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DOSSIER © 2013 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés 27 AMC pratique n°222 novembre 2013 CAS CLINIQUE U n homme de 67 ans, Monsieur V., est adressé dans notre service, en décembre 2012, pour bilan d’une HTA résistante. Cette HTA est connue depuis 2009. Elle est actuellement traitée par : lercanidipine 20 mg, olmesartan 40 mg + HCTZ 12,5 mg et rilmenidine 5 mg. Le patient est asymptomatique. La pression artérielle est mesurée à 150/86 mm Hg au bras droit et 145/81 mm Hg au bras gauche (moyenne de 3 mesures simultanées avec un appareil automatique). Il nous montre le relevé des automesures tensionnelles qu’il a réalisées du 6 au 8 novembre 2012, à la demande de son car- diologue, selon la règle des « 3 », sous la tri- thérapie détaillée ci-dessus : la moyenne des 18 mesures à 162/82 mm Hg (N 135/85). Facteurs de risque associés Surpoids à 90 kg pour 1m80 (IMC à 28 kg/m²), périmètre abdominal = 105 cm ; tabagisme actif (11 PA) ; dyslipidémie traitée depuis 2009 par Tahor 10 mg/j, et bien contrôlée (cholestérol total = 1,90 g/l, HDL = 0,59 g/l, triglycérides = 1,15 g/l, soit un LDL calculé à 1,08 g/l) ; pas de diabète (glycémie à jeun = 0,97 g/l). Retentissement viscéral Au niveau cardiaque L’ECG est en rythme sinusal à 106/min, pas d’hypertrophie ventriculaire gauche, repolarisation normale. L’échocardiogramme montre un ventricule gauche de taille et de cinétique globale et segmentaire normales, avec une masse à 117 g/m², un rapport paroi/ rayon à 0.47 ; la fraction d’éjection ventri- culaire gauche est calculée selon Simpson à 63 % ; test d’effort normal il y a trois mois. Au niveau rénal Créatinine = 84 μmol/, soit un débit de filtra- tion glomérulaire estimé à 79 ml/min/1,73m² selon MDRD ; protéinurie = 0,13 g/24 h, microalbuminurie = 26,6 mg/24h, pour une créatininurie à 13,5 mmol/24h. Pas d’arguments pour une atteinte athéro- mateuse des gros vaisseaux périphériques. Aortes thoracique et descendante normales en échographie. Le calcul du risque à 10 ans selon l’équa- tion de Framingham est ainsi à 20,2 % pour le risque coronaire et 9,6 % pour le risque d’accident vasculaire cérébral, pour un risque absolu « idéal » respectif de 13,7 % et 2,4 %, soit un risque relatif respectif de 1,48 et de 4,04. Bilan étiologique Pas de causes exogènes, pas d’arguments anamnestiques pour un SAOS. L’observance paraît correcte (il connaît le nom de ses médicaments, leur forme, leur couleur ; il assure n’avoir – pratiquement – jamais manqué une prise). Kaliémie = 3,9 mmol/l pour une kaliurèse à 81 mmol/24 h. L'écho-Doppler rénal retrouve des reins de taille et de morphologie normales, mesurés à 10,7 et 11,3 cm de grand axe, des artères interlobaires avec des spectres normaux, Ph. Sosner, D. Herpin Centre hospitalier universitaire, Poitiers [email protected] Résistante ? Vous avez dit « résistante » ?

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© 2013 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés 27AMC pratique � n°222 � novembre 2013

CAS CLINIQUE

Un homme de 67 ans, Monsieur V., est adressé dans notre service, en décembre 2012, pour bilan d’une

HTA résistante.Cette HTA est connue depuis 2009. Elle est actuellement traitée par : lercanidipine 20 mg, olmesartan 40 mg + HCTZ 12,5 mg et rilmenidine 5 mg.Le patient est asymptomatique. La pression artérielle est mesurée à 150/86 mm Hg au bras droit et 145/81 mm Hg au bras gauche (moyenne de 3 mesures simultanées avec un appareil automatique).Il nous montre le relevé des automesures tensionnelles qu’il a réalisées du 6 au 8 novembre 2012, à la demande de son car-diologue, selon la règle des « 3 », sous la tri-thérapie détaillée ci-dessus : la moyenne des 18 mesures à 162/82 mm Hg (N ≤ 135/85).

