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Facebook : La culture ne s'hérite pas elle se conquiert

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  • Facebook : La culture ne s'hrite pas elle se conquiert

  • ROBERT CIALDINI

    INFLUENCE &

    MANIPULATION

    Pour les spcialistes du marketing,lun des livres les plus importants de la dcennie

    DITION RVISEET AUGMENTE

    Facebook : La culture ne s'hrite pas elle se conquiert

  • Influence et manipulation

    Titre de ldition amricaine : Influence The Psychology of Persuasion

    Publi par : William Morrow, un department de Harpercollins Publishers Inc.

    Copyright 1984, 1993 Robert B. Cialdini

    Traduction de la premire dition : Nathalie GardeTraduction de ldition rvise : Marie-Christine Guyon

    Mise en page : Garance Jannin, Agns Bouche

    Editions First-Grnd, 2004 pour ldition franaise. Publie en accord avec lagenceliane Benisti 80, rue des Saints-Pres 75007 Paris.

    ISBN 978-2-87691-874-0

    Dpt lgal : 1er trimestre 2004

    ISBN Numrique : 978-2-7540-4369-4

    ditions First-Grnd60, rue Mazarine

    75006 Paris FranceTl. : 01.45.49.60.00Fax : 01.45.49.60.01

    e-mail : [email protected]

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  • IntroductionJe peux bien le dire aujourdhui : jai toujours t un gogo. Aussi

    loin que je me souvienne, jai toujours t la cible rve desvendeurs, quteurs et solliciteurs de toute espce. Certes, lesmobiles de ces gens ntaient pas toujours inavouables. Certainsdentre eux reprsentants dorganisations charitables parexemple avaient les meilleures intentions du monde. Ilnempche. Avec une rgularit inquitante, je me suis vu prendredes abonnements des revues qui ne mintressaient pas ou desbillets pour le bal des boueurs. Cest sans doute cette longueexprience de victime qui ma pouss mintresser lapersuasion : quels sont les facteurs qui poussent un individu accepter une proposition ? Et quelles sont les techniques les plusefficaces pour amener ce consentement ? Comment se fait-ilquune requte formule dune certaine faon soit rejete alorsque, formule dune autre faon, elle sera satisfaite ?

    Cest pourquoi, tant chercheur en psychologie sociale, je mesuis mis tudier la psychologie de la persuasion. Ma recherchea dabord pris la forme dexpriences ralises, pour la plupart,dans mon laboratoire et avec mes tudiants comme sujetsdexprience. Je voulais savoir quels sont les principespsychologiques qui influent sur notre tendance satisfaire unerequte. lheure actuelle, les psychologues connaissent biences principes, leur nature et leur mode daction. Pour ma part, jaidfini ces principes comme les armes de linfluence et je dcrirailes plus importants dentre eux dans les chapitres suivants.

    Je me suis cependant rendu compte, aprs un temps, que letravail exprimental, quoique ncessaire, ntait pas suffisant. Ilne me permettait pas destimer limportance de ces principes endehors de mon champ dexprience lUniversit. Pourcomprendre pleinement la psychologie de la persuasion, il mefallait largir mon champ dinvestigation. Jallais mintresser auxprofessionnels de la persuasion : aux gens qui savaient si bientirer parti mes dpens de ces principes. Ces professionnels

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  • savent ce qui est efficace et ce qui ne lest pas ; cest la loi de laslection naturelle. Leur mtier est de nous faire consentir, etcest de notre consentement quils vivent. Ceux qui ne savent pasfaire dire oui disparaissent rapidement ; les autres survivent etprosprent.

    Bien videmment, les professionnels de la persuasion ne sontpas seuls connatre et utiliser ces principes pour arriver leursfins. Tous, nous les employons et nous y succombons tour tourdans nos rapports quotidiens avec nos voisins, nos amis, nospartenaires amoureux ou nos enfants. Mais les praticiens de lapersuasion possdent beaucoup plus que lintuition confuse quenous avons tous en la matire. Jai donc, lors des trois annessuivantes, complt mes tudes exprimentales dune immersionsystmatique dans le monde des professionnels de lapersuasion : vendeurs, quteurs, escrocs et publicitaires.

    Mon but tait dobserver, de lintrieur, les techniques et lesstratgies les plus efficaces et les plus usuelles chez lesprofessionnels de la persuasion. Cette observation a parfois prisla forme denqutes auprs des praticiens eux-mmes ou auprsde lennemi naturel (la police, ou les organisations deconsommateurs) de certains dentre eux. Dans dautres cas, ellea port sur un examen approfondi des crits qui transmettent,dune gnration lautre, les techniques de persuasion, cest--dire les manuels de vente et autres.

    La plupart du temps, cependant, jai eu recours lobservationdirecte par participation. La participation est une mthode danslaquelle le chercheur se fait en quelque sorte espion. Endguisant son identit et ses intentions, il va infiltrer le milieu quilintresse et devenir membre part entire du groupe tudier.Ainsi, quand jai voulu me renseigner sur les tactiques depersuasion des socits proposant des encyclopdies (ou desaspirateurs, ou des portraits-souvenirs, ou des cours de danse),jai rpondu des annonces offrant une formation de vendeur etjai appris leurs mthodes. Avec des moyens similaires, maisadapts, jai pu infiltrer des agences de publicit, de relations

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  • publiques et des organismes faisant appel au public afindexaminer leurs techniques. Les exemples proposs dans cetouvrage proviennent souvent de mon exprience en tant que fauxprofessionnel de la persuasion, ou aspirant praticien, dans uncertain nombre dorganismes dont la vocation est de nousamener dire oui.

    Ces trois annes dobservation directe mont appris enparticulier une chose. Bien quil y ait des milliers de tactiquesdiffrentes pour faire dire oui, on peut les classer en sixcatgories. Chacune de ces catgories correspond un principefondamental de psychologie auquel est soumis le comportementhumain, et qui donne sa force aux tactiques employes. Le livreest construit sur cette classification, chaque chapitrecorrespondant un des principes. Ces principes cohrence,rciprocit, preuve sociale, autorit, sympathie, et raret sontanalyss tour tour dans la perspective de leur fonction dans lasocit et de leur dtournement par un professionnel : leurpouvoir considrable est utilis pour suggrer un achat, un don,une concession, un vote, un consentement, etc. Il mrite dtreobserv que, parmi ces six principes, je nai pas inclus la loi dusimple intrt matriel, selon laquelle nous cherchons tous obtenir le maximum au moindre prix. Non pas que je considrecette motivation sans grande influence sur nos choix. Je nedtiens pas non plus la preuve que les professionnels de lapersuasion en ignorent le pouvoir, bien au contraire. Sur le terrain,jai souvent constat quils recouraient (parfois en toutehonntet, parfois non) la mthode trs convaincante du : Jevous fais un prix, vous faites une affaire. Si je ne consacre pasde chapitre particulier la loi de lintrt matriel, cest pour lasimple raison que son rle va de soi, et quil suffit de lidentifiersans la dcrire en dtail. Enfin, chaque principe possde unecapacit particulire provoquer un consentement automatique,cest--dire amener les gens dire oui sans rflchirpralablement. Tout indique quavec le rythme frntique de la viemoderne et la surabondance de linformation, cette forme deconsentement non rflchi jouera un rle de plus en plus

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  • important lavenir. Il sera donc plus que jamais indispensablepour nos socits de comprendre le pourquoi et le comment delinfluence conditionne.

    Depuis la premire parution dInfluence et manipulation,quelques annes ont pass. Dans lintervalle se sont produits desfaits qui ont leur place, selon moi, dans cette nouvelle dition.Nous en savons davantage aujourdhui sur le processus depersuasion ; les pages qui suivent refltent donc les progrseffectus dans ltude de ce phnomne.

    En plus de cette mise jour gnrale, jai apport ce livre unenouvelle rubrique, ne des ractions de mes lecteurs. Cespersonnes mont crit pour relater comment les principesvoqus dans louvrage se sont vrifis leurs dpens (ou leuravantage). Leurs tmoignages, qui figurent la fin de chaquechapitre, montrent combien il est facile et frquent, dans la viequotidienne, dtre victime du processus dinfluence.

    Je remercie ceux qui, de faon directe ou par lintermdiaire deleurs formateurs, ont contribu cette rubrique Tmoignages :Pat Bobbs, Mark Hastings, James Michaels, Paul R. Nail, Alan J.Resnik, Daryl Retzlaff, Dan Swift et Karla Vasks. Jinvite denouveaux lecteurs me faire part de nouveaux exemples, insrer ventuellement dans une future dition.

    ROBERT B. CIALDINI

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  • Chapitre 1Les armes de linfluence

    Il faut rendre les choses aussi simples quepossible, mais pas plus.

    ALBERT EINSTEIN

    Jai reu un jour un coup de tlphone dune amie qui venaitdouvrir un magasin de bijoux indiens en Arizona. Il venait de seproduire quelque chose dtonnant ; elle pensait quen tant quepsychologue je pourrais lui en fournir lexplication. Il sagissait duncertain lot de bijoux de turquoise quelle avait eu beaucoup de mal vendre. La saison touristique battait son plein, le magasin nedsemplissait pas, les bijoux de turquoise taient de bonne qualitpour le prix qui en tait demand. Pourtant, ils ne se vendaientpas. Mon amie avait essay plusieurs des trucs habituelspour sen dfaire. Elle avait essay dattirer lattention sur cespices en les plaant sur des prsentoirs centraux, sans rsultat.Elle avait mme demand ses vendeuses dessayer de placer ces bijoux, en vain.

    Enfin, devant sabsenter pour une tourne dachats, elle laissa,en dsespoir de cause, une note lintention de sa premirevendeuse : Tout ce prsentoir, prix X ceci dans lespoir dese dbarrasser, mme perte, de ces articles encombrants. son retour, quelques jours plus tard, elle ne fut pas tonne deconstater que tous ces articles avaient t vendus. Quelle ne futpourtant sa surprise lorsquelle saperut que, parce que sonemploye avait pris le mal gribouill pour un 2, tout le lottait parti au double du prix original !

    Cest alors quelle mappela. Je pensais comprendre ce quistait pass, mais je lui dis que, pour expliquer le phnomne, ilfallait que je lui raconte une petite histoire. Cette histoire nest pasde moi ; il sagit des mres dindes et cela touche cette sciencerelativement nouvelle quest lthologie, ltude des animaux dans

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  • leur environnement naturel. La dinde est une bonne mre,aimante, attentive, protectrice. Elle soccupe avec dvouement deses petits, les rchauffe, les nettoie, les rassemble sous son aile.Mais sa faon de faire est bien trange. On peut dire que tousces soins maternels se dclenchent sous leffet dune seulechose : le tchip-tchip mis par les poussins dindonneaux. Lesautres caractristiques des poussins, comme leur odeur, leurcontact, leur aspect, semblent jouer un rle mineur dans leprocessus de maternage. Si le poussin met le tchip-tchip , samre soccupera de lui ; sinon, elle sen dsintressera, oumme, elle le tuera.

