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Rendez-vous sorcier avec Carlos Castaneda

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Rendez-vous sorcier avec Carlos Castaneda

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DU MÊME AUTEUR

Demis Roussos. Question de poids Paris, 1982, Michel Lafon-Carrère.

Demis Roussos. Manger maigrir, Paris, 1983, Michel Lafon-Carrère.

Le livre de l'argile, des origines à la nouvelle médecine, Paris, 1985, Michel Lafon-Carrère.

Formule Champion, Paris, 1987, Olivier Orban-Michel Lafon.

TRADUCTION

Linda Evans. Santé beauté forme, Paris, 1984, Michel Lafon-Carrère.

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Véronique Skawinska

R e n d e z - v o u s

s o r c i e r

a v e c C a r l o s

C a s t a n e d a

Page 5: Rendez-vous sorcier avec Carlos Castaneda

© by Éditions Denoël 1989 30, rue de l'Université, 75007 Paris

ISBN 2.207.23631.5 B 2 3 6 6 1 . 3

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Et un beau jour il accomplit un acte pratiquement impos- sible à accomplir ordinairement. Il se peut qu'il ne se rende pas lui-même compte de son extraordinaire exploit.

1. Carlos Castaneda, Voir, Paris, 1973, éd. Gallimard, p. 150.

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1 .

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Manhattan étincelait comme un faisceau de cristaux de quartz. Les aiguilles de verre des buildings s'ouvraient pour absorber le ciel. En travers de la baie, la statue de la Liberté allongeait son ombre sur quelques minuscules remorqueurs. Je devais réussir. Mais comment? Toutes les personnes consultées m'avaient prévenue : impossible ! Il était totalement impossible de rencontrer Carlos Castaneda si l'initiative ne venait pas de lui. Et il n'avait aucunement décidé de me recevoir. Pas la moindre réponse à mes lettres.

J'avais demandé à l'hôtesse un siège près du hublot. C'était la première fois que je venais à New York. Les occasions de faire le voyage n'avaient pourtant pas manqué. Journaliste à Paris- Match, j'avais été missionnée pour y réaliser une interview d'une personnalité universitaire. Ma célébrité fut brusquement obligée de quitter la ville. A la dernière minute, le rendez-vous fut reporté à une date ultérieure. Date qui n'a jamais été fixée. Pen- dant les dix années où je vécus à Londres avec le compositeur Vangelis Papathanassiou, il fut souvent question de nous embar- quer pour le Nouveau Monde. Toute carrière musicale se doit d'obtenir un jour ou l'autre l'assentiment et la sympathie des Américains. Au grand désespoir de son manager et des diri- geants de sa maison de disques, jamais Vangelis ne consentit à traverser l'Océan. Même sa nomination aux Oscars en 1982 pour la musique du superbe film de Hugh Hudson Les Chariots

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de feu ne parvint pas à arracher ce génie des synthétiseurs à l'enracinement européen.

Après notre séparation, je m'installai de nouveau à Paris. Le voyage aux Amériques apparut encore à l'horizon. J'avais été invitée à me rendre au Canada pour une affaire éditoriale. Au dernier moment, l'opération fut reportée. Cette succession d'obstacles était décidément agaçante. Mais cette fois, rien, per- sonne n'avait pu m'empêcher de faire le voyage, comme s'il s'agissait de réaliser mon vieux rêve. En fait, j'y venais sur commande. Et pour mener à bien tout autre chose qu'une aven- ture de touriste.

Après un large cercle au-dessus de la ville, le jumbo de la T.W.A. se posa lourdement sur la piste du John Fitzgerald Ken- nedy Airport. Mon bagage passa la douane sans encombre. Je trouvai tout de suite un taxi ; il était jaune, démesuré, aux dimen- sions du pays. Il glissa en silence sur le ruban de l'autoroute. Je me laissai emporter sans penser, toute à l'étrangeté d'être ail- leurs, perdue dans l'immensité d'un continent qui dessinait ses lignes de force mobiles : courbes rapides des échangeurs, voies circulantes à double sens, câbles électriques sciant le ciel. Sou- dain, il y eut un grand pont. Une bouffée d'enthousiasme gonfla ma poitrine. C'étaient de bons signes. D'un coup, l'espace s'engouffra entre deux murailles de béton. Nous étions en ville. La voiture s'arrêta au coin de la Seconde Avenue et de la 4 7 Rue. C'était presque trop rapide, cette arrivée.

