera ?Alors que se profile le déploiement de nombreux projets, ce livreest un appel à agir pour faire appliquer les règles existantes en lamatière, réguler l’accès à l’espace et en responsabiliser les acteurs.

JONATHAN CHENAL

Petit Traité de hasardologieHUBERT KRIVINECassini, Paris, 2016,170 p.

Voici que l’auteur de laTerre, des mythes au savoiret de De l’atome imaginéà l’atome découvert. Contrele relativisme nous régaleune fois de plus avec untexte attractif, pédago-gique et lucide dans undomaine où chacun denous voudrait en savoirun peu plus. Le hasard, lesprobabilités, les phéno-mènes rares mais impor-tants (à quel point de vue?),leur rapport à notre igno-rance, ne sont-ils pas des

questions fascinantes, toujours renouvelées par une actualité quitransforme l’attendu et parfois l’inattendu en histoire ?

Progressistes JUILLET-AOÛT-SEPTEMBRE 2016

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totélicienne orthodoxe. Il reconstruit hardiment les notions d’es-pace, de vide, de temps, d’infini, de continu, et met en cause les« enveloppes » dans lesquelles les péripatéticiens enfermaient lemonde.Le présent ouvrage nous guide ainsi dans un réseau complexe detextes, de concepts, et met en lumière les apports de la physiquemédiévale arabe.L’auteur interroge à cette occasion la nature des filtres qui ontempêché jusque-là d’en restituer toute la portée. L’histoire dessciences, parfois obnubilée par la recherche des continuités, peineen effet à identifier les inventions audacieuses lorsque celles-cine semblent pas aller « dans le sens de l’histoire ». Fresque pas-sionnante du monde médiéval savant arabo-musulman, ce livrecomblera tous les amateurs de l’histoire des sciences « réellementexistante ».

HUBERT KRIVINE

Cerveauaugmenté,homme diminuéMIGUEL BENASAYAGLa Découverte, Paris, 2016,200 p.L’auteur de ce livre, philosopheet psychanalyste, est un grandconnaisseur des sciences cog-nitives, qu’il met constammentà contribution pour recadrerune pensée unique qui risquede nous envoyer une imagedéformée et trompeuse desconséquences des progrèsrapides de l’informatique et de

la robotique. Miguel Benasayag nous rappelle que « la fonctionprincipale du cerveau est la compréhension, la capacité de don-ner un sens à ce qui arrive ».L’idée de sens traverse tout le livre, il en va de même de la diffé-rence fondamentale entre une MED (machine à états discrets) etun cerveau. Toute partie abîmée du disque dur d’une MED nousprive de ce qu’elle contenait. L’ordinateur ne peut compenser parl’intégration d’autres fonctions la partie affectée. Le cerveau enest capable, car l’acquisition d’une connaissance implique unemodification du cerveau lui-même en créant de nouvelles connexionset de nouveaux réseaux. « Ceux qui considèrent comme intelli-gentes les activités d’un sujet séparées de la compréhension tom-bent dans une sorte de métaphysique technologique aujourd’huidominante, sans même s’en rendre compte. » Bien entendu, le sens joue un rôle fondamental sur la mémoireà long terme, si bien que, dans le « cerveau augmenté » par desprothèses informatiques, l’oubli étant impossible, il n’y a pas dehiérarchisation des souvenirs, condition d’émergence de la sin-gularité de la personne.Mais l’auteur n’est nullement opposé à la révolution numérique.Il nous rappelle les controverses qui accompagnaient l’inventionde l’imprimerie ; selon certains, en favorisant sans contrôle la mul-tiplication et la diffusion des textes, l’imprimerie allait encoura-ger l’ignorance, car l’impossibilité de contrôler l’interprétation dutexte entraînerait une diminution de l’intelligence des lecteurs !

EVARISTE SANCHEZ-PALENCIA

Sans domicile fisc ALAIN ET ÉRIC BOCQUETCherche Midi, 2016,288 p.

Un livre sur la fiscalité ? Certainspourraient faire l’erreur depenser au premier abord,devant ce sujet, à un ouvragetechnique à destination prio-ritaire d’économistes avertis.Il n’en est rien. Le dernier livred’Alain et Éric Bocquetdénonce et analyse avec unegrande clarté le pillage colos-sal que constitue à l’échellede notre planète la fraude fis-

cale, mais aussi les conséquences qu’elle a sur nos vies.Il s’agit non seulement de dénoncer les inégalités en tant quetelles, mais aussi de mettre en avant le fait que « ce racket […] est [aussi] un crime contre la paix » et que les répercussions sontmultiples.Dans un contexte de domination de l’argent roi, le talent desauteurs est de montrer à quel point la problématique de l’évasionfiscale est liée à l’organisation de nos sociétés. Les fortes consé-quences sur l’équilibre général de nos vies et de la planète sontévidentes, ce qui nous amène à mesurer l’importance de l’impli-cation des citoyens.C’est aussi un livre d’espoir et de lutte contre le fatalisme. Se bat-tre contre ce scandale est une nécessité et un devoir si nous sou-haitons léguer à nos descendants un monde meilleur, plus juste,nourri du courage de tous ceux qui refusent l’inacceptable. Laproposition forte d’une conférence internationale sur la fiscalité,à l’image de la COP21 sur les problématiques environnementales,apparaît à la hauteur des enjeux actuels.Un livre salutaire et incontournable.

