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1 Richard Abibon T ransferts de psychose Sale attente ................................................................................................................................. 1 Un certificat de paternité noir sur blanc .......................................................................... 6 La 9 ème porte qui achève la construction du corps ..................................................... 10 Savoir (diagnostic) et réaction inconsciente................................................................ 14 Les clefs du mystère féminin ............................................................................................. 15 Conclusion ................................................................................................................................ 17 Epilogue .................................................................................................................................... 18 Sale attente Un rêve : Une salle de torture ; au comptoir, on attend. De l’autre côté, des employés chargés de torturer les gens. Il est question d’une boucle de ceinture et de ce qu’ils vont faire. Ils sont un peu rigolards. Parmi eux, un jeune garçon porte un tablier, non pas celui d’un boucher comme on aurait pu s’y attendre, mais quelque chose de beaucoup plus sombre. Alors sur une scène arrive un monstre qui avance verticalement comme s’il était un homme très grand, blanc couvert de sphères blanches de la taille d’un ballon de football sur lequel il y a un trou rond comme une bouche. Je sais qu’à chaque fois, il va commencer par bouffer le zizi de sa victime. Accroché à chaque ballon de foot, un cadavre coincé à la verticale, la tête dodelinant au rythme des pas du monstre. Une évocation d’homosexualité au milieu, mais c’est comme si c’était mortifère. Une fellation serait synonyme de mort. En effet les cadavres pendant sont comme autant de phallus vidés de leur substance. Si on se fait bouffer le phallus, c’est la mort d’icelui autant que la mort de l’être. Ça me fait immédiatement penser début de fellation régulièrement raconté par Patrick, l’un de mes analysants du dispensaire. Il y revient régulièrement, racontant cet épisode de son adolescence où, ayant fait un début de fellation à un camarade, il s’est arrêté au milieu, saisi par l’effroi devant son acte. En fait, c’est moi qui le restitue ainsi ; lui il en parle d’une voix calme. Je ne suis sûr, dans mon souvenir, que de ces mots « début de fellation ». Je ne peux plus me rappeler de ce qu’il dit ensuite pour expliquer la suspension de son acte. Ça le fait donc penser qu’à la première occasion lorsqu’il en reparlera, il faudra que je me questionne là dessus. Moi, j’ai projeté « saisi par l’effroi », mais ce n’est pas forcément son sentiment à lui. Cet effroi, je le puise dans mon propre stock fantasmatique. Il est

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RichardAbibon

Transfertsdepsychose

Saleattente.................................................................................................................................1Uncertificatdepaterniténoirsurblanc..........................................................................6

La9èmeportequiachèvelaconstructionducorps.....................................................10

Savoir(diagnostic)etréactioninconsciente................................................................14Lesclefsdumystèreféminin.............................................................................................15

Conclusion................................................................................................................................17Epilogue....................................................................................................................................18

SaleattenteUnrêve:Unesalledetorture;aucomptoir,onattend.Del’autrecôté,desemployéschargésde

torturerlesgens.Ilestquestiond’uneboucledeceintureetdecequ’ilsvontfaire.Ilssontunpeurigolards.Parmieux,unjeunegarçonporteuntablier,nonpasceluid’unbouchercommeonauraitpus’yattendre,maisquelquechosedebeaucoupplussombre.Alorssurunescènearrive un monstre qui avance verticalement comme s’il était un homme très grand, blanccouvertdesphèresblanchesdelatailled’unballondefootballsurlequel ilyauntrourondcommeunebouche.Jesaisqu’àchaquefois,ilvacommencerparboufferlezizidesavictime.Accroché à chaque ballon de foot, un cadavre coincé à la verticale, la tête dodelinant aurythmedespasdumonstre.

Uneévocationd’homosexualitéaumilieu,maisc’estcommesic’étaitmortifère.Unefellation serait synonyme demort. En effet les cadavres pendant sont comme autant dephallusvidésdeleursubstance.Sionsefaitboufferlephallus,c’estlamortd’iceluiautantque lamort de l’être. Çame fait immédiatement penser début de fellation régulièrementraconté par Patrick, l’un de mes analysants du dispensaire. Il y revient régulièrement,racontantcetépisodedesonadolescenceoù,ayantfaitundébutdefellationàuncamarade,il s’est arrêtéaumilieu, saisipar l’effroidevant sonacte.En fait, c’estmoiqui le restitueainsi;luiilenparled’unevoixcalme.Jenesuissûr,dansmonsouvenir,quedecesmots«débutde fellation». Jenepeuxplusmerappelerdecequ’ilditensuitepourexpliquer lasuspensiondesonacte.

Çalefaitdoncpenserqu’àlapremièreoccasionlorsqu’ilenreparlera,ilfaudraquejemequestionnelàdessus.Moi, j’aiprojeté«saisiparl’effroi»,maiscen’estpasforcémentson sentiment à lui. Cet effroi, je le puise dans mon propre stock fantasmatique. Il est

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possiblequecesoitparcequemoninconscient,branchéd’unefaçonoud’uneautresurlesien,adétectécelaàmoninsu.Ilsepeutaussiquecesoitpureprojectiondemapart.

Sij’enjugeledébutdurêve,ilnes’agitpasseulementdefellation,maisdusadismeleplusterriblequisoit.Mêmequestion:est-cequecelam’estpropre,sollicitépar«unpeu»de sadisme venant de Patrick, ou est-ce au contraire que je suis effrayé de ce quemoninconscientadétectéàmoninsu?Certes,ensollicitantcertainementcequ’ilpeutyavoirdesadismeenmoi…

Lessphèressontautantdecouilles.D’ailleurs,ellessontfichéeschacuneausommetd’uneexcroissanceverticaledecetêtre,excroissancesquel’onpourraitdirephallique.Maislapénétrationdecettepointedansles«ballons»pourraitévoquerl’actesexuel.Cesballonsseraientdoncdessexesmasculin-féminin,couille-vagin.

Pour l’instant les bouches restent ouvertes en O. J’ai depuis longtemps sur monordinateurunephototrouvéesurinternetmontrantuntotemdumuséedel’homme(ouduquai Branly !) à côté duquel posait une femme faisant la même bouche en rond : voilàl’explication:cettefemmeressembleàunedemesex!Eneffet,deuxjoursauparavant,jedevais voir cette mienne amie et elle avait finalement annulé. Je l’avais parfaitementcomprisetjen’enavaisconçuaucuneanimosité.Consciemment!Car,inconsciemment,celane pouvait que me rappeler la lointaine époque où nous étions ensemble et où elle mefaisaittournerenbourrique,annulantrégulièrementlesrendez-vous,ounevenantpassansprévenir, ou venant avec une heure ou deux de retard sans voir prévenu. Sexuellement,nousn’avionsaucunproblème,çamarchaitdutonnerre.Saufquec’étaitbienlaseulechosequimarchait.Pourtoutlereste,jen’aigardéquelesouvenircuisantd’amèresdéceptions.Elleétaitcastratricesur tous lesautresplansenquelquesorte ! Je lavis toujourscommeuneporteusedephallus-vaginmortifère.

Voilàdonccequem‘évoquePatrick.Eneffet,jen’aipasderelationsexuelleaveclui,bienquetouterelationconvoquede

la libido,surtoutunerelationlongue, lanotreallantsursesdixans.Parcontre,auniveaudesrendezvousilatendanceaêtreassezcapricieux.

C’estuneappréciationquisediscute.Discutons.Pendantdesannées, je l’ai reçu lemardietlevendredià16h30.Levendredi,ilmefaisaitrégulièrementuncacanerveuxdecequejelefaisaisattendreuneheure.Eneffet,cejourlà,ilsortdel’hôpitaldejourà15h30,etilattenddoncuneheuredanslasalled’attentequecesoitl’heuredesonrendezvous,carjeleprendsbienà16h30.Quelquesfois,lorsqu‘uneplaceprécédenteselibérait,jeleprenaisavant.