    Leffet dterminant de ce son sur les mres dindes a t illustrde faon spectaculaire par le comportementaliste animal M. W.Fox. Il dcrit une exprience o entraient en jeu une dinde et unputois empaill[1]. Pour une dinde, le putois est lennemi naturel ; son approche, elle devient furieuse, pousse des cris, lattaque coups de bec et de griffes. Les chercheurs ont constat quemme un putois empaill, tir par une ficelle en direction dunemre dinde, dclenchait une attaque furieuse et immdiate.Pourtant, quand le mme simulacre empaill contenait unmagntophone diffusant lenregistrement du tchip-tchip desdindonneaux, la mre, non seulement acceptait la venue duputois, mais le plaait sous son aile. Si lon arrtait lemagntophone, le faux putois dclenchait de nouveau uneviolente attaque de la dinde.

    Combien ridicule nous semble une dinde dans cette situation.Elle accueille son ennemi naturel pourvu quil fasse tchip-tchip et maltraite ou tue ses propres petits qui ne font pas tchip-tchip . On dirait un automate, ayant ses instincts maternels sousle contrle de cet unique son. Les thologues nous apprennentque ce genre de chose est loin dtre particulier la dinde. Ils ontcommenc identifier des schmas de comportement rgulierset purement mcaniques chez un grand nombre despces.

    Ces schmas fixes peuvent concerner des comportementscomplexes, tels que la parade et les rituels amoureux. Leur

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  • caractristique fondamentale est que les comportements qui enfont partie se reproduisent de la mme faon et dans le mmeordre chaque fois. Cest presque comme si les schmas taientenregistrs sur bande magntique chez ces animaux. Quand lasituation appelle une attitude de parade, la bande paradeamoureuse se met en marche ; quand elle appelle une attitudematernelle, cest la bande comportement maternel qui sedroule. Clic, la cassette est enclenche ; et aussitt, unecertaine squence de comportements senchane.

    Le plus intressant, cest la faon dont les enregistrements sedclenchent. Quand un mle agit en dfense de son territoire, parexemple, cest lintrusion dun autre mle de la mme espce quidclenche le comportement correspondant : extrme vigilance,menace, et, si besoin est, agression. Mais il y a une subtilit dansce systme. Ce nest pas le mle rival tout entier qui dclenche lecomportement ; cest une de ses caractristiques, qui sert dedclencheur. Cette caractristique ne sera bien souvent quundtail dans lensemble des caractristiques de lintrus. Ce peuttre une nuance de couleur. Les expriences des thologues ontmontr, par exemple, quun rouge-gorge mle, ragissant commesi un rouge-gorge rival pntrait son territoire, attaquevigoureusement un intrus qui nest autre quun assemblage desplumes de gorge dun oiseau. Par contre, il ne prtera aucuneattention un simulacre parfaitement imit, mais dpourvu deplumes de gorge. Des rsultats semblables ont t obtenus chezune autre espce doiseau, le gorge-bleue, pour laquelle il sembleque ce soit un certain bleu des plumes de gorge[2] qui serve dedclencheur.

    Avant de nous moquer des animaux infrieurs, quon peut siaisment faire ragir contretemps, il faut considrer deuxchoses. Dabord, les schmas prtablis, automatiques, sont trsefficaces dans la grande majorit des cas. Par exemple, seuls lesdindonneaux sains et normaux mettent le son particulier auxbbs dindonneaux, si bien quil nest pas absurde pour la mrede navoir une raction maternelle que devant ce tchip-tchip

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  • spcifique. En ne ragissant qu ce seul stimulus, la dindeordinaire se comportera, dans presque tous les cas,correctement. Ce nest quen trichant quon fait paratre stupidesa raction automatique. Ensuite, il faut comprendre que nousavons nous aussi nos cassettes prenregistres, et que, si celanous est utile en gnral, les mcanismes qui nous les fontdclencher peuvent tre utiliss de faon frauduleuse pour quenous les dclenchions hors de propos[3].

    Cette forme humaine daction automatique est mise envidence par une exprience dEllen Langer, spcialiste depsychologie sociale Harvard. Un principe bien connu ducomportement humain est que, pour obtenir quelque chose, il vautmieux fournir une raison. Les gens aiment avoir une raison pourfaire ce quils font. Langer a dmontr ce fait dvidence endemandant un service aux usagers dune bibliothque, quifaisaient la queue devant une photocopieuse : Pardon, je naique cinq pages. Est-ce que je peux prendre la machine, parceque je suis presse ? Lefficacit de cette requte motive futpresque totale : quatre-vingt-quatorze pour cent des personnessollicites laissrent Langer leur passer devant. Comparons cetaux de russite et celui obtenu avec une requte non motive : Pardon, je nai que cinq pages. Est-ce que je peux prendre lamachine ? Dans ce cas, soixante pour cent seulement despersonnes sollicites acceptaient. Au premier abord, il pourraitsembler que la diffrence dterminante tait linformationsupplmentaire contenue dans les mots parce que je suispresse . Mais le rsultat obtenu avec une troisime formulationmontre que ce nest pas le cas. Ce qui fait la diffrence, ce nestpas la proposition supplmentaire, mais seulement le premier mot parce que . Dans sa troisime formulation, Langer, au lieu demotiver sa requte, se contentait demployer le mot parce que suivi dune fausse explication qui napportait aucuneinformation supplmentaire : Pardon, je nai que cinq pages.Est-ce que je peux prendre la machine, parce quil faut que jefasse des photocopies ? L encore, presque toutes lespersonnes sollicites (quatre-vingt-treize pour cent) acceptrent,

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  • alors quaucune vritable explication, aucune informationsupplmentaire ne pouvait justifier leur acceptation. Exactementcomme le tchip-tchip du dindonneau dclenche une ractionmaternelle automatique chez la dinde, mme sil est mis par unputois empaill, parce que dclenchait une acceptationautomatique chez les sujets de lexprience, mme si lon ne leurdonnait aucune raison vritable. Clic[4] !

    *

    Dautres recherches de Langer montrent que le comportementhumain ne fonctionne pas mcaniquement, sous limpulsion dundclic, dans toutes les situations, mais ltonnant, cest que celaarrive frquemment. Ainsi, voyez le comportement trange desclients de cette boutique de bijoux qui se prcipitent sur un lit deturquoises ds que leur prix a t doubl par erreur. Leurcomportement na de sens que si lon pense au dclic fatidique.

    Les clients, pour la plupart des vacanciers aiss nyconnaissant rien en matire de turquoises, avaient recours unprincipe reconnu pour guider leurs achats : cher = de bonnequalit . Cest pourquoi, voulant de la bonne qualit, ils trouvaientles bijoux nettement plus prcieux et dsirables quand ctait leurprix qui les mettait en valeur. Le prix tait en lui-mme lacaractristique cl de la qualit ; et une forte augmentation du prixsuffisait pousser lachat des clients dsireux avant tout dequalit. Clic !

    On peut condamner une dcision dachat aussi inconsidre.Mais si lon y regarde de plus prs, ces touristes mritent quelqueindulgence. Ces gens avaient appris la rgle : on na rien sansrien et avaient vu cette rgle sappliquer tout au long de leur vie.Ils lavaient traduite sous une autre forme : cher = de bonnequalit .

    Ce principe les avait trs bien servis jusqualors, carnormalement, le prix dun article est proportionnel sa valeur ; unprix lev est gnralement lindice dune qualit leve. Et donc,

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  • quand ils se trouvaient dsirer des bijoux de turquoise de bonnequalit sans tre connaisseurs, ils valuaient, trs logiquement, laturquoise daprs le critre normal, le prix.

    Mme sils nen taient pas conscients, en se reposantuniquement sur la caractristique prix , ils faisaient une sortede pari. Au lieu de mettre toutes les chances de leur ct ensefforant de matriser chacun des lments indicatifs de lavaleur des bijoux, ils pariaient sur un seul dentre eux celui quilssavaient associ la qualit de nimporte quel article. Ils pariaientque le prix lui seul les renseignerait de faon suffisante. Enloccurrence, comme la vendeuse avait lu 2 au lieu de , le paritait perdant. Mais long terme, sur lensemble de leurs situationspasses et futures, ce genre de pari reprsente peut-trelapproche la plus rationnelle.

    FIGURE 1Conu pour tre cher

    Dans cette publicit qui associe caviar et design, le message transmis est, bien entendu,que ce qui est cher est bon.

    (AVEC LAUTORISATION DE DANSK INTERNATIONAL DESIGNS)

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  • En fait, les comportements automatiques, strotyps, sonttrs frquents, car ils sont souvent les plus efficaces, et parfois,les seuls possibles. Nous vivons tous dans un environnementrempli de stimuli extrmement divers, sans doute plus complexe etplus changeant quil na jamais t. Pour pouvoir y vivre, nousavons besoin de raccourcis. Il nous serait impossible danalyserdans chacun de leurs aspects toutes les personnes, tous lesvnements et toutes les situations que nous rencontrons en uneseule journe. Le temps, lnergie, les capacits nous manquentpour cela. dfaut, nous devons trs souvent avoir recours nos strotypes, nos rgles empiriques pour classer les chosessuivant une ou deux caractristiques cls ; ce qui nous permettrade ragir de faon machinale en prsence de cescaractristiques.

    Parfois le comportement ainsi dclench nest pas appropri,car les strotypes et les dclencheurs les plus adapts peuventchouer de temps autre. Mais nous acceptons cetteimperfection : nous navons pas le choix. Sans eux, nouspasserions notre temps supputer, valuer et analyser au lieudagir. Tout porte croire, dailleurs, que nous dpendrons de plusen plus de ces signaux. Au fur et mesure que les stimuli quenous rencontrons quotidiennement deviennent de plus en pluschangeants et complexes, les raccourcis nous sont de plus enplus ncessaires.

    Alfred North Whitehead, clbre philosophe britannique, mettaitle doigt sur cette invitable caractristique de la vie moderne,lorsquil dclarait que la civilisation progresse par laugmentationdu nombre dactes que nous sommes capables dexcuter sans ypenser . Considrons, par exemple, le progrs ralis grceau bon de rduction. Nous avons appris ragir de faonmcanique la promesse dune baisse de prix procure par cesimple coupon, comme lillustre le cas dun fabricant de pneus qui, la suite dune erreur dimpression, avait diffus des bons surlesquels ne figurait aucune rduction. Le rsultat de cettecampagne fut pourtant aussi rentable que si les bons avaient

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  • vritablement offert une substantielle baisse de prix. Laconclusion quil faut en tirer est instructive, quoique vidente : unbon de rduction revt deux fonctions. Dune part, il doit nousprocurer une conomie et, dautre part, nous viter de gaspiller dutemps et de lnergie mentale dcouvrir comment. Dans lemonde daujourdhui, nous comptons sur lui non seulement pourpargner notre portefeuille, mais aussi pour nous pargner desefforts intellectuels, encore plus valoriss.