PIERRE SERRA

la Revue du projet N o 61 - novembre 2016

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Pour une transition énergétique réussie

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Progressistes JUILLET-AOÛT-SEPTEMBRE 2016

POLITIQUE50

Du côté du PCF et des progressistes...

Jeunesse sacrifiée?ou engagée!La Revue du projet no 59

« La jeunesse est l’avenir de la société »,si la proposition est unanimementacceptée, même parmi les franges lesplus réactionnaires de la « classe » poli-tique, il est clair que la jeunesse demeure

en première ligne sur le front des inégalités et de la relégationsociale. Dégradation des conditions d’étude, stages d’attenteà répétition, chômage pensé comme inéluctable et taux depauvreté trois fois supérieur à celui des seniors… les indica-teurs de cette guerre menée à la jeunesse sont éloquents. Etpourtant elle résiste, cette jeunesse, et constitue, de la luttecontre le CPE à celle contre la loi « travail », l’une des forcesles plus décisives du mouvement social. Des Indignés auxPrintemps arabes, en passant par les mouvements étudiantsau Québec et au Chili, cette action décisive de la jeunesse peuts’observer tout autour du globe.Malheureusement, privés d’espoir et d’un horizon enthou-siasmant, une partie de jeunes se réfugie dans la haine et lafascination morbide portées par des organisations commeDaesh, ainsi que l’actualité le rappelle bien douloureusement.Le défi est immense compte tenu des enjeux actuels commedes relations historiques entre mouvement communiste etjeunesse, voilà pourquoi la Revue du projet a décidé d’y consa-crer son dossier de septembre.

Enseigner : quel travail ?Carnets rouges no 7, juin 2016

Quel travail? Et d’abord : quel travail ! Ce nou-veau numéro de Carnets rouges réaffirmeque l’enseignement est bel et bien un métier,qui s’apprend, et que les enseignants travail-

lent… et ce bien au-delà des heures de cours. Si l’attention seporte sur les enseignants, c’est en fait la part intellectuelle detout travail qui est rappelée. Parce qu’elle est peu visible etparce qu’elle ne saurait être clairement distinguée du tempsprivé des loisirs, cette dernière n’est que rarement reconnue.Le cas des enseignants fait cependant exception, puisque c’estprécisément la reconnaissance de ce temps nécessaire au travail intellectuel qui justifie le temps relativement réduitdevant la classe.En même temps que le travail des enseignants apparaît dansce numéro comme un prisme pour mieux percevoir les enjeuxliés au travail en général, il est souligné que le travail des ensei-gnants est un travail comme les autres. Une dialectique bien-venue dans le contexte de la mobilisation contre la loi ElKhomri. De la formation des enseignants à la reconnaissanceau travail, en passant par le statut des fonctionnaires et par laliberté pédagogique, ce numéro tente d’interroger le travaildes enseignants sous toutes ces facettes.

Lancement de Féminisme &Révolution, un magazine en ligne

Laurence Cohen et Hélène Bidard, dans le cadre de la commis-sion Droit des femmes du Conseil national du PCF, lancent Féminisme& Révolution ; son objectif : instruire sur l’actualité de la penséeféministe et l’actualité du droit des femmes. Laurence Cohenexplique : « Alors que la société prône l’individualisme à outrance,le chacun(e) pour soi, l’argent roi, n’ayons pas peur de penser soli-darité, entraide, partage, égalité dans le respect de chacune et cha-cun. Mais comment parler d’égalité quand de trop nombreusesfemmes ne sont toujours pas des êtres libres et indépendants éco-nomiquement, politiquement et sexuellement ?« Bien entendu, les situations sont variables selon les pays du mondeet les luttes qui ont été menées arrachant tels ou tels droits. Mais,sur le fond, comment ne pas s’interroger ? Comment justifier lesécarts de salaires, les rôles assignés, la liberté encadrée de se dépla-cer du simple fait d’être nées femmes ? Comment minorer, voire jus-tifier, que certains hommes prennent le corps des femmes pour unchamp de bataille ? »Le féminisme est aujourd’hui un combat d’actualité. Rendre leféminisme réel et les droits des femmes effectifs dans notre sociétéserait une véritable révolution que nous aurons besoin de menerà bien si nous voulons la société communiste émancipée quenous prônons. L’édito du magazine rappelle que « En 2016, enFrance, on jette en prison Jacqueline Sauvage pour avoir tué sonbourreau de mari ; en Turquie, la militante trans Hande Kader estassassinée, et dans tous les pays en guerre le viol est érigé commeune arme de destruction massive. Il est urgent de faire reculer tousles obscurantismes qui aliènent les femmes, obstacle à toute éman-cipation humaine. Ce combat est majeur pour transformer la sociétéet il passe par une véritable révolution féministe ».C’est pourquoi Laurence Cohen écrit : « Nous voulons créer cemagazine web, ce nouvel outil de communication pour mieuxrelayer, renforcer, débattre et mettre en partage luttes et réflexionsd’un point de vue communiste et féministe. Ce site s’adresse doncà toutes celles et à tous ceux qui veulent participer à ce combat. »