Aimel m'avait dit : « Surveillez les moindres détails. » Est-ce que c'était cela, les détails à surveiller? Elle les démêlait si bien, elle! J'en avais transformé son nom. Je l'appelais secrètement « Elle démêle », avec autant d'amusement que d'envie...

Le portier de l'immeuble - bureau, uniforme - m'annonça solennellement que j'étais attendue au douzième étage. Est-ce qu'elle aurait compté cela comme signe?

Gunilla m'accueillit dans un affectueux fracas d'effusions. Depuis des années, je n'avais pas revu mon explosive amie sué- doise. Nous avions travaillé ensemble, à Paris, auprès de Marie- Thérèse de Brosses dont l'expérience et l'amitié avaient guidé mes premiers pas de journaliste. A Paris-Match, c'était éton-

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nant de trouver, dans une des grandes rédactrices, une personne comme elle, sensibilisée à tous les problèmes de la Connaissance, au point qu'elle devait devenir, plus tard, la légataire des tra- vaux de Raymond Abellio. C'était un peu sous son égide que Gunilla et moi étions devenues d'intimes amies. Il me semblait que nos retrouvailles se plaçaient ainsi sous la haute main de la Connaissance.

Émigrée aux États-Unis, Gunilla avait épousé en même temps un titre de noblesse et un homme d'affaires, l'un et l'autre bien français. Collectionneur d'art primitif, le comte de Montaigu avait rassemblé dans son petit appartement une impressionnante peuplade de puissances masquées. Il avait fallu quasiment par- tager le dîner avec elles. Roland et Gunilla se retirèrent tôt dans leur chambre, me laissant à la merci de cette sombre foule gri- maçante. J'arrangeai les coussins du canapé à même la moquette du salon pour me fabriquer un matelas de fortune dans le peu d'espace que me consentait cette décoration sauvage.

J'avais à peine éteint la lampe que la horde sorcière se mit à grandir dans la pénombre. Les lueurs de la ville filtrées par les stores allumaient fantomatiquement les masques et les statues précolombiennes qui peuplaient le salon. Au-dessus de ma tête, une face planait comme une lune noire dont le regard absent me visait. Un vieillard buriné m'épiait derrière les plis moqueurs de ses paupières. Une furie empanachée proférait des menaces dont je croyais entendre les grincements. Hommes et femmes, pan- thères et chacals, lions, aigles et faucons m'enserraient dans le tourbillon de leur ronde guerrière. Un coup de klaxon déchira la nuit. En plein cœur de New York? Des sorciers? Quel délire était-ce? Quelle folie? Ce n'était qu'une collection d'œuvres d'art. Mes amis vivaient avec elle tous les jours. Fallait-il que je sois absurde pour me croire la proie d'une manipulation de fétiches ! Ces objets de musée n'avaient rien à me dire. C'était moi qui me parlais toute seule. Aussi, dans quelle aventure m'étais-je embarquée? S'il y avait de la folie quelque part, elle était bien là : dans l'initiative qui m'avait fait prendre l'avion et atterrir ici. Qui étais-je pour obliger Carlos Castaneda à me recevoir? Lui, un écrivain illustre, connu dans soixante-dix pays

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du monde, véritable idole aux États-Unis. Si célèbre qu'il fuyait systématiquement tout contact avec la presse. Et je ne venais même pas de la part d'un grand journal français. Je n'avais pas la moindre carte de visite pour m'annoncer. Existait-il, seule- ment? Peut-être n'était-ce qu'un mythe... Certaines personnes doutaient de sa réalité, comme on doute de celle d'Homère ou de Shakespeare. Et moi qui me lançais à sa recherche...