    Curieusement, ces comportements automatiques, bien que trsfrquents et dimportance grandissante, nous sont peu connus.Cest peut-tre justement parce quils oprent de faonmcanique, sans que la rflexion intervienne. Quoi quil en soit, ilnous faut admettre leur proprit essentielle : ils nous rendentextrmement vulnrables quiconque connat leurfonctionnement.

    Pour comprendre la nature de notre vulnrabilit, retournons lthologie. Voil que les spcialistes du comportement animal,avec leur tchip-tchip enregistr et leurs amas de plumescolores, ne sont pas les seuls avoir dcouvert commentdclencher les squences de comportement prenregistreschez diverses espces. Un certain nombre dorganismes imitateurs copient les dclencheurs dautres animaux pour lesamener montrer certains comportements au mauvais moment.Limitateur exploite alors son profit le comportement inappropri.

    Considrons par exemple la ruse mortelle utilise par lameurtrire femelle dune espce de luciole (Photuris) contre lemle dune autre espce de luciole (Photinus). Le mle Photinus,naturellement, vite avec le plus grand soin tout contact avec lesfemelles Photuris. Mais au fil des sicles, celles-ci ont repr unefaiblesse chez leur proie : un clignotement spcifique par lequelles membres de lespce signalent quils sont prts pourlaccouplement. En quelque sorte, la femelle Photuris a perc lecode amoureux des Photinus. En imitant les signaux lumineux desa proie, la luciole meurtrire pourra se repatre des mles, queleur comportement de sduction, dclench mcaniquement,

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  • conduira la mort.Les insectes semblent tre les grands exploiteurs des

    automatismes de leur proie. Ce genre de fraude fatale auxvictimes nest pas rare. Mais des cas dexploitation moinssauvage existent. Cest ainsi quune espce de blennie profitedune coopration assez remarquable mise au point par deuxautres poissons. Ces poissons forment une quipe constituedun mrou dun ct et dun poisson beaucoup plus petit delautre. Le petit poisson fait office de nettoyeur pour lautre, qui luipermet de lapprocher et mme dentrer dans sa gueule pour terles champignons et les parasites attachs ses dents ou sesbranchies. Le contrat est trs satisfaisant : le gros mrou estdbarrass de sa vermine, et le petit nettoyeur se nourrit enchange. Le gros poisson dvore normalement tout petit poissonassez fou pour sapprocher de lui. Mais quand le nettoyeurapproche, le gros poisson devient subitement inerte et flotte,gueule ouverte, en rponse une danse ondulante excute parle nettoyeur. Cette danse est le dclencheur de la remarquablepassivit du gros poisson. Mais elle permet aussi la blennie deprofiter du rituel de nettoyage des associs. La blenniesapproche du gros poisson, imitant les ondulations de la dansedu nettoyeur et provoquant ainsi limmobilisation du gros poisson.Puis elle arrache une bouche de la chair du gros poisson etsenfuit sans que sa victime ait eu le temps de ragir[5].

    Cette histoire se rpte, hlas, dans la jungle humaine. Nousavons aussi nos exploiteurs qui imitent les dclencheurs de nosractions automatiques. Contrairement aux ractions animales,qui sont instinctives, nos squences enregistres se fondent surdes principes dordre psychologique que nous avons appris intgrer. Bien que leur force soit variable, certains de cesprincipes ont une grande capacit gouverner les actes deshommes. Nous y sommes soumis depuis une poque si reculede notre vie, et ils se sont si bien insinus en nous depuis, quenous percevons rarement leur pouvoir. Pour certains dentre nouscependant, chacun de ces principes est une arme bien visible et

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  • toujours prte, larme de linfluence automatique.Il y a un certain nombre de gens qui savent trs bien o trouver

    les armes de linfluence automatique et qui en usent rgulirementet avec art pour arriver leurs fins. Ils vont de rencontre enrencontre en demandant aux autres de se plier leurs dsirs ; lafrquence de leurs succs est remarquable. Le secret de leurefficacit rside dans leur faon de construire leurs requtes, leurart de sarmer de lune ou lautre des armes de linfluence quontrouve dans lenvironnement social. Cela peut se rduire utiliserun seul mot bien choisi, qui engage un principe psychologiquepuissant et dclenche automatiquement un comportementprenregistr. Faisons confiance aux exploiteurs humains pourtrouver rapidement lart et la manire dabuser de notre tendance ragir mcaniquement certaines choses.

    Vous vous rappelez mon amie la bijoutire. Cest par hasardquelle avait tir un avantage du strotype cher = de bonnequalit la premire fois ; mais il ne lui fallut pas longtemps pourapprendre lexploiter volontairement. Maintenant, quand cest lasaison estivale, elle essaye dabord de promouvoir la vente dunarticle laiss pour compte en augmentant nettement son prix. Monamie prtend que cette mthode est merveilleusement rentable.Applique frquemment des vacanciers sans mfiance, elleproduit des marges bnficiaires normes. Et quand elle nerussit pas, on peut afficher : rduction de tant et le vendre auprix original, en bnficiant encore de leffet cher = de bonnequalit d au premier prix indiqu.

    Cette rgle du cher = de bonne qualit , employe pourberner les clients en qute daffaires en or, nest en rien uneexclusivit de mon amie. Lcrivain Leo Rosten voque lexempledes frres Sid et Harry Drubeck, qui tenaient une boutique detailleurs dans son quartier lorsquil tait enfant, dans lesannes 1930. Chaque fois quun nouveau client essayait uncostume face au miroir du magasin, Sid, feignant la surdit, luidemandait de hausser la voix. Puis, lorsquon en venait au prix,Sid appelait son frre, occup coudre dans larrire-boutique :

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  • Harry, combien, pour ce costume ? Levant les yeux de sonouvrage, Harry rpondait : Pour ce magnifique modle purelaine ? Quarante-deux dollars. Sid, la main en coupe derrireloreille, redemandait le tarif et Harry criait de nouveau : Quarante-deux dollars ! Sid, se tournant alors vers le client,dclarait : Vingt-deux dollars. Bien des clients sempressaientalors de rgler la somme et de quitter les lieux avec leur affaireen or sous le bras, avant que linfortun vendeur ne saperoivede son erreur .

    Les armes de linfluence automatique dcrites ici comportentplusieurs lments communs. Nous en avons dj vu deux : leprocessus presque mcanique qui libre la puissance contenuedans ces armes, et la possibilit par consquent dexploiter cettepuissance pour quiconque sait dclencher le mcanisme. Untroisime lment commun est la faon dont ces armes prtentleur force leur utilisateur. Ce ne sont pas des armes lourdes,servant matraquer ladversaire.

    Leur fonctionnement est beaucoup plus compliqu, et beaucoupplus subtil. Bien excut, le mouvement doit se faire sans effort.Ce quil faut, cest tirer parti des rserves dinfluence que reclela situation, et les dtourner sur lobjectif voulu. En ce sens, latechnique nest pas sans rappeler lart martial japonais du jiu-jitsu.Une femme adepte du jiu-jitsu nutilise que trs peu sa propreforce contre son adversaire. Par contre, elle exploite les principesphysiques tels que la gravit, leffet de levier, le moment duneforce et linertie. Si elle sait comment utiliser ces principes et oles appliquer, elle peut facilement battre un adversairephysiquement plus fort quelle. Cest exactement ce que font lesexploiteurs des armes de linfluence automatique qui nousentourent. Les exploiteurs peuvent dtourner le pouvoir de cesarmes sur leurs propres cibles, en exerant eux-mmes uneforce minime. Cette proprit leur donne un avantagesupplmentaire : celui de manipuler sans quil y paraisse. Lesvictimes elles-mmes attribuent leur acceptation des forcesnaturelles plutt quaux desseins de la personne qui en profite.

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  • Prenons un exemple. Il y a un principe de la perceptionhumaine, le principe du contraste, qui affecte la faon dont nousvoyons la diffrence entre deux choses, prsentes lune aprslautre. Pour simplifier, disons que si le deuxime objet estdiffrent du premier, nous aurons tendance le voir plus diffrentquil ne lest en ralit. Ainsi, si nous soulevons dabord un objetlger, puis un objet lourd, nous trouverons le deuxime objet pluslourd que si nous navions pas soulev le premier objet. Leprincipe de contraste est bien tabli dans le domaine et sapplique toutes les formes de perception. Si, au cours dune soire, noussommes en conversation avec une femme trs belle et quunefemme qui lest moins vient se joindre au groupe, la seconde nousparatra moins sduisante quelle ne lest en ralit.

    Les tudes ralises sur le principe de contraste auxuniversits dArizona et de Montana montrent que les images trssduisantes dont nous bombardent les mdias nous rendent plusexigeants lgard du physique de nos propres partenaires dansla vie. Dans lune de ces tudes, des tudiants attribuaient unenote la photo dune personne de lautre sexe ; la note tait plusbasse sils avaient dabord feuillet des magazines pleins depublicit. Dans une autre tude, les rsidents dune cituniversitaire masculine attribuaient une note la photo duneinconnue. Ceux qui taient en train de regarder un pisode deDrles de dames la tlvision jugeaient linconnue moinssduisante que ceux qui regardaient une autre mission. Il sembleque la beaut peu commune des hrones de la srie faisaitparatre linconnue moins sduisante[6].

    Dans les laboratoires de psychophysique, on a recours uneexprience trs efficace pour illustrer le principe de contraste.Chaque tudiant sassoit tour de rle devant trois seaux deau :un seau deau froide, un seau deau temprature ambiante et unseau deau chaude. Aprs avoir gard une main dans leau froideet une autre dans leau chaude, ltudiant plonge la fois sesdeux mains dans leau tide. Son expression dconcerte estrvlatrice : bien que les deux mains soient dans le mme seau,

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  • la main trempe auparavant dans leau froide sent leau commechaude, et la main trempe dans leau chaude la sent commefroide. Cela montre que le mme objet ici, leau tempratureambiante peut tre peru de faon trs diffrente suivant lanature de lvnement qui prcde.