Récemment, j’enaieumarredesescacasnerveuxduvendredi,et j’aidécidéde leprendreà15h30eninterpolantmesrendezvous.Aprèstout,sic’estpossible,pourquoipas,plutôtquedel’entendreseplaindrelamoitiédelaséanceaulieudeparlerd’autrechose.Mais 15h 30 le mardi, ça ne convenait pas au responsable de l’hôpital de jour, m’a-t-ilrapporté.Cetendroitfermeà16hetilauraitétédommagequ’iln’enprofitepasjusqu’àlafin.Pouryfairequoi?Descoloriages.Çal’emmerde,maisçalecalmeenmêmetemps.

Jesaisqu’ilestvaindeseheurterdefrontl’institutionetdetoutefaçon,c’estànousdenousdébrouillerdenoscontraintesrespectives.J’aitentédeluiproposer:mardià16hetvendredià15h30.Maisçadécaletoutmoncalendrier,cequim’aemmenéàmetrompervis-à-visd’autrespersonnesquej’aifaitesattendreparméprise.Ilyamêmeunepersonneparticulièrementcolériquequiaprofitéde l’affairepourarrêter ses séances.C’était aussi

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bien. C’était quelqu'un de tellement emmuré qu’il ne se passait rien. Je n’en veux pas àPatrickpourça.

Patrickaététémoindequelquesunsdecesbugsensalled’attente,etjeneluiaipasfaitmystèredesproblèmesquesesexigencesmeposaient.Alors,toutrécemment,sansqueje ne lui ait rien demandé, il m’a proposé : « faisons 16h et 16h mardi et vendredi. Levendredi,jepeuxattendre½heure,c’estpascommeattendreuneheure».j’aiacceptéavecjoiecettepropositionspontanéequiarrangetoutlemonde.

Çaal’aird’enculagedemouche,ceshistoires,maiseneffetils’agitdesavoirquifaitlaloietquialephallus.

J’enaiparlépeut-être ici,déjàetentoutcasdansmavidéo«douteetcertitudes»(https://www.youtube.com/watch?v=NidT70eTyc8&feature=youtu.be) : sa vie est baséesur la certitudequ’il a tué,étantenfant,unautreenfant,etqu’il ena renduundeuxièmeaveugle.Aprèsyavoircrudenombreusesannées,àplusieurs reprises j’aipu l’interrogersur la réalité de ce souvenir. Au moins deux fois, il a convenu que ce pouvait être unfantasme.Ladernièrefoisqu’ilm’enaparléc’étaitpourmedire:«jedoute».Cequin’estpasmal,jetrouve.

La réalité du souvenir est basée sur le fait que « c’est son père qui le lui a dit ».Chaque fois, j’avais fait remarquer qu’il n’avait pas été témoin direct de la mort, ni del’enfant aveugle : il ne le savait que par sonpère. Sonpère pouvait être compris commefaisant la loi de manière absolue sur la réalité même. « Tu vas bien travailler à l’école,commeça,quandtuserasgrand,tuaurasunbonsalaire,turetrouverasl’enfantquetuasrenduaveugleettuluiserviraslamoitiédetonsalairetoutelavie».Ilfaisaitdoncaussilaloisur ledestin.Pourseredonneruneplacedesujet,Patrickn’avait trouvécomme issuequed’enrajouter:«etildeviendramonmeilleurami,etilhabiterachezmoi».

Est-ce celaqui est en jeu sur cespetitesquerellesd’horairesde séance ?Est-ce lamonstrueusefigurecastratricedemonrêve?

Danscelui-ci,lesemployéschargésdetorturerlesgenssontdoncPatricketmonex-amiechinoise.Jenepeuxpasdirequeceshistoiresd’horairesm’aienttourmentéplusqueça.Etpourtantilfautbienquejemerendeàl’évidence:l’inconscientn’étaitpasdecetavis.

Il se trouve que j’avais commencé à interpréter ce rêve avant celui qui précédait,danslamêmenuit.Levoici:

JesuisenséanceavecPatricket ilpartdansunecolèreterrible. Jemerouleenbouledans une couverture sur le canapé en essayant de protégerma tête avecmes bras. Je voiscependantquejesuisdansunenvironnementdepapierpeintentrelevertetlebleu.

C’est àmagrande surpriseque jem’entendsparlerdumêmePatrickdans lehautparleurdel’Iphonesurlequelj’avaisenregistrécelaenpleinenuit.

Lepapierpeintentrelevertetlebleuc’estmamèreetsonregardsurmoi.Dansmonenfance tardive, ma mère m’a dit à plusieurs reprises : « qu'est-ce que tu étais mignonquand tu étaispetit ! Tu avais les yeuxbleus ! ». ça laissait supposerque,maintenant, jen’étaisplusmignon,ayantalorslesyeuxverts.Vérificationfaite,j’aitoujourslesyeuxbleus,mais cette remarque demamère avait induit chezmoi une sorte de daltonisme quimefaisait confondre lesvertset lesbleus.Elleavait trouvécemoyende faire la loi surcetteportionderéalitéqui,defait,m’aéchappéuntemps.Maintenantjesuisguéri,maisonpeutyvoirunrapprochementavecl’aveuglementdontPatricksesentcoupable.

Ceregarddemamèreestdonccastrateur.Laconfusiondescouleursmétaphoriselaconfusiondessexeset lefaitquejeneplaisaisplusàmamère.Tantque,petit, j’étaisson

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phallus,toutallaitbien(etencoreçasediscute)maisquandj’aieudesvelléitésd’enavoirun,métaphoriséparlechangementdecouleurdesyeux,c’étaitfini.

16 ans. Samedi après midi à Carcassonne. Je me dirige en tremblant vers monpremier bal. Rencontre inopinée avec ma mère qui rentre à la maison. « Où vas-tu ?demande-t-elle?

–auPaïcherou.–c’estquoi?–undancing–tuvasdanser,toi!?–benvoui,pourquoipas?Et,mamèreattrapantlecoldemonimpercrème:–maisregardecommetuesattifé!Lesfillesnevoudrontpasdetoi!»Ok,mercimaman, j’avais besoin de tes encouragements ! Encore uneprescription

sur l‘avenir qui s’avère castratrice et qui, toutes proportions gardées, rencontre lesprophétiesdupèredePatrick.

Monrêvemerévèlequej’aipeurd’uneéventuellecolèredePatrick.J’aidéjàeuàensubir, lorsqu’il étaitmécontent d’attendre une heure.Moi aussi, j’étaismécontent quandj’attendaisdesheuresquemamèreviennejoueravecmoi,etqu’ellenelefaisaitpas,mêmesielleavaitditqu’elleleferait.C’étaitaussilecasdefigureavecmonex-amiechinoise.

Monsecondrêveenditpluslongsurlanaturedemapeur:castrationetmort.Pourtant les colèresdePatrickn’étaientpas terrifiantes. Je les supportaispasmal,

bonan,malan.Iln’yapas,danssonhistoire,d’acteviolent…saufcequ’ilracontedanssonenfance, lemeurtreet l’aveuglement,quimerappellentsingulièrementcequiestarrivéàuncertainŒdipe.Donc,àmoi;maismoi,jel’aireconnucommepurfantasme.