Celui qu'il me fallait rencontrer, c'était le Carlos Castaneda culturellement connu pour avoir été étudiant en anthropologie à l'université de Californie de Los Angeles, en 1960. Il avait choisi pour sujet de doctorat l'usage traditionnel des plantes hallucino- gènes en Amérique centrale et avait publié sa thèse sous le titre L'Herbe du diable et la petite fumée 1 Quel succès! Une géné- ration tout entière de jeunes gens avait appris par cœur les Ensei- gnements de don Juan. Étrange célébrité! Au lieu de rendre familier le visage de l'idole, elle l'avait pratiquement escamoté. Aucune photographie ne nous a montré l'écrivain Carlos Cas- taneda vu par quelque grand spécialiste de la plaque sensible. Ni Avedon, ni Cartier-Bresson, ni Penn, pas la moindre image. Aucune concession à la gloire, à la pression de la fantastique curiosité des masses. L'écrivain préservait son incognito sur les conseils du vieil Indien qui l'avait initié à la sorcellerie. Je le savais. Je pouvais fort bien imaginer ce que signifiait cette fuite. Il suffit d'avoir lu ses livres pour s'en faire une idée. C'était tout simple : cet homme disposait de moyens magiques pour échap- per aux regards et sauver sa liberté. Il y avait de quoi m'inquié- ter.

Tant de jeunes gens, après avoir dévoré ses livres, s'étaient jetés à sa poursuite, sans succès. Par charters entiers, ils avaient envahi le Mexique, cherchant don Juan ou son disciple, ne trou- vant ni l'un ni l'autre.

J'y songeais, tout en essayant d'apaiser en moi l'inquiétude tombée des totems qui dominaient la pièce. Il me fallait inter- préter leur présence comme un présage favorable. Voir un sens à cette rencontre nocturne. Je viens à New York dans le seul but

1. Carlos Castaneda, L'Herbe du diable et la petite fumée, 1971. Le soleil noir, Paris.

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de débusquer un mystérieux individu qui passe son temps à se cacher au cœur du désert mexicain et j'arrive tout juste dans un sanctuaire aztèque. Après tout, ces statues n'étaient pas romaines. De vénérables bouddhas, des sphinx égyptiens, n'auraient pas eu cet air de complicité qui me tenait éveillée.

J'avais peur. Castaneda est un homme dangereux. Universi- taire, il a pulvérisé les remparts de l'objectivité scientifique en acceptant le bien-fondé de la pensée magique. Sa démarche scandaleuse a suscité des commentaires contradictoires. Pour certains, il est le plus grand anthropologue depuis Margaret Mead et Claude Lévi-Strauss. Pour d'autres, il ne serait qu'un faible d'esprit qui s'est laissé berner. La plupart de ses collègues le considèrent comme un tricheur de génie, un romancier débor- dant d'imagination et de fantaisie. Don Juan serait un person- nage inventé de toutes pièces. Carlos Castaneda a vivement pro- testé contre cette interprétation. Il l'a fait dans une interview accordée en 1972 au magazine Psychology Today : « L'idée que j'ai concocté un personnage comme don Juan est inconcevable. Il n'est sous aucun aspect le genre d'être que ma tradition intel- lectuelle européenne m'aurait conduit à inventer. La vérité est bien plus étrange. Je n'ai rien créé. Je ne suis qu'un reporter. »

Ce reporter avait si bien pris fait et cause pour la Connais- sance prônée par don Juan qu'il s'était transformé lui-même en sorcier. Depuis vingt-cinq ans déjà, il était passé avec armes et bagages dans le camp de la redoutable sorcellerie mexicaine. Il avait maintenant remplacé don Juan auprès du clan qui main- tient vivantes les traditions guerrières des Toltèques. Il était devenu leur Nagual. Leur chef spirituel. Leur maître!