    Nen doutons pas, larme fournie par le principe de contraste nemanque pas dtre exploite. Son grand avantage est dtre nonseulement efficace, mais presque indtectable. Ceux qui en usentpeuvent tre assurs du rsultat sans avoir lair de manipuler lasituation. Les boutiques de mode sont un bon exemple.Supposons quun homme entre dans une boutique de vtementset dclare quil dsire acheter un costume trois-pices et un pull-over. Si vous tiez le vendeur, que lui montreriez-vous dabordpour linciter dpenser le plus possible ? Les magasins disent leur personnel de vendre dabord larticle le plus cher. Le bon senssemble dire le contraire : un homme qui vient de dpenserbeaucoup dargent pour un costume se montrera peut-trerticent dpenser encore beaucoup pour un pull-over. Mais lesvendeurs nagissent pas au hasard. Ils appliquent le principe decontraste : vendre dabord le costume, car au moment deregarder les pull-overs, mme les plus chers, leur prix paratraraisonnable en comparaison. Un homme peut reculer lide depayer un pull-over cent cinquante euros, mais sil vient dacheterun costume six cents euros, ces cent cinquante euros ne luiparatront pas excessifs. Le mme principe vaut pour le client quiachte les accessoires (chemise, chaussure, ceinture) assortis son nouveau costume. Contrairement ce que le bon sens nousporterait croire, les faits donnent raison la thorie de leffet decontraste. Comme lcrivent les analystes en motivations dachatWhitney, Hubin, et Murphy : Il est notable que, mme quand unhomme entre dans un magasin dans le seul but dacheter uncostume, il paiera presque toujours plus cher pour lesaccessoires sil les achte aprs le costume quavant.

    Il est beaucoup plus profitable pour les vendeurs de prsenterlarticle coteux en premier lieu, car sils ne le faisaient pas, non

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  • seulement ils perdraient lavantage que nous venons de voir, maisle principe jouerait contre eux. Prsenter dabord larticle peucoteux avant de proposer larticle coteux fera paratre lesecond encore plus cher, ce qui nest gnralement passouhaitable pour les vendeurs De mme quon peut faireparatre la mme eau chaude ou froide par contraste, on peutfaire paratre le mme article cher ou non suivant le prix delarticle prsent auparavant.

    Lutilisation judicieuse du principe de la perception contrastenest pas rserve aux magasins de mode. Jai eu loccasion devoir employer la mme technique alors que jtudiais, incognito,les mthodes dune socit immobilire. Pour me mettre dans lebain, jaccompagnais un vendeur de lagence qui faisait visiter lesmaisons vendre dventuels acheteurs. Le vendeur appelons-le Phil devait me donner quelques trucs pendant mapriode dapprentissage. Je remarquai rapidement que Phil,chaque fois quil avait affaire de nouveaux clients, commenaitpar leur montrer des maisons peu engageantes. Je linterrogeai,et il clata de rire. La socit conservait sur ses listes une oudeux maisons en piteux tat, et un prix trop lev. Ces maisonsntaient pas destines la vente ; elles taient l pour tremontres aux clients, de faon que les vritables proprits vendre bnficient de la comparaison. Tous les vendeurs ne seservaient pas de ces simulacres, mais Phil sen servait. Il disaitquil aimait voir les regards sclairer quand il montrait sesclients la proprit quil voulait leur vendre, aprs leur avoir montrles maisons en mauvais tat. La maison que je veux leur faireacheter a lair magnifique une fois quon leur a montr quelquesruines.

    Les vendeurs dautomobiles utilisent le principe de contrastelorsquils attendent que le prix de la nouvelle voiture ait tngoci pour proposer une option aprs lautre. Dans la fouledun accord sur douze mille euros, les quelques dizaines deurosdemands pour un gadget comme un autoradio semblent presquedrisoire. Il en sera de mme pour une dpense supplmentaire

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  • pour des accessoires tels que des vitres teintes, un rtroviseurde plus, des roues jantes larges ou tout ornement quesuggrera le vendeur. Comme pourra le confirmer tout acheteurde voiture expriment, il est arriv plus dune fois quun prixdachat raisonnable enfle dmesurment par laddition de toutesces options apparemment insignifiantes. Et tandis que le client, lecontrat la main, se demande ce qui sest pass et ne peut senprendre qu lui-mme, le vendeur a le sourire impntrable dumatre du jiu-jitsu.

    Je vous suggre, quand vous rentrerez chez vous ce soir, de lever les yeux vers le cielpour contempler limmensit de lunivers. Vous percevrez alors linsignifiance de nos

    pertes du deuxime trimestre. FIGURE 2

    Une loi universelleLe principe de contraste sapplique des myriades de circonstances.

    (THE NEW YORKER)

    TMOIGNAGEdes parents dune tudiante

    Mes chers parents, Depuis que je suis tudiante, je ne suis pas trs forte pour la correspondance ;

    pardon de ne pas avoir crit plus tt. Je vais vous mettre au courant, mais avant de

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  • lire, asseyez-vous. Vous nallez pas continuer la lettre avant de vous tre installs,daccord ?

    Eh bien, je vais assez bien maintenant. La fracture du crne et le traumatismedont jai souffert aprs avoir saut de la fentre de ma chambre, quand elle a tenvahie par les flammes, peu aprs mon arrive ici, sont guris. Je nai pass quequinze jours lhpital et je peux maintenant voir presque normalement ; je naiplus mes migraines quune fois par jour. Heureusement, lincendie du dortoir etmon saut ont t vus par le pompiste de la station voisine, et cest lui qui a alertles pompiers et lambulance. Il est aussi venu me voir lhpital, et comme jenavais pas dendroit o dormir, puisque le dortoir avait brl, il a eu la gentillessede minviter partager son appartement. En fait, cest plutt une cave, mais cestassez gnial. Cest un garon trs bien ; nous nous aimons et nous voulons nousmarier. Nous navons pas encore fix la date, mais ce sera avant que magrossesse ne soit apparente.

    Oui, mes parents chris, je suis enceinte ! Je sais combien vous dsiriez tregrands-parents, et je sais que vous accueillerez ce bb avec cet amour, cedvouement, cette tendresse que vous mavez donns quand jtais petite. Si nousne sommes pas dj maris, cest parce que mon fianc a une petite infection quinous empche de passer la visite mdicale prnuptiale, et que jai btementattrape mon tour. Je sais que vous accueillerez avec joie ce garon dans notrefamille. Il est trs gentil et mme sil na pas fait dtudes, il a de lambition. Biensr, il nest pas de la mme race ni de la mme religion que nous, mais je connaistrop la tolrance que vous avez toujours professe pour supposer que cela puissevous gner.

    Maintenant, il faut que je vous dise quil ny a pas eu dincendie. Je nai eu nitraumatisme ni fracture, je nai pas t lhpital, je ne suis pas enceinte, je nevais pas me marier, je nai aucune infection et le fianc na jamais exist. Parcontre, jai eu un D en histoire et un F en chimie, et je voulais vous aider relativiser les choses.

    Votre fille qui vous embrasseSharon

    LTUDIANTE ET LA PERCEPTION CONTRASTESharon est peut-tre mauvaise en chimie, mais elle mrite un A en

    psychologie.

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  • Chapitre 2La rciprocit

    Ou, donnant-donnant et reprenantPayez chacune de vos dettes comme si votrecrancier tait Dieu le Pre.

    RALPH WALDO EMERSON

    Il y a quelques annes, un professeur duniversit se livra unepetite exprience. Il envoya ses vux pour Nol un certainnombre de gens qui lui taient parfaitement inconnus. Il sattendaitbien une raction, mais celle-ci dpassa toutes sesesprances ; il reut une avalanche de cartes de vux de la partde gens qui ne le connaissaient ni dve ni dAdam. La grandemajorit de ceux qui avaient rpondu sa carte ne chercha pas savoir qui tait ce professeur inconnu. Ils avaient reu une cartede vux, clic, automatiquement, ils en envoyaient une en retour.Bien qu une chelle rduite, cette tude montre trs bien lactionde lune des plus puissantes des armes dinfluence : la rgle de larciprocit[7]. La rgle est quil faut sefforcer de payer de retourles avantages reus dautrui. Si quelquun nous rend service,nous devons lui rendre service notre tour ; si un ami nousenvoie un cadeau pour notre anniversaire, nous noublierons pasde faire de mme pour le sien ; si nous recevons une invitation,nous devons la rendre. Par la seule vertu de la rgle derciprocit, nous voil donc obligs tout cela, cadeaux,invitations, services, et le reste. Il est considr comme normalque le fait de recevoir cre une dette ; do le double sens du mot oblig dans un grand nombre de langues.

    La rgle de rciprocit, avec le sentiment dobligation quilaccompagne, est remarquable surtout par son extension. Elle estsi rpandue que, aprs une tude approfondie de la question, lesociologue Alvin Gouldner en arrive la conclusion quaucune

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  • socit humaine ny chappe[8]. Et dans chaque socit, elle estsans exception ; elle sapplique tous les changes quels quilssoient. Il se pourrait bien que la notion de dette drive duprincipe de rciprocit soit une proprit spcifique de la socithumaine. Larchologue Richard Leakey voit dans la rgle de larciprocit lessence mme de notre humanit : Nous sommeshumains parce que nos anctres ont appris mettre en communcomptences et nourriture dans le cadre dun rseau dobligationsmutuelles[9]. Les anthropologues Lionel Tiger et Robin Foxvoient dans ce tissu dobligations un mcanisme dadaptationspcifique de lhomme, permettant la division du travail, lchangede diffrentes sortes de produits, de services (ce qui permet laspcialisation) et la cration dinterdpendances qui rassemblentles individus en units trs performantes[10].

    Cest le dynamisme inhrent au sentiment de dette qui joue unrle capital dans les progrs culturels tels que les envisagentTiger et Fox. Dans lvolution des socits humaines, le sentimentpuissant et largement partag quune obligation nouvelle seraitcre changeait tout, puisquun individu pouvait donner quelquechose son semblable (que ce soit des aliments, de lnergie, oudes soins) avec lassurance que ce ntait pas en pure perte.Pour la premire fois dans lhistoire de lvolution, un individupouvait se sparer dune partie de ses ressources sans lesabandonner vraiment. Ainsi seffaaient les inhibitions naturellesqui sopposaient aux transactions, car il faut bien, pour quil y aittransaction, quun individu commence par proposer sesressources personnelles un autre. Des systmes complexesdaide, de cadeaux, de protection et dchange devinrentpossibles, pour le plus grand profit de ces socits.

    La rgle de la rciprocit est donc trs importante pour lescapacits dadaptation des socits ; cest pourquoi elle seraancre en nous au cours des diffrentes tapes de notresocialisation.

    Pour illustrer quel point des obligations rciproques peuvententraner de rpercussions la fois profondes et long terme, je

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  • ne connais pas de meilleur exemple que celui dune incroyablehistoire daide humanitaire change entre le Mexique etlthiopie. En 1985, cette dernire pouvait lgitimement prtendreau triste record mondial de la souffrance et de la misre. Sonconomie tait en ruine, ses ressources alimentaires dvastespar des annes de scheresse et de guerre civile. Par milliers,ses habitants mouraient de famine ou de maladie. Je naurais past tonn dapprendre que le Mexique apporte cinq mille dollars ce pays en dtresse. Mais je restai bouche be quand je lus ladpche mentionnant avec prcision que cette aide tait dirigedans le sens inverse. Les responsables de la Croix-Rougethiopienne avaient runi des fonds pour porter secours auxvictimes du tremblement de terre survenu cette anne-l Mexico.