Lerêvevient-ilm’avertirdememéfierdesescolères,quipourraienttoutd’uncoupdevenir meurtrières ? Ce serait encore tomber dans l’esprit prophétique, ce dont je meméfiefort.Ilfautserappelerquel’histoired’Œdipen’apuavoirlieuquegrâceàlacroyanceaux prophéties de la pythie. Révèle-t-il seulement la force du fantasme fondamental ? Ilsemblerait le même chez lui et chez moi, comme tout le monde finalement : Œdipe etcastration.Alors,àquoicelasert-il?

Cela sertaumoinsàde l’éprouvé.Cen’estpaspureconceptiondecette structure,maisunsentimenttrèsfort,réactivédanslachairetdansl’affect.

Lerêvemélangetout.Cen’estpasseulementunrêvesurPatrick.C’estavanttoutunrêve de moi fabriqué par le narcissisme du sommeil, c'est-à-dire le repli sur soi desfonctionspsychiques.Ilestd’ailleursmisenscènecommeteldanslesecondrêve:lefaitdeme cacher sous les couvertures énonce que je refuse, au moins à ce moment là, de melaisserentamer lenarcissismeparmonanalysant.Pour lemoins,mevoilà informéd’unerésistanceàsonégard.

Ilestvraique,delevoirdepuisdesannéesenfermédanssonécrasantsentimentdeculpabilitérelatifàses«crimes»del’enfance,delevoiradmettrelecôtéfantasmatiquedecescrimes,puisretomberdansunecroyanceenleurréalité,ceciplusieursfois,çam’amèneàdouterdesesdoutes.

Aufond,dansmonrêve,jesuisaussieffrayéparcettefiguremonstrueusequeluiparses«actes»passés.Cardansmonrêve,jecroisenlaréalitédecemonstre.C’estjustequ’auréveil,jen’ycroisplus,alorsquelui,si.Est-ilenfinréveillé?J’endoute.

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Booster

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Courbet : « l’origine du monde »

UncertificatdepaterniténoirsurblancUnrêve:àMarseille,çasepassedansunesalled’attented’aéroportoudegare,àmoinsquece

nesoitunbar.Jerencontreunarabeàlacoupeafroetungrosmonsieurnoir,aunezcrochuetauxcheveuxlongs.Ilssonttouslesdeuxpsychiatres.Lenoirmedéclareenplusqu’ilvientduCongo. Je lui parle aussitôt de ma « dame aux démons » qui vient aussi du Congo. Il medemandequeltraitementellea.Jerépondsque,pourlesmédocs,jenesaispastropmaisquemoi,jesuispsychanalysteetjetraiteplutôtsonimageducorps.Maiscommec’estl’heuredemondépart,jenepeuxpasm’attarder,jedoisrentreràParis.Jeletrouvetrèssympathiqueetdonc,Jeluilaissemacarteenluidisantquejeluiposterailesarticlesoùj’enparle.Ilmelaisseaussisacarte.

Jem’embarquedansmavieilleami8, lavoitureque j’avaisquand j’avaisentre25ettrenteans.

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Je traverse un échangeur routier extrêmement complexe aux multiplesembranchements.Partoutdesouvrierss’activentàcasserlebitume.Jemedemandecommentla circulation peut continuer et, pourtant, elle continue. Un ouvrier m’impressionneparticulièrement.Transportéàgrandevitesseparunvéhiculecirculantauborddelaroute,àl’extérieur,ils’attaqueauborddubitumeavecunebarredeferqu’ilmaintientenpermanencecontrecebordquisedéglingueaufuretàmesuredesonavancée.

Jepassesansproblèmecetéchangeur.Unpeuplusloinjemegaresurungrandparkingdésert, en suivant une Mercedes qui vient aussi se garer là. Je vais sans doute manger unsandwichavantdepoursuivrelaroute.

Jepensequetoutlemondeconnaîtla«dameauxdémons»quivientmevoirtrois

foisparsemainedepuis15ans.J’enaibeaucoupparléaudécoursdenombreuxarticlesetjelui avais consacréun chapitredemon livre « le rêvede l’analyste ». Elle est noire, assezenveloppée,etellevientduCongo.Elleétaitpossédéeparplusieursdémonsetellenel’estplus.Ellesedisaitmorte,sanscorpsouunepoupéedeplastique,elleneleditplus.Elleadonc récupéré une vivacité et un corps, mais ce corps ne cesse de lui poser problèmenotammentsacouleur.Depuispasmaldetemps,ellemetéléphoneaumoinsdeuxfoisparjours en plus des séances, parce qu’elle tient absolument à me dire, dans l’urgence, ladernière«vérité»quedieuvientdeluirévéler.

Aprèsdemultiplesversionsdesonengendrement (elleest leChrist, c'est-à-dire lefilsetenmêmetempslepèreetlaviergeMarie),celui-cis’eststabiliséautourdececi:sonpèren’estpassonpèremaissongrandfrèrequil’arecueillieetamenéeenFrance,ets’estdonccomportécommeunpèreàsonégard,saufqu’ilauraitviolésamèrepourengendrermonanalysante.

Ensuite, le questionnement s’est porté essentiellement sur la couleur de peau.Pendantdesannées,ellem’aditqu’elleétaitchinoiseetqu’elleattendaitsonnouveaucorps,par lequel tout lemonde verrait cette vérité. Le corps est venu,mais ça ne va pas. Voilàqu’elleinsistepoursedirefrançaise(c’estvrai)etblanche(euh…),carelledétestelesnoirsquiluiontfaittantdemal(violsetc).Jeparlaisdelavivacitéquiluiestrevenueeteneffet,elleparletrèsfort,elleestencolère.Ellem’appellepourinsister,contretoutsonentourage,sur le fait qu’elle n’est pas folle, qu’elle n’est pasnoire, quedieu le lui a dit. Parfois, trèsrarement,dieuchanged’avisetluiditqu’elleestnoire.Danscescaslà,jedevienscroyantetj’abondedanslesensdedieu.Sinon,jemeborneàentendreetluidirequej’aientendu.

Jedécèledanstoutcelaunelutteintérieureentresondésird’êtreelle–même,c'est-à-direcequ’elledésireêtre,etcequ’onluiacollésurledosparorigine:unepeauporteusedes abandons et effractions diverses qu’elle a connus. Elle s’insurge et semet en colèrecontrelaréalitédesoncorpsetdesonhistoire,quicommenceàpointer.

Je ne peux qu’accompagner ce mouvement de retrouvailles avec un corps,mouvementquinevapassansviolence,soubresautsetretoursenarrière.

Etjedoisdirequ’ellemebassineunpeuavecsesappelstéléphoniquesincessantsetlesmultiplesversionsd’unehistoirequichangetoutletemps.Jevousaiépargnélestoursetlesdétoursdela«vérité»divineaussichangeanteetcomplexequelesembranchementsdemon échangeur onirique. Comme tous mes analysants, elle a mon N° de téléphone.Personnen’enabuse,saufelle,maisc’estlejusteretourdesabusqu’elleasubi.Depuis15ans je suis le seul repère stable de sa vie. Jemedis que, pour continuer à faire office derepère,jedoisrépondre.Jedoisêtrelà,nonpourcomprendreladernièrevéritéquitombe,

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maisjustepourl’entendre.Évidemmentlorsquejesuisenentretien,jedéclinel’appel,maissouventjerappelledèsquej’ai5minutespourluimontrerquejesuislà:jenel’abandonnepas.