Facteurs de risque associés

Surpoids à 90 kg pour 1m80 (IMC à 28 kg/m²), périmètre abdominal = 105 cm ; tabagisme actif (11 PA) ; dyslipidémie traitée depuis 2009 par Tahor 10 mg/j, et bien contrôlée (cholestérol total = 1,90 g/l, HDL = 0,59 g/l, triglycérides = 1,15 g/l, soit un LDL calculé à 1,08 g/l) ; pas de diabète (glycémie à jeun = 0,97 g/l).

Retentissement viscéral

Au niveau cardiaque L’ECG est en rythme sinusal à 106/min, pas d’hypertrophie ventriculaire gauche, repolarisation normale. L’échocardiogramme

montre un ventricule gauche de taille et de cinétique globale et segmentaire normales, avec une masse à 117 g/m², un rapport paroi/rayon à 0.47 ; la fraction d’éjection ventri-culaire gauche est calculée selon Simpson à 63 % ; test d’effort normal il y a trois mois. Au niveau rénal Créatinine = 84 μmol/, soit un débit de filtra-tion glomérulaire estimé à 79 ml/min/1,73m² selon MDRD ; protéinurie = 0,13 g/24 h, microalbuminurie = 26,6 mg/24h, pour une créatininurie à 13,5 mmol/24h. Pas d’arguments pour une atteinte athéro-mateuse des gros vaisseaux périphériques. Aortes thoracique et descendante normales en échographie.Le calcul du risque à 10 ans selon l’équa-tion de Framingham est ainsi à 20,2 % pour le risque coronaire et 9,6 % pour le risque d’accident vasculaire cérébral, pour un risque absolu « idéal » respectif de 13,7 % et 2,4 %, soit un risque relatif respectif de 1,48 et de 4,04.

Bilan étiologique

• Pas de causes exogènes, pas d’arguments anamnestiques pour un SAOS.

• L’observance paraît correcte (il connaît le nom de ses médicaments, leur forme, leur couleur ; il assure n’avoir – pratiquement – jamais manqué une prise).

• Kaliémie = 3,9 mmol/l pour une kaliurèse à 81 mmol/24 h.

• L'écho-Doppler rénal retrouve des reins de taille et de morphologie normales, mesurés à 10,7 et 11,3 cm de grand axe, des artères interlobaires avec des spectres normaux,

Ph. Sosner, D. HerpinCentre hospitalier universitaire, [email protected]

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AMC pratique � n°222 � novembre 2013

On revoit le patient quelques jours plus tard pour lui proposer d’intégrer le protocole DENER-HTN, comparant la dénervation endo-vasculaire des artères rénales versus un traite-ment médical optimisé seul. Il en accepte le principe, en demandant un délai de quelques semaines pour convenance personnelle. Lors de cette consultation, sa pression artérielle est mesurée à 192/102 mm Hg (moyenne de 3 mesures automatiques). Dans ce cadre, un angio-scanner-TDM des artères rénales est réalisé. Il objective l’éligi-bilité du patient pour l'étude DENER-HTN : les troncs artériels rénaux ont une longueur supérieure à 20 mm et un calibre supérieur à 4 mm ; il n’y a pas de sténose artérielle rénale athéromateuse ou dysplasique ; le grand axe rénal droit est à 11,8 cm et le gauche à 12 cm. On note par ailleurs une discrète hyperpla-sie surrénalienne bilatérale, sans formation nodulaire individualisable. Monsieur V. revient début mars 2013 pour sa visite d’inclusion. La pression artérielle cli-nique est 158/87 mm Hg sous le même trai-tement (seul l’HCTZ a été majoré à 25 mg/j). Conformément au protocole, on remplace ce traitement par : ramipril 10 mg, amlodipine 10 mg, et indapamide LP 1.5 mg.On le revoit en avril. Sous cette nouvelle trithé-rapie, le relevé d’automesures tensionnelles des 7 derniers jours retrouve une moyenne à 134/74 mm Hg (fréquence cardiaque à 79/min), tandis que la MAPA montre une charge ten-sionnelle des 24 h à 140/75 mm Hg, diurne à 148/80 mm Hg et nocturne à 118/62 mm Hg, une fréquence cardiaque moyenne à 82/min. Il est donc « incluable » puisque la MAPA diurne est supérieure à 135 mm Hg. La randomisation lui attribue le bras « déner-vation rénale + traitement médical optimisé ». Après une nouvelle discussion, il refuse la dénervation et sollicite son retrait de l’étude DENER-HTN. On ne saurait lui en vouloir…Un suivi régulier est bien sûr maintenu : l’évo-lution de l’ensemble des chiffres tensionnels, du poids et da la natriurèse est résumée sur le tableau 1.