    En raison dun trait de caractre qui empoisonne monexistence personnelle mais reprsente un atout dans mon activitprofessionnelle, je nai quune envie, chaque fois quuncomportement humain me droute : chercher comprendre. Jetchai donc den savoir plus. Par chance, un journaliste, surpriscomme moi par linitiative thiopienne, avait sollicit desexplications. Les dtails obtenus corroborent, de manireloquente, la rgle de la rciprocit : malgr limmensit desdifficults accablant lthiopie, ce pays avait adress de largentau Mexique en souvenir de son soutien lors de linvasion italiennede 1935. Maintenant clair sur la question, je demeurais bouchebe, mais ntais plus intrigu par la nouvelle. Le besoin derciprocit avait pass outre la distance, la famine, le profondfoss culturel et limmdiat intrt individuel. Aprs un demi-sicle,comme si cela allait de soi et nonobstant tous les facteursadverses, lobligation avait triomph.

    Une chose est sre, les socits humaines acquirent ungrand avantage sur leurs concurrentes du fait de la rgle de larciprocit, et cest pourquoi elles apprennent leurs membres sy plier sans la remettre en cause. Chacun de nous a intgr largle et connat les sanctions sociales qui frappent les

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  • contrevenants. Les termes utiliss leur encontre sont chargsde connotations pjoratives : on les appelle ingrats, profiteurs,resquilleurs. Comme ceux qui prennent sans sefforcer de donneren retour encourent la rprobation gnrale, nous sommes prts tout pour viter dtre compts dans leur nombre. Cest l quenous nous laissons prendre au pige par des individus quicherchent profiter de notre sentiment dobligation.

    Pour comprendre comment la rgle de la rciprocit peut treexploite par qui connat son pouvoir dinfluence, arrtons-nousun instant sur une exprience ralise par le Pr Dennis Regan, delUniversit de Cornell[11]. Un sujet devait apprcier la qualit decertains tableaux dans le cadre dune exprience sur lejugement artistique . Un autre sujet prenait part lexprience ;ctait en ralit lassistant du Dr Regan appelons-le Joe. Pource qui nous intresse, lexprience se droulait suivant deuxschmas diffrents. Dans certains cas, Joe avait une petiteattention pour le sujet. Pendant une pause, il quittait la picequelques minutes et rapportait deux bouteilles de Coca-Cola, unepour lui, une pour le sujet, en disant : Jai demand si je pouvaisaller chercher un Coca, et on ma dit que oui, alors jen ai pris unpour vous. Dans dautres cas, Joe ne faisait rien de spcialpour le sujet, il revenait les mains vides. Pour le reste, soncomportement tait identique dans les deux cas.

    Par la suite, lorsque les tableaux avaient tous t nots et quelexprimentateur sabsentait un moment de la pice, Joedemandait au sujet de faire quelque chose pour lui. Il expliquaitquil vendait des billets de loterie et que sil en vendait beaucoup, ilgagnerait une prime de cinquante dollars. Ce que Joe demandaitau sujet tait dacheter des billets, vingt-cinq cents pice. Lenombre que vous voulez. Le principal rsultat de lexprienceest le nombre de billets achets Joe dans les deux cas quenous avons dcrits. Il apparat trs clairement que Joe russissaitmieux auprs des sujets qui avaient reu quelque chose de lui.Ayant apparemment le sentiment de lui devoir quelque chose, cessujets-l achetrent deux fois plus de billets que ceux qui

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  • navaient rien reu. Ltude de Regan nest quune illustration trssimple des mcanismes de la rgle de rciprocit, mais elle meten vidence plusieurs de ses caractristiques importantes, quinous permettront par la suite de comprendre comment on peutlutiliser profitablement.

    Force de la rgleSi la rciprocit peut si bien tre utilise pour dclencher

    certains comportements, cest parce quelle recle une grandepuissance daction. La rgle possde une force suffisante pourproduire une rponse positive une requte qui, sans cesentiment dobligation provoqu, aurait t repousse. Un autreaspect de lenqute de Regan montre comment la rgle derciprocit peut surpasser en influence dautres facteurs qui,normalement, dterminent notre consentement. Regan nesintressait pas seulement leffet de la rgle de rciprocit, ilvoulait voir dans quelle mesure la sympathie que lon ressent pourune personne incite faire ce quelle demande. Pour mesurercombien lopinion que les sujets avaient de Joe influenait leurdcision dacheter ou non des billets, Regan leur fit remplir desquestionnaires dvaluation au sujet de Joe. Chez ceux qui letrouvaient sympathique, il y avait une tendance significative acheter plus de billets de loterie. Cela na rien de surprenant ensoi ; on pouvait parier que les gens seraient plus disposs obliger quelquun quils trouvaient sympathique.

    Mais lintressant dans cette exprience, cest que leffet desympathie disparaissait compltement dans le cas o les sujetsavaient reu de Joe une bouteille de Coca-Cola. Pour ceux quiavaient bnfici de ce geste, quils trouvent Joe sympathique ounon navait aucune importance ; ils se sentaient son gard uneobligation, et ils sen acquittaient. Les sujets dans ce cas quiavaient indiqu quils ne trouvaient pas Joe sympathiqueachetaient autant de billets que les autres. La rgle de larciprocit tait donc puissante au point dannihiler linfluence dun

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  • facteur normalement dterminant, la sympathie prouve pour lesolliciteur.

    Pensez aux consquences de cette dcouverte. Les gens quenous trouverions normalement dplaisants, les reprsentantsdsagrables ou importuns, les connaissances antipathiques, lesenvoys dorganismes tranges ou mal vus, peuvent augmenterconsidrablement leurs chances de nous faire faire ce quilsveulent en nous obligeant dune faon ou dune autre avant deprsenter leur requte. Prenons un exemple aujourdhui familier beaucoup dentre nous. Lassociation pour la conscience deKrishna est une secte orientale dont la lointaine origine remonte la ville indienne de Calcutta. Mais son histoire moderne et saclbrit commencent dans les annes 1970, poque o elleconnat une expansion extraordinaire tant en nombre de disciplesquen biens mobiliers et immobiliers. Cette expansion conomiquesest appuye sur un ensemble dactivits, dont la principale et laplus apparente est la qute dans les lieux publics. Au dbut de sonimplantation aux tats-Unis et en Europe, la sollicitation despassants se faisait dune faon assez spectaculaire. Desgroupes de disciples de Krishna, se prsentant souvent la tterase, revtus de robes informes, agitant des chapelets et descloches, qutaient dans une rue centrale, psalmodiant et sebalanant lunisson.

    Cette technique, quoique trs efficace pour attirer lattention, nedonnait pas de bons rsultats. Le citoyen moyen considrait lesKrishna comme des gens pour le moins tranges, et se montraitpeu enclin leur donner de largent. Il apparut assez vite que lasecte avait un problme de relations publiques. Les gens quonessayait de mettre contribution naimaient ni lapparence ni lecomportement des membres. Si lassociation avait t uneorganisation commerciale ordinaire, la solution aurait t toutetrouve : changer ce que les gens naimaient pas. Mais HareKrishna est une organisation religieuse, et la faon de shabiller etde se comporter de ses membres a une signification religieuse.Comme, quelle que soit la confession considre, ce genre de

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  • facteur a une grande rigidit et ne saurait tre modifi simplementpour obir des considrations dordre terrestre, les dirigeantsde Krishna se trouvaient placs devant un dilemme. Dun ct,des faits religieux tels que croyances, vtements, coiffures ; delautre, menaant la survie financire de lorganisation, lessentiments plus que mitigs du public lgard de ces faits. Quefaire ?

    FIGURE 3Avant/aprs

    Dans les annes 1960-70 ( gauche), les adeptes de Krishna faisaient la qute de faonbeaucoup plus ostensible que par la suite ( droite). Remarquez le sac de voyage arbor

    dans cet aroport par la jeune femme dans le but de berner les passants, comme cemonsieur visiblement contrari.

    (GAUCHE, UPI ; DROITE, HARRY GOODMAN, THE WASHINGTON STAR)

    La solution adopte fut excellente. La secte changea detactique et fit en sorte quil ne soit plus ncessaire dprouver dessentiments positifs envers ses quteurs. Ceux-ci commencrent utiliser une technique de sollicitation qui mettait en jeu le principede rciprocit, lequel, comme le montre ltude de Regan, estassez puissant pour rendre inoprante lantipathie envers lesolliciteur. La nouvelle stratgie consiste toujours solliciter descontributions dans des lieux publics o passent de nombreuxpitons (en particulier les aroports), mais prsent, avant dtresollicite, la personne vise par le groupe reoit un cadeau :un livre (en gnral la Bhagavad Gita), le journal de la socit, ou,dans la version la plus rentable de cette opration, une fleur. Lepassant sans mfiance se retrouve soudain avec une fleur dans

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  • la main. On ne lui permet en aucun cas de refuser, mme silaffirme quil nen veut pas. Non, cest un cadeau pour vous , ditle quteur, qui refuse de la reprendre. Ce nest que lorsque lemembre de Krishna a cr une situation favorable la rciprocitquil sollicite une contribution en faveur de son mouvement. Cettestratgie don-requte a t extrmement fructueuse pour lemouvement Krishna qui, grce ses gains dune ampleurnouvelle, possde maintenant quantit de temples, socits etproprits dans ses cent huit centres tablis aux tats-Unis ou ltranger.

    FIGURE 4Krishnol

    Ces membres de Krishna sont interpells pour qute non autorise sur la voie publique, oils offraient des friandises aux passants pour les inciter leur faire des dons. Sils

    poussent cette fois lart du camouflage un peu loin, ils savent toujours tirer le meilleur partide la rgle de rciprocit.(WIDE WORLD PHOTOS)

    Signalons dailleurs que la rgle de rciprocit a perdu de sonutilit pour les Krishna. Ce nest pas quelle soit moinscontraignante quavant, mais nous avons trouv des moyens pourempcher la secte de lutiliser contre nous. Aprs avoir succombune fois cette tactique, beaucoup de voyageurs reprent laprsence des quteurs de Krishna en costume, sarrangent pour

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  • les viter et se prparent lavance repousser le cadeau des solliciteurs. La secte a essay de djouer cette vigilance enrecommandant aux quteurs de shabiller et de se comporternormalement, afin de ne pas tre trop reconnaissables. Certainsont mme des bagages avec eux. Mais mme le dguisement napas trs bien russi aux Krishna. Il y a beaucoup trop de gensaujourdhui qui savent ne pas accepter les cadeaux importunsdans les lieux publics comme les aroports. Par sa faon de sedfendre contre les Krishna, la socit affirme la valeur quelleaccorde la rciprocit : on prfre sefforcer de les viter pluttque soutenir victorieusement lassaut de leur gnrosit. La rglede la rciprocit qui donne toute sa force leur tactique est troppuissante et trop utile la socit pour quon veuillelenfreindre.