Aimel m'avait dit qu'il n'était pas aussi puissant qu'il le croyait. Elle ne le redoutait pas. C'était facile à dire, de Paris. Fallait-il que je sois crédule! Je m'étais laissé emberlificoter dans ses raisonnements. Elle avait l'air si sûre d'elle. Comment

pouvait-elle penser, à distance, qu'elle était capable de déjouer les ruses d'un sorcier mexicain qu'elle ne connaissait ni d'Ève ni d'Adam? Et moi qui m'étais laissé convaincre que la chose était possible, normale, voulue par je ne savais quel dispositif de la sorcellerie internationale !

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Il n'y a pas six mois, je ne la connaissais même pas, cette femme. Et voilà que je me comportais comme si j'avais été de tout temps sa disciple. Je n'arrivais plus à croire que les leçons reçues à Paris fussent de taille à tenir le coup en face des extra- ordinaires pouvoirs dont les enseignements de don Juan avaient doté Castaneda. Je n'étais vraiment pas à la hauteur pour bra- quer sur un tel homme le désir saugrenu de le rencontrer. Je m'étais laissé piéger par la conviction d'Aimel Helle. Elle était sûre que je réussirais.

Les livres de Carlos Castaneda, je les avais tous lus. Et même plusieurs fois, depuis longtemps et récemment encore pour me préparer à cette expédition. D'emblée, j'avais éprouvé une grande sympathie pour l'auteur. Cet homme avait eu le courage de se soumettre à un apprentissage féroce. Il avait tenu bon tout au long d'une aventure à laquelle il avouait ne rien comprendre. Bien qu'ayant obtenu son doctorat, il avait renoncé à sa chaire universitaire pour mener une vie conforme aux principes qu'il avait adoptés. Il n'avait pas de domicile fixe, ne rencontrait jamais de journaliste, annulait ses rendez-vous au dernier moment. Nul ne savait jamais où il allait et venait.

Et il fallait que moi, parce que Aimel l'avait dit, je parvienne à le débusquer. Dépenser une petite fortune d'argent, de temps et d'énergie pour remettre à un homme invisible le message d'une femme que je connaissais à peine! Quelle absurdité! Je ne comprenais plus comment j'avais pu accepter de croire à la logique d'une pareille gageure.

Moi, si je ne comprends pas, j'ai peur. Je suis paralysée. Com- ment avais-je pu prendre au sérieux une mission impossible au nom de certaines nécessités relevant de la Connaissance, nécessi- tés dont j'étais incapable de dire si elles existaient ou non? Ou ces exigences initiatiques étaient aussi vraies que les buildings de Manhattan, ou elles étaient illusoires et j'allais à la cata- strophe. Car c'était clair, je ne me relèverais pas de cette chute dans l'utopie. Toutes les forces d'intuition dont je suis capable m'en avaient avertie. C'était ma vie qui en dépendait.

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Je ne pouvais pas dormir. Malgré moi, les souvenirs m'assail- laient. Ils défilaient de leur propre gré, se mêlant aux fantômes des statues toltèques, péruviennes et incas. Ce panthéon de l'art primitif déversait sur moi sa troublante inquiétude millénaire.

« Vous devriez consulter un rabbin », m'avait dit le médecin. Ce conseil m'avait surprise, dans la bouche d'un praticien catholique.

Une rare maladie de sang m'avait, l'année précédente, conduite jusqu'à lui. Condamnée par la médecine hospitalière, ne pouvant que choisir entre des traitements mutilants et la destruction par hémorragie, j'avais opté pour la fuite. Un puis- sant instinct de survie m'avait éjectée de l'hôpital, un soir d'automne et d'impatience. Piquée, ponctionnée, entaillée, pupilles dilatées, j'avais pris la poudre d'escampette. Seule au volant de ma voiture, je courais le risque d'être prise pour une droguée, avec mon aspect délabré, arrêtée, jetée en prison. Mais je le savais, je savais que j'allais m'en tirer. Où? Com- ment? Je n'en avais pas la moindre idée. L'homéopathe- acupuncteur qui me suivait avait, pour sa part, déclaré forfait.

Maintenant, j'étais à New York. A Paris, j'habite avenue de New York. Est-ce une coïncidence qui a un sens? Fallait-il venir à New York? J'ai peur de tout ce qui risque d'avoir un sens. Je me tourne et retourne sur ma couche au ras du sol.