Voici donc notre patient bien contrôlé au terme d’un suivi étroit de 9 mois.Sa PA en automesure était à 162/82 mm Hg sous une quadrithérapie au début de sa prise

des index de résistance parenchymateux à 0,70, quelques « dépôts » athéromateux aortiques ; l’origine des artères rénales n’est pas correctement appréciable ; pas d’anomalie des loges surrénaliennes ; à noter une stéatose hépatique diffuse.

Bilan hormonal

Les prélèvements sont réalisés sous un régime riche en sel malgré nos recomman-dations (natriurèse = 250 mmol/24 h, soit 15 g de NaCl/24 h), et après interruption de l’association olmesartan + HCTZ depuis deux semaines ; en position couchée, après deux heures de décubitus, la rénine active est inférieure à 2,6 ng/l (N = 3-16), l’aldostérone plasmatique à 49 ng/l (N = 10-105) ; après une heure de déambulation, la rénine active est à 3,5 ng/l (N = 3-33), et l’aldostérone à 114 ng/l (N = 34-273). L’aldostéronurie est à 20 μg/24 h (N = 2,1-18), le cortisol libre (CLU) est à 23 nmol/mmol de créatinine (N = 5-40).La TSH est normale à 1,63 mUI/l.

Au total

HTA récente (2009), chez un patient en surpoids, tabagique, avec une hyper-cholestérolémie contrôlée. Remodelage concentrique du ventricule gauche et micro-albuminurie limite. Persistance d’une pres-sion artérielle supérieure à 135/85 mm Hg en automesure malgré une quadrithérapie. Rénine basse mais stimulable (sous apports sodés élevés), sans hyperaldostéronisme d’accompagnement.

Tableau 1. Évolution de l’ensemble des chiffres tensionnels, du poids et da la natriurèse.

Nov-Déc 2012

Mars 2013

Avril 2013

Mai 2013

Juin 2013

Juillet 2013

Août 2013

PA clinique (mm Hg) 150/86 158/87 164/85 156/85 137/73 139/75 147/75 Automesure (mm Hg)Moyenne générale 162/82 134/74 134/75 128/72 124/69 123/68Moyenne matin 129/74 128/75 125/71 123/70 121/69 Moyenne soir 138/74 140/76 131/73 126/69 125/67Poids (kg) 91 90 89 89 90 90 91Natriurèse (mmol/L) 139 170 95 87 78 91 95

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en charge et est donc passée en-dessous de 135/85 mm Hg dès le cinquième mois, et en-dessous de 125/70 mm Hg au neuvième mois.Que s’est-il passé ? En réalité, beaucoup de choses.Certes, son traitement a été modifié mais ce n’est certainement pas l’essentiel : qui pourrait affirmer que, toutes choses égales d’ailleurs, l’association ramipril/amlodipine/indapamide est plus efficace que la combi-naison olmesartan/HCTZ/lercanidipine/rilmeni-dine ? Si, en revanche, il y avait eu adjonction de spironolactone, on aurait certainement pu imputer ce bon résultat à cette molécule, particulièrement indiquée chez ce patient à rénine basse.On pourrait évoquer également un possible phénomène de régression vers la moyenne : mais cet argument ne tient guère car chaque série d’automesures est exprimée par la moyenne de 42 chiffres (3 mesures matin et soir pendant 7 jours).Plus important, on retiendra qu’en 9 mois, à l’occasion du protocole DENER-HTN :

• il a été vu 8 fois en consultation, par le même spécialiste qui lui a expliqué les dan-gers de l’HTA, a calculé avec lui la probabi-lité de faire un accident cardiovasculaire puis lui a fait valoir les bénéfices d’un traitement efficace, lui a précisé les objectifs à atteindre et lui a indiqué comment les atteindre ;

• il a été invité à participer directement à la gestion de son HTA et à la surveillance de son traitement par l’automesure, dont l’inté-rêt et les modalités de réalisation lui ont été clairement expliqués ;

• il a vu la diététicienne qui a essayé de lui faire corriger certaines dérives alimentaires : il n’a pas réussi à perdre du poids de façon durable, mais il a indiscutablement appris à manger moins salé, comme en témoigne l’évolution de la natriurèse.

Cette observation illustre clairement l’intérêt majeur d’une prise en charge étroite et per-sonnalisée, telle qu’elle peut être obtenue soit dans le cadre d’un « programme d’éduca-tion thérapeutique », soit, comme ici, dans le contexte d’un protocole thérapeutique.