    La politique est aussi un domaine de choix pour lexercice de larciprocit. Les tactiques de rciprocit y existent tous lesniveaux :

    Au sommet, les lus ont pour habitude de se renvoyerlascenseur , ce qui les amne parfois se trouver endtranges compagnies. Le vote inattendu dune loi par unreprsentant du peuple peut bien souvent sexpliquer comme unepolitesse rendue linspirateur du texte. Les observateursstonnaient de voir Lyndon Johnson, au dbut de son mandat,faire passer si facilement son programme au Congrs : lesmembres du Congrs que lon pensait les plus opposs sespropositions les votaient. Ltude de cette question par la sciencepolitique suggre une explication nouvelle. Ce succs ne seraitpas tant attribuer au sens politique de Johnson qu toutes lesfaveurs quil avait pu prodiguer aux autres lus pendant leslongues annes o il avait exerc une grande influence laChambre des reprsentants et au Snat. En tant que prsident, ilput susciter un nombre tonnant de mesures lgislatives en jouantsur le souvenir de ces faveurs. Cest le mme phnomnedailleurs qui explique les ennuis de Jimmy Carter avec leCongrs, au dbut de son mandat, malgr lexistence dune large

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  • majorit dmocrate dans les deux assembles. Lorsque Carteraccda la prsidence, il tait tranger lestablishment politiquede Washington. Cest mme sur ce thme quil mena campagne,en dclarant quil navait aucune dette lgard de qui que ce soit Washington. Une grande part de ses difficults lors de sonarrive au pouvoir sont dues au fait que personne non plus navaitde dette envers lui.

    un autre niveau, on peut constater la mme force de largle de la rciprocit. Le dsir quont les individus comme lesgrandes socits de faire des cadeaux leurs magistrats et auxlus, et les restrictions lgales qui sy opposent sont galementrvlateurs. La liste des organismes qui, lors des scrutinsimportants, apportent leur contribution la fois aux candidats desdeux bords, est trs parlante quant aux motivations de cessoutiens.

    Pour convaincre les sceptiques, je citerai lexemple de CharlesH. Keating, qui corrobora avec un rare aplomb lobjectif dedonnant, donnant vis par ces gnreux contributeurs. Cedirigeant de caisse dpargne fut condamn aux tats-Unis surde multiples chefs daccusation de fraude et malversation.Comme on linterrogeait sur les rapports ventuels entre sonsoutien, pour un million trois cent mille dollars, la campagne decinq snateurs, et laide que ceux-ci lui apportrent ensuite lorsde ses dmls judiciaires avec les autorits fdrales, ildclara : Non seulement jen avoue lexistence mais je le criehaut et fort : jesprais bien quils sauraient me remercier.

    Au niveau le plus local, les organisations politiques ontcompris que lun des meilleurs moyens de conserver leurshommes aux affaires est de faire en sorte quils accordent auxlecteurs un grand nombre de petites faveurs.

    Mais les citoyens de base ne sont pas les seuls troquer unvote contre de modestes faveurs. Au cours de la campagnelectorale organise en 1992 aux tats-Unis en vue de llectionprsidentielle, on demanda lactrice Sally Kellerman pour quelleraison elle prtait son nom et ses efforts au dmocrate Jerry

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  • Brown, pressenti pour remporter les primaires. Voici sa rponse : Il y a vingt ans, jai sollicit laide de dix amis pour lancer macarrire. Il a t le seul se manifester.

    Bien entendu, le pouvoir de la rciprocit sexerce aussi dansle domaine commercial. Parmi dinnombrables exemples,examinons deux cas qui nous sont familiers, inspirs de lide del chantillon gratuit . Cette technique de vente a derrire elleune longue histoire defficacit. Dans la plupart des cas, unepetite quantit de produit est fournie aux clients, apparemmentpour leur permettre de lessayer et de voir sil leur convient. Cestdailleurs un motif tout fait lgitime, le fabricant cherchant fairedcouvrir au public les qualits de son produit. Mais le grandavantage de lchantillon gratuit est dtre en mme temps uncadeau, et par consquent dengager le processus de rciprocit.Tout fait dans lesprit jiu-jitsu, le commerant qui donne deschantillons gratuits peut susciter le sentiment dobligation d aucadeau tout en ayant lair de vouloir seulement informer. Un deslieux de prdilection de lchantillon gratuit est le supermarch, olon offre parfois aux clients des petits cubes de viande ou defromage. Beaucoup de gens trouvent difficile daccepter unchantillon propos par une vendeuse souriante et de secontenter de rendre le cure-dent et de partir. Ils achtent donc leproduit, mme si celui-ci ne leur a pas particulirement plu. Onpeut trouver un exemple de ce procd dans le cas (cit parVance Packard dans La Persuasion clandestine) de cesupermarch dans lIndiana o un dmonstrateur avait russi letour de force de vendre un quintal de fromage en quelquesheures ; il avait simplement expos le produit et invit les clients se servir gratuitement pour goter.

    La socit Amway, socit florissante qui vend des produitsdentretien et des articles de toilette, utilise une autre version decette tactique dans son vaste rseau de vente au porte--porte.Elle se sert de lchantillon gratuit comme dune mouche , quiconsiste en un assortiment de produits Amway (cire pourmeubles, dtergents, shampooing, dodorants, bombes

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  • insecticides, produit pour vitres) apport domicile au client dansune mallette spciale ou simplement dans un sac en plastique. Lemanuel dAmway lusage des vendeurs recommande de laisserle tout au client pour 24, 48 ou 72 heures, gratuitement et sansobligation dachat. Demandez-lui simplement dessayer leproduit Cest une offre que personne ne refusera . la fin dela priode dessai, le reprsentant dAmway revient et prend lescommandes pour les produits que le client dsire acheter.Comme normalement le client na eu le temps dutilisercompltement aucun produit, le vendeur peut alors apporter leschantillons au client suivant et recommencer lopration.Certains reprsentants dAmway ont plusieurs de ces mouches en circulation en mme temps.

    Vous avez dj compris que ceux qui ont accept la mallette etutilis les produits sont pris au pige de la rgle de rciprocit.Nombre dentre eux cdent un sentiment dobligation quand ilscommandent ces produits quils ont essays, et par consquent,consomms. Bien entendu la socit Amway en est parfaitementconsciente. Mme dans cette socit qui connaissait depuis ledbut une croissance exceptionnelle, la mise en place du systmede la mouche a t un vnement. Daprs les distributeursrgionaux les rsultats sont exceptionnels :

    Incroyable ! Nous navons jamais vu cela ! Le produit se distribue unevitesse incroyable, et ce nest quun dbut Les distributeurs locaux ont utilis lesmouches et les ventes ont fait un bond incroyable [un responsable de lIllinois]. Lide la plus formidable quon ait jamais eue ! Les clients achtent enmoyenne la moiti des produits lorsque le reprsentant repasse En un mot,fabuleux ! Nous navons jamais eu de tels rsultats

    [un responsable du Massachusetts].

    Les responsables des ventes semblent surpris agrablement,mais surpris par le remarquable succs de la mouche . Maisvous et moi, nous ne devrions plus ltre.

    La rgle de rciprocit opre dans de nombreuses situationshumaines o nintervient aucun lment commercial. Monexemple favori de la force de la rciprocit est tir de ce type desituation. Le savant europen Eibel-Eibesfeldt rapporte lhistoire

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  • dun soldat allemand pendant la Premire Guerre mondiale. Celui-ci devait capturer des soldats ennemis et les ramener au camp oils taient interrogs. Du fait de la nature de cette guerre detranches, il tait extrmement difficile pour les armes defranchir le no mans land les sparant des lignes ennemies. Il taitmoins difficile pour un soldat seul de traverser cette zone enrampant et de se glisser dans la tranche ennemie. Les armesde la Grande Guerre avaient des spcialistes de ce genredexpdition, qui enlevaient des soldats ennemis pourinterrogatoire. Le spcialiste allemand de notre histoire avaitrussi de nombreuses missions de ce genre. Repartant pour unenouvelle mission, il russit se faufiler jusquaux lignes ennemieset surprendre un soldat franais isol. Celui-ci, pris au dpourvuen train de manger, se laissa facilement dsarmer. Affol, nayant la main quun morceau de pain, il accomplit alors un acte quiallait compter dans sa vie. Il donna du pain son ravisseur.LAllemand fut si troubl par ce geste quil ne lui fut pas possiblede remplir sa mission. Il tourna le dos au captif donateur ,retraversa le no mans land et rentra, bredouille, affronter lecourroux de ses suprieurs.

    Un exemple aussi convaincant du pouvoir de la rgle derciprocit est celui dune femme, Diane Louie, qui eut la viesauve non pas en donnant quelque chose, comme le soldatvoqu ci-dessus, mais en refusant un cadeau et, en mmetemps, des obligations lourdes de consquences. Elle rsidait ausein de la communaut de Jonestown , cre au Guyana parJim Jones, fondateur du Temple du Peuple. Lorsquennovembre 1978, Jones appela lensemble des membres de lasecte au suicide, la plupart dentre eux obirent et moururentaprs avoir absorb une boisson tire dune cuve empoisonne.Lordonnancement des cadavres montra combien le massacreavait t soigneusement calcul. Quant Diane Louie, rejetantlinjonction de Jones, elle russit quitter le camp et senfuirdans la fort quatoriale. Elle dclare y tre parvenue parce que,par le pass, elle avait dclin laide de Jones un moment oelle en aurait eu besoin. Malade, elle avait alors refus les

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  • aliments spciaux quil lui offrait : Je savais que si jacceptaisces marques de privilge, je tomberais en son pouvoir. Il ntaitpas question que je lui sois redevable de quoi que ce soit.

    Les dettes forcesNous avons vu que le pouvoir de la rgle de rciprocit est tel,

    quen y recourant, des personnes tranges, antipathiques ouimportunes peuvent augmenter leurs chances de nous faireaccder leurs requtes. Mais il y a un autre aspect de la rglequi intervient. On peut dclencher en nous un sentiment de detteen nous donnant quelque chose que nous navons pas sollicit.Rappelons que la rgle stipule seulement quil faut donner, quinous a donn un avantage, le mme genre davantage ; il nestpas ncessaire que nous ayons demand quelque chose pourque nous nous sentions obligs de rendre la pareille. Cela ne veutpas dire que nous nprouverons pas un sentiment dobligationplus fort si nous avons sollicit une faveur, mais seulement que cesentiment existe mme si nous navons rien sollicit.