J'avais appelé mon amie Maria. Une heure plus tard, elle

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m'annonçait que j'avais rendez-vous le lendemain chez le méde- cin vers qui elle dirigeait les leucémiques dont elle s'occupait. Sa force de persuasion avait fait miracle, le carnet du Dr C. étant complet pour six mois. Elle m'avouera, par la suite, avoir été inspirée par un rêve où elle me voyait mourir.

Dire que tout était parti de là! Quatre mois plus tard, jugulé le risque d'hémorragie, j'écri-

vais un livre sur l'argile 1 Mon expérience devrait pouvoir aider d'autres personnes. Les mots maladie, soin, guérison, avaient acquis pour moi le sens d'épreuve, combat, victoire et trans- formation. Une médecine naturelle était en train de restruc- turer mon terrain. J'aimais que le sujet commandé par Michel Lafon, éditeur amical, traite de l'argile. Terre fondatrice, elle contient en puissance tout ce qui existe et vit sur la planète. Pourquoi, comment l'argile est-elle guérisseuse? Qu'en pense la Bible? En cette soirée de mars 1985, sans scrupule, volant son temps, j'assommais mon toubib de mille questions.

- Non, pas un rabbin, se reprit-il. Interrogez plutôt un caba- liste. Tiens! Il y a quelqu'un à qui vous pourriez vous adresser. Aimel Helle...

- Aime quoi? - C'est son nom. Aimel Helle. - Quel drôle de nom. - C'est aussi une drôle de femme. - Où puis-je la trouver? - Je n'en sais rien. - Elle écrit? - Je ne peux vous le dire... Il me donna un nom que je n'avais jamais entendu nulle part.

Celui d'un écrivain inconnu. Tant de gens savent des choses dont personne ne s'aperçoit. Cela me changerait des universi- taires et des spécialistes dont j'avais recueilli les sapiences avec méthode et obstination durant des semaines. Un plongeon biblique me rafraîchirait l'esprit. C'est ainsi qu'un lundi matin j'appelai une librairie où je me fournissais parfois en lectures ésotériques.

1. Véronique Skawinska, Le Livre de l'argile, 1986, Michel Lafon-Carrère, Paris.

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- Avez-vous des ouvrages de...? - Bien sûr, répondit avec sympathie une voix féminine. - Pouvez-vous me donner le nom de son éditeur? - Pour quoi faire? La question me surprit, soudain méfiante. - Je fais une recherche sur l'argile et j'aimerais rencontrer

cette personne. - Avez-vous lu ses livres? - Non. Pas du tout. - Peut-être devriez-vous commencer par là. - Bon. J'arrive. - Normalement, la boutique est fermée. Je ne faisais qu'y

passer. Mais si vous venez tout de suite... Je dégringolai mes huit étages, mis en marche ma Samba

toute neuve et filai sur Montparnasse. A la librairie Le Fil d'Ariane, je fus accueillie par Christiane Bainaud, bleu aigu du regard dans un visage de pietà. Elle m'attendait avec une atten- tion qui n'avait rien de commercial. Elle me conseilla deux livres. Puis, à ma grande surprise, elle m'apprit qu'elle venait de parler à Mme Helle.

- Lisez d'abord cela. J'essaierai de vous obtenir un rendez- vous. Je ne vous promets rien. Il n'est pas sûr qu'elle vous reçoive, même si je lui demande. C'est très difficile.

Cette prétention à l'isolement m'étonnait beaucoup. Quel intérêt de se couper des autres lorsqu'on n'a pas d'audience? Aucun journal, et j'en lis beaucoup, ne m'avait appris son nom. Je fréquente des lieux dits spirituels, j'évolue dans un milieu où l'on se pique d'ésotérisme et je n'avais jamais eu vent de son existence. Cependant, j'étais curieuse, frappée par la facilité avec laquelle j'avais trouvé d'emblée le chemin qui pouvait conduire vers elle.