N’empêche,c’estlourd.Lerêveestunetentatived’élaborertoutcela.Il y a peu, j’ai du refairemon passeport, le précédent étant périmé. Àma grande

surprise, lespapiersquej’aiduremplirmedemandaientladateetlelieudenaissancedemesparents.Pourmamère jem’ensouvenais,maispourmonpère,si jemerappelaisdulieu,Marseille, jenemesouvenaispasde ladate.1911,septembre,oui,mais le jour?Parhasardnoussommesenseptembre.J’aiécrisàlamairiedeMarseille.Celle-cim’aréponduqu’elle ne délivrait d’acte de naissance que pour une date précise. Elle me fournissaitcependant gentiment l’adresse une association généalogique qui pourrait faire cesrecherchespourmoi.J’aiécritàcetteassociationquim’aréclaméenretourunchèquede6€.J’aienvoyélechèque,avecuneenveloppetimbréepourlaréponse.

Pendanttoutcetempslà,j’étaissurdescharbonsardents.Jevenaisdem’inscrireàun voyage à Bali en fin d’année et j’avais absolument besoin de ce passeport. Je meretrouvais endéfaut de paternité, commemon analysante qui s’en était reconstruite uneparbricolage.J’éprouvaisaminimacequec’estqued’avoirunmanqued’origine.C’estdoncà partir de là que je la comprends, à entendre dans l’étymologie, com-prendre : prendreavecsoi,ensoi.

Finalementjemesuisrappeléque,dansmabibliothèque,traînaitlejournalqu’avaitrédigémonpèrependantdesannées,surdescahiersd’écoliers.J’enavaishéritéàsamort.Jemesuisprécipitélà-dessus,lisanttouteslespagesdeseptembredanstouslescahiers.J’aifini par tomber sur une mention « aujourd’hui, c’est mon anniversaire », notée un 22septembre.Accessoirement,oupeut-êtrepas,çam’avaitpermisdemereplongerdanslaviedemonpère,quoiqu’àpartlefactueletletempsqu’ilfait,iln’endisepasgrandchose.

Vous comprendrez à présent pourquoi j’étais àMarseille la nuit dernière. Et queljourétions-nous, le jourd’avant?Le22septembre. J’aidoncreplongédanslemystèredemesorigines et je l’ai couplémalgrémoi auxdifficultés d’origined’Estelle,maDameauxdémons.Toutesproportionsgardées,jel’entendsàtraverslelieuoù,moiaussi,j’aiéprouvéundéfautdefiliation.Ouplutôt:undéfautdemémoirequantàlafiliation.Estellem’aditaujourd’hui,trèsclairement:«Jen’aipasd’identité.Cen’estpasqu’ils’agitdel’Afrique,del’Europe, de l’Amérique, de l’Asie ou de l’Océanie, c’est que je suis lamère de toutes lesnations. Cependant je suis française ». Et là, j’ai vigoureusement approuvé, car c’est vrai(enfin, la dernière phrase). Voyez que, malgré la disproportion, mon inconscient nous aquandmêmeplacéaumêmeendroit.

Enracontantcerêveàmastagiaire,lematin,jecherchaislemotpourdécrirelenezdu psychiatre noir demon rêve. Cette fois, il m’est venu : « courbé », et j’ai aussitôt vudevantmoilafameusetoiledeCourbet,«L’originedumonde».

Ducoup, le restedu rêve s’interprèteaisément.Ce formidableéchangeurdoit êtreune représentation du transfert : le lieu où l’on échange des représentations et dessentiments.Lesouvrierss’échinentàcasserl’asphalte,c'est-à-direlapeaunoiredelaroute.J’aidoncreprisàmoncomptelamépriseoriginelled’Estelle,aumêmetitrequelaquestiondupère.Mais cela vaplus loin. L’ouvrierquim’épate leplus, qui s’attaque aubordde larouteavecsagrandebarredefer,quefait-ilsinonenfoncerunoutilphalliquesouslapeau,sur son bord ?Or, si la peau fait bord pour le corps instaurant la limite entre dedans et

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dehors, les trous dans la peau sont les instruments de communication entre dedans etdehorsc'est-à-direaveclaréalitéetaveclesautres.Cestroussontd’autresbordsducorps,bords communiquant par opposition au bord limitant qu’est la peau. Ils sont identiquescheztoutlemonde,saufleneuvième,lesexe,trouchezlesunes,bouchéschezlesautres.

Cetouvriermefournitunemétaphoredel’actesexuelavecEstelle.Commejesuislemetteurenscènedurêve,jemerendscompteque,nonseulementjereprendsencomptesaprotestation contre sa couleur d’origine mais encore, j’ai du désir pour elle. Voilà uneassertion à laquelle je ne m’attendais absolument pas, et ceci d’autant moins que sesdemandesincessantesonttendance,encemoment,àm’agacersérieusement.Peut-êtrelesentends-je pour ce qu’elles sont : demande d’amour, voire désir sexuel aussi.Mais à sonproposjenesuispaselle,jenepeuxpasdirequejereprendsaussiàmoncomptesondésirpourmoi.Parcontre,grâceàcerêve,jepeuxénoncerquelquechosedepertinentquantàmondésir.

Cetouvrierpourraitaussiêtreceluiquiaprocédéàcedontelleseplaint:l’excision.Etpuisquel’idéem’envient,trèsaprèscoup,c’estqu’elleestvraie,enmêmetempsquelaprécédente.Ellem’asouventditquefairel’amourneluiapportaitpasdesentiments.C’estsonexpression.Maisdans lesderniers tempselle seplaignaitdecequeça lui faisaitmalspécialementsuresseins; c‘estàcette«poquequ’elleademandérefugeà l’hôpitalpouréviterlesassautsdesoncompagnon.Monrêveentientcompte:lapénétrationdelabarredeferphalliquefaitéclaterleborddelaroute,c'est-à-direleborddelapeauauniveaudusexe.C’estunrappelde«l’excision»c'est-à-direvraisemblablementde lacastrationmaisautantgardersontermeàelle.

Jenevaisévidemmentpaspasserà l’acte,c’estabsolument interdit.Mais j’aiassezd’expérience pour avoir compris que le sexe en tant que neuvième porte (http://une-psychanalyse.com/neuvieme_porte.pdf),est lefondementdel’imageducorps.C’estcequiestautravailenelleencemoment,merappelantcommentjemesuismoi-mêmeconstruit:passansdésir.

J’ai oubliédevousparlerde l’arabeà laboule afro.Cela s’associe àun travail quej’avaisfaitilyapasmald’années,quej’avaisintitulé«l’AfriquedeJoséphine»( http://une-psychanalyse.com/l_afrique_de_josephine.pdf )

Ilyétaitquestiondurêved’uneanalysantequi sevoyait sur ledivanet, se tenantdeboutàsespieds,deuxjumellescoifféesdelamêmebouleafro.Elleavaitvitecomprisquecela faisait de son corps un phallus, les deux jumelles le complétant comme l’image descouilles.L’Afrique fait lepontentre lesdeuxsériesde représentations.Lenezdunoirdemonrêve,quiestparailleursunhomme,prendévidemmentunefigurephallique,etmêmeprécisémentde femmephalliquepuisquecelam’aévoquéaussitôtCourbetet l’originedumonde. D’autant qu’une autre analysante m’a raconté dans la semaine un rêve où ellecoupait carrément le nez de son père. Le nez du noir plus la boule de l’arabe, ça fait unensemblecorporelphalliquenécessitantdeuxcorpspourenévoquerlaforme.C’estpeut-être que, comme dans le rêve de Joséphine, l’analyste et l’analysante s’ymettent à deuxpourconstruireunphallus.

Estelle s’est plaint pendant fort longtemps d’avoir été excisée, tout en précisantqu’auCongo, onn’excise pas les femmes. L’injustice de son exception la faisait beaucoupsouffrir.Maiscommeauparavantelleseplaignaitd’êtrenéegarçonetd’avoirétécastrée,jemesuisditqu’elleavaitrévisésonopinionàlalumièresdesesconnaissancesdumonde:on ne castre plus les hommes mais par contre, dans certaines contrées d’Afrique, on

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continued’exciserlesfemmes.Parcelaseul,sonfantasmedecastrationpouvaittrouverunéchodanslaréalité.Onvoitbienquelefantasmeinconscientnes’embarrassepasavecdetellesapproximations:lenez,lecorpsentier,lachevelure,leclitorisetleslèvres,unebarredefer,l’asphalte,toutpeutêtrephalliqueetrisquerlacastration.