    Si lon rflchit lutilit sociale de la rgle de la rciprocit, oncomprend quil ne peut pas en tre autrement. La rgle a ttablie pour encourager le dveloppement de relationsrciproques entre les individus, de sorte que quelquun puisseentreprendre une telle relation sans risquer dy perdre. Pour quela rgle soit efficace, il faut quun service non sollicit soit capablede crer une obligation. Rappelons aussi que les relations derciprocit sont un grand avantage pour les socits o ellesstablissent, et quil y aura donc une forte pression sociale enfaveur de la rgle. Cest ainsi que Marcel Mauss, le grandanthropologue franais, dcrivant les pressions socialessexerant sur les procdures de don dans la socit humaine, apu parler de lobligation de donner, lobligation de recevoir, etlobligation de rendre[12] .

    Bien que lobligation de rendre constitue lessence mme de largle de rciprocit, cest lobligation de recevoir qui rend la rgle

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  • si facile exploiter. Lobligation de recevoir rduit notre libert dechoisir envers qui nous nous endettons et met ce pouvoir entreles mains dautrui. Revenons aux exemples prcdents pour voircomment se droule le processus. Dabord, ltude de Regan, onous voyons que lacte qui incite les sujets acheter deux foisplus de billets de loterie navait pas t sollicit. Joe tait all deson propre chef chercher deux Coca-Cola, un pour lui et un pourle sujet. Il ny eut pas un seul sujet pour refuser le Coca-Cola. Ilest facile de comprendre pourquoi il aurait t dlicat de dclinerloffre : Joe avait dj dpens son argent ; offrir cette boissontait un acte tout fait naturel en la circonstance, tant donnsurtout que Joe en avait pris une pour lui ; il aurait t impoli de nepas rpondre son amabilit. Mais lacceptation de ce Coca-Cola crait une dette, ce qui se manifesta clairement au momento Joe exprima son dsir de vendre ses billets de loterie.Remarquons lasymtrie de la situation : tous les choix vritablessont faits par Joe. Cest lui qui choisit le don initial et cest lui quichoisit la faon dacquitter la dette. Certes, on pourrait dire que lesujet tait libre de dire non aux deux propositions de Joe. Mais enfait, cela ntait pas si facile. Pour refuser une des deuxpropositions, le sujet aurait d combattre les forces socialesfavorisant les pactes de rciprocit que Joe, en vritable matrede jiu-jitsu, stait concilis.

    La manire dont un don non dsir peut crer, partir dumoment o il a t reu, une dette, est trs bien illustre par latechnique de sollicitation du mouvement Krishna. Lors de mesobservations rptes de leurs qutes dans les aroports, jai puremarquer les diffrentes rponses de la part des victimes. Laplupart du temps, les choses se droulent de la manire suivante.Un client de laroport, par exemple, un homme daffaires, aumilieu de la foule, se hte vers la sortie. Le quteur de Krishna luicoupe la route et lui tend une fleur. Lhomme, pris par surprise, lasaisit[13]. Presque aussitt, il veut la rendre, dclare quil nenveut pas. Le quteur rpond que cest un cadeau de lAssociationpour la Conscience de Krishna, quil faut laccepter, mais que,cependant, un don pour les bonnes uvres de lassociation serait

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  • un geste apprci. La victime proteste de nouveau : Je ne veuxpas de cette fleur. Tenez, reprenez-la. Le quteur refuse nouveau : Cest un cadeau pour vous, monsieur. Lhommedaffaires est en proie un conflit qui commence apparatre surson visage. Doit-il garder la fleur et sen aller sans rien donner enretour, ou doit-il cder la pression de la rgle si profondmentancre en lui et donner quelque chose ? Cest maintenant saposture qui rvle son conflit intrieur. Il scarte de soninterlocuteur, semble dcid senfuir, puis se rapproche nouveau, pouss par la force de la rgle. Son corps sincline enarrire une dernire fois, mais rien faire ; il ne peut passchapper. Avec une grimace de rsignation, il fouille dans sapoche et en extrait un dollar ou deux, qui sont gracieusementaccepts. Il peut maintenant partir librement, ce quil fait, son cadeau la main, jusqu ce quil rencontre une poubelle oil jette la fleur.

    Tout fait accidentellement, jai t le tmoin dune scne quima dmontr que les Krishna savent trs bien que la plupart dutemps leurs cadeaux sont importuns. Lors dune journeconsacre lobservation dun groupe de quteurs laroportinternational OHare de Chicago, il y a quelques annes, jeremarquai quune des filles quittait frquemment le groupe etrevenait avec des provisions de fleurs. Il se trouva que javaisdcid de faire une pause au moment o elle partait nouveauau ravitaillement. Nayant rien de mieux faire, je lui embotai lepas. Or sa mission consistait jouer les chiffonniers. Elle allait depoubelle en poubelle, dans la zone entourant larogare centrale,pour rcuprer toutes les fleurs abandonnes par les victimes deKrishna. Elle revint ensuite avec ces fleurs soigneusementrecouvertes (dont certaines avaient d tre recycles dj biendes fois) et les distribua ses camarades pour recommencer lejeu de la rciprocit une fois de plus. Ce qui me frappa le plus,cest que la plupart de ces fleurs avaient entran des dons de lapart des gens qui les avaient jetes aux ordures. La rgle de larciprocit agit de telle faon quun don indsirable au point dtrejet la premire occasion tait nanmoins efficace et

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  • exploitable.Les Krishna ne sont pas les seuls savoir que des cadeaux

    non dsirs crent un sentiment dobligation. Combien de foisavons-nous reu de petits cadeaux par la poste cartes devux, porte-cls de la part dorganismes charitables quijoignent leur envoi un appel notre gnrosit ? Jen ai reucinq lanne dernire, deux provenant dorganisations de mutilsde guerre et les autres dorganismes missionnaires ou dhpitaux.Tous les messages accompagnateurs avaient un point commun :lenvoi devait tre considr comme un cadeau ; si je dsiraisenvoyer de largent, ce ne serait pas titre de paiement maisplutt de don. Comme le disait la lettre de lun des organismesmissionnaires, le paquet de cartes de vux que javais reuntait pas payer, mais avait pour but dencourager votregnrosit . Sans parler des vidents avantages de ce systmedu point de vue fiscal, on peut voir pourquoi il est plus profitablepour lenvoyeur que ces cartes soient considres comme uncadeau et non comme une marchandise : une forte pressionculturelle nous oblige rendre la pareille lorsque nous recevonsun cadeau, mme non dsir ; mais rien ne nous oblige acheterdes articles dont nous navons que faire.

    Des changes inquitablesIl y a une autre proprit de la rgle de rciprocit qui la rend

    aisment exploitable. Paradoxalement, bien que la rgle ait ttablie pour assurer lquit des changes, elle peut tre utilisepour produire le rsultat oppos. La rgle exige quune sortedaction suscite une action du mme ordre. Un service rendu doittre pay par un autre service, non par lindiffrence, et encoremoins par lagression. Mais dans le cadre de lchange dactionssimilaires, il y a une grande marge de manuvre. Une petiteattention initiale peut crer un sentiment dobligation assez fortpour faire consentir une faveur nettement plus importante.Comme, nous lavons vu, la rgle autorise la mme personne

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  • choisir la fois laction cratrice de dette et celle qui rembourserala dette, nous pouvons facilement tre manipuls par desexploiteurs qui nous obligent un change inquitable.

    Revenons encore lexprience de Regan. Vous voussouvenez que Joe donnait certains sujets une bouteille deCoca-Cola comme cadeau initial, avant de demander tous lessujets dacheter des billets de loterie vingt-cinq cents pice. Or, lpoque o fut ralise ltude, une bouteille de Coca-Cola encotait dix. Les sujets qui avaient reu une boisson achetaient enmoyenne deux billets de loterie certains allrent jusqu sept !Mme avec le sujet moyen, cependant, Joe ralisait une bonneaffaire. Un investissement ayant un rendement de cinq cents pourcent peut en effet tre considr comme assez intressant

    Dans le cas de Joe, cependant, ce taux de cinq cents pour centne correspondait qu cinquante cents. La rgle de rciprocitpeut-elle produire des diffrences rellement significatives quant la valeur des choses changes ? Sans aucun doute, danscertaines circonstances. Voyez par exemple ce tmoignage dunede mes tudiantes, voquant un souvenir particulirementdsagrable :

    Un jour, il y a environ un an de cela, je narrivais pas faire dmarrer mavoiture. Un type qui passait par l a vu ma dtresse, il est venu maider et il arussi faire partir le moteur. Je lui ai dit merci, il a dit de rien, et avant quil nesen aille je lui ai dit que le jour o il aurait un service me demander, quil nhsitepas. Un mois plus tard, il est venu frapper ma porte pour me demander de luiprter ma voiture pendant deux heures, parce que la sienne tait en rparation. Jemy suis sentie oblige, un peu contrecur parce que la voiture tait neuve etquil avait lair trs jeune. Jai dcouvert par la suite quil navait pas lge et quilntait pas assur. En tout cas, je lui ai prt ma voiture et il me la dmolie.

    Comment se fait-il quune jeune femme intelligente accepte deprter sa voiture neuve un adolescent quelle ne connatpratiquement pas, simplement parce quil lui a rendu un petitservice un mois plus tt ? Ou, plus gnralement, pourquoi lespetites prestations sont-elles souvent rendues avec usure ? Laraison en est pour une part que la reconnaissance est unsentiment dsagrable. Nous trouvons en gnral dplaisantdtre loblig de quelquun. Nous cherchons en finir avec cette

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  • situation qui nous pse. Il nest pas difficile de retrouver loriginede ce sentiment. Comme les accords de rciprocit sontdimportance vitale pour les socits humaines, nous sommesconditionns nous sentir mal laise en position doblig. Sinous pouvions passer outre au besoin de rembourser nos dettes,nous arrterions net la squence de rciprocit et notrepartenaire serait peu enclin donner nouveau par la suite. Cersultat ne serait pas profitable la socit. Cest pourquoi noussommes entrans depuis lcole touffer psychologiquementsous le poids de la reconnaissance. Ne serait-ce que pour cela,nous sommes donc prts accorder un avantage disproportionn celui que nous avons reu, simplement pour nous dlivrer dufardeau de la dette.

    Mais il y a une autre raison. Un individu qui viole la rgle derciprocit en acceptant les prsents dautrui sans essayer derendre la pareille est mal vu par le groupe social. Sauf, bienentendu, sil ne peut sacquitter de sa dette en raison descirconstances ou dune incapacit particulire[14]. Mais, engnral, les individus qui ne se conforment pas aux lois de larciprocit sont mal considrs. Ltiquette de profiteur nest pasde celles quon aime se voir apposer ; elle est si gnante quenous prfrons y chapper en subissant un change ingal.