Un médecin me prescrit de rencontrer un ésotériste, je sonne à la porte de la première librairie venue. Normalement le magasin aurait dû être fermé, un lundi, à Paris. Voilà qu'il est ouvert. J'appelle pendant que la directrice y faisait un saut inhabituel. Et cela semblait tout juste et le bon moment et le bon endroit. Je me sentis projetée vers cette inconnue. Pourquoi refuserait-elle de me recevoir?

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Rentrée chez moi, je m'installai sur les coussins qui consti- tuaient l'essentiel de mon mobilier au coin de l'une des deux baies vitrées surplombant la moitié sud de la capitale. Le spec- tacle en est grandiose. Péniches et bateaux-mouches rythment l'écoulement de la Seine. Les mouettes virent et piquent dans l'immensité du ciel, les pigeons les moins gras atteignent par- fois mon balcon tandis que la tour Eiffel n'en finit pas de se pousser du col.

Des deux ouvrages rapportés en pâture, le plus épais excitait mon appétit. Son allure scientifique s'accordait a priori au style de ma quête. Dès la première page, la complexité de la langue me surprit. Les mots, que l'auteur ne mâchait guère, possé- daient tous plus de trois syllabes. Le suivi du raisonnement demandait que chaque phrase soit relue et ruminée. Pendant trois jours, je peinai sur un discours d'un hermétisme à couper au couteau. Il y était question de mathématiques, de physique, d'astronomie, de biologie, d'évolution, d'anatomie, de géné- tique, de linguistique et autres disciplines. L'auteur cherchait à démontrer comment tous les phénomènes obéissent aux lois uni- verselles exprimées par l'hébreu. Si c'était éblouissant, je ne m'en aperçus guère. Aveuglant, plutôt. Fascinant aussi. Un concept original avait piqué la curiosité de la diététicienne que je suis. L'évolution des espèces était déchiffrée d'une manière inattendue. L'auteur voyait une signification extraordinaire au fait que deux sortes d'animalité se soient distinguées, à partir de la position relative des systèmes digestifs et nerveux. L'homme apparaît du côté qui donne priorité à la tête sur l'estomac.

De ce pavé monumental devenu à mon chevet le tourment nocturne, trois jours plus tard, je n'avais toujours rien extrait qui intéressât mon travail sur l'argile. Journaliste, j'ai tendance à demander à l'interview les facilités que ne donne pas la lec- ture. Autant s'adresser directement à la cabaliste, n'en déplaise à la libraire dont je pensais qu'elle se gonflait d'importance en faisant obstacle.

Pourtant, elle m'avait passé un coup de fil rapide. C'était pour me demander l'orthographe exacte de mon nom. Je ne

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Rencont rer Cas taneda ? Impossible. Le célèbre disciple de don Juan dispose de la sorcellerie yaqui

pour se rendre invisible. Véronique Skawinska devait abso lumen t lui a p p o r t e r

un message de la pa r t d 'un ê t re de Connaissance. Il ne lui é ta i t pas permis d'échouer. Entraînée pendan t des

mois à ra isonner en initiée, sans avoir le moindre rendez-vous, elle t raverse l 'Atlantique. Elle t rouve sa piste par des moyens magiques, réussit à r encon t re r

Carlos Castaneda, à l 'heure exacte, au jour dit e t à , l 'endroit précis qui lui o n t é té indiqués par les

procédés de la Connaissance. Ce rendez-vous à Los Angeles correspond à une passation de pouvoir.

Là où s 'a r rê te l 'enseignement de don Juan commence celui d'Aimel Helle.

Véronique Skawinska, née à Bordeaux, est journaliste depuis vingt ans. Responsable de la Forme dans L'Equipe

Magazine. On connaî t d'elle Question de poids e t Manger maigrir écrits avec Demis Roussos. Rendez-vous sorcier raconte

l 'aventure éblouie qu'elle a vécue en découvran t l 'extraordinaire magie qui habi te le quotidien. Merveille

d ' app rend re à Voir e t de pouvoir l ' apprendre aux autres. Ce su rp renan t récit révèle la possibilité offerte à chacun

d 'a t te indre la vraie vie.

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