Pourquoi,alors,monbonhommeest-ilseuletarabe?Bah,iln’estpasseul:ilvienttenircompagnieàsonhomologueafricain.Àeuxdeuxilsfontlapaire,phalliquecôténoir,couilluecôtébrun.

Dans l’article référencé ci-dessus, j’expliquais comment les jumelles de Joséphine,qui étaient café au lait, étaient une autre façon de mélanger le noir et le blanc soit, lacoupure fondamentale entre poils pubiens et peau. Chez un autre analysant, celaapparaissait sous la formedugrisdu cimentdes toilettes,dansune scèneprimitiveoù ilvoyaitsonpèreempêchersamèred’avorterdelui-même.Chezmoic’étaitunehallucinationadolescenteoùnoiretblancsesuivaientsansformeetsanscoïncidencetemporelle.Chezleschinois,c’estlesigneduTaooùnoiretblancsetournentautoursanssemélanger.

Je ne sais encore pas trop comment cela s’articule avec l’insistance d’Estelle à sevouloirblanche,commeelles’étaitvuegarçonàl’origine.Sansdouteest-ceunmoyenpourl’inconscientd’évoquer lemélangequenous faisons,àdeux,pour fabriquerunphallusetd’avoirlamêmepeauutilisantlemélangenoiretblanc.

Danslasemainequiasuivi,Estellem’atéléphonéplusieursfoispourmeparlerdesapeauetdecequeluidisaitdieuàcesujet.Dansladernièreséancedecejouroùj’écris,elleme dit: «dieu est noir, je le saismaintenant, seigneur Jésus aussi, la viergeMarie aussi.C’estluiquim’afaitetpourtantpourlacouleurdepeauilnem’apasencorefait.Ilm’adit:pourtoijenesaispasencoresijeteferaiblancounoir.Ilneveutpasmefairenoireparcequelesblancs,ici,m’aimentplusquelesnoirs.Lesnoirsnem’aimentpas.Alorsjenesaispassijevaisêtreblancounoir.Qu'est-cequevousenpensezM.Abibon?

- eh bien, puisque vous dites que dieu est noir… il peut difficilement vous fairedifférentedenoire!

-ahmerciM.Abibon!quelsoulagement!Maisle lendemainjedevaislarecevoirenurgence,elleétaitcatastrophée:dieului

avait dit que samère n’était pas samère,mais la viergeMarie. Je l’ai reçue deux fois lamême journée et, à la deuxième, elle s’est jetée dans mes bras en pleurs. À la séancesuivante,ellesedisaitànouveaublanche.

La9èmeportequiachèvelaconstructionducorps

Unrêve:Plusieurs«malades»essayentdepénétrerchezmoi.çasepassedansmonentrée,mais

(antichambre).C’estpaslamêmequ’ici. J’essaiedelesfoutredehorslesunsaprèslesautres.L’und’euxrevientsanscesse. Je ferme laportesur lui,mais ilya toujoursunboutdecorpsqu’ilarriveàinterposerentrelaporteetlechambranle.Quelboutdecorps,cen’estpasclair,pasplusque l’identitédecesgens.Comme jeneveuxpas luicouperundoigtouquoiquecesoit, j’yvaisdoucementmaisfermement.Ilrevient, ilrevient; finalementj’arriveàfermerlaporte.Jesuisépuisé.

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LaveilleausoirEstellem‘avaitréveilléà11h30alorsquej’étaisendormidepuisà

peineuneheure.

C'était aumoins son quatrième ou cinquième appel de la journée. Et celui-ci était

particulièrementagressif:«Pourquoivousmementez,M.Abibon?Pourquoivousneditespaslavérité?Jenesaisplusquijesuis,jevaismesuicider!»Depuisquelquessemaineslesappels téléphoniques se multiplient, tous les jours, en plus de ses trois séanceshebdomadaires.C'estainsidepuisqu'elleareconstruituncorpsqu'ellen'avaitpas.Depuis,ellesechercheuneidentité,caruncorpssansidentité,c'estvisiblementinsupportable.Or,ellechanged'identitéetdeparentstouslesdeuxoutroisjours.Tantqu’ellen’avaitpasdecorpsetqu’ellesedisaitmorte,çaneladérangeaitpasplusqueça.Disonsquecen’étaitpasçaleproblème.Elleétaitvenuepossédéepardesdémonsquisontpartisdanslecourantdela cure.Ensuiteelle s’est construitedes identitésde substitutionqui, bienque changeantcontinuellement, semblaient la satisfaire. Elle était successivement et dans une mêmeséance,leChrist,dieulepèreetlaViergeMarie.

Maintenant,çanelesatisfaitplus.C’estpourçaqu'ellemetéléphonedansl'urgence:dieuvientenfindeluirévélerlavéritésurellemême,maiscen'estjamaislamêmevérité.Mêmesielleneditplusqu’elleestdieulepèrenileChrist.Parcontreelleseditenfantdedieu. Nous progressons! Elle s’interroge sur ses parents qui ne cessent de changer,notammentcesdernierstempsoùsamèren’estplussamère,celledontellem’avaitparléependant 15 ans, mais la Vierge Marie. Il s’agit sans doute de retomber sur terre, et cetatterrissagesefaitlentementensedépouillantpeuàpeudesoripeauxdivins.

En fait, je suis la seule référence constante pour elle, depuis 15 ans. C'est pour çaqu'ellem'appelle,pourquejeconfirmecequedieuadit.Engénéral,jedis:«puisquevousle dites...» ou «puisque c’est dieu qui le dit…». C’est une façon demettre l’accent sur lesujetde l’énonciationetnonsur lavéritéde l’énoncé.Maisquandundoutese fait jouretqu'ellem'interpelle,medemandantcequej'enpense,c'estl'indiceque"dieu"nesuffitpasetqu'ellefaitappelàmoicommeautre.Alorsjeluirappellecequejesaisd'elleetdesonidentité,quipourmoinechangepastousles4matins.Jeluirappelleaussiquedieuneditpaslesmêmesvéritésselonlesjours.

Bref, elleme pompe littéralementma substance afin que je la soutienne avec. J'aitenu très longtempsmais, là, j'ai dumal à suivre. Je nepensais pasquemon inconscientpouvaitfabriquerdetellesréactionsderejet.

Pour essayer de faire dans la théorisation, je n'appellerai pas ça injonctionparadoxale.Leparadoxesuppose:AetnonAcoexistent,ilssontvraistouslesdeux.Maislà,niAninonAnesontvrais.Riennetient.Ilsnecoexistentpas,ilssesuiventdansletemps,commesi lepremiern'existaitplusauregarddusecond. Lacontradictionnesemanifestepascommetelle.

Engénéral,ellesedéclareapaiséeaprèschacundesesappels.C’estbienpourçaquejelalaissecontinuer,malgrélachargequeçareprésentepourmoi.Jemedisque,d’êtresonseulréférentconstantdepuissilongtemps,c’estunstatutquinepeutserefuser.Àd’autresquiont suivi cettevoied’intrusionpermanenteouunevoie similaire, j’aimisdes limites.Maiscen’étaitpasdutoutlemêmecas.Elle, jeluiai laissélaporteouverte,euégardàlagravitédesonétat.