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JUILLET-AOÛT-SEPTEMBRE 2016 Progressistes

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JUILLET-AOÛT-SEPTEMBRE 2016 Progressistes

ROSETTA A PRIS SA RETRAITE APRÈSDE SURPRENANTES DÉCOUVERTES

Rosetta, la sonde euro-péenne, a terminé avecsuccès sa mission le ven-dredi 30 septembre 2016,

après une épopée qui aura duré douze années etdemie. En se laissant doucement tomber sur lasurface de la comète Tchouri, située à 720 mil-lions de kilomètres de la Terre, elle a retrouvé sonatterrisseur Philae.

Les données considérables collectées vont main-tenant être exploitées. Entre la présence d’eausous une nouvelle forme moléculaire, différentede celle des océans terrestres, et la détectiond’une importante quantité de cette eau, les pers-pectives sont vastes. D’autant plus qu’ont ététrouvés aussi de la glycine, un acide aminé consti-tuant des protéines, des oxydes de carbone etdes molécules organiques telles que du méthaneet de l’ammoniac. Les premières pièces du puz-zle des traces du vivant.Pour l’anecdote, la sonde inerte accrochée à sonultime demeure contient un minuscule disquemicrogravé avec des textes en 1500 langues. Undisque dur unique, mais universel, faisant du petitastre une mémoire hors du commun pour lesgénérations à venir et un témoin d’excellenceainsi que de réussite spatiale européenne. n

La biodiversité : un enjeu d’humanité

iodiversité», terme formé du grec bio, «vie», et de «diver-sité», désigne la multiplicité, naturelle ou non, des orga-nismes vivants de la Terre. Dans la continuité des débats

engagés en 2015 sur le climat, la commission Écologie du PCF a orga-nisé tout au long du mois d’octobre 2016 une série de rencontres,débats et auditions, ainsi qu’une exposition au rez-de-chaussée duConseil national, autour de la problématique de la biodiversité.Trois débats d’importances ont ponctué le mois : « Sauvons les

abeilles », « Science et biodiversité » et « Avancés et limite de la loiPréservation de la biodiversité, de la nature et des paysages ». Yont participé parlementaires, scientifiques, syndicalistes pourdénoncer, sensibiliser et agir… parce que connaître et compren-dre la biodiversité sont les premières étapes pour en faire un com-mun essentiel de l’humanité.L’ensemble de ces contributions est de nature à enrichir la réflexioncommuniste. n

P. Laurent, secrétaire national du PCF, S. Thiébault, directrice de l’institut Écologie et environnement du CNRS, L. Abadi, professeur à l’université Pierre-et-Marie-Curie, directeur du laborateur Bioemco, et P.H. Gouyon, professeur au Muséum d’histoire naturelle de Paris.

«B

BRÈVES

Jean-Pierre Sauvage : la preuve par le contre-exemple

Le chercheur Jean-Pierre Sauvage fait partie du triorécompensé par l’académie de Stockholm du prix Nobelde chimie pour leurs travaux sur les machines molé-culaires.Voilà donc qu’après une décennie de marche du bull-dozer libéral (loi Pécresse, dite LRU, en 2007; loi Fiorasoen 2013…) qui a précarisé et réduit les capacités derecherche des laboratoires de l’université publiquefrançaise à grands coups d’appels à projets, de réduc-tions d’enveloppes budgétaires et de labels d’excel-

lence, un chercheur français atypique est distingué par le Nobel.Oui, atypique car le parcours de Jean-Pierre Sauvage est celui d’un chercheurqui a conservé un profil de plus en plus marqué à contre-courant de la miseen concurrence permanente et de la précarité ambiante : un statut de fonc-tionnaire, un exercice de recherche fondamentale, avec stabilité profession-nelle à l’université de Strasbourg et toujours au sein du CNRS. Une preuveindiscutable de ce qu’il faut faire concernant le cadre des conditions detravail pour l’actuelle armée de chercheurs en CDD et pour les doctorantsnon financés au cours de leur thèse, pour ne citer que ces deux exemples. n

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