    En se combinant, la ralit dun sentiment de malaise etlventualit de lopprobre gnral reprsentent un cotpsychologique non ngligeable. Si lon en tient compte, il nest pastonnant quau nom de la rciprocit nous soyons prts donnersouvent plus que nous navons reu. Et il est normal que, commela montr une exprience ralise lUniversit de Pittsburgh, lesgens vitent de demander quelque chose sils savent quilsnauront pas la possibilit de le payer de retour. Le cotpsychologique peut en effet dpasser la perte matrielle.

    Certaines personnes peuvent aussi refuser cadeaux ouavantages par crainte de perte dune nature diffrente. Lesfemmes voquent souvent le dsagrable sentiment dobligationquelles prouvent vis--vis dun homme qui vient de leur offrir un

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  • prsent coteux ou de les inviter dans un grand restaurant. Mmeun simple verre pris dans un bar les place dans une situation dumme ordre. Lune de mes tudiantes lexpliquait en termesexplicites dans un devoir : Jai appris mes dpens ne plusaccepter quun garon rencontr en bote paie mes boissons.Ainsi, nous ne considrons ni lun ni lautre que je lui en suissexuellement redevable. Des enqutes confirment que lesprventions de cette jeune fille sont justifies. Elles dmontrent,en effet, quune femme qui laisse un homme linviter estimmdiatement juge (non seulement par la gent masculine maisaussi par les autres femmes) plus accessible pour lui sur le plansexuel que si elle avait pay son verre elle-mme[15].

    Les concessions rciproquesIl y a une autre faon dutiliser la rgle de rciprocit pour

    forcer quelquun accder une requte. Elle est plus subtile quela mthode directe qui consiste donner quelque chose et demander quelque chose en change par la suite ; et pourtant,elle est sa faon plus redoutable. Lexprience que jen ai faite ily a quelques annes ma prouv matriellement lefficacit decette technique de persuasion.

    Je fus abord dans la rue par un garon de onze ou douze ans.Il se prsenta et mexpliqua quil vendait des billets pour la ftedes scouts qui devait avoir lieu la semaine suivante. Il medemanda si je dsirais en acheter, cinq dollars pice. Comme lafte des scouts tait bien le dernier endroit o javais envie depasser la soire du samedi, je refusai. Bon, dit-il, si vous nevoulez pas acheter des billets, pourquoi pas une de nos barres dechocolat gantes un dollar seulement ? Jen achetai deux, etme rendis compte tout coup quil stait pass quelque chose deremarquable. En effet : (a) je naime pas les barres de chocolat ;(b) je tiens mon argent ; (c) jtais plant l avec deux barres dechocolat ; et (d) il sloignait avec deux de mes dollars.

    Pour tenter de comprendre ce qui stait pass, je me rendis

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  • mon bureau et jorganisai une runion avec mes assistants. Enanalysant la situation, nous comprmes comment la rgle derciprocit tait entre en jeu pour mamener accepterdacheter ces friandises. La rgle gnrale dit quune personnequi se comporte dune certaine faon envers nous est en droitdattendre de notre part une attitude similaire. Nous avons dj vuque lune des consquences de la rgle est de nous obliger rendre la pareille pour tout avantage reu. Une autreconsquence de la rgle, cependant, est que nous devons faireune concession qui nous en a fait une. En rflchissant laquestion, mon groupe de recherche arriva la conclusion quectait exactement la situation dans laquelle le petit scout mavaitmis. Sa proposition dacheter des barres de chocolat un dollaravait t prsente comme une concession de sa part ; cettedemande tait en retrait par rapport sa proposition prcdente, savoir, acheter des billets cinq dollars. Pour obir auxprceptes de la rgle de rciprocit, il me fallait faire uneconcession mon tour. Comme nous lavons vu, cetteconcession fut faite : jabandonnai mon attitude de refus quand ilabandonna sa requte pour une autre moins importante ; etpourtant, je ne dsirais en fait aucune des deux choses quil meproposait.

    Cest un exemple typique de la faon dont on peut utiliser unearme dinfluence pour forcer quelquun quelque chose. Javaist pouss lachat, non par quelque sentiment favorable lgard de larticle en question, mais par la faon dont loffremavait t prsente, qui mettait en jeu lobligation de rciprocit.Que je naime pas les barres de chocolat ntait pas entr en lignede compte. Le jeune scout me faisait une concession, clic, jeragissais automatiquement par une autre concession. Bien sr,la tendance payer de retour les concessions nest pas forte aupoint dtre dterminante quels que soient les individus et quellesque soient les circonstances ; aucune des armes dinfluencedcrites ici nest ce point puissante. Cependant, lors de monchange avec le scout, la tendance avait t assez forte pour queje me retrouve mystifi, en possession de deux barres de

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  • chocolat dont je navais aucune envie et que javais payesbeaucoup trop cher.

    Pourquoi avais-je prouv le besoin de faire une concession mon tour ? La rponse se trouve nouveau dans le bnfice queretire la socit de ce besoin. Il est dans lintrt de tout groupehumain que ses membres travaillent ensemble la russite deprojets communs. Cependant, dans beaucoup dassociationshumaines, les participants commencent par poser des conditionsqui sont inacceptables pour les autres. Cest pourquoi la socitdoit faire en sorte que ces dsirs initiaux, incompatibles entreeux, soient mis de ct pour favoriser une cooprationsocialement bnfique. Le processus est rendu possible par uncertain nombre de mcanismes de compromis, et en particulierpar les concessions mutuelles.

    La rgle de rciprocit suscite les concessions mutuelles dedeux faons. La premire est vidente : la rgle pousse lebnficiaire dune concession rendre la pareille. La deuxime,bien que moins vidente, est non moins dterminante. Commedans le cas des cadeaux et des services, lobligation de rendreconcession pour concession encourage la cration de pactessocialement avantageux : en effet, celui qui entreprend deconclure ce genre daccord est sr de ntre pas exploit. Aprstout, sil nexistait aucune obligation de rendre, qui voudrait faire lepremier sacrifice ? Ce serait risquer dabandonner un avantagesans rien avoir en change. Mais grce la force de la rgle,nous pouvons sans risque faire le premier sacrifice au bnficede notre partenaire, qui est oblig den faire un autre en change.

    Comme cest la rgle de rciprocit qui rgit ltablissementdun compromis, la technique de la concession initiale peutatteindre une grande efficacit. Cest une technique trs simplequon peut dfinir comme la technique du rejet-retrait. Supposonsque vous vouliez me prsenter une requte. Un moyen daccrotrevos chances de me faire consentir serait de me prsenterdabord une grosse requte, que je vais selon toute probabilitrejeter. Ensuite, une fois que jai refus, vous me prsenteriez la

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  • petite requte, qui est en fait celle qui vous intressevritablement. Pourvu que vous ayez men loprationadroitement, je devrais considrer votre deuxime requtecomme une concession que vous me faites et me sentir enclin yrpondre par une autre concession, la seule qui se prsente moi immdiatement : accder votre seconde requte.

    Est-ce ainsi quavait procd le jeune scout pour me faireacheter ses friandises ? Labandon de sa premire requte cinq dollars au profit dune autre cinq tait-il une retraite feinte,dlibrment labore pour promouvoir la vente de ses barres dechocolat ? Ayant gard un certain attachement pour lidal scoutde ma jeunesse, je me refuse le croire. Mais que cettesquence grosse-requte-petite-requte ait t monte de toutespices ou non, le rsultat est le mme. Cest efficace. Et parceque cest efficace, la technique du rejet-retrait peut tre utilise dessein par certaines gens pour arriver leurs fins. Examinonsdabord comment cette tactique peut tre utilise de faon russir coup sr. Nous verrons ensuite dans quelles conditionselle est effectivement utilise. Enfin, nous nous arrterons surquelques petits -cts de cette technique qui en font lune destactiques de persuasion les plus efficaces.

    Donc, aprs ma rencontre avec le jeune scout, je fis appel mes assistants pour quils maident comprendre ce qui staitpass, et, par la mme occasion, faire disparatre la pice conviction. Nous fmes mme plus. Une exprience fut laborepour tester lefficacit dun procd du mme genre : se rabattresur la vritable requte aprs quune premire requte plusimportante avait t refuse. Cette exprience avait pour but devrifier deux choses. Dabord, nous voulions voir si ce procdtait efficace aussi sur dautres personnes. En effet, il semblaitclair que la tactique avait eu un certain effet sur moi ce jour-l,mais il faut dire que, pour ce qui est de se laisser persuader pardes procds divers et varis, je dtiens une espce de record.Si bien que la question demeurait : La technique du rejet-retraitest-elle efficace sur un assez grand nombre de gens pour tre

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  • utile en tant que procd de persuasion ? Si ctait le cas, cettetechnique mritait de retenir lattention.

    Le deuxime objectif de ltude tait de dterminer la force dece procd. Pouvait-il susciter le consentement une requtedimportance relle ? Autrement dit, la petite requte tait-ellencessairement une requte insignifiante ? Si nous avions biencompris le mcanisme du phnomne, ce ntait pasncessairement le cas. Il fallait seulement quelle soit moinsimportante que la premire. Nous souponnions que le facteurcritique dans le fait du retrait tait quil revtait lapparence duneconcession. La seconde requte pouvait donc tre objectivementimportante.

    Aprs rflexion, il fut dcid dessayer cette technique avecune proposition que peu de gens se montreraient disposs accepter. Prtendant reprsenter le Comit de Conseil de lajeunesse de la ville, nous nous adressions aux jeunes tudiantssur le campus pour leur demander sils accepteraientdaccompagner un groupe de jeunes dlinquants dans uneexcursion au zoo. Lide de prendre en charge pendant desheures un groupe de dlinquants juvniles dge non prcis,dans un lieu public, et sans rmunration ntait pas trsengageante. Comme nous nous y attendions, la grande majoritdes tudiants sollicits (quatre-vingt-trois pour cent) refusa. Maisles rsultats obtenus furent trs diffrents auprs dun chantillonsimilaire dtudiants auquel on posa la mme question, maisaprs une approche un peu diffrente. Avant de leur proposerdtre les animateurs bnvoles de lexcursion au zoo, nous leurproposions une tche encore plus lourde : consacrer deux heurespar semaine un jeune dlinquant, pendant un minimum de deuxans. Ce nest que lorsquils avaient refus cette requteextrme ce quils firent tous que nous proposions la tche pluslgre daccompagner les jeunes dlinquants au zoo. Du simplefait que lexcursion au zoo tait prsente comme un retrait parrapport la requte initiale, le taux dacceptation fut beaucoupplus lev. Parmi les tudiants sollicits de la deuxime manire,

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  • le nombre de volontaires pour le rle daccompagnateur fut troisfois plus lev[16].

    Il est certain quune stratgie arrivant tripler le tauxdacceptation (qui passait de dix-sept cinquante pour cent dansnotre exprience) pour une proposition dune certaineconsquence, sera frquemment employe dans toutes sortes desituations. Les syndicats, par exemple, ont souvent recours cette tactique, commenant par poser des exigences extrmes,quils nespr