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Ladernièrefoisquejel’aieueautéléphoneellecriait:«pourquoivousmementezMAbibon?Jesuisunenfantdedieu,alorspourquoimoi?Pourquoionm’aexcisée,pourquoionm’a tuée? Vous savez bien,M. n’est pasmamère, ellem’a enlevée,mamère, c’est laVierge Marie. Pourquoi vous ne me dites pas la vérité sur mon identité?». à quoi j’airéponduenm’imposantunpeuaumilieudesoncrienprononçantsesnomsetprénoms.

Maisçaneservaitàrien,ellecontinuaitdehurler:«sivousmeditespaslavéritéM.Abibon,jeviendraisplusvousvoir,jevaismesuicider.»

Çam’aalerté.D’autantquepourlapremièrefois,l’appelnel’avaitpasapaisée,etellearaccrochésansdireaurevoircommeunepersonnedansunegrandecolère.Quelquepartjemesuisdit:«bondébarras».Çanesefaitpasdepensercela,maisonn’estpastoujoursmaître de sa pensée. J’ai aussi pensé appeler l’hôpital qui s’occupe d’elle, où je travailleégalement,afindelesalerter.Jemesuisretenupendant24h,letempsdepeserlepouretlecontre, puis j’ai appelé son médecin prescripteur, en lui demandant d’envoyer desinfirmierschezellepourvoircequisepasse.

Oui, j’ai pensé «bon débarras», car j’étais épuisé, je ne savais plus comment luirépondre.C’estétonnantquandonpenseàmonrêveprécédentdanslequeljem’identifiaisàelledanssonproblèmedepeau,puisjelabaisais.Cerêve,àyregarderd’unpeuplusprès,dénotait déjà un paradoxe: à la fois je reprenais sa haine d’elle-même en voulant luidécaperlapeauetenmêmetemps,jem’introduisaissoussapeau.C’étaituneidentificationàsonagresseur,imaginaireouréel,violeuretexciseur.

Maintenant, c’est elle qui veut s’introduire chezmoi, une intrusion que je rejette,toutefoisenprenantsoind’éviter lacastration(nepas luicouperunboutdecorps).C’estellequiviolemonintimité.

«Bondébarras»faitpartiedecespenséesquejemereprocheenmêmetempsque«elledélireàpleinstubes».Est-ceàmettredanslemêmepanier?

Le lendemain elleme téléphonait à 10h du soir pour s’excuser etme dire qu’elle

avait jetésoncompagnonà laporte.Ellemedisaitqu’ilétaitdehorsdans lecouloiretnevoulait pas s’en aller. Elle avait appelé les flics. Il se retrouvait doncdans lapositiondes«malades»demonrêvequejerefouledel’autrecôtédelaporte.Jesuisdoncencoreunefois identifié à Estelle. C’est une identification inconsciente, qui est peut-être la partieimmergéedel’iceberg,lapartieémergéeétantladéfensecontrel’identificationàunefolleparle«diagnostic»populaire(«elledélire»)etle«bondébarras».

Puisjel’airevuelelendemainencore,àsaséancehabituelle.Ellem’aaccueillid’unsourire et d’une révérence. Elle s’y est excusée encore,me jurant qu’elle nemeparleraitplusjamaismalcommeellel’avaitfait.Elleétaiténervéecontresonhomme,disait-elle,etc’estpourcelailfallaitquecettepressionsorte.Elleaprécisé:«cen’étaitpascontrevous,c’étaitparcequejeneconnaissaispaslavérité».

Comme toujours, jen’ai plusqu’à la croire. Pourme rassurerunpeuplus, j’ajouteencoreunpeudesensdemoncru:demêmequedansmonrêve,jereprendssespropresfantasmessursacouleurdepeauetlesviolsqu’elleasubis,demêmeellem’acriédessuscommeellecriaitsursoncompagnon.

Dans un premier temps elle avait demandé la protection de l’hôpital contre lui.Aujourd’hui elle est parvenue à se défendre elle-même en le mettant à la porte et encommençantlesdémarchespourmettretouslespapiersetsurtouttouteslesallocationsàsonnompropreetnonplusàleursdeuxnoms.

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Aufondelleavaitraisondem’engueulerparceque,dansmonrêve,j’étaismoiaussiunvioleurcontrelequelilfallaitsedéfendre.Eneffet,tantqu’ellen’avaitpasdecorps,soncompagnonpouvaitlaviolertantqu’ilvoulait.Ellem’enparlaitenmedisantjuste,d’untonderegret:«jen’aipasdesentiments».Récupérantpeuàpeuuncorps,elleavaitcommencéàsedéfendredesesassauts.Cettefois,çaluifaisaitmal!D’oùl’hospitalisationqu’elleavaitdemandée. Mais cette fois elle l’a mis à la porte. Le rêve de la porte était antérieur dequelques jours. Il ne s’agit donc pas seulement de mettre une limite à une relationenvahissante:sicetteporteestcelledusexe(La9èmeportedeRomanPolanski:http://une-psychanalyse.com/la_porte_de_l_in_fini.pdf ), elle se fermeendénotant la limitequevientdeprendrel’imageducorps.Lecorpsn’estplusabsentnimort,ilvitdanslamesureoùleséchangesaveclesautressontlimitésparlestrousdanslecorps,quipeuvents’ouvrirousefermerenfonctiondecirconstances.

D’où, chez d’autres personnes, ces troubles que sont anorexie, boulimie,

constipation, diarrhée, cécité et surdité psychologique, et tous les autres troubles del’alimentationaussidiversetvariésque l’imaginationhumainepeutenconcevoir.Letrou

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clefdetous lesautres,c’est lesexe, leseulàêtredifférentsurcertainshumains, leseulàêtre de nature anatomique ouvert ou bouché par un appendice, différence interprétéecommecastration.C’estcettedifférencequis’instituecommemodèledeladifférenceentrela surface et le trou. D’où, cette fois les problèmes de surface que sont, chez d’autrespersonnes,leseczémas,psoriasis,acné,etautresmaladiedepeau.

D’où, chez Estelle, sa préoccupation constante, depuis qu’elle a un corps, sur lacouleurdesapeau.

Ilmesemblequ’Estelleditdeplusenplusqu’elleestnoire.Encettedernièreséance,ellem’asortilaformule:«commevousl’avezdit,jesuisnoire».

À ma grande surprise, aux séances suivantes, elles m’apporte les papiers luiannonçant l’attribution de son allocation handicapée adulte: elle veut entreprendre lesdémarches pour qu’ils ne soient plus «qu’à son nom» (le nom de son compagnon y estassocié).Jecroisquec’estàentendreausensfort:àsonnom.Puisellemeparlebeaucoupd’habits, mais cela fait un moment déjà qu’elle se préoccupe de ses vêtements, depuisqu’elleauncorpsetqu’elledoitletrouverpasmalpuisqu’ellechercheàlerendreencoreplusjoli.Celaconforteaussilafonctiondecontenantduvêtement:cequimatérialisepourlesautresleslimitesànepasfranchir,ladifférenceentrelededansetledehors.Àpeineunpeuplusau-delà,cela inviteàréfléchirsur labeautécommepartie intrinsèquedel’imagedu corps, malgré toutes les protestations idéalistes affirmant la préséance de la beautéd’âme.

Enfin,ellemeditqu’elleestbienetbienentraindenaîtreetquejesuissonpapa!C’est la première fois que j’entends ça, et j’avoue que ça me fait bien plaisir. En fin deséance, ellem’expliquepourquoi ellem’appelleparfois enpleinenuit: «jem’ennuie, dit-elle, j’ai envie de parler et vous êtes un ami, je n’en ai pas d’autre. Mais je ne vousdérangeraiplus,jecomprendsquevousavezaussivotrevieetbesoinderepos».Etellemeserredanssesbras.

C’estuneconfirmationdeceque,nonseulementelleexistemaisqu’unautreexistepourelleendehorsd’elle,avecdesdésirsetdeslimitesspécifiques,pasenfusionavecelle.

Savoir(diagnostic)etréactioninconscienteJe remarque que, lorsque je reçois quelqu'un qui a de telles difficultés, il peut

m’arriver de penser «elle délire à pleins tubes». Ce n’est pas la première fois que je leremarqueetque jemedisque jenedevraispas,car j’aipeurquecelaérigeunebarrièreentrecesujetetmoi.Penserquel’autredélireesteneffetunbonsystèmededéfensequandnotre logique habituelle est attaquée par des contradictions aussi massives, dontl’interlocuteurme dit qu’il s’agit de réalité. J’ai reçu il y a peu une nouvelle personne audispensaire,quim’aaussitôtparlédesmultiplesviolsqu’elleavaitsubi,sansmanifesterlamoindreémotion.Elleparlaitaussidesgensquilaregardentdanslarue,desontéléphonequi était sur écoute. J’ai reconnu quelque chose d’Estelle et, dans le même temps s’estformulé en moi la phrase «elle délire à plein tubes» que, dans le même temps, je mefustigeaisdepenser.Descollèguesm’ontdéjàditquecetypederéflexioncorrespondaitaufait que mon inconscient faisait déjà le diagnostic. Je ne suis pas d’accord avec ça: lediagnosticestunsavoir,l’inconscientestlerefugedecequejeneveuxpassavoir.Ortoutescesréflexionssepassenttoutàfaitconsciemmentdansmatête.Lerêvetelqueceluiqueje

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viensderaconterproposedespenséesquin’ontrienàvoiravecundiagnostic,commeonapuleconstater.C’esttouteladifférenceentredesreliquatsdusavoirdontonm’agavédansl’université et dans les écoles, savoir qui s’accorde tout à fait à l’attitude populaireconsistant à se défendre de l’autre trop étranger en le rangeant dans la catégorie del’étranger,justement:fou,psychotique,pascommenousentoutcas!

Je crois qu’il en est ainsi chaque fois qu’un désaccord semanifeste avec un autre

notamment dans les références à la réalité. On rencontre aussi ce phénomène dans lesdisputesentreintellectuelslorsqu’ils’agitdeseréféreràlaréalitéd’untextequechacunapu liredifféremment.La réalité court le risquedes’effondreret, sinonelle, la conceptionquejem’enfais,dangereusementattaquéeparl’autre.C’estcommesilesolsedérobaitsousmes pieds et en dernière instance, comme si moi-même je risquais de m’effondrer. Onn’existequedansun rapport àunenvironnementetdes autresqui lepeuplent etqui enparlentgrossomododelamêmefaçon.End’autrestermes,lapsychoseportelamenacedetransmission, comme s’il s’agissait d’une maladie contagieuse. C’est une croyance quiexistaitautrefois.Elleperdureencoreaujourd’huichezpasmaldemonde,ycomprissouscouvert de diagnostic savant qui se propose donc inconsciemment comme une sorte deprophylaxiedelafolie.

Il est aussi certain que des phénomènes de foule peuvent entrainer toute unepopulation dans une folie collective, comme par diffusion contagieuse. On l’a vérifiéautrefoisaveclenazismeetlecommunisme,onleretrouveaujourd’huiavecl’islamisme.Cegenredefolieentrainedescatastrophesauxdimensionsplanétaires.

Lamenacequirevientdansmonrêvesouslaformed’unmonstreestdoncsérieuse.Lorsquequelqu'unmeracontelerécitdesavie,jen’aiaucunmoyendevérification.

Sonhistoire,c’estsamémoire,nonlamienne.Évidemment,lorsquequequelqu'unmeparlede ses dialogues avec dieu, de sa lutte contre des démons qui la possèdent, voire quiprennentlaparoleenséanceàlaplacedelapersonne,jen’aipasdedoutequantàl’irréalitédecesphénomènes.Cependant,jelestienspourvraiausensdusujetdel’énonciation:ilestvraiqu’ill’adit.Etc’estsouventainsiquejerépondslorsqu’onm’interpellesurcequej’enpense:«sivousledites…ilestvraiquevousl’avezdit».Curieusement,cegenrederéponseapaiseàtoutcouplespersonnesquisesententeneffetentenduscommesujets,lecontenudel’énoncén’étantpas,finalementleurprincipalsouci:cen’étaitqu’unfaire-valoir.

LesclefsdumystèrefémininOnauranoté l’apparition furtived’unesculpturedeChantalLorio.Cetteœuvreest

particulièrement parlante. Je vais donc y revenir un peu. La tête de cette femme estremplacéeparunecorned’abondanced’oùruisselleuntorrentde lettres.Elleadoncdeschoses à dire, ou à écrire, et c’est déjà ce que fait Chantal Lorio à travers le moded’expressionqu’elles’estchoisie.

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Ces lettres coulent de source vers la source de toute vie, ainsi que le rappelait

Courbet, précédemment cité.Mais pour décoder lesmessages qu’elles diffusent, il faut laclefdu code.Elle s’enentoureàprofusion, commeEstelle fermant laporteà sonhomme(voircomplusbas).Encoreune fois,c’estdecetterupturequepeutse fermer l’imageducorps,commelimiteentrelededansetledehors.Onnepeutpluspénétrerdedanscommedans un moulin, il faut le code de la porte, et la clef de ce code, c’est le phallus. Unereprésentation se caractérise par le fait qu’elle peut être présente en l’absence de l’objetreprésenté. Je peux me représenter Estelle lorsque, ici, j’en parle, bien qu’elle ne soitd‘évidencepasdansmonécrit.Cederniernevous faitpartquede la façondont jeme lareprésente, c'est-à-dire la façon dont elle entamémamémoire afin d’y laisser une trace

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articulée aux autres traces qui y sont déjà, lamémoire demon histoire personnelle. Mareprésentationnepeutêtreautrequesubjective.

Or,lephallusestleseulorganequipeutàlafoisêtrelàetpaslà,enfonctionducorpsauquel on se réfère. Il est donc la référence corporelle princeps qui organise tout leprocessus de la représentation: c’est la clef de la serrure, que l’on voit fatalement «enreprésentation»àlaplaceoùl’onpensequ’ilpourraitêtre,aubas-ventred‘unefemme.

Après,cequ’ilyaàdéchiffrer…ehbienChantalnousafournileslettres,ànousdetrouverlesmots.Àchacunsonhistoire,ilpeutlaprojeteràloisirsurcetteœuvre.

ConclusionOnl’auraremarqué,cesrêvesrenvoientàdesanalysantsquimeposentproblème.Il

y a longtemps que j’ai éliminé lemot de «psychotique» demon vocabulaire. Ce vocabledésigneraiteneffetquelqu'undontla«structure»seraitfondamentalementdifférentedelamienne.Heureusement, tousne sontpas commeça. La fonctiondu rêveest assez claire:élaborerc'est-à-diresymboliserladifficultéàintégrercesrelations.Jesuissoiteffrayé,soitperdu, soit épuisé, par la menace de castration et les contradictions. Une porte ou uncouverture me devient nécessaire pour me protéger du «monstre» qui me harcèle etmenacelastabilitédemastructure.Jerisquemoiaussidepartirenlambeaux,devoirmapeau éclatée par les ouvriers de l’échangeur transférentiel, je risque la castration que jeveuxéviteraux intrus, jerisquelamort.Toutcelaestévidemment imaginaire.Çaneveutpasdireque cen’estpas symbolique: c’estune tentativede trouver représentationpourdessentimentsquim’agitentsansquej’ensoisconscient,pasplusquejenesuisconscientdessentimentsinversesquisontdel’ordredelalibido.

Cettemenacepourlastabilitédemonêtrereprésentelapsychoseenmoi,sollicitéepar la psychose à laquelle je dois faire face. C’est là où nos «structures» ne sont pasdifférentes. Donc pas de «psychotiques», mais de la psychose qui circule entre deux,menaçantl’unitécorporelle.Mamodalitépersonnellefaitquejenesuisconscientdecettepsychosequeparletruchementdesrêvesquisont,pourtoutlemonde,lelieuderefugedelapsychose.

Lerêveestl’accomplissementd’undésirdanslamesureoùmesdésirsàl’égarddecesanalysants-làsontprofondémentrefoulés: ilestdifficilementavouable,parcequenonpolitiquement correct, de penser «bon débarras», même si cela se dissimule sous lesapparences d’un diagnostic. Si la psychose désigne un mécanisme spécifique durefoulement qui consiste à rejeter dans l’extérieur ce qui est insupportable à l’intérieur,alors, cette formule représente le retour de flamme de ce mécanisme: le thérapeute sedébarrasse de ce qui lui est insupportable. Les constructions théoriques qui font du«psychotique»unêtrehumain fondamentalementdifférentparticipentdonc cemodedefonctionnementexcluantautantqueconjuratoire.Enoutre,celaconfineàmodederacismequineditpassonnom.Reconnaître làoùnoussommesidentiquesmesemble lepremierpaspourréintégrercesgensdansnotresociétéc'est-à-direentoutpremierlieu,dansnotreintérieurpsychique.

Il est tout aussi incorrect d’avoir des désirs sexuels dans ce cadre. Tout celacontribueaurefoulementdesditsdésirsetdoncàl’inachèvementdeleursymbolisation.La

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défensecontrecesdésirs, lespositifs comme lesnégatifs, contribueàétablirunedéfensecontrelapersonneenquestion.Lesrêves,puisleuranalyse,achèventcettesymbolisationetcontribuentà ladissolutionde laméfiancequiétablissaitunemurailleentre lesdeux, aulieuquecesoitunelimitebiencompriseavecsesportesquel’onpeutouvriroufermer.Nitotaleouverture,nitotalefermeture.

Le rêve est donc le lieu du nouage de la pulsion de mort qui met en œuvre lasymbolisationetdelapulsiondeviequiorganiseunretourdurefoulédesdésirsinterditsdanslecadrel’analyse,envenantrappelerquec’estlepassageàl’actequiestinterdit,nonledésirnisamiseenscèneonirique.

Néanmoinscelavalaitlecoupdecourirlerisque,puisqu’aubout,çaseterminepar

unenaissanceetdenouveauxauspicespourlarelation.Onl’auracompris,cetteconclusionn’enestpasune:jecherche,jefaissavoircequi

m’arrive,et j’espèrequecelapourrasusciterréactionsetcontroversesaptesànourrirmarechercheenretour,etcelledesautres.

8-oct.-16

EpilogueAyantretrouvéuncorps,unsexe,desenfants,ayantfermélaporteàson«homme»,

s’étant plaint de la castration pendant des années sous la forme de l’excision, m’ayantappelé«papa»,Estellenesesentpasmieux:illuifautfairequelquechosedetoutça.Illuifautunautreprivilégié,etpasn’importelequel:celuiaveclequelelleafaittoutceparcours,qu’en définitive elle appelait «papa», ce qui est légitime puisqu‘en quelque sorte, je l’aimiseaumonde. J’aidéjàracontécommentelleenétaitvenueàmetéléphonerdeplusenplus fréquemmentendehorsdesséances,etmêmenuitamment.Elleenétaitvenueàmedireque,cedontelleavaitbesoin,c’étaitd’amour,carelleétaittrèsseule,etiln’yavaitquemoi pour la croire. Elle s’indignait de ce que les services sociaux ne lui donnent pas unlogementàParis,c'est-à-direprochedechezmoi.Ellem’avaitmêmedemandédel’argent,puiselleavaitretirésademande,disantqu’ellenevoulaitpasm’embêteravecça.

Puiss’esttenuuneultimeséanceoùelleahurlépendantunedemiheure,établissantlecataloguedesinjusticesqu’elleavaitsubiesetunecompilationdetoutcequ’ondevraitluidonner, sans dire que je ne le lui donnais pas; mais quandmême, elle avait conclût endisantd’unevoixforte:«jenepartiraipasd’icitantquevousn’avezpasfaitquelquechose,M Abibon!». Jeme suis immédiatement levé en lui signifiant la fin de la séance.Pas dechantageavecmoi.Ellen’apasinsisté;elleestsortie,maisencriant.

Àcejourjenel’aiplusrevueetsesappelstéléphoniquesontdisparus.Commesi,den’avoir pu sortir demon rôle d’analyste, cela lui fermait la porte d’un idéal qu’elle avaitconstruit,maisdontellenepouvaitsedéfaireautrementqueparlapolitiquedu«toutourien».Uncorpsetpasdepartenairepourcecorpsdanslaréalité.

Cen’estpaslapremièrefoisquecegenredemésaventurem’arrive,chaquefoisdansunmodalitédifférente,maistoujoursaveccettestructure:laconstructiond’uncorps,d’un

Page 19: Richard Abibon Transfert de psychose - une …une-psychanalyse.com/transfert_de_psychose.pdf · que je le faisais attendre une heure. ... , tu retrouveras l’enfant que tu as

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sujet, son investissementmaximumsur le«géniteur» (l’analyste)etunbrutal arrêtdûàl’atteintedemeslimites.Quoique,pastoujours.

Jemerappelleunefemmequiavaitainsi investitotalementsurmoietqui,unjourquejevenaislacherchercommed’habitudedanslasalled’attente,m’adit:«vousm’avezregardédetravers».Aprèscetteultimeséance,jenel’avaisplusjamaisrevue.Cen’étaitpasdu tout lemême cas qu’Estelle. C’était une femme cultivée qui lisait beaucoup, qui avaittravaillé et qui ne faisait état d’aucune hallucination. J’ai aussi vécu ce genre de brutaleinversion dans ma vie personnelle. Pour emprunter un vocabulaire classique dont j’aipourtantapprisàmeméfier,jediraisqu’ils’agitd’uncycleérotomanie-persécution:lesujetaimeàlafolie,puisbasculed’uncoupdanslahainelejouroù,vraisemblablement,ilserendcomptequel’autrequ’ilatantidéalisénepeutluiapporterlecomplémentqu’ilattend.

Dansmonlivre«lerêvedel’analyste»,j’avaisconsacrétoutunchapitreàEstelle.J’ymontraiscomment,derêveenrêvejemerendaiscomptecombienjerésistaisàcequ’elleme «pénètre», jusqu’à ce que cette barrière se dissolve peu à peu, mon évolutionpermettantlasienne.Onvientdevoircettebarrièreressurgir(«bondébarras»)dufaitdelarésurgenceenquantitébienplusélevéedesademande.Àl’époquejenemerendaispascompte que je résistais; seuls les rêves m’en avertissaient. Aujourd’hui au contraire, sapénétrationesttellementinsistantequejenepeuxqu’enêtreconscient.Lerêvedelaportequej’aianalyséplushautnefaitqueleconfirmer.

Aufond,c’estunefaçondenaître.Brutale,maisfinalementefficace.Demême,avecles enfants, on doit vivre une période de très fort investissement nécessaire à leurdéveloppement.Unjour,ilsprennentlaporte,parfoisdoucement,parfoisbrutalement.

16oct.16